Chez Toussaint Quinet, au Palais,dans
la petite Salle, sous la montée de la
Cour des Aydes.
M. DC. XXXIX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Kevin Annelot dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2011-2012)
Introduction §
« Et nulle comparaison ne saurait donner plus vivante image de ce que nous sommes et de ce que nous devons être que la comédie et les comédiens. »1 Avec une telle vision du monde Don Quichotte se définit bien comme un personnage baroque. Par la dualité qui compose son caractère, entre culture savante et idéalisme fantasmatique, il est sur le grand théâtre du monde la figure exemplaire d’une esthétique du reflet : il est celui qui a intériorisé cette dichotomie de l’être et du paraître, et qui l’a érigée en drame psychologique. Sur la scène humaine il s’est choisi un rôle et refuse d’en sortir et de le dénoncer comme illusoire, au grand dam de son entourage ; dans la comédie du siècle il incarne un esprit rebelle qui veut écrire sa propre intrigue et la jouer à sa façon. De fait nulle comparaison ne donne à nos yeux plus vivante image de ce qu’est le roman de Cervantès qu’un hidalgo qui part à l’aventure comme on entre en scène, armet de carton en tête, sous un nom de bataille, avec un garçon de ferme pour écuyer et une paysanne pour dame de cœur. Puisqu’il n’y avait rien qui n’autorisât un poète dramatique à s’emparer du sujet, que tout ou presque s’y prêtait, comment s’étonner qu’en France, en 1639 Don Quichotte monte enfin sur le théâtre comme protagoniste principal et éponyme ?
Eh bien, reprit Don Quichotte, il en va de même de la comédie et des usages de ce monde, où certains font les empereurs, d’autres les pontifes, bref, tous les personnages que l’on peut faire entrer dans une comédie. Mais quand la fin arrive, c’est-à-dire au moment où la vie s’achève, la mort ôte à chacun les vêtements qui les différenciaient, et ils se retrouvent tous égaux dans la tombe.
--Belle comparaison, dit Sancho. Mais elle n’est pas si neuve…2
Certes la comparaison n’est pas si neuve, et Sancho en a toute prête une de son cru, mais le lieu commun du theatrum mundi est encore à la mode. Et dans cette époque qui se complaît au jeu des apparences, Don Quichotte est en même temps qu’une référence littéraire connue, presque commune, le digne représentant de ces thèmes baroques fort prisés, ceux de la folie et de l’illusion. Lorsqu’un auteur connu jusqu’alors pour ses tragédies et ses tragi-comédies, Guérin de Bouscal, se penche sur les aventures de l’ingénieux hidalgo, il s’inscrit de fait dans cette tradition des pièces de fous, qui oscillent entre pur divertissement gratuit et volonté thérapeutique, mais où la tentation n’est jamais loin de ne faire des fous sur scène que le reflet distordu de ces fous qui les regardent. Le monde est plein de fous, de fous presque dans leur bon droit, puisque le monde n’est en somme qu’un théâtre. Tel est en quelque sorte le paradoxe de l’illusionnisme baroque. Pourtant Don Quichotte rappelle aussi toute une tradition du Capitan fanfaron, il est la cible privilégiée des farceurs, l’acteur comique d’une pièce jouée à son insu. Dès lors il faut pour l’auteur décider quel visage donner à la folie ; Don Quichotte sera-t-il un fou idéaliste, symbole de l’humanité, ou un extravagant coupé du reste du monde qui monte sur scène pour divertir les honnêtes gens ?
L’auteur §
Nous savons peu de choses de la vie de Guérin de Bouscal et le peu d’informations que nous possédons tendent à être remises en cause par les découvertes récentes de C. E. J. Caldicott telles qu’il les rapporte dans son édition du Gouvernement de Sanche Pança3. Seulement mentionné jusqu’à ces dernières années dans de rares dictionnaires littéraires du XVIIIe et XIXe siècles sous le prénom de Guyon, qui apparaît dans le privilège royal de l’une de ses pièces, il serait né dans la seconde décennie du XVIIe à Réalmont d’un père notaire protestant et serait mort d’après ces mêmes sources en 1657 à Réalmont, où il exerçait les fonctions de conseiller lieutenant principal de la prévôté de la Réalmont, puis de consul de cette même ville. Cependant C. E. J. Caldicott fait état d’un acte de décès daté du début de 1676, d’un certain François Daniel Guérin de Bouscal, de confession catholique, mort à la fin 1675. Considérant qu’il s’agit du même homme et supposant, en dépit de l’absence de preuve matérielle, une abjuration de la religion réformée (puisque ses deux frères notaires sont restés protestants), Caldicott s’autorise de ce document d’archive pour avancer le prénom Daniel et reculer la date de son décès de près de vingt ans. Au-delà de ce manque d’informations, il semble bien que Guérin de Bouscal fut oublié dès la fin du XVIIe puisqu’en 1712-1713 Dancourt plagie le Gouvernement de Sanche Pança et fait publier la pièce à peine retouchée sous son nom, y adjoignant des vers des deux premières pièces de la trilogie inspirée du roman cervantin, reconnaissant dans sa préface s’être servi de l’œuvre d’un auteur oublié.
Guérin de Bouscal est l’auteur de dix pièces de théâtre, d’une paraphrase du psaume XVII et de diverses poésies. S’il est aujourd’hui connu, c’est avant tout pour sa trilogie dramatique adaptée du roman de Cervantès, et au sein de cette dernière pour le Gouvernement de Sanche Pança, qui fut la reprise favorite de la troupe de Molière entre 1659 et 1665 juste derrière Dom Japhet d’Arménie de Scarron.4 On peut cependant noter qu’en 1660 (pour trois représentations : le trente janvier, le premier et le trois février) apparaît dans le registre de La Grange une pièce intitulée Don Quichot ou Les Enchantements de Merlin, « pièce raccommodée par Madeleine Béjart », titre qui renvoie certainement aux deux premières pièces de la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal remaniées pour n’en former qu’une seule. Avant de se pencher sur l’adaptation du roman de Cervantès par Guérin de Bouscal, il convient de situer ce dernier dans ce mouvement plus vaste qu’est la diffusion en France des personnages et des thèmes du Quichotte.
Don Quichotte en France au XVIIe siècle §
Le fait n’est que trop certain : par son succès retentissant en Espagne, le Quichotte passe très vite la frontière des Pyrénées. Même si la traduction de la première partie du roman par César Oudin ne date que de 1614, des extraits des discours de Don Quichotte et l’une des nouvelles insérées dans le roman, celle du Curieux impertinent, ont déjà été transposés en français par Baudoin. La chronologie témoigne bien du succès rencontré par le livre, puisque François de Rosset publie dès 1616 la traduction des Nouvelles exemplaires parues en Espagne en 1613, et dès 1618 celle de la seconde partie du Quichotte qui date seulement de 1615. Cette accélération du rythme des traductions rend bien compte d’une attente plus grande du public et de l’élargissement de l’audience rencontrée par la première partie. Dans la première moitié du siècle, le personnage de Don Quichotte est donc déjà connu du public français, ou s’est fait connaître chez un public moins lettré par des gravures burlesques ou des ballets de cour ; ainsi entre 1616 et 1625 il figure dans une mascarade, L’Entrée en France de Don Quichotte. La figure de Don Quichotte s’y confond avec celle du Capitan, héritée du miles gloriosus de la comédie latine, et tend à représenter l’Espagnol en général, bravache et fanfaron. Le projet satirique de Cervantès trouve aussi des imitateurs, on peut citer entre autres Le Chevalier hypocondriaque de Du Verdier, le Don Quichotte gascon de Cramail ou le Gascon extravagant de Du Bail, ensemble de portraits burlesques qui emploient et usent des rodomontades espagnoles. L’émule le plus connu de Cervantès sur le sol français reste Sorel, qui après avoir publié ses Nouvelles françaises sur le modèle des Nouvelles exemplaires écrit le Berger extravagant, qui se situe dans la droite lignée du roman cervantin, à la fois par la volonté satirique tournée à présent vers les romans pastoraux et par la réalisation posthume du projet ultime de Don Quichotte d’abandonner la chevalerie errante pour se faire berger. Parallèlement les Nouvelles exemplaires et les récits intercalés dans le roman servent de trame à de nombreuses pièces d’auteurs français comme Hardy, qui sont le plus souvent des tragi-comédies d’influence pastorale.
En 1629, Pichou, un auteur dramatique, l’un des protégés de Richelieu, fait des amours de Cardenio, Lucinde, Dorotée et Fernando5 le sujet de sa tragi-comédie Les Folies de Cardenio. Dans cette intrigue tirée de la première partie du roman, et inspirée de la Diane de Montemayor, apparaît pour la première fois sur le théâtre Don Quichotte de la Manche, toutefois de manière plutôt accessoire : il représente le pendant comique de la folie amoureuse de Cardenio, et se confond pleinement avec la figure du Matamore glorieux mais lâche qui est la sienne dans les ballets et autres divertissements. Le passage adapté par Pichou dans sa pièce est le même qu’avait choisi dès 1606 Guillen de Castro dans son Don Quichotte, confiant au chevalier errant le même rôle de pur accessoire comique et de contraste avec le sujet plus élevé de l’intrigue. Cette tragi-comédie, répertoriée dans le Mémoire de Mahelot, fut jouée à l’Hôtel de Bourgogne, et connut un certain succès pour la beauté de ses vers lyriques, au point que Scudery la mentionne dans sa Comédie des comédiens. On sait que Pichou eut directement accès au texte espagnol, mais resta très influencé par le genre de la pastorale lyrique. Don Quichotte y joue, on l’a dit, un fou ridicule par rapport à Cardenio, atteint pour sa part de « folie mélancholique » ; le chevalier manchègue n’apparaît d’ailleurs qu’à l’acte III et dans seulement six scènes, n’étant exploité que comme une référence littéraire connue. Il faut attendre encore dix ans avant que Guérin de Bouscal ne reprenne ce sujet, choisissant d’en faire une comédie ; il met alors l’accent sur la farce jouée à Don Quichotte et sur ses extravagances plutôt que sur l’intrigue quasi pastorale des jeunes gens, et le premier entreprend de porter véritablement à la scène l’œuvre de Cervantès.
Guérin et Cervantès §
Avant sa trilogie dramatique – Dom Quixote de la Manche, Dom Quichot de la Manche, seconde partie et le Gouvernement de Sanche Pança, Guérin de Bouscal s’était déjà inspiré de Cervantès pour sa tragi-comédie l’Amant libéral en 1637. Ses trois pièces adaptées du Quichotte constituent le témoignage le plus important qu’on ait aujourd’hui de la réception du roman cervantin en France, à la fois par la taille de l’entreprise, trois pièces qui se suivent, et par la fidélité au texte dans les traductions successives d’Oudin et de Rosset6 ; Guérin ne se contente pas en effet de reprendre un unique épisode romanesque qui lui servirait de canevas et à partir duquel il construirait sa pièce. Par ailleurs il est le premier à s’intéresser à la seconde partie, et ce dès sa première pièce puisque l’épisode de la comtesse Trifalde et de Chevillard de l’acte V est issu du second livre des aventures de Don Quichotte. Si de nombreux auteurs s’étaient aperçus que les histoires insérées dans le roman se prêtaient remarquablement à l’adaptation théâtrale, notre dramaturge est le premier à s’intéresser à la matière-même du roman susceptible d’offrir des caractères comiques remarquables à défaut d’une intrigue resserrée. Le roman a en effet pour vertu d’accorder beaucoup d’importance aux dialogues qui constituent et dévoilent le caractère des personnages et qui les définissent par-delà tout autre élément : on peut notamment renvoyer aux justifications de Don Quichotte sur son entreprise chevaleresque qui sont autant de démonstrations de la santé de son esprit et qui viennent contrebalancer les saillies de son extravagance et les actions effectuées sous l’emprise du délire romanesque ; ou encore à la verve «proverbiale » de Sancho qui fait la saveur des échanges entre le maître et l’écuyer. Le roman cervantin semble donc se prêter remarquablement à l’adaptation théâtrale, et de plus il apparaît bien souvent dans sa composition et dans le déroulement de l’histoire comme d’ores-et-déjà très théâtral.
En 1638 Guérin de Bouscal se lance malgré tout dans une entreprise d’importance : certes l’Espagne est la mode – le Cid vient tout juste de triompher- et la référence littéraire que représente le personnage de Don Quichotte est propre à attirer un public qui a déjà su l’apprécier dans les ballets ou dans la comédie de Pichou. Mais pour les seules comédies de sa carrière de dramaturge, Guérin de Bouscal, sans expérience dans ce genre précis, choisit de mettre sur le devant de la scène, de donner le rôle phare à ce qui, jusqu’ici, n’avait fait que l’accessoire, l’élément divertissant des créations antérieures. Néanmoins la succession dans un intervalle de temps réduit des trois pièces, conçues comme une suite, peut-être dès 1638–16397, et ce malgré deux changements de libraires laisse supposer un certain succès, au point que vingt ans après ces pièces seront reprises, quelque peu modifiées, par la troupe de Molière.
Guérin est donc le premier, plus de vingt ans après la parution des traductions, à mettre en scène plus d’un épisode adapté du roman, à faire de Don Quichotte le personnage central, et à préférer la trame comique aux histoires intercalées, d’un romanesque plus traditionnel, ou du moins aux intrigues offrant plus aisément un nœud dramatique.
Les Intrigues §
Pour Dom Quixote il s’en tient pourtant encore à l’intrigue choisie par Pichou, et avant lui par Guillen de Castro, celle des amours contrariées de Cardenie, Lucinde, Fernande et Dorotée. Cet épisode débute dans le roman au chapitre XXVII et se poursuit jusqu’au chapitre XLVI avec de nombreuses interruptions (notamment la nouvelle du Curieux impertinent).
Lors de sa deuxième sortie, après s’être livré à nombre d’aventures – parmi lesquelles l’épisode des moulins à vent, du bassin du barbier confondu avec l’armet de Mambrin – Don Quichotte rencontre près d’une taverne dans la sierra Morena un jeune homme, Cardenie, qui est fou de chagrin par moment parce que son ami Fernande lui a enlevé sa fiancée (dans la pièce Don Quichotte ne fait pas au préalable la rencontre de Cardenie, celui-ci se lie d’abord d’amitié avec Dom Lope, puis Dorotée). Dans le même endroit se trouve Dorotée que le curé et le barbier du village de Don Quichotte (dans la pièce Dom Lope et Barbero) rencontrent alors qu’ils sont à la recherche du chevalier errant pour le ramener chez lui et le guérir de ses folies. Dorotée est cette amante que Fernande a abandonnée pour Lucinde, fiancée à Cardenie. Ensemble Cardenie, Dorotée et Dom Lope décident de faire croire à Don Quichotte que la jeune femme est la reine de Miconmicon venue lui demander son aide. Ce stratagème doit permettre de ramener, sous couvert de la fable inventée, l’extravagant hidalgo à la Manche (Actes I et II).
Dans cette même taverne se trouvent aussi par hasard Fernande et Lucinde, le premier ayant ravi la seconde dans le couvent où elle avait trouvé refuge après le mariage forcé. Les couples d’amants se reforment alors, Cardenie avec Lucinde et Fernande avec Dorotée. De concert avec Dom Lope ils se consacrent à la mystification de Don Quichotte déjà commencée (Acte III).
Surviennent ensuite plusieurs contretemps : Sancho assiste aux retrouvailles des amants et tente de désabuser son maître. Le barbier auquel Don Quichotte a enlevé de vive force son bassin pour s’en coiffer réapparaît suivi des archers pour réclamer son bien (Acte IV).
Enfin au dernier acte Guérin choisit d’ajouter une seconde farce qu’il tire de la seconde partie du roman ; l’épisode de la comtesse Trifalde et de Chevillard8, farce originellement mise en œuvre par le Duc auquel se substitue Fernande dans la pièce. Une autre dame éplorée vient appeler le grand Don Quichotte à son secours. Pour ce faire il doit, avec Sancho, monter sur un cheval de bois les yeux bandés. La pièce finit alors comme un spectacle à machines puisque le cheval de bois explose au moyen de pétards sous Don Quichotte et Sancho qui reprennent conscience au milieu de leurs mystificateurs pour conclure la pièce.
Dans Dom Quichot, seconde partie, Guérin reprend certains épisodes, moins suivis que dans la pièce précédente, de la troisième sortie de Don Quichotte. Pour l’acte I, sa dispute avec sa nièce et le curé au sujet de son départ imminent pour l’aventure, tandis que Sancho tente de convaincre sa femme du bien-fondé d’un tel projet. Il s’essaye aussi en vain à réclamer une quelconque garantie financière auprès de Don Quichotte. À l’acte II, Dom Lope, déguisé en chevalier errant (transposition non plus du curé du village mais du bachelier Sanson Carrasco) suivi du barbier (l’ancien Barbero) retrouve Don Quichotte et Sancho dans la forêt pour le provoquer en duel et l’obliger par sa victoire à demeurer à la Manche pour dix ans. L’arrivée du Duc, metteur en scène des « bourles » à venir suspend le combat. Dans l’acte III, Don Quichotte et Sancho sont invités chez le Duc pour son divertissement. Dom Lope les suit, toujours masqué. Don Quichotte s’y plaint de l’enchantement de sa dame Dulcinée, transformée en vulgaire paysanne. Durant l’acte IV, Sancho explique à la Duchesse qu’il est l’auteur de cet enchantement, ayant trompé son maître sur l’identité de la paysanne et profité de sa crédulité pour s’épargner la peine de trouver une dame imaginaire. Le Duc met alors en scène le défilé des quatre enchanteurs à l’origine de la transformation de Dulcinée, incarnée par un jeune page. Pour la désenchanter, Sancho se doit donner plus de trois mille coups de fouet, ce qu’il ne promet qu’à contrecœur. Au dernier acte Don Quichotte et Dom Lope se battent en duel, ce dernier est vaincu, mais quoique démasqué Don Quichotte refuse de le reconnaître pour son concitoyen. Pour le désabuser le Duc rappelle les enchanteurs qui défilent de nouveau et avouent chacun leur tour la supercherie à laquelle ils ont pris part. Rien n’y fait, Don Quichotte demeure convaincu qu’il est la victime de « méchants enchanteurs qui le persécutent. »
Pour donner une vue d’ensemble on peut rappeler que la troisième et dernière pièce de la trilogie, le Gouvernement de Sanche Pança, se concentre autour d’un épisode beaucoup plus réduit du roman9 : Sancho est nommé gouverneur d’un village du Duc (l’Isle promise), il y rend la justice, se voit ensuite refuser le festin tant attendu du gouverneur et subit une fausse attaque d’ennemis avant d’abandonner sa charge de dépit.
Unités classiques et comédies de fous §
Avec la Mort de Brute et de Porcie, Guérin s’était situé, au moment de la querelle du Cid du côté des réguliers ; on retrouve des traces de cette conviction dans la première pièce, Dom Quixote, avec un effort visible de situer l’action dans un lieu unique, en jouant certainement d’un ensemble de tableaux ou de compartiments, à l’exemple de la pièce de Pichou, qui dix ans auparavant utilisait d’après le Mémoire de Mahelot, un décor à compartiments. Rien n’empêche donc de supposer l’emploi d’un dispositif similaire pour la pièce de Guérin. Ce respect des unités apparaît notamment dans la mention qui suit la liste des acteurs, « La scène est dans une taverne de la sierra Morena en Espagne. » Pour l’unité de temps, rien ne s’oppose à la règle des vingt-quatre heures, puisqu’il n’est fait mention que d’un seul matin à l’acte III, et qu’aucun délai important n’est nécessaire pour le déroulement des péripéties. Toutefois cette volonté de se plier aux règles, qui commencent à peine à s’imposer, et avant tout dans la tragédie, s’estompe dans la pièce suivante qui fonctionne selon une série de tableaux, un par acte, au moins jusqu’à l’acte IV, tantôt dans le village de Don Quichotte, tantôt dans la forêt, puis chez le Duc, à l’intérieur puis à l’extérieur, l’auteur précisant seulement que « La Scene est à la Manche. » Quoique soucieux dans un premier temps de suivre les règles telles qu’elles sont en train de s’élaborer, l’auteur s’éloigne des réguliers en ce qui concerne l’unité d’action, et ce dès la première pièce. Celle-ci est en effet déséquilibrée par la présence de deux intrigues qui se succèdent plus qu’elles ne se rejoignent : d’un côté l’intrigue romanesque du carré amoureux, Cardenie, Lucinde, Dorotée, Fernande, qui trouve sa solution dès l’acte III tout en douceur, de l’autre les farces jouées à Don Quichotte par les jeunes gens, qui de par leur gratuité ne constituent pas de véritable ensemble. Il est donc difficile de voir dans la première pièce, comme le suggère Daniela Dalla Valle « trois intrigues qui tendent toutes vers l’apothéose du dénouement », la pièce demeurant bancale du fait de cette diversité d’intrigue.
Pour la seconde pièce, le principe de succession de tableaux montre que Guérin délaisse l’unité d’action encore recherchée dans l’œuvre précédente pour suivre la trame romanesque au gré des passages comiques propres à être transposés au théâtre. Il se sert de seize chapitres de la Seconde Partie10, répartis entre le début du livre et son épisode central chez le duc.
Dans les deux pièces Guérin de Bouscal a fait preuve d’une fidélité scrupuleuse11 envers la source, au point qu’on a pu lui reprocher comme Lancaster d’uniquement versifier ou de paraphraser le roman de Cervantès.12 Dans Dom Quichot, seconde partie, on ne trouve qu’un seul passage original, celui des Infantes de Perse qui parodie le genre des poèmes baroques et propose une première « bourle » de l’invention du Duc, faite, comme il le dit, pour « balloter en attendant partie. »
Si le talent de Guérin n’est donc pas à chercher dans la composition de l’intrigue, il faut cependant lui reconnaître un véritable travail d’assemblage de morceaux choisis et une certaine qualité de la prosodie, particulièrement dans le détournement burlesque. Parmi ces choix, on remarque tout d’abord la contrée à la mode, l’Espagne, et son cadre exotique, synonyme immédiat de dépaysement et de poésie. N’oublions pas le triomphe du Cid ; reprendre comme Corneille une pièce de Guillen de Castro, pouvait donc sembler de bon augure. L’Espagne, c’est aussi l’influence de la comedia, soit une ouverture sur le monde romanesque plus qu’évidente dans notre cas, qui se distingue de la commedia à l’italienne reposant sur des effets de surprise. Cette ouverture du théâtre au monde romanesque signifie en effet des personnages plus vivants, plus complexes et ambigus, avec une intériorisation des motivations, de l’intrigue et la mise en avant de cette conception baroque du dédoublement et de la dichotomie. Si tous les personnages de la comédie à l’espagnole souffrent à des degrés divers d’un certain quichottisme, tiraillés entre aspiration intérieure et réalité extérieure, peut-il en être autrement pour notre héros, qui résume à lui seul le dualisme baroque. Cette conception du double joue à plein dans nos pièces, avec la confusion et le mélange de l’être et du paraître, ce jeu d’illusions sur ce terrain si propice de la folie. Elles sont de fait construites sur le même schéma de la tentative de désillusion manquée.13 Les mystificateurs couvrent leur fourbe d’un prétexte thérapeutique : Dom Lope demande l’aide de Dorotée pour ramener Don Quichotte, ou encore il joue un second chevalier errant pour contraindre l’hidalgo au sein-même de sa fantaisie. Mais très vite le plaisir prend le pas sur le souci charitable : Dorotée se prend au jeu :
J’ai lu les Amadis, et crois que ma mémoireMe peut fournir encor de quoi faire une histoireCapable d’amolir un cœur plus endurci.14
Fernande pour sa part entend principalement se divertir, Dom Lope et le Duc oscillent d’une attitude à l’autre ; « Dieu que nous allons rire. » déclare Dom Lope à la fin de l’acte I de la première pièce. Le duc justifiera dans le Gouvernement de Sanche Pança cette démarche. À la duchesse inquiète du caractère peu charitable de la « fourbe », il répond que la complaisance pour les délires des fous a du moins le mérite de les rendre heureux, et qu’on l’on peut s’en divertir.
LE DUC
Voyez l’évènementPour tirer du plaisir de leur mélancolie :Chacun à qui mieux mieux honore leur folie,On leur rend des devoirs que l’on conteste aux Rois,Et leurs moindres désirs sont érigés en lois.LA DUCHESSE
Mais ce n’est que par jeu :LE DUC
Ce n’est pas leur créance.LA DUCHESSE
Démentent-ils leurs yeux ?LE DUC
Ils croient l’apparence.
Puis il en passe par ce thème baroque du theatrum mundi :
LE DUC
Mais enfin cet honneur dont notre âme est charméeQu’est-il aux mieux sensés qu’un jeu, qu’une fumée ?En peuvent-ils tirer quelque chose de douxQui n’ait pas déjà passé dans l’esprit de nos fous.L’amour de nos vassaux, leurs respects et leurs craintesN’en sont le plus souvent que l’effet de leurs feintes :Tout le monde est masqué, rien ne paraît à nu,Enfin sous le Soleil le vrai n’est point connu.Les plaisirs et les biens n’y sont qu’imaginaires,L’esprit s’en peut forger ainsi que des chimères,Et quelque extravagant que soit ce qu’il produitS’il peut nous satisfaire il fait assez de fruit.Sache que tout le monde est plein de Don Quichottes,Qu’il est beaucoup de fous qui n’ont point de marottes :Qu’il est peu de plaisirs réglés par la raison,Et que ceux de nos fous sont sans comparaison.
Dans les pièces de Guérin de Bouscal, une des différences entre les fous et les sains d’esprit est la conscience de jouer un rôle, et ce sont seulement les apartés de commentaire et ce recul pris sur la situation qui va de pair avec un jeu ironique qui les désignent comme sensés au spectateur.
C’est donc bien cette illusion permanente qui fait les délices et des mystificateurs et du public, à l’exemple de Fernande qui, à la fin de l’acte IV de la première pièce, éprouve le plaisir coupable d’être maître et grand ordonnateur de cette machine illusoire :
Ce grand cheval de bois que l’hôte m’a fait voirNous pourra bien servir pour le mieux décevoir.Allons préparer tout, je veux que chacun dieQue ce seul incident vaut une Comédie.
Mais là où la pièce prend toute son ampleur, c’est lorsque cette illusion si bien bâtie est sur le point de flancher, chancèle, lorsqu’on court le risque que la fourbe soit éventée. Dans cette situation l’art de Guérin a été de faire porter sur le seul Sancho, moins enferré que son maître dans la supercherie, tout le poids des rares instants de lucidité alors que tous les autres protagonistes jouent sciemment ou non la comédie, de rendre minoritaire la voix de la raison, et de donner à voir un pauvre écuyer déchiré entre son bon sens et sa propension à suivre l’avis général.
L’aventure est à fin.La Reine est satisfaite, et dans cette taverne,Dieu sait, et nous aussi, comme elle se gouverne,Un jeune Chevalier la tient entre ses bras,Qui lui parle d’amour, la baise à chaque pas,Elle le baise aussi, bref ce sont des merveilles.15
Et de finir ainsi, mettant exactement le doigt sur l’ambiguïté qui le caractérise :
Que la Reine soit Reine, il est fort bon pour moi,J’en ai bien du plaisir, et vous savez pourquoi ;Mais j’en doute.16
Guérin de Bouscal dans ses deux comédies, par une sélection d’épisodes du roman propose donc moins deux intrigues ouvragées qu’un double portrait, celui de Don Quichotte et son reflet distordu dans celui de Sancho, portraits révélés par ce jeu de l’illusion dramatique, et qu’il convient alors de situer entre les archétypes grossiers de la comédie et les figures ambivalentes et contrastées, pour toujours énigmatiques, du roman cervantin.
Don Quichotte sur la scène §
Ce fou de Don Quichotte, et ce badin de Sanche.17
Il semble de bon ton de considérer que le XVIIe siècle dans son ensemble n’a pas compris le Quichotte comme il le fallait, ne voulant voir dans cette « folie par identification romanesque », comme la définit Foucault, qu’un motif comique, et laissant de côté –faute de quoi ?- la représentation d’un idéalisme militant aux prises avec le réel qui a fait par la suite de Don Quichotte une figure romantique par excellence.
Le Don Quichotte mis en scène par Guérin de Bouscal a souvent été décrit, dans la lignée de cette opinion, comme avant tout un extravagant « sujet aux disparates », délibérément comique et ridicule sans véritable dimension intérieure. Il conserve bien son obsession fervente pour la chevalerie, tentant « de faire correspondre le monde extérieur à sa vision intérieure », comme le dit Alexandre Cioranescu18, de faire coïncider ses aspirations chevaleresques et romanesques avec une société où les vertus d’antan sont hors d’usage. Mais s’il continue d’envisager le monde au travers de ses références littéraires, on a pu dire que chez Guérin de Bouscal, il perdait toute la profondeur du personnage cervantin. Il en irait de même mutatis mutandis chez Sancho.
Des références romanesques identiques §
Les références du Don Quichotte de notre dramaturge, sont donc les mêmes, à une exception près, que celles du roman, ces clefs littéraires par lesquelles l’hidalgo décrypte et veut éprouver le réel. Les deux textes les plus importants de la bibliothèque de Don Quichotte, sont parmi les romans de chevalerie, l’Amadis de Gaule et le Roland furieux. Le premier, publié en Espagne en 1508, composé par Garci Rodriguez de Montalvo, reprenant des thèmes des chansons de geste et romanceros du Moyen-Âge, connaît un succès considérable et devient très vite l’archétype-même du roman de chevalerie, ce qui explique son omniprésence dans le roman de Cervantès. C’est dans cette œuvre qu’apparaît notamment l’enchanteur Alquif que le Duc met en scène dans l’acte IV de la seconde de nos pièces. L’Amadis a connu de nombreuses imitations, parmi lesquelles l’Amadis de Grèce de Feliciano de Silva en 1530, qui raconte les aventures du Chevalier à l’ardente épée, mentionné dans nos pièces. Le Roland furieux de l’Arioste est donc le second texte majeur dans l’imaginaire de Don Quichotte, publié pour la première fois en 1516, c’est un poème épique de quarante-six chants, construit sur les légendes du cycle carolingien auquel appartient notamment la Chanson de Roland de même que les récits des Douze Pairs de France. Il se présente en outre comme la continuation du Roland amoureux de Matteo Boiardo, qui date de 1483, avec un ensemble de personnages communs issus de cette tradition des chansons de geste et des romans médiévaux. C’est dans le Roland furieux que Don Quichotte puise nombre de ses références et modèles, dont Renaud de Montauban, cousin de Roland, lui–même héros d’une autre chanson de geste, Les Quatre Fils d’Aymon, ou encore Roger, chevalier Sarrasin, l’enchanteur Archelaus, l’un des enchanteurs de Dulcinée. Certains propos de Don Quichotte font directement allusion à l’intrigue amoureuse du texte de l’Arioste : Roland, amoureux d’Angélique la délivre des griffes des Maures, mais celle-ci, insensible aux prouesses de son libérateur et « lubrique », comme le dit Don Quichotte, lui préfère un « mignon frisé », Médor, chevalier sarrasin blessé, ce qui a pour effet de rendre Roland fou furieux et l’entraîne dans des aventures périlleuses. De même l’armet de Don Quichotte – ce bassin de barbier – est confondu avec le heaume de Mambrin, roi vaincu par Renaud, épisode présent de manière différente chez l’Arioste et dans le Roland amoureux de Boiardo.
À côté de ces deux grandes œuvres de la Renaissance et de leurs épigones directs, mention est faite de la légende de Robert le Diable, chevalier normand, plus proche du cycle arthurien ; Merlin fait ainsi partie des enchanteurs de Dulcinée. On trouve aussi Platir, héros chevaleresque d’un livre espagnol anonyme de 1533, appartenant à une autre série très célèbre, celle des Palmerin. Le quatrième enchanteur de Dulcinée est quant à lui tiré du Miroir des princes et des chevaliers, maître et chroniqueur des exploits du chevalier Phébus.
Seul le personnage de Gérileon, tiré de La Plaisante et Délectable Histoire de Gérileon d’Angleterre, par Estienne de Maisonneuve, publié à Lyon en 1571, composée, comme le déclare l’auteur dans sa préface, pour doter la France de l’équivalent de l’Amadis et du Roland furieux, semble donc être du fait de Guérin, qui le mentionne dans la seconde partie, avec le combat de la Rocalpine.
On l’a dit, Don Quichotte veut percevoir le réel par le biais de ses lectures ; l’épisode de l’Écho est à ce sujet remarquable, puisque le personnage pour comprendre ce qui lui arrive passe en revue son savoir livresque :
Je veux un peu rêver.C’est dans les Amadis que j’en pourrais trouverPremier, second, troisième, ou dans Robert le Diable.19
Et lorsque Sancho prend peur devant les divagations de son maître, craignant que celui-ci n’invoque les démons, le chevalier errant lui répond :
Je passe de l’espritSur tous les accidents que j’ai vus par écrit,Pour voir si je pourrais trouver quelque fortuneSemblable à celle-ci, mais je n’en trouve aucune.20
Guérin de Bouscal conserve donc telle quelle la folie romanesque de Don Quichotte, il en développe les exemples dans ses pièces et se plaît à faire intervenir les références comme Cervantès l’avait fait, à en émailler le discours de son héros, puisqu’à l’exemple de l’auteur espagnol, il joue avec des codes et des œuvres très bien connus de son public, les romans de chevalerie ayant encore au XVIIe une large diffusion dans les milieux lettrés de la société, et ils participent de ce fonds culturel commun.
Une verve proverbiale §
Si le Don Quichotte des pièces a tout comme son original quantité d’exemples littéraires tout prêts dans son esprit, Guérin a voulu présenter un Sancho qui garde aussi l’une des principales caractéristiques du personnage romanesque, à savoir sa réserve pléthorique de proverbes et dictons populaires. Toutefois ce trait langagier ne se met en place que progressivement dans la trilogie dramatique. À peine esquissé dans la première pièce (I, 4, v. 372 par exemple : « Mieux vaut un merle en main qu’une perdrix qui vole. »), il prend de l’ampleur dans la seconde partie et en vient à déterminer fortement la nature du serviteur en même temps qu’il participe des effets comiques et burlesques de la pièce :
Qu’ai-je affaire de bien, malheureux que je suis !Je puis ce que je veux voulant ce que je puis ;Dans la nuit tous les chats sont de même teinture,Nous tombons de partout dedans la sépulture,Et tel est sur le bord qui croit en être loin,Le ventre se remplit ou de paille ou de foin.21
Dans le Gouvernement de Sanche Pança, ce procédé est poussé à l’extrême et sert de motif comique récurrent au point de faire le sujet d’un entretien entre Don Quichotte et son écuyer :
D. QUICHOT.
Bannis de tes discours ces proverbes antiquesDont tu te sers si mal dans toutes tes répliques.SANCHO
Quant à ce dernier point pour ne vous pas mentir,Monseigneur Don Quichot je n’y puis consentir :De toute ma maison je n’ai d’autre héritage,Les proverbes enfin ont été mon partage,J’en sais plus qu’un grand livre, et quand je veux parler,Ils veulent tous sortir jusqu’à se quereller.C’est pourquoi quelquefois j’en mets en évidenceQui n’ont aucun rapport avec ce que je pense.Pourtant à l’avenir j’en pèserai les mots,Et n’en citerai point qui ne soit à propos ;Qui ne sait son métier qu’il ferme sa boutique,La science partout vaut moins que la pratique.Jamais sans l’appétit on ne fit bon repas,On verrait sans la peur de courageux soldats,Et j’ai toujours tenu pour maxime assuréeQue bon renom vaut mieux que ceinture dorée.D. QUICHOT.
Et bien ne voilà pas un discours bien suivi ?Tu fais bien ton profit de ce que je te dis.22
Et Sancho de continuer à enfiler les proverbes malgré les conseils de son maître qui finit par quitter la scène de lassitude. Il y a donc un véritable effort de la part de Guérin de Bouscal de reproduire en vers la logorrhée de Sancho, reprenant tantôt des proverbes du texte de Cervantès et y ajoutant les siens. Il démontre donc encore cette fidélité à la source, à la lettre même du texte, que ce soit dans l’adaptation des épisodes, ou les propos tenus par ses acteurs. Cependant, la figure de Don Quichotte est alors connue en France pour l’exacte copie du Capitan, tandis que celle de Sancho a tendance à être ramenée du côté du paysan de la farce ; au niveau des caractères notre auteur va donc devoir louvoyer entre des archétypes comiques connus et reconnus et des personnages de roman complexes et ambigus. Et si le travail de transposition, avec toute sa richesse, de l’œuvre cervantine à la scène est immédiatement visible pour certains aspects évoqués plus haut, toutefois au plan des caractères comiques, il est certain que Guérin n’a pu échapper à une certaine simplification de la psychologie romanesque – ce quichottisme ambiant.
Dégradation des caractères §
On observe alors dans de nombreuses scènes une tendance à présenter des personnages dans l’ensemble ramenés à des rôles types du théâtre, tendance qui tient d’une part à une phénomène de mode, celui du rôle du Matamore de l’Illusion comique, aussi présent dans le Railleur, ou dans le Véritable Capitan Matamore de Mareschal, dans les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, sous les traits d’Artabaze, ou encore chez Gouguenot dans sa Comédie des comédiens où l’acteur qui joue le Capitan ne sort plus de son rôle ; et d’autre part au succès de la carrière de Don Quichotte comme caricature de l’Espagnol, c’est-à-dire que le rapport à la source est médiatisé par les adaptations et emprunts précédents. À cela s’ajoute la disparition de la complexité induite par la narration dans la description des personnages. On a déjà pu citer l’absence de folie chez le personnage de Cardenie, contrairement à la pièce de Pichou et au roman où se rencontrent deux types de fous, le mélancolique ou hypocondriaque face au visionnaire « phantastique ». Guérin ne nous en donne que le récit dans la scène d’exposition, alors que dans les Folies de Cardenio, la folie faisait partie intégrante de l’intrigue ; Cardenie y avait avec un caractère double et le spectateur assistait à sa transformation sur scène, annoncée par cette didascalie : « Il entre en folie. » En ce qui concerne Don Quichotte, la réduction de son caractère au versant comique, qui s’explique par l’héritage des mascarades et des clichés de l’Espagnol, du Gascon et du Matamore, est certes réelle, mais cependant pas aussi absolue qu’on a voulu le croire et qu’on a pu le dire. Il est certain que, dans les pièces on ne trouve pas chez Don Quichotte, une imagination créatrice puissante, contrairement au roman ; toutes ses extravagances sont le produit des supercheries mises en scène par d’autres, ses mystificateurs. Et son imaginaire ne lui permet que de rentrer dans ces fictions, et d’y jouer un rôle qui n’est d’ailleurs qu’une posture à adopter conforme à l’image que lui renvoient ses interlocuteurs qui le déçoivent, tout particulièrement dans la première pièce, où Don Quichotte n’agit pas véritablement, mais se contente de suivre le mouvement. Dans la seconde pièce, il y a au moins la rencontre avec le chevalier adverse et le duel qui est de son fait. Néanmoins Don Quichotte n’est en général qu’une figure passive au sein de la supercherie, assistant aux évènements plutôt qu’il ne les provoque. Il se confond alors avec le figuron de la comedia, c’est-à-dire un gentilhomme campagnard, un hidalgo23 qui « tranche du cavalier », en décalage avec le groupe des jeunes premiers que constituent les deux couples dans la première partie ou avec les ordonnateurs du divertissement que sont le duc et la duchesse, qui font de lui l’objet de leurs machinations. Le figuron est à la lettre un « extravagant qui reçoit des gifles et dont la déconvenue fait plaisir »24. Don Quichotte semble avoir perdu son idéalisme démiurgique au profit d’une simple obsession ridicule, son courage réduit à une simple vanité bavarde. De même serait accentuée chez lui une vanité amoureuse seulement suggérée dans le roman, toujours dans le but de le ramener à la figure du Matamore, c’est-à-dire un rôle à succès de ces années 1630-1640. Quant à Sancho, il verrait lui aussi ses traits négatifs amplifiés et perdrait tout son bon sens paysan, se rapprochant par-là du type du gracioso25, valet grossier intéressé seulement par sa pitance et son confort, reflet dégradé du vaillant caballero, que son maître voudrait incarner. Le personnage de Sancho se rapproche en même temps d’autres types de paysans de la comédie jusqu’à se confondre avec la figure du Zanni de la commedia dell’arte, ce valet paysan glouton et lâche, montagnard bergamasque devenu portefaix, soit un rôle Jodelet-type, d’après le grand acteur comique, alors dans la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, de 1634 à 1642.
De pair avec cette dégradation de chacun des membres du couple maître-valet au plan personnel et individuel, la transformation s’effectue aussi au niveau de leur relation. Chez Cervantès, Don Quichotte et Sancho s’opposent : le pragmatisme de Sancho vient contraster avec l’idéalisme débridé de son maître, tandis que l’éloquence et l’intelligence du maître se distinguent et jurent à côté du bon sens rustre et populaire de l’écuyer, et le comique, secondé par la reprise parodique de lexiques techniques dans des registres différents, naît de ce contraste entre les deux protagonistes. Chez Guérin ce contraste et cette ambivalence dans leur relation s’effacent au profit d’un antagonisme plus marqué, d’une ligne de séparation, entre ces deux fous d’un côté et les sains d’esprit de l’autre, séparation dont doit naître le rire. Il transforme alors le couple célèbre en un duo maître-valet plus traditionnel, où le serviteur n’est plus que le pâle et grossier reflet du maître, et où tous les deux se situent à quelques degrés près, au même niveau dans la folie et s’opposent au reste des personnages ; tandis que chez Cervantès, si la complicité du maître au serviteur est grande, les liens ne sont pas tous coupés entre les deux héros et les personnes rencontrées ; selon les situations les lignes de séparation fluctuent, n’isolant pas absolument le chevalier et son écuyer dans la folie du premier. Parallèlement, en même temps que la folie de Cardenie est évacuée, Guérin efface toute rivalité trop prononcée entre les jeunes gens, instituant de fait une dichotomie irrémédiable entre les extravagants et leurs spectateurs, « bipolarisant » de cette façon le personnel comique. La folie se retrouve parfaitement cloisonnée, limitée dans sa répartition et proprement orientée du côté du ridicule.
On ne peut donc pas nier une certaine dégradation des caractères dans les pièces de Guérin, accompagnée d’une répartition nouvelle des rôles et d’une redéfinition de ce qui constitue la folie ; caractères qui rejoignent alors un ensemble de thèmes contemporains élaborés dans la première moitié du XVIIe siècle : d’un côté la satire anti-espagnole, avec la substitution à un Don Quichotte qui confond le réel et le rêve d’un Capitan crédule, victime, en digne figuron de la comedia espagnole, des intrigues emmenées par d’autres ; de l’autre la présentation de la folie comme un objet proprement ridicule et une extravagance univoque. La folie « volontaire » de Don Quichotte, ainsi qu’elle apparaît parfois, toujours source d’ambiguïté chez Cervantès, tend à ne passer que pour une simple dérive de l’esprit chez Guérin de Bouscal, autorisant par là le divertissement des bonnes gens, sur le modèle des comédies de fous, comme il est dit par exemple au début du Gouvernement de Sanche Pança :
LE DUC
[…]
Non, non, il vaut bien mieux fomenter leurs caprices,Ainsi nous accroîtrons leurs biens & nos délices,Ainsi nous apprendrons à révérer la mainQui nous a partagés d’un jugement bien sain.26
Les comédies de Guérin suivent donc le traitement classique des thématiques baroques de la folie et de l’illusion, à savoir la présentation d’un spectacle sans remords, ne choquant pas la charité chrétienne. Mais il faut distinguer parmi les fous, les dangereux des seuls ridicules qui sont les plus propices à la plaisanterie, comme le rappelle encore le Duc.
Il est vrai que l’objet d’un homme furieuxQui porte la menace et la mort dans ses yeux,Que le désir de nuire arme contre soi-mêmeSe devrait éviter avec un soin extrême.Mais nos fous ne sont pas dans ce prédicament,On ne voit point en eux ce grand dérèglement :L’un recherche l’honneur, l’autre la bonne chère,Ce ne sont point des vœux que la fureur suggère.27
La même idée se retrouve dans l’argument des Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, qui joue aussi du thème du monde comme théâtre où règnent les apparences, avec ces fous qui ne se connaissent pas :
Dans cette Comédie sont représentées plusieurs sortes d’esprits Chimériques ou Visionnaires, qui sont atteints chacun de quelque folie particulière : mais c’est seulement de ces folies pour lesquelles on ne renferme personne ; et tous les jours nous voyons parmi nous des esprits semblables, qui pensent pour le moins d’aussi grandes extravagances, s’ils ne les disent.
Cependant il semble qu’il faille atténuer cette affirmation28 selon laquelle Guérin aurait perdu toute la complexité – et donc la saveur – des personnages de Cervantès. L’ambiguïté atténuée, voire occultée, de leurs caractères semble plus tenir au choix des épisodes réalisé par Guérin qu’à une volonté affirmée de dégrader l’aspect énigmatique des protagonistes et de transformer en profondeur la matière romanesque. On peut même avancer sans crainte que cette complexité continue d’exister en sourdine pour ne se révéler que par moments. Il faut voir que par sa très grande fidélité au texte Guérin conserverait malgré lui la profondeur psychologique présente dans le roman. Comme le mettent en avant Charles Mazouer29 et Roger Guichemerre30, dans certains passages l’auteur reprend l’ambiguité du roman, laissant à Don Quichotte son idéalisme dans toute sa force et sa docte éloquence, comme à l’occasion de la dispute avec l’aumônier, lorsqu’il justifie chrétiennement son entreprise de chevalerie errante, dans la Seconde Partie, III, 4, v. 1092 à 1116.
De même, au sujet de sa prétendue vanité amoureuse, sur laquelle Guérin aurait mis l’accent pour se conformer au cliché du Matamore, elle ne semble pas être exagérée quand on la compare avec certains passages du roman où Don Quichotte se plaint d’être poursuivi des faveurs des dames31, et il prétend cela après nombre d’aventures qui de son point de vue le justifient pleinement, et avant tout pour plaindre les infortunées qui le trouveront toujours inexorable, obligé qu’il est à sa dame Dulcinée. Il n’est donc pas tant question dans la pièce, et à plus forte raison dans le roman, de vanité amoureuse que d’un motif romanesque auquel s’en remet Don Quichotte pour interpréter ses pérégrinations. Mais ce qui empêche surtout de faire du couple maître-valet un duo de fous sans connexion aucune avec ceux qu’ils côtoient est l’attitude de Sancho qui semble n’adhérer jamais pleinement à la folie de son maître. Il apparaît toujours comme étant dans un entre-deux, mi-fou mi-conscient, tiraillé en permanence par son bon sens naturel. Crédule et affectueux, il se prête au jeu plus par bonté de cœur que par ferveur idéaliste ; et comme le montrent ces passages où la fiction se fait trop exigeante, il choisit parfois de s’en tenir au réel.
Confronté à l’imagination de Don Quichotte, il acquiesce ou esquive, c’est selon, mais laisse parfois percer son scepticisme.
On dit vraiment partout que vous n’êtes pas sage,Et que je suis encor plus fou d’imaginerQue vous me donnerez une Isle à gouverner.[…]Je crois que le meilleur est de ne les pas croire,De me donner mon Isle, et de vous couronner.32
La promesse lointaine et illusoire de « l’Isle », terme auquel il n’associe qu’une vague réalité et qui demeure obscur pour lui lors même qu’il en est le gouverneur, lui sert plus de prétexte que de motivation réelle. C’est son excuse aux yeux du monde, dont il joue, contrefaisant le benêt plus qu’il ne l’est, pour se dédouaner de toute responsabilité et de sa propre lucidité. Lucidité qui lui fait tantôt commettre des écarts qui ne sont guère du goût de Don Quichotte :
D. QUICHOT.
Ne crois-tu point encor que ce soit un bassin ?SANCHO
Nullement, mais je dis qu’il en a l’encolure.33
Outre son esquive sur la qualité véritable de l’armet de Mambrin, on trouve encore dans la Seconde Partie, au sujet des chevaliers errants légendaires, cette réplique qui n’agrée nullement à Don Quichotte :
On les a vus mourir, si l’on les a vus vivre:(Car pour ce dernier point, il m’est un peu suspect.)34
Sancho ne se plie donc aux règles de l’illusion qu’aussi longtemps qu’elles lui conviennent, et se dispensant des tâches trop ardues que lui confie son maître, comme porter un billet à Dulcinée ou même l’introduire auprès d’elle. Dans ces cas-là, Sancho a recours lui aussi à la fable, procédé qu’il explique à la Duchesse :
Déjà depuis longtemps j’ai connu que mon maîtreÉtait fou par la tête autant qu’on le peut être.35
Et devant l’étonnement de la Duchesse, il confesse l’ambiguïté de son rôle.
LA DUCHESSE
J’ai formé là-dessus quelque petit scrupule,Si Don Quichotte est fou comme il paraît ici,Don Sanche qui le suit ne l’est-il pas aussi ?Puisque l’on doit juger du valet par le maître.SANCHE
Madame, en bonne foi, tout cela peut bien être :Ce scrupule est fort juste, et l’Écuyer du Bois,Qui m’a fait tant de peur, me l’a dit autrefois.Mais je ne sais comment, ni par quelle aventureJe me suis embrouillé dedans cette tissure :Mon maître m’a longtemps nourri dans sa maison,C’est de sa propre main que je tiens mon grison.Je l’aime, il me chérit, il n’est nullement rude,Je ne le puis quitter que par ingratitude :Et comme qu’il en soit, je n’imagine pasDe nous voir séparés que par notre trépas.
Sanche avoue donc être embrouillé dans une « tissure », et c’est son amour pour Don Quichotte qui l’entraîne, ce qui explique sa réticence à se fouetter au sang pour désenchanter une Dulcinée qu’il a lui-même enchantée. Notre auteur a donc bien restitué cette relation équivoque du chevalier à son serviteur, résumée de la façon suivante :
Allons où vous voudrez, Sanche n’est pas capableDe vous abandonner, allassiez-vous au Diable :36
Guérin de Bouscal n’a donc pas résolument dépeint deux caractères tranchés, deux fous complets et sans espoir de rémission, à jamais perdus dans l’univers de leur insanité. Si Don Quichotte rejoint le Capitan sur certains points, dont les fanfaronnades, il n’est cependant jamais présenté comme lâche (et en effet le Don Quichotte du roman fait preuve à de nombreuses reprises d’un courage extraordinaire) de même que son talent d’orateur et son érudition ne sont pas escamotés, mais se dévoilent quelquefois, notamment dans cette justification devant l’aumônier de ses sorties répétées, somme toute honorables et bien intentionnées. Quant à Sancho il conserve bien plus encore son caractère énigmatique, moitié crédule et moitié lucide, et semble n’être guidé que par la succession des évènements ou par son bon naturel, et le plaisir qu’il ressent de ce qui représente malgré tout un genre d’aventure. Guérin fait donc du valet le personnage le plus travaillé et le plus abouti, le situant à la frontière du réel et de l’illusion – en cela figure emblématique du baroque, à cheval entre deux mondes. Si l’on a pu croire que la conservation dans une certaine mesure de l’ambiguïté présente chez Cervantès ne venait que de la simple reprise de la lettre du texte, force est à présent de constater que le soin apporté dans la pièce à la restitution de discours ambivalents qui jouent sur la frontière floue entre folie et raison, apparence et vérité, tout comme une prosodie travaillée afin de mettre au jour ce qu’il y a d’incertain et d’indéterminé dans la folie a priori certaine des protagonistes, témoigne, à défaut d’une transposition exacte sur la scène du roman cervantin, d’une véritable compréhension de ce dernier et d’une volonté d’en conserver le « génie » atypique. Et si les deux comédies pèchent par plus d’un endroit, intrigue inégale, simplification de la matière romanesque ou enchaînement gratuit des épisodes, il n’en demeure pas moins que plus d’une réplique à l’intérieur de celles-ci offre un digne équivalent de la prose cervantine.
Paradoxalement, lorsque Guérin choisit de consacrer une pièce entière au personnage de Sancho, pour l’épisode de son Gouvernement dans la prétendue île de Barataria, il s’éloigne alors beaucoup du texte original, produisant certes une pièce plus personnelle, mais où toute l’ambiguïté si laborieusement conservée dans les deux premières œuvres disparaît : Don Quichotte, quand il donne ses conseils à Sancho, de sage et éloquent qu’il est dans le roman devient bavard et fat, tandis que Sancho, ne rend pas la justice d’une manière propre à émerveiller les farceurs, mais n’incarne plus que le valet de basse extraction, glouton et sans esprit. La pièce la plus célèbre de la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal se révèle donc en même temps la moins fidèle au roman sur le plan des caractères, et ne joue plus du tout sur les ambivalences qui y sont développées, pour en revenir pour le couple maître-valet aux figures typiques du Matamore et Zanni italien.
Au-delà des similitudes dans le caractère extravagant des deux protagonistes principaux, les deux pièces reposent sur une structure commune, celle de la « bourle », farce jouée à Don Quichotte qui reprend et met en scène le procédé baroque du théâtre dans le théâtre.
Le théâtre dans le théâtre §
Autre trait plus d’une fois mis en avant pour la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal, la structure du théâtre dans le théâtre constitue le moteur principal des deux pièces : en effet si l’on excepte l’intrigue galante des jeunes gens au début de la première partie et les réactions vives et sincères de la nièce de Don Quichotte et de Theresa, la femme de Sancho, au début de la seconde, toute l’action dramatique repose sur les « fourbes » faites à l’hidalgo manchègue – fourbes qui sont parfois mises en danger par des personnages non avertis ou refusant de se prêter au jeu : le barbier venu récupérer son bassin et les archers dans la première pièce, l’aumônier du duc dans la seconde. Ce sont donc les « bourles » qui appellent la mise en place de cette structure dédoublée, non tant parce que certains acteurs jouent un second rôle au sein du premier, se déguisent et changent d’identité, mais parce que la supercherie est toujours donnée avant toute chose pour un spectacle intérieur, une pièce seconde, et a toujours des spectateurs sur scène qui ne font rien d’autre qu’assister à une représentation interne. Ces farces burlesques ne sont donc pas des intermèdes divertissants qui viennent rompre le fil de l’action, ou des pièces de théâtre enchâssées données explicitement pour un spectacle et mises en abyme dans la pièce enchâssante, mais bien des machinations successives offertes à la compagnie par un metteur en scène, toujours sur le modèle de la comedia del figuron espagnole. Il faut donc bien voir que si ces farces sont interprétées par quelques-uns des personnages, d’autres n’en sont que les simples témoins, comme le montrent leurs apartés.
Ainsi tandis que Dorotée joue la reine de Miconmicon, Dom Lope, Fernande, Cardenie et Lucinde se retrouvent plus spectateurs qu’acteurs, comme en témoignent ces répliques récurrentes qui tiennent plus d’un commentaire extérieur à l’action que d’un propos tenu par un protagoniste impliqué dans l’intrigue (car dans la fiction développée par les mystificateurs, ils ne sont plus que des figurants) : dans la première partie, II, 2, v. 495, Cardenie : « A-t-on jamais vu feindre avec tant d’accortise. », et passim « Quelle adresse. », Dom Lope : « et quel couple de fous. » ou encore, Cardenie : « Ah le plaisant discours » ; Dom Lope : « D’où peut-elle tirer les discours qu’elle enfile ? » Cardenie : « la pièce est ravissante. » Il s’agit donc bien d’une pièce, parfois « mal bâtie », mais « faite à plaisir » pour se divertir des extravagances du couple maître et valet.
Dans la première pièce, cette structure se met en place progressivement, différée d’abord par les restants de l’intrigue amoureuse. Elle se profile cependant dès la fin du premier acte et connaît successivement deux mystificateurs : Dom Lope pour l’épisode de la reine de Miconmicon et Fernande pour celui du cinquième acte avec la comtesse Trifalde. Lors de l’exposition, les protagonistes décident de mettre en scène une bourle ; ils deviennent alors les acteurs majeurs de la farce, ceux qui en posent le décor et, quoique sains d’esprit, jouent véritablement sous les yeux des fous pour lors spectateurs (acte II) ; une fois la fiction établie, les fous prennent le relai pour divertir par leurs discours les metteurs en scène-acteurs de la bourle et les autres personnages restés spectateurs, ils deviennent acteurs principaux, et malgré quelques événements qui poussent la farce dans ses limites et la mettent en péril (pour le plus grand plaisir du spectateur véritable), parmi lesquels, outre les exemples déjà cités, on peut mentionner aussi la rencontre entre les deux couples d’amants qui éveille la suspicion de Sanche, ou le prétendu trou de mémoire de la reine de Miconmicon qui oublie dans sa détresse le nom de son père le roi ; la pièce intérieure suit son cours. Enfin les deux fous devenus acteurs de leur propre tromperie, l’alimentant de leurs discours et attitudes, sont laissés quasi seuls en scène pendant l’épisode de Chevillard, tous les sains d’esprit alors réduit au rôle de spectateurs, n’intervenant plus, et ils demeurent enfermés dans cette supercherie qu’ils n’ont pas initiée, mais à laquelle ils se sont prêtés bien volontiers. À la suite de cet épisode de Chevillard, les metteurs en scène de la farce reprennent leur rôle pour la conclusion de la pièce.
Dans la seconde partie, on trouve une nouvelle fois deux metteurs en scène, grands maîtres illusionnistes : Dom Lope (transposition de Sanson Carrasco dans cette pièce-ci) qui se fait passer pour un chevalier rival et le Duc qui accueille Don Quichotte comme un véritable chevalier d’antan et organise le défilé des enchanteurs. À l’acte II, quand Dom Lope apparaît sous les traits du Chevalier des Miroirs (véritable contrepartie de Don Quichotte avec sa propre dame rivale de Dulcinée), on ne trouve pas de spectateur intérieur, un acteur qui n’interviendrait pas et servirait de relai au regard du spectateur véritable. Comme le dit Georges Forestier37, cet acteur-spectateur, projection du public, constitue la véritable pierre de touche de la structure du théâtre dans le théâtre, permettant de la distinguer du simple jeu de rôle et usurpation d’identité comique. Si donc l’on ne trouve pas dans un premier temps de regard intermédiaire sur la supercherie de Dom Lope, le rôle qu’il endosse demeure pourtant le même lorsqu’il suit Don Quichotte chez le Duc, et trouve alors des spectateurs intérieurs ; sa « fourbe » préfigure donc la construction de l’intrigue à double niveau qui va suivre, et en est le premier élément, fiction en attente d’un public.
L’autre metteur en scène, plus proche de la figure de Fernande (ce dernier ne fait d’ailleurs que mettre sur pied une farce à l’origine inventée par le Duc entre celles des enchanteurs et du gouvernement de Sancho), est le Duc, qui entend divertir sa cour avec l’arrivée de Don Quichotte et de son écuyer. Comme Fernande est à l’opposé de Dom Lope, l’illusion qu’il bâtit n’a pas d’autre but que le plaisir qu’il entend retirer de cette comédie qui se fait sur ses ordres, tandis que Dom Lope, à la fois curé du village de l’hidalgo et bachelier Carrasco, conserve une visée charitable : guérir ou ramener Don Quichotte à la Manche, sans toutefois rechigner à se prêter au jeu. Le Duc organise, comme on l’a dit, le défilé des enchanteurs à l’acte IV et ne tente de désillusionner Don Quichotte qu’à la fin de la pièce, après que celui-ci a vaincu et démasqué Dom Lope déguisé en Chevalier sans cependant accepter l’évidence.
Dans ces deux pièces tout entières construites sur le thème de l’illusion, la différence entre la folie et la santé d’esprit repose sur la conscience qu’ont ou n’ont pas les personnages de jouer la comédie. Don Quichotte et dans une moindre mesure Sancho (ou de manière bien plus équivoque) représentent des personnages ridicules parce qu’ils sont inconscients du rôle qu’ils incarnent. Suivant ce principe, le personnage de Sancho se retrouve principalement porteur du comique parce que toutes les fois que la farce s’exerce à ses dépens, il devient, avec un pied dans chaque réalité, mauvais acteur de comédie – refusant d’en accepter les conséquences burlesques comme les trois mille coups d’étrivière – et en même temps pas entièrement protagoniste lucide et au fait de la mystification.
Au XVIIe siècle, le théâtre dans le théâtre représente moins un thème réflexif qu’un phénomène de mode, « une structure baroque avec duplicité d’action »38, qui démontre le savoir-faire du poète dramatique, et joue sur les thèmes à succès de l’illusion, du théâtre comme miroir et double du monde et de la dichotomie être-paraître. En mêlant la tradition du quichottisme avec cette forme moderne et appréciée de ses contemporains, Guérin se fait fort, en 1639, de créer une pièce à succès, et même plusieurs comme on le voit aujourd’hui, en reprenant ces motifs. Il le fait même de manière explicite dans le discours du Duc au début du Gouvernement de Sanche Pança, qui concentre l’ensemble des lieux communs du genre (comme le dirait Sancho, « la comparaison n’est pas si neuve ») comme la théâtralité de la vie mondaine qui place les nobles et les acteurs sur un pied d’égalité. Cela correspond selon la formule de Georges Forestier, à « une éthique devenue une esthétique »39. Car en mettant en scène la folie, dans cette optique baroque, Guérin de Bouscal prétend, à la suite d’autres poètes, porter un regard désabusé sur le réel, dévoiler l’apparence, en quelque sorte déciller son public en même temps que Don Quichotte. Et si le lecteur de roman est tout prêt et disposé à une willing suspension of disbelief, selon les termes de Coleridge, le spectateur de ce théâtre baroque accepte de même de mettre en suspens ses certitudes le temps d’une représentation, et croire qu’il lui faut être à son tour désenchanté.
Faut-il pour autant chercher chez Guérin une volonté particulière et « géniale » au sein de cette structure du double registre de transposer à la fois la relation complexe du narrateur avec ses personnages, faite et de complicité et de distanciation ironique, et en même temps de produire un texte porteur de la « métaphore obsédante du théâtre », comme l’avance Daniela Dalla Valle ?40 Elle voudrait en effet que Guérin, dans sa lecture intelligente du roman, ait utilisé le théâtre dans le théâtre comme équivalent de la distance entre narrateur et personnage, ou du moins pour remédier à l’appauvrissement de l’histoire qu’entraînerait la disparation de l’instance narrative. Affirmation qui serait indirectement une réponse à ce que disait Marthe Robert dans l’Ancien et le Nouveau, que toute adaptation du roman cervantin était inévitablement vouée à l’échec du fait précisément de la perte de ce lien complexe du narrateur à ses héros. Par la structure du théâtre dans le théâtre, Guérin de Bouscal aurait donc évité cet écueil et produit « une forme dramatique cohérente comme transformation du schéma narratif du Quichotte ».
Or si notre auteur use bien du procédé du théâtre dans le théâtre, au point d’en faire le moteur dramatique principal de ses pièces, il convient toutefois d’observer que cette structure des « bourles » et de pièces enchâssées dans l’intrigue se trouve déjà chez Cervantès, et que le théâtre dans le théâtre, présent autant qu’il est possible dans le roman, ne naît en aucun cas d’une volonté propre au dramaturge de fournir un équivalent du dispositif narratif, mais plutôt de la reprise fidèle d’épisodes du roman au caractère déjà profondément théâtral. Et en effet, on trouve chez Cervantès non seulement des jeux d’illusion, mais aussi de véritables metteurs en scène qui construisent leur comédie, font leurs recommandations aux acteurs de la farce et profitent ensuite du spectacle ainsi orchestré. Cette structure n’est donc pas une innovation de Guérin, auquel on peut toutefois accorder le mérite d’avoir su reconnaître dans le roman une composition en double registre immédiatement transposable à la scène et propice au jeu comique.
Il y a donc bien perte d’une forme de complexité inhérente au roman par la voix du narrateur ; et tout porte à croire que ce serait précisément cette perte inéluctable qui expliquerait l’importance dans nos pièces du théâtre dans le théâtre : attendu que l’absence de narrateur oblige le dramaturge à procurer à ses spectateurs un référent, c’est-à-dire une figure à laquelle ils puissent se rapporter pour toucher du doigt le réel et distinguer le vrai du faux. Et c’est justement le rôle du spectateur interne, cet acteur qui ne fait que regarder ce qui se joue sous ses yeux, d’offrir un repère rationnel et véritable (par rapport à la fiction de premier niveau) au public pour que ce dernier soit à même de reconnaître les extravagances du personnage éponyme pour ce qu’elles sont. Ce spectateur interne participe alors d’une structure chorale, commune à toutes les pièces de fous, que Georges Forestier appelle aussi « comédies initiatiques », qui ont pour caractéristique première le fait que l’intrigue sert en fin de compte uniquement de prétexte à un balancement entre bon sens et folie, balancement marqué d’une part par une théâtralisation importante de l’histoire et par un enchâssement étroit des fictions de second niveau dans la trame générale, et d’autre part par la permanence de substituts du chœur antique, tantôt acteurs et tantôt commentateurs des événements.
On imagine aisément la difficulté de mettre à distance et de désigner comme telle la folie de Don Quichotte, si celui-ci était seul en scène, emporté par ses visions au milieu d’un décor de théâtre. Or la structure du théâtre dans le théâtre permet de cloisonner le délire du personnage au sein d’une fiction interne identifiable41 et d’unifier en une intrigue simple les différents saillies de sa fantaisie sans relation étroite les unes avec les autres et qui se succèdent plus qu’elles ne s’enchaînent si on s’en tient au modèle romanesque. L’intrigue générale ainsi créée rassemble sous le couvert d’une seule et même farce, ou de deux, un ensemble de traits comiques et extravagants dispersés dans la source, et ramène en quelque sorte la pièce vers une plus grande unité d’action42.
Enfin, voir dans le théâtre dans le théâtre tel qu’il est employé chez Guérin une métaphore réflexive du genre théâtral, alors que la structure enchâssante est imitée de Cervantès, revient à s’efforcer à tout prix de tirer l’œuvre de Guérin de Bouscal du côté de la marotte de la critique littéraire de la seconde moitié du XXe siècle, quand l’emploi qui en est fait répond bien plus à une tendance générale dans un siècle qui se plaît et se complaît dans les enchâssements multiples et les intrigues gigognes.43
À l’encontre des qualités supposées d’une utilisation du théâtre dans le théâtre innovante et réfléchie chez Guérin de Bouscal, il faut voir dans la trilogie comique de l’auteur les prémices d’un style que l’on retrouve sous la plume de Scarron, son représentant le plus célèbre, constitutif d’un genre à part entière, et prospère dans la décennie qui débute avec les adaptations du Quichotte, à savoir le burlesque.
Du comique de « bourle » à l’écriture burlesque §
On l’a vu, la « bourle » – cette farce jouée à Don Quichotte sur le modèle des comédies de figuron – correspond à une illusion reposant sur des jeux de rôles destinés à égarer le chevalier de la Manche, tels que celui de la reine de Miconmicon ou du Chevalier des Miroirs. Ces supercheries, exactes répliques des burlas espagnoles présentes dans la trame du roman, sont porteuses d’un comique débridé et bouffon, comique de la mystification, qui joue sur la dualité des personnages, et de cet aller-retour entre folie et raison. Pour autant, ce type premier de burlesque (le déguisement et l’identité usurpée) amène de manière générale et tout particulièrement dans nos pièces des éléments grotesques et satiriques qui sont absents de l’intention première des farceurs. L’identité contrefaite n’est jamais si parfaite que le spectateur n’y décèle pas un décalage entre le sujet ou le contexte et le langage employé. Or cette inadéquation de la forme au fond débouche sur deux registres complémentaires mais opposés : soit l’héroï-comique qui correspond au détournement d’un modèle noble par la transformation du sujet, de la nature des personnages, mais qui conserve et imite à outrance, dans un but parodique, le style élevé ; soit le burlesque qui, à l’inverse, conserve la noblesse des caractères, du contexte, mais travestit le discours par l’emploi d’un lexique trivial et de métaphores grotesques qui détonent avec l’action dont il s’agit. Dans les deux cas un certain modèle cohérent, style noble pour sujet épique ou tragique, est partiellement détourné de l’une ou l’autre manière ; et ces deux styles que sont l’héroï-comique et le burlesque ne font sens que par la référence biaisée mais reconnaissable par un public lettré au sujet imité et par la prégnance, au XVIIe siècle, d’une classification des genres qui détermine la production littéraire. Ils reposent tous les deux sur un principe commun, celui de la disconvenance et de la juxtaposition d’éléments discordants (ce qui les associe souvent au grotesque, identifiable comme un mélange monstrueux) alors que s’élabore ou prédomine la doctrine de la bienséance, c’est-à-dire de la stricte convenance, entre sujet et forme, et entre forme et public.
Les deux tendances se retrouvent donc dans nos deux pièces, et si l’héroï-comique est un trait obligé du caractère de Don Quichotte, le burlesque de Sancho est délibérément accentué par Guérin qui fait alors la démonstration d’un certain talent.
Don Quichotte en se prétendant chevalier, tient un discours qui contraste fortement avec la réalité de ses actions ; le roman cervantin conçu comme parodie des romans de chevalerie joue bien évidemment de ce contraste, en même temps qu’il affirme sa volonté parodique par la reprise de discours techniques et déterminés dans la bouche de ses protagonistes qui soit les écorchent par ignorance, soit les prononcent de manière emphatique alors que le contexte est subverti. Nos pièces parodient donc à l’échelle du théâtre les tragi-comédies pastorales adaptées des romans de chevalerie ou des grands romans épiques ou pastoraux comme l’Astrée.44 Même les jeunes premiers de la première partie, contribuent à cette tendance parodique : à l’acte III, scène 5, v. 893, Lucinde et Cardenie détournent les hémistiches du Cid (IV, 4), « Qui l’eût dit mon cher cœur ? – Et qui l’eût cru ma vie ? » Bien-sûr la pièce de Corneille n’est pas directement visée comme le sont chez Cervantès les romans de chevalerie, mais le haut style dans son ensemble sert de matière à la comédie, et ces vers en représentent l’archétype par leur succès et leur actualité. Mais les jeunes gens ne sont pas les seuls à faire des clins d’œil au public par ces allusions ; Don Quichotte et Sancho le font de manière encore plus apparente à l’acte V, scène 4, v. 1515 de la même pièce, « Je le veux. - Je ne puis. » Ou encore dans la seconde partie, Sancho avec « Je puis ce que je veux, voulant ce que je puis. » (IV, 1, v. 1315) et Don Quichotte (IV, 5, v. 1510) « Me parler de combat, c’est flatter ma valeur. » On trouve en outre chez Dom Lope autant des propos qu’une attitude parodiques, adoptant une posture récurrente dans les tragi-comédies où l’acteur porte la main à son épée : « Je porte en tout cas de quoi la [sa victoire sur Don Quichotte] faire croire. / Et c’est par là seulement que je dois m’expliquer. »45 Quant à Sancho, il explicite même pour la duchesse le processus parodique :
Il faut que je te quitte, aimable et cher souci,Les Écuyers errants doivent parler ainsi.Le Ciel jaloux de voir nos ardeurs infinies,Veut séparer les corps de deux âmes unies :Hélas que ce destin est rempli de rigueur !Il m’offre une couronne, et m’arrache le cœur :Ainsi parle mon maître avec Dulcinée.46
On observe bien chez Guérin un plaisir à pasticher dans tous ces discours tenus par les acteurs qui jouent un rôle (Don Quichotte est le premier à le faire, mais comme par devers soi) le style noble et élevé dans son ensemble, et particulièrement Corneille, à cause de la réputation de sa pièce ; et ses pastiches, quoique grandiloquents, allusifs et enflés d’hyperboles, servent à la mystification qui est au cœur de l’intrigue.
Le registre burlesque se concentre pour sa part autour du personnage de Sancho. Construit dans nos pièces sur le modèle du gracioso, ce valet de comédie reflet dégradé de cavalier noble, l’écuyer est déjà chez Cervantès fortement marqué par un discours paysan, fait de proverbes mis bout à bout et d’expressions prosaïques, qui contraste et sert de contrepoint aux propos savants et envolés de Don Quichotte. Guérin insiste sur cette perspective burlesque d’un écuyer qui croit bien faire en imitant son maître mais qui trahit son origine et sa nature grossière. On en trouve un exemple frappant dans la deuxième scène de l’acte IV de la première de nos comédies, scène absente du roman et qui met en scène ce jeu de reflet et de travestissement burlesque au sein du couple maître-valet :
D. QUICHOT.
Déjà de toutes parts la terre est éclairée,Apollon a quitté la couche de Nérée,Les étoiles de peur se cachent à nos yeuxSous un épais manteau de la couleur des cieux,[…]L’ombre s’évanouit, la clarté suit ses pas,Et bref il est grand jour et nous ne partons pas.SANCHO
Déjà dedans Séville à la place publiqueOn entend jargonner maint courtaud de boutique,Déjà l’on voit trotter nombre de crocheteurs,De pages, de laquais, et de solliciteurs,Et déjà maint buveur pour soulager sa têteDedans le cabaret prend du poil de la bête,[…]Et bref il est grand jour et nous ne partons pas.
On perçoit déjà toute la dimension ironique dans la tirade du chevalier, notamment grâce à la clausule « Et bref… » qui vient rompre l’enchaînement des clichés pastoraux et les désigne pour ce qu’ils sont, une topique éculée et obsolète. Mais c’est la tirade de Sancho qui attire encore plus l’attention, avec son lexique citadin et trivial, ses expressions populaires (« poil de la bête ») et qui s’inscrit en même temps comme reprise et continuation de la « plainte élégiaque » de Don Quichotte. L’épisode de l’Écho, à l’acte II de la seconde partie, qui reprend en le détournant un motif pastoral courant, devenu artifice farcesque, est à ce sujet très révélateur, puisqu’il met en abyme ce principe du travestissement burlesque : Dom Lope se fait l’écho subversif des stances de Don Quichotte et le barbier celui de Sancho, mais dans le même temps celui-ci ne fait que reprendre sur son registre paysan les propos de son maître ; s’en suit donc une structure d’un écho dédoublé et de double dégradation successive des images pseudo-poétiques de Don Quichotte.
Guérin de Bouscal s’est donc appliqué à faire du Sancho du roman un personnage théâtral ambigu, porteur à la fois du combat entre lucidité pleine de bon sens du paysan et placidité du valet, et type burlesque par excellence, figure comique en constant décalage avec les protagonistes sensés, par son pied dans la folie de son maître, et cependant aussi avec Don Quichotte, par son incapacité à se conformer au modèle chevaleresque sans trahir aussitôt son naturel grossier. Si l’héroï-comique participait pleinement de la volonté mystificatrice des ordonnateurs des « bourles » successives, le travestissement burlesque chez Sancho des idéaux et référents de son maître s’inscrit dans la logique inverse, celle de la démystification. Le burlesque apparaît comme un indice permanent du caractère illusoire de l’aventure, il est l’exacte expression du décalage de ce mauvais acteur de bonne volonté qu’incarne Sancho avec le reste de la pièce intérieure, de la « bourle », et en même temps fait du valet la figure la plus vivante de la trilogie dramatique de Guérin, et de fait la plus pérenne.
SANCHO
[…]
Ô pauvre Dulcinée ! ô masure d’Infante !Maudit soit à jamais le démon qui t’enchante,Lampe qui n’as plus d’huile, horloge démonté,Courier dévalisé, pâturage brouté,Épicière sans sucre, ânesse débâtée,Village abandonné, campagne dégâtée,Belle vigne grêlée, étang plein de limon,Chat brûlé, pan sans plume, Ange fait en démon,Rose qui n’es plus rien qu’un gratte-cul champêtre,Hélas que je te plains maîtresse de mon maître !47
Scarron et son Jodelet ne sont décidément pas si loin.48
Note sur la présente édition §
Présentation §
Nous reproduisons ici les textes de l’édition de Dom Quixote de la Manche chez Toussaint Quinet de 1639 et de celle de Dom Quichot de la Manche, seconde partie, chez Antoine de Sommaville en 1640. Il existe une version manuscrite de la pièce Dom Quixote de la Manche qui corrige les principales coquilles de l’imprimé et qui porte le nom de Mareschal49, avec deux scènes supplémentaires à la versification assez fautive qui ne sont pas de la même plume.
Les éditions originales se présentent comme suit :
Dom Quixote de la Manche, Comédie, in-4°, chez Toussaint Quinet, 1639, privilège daté du 28 Mai, achevé d’imprimer le 25 Octobre ; collation : IV-132, []2A-Q4R2 ; imprimeur : Antoine Coulon. Le texte a connu une nouvelle émission en 1640.
[I] Page de titre : DOM / QUIXOTE / DE LA / MANCHE, / COMEDIE. / [Fleuron du libraire remplacé par une vignette représentant Don Quichotte à cheval et Sancho Pança sur son âne avec un moulin en arrière-plan] / A PARIS, / Chez Toussaint Quinet, au Palais, dans / la petite Salle, sous la montee de la / Cour des Aydes. / M. DC. XXXIX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] Verso blanc.
[III] Extrait du privilège du Roi.
[IV] Liste des acteurs.
1-132, Texte de la pièce.
Exemplaires conservés dans les bibliothèques parisiennes :
BNF Tolbiac : RES-YF-389 (3).
BNF Richelieu : 8-RF-6211.
Bibliothèque Sainte Geneviève : DELTA 15221 (1) FA (P.4).
Dom Quichot de la Manche, Comédie, Seconde partie, in-4°, chez Antoine de Sommaville, 1640, privilège daté du 29 Mai, achevé d’imprimer le 15 Juillet ; collation : IV-144, []2A-S4 ; imprimeur : Antoine Coulon.
[I] DOM / QUICHOT / DE LA / MANCHE, / COMEDIE. / SECONDE PARTIE. / [Écu du libraire] / A PARIS, / Chez Antoine De Sommaville, au Palais, / dans la Gallerie des Merciers, à l’Escu de France. / M. DC. XL. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] Verso blanc.
[III] Extrait du privilège du Roi.
[IV] Liste des acteurs.
1-144, Texte de la pièce.
Exemplaires conservés dans les bibliothèques parisiennes :
BNF Tolbiac : RES-YF-390 (4).
BNF Arsenal : 4-BL-3472 (2).
Paris-Sorbonne, BIU : RRA 8= 446.
Bibliothèque Mazarine : 4Ê 10918-44/2.
Établissement du texte §
L’orthographe des éditions originales a été respectée à quelques exceptions près : la graphie ʃ a systématiquement été ramenée à la graphie s dans un souci de lisibilité ; de la même façon u et v, ainsi et i et j ont été distingués. Le tilde qui en de rares endroits marquait le redoublement d’une consonne nasale a été transcrit par une consonne double. Les capitales qui venaient à la suite des lettrines n’ont pas été conservées. Les alinéas au sein d’une tirade ont été reproduits à l’identique parce qu’ils marquaient souvent le commencement d’un récit. Les coquilles ont été corrigées, mais l’hésitation entre une coquille et une orthographe personnelle a parfois fait conserver des graphies aujourd’hui surprenantes.
La ponctuation a été laissée dans l’état pour sa valeur prosodique (évidente notamment pour des stichomythies et les interruptions) exception faite de points d’interrogation mis pour des points d’exclamation, et de la mise en apostrophe fautive de certains noms. La graphie de certains mots varie non seulement d’un cahier à l’autre, mais aussi souvent d’un vers à l’autre : on trouvera donc notamment l’adjectif lâche écrit tantôt ainsi tantôt lasche, une certaine confusion entre é et ay, comme dans « fussay-je », l’emploi indifférent de en et an, et de ein et ain, la graphie Et bien et Et quoi pour Eh bien et Eh quoi, l’alternance entre flâme et flamme et l’emploi de conte pour compte.
On a pu par ailleurs observer une tendance à harmoniser les graphies à la rime : satisfasse devenant satisface pour rimer avec place ou pense écrit pence pour rimer avec circonstance.
Enfin les bandeaux, filets, lettrines et autres culs-de-lampe fleuris qui embellissent les éditions originales n’ont pas été reproduits.
De plus de nombreuses règles grammaticales et locutions conjonctives diffèrent du français moderne, dont nous donnons ici les plus fréquentes :
– le participe présent s’accorde en genre et en nombre avec son sujet,
– les conjonctions puisque, lorsque, quoique sont en deux mots,
– soudain que s’emploie pour dès que, premier que pour avant que,
– comme qu’il en soit remplace parfois quoi qu’il en soit,
– jusqu’à ce que peut être suivi de l’indicatif pour une action dans le passé,
– les verbes croire et désirer se construisent avec de + infinitif, tandis qu’ignorer se construit avec à + infinitif, et l’on dit aider à quelqu’un, parler à lui, et enseigner quelqu’un,
– parmi les relatifs, qui se substitue souvent à lequel et où à auquel,
– le complément du comparatif peut être introduit par comme, « qu’il soit aussi content comme il fut amoureux »,
– malgré un emploi adverbial, tout s’accorde en genre et en nombre, « nous sommes tous en feu »,
– les règles de l’accord du participe passé précédé du complément d’objet direct ne sont pas aussi rigoureuses qu’aujourd’hui,
– aucun peut être mis au pluriel et signifier quelques-uns.
Liste des coquilles §
Dom Quixote de la Manche §
Personnages Acte I : Gardenie pour Cardenie ; vers 48 : tant soit [peu] guérie ; vers 98 : regneu pour recogneu ; vers 103 : longneurs ; vers 52 : Landalousie ; vers 199 :contez-là ; vers 252 : le voile pour la voile ; vers 278 : en eut-il pour en eust-il ; vers 291 : plain pour plein ; vers 297 :garentir ; vers 300 : qu’il la preveuë au lieu de l’a ; vers 333 : s’abille ; vers 340 : n’est-ce [pas] ; vers 372 : vaux pour vaut ; vers 476 : elle ta fait servir ; vers 482 : j’ettez vous ; vers 486 : vous-vous moquez ; vers 495 : a ton jamais vu ; vers 498 :recompencer ; vers 523 : fueilleté ; vers 538 : diroit pour disoit ; vers 554 : crain pour crin ; vers 571 : conclurre ; vers 589 : mourois pour mourrois ; vers 639 : a-elle pour a-t-elle ; vers 644 : j’espire ; vers 653 : Mademe ; vers 710 : la fait faire ; vers 738 : a la la couronne ; vers 764 : M à l’envers ; vers 772 : amanst ; vers 810 : Cardenie pour Fernande ; vers 837 : desillez ; vers 859 : n’eglige ; vers 866 : & nous nous aussi ; vers 907 : dit dit ; vers 927 : ta seduit ; vers 929 : percistes ; vers 970 : galenterie ; vers 987 : n’égale pour N’égale ; vers 1002 : hémistiche non aligné ; vers 1005 : excussent ; vers 1075 : dérouillés pour dérouillées ; vers 1090 : l’arron ; vers 1102 : ny le fut jamais, manque ne ; vers 1129 : fust pour fut ; vers 1230 : voulut pour voulust ; vers 1256 : j’abaise ; vers 1272 : Autone ; vers 1310 : eust pour eut ; vers 1317 : quoy qu’en dit ; vers 1345 : rengée ; vers 1379 : excecrables ; vers 1385 : eust pour eut ; vers 1404 : moi qui l’ait fait ; vers 1562 : mot ville oublié ; vers 1599 : poits ; vers 1636 : suit pour suis ; vers 1656 : la rendu ; vers 1681 : plain pour plein.
Dom Quichot de la Manche, seconde partie §
Vers 66 : Arger pour Alger ; vers 276 : pouvies pour pouviés ; vers 496 : demeure pour demeurez ; vers 524 : accidents que j’ai vu ; vers 568 : amuses pour amusés ; vers 588 : encore un peut ; p. 46 : scène II pour scène III ; vers 931 : je n’en scait rien ; vers 950-958-1018 : fut pour fût ; vers 996 : penser pour panser ; vers 1026 : me va cousté ; vers 1075 : cercher ; vers 1158 : nous pour vous ; vers 1181 : je pour il ; vers 1207 : content pour comptant ; vers 1677 : quérir pour guérir ; entre vers 1784 et 1785 : vers manquant.
DOM QUIXOTE DE LA MANCHE, §
Extraict du Privilege du Roy. §
Par grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 28. jour de May 1639. Signé par le Roy en son conseil, De Monceaux : il est permis à TOUSSAINT QUINET, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Theatre, intitulée Dom Quixote de la Manche, durant le temps de trois ans, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer. Et deffences sont faites à tous Imprimeurs, Libraires, & autres de contrefaire ladite piece, ny en vendre ou exposer en vente de contrefaite, à peine aux contrevenans de trois mil livres d’amende, & de tous ses despens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour bien & deuëment signifiées, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.
Achevé d’imprimer pour la première fois, le 25. Octobre mil six cens trente-neuf.
Les Exemplaires ont esté fournis.
LES ACTEURS. §
- DOM QUIXOTE, Chevalier errant.
- SANCHO PANCE, son Escuyer.
- CARDENIE.
- LUCINDE.
- D. FERNANDE.
- DOROTEE.
- D. LOPE, amy de D. Quixote.
- BARBERO, compagnon de D. Lope.
- LA C. TRIFALDE, & deux de ses compagnes.
- [REYNE DE MICONMICON]
- DEUX TAMBOURS.
- QUATRE DEMONS.
- UN BARBIER.
- DEUX SUIVANS DE D. FERNANDE.
- DEUX ARCHERS.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
D. LOPE.
CARDENIE.
[p. 2]D. LOPE.
CARDENIE.
SCENE II. §
DOROTEE, en poussant son valet.53
CARDENIE.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
D. LOPE.
CARDENIE.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
CARDENIE.
DOROTEE.
D. LOPE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE, parlant à D. LOPE.
DOROTEE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
[p. 12]D. LOPE.
CARDENIE.
[p. 13]DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
CARDENIE.
DOROTEE.
SCENE III. §
[p. 15]BARBERO, apportant des habits de femme, & des barbes.
D. LOPE.
Puis que voicy Madame.BARBERO.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
[p. 16]CARDENIE.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
CARDENIE.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
BARBERO.
D. LOPE.
DOROTEE.
D. LOPE.
CARDENIE.
D. LOPE.
SCENE IV. §
[p. 23]BARBERO.
DOROTEE.
D. LOPE.
CARDENIE.
QuelSANCHO, parlant à part-soy.
SANCHO.
CARDENIE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
[p. 26]D. LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
SANCHO.
Je l’ay penséD. LOPE, parlant à Cardenie & Dorotée.
CARDENIE.
BARBERO.
SANCHO.
D.LOPE.
SANCHO.
D. LOPE.
ACTE II. §
[p. 29]SCENE PREMIERE. §
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SCENE II. §
[p. 35]D. LOPE.
REYNE DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
D. LOPE.
R. DE MICONMICON.
SANCHO.
R. DE MICONMICON.
CARDENIE.
D. LOPE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
[F,41]SANCHO.
R. DE MICONMICON.
SANCHO.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
CARDENIE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
R. DE MICONMICON.
D. LOPE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE, parlant à D. Lope.
D. LOPE.
DOM QUIXOTE, à la Reyne & à D. Lope.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
[p. 45]R. DE MICONMICON.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
CARDENIE.
DOM QUIXOTE.
[p. 47]SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO, parlant à D. Lope.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
R. DE MICONMICON.
DOM QUIXOTE.
D. LOPE.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
D. FERNANDE, parlant au premier des siens.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
SCENE II. §
[p. 59]LE VALET.
FERNANDE.
LE VALET.
LUCINDE.
LE VALET.
FERNANDE.
LE VALET.
FERNANDE.
LE VALET.
FERNANDE.
LE VALET.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LUCINDE.
SCENE III. §
DOM QUIXOTE.
L’ESCUYER DE LA REYNE DE M.
DOM QUIXOTE.
L’ESCUYER.
DOM QUIXOTE.
[p. 64]L’ESCUYER.
SCENE IV. §
[p. I,65]SANCHO
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
L’ESCUYER.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
L’ESCUYER.
SANCHO.
L’ESCUYER.
SANCHO.
L’ESCUYER.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
L’ESCUYER.
SANCHO.
[p. 68]SCENE V. §
D. FERNANDE, parlant à D. Lope.
D. LOPE.
LA REYNE.
CARDENIE, parlant à Lucinde.
CARDENIE.
LUCINDE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE, parlant à Fernande.
LA REYNE.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
[p. 74]FERNANDE.
D. LOPE.
FERNANDE.
ACTE IV. §
[p. 75]SCENE PREMIERE. §
D. FERNANDE.
CARDENIE.
FERNANDE.
CARDENIE.
FERNANDE.
CARDENIE.
FERNANDE.
CARDENIE.
LUCINDE.
[p. 77]FERNANDE.
LUCINDE.
FERNANDE, se tournant vers Dorotée.
DOROTEE.
FERNANDE.
FERNANDE.
DOROTEE.
FERNANDE.
DOROTEE.
SCENE II. §
[p. 79]DOM QUIXOTE.
SANCHO.
[p. 80]LA REYNE.
SANCHO.
LA REYNE.
SANCHO.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
D. LOPE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
CARDENIE.
SCENE III §
LE BARBIER.
SANCHO.
LE BARBIER.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LE BARBIER.
DOM QUIXOTE.
LE BARBIER.
DOM QUIXOTE.
DOM QUIXOTE.
LE BARBIER.
DOM QUIXOTE.
LE BARBIER.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
LE BARBIER.
SANCHO.
FERNANDE.
LE BARBIER.
SCENE IV. §
LE BARBIER, poursuivant, & dit aux Archers.
SANCHO.
UN DES ARCHERS.
DOM QUIXOTE.
[p. 88]FERNANDE.
CARDENIE.
D. LOPE.
LUCINDE.
LA REYNE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
L’UN DES ARCHERS.
LE BARBIER.
DOM QUIXOTE.
[p. 90]SANCHO.
FERNANDE.
L’UN DES ARCHERS.
L’AUTRE ARCHER.
LE I. ARCHER.
DOM QUIXOTE.
UN DES ARCHERS.
DOM QUIXOTE.
[p. 91]UN DES ARCHERS.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
SANCHO.
LES ARCHERS, en s’en allant.
LE BARBIER, aussi en s’en allant.
SANCHO.
D. LOPE parlant à Fernande.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
[p. 93]FERNANDE.
D. LOPE.
FERNANDE.
FERNANDE.
ACTE V. §
[p. 95]SCENE PREMIERE. §
LA REYNE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
SCENE II. §
LE TAMBOUR.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
LE TAMBOUR.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
LA REYNE.
SANCHO.
SANCHO.
SCENE III. §
LE TAMBOUR.
LA COMTESSE TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
L C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
[p. 102]LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
[O,105]FERNANDE.
LA C. TRIFALDE.
CARDENIE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
LUCINDE.
FERNANDE.
LA C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
CARDENIE.
DOM QUIXOTE.
LUCINDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE, parlant à Sancho.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
FERNANDE.
LA C. TRIFALDE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
D. QUIXOTE, parlant à la Comtesse.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
[p. 112]SCENE IV. §
[P, 113]FERNANDE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LUCINDE.
LA REYNE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
UN DES DEMONS.
UN DES DEMONS.
SANCHO.
LE DEMON.
SANCHO.
UN DEMON.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
[p. 117]DOM QUIXOTE.
LA COMTESSE TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
[p. 119]SANCHO.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
LA C. TRIFALDE.
CARDENIE.
SANCHO.
LA REYNE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
LA C. TRIFALDE, & tous les autres ensemble.
DOM QUIXOTE.
SANCHO, monte.
LUCINDE.
LA C. TRIFALDE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO, descend du cheval.
LA C. TRIFALDE.
[p. 123]DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
FERNANDE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
CARDENIE.
DOM QUIXOTE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
FERNANDE.
SANCHO.
[p. 127]DOM QUIXOTE.
SANCHO.
FERNANDE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
FERNANDE.
D. LOPE.
LUCINDE.
LA C. TRIFALDE.
UNE DES DAMES DE LA COMTESSE.
DOM QUIXOTE.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA C. TRIFALDE, lit les deux premieres Stances.
D. FERNANDE, lit le reste.
SANCHO.
DOM QUIXOTE.
LA REYNE.
FERNANDE.
D. LOPE.
FIN.
Lexique §
Dictionnaires utilisés : Furetière et Richelet.
Bibliographie §
Les sources §
Guérin de Bouscal §
La trilogie comique adaptée de Cervantès §
-
Dom Quixote de la Manche, Comédie, Paris, Quinet, 1639 ; éd. Daniela Dalla Valle et Amédée Carriat, Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1979.
-
Dom Quichot de la Manche, Comédie, Seconde Partie, Paris, Sommaville, 1640, éd. fac-similé Marie-Lyne Akhamlich, Toulouse, Université Toulouse-Le Mirail, 1986.
-
Le Gouvernement de Sanche Pansa, Comédie, Paris, Sommaville & Courbé, 1642 ; éd. C. E. J. Caldicott, Genève, Droz, 1981.
Œuvres mentionnées §
-
La Mort de Brute et de Porcie, ou La Vengeance de la mort de César, Tragédie, Paris, Quinet, 1637.
-
Le Fils désavoué, ou Le Jugement de Théodoric, roi d’Italie, Tragi-comédie, Paris, Sommaville, 1642.
Textes contemporains §
-
Cervantès Saavedra, Miguel de, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, trad. César Oudin, 1614 ; éd. Jean Canavaggio, Paris, Gallimard, coll. Folio Classique, 2010.
-
Cervantès Saavedra, Miguel de, Seconde Partie de l’Ingénieux Chevalier Don Quichotte de la Manche par Miguel de Cervantès Saavedra, auteur de la première partie, trad. François de Rosset, 1618 ; éd. Jean Canavaggio, Paris, Gallimard, coll. Folio Classique, 2010.
-
Cervantès Saavedra, Miguel de, Nouvelles exemplaires, trad. François de Rosset, 1616.
-
Pichou, Les Folies de Cardenio, Tragi-comédie, Paris, Targa, 1630 ; éd. Jean-Pierre Leroy, Genève, Droz, 1989.
Instruments de travail §
Dictionnaires §
-
Académie Française, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.).
-
Furetière, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; rééd. SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).
-
Huguet, E., Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, H. Champion (puis Didier), 1925-1967 (7 vol.).
-
Richelet, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).
Bibliographie §
-
Klapp-Lhermann, Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann, vol. 1990-2010.
Grammaire §
-
Fournier, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
Bibliographie matérielle §
-
Riffaud, Alain, La Ponctuation du théâtre imprimé au XVIIe siècle, Genève, Droz, 2007.
-
Riffaud, Alain, Répertoire du théâtre français imprimé, Genève, Droz, 2009.
-
Riffaud, Alain, Archéologie du livre français moderne, Genève, Droz, 2011.
Travaux critiques §
Histoire littéraire du XVIIe siècle §
-
Bardon, Maurice, « Don Quichotte » en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (1605-1815), Paris, H. Champion, 1931.
-
Cioranescu, Alexandre, Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.
Travaux sur le théâtre du XVIIe siècle §
-
Baby, Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2002.
-
Forestier, Georges, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle, Genève, Droz, 1981.
-
Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
-
Guichemerre, Roger, La Comédie avant Molière 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.
-
Lancaster, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.).
-
Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1950.
Travaux sur la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal §
-
Akhamlich, Marie-Lyne, « Adaptation théâtrale de Don Quichotte de Cervantès par Guyon Guérin de Bouscal », Cahiers de littérature du XVIIe siècle, no 5, 1983, p. 33-43.
-
Couderc, Christophe, « Don Quichotte et Sanche sur la scène française (XVIIe et XVIIIe siècles) », Mélanges de la Casa de Vélazquez [en ligne], 37-2, 2007, mis en ligne le 11/10/2010. URL : http://mcv.revues.org/1655/
-
Dalla Valle, Daniela, « Don Quichotte et Sancho dans la France de Louis XIII. La trilogie comique de Guérin de Bouscal », Revue de littérature comparée, no 4, oct.-déc. 1979, p. 432-462.
-
Dalla Valle, Daniela, « Sancho Pança gouverneur : de Cervantès à Guérin de Bouscal et à Dancourt », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no 48, 1996, p. 185-203.
-
Mazouer, Charles, « L’illusion dans la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, nº 48, 1996, p. 165-184.