La Fidelle Tromperie
Tragi-comédie

Par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois.

À PARIS,
Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE,
dans la petite Salle du Palais, à
l’Escu de France
M. DC. XXXIII.
AVEC PRIVILÈGE DU ROY.

Édition critique établie par Magalie Rabot dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2002-2003)

Gougenot, La Fidelle Tromperie §

Gougenot ? Voilà un nom que l’on s’empresse, à peine lu, d’oublier, d’autant plus vite que son œuvre peut paraître insignifiante tant en regard de la quantité – il a écrit deux pièces et un roman, inachevé –, qu’en ce qui concerne la qualité. En effet, son style semble avoir été condamné par tous ceux qui ont daigné y porter un peu d’attention, des Frères Parfaict – qui sont les premiers dont on ait conservé un témoignage – aux critiques contemporains, et le style de la Fidelle Tromperie, en particulier, n’a pas été épargné. Joint à cela le fait que la vie de cet écrivain est, encore de nos jours, presque totalement obscure, rien ne facilite sa reconnaissance. Pourquoi, alors, rééditer cette pièce ?

Aux yeux de l’historien du théâtre, la Fidelle Tromperie n’est pas sans intérêt. Outre le fait qu’il s’agit d’une tragi-comédie parue dans les années 1630 – décennie pendant laquelle le genre est à son apogée –, et une des rares à mettre en scène un prince travesti, on peut y voir une certaine originalité. Gougenot est en effet le premier à adapter au théâtre l’épisode de l’Amadis de Gaule concernant les amours d’Agésilan de Colchos et de Diane de Guindaye, histoire qui a été reprise, quelques années après, et avec plus de succès, par Rotrou dans son Agésilan de Colchos. Gougenot était donc le premier, mais il est resté dans l’ombre de celui qui a su en faire une meilleure adaptation, de même qu’il est resté dans l’ombre de Georges de Scudéry, qui a repris sa pièce intitulée la Comedie des Comediens, sans même en changer le titre. Ainsi, si l’on peut critiquer la manière d’écrire de Gougenot, il faut garder à l’esprit que tout n’est pas mauvais dans son œuvre puisque même les plus grands ont trouvé ses idées assez bonnes pour les reprendre et, certes, les améliorer.

Chapitre I : L'auteur et son oeuvre §

Éléments de biographie §

« Nous ne savons rien au sujet de la naissance, de la famille et de la mort de Gougenot »1. Ce constat, dressé par un dijonnais en 1877, est malheureusement toujours d’actualité. Certes, grâce aux travaux de François Lasserre, le dramaturge ne nous est plus totalement inconnu, mais sa vie reste, pour le moment encore, un mystère.

Nous connaissons trois œuvres de cet écrivain : la Fidelle Tromperie, publiée en 1633 pour la première fois chez Antoine de Sommaville – chez qui elle sera republiée l’année suivante –, la Comedie des Comediens, publiée chez Pierre David en 1633 également (achevé d’imprimer le 27 août) et le Romant de l’Infidelle Lucrine, publié l’année suivante (achevé d’imprimer le 4 janvier) chez Matthieu Colombel. Par ailleurs, certains critiques lui attribuent le Discours à Cliton publié en 1637 lors de la querelle du Cid2. A ces œuvres s’ajoute un poème liminaire3 à une tragi-comédie, l’Orizelle de Chabrol, un dramaturge peu connu.

En ce qui concerne la vie de l’écrivain, nous avons très peu de renseignements. Son prénom même posait problème avant que François Lasserre ne lui apportât une solution. A la fin de la dédicace de la Fidelle Tromperie de 1634, et de celle du Romant de l’Infidelle Lucrine, il signait « N. Gougenot ». Les recherches du critique ont permis de développer l’initiale en « Nicolas », du nom d’un graveur, maître-écrivain, originaire de Dijon comme l’était le dramaturge4. Il semblerait – M. Lasserre s’est attaché à le démontrer5 –, que l’écrivain et le graveur aient été en réalité une seule et même personne. Ces recherches ont ainsi non seulement résolu l’énigme du prénom, mais elles ont aussi déterminé quel métier Gougenot exerçait parallèlement à l’écriture.

Certains travaux du graveur Nicolas Gougenot ont été conservés : ils contiennent une « petite série de lettres et phrases gravées, soit quatre alphabets et vingt-deux sentences, dont dix-huit en vers »6. Ils appartiennent à la collection de Marolles, qui se trouve au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale. Par ailleurs, nos propres recherches ont permis de découvrir d’autres ouvrages réalisés par Nicolas Gougenot : il s’agit d’une série de quatre manuscrits, dont l’un, intitulé Priere du Roy au Sainct Esprit, a été créé en 16147. Ceci n’est pas sans conséquence : alors que M. Lasserre proposait que l’écrivain fût né entre 1606 et 16108 au vu de la maturité dont il faisait preuve dans ses œuvres, une telle découverte permet de remettre en question cette fourchette. En effet, la date de naissance de Gougenot semble plutôt devoir se situer à la fin du seizième siècle – peut-être au début de la dernière décennie –, qu’au début du siècle suivant, date qui lui permettrait d’avoir l’âge nécessaire à la réalisation de l’ouvrage découvert.

D’autres renseignements d’ordre biographique nous sont donnés par les dédicaces de ses œuvres. Dans celle qui ouvre le Romant de l’Infidelle Lucrine, nous apprenons notamment que l’auteur de la Fidelle Tromperie est devenu aveugle, cécité qui l’a contraint à arrêter d’exercer son métier :

Ayant esté privé de l’exercice de ma profession ordinaire, par la perte de la veuë, dont il a pleu à Dieu m’affliger, il ne m’est resté pour tout entretien que celuy de mon malheur (…).

Par ailleurs, les destinataires des dédicaces pourraient avoir été des relations de Gougenot. Le dédicataire du roman, « Monseigneur Guillaume Russel, Comte de Betford », celui de la Comedie des Comediens, « François de Bonne de Crequy, Comte de Sault, et Lieutenant General pour le Roy en Dauphiné », et celui de la Fidelle Tromperie, « Monsieur Jean Bernard, Comte et noble seigneur de Lippe »9, sont autant de personnes qui auraient pu avoir connu personnellement l’auteur dijonnais. Enfin, le manuscrit daté de 1614 a été réalisé avec la collaboration du poète Philippe Desportes, et il est fort probable que Gougenot l’ait connu. De même, le poème liminaire à l’Orizelle de Chabrol témoigne sûrement de la relation qui a existé entre Gougenot et cet auteur dramatique.

Les œuvres de Gougenot §

Les pièces de Gougenot ont-elles été représentées ? Si les frères Parfaict10 notent qu’elles l’ont été par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne en 1633, on peut toutefois remettre cette affirmation en question car aucune d’elles ne figure dans le Mémoire de Mahelot, qui recense les œuvres mises en scène dans ce théâtre à partir de l’année 1633 : elles auraient donc pu être représentées auparavant sur cette scène, ou sur une autre scène parisienne, montée dans un jeu de paume comme c’était alors la coutume. En admettant qu’elles aient été réellement représentées, nous n’avons trouvé aucune trace de ce qui concerne leur réception par le public. Figure d’exception, l’abbé de Marolles cite le ou les pièces de Gougenot au milieu d’autres, mais il n’en fait aucun commentaire11 :

Plus de cinquante autres [pièces] que j’ay veuës sans nom d’Autheurs, & quelques autres encore sous les noms de Banzac, Chapoton, Chaulmer, Cirano, Emaville, des Fontaines, Gougenot, (…).

Cette citation ne suffit pas à prouver la représentation : Michel de Marolles aurait très bien pu les avoir lues, et le contexte de cette phrase ne permet pas de résoudre cette ambiguïté.

Environ un siècle plus tard, la critique que les frères Parfaict font de ces œuvres – critique très négative –, permet de définir celle qu’auraient pu faire les contemporains de Gougenot. Ainsi, ils écrivaient de la Fidelle Tromperie : « Ce n’est ici qu’une mauvaise imitation du sujet d’Agésilan de Colchos, que Rotrou traita depuis » ; et de la Comedie des Comediens : « Rien de plus mauvais que cette Piece, pleine de reconnoissances, de suppositions, de combats, &c »12.

La Fidelle Tromperie et la Comedie des Comediens ont peu de points communs. En réalité, on peut même aller jusqu’à dire qu’elles n’en ont aucun, si ce n’est le recours au travestissement – masculin dans la première pièce, féminin dans la seconde –, travestissement qu’on retrouve sous ces deux emplois dans le Romant. Les deux pièces se présentent sous deux formes différentes, la Comedie ayant recours au procédé du théâtre dans le théâtre en mettant en scène une pièce intitulée la Courtisane dans les trois derniers actes, en vers, alors que les premiers étaient en prose. La Fidelle Tromperie est uniquement en vers. Le genre des deux pièces est également différent. Bien qu’elles soient toutes les deux sous-titrées « tragi-comédie », il apparaît que seule la Fidelle Tromperie appartient à ce genre, l’autre relevant plutôt de celui de la comédie13.

Etrangement, les deux pièces partagent plus de choses avec le roman qu’elles ne le font ensemble. Ainsi, la Courtisane contenue dans la Comedie reprend des épisodes et des personnages du Romant de l’Infidelle Lucrine. En ce qui concerne la Fidelle Tromperie, on remarque que les noms de certains personnages du roman (Alderine, Aristome, Armidon, Clorise, Dorine) sont communs aux deux œuvres. Un passage de ce dernier a même donné naissance à des vers de la pièce, ou inversement14 – les dates de rédaction des œuvres étant, sinon encore inconnues, du moins à l’état d’hypothèses.

La Comedie des Comediens a fait l’objet de plusieurs rééditions à partir du dix-neuvième siècle. Ce « succès » était dû en grande partie au fait que la pièce avait un intérêt aux yeux de l’historien du théâtre, celui de faire jouer aux comédiens le rôle de comédiens. En effet, comme l’indiquent les frères Parfaict : « les deux premiers Actes de cette Tragi-Comédie sont en prose, & se passent entre les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, qui se sont assemblés pour recevoir de nouveaux Acteurs »15. La pièce nous fournit sur la composition et l’organisation de la troupe à l’époque, sur la perception du théâtre par les comédiens eux-mêmes, de précieux renseignements. Elle semble d’ailleurs avoir été le motif d’une querelle avec le théâtre du Marais, qui fit jouer sa propre Comedie des Comediens, écrite par Scudéry16.

Contrairement à cette pièce, la Fidelle Tromperie est tombée totalement dans l’oubli et n’a fait l’objet d’aucune réédition depuis celle de 1634. D’ailleurs, il apparaît que cette dernière n’est probablement pas une véritable réédition : seule la page-titre semble différer de la version précédente, et il s’agit sans doute d’un stratagème de l’imprimeur mis en place pour écouler un stock d’exemplaires invendus qui restaient de l’année précédente.

En ce qui concerne la rédaction des ouvrages, nous n’avons aucune certitude. Lequel fut le premier à avoir été écrit ? Dans quel ordre furent-ils rédigés ? Ces questions n’ont pour le moment que des réponses hypothétiques. Selon François Lasserre, la Fidelle Tromperie, « qui contient des maladresses », aurait été la première œuvre de Gougenot, et elle aurait été écrite en 1631 au plus tard. Quant au roman, il aurait eu une assez longue gestation et aurait précédé la Comedie des Comediens qui, toujours selon le critique, fut probablement écrite en 1632 et jouée la même année.

Chapitre II : La Fidelle Tromperie §

Nous venons de voir le peu d’éléments connus en ce qui concerne la rédaction, la représentation et la réception de la Fidelle Tromperie. Il conviendrait, avant d’aborder de façon plus détaillée l’étude de la pièce de Gougenot, d’en donner un résumé qui permettra de mieux en saisir le déroulement. De même, le problème que pose son titre dans la relation qu’il entretient avec l’œuvre elle-même impose ici une étude qui permettra de définir quels liens les unissent.

Résumé de La Fidelle Tromperie §

Le prince Armidore est tombé amoureux d’une femme par l’intermédiaire de son portrait, celui d’Alderine, princesse de Chypre, qui se trouve malencontreusement enfermée par sa mère à l’abri des regards masculins. Armidore parle de cette passion qui le brûle à son cousin et ami Clidame, qui après avoir tenté de le convaincre de ne pas suivre cette inclination dangereuse, décide de l’aider dans son entreprise. Le prince amoureux décide de se travestir pour pouvoir rencontrer sa bien-aimée (I, 1). La reine Clorisée, qui est la mère d’Alderine, se plaint d’avoir été abandonnée par Filamire. Sa Gouvernante tente de la réconforter, lorsqu’arrivent Clidame et Armidore, qui s’est travesti en « Lucide » (I, 2). Les quatre personnages se rencontrent. Les arrivants se font passer pour frère et sœur, rescapés d’un naufrage, après avoir été enlevés par un corsaire. Clorisée décide de les prendre sous sa protection (I, 3).

Hors-scène, « Lucide » a rencontré Alderine, qu’il aime d’autant plus maintenant qu’il l’a vue, et Clidame a discuté avec la reine. Les deux amis, après avoir parlé de leurs entretiens respectifs, se disputent, et se séparent (II, 1). Florinde, la confidente d’Alderine, parle avec elle de l’inclination qu’a la princesse pour « Lucide » et désapprouve cet amour immoral. « Lucide » les rejoint alors, et un duo d’amour en apparence homosexuel commence (II, 2). Aristome, un roi étranger qui a été battu par Filamire dans un duel, arrive et se soumet au pouvoir de la reine. Clidame, qui ne comprend rien à ce qui se passe, se fait expliquer l’histoire de Clorisée et de Filamire par Tersandre : la reine a été abandonnée par lui avant la naissance d’Alderine, et elle a décidé de se venger de lui en promettant la main de sa fille à celui qui lui apporterait la tête du traître (II, 3).

Bruserbe, un autre roi étranger, vient se soumettre au pouvoir de la reine après avoir été battu lui aussi par Filamire. Il exige qu’elle se marie avec lui, Clorisée refuse ; ils se disputent. Les éclats de leurs voix attirent « Lucide », qui prend la défense de la reine, et se bat en duel avec le nouveau-venu. Elle gagne, Bruserbe s’en va. Filamon arrive à son tour, ayant été vaincu par le roi trompeur. Son comportement irrespectueux envers la reine et Filamire entraîne la colère de « Lucide », qui le bat en duel. La reine, ayant assisté à ces deux victoires, a une idée : elle va demander à « Lucide » d’aller combattre celui qui l’a abandonnée (III).

Le roi Filamon, dans un monologue, exprime son désarroi devant les événements qui viennent de se passer. Il décide de trouver un moyen qui lui permettrait de se venger, ou de mourir (IV, 1). Clorisée demande à « Lucide » d’être son champion contre Filamire, et d’être elle-même tuée après la mort de ce dernier ; après avoir hésité, le prince travesti accepte, après avoir obtenu de la reine la promesse de recevoir un don après avoir amené la tête du roi. Tout cela n’est pas du goût d’Alderine qui, ayant assisté à la scène, se dispute avec « Lucide », et s’évanouit. Lorsqu’elle a repris ses esprits, « Lucide » lui dit qu’elle a un secret à lui avouer (IV, 2). Clidame et Tersandre parlent du désir de vengeance de la reine, et craignent pour l’avenir. Celle-ci arrive, et demande à Clidame d’accompagner « Lucide » dans son expédition contre Filamire ; il accepte (IV, 3). Alderine et « Lucide » se retrouvent dans le jardin pendant la nuit. Le prince avoue sa véritable identité. La princesse se met en colère et lui interdit de la revoir. Armidore est désespéré, il veut se tuer, mais Florinde arrive et l’en empêche : il doit partir combattre Filamire (IV, 4).

Les rois Bruserbe et Filamon ont déclaré la guerre à Chypre et ils occupent la plus grande partie de l’île. Avant de prendre le château de Clorisée par la force, ils décident d’envoyer un Ambassadeur pour les représenter et faire accepter leur requête : les mariages de l’un avec la mère, et de l’autre avec la fille (V, 1). Les troupes de Chypre sont prêtes à soutenir ce siège. L’Ambassadeur de Bruserbe et Filamon transmet leur vœu à la reine ; elle se met dans une violente colère et refuse de se soumettre. Ils se préparent à combattre (V, 2). Alderine, de son côté, réfléchit sur l’inconstance du monde, et change d’opinion en ce qui concerne Armidore : elle l’aime toujours, et d’ailleurs, sa colère n’était qu’une feinte. Une voix merveilleuse lui annonce que tout va bientôt être réglé, et qu’elle va être heureuse (V, 3). L’assaut est donné contre le château. « Lucide » et Filamire arrivent à ce moment, et mettent fin au conflit en faisant prisonniers les deux rois ennemis. « Lucide » fait coucher Filamire dans une chambre et le laisse (V, 4). La reine apprend le retour de « Lucide » et veut en savoir plus. Le prince travesti vient la chercher et l’amène auprès de Filamire endormi. Là, il exige son don, qui est qu’elle tranche elle-même la tête du roi. La reine ne peut s’y résoudre et tente de se tuer ; « Lucide » l’en empêche. Filamire se réveille, Clorisée lui pardonne. Tous vont voir Alderine (V, 5). Tersandre et Clidame ne savent pas ce qui se passe, et ils s’interrogent (V, 6). Tout le monde sort du château. Le mariage d’Alderine et d’Armidore, qui a quitté son déguisement entre-temps, est annoncé. La nouvelle de la mort de Clarinde, l’autre femme de Filamire, permet son mariage avec Clorisée (V, 7).

La Fidelle Tromperie §

Il convient maintenant d’aborder le problème que pose le titre de la pièce dans la relation qu’il entretient avec l’œuvre elle-même.

Auparavant, la forme oxymorique de ce titre est à remarquer (« fidelle » vs « tromperie »), mais ce n’est pas une originalité à l’époque, bien au contraire : de nombreux dramaturges y ont recours, et on pourrait citer par exemple l’Infidèle Confidente de Pichou (1631), l’Innocente Infidélité de Rotrou (1637), l’Amante ennemie de Sallebray (1642), les Fausses Véritez (1643) et les Morts-vivants (1646) de d’Ouville, les Innocens coupables de Brosse (1645) … la liste serait longue. Il semblerait que Gougenot s’inscrive ainsi dans ce qu’on pourrait appeler une mode du titre oxymorique.

Mais le problème du titre ne se pose pas quant à la forme qu’il adopte, mais bien dans sa relation au contenu de la pièce. Il annonce une « tromperie », qui s’avérera n’en être pas véritablement une. Or, qui dit « tromperie » dit aussi « trompeur » et « trompé » : qui sont-ils dans la pièce ? Parce que l’expression ne réapparaîtra pas dans le texte, il convient de savoir de qui il s’agit. Et c’est là que la difficulté apparaît : plusieurs solutions semblent en effet convenir.

A première vue, le trompeur est Armidore, qui recourt au procédé du travestissement pour se glisser auprès de celle qu’il aime, et les « trompés » sont par conséquent ceux qui ne sont pas au courant de ce déguisement, c’est-à-dire tous – et en particulier Alderine et Clorisée qui y sont sans cesse confrontées –, exception faite de Clidame. Mais alors, pourquoi « fidelle » ? Certes, « Lucide » est travestie, et elle dupe tout le monde, mais il est vrai aussi qu’elle reste fidèle dans son amour pour Alderine, et elle est toujours loyale envers la reine. En outre, elle servira la cause de cette dernière malgré le fait que cela constitue un obstacle à la réalisation de son amour. La forme oxymorique révèlerait alors dans le titre cette opposition entre les désirs de Clorisée – à qui « Lucide » est « fidelle » –, et ceux d’Armidore, qui la « trompe » pour pouvoir les réaliser. Elle traduirait à la fois l’incompatibilité de ces deux désirs divergents, mais leur réunion dans une même expression serait en même temps une sorte de message d’espoir : les contraires peuvent s’assembler, le dénouement heureux est possible.

Mais cette première explication du titre n’est pas la seule qui semble légitime. En effet, la « fidelle tromperie », ce n’est pas seulement l’écartèlement d’un prince entre sa loyauté et son amour, c’est aussi le stratagème que met en place le même personnage au dernier acte, stratagème qui conduira la pièce à un heureux dénouement.

Dès l’acte IV, Clorisée avait demandé un service à « Lucide » – lui apporter la tête de Filamire –, et elle avait insisté sur le fait que l’amazone, si elle le lui promettait, devait être fidèle à sa promesse :

Mais si vous ne voulez advancer mon trépas,
Si vous me promettez, c’est de ne manquer pas. (v. 1203-1204)
Voulez-vous à cela fidelle consentir ? (v. 1235)

Cependant, « Lucide » trouvera un moyen de rester fidèle à sa promesse, tout en ne réalisant pas le vœu de la reine. Certes, elle rapportera la tête de Filamire, mais ce sera avec le corps, encore bien vivant. Symptômes de la tromperie, les dérivés de ce terme et leurs synonymes apparaissent pour qualifier « Lucide » à la suite de cette scène :

C’est donc en ceste sorte, et bien je suis trompée (v. 2169) ;
Puis que ceste trompeuse a manqué d’asseurance (v. 2189) ;
Retire-toy, parjure (v. 2195) ;
Je ne veux plus ouyr tes infidelitez (v. 2196).

Dès lors, on peut dire que la mise en scène de la « tête vivante » est aussi une « fidelle tromperie ».

Ce n’est pas tout. Le trompeur dans la pièce, c’est encore Filamire, qui a lâchement abandonné Clorisée pour se marier avec une autre. Les nombreuses occurrences des termes qui le qualifient de « desloyal », de « trompeur » et de « parjure » en témoignent17. Mais le fait que, malgré sa tromperie, il revient auprès de celle qu’il avait d’abord aimée, pourrait être interprété comme une forme de fidélité, et expliquerait encore l’association des deux termes antithétiques. La « fidelle tromperie » serait alors le retour de l’amant volage.

Ainsi, il serait trompeur de chercher le rapport du titre et de l’œuvre dans un sens qui se voudrait unique. La multiplicité des significations, c’est bien ce qui paraît être recherché par Gougenot.

Chapitre III : aux origines de La Fidelle Tromperie : l’inventio tragi-comique §

L’Amadis de Gaule : source principale §

Influence de l’Amadis sur la Fidelle Tromperie §

L’Amadis de Gaule est la source principale de la Fidelle Tromperie. Il s’agit d’un roman de chevalerie aux origines lointaines et assez obscures. La version que nous connaissons aujourd’hui a été rédigée en Espagne à la fin du quinzième siècle par Garci Rodriguez de Montalvo, et publiée en 1508 à Saragosse. Bien avant cette édition, qui n’est peut-être pas la première, l’histoire de l’Amadis était déjà connue, notamment en Castille aux alentours de 1350. Les véritables origines du roman restent aujourd’hui encore mystérieuses : on ne connaît pas sa langue d’origine, – la France et le Portugal se sont disputé la paternité de l’ouvrage –, on ne connaît pas la date, même approximative, de sa naissance. En ce qui concerne les traductions françaises, elles ont été nombreuses et se sont échelonnées sur des dizaines d’années, entre 1540 et le début du dix-septième siècle. Elles ont eu un succès considérable et ont inspiré de nombreuses œuvres littéraires.

L’influence que ce roman a exercé sur la composition de la Fidelle Tromperie n’est pas des moindres, et elle se manifeste de diverses manières. Certes, c’est avant tout le sujet que Gougenot lui emprunte, choisissant de reprendre parmi des intrigues différentes, toutes plus ou moins liées entre elles, celle des amours d’Agésilan de Colchos et de Diane de Guindaye, qui partagent la vedette avec les parents de la princesse, Sidonie et Florisel (Livres XI et XII18). De ce gigantesque récit, le dramaturge ne retiendra que quelques personnages, quelques situations, qu’il respectera, ou bien dont il s’éloignera selon son désir. Le roman lui inspirera même certains vers.

Il conviendrait de préciser ici quels chapitres, parmi ceux de l’Amadis, ont pu influencer le dramaturge, et de quelle façon. H. C. Lancaster, dans son étude monumentale intitulée A History of French dramatic literature19 nous donne une première piste, précisant que la pièce de Gougenot trouve son origine dans le Livre XI de l’Amadis, aux chapitres 15, 19, 20, 33, 54, 61, et dans le Livre XII, aux chapitres 22, 29, 45, 47, 57. Après avoir confronté cette sélection à l’ensemble des Livres XI et XII, il est apparu qu’il fallait y introduire des nuances. Chacun des chapitres auquel renvoie M. Lancaster n’exerce pas la même influence sur la pièce de Gougenot, l’un pouvant fournir toute une trame à une scène, l’autre n’ayant parfois que très peu de points communs avec la pièce, voire aucun. De plus, sa liste n’est pas exhaustive. Afin de mieux saisir les différents aspects de cette influence, nous reprenons ici une étude comparée plus complète des deux oeuvres.

Deux types d’influence apparaissent lorsqu’on confronte la Fidelle Tromperie à sa source : la première est une influence sur l’action, la seconde est l’inspiration directe de vers20. En ce qui concerne l’influence de l’Amadis sur l’action de la pièce, les chapitres 14, 15, 19 du Livre XI, et les chapitres 21, 22, 42, 45, 46, 47, 48, 50-52, 56 du Livre XII sont importants : chacun d’eux fournit la trame de l’action à certaines scènes de la pièce21. Enfin, il faut citer le chapitre 57 du Livre XI qui voit l’apparition d’un corsaire abordant un navire : ce passage a peut-être inspiré l’histoire de la rencontre avec le corsaire que raconte Clidame (Acte I, scène 3).

Par ailleurs, certains passages de l’Amadis fournissent la matière de quelques vers de la Fidelle Tromperie. Ils figurent dans les chapitres 19, 20, 33 du Livre XI et dans les chapitres 21 et 28 du Livre XII22.

Pour finir, les chapitres 54 et 61 du Livre XI et 57 du Livre XII, cités par M. Lancaster, nous ont semblé n’exercer aucune influence sur la pièce. Certes, on y voit des combats entre le prince travesti et d’autres chevaliers (chap. 54), ce qui a pu inspirer les duels de « Lucide », mais pas plus que tout autre combat dans le roman où ils sont très fréquents. Dans le chapitre 61, une femme, à qui Agésilan a confié le secret de son travestissement, trahit ce secret en le révélant à Diane : ce n’est pas le cas dans la Fidelle Tromperie où Alderine l’apprend de la bouche même de « Lucide ». Enfin, dans le chapitre 57, Diane et Agésilan sont fiancés, mais cela n’est évoqué qu’en quelques lignes, le reste n’ayant absolument aucun rapport avec l’action de la Fidelle Tromperie. Ces chapitres ne paraissent donc pas devoir figurer dans la liste de ceux qui ont influencé la pièce.

Gougenot s’est donc beaucoup inspiré du roman de l’Amadis de Gaule, mais dans sa transposition, il a également rejeté de nombreux éléments contenus dans la source, en a modifiés d’autres, et en a ajoutés de son propre cru.

Sélection, modification, addition §

En ce qui concerne la sélection effectuée par le dramaturge parmi tous les éléments de l’Amadis en rapport avec le sujet choisi, l’action a été énormément simplifiée. Gougenot a rejeté non seulement toutes les intrigues secondaires dans lesquelles les personnages qu’il avait repris étaient ou non impliqués23, mais il a également éliminé certains éléments de l’intrigue principale24 qui nous concerne, – celle de la conquête de la femme aimée. Cette simplification permettait de rendre l’adaptation théâtrale non pas plus facile, mais simplement possible : les innombrables aventures de l’Amadis ne pouvaient trouver de place dans une simple pièce de théâtre. L’intrigue devenait, par la même occasion, compréhensible aux yeux d’un public qui aurait été perdu dans les méandres des multiples actions de la source. Ainsi, Gougenot n’a conservé que ce qui était essentiel à la trame de la conquête amoureuse : la naissance de l’amour devant un portrait, le travestissement et la réciprocité de cet amour malgré le déguisement, la promesse d’une reine qui veut se venger de celui qui l’a abandonnée en offrant la main de sa fille, l’arrivée de ceux qui ont échoué dans le dessein de la servir, des duels, l’emploi que fait la reine du prince travesti dans son dessein de se venger, l’aveu du travestissement et la colère de la princesse, la guerre déclarée par les rois, le siège et la victoire des assiégés, la mise en scène de la « tête vivante », la réconciliation des parents de la princesse, et les fiançailles des deux amants.

Gougenot a également modifié certains éléments que l’Amadis avait inspirés. Il en est ainsi du rapport au temps tout d’abord : là où la conquête de Diane s’étalait sur plusieurs années, celle d’Alderine ne prend que quelques jours. Ce raccourcissement de la durée des aventures peut avoir plusieurs explications : d’abord, l’épuration de l’intrigue des éléments secondaires et superflus, qui freinaient le déroulement de l’action, permet déjà d’accélérer l’enchaînement des événements. Ensuite, et de façon plus pratique, si l’action s’était étendue sur plusieurs années, il aurait fallu le mettre en scène. Dans la source, le jeune Agésilan voyait son travestissement être trahi peu à peu par les modifications physiques qui s’opéraient au cours de son adolescence. Mais comment rendre ceci sur la scène ? Ecourter la durée de l’action apportait aussi une solution à cette difficulté.

Autre modification effectuée par le dramaturge, celle des noms des personnages, à l’exception de celui de Bruserbe25. Cette transformation manifeste peut-être une volonté de s’approprier une œuvre que tout le monde connaît alors, et de la rendre, d’une certaine façon, singulière et personnelle. Il est à noter que certains des noms que Gougenot substitue à ceux de la source sont récurrents dans son œuvre26, et de fait, il faudrait peut-être voir se dessiner ici une mythologie propre au dramaturge. C’est cette même volonté d’appropriation qui pourrait expliquer le changement de lieu, de l’île de Guindaye dans la source, à celle de Chypre dans la pièce. Ces modifications restent formelles et n’ont aucune incidence sur l’action ; elles manifestent peut-être aussi une volonté de renouveler une histoire déjà trop connue.

Gougenot a aussi fait le choix d’un seul travestissement, alors que la source en contenait deux : ceux d’Agésilan et de son cousin Arlanges. Là encore, plusieurs explications peuvent légitimer ce choix : d’abord, la volonté de mettre en valeur un seul personnage par ce procédé, le personnage principal, et celle de simplifier l’action. Ensuite, l’inutilité du déguisement de Clidame explique aussi son rejet : dans la pièce, il n’aurait eu aucune raison de se travestir. Mais surtout, dans l’Amadis de Gaule, le déguisement d’Arlanges donnait naissance à des aventures qui lui étaient propres : Gougenot n’ayant pas choisi de les développer, c’est sans doute aussi le motif qui l’a amené à le supprimer. Par ailleurs, le procédé du travestissement donnait déjà lieu dans la source à l’exploitation du thème de l’homosexualité – Diane tombant sous le charme de Daraïde malgré son apparente féminité –, mais il n’était pas autant exploité que dans la pièce. En effet, les choses vont beaucoup plus loin dans cette dernière où, loin de ressentir, à l’imitation de Diane, comme un léger trouble et seulement une profonde amitié, Alderine revendique la liberté d’aimer une autre femme27. Cet approfondissement du thème homosexuel effectué par Gougenot ne doit pas être pris au sens propre comme une revendication de liberté dans les mœurs ou les comportements sexuels : il ne s’agit ici que de cultiver une ambiguïté plaisante pour le spectateur, lui qui sait d’ailleurs que cette homosexualité n’est qu’une apparence.

Ensuite, le dramaturge a choisi de ne pas révéler le travestissement à la princesse avant que le héros ne le lui dise en personne, à la différence de la source, où Agésilan révélait son secret à une confidente de Diane qui le répétait à cette dernière. Gougenot perd là une excellente situation, dont Rotrou saura profiter dans son Agésilan de Colchos, en faisant de cette situation un jeu entre Diane, qui sait ce qui va lui être révélé, et Daraïde, qui ne sait pas que Diane connaît déjà le secret qu’elle veut lui avouer28. Si l’auteur de la Fidelle Tromperie a choisi de modifier cet élément de la source, c’est sans doute encore dans sa volonté de simplification et d’épuration des trop nombreux événements de l’Amadis.

Enfin, le dénouement de la pièce est très simplifié par rapport à la source. D’abord, Gougenot ne pose même pas la question de la révélation publique du travestissement : elle a lieu hors-scène, pendant la scène 6 de l’acte V, et ne semble soulever aucune difficulté. Dans la source, le mariage avait été accordé à Daraïde à sa demande et en récompense de ses exploits, avant même qu’elle ne révèle son véritable sexe, – ce qui avait d’ailleurs provoqué l’hilarité générale. Ce n’est que plus tard, grâce à une scène de reconnaissance entre la mère et son fils travesti, que le subterfuge était découvert. Pourquoi le dramaturge, en adaptant la source à la pièce, a-t-il supprimé cet élément qui nous semble essentiel, – la révélation du travestissement –, ou du moins, pourquoi l’a-t-il rejeté hors-scène ? Il semble qu’il n’ait choisi de développer que l’aspect spectaculaire de ce procédé – le travestissement –, mis en scène dans des actions souvent violentes, contrastant avec le déguisement féminin, ou dans des scènes qui jouent sur un amour apparemment homosexuel. Les explications qu’il aurait fallu donner lors de la révélation du travestissement n’avaient peut-être pas, aux yeux du dramaturge, leur place dans cette perspective qui privilégie le spectacle, d’autant plus qu’elles auraient eu lieu dans le dernier acte, celui qui se veut le plus spectaculaire dans cette pièce de Gougenot. Elles auraient constitué un temps mort dans un acte très chargé en action, ce que ne désirait peut-être pas son auteur. De plus, la révélation du travestissement avait déjà eu lieu, mais seulement en présence d’Alderine (IV, 4). La répétition du procédé sur scène aurait été dès lors moins intéressante, la révélation publique ne pouvant être qu’une imitation dépassionnée de ce qu’avait été celle faite à Alderine.

Mais l’aveu du subterfuge n’est pas le seul élément du dénouement à avoir été modifié par rapport à la source. Dans le Livre XII de l’Amadis, le mariage de Clorisée et de Filamire n’avait pas lieu, même si les deux personnages qui les ont inspirés s’aimaient à nouveau. Dans ce cas, les modifications apportées par le dramaturge prennent une dimension morale : dans la source, Florisel retombait amoureux de la mère de Diane, mais il était toujours marié à une autre femme. Dans la Fidelle Tromperie, Gougenot fait mourir cette dernière, semblant vouloir respecter certaines bienséances, avant de marier les deux parents d’Alderine. Voilà donc les éléments que le dramaturge a repris et souvent modifiés dans sa transposition de l’Amadis de Gaule au théâtre. Mais ces éléments ne sont pas les seuls qu’il ait pris en compte dans la constitution de son histoire : il en a également ajoutés certains qui n’étaient pas contenus dans la source. Lesquels et pourquoi ?

Les premiers ajouts qu’effectue l’auteur de la pièce concernent les personnages. Si la plupart provient de la source et n’a que simplement changé de nom29, les équivalents de Dorine, de Tersandre, de la voix merveilleuse, de la Sentinelle, et du Courrier n’existaient pas dans l’Amadis. Ces cinq éléments ont été ajoutés pour des raisons différentes, que nous allons tenter d’éclaircir. Avant d’entrer dans les détails, il faut d’abord remarquer que la tragi-comédie aime multiplier les personnages secondaires, qui augmentent sa dimension spectaculaire, et c’est déjà une raison qui explique la présence de ces personnages sur scène.

Les personnages de la Gouvernante et de Tersandre sont des cas similaires : leur existence relève de la volonté de créer une « suite » propre à la reine Clorisée, dont la fonction exige qu’elle ait des personnes qui lui soient dévouées. En effet, elle « ne saurait aller seul[e] sans heurter l’idée qu’on se fait de sa puissance et de sa dignité. Il lui faut une « suite », d’autant plus nombreuse qu’[elle] occupe un rang plus élevé »30. L’existence de ces personnages peut aussi être expliquée par des raisons dramatiques : la Gouvernante est la confidente de la reine, et elle lui fournit un interlocuteur par sa présence, qui lui permet de s’exprimer en toute liberté. En ce qui concerne Tersandre, sa fonction de Lieutenant-général de la reine lui confie une importance militaire, et la bataille qui a lieu dans la pièce peut légitimer le recours à un personnage occupant cette fonction. L’existence du personnage du Courrier relève d’un tout autre problème : elle est la conséquence de la modification qu’a opérée le dramaturge par rapport au dénouement de la source. En effet, comme nous l’avons vu, le dramaturge a choisi de rendre l’amour de Clorisée et de Filamire légitime par le mariage, ce dernier n’étant rendu possible – et bienséant – que par la mort de Clarinde. Le Courrier n’existe que pour transmettre la nouvelle de cette mort, et donc permettre au dénouement que Gougenot a choisi d’avoir lieu. Quant à la Sentinelle, son rôle est vraiment mineur dans la pièce : le total de ses répliques ne dépasse pas trois vers, et elle n’existe sans doute que pour ajouter un personnage et satisfaire le goût dont nous parlions auparavant – celui que la tragi-comédie a des personnages secondaires abondants. Enfin, le cas de la voix merveilleuse est encore différent. Elle n’est d’aucune utilité dramatique puisqu’elle intervient seulement après le revirement d’Alderine, et elle ne fait qu’annoncer le dénouement heureux qui va suivre. Gougenot ne l’a sans doute ajoutée que pour plus de spectacle et peut-être aussi pour donner une dimension merveilleuse à la pièce, dimension à laquelle le théâtre de l’époque recourt souvent.

Mais ces personnages ne sont pas les seuls éléments que l’auteur a ajoutés dans sa transposition de l’histoire d’Agésilan et de Diane. D’autres, comme le récit du naufrage fait par Clidame et « Lucide » lors de la troisième scène du premier acte, plusieurs éléments de la première scène de l’acte suivant, ou encore le recours à la forme des stances, en font encore partie.

Le récit de l’enlèvement des deux héros par un corsaire et de leur naufrage ne figure pas, en effet, dans l’Amadis. L’auteur a jugé nécessaire de l’ajouter, mais pourquoi ? Ce récit, qui est évidemment inventé par les personnages qui le racontent, est destiné à tromper ceux à qui il s’adresse. Il permet d’expliquer l’arrivée de Clidame et « Lucide » à Chypre – une arrivée due aux hasards de la tempête –, et donc de cacher le véritable motif de leur présence – la conquête de la princesse. Mais surtout, ce récit est destiné à rendre invisible le travestissement aux yeux des autres personnages : ayant entendu les exploits que « Lucide » a déjà accomplis, ils ne pourront s’étonner de sa force par la suite. Ce procédé permet, de surcroît, de rendre vraisemblable le déguisement aux yeux du public qui, voyant que les personnages eux-mêmes ont été préparés pour ne pas mettre en question le travestissement, l’accepte lui-aussi d’autant plus facilement. Ainsi, ce que Gougenot ajoute ici à la source prend tout son sens : dans son adaptation théâtrale, il est désireux de respecter certaines vraisemblances.

Ensuite, la première scène de l’acte II contient deux éléments inédits par rapport à l’Amadis. D’abord, le portrait d’Alderine, fait par « Lucide », a un sens premier tout poétique : il développe le thème de la beauté de la princesse, dont chaque partie du corps est comparée à un dieu de l’Olympe ; par ailleurs, il place le spectateur dans une situation d’attente, – attente de la beauté qui vient d’être décrite, et qui apparaîtra à la scène suivante. Ensuite, second élément inédit : la dispute de Clidame et de « Lucide », qui n’existait pas non plus dans la source. La justification du recours à cette scène nécessite certaines considérations sur l’action, nous y reviendrons en temps voulu31.

Enfin, les stances, présentes deux fois dans la pièce (IV, 4 et V, 3), sont des formes choisies par Gougenot, sans aucun doute influencé par le théâtre de l’époque qui les multiplie. Leur intérêt poétique se double d’une fonction dramatique : elles mettent en scène la souffrance d’un personnage, et sont destinées à émouvoir le spectateur.

Ainsi, l’adaptation effectuée par Gougenot s’est faite dans une volonté d’épuration – épuration de tous les éléments superflus de la source, qui empêchaient la transposition au théâtre – ; dans le désir aussi de faire de la Fidelle Tromperie une pièce spectaculaire et émouvante, tout en manifestant un certain souci de vraisemblance en ce qui concerne l’emploi du travestissement. L’écriture de cette pièce témoigne, enfin, d’un désir d’appropriation personnelle et de renouvellement de l’œuvre déjà célèbre qu’est l’Amadis de Gaule.

Sources annexes §

Certaines pièces contemporaines ont sûrement influencé le travail de Gougenot. Parmi celles que nous avons consultées, il nous en est apparu deux ayant pu avoir inspiré le dramaturge dans sa composition : il s’agit de la Belinde de Rampalle et d’Argenis et Poliarque de Du Ryer32.

La Belinde de Rampalle, pièce publiée en 1630, a pu influencer la composition de la Fidelle Tromperie. On y trouve, comme dans la pièce de Gougenot, l’histoire d’un prince travesti, Polydor, dont le déguisement donnera lieu à des scènes en apparence homosexuelles avec la femme qu’il aime. Il est à noter que l’action de cette pièce se passe à Chypre, et c’est peut-être là que se trouve l’origine de l’idée du dramaturge dijonnais de dérouler les aventures d’Armidore dans la même île.

La pièce de Du Ryer, publiée en 1631, entretient aussi un lien avec la Fidelle Tromperie : l’action y est souvent très proche de celle de la pièce de Gougenot, en particulier lors de la scène 2 de l’acte I, qui n’est pas sans rappeler la première scène de la Fidelle Tromperie, où l’on voit dans chacune un prince amoureux d’un portrait faire la révélation de son amour à son ami qui le désapprouve, mais qui est prêt à le suivre malgré tout. En ce qui concerne la princesse, Argenis est enfermée par son père, loin des hommes, et Poliarque se travestit afin de pouvoir la rencontrer, comme le fera Armidore. D’autre part, Licogène, autre prétendant d’Argenis, ayant été mal reçu par le père de la princesse décide de l’obtenir par la force, et fait la guerre à la Sicile : Bruserbe et Filamon l’imiteront en attaquant Chypre. Quelques vers, relativement rares, évoquent ceux de la pièce de Gougenot, mais ils ne se ressemblent pas assez pour qu’on leur attribue une importance considérable.

Chapitre IV : la construction d’une pièce irrégulière §

Il s’agit ici d’appréhender la construction globale de la Fidelle Tromperie, dans la répartition de ses vers, ses actes, ses scènes, dans les principes généraux qui l’animent, – s’il en est –, avant d’aborder dans les détails la construction interne de son action33, et d’envisager une étude spatio-temporelle de la pièce.

Remarques générales §

D’abord, la Fidelle Tromperie est une pièce longue pour l’époque. Jacques Scherer disait déjà que la Sylvie (1628) de Mairet « avec ses 2250 vers, [était] l’une des dernières pièces vraiment longues »34. La pièce de Gougenot en contient 2366. Par ailleurs, ses cinq actes ne sont pas équilibrés : en ce qui concerne le nombre de vers d’abord, – on passe du simple au double entre le premier (328 vers) et le dernier acte (650 vers) – ; en ce qui concerne les personnages présents dans chacun, ensuite, – en moyenne au nombre de six dans les quatre premiers, le cinquième acte en contient quinze35. Enfin, l’hétérogénéité se manifeste dans la répartition des scènes : d’une moyenne de trois ou quatre scènes pour les quatre premiers actes36, le dernier en contient sept. De cette première approche de la Fidelle Tromperie, il ressort que l’organisation de la pièce met particulièrement en valeur le dernier acte, le plus développé en vers, en personnages, en changement de scènes, sans aucun doute afin de contribuer au spectacle d’un acte qui se veut être celui de toutes les résolutions.

Ces premières remarques, qui font ressortir la totale irrégularité de la Fidelle Tromperie, et ceci à tous les niveaux, nous permettent de classer cette pièce parmi les tragi-comédies de la décennie 1630-1640, où le genre, indépendant de toute règle, est à son apogée et ne pense qu’à une chose : divertir le spectateur. Il reste à voir comment s’organise cette irrégularité.

L’action §

L’action de la Fidelle Tromperie est composée de deux fils, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’organisation de la pièce. D’une part, un fil unit Armidore et Alderine, par la volonté du prince de conquérir sa bien-aimée ; d’autre part, un autre fil lie Clorisée et Filamire, par le désir de la reine de se venger de celui qui l’a trompée. Ces deux fils sont étroitement liés par deux personnages : Alderine d’abord, qui se trouve être l’objet de la conquête amoureuse, mais qui s’avère être aussi le moyen par lequel la reine espère se venger ; Armidore ensuite, qui, cherchant l’amour d’Alderine, entrera au service de Clorisée pour réaliser son désir de vengeance. Ils sont aussi, et surtout, liés par la parenté des personnages qui justifie une structure à deux couples relevant de la tendance de la tragi-comédie à la multiplication des personnages. Les imbrications, les entrelacs entre les deux fils ont des conséquences sur la composition de la pièce. De plus, un épisode lié au second fil crée encore une difficulté à surmonter en ce qui concerne la construction de l’intrigue : il s’agit de l’épisode dans lequel les deux rois vaincus par Filamire essayent de conquérir Clorisée et Alderine par la force.

Comment l’action s’organise-t-elle en fonction de ces difficultés ?

Les prémices de l’action §

La question de l’exposition est évidemment la première à poser en ce qui concerne la construction de la pièce. « Dans les tragédies à double intrigue, l’exposition est nécessairement double (…) » : cette règle, édictée plus tard par Marmontel37, s’applique aussi à la tragi-comédie. Les deux fils de la Fidelle Tromperie doivent être présentés de façon à ce que chacun puisse être compris dans sa singularité. Comment Gougenot adapte-t-il l’exposition de ces deux fils dans sa pièce ?

En ce qui concerne l’exposé du premier fil, qui lie Armidore et Alderine, celui-ci est concentré dans la première scène de la pièce, où l’on assiste à l’expression des sentiments qu’éprouve le prince devant le portrait de sa bien-aimée. Sa résolution de la conquérir est aussitôt mise en application, et l’action de ce premier fil est entamée dès la troisième scène du même acte. Dans la scène précédente (I, 2), se trouve esquissée l’exposition du second fil, – esquissée car elle ne fournit pas assez d’éléments pour qu’on puisse la saisir. En effet, le monologue de Clorisée, et sa discussion avec la gouvernante, s’ils ouvrent cet aspect de l’intrigue, n’en permettent pas une compréhension totale. La fin de cette exposition est reportée à l’acte suivant, lors de la troisième scène, où le récit que fait Tersandre à Clidame permet de comprendre, a posteriori, l’origine des plaintes de Clorisée ainsi que l’arrivée d’Aristome au début de la scène.

L’exposition est donc, double intrigue oblige, organisée en deux temps. Ce procédé qu’emploie Gougenot, – l’ébauche et le report de la fin du second fil –, fréquent dans ce type d’intrigue, permet deux choses : d’abord, il suscite la curiosité du public, piqué ici de voir une reine exposer ses douleurs sans en comprendre vraiment la cause ; il permet ensuite de ne pas surcharger la mémoire du spectateur, par la fragmentation et la répartition de l’exposition de données différentes.

En ce qui concerne la nature des deux expositions, il faut remarquer que, malgré la différence de leurs intrigues, leur dissociation, elles ont un point commun : l’entrée brutale au cœur des passions, – passion amoureuse pour Armidore, révélée dans le monologue initial, passion vengeresse pour Clorisée, développée aussi dans un monologue38. Ces débuts passionnés, enflammés, où des personnages gravement touchés, que ce soit par l’amour ou par la haine, prennent la parole, donnent le ton à la pièce qui ne quittera pas ce domaine.

Enfin, il faut remarquer que Gougenot, au début de sa pièce, se montre assez habile lorsqu’il s’agit de passer de l’un à l’autre fil : la transition n’est pas brutale. La deuxième scène du premier acte en est une illustration : elle voit apparaître les personnages de Clorisée et de la Gouvernante et esquisser le premier fil, entre deux apparitions d’Armidore et de Clidame. Elle fonctionne comme une parenthèse qui permet de présenter les nouveaux personnages, les plaintes de Clorisée, avant que ne les rejoignent les personnages déjà connus qui appartiennent au premier fil. Mais là où Gougenot se montre le plus habile, c’est lorsqu’il s’agit de savoir comment passer de l’une à l’autre intrigue dans le second acte. Cette difficulté est surmontée dès la première scène de ce dernier par un adroit procédé : lors de cette scène, Clidame et « Lucide » se disputent, se séparent, et chacun va suivre un élément de l’intrigue. Dans la deuxième scène, suivant « Lucide », nous assistons à l’expression de son amour pour Alderine ; dans la troisième scène, suivant le personnage de Clidame, le spectateur assiste à la fin de l’exposition du fil concernant Clorisée. Le passage d’une action à l’autre se trouve ainsi justifié par la volonté de suivre deux personnages différents, ou plutôt, la dispute de Clidame et d’Armidore, qui n’avait vraisemblablement pas lieu d’être39, se trouve justifiée a posteriori par le désir du dramaturge de trouver un moyen de légitimer le passage d’une action à l’autre : si Armidore et Clidame se disputent, c’est peut-être seulement pour créer une porte d’entrée, sous l’apparence d’un personnage, qui ouvre sur chacun des fils de l’action. La construction de l’intrigue a ainsi une conséquence sur son contenu.

Obstacles et entrelacs de l’action §

La tragi-comédie est un genre où les obstacles que doit surmonter le héros sont souvent abondants, abondance qui permet au dramaturge de divertir son public, – les obstacles apportant variété et rebondissements à l’intrigue –, et, de façon plus pratique, de remplir les cinq actes de la pièce. Parce que l’intrigue de la Fidelle Tromperie est double, le fonctionnement des obstacles a une certaine duplicité : quelques uns pourront être indépendants et appartenir uniquement à un fil de l’intrigue, mais la plupart du temps, l’exploitation d’une difficulté à surmonter dans l’un des deux éléments de l’action aura des conséquences sur l’autre, ambiguïté qui pourra être entretenue au point que le moyen de résoudre un obstacle dans un fil pourra devenir, au contraire, obstacle dans l’autre.

De quels types sont les obstacles de la Fidelle Tromperie ? Comment se combinent-ils entre eux et par rapport à la duplicité de l’action ? Comment se répartissent-ils dans la pièce ?

Le premier obstacle que rencontre Armidore dans sa conquête amoureuse est relativement simple, puisqu’il est aussitôt résolu : la difficulté que constitue l’approche de la princesse, enfermée loin des regards masculins, est immédiatement surmontée par le recours au procédé du travestissement. S’il résout ce premier obstacle, ce dernier va pourtant en créer d’autres. Déjà, en tant que tel, le travestissement lui-même est un handicap qui s’oppose à la réalisation du désir amoureux : il faut l’avouer à la bien-aimée, et se le faire pardonner. De son côté, le désir de vengeance de la reine Clorisée doit surmonter un problème : celui de la valeur de Filamire. La promesse faite par elle de donner la main de sa fille à celui qui lui en apportera la tête se veut un moyen de le résoudre, mais il n’a aucune efficacité, comme le montrent les échecs successifs d’Aristome, de Bruserbe et de Filamon. Cet obstacle, – la valeur de Filamire –, est le seul qui empêche le vœu de la reine d’être exaucé, et il ne trouvera pas de résolution avant le recours de celle-ci à un autre moyen que sa promesse.

Voilà donc les deux premiers vrais obstacles que les héros ont à surmonter dans chaque fil de l’action, et chacun d’eux n’appartient qu’au fil qui les concerne. Dans un cas, il s’agit de résoudre le problème du travestissement qui empêche la relation amoureuse des amants ; dans l’autre, il faut surmonter la valeur de Filamire. Leur résolution, du fait de l’existence des deux intrigues, ne va pas se faire facilement, et même, l’imbrication de ces dernières va contribuer à créer de nouvelles difficultés.

Les deux fils de l’intrigue commencent à se confondre à partir de l’acte III, avec un obstacle qui est réitéré : les deux duels successifs de « Lucide »40, qui mettent sa vie en danger, mais qui lui permettront, par sa victoire, de prouver sa valeur. Jusque là, « Lucide » appartenait uniquement au premier fil, mais en prenant à cœur les intérêts de Clorisée, elle pénètre le second. Cette interférence sera confirmée lorsque la reine, ayant assisté aux duels et étant désormais convaincue de la force du prince travesti, lui demandera d’aller combattre Filamire. Les victoires de « Lucide », et l’interpénétration des deux éléments de l’action, donnent naissance à de nouveaux problèmes. La pénétration de « Lucide » dans le fil qui concerne Clorisée a des conséquences sur sa relation avec Alderine : elle donne lieu à la dispute des deux amants (IV, 2), et à l’aveu du travestissement (IV, 4) qui sera mal pris par la princesse, créant par sa sentence un nouvel obstacle à l’amour d’Armidore :

Va t’en loin de mes yeux n’approche plus de moy (IV, 4, v. 1564).

La promesse que « Lucide » fait à la reine, – ramener la tête de Filamire –, est donc un obstacle dans le premier fil, puisqu’elle provoque la dispute et la séparation des deux amants, mais elle se veut un moyen de surmonter la valeur du roi trompeur dans le second. Hélène Baby41 parle d’ « obstacle combiné » dans le cas où, comme ici où il s’agit d’obtenir la main d’Alderine et de contenter la vengeance de la reine, deux oppositions distinctes se conjuguent. Cependant, à partir de l’aveu et de la sentence d’Alderine, il n’est plus question de gagner l’amour de la princesse : le premier fil a été rompu, à cause de l’entrée de « Lucide » dans le second42. La séparation géographique des deux amants, suite au départ du prince travesti, confirme cette rupture. Les deux obstacles ne sont pas « combinés », car l’un a détruit la possibilité de l’autre.

A partir des duels, les obstacles se succèdent donc. Le contrôle du déguisement échappe totalement à celui qui a choisi de le porter, qui en devient prisonnier au service de la reine. Le héros se retrouve, malgré lui, opposant à sa propre cause. En cela, le travestissement appartient bien aux « procédés actoriels de la réversibilité »43.

Enfin, il reste à considérer un dernier obstacle, qui est créé au début de l’acte V, avec un nouvel épisode : la guerre, déclarée par Bruserbe et Filamon à Chypre, qui trouvera une solution avec l’enchaînement des événements qui conduiront au dénouement.

Lorsque débute l’acte V, l’action des deux fils, dont l’un a été rompu, et de l’épisode, est nouée. Trois difficultés sont à surmonter : d’abord, il s’agit de mettre fin à ce nouveau conflit ; ensuite, il faut satisfaire le désir de vengeance de Clorisée, – en le réalisant ou en trouvant un autre moyen de la contenter – ; enfin, il est nécessaire de renouer le lien qui unit Armidore et Alderine.

Avant d’entamer l’étude du dénouement de la pièce, quelques considérations générales sur l’utilisation des obstacles dans la Fidelle Tromperie s’imposent. En ce qui concerne leur nombre, d’abord : ils sont relativement abondants44, et pour cette raison, ils illustrent la volonté de l’auteur de divertir son public le plus possible, par la mise en œuvre d’une esthétique tournée vers le plaisir. Leur genre relève également de cette esthétique par le choix d’obstacles parfois spectaculaires, notamment les duels, – dont l’un des combattants semble être une femme –, et la bataille sur la scène même. En ce qui concerne leur répartition ensuite : dans la pièce, chaque acte a sa ou ses difficultés à surmonter45, ce qui ne laisse pas à l’attention du spectateur le temps de se relâcher. Il faut aussi remarquer l’importance du rôle du travestissement, véritable créateur d’obstacles, puisqu’il deviendra un opposant à celui qui le porte. Ces obstacles se suivent en toute logique, – les duels provoquent la volonté de Clorisée d’employer « Lucide », qui elle-même est l’origine de la dispute et de la séparation des deux amants –, ce qui ne laisse aucune place au hasard et fournit à l’action une dynamique serrée.

Le dénouement : logique et contingence §

Le dénouement doit se passer en trois étapes, par la résolution des trois derniers obstacles dont nous parlions auparavant. Comment s’organise-t-il en fonction de ces éléments ?

L’enchaînement des événements qui conduit au dénouement commence par le retour de « Lucide » (V, 4), accompagnée par Filamire. Ensemble, ils mettent aussitôt fin à la guerre, emprisonnant Bruserbe et Filamon ; ils résolvent ainsi une des trois difficultés qui empêchaient la pièce de se conclure. « Lucide » contribue encore à dénouer la pièce en organisant la mise en scène de la « tête vivante » de Filamire (V, 5), provoquant le revirement de Clorisée, qui abandonne le dessein de se venger. Enfin, le fil concernant les amours du prince et d’Alderine, qui avait été renoué à la troisième scène par le revirement de la princesse, se trouve résolu par le don de sa main à Armidore lors de la dernière scène. L’ordre de résolution que suivent ces trois étapes respecte une certaine logique : à l’arrivée de « Lucide », le plus urgent est bien sûr de résoudre le problème du siège du château ; par ailleurs, la question de sa relation avec Alderine, dépendante de la vengeance de la reine, ne peut se poser avant que le conflit opposant Clorisée et Filamire ne soit réglé. Cette organisation permet également au public de rester intéressé jusqu’à la fin de la pièce : si la question des amours des jeunes amants avait été réglée en premier, le spectateur n’aurait pas été attentif à ce qui se passait ensuite. En résolvant d’abord le problème de l’épisode, secondaire, puis celui de la reine, et enfin celui d’Armidore, on passe de ce qui est moins intéressant à l’essentiel, et le dramaturge conserve toute la concentration de son public.

Malgré cette logique dans la succession des événements, le dénouement n’en est pas moins totalement contingent. Le retour de « Lucide » qui arrive fort à propos en plein milieu du siège, les deux revirements d’Alderine et de Clorisée, le recours au merveilleux, l’« oubli » du problème du travestissement, la mort de Clarinde : tous témoignent de l’absence de nécessité.

Les deux revirements du cinquième acte manifestent effectivement un refus du nécessaire. Celui d’Alderine, évoqué dans ses stances (V, 3), est justifié d’une drôle de manière : selon les dires de la princesse, sa colère envers Armidore n’était qu’affectée,

Car comme je vous vis timide,
Descouvrant l’abus de Lucide,
Je creus que je devois aussi
Feindre que mon ame offensée
Changeoit d’humeur et de pensée
Contre vostre amoureux soucy (V, 3, v. 1955-1960).

Le revirement n’est qu’une apparence, car les sentiments qu’Alderine disait éprouver ne l’étaient pas réellement ; mais il n’empêche qu’il a les mêmes conséquences que s’il avait été réel. Ce type de revirement, par l’affirmation que la colère n’est qu’une feinte, et donc par la négation même du revirement, est original. Cependant, il n’en est pas moins contingent, car Alderine peut changer d’avis à tout moment. Le revirement est réversible, et ici il n’a aucune nécessité. Le recours à une intervention transcendante dans cette même scène46 confirme la contingence des procédés employés dans la fin de la pièce : ni motivée, ni influente, l’intervention de l’oracle ne modifie pas le déroulement de l’action de la Fidelle Tromperie, et le merveilleux divin n’apporte ici que plus de spectaculaire, ce qui est sans doute tout ce qu’on lui demande.

En ce qui concerne le revirement de Clorisée (V, 5), il est dû à la mise en scène de la « tête vivante » de Filamire par « Lucide ». Mais ce qui est original, ce n’est pas cette confrontation entre la reine et celui qui l’a trompée, confrontation qui aurait à elle seule provoquée le revirement, c’est le fait que « Lucide » demande à la reine de lui couper elle-même la tête. La reine est alors prise à son propre piège : elle avait promis un don à l’amazone, ne pouvant le lui accorder, ni elle, ni Filamire ne mourront. Ce revirement a beau être présenté comme découlant de la mise en scène, il est tout à fait gratuit : la reine pourrait très bien conserver sa haine envers Filamire, voire même le tuer, ou y revenir après avoir changé d’avis.

Autre élément du dénouement tout à fait contingent : l’ellipse du problème du travestissement. Alors qu’il s’agissait d’une des plus grosses difficultés, – reconnaître publiquement et faire accepter par tous le stratagème, ce qui n’est pas évident –, sa résolution est rejetée hors scène, et ne semble poser aucune difficulté, puisque nous n’en avons aucun écho. Enfin, l’annonce de la mort de Clarinde, qui prolonge la tragi-comédie au-delà de la seule résolution des obstacles, est elle aussi contingente : elle permet le double mariage, qui relève du goût de la symétrie de la tragi-comédie, et de celui de la multiplication des personnages.

Ainsi, le dénouement de la Fidelle Tromperie, dont la construction respecte une certaine logique, est loin d’être nécessaire. Ce goût pour le hasard, pour le merveilleux… relèvent du genre de la tragi-comédie, qui privilégie la fin heureuse, en dépit de la vraisemblance.

Étude spatio-temporelle §

Les frères Parfaict notent que la Fidelle Tromperie a été représentée sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, en 1633. Cependant, on peut remettre en question cette affirmation, car la pièce ne figure pas dans le Mémoire de Mahelot, qui recense celles qui y sont alors jouées. Si la Fidelle Tromperie a été représentée, elle a donc pu l’être sur la scène d’un autre théâtre, c’est-à-dire sur une scène improvisée dans un jeu de paume, comme c’était alors la coutume – car le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne est alors le seul qui soit fixe à Paris. A moins qu’elle n’ait été jouée sur la scène de ce dernier avant 1633, date à laquelle Mahelot commence à recenser les pièces jouées, selon H. C. Lancaster. Quoiqu’il en soit, il ressort de la lecture de la pièce qu’elle était destinée à être jouée sur une scène qui comprenait un décor à compartiments multiples, comme celui de l’Hôtel de Bourgogne. Dans tous les cas, il s’agit ici d’étudier l’aspect spatio-temporel de la pièce, et la reconstitution de son décor, qu’il ait été réel ou seulement imaginé par son auteur, en fait partie intégrante.

Un problème se présente lorsqu’on lit la pièce de Gougenot avec l’idée de la situer dans l’espace : si certaines didascalies permettent de situer le lieu où se passe une scène, ce n’est pas toujours le cas, et il faut rechercher au cœur même du texte les indices qui permettent de situer l’action sur la scène, indices qui eux-mêmes font parfois défaut. En ce qui concerne la temporalité de la pièce, les problèmes sont les mêmes : certaines didascalies permettent de situer l’action dans le déroulement de la journée ou de la nuit, mais elles ne sont pas fréquentes. Il faut donc, là encore, avoir recours aux indications données par le texte, lorsqu’elles existent.

L’ouverture de la pièce pose déjà problème quant à sa situation spatio-temporelle. L’Argument nous disait qu’Armidore « descouvr[ait] son secret à Clidame » avant qu’ « ils se desrobent de Phrygie » et n’aillent à Chypre. Cette indication permet a priori de situer la première scène en Phrygie, où Armidore tombe amoureux d’un portrait et se confie à son cousin, mais il semble que cela ne soit pas ce que le texte de la pièce indique. En effet, certains indices nous amènent à penser que Clidame et Armidore sont déjà dans l’île, et que l’action, bien loin de commencer, est prise in medias res. C’est le cas par exemple de ce vers :

La beauté qui me fist ce voyage entreprendre (I, 1, v. 98),

qui nous confirme dans cette opinion, comme le font aussi les démonstratifs « ceste place » (v. 90), « ceste forteresse » (v. 106), « cet aymable sejour » (v. 115), employés sans aucun doute comme déictiques. Ces indications nous permettent de comprendre que le décor du château d’Alderine est déjà sous les yeux des spectateurs, et il ne changera pas. En ce qui concerne le temps, ceci n’est pas sans conséquence : alors qu’on pouvait croire que le voyage de Phrygie à Chypre s’effectuait entre la première et la fin de la deuxième scène, et donc qu’il se passait plusieurs jours entre les deux – ce qui n’aurait pas été choquant dans une pièce irrégulière –, on peut dire que cela n’est pas le cas. Lors de la première scène, nous assistons donc à ce qui doit être la réitération d’une scène qui a déjà eu lieu et qui, elle, a provoqué le voyage en donnant véritablement naissance à l’amour d’Armidore. Lorsque ce dernier est ébloui par le portrait dans les premiers vers de la pièce, ce n’est pas la première fois, et c’est ce qui fait dire à Clidame :

N’esteindrez-vous jamais ceste subtile flame (I, 1, v. 46).

Avant de poursuivre l’étude des déplacements des personnages, il convient de voir quels éléments composent le décor.

D’abord, de nombreuses indications nous sont données par les didascalies. Celle qui ouvre la scène 2 du deuxième acte : « Elles sont dans le jardin du Chasteau » implique la présence d’un jardin et d’un château. Une didascalie fera encore allusion à ce « Chasteau » à l’ouverture de la dernière scène de la pièce, et une autre à sa « muraille »47. D’autres indications du dramaturge impliquent la présence d’une pièce appartenant à Alderine, et dans laquelle ce qui se passe reste visible des spectateurs48. Il faut aussi prévoir une chambre pour Filamire, dont on apercevra l’intérieur puisqu’on en verra le lit49, et une porte qui conduit à la chambre de Clorisée50, dont il n’est pas nécessaire de voir l’intérieur, puisque l’action peut se passer aussi bien hors de cette chambre.

Ainsi, les didascalies permettent déjà de définir la présence d’un jardin, d’un château avec une muraille, d’une chambre pour Filamire, d’une pièce réservée à Alderine, d’une porte conduisant à la chambre de la reine. Mais ces indications données par le dramaturge ne sont pas les seules : en effet, le texte même de la pièce nous offre d’autres éléments à prendre en considération. Il en est ainsi des vers 2039 et 2128 qui font allusion à une « tour ».51

Tous ces éléments réunis, nous pouvons maintenant construire ce qui aurait pu être le décor de la pièce. Il apparaît qu’aucun des décors reproduits dans le Mémoire de Mahelot ne correspond exactement à celui de la Fidelle Tromperie, mais l’un d’eux présente quelques points communs avec ce dernier et il est intéressant de les noter. Il s’agit de la décoration de l’Heureuse Tromperie de Boisrobert, qui est décrite ainsi dans le Mémoire :

Au milieu du theatre, il faut un beau palais, et, a un coté du theatre, une chambre et une tour avec une fenestre ; (…) ; au bas de ladicte chambre, deux ou trois portiques en jardinage et pallissade, fleurs et fruits. (…) De l’autre costé du theatre, il faut deux prisons (…)52.

Une chambre et une tour, un jardin, un palais, une prison… voilà des éléments qui se rapprochent de ceux de la pièce de Gougenot. Certes, ce décor n’est certainement pas celui qui a été utilisé, ou envisagé, pour la représentation de la Fidelle Tromperie, car il a trop de différences, et il n’est pas même sûr que cette pièce soit passée sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne. Cependant, ces points communs permettent de donner une idée de ce qu’aurait pu être le décor de cette pièce, dans la réalité ou dans l’imagination du dramaturge, une idée qui a l’avantage d’avoir ici un support visible, à la différence des autres décors qu’on pourrait envisager.

Le problème du décor résolu, qu’en est-il de son utilisation dans les différentes scènes de la pièce ?

Nous l’avons déjà vu : la première scène se passe à Chypre, devant le château. Ce lieu, qui doit être une place, est un lieu de passage, d’arrivée et de rencontre, et il est sans doute le plus utilisé dans la Fidelle Tromperie. C’est probablement là que se retrouvent Clidame, Armidore et Clorisée à la fin de la deuxième scène du premier acte, dans ce lieu ouvert d’où l’on peut voir arriver les nouveaux venus et les accueillir :

J’aperçois une fille en ma Cour incogneuë (I, 2, v. 229).

Tout l’acte I se passe dans le même endroit, ainsi que la première scène de l’acte suivant, où se rejoignent Clidame et « Lucide ».

Lieu d’arrivée, la place publique accueille encore Aristome (II, 3), quand on y attendait Bruserbe53, l’Ambassadeur (V, 2), le Messager (V, 7). C’est probablement ce même espace qui offre la superficie nécessaire aux duels du troisième acte. Lieu en retrait par rapport aux lieux intimes que sont le jardin ou les chambres, la place permet de prendre du recul par rapport à l’action, et de réfléchir sur cette dernière : c’est ce que font Clidame et Tersandre lorsqu’ils se retrouvent (II, 3 ; IV, 3 ; V, 6). C’est encore là que s’arrêtent les personnages qui sortent des lieux encerclant la place, ou qui partent : la place offre alors la possibilité de développer une réflexion sur soi, l’occasion de faire un bilan de ce qui a été réalisé et de prendre une décision (IV, 1)54. Lieu de passage de ceux qui veulent entrer, l’endroit permet de se concerter sur les moyens de réaliser ce souhait (V, 1)55, et c’est à partir de là que l’on tente de forcer l’entrée quand les autres moyens ont échoué (V, 4)56. Enfin, la place est le lieu ultime, celui où tous se retrouvent pour les réjouissances (V, 7).

A cet endroit mi-clos, mi-ouvert, viennent s’ajouter des lieux beaucoup plus intimes. Le jardin, d’abord, lieu protégé, peut-être par des palissades qui l’isolent du reste du monde, accueille les amants et leurs conversations amoureuses dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler celle des pastorales (II, 2), et recueille les confidences, parfois difficiles, comme l’est l’aveu de « Lucide », ou les plaintes (IV, 4 ; V, 3)57.

Autres lieux d’intimité, le « logis d’Alderine », (IV, 2), où les hommes n’ont pas le droit de pénétrer, et qui permet aux femmes de se réunir entre elles en toute sécurité58, et la chambre de Filamire (V, 4 et V, 5) qui permet au chevalier de se reposer, mais qui est aussi un lieu piégé puisque c’est là que « Lucide » met en place le stratagème qui va conduire au dénouement.

La plupart du temps, les personnages restent dans le cadre du lieu qui leur est assigné au début de la scène. Il y a souvent des arrivées ou des départs, dans le déroulement d’une scène délimitée par Gougenot59, qui créent un mouvement incessant, une certaine effervescence. La manifestation la plus flagrante de cette agitation est le recours au procédé du « travelling »60 : on suit alors un ou plusieurs personnages à travers des lieux différents. Ce procédé est utilisé uniquement au cinquième acte, dont il développe encore l’aspect spectaculaire. Lors de la quatrième scène, on suit deux mouvements différents : d’abord, celui de Tersandre qui descend du haut de la muraille où il se trouvait61 pour rejoindre « Lucide » au pied du château ; ensuite, le spectateur suit le mouvement de « Lucide » et de Filamire qui, arrivés sur le champ de bataille, se retrouvent ensuite « à la porte d’une chambre » dont on aperçoit l’intérieur62. La scène suivante est tout aussi active, où l’on suit cette fois les déplacements de deux personnages : d’abord celui de Clorisée qui, après avoir discuté avec Tersandre, se retire dans sa chambre63 ; ensuite celui de « Lucide » qu’on voit sortir de celle de Filamire64 pour aller rejoindre Clorisée, qu’elle amène ensuite à l’endroit d’où elle était partie.

Enfin, le déplacement que les personnages effectuent au début de la dernière scène est assez intéressant : nous les voyons sortir chacun à leur tour du château pour aller rejoindre, sur la place, Clidame et Tersandre qui y étaient déjà présents dès la scène précédente. Ces deux derniers personnages, véritables allégories du spectateur, assistent à cette revue finale sans y participer, et en la commentant, étonnés, comme l’est le public qui ne s’attendait pas à une résolution aussi rapide65 :

Dieux ! qu’est-ce que je voy, tout a changé de face, (…)
Je doute si je songe, ou si c’est vérité (v. 2292-2299).
Mon esprit estonné croit de voir des chimeres (v. 2301).

Cette mise en perspective de l’action, par l’intermédiaire des deux personnages témoins, permet de préparer progressivement le retour à la réalité, celle du public, qui aura lieu quelques vers plus loin. Il est à noter que les personnages de Clidame et de Tersandre étaient déjà, au cours de la pièce, toujours un peu en retrait par rapport à l’action. Lorsqu’ils apparaissent ensemble, c’est pour prendre du recul par rapport à elle, et développer une réflexion en ce qui la concerne, que ce soit pour mieux l’appréhender (II, 3), pour la critiquer (IV, 3), ou pour avouer leur ignorance de ce qui se passe (V, 6).

Il reste à étudier l’aspect temporel de la Fidelle Tromperie.

Les deux fils de l’intrigue que développe la pièce sont pris in medias res. Nous l’avons déjà vu en ce qui concerne celui qui unit Armidore et Alderine : l’amour qu’éprouve le prince existait avant que la pièce ne commence et l’a poussé à faire le voyage à Chypre, où il se trouve dès la première scène. Il est intéressant de remarquer que le dramaturge donne l’impression que cette intrigue est développée ab ovo, par la reproduction de la scène où Armidore tombe amoureux du portrait. Toutefois, étant donné qu’il ne s’est presque rien passé, on peut dire que cette illusion repose en partie sur la réalité : si le voyage a déjà été effectué, tout reste à faire pour obtenir la main de la princesse. Il en est autrement du second fil, dont l’histoire avait déjà commencé bien avant la pièce, et dont les faits passés sont résumés dans le récit que fait Tersandre (II, 3).

Le déroulement de l’action de la Fidelle Tromperie sur la scène s’étale sur deux jours, une matinée, et deux nuits, qui ne sont pas tous consécutifs66. Les trois premiers actes, et les trois premières scènes de l’acte IV, se passent durant la journée. Etant donné que rien ne vient infirmer cette hypothèse, il est probable que cette partie de la pièce se déroule le même jour.

La quatrième scène de l’acte IV se passe la nuit de ce même jour. Le premier indice en est le vers 1496 :

Le secret est bien cher aux ombres de la nuict ;

et la fin de la scène ne laisse plus aucun doute à ce sujet lorsque « Lucide » s’exclame au vers 1714 :

Mais j’apperçoy desja l’aurore.

Lorsque commence le cinquième acte, plusieurs jours se sont écoulés pendant l’entracte : Bruserbe et Filamon ont déclaré la guerre à Chypre en l’absence de « Lucide », et leurs troupes occupent maintenant la majeure partie de l’île :

Sa frontiere n’a peu resister à nos armes, (…)
La campagne est à nous et tenons tous ses forts (V, 1, v. 1721-1723),

à l’exception du château de Clorisée et d’Alderine. L’action reprend donc ici dans une autre journée, et se déroule alors que le soleil est encore dans le ciel pendant les deux premières scènes de cet acte. Au contraire, les troisième, quatrième et cinquième scènes se passent à différents moments de la nuit de ce même jour. A la scène 3, la première indication en est l’apostrophe d’Alderine aux ténèbres :

Dieux qui presidez sur les ombres,
Nymphes hostesses des lieux sombres,
Bois, solitudes, autres secrets,
Astres, silences, esprits funebres,
Et tout ce qui suit les tenebres,
Soyez tesmoins de mes regrets (V, 3, v. 1945-1950),

suivie par le délai que donne la voix merveilleuse :

Avant que le Soleil recommence sa course (V, 3, v. 2005),

et la référence à l’ « obscurité » faite au vers 202367. De même, la bataille qui a lieu lors de la scène suivante se fait de nuit, indication qui est donnée au vers 205068 ; et dans la cinquième scène, les indices textuels de l’obscurité sont d’abord des objets, dont l’emploi est stipulé dans des didascalies : le flambeau, et la lanterne69, avant que ne le confirme une réplique70. Cependant, toute la scène ne se déroule pas de nuit : l’aurore est annoncée peu avant qu’elle ne finisse71.

Les sixième et septième scènes de cet acte se déroulent certainement un peu plus tard dans la matinée, car il faut laisser le temps nécessaire pour que certains événements aient lieu hors-scène : les retrouvailles d’Alderine et d’Armidore, l’aveu public du travestissement, les fiançailles des deux amants.

Quelques remarques s’imposent sur l’aspect temporel de la Fidelle Tromperie. D’abord, en ce qui concerne la durée, il faut remarquer que la pièce est tout à fait irrégulière, puisqu’elle dépasse largement les vingt-quatre heures. Cependant, on ne peut pas nier le fait que Gougenot ait fait un effort considérable en écourtant la durée de l’action de l’Amadis de Gaule dont il s’inspire, car celle-ci s’étendait sur plusieurs années. Ensuite, l’utilisation de la nuit dans la pièce témoigne d’une certaine réflexion : associée au jardin, elle permet la création d’une atmosphère intime et protectrice, propice aux aveux et aux confidences amoureux (IV, 4), atmosphère qui peut se révéler effrayante selon l’état d’esprit dans lequel le personnage se trouve72. Associée à la guerre (V, 4), la nuit contribue aussi à la confusion générale et, bien sûr, à la dimension spectaculaire du combat, qui relève encore de la volonté de divertir le spectateur.

Chapitre V : les personnages §

La Fidelle Tromperie compte quatorze personnages, auxquels viennent s’ajouter les figurants que sont les soldats des deux camps ennemis, et une voix merveilleuse, sans présence matérielle. Ce nombre respecte la limite fixée plus tard par Vossius73, et la moyenne calculée par Hélène Baby dans la tragi-comédie en général74. La relative abondance de ce personnel dramatique relève du goût de la tragi-comédie, genre de la prolifération, pour la présence de nombreux personnages, qui accroît le plaisir visuel des spectateurs.

La pièce de Gougenot met en scène un personnel relativement spécialisé : à la différence d’autres tragi-comédies de l’époque, on n’y trouve pas de personnages du peuple ou de petits bourgeois, tels que marchands de toutes sortes, boucher, concierge, cocher… Beaucoup sont nobles – Clorisée, Alderine, Armidore, Clidame, Aristome, Filamire, Bruserbe, Filamon, et peut-être aussi Florinde, Tersandre et l’Ambassadeur – : il s’agit bien d’une action qui se passe entre les « Grands » de ce monde, probablement due à la source romanesque et chevaleresque de la pièce.

Une difficulté se présente à la lecture de cette dernière : qui est le personnage principal, Armidore ou Clorisée ? Chacun domine un fil de l’intrigue qui lui est propre, et leur rôle est tout aussi imposant : à eux deux incombe plus de la moitié des vers de la pièce – 26, 25% pour Armidore et 24, 22% pour Clorisée75 –, et les deux personnages semblent partager la vedette. Seul l’intérêt des spectateurs peut les départager, et Armidore paraît être celui vers qui il se tourne. A cela s’ajoute l’absence de Filamire dans les quatre premiers actes de la pièce, absence amoindrissant l’intérêt que l’on peut porter à la relation qui l’unit à Clorisée car elle ne peut évoluer dans un quelconque sens. Armidore, même si sa prédominance sur Clorisée peut être nuancée sur certains points, apparaît bien comme le personnage principal de la Fidelle Tromperie. Dans une perspective plus générale, deux couples intéressent les spectateurs : Armidore et Alderine, Clorisée et Filamire.

Les personnages secondaires, quant à eux, peuvent être divisés en plusieurs groupes : le groupe des confidents et proches des héros et des héroïnes, composé de Clidame, Dorine, Florinde, Tersandre ; celui des rois étrangers, avec Aristome, Bruserbe, et Filamon ; et les autres, – l’Ambassadeur, la Sentinelle, le Courrier, les soldats des deux troupes –, de trop peu d’intérêt pour que nous leur consacrions une étude.

Le couple des amants : Armidore et Alderine §

Il s’agit du couple le plus présent dans la pièce : à eux deux, leurs répliques constituent 39, 84% de la totalité des vers de la pièce. Alderine apparaît beaucoup plus dépendante de leur relation qu’Armidore : elle est toujours en sa compagnie lorsqu’elle est sur scène (II, 2 ; IV, 2 ; IV, 4 ; IV, 7), à l’exception d’une seule fois (V, 3), – Armidore étant alors en voyage. Ce couple est au centre de tous les intérêts, et sa prédominance sur les autres personnages est encore manifeste à travers le fait que c’est à ces deux amants qu’incombent les deux passages en stances de la pièce.

Armidore §

Sujet de la conquête de la femme aimée, Armidore est, nous l’avons vu, le personnage le plus présent de la Fidelle Tromperie : il apparaît dans tous les actes, et dans dix scènes sur les dix-huit que comprend la pièce. Par ailleurs, le fait qu’il soit travesti en femme lui confère une grande dimension spectaculaire, que Gougenot ne se prive pas d’exploiter, puisque sur ses dix apparitions, le travestissement est porté huit fois. Il s’agit donc, pour reprendre une expression de Jacques Scherer, d’un héros « prodigué »76 : presque toujours sous les yeux du public, Armidore encadre la pièce en apparaissant à la première et à la dernière scène.

Jeune, beau, courageux et noble, ce personnage a tous les critères du héros. Passionné, il n’a aucune dimension politique malgré son titre de Prince, et est assimilable au type de l’amant, seulement mû par son amour. Certains objets qui lui appartiennent viennent appuyer dans la réalité ses qualités et ses caractéristiques : le portrait d’Alderine d’abord, qui réapparaît trois fois dans ses mains (I, 1 et deux fois en IV, 4), est un signe concret de son amour ; son épée, probablement toujours à ses côtés, témoigne de sa noblesse et de sa vaillance ; le travestissement enfin, connu des spectateurs, est à la fois un témoignage de sa ruse et de son amour.

Armidore est aussi le personnage le plus actif de toute la pièce. Il combat dans deux duels (III) et dans une bataille qui aboutira à la victoire du camp qu’il défend. Il sait aussi bien manier les armes que les mots, comme le manifeste cette réflexion qu’il fait au roi Bruserbe :

Si Mars vous favorise aussi peu que Cyprine,
Vous pourrez bien alors quitter la vanité,
Privé de la valeur comme de la beauté (III, v. 886-888).

C’est lui, aussi, qui résoudra le problème de la vengeance de Clorisée en rapportant la tête de Filamire et en mettant en scène le procédé de la « tête vivante ». Ces faits prouvent encore son courage, sa noblesse, et son intelligence. Dans son amour pour Alderine, il est tout aussi actif : c’est lui qui décide de se travestir pour surmonter le premier obstacle que constitue l’enfermement de sa bien-aimée :

Amour veut pour guerir ce soucy qui m’enflame,
Que je cache Armidore aux habits d’une Dame (I, 1, v. 109-110).

Dans cet amour, qui semble parfois impossible à cause des obstacles qui viennent s’y opposer, le personnage acquiert une dimension tragique, et une certaine épaisseur :

Je suis, je ne suis pas, ô rigoureux martyre !
Mon nom est Armi, mais las ! le dois-je dire ?
Ouy, non, si je le dis, je crains, je le diray,
Le diray-je ? il le faut, non feray, si feray (IV, 4, v. 1529-1532).

Son dilemme, qui le fait osciller entre son masque et sa véritable identité, manifeste la part de doute et de précarité inhérente au personnage du prince travesti, qui n’est pas toujours maître de ce qu’il fait.

Malgré tout, Armidore est bien celui qui tire les fils de l’intrigue. Il décide de se travestir, ce qui le rend maître du jeu – jeu qu’il entretient en préparant les autres personnages à ne douter jamais de sa véritable identité : c’est la fonction du récit de ses aventures lors de la tempête et du combat avec le corsaire, récit créé en duo avec Clidame (I, 2), et entièrement destiné à attester de la réalité de la force et du courage d’une femme. Lorsque lui échappe le contrôle du déguisement, ce n’est que temporaire : si « Lucide » accepte de servir la reine en combattant Filamire, ce n’est que pour mieux la tromper en mettant en scène un procédé qui la fera changer d’avis.

Alderine §

Elle est en troisième position en ce qui concerne le nombre de répliques des personnages, après Armidore et Clorisée. Elle est seulement présente dans cinq scènes sur dix-huit et n’apparaît ni dans le premier, ni dans le troisième acte. Objet de la conquête amoureuse, jeune et belle, elle est aussi totalement passive. L’aspect le plus intéressant de ce personnage se trouve dans la relation qui l’unit à « Lucide », alors qu’elle n’a pas encore pris connaissance du déguisement. En effet, l’amour, malgré ce dernier, s’empare de son cœur, et crée une certaine ambiguïté chez le personnage, apparemment homosexuel, revendiquant la légitimité de son sentiment :

Mais pourquoy blasmez vous ces aymables desirs ? (…)
Pourquoy Lucide et moy par de vivantes forces,
Ne sentirions-nous point d’amoureuses amorces ? (…)
Pourquoy, blasmer Lucide, et trouver tant estrange
Que sa saincte amitié à la mienne se range ? (II, 2, v. 476-486)

Mais cette revendication n’est probablement due qu’à la naïveté d’Alderine, naïveté dont témoigne sa répartie à Florinde qui contestait cette légitimité quelques vers auparavant :

Florinde

(…) l’industrieux Dedale,
Qui soulagea Pasiphe en ses sales tourments,
Separeroit plustost le corps des élemens,
Que de forcer l’amour où nature est contraire,
Ainsi Lucide doit de l’abus se distraire.

A quoi Alderine répond, non sans effet comique :

Mamie je ne puis comprendre vos discours ;
Ce Dedale a pour moy de trop fascheux destours (II, 2).

Bien sûr, ce développement du thème homosexuel est un topos de celui de la conquête du prince travesti, et il faut voir en lui un procédé dramatique, qui vise à réjouir le public par l’entretien d’une situation ambiguë, plutôt qu’une véritable déviance de la princesse. D’ailleurs, la révélation du travestissement permettra de redéfinir a posteriori l’ambiguïté : si Alderine est tombée amoureuse d’une femme, c’est que, quelque part, elle se doutait que ce n’en était pas vraiment une.

Clorisée et Filamire §

Le couple en tant que tel n’existe pas avant la dernière scène de la pièce, au cours de laquelle le mariage de ces deux personnages est décidé, et la relation amoureuse réciproque substituée à la haine que portait la reine au roi qui l’avait trompée. Ils sont liés par un lien de parenté avec Alderine, parenté qui justifie une structure à deux couples relevant de la tendance de la tragi-comédie à la multiplication des personnages.

Clorisée : tyran et victime §

Clorisée est, nous l’avons déjà dit, le deuxième personnage important de la pièce. Elle apparaît dans une scène de moins qu’Armidore, soit dans neuf scènes, et elle est, avec lui, le seul personnage à apparaître dans tous les actes. Cette reine a une dimension spectaculaire, qui apparaît notamment à travers les vêtements que le dramaturge veut lui faire porter à la deuxième scène des actes IV et V, où elle est vêtue en « sa Majesté » et en « Amazone », vêtements qui traduisent son pouvoir et son courage de manière visuelle, tout en contribuant à la diversité de la scène vue par les spectateurs.

Ses élans passionnés ne sont pas moins spectaculaires : son désir de vengeance, exprimé en I, 2 notamment, sa colère qui éclate contre Bruserbe (III), ou contre l’Ambassadeur (V, 2), impressionnent par leur intensité, et la vigueur de ses sentiments se manifeste dans le texte par l’emploi du mot « fureur » qui vient souvent la qualifier. Son autorité, l’utilisation de son pouvoir, sont parfois à la limite de la tyrannie : elle ne supporte pas qu’on discute ses volontés, comme en témoignent ces vers,

Et le mien [mon esprit] ne cerche point d’advis,
Regardez seulement que les miens soient suivis.
Mon vouloir ne veut point icy de resistance (IV, 3) ;

comme le montre encore sa décision d’employer sa fille comme appât pour réaliser sa vengeance. De fait, le comportement qu’elle adopte, par son charisme et son autorité, compense l’absence du roi, qu’elle sait parfaitement remplacer.

Cependant, ce personnage n’est pas non plus totalement imprégné par la haine. En effet, ses « fureurs » l’écartèlent entre deux directions contraires, deux passions opposées mais égales : son amour et son mépris de Filamire.

Deux fureurs font en moy deux excez violens,
Le malheur entretient mes amours insolens
Et l’honneur me retient au soin de la vengeance (v. 191-193).
Comme espoux je luy dois un amour veritable,
Et comme desloyal, une mort miserable (v. 821-822).
J’ayme le traict mortel dont je suis traversée (v. 826).

D’ailleurs, sa décision de le tuer et de mourir ensuite est en accord avec son dilemme : elle lui permet de sauvegarder son honneur par la mort de celui qui l’a trompée, tout en conservant son amour pour lui, qu’elle prouve en le suivant dans l’au-delà :

Car comme par sa mort je dois estre vangée,
Il faut par mon trépas que je sois soulagée (v. 1234-1235).

Le personnage acquiert ainsi une certaine épaisseur.

Un autre aspect très intéressant de Clorisée est une sorte de paranoïa qui l’atteint, impliquant un sentiment de persécution dont des puissances supérieures seraient responsables, s’acharnant sans cesse sur elle, et complices de Filamire auquel elles sont toujours favorables :

Et semble que le Ciel approuve ses conquestes (v. 746).
Et bien que ce trompeur merite cent supplices,
Il semble que les Dieux devenus ses complices,
Veulent en sa faveur destruire les humains.
La victoire tousjours demeure entre ses mains (v. 1197-1200).
Les dieux sont devenus mes cruels ennemis, (…)
Bref, la terre et le ciel obstinez contre moy,
Ont destiné ma vie au bon-heur de ce Roy (v. 2175-2184).

En ce qui concerne son utilité dramatique, le personnage de Clorisée est un opposant – involontaire, certes – à la réalisation des désirs amoureux d’Armidore, par l’emploi qu’elle veut faire de « Lucide ». Mis à part ses élans passionnés, elle est relativement passive.

Filamire, roi et inconstant §

L’arrivée de ce personnage est attendue dès la deuxième scène du premier acte, au cours de laquelle Clorisée se plaint de ce « parjure », mais elle ne sera effective qu’au cinquième acte. Absent du reste de la pièce, il apparaît seulement dans trois scènes, mais sa présence soudaine se fait particulièrement sentir. En effet, dans ce dernier acte, il parlera plus qu’Armidore, et c’est à lui, nouvelle autorité, que reviendra le privilège de clore la pièce. Par ailleurs, c’est lui qui rend le dénouement possible, et c’est sans doute pourquoi il intervient si tard : il donne la victoire à Chypre avec l’aide de « Lucide » en combattant dans la bataille ; sa simple présence, dans une mise en scène organisée par le prince travesti, met fin à la haine de la reine ; et ce dernier renversement permet aux deux amants de s’aimer en toute légitimité.

Son statut de personnage de tragi-comédie est un peu difficile à cerner. En effet, ni père, ni roi, malgré le fait qu’il le soit, Filamire semble devoir plutôt être assimilé au type de l’amant volage, sorte de Hylas, en plus raisonnable puisqu’il se limitera à deux conquêtes. C’est ce qui apparaît à travers les quatre premiers actes, où on le qualifie sans cesse de « trompeur », de « parjure », de « desloyal », de « traistre »… . Cependant, lorsqu’il apparaît enfin, ce n’est pas pour tenir les mêmes propos que l’inconstant de l’Astrée, ou pour justifier sa conduite passée, mais bien pour se conduire en roi – il sauve Chypre et fait emprisonner les rois ennemis, il présente sa « poitrine coulpable » à la reine (V, 5) –, et pour parler en roi, ne niant pas la faute qu’il a commise et voulant au mieux la réparer, acceptant, résigné, les arrêts du Ciel :

Essuyez, s’il vous plaist ces inutiles pleurs,
La mort veut le silence et non pas les douleurs.
La perte de Clarinde, est une œuvre secrette,
Dont le Ciel veut punir mon erreur indiscrette :
Vivante elle me fit de vos yeux separer,
Et morte elle me faict mon crime reparer (V, 7).

Ainsi, le personnage de Filamire paraît être hybride : décrit par les autres, c’est un monstre de lâcheté, un inconstant sans pitié, qui n’a pas hésité à abandonner une femme enceinte ; mis en scène, c’est un roi courageux, et responsable.

Clidame et Tersandre, allÉgories du spectateur §

Chacun de ces personnages est proche d’un des deux héros : Armidore pour Clidame et Clorisée pour Tersandre. C’est d’ailleurs dans cette fonction de proche, parfois de confident, qu’on les retrouve le plus souvent. Ils jouent quelquefois le rôle de bonne conscience de ceux qu’ils conseillent quand ils sont en désaccord avec leurs décisions, mais ils ne sont jamais écoutés77. Leur présence est relativement importante dans la pièce puisqu’ils ont chacun plus de 5% des répliques, ce qui n’est pas fréquent. Le personnage de Tersandre a, de plus, une importance militaire due à son grade puisqu’il est « Lieutenant general de la Reyne », ce qui justifie sa présence dans les scènes de bataille (V, 2, 4 et 5).

L’aspect le plus intéressant de ces deux personnages ne réside cependant pas dans leur fonction de proche, de conseiller, ou dans leur emploi – militaire ou non –, mais bien dans la mise en scène à laquelle se livre le dramaturge lorsqu’il les réunit tous les deux. En effet, dans certaines scènes, lorsque Clidame et Tersandre sont ensemble, c’est pour prendre du recul par rapport à l’action, afin de mieux l’appréhender (II, 3) :

Monsieur, je ne sçaurois fonder qu’avec[que] peine,
Tant de divers effects en l’esprit de la Reine, (…).

Parfois pour la critiquer (IV, 3) :

Que ceste passion estourdit les esprits !
Qu’elle cause de mal à ceux qu’elle a surpris.

Ou encore pour exprimer leur ignorance quant à ce qui se passe (V, 6) :

Je ne sçay quel effect produira tout cecy ;

voire même leur incompréhension (V, 7) :

Dieux ! qu’est-ce que je voy, tout a changé de face, (…)
Je doute si je songe, ou si c’est verité,
Monsieur, que dites vous de ceste nouveauté ?
Mon esprit estonné croit de voir des chimeres.

Dans ces scènes, c’est en véritables allégories du spectateur que se posent Clidame et Tersandre. Comme le public, ils assistent, avec un regard critique, aux gestes des autres personnages, et comme lui, ils sont placés dans la même position d’attente et de surprise devant les événements.

Les rois étrangers : Aristome, Bruserbe et Filamon §

Aristome, Bruserbe et Filamon sont issus du même modèle : tous les trois sont des rois qui ont voulu battre Filamire afin de gagner la main d’Alderine, et tous les trois ont échoué dans cette entreprise et ont été condamnés à servir Clorisée. Cependant, bien qu’issus du même moule, ces rois ne se ressemblent pas et relèvent chacun de types différents.

Aristome est le premier à se présenter à la reine (II, 3), et c’est aussi le moins présent des trois : n’ayant que trente-deux vers à dire, en une seule réplique après laquelle il disparaît définitivement, il ne semble être qu’un prétexte permettant la fin de l’exposition de l’action concernant Clorisée. De plus, il n’a aucun trait particulier qui ferait ressortir un peu sa personnalité. Il en est autrement de Bruserbe, qui apparaît dans quatre scènes (III ; V, 1, 4, 7) et à qui incombent 122, 5 vers. Beaucoup plus présent dans la pièce, son personnage est aussi beaucoup plus imposant : il revendique la main de Clorisée et n’hésite pas à se mettre en colère devant son refus, avant d’essayer de l’obtenir par la force. Filamon, bien que parlant moins, est toutefois le plus intéressant des trois rois, car il est un personnage comique. Il s’agit d’une sorte de fanfaron édulcoré, qui aime se vanter, mais dans une moindre mesure que les soldats que l’on peut rencontrer dans d’autres pièces de l’époque, et qui trouve toujours des excuses absurdes à ses échecs :

L’aspect malencontreux de quelque mauvais astre,
Et non pas mon deffaut a causé mon desastre ;
Et ce Prince orgueilleux ne m’eust jamais dompté,
Sans un secret malheur de la fatalité (III, v. 965-968).
La valeur ne peut rien en ce poinct difficile,
Où la mienne a manqué toute autre est inutile (v. 989-990).

De même, ayant échoué contre « Lucide », il excuse ainsi son impuissance à la vaincre :

Amour pour me punir est autheur de ses charmes (v. 1029).

Evidemment, comme dans le cas du miles gloriosus, il s’agit de cacher une grande lâcheté qui ne manque pas d’apparaître lorsque « Lucide » sort son épée :

Comment, Prince, avez vous si tost perdu l’audace ?
Doncques vostre valeur s’estouffe en la menace.
Vostre force ressemble à ces ampoules d’eau,
Qui naissent de la pluye (v. 1021-1024).

Il s’agit sans aucun doute du personnage le plus drôle de la Fidelle Tromperie.

Il est à noter que ces rois n’ont aucune dimension politique : même lorsqu’ils déclarent la guerre à Chypre, leur but est avant tout de conquérir les belles qui les intéressent.

Dorine et Florinde §

Il y a peu à dire sur ces deux personnages. Toutes deux appartiennent au type du confident, type qui s’impose sur la scène théâtrale à partir du début du dix-septième siècle. Elles dépendent totalement de celles à qui elles sont soumises et ne peuvent apparaître sans leur maîtresse : Dorine accompagne Clorisée en I, 2 et 3, III, V, 5 et V, 7 ; Florinde est aux côtés d’Alderine en II, 2 et IV, 2, et elle la suit ou la précède en IV, 4 et V, 5.

En ce qui concerne leurs traits caractéristiques, il est à noter que Florinde joue le rôle de conscience morale de la princesse, dont elle critique les rapports ambigus qu’elle entretient avec « Lucide » :

Où void-on une Dame aymer une autre Dame ?
Ce penser seulement ne peut toucher mon ame,
Toutes choses s’opposent à de telles amours.
La biche ayme son cerf, et l’ourse ayme son ours,
Tout suit l’ordre estably des soins de la nature,
Lucide seule suit une vaine imposture (II, 3, v. 433-438),

mais sans succès. Dorine, au contraire, est assez fade, et ne se démarque pas de la reine, qu’elle se contente de servir et d’encourager. Une seule fois, elle ose aller plus loin que tous les autres personnages en remettant en question les pouvoirs des dieux dans ce qui paraît être un blasphème :

Son pouvoir [la fortune] absolu s’accorde avec le sort,
Ils frappent aussi tost la vertu que le vice,
Et le Ciel ne peut rien contre ceste injustice (III, v. 1116-1118).

Mais ce n’est qu’une remarque faite en passant et qui manifeste son indignation face à l’acharnement de la fatalité contre Clorisée.

Chapitre VI : une pièce au coeur de l’actualité théâtrale §

Dans la décennie 1630, le genre de la tragi-comédie est à son apogée, et la production de pièces de ce type dépasse de loin celle des autres pièces. La tragi-comédie, dont la légitimité est discutée par les Réguliers, devient le bastion des Irréguliers, qui prônent pour le genre le non-respect des règles, et qui s’accordent pour faire de lui le genre divertissant par excellence. Ogier, dans sa Préface à la pièce de Mareschal, Tyr et Sidon (1628), veut adapter le théâtre au public de son temps, « un peuple impatient et amateur de changement et de nouveauté »78. Le but de la tragi-comédie est bien alors de divertir le public à tout prix, et par tous les moyens.

On ne sait si Gougenot a eu vent des différents textes prenant parti pour l’esthétique irrégulière et du débat théorique qu’ils impliquaient, mais nul doute qu’il ne suive la mouvance des Irréguliers, à tel point qu’on a pu lui attribuer le Discours à Cliton. La Fidelle Tromperie s’avère être une de ces tragi-comédies qui multiplie les « accidents et aventures extraordinaires » – pour reprendre une expression de Rayssiguier – afin de plaire au public. Comment Gougenot, en privilégiant par-dessus tout le divertissement dans sa pièce, montre-t-il son appartenance au mouvement irrégulier de l’époque ?

Le travestissement §

Le travestissement est l’une des sources les plus importantes du spectaculaire de la Fidelle Tromperie. Avant d’étudier de quelles manières le dramaturge exploite ce procédé, il convient de mettre en rapport le choix de ce dernier avec les autres pièces de l’époque.

Le travestissement est récurrent sur la scène de la première moitié du dix-septième siècle, et en particulier dans la tragi-comédie. Il trouve avant tout son origine dans les romans qui connaissent alors le succès : l’Astrée, la Diane de Montemayor, et, bien sûr, l’Amadis de Gaule. Le genre tragi-comique, terreau favorable à l’adaptation d’épisodes romanesques, moderne, a-régulier, ne pouvait manquer de reproduire ces situations plaisantes, parfois ambiguës, auxquelles donnait lieu l’emploi du travestissement. La femme travestie, le plus souvent à la conquête de l’homme qui l’avait abandonnée, fut beaucoup plus exploitée que son équivalent masculin, qu’on retrouve notamment dans Argénis et Poliarque de du Ryer, la Bélinde de Rampale, Agésilan de Colchos de Rotrou, Eurimédon de Desfontaines, et la Cour bergère de Mareschal, pièces où le héros est un roi ou un prince travesti. Lorsque Gougenot a choisi le sujet de la Fidelle Tromperie, c’était donc sans doute aussi en regard des goûts du public contemporain. Il s’agit maintenant de voir comment le dramaturge utilise ce procédé.

Le déguisement d’Armidore est mis en place très tôt dans la pièce, puisqu’il est choisi dès la première scène, à l’initiative du prince lui-même, et porté dès la scène suivante. La nature de ce déguisement est d’être totale : il s’agit de changer à la fois de sexe, de condition, de nom, et de discours, d’où l’effet spectaculaire qui s’en dégage. Dans la mise en scène de ce travestissement, Gougenot se caractérise par un certain souci de vraisemblance, qui apparaît notamment à travers ce vers :

On me prendra pour fille en faveur de mon âge (I, 1, v. 114) ;

l’âge d’Armidore lui permettrait d’endosser un déguisement d’amazone sans que cela puisse être soupçonné. Ce souci apparaît encore à travers le récit de la rencontre avec le corsaire, destiné à duper les autres personnages en fondant l’illusion dans la réalité. Ces deux éléments – l’âge et le récit – font passer pour vraie l’identité empruntée auprès des autres personnages, et, par la même occasion, le rendent moins invraisemblable aux yeux des spectateurs. Le risque d’être soupçonné d’une supercherie avait d’ailleurs été montré par une réplique de Clorisée, qui soulignait la ressemblance de « Lucide » avec un homme, Filamire :

Dieux, qu’est-ce que je voy ! ce port et ceste face,
Ceste douceur, ces yeux, ces gestes, ceste grace,
Se rapportent si bien aux traicts de ce trompeur,
Que l’âge seulement en esloigne ma peur (I, 2, v. 233-236).

Après avoir mis en place ces éléments censés rendre indétectable le déguisement, le dramaturge joue avec le système de vraisemblance qu’il a lui-même créé. Les duels de l’acte III, et la scène de bataille de l’acte V créent – pour reprendre une expression de Georges Forestier – un « effet de distorsion » entre l’être (forte) et le paraître (femme) de « Lucide », qui n’est pas sans réjouir le spectateur. On peut même aller jusqu’à reprendre l’ensemble de la réflexion de ce critique, réflexion qui s’appliquait à la scène 6 du troisième acte d’Agésilan de Colchos, et qui correspond aussi à ces scènes de la Fidelle Tromperie : « toute la scène a été construite pour susciter l’effet de distorsion sans pour autant rompre l’opacité du déguisement. Par là, l’invraisemblance est inscrite au cœur de cette construction ; elle présuppose donc la convention, par quoi toute prise est ôtée à la critique de vraisemblance »79. Ceux qui voient la force incroyable de « Lucide » ne remettent pas en question sa véritable identité, c’est le pouvoir de la convention.

Ces effets ne sont pas les seuls à être recherchés par le dramaturge. D’autres, d’ordre verbal, jouent encore sur la dualité du masque et du visage. C’est le cas par exemple de ces vers qui peuvent être pris dans un double sens :

Sçachant bien mes deffauts, je crains le changement (II, 2, v. 524) ;
Le Ciel a des secrets qu’il cache à nos pensées (III, v. 950) ;

vers qui font allusion au travestissement, et que comprennent celui qui les prononce – Armidore –, et le public, qui se réjouit de comprendre ce que les autres personnages ne peuvent saisir. On pourrait d’ailleurs parler là encore d’effet de distorsion, au niveau du discours, distorsion qui oppose le sens apparent et le sens caché du vers. Ce procédé, conscient chez « Lucide », est présent aussi dans le discours des autres personnages qui emploient parfois, eux-aussi, sans le savoir, des paroles à double entente :

Pleust aux Dieux maintenant que Lucide fust homme,
J’estimerois beaucoup l’amour qui la consomme,
Un Prince possedant ces belles qualitez,
Pourroit lors à bon droict adorer vos beautez (II, 2, v. 537-540).

Florinde, à qui incombent ces vers, fait allusion à un changement de sexe qu’elle ne sait pas être possible, à la différence du public et de « Lucide ».

Autre forme qui joue sur le procédé du déguisement, et qui est souvent reprise dans le thème de la conquête du prince travesti : l’équivoque sexuelle – la bien-aimée tombant « amoureuse » de la fausse amazone. Ce jeu avec l’ambiguïté, qu’on trouve dans d’autres pièces de la même époque comme L’Hospital des fous, Eurimédon, Argénis et Poliarque, la Cour bergère, la Bélinde, Agésilan de Colchos, Cléagénor et Doristée, l’Amante ennemie, – dans lesquelles une femme, ou un homme, sont séduits par l’homme travesti, ou bien une femme tombe sous le charme d’une autre femme travestie –, ce jeu donc, est repris par Gougenot dans la Fidelle Tromperie, avec une dimension plus transgressive : car non seulement Alderine est charmée par « Lucide », mais elle revendique encore la légitimité de son sentiment amoureux,

Mais pourquoy blasmez vous ces aymables desirs ?
Pourquoy Lucide et moy par de vivantes forces,
Ne sentirions-nous point d’amoureuses amorces ? (II, 2)

Le public se réjouit de ces scènes où est développée une apparente homosexualité d’Alderine, mais il reste que – pour reprendre encore des propos de Georges Forestier –, « le jeu des apparences en réduit grandement la portée, car son attirance pour une jeune fille se révélera au bout du compte non point le résultat d’une déviance, mais la marque d’une sorte de clairvoyance ; d’autre part, il faut bien souligner que ce trouble ne sort pas des limites de la bienséance »80. Il faut dire que, dans la décennie 1630, les bienséances n’étaient pas encore aussi strictes qu’elles le seront quelques années plus tard. Des baisers amoureux étaient fréquemment échangés sur scène, comme c’est le cas dans la Fidelle Tromperie (IV, 4), et certaines pièces de la même époque allaient parfois beaucoup plus loin81. Ce jeu avec la sensualité apparaît encore dans une réplique de « Lucide » :

Madame, quand le sort de vos yeux me separe,
La mort en mesme temps de mon ame s’empare,
Je me brusle en ma crainte, et me noye en mes pleurs,
Je sens de tous costez de nouvelles douleurs,
Je parle à vos beautez que je vois en images,
Et dis en ceste sorte, ô celestes ouvrages,
Miracles que ma foy peut seule concevoir,
Tant de perfections me veulent decevoir,
Et ce ressouvenir aliment de mon ame
En cet excez d’ardeur se redouble et s’enflame,
Me retraçant l’object de vos divinitez,
Lors mon ame s’envole au ciel de vos beautez.
Je ne puis recognoistre en ce desordre extréme,
Si ce n’est qu’un extase, ou si c’est la mort mesme,
Mais que ce soit la mort, ou le ravissement,
Je ne puis supporter ce triste esloignement (II, 2, v. 501-516).

Ces vers ne sont pas dénués d’un certain érotisme, car c’est bien le récit d’une sorte de fantasme que fait « Lucide » en parlant de ces « beautez » qu’elle voit « en images » et qui l’émeuvent au point qu’elle en soit physiquement transportée.

Ainsi, le travestissement est bien la source de multiples effets spectaculaires, qui sont autant de réjouissances offertes au spectateur.

Autres formes de spectaculaire §

Le travestissement est, certes, une forme divertissante, mais ce n’est pas la seule. La Fidelle Tromperie exploite également certaines formes de violence qui, elles aussi, sont appréciées par le public des années 1630. Par ailleurs, le recours au merveilleux, l’expression des passions, font encore partie de ces éléments dont le but est de plaire.

Formes de violence §

La violence de la pièce de Gougenot se manifeste d’abord à travers les deux duels (III) et la scène de la bataille (V, 4). Les duels sont fréquemment représentés dans le théâtre de l’époque ; ils mettent en danger la vie du héros, font craindre aux spectateurs une mauvaise issue, et, lorsqu’ils sont gagnés par le protagoniste, témoignent alors de sa valeur et de son courage. La bataille sur scène est plus rare, mais aussi plus spectaculaire : on la retrouve par exemple dans la Dorinde d’Auvray, où la ville de Marcilly est prise d’assaut, ou encore dans la Sœur valeureuse de Mareschal, et dans l’Amant libéral de Guérin de Bouscal. On peut imaginer l’effet que devait produire la vue de soldats, sans doute armés d’épées et de lances, de boucliers, en armure, se jetant à l’assaut d’une forteresse…

Mais la violence de la Fidelle Tromperie ne se présente pas seulement sous la forme de combats ; on la rencontre encore dans d’autres confrontations avec la mort. Dans la pièce, deux personnages tentent de se suicider : « Lucide », dont l’aveu de son stratagème a provoqué la colère de sa bien-aimée, veut mettre fin à ses jours (IV, 4),

Astres, arbres, buissons, rochers, ombres, ruisseau,
Reservez le sang d’Armidore,
Si vous voyez encor la beauté que j’adore,
Faites luy toucher mon tombeau (v. 1657-1660).

Florinde l’en empêche alors. De même Clorisée, qui se découvre être dupe de « Lucide », décide d’abréger ses souffrances (V, 5) :

Laisserois-je eschapper ceste fatale espée,
Sans tirer des malheurs ce miserable corps,
Qui ne demande plus que la gloire des morts.
Puis que ceste trompeuse a manqué d’asseurance,
Je veux à son deffaut (v. 2186-2190).

Mais elle est arrêtée dans son élan par « Lucide ». Il faut remarquer que dans les deux cas, il s’agit d’un personnage principal, auquel le public est nécessairement attaché : le dramaturge, en leur confiant ce geste qui se veut fatal, fait encore craindre pour l’issue de l’intrigue, et suscite ainsi l’effroi des personnes qui y assistent. L’évanouissement relève aussi de ce jeu avec la violence et la mort : Alderine qui « se pasme » (IV, 2) est comme morte, et fait appréhender une fin tragique.

Un autre procédé peut encore susciter quelques émotions chez les spectateurs : il s’agit de la mise en scène de la « tête vivante ». Bien avant que n’arrive Filamire, dont le « chef » est tant attendu par la reine, les rois Aristome, Bruserbe et Filamon préfiguraient déjà la mise en scène, en apportant leur propre tête à la place de la sienne. Aristome se présentait ainsi à Clorisée :

Filamire en ma grace achevant sa conqueste,
Met en vostre pouvoir ma fortune et ma teste (II, 3, v. 593-594).

Et la reine fait encore allusion à d’autres « têtes » venues la trouver après avoir échoué contre le père d’Alderine :

Pardonnez-moy, Monsieur, desja cinq Chevalliers,
Que l’honneur immortel a couvert de lauriers,
Vaincus de ce cruel, m’ont apporté leurs testes (III, v. 743-745).

De fait, lorsque « Lucide » met en scène le fameux procédé (V, 5), elle indique par le même geste que l’emploi de cette fausse mort est désormais codé, puisque même les personnages, nouveaux dramaturges, l’utilisent. Il faut remarquer aussi que son usage n’est pas sans rappeler les véritables têtes coupées que le théâtre du seizième et du début du dix-septième siècle mettait parfois en scène, comme dans l’Argénis de du Ryer (III, 1), pièce contemporaine de Gougenot, où le personnage d’Arcombrotte porte la tête de Licogene au bout d’une lance – procédé qui, certes, suscitait l’horreur du public, mais qui était apprécié.

Toutes ces formes de violence seront progressivement éliminées de la scène du théâtre, avec la volonté des dramaturges de respecter les bienséances qui s’imposent alors. Lorsque Gougenot écrit sa pièce, ces éléments ne sont encore que des moyens – fréquents et appréciés – de susciter l’émotion du public.

La rhétorique des passions §

La rhétorique passionnelle est un autre élément du spectacle. Son but est de faire partager au public, par tous les moyens, les émotions, les passions qui transportent les personnages, et le genre de la tragi-comédie y a très souvent recours82. On la retrouve dans l’emploi de figures de style et de tropes divers, et dans certaines formes d’écriture théâtrale, comme les monologues et les stances.

Dans la Fidelle Tromperie, le discours amoureux est le premier à déployer une telle rhétorique. Il faut dire que la pièce ne contient pas moins de 116 occurrences du terme « amour », dont 43 uniquement dans le premier acte, manifestation la plus flagrante du fait que c’est bien lui qui est au centre de tous les intérêts. Le mal d’amour est, quant à lui, exprimé avec des métaphores plus que fréquentes pour l’époque : celle des « traits » que tire le dieu aveugle et qui blessent profondément le cœur revient couramment sous la plume de Gougenot (v. 20, 278, 640, 826, 1940) ; celle des « feux », symbole de la passion amoureuse brûlant l’amant, est encore plus fréquente (v. 4, 11, 54, 138, 195, 318, 570, 753, 773, 867, 1150, 1316, 1354, 1480, 1526, 1557). La femme aimée fait l’objet de multiples comparaisons et métaphores, issues de la tradition pétrarquiste. On retrouve régulièrement ces figures dans la pièce, mais elles sont particulièrement concentrées dans deux passages : d’une part, dans le monologue d’Armidore qui ouvre le premier acte, tenant un portrait d’Alderine ; d’autre part, toujours dans la bouche du même personnage, dans la description qu’il fait de sa bien-aimée à Clidame (II, 1, v. 351-386). La comparaison de la femme aimée avec le « Soleil », que Roger Guichemerre disait si caractéristique de Rotrou, se trouve également dans les vers de Gougenot :

Je verray les cachots où luit mon beau Soleil (I, 1, v. 104),
Ses cheveux qui l’or pur divinement colore, (…)
Peuvent estre à bon droict mis en comparaison,
Aux rais dont le Soleil enrichit l’orison (II, 1, v. 357-360).83

Le portrait fait par « Lucide » (II, 1) s’applique encore à comparer chaque partie de son corps à des dieux de l’Antiquité :

Son beau front où l’honneur releve sa victoire,
Est un Ciel où l’on void deux Iris en leur gloire, (…)
Quand son double corail l’un à l’autre se touche,
Il forme l’arc d’amour figure de sa bouche, (…)
L’albastre de son col des graces le tableau,
De ce nouvel Olympe est un Atlas nouveau, (…).

L’utilisation de l’objet qu’est le portrait soutient matériellement le discours amoureux, et le portrait donne naissance au texte qu’il inspire. Il est intéressant de reproduire cette réflexion d’Hélène Baby à ce sujet84 :

(…) Le portrait, grâce à la peinture du corps (ou d’une partie du corps), actualise la présence de l’être aimé, et l’image du corps, comme la parcelle du corps, devient l’être aimé. On détruit le portrait, on le frappe, on l’embrasse, on lui parle, comme l’on ferait avec la personne représentée.

C’est exactement ce qui se passe avec Armidore (I, 1). Ce dernier est tellement touché par la représentation d’Alderine, qu’il ne peut s’empêcher de se demander s’il ne s’agit pas d’une réalité :

Non, je croy que ce corps a quelque sentiment,
Son œil suit mes regards d’un égal mouvement (v. 31-32).

La souffrance est un autre sentiment que le dramaturge entend partager avec les spectateurs. Tout un champ lexical est développé autour de ce thème ; les termes « ennui », « peine », « soins », « soucis », « tourment », « travail », et leurs dérivés apparaissent sans cesse pour tenter d’appréhender le calvaire que semblent devoir supporter ces personnages. Le dilemme de Clorisée, qui est la source d’un véritable supplice pour elle, est fréquemment reproduit. L’image la plus frappante qui l’évoque est concentrée dans un seul vers, qui résume bien ce qu’elle peut subir :

J’ayme le traict mortel dont je suis traversée (v. 826).

Enfin, certaines formes d’écriture théâtrale contribuent encore au spectacle du vers, que ce soit en exprimant encore les souffrances de ceux qui parlent ou pour témoigner d’autre chose. Monologues, stances, dialogue en stances, oracle, font entrer le public au cœur des passions et l’émeuvent d’autant plus qu’il s’agit souvent de formes dont la versification bouleverse l’ordre – presque monotone – établi par l’alexandrin.

En premier lieu, les monologues d’Armidore (I, 1), de Clorisée (I, 2) et de Filamon (IV, 1) confrontent les spectateurs à l’exposition personnelle, lyrique, des émotions de l’orateur – passion amoureuse dans le cas du prince, haine dans celui de la reine, doute quant à Filamon. L’emploi de procédés rhétoriques augmente la longueur des monologues et celle des tirades en en faisant de véritables morceaux de bravoure, par le triplement de l’expression,

Il me semble souvent que cet œil me caresse,
Il me rit quelquefois, mais en fin il me blesse (v. 21-22) ;

par l’emploi d’un rythme binaire,

Tantost il me paroist un éclair amoureux,
Et tantost il me semble un foudre rigoureux (v. 23-24) ;

et d’autres procédés, qui permettent de saisir toutes les nuances des émotions exprimées.

Les stances connaissent beaucoup de succès à l’époque de Gougenot : « De 1630 à 1634, on les trouve dans près de la moitié des tragi-comédies »85. La Fidelle Tromperie contient deux longs passages en stances (IV, 4 et V, 3), dans lesquels les personnages expriment leurs inquiétudes, leurs passions de manière bouleversante. Il est à noter que le dramaturge recherche une certaine diversité dans leur emploi, comme le démontre l’adoption de deux schémas strophiques radicalement différents, l’un favorisant la différence dans la disposition des rimes (V, 3), l’autre privilégiant la diversité par le choix de différents mètres (IV, 4). Le dialogue en stances, duo pathétique, qui prolonge le monologue de « Lucide » au quatrième acte est tout aussi lyrique. Il ne s’agit pas d’une forme originale, on le trouve dans d’autres pièces de l’époque, comme Gustaphe (III, 4), L’Aveugle de Smyrne (V, 3), La Cour bergère (II, 2), La Céliane (I, 4), Le Prince déguisé (II, 6).

L’oracle (V, 3) est encore une forme qui bouleverse la versification. Intervenant juste après les stances d’Alderine, la voix merveilleuse fait encore partie du processus lyrique, d’autant plus qu’elle n’est convoquée que pour plus de spectacle : son emploi n’a aucune conséquence sur l’action.

Une pièce baroque ? §

La Fidelle Tromperie est-elle une pièce qui relève de l’esthétique baroque ? Certains éléments étudiés précédemment peuvent en effet nous amener à poser la question. Nous parlions plus haut du pouvoir suggestif des mots qui cherchent à parler à l’imagination et à la sensibilité du public, et qui manifestent l’aspect ostentatoire de la pièce de Gougenot – et c’est peut-être déjà là une caractéristique baroque. Par ailleurs, certains thèmes abordés dans la pièce sont non seulement fréquents dans le théâtre de l’époque, mais ils ont aussi été apparentés à l’esthétique baroque. Quels sont-ils, et comment le dramaturge les adapte-t-il ?

Un héros incertain dans un monde instable §

La destinée, dans la tragi-comédie, est une fée capricieuse et joueuse, méchante sans cruauté, qui marche en dansant et en ligne brisée, n’accablant l’homme que pour le relever, le jetant de péripétie en péripétie comme une balle dont elle s’amuse. Aussi le héros n’est-il ici ni Œdipe ni Ulysse, ni écrasé ni triomphant, mais jouet lancé et relancé par une main insaisissable et toujours changeante ; il va de surprise en surprise, (…) dans un monde qui n’est jamais ce qu’il paraît (…). 86

C’est bien ainsi que s’éprouvent les héros de la Fidelle Tromperie, qui se sentent de véritables jouets dans les mains de forces qui les dépassent. Nous l’avons déjà vu en ce qui concerne Clorisée, personnage qui se croit victime de la fatalité, toujours du mauvais côté de la roue, mais ce n’est pas la seule à ressentir l’action de ces puissances qui semblent se divertir avec l’homme. Bruserbe,

Fortune rigoureuse, on void bien maintenant,
Que tant plus les humains te vont importunant,
Ils esprouvent tant moins ton secours favorable (III, v. 911-913) ;

Filamon, retraçant les brusques coups du sort qu’il vient d’essuyer,

Je voulois surmonter le Soleil des guerriers,
Une fille me dompte et m’oste mes lauriers.
Je vivois en l’amour d’une beauté Divine,
Mais il faut que ce feu s’esteigne en ma poitrine (IV, 1, v. 1147-1150) ;

« Lucide »,

Destins repentez-vous, que vostre inimitié
Retire ses traicts miserables,
Mais, helas ! vos decrets estans irrevocables,
Vous ne sentez point la pitié (IV, 4, v. 1633-1634) ;

Alderine, dont les stances développent particulièrement le thème des renversements de situation dus à la fortune,

Que les secrettes destinées,
Nous font voir d’estranges destours,
Et que les suittes des années
Ont de bons et de mauvais jours. (…)
On void par tout dessus la terre,
Rouler d’un desordre fatal,
Tantost la paix, tantost la guerre,
Tantost le bien, tantost le mal (V, 3, v. 1851-1864) ;

tous les personnages s’accordent pour exprimer ce sentiment d’impuissance face à la fortune, le sort, la fatalité… qui décident de leur bonheur ou de leur malheur, sans qu’ils puissent intervenir. Le héros baroque est dans un monde qu’il sait changeant, et sa seule certitude est que, comme souvent les personnages du théâtre contemporain le répètent, tout change. Dans ce « monde volage » – pour reprendre une expression d’Alderine –, le héros est lui-même incertain et ne cesse de se remettre en question :

Je suis, je ne suis pas, ô rigoureux martyre !
Mon nom est Armi, mais las ! le dois-je dire ? (IV, 4, v. 1529-1530).

Et le travestissement est un moyen de poser la question de l’identité, en jouant avec la dualité du masque et du visage. Ainsi, on peut sans doute voir là une caractéristique baroque de la pièce de Gougenot.

Un théâtre réflexif §

Le théâtre baroque est souvent défini comme un théâtre réflexif, c’est-à-dire comme portant un regard sur lui-même, phénomène dont la manifestation la plus flagrante est le recours au procédé du théâtre dans le théâtre – que Gougenot a d’ailleurs employé dans la Comedie des Comediens. Mais il ne s’agit que d’une des formes que peut prendre ce regard, comme nous pouvons le voir en étudiant la Fidelle Tromperie sous cet angle.

La confusion entre le rêve et la réalité est un thème fréquemment abordé sur la scène de la première moitié du dix-septième siècle. Dans de très nombreuses pièces, les personnages s’exclament, comme Clidame et Tersandre (V, 7) :

Je doute si je songe, ou si c’est verité (v. 2299),
Mon esprit estonné croit de voir des chimeres (v. 2301) ;

comme pour témoigner qu’ils sont presque conscients d’appartenir au monde du théâtre, dans le theatrum mundi – topos de la scène contemporaine.

Certes, la Fidelle Tromperie ne contient pas de pièce intérieure, mais d’autres éléments sont des formes de jeu avec la théâtralité : Clidame et Tersandre, allégories des spectateurs ; Armidore, se mettant en scène lui-même comme un personnage, fondant son identité fictive dans la réalité scénique, faisant jouer à leur tour les autres personnages comme des marionnettes dans une mise en scène personnelle … – nous avons déjà vu tout cela. Tous ces éléments sont des effets de théâtralité qui révèlent la réflexivité de la pièce de Gougenot. Cependant, il faut dire que ce phénomène n’est pas spécifiquement baroque : certes, ces effets sont particulièrement employés pendant la période dite « baroque », mais les dramaturges y ont aussi recours pendant tout le dix-septième siècle, y compris dans la période classique87.

La Fidelle Tromperie §

Enfin, le titre que nous étudions dans les premières pages de cette introduction prend aussi une autre dimension si on l’assortit à l’esthétique baroque. Nous avons déjà vu que la Fidelle Tromperie répondait sans doute à une mode du titre de forme oxymorique, mais plus encore, cette mode semble appartenir de plain-pied au baroque. En effet, on a souvent défini le genre comme aimant jouer sur le thème des « apparences trompeuses », qui relève aussi de la question de l’identité – à travers la dialectique du masque et du visage –, et de la question de la vérité – à travers celle du réel et du songe. Avec la « fidelle tromperie », on est au cœur de ce système : où est la vérité ? quelle est l’identité ? Au-delà de cette première interprétation du titre de la pièce de Gougenot, c’est peut-être tout un enjeu dramatique qu’il faut voir : car une « fidelle tromperie », n’est-ce pas aussi l’enjeu de toute représentation théâtrale ?

Note sur la présente édition §

Édition de référence §

Description de l’édition de référence §

La présente édition a été effectuée à partir de l’exemplaire de l’édition originale disponible à la bibliothèque de l’Arsenal (fonds Rondel) sous la côte Rf 6204. Il s’agit d’un volume de format in-8° dont les cahiers sont constitués de quatre feuillets, soit huit pages. Il ne contient pas l’extrait du Privilège du Roi. Il se présente ainsi :

Page I (cahier a) :

LA / FIDELLE / TROMPERIE. / TRAGI-COMEDIE. / Par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / fleuron du libraire / A PARIS, / Chez Anthoine de Sommaville, / dans la petite Salle du Palais, à / l’Escu de France. / M.DC.XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Page II : blanc.

Pages III à VII : Argument.

Page VIII : Acteurs.

Pages 1 à 158 (cahiers A à U) : La Fidelle Tromperie.

Autres exemplaires §

L’Ere Baroque en France88 de Roméo Arbour recense six exemplaires de la Fidelle Tromperie. A celui que nous avons consulté s’en ajoutent quatre autres, eux aussi datés de 1633 : le premier se trouve aussi à l’Arsenal (cote : 8 BL 14176), le second à la bibliothèque du British Museum (Londres), le troisième à la Boston Public Library (U.S.A.), et enfin un exemplaire se trouve à la bibliothèque de l’université John Hopkins (Baltimore, U.S.A.). D’autre part, est recensé aussi un exemplaire daté de 1634, qui est également consultable à la bibliothèque de l’Arsenal (cote : 8 BL 14177).

Le second exemplaire de l’Arsenal, datant de 1633, est semblable à celui sur lequel nous avons bâti cette édition. En effet, tout ce qui concerne la Fidelle Tromperie paraît à première vue identique (texte, pagination, éditeur, frises, bandeaux, lettrines, absence de l’extrait du privilège du roi), mais l’ouvrage, qui s’intitule Théâtre de Gougenot (sur la tranche), contient aussi la Comedie des Comédiens. L’éditeur n’est pas le même pour les deux pièces (A. de Sommaville dans le cas de la Fidelle Tromperie, P. David en ce qui concerne la Comedie des Comediens), et un extrait du privilège du roi est donné à la fin de la Comedie, qui ne concerne que celle-ci. Tous ces éléments nous amènent à penser qu’un libraire, ou un bibliothécaire, en possession de deux ouvrages distincts, – dont l’un est en fait une réplique de celui sur lequel nous avons travaillé –, a réuni sous une même couverture ces deux pièces, créant ce qu’on appelle un « recueil factice ».

Le troisième exemplaire de l’Arsenal, daté de 1634, est lui aussi joint à la Comedie des Comediens éditée par P. David, mais la couverture de l’ensemble porte cette fois le titre : Fid. Trom. / Com. des Comed. sur la tranche. En ce qui concerne la Fidelle Tromperie, le fleuron de l’éditeur n’est pas le même que celui des exemplaires de 1633, malgré le fait qu’il s’agisse toujours d’Anthoine de Sommaville. De plus, il contient une dédicace89. Seule la Fidelle Tromperie est datée de 1634, la Comedie des Comediens, quant à elle, est datée de 1633, et il s’agit de la même édition que celle contenue dans l’exemplaire que nous examinions précédemment. Hormis ces trois éléments, – date, fleuron et dédicace –, tout le reste semble identique dans la tragi-comédie. Il est à noter que cet exemplaire porte des marques de découpage, qui tronque parfois en partie les didascalies inscrites dans la marge, ou bien encore les contourne, indice que les deux pièces – qui toutes deux sont ainsi mutilées – n’étaient pas destinées à être rassemblées sous ce format. Ces nouvelles preuves, – année de publication différente pour les deux pièces, découpage « sauvage »… – nous confortent dans l’idée que nous sommes confrontés ici encore à un recueil factice.

Annotations et corrections §

Principes d’annotation §

Un lexique situé à la fin de l’ouvrage permettra d’éclaircir les problèmes de vocabulaire éventuels qui peuvent se poser au fil de la lecture. Nous y renvoyons par un astérisque à chaque apparition d’un mot problématique récurrent dans la pièce. Lorsqu’un terme présentant une difficulté de compréhension n’apparaît qu’une fois, nous signalons alors son sens par une note. Nous n’avons pas jugé nécessaire de faire figurer dans le lexique les termes dont le genre a changé et qui ont gardé la même signification qu’aujourd’hui.

Les notes ont été ajoutées dans une volonté d’éclaircissement et de meilleure saisie du texte. Ainsi pourront y figurer des remarques d’ordre grammatical, lexical, didascalique, ou d’ordre plus général.

Corrections §

Les numéros de ligne de l’Argument et les numéros de vers de la Fidelle Tromperie auxquels nous faisons allusion renvoient à la présente édition ; la pagination et les numéros de cahier, signalés entre crochets, renvoient à l’édition originale. Nous avons attribué au premier cahier de l’édition originale, qui ne possède pas de pagination, la lettre a, ainsi qu’une pagination en chiffres romains.

Les orthographes différentes d’un même mot ont été reproduites dans le respect du texte. Le tilde (~) a été remplacé par la lettre correspondante, -n ou –m ; le - développé en –ss ; le –u et le –v, le –i et le –j, initialement confondus, ont été distingués. La différence entre a / à et ou / où, assez rarement respectée, a été rétablie. Les abréviations ont été développées.

Nous avons ajouté entre crochets ce qui avait été « oublié », c’est-à-dire certains noms de personnages au début des scènes, ou encore la syllabe –que au mot « avec » lorsqu’elle s’avérait nécessaire pour la construction de l’alexandrin.

A l’acte III, nous avons également uniformisé les différents noms donnés à Filamon avant chacune de ses répliques. En effet, le personnage était désigné tour à tour sous les noms de « Filamon, Prince d’Hyrcanie » [62, H], « Roy d’Hyrcanie » [63, H], « Roy d’Hyrcanie, Filamon » [64, H], « Roy Filamon » [65, I], « Filamon » [65-68, I]. Pour plus de clarté, hormis la première occurrence qui ajoute le titre de noblesse du personnage, nous avons remplacé toutes ces expressions par « Filamon ».

La ponctuation de l’édition originale a également été respectée, à l’exception de ce que nous jugeons être des incorrections. Nous rappelons que la ponctuation de l’époque ne répond pas aux mêmes critères que celle d’aujourd’hui : il s’agit d’une ponctuation orale. La virgule marque ainsi un court temps d’arrêt ; le point virgule et le double point, qui ne sont pas toujours bien distingués, marquent une pause plus longue. Ces derniers servent parfois à souligner une articulation forte dans une phrase.

Argument

Ligne édition originale    édition    [Page, cahier]

l.1    en Cypre, ou    en Cypre, où    [III, a]

9    en Armenie, ou    en Armenie, où    [IV]

24    à Clorisée.     à Clorisée,     [V]

26    a sa fille    à sa fille    [V]

26    laquelle à     laquelle a    [V]

27    de veuë,     de veuë.     [V]

28    a la conqueste    à la conqueste    [V]

37    lendemain, la     lendemain. La    [VI]

39    a Lucide    à Lucide    [VI]

43    les mariage    les mariages    [VII]

45    secoure    secourt    [VII]

49    a quoy    à quoy    [VII]

La Fidelle Tromperie

Vers    édition originale    édition    [Page, cahier]

2    adore     adore,     [1, A]

3    Soleil     Soleil,     [1]

3    yeux     yeux,     [1]

5    veritable.     veritable,     [2]

13    avanture.     avanture ?     [2]

15    Ce portaict    Ce portraict    [2]

20    enflammez.     enflammez ?    [2]

27    couleurs     couleurs,     [3]

28    chaleurs.     chaleurs ?     [3]

30    veritable.     veritable ?    [3]

31    sentiment     sentiment,     [3]

32    mouvement     mouvement,     [3]

39    dessein     dessein,     [3]

40    sein     sein,     [3]

65    contraintes     contraintes,     [5]

75    loix     loix,     [5]

78    supplice     supplice,     [6]

79    consulté    consulté,     [6]

81    ramassees    ramassées,    [6]

82    pensees    pensées    [6]

87    absolu     absolu,     [6]

89    ressusscitez    ressuscitez    [7]

95    sçãchons    sçachons    [7]

95    amour     amour,     [7]

96    jour    jour,     [7]

98    entreprendre.     entreprendre,     [7]

100    soulagement     soulagement,     [7]

101    assistance     assistance,     [7]

103    conseil     conseil,     [7]

105    caresse     caresse,     [8]

107    jouvriray    j’ouvriray    [8]

109    enflame     enflame,     [8]

110    Dame     Dame.     [8]

111    déguisement     déguisement,     [8]

113    visage     visage,     [8]

116    amour     amour.     [8]

119    changement.     changement ?    [8]

131    ou l’amour    où l’amour    [9, B]

132    instruit     instruit,     [9]

134    occupée     occupée,     [9]

135    leurs effors    leurs efforts    [9]

139    mon consin    mon cousin    [10]

139    irrité     irrité,     [10]

141    diffame     diffame,     [10]

145    Dedale    dedale    [10]

157    honte     honte,     [11]

162    croire.     croire,     [11]

179    ou mon destin    où mon destin    [12]

181    objects    object    [12]

181    ennemie     ennemie,     [12]

187    Palmedon     Palmedon,     [12]

197    s’obstine     s’obstine,     [13]

213    audace     audace,     [14]

216    Sçait domter    Sçait dompter    [14]

223    fruicts     fruicts,     [14]

227    mourir     mourir,     [15]

228    secourir     secourir.     [15]

235    trompeur     trompeur,     [15]

236    peur     peur.     [15]

Didascalie    Armidore déguisée    Armidore déguisé    [15]

Didascalie    AMASONE    Amazone    [15]

237    doute     doute,     [15]

240    ou vont ces gens    où vont ces gens    [16]

242    ou la gloire     où la gloire    [16]

246    fortune     fortune,     [16]

248    estrangers.     estrangers     [16]

249    l’inconstance,     l’inconstance.     [16]

251    mort     mort,     [16]

259    vent     vent,     [17]

261    peine     peine,     [17]

264    l’eau     l’eau,     [17]

267    inhumain     inhumain,     [18]

285    D’ou éclattoit    D’où éclattoit    [19, C]

285    éclattoit (…) des foudres    éclattoient (…) des foudres    [19]

298    miseres !    misere !    [19]

299    vents     vents,     [20]

301    naufrage     naufrage,     [20]

302    nous à jettez    nous a jettez    [20]

304    Cipre    Cypre    [20]

305    corsaire.     corsaire ?     [20]

306    distraire    distraire,     [20]

313    ou l’ardeur    où l’ardeur    [20]

327    repos     repos,     [21]

331    satisfaits     satisfaits,     [22]

347    a demeurer icy    à demeurer icy    [23]

350    At-elle    A-t-elle    [23]

350    attraits.     attraits ?     [23]

357    colore     colore,     [24]

358    plus beau    plus beaux     [24]

373    ou l’amour    où l’amour    [25, D]

380    nouveau     nouveau,     [25]

381    ou les vertus    où les vertus    [25]

382    ou la gloire    où la gloire    [25]

388    Sy ma beauté    Si ma beauté    [26]

396    ou nature    où nature    [26]

405    les Cythes    les Scythes    [27]

416    a dompter    à dompter    [28]

416    cheval.     cheval,     [28]

417    ou l’on veut    où l’on veut    [28]

418    ou tousjours    où tousjours    [28]

419    ou reluit    où reluit    [28]

433    Ou void-on    Où void-on    [29]

438    une veine    une vaine    [29]

443    Ou ces femmes    Où ces femmes    [30]

453    ou nature    où nature    [30]

456    destours     destours.     [30]

458    Ou l’amitié    Où l’amitié    [31]

481    par des vivantes    par de vivantes    [32]

482    Ne sentirons-nous    Ne sentirions-nous    [32]

525    pensees    pensées    [35, E]

526    amassees    amassées    [35]

533    ou pourroit on    où pourroit on    [35]

540    beautez     beautez.     [36]

571    m’avoient    m’avoit    [38]

600    malheurs.     malheurs,     [39]

601    advantage,     advantage.     [40]

621    route     route,     [41, F]

634    Trebisonde.     Trebisonde,     [41]

680    severité :     severité     [44]

685    l’attire     l’attire,     [44]

690    femme.     femme     [45]

699    vanger ?     vanger.     [45]

742    sa vie,     sa vie ;     [48]

743    Chevalliers ;     Chevalliers,    [48]

745    leur testes    leurs testes    [49, G]

762    force     force.     [49]

778    silence     silence.     [50]

780    ses confusions    ces confusions    [50]

789    eschauffée     eschauffée,     [51]

819    ses diversitez    ces diversitez    [53]

829    peine.     peine ?    [53]

840    cœur     cœur ;     [54]

848    Ses fatales beautez    Ces fatales beautez    [55]

848    ou mon amour    où mon amour    [55]

849    ou ma raison    où ma raison    [55]

869    vacarmes     vacarmes,     [56]

887    vanité ;     vanité,     [57, H]

892    fureur :     fureur,     [57]

894    s’irrite     s’irrite ;     [57]

922    Dame     Dame ;     [59]

923    vos erreur    vos erreurs    [59]

924    antiquité.     antiquité,     [59]

937    à vaincu    a vaincu    [60]

Didascalie    Brus. s’en va.     Bruserbe s’en va    [61]

949    passees    passées    [61]

950    pensees    pensées    [61]

990    à manqué    a manqué    [63]

994    croyés    croyez    [64]

999    pareil.     pareil,     [64]

1000    Soleil,     Soleil.     [64]

1057    nouvelle pensée    nouvelles pensées    [68, I]

1058    passees    passées    [68]

1074    recompense :     recompense,     [69]

1075    desplaisirs,     desplaisirs :     [69]

1097    vous esjouyez vous    vous esjouyssez vous    [70]

1127    puissans     puissans,     [72]

1133    outragee    outragée    [72]

1143    destin ;     destin,     [73, K]

1163    voix ;     voix,     [75]

1164    les Rois,     les Rois ;     [75]

1170    Ou ce corsaire    Où ce corsaire    [76]

1170    memoire.     memoire,     [76]

1178    favorisée     favorisée,     [76]

1241    a demeurée    a demeuré    [80]

1261    donnees    données    [81, L]

1262    destinees    destinées    [81]

1279    horreur ?     horreur,     [82]

1280    fureur,     fureur ?     [82]

1281    Aux bons Dieux    ô bons Dieux    [82]

1286    que face les vents    que facent les vents    [83]

1298    legere ?     legere     [84]

1322    ou me voy-je    où me voy-je    [85]

1378    temple.     temple     [89, M]

1400    malheur ;     malheur,     [91]

1401    Clorisée :     Clorisée.     [91]

1425    des nos armes    de nos armes    [93]

1426    à versé    a versé    [93]

1433    Laissons la     Laissons là    [93]

1481    esperances    esperance    [96]

1514    ou mon destin    où mon destin    [99, N]

1560    pouvoir.     pouvoir,     [102]

1567    D’ou viennent    D’où viennent    [102]

1578    ou ma gloire    où ma gloire    [103]

1593    ses apasts    ces apasts    [103]

1594    à vaincu    a vaincu    [104]

1594    l’esperance     l’esperance,     [104]

1641    injurieux ?     injurieux !     [106, O]

1650    courage     courage,     [106]

1651    image     image,     [106]

1675    inhumaine     inhumaine,     [108]

1717    toutes chose    toute chose    [112]

1720    ou son cœur    où son cœur    [112]

1738    force,     force.     [113, P]

1739    pouvoir.     pouvoir,     [113]

1741    du passe    du passé    [114]

1750    ou mon cœur    où mon cœur    [115]

1765    à ravagé    a ravagé    [115]

1768    odieux     odieux.     [116]

1777    infinie     infinie,     [116]

1778    Monarque de Pire    Monarque d’Epire    [116]

1780    Majesté     Majesté.     [116]

1785    à tousjours receu    a tousjours receu    [117]

1811    rigueur    rigueur,     [118]

1829    esgorgees    esgorgées    [119]

1830    enragees    enragées    [119]

1834    proche de nous    proches de nous    [119]

1841    ou l’ouvrage    où l’ouvrage    [120]

1851    destinees    destinées    [121, Q]

1853    annees    années    [121]

1868    pensees    pensées    [121]

1869    traversees    traversées    [122]

1878    Ou nature    Où nature    [122]

1885    disgrace     disgrace,     [122]

1889    idolastre    idolastre,     [122]

1907    assujetty    assujettie    [123]

1944    humilité.     humilité ?    [125]

1958    offensee    offensée    [126]

1959    pensee    pensée    [126]

1988    ou l’erreur    où l’erreur    [127]

1997    retour :     retour,     [127]

2002    malheur     malheurs,     [128]

2006    reflus     reflus,     [128]

2018    molester     molester.     [129, R]

2040    loups     loups.     [130]

2042    à trouvé    a trouvé    [130]

2045    superbe.     superbe     [131]

2059    Qui va là.     Qui va là ?    [132]

2075    a la captivité    à la captivité     [134]

2077    infideles     infideles.     [134]

2105    destinees    destinées    [136]

2106    annees    années    [136]

2115    ou mon cœur    où mon coeur    [137, S]

2121    graces    grace    [137]

2132    d’es excez    des exces    [138]

2153    vangée.     vangée ?    [140]

2156    s’en est    c’en est    [140]

2177    pensees    pensées    [142]

2189    à manqué    a manqué    [143]

2193    esgarees    esgarées    [143]

2194    separees    separées    [143]

2207    Ou respire    Où respire    [144]

2213    gloire.     gloire,     [145, T]

Didascalie    Fil. se va habiller.     Filamire se va habiller    [145]

2235    Madame.     Madame ?     [146]

2247    Roy.     Roy     [147]

2272    douceur.     douceur     [150]

2288    liberté.     liberté     [151]

2293    quest-ce    qu’est-ce    [152]

2294    grace     grace.     [152]

2313    ma remis    m’a remis    [153, U]

2314    à fleschy    a fleschy    [154]

2315    à si bien mesnagé    a si bien mesnagé    [154]

2330    Qu’à lors    Qu’alors    [155]

2330    a recevoir    à recevoir    [155]

2333    a des malheurs    à des malheurs    [155]

2342    Cypre     Cypre ?     [156]

2342    remede     remede,     [156]

2366    funeste,     funeste.     [158]

LA
FIDELLE
TROMPERIE.
TRAGI-COMÉDIE §

Argument §

[p. III,a] /Filamire, jeune Prince d’Armenie90, voyant le monde arrive en Cypre, où par     le deceds du Roy de ceste isle, il trouve Clorisée jeune Princesse et fille de ce Roy nouvellement couronnée, des beautez et merites* de laquelle Filamire estant extremement passionné, il fit en sa faveur une infinité de belles et genereuses* actions sous le nom de Palmedon Prince de Trebisonde91 ; Clorisée qui estoit fort sollicitée par son peuple de se marier, creut qu’elle n’en pouvoit trouver une occasion plus legitime que par l’alliance de ce Prince qu’elle aymoit ardamment. Leur mariage se traitte tandis que Filamire feint d’en-/ [p. IV] /voyer ses Ambassadeurs en Trebisonde ; Durant ce temps la Royne devient grosse, ce que sçachant Filamire, il se desrobe* d’elle et se retire en Armenie, où en mesme temps on acheve le mariage desja commencé de luy et de Clarinde, Princesse unique de Mede92, dont Clorisée estant advertie et se voyant trompée, conceut un cruel desir de vengence contre Filamire. Le terme de son accouchement venu, elle se delivra d’une fille qu’elle fit nommer Alderine, laquelle devint si belle que sa mere jugea sa beauté capable de la vengence qu’elle desiroit, surquoy s’estant conseillée d’un Prince/ son amy, elle fit fortifier un Chasteau, dans lequel elle logea ceste jeune Princesse, qu’elle pourveut de femmes pour la servir, et n’estoit permis aux hommes d’entrer en ceste maison. Alderine parvenuë en l’aage de douze ans, sa mere fit faire une infinité de ses portraits, qu’elle envoya par toutes les Provinces, avec des patentes portant promesse de donner sa fille et sa Couronne à celuy / [p. V] / qui luy apporteroit la teste de Filamire. Armidore jeune Prince de Phrygie93 et nepveu de Filamire, ayant veu un de ces portraits     devint si passionné de l’amour d’Alderine qu’il resolut de la voir, et d’employer toute son industrie* et son courage au moyen de la posseder94. Il descouvre son secret à Clidame son cousin95 Prince de Natalie96, ils se desrobent* de Phrygie et vont en Cypre ; ils se presentent à Clorisée, Armidore s’estant deguisé en Amazone, et ayant pris le nom de Lucide, se disans Lydiens97 frere et sœur eschapez d’un naufrage. Lucide est donnée par la Royne à sa fille, laquelle a de si fortes inclinations d’amour pour ceste feinte Amazone, qu’elle ne la peut perdre de veuë. Durant leur conversation aussi pure qu’innocente, plusieurs Chevaliers vont à la conqueste du chef* de Filamire, mais sa valeur* les reduit à l’extremité d’apporter le leur à Clorisée, qu’il luy envoye en satisfaction98 du sien99. Lucide fust obligée de combattre deux puissans Roys en deux rencontres, et les ayant vain-/ [p. VI] /cus en presence de Clorisée, ceste Royne voyant que la valeur* de Filamire surmontoit* son dessein, creut que celle de Lucide estoit capable de la venger, et sur ceste opinion elle luy demande deux choses en presence d’Alderine, dont la premiere estoit la teste de Filamire, et l’autre estoit qu’elle luy trancheroit la sienne : ce que Lucide luy promit, pourveu qu’elle luy octroyast un don qu’elle accompliroit apres s’estre aquittée de sa premiere promesse : ce que luy ayant esté accordé par Clorisée elle reçoit commandement de partir le lendemain. La nuit de ce jour Lucide descouvre à Alderine la verité de son sexe et de sa naissance : la Princesse tesmoigne tant de colere et d’offence de ceste nouvelle, qu’elle deffend à Lucide de se trouver jamais en sa presence : Lucide apres mille plaintes part le lendemain avec Clidame, durant leur voyage les deux Roys vaincus par Lucide, se prevalans de son absence viennent ravager la Cypre, assiegeans Clorisée dans sa ville capitalle, reso-/ [p. VII] /lus de ne point donner de paix que par les mariages de l’un avec la mere, et de l’autre avec la fille. Il se donne un assaut de nuict, où la ville estant sur le poinct d’estre prise, Lucide arrive la mesme nuict et satisfaicte de son voyage, secourt si bien Clorisée, que par l’ayde d’un seul Chevalier, ils mettent les ennemis en fuitte, et font les Roys prisonniers ; Et Lucide s’estant retirée en une chambre dans le logis de la Reyne, s’acquitte envers elle de sa premiere promesse : Clorisée luy demandant l’effet de la seconde, Lucide la requiert premier100 de l’accomplissement de la sienne, à quoy la Reyne trouvant de la difficulté, et se croyant deceuë* de Lucide, se veut tuer ; Filamire se trouve vivant, et Clorisée satisfaicte, ils vont voir ensemble Alderine, où Lucide est recogneuë pour Armidore, à qui la Princesse est donnée pour femme : les Roys prisonniers sont mis en liberté ; un Courrier de Mede apporte la nouvelle de la mort de Clarinde : finalement Clorisée et Filamire sont remis ensemble.

ACTEURS101 §

  • ARMIDORE, Prince de Phrygie
  • CLIDAME, Prince de Natalie
  • CLORISEE, Reyne de Cypre
  • DORINE, sa Gouvernante
  • ALDERINE, Princesse de Cypre
  • FLORINDE, sa Confidente
  • TERSANDRE, Lieutenant general de la Reyne
  • ARISTOME, Prince de Crete
  • BRUSERBE, Roy d’Albanie102
  • FILAMON, Roy d’Hyrcanie103
  • FILAMIRE, Roy d’Armenie et de Mede
  • [LUCIDE]
  • AMBASSADEUR des Roys d’Albanie et d’Hyrcanie
  • SENTINELLE, Soldat de Cypre
  • COURRIER de Mede
[p. 1 ; A]

ACTE PREMIER §

SCENE PREMIERE §

[ARMIDORE, puis CLIDAME]

Armidore, seul, tenant un portraict 104d’Alderine.

Image precieux105 de ma vivante aurore,    
Belle feinte d’amour que mon esprit adore,
Rayons de mon Soleil, doux abus* de mes yeux,
Aymables alimens de mes feux* glorieux, [p. 2]
5 Agreable mensonge à mon cœur veritable,
Symbole d’un bel astre à chacun adorable,
Portraict d’une beauté dont les perfections,
Obligent à l’amour toutes les nations :
Beau portraict où je voy tant de cheres delices*,
10 Delices* où mon cœur conçoit mille supplices,
Ombre d’où tant de feux* esclairent mes ennuis*
Qui servent de flambeaux à mes obscures nuits,
Amour, qui vist jamais une telle avanture ?
Ma raison se dissipe aux traicts d’une peinture,
15 Ce portraict mille fois en mon cœur retracé
Veut que dans ses couleurs je demeure insensé* :
Belle image, dy moy, par quels nouveaux miracles
Ceste bouche muette annonce des Oracles,
Et comme ces yeux feints peuvent inanimez106
20 Elancer dans mon cœur tant de traicts* enflammez ?
Il me semble souvent que cet œil me caresse,
Il me rit quelquefois, mais en fin il me blesse.
Tantost il me paroist un éclair amoureux,
Et tantost il me semble un foudre rigoureux. [p. 3]
25 Dans ces opinions je rougis de ma honte    
Et m’estonne* comment une idole107 me dompte :
Mais si tous ces attraits ne sont que des couleurs
Peuvent-ils en mon ame agiter des chaleurs ?108
Si je me perds ainsi pres d’une ombre muable,109
30 Comment pourray-je voir son object veritable ?
Non, je croy que ce corps a quelque sentiment,
Son œil suit mes regards d’un égal mouvement,
Ou l’amour me deçoit* en ceste pourtraiture,110
Ou ce subtil crayon imite la nature.
35 Je fay comme l’enfant qui croit d’apercevoir111
La beauté figurée au revers d’un miroir :
Il regarde derriere le portraict.
Mais je perds comme luy l’agreable figure.
Je crains de ceste erreur un veritable augure
Des obstacles qu’amour presente à mon dessein,
40 Beaux rais* dont les sujets vivent dedans mon sein,
Je veux voir ce Soleil dont vous estes l’idée.
Ma foy* de ce desir tousjours persuadée
S’y promet les faveurs de l’amour et du sort,
Ceste entreprise veut un genereux* effort,
45 Mais voicy tout à point mon fidele Clidame.112 [p. 4]

Clidame

N’esteindrez-vous jamais ceste subtile flame
Dont un esprit trompeur flate vos passions
Et prophane l’honneur de vos perfections ?
Un Prince tel que vous souffrir* une pointure113
50 D’un corps imaginé, d’un amour en peinture :
Faut-il que cet abus* vostre amour poursuivant
Perde vostre jeunesse en des amours de vent ?
La licence souvent met l’erreur en coustume.114

Armidore

Plus vous blasmez mon feu*, de tant plus il s’allume,
55 Il pardonne au desir de vos sens aveuglez
Qui vous font concevoir ces termes dereglez*,
Quelque jour vostre voix que le mespris inspire
Esclatera dans l’air un amoureux martyre,
Lors amour irrité* vous fera ressentir
60 Que nostre cœur ne peut son pouvoir dementir,
Qu’il est inévitable, et que sa douce flame
Fait naistre en s’exaltant les delices* de l’ame,
Vous cognoistrez alors, cher cousin, mais trop tard,
Qu’il blesse avec dessein, et non pas par hazard. [p. 5]

Clidame

65 On fait peur aux enfans de postures contraintes,115
Amour n’a pas pour moy d’assez subtiles feintes.

Armidore

Les apasts* de l’amour ont des charmes* bien forts.

Clidame

L’immortelle vertu surmonte* ses efforts*.

Armidore

On ne void point Amour des vertus se distraire*.

Clidame

70 Embrassez la raison vous verrez le contraire,
Et que tout son pouvoir n’est qu’un déreglement116
Qui n’a de la vertu que l’ombre seulement :
Que semblable au Sorcier pour mieux couvrir ses feintes,
Il se sert des vertus, et des paroles saintes,
75 De mesmes quand l’amour veut pratiquer ses loix,
Il contrefaict le Sainct en sa trompeuse voix, [p. 6]
Et c’est dans cet abus* que se forme le vice.

Armidore

Ce blaspheme merite un éternel supplice,
C’est assez mon cousin.

Clidame

Vostre esprit consulté,
80 Vous trouverez Amour fils de l’oisiveté.

Armidore

Vous estes en courroux.

Clidame

Vos vertus ramassées117,
Vous reprendrez un jour vos premieres pensées,
Et ce masque d’Amour disparoistra soudain.

Armidore

Je croy que vous feignez ce furieux* desdain
85 Pour esprouver* mon cœur sur la pierre de touche.

Clidame

Ce que le mien conçoit s’exale par ma bouche,
Mais puis que ce tourment* vous maistrise absolu,118
Je vous y veux servir, je m’y suis resolu.

Armidore

[p. 7]
Vous me ressuscitez, ha que je vous embrasse.

Clidame

90 Mais je pense aux moyens de forcer ceste place,
D’où par arrest fatal nostre sexe est banny.

Armidore

Sur ce doute important mon esprit est muny
D’un conseil que l’amour industrieux* me donne.

Clidame

Cet obstacle pourtant me travaille* et m’estonne*,
95 Mais sçachons ce conseil esclos de vostre amour,
Si la raison y peut descouvrir quelque jour,
Que vostre bel esprit me le face comprendre.

Armidore

La beauté qui me fist ce voyage entreprendre,
Et pour qui je ressens tant d’amoureux tourment*,
100 Me suggere un moyen pour mon soulagement,
Qui trouvant un support dedans vostre assistance,
Rien à nostre dessein ne fera resistance,
Nos heureuses faveurs jointes à ce conseil,
Je verray les cachots où luit mon beau Soleil,
105 Si par vostre secours le bon-heur me caresse, [p. 8]
Je feray bien tost bréche à ceste forteresse,
Ou plustost j’ouvriray le Ciel ambitieux
Qui recele* à mon cœur son Soleil gracieux :
Amour veut pour guerir ce soucy* qui m’enflame,
110 Que je cache Armidore aux habits d’une Dame.
Il promet à mes yeux qu’en ce déguisement,
Ils sortiront bien tost de leur aveuglement.
Or joignant l’artifice* aux traits de mon visage,
On me prendra pour fille en faveur de mon âge,119
115 Ainsi je forceray cet aymable sejour,
Et verray glorieux l’astre de mon amour.
Mon cousin approuvez ceste belle entreprise.

Clidame

Belle, vrayment qu’amour a finement surprise,
Mais moy que deviendray-je en ce beau changement ?

Armidore

120 Ceste difficulté trouble mon jugement,
Cher amy c’est à vous à surmonter* ce doute.

Clidame

[p. 9 ; B]
Aux affaires d’amour mon esprit ne voit goute,
Ces ruses à la fin descouvrent leur poison.

Armidore

Laissez Amour à part, consultez la raison.

Clidame

125 La raison et l’amour ennemis manifestes
Troubleroient vos desseins d’evenemens funestes,
La raison contrarie à120 ceste passion,
Et l’amour vous emporte à vostre affection.
La raison ne veut pas que l’honneur se déguise,
130 L’Amour d’un faux honneur ses abus* authorise.121
Mais demeurons au terme où122 l’amour vous reduit,
Estant de vos desseins fidellement instruit,
Mon cœur, ma voix, mes yeux, mon bras et mon espée,
Destinez au secours de vostre ame occupée,
135 Sont maintenant tous prests de faire leurs efforts,
Allons voir Alderine au peril de cent morts,
Toutesfois moderons un peu la violence
De ce feu* dont l’effet n’a que trop d’apparence. [p. 10]

Armidore

Je voy bien mon cousin, que vous estes irrité*,
140 Vous blasmez mon dessein contre Amour dépité*,123
Et faites d’une ruse un ombrageux diffame,124
Me voyant revestir des habits d’une femme,
Estant forcé de feindre une condition,
Qui vous semble choquer ma reputation,125
145 Non, non, je franchiray cet amoureux dedale,
Vous sçavez ce que fit Alcide pour Omphale.126
Achiles comme moy ceste feinte esprouva*
Lors que chez Lycomede Ulysses le trouva.127

Clidame

Allons cher compagnon, je meurs d’impatience
150 De vous voir esprouver* ceste belle science :
Allons pourvoir à tout et resoudre comment
Vous vous pourrez servir de cet habillement.128

SCENE DEUXIESME §

[p. 11]
CLORISEE, GOUVERNANTE

Clorisée

Mortel ressouvenir* d’une ame desloyale*
Qui fait pallir l’esclat de ma grandeur Royale,
155 Immortel desespoir qui n’a point de pareil,
Et qui renaist tousjours avec le Soleil,
Severe Filamire, insensible à ma honte,
Dont toutesfois l’amour encores129 me surmonte*,130
Parjure, il est donc vray que l’infidelité
160 S’accorda pour me prendre avec[que]131 ta beauté,
Beauté que j’ay trop veuë aux despens de ma gloire,
Et dont l’excez m’apporte un mal qu’on ne peut croire,
De mesme que le miel pris trop abondamment,
Nuit de trop de douceur et donne du tourment*.
165 Helas ce qui me fut si doucement aymable
Se vist en un moment à mes yeux perissable, [p. 12]
Ainsi qu’en une nuict les plus exquises fleurs
Perdent toute leur gloire avecque leurs odeurs,
Que ma presence fut au besoin* paresseuse
170 De ne pouvoir fuir132 ceste onde perilleuse.
Le prophane abusa des qualitez de Roy
Pour fléchir ma rigueur et pour trahir ma foy*,
Implacable Tyran de qui l’ame est sortie
Des plus affreux rochers de la froide Scythie,133
175 Mais de qui le beau corps me parût autrefois
Le chef-d’œuvre accomply* des plus illustres Rois,
Et que j’adore encor en dépit de ma perte
Dedans sa trahison laschement descouverte,
Prodige, où mon destin me fit voir tant d’apasts*,
180 Apasts* qui receloient* l’object de mon trépas,
Object qui de mon cœur me rendit ennemie,134
N’ayant peu prevenir sa mortelle infamie.
Amour tu le sçay bien, et permets toutesfois
Que ce desloyal* vive au mespris de tes loix.
185 Ce ne fut pas Amour qui blessa Clorisée,
Sans doute une furie135 en Amour déguisée :
Animant mes abus* me fit voir Palmedon,
Ayant mis dans ces yeux ce furieux* brandon136 [p. 13]
Qui presse mon esprit d’une éternelle peine*.
190 Puis-je bien tant souffrir, ha miserable* Reine,
Deux fureurs font en moy deux excez violens,
Le malheur entretient mes amours insolens
Et l’honneur me retient au soin* de la vengeance ;
Amour veut triompher dedans mon inconstance.
195 Et l’honneur irrité* de mes feux* dissolus*
Dispose à se venger mes esprits resolus.
Puis donc qu’à se venger mon courage s’obstine,
Je veux que ce trompeur se perde en ma ruine*.
Mais helas, son bon-heur n’est jamais abatu.

Gouvernante

200 Madame vostre esprit n’est pas seul combatu
De l’infidelité137 de ces ames parjures,
Les Amantes par tout ressentent leurs injures,
Le Soleil ne voit point de malheur si pressant
Qu’en leur desloyauté*, nostre honneur oppressant,138
205 Ny le ciel n’entend point de si piteuses plaintes
Que celles dont nos voix souspirent pour leurs feintes,
Il semble que le sort contre nous dépité* [p. 14]
Favorise l’horreur de leur desloyauté* :
Mais, Madame, les pleurs donnent peu d’alegeance,139
210 Et retardent beaucoup les fruicts de la vengeance.
Grande Reyne suivez doucement vos destins,
Destournez de vos yeux ces outrages mutins :
Reprenez sur le front vostre Royale audace,
Monstrez la face aux pleurs, non les pleurs en la face,
215 Et que140 vostre grand cœur constant comme Royal
Sçait dompter les abus* d’un Prince desloyal*,
Estouffez les regrets au point de leur naissance.

Clorisée

Mes pudiques amours, enfans de l’innocence,
Offrent bien à mon mal un remede pareil,
220 Mais las ! il ne veut point recevoir d’appareil*,
Je suis à me resoudre aussi froide que marbre,
Je neglige ma gloire ainsi qu’on laisse l’arbre
Lors qu’il est despoüillé de fueilles et de fruicts,
En mes estonnemens* mes plaisirs sont destruits,
225 Ainsi ma qualité se relasche indiscrette*,    
Je me sens si confuse en ma douleur secrette [p. 15]
Qu’on m’obligeroit* plus de me laisser mourir,
Qu’on ne me fait de bien me voulant secourir.
J’aperçois une fille en ma Cour incogneuë :
230 Et me semble141 pourtant l’avoir autrefois veuë.
Je sens à son rencontre142 un battement de cœur
Qui ralume dans moy l’amour et le rancœur.
Dieux, qu’est-ce que je voy ! ce port et ceste face,
Ceste douceur, ces yeux, ces gestes, ceste grace,
235 Se rapportent si bien aux traicts de ce trompeur,
Que l’âge seulement en esloigne ma peur.143
J’y perds le jugement.

SCENE TROISIESME §

[CLORISEE, GOUVERNANTE,] ARMIDORE déguisé en Lucide, Amazone144, CLIDAME

Lucide

C’est la Reyne sans doute,
Mon frere le bon-heur assiste nostre route.

Clorisée

[p. 16]
Plus je voy ceste fille et plus je m’esbahis,145
240 Sçachons où vont ces gens, s’ils sont de ce pays.

Gouvernante

Approchez, s’il vous plaist, la Reyne le desire.

Clidame

Grande Reyne où146 la gloire esleve son Empire,
Merveille de la terre, et le Soleil des Roys,
Nostre sort nous reduit aujourd’huy soubs vos loix.

Clorisée

245 Dites moy franchement ce qui vous importune,
Belle, si vous souffrez des coups de la fortune,
Vous trouverez vers moy secours en vos dangers.

Lucide

Madame vous voyez deux jeunes estrangers
Qui viennent d’esprouver* l’effort* de l’inconstance.
250 Nostre desir vouloit luy faire resistance,
Lors que ne voyant plus que des objets de mort,
Un bon astre nous fit aborder vostre port.

Clorisée

[p. 17 ; C]
Sans doute vous parlez de quelque aspre tourmente.147

Clidame

Nul ne la vist jamais comme nous violente.

Clorisée

255 Mes sentimens ont part à vostre affliction*,
Sçachons vostre adventure et vostre nation.

Clidame

Nous sommes Lydiens148, nez d’une illustre race,
Nous estions en chemin pour voyager en Thrace,149
Nos voiles commençoient à recevoir le vent,
260 Alors qu’une150 gallere à nos pas se trouvant,
Nous imprima l’horreur d’une éternelle peine*,
A ma sœur pour l’honneur, à moy pour la cadene.151
Nostre Pilotte ayant descouvert ce vaisseau,
Comme frappé du foudre, est plus tremblant que l’eau,
265 Sçachant qu’il receloit* sa ruïne* evidente,
Quitte le gouvernail, et reçoit l’espouvante.
Nous apperceumes lors un corsaire152 inhumain*, [p. 18]
Orgueilleux sur la poupe un coutelas en main,
Menacer nostre nef d’un horrible carnage ;
270 Mais les yeux de ma sœur retindrent son courage.
Elle voyant fléchir ceste brutalité,
Industrieuse* joinct la voix à sa beauté,
Qui fist comme un éclair esteindre sa colere,
Il falut toutesfois entrer dans la galere,
275 Mais au lieu d’y trouver un cruel ravisseur,
L’amour nous y fist voir des excez de douceur.

Clorisée

Effects prodigieux en un corsaire infame,
Le traict* de la beauté penetre jusqu’à l’ame.

Clidame

Dans le cinquiesme jour, l’orage s’esmouvant*,
280 Estonna* le Nocher*, lors un contraire vent,
Fait qu’au cœur de chacun l’estonnement* s’appreste,
On void par tout s’épandre une forte tempeste,153
Le Soleil s’obscurcir, et les éclairs ardens*,
Furent bien tost suivis de tonnerres grondans,
285 D’où éclattoient par tout des foudres effroyables, [p. 19]
Les plus libres154 alors s’estimoient miserables*.

Clorisée

Que faisoit le corsaire en ceste extremité ?

Clidame

Il jettoit des abbois comme un dogue irrité*,
Quand une fiere155 vague, en forme d’une rouë,
290 Prenant nostre galere à travers de la prouë
Nous couvre entierement.

Clorisée

Que fistes vous alors ?

Clidame

Le corsaire voyant tant de rudes efforts*,
Se jette dans l’esquif au déceu156 de sa trouppe,
Et tandis qu’il coupoit la corde de la pouppe,
295 Nous suivimes ses pas dans ce petit vaisseau,
Croyans de reculer un peu nostre tombeau.
Nous n’eusmes pas plustost delaissé la galere
Qu’elle fut mise à fonds.

Clorisée

Bons Dieux que de misere157 !

Clidame

[p. 20]
Nous roulasmes* trois jours à la mercy des vents,
300 Mais ceste nuict passée autant morts que vivans,
Preparez au peril d’un évident naufrage,
Le sort nous a jettez sur le prochain rivage.

Clorisée

Je rends graces au Ciel de ses douces faveurs
Qui permet que la Cypre arreste vos malheurs.
305 Mais encor, que devint vostre amoureux corsaire ?

Lucide

Madame, son desir ne se pouvant distraire*,
Apres avoir repris ses premiers sentimens
Il me vint retracer ses amoureux tourmens*,
Mais je ne respondis que d’un regard farouche
310 Qui luy fendit le cœur, et luy ferma la bouche :
Et croyant que mon frere empeschoit son dessein,
Le traistre s’avançoit pour luy percer le sein.
Je me jette entre deux où l’ardeur* me transporte,
Et l’espée à la main, luy parle en ceste sorte :
315 Méchant tu ne pouvois d’un meurtrier effort*
Advancer ton amour, ny reculer ta mort. [p. 21]
C’est moy qui dois donner, corsaire miserable*,
A tes feux* dissolus* le sallaire equitable.
Je conjuray mon frere en l’écartant au loin
320 De ne s’émouvoir* point, et me laisser le soin
De traitter ce brigand selon sa perfidie*,
Qui me fit voir bien tost sa flame refroidie,
Et mes coups redoublez le suivans de si prés,
Qu’il vid bien tost changer ces myrthes en cyprés,158
325 Ce colosse abbatu mesure vostre plage.159

Clorisée

Doncques160 ceste beauté possede un tel courage,
Cest estreme travail* demande du repos,
Nous pourrons à loisir achever ce propos.

Fin du premier Acte.

[p. 22]

ACTE SECOND §

SCENE PREMIERE §

CLIDAME, LUCIDE

Clidame

Je voy bien, cher cousin, que la vive* figure
330 A bien plus de pouvoir que n’avoit la peinture,
Vos yeux et vos esprits maintenant satisfaits,
Dans leur contentement en monstrent les effets161.

Lucide

Que ce mot de cousin ne soit plus en usage
De peur de descouvrir nostre feinte au langage162,
335 Et de perdre le bien dont je suis possesseur163 :
Que nos noms desormais soient de frere et de sœur,
Les arbres pour nous nuire ont souvent des oreilles. [p. 23]

Clidame

Vous parlez sagement, et bien quelles merveilles,
Produisent les effets de nostre invention ?

Lucide

340 Tout vient heureusement à mon intention164,
Et vous, quel entretien avez vous de la Reyne ?

Clidame

On ne peut trop priser* la beauté souveraine,
Et n’estoit que165 je fuy l’oysive volupté,
Je vivrois glorieux pres de sa Majesté,
345 Vrayment ceste Princesse a de puissant merite*166,
Mais tousjours mon cœur libre à ce sexe resiste.

Lucide

Si vous faut-il resoudre à demeurer icy167,
Et pour l’amour de moy forcer vostre soucy*,
Pleust au Ciel que vos yeux vissent mon Alderine.

Clidame

350 A-t-elle tant d’attraits ?

Lucide

[p. 24]
Plus cent fois que Cyprine168,
Sa divine beauté qui peut fléchir les Dieux,
Merveille de la terre, et chef-d’œuvre des cieux,
Au jugement d’amour demeure sans exemple,
C’est le plus cher object que le Soleil contemple :
355 Sa face a des appasts* en sa proportion
Qui sont autant de traits de la perfection,
Ses cheveux qui169 l’or pur divinement colore,
Plus beaux que ceux d’Amour ny que ceux de l’Aurore,
Peuvent estre à bon droict mis en comparaison,
360 Aux rais* dont le Soleil enrichit l’orison :
Son beau front où l’honneur releve sa victoire,
Est un Ciel où l’on void deux Iris en leur gloire170,
Augures du beau temps aux pluyes171 de mes yeux,
Formez de deux Soleils pleins d’esclairs radieux,
365 Dont je fay mes miroirs, encores que ma face
Se perde bien souvent dans ceste belle glace,
Sur qui172 deux sourcis noirs tesmoignent un desir [p. 25 ; D]
De faire dueil pour ceux que ses yeux font mourir,
Quand son double corail l’un à l’autre se touche
370 Il forme l’arc d’amour173 figure de sa bouche,
Qui venant à s’ouvrir dessouz son œil riant
Descouvre un beau tresor de perles d’Orient,
Ses jouës174 où l’amour son triomphe prepare,
Sont de pourpre de Tyr, et de marbre de Pare175,
375 Et combien qu’elles176 soient de mesme qualité,
Elles semblent pourtant disputer la beauté ;
Son nez est si parfait qu’il donne à son visage
D’une seconde gloire un second avantage,
L’albastre de son col des graces le tableau177,
380 De ce nouvel Olympe est un Atlas nouveau178,
Son sein où les vertus eslevent leur Empire
Est un throsne d’yvoire où la gloire respire,
Sa belle main, son bras en blancheur nompareil*,
Arresteroient bien mieux la course du Soleil,
385 Que ne fit autresfois la fille de Penée
Lors qu’elle redoubloit sa fuitte infortunée* 179.

Clidame

[p. 26]
Toutes ces beautez sont en vos perfections.

Lucide

Si ma beauté pouvoit fléchir vos passions,
Ce seroit bien punir vostre erreur temeraire.

Clidame

390 Ne vous cognoissant pas, il se pourroit bien faire.

Lucide

J’entens, si vous m’aimiez en l’estat que180 je suis.

Clidame

Amour ne donne pas de si cruels ennuis*.

Lucide

Narcisse devint bien amoureux de soy-mesme.

Clidame

Je tiens que vostre amour n’est gueres moins extreme,
395 Contrainte181 souz un masque182 où l’on ne vous peut voir.

Lucide

Je puis bien esperer où nature a pouvoir.

Clidame

Si Venus autresfois, pour faire voir sa gloire183,
Anima dans ceste isle une image d’yvoire184 185, [p. 27]
Elle peut bien aussi vostre sexe changer
400 Pour punir vostre orgueil, et pour me soulager.

Lucide

Quand vous verray je attaint de l’amoureuse flame ?

Clidame

Mon cousin, ce sera lors que vous serez femme,
Et si je doy un jour aymer une beauté,
Ce ne sera jamais qu’à la necessité,186
405 Les Scythes vont chasser lors que la faim les presse187,
Je veux en ceste sorte user d’une Maistresse.

Lucide

Vous estes obstiné dans ce mépris mocqueur.

Clidame

Je vay trouver la Reyne,

Lucide

Et moy revoir mon cœur188.

SCENE DEUXIESME §

[p. 28]
ALDERINE, FLORINDE [, puis LUCIDE]

Alderine

Mais vous ne dites rien de ma chere Lucide,Elles sont dans le
410 Qui souz tant de beautez a des forces d’Alcide,jardin du Chasteau.
Beautez qu’on ne peut voir que des yeux de l’amour,
Forcent189 l’estonnement* de tous ceux de la Cour :Sejour de Lucide190.
Ceste charmante* voix conjointe à l’harmonie
Qu’elle tire d’un luth que son poulce manie,
415 Sa grace, ses attraicts, aux complimens, au bal,
Son addresse incroyable à dompter un cheval,
Son humeur complaisante191, où l’on veut divertie192,
Son audace où tousjours paroist la modestie193,
Son courage où reluit la generosité,
420 Son cœur bruslant d’amour et de fidelité,
Ces dons, ma grande amie, où l’on void tant de charmes*,
Luy donnent les honneurs des beautez et des armes. [ 29]
Que je dois bien aymer l’astre de mon destin,
Qui me fait posseder un si riche butin,
425 Les souspirs que son cœur pour mon amour respire,
Joignent à ma grandeur un glorieux Empire194.

Florinde

Ces amours sans espoir se tournent en fureurs*,
Et ne laissent en fin que des cris et des pleurs.
Un amour legitime apres la patience,
430 Attend de ses labeurs l’heureuse recompence,
Mais nature manquant à ceste passion,
Elle ne peut donner que de l’affliction*.
Où void-on une Dame aymer une autre Dame ?195
Ce penser seulement ne peut toucher mon ame,
435 Toutes choses s’opposent à de telles amours.
La biche ayme son cerf, et l’ourse ayme son ours,
Tout suit l’ordre estably des soins196 de la nature,
Lucide seule suit une vaine imposture,
Une flame incogneuë au sentiment humain, [p. 30]
440 La fille de Cyane ayma bien son Germain,
Semyramys son fils, et Myrre ayma son pere,197
Ces amours diffamez* d’éternel vitupere198,
Où ces femmes perdoient l’honneur pour le plaisir,
Sentoient199 pourtant l’espoir seconder leur desir,
445 Mais encor que Lucide en sa flame aveuglée,
Ne monstre point d’effets d’une amour déreglée*,
Plus elle vous fait voir ses esprits enflammez,
Tant plus ses fols desirs deviennent affamez :
Rien ne peut amortir ceste braise fatale,
450 Que les traits* de la mort200, l’industrieux* Dedale,
Qui soulagea Pasiphe en ses sales tourmens* 201,
Separeroit plustost le corps des élemens* 202,
Que de forcer l’amour où nature est contraire203,
Ainsi Lucide doit de l’abus* se distraire*.

Alderine

455 Mamie204 je ne puis comprendre vos discours ;
Ce Dedale a pour moy de trop fascheux destours205.
Si donc un bel esprit rencontre du merite*
Où l’amitié l’attire, il faut qu’il s’en irrite*, [p. 31]
Florinde vous pouvez en dire autant de moy,
460 Car Lucide m’attache à ceste mesme loy.
Je cheris ses vertus à l’égal de ma vie,
Son amour et le mien ont une mesme envie,
Et son cœur est du mien l’agreable moitié.

Florinde

On distingue l’amour d’avecque l’amitié,
465 Mais ceste passion dont la fureur* l’embrase,
L’emporte à tout moment dans un mortel extase*.206

Alderine

Je n’ay point encor veu ces estranges excez.

Florinde

Elle feint devant vous le fiel de ses accez207.

Alderine

Non, non, ce qu’elle fait n’est que par complaisance208.

Florinde

470 Madame, s’il vous plaist, feindre un jour une absence,
Et vous cacher en lieu d’où vous nous puissiez voir,
Vous direz que l’amour excede* son pouvoir. [p. 32]

Alderine

Ma Florinde esprouvons* un jour ceste adventure.

Florinde

Vous verrez un amour d’une estrange nature,
475 Tout arrosé de pleurs, et bruslé de souspirs.

Alderine

Mais pourquoy blasmez vous ces aymables desirs ?
Il semble qu’à dessein vous dressiez des parties209
Pour troubler les secrets des belles simpaties.
Si l’aymant, et le fer, par de mesmes efforts*
480 Collent en s’approchans leurs insensibles210 corps,
Pourquoy Lucide et moy par de vivantes forces
Ne sentirions-nous point d’amoureuses amorces* ?
Le foudre en sa fureur* espargne le laurier,
Et la vigne cherit l’ombre de l’olivier,
485 Pourquoy, blasmer Lucide, et trouver tant estrange
Que sa sainte amitié à la mienne se range ?
Mais la voicy venir. Mon cœur d’où venez-vous ? [ 33 ; E]
Vostre absence desja me mettoit en courroux,
Qui vous a si long-temps soustraite à ma presence ?

Lucide

490 Madame, j’ay souffert cent morts en vostre absence,
Mais mon frere importun ne me pouvoit quitter,
Et pour nous separer je l’ay fait depiter*.

Alderine

De mesme, mon soucy211, lors que vostre œil me quitte,
Mon esprit aussi tost de regret se dépite*,
495 Et semble que mes yeux abandonnent le jour,
Ou bien que le Soleil laisse nostre sejour.
Quand je ne vous puis voir mon ame se ravale212,
Ma paupiere se ferme, et mon teint devient pasle,
Ne pouvant plus rien voir, je me perds au sommeil,
500 Et comme le soucy* j’attens le beau Soleil.

Lucide

[p. 34]
Madame, quand le sort de vos yeux me separe,
La mort en mesme temps de mon ame s’empare,
Je me brusle en ma crainte, et me noye en mes pleurs,
Je sens de tous costez de nouvelles douleurs,
505 Je parle à vos beautez que je vois en images,
Et dis en ceste sorte, ô celestes ouvrages,
Miracles que ma foy* peut seule concevoir,
Tant de perfections me veulent decevoir*,
Et ce ressouvenir* aliment de mon ame
510 En cet excez d’ardeur* se redouble et s’enflame,
Me retraçant l’object de vos divinitez,
Lors mon ame s’envole au ciel de vos beautez.
Je ne puis recognoistre en ce desordre extréme
Si ce n’est qu’un extase*, ou si c’est la mort mesme,
515 Mais que ce soit la mort, ou le ravissement213,
Je ne puis supporter ce triste esloignement214.

Alderine

Lucide, je ne suis, vous absente qu’un ombre,215
Dedans ce desplaisir j’ay des peines* sans nombre,
On compteroit plustost les roses du printemps, [p. 35]
520 Que mes tristes ennuis* lors que je vous attens.

Lucide

Madame, vos faveurs m’imposent le silence,
La gloire me caresse avec[que] violence,
Mais vostre soin* ayant si peu de fondement,
Sçachant bien mes deffauts, je crains le changement216.
525 Mille confusions estonnent* mes pensées.
Toutes les dignitez en vous seule amassées,
Menacent mon orgueil et ma temerité,
Je redoute l’esclat de ma felicité.
Je sens en mon erreur que mon ame s’oublie,
530 Mais, helas ! ceste loy sur mes sens establie,
Me force doucement d’adorer ma prison,
Et cherissant mon mal je fuy ma guerison.

Florinde

Mais où pourroit on voir des flames plus ardentes*,
Peut-on mieux exprimer des amours violentes ?
535 Quel Amant pour sa Dame a jamais tant souffert ?
Qui sur l’autel d’amour a jamais tant offert ?
Pleust aux Dieux maintenant que Lucide fust homme, [ 36]
J’estimerois beaucoup l’amour qui la consomme*,
Un Prince possedant ces belles qualitez,
540 Pourroit lors à bon droict adorer vos beautez217.

Alderine

Je cognois à ce coup que vous estes charmée*,
Aux despens de ma gloire, et de ma renommée,
J’aymerois mieux souffrir* un rigoureux tourment*
Que de voir en Lucide un pareil changement :
545 Florinde en ce souhait vous estes inhumaine*,
Rien que sa seule mort n’appaiseroit la Reine218,
Je croy que son honneur recusa vos desirs219.

Lucide

Madame, mon esprit n’agit qu’en vos plaisirs.

Alderine

Ma Lucide, rentrons, je vous veux faire entendre
550 Un air qu’en vostre absence, Amour m’a faict apprendre :
Allons nous rafraichir dans les ombres du bois,
Je veux joindre à mon luth une divine voix220.

SCENE TROISIESME §

[p. 37]
CLORISEE, ARISTOME, CLIDAME, TERSANDRE

Clorisée

Me faut-il donc souffrir* une peine* infinie,
Je doute, mon cousin*, que le Roy d’Albanie221
555 Soit un fascheux presage à mes afflictions*,
J’en ressens trop avant les apprehensions,
Il est vray qu’un cœur foible en redoutant l’augure,
Fait d’un petit prodige une grande figure ;
Si ce Prince estranger favorisé du sort,222
560 A vengé mes malheurs, je ne crains plus la mort.
Helas ! je ne croy pas que ce bon-heur m’arrive,
Celuy de Palmedon me tient tousjours craintive.
Demeurez en ce lieu pour recevoir ce Roy,
Sa venuë223 m’afflige*, et me met hors de moy.
565 Mais, que veut maintenant ce Chevalier estrange* ? [p. 38]

Aristome

Princesse dont chacun celebre la loüange,
Et souz qui224 le sort m’a fatalement soumis,
Je me viens acquitter de ce que j’ay promis.
L’inestimable prix des beautez d’Alderine,
570 Dont les feux* immortels embrazent ma poitrine,
D’éternelles ardeurs*, m’avoit225 fait concevoir
Un honneur dont l’attente excede* mon pouvoir.
Vostre peine*, Madame, est un mal sans remede,
S’il faut pour le guerir vaincre le Roy de Mede.
575 Sa valeur* que j’égale à voz belles vertus,226
Ravit* d’estonnement* ceux qu’il a combatus.227
Ce Soleil de la paix, ce foudre de la guerre,
Autant aymé du Ciel qu’il est craint en la terre,
Tesmoigne tant d’adresse aux plus rudes combats
580 Que la mort n’est sinon l’object de ses esbats* ,228
Je l’ay veu triompher du Prince d’Hyrcanie,
Dont Mars mesme estimoit la valeur* infinie, [p. 39]
Avec[que] plus d’effort et moins d’estonnement*,
Que ne fait un lyon d’un chevreul seulement.
585 Ce combat fut fondé dessus vostre querelle,
Dont la cause si juste et l’attente si belle
Esmouvent* l’univers au soing* de vous servir ;
Ce dessein genereux* me vint aussi ravir*
Du desir de cueillir des fruicts de ceste gloire,
590 Mais au lieu d’approcher du but de la victoire,
J’en ay perdu l’espoir avec ma liberté,
Et ne suis plus vivant que dans vostre bonté,
Filamire en ma grace achevant sa conqueste,
Met en vostre pouvoir ma fortune et ma teste.
595 Exercez sur ma vie un effect* souverain,
Je mourray glorieux, mourant de vostre main,
Grande Reyne en cecy j’aquitte ma promesse.

Clorisée

Faut-il que ce trompeur me travaille* sans cesse ?
Ne verray-je jamais relascher mes douleurs ?
600 Ce monstre de fortune, autheur de mes malheurs,
Reçoit de mes travaux* un second advantage. [p. 40]
Le soin* de ma vengeance augmente son courage.
Encores le destin, pour me plus outrager,
Permet à ce cruel de pouvoir m’obliger*.
605 Le ciel veut en ma cause exercer l’injustice.
Dieux, vous ne voyez pas l’horreur de mon supplice,
Ou bien vous redoutez le bon heur de ce Roy,
Achevez par ma mort vos rigueurs dessus moy.
Injuste Ciel, vos loix ne sont rien qu’un fantosme.
610 Suivez un meilleur sort, genereux* Aristome,
Puisque vous n’avez peu soulager ma douleur,
J’en accuse le Ciel, et non vostre valeur*.
La Reine s’en va d’un costé et Aristome de l’autre.

Clidame

Monsieur, je ne sçaurois fonder qu’avec[que] peine,
Tant de divers effects en l’esprit de la Reine,
615 Ny quel soucy* la vient maintenant affliger*,
Si douteuse* à l’abord de ce Prince estranger,
Et comme229 elle retient la Princesse recluse,
Ma croyance est icy diversement confuse,
Mais j’ay peur de paroistre en mon soin* indiscret, [p. 41 ; F]
620 Voulant trop curieux profonder* ce secret.

Tersandre

Vostre desir conçoit une fascheuse route,
Je vous veux toutesfois retirer de ce doute.
Monsieur, la Reyne fut si parfaite autrefois,
Qu’on ne peut dignement l’exprimer par la voix ;
625 Ses qualitez estoient conjointes à la grace,
Les beautez de l’esprit à celles de la face,
Son pouvoir composé d’audace et de douceur,
Des plus puissans esprits fut tousjours possesseur.
On disoit en voyant ses merites* extrémes,
630 Qu’en eux les dons du Ciel se surmontoient* eux mesmes,
Et qu’il avoit formé ceste rare beauté,
Pour rompre les decrets de la fatalité.
Un jeune Chevalier courant alors le monde,
Se feignant à230 chacun Prince de Trebisonde,231
635 Mortel ressouvenir* ! voulant voir ceste Cour,
Fut pris par ses beautez dans les filets d’Amour. [p. 42]
La Reyne dont le cœur estoit encor de glace,
Vid bien qu’Amour vouloit occuper ceste place,
Et se sentit en fin blessée d’un coup fatal
640 Par le traict* dont ses yeux avoient fait tant de mal.
Elle que nous avions long-temps importunée
De recevoir les fleurs d’un heureux Hymenée*,
Pour nous donner les fruicts de son contentement,
Creut alors que ce Prince en seroit l’argument,
645 Le voyant accomply* de vertus nompareilles*,
Tandis que son esprit consultoit ses merveilles :
Luy qui vouloit sortir de sa captivité,
Disposoit son Amour à l’infidelité.
L’artifice* du corps joinct aux charmes* de l’ame,
650 Rendus égallement complices de sa trame*,
Font perte de l’honneur en ce traistre devoir,
Pour gaigner sur la Reyne un amoureux pouvoir.
Ainsi ce desloyal* triompha de sa couche.
Apres mille sermens arrachez de232 sa bouche, [p. 43]
655 Ce fatal mariage arresta nos desirs,
Et nos soings* plus233 cuisans* tournerent en plaisirs.
La Cypre en ses esbats* devint démesurée,
Mais, las ! son passe-temps ne fut pas de durée,
Car ce Prince à nos maux fierement resolu,
660 Apres avoir esteint son amour dissolu*,
Feignant qu’en Trebisonde un affaire234 le presse,
Abandonne au malheur nostre triste Princesse.
A ce coup sa prudence à peine se contient,
Elle voudroit mourir : mais elle se retient
665 Dans le ressentiment* d’un desirable gage235,
Dont Lucine236 voulut adoucir son courage,
Bref, les mois accomplis elle fit voir au jour
Une fille qu’on croid plus belle que l’Amour.
Beauté qu’un mauvais sort garde pour recompence,
670 De celuy dont la Reyne espere la vengeance.
Vengeance qui ne peut par serment solemnel
Se tirer d’autre part que du sang paternel :
Ceste Princesse en fin, pour appaiser sa mere,
Se reserve pour prix du meurtre de son pere,
675 Et c’est là le sujet qui la faict receler*, [p. 44]
De peur que quelque Prince en luy voulant parler,
Ne destourne le coup de ce cruel carnage.237

Clidame

Que ceste grande Reyne ait receu tant d’outrage !
Sans doute son esprit, justement irrité*,
680 Fait voir avec raison ceste severité
Contre le fier autheur de ceste tyrannie.

Tersandre

Elle craint maintenant que le Roy d’Albanie
Luy vienne presenter le chef* de ce trompeur,
Quoy que son cœur le vueille, elle en a tousjours peur,
685 Car encor que l’affront à se vanger l’attire,
Elle ressent tousjours son amoureux martyre.

Clidame

Mais, quel est ce parjure, et qu’est-il devenu ?

Tersandre

C’est icy le grand mal qui nous est advenu,
Mal qui ne se pouvoit commettre plus infame,
690 La Princesse de Mede est maintenant sa femme [p. 45]
Aux yeux de nostre Reyne.

Clidame

Ha Prince desloyal*.
Prince indigne du jour comme du sang Royal.
Je verray quelque jour ton injure punie.

Tersandre

Il regit aujourd’huy la Mede et l’Armenie.
695 Son nom est Filamire, et dans son abandon238
Il avoit usurpé celuy de Palmedon.

Clidame

Quand ce Prince inhumain* auroit toute la terre,
Il ne peut éviter un foudroyant tonnerre.239

Tersandre

On ne peut empescher les Dieux de se vanger.
700 Mais allons au devant de ce Prince estranger240.

Fin du second Acte.

[p. 46]

ACTE TROISIESME §

SCENE PREMIERE241 §

BRUSERBE Roy d’Albanie, CLORISEE [, GOUVERNANTE242, puis LUCIDE, FILAMON, TERSANDRE]

Bruserbe

L’injurieux mespris que ce Prince respire,
Qui ternit vostre gloire, et trouble vostre Empire,
Esmeut* en mon esprit de si justes tourmens*
Que je ne puis avoir de plus forts sentimens.
705 Je meurs de vous vanger, le bien de ma Province    
Ne me touche pas tant que l’orgueil de ce Prince,
L’honneur et la vertu blessez de243 vos regrets, [p. 47]
Portent mes bons desirs dedans vos interests.
Mais le mien244 qui n’agist que par vostre excellence,
710 S’anime à ce devoir avecque violence,
Il ne me reste plus que vostre authorité
Pour combattre ce Roy sur sa legereté,
Glorieux d’employer en ceste belle envie*
Mon sceptre, mon honneur, mon courage et ma vie.

Clorisée

715 Monsieur, vostre venuë avoit desja flatté
D’un espoir attendu mon esprit agité* :
Vostre unique valeur* à ma Cypre cogneuë,
Commençoit d’adoucir ma crainte retenuë,
Et m’asseurois de voir aujourd’huy dans vos mains
720 Ce chef* qui doit finir mes tourmens* inhumains* ;
Or puis que vostre cœur aspire à ceste gloire,
Et qu’en cecy le mien attend vostre victoire,
Vous n’avez plus besoin en ce juste vouloir
Que de vostre prudence, et non de mon pouvoir,
725 Ma couronne et ma fille, estans la recompence [p. 48]
Du glorieux vainqueur le reste me dispence,
J’implore toutesfois les astres irritez*
De joindre ceste grace à vos prosperitez,
Que par vostre valeur* le Ciel vangeur admire
730 Sa justice, et mon droict, au sang de Filamire.245
Je sçay que l’univers cognoist bien vos vertus,
Mais mes pensers tousjours de crainte combatus
Me font apprehender quelque mauvais presage,
Qui vient de mon malheur, non de vostre courage :
735 Car comme le cristal qu’on void plus eclattant
Se trouve plus fragile et le moins resistant,
Je crains que vostre effort ne reçoive une injure
Du bon heur éternel de ce Prince parjure.
Ce superbe* guerrier au fort de ses combats,
740 J’entends de ceux qui sont fondez sur mes debats246,
Sçait si bien mesurer sa force à son envie*
Qu’il demeure vainqueur en conservant sa vie ;
Pardonnez-moy, Monsieur, desja cinq Chevalliers, 
Que l’honneur immortel a couvert de lauriers, [p. 49 ; G]
745 Vaincus de247 ce cruel, m’ont apporté leurs testes,248
Et semble que le Ciel approuve ses conquestes.

    Bruserbe

Vous le nommez cruel en le favorisant,
Il semble que l’amour vostre flame attisant,
Vous figure tousjours ce Roy dans les merveilles
750 Dont il souloit* charmer* vos yeux et vos oreilles.
Vos apprehensions ont bien quelque couleur,
Sçachant que Filamire a beaucoup de valeur*,
Mais je crains que ce feu* que vostre cœur adore,
Apres beaucoup de mal en fin ne vous devore.
755 Je croyois que vostre ame en ce Royal effort,
N’eust pour cest ennemy que des objects de mort,
Et que vostre pitié justement refroidie,
Fust changée en fureur* contre sa perfidie*,
Puis que continuant son infame delict,
760 Un second mariage occupe vostre lict.
Cest là que vous devriez repousser ceste amorce*
Qui veut obstinement accabler vostre force.
Grande Reyne rentrez au ciel de la raison, [p. 50]
Et que vostre grand cœur quitte ceste prison,
765 Où vos riches desseins trouvent de l’indigence.
Vostre gloire consiste au poinct de la vengeance,
Et la mienne, Madame, en vos perfections ;
Recevez donc mes voeuz et mes affections,
Acceptez ceste foy* que mon cœur vous reserve,
770 Permettez qu’en souffrant je vous ayme et vous serve,
Vos merites* alors triomphans de l’oubly,
Ne reverront jamais leur pouvoir affoibly,
Et mes feux* retenus du249 frein de mes services,
Triompheront aussi de vos cheres delices*.

Clorisée

775 Roy d’Epire sçachez que vos fascheux propos,
Ou vrais, ou déguisez, offensent mon repos,
Et n’estoit vostre rang que ma raison balance,250
Je ne vous respondrois qu’avec[que] le silence.
Des vains desirs mouvans vos persuasions,251
780 Vous font precipiter dans ces confusions,
Mais au desir on doit sagement se contraindre,
Et quitter le sujet où252 l’on ne peut atteindre,
Vostre discours d’amour ne peut que m’offenser, [p. 51]
Et ne vous peut non plus reculer qu’avancer.
785 Je vous ay desja dit que ma fille et mon sceptre,
En sont la recompense, et que je ne puis l’estre,
Mon mal veut la vengeance, et non pas le conseil,
La mort, et non l’amour, en sera l’appareil*,
Si vostre ame se sent de la gloire eschauffée,253
790 Ma justice luy peut eriger un trophée,
Mais si vostre dessein se forme en mon amour,
Ma mort se formera dedans vostre retour,
Mort que je trouveray cent fois plus agreable,
Que de vivre infidelle à ce Prince coupable.
795 Son infidelité ne me peut obliger
A rompre mes desseins, mais bien à me venger,
J’en suis là resoluë, une pudique Dame
Ne doit jamais brusler d’une seconde flame,
Ny le contentement, ny les afflictions*
800 Ne doivent rien changer en ses affections.
L’or s’esprouve* au creuset, mon amour aux miseres
Et ma foy* se redouble aux peines* plus ameres.

Bruserbe

[p. 52]
Mais c’est contre soy-mesme user de cruauté,
D’aymer254 un desloyal* en sa desloyauté*.

Clorisée

805 Qu’il soit perfide* ou non, son humeur desloyale*
Ne doit servir d’exemple à ma grandeur Royale,
Comme un Dauphin s’esgaye au courroux de la mer,
Qu’un aigle s’esjouït* aux orages de l’air,
Qu’une palme pressée en sa charge255 subsiste,
810 Que l’honneur à l’injure ouvertement resiste,
De mesme aux accidens que produit mon malheur,
Ma constance et ma foy* maistrisent ma douleur.

Bruserbe

Aymer un inconstant, c’est blesser la constance.

Clorisée

La foy* fille du Ciel soustient ma resistance.

Bruserbe

815 La foy* se desoblige apres le changement.256

Clorisée

[p. 53]
Ouy dans un foible esprit frappé d’aveuglement.

Bruserbe

Vostre fidelité vient d’une ame aveuglée.

Clorisée

Mais vostre opinion d’une ame déreglée*.

Bruserbe

Mon jugement s’esgare en ces diversitez,
820 Que vous aymiez celuy que vous persecutez.

Clorisée

Comme espoux je luy dois un amour veritable,
Et comme desloyal*, une mort miserable*.
On ne peut separer ces deux extremitez,
Son abus* ne peut rien contre mes volontez.
825 On me conteste en vain de voix et de pensée,
J’ayme le traict* mortel dont je suis traversée,
Je ne puis supporter vos repars257 odieux,
Ce Prince m’est plus cher mille fois que mes yeux.

Bruserbe

Laissez-vous sans espoir mon amoureuse peine* ?

Clorisée

[p. 54]
830 Je ne puis escouter ceste parole vaine.

Bruserbe

Comment vostre pitié neglige ma douleur ?

Clorisée

La Scythie plustost bruslera de chaleur,258
Que mon humeur jamais à vostre amour incline.
Je sçay qu’une rivalle259 à me perdre s’obstine,
835 Je sçay que je ne dois rien attendre des Dieux,
Je sçay que mes desirs leur sont tous odieux,
Mais comme on void sortir à travers les orages
Les éclairs plus brillans260 des plus obscurs nuages,
De mesme les desdains de ce Prince trompeur,
840 Font voir ma foy* plus claire aux tourmens* de mon cœur ;
Que donc vostre dessein loin de moy se transporte,
Tant qu’il vivra pour moy, je seray tousjours morte.

Bruserbe

Voyez comme ce foudre a suivy son esclair,
Son refus insolent ne peut estre plus clair. [p. 55]
845 Ha Reine impitoyable, autant fiere que belle,
Qui preferez à moy cet Amant infidelle,
Qui joignez pour me perdre aux forces de l’esprit,
Ces fatales beautez où mon amour s’esprit,
Beautez, où ma raison se trouve si confuse,
850 Mais si faut-il en fin que je me desabuse.261
Les Dieux me vengeront de ton cœur obstiné.
Non, mon amour qui fut par le Ciel destiné,
Ne se peut revoquer qu’au peril de ma vie,
Aussi la veux-je perdre en ta mortelle envie*.
855 Et puis que ton humeur m’instruit à me venger,
Je me veux en ce poinct comme toy soulager.
Ingrate, c’est icy que je me veux resoudre ;
Il faut que ton dédain face esclatter un foudre.

Clorisée

Va barbare orgueilleux, va temeraire Roy,
Lucide sort262 au bruit de la Reyne.
860 Tu veux injurieux m’imposer une loy
Contre le seul objet que mon esprit admire.
Sçaches que si l’amour que j’ay pour Filamire,
Ny le soin* de venger ses infidelitez,
Ny le desir de voir mes jours precipitez, [p. 56]
865 N’ont peu rien pervertir en ma perseverance,
Tes menaces auront beaucoup moins de puissance,
Tes feux* et tes desseins periront dans ta voix,
Et tes desirs mourront avec[que] tes abois.
Acheve de tramer des furieux* vacarmes,
870 Ma chasteté ne peut aprehender263 tes armes.264

    Bruserbe

Le calme de la femme, ainsi que de la mer,
Presage qu’elle veut ses fureurs* escumer,
Vostre sexe, Madame, à ce coup vous dispence
De voir de vos erreurs la juste recompence.

Lucide

875 Nostre sexe a dequoy punir vostre mespris.

Bruserbe

Ouy bien265 en vous servant des armes de Cypris.

Lucide

On vous prendroit alors avec trop d’avantage,
La faveur de l’amour manque à vostre visage,
Mais, s’il plaist à la Reyne, elle verra comment
880 Je sçauray resveiller vostre estourdissement.
Grande Reyne, à ce coup j’implore vostre grace, [p. 57 ; H]
Permettez à mon bras de dompter ceste audace.

Clorisée

Je ne veux pas Lucide, hazarder ce combat.

Bruserbe

Reservez ce courage à l’amoureux esbat*,
885 Je consacre à l’Amour ceste belle poitrine.

Lucide

Si Mars vous favorise aussi peu que Cyprine,266
Vous pourrez bien alors quitter la vanité,
Privé de la valeur*, comme de la beauté.
Non, non, Madame, il faut dompter ceste insolence,
890 Et voir si le courage excuse l’arrogance :
Temeraire reçoy les fruicts de ton erreur.267

Bruserbe

Encores me faut-il éviter sa fureur*,
Car ce sexe indiscret* qui n’a point de limite,
Souvent en se mocquant se déprave et s’irrite* ;
895 En fin vous m’obligez de faire comme vous,
Et forcez mon esprit de se mettre en courroux.

Lucide

[p. 58]
Icy les complimens ne sont point en usage,
Le combat veut l’effect*, et non pas le langage,
Ne feignez point vos coups, et ne m’espargnez pas,
900 De peur qu’en vous mocquant vous trouviez le trespas.

Bruserbe

Je suis doncques contraint par un rencontre268 infame,
De mesurer ma force à celle d’une femme,
Une fille nourrie aux esbats* amoureux,
Triomphe de ma gloire, et me rend malheureux.
905 Son bras apesanty fait sentir plus de forces,
Que ses yeux ne font voir d’amoureuses amorces* ;
Je ne puis plus parer à ces coups redoublez.

Lucide

Quoy, Prince, vos esprits sont-ils desja troublez ?
Sus, sus, relevez-vous,269 je veux bien que la honte
910 Reproche à vostre orgueil qu’une fille vous dompte. [p. 59]

Bruserbe

Fortune rigoureuse, on void bien maintenant,
Que tant plus les humains te vont importunant,
Ils esprouvent* tant moins ton secours favorable,270
En fin je suis vaincu par un sort miserable*.
915 Belle, je ne veux plus vainement contester,
Suivez vostre bon-heur, je n’y puis resister,
Ma valeur* aujourd’huy souz la vostre asservie,271
Vous pouvez à bon droict disposer de ma vie.

Lucide

Mon Prince, la victoire a d’estranges destours,
920 Et ce qu’on s’en promet n’arrive pas tousjours,
Je sçay que le regret qui trouble plus272 vostre ame,
C’est de vous voir soumis au pouvoir d’une Dame ;
Vos erreurs ont produit ceste necessité,
Nostre sexe a paru dedans l’antiquité,
925 Les femmes de Lydie ont de tout temps l’usage
De joindre à la douceur la force et le courage.
Or Monsieur, en usant du pouvoir des vainqueurs, [p. 60]
Je veux pour mettre fin à toutes nos ranqueurs,
Que vous me promettiez, comme fidelle Prince,
930 De n’attenter jamais contre ceste Province,
Et sur tout je vous veux conjurer au surplus
D’honorer nostre Reyne, et ne la troubler plus.

Clorisée

Qu’il ne me parle plus de sa flame amoureuse,
Que je desteste autant qu’il la croid glorieuse.

Lucide

935 Voulez-vous consentir à ces conditions ?

Bruserbe

Tout mon vouloir dépend de vos intentions :
Puis que vostre valeur* a vaincu mon audace,
Quoy que vous m’imposiez, il faut que je le face.
Je jure par nos Dieux de n’irriter* jamais
940 Les desirs de la Reine.

Lucide

Et moy je vous promets
De cherir vos vertus à l’égal de ma vie,
Et si le bon heur veut seconder mon envie, [p. 61]
J’espere de trouver sujet à l’advenir
De ne sortir jamais de vostre souvenir.
Bruserbe s’en va.

Clorisée

945 Lucide, que feray-je, en ces excez d’outrage ?
Mon cœur craint de passer de la peine* à la rage,
Et qu’apres tant de maux, demeurant sans pouvoir,
Mon malheur ne m’emporte, en fin au desespoir.

Lucide

Madame, vos douleurs seront bien tost passées,
950 Le Ciel a des secrets qu’il cache à nos pensées.273
Pardonnez, s’il vous plaist, à ma temerité,
Vous offencez le Ciel et vostre qualité,
Vostre mal est plus grand que je ne l’aprehende,
Mais vos belles vertus, dont la cause est si grande,
955 Se doivent opposer à ses efforts* mutins,
Qui veulent outrageux274 combattre vos destins.
Vous sentirez bien tost vostre ame soulagée,
Et le Ciel permettra que vous serez vangée,275
Grande Reyne, essuyez les larmes de vox yeux.

Clorisée

[p. 62]
960 Que veut ce Chevallier ? son aspect glorieux276
Pourroit à nos souhaits donner quelque presage.

Filamon, Prince d’Hyrcanie

Madame, vous voyez un Prince dont l’usage
Estoit tousjours d’abatre, et non d’estre abatu,
Mais Filamire en fin surmonte* ma vertu.
965 L’aspect malencontreux de quelque mauvais astre,
Et non pas mon deffaut a causé mon desastre ;
Et ce Prince orgueilleux ne m’eust jamais dompté,
Sans un secret malheur de la fatalité,
Son Demon* s’opposant à ma juste victoire,
970 Le fait injustement triompher de ma gloire,
Et son bon-heur voulant me vaincre une autrefois,
Veut aussi que je tombe au pouvoir de vos loix,
Et que je vous demeure obligé de ma vie.

Clorisée

Que peuvent plus sur moy les fureurs* ny l’envie* ?
975 Que peuvent plus sur moy les foudres éclattans ?277
Rien ne peut s’égaller278 aux malheurs que j’attens. [p. 63]
Qu’on ne me parle plus du rang que je possede,
Quand le mal s’irritant* reffuse le remede,
Et que le desespoir surmonte* la raison,
980 L’affligé* ne doit plus chercher de guerison,
La consolation me devient importune :
Chevallier vous pouvez suivre vostre fortune,
Et qui que vous soyez vivez en liberté.

Lucide

Madame surmontez ceste difficulté,
985 Le temps bien mesnagé produit beaucoup de choses :
Les espines tousjours accompagnent les roses.

Clorisée

Je n’ay plus qu’un moyen pour esprouver* le sort.

Lucide

Pleust aux Dieux qu’il se peust achepter de ma mort.

Filamon

La valeur* ne peut rien en ce poinct difficile,
990 Où la mienne a manqué toute autre est inutile.

Lucide

Chevallier, vos propos ont trop de vanité.
Le courage paroist dedans l’humilité, [p. 64]
Vous offencez un Roy, que tout le monde estime,
Et croyez insolent, qu’en commettant ce crime,
995 La Reyne excuse mieux l’abus* de vostre cœur,
Le vaincu doit tousjours estimer son vainqueur,
Lors que l’égalité se trouve en la partie,
Et l’honneur qui m’oblige à ceste repartie,
Veut aussi que j’exalte un Prince sans pareil,
1000 Une comette veut obscurcir le Soleil.
Laissons à part l’erreur avec la difference,
L’effet* se considere, et non pas l’apparence,
Vostre voix orgueilleuse offense insolemment
Un Heros qu’on ne peut cherir trop dignement.

Filamon

1005 Belle, vous traittez mal le Prince d’Hyrcanie.

Lucide

Je ne puis plus souffrir* vostre audace impunie.
Lucide met l’épée à la main.

Clorisée

Mon frere279 pardonnez à ce petit excés,
Nostre sexe est tousjours trop prompt dans ses accés.

Filamon

[p. 65 ; I]
J’excuse aussi l’excez, avec la promptitude.

Lucide

1010 Madame, je ne puis que par l’ingratitude
Laisser ainsi couler ce mespris apparent.
Il faut que le combat vuide ce different.

Filamon

Vous voulez soustenir un Chevallier parjure.

Lucide

La Reyne qui ressent l’outrage de l’injure,
1015 Se sçaura bien vanger du tort qu’elle a receu :
Mais puis qu’en ce dessein vostre esprit s’est deçeu*,
Voyons ce que fera maintenant la fortune.280

Filamon

Que mon malheur est grand, une fille importune
Que mes yeux ne jugeoient capables que d’amour,
1020 Me reduit au peril de ne plus voir le jour.

Lucide

Comment, Prince, avez vous si tost perdu l’audace ?
Doncques vostre valeur* s’estouffe en la menace. [p. 66]
Vostre force ressemble à ces ampoules d’eau,
Qui naissent de la pluye.281

Filamon

Ha ! voicy mon tombeau,
1025 Faut il qu’en eschappant du gouffre de l’envie*
Une femme à ce coup triomphe de ma vie ?
Et que sortant des mains d’un guerrier indompté,
Je reçoive la mort d’une jeune beauté ?
Amour pour me punir est autheur de ses charmes*.

Lucide

1030 Ne blasmez pas Amour, mais accusez vos armes.
La vanité ne peut delaisser vos esprits,
Et vostre voix tousjours se relasche au mespris.
Quand l’ame d’un guerrier est de vent occupée,
Son estourdissement luy desrobe l’espée.
1035 Apprenez desormais de282 devenir plus doux,
Sous ce que le destin ordonnera de vous.
Fortune quelquefois favorise l’audace,
Mais bien souvent l’orgueil luy void changer de face. [p. 67]
Vivez, je vous remets en vostre liberté,
1040 En faveur de la Reyne.

Filamon

Invincible beauté,
Vostre extreme valeur* abregé des miracles,
Vostre prudente voix, merveille des oracles,
Vos justes sentimens et vos perfections,
Fléchissent aujourd’huy toutes mes passions.
1045 Vos vertus en mon cœur erigent un Empire,
Souz lequel l’honneur veut que mon ame respire.
Vostre victoire m’a de delices* charmé*,
Plus heureux de me voir de vos mains desarmé,
Que si le Ciel m’offroit une riche couronne.

Lucide

1050 Je reçois à faveur283 ce qu’un grand Roy me donne.

Clorisée

Mon frere, il me desplaist que contre mon desir,
Vous ayez en ma Cour receu du desplaisir,
Je croy que le repos vous seroit necessaire, [p. 68]
Venez vous rafraischir.

Filamon

J’iray pour vous complaire.284

Clorisée

Elle parle à Tersandre qui estoit accouru au bruict.
1055 Mon cousin*, que ce Roy demeure satisfaict,
Tandis que j’iray voir ce que ma fille faict.
Elle continuë parlant à la Gouvernante.
Mon esprit agité* de nouvelles pensées,285
Perd le resouvenir de ses peines* passées,
Sont-ce des veritez que mon œil vient de voir ?
1060 Ou mon malheur encor me veut-il decevoir* ?
Que Lucide ait vaincu, sans travail* et sans peine*
Deux Princes indomptez ? ô bontez souveraines !
Avanture qui doit estonner* les mortels !
Guerriere à qui je veux eslever des autels !
1065 Si ce que je pretends de ta valeur* arrive,
Je me veux descharger de ma douleur craintive,
Et mettre sur tes bras le faix de mes soucis*,
Dorine, mes travaux* maintenant adoucis,
Je redonne l’espoir à mon ame timide*,
1070 Et conçois du repos aux vertus de Lucide. [p. 69]

Gouvernante

Sans doute sa valeur* vous fera redouter,
De ceux qui desormais vous voudront molester*.

Clorisée

Je sonde plus avant que vostre esprit ne pense,
J’attens de ses effets* la juste recompense,
1075 Que merite l’autheur de tous mes desplaisirs :
Mon espoir desormais s’accorde à mes desirs.
Mon ame qui jadis estoit d’ennuis* atteinte,
Sent à ce coup l’effect d’une douce contrainte,
Qui veut briser les fers de sa captivité,
1080 Et me semble desja de vivre en liberté.
Ces nouveaux sentimens, fleurs de mon esperance,
Me produiront bien tost les fruicts de ma vengeance,
Desja tant de rigueurs qui souloient* m’assaillir,
Se changent en plaisirs qui me font tressaillir,
1085 J’entens de mon genie* une voix favorable,
Qui me dit que le Ciel devenu pitoyable*,
Veut abbatre l’orgueil de ce Prince pervers*
Qui me rend criminelle au cœur de l’univers. [p. 70]

Gouvernante

Madame, vous parlez du Prince d’Armenie,

Clorisée

1090 Je croy de voir bien tost sa malice286 punie,
C’est maintenant qu’il doit trouver son chastiment,
Et lors je recevray la mort alegrement.

Gouvernante

Las ! Madame, quittez ce funeste langage.

Clorisée

Comment ! estes vous donc complice de sa rage ?
1095 Voulez-vous que j’expire en ce mortel sommeil ?
Voulez-vous de ma playe arracher l’appareil* ?
Vous esjouyssez* vous en ma triste adventure ?
Vos delices* sont-ils aux traicts* de ma torture ?
Vous opposerez-vous au bonheur que j’attens ?
1100 Ingrate, laissez-moy, j’ay trop perdu de temps.

Gouvernante

Madame, pardonnez à ma faute innocente,
Vous n’avez pas d’ennuis* que mon cœur ne ressente :
Mais je souffre tousjours une mortelle peur, [p. 71]
Lors que j’entens parler de ce Prince trompeur.
1105 Pleust à Dieu que ma mort vous peust donner sa vie,
Ma foy* seconderoit aujourd’huy mon envie :
Mais puis que la fortune a des termes287 secrets,
Qu’elle ne s’esmeut* point de nos cuisans* regrets,
Que sourde à nos malheurs l’infidelle neglige,
1110 Autant celuy qui rid que celuy qui s’afflige* :
Las ! Madame, je croy que nos intentions
Doivent s’accommoder à ses affections.

Clorisée

La fortune n’est pas en tout temps adversaire.

Gouvernante

Quand elle est en courroux on ne l’en peut distraire*,
1115 Et lors que contre nous elle fait son effort*,
Son pouvoir absolu s’accorde avec le sort,
Ils frappent aussi tost la vertu que le vice,
    Et le Ciel ne peut rien contre ceste injustice.
Vous voyez bien, Madame, en vos propres malheurs
1120 Qu’ils n’espargnent non plus les Roys que les Pasteurs.288 [p. 72]

Clorisée

Que ce mal est sensible à la grandeur Royale.

Gouvernante

Grande Reyne, chacun trouve sa peine* égalle.

Clorisée

Laissons à part le sort, la fortune et leurs loix.
Parlons de ma Lucide, et de ses beaux exploits,
1125 Depuis que je l’ay veuë aussi fiere que belle,
J’ay veu qu’elle pouvoit terminer ma querelle,
Et qu’ayant peu dompter deux guerriers si puissans,
Elle peut soulager mes esprits languissans*.
Je croy que sa valeur* se trouvera capable
1130 De me donner le chef* de ce Prince coupable,
Qui sans crainte des Dieux soüilla mon chaste lict,
Sa mort estouffera son infame delict,
Par la main d’une fille en ma cause outragée,
Et les Dieux permettront que je seray vangée.
1135 Allons y donner ordre, et trouver de ce pas,
L’Amazone qui doit avancer son trépas.

Fin du troisième Acte.

[p. 73 ; K]

ACTE QUATRIESME §

SCENE PREMIERE §

FILAMON, Roy d’Hyrcanie

Les desirs des mortels trouvent plus de ruïnes,
Que la mer n’a d’escueils, et les rosiers d’espines,
On ne cueille les fruicts d’amour ou de l’honneur
1140 Que parmy les hazards, ou dedans le bon-heur,
Le plus sage souvent se deçoit* et s’abuse*,
Et le pouvoir luy sert aussi peu que la ruse.
J’esprouve* à mes despens ce que peut le destin,
Qui fait de mon desastre un glorieux butin.
1145 Que les vanitez ont de charmantes* amorces*,
Pour troubler nos esprits, et pour ravir* nos forces. [p. 74]
Je voulois surmonter* le Soleil des guerriers,
Une fille me dompte et m’oste mes lauriers.
Je vivois en l’amour d’une beauté Divine,
1150 Mais il faut que ce feu* s’esteigne en ma poitrine,
Tous ces ombres sans corps se sont esvanoüis,
Mes sens et ma raison maintenant ébloüis,
Honteux de mes abus* ne se peuvent remettre,
Et crains289 que mon malheur devienne en fin le maistre,
1155 Et qu’au lieu de me voir capable de regir
Un regret éternel me contraigne à rougir.
Si me faut-il trouver relasche à mes tortures,290
Ou qu’une prompte mort borne* mes adventures.

SCENE DEUXIESME §

[p. 75]
CLORISEE, LUCIDE, ALDERINE, [puis FLORINDE,] au logis d’Alderine où les hommes ne conversent291 point.

Clorisée, en sa Majesté

Lucide les vertus ont des charmes* si forts,
1160 Que les plus durs esprits ressentent leurs efforts*,
Le vostre dont j’ay veu de si rares exemples,
Merite qu’en ma Cypre on vous dresse des temples.
On ne peut trop priser* du cœur ny de la voix,
Celles qui comme vous sçavent vaincre les Rois ;
1165 Et depuis que la mer vous jetta sur nos plages,
J’ay mille fois beny les vents et les orages,
Et dit autant de fois qu’un favorable sort
Vous avoit pour mon bien amenée en ce port.
J’ay cent fois retracé ceste belle victoire,
1170 Où ce corsaire vid estouffer sa memoire, [p. 76]
Alors que292 vostre fer luy fit sentir comment
On se doit affranchir* d’un mal-heureux Amant ;
J’ay tousjours estimé ceste gloire oportune,
Comme presage heureux au bien de ma fortune,
1175 Et creu secrettement que quelque jour le temps,
Me conduiroit par vous au but que je pretens.
Mon ame ne peut estre en ce poinct abusée*,
L’espoir qui m’a depuis tousjours favorisée,
Inspirant mes desirs me force doucement
1180 A suivre les progrez de mon ressentiment*.
J’ay depuis mes malheurs sollicité mes larmes,
Maintenant je les laisse, et recours à vos armes ;
Autrefois les soucis* nourrissoient ma douleur,
Sa perte maintenant est en vostre valeur*.
1185 Elle est à mon esprit une vive* figure,
Un fidelle tesmoin, un veritable augure,
Du bon heur qu’il conçoit, et vos derniers combats,
Ont relevé ma gloire, et mis ma crainte à bas.
Lucide, vous sçavez d’où naissent les querelles,
1190 Qui travaillent* mon cœur de guerres immortelles, [p. 77]
Et par qui293 tant de Roys en voulans m’obliger*,
N’ont trouvé que leur honte, au lieu de me vanger.
L’imposteur qui trahit nostre sainct Hymenée*,
D’autant plus qu’il m’a veuë en ma peine* estonnée*,
1195 Je l’ay veu triompher de tous mes desplaisirs,
Mes tourmens* ont tousjours secondé ses desirs,
Et bien que ce trompeur merite cent supplices,
Il semble que les Dieux devenus ses complices,
Veulent en sa faveur destruire les humains,
1200 La victoire tousjours demeure entre ses mains.
Or je croy de passer des espines aux roses,
Pourveu que vostre foy* me promette deux choses :
Mais si vous ne voulez advancer mon trépas,
Si vous me promettez, c’est de ne manquer pas.294
1205 Voyez si ma justice a peu toucher vostre ame.

Lucide

Estant ce que je suis, pardonnez-moy Madame,
Il suffit de m’ouvrir vos moindres sentimens [p. 78]
Pour me faire fléchir souz vos commandemens.
Je prefere leur force au droict de la nature,
1210 Et si je dois un jour suivre quelque adventure,
Ma Reyne, je n’en veux cercher la liberté,
Que dedans la prison de vostre Majesté.

    Clorisée

Je veux que vos sermens m’asseurent vos paroles.

Lucide

Je jure par ses yeux mes glorieux idoles,295
Elle parle des yeux d’Alderine.
1215 Par les feuz immortels de leur douce clarté,
D’où naissent mon courage et ma felicité,
Que quoy que vostre voix souveraine m’impose,
Pourveu que mon trépas à ma foy* ne s’oppose :
De traverser les mers, et de grimper les monts,
1220 D’aller jusqu’aux enfers affronter les Demons*,
Protestant que mon cœur ne vit en ma puissance,296
Que pour mieux respirer dans vostre obeyssance.

Clorisée

[p. 79]
Lucide, c’est assez, je reçoy vos sermens,
Quoy qu’ils ayent297 choisi de foibles fondemens,
1225 Que les yeux de ma fille, et croy298 que leurs lumieres,
Donneroient peu d’esclat à vos forces guerrieres,
Si les astres du sort ne leur estoient amis.
Or ce que vous m’avez si justement promis,
Adorable tresor, et que plus je desire,299
1230 C’est le chef* malheureux du traistre Filamire :
Et que d’un mesme fer vous trancherez le mien,
Aussi tost que vos mains m’auront livré le sien.300
Car comme par sa mort je dois estre vangée,
Il faut par mon trépas que je sois soulagée,
1235 Voulez-vous à cela fidelle consentir ?
Quelque nouveau conseil vous peut-il divertir* ?
Vos esprits au besoin* s’esgarent au silence,
Lucide demeure long-temps les yeux baissez sans respondre.
Qui faict à mon esprit beaucoup de violence,
Ne vous contraignez point par crainte ou par respect,
1240 Si vostre cœur n’est libre il me sera suspect.301

Lucide

[p. 80]
Madame, si ma voix a demeuré contrainte,
C’est plus par le respect que ce n’est pour la crainte,
Mais tant s’en faut qu’il vueille arrester mon devoir,
Qu’il joinct beaucoup de soing* à mon peu de pouvoir,
1245 Et ce respect vous rend en mon ame absoluë.
Je ne me repens point je suis trop resoluë,
Je n’ay point de conseils qu’en vostre volonté ;
Mon silence tesmoin de ma fidelité,
Consulte ma raison de vos desirs esprise,
1250 Pour voir comme302 je dois former ceste entreprise.
Elle songe encore un peu.
J’accepte derechef vos genereux* desseins,
Je prefferay303 pour eux mon courage et mes mains,
Pour avoir, si je puis, le chef* de ce Monarque.

Clorisée

C’est là de mon repos la principale marque,
1255 Mais pour me delivrer tout à fait de soucy*,
Il faut qu’apres sa mort la mienne arrive aussi. [p. 81 ; L]

Lucide

Pourrois-je contre vous devenir inhumaine* ?

Clorisée

Vous le seriez bien mieux, me laissant vivre en peine*.

Lucide

Madame, je veux donc à tout me preparer,
1260 Puis que ce dernier poinct ne se peut separer.
Je ne retranche rien des paroles données ;
Mais si vostre bon droict veut que mes destinées
Vous acquierent ce chef*, qui vous fait tant souffrir,
Que bien tost mon bon-heur espere vous offrir,
1265 Je desire, Madame, apres ceste conqueste
Que vostre Majesté m’accorde une requeste
Avant que d’accomplir vostre dernier propos.304

Clorisée

Pourveu que vos desirs n’offencent mon repos,
Et qu’on ne parle point de me laisser la vie,
1270 Je ne reffuse point l’effet de vostre envie.305

Lucide

[p. 82]
Maintenant mes esprits demeurent satisfaits.

Clorisée

Pourveu que nous venions des discours aux effets*.

Alderine

Quoy ! qu’avez-vous promis, temeraire Lucide ?

Lucide

Ma Princesse, si j’ay vostre faveur pour guide,
1275 Je me promets par tout des glorieux succez.

Alderine

Comment ! que ma faveur vous conduise aux excez,
Qu’un ennemy cruel ne voudroit pas commettre.
Où seroit ma raison ? pourrois-je bien permettre,
Un dessein qu’on ne peut escouter sans horreur,
1280 Qui mesme arresteroit les mains de la fureur* ?
Ô bons Dieux que mon cœur devenu parricide,306
Consente à vos complots, inhumaine* Lucide.
Cruelle, sont-ce là des fruicts de ton amour !
De vouloir meurtrir307 ceux qui m’ont donné le jour ? [p. 83]

Clorisée

1285 Mon repos toutesfois dépend de ce voyage.

Alderine

Quoy que facent les vents, j’y dois faire naufrage,
Et de quelque costé que roulent* les destins,
Je ne puis éviter les outrages mutins.
Les plus cheres douceurs que vostre ame en espere,
1290 C’est vostre mort, Madame, et celle de mon Pere.
Qui pourray-je trouver en vous perdant tous deux ?
Puis-je voir sans mourir, ce combat hazardeux ?
Princesse infortunée* ! ha miserable* fille !
Je nourris un serpent au sein de ma famille.
1295 Quel astre malheureux me fit naistre des Rois !
Pour attacher ma vie à de si dures loix ?
Que je serois contente au degré de Bergere,
Mais quoy, l’on void partout la fortune legere [p. 84]
User de son pouvoir, et de sa volonté :
1300 Sans respect de l’honneur ny de la qualité,
L’infidelle partout exerce sa puissance,
Et tous ses mouvemens sont dans l’indifference.

Clorisée

Ma fille, vous devriez en cela l’imiter,
Sans combattre des vents qu’on ne peut arrester.
1305 Laissez moy les soucis*, et vivez plus contente.

Alderine

Quel plaisir peut produire une mauvaise attente ?
Pourray-je respirer dans le contentement,
Vous trouvant à toute heure attainte de tourment* ?
Madame, je n’ay plus d’esprit ny de lumiere,
1310 Mon corps se veut resoudre en sa forme premiere,308
Je ne sçaurois plus voir vostre mortel courroux,
Estant ce que je suis, sans souffrir comme vous.
Il faut estre cruel au degré de la rage,
Pour voir sans desplaisir le peril du naufrage. [p. 85]
1315 Serois-je si brutale en mon ressentiment*,
De m’esclairer des feux* de nostre embrasement,
Et sçavoir que je suis le prix et le sallaire
Du meurtrier309 de mon pere : ha ! je ne me puis taire,
Madame pardonnez,
Alderine se pasme*.310

Lucide

Elle a perdu la voix.

Clorisée

1320 Je crains que mon dessein en face mourir trois.
Si faut-il achever nostre juste poursuitte.311

Lucide

O miserable* fille, où me voy-je reduite !
Madame, mon Soleil, mon ame, mes amours,
Où estes-vous Florinde ? accourez au secours,
1325 Cruelle, qu’ay-je faict ! que je suis inhumaine* !
Courez, chere compagne, allez à la fontaine,312
Ma Princesse, ma vie, elle respire un peu,
Ses beaux yeux ont encor quelques rayons de feu,
Sa lévre derechef de pourpre se colore,
1330 Son extase* fait honte aux vigueurs de l’aurore. [p. 86]

Florinde

Madame, elle souspire, helas ! que faites-vous ?
Vos regards amoureux s’aigrissent313 contre nous.
Voyez vostre Lucide à vos pieds abbatuë.

Alderine

Justes Dieux ! que je suis de douleur combatuë.
1335 Desloyale* Lucide, ingrate à mon amour.

Lucide

Puis-je ouyr314 ceste plainte, et regarder le jour.

Alderine

Le sujet de ma plainte est trop en evidence.315

Lucide

Que celuy de ma mort a bien plus d’apparence,

Alderine

Il faut bien estre au don que vous avez promis.316

Lucide

1340 Madame, si vos yeux ne me sont ennemis,
Ils me verront cueillir les fruicts d’une victoire,
Qu’un bon-heur éternel prepare à vostre gloire, [p. 87]
Dont je vous veux tantost deposer le secret,
Pourveu que vous quittiez la crainte et le regret.

Alderine

1345 Pourveu que vous quittiez le dessein de la Reyne,
L’esperance et le temps arresteront ma peine*.

Lucide

L’effect de son dessein, ainsi que je l’entens,
Vous fera triompher de l’espoir et du temps.

Florinde

Le temps mal employé ruyne l’esperance,
1350 Quel discours est-ce cy ? bons Dieux, quelle asseurance,
Peut-on voir desormais en l’esprit des humains ?
Alderine et Lucide en viennent presqu’aux mains.
Qu’on ne me parle plus d’amour de Dame à Dame,
C’est un feu* sans chaleur, sans fumée et sans flame.
1355 Amour pour faire voir un fort embrasement, [p. 88]
Et qui resiste à tout, joinct l’Amante à l’Amant :
Ceste union resiste à l’audace importune,
Elle arreste l’orgueil, et brave la fortune,
Sans elle l’univers flotteroit imparfait,
1360 Et la nature vuide auroit bien peu d’effet.317
Alderine rid.

Lucide

Ma compagne a tousjours quelque bon mot à dire.

Florinde

En fin je sçavois bien que je vous ferois rire.

Alderine

R’entrons, je n’en puis plus, il me faut reposer.

Lucide

Apres vostre repos, je vous veux deposer
1365 Un secret que je tiens aussi cher que ma vie.

Florinde

Vos secrets sont bien froids pour donner de l’envie.

SCENE TROISIESME §

[p. 89 ; M]
CLIDAME, TERSANDRE, CLORISEE

Clidame

Que ceste passion estourdit les esprits !
Qu’elle cause de mal à ceux qu’elle a surpris.
Quand ce mauvais desir en nostre ame s’obstine,
1370 Plus on le veut forcer, tant plus il se mutine.
Les autres passions s’estouffent dans le sein,
Alors que la raison condamne leur dessein :
Mais celle qui se forme au soin* de la vengeance,
Croit tousjours qu’elle agit avec[que] negligence.

Tersandre

1375 Le courroux de la mer n’esmeut* pas plus de flots,
Qu’un desir de vangeance a de mauvais complots,
Nostre Reine en cela nous est un fort exemple,
Celle que les vertus avoient prise pour temple
Ne pouvant relever les esprits abatus, [p. 90]
1380 Ruine en se perdant le temple des vertus.
Voyez à quel excez sa rigueur se relasche,
La fureur* la console, et le conseil la fasche,
Sa mortelle douleur ne se peut amortir,
Et rien que318 le desdain ne la peut divertir*.

Clidame

1385 Je crains bien que ma sœur en sente le dommage,
La Reyne devroit mieux mesnager son courage,
Et se la conserver avec[que] plus de soin.

Tersandre

Le sens et la raison luy manquent au besoin*,
Mais quoy ! nous ne pouvons forcer la destinée.

Clidame

1390 La Reyne à se vanger n’est pas plus obstinée,
Que ma sœur l’est à vaincre, et rien que le trépas,
Ne peut dans le combat la reculer d’un pas.
Et c’est là le sujet qui m’afflige* pour elle,
Voyant son malheur peint dedans ceste querelle.

Tersandre

[p. 91]
1395 Je croy bien que les Dieux reservent à ses mains
La gloire d’achever des genereux* desseins :
Mais celuy de dompter un si fort adversaire,
Sans offencer Lucide, est un peu temeraire.
Et quand Mars voudroit mesme assister sa valeur*,
1400 La mort de ce grand Roy seroit nostre malheur,
Ne pouvant arriver sans perdre Clorisée.

Clorisée319

Ma fille de sa peur en fin desabusée,
Consent au juste soin* que j’ay de me vanger,
C’est trop perdre de temps, je le veux abreger,
1405 L’occasion se perd lors qu’elle est negligée.
Mon cousin*, vous sçavez que mon ame affligée*
Ne peut plus retourner à tant de maux soufferts,
Lucide qui la doit delivrer de ses fers,
Prepare pour demain l’appareil* de sa route.

Tersandre

1410 Madame, sur ce fait mon esprit est en doute.

Clorisée

[p. 92]
Et le mien resolu ne cerche point d’advis,
Regardez seulement que les miens soient suivis.

Tersandre

Le mespris du conseil trouve la repentance.

Clorisée

Mon vouloir ne veut point icy de resistance.

Tersandre

1415 Je sçay ce que je dois à vostre Majesté,
Le silence nuiroit à ma fidelité.

Clorisée

Toutesfois en ce poinct mon pouvoir vous l’impose,
Et veux qu’à mon vouloir le vostre se dispose,
Et que laissant aux Dieux mes justes sentimens,
1420 Vous aydiez à guerir mes injustes tourmens*.
Clidame, vous sçavez le secret de ma peine*,
Et comme la fortune à mon cœur inhumaine*,
Se moque de mes cris, et se rid de mes pleurs,
Favorisant un traistre autheur de mes malheurs :
1425 Ma justice a parû souz l’esclat de nos armes, [p. 93]
L’innocence a versé des torrens de nos larmes,
L’air a fait retentir nos souspirs mutuels,
Les Rois pour ma querelle ont esmeu* des duels.
Le ciel voit ma douleur, la terre la contemple,
1430 Et tout rid de mon mal, bien qu’il soit sans exemple.
Tous couvrent de faveur mon cruel ravisseur,
Et je n’ay plus d’espoir qu’au bras de vostre sœur.
Laissons là le conseil, l’artifice*, la ruse,
Ce sont des vanitez que mon ame refuse.
1435 En fin si ce combat ne me soulage point,
Un glorieux trépas sera mon dernier poinct.
Or je veux que demain Lucide face voile,
Si l’aspect insolent d’une mauvaise estoile,
Ne s’oppose au dessein de son sage nocher*.
1440 Clidame, maintenant je trouveray bien cher
Que vous accompagniez Lucide en ce voyage,
Et que vostre prudence assiste son courage.
Vostre valeur* ne peut paroistre en cest effort,
Seule elle doit donner ou recevoir la mort.
1445 Mon genie* flattant mon ame soucieuse*,320 [p. 94]
M’asseure qu’elle doit retourner glorieuse,
Et qu’elle seule doit appaiser mes regrets.

    Clidame

Madame le ciel peut profonder* ces secrets.
Ma sœur disputera l’honneur de la victoire,
1450 Plus pour vostre repos que pour sa propre gloire,
Je l’accompagneray, fasché de ne pouvoir
Vous rendre en ce sujet les fruicts de mon devoir,
Et ce fascheux soucy* me travaille* et m’offence.

Clorisée

J’accepte pour l’effet ceste belle apparence,
1455 Et conserve en mon cœur vostre fidelité,
Dont je tire un rayon de ma felicité.

SCENE QUATRIESME321 §

[p. 95]
ALDERINE, LUCIDE [, puis FLORINDE]

Alderine

Que vos sages pensers promettent des miracles,
Pourveu qu’un mauvais sort n’y mette point d’obstacles.
Non, je croy que le ciel pour finir nos langueurs*,
1460 Veut en vostre faveur appaiser ses rigueurs,
Je ne puis exprimer le bien que je respire,
Vos vertus dont le prix vaut mieux que cest Empire,
Ne peuvent en mon cœur trouver comparaison,
Vos glorieux projets surmontent* ma raison.
1465 Mes jours sont affermis dessus vostre prudence,
Mais je ne puis penser aux nuicts de nostre absence.

Lucide

[p. 96]
Madame, ce seul poinct trouble mes sentimens,
Car ainsi que les corps sont joincts aux élemens,
Mon cœur de vostre esprit se trouve inseparable,
1470 Et sans vous je ne suis qu’une ombre miserable*.
Sans vous je ne voy rien, sans vous je ne vis plus,
Et ma vie et mes yeux me seroient superflus,
Sans le divin objet de vostre belle face.
Mais comme le plaisir succede à la disgrace,
1475 Le calme à la tempeste, et le jour à la nuict,
De mesme apres la peine* on recueille le fruict.

Alderine

Je cultive en mon cœur celuy de ton merite*,
Et bien que ce depart comme toy me dépite*,
Mon esprit se console en l’espoir du retour,
1480 Bruslons donc nos soucis* au feu* de nostre amour.

Lucide

Que ces cheres faveurs me donnent d’esperance !322 

Alderine

Je veux que ce baiser te donne l’asseurance
De ne douter jamais de mes affections, [p. 97 ; N]
Dont la grandeur s’égalle à tes perfections.

Lucide

1485 Madame, reservez de si rares delices*,
Pour payer quelque jour mes fideles services :
L’inestimable prix de vos commandemens,
Ne sont que trop d’apasts* à mes contentemens.
Que ce divin baiser rend mon ame superbe*.323

Alderine

1490 Reçoy encor ces deux, asseons324 nous sur l’herbe,
Et m’ouvre franchement le secret de ton cœur.

Lucide

Elle dit ces vers bas.
Que j’aprehende icy les traicts* de sa rigueur,
Et que pour trop parler j’attire mes desastres.

Alderine

Que dites vous folastre325, avez vous peur des astres ?
1495 Craignez vous maintenant de faire trop de bruit ?
Lucide est quelque temps sans parler.
Le secret est bien cher aux ombres de la nuict.
Vous m’avez fait venir, parlez en asseurance,
Vous demeurez muette, ha ! c’est trop de silence,
Sans doute un repentir me soustraict vostre voix. [p. 98]

Lucide

1500 Ma voix, ny mon esprit n’agissent qu’en vos loix.
Je ne sçay quel Demon* me ravit* la parole,
En la voulant former ma memoire s’envole.
Madame, pardonnez au travail* de mes sens,
Et croyez qu’ils sont moins coulpables qu’innocens.

Alderine

1505 Quoy ! me voulez-vous donc cacher vostre pensée ?

Lucide

Je crains en la disant de paroistre insensée*.

Alderine

Comment, vous croyez donc me pouvoir offencer.

Lucide

Que plustost mille traicts* me viennent traverser,
Que le foudre plustost me reduise en poussiere,
1510 Que mes yeux pour jamais soient privez de lumiere,
Que si du seul penser, non de la volonté, [p. 99]
J’offençois tant soit peu vostre divinité,
Ha ! que je suis confuse, et que je sens de peine*,
Dures necessitez où mon destin me traine,
1515 Que ne puis-je exaler mon tourment* par les yeux.

Alderine

Je ne sçay d’où vous vient ce travail* soucieux*,
Ne326 ce qui peut vers moy vous rendre si confuse,
Ma foy* vous doit servir de franchise et d’excuse,
Si vostre cœur ne veut autrement s’exprimer,
1520 Vous seduisez le mien en feignant de m’aymer.

Lucide

Pourray-je encor souffrir* ceste mortelle atteinte ?

Alderine

Ha ! c’est trop craindre en vain,

Lucide

Je veux affranchir* ma crainte,327
Madame, vous voyez un Prince devant vous.

Alderine

[p. 100]
Que dites-vous ? un Prince.

Lucide

Implorer à genoux
1525 Un pardon que l’Amour cerche en vostre clemence,
Un feu* qu’un Dieu ne peut sentir sans vehemence,
Esmeut* dedans mon ame un si digne tourment*,
Qu’il contraignit mon corps à ce desguisement,
Je suis, je ne suis pas, ô rigoureux martyre !
Il dit ces vers à regret et en tremblant.
1530 Mon nom est Armi, mais las ! le dois-je dire ?328
Ouy, non, si je le dis, je crains, je le diray,
Le diray-je ? il le faut, non feray, si feray.329
Cet habit qui deçeut* vos beaux yeux que j’adore,
N’est que le sauf-conduit du fidel Armidore,
1535 Que vous voyez, Madame, à vos pieds abbatu,
Aussi pur de desirs que d’Amour combatu,
Que si ma faute a peu blesser vostre pensée,
Il faut par mon trépas qu’elle soit effacée,
Ou si je dois encor vivre en vostre mercy, [p. 101]
1540 Je veux bannir de moy la crainte et le soucy*.
Que je voy de courroux en sa face rougie.330
Ma Princesse, voicy le Prince de Phrygie,
Souz l’habit de Lucide, et ce feint appareil,331
Ne força ma raison que pour voir mon Soleil.
1545 Je déguise mon sexe en faveur de vos charmes*,
Aymant mieux employer la ruse que les armes,
Et n’ay voulu paroistre à vos yeux criminel,
Du desir d’attenter sur le sang paternel.332
Voicy le beau portraict, ou plustost cest idole,
1550 Qu’adorent les humains de l’un à l’autre pole,
D’où mon ame conçeut le dessein glorieux
De voir souz cet habit leur objet precieux.
Pardonnez à l’Amour dont l’excez me devore,
S’il vous ravit* Lucide, il vous donne Armidore.

Alderine

1555 Trompeur, tu ne peux plus abuser* mon esprit,
Mon Amour se dissipe, ainsi comme il s’esprit,
Et le feu* que Lucide alluma dans mon ame,
Devient pour Armidore une mortelle flame.
Traistre, va t’en d’icy, je ne te veux plus voir, [p. 102]
1560 Reprens ton amitié, je reprens mon pouvoir,
Pouvoir qui punira bien tost ton insolence.
Les arres333 que pour toy commit mon innocence,
Formeront en ton ame une severe loy,
Va t’en loin de mes yeux n’approche plus de moy.334
Alderine s’en va.

Stances récitées par Lucide335

1565 Quelle furieuse* tempeste
S’esmeut* au calme de ces eaux ?
D’où viennent ces spectres nouveaux,
336 je voy ma mort toute preste ?
Est ce une voix humaine, ou bien celle d’un Dieu
1570 Dont l’esclat m’a voulu dissoudre ?
Non j’ay veu des éclairs, sans doute c’est un foudre,
Qui veut m’accabler en ce lieu.
Où trouveray-je des ombrages [p. 103]
Contre ce foudroyant effort* ?
1575 Je ne puis éviter la mort,
Mes lauriers n’ont plus de fueillages,
Mortel ressouvenir* de ma felicité,
Torture où ma gloire se pasme*,
Le malheur qui me suit veut consommer* mon ame
1580 Au feu de ma temerité.
En quelle fente de la terre
Me cachera mon desespoir ?
Mon Soleil ne me veut plus voir,
Et mon ombre me fait la guerre.
1585 Armidore n’a plus l’usage de la voix,
Lucide n’est plus qu’un mensonge,
Si je dois vivre encor ce ne sera qu’en songe,
Privé de lumiere et de loix.
Fuyez trompeuses impostures,
1590 Qui me veniez solliciter,
Vos soins ne peuvent plus flatter
Mes malheureuses aventures,
Monstres retirez vous, ostez moy ces apasts*,
Mon mal a vaincu l’esperance, [p. 104]
1595 Les fruicts de mon repos n’ont plus d’autre apparence
Que dans l’horreur de mon trépas.
Quelque fortune qui m’approche,
Il me faut mourir dans mes fers,
On flechiroit mieux les enfers,
1600 Qu’on amoliroit ceste roche.
Vous enfans du silence instruicts en337 mes malheurs
Et tesmoins du mal que je souffre*,
Permettez que je puisse au creux de vostre gouffre
Noyer ma vie et mes douleurs.
1605 Mes yeux affoiblis de338 l’outrage,
Ne pourront plus souffrir le jour.
Celle qui m’oste son amour
Donne la mort à mon courage.
Je ne suis plus qu’un ombre, ou si j’ay quelque corps
1610 Ce n’est que pour sentir ma peine*.
Je veux pour appaiser ceste belle inhumaine*,
Accroistre le nombre des morts. [p. 105 ; O]
Je reçoy beaucoup de traverses
D’un amoureux déguisement,
1615 Souvent Jupiter en aymant,
A pris mille formes diverses.339
Si l’Amour déguisa le Monarque des Dieux
En faveur des beautez humaines,
Que n’ont peu de sur moy ses forces souveraines
1620 Pour le plus rare objet des cieux ?
Demons* qui parmy les tenebres
Voyez tant d’accidens divers,
Dites moy quel esprit pervers*
M’impose ces plaintes funebres ?
1625 Arbres dont tant de fois j’ay savouré les fruicts,
Source où j’ay tant lavé ma face,
Rochers où j’ay gravé mon amoureuse audace,
Que dites vous de mes ennuis* ?
Malheureuse metamorphose,
1630 Dessein mortel et rigoureux,
Que vos abords sont espineux
Pour le seul espoir d’une rose.
Destins repentez-vous, que vostre inimitié [p. 106]
Retire ses traicts* miserables,
1635 Mais, helas ! vos decrets estans irrevocables,
Vous ne sentez point la pitié.
Pourrois-je reprendre l’envie
De me revoir en liberté,
Puis que ceste divinité
1640 S’obstine à me ravir* la vie ?
Sortez de mon esprit pensers injurieux !340 
Ne me peignez plus l’innocence,
Mon supplice est trop doux à l’égal de l’offence,
Et mon trépas trop glorieux.
Il regarde le portraict d’Alderine.
1645 Beau portraict vous fustes ma guide,341
Charmé* de vos apasts* de miel,
Je forçay les portes du ciel
Avec les armes de Lucide.
Portraict si c’est par vous que mon cœur fut touché,
1650 Et qu’Amour esmut* mon courage,
De voir ceste beauté dont vous estes l’image,
Vous avez part à mon peché.
Je sens bien dedans ma poitrine
Combattre la mort et l’Amour, [p. 107]
1655 Mais je ne veux plus voir le jour,
Ne pouvant plus voir Alderine.
Astres, arbres, buissons, rochers, ombres, ruisseau,
Reservez342 le sang d’Armidore,
Si vous voyez encor la beauté que j’adore,
1660 Faites luy toucher mon tombeau.
Adieu Princesse glorieuse,
Adieu souveraines beautez.
Il se veut tuer.
Florinde arrive.

Florinde343

Je m’oppose à vos cruautez,
Quel Demon* vous rend furieuse* ?

Lucide

1665 Qui me veut maintenant empescher de mourir ?
Est-ce un esprit de la nuict sombre ?

Florinde

Folle, je suis un corps, et ne suis pas un ombre,
Florinde vous veut secourir.

Lucide

Vous ignorez quelle adventure
1670 Me donne une si douce mort.

Florinde

[p. 108]
Je sçay bien que tout cet effort*,
N’agist qu’en dépit de nature.

Lucide

Que dites-vous Florinde ? au lieu de m’alleger,
Vous venez redoubler ma peine*.

Florinde

1675 Si je puis destourner vostre rage inhumaine*,
Je croiray vous bien obliger*.

Lucide

J’excuse vostre amitié saincte.

Florinde

J’accuse vostre peu de cœur.

Lucide

Tout se dispose en mon malheur.

Florinde

1680 Tout vostre mal n’est qu’une feinte.

Lucide

Astres qui le voyez, faites luy voir aussi.

Florinde

Je voy bien le mal qui vous touche.
C’est le decret fatal d’une beauté farouche. [p. 109]

Lucide

Plustost un injuste soucy*.

Florinde

1685 Ceste fureur* qui vous possede,
N’est qu’un prodigieux poison,
Dont la nature et la raison
Vous offrent tousjours le remede.

Lucide

Que je suis malheureuse en ma necessité.
1690 Je n’ose exhaler mon martyre.
Croyez-moy, chere sœur, pour l’avoir voulu dire,
Je souffre* ceste cruauté.

Florinde

Quittez ceste folle habitude,
R’appelez voz bellez vertus.

Lucide

1695 Tous mes honneurs sont abbatus,
Que je meure en ma solitude.

Florinde

Voyez comme la honte estourdit le devoir.

Lucide

[p. 110]
Dieux que vous m’estes importune.

Florinde

Quand on veut relever vostre bonne fortune
1700 Vous en mesprisez le pouvoir.

Lucide

Je n’ay plus ny sens ny memoire,
Toutes mes forces sont à bas.

Florinde

Mais que deviendront vos combats,
Dont la Reyne attend la victoire ?

Lucide

1705 Ha ! mon Ange, ils est vray, je dois partir demain,
Mais, las ! je suis mal preparée.

Florinde

Rendez le sentiment à vostre ame esgarée.
Vos forces reviendront soudain.

Lucide

En fin il me faudra contraindre.

Florinde

1710 A quitter ces vaines amours.

Lucide

[p. 111]
Vous prenez mon mal à rebours.

Florinde

Mais c’est vous qui le voulez feindre.

Lucide

Vous changerez d’humeurs344 apprenant mes secrets,
Mais j’apperçoy desja l’aurore.

Florinde

1715 Allons nous reposer le sommeil me devore,
Allons estouffer nos regrets.

Fin du quatrième Acte.

[p. 112]

ACTE CINQUIESME345 §

SCENE PREMIERE §

BRUSERBE, FILAMON

Bruserbe

Comme les passions surmontent toute chose346,
Ceste Reyne confuse en ce qu’elle propose,
N’oit347, ne gouste, ne sent, ne touche ny ne voit,
1720 Qu’un desir de vengeance, où son cœur la deçoit*.
Sa frontiere n’a peu resister à nos armes,
La frayeur s’est glissée au sein de ses gens-d’armes348,
La campagne est à nous, et tenons tous ses forts,
Il ne nous reste plus que les derniers efforts. [p. 113, P]

Filamon

1725 Je suis d’avis avant que forcer349 ses murailles,
Pour éviter l’horreur de tant de funerailles,
Que nous taschions d’avoir par un plus doux succez,
Ce que le fer ne peut obtenir sans excez.
Deputons350 vers la Reyne, et si on nous refuse,
1730 Il ne faut plus parler de grandeur ny d’excuse,
Nous irons par la force en vainqueurs absolus.
Nos progrez jusqu’icy nous ont trop resolus,
Nous n’avons à dompter maintenant que des larmes.

Bruserbe

La victoire souvent se cache souz ces charmes* :
1735 Mais ne relaschans rien de la severité,
Tout se rendra facile à nostre authorité,
Gardons nous seulement d’une trompeuse amorce*.

Filamon

Souvent les fruicts d’Amour se cueillent par la force.
Il faut lors que l’orgueil surmonte* le pouvoir,
1740 Contre ce sexe ingrat mettre tout en devoir. [p. 114]
Les discours du passé ne sont que des finesses,
Les Princes tels que nous sont nez pour les Princessess.
Le reffus maintenant nous seroit odieux,
Clorisée et sa fille ont dessein sur les Dieux.

Bruserbe

1745 Nous leur ferons quitter ceste vaine arrogance,
Le temps forme l’Amour, l’Amour la jouyssance,
Mon frere allons pourvoir à nos Ambassadeurs,
Et mettons soubs le pied la crainte et les froideurs.

SCENE DEUXIESME §

CLORISEE en Amazone, TERSANDRE [, puis L’AMBASSADEUR]

Clorisée

Ces traistres croyent donc que je sois351 abbatuë.
1750 C’est dedans le peril où352 mon cœur s’esvertuë*. [p. 115]
Vit-on jamais des loups, des lyons, des sangliers353,
Plus acharnez que vous, plus cruels ny plus fiers,
Monstres de lascheté, dont l’ame desloyale*,
Se cache impudemment souz la grandeur Royale,
1755 L’infamie et la peur vous occupent le sens,
Addressant vos fureurs* contre des innocens.
Vous prevallez en vain du depart de Lucide,
Voicy dequoy punir vostre orgueil homicide,
Et si la force manque à ma severité,
1760 La mort ne peut manquer à ma necessité.

Tersandre

Madame, nous devons mesnager nos courages,
Les conseils354 plus soudains355 ne sont pas les plus sages,
Consultons nos esprits, ce que peuvent nos mains,
Laissons aux ennemis tous les outrages vains.
1765 Leur brutale fureur* a ravagé vostre isle
Et ne vous reste plus que ceste seule ville :
Nous la pouvons deffendre attendant que les Dieux, [p. 116]
Vous delivrent des mains de ces Roys odieux.
La place de soldats et de vivres est munie,
1770 Pour tenir quelque temps contre la tyrannie,
Redoutons l’ennemy : mais ne l’espargnons pas,
Et sur tout que nos pas soient autant de trépas.

Clorisée

Que veut cet estourdy qui sans respect avance,
Si c’est pour me parler, il a trop d’arrogance.

Tersandre

1775 Madame, retenez un peu vostre grandeur,
Le plus barbare est libre estant Ambassadeur.

Ambassadeur356

Reyne, à qui je souhaite une gloire infinie,
Le Monarque d’Epire, et celuy d’Hyrcanie,
Campez victorieux devant ceste cité,
1780 M’envoient357 pour parler à vostre Majesté.
Vous sçavez bien surquoy leur venuë est fondée,
Et que l’Amour en a la trame* devidée,
Ces grands Roys se sont mis plus qu’au juste devoir,
Pour fléchir vos rigueurs, et pour vous esmouvoir*. [p. 117]
1785 Leur douceur a tousjours receu de l’amertume,
Mais ils ne veulent plus souffrir* ceste coustume.
Madame, vos desdains sont un trop pesant faix,
Et les en deschargeant ils vous donnent la paix,
Dont les conditions vous obligent à prendre
1790 Bruserbe pour espoux, et Philamon pour gendre,
L’égalité par tout resout le different.
Icy nostre refus358 de mespris apparent,
Va former les horreurs d’une guerre éternelle,
Dont la severité vous rendroit criminelle.

Clorisée

1795 Infame, oses-tu bien me porter un propos,
Dont la voix seulement offence mon repos ?
Tes souhaits peuvent-ils aller jusqu’à ma gloire ?
Prophane oses-tu bien me mettre en ta memoire ?
Retire toy d’icy, va, retourne à tes Roys,
1800 Et leur dy que les Dieux m’imposent seuls des loix.
Dy leur qu’ils ont perdu le tiltre de Monarques, [p. 118]
Et que l’impieté leur en oste les marques,
Que celle de leur gloire est l’infidelité,
Et qu’ils n’ont plus de rang que dans la cruauté.
1805 Qu’ils façent leurs efforts je soustiendray ce siege :
Mais qu’ils tresbucheront dedans leur propre piege.
Leur rage ne sçauroit offencer ma raison,
Ma liberté se treuve au creux de leur prison,
Je sortiray bien tost des peines* que j’endure,
1810 Mais ils estoufferont au fonds de leur ordure.
Tant s’en faut que je puisse amolir ma rigueur,
Plus ils sont obstinez, plus elle a de vigueur.
Ils croient359 de cueillir les fleurs de leurs rapines360 :
Mais leur travail* honteux n’aura que des espines.
1815 Et puis que desormais ils veulent des douceurs,
Ils succeront le miel qu’on donne aux ravisseurs.
Qu’ils n’esperent de nous que des choses ameres,
Le bien qu’ils en auront ne sera qu’en chimeres,
Ce qu’ils jugent en nous propre à leur guerison,
1820 Ne peut estre qu’en eux un malheureux poison. [p. 119]
S’ils trouvent mes desdains une charge severe,361
Ils seront accablez du poids de ma collere.
Qu’ils perdent les desirs de ma fille et de moy,
Les nostres sont esteins pour des hommes sans foy*.
1825 L’un me veut pour sa mere, et l’autre pour sa femme,
L’un est trop insolent, et l’autre trop infame.
Dy leur qu’en dépit d’eux nous briserons nos fers,
Que nous aymerions mieux espouser les enfers,
Qu’ils nous verront plustost de ce fer esgorgées,
1830 Que de nous enchainer dans leurs mains enragées.
Dy leur qu’en peu de temps leurs desseins divertis*,
Ils iront chez Pluton362 recercher des partis,
Que c’est là qu’on esteint les passions brutales,
Et que proches de nous ils seront des Tantales363.
1835 Qu’ils prennent mes raisons pour refus ou mépris,
Ma bouche en dit bien moins que mon cœur n’a compris.
Va, retourne à tes Roys, et croy que ma prudence, [p. 120]
Pour un certain respect souffre* ton impudence.

Ambassadeur

Ces injures ne font qu’accroistre vostre tort.

Clorisée

1840 Fuy de devant mes yeux sur peine de la mort364.
Mes amis, vous voyez où l’ouvrage s’avance,
Mais nous esloignerons l’effect* de l’apparence.
Allons pour recevoir ce gendre et cet espoux,
Qui nous veulent doter d’injures et de coups.

Tersandre

1845 La muraille partout est de soldats pourveuë,
Il ne nous reste plus qu’à faire une reveuë,
Nos squadrons365 sont par tout en bon ordre posez.
Les cœurs de vos sujets sont si bien disposez,
Que pour bien soustenir chacun vaut un Alcide.

Clorisée

1850 Ha ! que je te regrette invincible Lucide.

SCENE TROISIESME366 §

[p. 121 ; Q]

ALDERINE367, seule recite ces Stances.368

Que les secrettes destinées,
Nous font voir d’estranges destours,
Et que les suittes des années
Ont de bons et de mauvais jours.
1855 Apres les douceurs de l’aurore,
L’ardeur* du Soleil nous devore,
L’ombre succede à la clarté.
Apres le calme vient l’orage,
Et dedans ce monde volage,
1860 La prison suit la liberté.
On void par tout dessus la terre,
Rouler d’un desordre fatal,369
Tantost la paix, tantost la guerre,
Tantost le bien, tantost le mal.
1865 Nos cœurs en ces vicissitudes,
Sont tousjours en inquietudes370,
Et ne sont jamais satisfaits :
Quoy que deviennent nos pensées,
Elles sont tousjours traversées [p. 122]
1870 Par la crainte, ou par les effets*.
On est tousjours trompé du monde,371
Alors qu’on le veut caresser,
Ses delices* ne sont qu’une onde,
Que le monde esmeut* sans cesser.
1875 Celuy qui s’obstine à les suivre
Se trouve bien tost las de vivre,
Car parmy leurs plus belles fleurs,
Où nature a faict un chef-d’œuvre,
On void bien souvent la couleuvre
1880 Jetter le fiel372 de nos malheurs.
Nous flattons nos lasches envies
De songes et de vanitez,
Coulans le meilleur de nos vies,
En des plaisirs precipitez.
1885 Et sans prevoir nostre disgrace,
Nous adorons un ciel de glace
Dont l’esclat deçoit* nos esprits :
Mais la fortune opiniastre,
Pour punir nostre ame idolastre,
1890 Nous en fait sentir son mespris.
Mespris qu’on void reduire en poudre [p. 123]
Les plus grands Rois de l’univers,
Et leur apprendre à se resoudre
D’estre un jour l’alimens des vers.
1895 Mespris qui jamais ne nous touche
Que lors qu’un souvenir farouche
S’esveille pour nous advertir.
Et c’est alors que les dommages
Nous font voir que nos advantages
1900 Trouvent souvent le repentir.
Mais ces poincts sont si difficiles
Qu’ils arrestent le jugement,
Les plaintes y sont inutiles,
Aussi bien que l’estonnement*.
1905 Ce sont des coups de la fortune,
Dont373 chacun d’une loy commune,
Sent assujettie374 sa raison.
Et quoy qu’un bon esprit advance,
Il ne peut qu’en la patience
1910 Trouver les clefs de sa prison.
J’esprouve* en un aage bien tendre
Ces estranges diversitez.
Mon esprit ne pouvoit comprendre [p. 124]
Que ce sont des necessitez,
1915 Dont ceste infidele se jouë,
Haussant et rabaissant sa rouë
Selon ses volages desirs,
Et foulant aux pieds l’apparence
Faict passer dans l’indifference
1920 Nos miseres ou bien nos plaisirs.
Qui vid jamais une Princesse
Reduite au malheur où je suis ?
La plus furieuse* destresse
N’est qu’un ombre de mes ennuis*.
1925 Je voy nostre isle ravagée,
Et ceste retraitte assiegée,
Sur le poinct de parlementer,
Mais parmy l’effroy de mon ame,
Un tyran qui pour moy s’enflame375
1930 Me vient sur tout espouvanter.
Que plustost mon cœur soit la proye
De quelque lyon affamé,
Que jamais le monstre le voye
Selon son desir diffamé*.
1935 Non plustost ce desloyal* Prince [p. 125]
Verra les loups de la Province,
Les Tygres, les Onces376, et les Ours
Devorer ma chair innocente,
Que jamais mon ame ressente
1940 Le moindre traict* de ses amours.
Mais, helas ! je foule encor l’herbe,
Où j’esmeus* tant de cruauté ;
Pourquoy devins-je si superbe*
Au temple de l’humilité ?
1945 Dieux qui presidez sur les ombres,
Nymphes hostesses des lieux sombres,
Bois, solitudes, autres secrets,
Astres, silences, esprits funebres,
Et tout ce qui suit les tenebres,
1950 Soyez tesmoins de mes regrets.
Cher Armidore je confesse
Que j’irritay* nostre bon-heur,
Mais, las ! ce fut une foiblesse
De ma honte et de mon honneur.
1955 Car comme je vous vis timide*,
Descouvrant l’abus* de Lucide,
Je creus que je devois aussi [p. 126]
Feindre que mon ame offensée
Changeoit d’humeur et de pensée
1960 Contre vostre amoureux soucy*.
Je ressens maintenant la peine*
Des feintes rigueurs de ma voix,
Car comme je fus inhumaine**
Contre les amoureuses loix,
1965 Amour d’une ardeur* rigoureuse
Redoubla ma peine* amoureuse
De tant de violent effort*,
Que dans ses funestes supplices
Je panche sur les precipices
1970 Du desespoir et de la mort.
Je crains tousjours l’effect contraire
De ce que ton cœur a conçeu,
Et que le sort pour t’en distraire*
Ne face que tu sois deçeu*.
1975 Mon cœur croy qu’en ton adventure
Ma foy* surmonte* la nature,
J’incline à ton contentement.
Scylle en pareille misere
Ayma mieux la mort de son pere [p. 127]
1980 Que la perte de son Amant377.
Amour que tes fleurs ont d’espines,
Et que ton aveuglé desir
Regarde bien peu les ruines*
Qui ravissent*nostre plaisir,
1985 Que c’est à bon droict qu’on souspire
Lors qu’on possede en ton Empire
Les fruicts de tes prosperitez.
Delices* où l’erreur nous plonge,
Et dont la douceur n’est qu’un songe
1990 Qui chatoüille nos vanitez.
Je sçay bien que je suis servie
Du378 plus fidele des Amans,
Et qu’il ne respire la vie
Que dans ses amoureux tourmens*.
1995 Mais la rigueur de son absence
M’outrage avec tant de puissance,
Que sans l’espoir de son retour,
La fureur* qui me sollicite
M’immoleroit à son merite*
2000 Dessus l’autel de nostre amour.
Vers recitez, ou chantez par une voix qui s’entendra [p. 128] d’une nuée toute brillante de lumiere, au dessus d’un rocher.379
Princesse à qui le ciel faisant voir sa puissance,
Reserve plus de biens que tu n’as de malheurs,380
Ne te desole plus, et perds la souvenance
De toutes tes douleurs.
2005 Avant que le Soleil recommence sa course
Tes maux s’escarteront dans leur dernier reflus,
Les destins appaisez en ont tary la source
Et ne reviendront plus.
Ta mere desormais en sa pompe remise,
2010 Verra ses ennemis implorer sa mercy381 :
Et ton pere rendra sa premiere franchise
A son cœur endurcy.
Il ne faut plus parler d’horreur ny de martyre,
Le bon-heur ceste nuict r’entre dans ta maison :
2015 Armidore en livrant le chef* de Filamire
Destruira ta prison.
Les decrets éternels ont brisé les obstacles,     [p. 129 ; R]
Dont l’orgueil des tyrans te venoit molester*.
Retourne en ton repos, et croy en mes oracles
2020 Sans plus rien contester.

Alderine

Quelle voix favorable a charmé* mon oreille ?
D’où me vient maintenant ceste douce merveille ?
J’ay veu plusieurs Soleils dans ceste obscurité,
Sans doute sont 382 des feux de la divinité.
2025 Dieux qui prenez le soin de ma triste advanture,
Quoy qu’un si prompt secours ait peu de conjecture :
Si veux-je raffermir mes doutes indiscrets*383,
Et fléchir ma raison à vos sages decrets.
L’oracle ne pouvoit me rendre plus heureuse,
2030 Mais la peur laisse encor mon ame soucieuse*
Du combat de mon pere, et je crains que le sort,
En prolongeant ma vie ait avancé384sa mort :
Justes Dieux, s’il est vray, faites que ceste atteinte385,
Borne* ma passion au but de vostre crainte386.

SCENE QUATRIESME §

[p. 130]
BRUSERBE, FILAMON, et leur TROUPPE [, puis TERSANDRE, LUCIDE, FILAMIRE, SENTINELLE]

Bruserbe

2035 Portons nostre vengeance à toute extremité,
Qu’on ne pardonne point à l’imbecilité387,
Soit du sexe, ou de l’aage, et sur tout que les larmes
Ne vous seduisent point.

Filamon

A moy braves gens d’armes,
Le combat se fait à la discretion388 des Acteurs.
2040 Assaillons ceste tour, la victoire est à nous.

Tersandre, de dessus la muraille

Vous hurlerez en vain de mesme que les loups.
Courage Citoyens, le Barbare recule,
Ce Busire insolent a trouvé son Hercule389.
Leur courroux s’est passé de mesme qu’un esclair,
2045 Et leurs plus grands efforts se sont faits dedans l’air. [p. 131]
Mais je voy deux guerriers dont l’audace superbe*
Me fait penser douteux*.
Lucide, Filamire arivez, surprennent les ennemis de la Reyne.

Lucide

Infidele Bruserbe,
Voicy de tes malheurs le dernier appareil* 390,
Poltron, ta lascheté craint encor le Soleil.

Filamire

2050 Mais la nuict ne sçauroit receler* ton audace,
Deffends toy si tu peux, et n’attends plus de grace.

Bruserbe

Icy mes compagnons.

Filamon

La grace que je veux,
C’est de voir en ton sang recompenser mes vœux.

Lucide

[p. 132]
Reçoy ce que merite une mauvaise envie.

Bruserbe

2055 Ha ! guerriere invincible, encor un coup la vie391.

Lucide

Pourrois-tu sans rougir revoir encor le jour ?

Bruserbe

On pardonne aisement aux erreurs de l’amour.

Lucide

Levez-vous.

Filamire

Ton orgueil veut que je te punisse,
Mais il faut que la Reine ordonne ton supplice.

Lucide

2060 Compagnons.

Sentinelle

Qui va là ?

Lucide

Ce sont des prisonniers
Qu’on ameine à la Reyne.

Sentinelle

Attendez Chevalliers,
Nous allons advertir le genereux* Tersandre. [p. 133]

Lucide

Qu’il vienne promptement, on luy veut faire entendre
Un faict de consequence.

Sentinelle

Il sera fait ainsi.

Bruserbe

2065 Ha ! que ceste prison392 m’accable de soucy*.

Lucide

Le soucy* vit tousjours dedans un cœur perfide*.

Tersandre

Qui veut parler à moy ?

Lucide

Monsieur, vostre Lucide
Vient contre son devoir troubler vostre repos.

Tersandre

C’est vous, belle guerriere, agreable propos.
2070 Je descens ma compagne.

Filamon

O desdaigneuse parque,

Filamire

[p. 134]
Voyla du desespoir une evidente marque.

Tersandre

Où estes-vous, Madame ? ô glorieuse nuict !
Mais plustost jour heureux où ce Soleil reluit.

Lucide

Ce guerrier, non pas moy, merite vos loüanges.
2075 Sa valeur* recogneuë aux climats plus estranges* 393,
A reduit ces tyrans à la captivité,
Et remis aujourd’huy la Cypre en liberté.
Monsieur, asseurez vous de ces Roys infideles.

Tersandre

Il faut bien que la Reyne apprene ces nouvelles.

Lucide

2080 Mais doit-on maintenant son repos divertir* ?

Tersandre

Son repos asseuré, c’est de l’en advertir,
J’estime que le vostre est le plus necessaire.

Lucide

Si nous faut-il encor consulter un affaire394,
Et monstrer les effets du voyage entrepris,
2085 Où sa Majesté doit resoudre ses esprits,                     [p. 135]
Entrons dedans la ville.

Soldats des assiegeans

Ah ! cruelle adventure :
Ces grands Roys trouvent donc icy leur sepulture.
Prodiges de l’abus*, songes fallacieux,
Sur le poinct de cueillir des fruicts delicieux,
2090 Un moment malheureux produit de l’amertume,
Quand la fortune rid ce n’est que par coustume.

Sentinelle

Qui va là ?

Soldats

C’est alors qu’on la doit redouter.
Lucide et Filamire, à la porte d’une chambre, parée et préparée pour y faire coucher et endormir Filamire.

Lucide

Sire, je ne croy pas que vous puissiez douter,
Que Lucide pour vous n’ait une ame fidele.

Filamire

[p. 136]
2095 Vous cognoissant autant vertueuse que belle,
Je formerois à tort cet injuste debat,
Si j’ay quelque soucy*, c’est pour nostre combat,
Sçachant en quel degré je tiens vostre courage.

Lucide

Le vostre sur le mien a le mesme advantage
2100 Que le flambeau du jour a sur ceux de la nuict,
Je sçay bien que par tout la victoire vous suit.
Et que si quelque Dieu ne m’aide favorable,
Ma perte en ce combat doit estre inévitable,
Mais quoy qu’il m’en arrive, il me sera bien cher395.

Filamire

2105 Mais plustost si le Ciel le vouloit empescher,
Je penserois avoir vaincu les destinées,
En pouvant retrancher ce jour de mes années.
Certes, la Reyne a tort de me tant affliger*.
Or puis que par vos mains elle se veut vanger,
2110 Contentons sa rigueur aux despens de nos vies.

Lucide

[p. 137 ; S]
Nous bornerons* demain ses mortelles envies :
Mais, Sire, cependant396 allons nous reposer.

Filamire

Encores si mon sang la pouvoit appaiser,
Moy mesme soucieux*, plus qu’elle de ses peines*,
2115 Pour son soulagement je percerois mes veines,
Plustost que d’entreprendre un combat où mon cœur
Ne pourra se resoudre au tiltre de vainqueur.

Lucide

Mon ame n’est pas moins de crainte combatuë :
Mais un secret espoir fait que je m’esvertuë*,
2120 Allons dans le sommeil noyer nostre soucy*,
Peut estre que les Dieux changeront tout cecy397.

SCENE CINQUIESME §

CLORISEE, TERSANDRE [, puis LUCIDE, GOUVERNANTE, FILAMIRE, FLORINDE]
On porte un flambeau devant la Reyne.

Clorisée

Nos tyrans sont donc pris, bon Dieu je te rends grace398.

Tersandre

[p. 138]
Ils sont aussi confus qu’ils estoient plein d’audace.

Clorisée

J’estois dans le Chasteau remise en seureté,
2125 Pour destourner mes yeux du sac de ma Cité,
Mais je veux maintenant courageuse m’instruire399,
A punir les meschans qui la vouloient destruire.
A propos, mon cousin*, Lucide est de retour.

Tersandre

Je l’ay tantost laissée aupres de ceste tour,
2130 Fort lasse du combat, et croy qu’elle repose.

Clorisée

Mais que dit-elle encor ?

Tersandre

Je ne sçay autre chose,
Sinon qu’elle tesmoigne un glorieux succez
Du voyage de Mede.

Clorisée

Hé ! j’en sens des excez,
Où mon ame se void derechef engagée,
2135 Mais son voyage est vain, si je ne suis vangée. [ 139]
Avez-vous rien appris de plus particulier ?
Dites moy clairement.

Tersandre

Ce brave Chevallier
Dont je vous ay parlé400 l’a tousjours destournée
De m’entretenir seul.

Clorisée

Que je suis estonnée*.
2140 J’ay bien quelque plaisir aux souspirs que j’espans ;
Mais je crains que ces fleurs recelent* des serpens.

Tersandre

Le jour dissipera ceste fascheuse nuë.

Clorisée

Je m’en vay reposer attendant sa venuë.

Lucide,sort doucement de la chambre de Filamire,401 avec une lanterne sourde402, et parle assez bas.

Ce Prince maintenant d’un fort sommeil surpris,
2145 Il me faut achever mon dessein entrepris, [p. 140]
Le silence à mes vœux se montre favorable.
Je veux donner le chef* dont je suis redevable,
Pour qui403 la Reyne tient mes sermens en deposts,
Le temps ne m’en viendra jamais mieux à propos,
2150 Le but où404 je pretends ne veut point de remise.
Elle frappe à la porte de la chambre de la Reyne.

Gouvernante

Qui frappe ?

Lucide

C’est Lucide, ah ! douteuse entreprise405.

Gouvernante

Est-ce vous, mon soucy, que je baise vos yeux,
O que vostre retour nous sera precieux.

Clorisée, tire à part Lucide

Vous voicy donc Lucide, et bien suis-je vangée ?

Lucide

2155 Madame, je me suis de ma foy* desgagée,
Le chef* de Filamire est en vostre pouvoir.

Clorisée

Comment ! c’en est donc fait, allons le recevoir ;
Dorine, laissez-nous, un secret nous convie.

Gouvernante406.

Elle parle à Lucide.
Il ne reste donc plus qu’à me ravir* la vie.             [p. 141]

Lucide

2160 Madame, je sçay bien où mon cœur s’est soubmis,
Ayant reçeu le don que vous m’avez promis.

Clorisée

Je n’en retranche rien, me voicy toure preste,
Vostre fidelité souscrit vostre requeste.
Allons donc voir ce chef*, l’objet de mon soucy*.
2165 Mes yeux asseurez-vous.

Lucide

Madame, le voicy.
Lucide tire les rideaux du lict où Filamire dort.

Clorisée

Dieux ! qu’est-ce que je voy, ah, Lucide.

Lucide

Madame,
Vous voyez ce beau corps qu’on peut dire sans ame,
Si captif du sommeil qu’avec[que] peu d’effort,
La plus debile407 main luy peut donner la mort.

Clorisée

2170 C’est donc en ceste sorte, et bien je suis trompée.

Lucide

[p. 142]
Madame, recevez (s’il vous plaist) mon espée.
Abbatez-en ce chef* de vostre belle main408,
Et lors j’accompliray vostre dernier dessein.

Clorisée, toute esmeuë de courroux.

A la fin me voicy laschement abusée*,
2175 Tout se trouve fatal au mal de Clorisée,
Les Dieux sont devenus mes cruels ennemis,
Je n’ay rien que du vent de ce qu’on m’a promis.
L’Amour, l’honneur, l’espoir, ont trahy mes pensées,
Ma raison et ma foy* m’ont mesmes offensées,
2180 Les ans, les mois, les jours, les heures, les momens,
Se sont tous animez au soin de mes tourmens*.
Tout m’est injurieux, et l’ingrate Lucide,
M’a manqué de parole, et se trouve perfide* :
Bref, la terre et le ciel obstinez contre moy,
2185 Ont destiné ma vie au bon-heur de ce Roy.
Il est temps d’affranchir* mon ame enveloppée409,
Laisserois-je eschapper ceste fatale espée,
Sans tirer des malheurs ce miserable corps,
Qui ne demande plus que la gloire des morts. [p. 143]
2190 Puis que ceste trompeuse a manqué d’asseurance,
Je veux à son deffaut.
La Reyne se veut tuer.

Lucide

Lucide l’empesche.
Injuste violence !
Madame, retenez un peu vostre fureur*,
R’appelez vos esprits, vous verrez vostre erreur,
Redonnez à vos sens leurs forces esgarées,
2195 Vous sentirez bien tost vos peines* separées.

Clorisée

Retire-toy, parjure.

Lucide

Ah ! Madame, escoutez.

Clorisée

Je ne veux plus ouyr tes infidelitez,
Laisse moy recueillir les fruicts de ma fortune ;
Pourquoy m’empesches-tu ?

Filamire, s’esveille en sursaut, et se jette à [p. 144] bas du lict en chemise et prend son espée.

Quelle voix importune
2200 Vient rompre mon repos, et troubler ma raison ?
Lucide voudroit elle user de trahison ?
Non, elle veut plustost empescher Clorisée
D’esteindre dans mon sang sa fureur* embrasée,
Il quitte son espée.
Ah ! Lucide, pourquoy voulez-vous retenir
2205 Un beau coup qui me doit si justement punir ?
Me voulez vous priver d’une mort honorable ?
Grande Reyne voicy la poitrine coulpable,
Où respire ce cœur qui vous fut inhumain*,
Je dois souffrir* la mort de vostre belle main.
2210 N’espargnez point mon sang que vostre ame souhaitte,
Pourveu qu’en mon trépas vous soyez satisfaite,
Je laisse franchement ma vie à l’abandon,
Si vostre douce voix ne prononce un pardon.

Clorisée

[p. 145 ; T]
Ah ! charmes* renaissans de ma premiere gloire,
2215 Venez-vous derechef affliger* ma memoire ?
Levez-vous Filamire, un Prince tel que vous
Doit fléchir sa rigueur, et non pas les genoux.
Je voy bien que les Dieux, que le sort, que les astres,
Souz des secrettes loix retiennent mes desastres.
2220 J’ay trop creu le conseil de mon esprit flatteur.
Jour retourné410.
Le temps à l’advenir sera mon conducteur.
Monsieur, habillez-vous, ma rigueur amolie,
Pardonne à vos erreurs qu’innocente j’oublie.
Filamire se va habiller.
Lucide, vostre ruse a produit tout cecy.
2225 Son heureux succez veut qu’on vous pardonne aussi.
Mais vous ne parlez point de voir vostre Maistresse.

Lucide

Madame, mon depart l’esmeut* tant de tristesse,
A cause du combat que j’avois entrepris
Que j’ay peur que ma veuë allume son mépris.

Clorisée

[p. 146]
2230 Elle avoit bien raison de craindre pour son pere.

Lucide

Je n’en ay gueres moins d’éviter sa colere.

Clorisée

Mais j’apperçois Florinde, elle vous vient querir,
Quelle apprehension vous fait ainsi courir ?

Lucide

Ah ! ma bonne compagne.
Elles s’embrassent.

Florinde

Ostez ce nom de bonne.

Lucide

2235 Ah ! que mon cœur s’estonne*411,
Et bien que fait Madame ?

Florinde

Elle pense comment
Elle doit chastier vostre retardement.

Lucide

Mais dites moy mon cœur, vous serez mon refuge.

Florinde

[p. 147]
Non, ne le croyez pas, je seray vostre juge,
2240 Quittons la raillerie, et parlons de bon sens,
Madame vous veut voir toutes choses cessans.

Lucide

Elle dit ces deux vers bas.
Ouy bien, comme Lucide, et non comme Armidore.

Florinde

Vous avez trop de soin*.

Lucide

Que ce soin* me devore.

Clorisée

Ma fille impatiente a desir de vous voir,
2245 Florinde retournez, et luy faites sçavoir,
Qu’avant que le Soleil soit dessus l’Emisphere412,
S’il n’arrive autre chose, elle verra son pere.
Donnez bon ordre à tout, et faites que le Roy
Cognoisse le tresor que luy garde ma foy*.

Florinde

2250 Dieux ! qu’est-ce que j’entens, ô nouvelle adorée,
Je vay gaigner des gans d’éternelle durée413.
Elle s’enfuit parée414.

Filamire

[p. 148]
Madame pardonnez à la necessité,
Je suis tousjours fascheux à vostre Majesté.

Clorisée

Monsieur, que nostre aigreur ne soit plus retracée,
2255 J’ay retranché l’ennuy* qui troubloit ma pensée.
Que vostre Majesté perde le souvenir
Des malheurs dont le ciel nous a voulu punir.
Mais vous ne parlez point d’aller voir la Princesse.

Filamire

Madame, ce desir sur tout autre me presse,
2260 Allons y de ce pas, et ne retardons plus.

Clorisée

Les Dieux en sa faveur conduiront le surplus,
La vertu vous oblige aux soins de ma famille,
Mais sur tout à celuy de pourvoir415 vostre fille.

Filamire

C’est ce que je souhaitte avec[que] plus d’ardeur*.416
Ils vont trouver Alderine.

SCENE SIXIESME §

[p. 149]
TERSANDRE, CLIDAME, Soldats de Cypre417

Tersandre

2265 Noz mutins maintenant abbatus de froideur418,
Pour éviter la mort ont regaigné leurs flottes,
La frayeur a si bien surpris les Epirotes419,
Que ceux qui par la fuitte ont évité le fer,
N’ont peu se garentir des fureurs* de la mer,
2270 Mais sans vostre valeur* nous eussions eu du pire.

Clidame

Je croy que sans la vostre on m’eust fait voir l’Epire,
Laissons les complimens, sçachons que fait420 ma sœur.
Comment l’a-t’on reçeuë ?

Tersandre

[p. 150]
Avec plus de douceur
Que l’excez de ma voix ne vous le sçauroit dire.

Clidame

2275 Avez vous rien appris du Prince Filamire ?

Tersandre

Non, pourquoy, dites moy, qu’en avez vous appris ?

Clidame

Une secrette peur me broüille les esprits.

Tersandre

Je sçay bien que Lucide alla pour le combattre.

Clidame

Il est vray, mais depuis son cœur opiniastre,
2280 Resolut un moyen où je voy peu de jour.
J’ay sçeu que Filamire estoit en ceste Cour,
Entreprise qui fut legerement conçeuë,
Et dont ma raison craint une mauvaise yssuë.

Tersandre

Je vis bien avec elle un genereux* guerrier
2285 Aussi grave d’aspect que couvert de laurier,
Qui vainquit devant moy le Prince d’Hyrcanie. [p. 151]

Clidame

Ha, sans doute c’est luy.

Tersandre

La bataille finie,
Et les Roys prisonniers remis en seureté,
Voyant que ce guerrier cerchoit la liberté
2290 Et croyant le repos leur estre necessaire,
J’allay d’autre costé pour ne les pas distraire.

Clidame

Je ne sçay quel effect produira tout cecy.

Tersandre

Allons à la rencontre.

Clidame

Ah ! monsieur, le voicy.
[p. 152]

SCENE SEPTIESME §

[TERSANDRE, CLIDAME,] FILAMIRE, CLORISEE, ALDERINE, ARMIDORE, GOUVERNANTE ET FLORINDE, sortent tous du chasteau d’Alderine par ordre. [puis BRUSERBE, FILAMON et LE COURRIER]

Clidame

Dieux ! qu’est-ce que je voy, tout a changé de face,
2295 Ceste Cour a repris le lustre421 de sa grace.
Le Monarque de Mede est maintenant si doux,
Et la Reine de Cypre a perdu son courroux.
On peut voir Alderine, ô bons Dieux qu’elle est belle422,
Et Lucide a repris sa forme naturelle423,
2300 Je doute si je songe, ou si c’est verité,
Monsieur, que dites vous de ceste nouveauté ?

Tersandre

Mon esprit estonné* croit de voir des chimeres.

Clorisée

[p. 153 ; U]
Je laisse desormais le soing* de mes miseres,
Et pourray maintenant à tout mal resister.

Filamire

2305 Ne parlons plus de rien qui nous puisse attrister,
Mais voicy mon Nepveu424.

Clidame

Clidame saluë Filamire.
Sire, jamais mon ame,
Ne se vit si confuse, ô glorieuse flame,
Dont Armidore sent l’agreable tourment*,
Qu’il fut judicieux en son desguisment.

Armidore

2310 Vous en fustes l’autheur, certes je le confesse,425
Et sans vous j’eusse en vain voulu voir ma Maistresse.

Tersandre

Sire, je rends mes vœux à vostre Majesté.

Filamire

Mon Cousin*, vous voyez un Prince surmonté426,
Mon Neveu m’a remis au pouvoir de la Reyne,
2315 Sa prudence a fleschy ma valeur* et sa peine*, [p. 154]
Son courage a si bien mesnagé sa vertu,
Qu’il demeure vainqueur sans avoir combatu,
Victoire qui luy donne aujourd’huy le salaire
Que la Reyne a promis.

Clorisée

Je n’en veux rien distraire*,
2320 Derechef Armidore en presence de tous427,
Ma Fille et mes Estats sont maintenant à vous.

Filamire

Mais, Madame, il nous faut devenir pitoyables*,
Et pourvoir au malheur, de ces Roys miserables,
L’amour qui fut l’autheur, de leur temerité,
2325 Pourroit encor punir, nostre severité.

Clorisée

Monsieur, vous et mon Fils avez toute puissance,
Disposez de leur perte, ou de leur delivrance. [p. 155]

Filamire

Mon cousin*, s’il vous plaist, qu’on les face venir,
Madame, on ne sçauroit plus rudement punir,
2330 Un esprit arrogant, flechi par son audace,
Qu’alors qu’on le contraint à recevoir sa grace,
Mais les voicy.
On les ameine enchaisnez.

Clorisée

Bons dieux, combien d’afflictions* !

Filamire

Mes freres, vous voyez comme nos passions,
Nous attirent souvent, à des malheurs extresmes,
2335 La fortune pouvoit, nous renverser de mesmes,
Oubliez desormais, les desplaisirs soufferts,
La Reyne vous delivre, et vous oste vos fers.

Bruserbe

Nous n’attendions pas moins, de sa main genereuse.

Filamon

[p. 156]
Nous avons tousjours creu, nostre prison heureuse,
2340 Et que ceste Princesse, a trop d’humanité,
Pour punir les excez, de nostre cruauté.

Filamire

Mais d’où vient ce Courrier,

Courrier

Sire, je viens de Mede,

Filamire

Et qui428 t’amene en Cypre ?

Courrier

Un malheur sans remede,
Ceste lettre en contient la pure verité.
Filamire lit la lettre.

Filamire

2345 On ne peut resister à la fatalité,
Madame, prenez part à ce dernier voyage429.

Clorisée

Ah ! sensible accident, d’un si mortel dommage !

Filamire

Essuyez, s’il vous plaist ces inutiles pleurs,
La mort veut le silence et non pas les douleurs. [p. 157]
2350 La perte de Clarinde430, est une œuvre secrette,
Dont le Ciel veut punir mon erreur indiscrette* :
Vivante elle me fit de vos yeux separer,
Et morte elle me faict mon crime reparer.
Tandis qu’elle a pour moy respiré sur la terre,
2355 Vos justes interests m’ont tousjours faict la guerre.
Et maintenant qu’elle a les delices* des cieux,
Une eternelle paix me vient rendre à vos yeux,
Puis que ces Roys ont sçeu nos tristes advantures,
Je veux qu’ils soient tesmoins de nos joyes431 futures.
2360 Je vous rends devant eux mon amour et ma foy*,
Qu’un demon* insolent avoit ravis* sur moy432.
Reprenez vostre cœur et me rendez mon ame.

Clorisée

Monsieur, je ne puis rien adjouster à ma flame,
Le temps, ny les tourmens*, ny la prosperité, [p. 158]
2365 N’ont peu rien esmouvoir* en ma fidelité.

Filamire

Retirons nous, Madame, allons pourvoir au reste,
Et noyons dans l’oubly tant de soucy* funeste.

FIN.

Annexes §

Glossaire §

Ce glossaire a été élaboré à partir des définitions que donnent Furetière et Huguet dans leurs dictionnaires. On y trouvera les termes difficiles récurrents dans le texte de la Fidelle Tromperie.

Abréviations utilisées :

  • Fur : Dictionnaire universel de Furetière.
  • Hug : Dictionnaire de la Langue du Seizième Siècle de Huguet.
Abus
« Erreur, tromperie » (Fur), illusion
V. 3, 51, 77, 130, 187, 216, 454, 824, 995, 1153, 1956, 2087.
Abuser (s’)
« (Se) tromper » (Fur)
V. 1141, 1177, 1555, 2174.
Accomply
Qui a toutes sortes de perfections, parfait
V. 176, 645.
Affliction
« Peine du corps, ou de l’esprit » (Fur)
V. 255, 432, 555, 799, 2332.
Affligé, e
Dans le chagrin, la peine ou la douleur
V. 980, 1406.
Affliger (s’)
« Faire souffrir quelque chagrin, peine, ou douleur » (Fur)
V. 564, 615, 1110, 1393, 2108, 2215.
Affranchir (s’)
(Se) « delivrer » (Fur), libérer
V. 1172, 1522, 2186.
Agité, e
Jeté dans un grand trouble, tourmenté
V. 716, 1057.
Amorce
Attrait, charme
V. 482, 761, 906, 1145, 1737.
Appareil
« En termes de Chirurgie, se dit de la premiere application d’un remede sur une playe qu’on pense » (Fur)
V. 220, 788, 1096, 2048
Préparatifs
V. 1409.
Appast
Charme, attrait, beauté
V. 67, 179, 180, 355, 1488, 1593, 1646.
Ardent, e
« Qui brusle » (Fur)
V. 283, 533.
Ardeur
« Grande chaleur » (Fur)
V. 510, 571, 1856
« Passion, vivacité, emportement, fougue » (Fur)
V. 313, 510, 571, 1965, 2264.
Artifice
« Fraude, deguisement » (Fur)
V. 113, 1433
« Adresse » (Fur), habileté
V. 649.
Besoin (au)
« On connoist ses amis au besoin » (Fur), dans le besoin
V. 169, 1237, 1388.
Borner
« Finir, achever » (Fur), limiter
V. 1158, 2034, 2111.
Charmant, e
Qui plaît d’une façon extraordinaire
V. 413, 1145.
Charme
« Ce qui nous plaît extraordinairement » (Fur)
V. 67, 421, 649, 1029, 1159, 1545, 1734, 2214.
Charmer
« Plaire extraordinairement » (Fur)
V. 541, 750, 1047, 1646, 2021.
Chef
Tête
Argument l. 28, v. 683, 720, 1130, 1230, 1253, 1263, 2015, 2147, 2156, 2164, 2172.
Consommer
Consumer
V. 538, 1579.
Cousin
« Terme d’honneur que les Rois donnent (…) aux Princes de leur Sang, à des Princes étrangers » (Fur)
Cuisant
« On le dit (…) des choses qui causent de la douleur » (Fur)
V. 656, 1108.
Décevoir (se)
(Se) tromper
V. 33, 508, 1060, 1141, 1533, 1720, 1887.
Déceu, ë
Trompé, e
Argument l. 50, v. 1016, 1974.
Délices
« Ce qui donne plusieurs plaisirs ensemble » (Fur)
V. 9, 10, 62, 774, 1047, 1098, 1485, 1873, 1988, 2356.
Démon
« Les Anciens ont appellé ainsi certains Esprits ou Genies qui apparoissent aux hommes, tantost pour leur servir, tantost pour leur nuire » (Fur)
Depité
Fâché
V. 140, 207.
Depiter
« Concevoir du depit, de la fâcherie » (Fur)
V. 492, 494, 1478.
Déréglé, e
Qui agit « contre la regle, contre l’ordre établi » (Fur)
V. 56, 446, 818.
Desloyal, e
« Qui n’a ni foy, ni loy » (Fur), infidèle, traître
V. 153, 184, 216, 653, 691, 804, 805, 822, 1335, 1753, 1935.
Desloyauté
« Action contre la fidelité et les loix » (Fur)
V. 204, 208, 804.
Desrober (se)
« S’eschapper » (Fur), s’enfuir
Argument l. 9, 23.
Diffamé, e
« Honteux, déshonorant » (Hug)
V. 442, 1934.
Dissolu
« Débauché, malhonneste » (Fur)
V. 195, 318, 660.
Distraire (se)
(Se) « destourner »
V. 69, 306, 454, 1114, 1973
« Oster, retrancher » (Fur)
V. 2319.
Divertir
« Destourner quelqu’un, l’empêcher de continuer son dessein » (Fur)
V. 1236, 1384, 1831, 2080.
Douteux, se
« Craintif, effrayé » (Hug)
V. 616, 2047.
Effet
« Action »
V. 595, 898, 1074, 1272
« Réalité » (Hug)
V. 1002, 1842, 1870.
Effort
« Force, énergie, pouvoir »
V. 479
« Violence, dommage » (Hug
V. 68, 249, 292, 315, 955, 1115, 1160, 1574, 1671, 1967.
Ennui
« Affliction, douleur, tristesse » (Hug)
V. 11, 392, 520, 1077, 1102, 1628, 1924, 2255.
Envie
« Haine, colère, mécontentement » (Hug)
V. 713, 741, 854, 974, 1025.
Esbat
« Divertissement » (Fur)
V. 580, 657, 884, 903.
Esjouïr (s’)
« (Se) réjouir » (Hug)
V. 808, 1097.
Esmouvoir
« Esbranler pour mettre en mouvement » (Fur), agiter
« Se dit figurément en Morale des passions » (Fur), (se) troubler, émouvoir
V. 320, 1108, 1784, 2227
Esprouver
« Experimenter » (Fur), mettre à l’épreuve
V. 85, 147, 150, 249, 473, 801, 913, 987, 1143, 1911.
Estonnement
« Action ou effet qui cause de la surprise, de l’admiration. Tous les prodiges causent de l’estonnement » (Fur)
V. 224, 281, 412, 576, 583, 1904.
Estonner
« Causer à l’âme de l’émotion » (Fur), stupéfaire, effrayer
V. 26, 94, 280, 525, 1063, 1194, 2139, 2235, 2302.
Estrange
« Qui est d’un pays éloigné » (Fur), étranger
V. 565, 2075.
Esvertuer (s’)
« Prendre courage, s’efforcer de faire quelque chose » (Fur)
V. 1750, 2118.
Exceder
« Aller au delà, outrepasser » (Fur)
V. 472, 572.
Extase
« Ravissement d’esprit, transport hors de soy-même qui suspend la fonction des sens » (Fur), évanouissement
V. 466, 514, 1330.
Feu, x
Passion amoureuse (le terme donne souvent lieu à une syllepse de sens développée par le contexte, jouant avec le sens propre du feu qui brûle)
V. 4, 11, 54, 138, 195, 318, 570, 753, 773, 867, 1150, 1316, 1354, 1480, 1526, 1557.
Foy
Croyance (en un dieu)
V. 507
Confiance
V. 42, 172, 1518, 2360
Fidélité
Promesse
V. 1218, 2155
Morale
V. 1824.
Fureur
« Emportement violent causé par un dereglement d’esprit et de la raison » (Fur), folie
V. 427, 2192
Colère violente
« Se dit aussi de toutes les passions qui nous font agir avec de grands emportements » (Fur)
V. 465, 1685, 1998.
Furieux, se
« Transporté de colere, de fureur » (Fur)
V. 84, 869
« Se dit aussi de tout ce qui a de la violence, de l’impetuosité, de l’excès » (Fur)
V. 188, 1565, 1664, 1923.
Généreux, se
« Qui a l’ame grande et noble, et qui prefere l’honneur à tout autre interest », « brave, vaillant, courageux » (Fur)
Argument l. 4, V. 44, 588, 610, 1251, 1396, 2062, 2284.
Génie
« Bon ou mauvais Demon que les Anciens croyoient accompagner les hommes illustres » (Fur)
V. 1085, 1445.
Hymenée
Mariage
V. 642, 1193.
Indiscret, te
« Celuy qui agit par passion, sans considerer ce qu’il dit ni ce qu’il fait » (Fur.)
V. 225, 893, 2027, 2351.
Industrie
« Adresse de faire reüssir quelque chose » (Fur)
Argument l. 22.
Industrieux, se
Qui a de l’industrie (voir ce mot)
V. 93, 272, 450.
Infortuné, e
« Malheureux » (Fur)
V. 386, 1293.
Inhumain, e
« Cruel et sans pitié » (Fur)
Insensé, e
« Qui a perdu l’esprit, fou » (Fur)
V. 16, 1506.
Irriter
« Fascher, offenser, mettre en colere » (Fur)
V. 59, 139, 195, 288, 458, 679, 727, 894, 939, 1952 
« Rendre plus vif et plus fort » (Fur)
V. 978.
Langueur
Faiblesse causée par une maladie ; « se dit aussi en Morale des tristesses, des afflictions, ou des passions violentes qui nous privent de joye, ou de santé » (Fur)
V. 1459.
Languissant
Qui est dans un état de langueur (voir ce mot)
V. 1128.
Merite
« Assemblage de plusieurs vertus ou bonnes qualités en quelque personne » (Fur)
Argument l. 3, v. 345, 457, 629, 771, 1477, 1999.
Miserable
« Qui est dans la douleur, (…) dans l’affliction » (Fur), malheureux
V. 190, 286, 914, 1293, 1322, 1470
« Meschant » (Fur), méprisable
V. 317, 822.
Molester
« Tourmenter quelqu’un » (Fur)
V. 1072, 2018.
Nocher
« Vieux mot qui signifioit autrefois pilote », (Fur) celui qui conduit une embarcation
V. 280, 1439.
Nompareil
« Qui n’a point de semblable, tant il est excellent » (Fur)
V. 383, 645.
Obliger
« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie » (Fur.)
V. 227, 604, 1191, 1676.
Pasmer (se)
« Tomber en deffaillance, perdre l’usage des sens » (Fur)
Didascalie p. 85 (éd. originale), v. 1578.
Peine
« Douleur, tourment » (Fur.)
« Fatigue, travail corporel » (Fur)
V. 1061, 1476.
Perfide
« Qui manque de foy, qui trahit, qui manque à sa parole » (Fur)
V. 805, 2066, 2183.
Perfidie
« Manque de foy, de parole, trahison » (Fur)
V. 321, 758.
Pervers
« Meschant, corrompu » (Fur)
V. 1087, 1623.
Pitoyable
« Se dit aussi de celuy qui a des sentimens de compassion pour les miseres d’autruy » (Fur), qui a de la pitié
V. 1086, 2322.
Priser
« Estimer, faire cas », « vanter, loüer » (Fur.)
V. 342, 1163.
Profonder
« Pénétrer », « approfondir » (Hug)
V. 620, 1448.
Rais
« Vieux mot, au lieu duquel on dit maintenant rayon » (Fur)
V. 40, 360.
Ravir
« Oster » (Fur), enlever
Receler
« Cacher, empescher de voir » (Fur)
V. 108, 180, 265, 675, 2050, 2141.
Ressentiment
« Se dit figurément en Morale, des sentiments de l’ame, quand elle est émeuë de certaines passions » (Fur)
V. 665, 1180, 1315.
Ressouvenir
« Ce qui demeure en la memoire » (Fur), souvenir
V. 153, 509, 635, 1577.
Rouler
« On dit aussi qu’un vaisseau roule, lors qu’il se tourmente, et qu’il se penche ou se renverse incessamment sur un de ces costez » (Fur), tanguer
V. 299, 1287.
Ruine
Perte
V. 198, 265, 1983.
Soin
« Souci, inquiétude » (Hug)
V. 523, 656, 2244, 2303
« Souci, désir » (Hug)
V. 193, 587, 602, 619, 863, 1244, 1373, 1403.
Soucieux, se
« Qui a quelque chagrin, (…) affliction (Fur)
V. 1445, 1516, 2030, 2114.
Soucy
« Chagrin, inquiétude d’esprit » (Fur)
Fleur
V. 500.
Souffrir
Supporter, tolérer
Souloir
« Vieux mot qui signifioit autrefois avoir de coûtume » (Fur), avoir l’habitude de
V. 750, 1083.
Superbe
« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption » (Fur)
V. 739, 1489, 1943, 2046.
Surmonter
Surpasser
Argument l. 32, v. 630, 1739
Vaincre (Fur)
V. 68, 121, 158, 964, 979, 1147, 1464, 1976.
Timide
« Foible, peureux, qui craint tout » (Fur)
V. 1069, 1955.
Tourment
« Peines et chagrins «  (Fur)
« Douleur violente que souffre le corps » (Fur)
V. 164, 451.
Traict
Flèche
« Se dit figurément et poëtiquement des regards, et des blessures qu’ils font dans les cœurs, quand ils y inspirent de l’amour. Les traits de Cupidon » (Fur)
V. 20, 278, 640, 826, 1940.
Trame
« Complot secret », « trahison » (Fur)
V. 650
(Textile) ensemble des fils passant transversalement entre les fils de la chaîne tendus sur le métier à tisser
V. 1782.
Travail, -aux
« Douleur qu’on souffre » (Fur)
V. 601, 1068, 1516
Fatigue
V. 327, 1061, 1503
Labeur
V. 1814.
Travailler
« Faire souffrir de la douleur » (Fur)
V. 94, 598, 1190, 1453.
Valeur
« Grandeur de courage, ardeur belliqueuse » (Fur)
Argument l. 28, 31, v. 575, 582, 612, 717, 729, 752, 888, 917, 937, 989, 1022, 1041, 1065, 1071, 1129, 1184, 1399, 1443, 2075, 2270, 2315.
Vif, -ve
Vivant, e
V. 329, 1185.

Appendice I : Poème liminaire À l’Orizelle de Chabrol433 §

A
MONSIEUR CHABROL,
sur son Orizelle.
Stances

CHABROL, tu peints ton Orizelle
Un si rare sujet d’Amour,
Que jamais le Prince du jour
Ne vit une amante si belle :
Mais il faut avoüer que l’inhumanité
Soüille sa divine beauté.
Elle fait voir par son envie,
Qu’Amour estoit puissant Demon,
Puis qu’en perdant son Dorimon,
Elle veut perdre aussi la vie :
D’autant que son trespas me semble courageux,
Celuy d’Eurice est outrageux.
Trouves-tu pas de l’injustice
En ce changement plein d’horreur,
Luy voyant tourner sa fureur
Dessus l’innocence d’Eurice ?
Elle reçoit le coup de la severité
Que Dorimon a mérité.
Voyez qu’Amour a de puissance
Et comme il triomphe du sort,
Orizelle au point de sa mort,
Dorimon abusant des amoureux appas,
Conduit son Eurice au trespas.
Tu charmes si bien mes oreilles
Au recit de ces faits divers,
Que je ne puis ouyr tes vers,
Sans me ravir en leurs merveilles :
Je n’ay jamais mieux sçeu les amoureuses loix
Que par les accens de ta voix.
En fin, ta plume glorieuse
Couronnant ces dignes Amans,
Les soulage de leurs tourmens
En leur jouyssance amoureuse ;
Mais BASSOMPIERRE434 ayant leur fortune en despos
Doit seul accomplir leur repos.

GOUGENOT.

Appendice II : Priere du Roy au Sainct Esprit §

Canivet, Philippe Desportes et Nicolas Gougenot, recueil de prières à l’usage du roi Louis XIII, France, XVIIe siècle.

Papier, reliure en vélin avec portraits découpés, étui de maroquin. 12, 8 x 9 cm BnF, Manuscrits occidentaux, français 24749 (La Vallière 198 bis).

« Remarquable par son mode de fabrication, ce livre, ni manuscrit ni imprimé, est composé de lettres « découpées à jour », selon un procédé appelé canivet à cause du petit canif qui servait à évider texte et images : la technique en est simple mais requiert tant de dextérité et de patience que ces singularités bibliographiques, extrêmement rares, sont l’œuvre des couvents de femmes, seul lieu disposant d’une main-d’œuvre aussi dévouée. Cet exemplaire fait partie d’une série de quatre, aux caractéristiques très communes, confectionnés par superposition (bibliothèques de Rouen, du Vatican, du St. John’s Seminary, aux Etats-Unis). Il comporte des images également découpées : portraits d’Henri IV (feuillet 71), de Louis XIII (feuillet 2), de sainte Anne avec la Vierge (feuillet 25, sur parchemin), Crucifixion (feuillet 39)…Pour le contenu, ce manuel de l’ordre du Saint-Esprit, fondé par Henri III, pose un problème d’attribution, mais l’auteur des prières semble bien être le poète Philippe Desportes, et un maître-écrivain de Dijon, Nicolas Gougenot, l’offrit à Louis XIII. Contribution à l’histoire de la piété française des XVIe et XVIIe siècles, lié aux troubles politiques et œuvre d’art recherchée des bibliophiles, ce livre de dévotion à la reliure ornée aussi de deux canivets provient de la bibliothèque de La Vallière. Le canivet connut plus tard une nouvelle fortune, due au talent irrévérencieux du peintre genevois Huber croquant ses multiples silhouettes de Voltaire. »435

Le texte qui suit a été extrait d’un cours de M. Philip N. Cronenwett, diffusé sur Internet436. Il est important de le citer car il donne une indication plus précise que le texte précédent : la date de la création du canivet par Gougenot – 1614.

Prière du Roy au Sainct Esprit, a cut-work manuscript created in Paris in 1614 by Nicholas Gougenot for Anne of Austria, Louis XIII’s wife-to-be, and equally important, the daughter of Philip III of Spain and Margaret of Austria. The couple were betrothed in 1612 and married in 1615. The manuscript, again, is small, 125mm x 85mm, with a text block of 100mm x 58mm. It consists of 72 leaves, interleaved with red and white glazed paper so that the cut letter will stand out. Included also are seven full-page miniatures including a title-page, a portrait of Louis XIII, King David, the Crucifixion, a king tentatively identified as Louis IX, and, finally, a portrait of Henri IV.

What makes this manuscript important is that it is just one of a series of four cut-work manuscripts, all created at the same time by Nicholas Gougenot for the same purpose, the Order of the Holy Spirit. Founded by Louis of Taranto in 1352, the order fell into desuetude in the following century. However, Henry III of France was shown a copy of the statutes of the order when he was in Venice in 1574. The Order of the Holy Spirit was refounded by Henry in 1578 as a chilvaric order and a religious fraternity for the elite of France. It was, according to the Henry’s letter to the Pope, a way of introducing the reforms of the Council of Trent to France. The statutes of the order mandated that each member be inducted by reading from the Hours of the Holy Spirit, a set of texts similar to the Hours of the Virgin, but peculiar to the order. No copies of these hours are known.

Appendice III : Histoire du théâtre françois437, François Parfaict §

On trouvera dans cette annexe la reproduction de l’article composé par les Frères Parfaict sur la Fidelle Tromperie.

Ce n’est ici qu’une mauvaise imitation du sujet d’Agésilan de Colchos, que Rotrou traita depuis. Mêmes fonds, semblable[s] plan, & conduite, à l’exception des noms. Ici Clorisée, Reine de Chypre, mere d’Alderine, joue le personnage de Sidonie, Reine de Guindaye, mere de Diane. Filamire, Roy d’Arménie, est le même que Florisel de Niquée. Armidore, Prince de Phrygie son neveu, prend le nom & l’habit de Lucide, de même qu’Agésilan celui de Daraïde. Clorisée imitant Sidonie, met à prix la tête de Filamire. La Piéce est pareillement terminée par son mariage avec ce Prince, & celui d’Alderine avec Armidore. Les Rois que Gougenot ajoute à son invention438, & qui veulent conquérir le cœur de Clorisée, en formant des siéges, & donnant des batailles sur le Théâtre, peuvent contribuer au spectacle, mais ils ne servent à la lecture, qu’à jetter beaucoup de confusion & de ridicule dans le Poëme. La versification y répond parfaitement.

Appendice IV : N. Gougenot, extrait du Romant de l’Infidelle Lucrine439 §

Cet extrait est extrêmement proche des vers 1 à 37 de La Fidelle Tromperie, d’où son intérêt dans le cadre de l’étude de la pièce.

Precieuse image de mon Aurore, belle figure de l’Astre qui me console parmy tant d’obscurité, douce feinte de mon Soleil, cher abus de mes yeux, [aliment] des feux de mon amour, mensonge agreable d’où mon cœur tire un si veritable contentement, symbole d’une beauté que chacun adore, ô beau portrait, que je conçois de cheres delices en vos traits ! ô delices, que vous me presagez de tourmens ! ô traits, delices et tourmens, riches objets de ma gloire ! ombres saintes qui contre l’ordre de nature produisez des flames, et qui servent de flambeaux à mes nuits obscures ! » Puis [quittant] le portrait, et comme hors de soy mesme, il continuë, et disoit : « Amour qui vit jamais une si estrange avanture ? Un portrait dissipe ma raison ; mais insensé que je suis, comment se peut il faire que je me jette à corps perdu dans un nouveau malheur, ne faisant que commencer l’experience du plus grand de tous les malheurs ? Les chaines de Lucrine ne me peuvent faire aprehender les liens de Caliste dont j’idolatre le portrait au mespris du Ciel, qui me punissant justement par Lucrine, me peut aussi foudroyer par Caliste : Lucrine m’est donnée meritoirement pour venger Clarinde, et Caliste me doit estre un sujet de penitence et non d’amour, puis que mon crime se doit expier par la continence et par l’humilité ». Puis Symandre reprenant tout à coup le portrait, changeant de voix et d’action, continuë ainsi : « Non, non, Caliste, mon destin veut que je me perde dans les couleurs de ton image puis que je suis privé de son sujet. Mais qui ne jugeroit que ceste bouche me parle, et que [ces] yeux me jettent des regards ? Belle bouche, dy moy je te prie, par quel miracle nouveau tu me rends des Oracles muets ! Beuax yeux, declarez moy le secret de tant de traits ardants qui partent de vos flames feintes ; il me semble souvent que ceste bouche souspire pour moy, et que ces yeux me carressent, et souvent que d’un sort contraire ils me desdaignent et me menacent ; tantost il me semble que cest œil soit un amoureux esclair, et tantost un foudre rigoureux. Que fais tu Symandre ? Tu te [laisses] dompter par une Idole ? Comment une Idole ? Je croy pour vray que ses yeux ont du sentiment, et qu’ils suivent mes regards d’un mouvement esgal : si l’amour ne me deçoit, la nature s’est conjointe à ce beau portrait ». Symandre ravy en ceste contemplation fit une action que les enfans ont souvent accoustumé de faire lors qu’ils regardent dans un miroir, c’est que le renversant et croyans de trouver la figure au fonds, ils la perdent : ainsi nostre Amant vint jusques à ceste extremité de folie, de faire le semblable du portrait, et tout honteux il le remet en sa place.

Appendice V : L’influence de l’Amadis de Gaule sur la Fidelle Tromperie §


Amadis440 Résumé441 Influence sur la Fidelle Tromperie Type442
LIVRE XI
Chap. XIV
Le roi de Gaze, après avoir été battu par Florisel (chap. VIII), se présente à la reine Sidonie sur la demande de son vainqueur. Il la demande en mariage. Sidonie se fâche, voulant rester fidèle à Florisel malgré sa traîtrise. La confrontation Sidonie/Gaze443 inspire celle de Clorisée/Bruserbe au début de l’acte III. Même demande du roi, même indignation de la reine. A
XV Agésilan voit le portrait de Diane. Il en tombe amoureux. Monologue. Discussion avec son cousin Arlanges qui propose de se travestir pour approcher Diane. Ils se déguisent tous les deux. Départ. Même succession d’événements en I, 1. A
XIX Arrivée en l’île de Guindaye. Monologue de Sidonie se plaignant de Florisel. Rencontre avec la reine, qui ne peut s’empêcher de comparer la ressemblance de Daraîde avec Florisel. I, 2 : Monologue de la reine. Arrivée à Chypre. Clorisée souligne la ressemblance Lucide/Filamire aux v. 234-236444. Voir aussi v. 333-335. A + V
XX445 Rencontre de Diane et de Daraïde. Un passage du v° 64 inspire les v. 501-516446. V
XXXIII Daraïde confie à Lardenie qu’elle aime Diane. 447 Un passage du v° 101 inspire certains vers de II, 2. (voir note au v. 398) V
LI448 Les rois de Gaze et de Bugie décident d’obtenir les mains de Sidonie et de Diane par la force. Ils envoient des champions. Bruserbe et Filamon décident d’obtenir les mains de Clorisée et Alderine par la force. A (hors scène)
LIV449 Combat de Daraïde et autres chevaliers contre lesdits champions. Victoire de Daraïde.
LVII Apparition d’un corsaire. A peut être inspiré le récit du corsaire fait par Clidame en I, 3.
LXI450 Lardenie découvre le secret d’Agesilan à Diane.
LIVRE XII
Chap. XXI
La reine Sidonie demande à Daraïde de lui apporter la tête de Florisel. Daraïde demande un don à la reine qui le lui accorde. Evanouissement de Diane. IV, 2 : mêmes événements. Les v.1223-1267 s’inspirent de certains passages de ce chapitre451. A + V
XXII Révélation du déguisement et réaction de Diane, courroucée. IV, 4 : mêmes événements. A
XXVIII452 Chanson. II, 2, v. 427-454453 V
XXIX454 Daraïde demande à Florisel de l’accompagner en Guindaye. A (hors-scène)
XLII Les Rois de Gaze et de Bugie assiègent l’île de Guindaye. Ils envoient un ambassadeur. Personnage de l’Ambassadeur en V, 2 A
XLV Bataille devant le château de Guindaye. Bataille en V, 4 A
XLVI Arrivée de Daraïde et Florisel dans le château, incognito. Florisel se couche. Même chose en V, 4 A
XLVII Daraïde montre Florisel endormi à la reine et lui demande de lui couper la tête. Ne pouvant le faire, la reine tente de se suicider pour mettre fin à ses malheurs. Daraïde l’en empêche. Florisel se réveille. Même succession d’événements en V, 5 A
XLVIII Florisel est à genoux devant la reine. Elle lui demande de se relever et lui pardonne. Même chose en V, 5. A
XLIX Rencontre de Florisel et de Diane. L’armée ennemie décide de donner l’assaut, la cité décide de les précéder en faisant une sortie. A (hors-scène)
L-LII Bataille et victoire de la Guindaye. Bataille en V, 4 A
LVI Florisel et Sidonie s’aiment à nouveau. Même chose en V, 7 A
LVII455 Fiançailles d’Agésilan et de Diane.

Appendice VI : Dédicace de la Fidelle Tromperie (exemplaire de 1634) §

François Lasserre, dans son édition du Romant de l’Infidelle Lucrine456, nous donne certains renseignements sur le dédicataire de la Fidelle Tromperie. Il s’agit d’un aristocrate allemand, le comte Jean Bernard de Lippe (ou « von der Lippe ») dont, toujours selon le critique, la naissance pourrait se situer dans une fourchette 1609-1625. Nous empruntons ces renseignements à M. Lasserre car nos tentatives pour consulter les ouvrages auxquels il fait référence à ce sujet sont restées infructueuses457.

A MONSIEUR,
MONSIEUR JEAN BERNARD,
Comte et noble seigneur
de Lippe.

Monsieur,

Vous estes tellement dans/ l’estime pour la rareté de vo-/stre bel esprit, & les loüables qualitez/ que vous possedez, que faisant dessein de/ dedier cét Ouvrage, je n’ay peu choisir/ aucun qui luy donnast plus de cours & le/ mist à plus haut prix que vous, pource/ que vous estant doüé de ceste adresse, fera/ juger que vous ne souffririez pas qu’il pa-/rust sous vostre nom, s’il estoit indigne/ de le porter. C’est donc, Monsieur, ce/ qui me convie à le vous offrir, quoy qu’il/ ne merite vostre adveu, sinon entant qu’il/ recourt à vostre courtoisie, de laquelle il/ s’ose promettre un favorable accueil, / dont ses defauts luy devroient oster l’es-/poir, Agreez je vous supplie l’offre que je/ vous en fay, afin que ne pouvant se ren-/dre considerable par mon nom, je puisse/ reüssir par le vostre, que j’honoreray tou-/te ma vie fort particulierement, comme/ estant avec devoir et passion,

Monsieur,

Vostre tres-humble & obeissant/ serviteur N. GOUGENOT.

Bibliographie §

Bibliographie des œuvres de Gougenot §

Premières éditions des œuvres de Gougenot §

LA / FIDELLE / TROMPERIE / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / A PARIS / Chez ANTHOINE DE SOMMAVILLE / dans la petite Salle du palais, à / l’Escu de France / M.DC.XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

LA / FIDELLE / TROMPERIE / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / A PARIS / Chez ANTHOINE DE SOMMAVILLE / dans la petite Salle du palais, à / l’Escu de France / M.DC.XXXIV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

LA COMEDIE / DES COMEDIENS / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT / A PARIS, / Chez PIERRE DAVID, au Palais sur / le petit Perron de la Grand’Salle du / costé des Consultations. / M.DC.XXXIII. / Avec privilege du Roy. […] Achevé d’imprimer le Samedy 27 Aout, mil six cens trente trois.

LE / ROMANT / DE / L’INFIDELLE / LUCRINE. / PAR N. G. G. D. / A PARIS / Chez MATTHIEU COLOMBEL, rüe / neufve Saincte Anne, prés le Palais, / à la Colombe. / M.DC.XXXIV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY. / [achevé d’imprimer] pour la premiere fois le cinquiesme jour de janvier 1634.

Œuvres du graveur en écriture Nicolas Gougenot §

Planches consultables au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale. L’in-folio d’origine porte la cote « Kb 31 », et le microfilm les n° P. 8707 à 9448 (les clichés des œuvres de Nicolas Gougenot correspondent aux n° P. 9321 à P. 9337).

Quatre manuscrits, dont l’un s’intitulant Priere du Roy au Sainct Esprit se trouve à la B.n.F., Manuscrits occidentaux, français 24749 (La Vallière 198 bis). D’après le site de la B.n.F., les trois autres exemplaires se trouvent aux « bibliothèques de Rouen, du Vatican, du St. John’s Seminary, aux Etats-Unis ».

Rééditions §

La Comedie des Comediens §
Gougenot, N., La Comedie des Comediens, [in] Viollet-le-Duc, Ancien Théâtre François, (1854-1857) Tome IX, p. 305-426.
Gougenot, N., La Comedie des Comediens, [in] Fournier, Théâtre Français au XVIème et au XVIIème siècle, (1871). Il existe plusieurs éditions de cet ouvrage. L’édition grand format en un volume comporte la pièce de Gougenot, à la différence de celle de format réduit en deux volumes.
Gougenot, N., La Comedie des Comediens, éd. de David Shaw, Collection TEXTES LITTERAIRES, University of Exeter (G.B.), 1974.
Gougenot, N., La Comedie des Comediens, [in] Maranini Lorenza, La Commedia in commedia. Testi del Seicento francese, Rome, Bulzoni, 1974.
Gougenot, N., La Comedie des Comediens et le Discours à Cliton, éd. de François Lasserre, Gunter Narr Verlag Tübingen, Biblio 17, 2000.
Le Romant de l’infidelle Lucrine §
Gougenot, N., Le Romant de l’infidelle Lucrine, éd. de François Lasserre, Textes Littéraires Français, Genève, Droz, 1995.

Sources §

Sources romanesques §

L’Onziesme Livre d’Amadis de Gaule (trad. Aubert de Poitiers), Jean Longis et Robert le Mangnier, Paris, 1560.
Le DouxiesmeLivre d’Amadis de Gaule (trad. Aubert de Poitiers), Jean Longis et Robert le Mangnier, Paris, 1560.
Montemayor, Jorge de, éd. bilingue et traduction par Anne Cayuela, Paris, Honoré Champion, 1999.
Urfé, Honoré d’, Les Douze livres d’Astrée, Paris, Toussaint du Bray, 1607, in-8° ; éd. Henri Vaganay, L’Astrée, Lyon, P. Masson, 1925-1928 (5 vol. in-8°).

Sources dramatiques §

Auvray, Jean, La Dorinde, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville et André Soubon, 1631, in-8°.
Bensserade, Isaac de, Gustaphe, ou l’Heureuse ambition, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1637, in-4°.
Chabrol, C., L’Orizelle, ou les Extresmes mouvemens d’amour, tragi-comedie, Paris, Matthieu Colombel, 1633, in-8°.
Desfontaines, Nicolas-Marc, Eurimédon ou l’Illustre pirate, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1637, in-4°.
Du Ryer, Pierre, Argénis et Poliarqueou Théocrine, tragi-comédie, Paris, Nicolas Bessin, 1630, in-8° - première journée.
Du Ryer, Pierre, L’Argénis du Sieur Du Ryer, tragi-comédie, dernière journée, Paris, Veuve Nicolas Bessin, 1631, in-8°.
Garnier, Robert, Bradamante, tragi-comédie, Paris, Robert Estienne, 1582 ; [in] Œuvres Complètes, éd. Raymond Lebègue, Paris, Les Belles Lettres, 1949.
Gillet de la Tessonerie, La Quixaire, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1640, in-4°.
Guérin de Bouscal, [Guyon], L’Amant libéral, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1637, in-4°.
Les Cinq Auteurs, L’Aveugle de Smyrne, tragi-comédie, Paris, Augustin Courbé, 1638, in-4°.
Mareschal, André, La Généreuse Allemande, ou le Triomphe d’Amour, tragi-comédie mise en deux journées par le Sieur Mareschal, ou sous Noms empruntez et parmi d’agréables et diverses feintes est représentée l’Histoire de feu Monsieur et Madame de Cirey, Paris, Pierre Rocolet, 1631, in-8° (2 vol.). Mareschal, André, La Sœur valeureuse, ou l’Aveugle amante, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1634, in-8°.
Mareschal, André, La Cour bergère, ou l’Arcadie de Messire Philippes Sydney, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1640, in-4° ; éd. Lucette Desvignes, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1981.
Mairet, Jean, La Sylvie du Sieur Mairet, tragi-comédie pastorale, Paris, François Targa, 1628, in-8° ; éd. Jean Marsan, Droz, 1932.
Pichou, L’Infidèle Confidente, tragi-comédie, Paris, François Targa, 1631, in-8° ; éd. Jean-Pierre Leroy, Paris, Droz, 1991.
Rampalle, La Bélinde, tragicomédie, ou parmy le meslange agreable de diverses varietez, deux Princesses arrivent au comble de leurs desirs, Paris, Pierre Drobet, 1630, in-8°.
Rotrou, Jean, Agésilan de Colchos, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville, 1637, in-4° ; [in] Œuvres, éd. Viollet-Le-Duc, Paris, Th. Desoer, 1820, vol. III, p.1-93 ; éd. Paris, Cicero Editeur, 1992, collection du répertoire du T.N. de Strasbourg.
Rotrou, Jean, La Céliane, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1637, in-4° ; [in] Œuvres, vol. II, p.251-512.
Sallebray, L’Amante ennemie, tragi-comédie, Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1642, in-4°.
Schelandre, Jean de, Tyr et Sidon, Tragicomédie Divisée en deux journées, Paris, Robert Estienne, 1628, in-8° ; éd. Joseph W. Barker, Paris, Nizet, 1975.
Scudéry, Georges de, Ligdamon et Lidias, ou la Ressemblance, tragi-comédie, Paris, François Targa, 1631, in-8°.
Scudéry, Georges de, Le Prince déguisé, tragi-comédie, Paris, Augustin Courbé, 1636, in-4° ; éd. Barbara Matulka, New York, Institute of French Studies, Columbia University Press, 1929 ; éd. Evelyne Dutertre, Paris, S.T.F.M., diffusion Klincksieck, 1992.

Autres sources §

Gouvenain, Louis de, Deux poètes bourguignons contemporains de Corneille, 1877.
Marolles, Abbé Michel de, Suitte des memoires de Michel de Marolles, Abbé de Ville-loin, Paris, Antoine de Sommaville, 1657.

Textes théoriques (antérieurs à 1800) §

Anonyme, Discours à Cliton sur Les Observations du Cid avec un Traité de la disposition du Poème Dramatique, et de la prétendue Règle des vingt-quatre heures, Paris, imprimé aux dépens de l’Auteur, 1637 ; [in] Gasté, Armand, La Querelle du Cid, Paris, Welter, 1899.
Aubignac, François Hédelin, (abbé d’), La Pratique du théâtre, Paris, Antoine de Sommaville, 1657 ; Amsterdam, Jean-Frédéric Bernard, 1715, 2 vol. in-8° ; éd. Pierre Martino, Paris, Champion, 1927, in-8°.
La Mesnardière, Jules de, La Poétique, Paris, Antoine de Sommaville, 1639, in-4°, tome I.
Marmontel, Jean-François, Eléments de littérature, Œuvres complètes (t. 5-10), Née de la Rochelle, 1787 (17 vol.).
Vossius, Gérard-Jean, Poeticarum institutionum libri tres, Amsterdam, Louis Elzevir, 1647, in-4°.

Études §

Ouvrages généraux §

Canavaggio, Jean [dir.], Histoire de la littérature espagnole, Fayard, 1993.
Furetière, Antoine, Dictionnaire Universel, 1690 ; Paris, Le Robert, 1978.
Grimal, Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1963.
Haase, A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Alphonse Picard, Éditeurs, 1898 ; Paris, Delagrave, 1935.
Huguet, Edmond, Dictionnaire de la Langue du Seizième Siècle, Paris, Librairie ancienne Edouard Champion, 1925 (7 vol.).
Moreri, Louis, Le Grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Genève, Slatkine reprints, 1995 (réimpression de l’édition de Paris, 1759).
Mourre, Michel, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas (8 vol.), 1978.
Richelet, Pierre, Dictionnaire François, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680 (2 vol.) ; rééd. Genève, Slatkine reprints, 1994 (2 vol.).
Sancier-Château, Anne, Introduction à la langue du dix-septième siècle, Paris, Coll. 128, Nathan Université, 1993 (2 vol.).

Études sur la période §

Ouvrages §
Adam, Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Domat, 1948-1956 (5 vol.) ; rééd. Paris, Albin Michel, 1997 (3 vol.).
Baret, Eugène, De l’Amadis de Gaule et de son influence sur les mœurs et la littérature du XVIème et du XVIIème siècles, Paris, 1873 ; rééd. Genève, Slatkine reprints, 1970.
Bénichou, Paul, Morales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, 1948 ; rééd. coll. « folio », 1988.
Cioranescu, Alexandre, Le Masque et le visage, du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.
Deierkauf-Holsboer, S. Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Nizet, 1968-1970 (2 vol.).
D’Ors, Eugenio, Du Baroque, Paris, Gallimard, 1935.
Dotoli, Giovanni, Temps de préfaces, Le débat théâtral en France de Hardy à la querelle du « Cid », Paris, Klincksieck, 1996.
Dubois, Claude-Gilbert, Le Baroque. Profondeurs de l’apparence, Paris, Larousse, 1973.
Floeck, Wilfried, Esthétique de la diversité. Pour une histoire du baroque littéraire en France, trad. Gilles Floret, Paris-Seattle-Tübingen, PFSCL, 1989.
Forestier, Georges, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du dix-septième siècle, Genève, Droz, 1981 ; rééd. Genève, Droz, 1996.
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Hilgar, Marie-France, La Mode des stances dans le théâtre tragique français (1610-1687), Paris, Nizet, 1974.
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