Par le Sieur de Grenaille.
Chez Jean Pasle’, ruë Sainct Jacques, à la Pomme
d’Or, proche Sainct Severin.
M.DC.XXXIX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Introduction §
Fauste tombe amoureuse de Crispe, fils de Constantin et de sa première femme. Elle avoue son amour à son beau-fils, qui la repousse avec horreur; furieuse, elle l’accuse auprès de son mari d’avoir voulu la séduire. Constantin croit à la calomnie de sa femme et fait tuer son fils. Une fois Crispe mort, Fauste, bouleversée, avoue la vérité et veut mourir; Constantin pour venger l’innocence la fait tuer en la noyant dans un bain bouillant pour laver son crime.
Tel est le sujet dont traite L’Innocent Malheureux ou La Mort de Crispe, tragédie en cinq actes de François de Grenaille, sieur de Chatounières. Cette pièce, qui est l’une des premières créations de François de Grenaille a été publiée en 1639, et elle est dédiée à Jean, vicomte de Pompadour. L’auteur, pour prévenir les éventuelles critiques, nous rappelle dans sa préface, qu’il débute, et que par conséquent on ne peut pas lui reprocher d’exceller en une matière dans laquelle il débute à travers la métaphore de l’envol impossible « sans avoir appris à marcher ». Bien que H. Lancaster1, pense que cette pièce n’a pas été publiquement représentée, mais elle l’a pourtant été, puisque Grenaille souligne dans sa préface que la pièce fut représentée devant plusieurs cardinaux, et E. Forsyth précise que la pièce a été représentée en 16382.
La vie et l’œuvre de françois de grenaille §
François de Grenaille naît à Uzerche, dans le Bas-Limousin, en 1616 et meurt en 16803 à Puygrolier. Il est issu d’une famille de bonne bourgeoisie, il est élevé à Bordeaux et il est entré dans l’ordre de Saint-Benoît en cette ville : ses supérieurs l’envoient à Agen vers 1635 où il se livre à des travaux d’érudition. À 22 ans, il « jette le froc aux orties » parce que , dit-on, il était amoureux d’une nièce du vicomte de Jean de Pompadour, celui-là même à qui est dédiée la tragédie de Crispe mais cela semble peu vraisemblable4.
Il arrive à Paris où il écrit de 1639 à 1645 une trentaine de volumes très divers comprenant des traductions, des pièces de théâtre, des essais moraux, historiques, critiques et romanesques. En 1639 L’Innocent Malheureux ou la Mort de Crispe, deux pièces latines à la gloire de Gustave Adolphe de Suède et du duc Bernard de Weimar. L’année suivante, il donnera cinq pièces5 dont la plus connue est La bibliothèque des dames. En 1641, il traduit Le sage résolu ou version des dialogues moraux de Pétrarque; il écrit Les plaisirs des dames qu’il dédie à la reine d’Angleterre ; puis Le sage résolu contre la Fortune. En 1642, il livre L’honnête garçon qu’il dédie au Dauphin, et le Nouveau recueil de lettres des dames tant anciennes que modernes. En 1643, il traduit les Entretiens de Pétrarque sur la bonne et mauvaise fortune…ou l’art de vivre heureux ; et publie Le mausolée cardinal ou éloge du cardinal de Richelieu, et Le théâtre de l’univers ou l’abrégé du monde qu’il dédie au roi. L’an 1644, il traduit Les caprices héroïques de Loredano, qu’il dédie à Gaston d’Orléans. Enfin, sa dernière œuvre sera le Noël pascal ou hymne sacro burlesque pour l’heureux avènement de Mgr de Tulle en son évêché. Il publie aussi un ouvrage sur la mode, et le Mercure portugais ou relation de la Révolution du Portugal, mais nous n’avons pas les dates exactes de leur parution.
Très vite les jugements négatifs des critiques à son égard l’ont amené à cesser d’écrire. Il se dirige alors vers la politique, à la fin de l’année 1643, il devient historiographe de Gaston d’Orléans, lieutenant général du royaume. Il jouit alors d’un grand crédit et lors de la Fronde, il est employé à des négociations près de diverses cours d’Europe ; il voyage beaucoup : il est député en Angleterre en 1642, trois fois à Rome, en 1648 dans les Pays-Bas. Le 13 février de cette année, il est envoyé à la Bastille et traduit devant le Parlement pour crime d’état, passible de la peine capitale et le 24 avril il est transféré à la Conciergerie par ordre de la Chambre des Tournelles. Il avait été trouvé en possession de « lettres de créance à ceux qui commandaient les armées du roi d’Espagne dans les Pays-Bas ». Il est emprisonné jusqu’au 19 février 1649, puis il est remis en liberté, faute de preuves. Guéri de la politique, il se retire dans son domaine de Puygrolier près d’Uzerche.
François de Grenaille a joué un rôle considérable dans la vie littéraire de son époque, puisqu’il a été poète, historiographe et traducteur. Ses œuvres ont été appréciées, si l’on en juge par les multiples éditions qu’il y a eu de ses ouvrages, car au XVIIe siècle, la réédition d’un ouvrage est la preuve de son succès. Et ce, même si la critique de l’époque ne lui a pourtant pas été favorable, et qu’elle n’a pas, selon G. Clément Simon, « ratifi[é] l’engouement du public »6
Nous pouvons rapporter ici quelques jugements des critiques contemporains de François de Grenaille, pour montrer la sévérité dont ils ont fait preuve envers lui. Samuel Sorbière considère que dans ses œuvres : « […] les bonnes choses y étaient fort rares et ce qu’il y en avait de bonnes avaient déjà été dites si souvent que ce n’était pas grande gloire de les répéter. Le style était assez fade et qui faisait juger de l’auteur qu’il n’écrivait que pour écrire7. Guez de Balzac, lui reproche aussi son manque d’originalité, en lui déclarant un jour : « Qu’un livre ait quelque air de nouveauté, vous le contrefaites aussitôt. ».Quant à Goujet, il estime que le nom de Grenaille est: « fort peu révéré dans la République des lettres, et très décrédité sur le Parnasse8 ». Enfin, Guéret dans sa Guerre des Auteurs, va jusqu’à s’offusquer de l’inscription que Grenaille a fait mettre en bas de son portrait9 : « Franciscus de Grenaille, Dominus de Chateaunières, natus Uzerchii in Lemovicibus, Burdigalae tantum non mortuus, renatus Aginni, Parisiis immortalis. Aetatis anno 24. Aeterni regni 1640. Sic mortales immortales evadimus10. », car il estime que cette inscription est « un article qui n’a rien de la vérité ».
L’innocent malheureux ou la mort de crispe §
Résumé de l’argument §
Acte I §
L’empereur Constantin se réjouit du succès des combats qu’il a livrés, et il est heureux de voir « [sa] maison en paix comme l’empire ». Mais Emile vient presque aussitôt avertir le roi d’une révolte organisée par l’un de ses sujets. Constantin sur l’avis d’Artaban, décide d’envoyer Crispe faire taire cette rébellion. De son côté, Hélène, la mère de Constantin, demande à Crispe de mener Fauste vers la Religion. Au même moment, Fauste de son côté, feint de s’intéresser aux amours de Procle, ami de Crispe, pour en fait en savoir d’avantage sur les amours de celui-ci. Fauste, dans une stance déchirante, avoue son amour pour Crispe. Hélène, la sœur jumelle de Crispe vient avertir Fauste du projet qu’on a d’envoyer Crispe en mission. Elles décident toutes deux de tout faire pour annuler cette charge. Adelaïde, l’amoureuse de Crispe, vient s’informer des raisons du futur départ de celui-ci.
Acte II §
Constantin donne l’épée du Général d’Armée à son fils, avec ordre de mourir ou de vaincre. Crispe la prend, et a hâte de montrer sa valeur. Fauste invoque diverses raisons pour empêcher le départ de Crispe, et finit par convaincre le père de celui-ci de renoncer à ce projet. La grand-mère de Crispe vient d’apprendre le départ de son petit-fils et en est affligé, quand Artaban vient arrêter Crispe qui était sur le point de partir. Crispe en est très irrité, mais respecte la décision de son père. Sa sœur Hélène et la princesse Adelaïde se réjouissent de cette nouvelle. Procle informe Fauste du désintérêt qu’éprouve Crispe pour les femmes. Adelaïde demande à Fauste de l’aider à gagner le cœur de Crispe, sans se douter que celle-ci est sa rivale. Et Crispe avoue à Procle qu’il a fini par céder à l’amour, et que c’est Adelaïde qui a fait prisonnier son coeur.
Acte III §
Fauste envoie Adelaïde chercher Crispe, et fait croire à celle-ci qu’elle veut lui parler en sa faveur. En réalité, Fauste veut déclarer à Crispe son amour qu’elle ne peut plus cacher. Fauste lui déclare sa flamme, et Crispe la rejette avec révolte et colère. Fauste pour se venger décide de causer sa mort. De son côté, Crispe décide de se retirer de la cour, il le déclare à son ami Procle sans lui en avouer la cause. Son ami insiste pour en connaître les raisons, Crispe lui répond alors que c’est « pour le bien de l’Estat et de la maison de son Pere ». Constantin, lui se réjouit avec Artaban de la soumission des rebelles, mais se fâche lorsque Procle l’informe du départ de son fils, car il pense que ce départ précipité cache une trahison. Fauste vient accuser Crispe auprès de Constantin du crime qu’elle seule a voulu commettre.
Acte IV §
Constantin décide de tuer Crispe pour venger l’honneur de sa femme, et Artaban tente sans succès de l’en dissuader. Qui plus est, Constantin confie à Artaban la mission d’exécuter ce crime. Artaban ne pense pas que Crispe soit coupable, mais il préfère « quitter la vertu que la cour ». Fauste continue à rendre détestable Crispe, en faisant croire à Adelaïde « que Crispe ne paye son feu que de mine et de froideur ». Hélène mère de Constantin s’excuse auprès de Fauste du prompt départ de Crispe, et lui demande d’adoucir Constantin. Fauste répond qu’elle le fera, et ne dit rien de la vérité. Emile questionne Constantin pour savoir s’il a changé de dessein. Mais il s’aperçoit que Constantin restera sur ses décisions. Hélène fille de l’empereur, raconte à son père la vision qu’elle a eue, sur la mort de son frère. Constantin ne lui dit quand même rien de son projet. Constantin, bien qu’il croie toujours son fils coupable, regrette d’avoir donné l’ordre de le tuer. Fauste vient avec Hélène mère de l’empereur pour intercéder en faveur de Crispe. Fauste en défendant l’innocence, couvre mieux son crime. Procle après avoir vu mourir son ami, décide d’en finir avec la vie, mais avant, il doit porter cette nouvelle à sa maîtresse, et pour lui faire deviner ce sinistre accident, il choisit un silence affecté.
Acte V §
Fauste semble s’affliger avec Hélène mère de son mari de la mort de Crispe, alors qu’en réalité, elle en est heureuse. Mais elle commence a éprouvé des remords du fait de son crime, même si elle garde encore le secret. Artaban vient rendre compte de son forfait à Constantin, le premier s’en repentit, le second en est heureux. Hélène mère de l’empereur, reproche à celui-ci, son crime, mais celui-ci lui répond que le seul coupable est Crispe. Constantin est stupéfait lorsque Fauste vient avouer son crime et ainsi innocenter Crispe. Sa fille, Hélène, demande vengeance pour son frère. Constantin ne peut refuser; c’est pourquoi il fait tuer sa femme. Ensuite, Procle fait le récit de la mort de Crispe, et en faisant cela, il attriste tout le monde. Hélène mère de l’empereur avait tout d’abord, elle aussi, demandé vengeance, mais ensuite par pitié, elle demande la grâce pour Fauste, et pendant qu’elle le fait, on porte la nouvelle de la mort de cette « Megere ».
Les sources §
Au XVIIe siècle, il y’a eu un engouement à chercher des sujets du côté du mythe et de l’histoire, et surtout à puiser des sujets chez les anciens, car ceux-ci ayant fait l’épreuve du temps, semblent avoir donné la preuve de ce qu’ils sont donc dignes d’être copiés. D’ailleurs P. René Rapin écrit que « l’Histoire et la fable doivent nécessairement entrer dans la composition du sujet. En ce qui concerne notre pièce, « Au XVIIe siècle, les métamorphoses du thème de Phèdre, si souvent évoquées en notre siècle, sont devenues inséparables de celle de l’histoire du malheureux fils de Constantin, Chrispe11. ». Grenaille ne coupe pas à cette mode, et se choisit de se fonde sur le mythe de Phèdre et l’histoire de Constantin pour composer l’intrigue de La Mort de Crispe.
Le mythe §
Nous ne parlerons ici que du mythe de Phèdre raconté par Sénèque dans son Hippolyte, puisque c’est celui qui est mentionné par notre auteur dans sa préface, et qui est reconnu comme présentant des similitudes avec notre sujet :
La conformité de son sujet avec le mien, peut avoir produit en plusieurs endroits de la ressemblance en la forme. Quoy qu’il en soit, je ne l’ay pas voulu lire de nouveau en composant cette piece, et s’il y a quelques traits pareils, je suis bien aise d’estre disciple d’un si grand Maistre, et de suivre au moins de loin celuy que je voudrois approcher.
Nous pouvons résumer l’œuvre de Sénèque en ces termes : Phèdre tombe amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Elle profite de l’absence de Thésée, pour avouer cet amour. Hippolyte. Celui-ci qui n’aime que la chasse, la repousse avec colère, ce qui provoque une réaction furieuse de Phèdre, qui pour se venger laisse sa nourrice accuser Hippolyte d’un crime qu’elle seule a voulu commettre. Thésée croit à la calomnie et furieux, demande aux dieux d’exercer leur vengeance sur Hippolyte, qui est tué par un monstre. Après avoir su la mort d’Hippolyte, Phèdre décide de mourir mais avant elle avoue son crime à Thésée. Thésée comprend trop tard sa faute et la malédiction des dieux.
L’Histoire §
Dans le chapitre 9 de la Poétique, Aristote explique que l’action tragique doit se fonder sur des événements historiques parce que les faits paraissent au spectateur plus crédibles s’ils ont réellement eu lieu. Ceci est d’autant plus vrai, que comme nous le verrons plus loin le choix d’un sujet historique offre à Grenaille une garantie de « vraisemblance ».
Grenaille explique dans sa préface, dans sa préface rappelle que c’est le respect du culte de l’empereur Constantin avait empêché la diffusion de ce drame familial :
Ceux qui n’en ont osé parler de peur d’offencer la gloire du Protecteur de la foy, n’ont pas consideré que l’Histoire est un miroir que represente indifferemment les vices et les vertus, et que de couvrir les defauts pour mettre au jour les perfections, c’est plustost estre flatteur que tesmoin de l’antiquité.
Bien que Grenaille ne le mentionne pas, « the main plot is taken chiefly from Caussin’s Cour sainte, II, 4812 ». L’histoire nous apprend que Crispus, fils de l’Empereur Constantin et de Minervine, fut exécuté secrètement sur l’ordre de son père, alors remarié avec Fausta, que le même Constantin fit ensuite étouffer dans un bain. Tels sont les faits relatés dans La Cour Sainte par Nicolas Caussin13, est plus enrichissante puisqu’elle offre une dimension morale à l’affaire, et comme nous le précise Caussin, toujours dans La Cour Sainte « la pire des attitudes est le silence, mais pour rompre le silence il faut proposer une interprétation. »14. La solution était selon Caussin d’« accepter que Constantin pût être l’auteur de crimes inexcusables mais en tentant de les justifier et même de les excuser à sa décharge15. ». Il était impensable d’imputer un tel crime au « défenseur de la foi », c’est pourquoi il a été utile de recourir au mythe de Phèdre, qui a l’avantage de faire endosser à la païenne l’entière responsabilité des événements advenus. Et si Constantin a quelque tort, il est excusable selon P. Caussin16 car : « Ce n’est pas de merveille qu’il ait eu les vices devant le Baptême, mais c’est le miracle du Christianisme de changer les lions en agneaux, les cloaques en fontaines, et les épines en roses et en tulipes ».
Bilan §
Grenaille nous précise qu’il a apporté des changements à l’histoire. Le travail du poète sur les sources relève donc, selon l’expression de G. Forestier, d’une « dialectique fidélité / invention ».
Les emprunts §
Grenaille explique dans sa préface que le sujet de Crispe a déjà été traité par un jésuite nommé Stephonius17 :
J’averty donc le Lecteur, qu’un Italien nommé Stephonius, à travaillé en Latin sur le sujet que je manie en François, et que la curiosité qui dés mon bas âge m’a porté à voir les Livres modernes aussi bien que la plupart des anciens, m’a fait lire autresfois, et estimer son ouvrage.
De Stephonius, mais vraisemblablement aussi de Caussin, bien qu’il ne le mentionne pas, il a repris les noms des personnages, le lieu, etc., tout le décor historique, mais aussi la façon de faire mourir Fauste, meurtre sur lequel G. Forestier émet une hypothèse18.
Quant à la ressemblance avec le mythe, la relation Crispe-Fauste-Constantin, semble reproduire avec exactitude la relation Hippolyte-Phèdre-Thésée, puisque la marâtre, le père et le fils y remplissent respectivement les mêmes fonctions. Mais Grenaille a été plus loin, il « [a] repris la structure de la Phèdre sénéquienne _ notamment l’aveu de Fauste à Crispe, et la violence aveugle de Constantin contre un fils que tout accuse (la calomnie de Fauste, et la manière suspecte dont il s’est brusquement exilé de la cour sans prendre congé19) ». Sa pièce est trop proche du mythe pour que l’on puisse croire à ses dires, selon lesquels il ne s’en serait pas directement inspiré. D’ailleurs Lancaster20, ne manque pas de remarquer cet emprunt : « The well-known legend, dramatized by Euripides and Seneca, had reappered in French plays (...) in Grenaille’s Innocent malheureux, where imitation of Seneca is added to the dramatization of another story. »
Les ajouts §
Grenaille nous explique dans la préface, que l’on peut ajouter des événements « dont les Historiens ne fassent pas de mention », mais à une condition : « Il suffit que ce qu’il ajoûte à la deposition des autres, ne les contredise point en la substance des choses, et soit plustost un enrichissement du fonds, qu’une Fable du tout hors d’œuvre. Quand il s’esloigne du vray, il doit suivre le vray semblable21. » Cette évocation montre selon D. Dalla Valle l’« autonomie du poète ». Elle rend compte de la démarche que suit le poète pour construire sa tragédie, « elle explique l’introduction de personnes et de constructions différentes par rapport à la source, pourvu qu’ils ne la modifient pas directement22 ». Grenaille introduit deux histoires d’amour, celle de Crispe et d’Adelaïde suivante de Fauste, et celle d’Hélène et de Procle, l’ami de Crispe, et il s’en justifie ainsi : « […] si dans toute cette Tragedie j’ay meslé encore d’autres intrigues d’amour outre celles qui en font proprement le corps, ç’a esté pour adoucir la severité des evenemens funestes, et resjoüir un peu ceux que je dois faire pleurer. ». Grenaille, contrairement à la tradition, loin d’avoir présenté l’« Hippolyte » qu’est Crispe, comme un être n’ayant goût qu’à la chasse, il en fait un jeune homme amoureux même s’il le confesse avec quelque honte. Pour quelle raison ? Peut-être que le conflit entre l’amour et la chasteté semblait peu croyable au dix-septième siècle, et qu’on lui préférait le conflit entre la passion et la raison, le moral et l’immoral. C’est pourquoi notre Crispe est amoureux et que « tous les Hippolytes français qui suivront le Crispe de Grenaille, seront, eux aussi, amoureux : chez Gilbert, chez Bidar, chez Pradon et finalement chez Racine. »23
Une tragédie classique ? §
Un sujet aristotélicien §
Selon Aristote, le sujet tragique nécessite un conflit entre des « passions nobles », or quoi de plus noble que l’amour et la vengeance qui sont les moteurs de l’action dans notre pièce. Le sujet étant de caractère élevé, il doit y avoir de nobles personnages, or que présente L’Innocent malheureux ? Un empereur, une impératrice, des princes et des princesses. De plus, le tragique par excellence est suscité par une situation dans laquelle « c’est entre personnes amies que se produisent les événements tragiques (…)24 ». Tous les principes aristotéliciens semblent réunis dans notre tragédie.
La règle des unités §
L’unité de temps est respectée puisque « tous les événements présentés peuvent vraisemblablement se produire en vingt-quatre heures25 ».
Quant au lieu, tout semble se dérouler au sein d’un même palais, comme le confirme Lancaster26 : « the place seems to be confined to the imperial palace ». Mais Grenaille élargit le lieu à la ville de Rome.
L’unité d’action, est elle, plus discutable, puisque Grenaille y a introduit deux épisodes : l’amour d’Hélène et de Procle, et l’amour de Crispe et Adélaïde, car en ce faisant, « there is no doubt about the fact they violate the unity of action and detract from the effectiveness of the play by introducting too many characters27. ». En effet, ces actions secondaire n’influent nullement sur l’action principale, et pourraient tout à fait être supprimées.
La bienséance §
Selon P. René Rapin, les bienséances sont de deux ordres :
Le premier est celui de la convenance morale : c’est ce qu’on appelle les bienséances externes, qui visent à ne pas choquer le public (…). Le second ordre est celui de la cohérence interne des personnages mis en scène : c’est ce qu’on appelle les bienséances internes ; cette notion hérite de l’anthropologie et de la morale traditionnelles (celle d’Aristote et de Théophraste) qui fondent l’interprétation classique de la psychologie humaine
Or, est-il cohérent ce soudain remords de Fauste ? Cela est peu vraisemblable, étant donné qu’elle a tout orchestré et s’est même réjouit à l’annonce de la mort de Crispe. Ou encore est-il bienséant que Crispe aime la suivante de Fauste ? Fauste elle-même s’en étonne : « Cet ingrat me prisoit moins que ma Confidente28 » remarque cette incohérence. Il semble que la vraisemblance soit malmenée.
La vraisemblance §
La vraisemblance ordonne que l’action représentée soit conforme au comportement habituel des hommes, et ce, même si « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable29 ». Or, est-il, vraisemblable qu’une femme après avoir voulu trahir son mari, cherche à perdre son beau-fils parce qu’il n’a pas voulu lui céder, et que le père ordonne le meurtre de son propre fils. Car, si en effet, le sujet est similaire à celui de Sénèque, d’Euripide ou encore de Racine, chez ces divers auteurs, la culpabilité de Phèdre est plus ou moins atténuée par l’absence de Thésée et par la persécution des dieux (« C’est Vénus toute entière à sa proie attachée30 »), qui fait que le combat de Phèdre est moins celui d’une femme contre l’amour que celui d’un être humain contre les Dieux. Mais Fauste, cette « nouvelle Phèdre » n’a pas ce poids des dieux comme prétexte, elle apparaît plus libre, et donc du même coup, plus coupable. Elle ne peut être ce personnage « ni tout à fait innocent ni tout à fait coupable ». Mais « la perfection esthétique de la violence exige des sujets proprement extra-ordinaires, qui ne peuvent s’accommoder du critère de vraisemblance tel du moins que l’entendent les théoriciens classiques français […]31. » mACependant Corneille dans la préface de sa tragédie Héraclius nous dit ceci :
Aristote […] ne veut pas qu’on compose une [tragédie] d’un ennemi qui tue son ennemi, parce que, bien que cela soit fort vraisemblable, il n’excite dans l’âme des spectateurs ni pitié, ni crainte, qui sont les deux passions de la tragédie : mais il nous renvoie la choisir dans les événements extraordinaires qui se passent entre personnes proches, comme d’un père qui tue son fils […], ce qui n’étant jamais vraisemblable, doit avoir l’autorité de l’Histoire ou de l’opinion commune pour être cru, si bien qu’il n’est pas permis d’inventer un sujet de cette nature32.
Qu’en conclure ? Si l’on considère le principe aristotélicien selon lequel c’est le « surgissement de violences au cœur des alliances » qu’il faut rechercher pour faire une belle tragédie, alors Grenaille n’a point fait de fautes. Car même s’il s’est éloigné du vraisemblable, il est dans le vrai, et comme conclut Corneille « […] L’action étant vraie […], il ne faut plus s’informer si elle est vraisemblable33 ».
La passion §
Cette « exemple terrible de la force des passions34 » est ici le moteur de l’action tragique
Les caractéristiques de cette passion §
Cette passion apparaît tout d’abord comme une passion coupable. En effet, par le choix même de l’être aimé Fauste devient coupable. Sa passion est une faute, en ce qu’elle coïncide avec la transgression d’une loi morale (adultère et inceste), même si au regard de la loi, Fauste en aimant son beau-fils n’est pas incestueuse, puisqu’il n’y a pas de lien de famille, et par conséquent pas de lien de consanguinité qui les unisse. Mais subjectivement, elle se voit comme quelqu’un allant à l’encontre des lois morales. Cet interdit engendre un conflit moral permanent. Ce conflit est intériorisé et se traduit par les nombreuses stances. Les stances expriment son déchirement entre sa passion et son sentiment de culpabilité. Ce déchirement est, sans aucun doute, l’un des ressorts du tragique.
Ce conflit intérieur se double d’un conflit extérieur, puisque l’amour de Fauste n’est pas payé de retour. Sa passion est vaine car non seulement Crispe ne l’aime pas, et qui plus est, il aime ailleurs. Il n’est sans doute pas anodin que Crispe avoue son amour pour Adelaïde à son ami Procle, au moment où celui-ci lui dit que Fauste doit lui parler de quelque dame, et cela deux scènes avant l’aveu de cette « mégère ». Fauste représente la femme rejetée, et c’est pour cela qu’elle va chercher à détruire l’union de Crispe et Adélaïde en faisant croire à celle-ci que Crispe ne l’aime pas, à travers ces deux vers :
Au reste à ton amour il est impenetrable,et l’aimant tu ne peux qu’estre fort miserable35.
Enfin, cette passion peut être décrite comme un rapport de force. Fauste l’amoureuse dédaignée est la femme de l’empereur, et se place donc du côté du pouvoir politique. À ce titre, elle tente de contraindre l’autre à l’aimer, car elle dispose du droit de vie ou de mort sur lui, c’est pourquoi elle lui objecte : « Si tu ne m’aimes pas garde toy de perir ». Mais cette menace est en réalité un aveu d’impuissance. Car si Fauste y recourt c’est parce que c’est la « seule carte » qu’il lui reste à jouer. Et paradoxalement, c’est Crispe qui se retrouve en position de supériorité sur Fauste bien qu’elle ait le pouvoir.
Le comportement de Fauste §
Son comportement est celui d’une femme déchirée. Il se caractérise par le recours aux stances qui « se présentent comme l’expression d’un moi souffrant, irrésolu, inquiet […]36. ». Ce déchirement est d’autant plus perceptible que ces stances sont marquées par la présence de nombreuses figures. Le grand nombre de stances convoque une impression de plainte, d’élégie. Les vers cessent d’être discours pour tendre au chant. Nous commencerons par repérer dans à la première stance37 la « figure macrostructurale38 » qu’est l’opposition. Elle se manifeste à travers plusieurs antithèses : l’isotopie de la justice, de la raison ( « Droit », « loy », « devoir », « Loix », « infidèle » / « sage », « raison », ) s’oppose à l’isotopie de l’amour (« Amour », « aimer », « aimable », « feu », « flame », « cherir », « amorce ») ; cette isotopie de l’amour s’oppose aussi à celle de la mort ( « oste la vie », « perir », « étouffer », « tüe »). L’opposition atteint son paroxysme à travers les oxymores (« Injuste Droict », « doux sang […] barbare »)
Le rejet de la femme amoureuse la rend capable d’une haine destructrice, en effet Fauste se sent obligée de « changer de flamme, et brûler de cholere et non plus de desir. ». Mais en dépit des apparences, les deux réactions ne sont pas contradictoires, car la haine dont Fauste fait preuve n’est que la forme du désespoir amoureux39.
L’aveu §
« Dans le théâtre classique, les grands monologues recèlent des voix exposant des thèmes et des motifs, souvent contradictoires (…)40 » L’Innocent malheureux est une tragédie de l’aveu ? L’aveu est l’acte tragique, par excellence, car avec lui l’étape décisive est franchie. Un aveu dont le psychologie est ambiguë, puisqu’il comporte deux réactions opposées : d’une part le soulagement d’avoir enfin rompu le silence et qui permet à Fauste d’avoir un espoir, d’autre part, la conscience d’avoir aggravé sa passion en l’avouant à celui qui en est l’objet. Fauste est maîtresse de son destin tant qu’elle garde le silence, et ne l’est plus dès lors qu’elle parle. Tant qu’elle est seule à connaître son terrible secret, elle a le choix de vivre ou mourir. Mais après avoir parlé, après avoir rompu le silence, qui plus est à deux reprises puisqu’il y a eu l’aveu à Crispe, puis l’aveu à Constantin, elle ne peut plus que mourir. Les mots, en donnant forme à son crime, scellent son destin tragique. D’ailleurs avant même d’avoir avoué son crime, l’héroïne sait que la mort peut être une des conséquences de l’aveu, au vers 214, elle énonce le choix suivant : « Et Crispe se voyant aimé qu’il me tuë, ou qu’il m’aime41. ». étant donné le résultat prévisible de l’aveu, la tentation de se taire est bien grande, Fauste, au début de sa première stance tente de s’en convaincre, et ordonne à son cœur de tenir « [sa] flamme couverte ». Mais à cette tentation du silence s’oppose la nécessité de l’aveu, car Fauste sent que l’amour qu’elle éprouve « doit [l’] étouffer s’il n’est produit au jour42 ». Et jusqu’au moment de la confession, Fauste oscille entre le silence et l’aveu, c’est pourquoi l’aveu se fait de façon voilée au début, puis de plus en plus explicitement. Le dernier aveu, c’est-à-dire celui à Constantin, ne s’encombre plus d’hésitations, puisque Fauste a alors décidé de mourir.
Les principaux personnages43 §
Fauste §
Elle incarne la passion. Elle éprouve un amour déraisonnable, et presque adultère pour son beau-fils, Crispe, c’est pourquoi Hélène mère de Constantin la compare à Phèdre :
Pour voir de grands malheurs ne cherchons pas les Fables,On peut trouver icy des Phèdres veritables44.
Elle représente celle qui ne croit pas au « vrai Dieu », la Païenne. Elle intervient tout au long de la pièce, à tous les actes. Elle représente le pouvoir, c’est pourquoi Adélaïde et Procle comptent respectivement sur elle pour se voir heureux en amour. Elle est rancunière et sait utiliser la « stratégie des larmes ». C’est la « tentatrice-accusatrice45 ».
Crispe §
Fils de Constantin et de Minervine. C’est le personnage éponyme, et donc le héros de la pièce, bien qu’il disparaisse au milieu de l’acte III, c’est-à-dire au milieu de la pièce. Il semble avoir l’emploi du jeune premier, parfait en tous points. Mais c’est à travers les dires des autres personnages qu’on le découvre, car du fait de son petit nombre d’apparitions sur scène, il se caractérise surtout par son absence, son silence qui facilitera d’ailleurs l’injustice dont il est victime. Il souffre de n’avoir encore accompli aucune grande action, et rêve d’en accomplir, mais il n’est pas pour autant le chaste Hippolyte qui n’a d’yeux que pour la châsse, il est ici amoureux d’Adélaïde.
Constantin §
Selon J. Truchet, « Le roi (ou l’empereur) est noble et juste, parle avec autorité, n’est pas forcément très subtil (…). Il est souvent père, et père déchiré (…). à ce type s’en oppose un autre : celui du tyran qui abuse de son pouvoir et professe l’arbitraire46. ». Quel est le type de l’empereur Constantin ? Il semble être tout à la fois. Il apparaît comme un personnage victime de l’ignorance dans laquelle il se trouve des vrais rapports entre son fils et sa seconde épouse, et de son emportement qui le pousse à condamner sans avoir eu soin d’informer son jugement. Il est tour à tour le père horrifié d’avoir un fils criminel, et le père aimant et accablé par la mort de son fils.
Hélène §
Elle est la mère de Constantin. Elle représente la religion, elle tente d’amener Fauste vers la religion, et au dernier acte, elle demande le pardon pour celle-ci. Et sera d’ailleurs la future sainte hélène47.
Le texte de la présente édition §
L’édition de L’Innocent malheureux ou La Mort de Crispe sur laquelle nous avons travaillé a été exécutée en 1639 par Jean Paslé :
In-4, 27f. non chiffrés.- 125. II p. Bibliothèque Nationale de France : Microfiche Yf 501.
Description §
(I) Page de titre : L’INNOCENT / MALHEUREUX, / OU LA MORT / DE CRISPE. / TRAGEDIE. / Par le Sieur de GRENAILLE, / [fleuron du libraire] /A PARIS, / Chez Jean Pasle’, ruë Sainct Jacques, à la Pomme / d’Or, proche Sainct Severin. / M. DC. XXXIX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
(II) EPISTRE.
(III) PREFACE.
(IV) PIECES LIMINAIRES : sonnet de P.L.P/ sonnet de De La Tour /
sonnet de P.L.P / sonnet de Pisieux / sonnet de Grenaille, frère de l’autheur / sonnet de Vaudrichard.
(V) LES ACTEURS.
(VI) PRIVILEGE DU ROY.
Établissement du texte §
En règle générale nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, à quelques réserves près :
- – nous avons modernisé les « ∫ » en « s ».
- – nous avons distingué les voyelles « i » et « u » des consonnes « j » et « v », conformément à l’usage moderne.
- – nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en un groupe voyelle-consonne.
- – nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait évidemment erronée (cf. liste des rectifications).
- – Nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste des rectifications).
Corrections §
Nous avons apporté les modifications suivantes au texte :
p.4 : Grenalle -> Grenaille
p.7 : pointicy -> point icy
p.7 : applaudissement -> applaudissements
p.12 : a mon avis -> à mon avis
p.15 : il -> elle
p.16 : Que l’innocence à de force -> Que l’innocence a de force
p.20 : à travaillé -> a travaillé
p.25 : camalitez -> calamitez
p.28 : le pouvoir qu’à Crispe -> le pouvoir qu’a Crispe
v.377 : à pû -> a pû
v.383 : A te voir -> à te voir
v.442 : A dessein -> à dessein
v.635 : ces -> ses
v.646 : qu’elle -> quelle
v.956 : m’a froideur -> ma froideur
v.1448 : viendoit -> viendroit
Nous avons également rectifié la ponctuation dans les vers suivants :
[ ; -> . ] _ vers 49, 102, 149, 216, 218, 256, 259, 262, 267, 269, 338, 348, 402, 433, 445, 517, 525, 565, 603, 605, 618, 621, 659, 661, 667, 704, 718, 785, 829, 831, 867, 1017, 1043, 1049, 1129, 1274, 1275, 1276, 1291, 1299, 1343, 1345, 1421, 1425, 1427, 1461.
[ , -> . ] _ vers 147, 208, 255, 339, 341, 343, 344, 349, 350, 391, 401, 409, 429, 431, 561, 663, 719, 786, 865, 895, 1005, 1277, 1280, 1285, 1356.
[ : -> . ] _ vers 624, 645, 1018, 1300, 1305.
[ ? -> . ] _ vers 931, 1484.
Enfin nous avons corrigé les erreurs de numérotation de l’acte II (IV -> V ; V -> VI), et la pagination du cahier C (p.17 à p. 24).
Autres exemplaires consultés §
B.N.F Rés Yf 1420
Bibliothèque de l’Arsenal 4 BL 3613
4 BL 3614
Rf 6207 (1)
Bibliothèque Mazarine 10918. (4)
Tous les exemplaires sont identiques sauf l’exemplaire 10918 (4). L’exemplaire 10918 (4) de la bibliothèque Mazarine est différent car l’épître, la préface, les pièces liminaires, la présentation des acteurs et l’argument du premier acte n’y figurent pas. De plus à la page 88, le verbe « blesser » est remplacé par le verbe « meurtrir ».
L’exemplaire Rf 6207 est identique aux autres exemplaires, à ceci près, qu’il y manque le cahier B, et que des corrections manuscrites y ont été apportées.
L’INNOCENT MALHEUREUX,
OU LA MORT
DE CRISPE.
TRAGEDIE. §
A MONSEIGNEUR,
MESSIRE JEAN VICOMTE DE POMPADOUR, BARON DE BRE’, TREIGNAC, Sainct Circ, la Gane, etc. Lieutenant General pour le Roy au Gouvernement du haut et bas Lymosin, et Capitaine d’une Compagnie au Regiment des Gardes de sa Majesté. §
Monseigneur,
L’Innocent Malheureux trouve du bonheur dans son infortune, en ce qu48’estant mort indignement, il resuscite glorieusement sous vôtre nom, et triomphe de la calomnie apres avoir rendu l’ame par son effort. Dans cette nouvelle vie qu’il reçoit, je ne pouvois luy choisir un plus noble Protecteur que celuy qui la luy donne, et qui n’ayant pas moins de perfections que Crispe, a d’ailleurs beaucoup plus de felicité, et peut par son honneur relever celuy de l’autre. La naissance, Monseigneur, vous a mis d’abord*49 dans une élevation, où la fortune ne peut mettre que de grands* hommes ; mais vous avez d’ailleurs obtenu des charges qui nous font douter si vous estes plus illustre de50 vous mesme, ou par la bienveillance du Roy. Mais nous sortons de ce doute, considerant qu’estant issu d’une des plus grandes maisons* de Guyenne, et aussi bien élevé qu’aucun Seigneur de tout le Royaume, vous ne pouviez manquer d’estre avantagé aupres de Louis le Juste51, qui honore particulierement de ses faveurs ceux qu’il trouve desja grands* par bonheur52 et par merite.
Quand il n’y auroit que le souvenir de feu53 Monseigneur vôtre pere, vous seriez tousjours grandement considerable à cét Estat, comme estant successeur de celuy qui l’a tousjours servy avec autant de zele que de succés; et qui parmy les troubles n’a jamais eu que de bons mouvemens pour la Couronne. La charge qu’il a si long temps exercée avec une prudence égale à sa generosité, et le Collier de l’Ordre que ses vertus luy avoient fait donner54, aussi bien que l’estime du plus grand* de tous les Princes, témoignent evidemment que la loüange particuliere que je luy donne, sera suivie d’un Panegyrique public. D’ailleurs, la consideration de Madame, que nôtre Cour regarde* comme un des plus beaux Soleils qu’elle ait produit, et qui est alliée de Monseigneur le Chancelier, monstre que la Justice mesme n’auroit plus de credit* dans le monde si vous n’y aviez de l’honneur et de l’employ. Outre cela, vos qualitez personnelles semblent capables de vous donner des avantages que les autres ne tirent ordinairement que de l’extraction, et nous font juger qu’estant si noble de deux costez, vous le serez encore autant de vous mesme. Cette force de jugement, qui en vôtre jeunesse vous fait imiter la sagesse des plus âgez, et qui vous fait55 gouverner une Province en un temps où les autres peuvent à peine se gouverner soy-mesmes56, nous fait voir57 aisêment que la nature mesme vous a instruit, et que l’experience s’est d’elle-mesme offerte à vous, au lieu que58 les autres sont en peine de l’acquerir. Le soin* encore que vous avez eu de joindre les exercices de l’esprit avec ceux du corps, vous a mis dans une constitution ; qui fait que dans la paix et dans la guerre vous pouvez estre tousjours utile, et servir la France avec autant d’adresse que de valeur. Ce n’est pas mon seul59 sentiment qui vous donne ces loüanges, c’est l’opinion generale de tout le monde, qui espere tant de vous, Monseigneur, que personne n’ose dire ce que vous estes, sçachant que ce n’est qu’une partie de ce que vous devez estre. Cependant la cognoissance que j’ay de vos rares qualitez, jointe à l’inclination que j’ay à vous reverer, m’a fait croire que vous recevriez de bon œil l’offre que je vous fais de la Mort du fils du plus grand* Empereur de Rome60, lequel dans toute sa grandeur vient rendre hommage à la vôtre. Outre ces raisons generales, j’en ay de particulieres de vous dedier cét ouvrage ; L’une est, que l’ayant conceu en un païs que61 vôtre Charge vous rend sujet, je crois estre obligé à vous rendre des fruits de vôtre Province, et vous faire voir que si vous travaillez* pour nôtre bien, nous travaillons* pour vôtre gloire. J’ay encore voulu par là, vous témoigner le respect que mon pere et tous ceux de sa maison* portent à la vôtre, et comme nous desirons vous estre doublement sujets, et par naissance, et par élection62. Souffrez63, Monseigneur, cette hardiesse, comme estant plustost un effet du zele que de la temerité de celuy qui est,
Monseigneur,
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant serviteur,
Grenaille.
OUVERTURE GENERALE à toute la piece, avec un discours sur les Poëmes Dramatiques64 de ce temps. §
Un Autheur du siecle passé, parlant de la Poësie se plaignoit avec raison, de ce que les Muses65 qui logeoient autrefois sur une double montagne, sembloient à peine ramper de son temps, et qu’au lieu d’animer les vers, elles estoient presque mortes. Nous pouvons dire que les Poëtes d’à present leur ont fait prendre un autre train, puis qu’ils les ont élevées sur le theatre où elles ont une veritable grandeur, au lieu que les monts ne leur en donnoient qu’une imaginaire. Tous les esprits qui ont un peu de genie l’employent d’abord à la Scene, les Odes et les Sonnets ne sont pas des pieces si communes que les Tragicomedies. Cela vient à mon avis du prix que la France donne aujourd’huy à cette sorte d’ouvrages, et de l’agréement de ce grand* Ministre, qui se deschargeant du poids des affaires, prend quelquefois de nobles divertissemens en des sujets heroïques. Ceux qui sont capables de concevoir quelque chose de grand, aiment mieux consacrer leurs veilles au contentement de ce grand* Heros, qu’aux loüanges de plusieurs autres personnes. On en peut encore apporter une autre raison, quoy qu’inferieure à celle-là, et c’est que les Acteurs qui representent les Poëmes Dramatiques, le font avec tant d’adresse et de splendeur, que chacun se persuade que c’est à eux qu’il appartient de donner la montre66 aux belles choses, et que ce qui les occupe une fois, passe tousjours pour relevé. Aussi voyons nous qu’une profession qui a tousjours eu de la vogue, semble estre maintenant toute Royale67, estant sous la protection de sa Majesté.
Sa troupe est plus honorée de nôtre temps, que les anciens Comediens ne l’estoient sous les Empereurs, aussi répond elle par son action, et par le nombre des personnes qui la composent, à tout ce qu’on peut attendre d’elle pour le contentement des plus grands* Princes aussi bien que de tout le peuple.
Il faut avoüer neantmoins, que si tous les Autheurs ont les mesmes pretensions, ils n’ont pas tous les mesmes succés. C’est que68 plusieurs veulent d’abord* voler bien haut, sans avoir apris à marcher, d’où vient qu’ils s’abbaissent en s’élevant, et que pensant toucher le faiste*, ils tombent dans le precipice. Ils veulent faire un chef d’œuvre sans avoir fait aucun essay. Ils n’ont jamais sceu composer une Elegie, et ils croyent pouvoir hautement exprimer les regrets d’une Princesse malheureuse. Ils ne sçavent pas combien un Poëme a de parties, et ils songent aux cinq actes du plus difficile de tous. Ils n’ont pas d’enthouziasme69 pour faire deux vers hardis, et ils croyent en avoir pour une piece de longue haleine. Ainsi donc ils ne courent pas dans la lice70, mais plustost ils y choppent71 à châque pas, ils n’ont pas de suffisance72, mais ils ont de la vanité. Ils prennent de belles matieres, mais ils leur donnent une bien chetive forme. Un ancien disoit, qu’il valoit mieux estre blâmé de quelques gens, que d’estre loüé par d’autres; mais on peut dire qu’il y a de beaux sujets qui perdent leur Majesté, pource qu’ils sont traittez par de foibles plumes. Puis que je mets la mienne en ce nombre, sans parler d’aucune autre en particulier, on doit croire que je fais plustost ma censure, que celle de ceux que je reconnois pour mes Maistres. On doit loüer ma sincerité, et non pas m’accuser, ou d’orgueil, ou d’imprudence.
On peut dire encore, que la difficulté qui se rencontre à bien faire une piece de Theatre, vient aussi-tost de la nature de l’objet, que de l’insuffisance de l’Autheur. Il est certain, que comme une Tragedie a divers visages, qui n’ont pourtant qu’une vision73, il faut estre bien clairvoyant74 pour luy donner toutes ses postures raisonnables. Ce beau corps comprend une infinité de beaux membres. Il embrasse le Politique pour faire tenir les conseils, et prendre de bonnes resolutions aux grands* Monarques. La Morale y est employée pour esmouvoir les passions, et dispenser bien à propos l’esperance et le desespoir, l’amour et la haine. L’eloquence y regne pour produire tous les sentimens du cœur, et faire voir son ame dans ses paroles. La Logique y est necessaire pour ne faire jamais de mauvais raisonnemens sur un bon sujet, et employer plustost les termes dans leur sens que dans la rime. La connoissance de l’art Militaire s’y méle, par les duels ou les combats qui sont souvent les tristes evenemens, et qui causent ces belles intrigues qui sont suivies d’un admirable desnouëment. La Musique mesme est requise à un ouvrage qui consiste tout en nombres, qui est aussi bien fait pour l’oreille que pour le cœur, et qui doit ravir l’ame par l’oüie. Je ne parle point icy de l’Histoire, car tout le monde voit que pour prendre de beaux sujets il faut sçavoir de belles choses, et bien remarquer la substance et l’accessoire d’une action, pour bien reconnoistre les veritez qu’il faut suivre, et ce qu’on peut feindre* dans un Poëme. Or pour donner tant de belles figures à un tableau, il faut qu’un Peintre soit bien expert, et qu’un Artisan ait ensemble du bon-heur* et du sçavoir pour achever cét ouvrage. Outre que la nature luy doit avoir donné ce Caracthere qui a fait dire que les Orateurs se font par art, mais que les Poëtes naissent habiles, il faut encore que l’industrie75 enrichisse la nature, et que la nature s’efforce de surpasser l’industrie.
Un homme donc qui se mesle de faire de ces rares productions, doit estre pourveu de toute sorte d’avantages. Il doit estre sçavant sans estre ny superficiel, ny aussi trop speculatif. La Sagesse luy doit apprendre des secrets dont la Cour et le commerce des hommes luy doivent fournir des exemples. Il doit avoir l’imagination bonne, mais elle doit ceder à la bonté de son jugement. Pour son esprit, devant tousjours feindre* en quelque façon il doit estre bien subtil et bien avisé; Au reste ses passions doivent estre si bien faites, qu’il les puisse émouvoir et appaiser à sa volonté, et sans changer de cœur les employer à divers usages. Il faut qu’il fasse le Roy et l’esclave, la Reyne et la suivante, le Juge et le criminel, l’accusateur et l’Apologiste, sans se troubler ou changer de personnage. De plus, il doit estre circonspect pour garder la justesse aussi bien aux circonstances, qu’au principal de toutes les choses. Il faut qu’il fasse taire à propos les Souverains pour laisser parler les sujets, qu’il donne du temps à l’aversion aussi bien qu’aux plus douces affections, et qu’il fasse disparoistre les Acteurs avec autant d’applaudissements qu’ils ont paru sur le Theatre. En un mot, il doit estre parfaict Courtisan, comme76 parfaict Orateur, et il nous faut croire que ce qui a fait dire que la Poësie a quelque chose de Divin, c’est qu’il faut avoir une faveur presque surnaturelle pour en acquerir la perfection, et sembler moins homme que demy-Dieu. Ces fameux enthousiasmes qu’on nomme divines fureurs77 monstrent assez que mon opinion est aussi bien fondée sur l’experience qu’appuyée sur la raison78.
On peut recueillir de ce discours que plusieurs peuvent faire des Poëmes dramatiques, mais qu’il y a fort peu de gens qui les fassent dans la perfection qu’ils doivent avoir. Comme entre79 les Poëtes Latins nous n’avons qu’un Seneque qui ait reüssi en matiere de Tragedies, et que Sophocle et Euripide sont les seuls des Grecs qui y ayent heureusement80 travaillé, avoüons que la France n’est pas plus feconde aujourd’huy que l’Italie et la Grece. Tous ceux qui font des vers ne sont pas incomparables, et le nombre des Autheurs ne les rend pas tous excellents. Cette confusion ne mesle pas le merite et l’imperfection des uns et des autres. Nous en avons neantmoins quelques-uns qui ornent magnifiquement nôtre Theatre au lieu que81 les autres en prennent leur ornement. Tant d’illustre Morts qu’ils font resusciter avec admiration, seroient bien aises s’ils revenoient au monde, d’avoir eu jadis du malheur pour donner sujet aux ouvrages de tant de bons esprits qui le representent. On ne sçait qu’admirer plustost où l’argument de leurs pieces, ou la beauté qu’ils luy donnent. On peut dire seulement que leur art est encore plus admirable que la matiere, et qu’il n’y a point de riche sujet qui ne tire du prix de la façon qu’ils luy donnent. Je ne veux point, pour gagner les bonnes graces de quelqu’un faire des comparaisons odieuses, ny desobliger tous les Autheurs pour en loüer un en particulier. Je crois neantmoins que les autres seront tous de mon advis, quand je diray que Mr de la Calprenede, pour estre venu des derniers ne laisse pas de tenir le premier rang. Ce n’est pas l’amour du pays qui me fait parler, c’est la verité que j’aime plus que tout le reste. Je sçais bien que nôtre Guyenne l’avoüe82 pour son ornement, mais sa personne m’est plus considerable que sa naissance. Outre que parlant en faveur d’un homme que je n’ay jamais eu l’honneur de voir que dans ses écrits, on ne dira pas que je flatte celuy qui ne m’entend point estant maintenant bien éloigné de Paris, mais plustost que je donne au merite de ses œuvres ce que d’autres donneroient à la complaisance. Ce n’est pas que je n’honore la cause encore plus que l’effet, mais pour admirer l’effet à loisir, je veux un peu separer ses interests d’avecque83 ceux de sa cause.
Je diray encore par prevention, qu’on ne doit pas mettre toute la loüange de cét Autheur dans ses ouvrages, veu qu’ils en font la moindre partie. Ce qui fait la profession de plusieurs ne fait que ses divertissemens, et les chef-d’œuvres qui occupent toute leur vie se font lors qu’il se délasse. Sa naissance l’a trop eslevé pour luy permettre de tirer sa gloire d’un employ où les roturiers pretendent aussi bien que tous les Nobles. Pour estre Poëte comme les autres, il ne doit pas cesser d’estre par dessus le commun des hommes. Il est bien aise de nous ravir, mais non pas de quitter son rang. Il ne veut pas que sa plume soit si bonne que son épée, ny qu’une Couronne de laurier semble ennoblir un beau Tymbre. C’est pourtant un cas merveilleux que cette illustre negligence qu’il affecte produise tant de belles choses, et que ne voulant esgaler personne à faire des vers, il esgale tout le monde. Mais de ces reflexions generales venons maintenant aux particulieres, pour voir changer mon opinion en evidence. Nous avons veu diverses pieces de cét excellent Autheur, chacune desquelles nous sembleroit incomparable, si elle n’avoit sa semblable de mesme main. La mort de Mithridate qui fut l’essay d’un si bon esprit passe pour un chef-d’œuvre au jugement des habiles. L’Autheur a tort de luy vouloir ravir* ses ornemens par une modestie recherchée, on l’estime suivant ce qu’elle est, et non pas suivant le cas qu’il en fait. On ne defere84 pas à son opinion en ce qui le touche, pour ce qu’elle est injuste devant* que de luy estre tant soit peu desavantageuse. Il suffit de dire que si cette piece n’estoit excellente elle n’auroit pas une approbation generale, et qu’elle n’eust jamais causé de si grandes émotions dans les ames des spectateurs, si elle n’eust esté le fruit d’un puissant genie. La mort des enfans d’Herodes ne cede point à la Mariane, quoy qu’on l’en nomme la Suite ; l’Autheur trouve dans son art les beautez que l’autre a rencontrées dans la matiere aussi bien que dans ses divines inventions, et pour n’avoir pas tant de femmes la Scene n’en est pas moins agreable. C’est là qu’on voit ces belles diversitez que causent les passions d’un fils jaloux de son pere, et d’un pere qui est jaloux de ses enfans. La tyrannie et la pitié, l’indulgence et la cruauté y sont meslées avec un si doux temperamment qu’on se réjoüit en s’affligeant*, et on pleure dans sa joye85. La Jeanne d’Angleterre est un sujet si meslé par les illustres occurrences, qu’on y remarque, que l’esprit en demeure perpetuellement surpris, bien qu’il prevoye d’abord* tout ce qui doit arriver. Mais principalement on y voit de grands* cœurs que les supplices rendent plus genereux, et qui ne sçavent non plus86 ceder au malheur qu’à la force des ennemis. D’autre part on voit une Princesse qui apprehende de regner, pource qu’il luy faut faire mourir une autre Reyne, et qu’estant son ennemie elle ne peut d’ailleurs87 resister aux mouvemens de l’affection que les merites de sa rivale luy donnent. J’ay oüy dire que l’Autheur fait un estat particulier de88 cette piece, aussi est-elle une image de sa generosité, mais il faut avoüer que son jugement en ce point89 est suivy de celuy de tous les autres.
Je ne parleray point des autres pieces anciennes de sa façon90 pour dire un mot des modernes, non pas que les premieres ayent perdu leur grace portant tousjours leur merite, mais c’est que les suivantes ajoustent la nouveauté aux autres attraits qu’elles ont. Le Comte d’Essex pour estre un sujet plus recent, ne laisse pas d’estre admirable. Sa grace neantmoins ne luy vient pas tant de sa nouveauté, comme des admirables intrigues qu’on voit dans toute cette Tragedie. Le pouvoir d’une Reyne s’y debat si bien contre son amour, que lors qu’elle est vaincuë, on la croit victorieuse. D’ailleurs les respects du Comte y couvrent si bien ses dédains, que ses fautes semblent estre vertueuses. Sa fin nous plaist toute tragique qu’elle est, pource qu’elle nous surprend aussi bien que luy, et qu’il meurt apres qu’on luy a donné la vie.
Quoy que tout ce que j’ay dit jusques icy, soit plustost fondé sur la verité que ma simple opinion, j’ajoûteray neantmoins que l’Edouard estant la derniere piece de cét Autheur me semble la plus achevée. Nôtre Theatre n’a jamais paru plus parfaitement Royal qu’à cette occasion, ny plus triste sans causer de sinistres evenemens. Pour bien juger de cét ouvrage, il ne faut que le regarder* en quatre faces, en son sujet et en sa disposition, en sa catastrophe et en sa representation. Je comprends91 sous ces quatre chefs92 limitez, des perfections veritablement infinies. Quand je ne dirois autre chose pour loüer la matiere de cette belle Tragedie, sinon qu’elle est prise de la vie d’un des plus grands* Monarques que l’Angleterre ait jamais porté, je croirois assez persuader qu’elle est toute magnifique. Mais si l’on considere qu’outre la Majesté du sujet, les evenemens y sont tous extraordinaires, nous jugerons que celuy qui l’a choisi n’a pas eu moins de bonheur que de jugement. Cette Histoire semble un charme93 qui nous ravit*, quand nous voyons un Roy qui devient esclave de sa sujette; un Pere qui confirme sa fille en ses bonnes resolutions en faisant semblant de l’en destourner; une Dame qui est soupçonnée d’estre cruelle envers son Roy, pource qu’elle est trop fidele à son honneur. En un mot, quand nous considerons un Prince doux et irrité, craintif et asseuré, qui menace de mort une femme à laquelle il se donne pur recompense. La disposition correspond à la beauté de l’invention, les passions ont de beaux commencemens, et de tres bonnes issuës. Un Roy consulte son honneur avant que94 de suivre son amour, le devoir est plustost95 regardé que l’inclination96. On met des empeschemens à la passion pour mieux faire paroistre sa resistance. Les finesses sont subtilement tramées, mais elles sont bien découvertes*, les Acteurs sont en aussi grande suspension97 que les Spectateurs. Les parties de cét ouvrage sont si bien jointes l’une à l’autre, qu’elles font un divin accord, quoy qu’elles semblent estre contraires. Au reste, les personnages y parlent tousjours conformément à leur condition. Un Prince fait l’Amant* et le souverain, le fils et l’independant. Une Reine fait la jalouse et la condescendante, la sincere et la fine, la douce et la furieuse. Un homme d’Estat obeït au Roy sans offencer son sang qu’il attaque, il fait le Pere et le Politique, le Conseiller et celuy qui dissuade. Une femme sollicitée de son honneur, respecte la personne d’un Roy dont elle méprife les affections. Elle se resout à mourir à la Couronne pour ne vivre qu’à son devoir, et conserve son thresor en voulant perdre sa vie. Par tout le langage est masle sans estre rude, et où il est doux il n’est jamais effeminé. Les saillies98 neantmoins y surpassent les paroles, les mysteres ne se peuvent pas exprimer. La Catastrophe à mon avis, n’est pas moins agreable qu’elle est illustre. On y voit toutes les extremitez qu’ont les plus tragiques actions, et les plus doux démeslemens qu’on peut donner aux Comedies. Tant s’en faut qu’elle ensanglante le Theatre, qu’au contraire, il n’y a pas seulement un recit de sang ny de mort, et neantmoins on n’attend que quelque accident funeste*, lors qu’on n’en voit qu’un heureux. Un Roy fait condamner celle qu’il épouse apres, celle qu’il nommoit sa meurtriere et incontinent sa chere moitié. Il trouve de l’innocence où il soupçonnoit du crime, le poignard qui luy faisoit peur luy frappe doucement le cœur pour aimer plus ardemment une Chasteté invincible. Nous sortons donc de peine par cette agreable metamorphose, qui change les tourmens en plaisirs, et les aversions en nopces et en amour. Finissons ces reflexions par la decoration du Theatre, qui paroist d’autant plus beau dans cette piece qu’il n’est chargé que des personnages qui la composent. La substance mesme de l’action fait toutes les beautez de la Scene, et l’Autheur trouve en la forme de son ouvrage, ce que plusieurs autres cherchent en des idées estrangeres99 de Perspective. Tout est majestueux en ces apparitions Royales, les entrées et les sorties sont si regulieres, que nous n’estimerions pas la veuë d’un Prince s’il ne nous l’ostoit bien à propos, ny les beautez d’une Dame si elle ne nous les cachoit pour exciter nôtre desir par un si doux intervalle.
Je n’ay garde100 de toucher à ces unitéz qu’on affecte101 tant, pource que l’Autheur estant Maistre en cét art, n’a eu garde de faillir102 entre ce qu’il apprend aux autres par exemple et par precepte. L’unité d’action y est fort bien observée, puis que tout concourt à la fin103 des amours du Roy, qui d’illicites qu’elles estoient au commencement deviennent en fin legitimes. Il n’y a point là d’Episodes104 destachez, pour remplir un Theatre d’Acteurs inutiles, et qui ne paroissent une fois que pour ne paroistre plus. L’unité de lieu est bien estroitement gardée en un sujet dont l’Histoire se peut tout passer dans l’enceinte d’un Palais, et qui ne comprend en substance que des transports* de haine et d’amour. Il n’y a point icy de combats affectez ; on n’y combat que cœur à cœur, et on y cache plus les armes qu’on ne les monstre105. La reigle des vingt et quatre heures ne peut pas estre choquée106, où le jour naturel semble observé. Vous diriez que cette Histoire arrive toute à la fois en toutes ses circonstances, tant l’Autheur nous la represente agreablement sans nous lasser où nous faire trop attendre. Mais je ne veux pas discourir davantage sur un sujet si connu, les belles choses se produisent assez par le charactere de leur excellence. Ce que j’en ay dit est plustost un effet de mon zele que de ma temerité, et fait plustost voir mon admiration que les loüanges d’un autre. J’estime neantmoins que mon opinion sera approuvée, pource qu’elle est legitime, et que ceux qui y trouveront à redire ne me blasmeront que de n’avoir pas assez hautement parlé de ce qu’ils estiment autant que moy.
On s’estonnera sans doute de ce que107 pour donner ouverture à mon ouvrage, je louë ceux d’un autre Autheur, et mesle mes defauts avecque ses perfections. J’ay à respondre là dessus, que j’ay voulu mettre une belle teste à un chetif corps, et relever par la gloire d’autruy la bassesse de mon livre. Si108 faut-il neantmoins dire quelque chose en faveur de mon Poëme, afin de faire agréer mes vers par un peu de Prose, et couvrir en quelque façon mes fautes en les avoüant solemnellement. Crispe donc va paroistre dans109 la France apres tant d’illustres Morts que les vivans ont admirez ; son innocence est assez recommandable, mesme parmy110 les pechez de l’art qui la represente. Cette Tragedie cede à111 toutes les autres pour112 la beauté de la forme, mais elle en esgale plusieurs pour la Majesté du sujet ; La Chasteté n’est pas moins venerable que l’amour, et les combats qu’un homme fait pour resister aux caresses113 d’une femme, ne sont pas moins glorieux que ceux qui visent à fleschir sa cruauté. En un mot, la Vertu est tousjours plus prisable114 que le vice. Or devant115 que de parler plus avant de mon dessein*, il faut que j’estale mon sujet, et que je décrive briefvement l’Histoire qui luy sert de fonds pour mieux descouvrir ce que j’y ay adjousté de mon invention pour la rendre plus dramatique.
Un ancien disoit fort bien, que souvent un homme qui prend deux femmes se marie mal une fois, pource qu’il fait une marastre* aux premiers enfans s’il fait une mere aux autres. Constantin qui en vertu de ses heroïques actions fut surnommé Grand* par un éloge encor trop petit eu égard à ses merites, quoy qu’il semblast joüir de toutes les prosperitez, se ressentit116 neantmoins de ce malheur. Il se maria en premieres nopces à une Dame aussi habile que vertueuse, appellée Minervine, dont il eust deux jumeaux, Crispe et Helene, en qui la terre se pouvoit venter d’avoir produit deux Soleils, le Ciel n’en ayant qu’un seul. Les graces et les vertus sembloient croistre avec ces deux beaux rejettons117 du sang Imperial, et ils ne pouvoient apparemment recevoir aucun déchet que par trop de perfection. Minervine estant decedée, Helene mere de Constantin éleva ses enfans dans le Christianisme aussi bien que dans toute sorte de gentillesse, et l’Empereur qui n’avoit encore que des desseins* pour embrasser nôtre Religion118, épousa une Payenne. C’estoit Fauste fille de Maximien, persecuteur de l’Eglise, dont l’autre devoit estre le protecteur. Femme à la verité aussi belle que la Venus119 qu’elle adoroit, mais d’ailleurs plus impudique. Elle aimoit bien120 au commencement Constantin comme son époux, mais elle commença de regarder* son fils Crispe de meilleur œil, et ne se contentant pas d’estre sa marastre*, elle desiroit estre son amante*. Neantmoins comme elle cachoit subtilement son feu* deshonneste sous la couleur d’une vraye affection de Mere, et que dans les divers transports* de son cœur, elle fut long temps à s’emporter jusques à l’impudence manifeste, toute la Cour estoit fort satisfaite de ses inclinations envers Crispe, et Constantin luy sçavoit gré sans y penser dans son infidelité. Ses mauvais desseins* passoient pour des effets d’un bon naturel, et Crispe mesme s’imaginant que les privautez de Fauste n’estoient pas dangereuses comme celles d’une estrangere, appelloit faveur des tesmoignages d’une fureur déreglée, et bienseance des exces de la deshonnesteté. Il changea bien d’avis quand Fauste changea de façons de faire, et que des poursuites d’amour qu’elle luy faisoit couvertemente elle vint aux evidentes. Ce Prince quoy qu’interdit des discours de cette megere*, trouve pourtant des paroles pour les blasmer, et de la force pour resister à ses violentes caresses. Elle le presse, il ne fleschit point, elle le prie, il la menace, elle l’adore, il la mesprise, elle enrage, il s’irrite, elle s’excuse pour l’accuser plus finement, il se retire de la Cour pour ne la pas rendre tout à fait inexcusable.
Cette retraite du fils donna de violens soupçons au pere, et comme les Grand* s’imaginent qu’ils vivent tousjours trop à l’opinion121 de leurs heritiers, il appelle d’abord* complot ce qui n’estoit que respect et zele pour son service. Là dessus Fauste qui n’avoit pû rendre Crispe coupable avec elle, vient l’accuser de tous ses mauvais desirs, et pource qu’elle n’avoit pû forcer la pudicité122 de ce Prince, elle le charge d’avoir voulu attenter violemment sur123 son honneur. Et comme elle estoit aussi dissimulée que malicieuse, joignant les pleurs à ses plaintes, et des suspensions à ses discours* ; elle persuade à124 ce pere trop credule, que l’innocence estoit attainte d’un tel crime, et que la malice125 estoit innocente. Constantin sans examiner davantage une affaire qui tournoit à son deshonneur comme à celuy de son fils, et qui alloit mettre sa maison* en desolation, et tout l’Empire en desordre, commande à son Confident de faire mourir celuy à qui il avoit donné la vie. Cét Agent fait tout ce qu’il peut pour n’avoir pas cette commission, ou en suspendre l’effet, mais il ne peut pas disposer à sa volonté des intentions de son Maistre, et comme il se voit menacé de perdre son credit* si Crispe ne perd le jour126, il s’en va pour executer l’ordre de l’Empereur avec autant de regret que de promptitude. Crispe le voyant arriver luy fait des caresses127 sans songer au mal qu’il luy venoit faire, et dans un festin où ce Ministre l’invite, on luy sert des aprests128 de mort parmy la joye du banquet. Un venin fort penetrant fait en un moment éclipser ce beau Soleil, sans que les assistans sçachent la cause d’un si malheureux effet ; on peut voir neantmoins dans la douceur que ses yeux gardent mesme dans l’agonie, que Crispe mourant l’innocence meurt. Les nouvelles en estant portées en Cour, elle devient plus triste et muette qu’une sombre solitude, et quoy qu’on justifie cette action violente par la volonté et puissance de l’Empereur, on ne laisse pas de la juger punissable. Les deux Helenes n’ont plus de vie apres le decés de Crispe. Constantin mesme regrette celuy qu’il croit encore coupable, et voudroit mourir à l’instant pour pouvoir le resusciter ! Que l’innocence a de force dans la foiblesse ! on peut calomnier la vertu pour un temps, mais apres ses calomniateurs deviennent ses Panegyristes. La Cour estant dans cette rumeur, Fauste vient la tirer de peine en s’y mettant volontairement, et soit que la verité soit tousjours plus forte que l’artifice et le mensonge, ou qu’en fin quelque spectre l’effraye et l’oblige à descharger* l’innocent ; elle vient confesser son propre crime, et avoüer la vertu de Crispe. C’est là que l’Empereur blâme sa credulité, et qu’il la nomme folie. C’est maintenant qu’il se juge malheureux, voyant qu’ayant perdu son fils, il luy faut perdre sa femme. La peut-il excuser sans peché puis qu’elle est coupable, et qu’il n’a pas voulu garantir129 Crispe de la mort qu’il n’avoit pas meritée ? Il commande qu’on la noye dans le bain pour laver un si noir forfait*, et prenant le deüil pour le decés de son fils, toute sa Cour se resjoüit de celuy de Fauste. Voila en peu de mots la substance de cette tragique action, qui montre où peut aller le soupçon d’un pere mal informé, et la fureur d’une Marastre* desesperée.
On peut voir cette histoire plus au long dans130 les Autheurs qui ont escrit la vie de Constantin avec plus de sincerité que de complaisance. Ceux qui n’en ont osé parler de peur d’offencer la gloire du Protecteur de la foy*, n’ont pas consideré que l’Histoire est un miroir qui represente indifferemment les vices et les vertus, et que de couvrir les defauts pour mettre au jour les perfections, c’est plustost estre flatteur que tesmoin de l’antiquité. Outre qu’il faut considerer que Constantin n’avoit pas encore esté baptisé que par desir, quand il se laissa emporter à cette foiblesse, et apres tout, la justice et l’amour de la chasteté, semblent avoir part à sa faute aussi bien qu’une credulité un peu trop severe. Au reste, j’ay reduit cette suite d’evenemens dans les limites du Poëme Dramatique, et si on y trouve quelque occurrence nouvelle dont les Historiens ne fassent pas de mention, il faut regarder* que c’est un Poëte qui fait cette narration, et c’est à tort qu’il doit feindre* suivant son art, mesme dans les Tragedies, s’il les trouve toutes faites. Il suffit que ce qu’il ajoûte à la deposition des autres, ne les contredise point en la substance des choses, et soit plustost un enrichissement du fonds, qu’une Fable du tout131 hors d’œuvre. Quand il s’esloigne du vray, il doit suivre le vray semblable132. Ainsi l’on trouvera dans cette piece quelques Episodes qui semblent d’abord* un peu destachez, mais qui neantmoins ont beaucoup de liaison avec tout le corps, et se rapportent au sujet, si ce n’est pas de droit fil, pour le moins indirectement, pour rendre la Scene plus agreable et plus honneste tout ensemble133. Cette confidence entre Crispe et Procle est fort naturelle, puisque personne n’est sans amy ; et cette concurrence d’affections de Fauste et d’Adélaïde, causent de petits nœuds dont le desliement donne une peine au Lecteur134, qu’il recherche en toutes les pieces de Theatre. Que si dans toute cette Tragedie j’ay meslé encore d’autres intrigues d’amour outre celles qui en font proprement le corps, ç’a esté pour adoucir la severité des evenemens funestes*, et resjoüir un peu ceux que je dois faire pleurer. Et puis Crispe pour estre innocent, et pour refuser les offres d’une affection illegitime, ne laisse pas de pouvoir estre amoureux raisonnablement ; comme il y a de vicieuses amours, il y a de vertueuses inclinations, et Dieu auroit fait grand tord à notre nature, de luy donner une passion qui la rendit tousjours criminelle.
J’ay fait parler Helene en saincte sur le Theatre, pource qu’elle l’estoit en effet135, et que ce n’est pas un peché de rendre une Poësie plus Chrestienne que profane. Je sçay bien qu’il ne faut pas mesler temerairement la Religion avecque la Comedie ; mais j’estime d’ailleurs que les Poëtes ne sont pas dispensez de la probité, et que les vers qui ont autresfois servy à declarer les plus grands mysteres des Payens, ne doivent pas estre employez de nos jours, à travailler seulement pour l’idolatrie de nos amours. On remarquera que j’ay fait dire à Constantin le secret de son dessein* à son principal Ministre, quoy qu’on die communément qu’il le luy dissimula ; mais je l’ay fait à escient pour excuser la precipitation de ce jugement, qui estant un peu concerté semble estre plus raisonnable, et le subjet participant à la faute semble amoindrir celle du Maistre. Et puis tous les sages Princes ont eu des amis du cœur à qui ils proposoient leurs desseins* aussi franchement qu’à eux-mesme, et souvent pour avoir esté trop secrets en particulier, les Grands* se sont perdus en public. Si un bon Conseiller est necessaire à toute sorte de gens, il l’est bien davantage à ceux qui font les affaires de tout le monde, et qui ne sont eslevez par dessus les autres hommes que pour mieux pourvoir à leur bien. Pour quelques reigles particulieres qu’on suit aujourd’huy avec autant d’adresse que de raison, elles ne seront pas icy parfaitement observées, mais aussi ne les choqueray*-je pas manifestement. Le Theatre sur tout n’y est pas fort bien entendu, pource que j’ay plustost fait cette piece pour me donner du contentement, que pour luy donner des applaudissemens d’une representation magnifique. De sorte que si elle reçoit de l’approbation, c’est contre mon intention et mon esperance. Outre qu’ayant produit cét ouvrage à la campagne, où je ne voyois ny Poëtes ny Comedies, je ne pouvois pas faire un chef d’œuvre de Cour. L’unité de temps et de lieu semble icy plus reguliere, veu que toute l’Histoire se passe à Rome, et que la mort de Crispe arrivée prés de la Ville136, est plustost racontée que mise en veuë137 ; d’ailleurs, il n’y a rien parmy tant d’incidens divers, qui sans contrainte et sans eslargissement, n’ait pû se passer en vingt-quatre heures. La bien-seance138 qui doit regner principalement en des Poëmes serieux, est suffisamment gardée presque en toutes les parties de celuy-cy; comme les douces passions n’y sont jamais molles ou dissoluës, les autres qui sont plus impetueuses ne sont jamais déreiglées que par mesure.
Pour les pensées, j’ay creu qu’elles seroient assez belles, si elles estoient plus naturelles que recherchées, et si les pointes139 venoient plustost de la promptitude que de la quintessence de mon esprit. Les paroles n’estant que les images de l’ame, tiendront moins de l’affetterie140 que de la naïveté, et comme parlant François, je ne voudrois pas estre barbare141, je ne veux pas aussi espuiser tous les secrets des Grammairiens pour faire de mauvais Poëmes. Outre que je ne suis pas né dans ces heureuses Provinces, qui font succer à leurs nourrissons le bien parler avec le laict ; j’estime que de pointiller sur des mots, c’est vouloir dire un peu trop agreablement, ne pouvant dire de bonnes choses. Ce n’est pas qu’il ne faille infiniment estimer ceux qui pour obliger* la France, taschent de polir sa langue, mais je veux dire seulement que les Poëtes ne doivent pas moins regarder leur sujet que l’elocution. En fin j’avouë que cette piece venant de moy, ne peut pas estre sans une infinité de fautes, mais je défie le plus hardy Critique de l’art de m’y monstrer tant de défauts, que je n’en y reconoisse davantage. Ce n’est pas à dire que je croye pouvoir pecher impunément faisant des fautes par dessein*; mais c’est que la Poësie est si delicate, que j’estime qu’un bon Poëte est plus difficile à trouver qu’un bon Orateur, et neantmoins celuy qui a esté le vray exemplaire142 de l’Eloquence, dit, que jamais homme n’a pü reüssir excellemment en sa profession. J’ay encore à dire là dessus, que les commencemens ne peuvent pas estre parfaits, on n’arrive pas au bout de la lice si tost qu’on entre dans la carriere143, on ne peut pas faire des coups de Maistre sans avoir fait aucun essay. Ces Messieurs qui font aujourd’huy les miracles en matiere de Poësie, ont autresfois fait des pieces qui n’estoient pas extraordinaires, s’ils se surpassent maintenant, ils demeuroient autresfois au dessous d’eux-mesmes ; ils avoüent* qu’ils ont esté jeunes devant que144 d’arriver à une parfaite maturité. Ils sont donc trop equitables pour exiger de nous, que nous volions d’abord sans avoir jamais perdu terre, et que nous les esgalions absolument, ayant assez de peine à les imiter. Nous ne pouvons pas faire les chef-d’œuvres pour voir145 seulement qu’ils en font, ny gagner en un mois des avantages qu’ils n’ont obtenus qu’apres des longues années. L’Honneste Fille encore qui voit le jour avec L’Innocent Malheureux, me peut servir d’excuse assez legitime, si j’ay eu plus de soin* de representer les beautez d’une fille que d’un homme. J’avouë que cette Princesse a tellement occupé tout mon esprit, qu’à peine ay-je pû songer à ce Prince, et le bon-heur* de celle-là, m’a esté plus considerable que le malheur de celuy-cy. En un mot, j’ay cru que Crispe ne seroit jamais mal venu estant en si bonne compagnie, et que son infortune l’avoit grandement obligé, de luy avoir fait changer la Cour de Rome à la nôtre. Et quand ce rencontre ne seroit pas un beau pretexte pour colorer mon dessein*, l’amour qu’à un pere pour ses enfans, quelques laids qu’ils soient, authorise tousjours le zele qu’il a de les faire voir en public. Cette Tragedie est une de mes premieres productions, je l’aime quoy que je ne l’estime pas, je la donne au Lecteur, non pas croyant avoir bien fait, mais pour luy promettre de faire mieux. Et certes, si l’approbation commune donne à mon ouvrage le merite qu’il n’a pas, j’espere donner à quelque autre la perfection qui manque à celuy-cy, et faire voir que ne pouvant esgaler personne, je puis me surpasser moy-mesme.
Je connois* bien que la longueur de cette Prose ennuyera les curieux autant que mes vers, mais puis que j’ay fait une faute pour me tesmoigner146 publiquement defectueux, j’en veux faire une autre pour declarer ma sincerité. J’averty donc le Lecteur, qu’un Italien nommé Stephonius, a travaillé en Latin sur le sujet que je manie en François, et que la curiosité qui dés mon bas âge m’a porté à voir les Livres modernes aussi bien que la plupart des anciens, m’a fait lire autresfois, et estimer son ouvrage. Je puis dire neantmoins, que les notions qui m’en restent dans l’esprit sont si confuses, que je n’ay pû m’en servir distinctement, et que si nous nous sommes rencontrez, ou dans l’invention, ou dans la conduite, ç’a esté plustost à l’aventure que par dessein*. Et par là je puis respondre à ceux qui diroient que le sujet que je traitte estant de mauvais exemple, n’est pas bon pour le Theatre, car outre que la punition y suit le crime, suivant les reigles ; cette Tragedie a esté representée devant plusieurs Cardinaux, et en un païs où les crimes enormes semblent estre aussi communs qu’ils semblent rares ailleurs. L’Hippolyte de Seneque est pareillement un chef-d’œuvre sur lequel on peut tirer l’idée de toute sorte de beaux ouvrages tragiques, et la conformité de son sujet avec le mien, peut avoir produit en plusieurs endroits de la ressemblance en la forme. Quoy qu’il en soit, je ne l’ay pas voulu lire de nouveau en composant cette piece, et s’il y a quelques traits pareils, je suis bien aise d’estre disciple d’un si grand* Maistre, et de suivre au moins de loin celuy que je voudrois approcher.En fin puis qu’il n’y a rien sous le Soleil que le monde n’ait jadis veu, il n’est pas defendu de dire de vieilles choses, de travailler de mesme façon sur mesme matiere, et de chercher quelque thresor dans les mines que d’autres nous ont descouvertes. Tant s’en faut que je me rebutte d’estre imitateur des grands* hommes des autres siecles ; qu’au contraire, je suy volontiers l’exemple des modernes s’il est bon, et comme je mesprise le dire des ignorans, je feray tousjours estat de la censure des Doctes. Je finis cette Preface par le tiltre de mon Livre, et dis, que si j’appelle Crispe, L’innocent malheureux, ce n’est pas que je croye que ce soit estre malheureux que d’estre innocent, veu qu’il n’y a point de vray bonheur que dans l’innocence. Mais je veux dire seulement, que comme nous croyons que les bons sont bien souvent malheureux en cette vie pource que Dieu les y laisse souffrir pour leur donner ailleurs le comble des contentemens ; ainsi Crispe a du malheur en ce monde, veu qu’au lieu d’y recevoir les recompences de la vertu, il n’y reçoit apparemment que les châtimens du vice. Je prie le Lecteur de supporter la faute que je viens de faire en l’ennuyant par cette ouverture, et de se representer qu’il estoit autresfois permis aux mauvais Peintres, de monstrer par escrit leur dessein quand il ne pouvoit pas paroistre dans leur tableau. Ils disoient qu’ils avoient peint un homme quand on ne le sçavoit pas distinguer d’avec un bœuf ; On ne peut justement refuser à la peinture Parlante, un droit qu’on donnoit à la Muette.
Preface
A MONSIEUR DE GRENAILLE, Sur le sujet de son Innocent Malheureux, ou la mort de Crispe.
SONNET. §
P.L.P
Au mesme.
Sur le tiltre de son Innocent Malheureux. §
De la Tour.
Au mesme. §
P.L.P.
Au mesme. §
Pisieux.
Au mesme.
Sur sa Tragedie dediée à Monseigneur le vicomte de Pompadour.
STANCES. §
A Uzerche ce I. Septembre 1639 .
Grenaille, frere de l’Autheur.
Au mesme. §
Son intime, de Vaudrichard.
LES ACTEURS. §
- CONSTANTIN, Empereur.
- FAUSTE, seconde femme de l’Empereur, Marastre* de Crispe .
- HELENE, mere de l’Empereur.
- CHRISPE, fils de l’Empereur et de Minervine sa premiere femme.
- HELENE, sœur jumelle de Crispe.
- PROCLE, Prince de l’Empire, amy de Crispe, et amoureux de la jeune Helene.
- ADELAÏDE, Princesse, confidente de l’Imperatrice, et amoureuse de Crispe.
- ARTABAN, premier Ministre de l’Empereur.
- EMILE, Gentilhomme Romain.
- FLAVIE, suivante.
- HYCARIE, suivante.
Argument du premier Acte §
Scene premiere §
Constantin se réjoüit de l’heureuse fin de toutes ses entreprises, qui doit neantmoins estre un commencement de malheur pour sa maison*; la paix du dehors va causer la guerre audedans.
Scene II §
Emile vient donner avis150 à l’Empereur, qu’un Prince de ses sujets s’est revolté contre luy. Il prend resolution de rompre ce qui ne veut pas plier.
Scene III §
Helene mere de Constantin, sçachant bien le pouvoir qu’a Crispe sur l’Esprit de l’Imperatrice, avertit ce Prince de complaire* en tout à Fauste, afin de luy faire agréer les bons desseins* que son espoux a conceus pour la Religion.
Scene IV §
L’imperatrice sous pretexte d’aider les amours151 de Procle, s’informe de celles de Crispe, et charge ce confident de disposer son amy à correspondre aux affections de la plus grande Dame de l’Empire.
Scene V §
Elle avouë en secret ce qu’elle cachoit en public, et se veut persuader qu’un amour illegitime est raisonnable.
Scene VI §
La jeune Helene la vient avertir du dessein* qu’on a pris d’éloigner Crispe par une Charge specieuse ; elles en prennent un autre d’empescher l’execution.
Scene VII §
Adelaïde s’informe du sujet de l’éloignement de Crispe, et maudit en suite son esperance qui ne l’a flattée que pour l’affliger*.
L’INNOCENT MALHEUREUX,
OU LA MORT DE CRISPE.
ACTE I §
Scene premiere §
constantin
artaban
Constantin
Scene II §
constantin
emile
Qu’une de vos Provincesconstantin
artaban
constantin
Scene III §
helene
crispe
helene
crispe
Scene IV §
fauste
procle
fauste
procle
fauste
procle
fauste
procle
fauste
procle
fauste
procle
procle
fauste
procle
Scene V §
fauste seule.
Scene VI §
helene
fauste
fauste
helene
fauste
helene
fauste
Scene VII §
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde
artaban
adelaïde seule.
Fin du premier Acte.
Argument du second Acte §
Scene premiere §
Constantin donne l’épée de General d’Armée à son fils, avec ordre de mourir ou de vaincre ; Crispe la prend, et témoigne que ses resolutions ont prevenu les desirs de son pere.
Scene II §
Fauste se plaint à Constantin de ce qu’éloignant Crispe de la Cour il esbranle l’appuy de l’Empire, et empesche ce jeune Prince d’aller aux occasions d’honneur, pour avoir plus de loisir de l’aimer.
Scene III §
Crispe croyant estre sur son depart, afflige* autant sa grand’mere Helene en luy disant Adieu, qu’il se réjoüit de sa nouvelle charge.
Scene IV §
Ils changent tous deux de ressentiment*, lors qu’Artaban vient arrester Crispe au poinct203 qu’il avoit ordre de marcher. Crispe s’en irrite sans pecher contre le respect.
Scene V §
La jeune Helene et la Princesse Adelaïde, se conjouïssent sur cet arrest, qu’elles estiment heureux, et qui sera la cause des infortunes de Crispe.
Scene VI §
Fauste aprend de Procle que Crispe n’aime que les armes, et ne haït que les plaisirs.
Scene VII §
Adelaïde vient implorer le secours de Fauste pour gagner le cœur de Crispe, ne prenant pas garde qu’elle prie sa Rivale de luy ceder.
Scene VIII. §
Crispe avoüe en fin qu’il cede à l’amour ce qu’il avoit dissimulé, et que de Conquerant il devient serviteur d’une Princesse.
ACTE II §
Scene premiere §
constantin
crispe
Scene II §
fauste
constantin
fauste
constantin
Pour aimer lesfauste
Constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
fauste seule à costé.
Scene III. §
helene
crispe
helene
Scene IV §
artaban
crispe
artaban
crispe
artaban
crispe
artaban
crispe
crispe
helene
crispe
helene
crispe
artaban
crispe
crispe
Scene V §
helene
helene
adelaïde
helene
adelaïde
helene
adelaïde seule.
Scene VI. §
fauste
procle
fauste
procle
fauste
procle
Scene VII §
adelaïde
fauste
adelaïde
adelaïde
fauste
adelaïde
Ses qualitez vous le font bien sçavoir,fauste
fauste
adelaïde
fauste
adelaïde
adelaïde
fauste
adelaïde
fauste
adelaïde
Scene VIII §
crispe
procle
crispe
procle
Argument du troisiesme Acte §
Scene premiere §
Fauste fait appeller Crispe pour luy declarer un dessein* qu’elle veut et ne peut cacher : Adelaïde sert à ce Ministere, et s’interesse pour260 Fauste, croyant que Fauste ne s’interesse que pour elle.
Scene II §
Fauste ouvre son cœur à Crispe par des termes couverts*, et puis dans une impudence manifeste, ses poursuites neantmoins ne reçoivent que des rebuts, enfin elle s’excuse pour accuser l’innocent.
Scene III §
Fauste voyant son amour desesperé le convertit tout en haine, et se resout à perdre* dans la paix ce foudre de guerre qu’elle261 avoit fait retenir.
Scene IV §
Crispe resout avec Procle sa retraite de la Cour sans en donner de cause apparente que sa manifeste melancolie, il y joint le bien de l’Estat et de la maison* de son Pere.
Scene V §
Constantin se rejoüit avec Artaban de la nouvelle qu’il a receuë de la cessation des troubles, et des sousmissions des rebelles.
Scene VI §
Procle rendant raison de la retraite de Crispe, l’Empereur entre en soupçon quand l’autre l’en veut delivrer.
Scene VII §
Fauste accuse en effet Crispe du crime qu’elle seule a voulu commettre, et fait semblant d’appaiser l’Empereur afin de l’aigrir davantage contre son fils.
ACTE III §
Scene premiere §
fauste
Scene II §
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
crispe
fauste
crispe
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
crispe
fauste
fauste
crispe
crispe
fauste à genoux.
Scene III §
fauste seule.
Scene IV §
procle
procle
crispe
procle
crispe
procle
crispe
procle
crispe
crispe
procle
crispe
procle
crispe
Scene V §
constantin
artaban
constantin
Scene VI §
procle
constantin
procle
constantin
procle
constantin
procle
constantin
procle
constantin
constantin
procle
constantin
procle
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
Scene VII §
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
Fin du troisième Acte.
Argument du quatriesme Acte §
Scene premiere §
Artaban tâche de détourner Constantin de la resolution qu’il a prise de vanger l’honneur de sa femme par la mort de son fils, mais en fin la jalousie l’emporte sur l’amour de pere.
Scene II §
Artaban déplore le credit* qu’il a, puis qu’il n’est dans la faveur que pour estre dans le crime. Il aime neantmoins mieux quitter la vertu que la Cour.
Scene III §
Fauste continuë à rendre odieux celuy qu’elle n’a pû faire consentir à son amour detestable, et asseure Adelaïde que Crispe ne paye son feu* que de mine et de froideur.
Scene IV. §
Helene mere de Constantin, vient excuser Crispe envers Fauste sur la promptitude de son depart, et la prie d’adoucir le pere pour sauver le fils, elle promet de s’y employer pour mieux tromper les uns et les autres. [p. 68]
Scene V. §
Emile vient sonder si l’Empereur a changé de resolution, et n’en rapporte que la premiere réponse.
Scene VI. §
Helene fille de l’Empereur, luy vient raconter une forme de vision qu’elle a euë sur la mort de son frere ; Constantin luy dissimule ce qui en est, avec autant de regret que de constance.
Scene VII. §
Il a de la haïne et de l’amour pour son fils innocent, qu’il croit neantmoins coupable.
Scene VIII. §
Fauste vient interceder pour Crispe, avec Helene mere de l’Empereur, et en defendant l’innocence couvre mieux sa malice.
Scene IX. §
Procle ayant veu mourir son amy, se resout de ne plus vivre, que pour en porter les nouvelles à sa Maistresse, et vanger une si injuste mort.
Scene X. §
Il annonce cette funeste* avanture311 par un silence affecté.
ACTE IV. §
Scene premiere §
constantin
artaban
constantin
artaban
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
Scene II §
Artaban seul.
Scene III §
fauste
adelaïde
fauste
adelaïde
fauste
fauste
Scene IV §
helene
fauste
helene
fauste
fauste
helene
fauste
helene
Scene V §
constantin
emile
constantin
Scene VI §
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
Scene VII §
Constantin seul.
Scene VIII §
fauste
helene
fauste
constantin
fauste
Scene IX §
Procle seul, estant de retour du lieu où Crispe est mort.
Scene X §
helene
procle
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
helene
procle
hycarie
procle
hycarie
helene se relevant.
procle
helene
procle
Par l’effet du poison.helene
Fin du quatriesme Acte.
Argument du cinquiesme Acte §
Scene premiere. §
Fauste semble s’affliger* avec Helene mere de son mary, sur le sujet de la mort de Crispe, et neantmoins s’en réjoüit en effet.
Scene II. §
La conscience pourtant l’oblige à regretter celuy qu’elle haïssoit, et à le justifier en s’accusant elle mesme.
Scene III. §
Elle dissimule cependant à sa confidente, le vray sujet de ses transports*.
Scene IV. §
Artaban rendant conte de sa commission, semble s’en repentir quand son maistre en est bien content. [p. 96]
Scene V. §
Helene mere de l’Empereur, vient se plaindre à luy d’une mort dont il est le seul autheur ; il accuse son fils au lieu de s’en affliger*.
Scene VI. §
Il suspend son jugement entre l’incertitude et la verité, ne pouvant croire ce qu’il voit quand Fauste vient descharger* Crispe, en se chargeant* volontairement du crime qu’elle luy avoit imposé.
Scene VII. §
Helene sa fille augmente sa colere contre sa femme, demandant le corps de son frere, et la vengeance de sa mort, ce qu’il ne peut refuser, c’est pourquoy il condamne la criminelle qui avoit fait condamner l’innocent.
Scene VIII. §
Procle cause presque trois morts differentes, en racontant la mort de Crispe aux Princesses Helene et Adelaïde.
Scene IX. §
Helene mere de l’Empereur, qui suivant la raison demandoit vengeance contre Fauste, suivant la pitié vient requerir sa grace. Mais on porte la nouvelle de la mort de cette Megere*, quand l’autre demandoit la vie pour elle.
ACTE V §
Scene premiere §
fauste
fauste
helene
fauste
helene
fauste
helene
fauste
helene
fauste
helene
helene
fauste
helene
Scene II §
Fauste seule.
Scene III §
adelaïde
fauste
adelaïde
fauste
adelaïde
fauste
adelaïde
fauste
Scene V §
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
Scene V §
helene
constantin
helene
helene
constantin
helene
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
constantin
helene
Scene VI §
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
fauste
constantin
constantin
fauste
constantin
artaban
fauste
constantin
fauste
constantin
artaban
constantin
artaban
constantin
helene mere.
Scene VII §
helene fille.
helene mere de l’Empereur.
constantin
constantin
artaban
fauste
constantin
fauste
Scene VIII §
helene
procle
helene
procle
adelaïde
procle
adelaïde
procle
helene
adelaïde
Scene IX, et derniere. §
constantin
emile
artaban
helene mere.
constantin
helene mere.
constantin
helene mere.
constantin
helene à costé.
constantin
artaban
constantin
procle
constantin
FIN.
PRIVILEGE DU ROY. §
LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU Roy de France et de Navarre, A nos amez et feaux Conseillers, les Genstenans nos Cours de Parlement de Paris, Tholoze, Bordeaux, Roüen, Grenoble, Dijon, Aix, Rennes, Preuost de Paris, Baillifs, Senerchaux, et autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartientdra, Salut. Nostre bien amé François de Grenaille, nous a tres-humblement fait remonstrer qu’il desireroit donner au public un liure qu’il a composé, intitulé l’Innocent Malheureux, ou la Mort de Crispe et iceluy faire imprimer, s’il nous plaisoit luy octroyer nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, desirant fauoriser l’exposant, Nous luy auons permis et octroyé, et de nostre grace speciale, permettons et octroyons par ces presentes, de faire imprimer ledit livre en tels characteres, et en tels volumes, et par tel Imprimeur que bon luy femblera, durant le temps et espace de cinq ans, à compter du jour et datte que ledit Livre sera achevé d’imprimer. Luy donnons en outre pouvoir de ceder et transporter le present Privilège à qui il advisera. Faisant tres-expresses inhibitions et defenses à tous Imprimeurs et Libraires de ce Royaume, et autres personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, autre que celuy qui aura droict dudit Exposant de faire imprimer ledit Livre en aucun lieu de nostre obeïsance durant ledit temps sans le consentement dudit de Grenaille, ou de celuy qui aura droict de luy, sous pretexte d’augmentation, correction, ou changement, en quelque sorte et maniere que ce soit, ny mesme d’en extraire aucunes pieces, ou d’en contrefaire le tiltre et frontispice, à peine de362 quinze cens livre d’amende, et de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests. Voulons en outre qu’en faisant mettre au commencement ou à la fin du Livre ces presentes, ou un bref extraict d’icelles, qu’elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoustée, à la charge de mettre deux Exemplaires dudit Livre en nostre Bibliotheque publique, et un dans celle de nostre tres-cher et feal le sieur Seguier Chevalier, Chancelier de France. Si vous mandons, et tres expressement enjoignons faire joüir dudit Privilege ledit Exposant, ou celuy qui aura droict de luy, cessant ou faisant cesser tous troubles et empeschemens au contraire : Car tel est nostre plaisir. Donne’ à Paris le trentiesme jour de Septembre, l’an de grace mil six cens trente-neuf, et de nostre Regne le trentiesme.
Par le Roy en son Conseil,
De Gyves.
Ledit sieur de Grenaille a cedé et transporté tous les droicts à luy accordez par sa Majesté dans ce present Privilege, à Jean Paslé Imprimeur et Libraire en l’Université de Paris, pour en joüir par ledit Paslé durant le temps porté par iceluy, et ce suivant la convention faite entr’eux.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 22.Novembre 1639.
Lexique §
Annexe : extrait de La Cour sainte §
Nicolas CAUSSIN S.J., La Cour Sainte. Tome second : le prelat, le cavalier, l’homme d’estat, la dame, Paris, Sebastien Chappelet, 1640, p. 521-535 (privilège de 1627)
LE CAVALIER. Constantin
Les vices et passions de Constantin devant le Baptesme, avec la mort de Crispus et de Fausta.
SECTION VII.
Je ne veux point representer icy un Constantin en pourfil, comme a fait Eusebe, pour cacher les defauts, et mettre seulement au jour les beautez. Ce n’est pas de merveille qu’il ait eu les vices devant le Baptesme, mais c’est le miracle du Christianisme de changer les lyons en agneaux, les cloaques en fontaines, et les espines en roses et en tulipes. Les glaces de l’hyver font la beauté du printemps, les tenebres contribuent au lustre de la lumiere; et jamais le Soleil n’est plus beau qu’apres son eclipse. Aussi la grace qui est la blancheur de la lumiere eternelle, se fait voir avec plus de triomphes aux ames où elle a dompté plus d’iniquitez. Il est certain que ceste humeur guerriere de Constantin portoit des vanitez, des ambitions, de jalousies, et quelque sorte d’esprit sanguinaire, qui avoit esté grandement fomenté par la nourriture qu’il avoit prise au Palais de Diocletian.
Voicy un prodigieux accident arrivé en sa maison par une precipitation mal digerée, qui est la mort de son pauvre fils Crispus, empoisonné par le commandement du pere sur une meschante et malheureuse calomnie qui luy fut suscitée par sa belle mere. Veritablement ma plume fremit de l’horreur qu’elle a de toucher ceste histoire; et je sçay que plusieurs Grecs flatteurs, ou l’ont passée sous silence, ou l’ont voulu déguiser en faveur de Constantin: mais le sainct Martyr Artemius l’avoua franchement devant Julien l’Apostat, qui luy reprochoit, ne voulant pas nier un fait qui estoit assez notoire, mais se contentant de l’adoucir par les circonstances intervenuës. Le Cardinal Baronius se fasche contre Eusebe qui n’en a rien dit, comme si c’estoit chose estrange qu’un homme qui escrivoit à un fils la vie de son pere en forme de Panegyrique, ne chargeast pas son escrit de crimes et de fureurs qu’on taschoit alors d’estouffer par toutes voyes. Les Grands ont les sentiments trop chatoüilleux à semblables histoires, et ressemblent ordinairement cét animal qui porte son fiel en l’oreille. Ils ne peuvent oüyr une histoire veritable de ce qui les touche, sans se picquer; il faut quelquefois qu’ils apprennent leur vie dans les bruits du peuble: où les uns prennent licentieusement la liberté de tout dire, puisque les autres ont pris la liberté de tout faire.
On ne se peut taire dés ce temps-là des vices de Constantin: mais comme apres avoir fait mourir son fils Crispus, il y ajousta la mort de sa femme Fausta qui avoit suscité la calomnie contre l’innocent, on affigea ce distique aux portes de son Palais, qu’on a depuis attribué au Consul Ablavius:
Saturni aurea sœcla quis requirat ?
Sunt hœc gemmea, sed Neroniana.
C'estoit une allusion à l’humeur de Constantin, qui aimoit fort les perles et pierreries, et à ce qui s’estoit passé au fait de Crispus et de Fausta, dont la substance est telle:
Ne cherchons plus le siecle d’or de Saturne. En voicy un tout de perles, mais c’est le siecle de Neron.
Disons le plus probablement que nous pourrons ce qui arriva en cette affaire.
Nous avons desja touché comme Constantin sortant encores de son adolescence, fut marié en premieres nopces à Minervine; dequoy les escrits de son temps l’ont loüé comme un Prince fort chaste, qui pour éviter les voluptez vagabondes et illicites, se lia si promptement à un legitime mariage, et prit deslors un Minervine. esprit de mary. Il est aisé à croire que cette Minervine qu’il espousa, avoit pris le nom de Minerve, à cause de la sagesse, des graces et des beautez que ces grandes perfections d’esprit et de corps trainent tousjours en queuë quelque sort qui ne permet pas qu’elles durent long-temps: mais qu’elles vivent la vie des roses, qui se font au soir un tombeau de l’escarlatte dont elles s’estoient fait au matin un berceau. La pauvre Princesse eclypsa bien tost apres qu’elle eut donné d’un seul enfantement, qui fut son premier et son dernier, deux enfants jumeaux à Constantin, c’est à sçavoir, un fils nommé Crispus: et une fille, qui du nom de sa grande Mere fut appellée Helene, et mariée depuis à Julien l’Apostat.
Ce Crispus estoit bien le Prince le plus accomply qui fust de son aage: car il sucça premierement la pieté avec le laict, ayant pour sa premiere maistresse du Christianisme la tres-glorieuse Saincte Helene. De là comme on le fit estudier aux bonnes lettres, il rencontra pour maistre ce grand homme de Lactance Firmien, l’un des plus faconds et des plus anciens Autheurs de la Chrestienté: lequel estant Precepteur des Cesars, vivoit neantmoins en une telle pauvreté, qu’il avoit fort estroitement les necessitez de sa vie. Crispus ayant cultivé son esprit par lettres, s’addonna fort courageusement à l’exercice des armes, où il monstroit bien du genie et de la dexterité de son pere; mais il avoit encore plus de grace et de douceur: car les histoires font foy qu’il estoit tres-beau de visage, plein d’attraits et de ravissemens, qui avoient d’autant plus d’impression sur les esprits, qu’ils estoient entez dans une modestie singuliere, et une bonté si naturelle, qu’on ne la pouvoit voir de prés sans l’aymer.
O Dieu quelle furie que l’amour deshonneste, et comme elle l’amour troubla la maison de Constantin ! Si les Seigneurs et les Dames, qui donnent entrée à des affections et à des pensées illicites, consideroient bien les amertumes qui suivent ceste passion, ils s’arracheroient plustost le cœur avec les ongles que de le soüiller de telles ordures. Ce n’est pas sans cause que le sage Aristophon a écrit, que l’Amour avoit esté banny du Ciel comme un trouble manifeste, et perturbateur du repos des Divinitez: c’est la verité qu’où ceste passion met le pied, elle en bannit l’innocence et la tranquillité, qui sont les deux plus precieuses perles de la vie: et s’il y avoit des mauvaises amours au Ciel, il n’y auroit plus de felicitez. Heureuse la vie qui n’a point d’yeux pour ces beautez charnelles, et qui est toute yeux pour se garder sur tout au commencement des surprises !
La miserable Fausta femme de Constantin, fille de Maximian, qui avoit eu une mauvaise nourriture en la maison de son pere, et estoit d’une humeur fort libertine, jusques à sindiquer les devotions de son mary, et quereller nostre Religion qu’elle ne voulut jamais gouster, avoit dans ce desordre de grandes dispositions pour prendre sinistrement l’amour que la beauté de Crispus luy pouvoit facilement donner.
Ce visage divin estant tous jours en objet aux yeux lascifs de l’ Imperatrice, alluma tant de feu dans ses veines, qu’il falut un autre feu pour l’esteindre. Les enfants qu’elle avoit de son mary ne luy estoient rien en comparaison de Crispus: Crispus estoit en son cœur, Crispus en sa pensée; Crispus en ses discours; où elle avoit encore quelque retenuë, de peur d’éventer sa passion ? Si est-ce qu’elle ne se pouvoir tenir de dire, que Crispus estoit l’idée des parfaits, et le fils incomparable, dont la valeur et la vertu vivroient autant que le monde. On s’ estonnoit comme une belle mere avoit tant de bonnes volontez pour le fils de son mary, toutesfois comme elle avoit vescu jusques icy dans les termes de l’honneur, on interpretoit que toutes ces affections estoient sinceres et innocentes. Crispus qui ne pensoit pas alors à se deffendre en un combat qui n’estoit que courtoisie, prenoit toutes ces caresses comme des témoignages d’une tres pure amitié, luy rendant reciproquement beaucoup de respect, dequoy elle monstroit se fascher, desirant qu’il traictast avec elle d’une façon plus libre: dar l’amour l’avoit desja dépouillée de la majesté.
Sainct Augustin a dit heureusement, que qui veut bien punir un esprit déreglé, il le faut laisser entre ses mains, pour servir à soy-mesme d’eschaffaut et de bourreau. L'infortunée Fausta, qui avoit déja donné trop d’entrée au peché, experimentoit des accez de glace et de feu, des desirs, des frayeurs, des hardiesses, des remords. Sa conscience la querelloit au fonds de son cœur, et ne cessoit de luy remonstrer l’enormité de cette faute: quand à force d’impudence elle pensoit avoir estouffé ces petites estincelles de bonté que Dieu va semant dans les esprits les plus abandonnez, elle ne sçavoit par où entamer ce pernicieux dessein. Crispus luy sembloit trop chaste, ceste Religion Chres- tienne le faisoit à son advis trop austere, son esprit estoit encore trop mol, et non capable d’une forte meschanceté, et quand bien il consentiroit, où trouver des complices fidelles, et des occasions, et de la liberté pour contenter un infame desir ? La peine qui suit ordinairement les crimes, la rigueur d’un Constantin jaloux de son lict, l’infamie et les phantosmes des supplices venans à fondre sur sa pensée, luy faisoient bien voir de l’abysime et de l’esfroy; mais la passion bondissoit à l’aveugle par dessus toutes considerations; de sorte qu’espiant un jour sa commodité, elle aborda le jeune Prince avec des paroles qui sentoient assez sa femme perduë: mais luy qui ne la vouloit pas mettre d’abord en confusion, relevoit bien modestement, ce qu’elle avoit dit, l’interpretoit au plus loing de sa pensée. Elle qui ne vouloit plus paroistre comme une Lucrece, estant marrie qu’on donnoit un sens trop chaste à tout ce qu’elle avoit dit à mauvais dessein, s’explique si clairement, que le sage Crispus ne pouvant plus supporter cét esprit effronté, luy dit d’une parole rude et seiche, que si elle persistoit en ceste infame volonté, il en advertiroit l’Empereur: et là dessus s’envole comme un éclair, et s’escarte, la laissant dans un grand desespoir, et une rage qui ne se peut assez exprimer. Tout son amour pour lors se tourne en une rage diabolique, qui luy suggere des fureurs et noires pensées, se determinant de traitter comme la femme de Putiphar, celuy qui l’avoit traitée comme Joseph. Elle se sert de toutes les armes de la douleur, qui luy estoient pour lors naturelles, ne cessant journellement de pleurer et souspirer devant son tres-cher mary, comme si elle se fust affligée pour l’horreur du peché d’autruy. Encore avoit elle tant d’artifices, qu’elle feignoit cacher ses larmes, et estouffer ses souspirs pour rendre la feinte plus dangereuse par un pretexte de modestie.
L'Empereur la voyant en cét estat, luy demanda la cause de sa tristesse: elle respond: Qu'il est plus expedient à sa Maiesté de l’ignorer. Luy s’opiniastre davantage à sçavoir ce qu’elle feignoit de celer, la pressant et la questionnant pour tirer une calomnie, aussi fort qu’on eust fait pour une bonne verité. En fin elle declare avec beaucoup de feintes horreurs, et des paroles cruellement modestes: Que son fils Crispus avoit voulu entreprendre sur l’honneur de son lict, mais Dieu mercy que sa foy inviolable la mettoit à l’abry de tels dangers. Qu'elle ne demandoit autre satisfaction de ce miserable qui s’en estoit fuy, que les remords de sa mauvaise conscience. Constantin luy recommandant le silence, entre en une noire et profonde colere, se figurant que la retraite de son fils estoit une marque de son crime: il se delibere de le faire promptement mourir; et pour cét effet appellant un de ses serviteurs des plus affidez et des plus determinez aux executions, apres l’avoir obligé sous de grands serments et execrations au secret, illuy donne commandement exprés de joindre son fils Crispus au plustost, de traitter accortement avec luy sans l’effarer, ny luy donner le moindre ombrage, et ne manquer pas de le servir à son premier repas d’un poison bien preparé pour l’envoyer en l’autre monde. Celuy-cy effrayé d’un si horrible commandement, demande à l’Empereur; S'il avoit bien resolu ceste affaire, pour trait ter un fils d’un si grand merite, en la façon: Oüy, dit-il, j’y ay pensé ? il faut necessairement qu’il meure: car je vous apprens, sans qu’il soit besoin de vous informer davantage, qu’apres l’attentat qu’il a conçeu, sa vie est incompatible avec la mienne. L'autre pensa qu’il y avoit quelque conjuration toute formée sur la vie et sur le sceptre du pere: voila pourquoy il haste le coup; et comme il estoit desja assez familier au pauvre Crispus, il l’aborde avec de grands complimens d’honneur et de courtoisie, feignant le vouloir resjouïr, d’autant qu’il le voyoit alors en une assez mauvaise humeur pour ce qui s’estoit passé avec Fausta, Couvrant tant qu’il pouvoit sa pensée pour couvrir l’honneur de ceste mauvaise belle-mere. On dresse là dessus un malheureux banquet à l’innocent qui fut le dernier de sa vie, le venin luy ayant esté traistreusement servy au lieu ou moins il attendoit ceste perfidie.
Veritablement ceste mort, de quelque costé qu’on la regarde, est grandement pitoyable. Les tragedies qui la pleurent avec tant d’appareil comme celle de nostre Stephanius, ont bien de l’émotion: mais prenant seulement la chose dans la simple naïveté du fait, elle donne de la compassion aux cœur les plus endurcis. Un jeune Prince, le plus parfait qui fust alors dans tout le monde, beau comme Absalon, vaillant comme un Alexandre, innocent comme Joseph, enlevé lors qu’il estoit aux portes de l’Empire qui l’attendoit, et ravy par une mort si affreuse et si perfide, et assassiné par le commandement de son pere, qui le fait mourir comme un incestueux, sans le vouloir ouïr, ny luy donner permission de se justifier, ny loisir de se cognoistre, ny un seul moment de temps pour se preparer à la mort, qu’on donne aux plus grands criminels. On l’enveloppe sourdement dans le dernier malheur pour fermer sa bouche à son innocence, et ouvrir celle de la calomnie, pour abbayer encore contre ses cendres.
La genereuse ame qui estoit tousjours preparee à ce passage par les loix du Christianisme qu’elle avoit si devotement embrassé, sortit de son corps chaste pour aller à la Couronne des eslus, laissant apres soy des regrets incomparables. Helas que ne fait une mauvaise amour: que ne fait une calomnie ! que ne fait un soupçon ! que ne fait une colere sans frein, et une parole sans queuë ! ô Grands, ne ferez-vous jamais les apprentissages de la sagesse dans les maux d’autruy !
Aussi-tost que ceste nouvelle fut venuë à la Cour, la meschante Fausta vit bien que c’estoit un effect de sa perfidie, et se representant vivement devant les yeux ce pauvre Prince qu’elle avoit auparavant tant aymé, pour lors indignement
massacré en une beauté, en un âge, ou meurent les plus deplorables, et en une bonté qui eust donné de la compassion aux tygres et aux lyons; toute sa passion et sa haine change en une douleur enragée, qui la fait crier et hurler aux pieds de son mary, confessant qu’elle avoit tué le chaste Crispus par sa detestable calomnie: que c’estoit elle qui l’avoit sollicité au mal; mais qu’elle avoit trouvé un Joseph doüé d’une chasteté invincible, qui avoit detesté son peché autant qu’il estoit detestable; de- quoy picquée de colere, et craignant d’estre prevenuë, elle avoit precedé ceste funeste accusation, et partant qu’elle estoit indigne de vivre apres avoir tué le plus innocent Prince du monde, et tâché le propre pere de son sang.
Constantin estonné pardessus tout ce qui se peut dire d’un si prodigieux accident, n’avoit ny réplique, ny sentiment d’homme, tant le transport, l’avoit ravy en soymesme. Et quand il vit sa saincte mere Helene, laquelle avoit nourry si tendrement le pauvre Crispus, qui le pleuroit avec des larmes inconsolables, et demandoit au pere pour le moins le corps de son petit fils, pour le laver des eaux de sa teste, et l’ensevelir de ses mains, disant que la meschante beste avoit tué son Joseph; il fut percé au vif d’une compassion meslée de fureur. Puis ceste pauvre sœur du deffunct, qui sembloit n’estre autre chose que l’ombre de son frere, venant encore à fondre toute en pleur aupres de sa grande mere, ce spectacle alluma davantage de passion de l’Empereur; et pensant que Fausta meritoit bien la mort estant convaincuë d’une telle meschanceté par sa propre confession, il l’a fit entrer dans le baing, et sur l’heure la fit estouffer de la vapeur, qui estoit un supplice dont on se servoit quelquefois pour faire mourir les personnes de qualité.
Voila les issuës des funestes amours de Fausta, pour apprendre à toutes les Dames, que ces passions qui commencent par des complaisances, des chatoüillemens et delices, finissent bien souvent par des horribles tragedies. Cependant la maison de Constantin demeura long temps plongée dans un morne silence: et comme tout cecy avoit esté fort secret, on ne sçavoit que penser en public de la mort de Crispus et de Fausta: ce qui donna occasion à plusieurs de contester qu’ils estoient morts pour quelque conjuration.
On ne peut pas icy excuser Constantin d’une grande colere, d’une precipitation, et d’une procedure trop sanguinaire, mais pour le moins fit-il mourir Crispus sous une fausse creance d’impureté, qu’il estimoit devoir estre vengée, et Fausta par raison de justice.
Voila pourquoy ce peché, quoy qu’il ait bien du mal-heur, n’a pas encore la meschanceté determinée du peché de David, en la mort d’Urie, pource que l’un operoit avec une manifeste cognoissance de son crime, et l’autre y alloit avec beaucoup d’ignorance et de sentiment de justice. Si est-ce que Constantin apres ces executions eut de tres-grands remords, qui l’acheminerent en fin tout à fait à la profession du Christianisme.