LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE,
OU, LA VENGEANCE DE LA MORT DE CESAR.
TRAGEDIE.
A PARIS,
Chez Tovssainct Qvinet, au Palais dans
la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes.
M. DC. XXXVII.
AVEC PRIVILEGE DV ROY

Édition critique établie par Yann Ombrouck dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2011-2012)

Introduction §

DÉDICACE,

À Monseigneur

WYNANT SCHIMMEL.

Mon ami bienveillant et dévoué,

Je vous présente à l’improviste mon funeste, mais, pour bien dire, mon courageux Brutus, qui, avec son grand ami Cassius, ouvre les rideaux de cette tragédie : soyez assuré qu’il se montrera devant vos yeux avec plus de gloire, parce que Brutus exilé (pour rétablir la liberté de Rome et soutenir les âmes opprimées) non seulement hasarde sa propre vie, mais se sacrifie pour l’honneur à la fatalité. Prenez la courageuse Porcia en pleurs dans vos bras avec compassion, elle qui, étouffée par le désespoir, voue son corps au sombre tombeau. Protégez-la des mauvaises langues, qui portent envie à son bonheur, pour qu’elle puisse, après sa mort, fleurir comme une rose sous les chardons et les épines. Ainsi je reste envers Votre Éminence

Dévoué et obligé

P. Zeeryp 1

C’est par cette dédicace, placée entre la page de titre et la liste des personnages, que le lecteur néerlandais de 1653 pouvait commencer sa lecture d’une tragédie intitulée De Dood van Brutus en Cassius.2 L’origine de cette tragédie, qui venait d’être jouée à Amsterdam, et dont il découvrait qu’elle avait été « mise en vers par P. Zeeryp »3, lui échappait totalement, le nom même de l’auteur n’étant pas cité. Il ne pouvait se douter qu’elle était l’œuvre, près de vingt ans plus tôt, d’un Languedocien désormais retiré de la vie littéraire parisienne pour occuper les fonctions de premier consul de sa ville natale, loin, très loin d’Amsterdam. N’ayant pas la source exacte, il devait faire sans le contexte littéraire de la France du début des années 1630, dont les subtilités lui étaient très probablement étrangères. Le traducteur avait manifestement élaboré sa traduction à partir d’une édition caennaise sortie des presses d’Eléazar Mangeant un an plus tôt, édition à qui l’on doit ce titre écorché où « Cassie » remplace « Porcie », mais dont la qualité du texte n’est pas inférieure à celui de l’édition originale (parisienne) de 1637 : au contraire, quelques coquilles ont été corrigées au passage. En revanche, ni le prologue de la pièce, où l’auteur met en scène les grandes tragédies du temps et place son sujet à la suite d’une allusion à La Mort de César de Georges de Scudéry, ni les poèmes qui la suivent n’ont fait partie du voyage : l’édition caennaise de 1652 les a ignorés. Il faut croire que le traducteur, Pieter van Zeerijp, s’il avait un exemplaire de cette dernière entre les mains, n’avait pas beaucoup plus d’informations en lisant le nom de « MONSIEVR DE BOVCAL » sur la page de titre. Certes, le libraire et l’imprimeur avaient déjà collaboré, en 1650, à la publication d’une traduction de la tragédie de Scudéry, également jouée à Amsterdam, et mise en vers par un certain H. Verbiest. À cette réserve, l’on peut répondre que l’éditeur a pu puiser indistinctement, pour la pièce de Scudéry comme pour celle de Guérin de Bouscal, dans les tragédies publiées par les Mangeant de Caen. En effet, Jacques Mangeant, le père d’Eléazar, avait lui-même contrefait la pièce de Scudéry en 1638 et l’avait rééditée en 1646, ce qui laisse la possibilité d’un passage en Hollande pour une traduction en 1650. Il s’agirait dès lors moins d’une cohérence dans la publication de l’éditeur néerlandais que la trace d’une origine commune : Caen était en liaison maritime avec la Hollande. Ainsi, la lecture de la pièce de Guérin de Bouscal en fonction de celle de Scudéry, qui avait écrit une pièce engagée politiquement, dans une apologie de la monarchie condamnant sans appel Brutus, paraissait bien compromise : la distance (temporelle et spatiale) ainsi que la disparition du prologue devaient être des obstacles difficilement surmontables.4 Certes, il y a dans ces hypothèses néerlandaises nombre d’incertitudes et, à coup sûr, des inexactitudes. L’acuité de la réception du théâtre français par les Néerlandais, dont on sait qu’ils produisaient avec passion de nombreuses contrefaçons au XVIIe siècle, ne relève pas de notre domaine. Il est alors temps de quitter les hypothèses pour en venir à notre propos.

Paradoxalement, l’édition critique que nous réalisons ne contredira pas foncièrement la lecture de la tragédie par Pieter van Zeerijp, là où nous aurions pu croire que le contexte dont nous ne sommes pas privé allait infléchir la lecture en un sens beaucoup moins flatteur pour le camp des républicains défaits en Macédoine. Après la mort de César, les conjurés avaient dû s’exiler pour finalement rencontrer les troupes des partisans de César, menées par les triumvirs Octave et Marc Antoine, à Philippes. C’est de cette bataille, acte de décès de la République romaine, dont il est question dans la pièce de Guérin de Bouscal. Dans le propos de Pieter van Zeerijp, les triumvirs et la cause qu’ils défendent (la vengeance de César) brillent par leur absence. Les figures du camp des « Libérateurs » ne voient dans leur caractérisation aucune ombre au tableau, comme si la condamnation morale devenait l’injustice de ces « mauvaises langues » dont Porcia, la femme de Brutus, serait victime sans l’intervention du spectateur. Brutus et Cassius y apparaissent réconciliés et leurs disputes de Sardes ne sont qu’un lointain souvenir.5 Certes, dans la lecture que nous ferons, les personnages de Cassie et Porcie auront leur part de responsabilité. Pour autant, nous ne sommes pas sûr de pouvoir entamer la gloire de Brute. Il n’est pas, en tout cas, ce vil fourbe des ides de mars qui attire César au Sénat en le flattant, comme le mettra en scène Scudéry, confondant pour les besoins de la cause Brutus et Décimus Brutus.6

La tragédie de Scudéry se voulait une apologie de la monarchie, dans un engagement politique déclaré par l’auteur dans son avis au lecteur. Cette dimension d’engagement semble bel et bien disparaître dans la pièce de Guérin de Bouscal. Dans ce même avis au lecteur de La Mort de César, Scudéry trouvait l’occasion d’exprimer un jugement personnel sur Brutus :

Je sçay bien que Brutus a des Sectateurs, qui ne le trouveront pas bon, mais outre que j’escris souz une Monarchie et non pas dans une Republique, je confesse que je n’ay pas de ce Romain, les hauts sentiments qu’ils en ont : car s’il aimoit tant la liberté de sa Patrie, je trouve qu’il devoit mourir avec elle, apres la perte de la bataille de Pharsalle, sans attendre celle de Philippes. Il ne devoit point devenir le flateur de CÆSAR, pour s’en rendre apres l’assassin ; ou plutost le Parricide : et s’il aimoit tant la Philosophie, il devait finir sans luy dire des injures, et ne pas faire voir qu’il ne vouloit estre sage, que lors qu’il estoit heureux.

Cette outrance ne saurait décrire le Brute de Guérin de Bouscal et ce n’est pas ce personnage qu’a lu et traduit Pieter van Zeerijp. Le Néerlandais aurait pu compter au rang de ces « Sectateurs » dont parle l’auteur de La Mort de César. Il répond sans le savoir à Scudéry, qui n’a plus qu’à rejoindre le camp des calomniateurs. Ainsi, plutôt que le personnage d’une suite, Brute est à considérer comme le personnage du premier volet d’une trilogie tragique où le héros vertueux rencontre la mort en se confrontant à son destin, tel Cléomène et Agis, ces deux figures que Guérin de Bouscal trouvera en poursuivant sa lecture de Plutarque.

Bien évidemment, cette édition critique, car c’est un de ses rôles majeurs, sera le lieu où l’on retrouvera le contexte perdu dans le voyage qui mène de Paris à la Hollande, contexte nécessaire à la légitimation de tout commentaire littéraire et auquel nous nous sommes attaché le plus soigneusement qu’il nous a été possible. Cela posé, nous sommes heureux de découvrir non sans surprise, dans ce que nous imaginons être les conditions dans lesquelles Pieter van Zeerijp a pris connaissance de cette tragédie, que la lecture d’un texte pour lui-même, qui conduit aisément aux égarements les plus malheureux, est ici possible. Que le lecteur ne craigne pas de s’y exposer ; s’il doute, qu’il nous lise.

Guérin de Bouscal et son œuvre §

Guérin de Bouscal §

Réflexions sur un état civil §

Guérin de Bouscal est un auteur peu connu du début du XVIIe siècle, originaire du Languedoc. Malheureusement, les éléments sont pauvres et parler de sa vie est une tâche difficile ; les efforts faits dans ce sens ont souvent mené à des inexactitudes. Il apparaît alors qu’on a longtemps malmené son état civil, mettant même en question le prénom de Guyon7 ainsi que des dates fantaisistes8, reposant sur une tradition qui manquait de sources fiables, quand elle songeait à en citer. Un dépouillement fin des archives du Tarn a notamment permis de mettre au jour cinq documents autographes et un acte de décès qui ne laissent guère de doute quant à leur pertinence. Notre auteur serait ainsi né protestant vers 16139 et décédé catholique le 31 décembre 1675 à Réalmont. C’est là l’essentiel de ce que montrent les travaux de C. E. J. Caldicott, les plus complets en la matière, exposés dans l’introduction de son édition critique du Gouvernement de Sanche Pansa.

Ce sont ces travaux, fruits d’un travail d’envergure, que nous suivrons. Mais nous nous permettrons une objection. En effet, il est un point sur lequel Edric Caldicott s’est senti forcé d’abdiquer : la détermination précise de la naissance de Guérin de Bouscal.

Le trésor des archives de France ranime mieux que tout commentaire la vie des personnages du passé, mais l’enfance de Daniel Guérin a disparu avec les archives détruites lors de la prise de Réalmont, une des places-fortes du Languedoc protestant, par les troupes de Condé, en 1628.10

Ce même amour des archives (appuyé sur une solide expérience généalogique) a guidé nos recherches. Dans un premier temps, l’explication historique donnée par Edric Caldicott justifie l’état du fonds des Archives Départementales du Tarn concernant Réalmont. En effet, dans ce premier temps, il apparaît que les registres les plus anciens sont ceux de la paroisse de Notre-Dame-du-Taur, ancien temple protestant confisqué par les catholiques en 162811 ; ces registres commencent en 1632. Dans cette lecture, les registres de l’Église Réformée de Réalmont ne réapparaissent qu’en 1674. En commentant l’acte de sépulture de Guérin de Bouscal, Edric Caldicott écrit :

Puisque le curé Teulier ne pouvait préciser l’âge exact de Daniel Guérin, il faut croire que l’acte de naissance ne se trouvait pas dans les registres de l’église catholique ; de plus, les registres des baptêmes, mariages et sépultures de l’Eglise Réformée de Réalmont, qui manquent maintenant pour la période 1617-74, avaient déjà disparu.12

Quand on regarde ce fonds de plus près, on découvre un registre surprenant, qui semble avoir échappé à Edric Caldicott ou, du moins, n’a pas retenu son attention. Il faut en effet remonter une lacune de près de soixante ans pour trouver un registre de l’Église Réformée de Réalmont regroupant les baptêmes et les mariages de 1613 à 161713. Il n’est précédé ni suivi d’aucun registre et constitue un îlot avancé, épargné par l’histoire. L’acte de sépulture cité par Edric Caldicott fait mourir Guérin de Bouscal le 31 décembre 1675 à l’âge d’« environ soixante ans », et donne ainsi pour la naissance l’approximation suivante : vers 1615-1616. Le registre qui a attiré notre attention correspond ainsi parfaitement à cette approximation et laisse même la place à une marge d’erreur. C’est ainsi que nous avons trouvé l’acte de baptême sur le site des Archives en ligne du département du Tarn.

Nous avons alors pu découvrir des informations qui coïncidaient avec ce que nous cherchions. Par souci de rigueur et pour pouvoir retranscrire mot à mot ce document, nous avons demandé de l’aide pour le déchiffrage à Philippe Corbière, un bénévole qui a réalisé des relevés dans les cantons de Vabre, Alban, Montredon, Villefranche et Réalmont, dont un relevé du registre qui nous intéresse. Ce généalogiste aguerri, que nous remercions, a ainsi pu nous donner une lecture des plus précises de l’acte :

Le 22 janvier Guy fils de M° Jean Guerin notaire, parrain noble Guyon de Gavarret sieur de St Léon, marraine Judith Guerin fille dudit M° Jean et imposé nom Guyon

À l’époque, le baptême suit toujours de quelques jours (voire de quelques heures) la naissance. Ainsi ce Guyon Guerin est-il né en janvier 1617 à Réalmont de Jean, notaire. Outre le fait que M. Caldicott donne pour père de notre auteur Jean Guérin, notaire de Réalmont, on remarque que la date coïncide quasi-parfaitement avec l’approximation de l’acte de sépulture de Guérin de Bouscal et, en tout cas, mieux qu’une estimation de sa naissance aux environs de 1613. Par ailleurs, sur la période 1613-1617, nous n’avons pas trouvé de Daniel qui puisse correspondre. C’est pourquoi nous sommes portés à croire qu’il s’agit là du baptême de notre auteur.

Quand Edric Caldicott évoque la « période 1617-74 », l’année de 1617 pourrait laisser penser qu’il connaît l’existence de ce registre. L’a-t-il examiné ? Quand bien même, l’écriture difficile de ces trois lignes, noyées au milieu d’autres lignes non moins difficiles à lire, nous fait dire qu’il n’a pas vu cet acte.

Les implications sont à deux niveaux : l’âge et le prénom. Premièrement, une naissance en janvier 1617 implique que la publication de la première pièce de Guérin de Bouscal se serait faite alors que l’auteur avait dix-sept ans (1634). Il n’est pas invraisemblable qu’un versificateur doué ait pu écrire une pièce à cet âge. S’il faut donner des exemples, on pensera à Jean de Rotrou, Philippe Quinault et, plus tard, Lagrange-Chancel. Il est même séduisant d’imaginer que La Doranise, tragi-comédie pastorale « en vers, en cinq actes et en trois naufrages »14, ait été l’œuvre d’un adolescent. Quant à notre pièce, la seconde de Guérin de Bouscal, elle est publiée alors qu’il devait avoir vingt ans. Que le privilège de La Mort de Brute et de Porcie cite le prénom de Guyon, loin d’être le signe d’une erreur ponctuelle, est ainsi tout simplement la mention normale du prénom originel.

À la lecture de Caldicott, il est malheureux de constater que la question du prénom est traitée incidemment, bien qu’elle soit une préoccupation importante chez ce chercheur pour qui Guérin de Bouscal se prénomme Daniel15. S’il est fait référence à de nombreux documents dont l’accès difficile ne nous a pas permis de procéder à toutes les vérifications que nous aurions voulu faire, nous notons qu’il n’y a qu’un seul document cité expressément par Caldicott où Guérin de Bouscal est prénommé Daniel. Il s’agit d’un extrait des délibérations consulaires du 20 octobre 1651.16 Même sur l’acte de sépulture que cite le chercheur, acte qui ne fait guère de doute puisqu’il précise la haute charge du défunt, Guérin de Bouscal est désigné de cette manière : « msr. françois daniel de Guerin, Lieutenant de Réalmont »17. Non seulement le prénom Daniel n’en sort pas nettement renforcé mais une complication apparaît avec ce nouveau prénom, devant Daniel : François. Certes, une maladresse de la part du rédacteur n’aurait rien d’exceptionnel, en particulier à cette époque. Nous entrevoyons une cause non négligeable pour expliquer cette difficulté à produire des documents donnant le prénom Daniel :

Fier et ombrageux, conseiller du Roi, lieutenant du Roi en la prévôté, élu premier consul de Réalmont en 1651, il s’appelait Daniel et n’aurait jamais supporté l’utilisation de son nom par un autre, même si son titre de Bouscal, nous le verrons, ne venait que d’un petit lopin de terre dans le consulat du Laux, vicomté de Lautrec. Il avait deux frères, Pierre et Nathanaël, notaires tous les deux à Réalmont, mais Daniel fut le seul de la famille à signer ‘Guerin de Bouscal’, n’employant jamais son prénom ; il existe un document dans les A.D. du Tarn qui porte la signature des trois frères, mais on n’y voit qu’un seul Guérin de Bouscal.18

Si nous lisons bien, nous comprenons qu’il n’existe pas de document signé « Daniel Guérin de Bouscal ». D’ailleurs, le seul document dont Edric Caldicott donne une reproduction (frontispice de son édition critique) est signé « Guerin de Bouscal ». Il ne faut pas en attendre plus du côté de ses œuvres : en effet, de ce côté, le privilège de La Mort de Brute et de Porcie est le seul à donner un prénom, qui confirme, on l’a vu, l’acte de baptême. Face au seul document de Caldicott donnant le prénom de Daniel, sous réserve de pouvoir un jour examiner les documents dont le chercheur donne les références sans les citer, ce privilège sort renforcé par l’acte de baptême que nous avons reproduit. Nous n’avons plus guère de doute quant à la naissance, en janvier 1617, de Guérin de Bouscal. Nous posons la question du prénom de Guyon, dont la fausseté nous semble à réévaluer.

Activité littéraire à Paris et retour dans le Languedoc §

L’essentiel de l’activité littéraire de Guérin de Bouscal se déroula à Paris, entre 1634 et 1645.19 Entre 1645 et 1647, il revint dans le Languedoc pour devenir, en 1651, premier consul de Réalmont, fief protestant. Or Guérin de Bouscal, né protestant, s’était converti.20 En 1652, un conflit éclate entre les partis protestant et catholique, soutenus respectivement par la Chambre de l’Édit de Castres et le Parlement de Toulouse. Il faudra attendre 1664 pour que Guérin de Bouscal soit rétabli dans ses fonctions de premier consul.

L’histoire littéraire l’a retenu pour ses liens, difficiles à déterminer, avec Molière. Ce dernier, qui était régulièrement dans le Languedoc entre 1647 et 1657, avait d’excellentes relations avec les lieutenants-généraux, en particulier avec le comte d’Aubijoux, qui fut l’un de ses premiers mécènes. Or Guérin de Bouscal connaissait d’Aubijoux, qui habitait d’ailleurs non loin de Réalmont. Caldicott avance ainsi l’hypothèse d’une rencontre entre Molière et Guérin de Bouscal par l’intermédiaire de d’Aubijoux, ce qui semble tout à fait vraisemblable. Mais il est encore plus probable que Le Gouvernement de Sanche Pansa, troisième volet d’une trilogie théâtrale à succès, soit arrivé entre les mains de Molière, à Paris, dès sa parution en 1642. Le Gouvernement de Sanche Pansa fut, après le Dom Japhet de Scarron, « la reprise comique préférée de Molière », annonce Caldicott au commencement de son introduction. La pièce fut en effet l’une des plus jouées par la troupe de Molière, qui a continué à la jouer vingt ans après sa création. Ainsi, c’est par Molière que la littérature a gardé un souvenir de Guérin de Bouscal.

L’œuvre §

There is also considerable lyrical variety, shown in lovers’ dialogues (II, 2, 4), stances (II, 3), an oracle (I, 1), and a scene with two echoes (II, 1).

(H.C. Lancaster, à propos de La Doranise)21

Tour d’horizon §

Théâtre22 §

Ordre Titre Genre Année de la première édition
1 La Doranise Tragi-comédie pastorale 1634
2 La Mort de Brute et de Porcie ou la vengeance de la mort de César Tragédie 1637
3 L’Amant libéral Tragi-comédie 1637
4 Dom Quixote de la Manche Comédie 1639
5 La Mort de Cléomènes, roy de Sparte23 Tragédie 1640
6 Dom Quichot
Seconde partie
Comédie 1640
7 Le Fils désadvoüé ou le jugement de Théodoric, roy d’Italie Tragi-comédie 1641
8 Le Gouvernement de Sanche Pansa Comédie 1642
9 La Mort d’Agis Tragédie 1642
10 Oroondate ou les amants discrets Tragi-comédie 1645
11 Le Prince rétably Tragi-comédie 1647
Autres écrits §

Oraison funèbre de Mgr l’Eminentissime Cardinal Duc de Richelieu (1643)24

La Paraphrase du Pseaume XVII (1643)

L’Antiope, roman (1644-1645)25

Poèmes au sein des œuvres §

« Sur la guerison de Sylvie » (1637)26

« Les Stances à Antiope » et le « Poème pour Périgonne » (1644)27

Commentaire général §

On l’aura compris après ce tour d’horizon, l’œuvre de Guérin de Bouscal ne se réduit pas à la trilogie cervantine. Sans Molière, l’histoire littéraire aurait-elle jamais retenu le nom de Guérin de Bouscal ? À regarder les travaux réalisés sur cet auteur, qui traitent de manière quasi-exclusive de ses comédies adaptées du Quichotte, il est permis d’en douter.28 Pourtant, il est frappant de constater non seulement une certaine fécondité, mais une véritable variété qui fait de notre auteur un polygraphe. D’un bout à l’autre de son théâtre, Guérin de Bouscal s’est adonné au genre de la tragi-comédie. Il a également écrit trois tragédies dont les sujets sont tirés de Plutarque. Mieux, le constat va au-delà du théâtre : en témoigne l’Antiope, roman qui évoque les amours de Thésée et de la reine des Amazones, qui « ne comporte pas moins de deux mille pages » et qui eut selon Georges Vergnes un « succès non négligeable ».29 Enfin, Guérin de Bouscal a également écrit de la poésie amoureuse, une Paraphrase du Pseaume XVII et une oraison funèbre à la mémoire de Richelieu.

Application à La Mort de Brute et de Porcie §

Cette variété est sensible dans la première édition de La Mort de Brute et de Porcie, que nous présentons. En effet, cette première tragédie de Guérin de Bouscal est précédée d’un prologue et suivie de poèmes, laissant la place à une certaine liberté : le prologue met alors en scène une Renommée en vierge rougissante, les poèmes évoquent une Sylvie insaisissable, si ce n’est « en songe »30. La tragédie elle-même est touchée par cette variété que l’on constate : se succèdent des discours tout aussi différents que des lamentations, des harangues, des récits de bataille ou encore le récit du rêve du médecin d’Octave. Enfin, la forme est également concernée par le phénomène, par l’emploi des stances (IV, 4) et des rimes croisées au lieu des traditionnelles rimes plates (les imprécations de Porcie, II, 4 ; le changement du système de rimes introduit le thème du suicide de Brute, fin de V, 4). En V, 4, l’emploi des rimes croisées est combiné à l’usage extensif du quatrain, « caractéristique des passages lyriques visant à la pompe »31. La liberté des rimes et l’hétérométrie ont une place importante dans chaque partie de cette édition (prologue, pièce, poèmes), fait qu’on peut illustrer en relevant les trois schémas strophiques les plus complexes que l’on rencontre. Ces trois schémas peuvent être vus comme une variation autour d’un même système de rimes : ABBACCDEED.32 Les fluctuations sont au niveau du genre des rimes, du mètre et du nombre de strophes. Si l’on symbolise les rimes masculines par des minuscules, les rimes féminines par des majuscules et le mètre par le nombre de syllabes, on obtient les schémas strophiques suivants, multipliés par le nombre de strophes ou d’unités strophiques. Pour le prologue, l’unité, répétée dix-sept fois, est composée d’un quatrain séparé d’un sizain : (a8-B8-B8-a12 + c8-c8-D12-e12-e8-D12) x17. En IV, 4, il s’agit d’un dizain : (a8-B8-B8-a8-C8-C8-d12-E8-E8-d12) x6. Enfin, les stances qui terminent la série de poèmes prennent à nouveau la forme de dizains : (A12-b12-b8-A8-c8-c12-D12-e12-e6-D12) x3. Il y a sans doute de la virtuosité derrière ces systèmes, maîtrise qui va jusqu’au jeu : dans le second poème, on trouvera ainsi un octosyllabe seul en plein sonnet régulier !

La pièce §

Argument de La Mort de Brute et de Porcie, sujet romain §

Situation §

Après l’assassinat de César en 44 av. J.-C., ses héritiers politiques, menés par Marc Antoine (son ancien bras droit) et Octave (son fils adoptif, le futur empereur Auguste), forment un triumvirat avec Lépide. Les Républicains fondent alors leurs espoirs sur ceux qu’ils surnomment les « Libérateurs » alors que le parti adverse les considère comme les « césaricides ». Brutus et Cassius, les chefs des conjurés, ont dû fuir en Orient. En Italie, Marc Antoine et Octave mettent en place une politique de proscription, politique dont Cicéron est notamment victime. La confrontation entre les deux partis a finalement lieu en octobre 42 av. J.-C. à Philippes (Macédoine) au cours de deux batailles successives : la première voit la victoire de Brutus face à Octave et la défaite de Cassius devant Marc Antoine, la seconde la victoire de Marc Antoine contre Brutus.

Acte I §

Brute expose sa position politique en soulignant que la République est la seule qui respecte avec la liberté le droit des gens et la volonté des dieux. Il ajoute que ce système est celui qui permet à la vertu de s’épanouir, avant d’annoncer une bataille imminente (sc. 1). Cassie est contre l’idée de combattre et propose à Brute de reporter la bataille. Brute lui oppose la fatigue des troupes et la lassitude de Rome : c’est le moment de rétablir la liberté. Cassie se laisse convaincre, « contre [s] on cœur » (v. 118 et 127) (sc. 2). Cassie, sans remettre en cause l’autorité de Brute, confie à Titine son inquiétude et doute d’une victoire assurée par les dieux (sc. 3). Comme il l’avait annoncé aux vers 125-126, Brute « minute en repos l’ordre de la bataille » et commence par imaginer l’aile droite de son armée. Mais cette solitude est interrompue par l’apparition de son mauvais génie, mauvais présage dont Brute ne tient aucunement compte. Il reprend ses plans là où il s’était arrêté, avec l’évocation de l’aile gauche. Le soleil se lève et Brute sort de la scène pour encourager ses troupes (sc. 4). La scène suivante est la première où nous voyons le couple s’entretenir. Elle met en avant le personnage de Porcie, que nous voyons pour la première fois : celle-ci se caractérise par sa vertu, héritée de son père, Caton d’Utique, vertu qui signifie pour les Romains à la fois courage physique (« La fille de Caton nasquit parmy les armes », v. 181) et courage moral (« Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire », v. 213). Brute, dont le souci était de « sçavoir [s] a Porcie en repos » (v. 171), doit se soumettre à la fidélité absolue de sa femme, fidélité au mari et au dernier défenseur de la liberté. Tous les possibles sont évoqués dans cet échange d’amour : quoi qu’il arrive, ce dernier est plus fort que la mort ; Brute évoque l’espoir d’un bonheur qui serait alors parfait (sc. 5). Entre désespoir et fureur, Porcie invoque la vertu et forme l’idée d’aller courir aux armes, dans ce qu’on pourrait prendre pour un sacrifice à la Victoire. Sa compagne l’en détourne et Porcie sort de la scène pour prier Jupiter (sc. 6).

Acte II §

La première réplique de Marc Antoine développe l’idée que la mort de César réclame une vengeance qui doit aller jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix, pour châtier ces traîtres qui ont assassiné leur bienfaiteur. La royauté est le seul système qui convienne à l’État mûr, celui qui a atteint sa forme achevée après les conquêtes : l’ordre garanti par le souverain est alors une nécessité pour se prémunir contre les divisions et durer (sc. 1). Le médecin d’Octave (ce dernier est souffrant) rapporte à Marc Antoine le rêve qu’il a fait, véritable ravissement, état mystique qui lui a fait apercevoir une « troupe de Dieux » (v. 415) et recevoir ce commandement : il faut, pour sauver Octave, l’amener au camp de Marc Antoine. Marc Antoine s’empresse de suivre cet avis (sc. 2). En une longue tirade, Brute exhorte ses troupes contre la tyrannie considérée comme dégradation insupportable de Rome, décadence, usurpation impie. Il leur montre l’immortalité que leur promet leur vertu (sc. 3). La scène suivante est un monologue de Porcie, qui songe à la défaite en une imprécation contre les tyrans (sc. 4). À la proposition de sa compagne d’aller voir le combat, Porcie oppose son agitation intérieure. Elle se laisse convaincre mais ne manque pas de déclarer que « Les Dieux [lui] sont suspects depuis que leur cholere / En faveur d’un Tyran arma contre [son] père » (v. 583-584) (sc. 5).

Acte III §

Avec sa défaite, Cassie déplore celle de Rome. Mais l’acceptation première de l’ordre des choses s’accompagne d’un sursaut individuel (« je veux mourir libre », v. 595) et du souhait pour sa patrie de voir « un jour Brute ressuscité » (v. 601). Ses affranchis reculent devant le service que leur demande leur maître : lui donner la mort. Titine propose d’aller s’enquérir de Brute pour savoir l’issue du combat de son côté. Cassie se place sur le haut d’un rocher pour surveiller l’approche éventuelle d’un tiers (sc. 1). Brute se réjouit de sa victoire sur Octave, qu’il pense mort, et croit à la victoire de la République. Titine s’avance vers lui (sc. 2). Ce dernier apprend à Brute la défaite de Cassie face à Marc Antoine et fait le récit de la bataille, longtemps incertaine. Titine et Brute vont rejoindre Cassie (sc. 3). Du haut de son rocher, Cassie croit voir l’ennemi approcher. Pour échapper à la honte de la servitude et venger Titine, dont il a risqué la vie, il demande à Demetrie et Pindare de le tuer enfin. Cassie donne à Pindare le poignard qui a frappé César ; Pindare obéit et refuse pour punition la mort, pour le remords. Demetrie décide d’aller implorer la clémence de l’ennemi (sc. 4). Titine découvre le cadavre de Cassie et impute sa mort aux affranchis restés à ses côtés. Pour venger Cassie, il compte sur les tyrans eux-mêmes, qui n’accepteront pas de laisser impunie une telle traîtrise. Pour se venger lui-même et prouver son innocence, Titine décide de ne pas survivre à son maître (sc. 5). Brute arrive sur la scène alors que Titine expire ; il découvre le corps de Cassie. « Il faut dissimuler. » (v. 830). Brute tient alors devant sa suite un discours de confiance envers les dieux, commande d’enterrer Cassie nuitamment et « sans bruit » et songe à la façon de motiver ses troupes le lendemain (sc. 6).

Acte IV §

Octave à son tour expose son désir de vengeance contre le crime des césaricides. S’ensuit un échange crispé de compliments : le fait qu’Octave n’ait pas pu montrer sa valeur pose problème (sc. 1). Un soldat vient rapporter aux deux généraux la défaite des troupes d’Octave et faire le récit de cette bataille. Après un premier mouvement de désespoir, Octave se reprend et ajoute au désir de venger César celui de venger ses hommes. Marc Antoine juge le bilan globalement positif : grâce aux dieux, Octave est sauf et les troupes de Cassie sont défaites (sc. 2). Demetrie vient annoncer à Octave et Marc Antoine la mort de Cassie et, pour ne pas s’opposer à la Providence, leur propose de combattre à leurs côtés, ce qu’ils acceptent. Octave et Marc Antoine comptent profiter du trouble que suscite cette nouvelle chez l’ennemi (sc. 3). Porcie rend grâces aux dieux pour la victoire de Brute et souhaite expier ses doutes et ses alarmes passés. La victoire qu’elle relate s’accompagne de la prise du camp d’Octave qui lui fait croire, comme à Brute un peu plus tôt (III, 2, v. 645), à la mort du général ennemi (sc. 4). L’enthousiasme auquel Porcie s’est abandonnée est rompu par la nouvelle qu’apporte Brute : la mort de Cassie. Porcie refuse à nouveau de se mettre en lieu sûr et réaffirme sa volonté d’être, quoi qu’il arrive, auprès de son mari, auquel son sort est lié. Brute redit son admiration pour sa femme (sc. 5).

Acte V §

Cette harangue, à laquelle Brute pense depuis les derniers vers du troisième acte, évoque à nouveau l’immortalité acquise par la victoire, certes, mais insiste en particulier sur le fondement de l’action des Libérateurs, fondement qui se confond avec le respect des dieux. Ainsi, ce qui est combattu, c’est la tyrannie, notamment caractérisée par sa cruauté, et par là distincte de la royauté. L’ancienne aversion héritée du temps des Tarquins n’est pas suffisante et le motif est proprement la restauration du droit naturel, c’est-à-dire la restauration du droit des gens garanti par les dieux. L’orateur fait entrevoir le retour de la liberté et la fin des guerres civiles, fin synonyme de paix et de prospérité, avant de rappeler, après l’enjeu, la situation présente : la dernière bataille (sc. 1). Porcie, désespérée, est en proie aux présages et au désir de mort. Sa compagne a reçu pour ordre de ne pas la quitter (sc. 2). Les deux triumvirs exaltent leur victoire et sont après Brute (sc. 3). Brute prend acte de la défaite : la Providence veut la décadence de Rome et la Vertu doit s’incliner face à la nécessité. Il est alors temps pour lui de demander la mort à ses amis, pour « [s’] ensevelir avec [s] a liberté » (v. 1347). Deux amis anonymes reculent ; il reste donc Straton, figure nommée de l’amitié vraie, le « cher amy » (v. 1423), pour éprouver la décision de Brute avant de l’accepter. Straton voit tomber son général, son ami et le dernier espoir de liberté pour Rome ; sa mort s’ensuit (sc. 4). Porcie découvre le cadavre de Brute. Sa tirade commence par un blasphème avant de mettre en place les raisons du suicide à venir. Ces raisons se résument à un nom : la Vertu. La Vertu comme fidélité au mari et à la liberté tout à la fois, qui ne sont qu’une même figure, « Brute et la liberté » (v. 1470 et 1527). La Vertu comme fidélité à son identité, déterminée par le mari mais aussi par le père (v. 1513-1520). Aucun obstacle ne l’arrêtera : « Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. » (v. 1530) (sc. 5). Octave et Marc Antoine parviennent devant le corps de Brute. S’opposent alors deux réactions : Octave souhaite poursuivre les derniers partisans du camp républicains pour parfaire la vengeance de César ; Marc Antoine considère qu’il faut faire cesser une guerre qui n’a que trop duré (sc. 6). Un soldat du camp ennemi vient annoncer aux deux généraux la mort de Porcie. Dans ce récit, la fille de Caton a déjoué la surveillance de son entourage et, sous couleur d’avoir froid, a fait allumer un feu dont elle a avalé des charbons ardents, ayant bravé ses gardiens. Octave, jusqu’ici inexorable, est en proie à la crainte et à la pitié : les hommes, quelle que soit leur condition, sont le jouet du destin. Il proclame l’amnistie pour les ennemis. Marc Antoine ordonne que soient rendus à Cassie, à Brute et à Porcie les honneurs funèbres ; leurs cendres seront rendues à leur famille. Octave se réjouit de la paix revenue et de la victoire, signe que la vengeance de César est accomplie (sc. 7).

Une tragédie régulière de 1637 §

Le « Prologue de la Renommée », à la gloire de Louis XIII et, surtout, de Richelieu, le dédicataire, est divisé en deux parties : l’une a une fonction d’éloge à proprement parler (v. 1-110), l’autre, en mettant en scène un ministre mécène (v. 111-120), évoque les grandes tragédies du moment (v. 121-150) avant de présenter le sujet de la pièce (v. 151-170). Outre l’éloge à Richelieu, ce prologue permet à son jeune auteur de se situer dans le champ littéraire et d’inscrire son nom parmi ceux de dramaturges fameux. Il est alors fait allusion à l’Hercule mourant de Rotrou, La Sophonisbe de Mairet, la Cléopâtre de Benserade, La Mort de Mithridate de La Calprenède et La Mort de César de Scudéry, dont notre pièce se présente, par le sujet, comme une suite, cinq pièces qui illustrent la nouvelle renaissance de la tragédie après quelques années d’éclipse.33 Comme tous ceux de sa génération qui font renaître la tragédie après 1634, Guérin de Bouscal puise son sujet dans le répertoire des tragédies humanistes : en l’occurrence, la Porcie de Robert Garnier, publiée en 1568.

Avec les questions de la bienséance et de la vraisemblance, la régularité d’une pièce se mesure, comme l’illustrera la même année la Querelle du Cid34, du point de vue de règles qui s’imposent progressivement et évoluent dans leur définition, règles tirées des lectures d’Aristote. La règle des trois unités, par exemple, sera de plus en plus stricte à mesure qu’avancera le XVIIe siècle.

Les bienséances §

La tragédie que nous étudions compte cinq suicides (dans l’ordre, ceux de Cassie, Titine, Brute, Straton et Porcie), les quatre premiers ayant lieu sous les yeux du spectateur, le dernier étant rapporté dans le récit de la scène finale. Le suicide en tant que tel est permis par les bienséances. Il est même, comme le dit Jacques Scherer, une « nécessité dramaturgique », la seule solution pour apporter ses morts à la tragédie : car on ne peut représenter directement les combats, de même qu’un héros qui a le sens de l’honneur ne peut tuer un personnage respectable ou être tué par un traître.35 Outre les nécessités d’échapper à la honte de la défaite et de la servitude (Cassie), de ne pas survivre à son général (Titine et Straton) ou à son mari (Porcie), le suicide sera, comme nous le verrons par la suite, exemplifié dans la figure de Brute, qui en développera la justification. Le problème de la bienséance est alors déplacé des suicides aux cadavres et à leur exposition. Mais, là encore, il semble que le problème n’en soit pas un, ou du moins pas encore. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer une des tragédies mises en avant par Guérin de Bouscal dans son prologue : « La Mort de Mithridate (1636) de La Calprenède est une tragédie qui respecte presque toutes les règles classiques et qui se termine par la macabre découverte que fait Pharnace de quatre cadavres. »36 Jacques Scherer, qui ne manque pas d’exemples de suicides devant les spectateurs, désigne le dernier acte de cette tragédie comme « l’acte du suicide », « [où] il n’est guère question que de se tuer ».37

L’agonie est quasiment absente de la tragédie de Guérin de Bouscal : aucun détail n’apparaît dans le discours et l’on passe de vie à trépas sans transition. Ce fait est particulièrement sensible dans les cas de Cassie, Titine et Brute. Lorsque la mort est décrite dans son processus, cette description ne dépasse pas deux vers. Ainsi, Porcie :

Elle dit, et soudain d’un maintien de vainqueur
Avalla des charbons moins ardens que son cœur,
Leur brasier violant estouffe sa parole,
Son bel œil s’obscurcit, et son ame s’envole.
Porcie est morte ainsi, […] (V, 7, v. 1613-1617 ; nous soulignons)

Le passage d’un état à l’autre ne donne lieu qu’à un discret développement, où la facilité de la mort est frappante et la douleur physique bannie. Lorsque Straton succombe dans des vers qui sont les plus précis de la pièce, la souffrance, absente de toutes les autres morts de suicidés, est même niée :

Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy,
Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage. (V, 4, v. 1451-1452)

Cela dit, cet exemple, le seul à traiter la question, laisse entrevoir la violence de la mort car, malgré Straton, la positivité de la « rage » de la mort est bien là. Sans doute est-elle nécessaire pour le personnage qui l’affronte héroïquement, et pour le spectateur qui l’attend.

Un lieu à délimiter §

Il est difficile de déterminer précisément ce qu’est l’unité de lieu en ce début de 1637. En effet, les grands manifestes réguliers, qu’il s’agisse de la Lettre à Godeau sur la règle des vingt-quatre heures de Jean Chapelain (1630) ou de la préface de La Silvanire de Jean Mairet (1631), n’évoquent la question que fort incidemment, à l’occasion du traitement qu’ils font de l’unité de temps dont l’unité de lieu n’est que la conséquence. C’est alors l’excès de la durée représentée qui est dénoncé et, par suite, la diversité des lieux que cette longueur implique. Chapelain évoque l’exemple de « dix ans », Mairet celui de « dix ou douze années ». Ces exemples impliquent des changements de lieu, jusqu’à « pass[er], pour Mairet, d’un Pole à l’autre dans un quart d’heure », changements de lieu qui ne peuvent que briser l’illusion dans laquelle la vraisemblance doit tenir le spectateur. Or si l’unité de temps connaît une borne supérieure bien précise, celle des vingt-quatre heures, inférée d’Aristote, l’unité de lieu, elle, n’en connaît pas. Le Philosophe, qui n’avait pas même évoqué cette unité de lieu, ne pouvait pas fournir de modèle, condamnant les théoriciens à rester pour un temps dans le flou de l’indétermination spatiale. L’antichambre ou la place ne sont pas encore obligatoires au théâtre et le décor compliqué de La Silvanire elle-même, tel qu’il est décrit dans le Mémoire de Mahelot, montre bien, dans la fragmentation de la scène, que l’unicité du lieu n’est pas alors conçue dans ces termes. Mairet, lorsqu’il « passe […] à la dissection de [sa] pièce », dans sa préface, ne traite malheureusement pas la question. Jacques Scherer, passant en revue ses pièces, vient pallier ce manque.

En fait, Mairet ne concevra jamais d’autre unité de lieu que celle d’une ville ou d’une petite région à l’intérieur desquelles peuvent être contenus plusieurs lieux distincts. […]

Les contemporains de Mairet, dans leur immense majorité, observent l’unité de lieu de la même façon que lui, ni plus, ni moins. M. Lancaster a remarqué que les quatorze tragédies jouées en 1635 et 1636 ne dépassent jamais, dans leur mise en scène, les limites d’un pays, et rarement celles d’une seule ville, mais qu’elles ne se limitent non plus jamais à la représentation d’une seule salle. Scudéry dit de son Prince déguisé (1635) : « La scène est à Palerme », mais avoue, dans l’avis Au lecteur, que le lieu, à l’intérieur de Palerme, « change cinq ou six fois » ; sa Mort de César (1636) se passe à Rome, mais montre le Sénat, une place publique, les maisons de César, de Brutus et d’Antoine […]

La théorie de cette forme d’unité de lieu ne sera guère faite qu’en 1639, donc assez tardivement et à une date où déjà commence à se former un idéal plus exigeant.38

Pour Scherer, à l’époque de La Mort de Brute et de Porcie, l’unité de lieu comprend « [la représentation] de lieux assez voisins pour qu’on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l’un à l’autre. Ainsi divers lieux situés dans l’enceinte d’une même ville ou dans les environs immédiats, ou encore diverses localités d’une région naturelle de petite dimension, telle qu’une plaine, une forêt ou une île ».39 Ainsi semble laissée pour la pièce que nous étudions la possibilité de camps séparés par la nécessité de l’intrigue, où évoluent les personnages (camps de Brute, de Cassie40 et de Marc Antoine), passant parfois d’un sous-lieu à un autre : Titine fait l’aller-retour entre le camp de Cassie et celui de Brute41 ; Demetrie passe au camp ennemi42 ; les triumvirs progressent en direction de Brute, jusqu’à l’atteindre43. N’ayant pas d’information quant aux conditions exactes de la représentation de la pièce, nous sommes réduits à faire la conjecture d’une scène divisée en compartiments.

Pour ce qui est de la liaison des scènes, elle ne ménage pas le lecteur. Les changements de camp entre la fin d’un acte et le début de celui qui le suit seront, pour un classique, acceptables. Mais passer, au cours d’un acte, d’un camp à un autre, provoque nécessairement une discontinuité touchant à l’entrée et à la sortie des personnages (II, 2 à II, 3 ; III, 1 à III, 2 ; III, 3 à III, 4 ; IV, 3 à IV, 4 ; V, 3). D’ailleurs, au sein d’un même camp, la liaison n’est pas toujours assurée (I, 3 à I, 4 ; II, 3 à II, 4 ; V, 1 à V, 2). Sans compter les cas où seul un cadavre fait la liaison (III, 4 à III, 5 ; V, 4 à V, 544). Selon Jacques Scherer, « on ne saurait énumérer toutes les pièces des 40 premières années du XVIIe siècle où la liaison des scènes est rompue, non seulement quand le lieu change, mais en de nombreuses autres occasions. »45 Et l’auteur de produire de nombreux exemples, notamment chez Mairet, Scudéry et Rotrou, trois des cinq auteurs convoqués dans le prologue de La Mort de Brute et de Porcie. Ainsi, de manière analogue à l’étendue du lieu unique, le peu de liaison des scènes dépendait-il d’un usage qui s’accommodait avec l’unité de lieu, sans être ressenti comme irrégulier, mais sans être encore véritablement classique. De même que le lieu ne se réduisait pas à une salle unique correspondant à la scène, la liaison des scènes n’avait pas un caractère obligatoire.

Un temps concentré §

Pour ce qui est de la règle de l’unité de temps, les vingt-quatre heures sont, à peu de choses près, respectées : l’action commence à l’aube (Brute voit le soleil se lever en I, 4 aux vers 165-166) et se termine le lendemain matin, après la défaite du héros. Il a fallu pour cela faire une entorse à l’histoire : en effet, il n’y pas eu une bataille de Philippes, mais deux, espacées de trois semaines. La première bataille de Philippes (qui mène à la défaite de Cassius face à Marc Antoine et à la victoire de Brutus sur les forces d’Octave) a lieu dans notre pièce la journée et la seconde le lendemain matin. On peut situer la nuit entre la fin du quatrième acte (« […] il faut que demain la bataille se donne », IV, 5, v. 1143) et le début du cinquième acte (à la première scène, Brutus encourage ses soldats en appelant la victoire : « Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire; / Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire, / Si nous ne dissipons par des coups furieux / Ce nuage ennemy qui te cache à nos yeux. », v. 1239-124246). C’est durant cette nuit que Cassie est censé être enterré « sans bruit », tel que l’a ordonné Brute.47

L’unité d’action §

Quant à l’unité d’action de La Mort de Brute et de Porcie, on peut reprendre le propos de Lancaster, qui consiste à dire qu’elle est plus respectée que dans La Mort de César de Scudéry.48 Scudéry place en effet la mort de César au terme du quatrième acte, faisant du cinquième un acte qu’on pourrait qualifier, comparativement du moins, de surnuméraire.49 Lancaster ajoute que la règle de l’unité de temps l’empêchait d’évoquer Philippes et qu’une mauvaise compréhension du personnage de Brutus ne lui permettait pas d’en faire le sujet d’une pièce achevée par l’assassinat de César.50 Le sujet de Guérin de Bouscal est sans doute mieux défini et son dénouement plus réglé : la bataille finale est réservée au dernier acte, la mort de Brute intervient en V, 4 et celle de Porcie est rapportée par un soldat dans la scène finale. La Mort de Brute et de Porcie est à notre connaissance la première pièce qui fasse de la bataille de Philippes la matière de cinq actes. À titre de comparaison, Shakespeare y a consacré le dernier acte de son Jules César, Robert Garnier le quatrième acte de sa Porcie, où la bataille est rapportée par la voix d’un messager.

Le troisième acte de la tragédie de Robert Garnier annonce très brièvement la mort de Brute ; le sujet est un débat sur la clémence au sein des triumvirs : à Marc Antoine s’oppose alors l’impitoyable Octave. Au quatrième acte, le messager venu auprès de Porcie clôt son récit de la bataille par la volonté d’Antoine d’« apporter icy [les cendres de Brute], / Le voulant aux tombeaux de ses ancêtres rendre, / Et vous [Porcie] gratifier d’une si chère cendre. »51 Le dernier acte voit le récit de la mort de Porcie par la nourrice, qui se tue. Le traitement de Robert Garnier est très différent de la pièce de Guérin de Bouscal dans la mesure où Brute, personnage principal de La Mort de Brute et de Porcie, n’a pas la parole, et où la pièce se déroule à Rome. Robert Garnier était un modèle pour la génération de Guérin de Bouscal, mais ces différences rendent difficile la comparaison avec la tragédie qui nous occupe.

Pour entrer dans le détail, il convient d’envisager la composition de la pièce, ce qui nous aidera à considérer plus précisément l’unité d’action.

Composition : exposition, nœud, dénouement §

Les deux premiers actes se déroulent avant la première bataille.52 Marc Antoine et Brute, dont les pensées politiques sont exposées symétriquement aux scènes liminaires (I, 1 et II, 1), se préparent à combattre. Chacun juge sa cause soutenue par les dieux. Du côté des Libérateurs, les personnages de Cassie et de Porcie portent le mauvais pressentiment. Le troisième acte pose, avec la défaite et la mort de Cassie, la possibilité d’entamer l’espoir de Brute victorieux. Mais ce dernier ne faiblit pas. Parallèlement, le quatrième acte présente aux yeux des spectateurs une montée en puissance des triumvirs (sc. 1 à 3) et prépare, avec l’annonce de la mort de Cassie à Porcie (sc. 5), la désillusion de l’épouse, qui croyait déjà en la victoire (sc. 4), et qui sera bientôt, plus que jamais, la proie des mauvais présages (V, 2). Le dernier acte est divisé en trois parties : avant la bataille (sc. 1 et 2 ) ; la défaite de Brute, l’exultation des triumvirs et le suicide du héros (sc. 3 et 4) ; après la bataille, le désir de vengeance coupé court par la mort de Porcie (sc. 5 à 7). À cette composition précise de la pièce se joint le fait qu’à chaque scène et chaque personnage est assignée une place déterminée ; l’enchaînement scénique semble dès lors motivé : il s’agit de précipiter le camp des Libérateurs dans le malheur, en laissant au spectateur les indices d’une progression funeste.53

Contrairement aux grandes tragédies qui viennent à l’esprit, tout se passe comme si l’exposition durait deux actes au lieu d’un. On peut l’expliquer par la présence de deux camps, ce qui donnera lieu, comme nous le verrons, à un traitement particulier privilégiant le point de vue des Libérateurs. Ainsi, il faudra attendre l’acte II pour voir sur scène un général du camp adverse : Marc Antoine. Il apparaît alors, aux yeux du spectateur, que la complication est le fait du troisième acte, qui est entièrement consacré à la défaite et au suicide de Cassie. L’étude comparée des troisième et quatrième actes est instructive : c’est à ce moment qu’une progression dramatique semble s’amorcer, malgré la fermeté de Brute. La comparaison est rendue possible par la confrontation des deux camps ou, plus précisément, par la confrontation des points de vue des deux généraux victorieux. En effet, Brute et Marc Antoine découvrent tous les deux la réalité des pertes respectives et la vérité qu’ils en tirent s’exprime en des termes rigoureusement identiques. Brute victorieux croit Octave mort (III, 2) et l’annonce de la défaite de Cassie à la scène suivante lui fait déclarer :

Je ne crain pas pourtant que l’ennemy se vante,
Ny que pas un de vous en prenne l’espouvante;
Puis qu’en comparaison de la perte qu’il fait
La nostre mediocre est un gain en effet (III, 3, v. 715-718).

De même, après la victoire de Marc Antoine, les triumvirs se réjouissent (IV, 1). Là encore, la scène qui suit leur apprend la défaite des troupes alliées. Et Marc Antoine de conclure :

S’ils [les Dieux] eussent eu dessein de choquer nostre envie,
Octave dans son camp auroit perdu la vie,
Et mes Soldats et moy par un mesme destin
Aurions dans le combat rencontré nostre fin:
Mais ils sauvent ce Prince, et me donnent la gloire
D’emporter sur Cassie une belle victoire;
Si bien qu’à balancer ce rencontre fatal,
J’estime que le bien l’emporte sur le mal; (IV, 2, v. 991-998)

Dans les deux cas, le bilan est globalement positif. Les volontés en jeu, contradictoires, se nouent jusqu’à rendre l’issue indécidable. Non seulement chacun pense être du côté des dieux, mais chacun se considère comme l’instrument choisi par eux, se comparant à la foudre de Jupiter.54 Néanmoins, cette indécidabilité, effective si l’on confronte les points de vue respectifs des personnages, est bien entendu relative du côté des spectateurs. Premièrement, parce que le spectateur connaît l’histoire. Deuxièmement, parce que le dramaturge lui laisse des signes. Ici, un signe important nous semble être la dynamique qui suit les bilans de Brute et de Marc Antoine. La deuxième scène de l’acte IV s’achève par le bilan globalement positif de Marc Antoine et par l’idée que Cassie a survécu à sa défaite. La scène suivante commence avec l’arrivée de Demetrie, l’affranchi de Cassie, qui vient annoncer la mort de son maître. Pour les triumvirs, il faut profiter du trouble qu’assure cette mort. La positivité du bilan sort renforcée. Le bilan de Brute (III, 3) est suivi par cette même mort, celle de Cassie (III, 4), dont Brute découvre bientôt le corps (III, 6), et par le suicide de Titine (III, 5). Ces morts entament un mouvement de dégradation, une descente aux enfers sur le mode du suicide prémonitoire. Brute prend garde à ce que les honneurs funèbres rendus à Cassie (ainsi que ses sentiments) soient dissimulés à ses soldats. Par ailleurs, Brute apprend qu’Octave est sauf entre son bilan (derniers vers de III, 3) et son intervention suivante (III, 6 ; le vers 847 implique cette information) ; la nouvelle lui est donc annoncée sur le trajet entre son camp et le camp de fortune de Cassie. La symétrie entre le parti des triumvirs et celui des Libérateurs est patente, en ce qui concerne les révélations : défaite des troupes alliées, mort ou survie du général ennemi, mort ou survie du général allié. Les mêmes éléments viennent clore l’acte IV avec la mise en place d’un schéma « déceptif ». En IV, 4, Porcie se réjouit de la victoire de Brute et de la mort d’Octave ; en IV, 5, elle apprend la mort de Cassie et la survie d’Octave.55 Ce schéma redouble le cheminement qui a été celui de Brute à l’acte III et achève de faire des troisième et quatrième actes un tout cohérent chargé d’ironie tragique. Car c’est bien vers une tragédie de l’information que le sujet lui-même amenait. Cassie, le général qui se suicide en croyant voir arriver l’ennemi, en croyant ses alliés décimés, est le premier et le meilleur exemple de ce fait.

Le dernier acte est celui du dénouement : la défaite (V, 3) et la mort de Brute (V, 4) sont suivies par la mort de Porcie (qui a lieu entre la fin de V, 5 et le récit du soldat en V, 7). Cette dernière mort entraîne, en un coup de théâtre, la conversion d’Octave à la clémence. Cette disposition n’est pas sans rappeler La Mort d’Agis, troisième et dernière tragédie de Guérin de Bouscal :

Guérin de Bouscal a placé le dénouement, c’est-à-dire la mort du héros, au milieu du cinquième acte. Les catastrophes qui en résultent, (la mort de Chélonide, puis celle d’Agésistrate), complètent la pièce sans l’allonger indûment, ni sans la ralentir.56

Une structure précise qui détermine le dénouement §

La Mort de Brute et de Porcie est une tragédie construite selon une alternance entre deux camps bien séparés, alternance rythmée où chaque parti prend la parole à tour de rôle (voir document en format PDF).

Les quatre premiers actes, relativement égaux en longueur, répondent au schéma suivant selon des séquences de scènes : un acte du coté des Libérateurs puis un acte divisé en deux parties (les triumvirs puis les Libérateurs). Au dernier acte, plus long, les triumvirs sont à la poursuite de Brute (V, 3) et les scènes qui suivent sont marquées par la présence du corps du héros (V, 4 à V, 7), de Porcie fuyant la vue d’Octave (V, 5) et d’un soldat de Brute (V, 7). Ainsi, le tableau que nous présentons semble redoubler symboliquement l’invasion spatiale : l’invasion par le discours vient rompre le schéma. Le cinquième acte était dû au Libérateurs ; la victoire finale des triumvirs vient le leur voler. Mais il n’y a peut-être là qu’apparence, si l’on considère que les scènes qui semblent consacrées aux triumvirs sont minées. On remarque alors que la troisième scène, la première des triumvirs, est la plus courte de la pièce (12 vers), que le corps de Brute n’est pas qu’un simple indicateur spatial mais un véritable acteur (Porcie le voit et lui parle avant sa résolution finale, il occupe le discours d’Octave et sa vue coïncide avec le renoncement de Marc Antoine à la vengeance57), que le récit du soldat rapporte les dernières paroles de Porcie, dans une intensité dramatique qui fait un grand effet sur Octave (V, 7)58. Par ailleurs, si l’on quitte l’alternance des scènes pour considérer la part exacte de chaque camp, on se rend compte que le discours des Libérateurs est largement majoritaire en ce dernier acte (78% des vers), et dépasse même la longueur des actes précédents59 (voir document en format PDF).

La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar : une fausse ambivalence §

Des titres, un sujet §

Si « LA VENGEANCE DE LA MORT DE C[A] ESAR. » est le titre reproduit aux seuils du prologue et de la pièce, il faut bien suivre la page de titre et le privilège, qui le placent au rang de sous-titre. Le titre allégé de l’émission de 1647, « LA MORT DE BRVTE, ET DE PORCIE. », est en cela plus satisfaisant.

Certes, on pourra arguer que la vengeance est l’objet même des derniers mots de la pièce, qu’elle est présente dans le lexique et noter les quinze occurrences de la famille de ce mot. Tout d’abord, concernant ces occurrences, on relativisera leur importance en remarquant que le nombre se réduit à dix quand on considère le seul camp des triumvirs et que seules huit d’entre elles se rapportent à la vengeance de César. Certes, la vengeance de César guide l’action de Marc Antoine et d’Octave dès leur apparition sur scène (respectivement en II, 1 et IV, 1). Pourtant, tel n’est pas le sujet décisif de la pièce. Et il suffit de considérer la présence des personnages pour s’en convaincre. On s’aperçoit alors d’un profond et constant déséquilibre entre les deux camps, que l’on considère les personnages principaux seulement ou que l’on considère l’ensemble des personnages de la pièce. Dans les deux cas, le rapport de force est d’environ 3, 5 en faveur des Libérateurs. C’est là une différence nette en comparaison de la pièce de Scudéry (voir document en format PDF).60

Si l’on affine l’analyse, on comprend avec le premier graphique que l’attention dramatique est concentrée non seulement sur un camp mais sur un couple de personnages. Ainsi, sur les cinq personnages attendus, Brute et Porcie se démarquent nettement (avec respectivement 29, 84% et 19, 34% des vers), jusqu’à éclipser Cassie, Octave et Marc Antoine, à 7-8%.61 L’exemplaire de l’édition de 1652 disponible à la bibliothèque de l’Arsenal, intitulé « LA MORT DE BRVTE ET DE CASSIE OV LA VANGEANCE DE LA MORT DE CÆSAR. » est, d’une manière plus évidente encore, victime d’une grossière erreur.

Enfin, le sous-titre est à rapprocher de la page de titre de l’émission de 1640, qui indique « LA SVITE DE LA MORT DE CÆSAR. » : on peut supposer que le remplacement du titre original par un autre qui place la pièce en simple suite de celle de Scudéry, dont le succès fut notable, participe d’une manœuvre commerciale.

Les caractères : d’un Brutus quasi-parfait à un Octave en apprentissage §

Le camp des Libérateurs §

On serait tenté de dire, sans lui retirer sa beauté, que le caractère de Brute est l’un des moins complexes parmi les personnages principaux. En effet, il n’est pas un moment où Brute perd de vue son devoir, pas un moment de doute ou d’impiété. À son mauvais génie qui lui apparaît (I, 4), il rétorque la plus profonde confiance et continue de « minuter en repos l’ordre de la bataille », comme il l’avait annoncé aux vers 125-126, sans montrer de signe de trouble. La première scène conjugale (I, 5 ; scène très proche de la seconde, en IV, 5) montre un Brute dont le premier souci est la sécurité de sa femme, condition suffisante pour partir, léger, au combat. La scène n’est pas dénuée de tendresse quand Brute évoque la force de son amour, son admiration pour Porcie et l’espoir d’un avenir commun. Mais pas un moment le général ne perd le contrôle de lui-même.62 Devant le cadavre de Cassie, Brute dissimule et encourage ses hommes en renouvelant sa confiance envers les dieux. Loin de toute effusion, il n’est pas question de s’attendrir sur un ami mais de relativiser cette mort pour encourager ses hommes ; le corps de Cassie sera enterré nuitamment et « sans bruit » (III, 6). Brute ne cédera jamais, pas même au moment de mourir : le suicide sera le moyen de ne pas survivre à sa raison de vivre, la liberté.

Cette perfection aurait pu entrer en tension avec la nécessité pour la tragédie de le voir mourir. Au contraire, la constance du caractère place le personnage à un niveau quasi-épique et lui fait défendre son statut de héros, demi-dieu. Le principal intérêt du personnage surhumain réside alors dans l’admiration qu’il suscite. Outre le point de vue de la réception, ce caractère « parfait » a également un intérêt dramaturgique : il est une norme par rapport à laquelle on peut mesurer l’écart chez les autres personnages.

Brute s’est trompé quant au régime voulu par les dieux et quant à la Providence. Son erreur aura été de croire que la Vertu pouvait dompter la Fortune (v. 1317-1332). Cela peut sembler faible.63 Loin de nous l’idée de faire de Guérin de Bouscal un républicain mais le fait est que, pour rendre la défaite plus acceptable, il n’est pas superflu d’entamer l’innocence des Libérateurs. Dans son camp, les personnages majeurs que sont Porcie et Cassie contribuent par leurs erreurs à rendre la défaite plus tolérable. La piété de Brute, qui se traduit par une confiance absolue envers les dieux, est inébranlable et rend tout possible :

Amis, esperons tout de la faveur Celeste,
Nous n’avons rien perdu puis que cela nous reste,
Cassie est à present le butin du trespas,
Mais les Dieux sont vivans et nous avons des bras; (Brute devant le corps de Cassie, III, 6, v. 863-866)
Il faut tout esperer d’une juste entreprise,
Si l’honneur la produit, le Ciel la favorise;
Et l’on doit s’asseurer d’estre victorieux,
Quand le droict qu’on soustient est la cause des Dieux.
Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu’il n’est point d’homme,
Qui puisse meriter leur Lieutenance à Rome,
Depuis que le Soleil n’esclaire rien d’humain
Qui ne doive tribut à l’Empire Romain
J’adore leurs Decrets, et mon ame flechie,
Se sous-met seulement à cette Monarchie;
Tout autre me desplait, et mon adversion
Vient d’un raisonnement exempt de passion; (Brute, I, 1, v. 21-32)

Brute est alors celui qui porte l’espoir, ce qui se vérifie pleinement au niveau lexical64 : il s’agit d’inspirer l’espoir à un général incertain, à une épouse passionnée et à des soldats usés par la guerre civile. Chez Cassie et Porcie, l’impiété s’insinue avec le doute. C’est « contre son cœur » que le général accepte les raisons de Brute et la première bataille et, face à la confiance de Titine dans les dieux, il oppose une réponse en contrepoint du discours de Brute que nous avons cité :

La cause la plus juste est bien souvent trompée,
Et j’en prens à tesmoin la perte de Pompée.
Ce n’est pas que mon cœur se forme de soupçons
Que nous n’obtiendrons pas ce que nous pourchassons;
Mais alors qu’il s’agit de l’Empire de Rome,
Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme,
Et dans l’Estat flotant de nostre liberté,
L’asseurance me semble une stupidité. (Cassie, I, 3, v. 137-144)

Le doute précédant la bataille se transforme après la défaite en une précipitation funeste. Cassie demande la mort avant même de savoir si Brute est vainqueur (III, 1). Son suicide résulte d’un malentendu : il intervient à l’approche de ce que Cassie prend pour l’ennemi, et qui n’est autre que Titine revenant avec Brute et sa suite (III, 4). Le manque d’espoir, progressant vers le désespoir, fait échapper Cassie à la plus élémentaire prudence, faute d’indifférence face aux accidents de la vie. Cassie est ainsi la victime de ses passions et manque à l’idéal développé par Brute, idéal notamment stoïcien :

Toutefois il est vray qu’on n’est jamais au port
Lors qu’on peut ressentir les caprices du sort.
Si bien qu’en cét estat j’estime une ame sage
A qui nul accident ne change le visage,
Et qui goustant des maux ou des felicitez,
Ne se porte jamais dans les extremitez,
Ce beau temperament nous sauve des orages,
Et nous fait une planche au milieu des naufrages,
Au lieu qu’on voit toujours un violant transport
Agiter nostre esprit et l’esloigner du port. (Brute, IV, 5, v. 1121-1130)

Brute, qui doit annoncer à sa femme la mort de Cassie, expose cet idéal en réponse à l’enthousiasme illusionné de Porcie après sa victoire :

Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte,
Et je croy qu’aujourd’huy j’ay rencontré le point,
Où sans stupidité je puis ne craindre point.
Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible
Qu’encor à la douleur mon ame fut sensible ? (Porcie, IV, 5, v. 1108-1112)

Le nœud du caractère de Porcie est en effet ce qui semble être de l’inconstance. Les deux scènes conjugales nous la montrent en épouse fidèle refusant de s’éloigner de son mari, épouse fidèle à une figure dans laquelle sont confondus le mari et l’idéal héréditaire de liberté. Mais si Porcie a le sens du devoir, elle est également une amante passionnée. Ainsi, le projet qu’elle forme de courir aux armes, dans une sorte de sacrifice à la Victoire, témoigne, comme elle l’admet finalement elle-même (v. 301), autant de sa « fureur » et de son désespoir que de la vertu qu’elle invoque (I, 6).65 Sa compagne, qui la raisonne, la ramène vers Jupiter mais ce retour de piété n’est que momentané. Avant le premier combat, elle songe à la défaite et à sa mort (II, 4), témoignant de son agitation intérieure et du doute qui la saisit, doute constitutif d’elle-même : « Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere / En faveur d’un Tyran arma contre mon pere; » (II, 5, v. 583-584). On note ce qui semble résulter d’un soin (signifiant) dans la construction : les deux dernières scènes du premier acte et les deux dernières du second acte voient la présence sur scène d’une Porcie désespérée ; les deux dernières scènes du quatrième acte voient une Porcie dans l’allégresse de la victoire. Elle souhaite expier ses doutes et ses alarmes passées, qui sont explicitement « impieté » (v. 1060) et « blasphèmes » (v. 1062). La piété de Porcie n’est guidée, on l’aura compris, que par les circonstances. Là encore, comme pour la première, le désir de mort précède la seconde bataille, accompagné de mauvais présages, et la compagne est forcée, dans une dernière tentative, de rappeler Porcie à la raison :

Pourquoy murmurez-vous contre les immortels,
Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels,
Et par le zele ardent d’une sainte priere,
Demander à genoux la victoire derniere: (V, 2, v. 1277-1280)

La dernière tirade de Porcie sur scène (V, 5) confirme ce ballottement impie qui aura mû Porcie tout au long de la pièce. Ses prières ne valaient pas humblement pour des prières aux dieux : elles n’étaient qu’une manière d’acheter le sort, pour gagner contre des vœux la victoire de Rome et de Brute :

Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame,
Et me contraint encor de prolonger ma trame ?
Doncque tant de souspirs ne peuvent l’esmouvoir ?
Et je n’ay pas la mort quand je la veux avoir ?
Pourquoy traversez-vous mes desseins legitimes,
Grands Dieux, auparavant de me monstrer mes crimes ?
Sans doute j’ay failly, je le veux avoüer,
Mais c’est pour trop vous croire et pour trop vous loüer,
Ingrats rendez moy donc tant d’offrandes perdues,
Et tant de vœux payez pour des demandes deuës,
Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus,
Tant de biens prodiguez et tant d’honneurs perdus;
Plustost à les garder mettez tout vostre étude,
Ils seront les témoins de vostre ingratitude,
Ou pour vous en laver, en cette extremité
Rendez-moy seulement Brute et la liberté. (Porcie, V, 5, v. 1455-1470)

Le manque de lucidité de Brute, que Normand Doiron considère dans La Porcie romaine de Claude Boyer, semble épargner le héros de Guérin de Bouscal.66 Mieux, à la différence de Boyer, il n’y a chez lui ni précipitation, ni impiété, ni mépris de la religion. Cassie et Porcie n’ont ni clairvoyance, ni prescience de l’avenir, et leur désespoir, moins qu’un signe que Brute aurait dû considérer, est avant tout le produit d’une passion blasphématoire.

Les Triumvirs §

Avec les précautions que nous avons posées, il faut parler de la vengeance de César, qui motive, avec la défense d’un type de régime politique, l’action des deux triumvirs. Ceux-ci ne sont pas dépourvus de défauts et ce désir de vengeance est leur faiblesse même. Sur les huit scènes où ils figurent, six scènes les réunissent. Inséparables, il est ainsi possible de mesurer la force de leur alliance. La vengeance s’avère être l’élément fédérateur : le bras droit et l’héritier se retrouvent autour de César. Marc Antoine, le premier sur scène, est pris de fureur en relatant le crime de Brute :

Ha ! Brute desloyal, qu’avec peu de raison
Tu fondas le projet de cette trahison:
Tu devois dire au moins la cause de ta plainte,
La bonté de Cæsar l’auroit bien-tost esteinte,
Et ton ressentiment eust esté satisfait,
Sans faire voir au jour un si semblable effet,
Tu pouvois disposer de toute sa puissance,
Il n’eust jamais pour toy que de la complaisance;
Mesme jusqu’à ce point, qu’apres mille forfaits
On te pouvoit nommer l’objet de ses biens-faits:
Et tu meurtris encor ce Prince debonnaire,
Qui t’appelant son fils, se monstroit plus que pere:
Et regarde couler ce beau sang sans effroy,
Alors que ton poignard en rougissoit pour toy.
O temps ! ô meurs ! ô Dieux peu reverés dans Rome !
O crisme d’un Démon bien plûtost que d’un homme !
Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort ?
Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort;
Semblables aux serpens qu’on voit en la Libye,
Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie.
Ha lasches ! si le Ciel a quelque soin de nous,
Vous sçaurez ce que peut sa haine et mon courroux.
Il n’a point fait de loy contre l’ingratitude,
Car la punition n’en peut estre assez rude:
Mais pourtant je feray par mes inventions
Un juste chastiment de cent punitions.
Jamais les Dieux n’ont veu vengeance plus entiere,
Ma fureur s’esteindra plus tard que la matiere; (Marc Antoine, II, 1, v. 343-370)

Le dernier vers souligne bien l’excès où pousse ce désir de vengeance. Il est par ailleurs saisissant de constater que Marc Antoine, en dénonçant le crime de Brute avec la plus grande vigueur, nous rappelle un des siens. « O temps ! ô meurs ! »... voilà qui n’est pas de lui. Cette célèbre exclamation est de Cicéron, l’auteur des virulentes Philippiques, dont Marc Antoine avait fait exposer la tête et les mains après l’avoir fait exécuter. La vengeance de César porte en elle l’horreur des guerres civiles de la fin de la République.

On aurait pu croire qu’Octave allait apporter une réponse différente :

Qu’on pardonne aux Romains, qu’on cesse le carnage,
Il suffit que sur eux nous avons l’avantage,
Tout est déja reduit au poinct de nos desirs,
Et bien-tost les travaux feront place aux plaisirs;
Rome nous reverra comblez d’heur et de gloire,
Non tant pour les lauriers deus à cette victoire,
Mais pour avoir vengé l’insolent attentat*,
Qu’en meurtrissant Cæsar, on fit sur son Estat. (Octave, V, 3, v. 1299-1306)

Mais l’homme qui avait laissé Marc Antoine se venger de Cicéron n’échappe pas à la démesure. Ainsi, découvrant le corps de Brute :

Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines,
Dont la mort va donner du relasche à nos peines,
Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat
Qui jamais ait tenu les renes d’un Estat;
Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre
Qui se veut opposer aux desirs de son maistre,
Et punit le mutin qui choque des projets
Dont le zele ne tend qu’au bon-heur des sujets,
Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie
Déroba les momens les plus doux de sa vie.
Ceux qui restent encor seront bien tost abas
S’ils attendent les coups qui partent de nos bras,
Et quand pour éviter nos fureurs legitimes
Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes,
Je feray mes efforts pour pouvoir entasser
Osse sur Pelion et les en deschasser.67 (Octave, V, 6, v. 1535-1550)

Il s’agit de tuer les césaricides jusqu’au dernier. La haine s’accompagne d’un orgueil qui place Octave au-delà de sa condition d’homme. C’est là le sens des quatre derniers vers, qui sont l’expression même de l’hybris. Le projet d’Octave s’apparente directement à celui d’Otos et Ephialte, deux géants qui, à l’âge de neuf ans, pour atteindre le ciel, menacèrent d’« entasser sur l’Olympe l’Ossa et, sur l’Ossa, le Pélion »68. Plus tôt (v. 851-852), Brute faisait allusion au mythe, estimant avoir de son côté ce Jupiter qui avait foudroyé les « Geans » ; à ce point, en effet, Octave semble être du mauvais côté.

La réaction de Marc Antoine face au corps de Brute, qui suit celle d’Octave, marque l’évolution du personnage. Marc Antoine exhorte Octave à la tempérance : il faut mettre fin à une guerre qui n’a que trop duré. Octave veut aller au-delà du carnage :

Octave.
Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire
Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire,
Mais mon ressentiment desire plus de sang.
Anthoine.
Il est bien alteré s’il en boit un estang
Qui flotte impetueux là bas dedans la plaine.
Octave.
C’est bien peu pour esteindre une mortelle haine,
Et monstrer ce que peut une extreme valeur. (V, 6, v. 1575-1581)

Il faudra le récit final de la mort de Porcie pour l’infléchir et le ramener au niveau humain.

Un si triste accident ébranle mon courage,
Et fait que dans le port je crains presque l’orage.
Je cognois aujourd’huy parmy ce changement
Que le plus grand bon-heur ne dure qu’un moment;
Je voy que le Demon qui conduit toutes choses,
Ne pare l’univers que de metamorphoses,
Afin que nos esprits aymant la nouveauté,
Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté.
Que si c’est un effect de sa toute-puissance,
En vain tous les mortels y feroient resistance,
Et nostre vanité n’auroit rien de pareil
Si nous pensions servir à ce grand appareil,
Que comme d’instrumens incapables d’ouvrage
Si la main de l’ouvrier ne les met en usage: […]
Ainsi quoy que nos fronts courbent dessous les palmes,
Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes,
Et que nous commandions à tout le genre humain,
Nous pouvons n’estre rien et mourir dés demain:
C’est pourquoy relaschant de ma premiere envie,
Je veux que les vaincus soient certains de leur vie,
Qu’on les souffre dans Rome, et que nos citoyens
Renoüent avec eux leurs accords anciens,
Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles
Leur oste le desir d’estre jamais rebelles. (Octave, V, 7, v. 1623-1636 […] 1643-1652)

C’est sur le mode de la révélation69 que s’effectue cette conversion à la clémence, soumission à la Providence très proche dans les termes de celle de Brute :

Et celuy justement perd le titre de sage,
Qui veut choquer du temps l’infaillible passage,
Qui considerera l’ordre de l’Univers,
Il verra chaque jour son visage divers,
Et connoistra par là que quelque providence
Par le seul changement previent sa decadence,
Et qu’ainsi nostre Rome ayant peu se porter
A cét extreme point qu’on ne peut surmonter;
Il faloit que suivant cette regle divine,
Elle redescendit devers son origine; (Brute, V, 4, v. 1315-1324)

Alors que chaque camp croyait être le tonnerre de Jupiter, les derniers mots de Brute et d’Octave sont indissociables d’une prise de conscience de la relativité de l’élection divine. Brute n’est sans doute pas le seul à avoir péché par confiance.70 Octave doit alors renoncer à « montrer sa valeur », ce que les deux batailles de Philippes ne lui ont pas permis de faire. Du moins en apparence. En effet, ce retour sur terre, qui s’accompagne du renoncement à la vengeance et d’un pardon positif (l’amnistie) auquel n’avait pas songé Marc Antoine71, permet à ce dernier de lui décerner le titre de « clement », qui constitue à proprement parler la victoire d’Octave. Victoire sur lui-même, telle que Cicéron avait pu décrire la clémence de César.72 L’intérêt du sous-titre, « la Vengeance de la mort C[a] esar », est alors déplacé vers ce qu’il contient d’implicite : le dépassement de la vengeance, la clémence au dénouement. D’un point de vue historique, une des vertus cardinales du principat d’Auguste sera précisément la clementia. Une façon d’effacer « au Temple de memoire » son caractère sanguinaire durant les guerres civiles. Sénèque, la principale source de Corneille pour sa pièce intitulée Cinna ou la Clémence d’Auguste (publiée en 1643 chez Toussaint Quinet), n’oubliera pas ce passé sombre :

Le Divin Auguste exerça une souveraineté douce, si l’on commence à l’évaluer à partir de son principat ; sous la république, il mania le glaive, quand il avait l’âge que tu as maintenant. Au sortir de ses dix-huit ans, dès ce moment-là il plongeait des poignards dans la poitrine d’amis, dès ce moment-là il fomentait un attentat contre le consul Marc Antoine, dès ce moment-là il participait comme collègue à la proscription.73

Le sujet de Guérin de Bouscal n’est pas celui de Corneille : le jeune Octave de notre pièce n’est pas l’empereur Auguste, installé au pouvoir et las, dès sa première apparition sur scène, du sang qu’il faut verser pour le conserver. Peut-on reprocher à Guérin de Bouscal cette anticipation historique du prince clément ?74 Une manière de répondre consiste à rappeler un point de dramaturgie classique : partant de la Poétique d’Aristote, un des critères que doit respecter le caractère d’un personnage est la ressemblance, c’est-à-dire l’image que la tradition nous a laissé de lui. Or, au XVIIe siècle, ce qui nous reste d’Octave, c’est avant tout la clémence d’Auguste. Le critère de bienséance s’accommode bien de cela : un roi doit être généreux. Finalement, le critère le plus problématique est le dernier, celui de la constance. L’étude du personnage d’Octave nous montre son parcours : d’abord objet d’un désir de vengeance non dénué de générosité (là pourrait tenir la constance) mais faisant sensiblement courir le risque d’hybris, le général connaît une conversion. À l’image de la concentration du temps que l’on remarque dans le traitement de cette bataille de Philippes, souci de régularité, la pièce de Guérin de Bouscal a peut-être ceci de remarquable qu’elle tient en cinq actes toute la vie d’Octave.

Cela dit, cette question de la clémence, limitée au dénouement, et qui n’apparaît qu’après les morts de Cassie, Brute et Porcie, ne nous semble pas, comme nous l’avons remarqué avec le sous-titre, le cœur de la pièce. Non seulement la faible présence des triumvirs plaide en leur défaveur mais leur supériorité morale est discutée durant toute la pièce. Au-delà du pragmatisme politique, qui fait de la clémence une vertu qui ne vaut pas toujours pour elle-même, la dernière scène expose un rapport de causalité entre les deux émotions tragiques que sont la frayeur et la pitié :

Un si triste accident ébranle mon courage,
Et fait que dans le port je crains presque l’orage. […]
Nous pouvons n’estre rien et mourir dés demain:
C’est pourquoy relaschant de ma premiere envie,
Je veux que les vaincus soient certains de leur vie (Octave, V, 7, v. 1623-1624 […] 1646-1648)

On peut alors noter qu’au moment même où se construit la clémence d’Octave, ce dernier se voit placé dans la position de spectateur, ou plutôt du spectateur, évacué de la pièce d’une nouvelle manière à l’instant même où il se réalise. La clémence d’Octave apparaît comme la conséquence de la pitié et de la crainte. Cette clémence, accompagnée d’un retour de piété, sauve ainsi, in extremis, notre personnage, bien plus qu’elle ne le porte aux nues. Le caractère édifiant du dénouement, où la Providence fait gagner la monarchie et élève Octave75, est là pour corriger ce qui nous semble animer la pièce entière et qui ne peut constituer un propos moral : l’admiration pour Brute, personnage historique qui semble avoir séduit l’auteur. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que le neveu et beau-fils de Caton soit le seul personnage répondant à la dénomination de « Heros ».76

Brutus stoïcien ou le triomphe de la virtus §

Parmi les philosophes grecs, aucun, en vérité, ne lui était inconnu ou étranger, mais il avait un culte particulier pour les platoniciens. Il n’appréciait guère ce qu’on appelle la Nouvelle Académie et la Moyenne Académie ; il restait attaché à l’Ancienne Académie : il ne cessa d’admirer Antiochos d’Ascalon et prit pour ami et pour compagnon son frère Aristos77

Ce témoignage de Plutarque est sans doute l’un des plus explicites sur la question. Or Plutarque, la principale source de ce que nous savons de Brutus, dont il a écrit la Vie, ne fut pas suivi par les historiens sur ce point et ce, jusqu’au XXe siècle. C’est ce que constate David Sedley, de l’université de Cambridge, qui s’est attaché à montrer l’absence de fondement d’un préjugé qu’il compare à une maladie, à savoir le stoïcisme supposé de notre héros.78 Sedley rassemble alors les faits qui font bel et bien de Brutus un disciple de l’école d’Antiochus, très nettement distincte de celle du Portique et fondée sur une connaissance précise de Platon. Le principal enseignement touche à l’assassinat de César, qui fut bel et bien pour Brutus la conséquence d’une pensée politique platonicienne maîtrisée. Dans la classification de Platon, la tyrannie était le dernier régime, celui d’une servitude intolérable.79 Ainsi y a-t-il chez les platoniciens une tradition du tyrannicide, glorifié, ce qui n’est pas le cas du côté des stoïciens où l’indifférence qu’ils professent garantit leur liberté quel que soit le régime.

Toutefois, à faire preuve de rigueur historique, on risquerait d’oublier un fait important : un dramaturge forge ses caractères, notamment, selon le principe de ressemblance. Ainsi, le héros d’un sujet historique doit-il être conforme à l’histoire. Ou plutôt, conforme à l’image que l’on se fait de lui, c’est-à-dire, sans trop d’approximation, conforme à la tradition historique. Or cette tradition historique lègue avant tout un Brutus stoïcien. L’occulter serait dès lors non seulement manquer de rigueur dans l’étude d’une pièce telle que celle qui nous intéresse, mais faire preuve d’absurdité dans la démarche.

La doxa au XVIIe siècle §

S’il est difficile de reconstituer la pensée des hommes et des historiens de la France du XVIIe siècle concernant cette question précise de la philosophie de Brutus, les rares lectures que nous avons trouvées tendent à faire de Brutus un stoïcien, conformément au jugement général de Sedley sur la tradition historique. Deux exemples permettront de se faire une idée du type de discours tenu sur ce point au XVIIe siècle et de l’argumentation complexe qui s’y attache.

Commençons avec une autorité : le Père Rapin, qui écrit, en 1671 :

Brutus au sentiment du mesme Plutarque, fut aussi d’abord épris de la doctrine de Platon: mais il abandonna les sentimens de la nouvelle Academie, pour suivre ceux de l’ancienne, par le conseil de cet Antiochus, qui fut Maistre de Ciceron: et ce fut ce Philosophe qui fit quelque temps aprés Brutus Stoïcien, l’estant devenu luy-mesme, aprés avoir esté Academicien, comme le remarque Ciceron.80

Si l’on confronte ce passage à la typologie que dresse Sedley des arguments fallacieux en faveur du stoïcisme de Brutus, on en constate trois.81 Tout d’abord, « Brutus était un authentique disciple d’Antiochus, mais la philosophie d’Antiochus était elle-même une synthèse éclectique du platonisme et du stoïcisme » : Rapin met en avant une prétendue conversion du maître de Brutus au stoïcisme. Ensuite, « Brutus fut perçu et décrit comme un stoïcien par des écrivains contemporains et postérieurs » : Rapin invoque l’autorité de Cicéron. Enfin, « Brutus s’est rapproché du stoïcisme à la fin de sa vie » : Rapin s’attache à montrer sa progression.

Huit ans plus tôt, on pouvait lire un jugement comparable dans la préface d’Antoine Soreau, avocat au Parlement, qui présentait alors « une Traduction françoise de toutes les lettres latines qui nous restent de Brutus, et de quelques-unes de celles de Cicéron ». Ainsi Soreau rejetait-il Plutarque en termes savoureux pour réduire la pertinence de l’historien grec à l’éloquence de Brutus, dont le traducteur dit plus loin le succès au « Barreau de Rome » et les « applaudissemens » qu’il reçut :

S’il faut s’arrester à ce que dit Plutarque touchant les estudes de nostre Brutus dans Athenes; il s’attacha principalement à l’ancienne Academie. Mais si au contraire Ciceron, qui vivoit au mesme temps que Brutus, et qui estoit Citoyen d’une mesme Republique, doit estre plustost creû en cela que Plutarque, qui n’a vescu que longtemps apres, et qui n’estoit qu’un Estranger; il n’y a pas de doute que Brutus embrassa particulierement la secte des stoïques. Et de là vient ce mot si celebre et si souvent repeté, lors qu’en parlant de Brutus et de Cassius qui depuis avoient été les Chefs de la Conjuration contre Cesar, on a dit, Qu’un Stoïcien et un Epicurien s’estoient accordez ensemble pour le bien de la liberté publique. Toutefois, afin d’accorder aussi en quelque façon Plutarque avec Ciceron, il semble qu’on puisse dire icy, avec beaucoup d’apparence, que bien qu’il soit vray que Brutus fut Stoïcien pour la doctrine, il ne laissoit pas neantmoins de se plaire infiniment aux discours de l’ancienne Académie: parce qu’estant amoureux comme il estoit de l’Eloquence; il est certain selon les sentimens du mesme Cicéron, [Ciceron en divers endroits de ses Livres de Rhetorique.]82 que l’Academie de Platon qui estoit l’ancienne, où l’on discouroit sur toutes sortes de sujets avec abondance et mesme avec ornement, estoit un lieu bien plus propre pour son dessein, que le Portique de Zenon, où les Stoïques ne traitoient les matieres que maigrement et avec une grande sécheresse parmy les épines des Syllogismes.83

Antoine Soreau défend l’idée du stoïcisme de Brutus en convoquant Cicéron avec peu de raison et dans un parfait contresens. En effet, Cicéron donne à de nombreuses reprises un avis strictement conforme à celui de Plutarque, qui fait de Brutus un adepte de l’Ancienne Académie.84 Par ailleurs, si l’éloquence de Brute est liée à l’école d’Antiochus en « divers endroits » de l’œuvre de Cicéron, qui selon nous se résument à deux passages seulement85, la confrontation, sur ce point de l’éloquence, entre l’Ancienne Académie et le stoïcisme, renvoie manifestement à ce passage précis :

— Ainsi, dit Brutus, il en est de nos stoïciens comme de ceux de la Grèce. Ce sont d’habiles dialecticiens, des architectes de paroles, qui élèvent avec beaucoup d’art l’édifice de leur argumentation. Transportez-les au forum, on ne leur trouve plus que de la stérilité; j’en excepte le seul Caton, à la fois stoïcien accompli et grand orateur. Mais je vois que Fannius eut peu d’éloquence, que Rutilius n’en eut pas beaucoup, et que Tubéron en manqua tout à fait.

— Cela vient, répondis-je, de ce qu’ils s’occupent uniquement de la dialectique, et qu’ils négligent ces développements qui donnent au discours de l’étendue, de la richesse, de la variété. Votre oncle, au contraire, comme vous le savez, a pris des stoïciens ce qu’il en fallait prendre; mais il a étudié l’art de parler à l’école des maîtres d’éloquence, et il s’est exercé d’après leur méthode. S’il fallait se borner aux leçons des philosophes, les péripatéticiens seraient les plus propres de tous à former l’orateur. Aussi, mon cher Brutus, je vous félicite d’avoir embrassé une secte, celle de l’ancienne académie, dont les préceptes et la doctrine réunissent à la méthode philosophique la douceur et l’abondance de l’élocution.86

Contrairement à ce que laisse entendre Soreau, qui ne donne pas de référence précise, Cicéron ne parle jamais qu’une seule fois de l’avantage que Brutus donne (et Cicéron avec lui) à l’Ancienne Académie sur les Stoïciens du point de vue de l’éloquence. Surtout, cet avantage donné ne vient pas constituer une exception dans un parcours philosophique stoïcien qui serait celui de Brute mais ne fait que confirmer Plutarque, sans aucune ambiguïté. Ainsi Soreau présente-t-il un bout de vérité (l’opposition, sur le plan de la rhétorique, des deux courants philosophiques, dans un contexte où Brute émet un jugement, le tout au sein d’une œuvre de Cicéron) pour l’accommoder avec le préjugé qu’il défend, de façon arbitraire. Encore l’évocation par Brutus de Caton comme une exception parmi les orateurs stoïciens (« [Caton] a pris des stoïciens ce qu’il en fallait prendre » confirme Cicéron) pourrait peut-être, dans une moindre mesure, excuser le contre-sens. Mais le fait est que, lorsqu’on remonte à la source et que l’on cherche partout dans Cicéron, il est difficile de trouver quoi que ce soit qui puisse aller dans le sens de ce que Soreau écrit, alors même que l’on pense avoir trouvé le passage précis auquel il pensait confusément.

Plus loin, au sein de sa traduction d’une lettre de Cicéron adressée à Brutus, Soreau annote ce passage :

vous cediez, mon cher Brutus, à la necessité du temps et des affaires : parce que vos Stoïques disent, Que le sage ne doit jamais fuïr.87

Derrière le possessif « vos », Soreau renvoie à la note suivante :

Selon que Ciceron parle des Stoïques en cét endroit il paroist clairement que nostre Brutus estoit Stoïcien, comme il est abservé plus au long dans la Preface.88

Premièrement, ce court passage ne vaut pas ceux plus longs et plus explicites que l’on trouve chez Cicéron concernant la philosophie de Brutus, passages qui nous gardent de toute surinterprétation. Ensuite, il convient de noter ici que le syntagme à l’origine de la traduction « vos Stoïques » est stoici nostri89 ; il y a donc un écart notable imputable à la traduction de Soreau. Cicéron prêtait plus haut les paroles suivantes à Brute : « il en est de nos stoïciens comme de ceux de la Grèce ». Le possessif ne témoignait alors d’aucun signe de l’appartenance de Brutus au courant philosophique mais de l’appartenance de membres de ce courant à une nation romaine (par ailleurs, nation de Brutus et de Cicéron) qui possédait ses propres stoïciens. La lecture en faveur du stoïcisme de Brutus, là encore, ne tient pas. Soreau semble réduit à exploiter un détail pour corroborer son jugement, un détail qu’il a par ailleurs lui-même créé.

La morale nuancée de l’Antiquité et le stoïcisme §

L’hésitation entre platonisme et stoïcisme, chez Rapin et Soreau, semble être de courte durée. Il est néanmoins frappant, en décortiquant la façon dont se développe une rhétorique défendant l’option stoïcienne, de voir rétrospectivement comment le problème historique, bien loin d’être surmonté par ces savants, n’en est que souligné. Notre sujet, la bataille de Philippes, et ce qu’il implique, à savoir les suicides dans le camp des Liberatores, exige alors une mise au point essentielle sur la façon dont l’Antiquité aborde le suicide et le rôle du stoïcisme dans cette réflexion. C’est le sens de ce point théorique qui pourra, nous l’espérons, contribuer à éclairer le sens profond de l’œuvre.

Dans son livre intitulé Le Suicide et la morale, Albert Bayet s’est attaché à montrer que l’aversion pour le suicide, véhiculée par le christianisme, est d’origine païenne et, plus précisément, platonicienne. Sont invoqués le Phédon et sa célèbre interdiction (l’homme est la propriété des dieux et doit se soumettre à leur volonté), ainsi que la politique que Platon préconise à l’égard des sépultures des suicidés, politique des plus sévères. Le suicide prend une dimension sacrilège. Mais le propos de Bayet est avant tout de montrer que la morale antique à l’égard du suicide est, malgré les apparences (le Phédon d’un côté, des formules fortes de Sénèque en faveur du suicide de l’autre), « nuancée ». Ainsi, Platon donne trois circonstances exceptionnelles dans lesquelles le suicide peut être admis.90 Bayet donne alors sa lecture de Sénèque :

[…] la route que Sénèque, malgré certains écarts de style91, suit fidèlement est très bien tracée : le sage doit vivre ou mourir, selon qu’il peut ou ne peut plus posséder le souverain bien, la sérénité de l’âme.

[…] Sénèque n’énumère pas tous les cas dans lesquels il admet qu’on se tue, tous ceux dans lesquels il ne l’admet pas; il s’en tient à quelques exemples, estimant sans doute qu’il serait vain de vouloir pénétrer dans l’infini variété des cas concrets; mais il dégage nettement la règle essentielle : il y a suicide et suicide, et c’est à la raison de se prononcer sur les cas particuliers; en tout cas, la mort volontaire n’est légitime qu’après mûre délibération.

[…] Donc, que l’on considère stoïcisme, épicurisme, platonisme, nulle part on ne discerne une doctrine simple, indiscrètement favorable à la mort volontaire; partout, au contraire, on retrouve l’idée qu’il y a suicide et suicide. […] vues de loin, les formules de Sénèque faisaient croire à l’existence d’une morale simple, favorable au suicide; vu de près, Sénèque lui-même et tout ce que nous pouvons saisir de la philosophie latine nous révèlent l’existence d’une morale nuancée.92

Albert Bayet voulait montrer la nuance dans la morale antique. Mais une fois ceci posé, il convient de se demander ce que faire de Brutus un stoïcien implique, ce que cela signifie sur la question du suicide, pour entrevoir la cause de la fortune historique que nous avons décrite plus haut, qui touche le XVIIe siècle, et prendre la mesure de ses conséquences. Yolande Grisé, dont la thèse précieuse, Le Suicide dans la Rome antique, préfacée par Pierre Grimal, contient notamment un relevé très exhaustif des cas romains de suicide, prolonge la réflexion avec la même nuance que Bayet. Certes, si l’on considère les différentes écoles, aucune ne professe une morale « simple ». Mais Grisé constate et démontre que :

C’est l’école stoïcienne, et davantage le moyen stoïcisme (qui formera le stoïcisme romain […]) qui prit sur la question du suicide le parti le plus positif, encore que ses jugements soient demeurés très nuancés, ses allusions au sujet plutôt rares et dispersées, ses anciens chefs peut-être pas toujours d’accord sur la question. Particulièrement importante et élaborée quand on la compare à celle des autres écoles philosophiques grecques, la réflexion stoïcienne sur le suicide fut essentiellement tournée vers la soumission à la Raison (λόγος) qui gouverne le cosmos, la mort devant s’accorder à la loi universelle qui régit toutes choses. Dans ce sens, les Stoïciens, bien qu’indifférents devant la mort en général, justifièrent le suicide non seulement sous la pression de circonstances extérieures inévitables, comme l’entendait la doctrine platonicienne, mais aussi toutes les fois que l’homme, guidé par sa raison, le jugeait opportun, compte tenu de sa situation, de ses motifs et de sa personne (son caractère). Foncièrement individualistes, ces philosophes ont été les seuls à avoir jeté les bases d’une doctrine justificative du suicide « rationnel » fondée sur la théorie des « préférables » […].93

Mieux, le suicide est alors non seulement rationnel, mais moral :

Le stoïcisme a non seulement justifié le suicide en certaines circonstances, mais encore l’a tenu comme un acte de la plus haute vertu, en en faisant, d’une part, le droit exclusif du sage et, d’autre part, outre un droit, un devoir envers lui-même, tout aussi impératif que n’importe quel autre devoir. Ainsi, il était recommandé au sage de s’enlever la vie lorsqu’un événement venait troubler sa vie au point de l’empêcher de suivre la ligne de conduite qu’il s’était tracée. On estimait, en effet, qu’un homme qui vient à perdre sa raison même de vivre, pour lequel l’existence devient définitivement privée de signification et qui se voit contraint de vivre contre lui-même se doit de préférer la liberté morale à la vie, de renoncer à la vie plutôt qu’à ses raisons de vivre qui sont sa raison d’être. […] Le suicide apparaît alors comme un acte vertueux qui peut conduire au vrai bonheur, puisque, en s’enlevant la vie, le sage ne fait que se conformer à la raison éternelle de la nature dont procède elle-même sa propre raison de vivre.94

La mise au point théorique permet de former une hypothèse : le mythe historique qui fait de Brutus un stoïcien ou, dans une de ses plus fines nuances, qui fait de Brutus un converti au stoïcisme, viendrait répondre à la dichotomie du personnage. En effet, dire avec le Père Rapin que le personnage a évolué, cela revient à faire du tyrannicide un platonicien et du suicidé un stoïcien. Sedley ne s’étend pas sur le suicide de Brutus, et pour cause : aucune source ne donne de justification philosophique authentique de la part de Brutus sur son suicide. Il est également sûr qu’aucune source ne permet d’affirmer une conversion au stoïcisme.95 Le britannique, qui met en exergue de son article une citation du Jules César de Shakespeare, semble avoir privilégié le premier Brutus, celui de l’action politique. Puisqu’il n’y a pas lieu de croire à une conversion, la mort de Brutus est alors celle problématique d’un disciple d’Antiochus, le maître s’accordant mal avec le suicide.96 Le choix est alors clair :

Et si Brutus estimait en effet que la vertu politique de la justice devait être activement exercée même sous la tyrannie de César, il n’y a pas de doute quant aux parents illustres qu’il s’apprêtait à imiter : non pas Caton, l’oncle stoïcien dont Brutus avait, selon Plutarque, explicitement déploré le suicide pour des raisons philosophiques, mais ses ancêtres non moins célèbres, Lucius Junius Brutus, qui avait chassé de Rome le dernier des rois en 509 av. J.-C., et Servilius Ahala, qui peu de temps après avait assassiné un prétendant à la tyrannie. Déjà une dizaine d’années avant l’assassinat de César, quand Brutus contrôlait la monnaie romaine, il avait émis une pièce représentant ces deux ancêtres, un sur chaque face.97

Les exemples que Sedley attribue à Brutus, en contrepoint de Caton, ne sont pas des exemples de suicidés et ne font donc pas avancer la question du suicide de Brutus. Il faut voir là, sans doute, la rigueur de l’historien qui ne s’étend pas là où il a constaté qu’il n’y avait pas de matière. La rigueur historique impose une hypothèse platonicienne décourageante là où l’hypothèse stoïcienne est stimulante.

Caton, l’exemple stoïcien §

Nous ne sommes pas chez Shakespeare et la bataille de Philippes ne se réduit pas au cinquième acte : elle est, chose remarquable, la pièce elle-même. Brute ne condamne pas le suicide de Caton98 et la fille de ce dernier tient une place de premier plan avec près de 20% des vers à son actif, la plus proche de son mari.99 Porcie a la parole pour parler de sa mort et, lorsqu’elle est morte, ses derniers mots sont rendus par le soldat qui tient lieu de messager. Shakespeare, lui, rapporte brièvement sa mort à la troisième scène de l’acte IV, par l’intermédiaire de Brutus. Il suit la tradition minoritaire selon laquelle cette mort serait intervenue quelques temps avant la dernière bataille. La Porcie de Guérin de Bouscal est pleinement présente et son caractère est défini par son état-civil : elle est fille de Caton et femme de Brutus.100 Si ces deux figures la poussent toutes deux au dépassement d’elle-même, elles représentent également les deux pôles d’une division tragique. Ainsi Porcie est-elle prise entre la volonté de reproduire le geste de son père et les passions de l’amante. C’est ce qui fait l’ambiguïté ou la richesse du personnage, écartelé entre son idéal de liberté et la réalité de ses sentiments incontrôlables.101 La Porcie de Guérin de Bouscal n’est pas cette femme qui, soupçonnant la conjuration dans le trouble nocturne de son mari, se livre à un exercice stoïcien pour démontrer à Brutus cette force d’âme qui la rend digne de partager son douloureux secret. Après s’être entaillée la cuisse profondément, elle disait ainsi à Brutus :

J’ai le privilège […] d’être la fille de Caton et l’épouse de Brutus. Jusqu’ici, je n’en tirais que peu d’assurance, mais à présent, je me connais et je sais que la souffrance ne peut me vaincre.102

Chez Guérin de Bouscal, Porcie, dans son projet de courir aux ennemis, est en proie à la « fureur », ce qu’elle finit par reconnaître à sa compagne (v. 301). Il n’est plus question d’un exercice stoïcien préparant à la mort, mais d’une course funeste dictée par la souffrance intérieure. À vrai dire, la nuance de Guérin de Bouscal était déjà chez Plutarque qui décrivait Porcia désespérée, mourante aux ides de mars et trop faible pour accompagner son mari qui s’embarquait pour la Grèce à partir de Vélia.103 Pour autant, les deux épisodes principaux de sa vie, cette entaille à la cuisse et sa mort spectaculaire, laissent volontiers l’image d’une figure stoïcienne exemplaire. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à voir le traitement de Porcia par Valère Maxime, qui ne retient d’elle que ces deux faits mémorables. Selon lui, le suicide de Porcia surpasserait même celui du père :

L’ardeur de ton amour si pur, ô Porcia ! fille de M. Caton, sera aussi pour tous les siècles l’objet d’une juste admiration. A la nouvelle de la défaite de Brutus, ton mari, et de sa mort à Philippes, tu n’as pas craint, à défaut du poignard qu’on te refusait, d’avaler des charbons ardents. Ainsi tu trouvas dans ton cœur de femme la force d’imiter la mort héroïque de ton père. Mais peut-être y eut-il chez toi encore plus de courage : il mit fin à ses jours par un trépas ordinaire ; toi, tu voulus mourir d’une mort sans exemple (An de R. 711.)104

Dans la tragédie de Guérin de Bouscal, il serait bien difficile de voir le suicide de Porcie comme un suicide stoïcien et, a fortiori, de le comparer à celui de Caton, tandis qu’« à sa fureur la mort mesme a fait place » (v. 1620). Néanmoins, le personnage instaure une émulation avec la figure du père105 qui fait du suicide de Caton un enjeu fondamental de la pièce.

Pour ces premières raisons, on ne peut exclure que l’ombre de Caton, qu’on l’invoque positivement ou qu’elle soit incarnée par un personnage très présent, ait un effet d’attraction sur son gendre et neveu Brutus, en tant qu’exemple stoïcien par excellence du suicidé glorifié :

Le stoïcisme fut par essence une doctrine de liberté, et cette liberté était fondée sur la possibilité de la mort libre. Cette notion de libertas existait à Rome comme valeur politique ; au contact du stoïcisme, elle devint une valeur morale. Pour les Stoïciens, le suicide est un témoignage : un témoignage de liberté. Cette liberté se manifeste tout particulièrement au moment précis où l’homme prend la décision de mourir, parce que, d’une part, par cette décision, il adhère spontanément à la nécessité du destin universel et, d’autre part, par cette adhésion mûrement réfléchie, il échappe aux contraintes extérieures qui n’ont plus d’emprise sur lui. […]

Le suicide de Caton s’est imposé à Rome comme le parfait exemple de la liberté intégrale.

[…] En effet, le suicide de Caton fut perçu comme l’expression complète de cet idéal romain de libertas : liberté civile (extérieure) tant prisée par les partisans de la République et liberté morale (intérieure) hautement préconisée par la sagesse stoïcienne. Car il n’y eut rien de plus libre que le suicide de Caton d’Utique. Sur le plan militaire, il semble que ce ne soit pas la défaite qui l’ait acculé au suicide […]. Sur le plan politique, ce n’est pas la crainte de la mort qui le poussa vers la mort, puisque César lui offrait la vie. Si Caton s’est donné la mort, c’est pour échapper à l’autorité de César. Il proclamait par son geste la plénitude de sa liberté individuelle et, par ce biais, défendait la liberté elle-même […]

Refus héroïque d’asservissement, sa mort s’inscrivit dans les esprits comme l’apothéose de la liberté la plus authentique : celle qu’on paie au prix de la vie. Au surplus, une fois sa décision arrêtée, Caton ne montra aucune panique ni aucun empressement à quitter la vie.106

Pour Cicéron, la beauté du suicide de Caton tient notamment dans la constance de son caractère, comme l’explique Yolande Grisé :

En se donnant la mort, Caton est resté totalement fidèle à lui-même : à son tempérament, à ses convictions politiques et à sa foi stoïcienne. Sa mort fut le reflet parfait de sa vie : une vie passée dans l’opposition à la corruption, à l’ambition et à l’injustice. En se tuant, Caton n’a trahi ni son idéal (i.e. sa raison d’être) ni sa propre nature. […] On comprend dès lors que Cicéron, qui considère que la première exigence de la dignité humaine réside dans le respect de la personnalité, de l’originalité de chacun, ait magnifié le suicide d’un homme en si parfait accord avec lui-même107

Or il n’est pas question d’autre chose dans la tragédie de Guérin de Bouscal, lorsqu’au moment de mourir, Brutus déclare :

D’esperer d’un bien que la puissance humaine
Nous peut faire acquerir, est une lâcheté,
Mais ne pouvant r’avoir la liberté Romaine,
Je cede seulement à la necessité.
Si je cherche la mort tandis que je suis libre,
N’est-ce pas pour monstrer aux races à venir,
Que j’ay voulu mourir comme j’avois sceu vivre,
Quand j’ay perdu l’espoir de m’y plus maintenir. (Brute, V, 4, v. 1407-1414)

Brute se soumet à la nécessité et échappe à l’emprise de la Fortune, qui « oppresse » celui qui n’a pas encore choisi entre « sa vie [et] son honneur » (v. 1399-1402). Liberté civique et liberté morale sont portées dans un exemple comparable à celui de Caton. Brutus cherche à se dérober aux tyrans qu’il n’a pu vaincre pour suivre sa raison d’être. Le « cœur », comme intimité de l’individu, conscience morale du héros vertueux, demeure hors de portée de l’ennemi et fonde sa liberté dans la mort. Ainsi Porcie, découvrant le cadavre de Brute :

Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre,
Brute mon cher soucy, vous n’estes pas du nombre;
Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre cœur,
Vous l’en avez osté pour estre son vainqueur. (Porcie, V, 5, v. 1499-1502)

Enfin, suivre l’exemple de Caton, c’est gagner l’immortalité. Mais pas n’importe quelle immortalité : « Sous la République, les Romains rêvaient de gloire militaire, qui les distinguerait aux yeux de la postérité, et non d’immortalité céleste. »108 On comprend dès lors l’importance du thème de la mémoire, récurrent, notamment sous la forme du « Temple de memoire » (v. 823, 1188, 1403 ; également, v. 544, 1506) où sont gravés les actions et les noms des grands hommes. L’immortalité du héros passe par le souvenir des hommes.109

Je diroy qu’un grand cœur que la Fortune oppresse,
Jusqu’à luy demander sa vie ou son honneur,
S’il balance le chois, tesmoigne sa foiblesse,
Et ne reconnoist pas où gist le vray bon-heur.
L’honneur dure toujours au Temple de memoire,
La vie a pour son cours un terme limité,
Sans doute celuy-la mesnage mal sa gloire,
Qui pour gagner un jour, pert une eternité. (Brute, V, 4, v. 1399-1406)

Plus haut, nous avons vu que Yolande Grisé parlait de « vrai bonheur » comme accomplissement de la liberté morale de l’individu, conformité avec la raison. Nous constatons ici que le « vray bon-heur » de Brute s’accompagne également de la dimension d’immortalité par la gloire.110 Ce désir de gloire est permis par une mentalité romaine relativement éloignée de la nôtre, loin de sacraliser la vie : « Un égal sentiment de mépris pour la vie en tant que telle était partagé par les intellectuels de Rome, qui estimaient le prix de la vie, non à sa durée, mais à sa qualité. »111 Ainsi, le mépris de la mort est-il l’apanage du héros :

Mais comme avec raison on blasmeroit la peur
Qu’un homme concevroit pour un masque trompeur;
C’est exposer son ame à des justes censures,
De craindre de mourir pour des larmes futures.
La mort est naturelle, et je ne pense pas
Qu’on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas;
Encore nostre mort doit estre moins à craindre,
Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre.
Celuy-là vit toujours parmy les gens d’honneur,
Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur;
Imitons en cela nos valeureux ancestres,
Que Rome a veu mourir pour n’avoir point de Maistres:
Et celuy qui domptant la Nature et les Rois,
Immola ses enfans à l’honneur de nos lois. (Brute, II, 3, v. 453-466)

« Imitons en cela nos valeureux ancestres ». Il ne s’agit bien sûr pas là d’un nous de majesté mais d’exhortation, au seuil de la première bataille. Ainsi, les ancêtres en question sont-ils aussi bien ceux de Brute que ceux des « braves romains » qu’il encourage (v. 431).112 Notons ici que le fils de Caton (et donc frère de Porcia) faisait partie des soldats des Libérateurs : Plutarque signale sa conduite lors de la seconde bataille de Philippes, ce que reprend Shakespeare.113 Parmi ces ancêtres communs doivent figurer en bonne place les héros du début de la République romaine (tels Horatius Coclès, Mucius Scævola et Lucius Junius Brutus), ensemble au sein duquel Brute peut prélever son aïeul mythique, à qui il fait allusion explicitement (v. 465-466). À considérer la famille du mot imiter, on ne trouve que deux occurrences dans toute la pièce, celle-ci étant la première. Fait frappant, la seconde est située à quelques vers d’intervalle, au début de la scène suivante, dans la bouche de Porcie aspirant à avoir « le cœur d’imiter [s] es parens » (v. 538), soit, plus clairement, Caton. Le lien entre Caton et Brute n’est certes pas direct dans le texte. Cela dit, s’il était permis de poursuivre le mouvement de Brute, qui va de la masse des ancêtres communs à son ancêtre à lui, pour redescendre vers ses parents proches, Caton, l’homme qui l’a élevé, serait sans doute le premier auquel le personnage de Guérin de Bouscal penserait.114 La chose, malgré la considération rigoureuse de Sedley, considération accordée à sa démarche, serait tout à fait logique, voire automatique, pour un lecteur de Plutarque tel que notre auteur. En effet, si le premier paragraphe de la Vie de Brutus, consacré à l’ascendance légendaire de Brutus, développe les figures de Lucius Junius Brutus (du côté paternel) et de Servilius Ahala (du côté maternel), ce premier paragraphe est immédiatement suivi de cette phrase :

Servilia, sa mère, était la sœur du philosophe Caton, le Romain que Brutus désira le plus imiter : il était son oncle et devint ensuite son beau-père.115

Caton était bel et bien un modèle pour Brutus, de par son intégrité morale et son pur attachement à la République, garantis par une constance à toute épreuve. Il y a dans cette phrase, placée à un point stratégique, de quoi pousser nombre d’historiens postérieurs à passer le pas en lisant rétrospectivement la mort de Brutus comme une ultime imitation de Caton. Il est par ailleurs saisissant de constater comment l’argument qui fait de Brutus celui qui dénonce le suicide de son oncle se retourne à Philippes. En effet, voici ce qu’il répond à Cassius qui lui demande, avant que ne s’engage la première bataille, ce qu’il choisira en cas de défaite, entre la fuite et la mort :

Lorsque j’étais jeune, Cassius, et sans expérience des affaires, je laissai échapper, je ne sais comment, au cours d’une discussion philosophique une parole hautaine. Je blâmai Caton de s’être tué, déclarant qu’il n’était ni pieux ni digne d’un homme de céder à la destinée et de prendre la fuite, au lieu d’accueillir sans crainte l’événement qui s’abat sur lui. Mais à présent, en voyant les événements que nous envoie la Fortune, je change d’attitude : si l’arbitrage de la divinité nous est contraire, je ne souhaite pas tenter encore d’autres espérances ni faire d’autres préparatifs ; je me délivrerai, en louant la Fortune grâce à laquelle, après avoir donné ma vie à la patrie aux ides de mars, j’ai vécu une nouvelle vie, libre et glorieuse.116

Un tel passage a certainement pu peser dans la lecture du personnage en faveur de l’idée d’une conversion. Loin de toute condamnation, ce Brutus de Philippes apparaît bien plus comme celui qui demanda avec instance à Cicéron de composer un Éloge en l’honneur de Caton, après la mort de ce dernier :

Cet Éloge même, je ne l’aurais point abordé, dans ce siècle ennemi des vertus, si un désir de Brutus, réveillant en moi une mémoire si chère, m’eût laissé une excuse légitime.117

« Celuy-la vit toujours parmy les gens d’honneur ». On peut alors imaginer Brute accueilli par Caton dans le séjour des Bienheureux, en termes sénéquiens :

[…] ce que Sénèque exalte par dessus tout, c’est le suicide qui délivre l’homme de toute servitude extérieure, ou intérieure, quand celle-ci met en péril la liberté, l’honneur et la dignité. […] l’affirmation importante de la pensée de Sénèque est que l’homme demeure toujours libre de refuser ce qui dépend de lui, en quittant la vie […] C’est pourquoi il glorifie avec enthousiasme tous ceux qui osent se mettre à l’abri de la Fortune par amour de la liberté. […]

Produit du libre arbitre, inspiré par une maturité philosophique exemplaire, le suicide de Caton est hautement célébré par Sénèque comme le triomphe de la volonté humaine sur les choses livrées au hasard de la vie et des passions, dont les dieux eux-mêmes reconnaissent la noble grandeur […] C’est que, pour Sénèque (comme pour Cicéron et tous les Stoïciens romains), Caton demeure la « vivante » image de la virtus (virtutum viva imago)118 et son suicide, une belle mort (honesta mors)119. En outre, ce geste tout empreint de sagesse confère à son auteur rien de moins que l’immortalité. En effet, le texte de la Consolatio de Marcia s’achève par l’évocation d’un mythe qui n’est pas sans rappeler, par certains côtés, le Songe de Scipion de Cicéron, sauf qu’ici, Sénèque montre le suicidé Caton siégeant, « inter contemptores vitae », au sein de l’assemblée des Bienheureux, et accueillant un autre suicidé, l’historien Cremutius Cordus, qui a choisi de recouvrer la liberté dans la mort. Car, selon Sénèque, le suicide de Caton n’est ni une désertion ni une fuite engendrée par l’angoisse ou la peur, mais l’expression de la victoire de l’autonomie humaine sur la tyrannie de la Fortune. C’est pourquoi le héros mérite de devenir l’égal même des dieux ou, plutôt, supérieur à eux.120

La virtus, dans son sens premier, proprement romain, est à la fois courage moral et physique, force virile, énergie. Cette notion permet de comprendre comment la mémoire et la gloire, si souvent associées à la victoire121, peuvent entretenir des rapports complexes avec cette dernière. En effet, la victoire militaire n’est plus l’unique forme de victoire, l’unique forme d’immortalité : on a vu plus haut comment Porcie rappelle que Brute est « vainqueur » (v. 1502). La victoire revêt alors un caractère individuel : une personne, seule, peut être victorieuse, et même, victorieuse du nombre. Ainsi peut-on lire des passages qui portent cette nuance :

Il ne m’importe point d’obtenir la victoire,
Mon sort est assez beau, je n’ay que trop de gloire
Pourveu que combattant pour le peuple Romain
Je meure comme Brute une espée à la main: (Porcie, I, 6, v. 265-268)

Ou encore :

[…] le seul effort de maintenir sa gloire
Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire (Brute, II, 3, v. 439-440)

Enfin :

Traitres n’allez donc plus vanter cette victoire,
Vos lauriers sont fletris, vous n’avez plus de gloire,
Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel,
En demolit le temple et bastit son autel. (Porcie, V, 5, v. 1503-1506)

On le comprend, à la lecture de ces extraits : la mort est le lieu privilégié de ce type de victoire, en des termes que l’on retrouvera dans La Mort de Cleomenes, au moment où le roi de Sparte fait prisonnier décide une dernière entreprise, sursaut qui doit lui permettre de sauver les siens ou, à défaut, de gagner « une honorable mort » et la « gloire ». La scène en question se conclut par ce vers : « La victoire aujourd’huy se gagne par la mort. » (IV, 3).

Dans le cas de Brute, la victoire est celle de l’autonomie de l’individu face à l’adversité. La virtus permet de donner un sens nouveau aux exemples illustres de la Rome ancienne convoqués par Brute, parmi lesquels son homonyme condamnant à mort ses enfants coupables de trahison (v. 465-466).122 Au sein des exemples les plus fameux de virtus se trouve Mucius Scævola. Il se peut que cette figure soit présente dans la pièce, dans l’image du « flambeau » (v. 1601 ; on note le « feu », v. 1605, et le « brasier », v. 1615). Mucius Scævola, à la suite d’un attentat manqué contre le roi étrusque Porsenna, comparut devant le tribunal ennemi :

Là, même dans des circonstances si critiques, il restait effrayant, au lieu d’être effrayé. « Je suis Romain », dit-il. « Je m’appelle Gaius Mucius. Je voulais te tuer, ennemi contre ennemi, et j’aurai pour mourir autant de cœur que pour tuer : pour agir comme pour souffrir, le courage est vertu romaine. Et je ne suis pas seul à avoir pour toi ces sentiments : une foule d’autres viennent derrière moi, qui briguent le même honneur. Ainsi donc, si ce risque te plaît, prépare-toi à défendre ta tête à toute heure et à trouver le poignard d’un ennemi jusque dans le vestibule de ton palais. Voici comment la jeunesse romaine te déclare la guerre : pas de batailles, pas de combats à redouter ; c’est entre toi seul et chacun de nous que tout se passera. » Comme le roi, à la fois animé par la colère et effrayé par le danger, le menaçait de faire allumer des feux tout autour de lui s’il ne dévoilait pas immédiatement le complot dont il lui faisait entrevoir la menace : « Voici », dit Mucius, « qui t’apprendra le cas qu’on fait du corps quand on vise à la gloire », et il pose sa main droite sur un réchaud allumé pour un sacrifice et la laisse brûler, comme s’il était complètement insensible. Alors, le roi, bouleversé par cette espèce de prodige, s’élança de son siège et fit entraîner le jeune homme loin de l’autel. « Va-t-en », lui dit-il : « tu t’es attaqué à toi-même plus qu’à moi. J’applaudirais à ton courage, s’il était au service de mon pays. Mais, du moins, je t’épargne les lois de la guerre, les violences et les mauvais traitements, et je te laisse partir. » Alors, comme pour payer de retour sa générosité, Mucius lui dit : « Puisque tu tiens le courage en estime, ton bon procédé obtiendra de moi ce que j’ai refusé à tes menaces : nous sommes trois cents, l’élite de la jeunesse romaine, qui avons juré de t’atteindre par cette voie. Mon nom est sorti le premier ; les autres, quel qu’ait été le sort des premiers, et jusqu’à ce qu’une occasion te mette à leur merci, se présenteront chacun à son heure. »123

On retrouve dans l’histoire de Mucius Scævola toute l’autorité d’un individu au milieu des dangers qui par un geste sans précédent fait un coup d’éclat admiré des ennemis qui, eux-mêmes, en sont effrayés. Comme Mucius Scævola, la Porcie de Guérin de Bouscal est prisonnière (de ceux qui la surveillent, ces « argus domestiques », v. 1592), comme lui, la proximité de la mort ne l’empêche pas de braver ses geôliers (v. 1523-1530, 1607-1616),124 comme lui, metuend[a] magis quam metuens, sans peur, elle renverse la situation en suscitant l’effroi (v. 1620-1624) et la clémence (v. 1647-1660). Le relevé précis des cas romains de suicide par Yolande Grisé, depuis la fondation de la Ville, montre que le moyen choisi par Porcie est sans précédent.

L’essentiel du rôle [de Porcie] tient […] dans ces accès de faiblesse féminine, alors même qu’elle se veut stoïque, comme l’imposent son lignage ainsi que l’exemple des hommes valeureux qui l’entourent ; le motif est inscrit lui-même dans le discours de l’héroïne chez Guérin de Bouscal [sont cités les vers 245-256]. Le stoïcisme finit surtout par se résumer à l’idée d’imitation de la « belle mort », qu’exprime Boyer : « Ainsi mourut Caton, ainsi mourra Porcie »125.126

Avec le suicide de Porcie, le stoïcisme est soumis à son spectaculaire échec. Pour autant, le personnage, par son désir de n’être pas « different à [lui] mesme », par son combat héréditaire pour la vertu, voué à l’échec dès le commencement, pose le modèle de Caton et rend sensible l’imagerie de la virtus, des Decii (I, 6)127 à Mucius Scævola (V, 7). La constance du père aura trouvé son port dans le caractère de Brute, dont on a vu comme il était la norme à partir de laquelle se comprenait les oscillations des autres personnages.128 Le rôle de Porcie, sans qui Brute n’aurait pas agi différemment, semble rejoindre le camp des Cassie, Titine et Straton, pour incarner le paroxysme de la passion tragique. Sans elle, Brute, qui n’a qu’une très brève pensée pour elle au moment de mourir (v. 1357-1358), aurait sans doute asséché la tragédie dans l’accomplissement de son stoïcisme. Il y a probablement un certain pragmatisme dramaturgique derrière cela. Une autre façon de voir les choses est de considérer que La Mort de Brute et de Porcie offre un équilibre au sein des émotions tragiques, entre la paire frayeur/pitié et l’admiration du héros, équilibre incarné dans le couple éponyme.

La fin du prologue de la Renommée relève de la prestidigitation, d’un tour de passe-passe qui vient confisquer l’œuvre au moment où elle doit commencer. S’il fallait la prendre pour argent comptant, le développement de la droite pensée de Brute n’aurait pas lieu d’être. Rappelons que ce discours prêté à une allégorie a une double fonction dont il est tributaire : il s’agit, d’une part, de louer Louis XIII et Richelieu et, d’autre part, de se faire un nom, dans une aspiration à rejoindre les poètes fameux qui sont sous la protection du ministre129, parmi lesquels Scudéry qui avait remporté un certain succès avec La Mort de César130. Pour une première tragédie, s’appuyer sur cette pièce ne pouvait manquer d’apporter au jeune Guérin de Bouscal une publicité bienvenue, quoique nous la pensions artificielle, à défaut d’être authentiquement mensongère. Ainsi, lorsque la Renommée présente le sujet prétendu de la pièce, il suit directement celui de La Mort de César, par rapport auquel il est construit.

Tout l’Univers alloit mourir
Quand le Ciel pour le secourir
Fit partir de ses mains un équitable foudre,
Les plaines de Philippe en virent les effets,
Tous les meurtriers furent defaits,
Cæsar y triompha qui n’estoit plus que poudre.
Jamais un plus beau chastiment
Ne tint la Justice occupée:
Jamais on ne vit son espée
Abbatre de mutin plus equitablement.
Cét objet pleut tant à mes yeux,
Que j’arreste encore en ces lieux
Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre,
Où Brute et sa vertu confesseront en fin
Qu’à moins que d’un coup du Destin,
Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre. (prologue, v. 155-170)

L’idée centrale est la punition divine de la mort de César, mise en œuvre par le foudre de Jupiter.131 Si l’on cherche bien, on peut retrouver l’association de cette idée et de cette image dans un passage du discours d’Octave, mais ce dernier opère un déplacement, du foudre de Jupiter aux triumvirs :

La mort du grand Cæsar appele leurs justices,
A punir son autheur avec tous ses complices,
Et je croy qu’à l’instant que ce coup fut donné
Contre les criminels leur cholere eust trouvé,
S’ils eussent peu choisir la flamme d’un Tonnerre,
Qui n’eust pas avec eux bruslé toute la terre:
Mais ne pouvans agir avec un moins puissant,
Ny perdre ces meurtriers sans perdre l’innocent;
Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance,
Et purgent ce païs de cette noire engeance,
Déja leur volonté s’explique heureusement,
Et vostre valeur fait ce doux evenement. (Octave, après la victoire de Marc Antoine sur Cassie, IV, 1, v. 875-886)

Or cette modification concourt à rendre le discours de la tragédie nettement moins univoque que celui du prologue, les paroles d’Octave faisant volontiers écho à d’autres paroles, chez Brute cette fois. Par exemple, au seuil de la seconde bataille :

Allons y donc, amis, et que toute la terre
Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre (Brute, V, 1, v. 1243-1244)

Le déplacement d’Octave s’accompagne donc de la relativité de l’élection divine, exhibée tout au long de la tragédie. Nous avions parlé, à propos de la composition, de cette symétrie qui fait de chaque camp l’instrument des dieux, de telle sorte que les choix que prêtent les hommes aux dieux se neutralisent.132 C’est de cette manière qu’il faut comprendre l’égal étonnement (au sens fort) de Brute et d’Octave face à la Providence et ses « metamorphoses », dont Cassie avait été le premier témoin (v. 591-592).133 En outre, cette neutralisation politique s’est accompagnée de l’absence de figure à la hauteur de l’enjeu monarchiste : les triumvirs, la pièce durant, n’ont été que des résidus de l’Octave de Robert Garnier, deux frères escaladant le Ciel, tels Otos et Ephialte.134 Ils ne servent et ne sauvent leur cause qu’in extremis par la clémence, qui s’avère être le seul enjeu monarchiste probant, bien loin de la proclamation de la fin du prologue, qui exaltait la vengeance de César.135 Ainsi le cataclysme de la mort de César est-il reporté sur celle, furieuse, de Porcie (« A ce funeste objet tout se plaint, tout gemit, / Le Ciel mesme en pleure, et la terre en fremit. », v. 1621-1622) et la vengeance annoncée se mue-t-elle en clémence, seule propre à rétablir un ordre monarchique légitime au moment où il faut mettre un terme aux guerres civiles.136

Enfin, on constatera que la mort du héros n’a rien de celle d’un homme foudroyé par Jupiter tel que le laissait supposer le prologue :

Brute.
L’on m’a presté ce corps, il faut que je le rende;
Mais j’emporte l’honneur avec la liberté,
Approche, cher amy, qu’à ce coup je t’embrasse;
Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse.
Straton.
Donc ce grand demy-Dieu rend l’ame devant moy ?
Donc je fais trebucher l’esperance de Rome ?
Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy,
Me ravit aujourd’huy ce qui me faisoit homme ?
Brute ne vit donc plus, et l’honneur des guerriers
Vient d’estre le butin de ma lame cruelle ?
La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers,
Et je suis aujourd’huy moins pitoyable qu’elle ?
Ha ! malheureux poignard, dont les lâches efforts
Nous ravissent un bien que la Parque revere,
Pourquoy ne puis-je avoir cent ames et cent corps,
Afin de te saouler, et de me satisfaire. (V, 4, v. 1421-1436)

Le traitement de cette mort est éloquent. La responsabilité de la foudre est explicitement écartée (v. 1431-1432) et l’épée de la Justice (prologue, v. 163) laisse la place à celle d’un ami. La mort de Brute devient le fait d’un « bras desloyal », d’une « lame cruelle » et d’un « malheureux poignard ». La conjuration a changé de camp et c’est alors de Brutus qu’il faut dire que « la vertu [fut] son crime » (prologue, v. 150). Comme Titine, l’unique chemin possible pour Straton consiste à suivre son général pour prouver son innocence aux yeux de la postérité et se « venger » lui-même (v. 1450).137 La mort enlève Brute à regret et cet homme dont le dernier vers répète ce que fut sa vie et dit à la postérité ce qu’est sa mort, cet homme à la constance exemplaire, semble promis à une apothéose138 : il est « ce grand demy-Dieu » (v. 1425), « ce grand Heros » (v. 1439) « que la Parque revere » (v. 1434). Suivant les pas de Caton, il rejoint ses ancêtres au panthéon des hommes illustres, après avoir donné une justification philosophique à son suicide, celle-là même qui manquera aux historiens modernes.139

Note sur la présente édition §

Les éditions de La Mort de Brute et de Porcie §

L’édition originale de 1637 §

Description §

Un volume. In-4°, VIII-104 p.

[I] LA MORT / DE BRVTE / ET DE / PORCIE, / OV, / LA VENGEANCE / DE LA MORT / DE CESAR. / TRAGEDIE. / [fleuron] / A PARIS, / Chez Tovssainct Qvinet, au Palais dans / la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes. / [filet] / M. DC. XXXVII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY.140

[II] [blanc].

[III-V] [épître] A MONSEIGNEVR L’EMINENTISSIME CARDINAL DVC DE RICHELIEV.

[VI-VII] PRIVILEGE DV ROY [daté par erreur du 23 juillet 1637, l’année devant être 1636141 ; cédé par l’auteur au libraire le 16 janvier 1637 ; achevé d’imprimé du 20 février 1637].

[VIII] ACTEVRS.

I-104142 [le texte, composé d’un prologue, de la pièce et de cinq poèmes].

Nous avons établi le texte à partir de l’exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac) sous la cote RES-YF-520, incommunicable car microfilmé et numérisé.143 Ce livre est ainsi disponible sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

Recensement des exemplaires §

Il existe à notre connaissance dix autres exemplaires en France de l’édition de 1637 :144

  • – Un à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac), sous la cote RES-YF-1453.
  • – Un à la Biliothèque Richelieu, département Arts du Spectacle, sous la cote 8-RF-6209. Il a été microfiché (P94/004769).
  • – Un à la Bibliothèque de l’Arsenal, sous la cote 4-BL-3471 (1). Il s’agit d’un recueil : dans ce qui se présente comme un premier tome d’œuvres complètes, notre pièce est suivie de L’Amant libéral, tragi-comédie, 1637, et de Cleomene, tragédie, 1640.145
  • – Un à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, sous la cote DELTA 15221 (1) FA (P.1). Il s’agit d’un recueil : dans ce qui se présente comme un premier tome d’œuvres complètes, notre pièce est suivie de L’Amant libéral, tragi-comédie, 1637, de Cleomene, tragédie, 1640, de Dom Quixote de la Manche, comédie, 1639, et de Dom Quichot de la Manche, comedie. Seconde partie., 1640.
  • – Un à la Bibliothèque de la Sorbonne, sous la cote RRA 8= 443.
  • – Un à la Bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-6/4.
  • – Un à la Bibliothèque municipale d’Angers, sous la cote 4 BL 2225 XXI (1).
  • – Un à la Médiathèque Louis Aragon du Mans, sous la cote 4 BL 2596 (5).
  • – Un à la Bibliothèque municipale de Lyon, sous la cote 360784.
  • – Un à la Bibliothèque Carré d’art de Nîmes, sous la cote 61631 (Liotard).

À titre indicatif, nous avons recensé une dizaine d’exemplaires de l’édition de 1637 à l’étranger :146

  • – Aux États-Unis : Houghton Library (Harvard University), Glenn G. Bartle Library (State University of New York, Binghamton University Libraries), Shields Library (University of California, Davis), Davidson Library (University of California, Santa Barbara) ; University of Illinois at Urbana Champaign (microforme).
  • – Au Royaume-Uni : British Library.
  • – En Allemagne : Bayerische Staatsbibliothek.
  • – En Suisse : Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne.

La Bibliothèque de l’Arsenal possède par ailleurs deux nouvelles émissions de l’édition de 1637, avec recomposition des pages de titre :

  • – Une émission datée de 1640, renommée La Suite de la Mort de Cæsar, sous la cote GD-45352. Il semblerait qu’un exemplaire de cette émission soit disponible en Allemagne (Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel, cote M: Lm 1670).
  • – Une émission datée de 1647, au titre allégé (La Mort de Brute, et de Porcie), sous la cote GD-764.

Tous ces exemplaires de 1637, 1640 et 1647 sont, pour ceux que nous avons examinés, strictement identiques, jusque dans l’erreur de pagination qui fait de la page 49 une seconde page 46.147 Identiques à un fait près : la fin du vers 592 est effacée dans le premier exemplaire de Tolbiac (RES-YF-520) ainsi que dans celui de la Bibliothèque de la Sorbonne (RRA 8= 443), qui donnent « metamorph[...] », de la même manière, alors qu’elle est bien présente dans les autres exemplaires, qui donnent « metamorphoses; ».148

Deux nouvelles éditions et une traduction néerlandaise §

Si l’on considère l’édition originale et celles qui suivent, on remarque qu’elles couvrent plus de vingt ans, de 1637 à 1659. Ce fait, allié à l’existence d’une traduction, représentée sur le théâtre d’Amsterdam en 1653, pourrait bien être la trace d’un certain succès.

L’édition de 1652 §

Il existe une seconde édition de la pièce, datée de 1652, dont un exemplaire est disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal, sous la cote GD-23605. Elle nous a notamment confirmé dans nos corrections (pour une vingtaine de coquilles, notamment). Voici la description de l’exemplaire de l’Arsenal :

Un volume. In-8° par demi-feuille (remontage sur in-4°), IV-76 p.

[I] LA MORT / DE BRVTE / ET DE / CASSIE / OV LA VANGEANCE DE / LA MORT / DE CÆSAR. / TRAGEDIE. / PAR MONSIEVR DE BOVSCAL. / [fleuron de fonte] / Sur l’Imprimé. / A PARIS, / Chez Toussaint qvinet, au Palais, dans / la petite salle, sous la montée de la Cour / des Aydes. / M. DC. LII.

[II] [blanc ; feuillet non visible à cause du remontage].

[III] [blanc ; feuillet non visible à cause du remontage].

[IV] ACTEVRS.149

I-76 [le texte de la pièce, sans prologue et sans poèmes].

Alain Riffaud, à qui nous avons soumis nos clichés de l’exemplaire, indique que cette édition se présente comme une réimpression légitime de l’édition originale150, qui sort des presses d’Eléazar Mangeant à Caen. Ceci n’est pas anodin, quand on sait qu’un an plus tard paraîtra une traduction de la pièce en néerlandais. En effet, Caen était en relation maritime avec la Hollande.

Nous avons pu consulter un autre exemplaire de l’édition de 1652, qui se trouve à la Bibliothèque de Rennes Métropole (Les Champs Libres), sous la cote 88421 Rés (Fonds ancien). Cet exemplaire n’a pas subi de remontage sur in-4° ; il est revêtu d’une couverture et porte sur sa tranche l’indication : « LA MORT DE BRUTE 1652 ».

L’édition de 1659 §

Nous notons ici l’existence d’une autre réimpression légitime chez Claude La Rivière, à Lyon, en 1659, alors que le privilège était épuisé. Nous en avons compté deux exemplaires en France :

  • – Un à la Bibliothèque de l’Arsenal, sous la cote GD-21279.
  • – Un à la Bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-43/1.

Et un exemplaire en Allemagne (Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel).

Voici la description de l’exemplaire de l’Arsenal :

 

Un volume. In-8°, VIII-67 p.

[I] LA MORT / DE BRVTE / ET DE / PORCIE. / OV, / LA VENGEANCE / DE LA MORT / DE CESAR. / TRAGEDIE. / [fleuron] / A LYON, / Chez Clavde la Riviere, ruë / Merciere, à la Sience. M. DC. LIX.

[II] [blanc].

[III-VIII (haut de la page)] PROLOGVE DE / LA RENOMMÉE.

[VIII] ACTEVRS.151

I-67 [le texte de la pièce].

[68-70] [les poèmes sur Sylvie, jusqu’au vers 4 du quatrième poème, ce qui correspond au bas de la page 102 de l’édition de 1637, comme si l’imprimeur ne disposait pas des deux dernières pages de l’édition originale].

[71-74] [blanc].

Un an plus tôt, en 1658, Claude La Rivière avait publié La Mort de César « avec permissions ».152

Une traduction néerlandaise §

Enfin, il faut noter non sans surprise une traduction de la pièce en néerlandais, publiée à Amsterdam en 1653, sous le titre De Dood van Brutus en Cassius. Ce titre semble indiquer que l’édition qui a donné lieu à la traduction est celle publiée un an plus tôt, sous le titre singulier de La Mort de Brute et de Cassie.153 L’édition caennaise de 1652 est le fait d’Eléazar Mangeant, nous l’avons vu. Ce dernier, comme nous l’apprend Alain Riffaud, avait pour habitude d’inventer de fausses adresses néerlandaises, ce qui vient confirmer, pour la question qui nous intéresse, les liens entre Caen et la Hollande. Toutefois, les noms des traducteur, imprimeur et libraire (Pieter van Zeerijp, Tijmon et Dirck Cornelisz Houthaak) sont ici véridiques et la publication de la traduction n’est pas le fait de Mangeant. De façon cohérente, la collaboration entre l’imprimeur et le libraire avait déjà donné, en 1650, De Doodt van Julius Caezar, traduction de La Mort de César de Georges de Scudéry.154 Notons que Jacques Mangeant, le père d’Eléazar, avait lui-même contrefait la pièce de Scudéry en 1638, et qu’il l’avait rééditée en 1646.155 Nous n’avons pas pu consulter ces deux éditions pour les confronter à la traduction néerlandaise mais il est possible que les Houthaak aient puisé dans les éditions des Mangeant, ce qui est fort probable dans le cas de De Dood van Brutus en Cassius.

Nous avons repéré cinq exemplaires de cette traduction :

  • – Un à la Bibliothèque nationale de France (site de Tolbiac), sous la cote 8-YTH-67763.
  • – Trois aux Pays-Bas (à la Bibliotheek Rijksuniversiteit Groningen, à la Bibliothèque Universitaire de Leyde et dans une bibliothèque de l’Université d’Amsterdam).
  • – Un en Allemagne, à la Bayerische Staatsbibliothek. Il est partiellement visible sur Google Livres où la fin manque.156

Description de l’exemplaire disponible à la BnF :

Un volume. In-8°, à Amsterdam, chez Dirck Cornelisz Hoothaak, IV-42 p.

[I] DE DOOD VAN / BRUTUS / EN / CASSIUS. / Treur-Spel. / Gerijmt door P. Zeeryp. / Vertoont op d’Amsterdamsche Schouwburgh, / In ‘t Jaar MDCLIII. / [fleuron] / t’ Amsteldam, Gedrukt by TYMON HOVTHAAK, / Voor Dirck Cornelisz. Hoothaak, Boekverkooper, / op de hoek van de Nieuwezijds Kolck. I653.

[II] [blanc].

[III] [dédicace de P. Zeeryp] OPDRAGT, / Aan Monsr. / WYNANT SCHIMMEL.

[IV] [acteurs] VERTOONDERS.157

[I-42] [le texte de la pièce, sans prologue et sans poèmes].

La page de titre indique que cette traduction a été représentée « sur le théâtre d’Amsterdam l’an 1653 ». De fait, la première représentation sur la scène de l’Amsterdam Schouwburg date du 3 février 1653. Il faut noter que Pieter van Zeeerijp, le traducteur de la pièce de Guérin de Bouscal, a également été acteur de 1640 à 1655. Néanmoins, nous ne savons pas s’il a pu jouer dans De Dood van Brutus en Cassius.158

Cette traduction semble assez fidèle au texte : bien souvent, elle est littérale ; par ailleurs, l’enchaînement des scènes et des prises de parole est généralement respecté. Il s’agit d’une traduction versifiée marquée par un certain effort : ainsi, les stances de Porcie (IV, 4) se présentent, comme chez Guérin de Bouscal, sous une forme hétérométrique.159 Cependant, il arrive que la densité des répliques soit atteinte : par exemple, la tirade de Brutus exhortant ses soldats dans une scène qui correspond à V, 1160 est singulièrement raccourcie. Entre ce qui correspond à nos vers 1622 et 1623, une didascalie annonce le corps de Porcie, ce qui n’était pas le cas chez Guérin de Bouscal.161 Il est possible que cette didascalie soit le fruit d’une mauvaise interprétation des vers 1655-1656 ; elle présente toutefois l’intérêt de mettre sur scène le cadavre de la dernière des suicidés, en cohérence avec le traitement des cas précédents (Cassie, Titine, Brute et Straton). Il faut par ailleurs signaler l’ajout de deux scènes entre nos scènes I, 4 et I, 5. Lors de la première, très brève, un Chef de Brutus annonce la venue de Cassius. Lors de la seconde, un contentieux oppose violemment les deux hommes, qui finissent par se réconcilier et « s’embrasser avec joie ».162

Interventions sur le texte §

Remarques liminaires §

Au début du XVIIe siècle, l’orthographe n’était pas encore fixée. Par ailleurs, des variations sont sensibles au sein d’une même édition, entre différents groupes de cahiers, selon le travail de l’ouvrier. Pour illustrer le propos, voici trois exemples :

  • – 1°) Celui de la famille de lâche est frappant : â noté as apparaît dans les cahiers C, D, E, G, M et N ; â noté a dans les cahiers G et H ; â noté â dans les cahiers K et L. On remarque qu’à une occurrence près (qui peut être involontaire), quatre séquences de cahiers se succèdent, avec chacune leur propre norme, exclusive : as, a, â puis de nouveau as.163
  • – 2°) Le mot soin apparaît sous la forme soing dans les deux derniers cahiers uniquement, où cette graphie est dominante.164
  • – 3°) Le verbe (re) connaître alterne entre sa graphie habituelle ([re] connoistre) et une graphie étymologique ([re] cognoistre). La forme en -GN- apparaît six fois, dans les cahiers A, M et N ; la forme en -NN- onze fois, dans les cahiers B, D, F, G, H, I et L : il n’y a pas de concurrence au sein d’un même cahier.

Pour les imprimeurs de notre pièce, Alain Riffaud donne les noms de Denis Houssaye, pour le cahier liminaire, et de Jacques Dugast, pour les cahiers A à N. De manière générale, il qualifie leur travail respectivement de « souvent correct » et « de qualité ».165

Corrections d’usage et corrections systématiques §

  • – Distinction entre i et j et entre u et v.
  • –  devient s.
  • – Suppression de l’esperluette (&) au profit de la conjonction et.
  • – Suppression des tildes (~) signalant une nasalisation et rétablissement des consonnes en conséquence (par exemple, au début de l’épître, « cõpo∫ent » devient « composent »).
  • – Rétablissement et normalisation des accents diacritiques : « celle-la », v. 408, 958 ; « Celuy-la », v. 461 ; « celuy-la », v. 1405 ; « Au dela », v. 608 ; « a », v. 619 ; « voila », v. 1454 ; « la bas », v. 1579 ; « ou », premier sonnet, v. 9 ; « où », stances, v. 18, 20.
  • – Systématisation du redoublement du r au futur et au conditionnel (verbes pouvoir, mourir et voir) : « pouroit », v. 799 ; « pouroient », v. 989, 1575 ; « mouroit », v. 1162 ; « moura », v. 1210 ; « mouray », pièce, v. 1291 et sonnet pour la mesme, v. 4 ; « veray », v. 1531.166

Coquilles §

La comparaison systématique des différentes éditions montre que celle de 1652 (Arsenal, GD-23605) corrige bien souvent des coquilles de l’édition originale. Alain Riffaud nous a confié que « si le travail typographique lui-même, dans l’atelier d’Eléazar Mangeant, est des plus médiocres, en revanche souvent cet imprimeur porte attention au texte et le corrige. » Ce jugement sur la production caennaise nous semble autoriser notre intuition première. Ainsi, nous marquons d’un astérisque les cas où nous avons suivi l’édition de 1652.

ACTE PREMIER §

v. 75 : « longs-temps »167 devient « long-temps » *

v. 219 : « auroit » devient « auroient » *

v. 249 : « n’escoustez » devient « n’escoutez »

ACTE SECOND §

v. 316 : « ces » devient « ses »

v. 318 : « ces » devient « ses »

v. 396 : « ses » devient « ces »

v. 445 : « ces » devient « ses » *

ACTE TROISIEME §

v. 592 : « ses » devient « ces »

v. 662 : « ces » devient « ses »168

v. 666 : « ces » devient « ses » *

v. 680 : « craignist » devient « craignit » *

v. 684 : « Emisphere »169 devient « Hemisphere » *

v. 701 : « commandat » et « retirat » deviennent « commanda » * et « retirast » *

v. 704 : « sa » devient « la »

v. 775 : « son » devient « ton »

v. 798 : « vaiqueurs » devient « vainqueurs » *

v. 862 : « torans »170 devient « torrens » *

ACTE QUATRIEME §

v. 897 : « fort » devient « sort » *

v. 931 : « l’ « devient « s’ »

v. 934 : « Qu’il » devient « Qui »171

v. 978 : « Il songe la vengeance » devient « Il songe à la vengeance »

v. 1115 : « resentiment »172 devient « ressentiment » *

v. 1122 : « resentir » devient « ressentir » *

ACTE CINQUIEME §

v. 1238 : « des trosnes des Dieux » devient « les trosnes des Dieux »

v. 1464 : « veux » devient « vœux » *

v. 1490 : « perçer » devient « percer » *

v. 1551 : « veu » devient « vœu » *

v. 1553 : « balançer » devient « balancer » *

v. 1565 : « ces » devient « ses »

v. 1565 : « ils restent » devient « il reste »

v. 1579 : « impeteux » devient « impetueux » *

v. 1584 : « vient » et « dit » deviennent « viens » et « dis »

v. 1591 : « ces » devient « ses »

v. 1621 : « ce » devient « se » *

v. 1643 : « fronds »173 devient « fronts » *

v. 1649 : « souffrent » devient « souffre » *

v. 1654 : « ce » devient « se » *

v. 1669 : « frond » devient « front » *

CHANSON §

v. 15 : « ce » devient « se »

PREMIER SONNET §

v. 14 : « resenti » devient « ressenti »

A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOËL §

v. 6 : « raisonner » devient « résonner »

Ponctuation §

La ponctuation au XVIIe siècle ne connaissait pas les mêmes règles que les nôtres. Aussi, le lecteur ne sera plus étonné, s’il considère la ponctuation comme un guide pour la déclamation, qui rythme le discours et détermine la hauteur de la voix.174 Nous avons ainsi, par exemple, laissé le point dans le cadre de questions oratoires (voir notamment les vers 554 et 1480).

Nous avons rectifié la ponctuation lorsque cela s’avérait nécessaire :

  • – ponctuation finale du vers 158 : transformation du point en virgule ;
  • – ponctuation finale du vers 620 : transformation du point en point d’interrogation ;
  • – ponctuation finale du vers 711 : transformation de la virgule en point* ;
  • – v. 731 : « Titine. » devient « Titine... »175 ;
  • – ponctuation finale du vers 1107 : transformation de la virgule en point* ;
  • – ponctuation finale du vers 1297 : transformation de la virgule en point* ;
  • – ponctuation finale du vers 1414 : transformation du point en point d’interrogation.

Notons que l’usage des points de suspension n’est pas systématique dans l’édition de 1637. Les interruptions du discours sont marquées de trois façons différentes :

  • – par l’absence de ponctuation (v. 172) ;
  • – par la virgule (v. 617, 731, 1281) ;
  • – par les points de suspension (v. 649, 653).

Diérèses et synérèses §

Diérèses (typologie par ordre d’importance quantitative) §
-I[/Y] ON §

« rebellion » (prologue, v. 38) ; « Lyon » (prologue, v. 39), « lyon » (v. 473) ; « actions » (prologue, v. 137 ; pièce, v. 35, 585), « action » (v. 615, 824) ; « adversion » (v. 31, 853) ; « passion » (pièce, v. 32, 148 ; sonnet pour la mesme, v. 11), « passions » (v. 586) ; « obligations » (v. 36) ; « occasion » (v. 93, 1307) ; « resolution » (v. 117) ; « presomption » (v. 147) ; « affection » (pièce, v. 175, 482 ; stances, v. 15) ; « perfection » (v. 176 ; stances, v. 16) ; « punition » (v. 366), « punitions » (v. 368) ; « inventions » (v. 367) ; « ambition » (v. 333, 854, 1640) ; « reflexion » (v. 426) ; « protection » (v. 481) ; « possession » (v. 1209) ; « Pelion » (v. 1550).

-IEUX §

« victorieux » (prologue, v. 128 ; pièce, v. 23, 227, 582, 1111) ; « furieux » (prologue, v. 129 ; pièce, v. 1241, 1353) ; « ambitieux » (v. 20, 550, 1495) ; « gracieux » (v. 399) ; « precieux » (v. 548, 1170) ; « injurieux » (v. 959, 1523, 1609) ; « glorieux » (v. 1237) ; « officieux » (v. 1355, 1593).

e muet prononcé §

« tuent » (v. 362) ; « Cassie » (v. 703) ; « Demetrie » (v. 738) ; « je m’oublie » (v. 1148) ; « j’aye » (v. 1172 [deux fois]) ; « Ils fuyent » (v. 1205) ; « Morphée » (v. 1257) ; « Porcie » (v. 1598) ; « Renoüent » (v. 1650) ; « Sylvie » (chanson, v. 13) ; « Croye » (stances, v. 30).

I-[e/ɛ] §

« hier » (pièce, v. 391 ; chanson, v. 14) ; « s’humilier » (v. 589) ; « expier » (v. 792) ; « impieté » (v. 1060) ; « inquietude » (v. 1256) ; « chastier » (v. 1308).

Autres diérèses §
  • – I-O : « violent » (v. 196, 260), « violant » (v. 1129, 1615), « violance » (v. 512) ; « mediocre » (v. 718) ;
  • – I-[ɑ̃] : « aliance » (prologue, v. 110) ; « impatience » (v. 105), « impatiance » (v. 333) ;
  • – I-[ɛ̃] : « lien » (v. 1168, 1514) ; « anciens » (v. 1650) ;
  • – « jouyr » (prologue, v. 100 ; pièce, v. 1285) ;
  • – « fuyr » (prologue, v. 122).
Synérèses §

Hormis une exception (« fleau », v. 1138), elles concernent toutes le même type de syllabe (consonne + RIER[/Z]) :

  • – « meurtriers » (prologue, v. 159 ; pièce, v. 109, 316, 882, 1565), « meurtrier » (v. 750, 790, 1537, 1576) ;
  • – « rencontriez » (v. 283) ;
  • – « démordriez » (v. 1018) ;
  • – « Voudriez » (v. 1119), « voudriez » (v. 1561) ;
  • – « l’ouvrier » (v. 1636).

LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE,
OU, LA VENGEANCE DE LA MORT DE CESAR.
TRAGEDIE. §

A MONSEIGNEUR L’EMINENTISSIME CARDINAL DUC DE RICHELIEU. §

Monseigneur,

La plus grande partie de nos Escrivains composent leurs Epistres des esloges de ceux à qui ils dédient leurs ouvrages comme des raisons pour authoriser* leur choix, et ne prennent pas garde que le plus souvent ces mesmes raisons les condamnent. Si je mettois ce mauvais livre soubs la protection de vostre Eminence, pource qu’elle protege les Empires; que je me promisse qu’elle le recevra, pource qu’elle refuse les couronnes, et que je creusse qu’elle l’estimera, pource qu’il n’y a rien au monde digne de son estime; Je rencontrerois sans doute ce qu’ils veulent éviter, et ferois veoir un exemple de ce que je desapreuve176: Mais ce n’est pas pour tout cela, Monseigneur, c’est seulement pource que je suis,

Monseigneur,

Vostre tres-humble, tres-obeïssant et tres-fidelle serviteur,

GUERIN DE BOUSCAL

PRIVILEGE DU ROY. §

Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, à nos amez et feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistre des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et autres nos Justiciers, et Officiers qu’il appartiendra, salut. Nostre cher et bien amé Guion Guerin de Bouscal, nous a fait remonstrer qu’il a composé un livre intitulé, La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar, qu’il desireroit faire imprimer et mettre en lumiere: Mais craignant qu’à son prejudice autres Imprimeurs que celuy qu’il a choisy pour cét effect, voulussent imprimer ledit livre, et l’exposer en vente. Il nous a tres-humblement supplié luy octroyer nos Lettres sur ce necessaires. A ces causes, desirant favorablement traicter ledit exposant, Nous luy avons permis et permettons par ces presentes de faire imprimer, faire vendre et debiter ledit livre en tous les lieux et terres de nostre obeyssance, par tels Imprimeurs, en telles marges et caracteres, et autant de fois qu’il voudra durant le temps et espace de neuf ans entiers et accomplis, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer. Faisant deffences à tous Imprimeurs, Libraires et autres de quelques condition qu’ils soient, d’imprimer, vendre ny distribuer ledit livre sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy en vertu des presentes, ny mesme d’en prendre le titre ou le contrefaire en telle sorte et maniere que ce soit soubs couleur de fauce marge ou autre déguisement, sur peine aux contrevenans de quinze cents livres d’amende, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous les despens dommages et interests. A la charge d’en mettre deux exemplaires en nostre Bibliotheque, Et un en celle de nostre amé et feal le Sieur Seguier Chevalier Chancelier de France, avant que de l’exposer en vente, suivant nos Reglemens, à peine d’estre descheu du present Privilege. Donné à Paris le vingt-troisiesme jour de Juillet l’an de grace mil six cents trente-sept.177 Et de nostre regne le vingt-septiesme. Par le Roy en son Conseil, De Beav178rains. Et sellé du grand seau de cire jaune.

ET ledit sieur de Bouscal a cedé et transporté le present Privilege à Toussainct Quinet, Marchand Libraire à Paris, pour jouyr du contenu en iceluy, ainsi qu’il a esté accordé entr’eux par acte de seiziesme Janvier 1637.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 20. Fevrier 1637.

Les exemplaires ont esté fournis.

ACTEURS §

  • BRUTE,
  • STRATON, Amy de Brute.
  • CASSIE,
  • PORCIE, Femme de Brute.
  • OCTAVE,
  • MARC-ANTHOINE.
  • TITINE,
  • PINDARE, Affranchi de Cassie.
  • DEMETRIE,
  • LA SUIVANTE DE PORCIE,
  • LES MESSAGERS.
  • LES CHEFS DE L’ARMEE DE BRUTE.
  • LES CHEFS DE L’ARMEE D’ANTOINE179.
  • LE MEDECIN D’OCTAVE.180
La Scene est en la plaine de Philipes en Macedoine.
[A, 1]

LA VENGEANCE DE LA MORT DE CÆSAR.
PROLOGUE DE LA RENOMMEE. §

Esprise* d’un ardent désir
De voir les veritables sources
Des grands sujets de tant de courses
Qui ne me laissent pas un moment de loisir;
5 J’ay voulu descendre en ces lieux
Que des illustres demy Dieux
Signalent tous les jours par de nouveaux Oracles,
Où j’ay veu ce grand Roy, dont le nom seulement
Porte par tout l’estonnement*, [p. 2]
10 Et force la Nature à souffrir de miracles.
Prés de luy cét esprit fameux,181
Dont j’ay tant chanté les merveilles
Charmoit* les yeux et les oreilles
Et faisoit confesser que tout luy doit de vœux.182
15 Aussi confuse à cét aspect,
Mon front s’est couvert d’un respect
Que jamais tous les Dieux n’avoient peu faire naistre,
Mes bouches ont perdu l’usage de la voix,
Mon cor m’est eschappé des doigts,
20 Et j’ay repris mon vol sans me faire cognoistre*.183
Mais ayant rapellé mes sens,
Je vay dire à toute la terre184
Que dans la paix et dans la guerre
Ce Prince peut toujours braver les plus puissans,
25 Tout tremble à ses moindres projets.
S’il vouloit gagner des sujets,
Et faire une entreprise égale à sa puissance,
Malgré l’empeschement des peuples et des Rois,
Tous les hommes seroient François,
30 Les bords de l’Univers seroient ceux de la France.
Comme Alcide dans le berceau,
Forçant la foiblesse de l’âge
Estoufa la sanglante rage
Des serpents qui venoient le pousser au tombeau.
35 Ce Prince à peine avoit encor [p. 3]
Cét honorable chapeau d’or,
De qui toujours la peine est fidelle compagne,
Quand avec le flambeau de la rebellion
Il estouffa ce grand Lyon,
40 Qui pour le devorer estoit venu d’Espagne.185
Depuis ses plus charmans esbats,
Ont esté parmy les armées
A voir de bandes* animées,
S’entreverser le sang au milieu des combats:
45 Car cét ennemy conjuré,
Qui depuis long-temps a juré
De ne laisser jamais ses voisins dans le calme,
Donnant à ses desseins cent visages divers,
A fait agir tout l’Univers
50 Pour despoüiller son front d’une si belle palme.
Mais ce miracle des mortels
Qui mille fois le jour m’oblige
A proclamer comme un prodige
La moindre des Vertus* qui luy font des Autels;
55 Par de moyens miraculeux186
Previt ses desseins frauduleux,
Et destourna si bien les coups de cét orage,
Que bien loing de l’effect qu’on s’en estoit promis,
Il tomba sur vos ennemis
60 Qui fremissent encor et de honte et de rage.
C’est icy, genereux* François, [p. 4]
Que l’honneur de vostre patrie
Vous permet sans idolatrie
D’adorer en luy seul le soustien de vos lois.
65 Voyez ce grand Astre d’amour
Ne reposer ny nuict ny jour,
Et pour vous acquerir une paix de durée,
Perdre tous ses plaisirs dans des soucis cuisans
Qui rendroient les Sceptres pesans
70 Entre les fortes mains d’Atlas et Briarée187.
Voyez vostre Nef* se vanter
Que sur l’Empire de Neptune188,
Malgré les vents et la Fortune189
Il n’est rien dont l’effort la puisse espouventer,
75 L’ennemy fuit à son abord*,
Elle a de tous costez le port,
La mer tout à l’entour ne monstre point de ride,
Jamais l’anchre ne fut en un si Riche lieu,
Et cét illustre demy-Dieu
80 La boussole à la main la conserve et la guide.
Voyez vos ennemis domptez
En vos batailles signalées
Graver dessus* leurs Mausolées
La valeur de celuy qui les a surmontez.
85 Admirez que si l’Espagnol
N’eust pas voulu porter son vol
Sur les terres d’autruy, comme l’Aigle Romaine190, [p. 5]

Les drapeaux que sur luy vous avez emportez,

Pourroient couvrir de tous costez
90 Les steriles deserts de son petit domaine.
Admirez que dans le discort*
Qui divise l’Europe entiere,
Vous avez une ample matiere
De mespriser les vents, et de dormir au port.
95 Qui diroit à voir vos esbats
95 Que dans de si sanglans combats
Les armes des François fussent interessées ?
Si je n’avois le soin de prescher en tous lieux
Qu’un grand esprit aymé des Dieux
100 Vous fait jouyr en paix du fruict de ses pensées.
100 Puis tous d’une commune voix,
Faites retentir dans les nuës
Combien ses vertus* recogneuës
Portent haut la splendeur du Trosne de vos Roix.
105 Tous les peuples que le Soleil
105 Esclaire de son teint vermeil
Tremblent espouvantez au seul nom de la France;
Et l’orgueilleux Tyran des hardis Otthomans,
Conserve dans ses documens
110 Plus cher que le Croissant son serment d’aliance.191
110 Ce grand esprit portant icy
La valeur des peuples de Thrace,
Y porta le Mont de Parnasse, [p. 6]
Apollon et ses sœurs le suivirent aussy.192
115 C’est là que quelquefois lassé
115 Du soin present et du passé,
Il voit avec plaisir grimper mille Poëtes,
Et ne desdaigne pas, tant son cœur est humain,
D’ouvrir avec sa propre main
120 Des bouches qui sans luy demeureroient muetes.
J’ay sceu par un de mes Couriers*,
Que pour fuyr l’ingratitude,
On voit des fruicts de cét estude193
Qu’on ne sçauroit payer avec mille lauriers194.
125 L’un fait voir Hercule enchanté
Par les charmes* d’une beauté
Negliger sa valeur ainsi que son espouse,
Et confesser enfin qu’estre victorieux
Des monstres les plus furieux
130 Est moins que de dompter une femme jalouse.195
130 L’autre nous monstre clairement
Dans la perte de Massinisse,
Que qui veut bastir sur le vice
Esprouve tot ou tard quel est ce fondement.196
135 L’autre nous fait voir que l’amour
135 Desrobe le lustre et le jour
Aux belles actions d’un Empereur de Rome;197
Et l’autre nous montrant un Roy dans sa maison
Frustré de l’effet du poison, [p. 7]
140 Fait voir qu’est198 devant Dieu la sagesse de l’homme.199
140 L’autre, du premier des Cæsars
Nous fit voir la fin deplorable,
Et combien il fut misérable
De ne mourir plustost au milieu des hazards.
145 Ce Prince l’honneur des guerriers,
145 Le front couronné de lauriers,
Fut de la trahison la sanglante victime,
Dans les pompes du Trosne il trouva le tombeau,
Son favory fut son borreau,
150 L’injustice son Juge, et la vertu* son crime.200
150 Mes yeux apres ce coup fatal,
Firent l’office de mes bouches,
Et les ames les plus farouches
Pasmerent au recit d’un crime si brutal.
155 Tout l’Univers alloit mourir
155 Quand le Ciel pour le secourir
Fit partir de ses mains un équitable foudre201,
Les plaines de Philippe en virent les effets,
Tous les meurtriers furent defaits*,
160 Cæsar y triompha qui n’estoit plus que poudre*.
160 Jamais un plus beau chastiment
Ne tint la Justice occupée:
Jamais on ne vit son espée
Abbatre de mutin plus equitablement.
165 Cét objet pleut tant à mes yeux, [p. 8]
165 Que j’arreste encore en ces lieux
Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre,
Où Brute et sa vertu* confesseront en fin
Qu’à moins que d’un coup du Destin,
170 Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre.
[B, 9]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

BRUTE, STRATON, et deux Chefs de l’armée de Brute.

Brute.

Qu’un Estat est mal sain dans le siecle où nous sommes,
Lors qu’il n’a pour soustien que le grand nombre d’hommes,
Dont les desirs divers par de divers efforts [p. 10]
Au lieu de l’affermir desunissent son corps.
5 Que je l’esprouve bien dedans* cét avanture*.202
L’un desire la paix escoutant la Nature,
Qui luy dit que ses fils condamnez à mourir
Avec ce seul moyen se peuvent secourir.
L’autre moins resolu de survivre en esclave,
10 Declame contre Anthoine, et favorise Octave,
Comme si nos fureurs avoient pour leur objet
Le vice des Tyrans et non pas leur projet.
Bref il en est bien peu que le seul honneur pique,
Qui ne soient animez que pour la Republique,
15 Et qui puissent gouster avec tranquilité,
Que nous devons mourir pour nostre liberté.
Je m’asseure pourtant que nos Dieux tutelaires
Ayment trop l’equité pour nous estre contraires,
Et pour ne pas punir l’insolent attentat*
20 Que ces ambitieux ont fait sur nostre Estat.
Il faut tout esperer d’une juste entreprise,
Si l’honneur la produit, le Ciel la favorise;
Et l’on doit s’asseurer d’estre victorieux,
Quand le droict qu’on soustient est la cause des Dieux.
25 Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu’il n’est point d’homme,
Qui puisse meriter leur Lieutenance* à Rome,
Depuis que le Soleil n’esclaire rien d’humain [p. 11]
Qui ne doive tribut à l’Empire Romain
J’adore leurs Decrets, et mon ame flechie,
30 Se sous-met seulement à cette Monarchie;
Tout autre me desplait, et mon adversion
Vient d’un raisonnement exempt de passion;
Car un peuple sousmis aux volontez d’un Prince
Se descharge sur luy des soins de la Province,
35 Neglige sa valeur, cache ses actions,
Content de s’acquiter des obligations;
Parce que les exploits plus dignes de memoire,
Honorant le seul Chef, laissent l’Autheur sans gloire;
Qui voit apres avoir vaillament combatu,
40 Qu’un autre s’enrichit des fruicts de sa vertu*.
Au lieu que sous les loix de la Democratie,
Chacun cherche l’honneur aux despens de sa vie,
Asseuré que toujours la generosité*
S’y voit recompenser comme elle a merité.
45 Puis qu’à ce doux Estat notre bon-heur nous range,
Il faut mourir plustost que de souffrir le change*.
Ha ! si tous les Romains combattoient comme vous,
Que nostre Republique auroit un sort bien doux,
Et qu’on verroit bien tost les desseins et l’armée
50 De nos pretendus Rois se reduire en fumée.
Aussi la recompense égalant le bien-fait,
Rendra dans peu de temps vostre bon-heur parfait. [p. 12]

i. Chef.

L’honneur de vous servir contre la tyrannie,
Couronne les Romains d’une gloire infinie,
55 Dont le moindre rayon nous récompense assez,
Des soins* de l’advenir, et des travaux* passez,

Brute.

Allez donc dans le Camp, dites aux Capitaines,
Qu’on doit bien tost finir mes soucis et leurs peines,
Et que la liberté reprendra sa vigueur,
60 S’ils monstrent au combat qu’ils en ont dans le cœur*.

SCENE II. §

CASSIE, BRUTE, TITINE.

Cassie.

Resolu qu’aujourd’huy la bataille se donne ?

Brute.

Je croy que ce dessein ne déplaist à personne,
Et que les maux soufferts par le peuple Romain,
Nous preschent qu’il vaut mieux aujourd’huy que demain. [p. 13]

Cassie.

65 Il me semble pourtant que tout nous peut permettre,
Sinon de l’eviter, au moins de la remettre,
Puis que tous nos amis n’ont point de sentimens
Pour s’opposer jamais à nos commandemens;
Et que les Citoyens touchez de mesme envie
70 Déposent en nos mains le soucy de leur vie.

Brute.

Un peuple va toujours, quelque aguerry qu’il soit,
A finir promptement les ennuis* qu’il reçoit,
Aymant mieux pour treuver le repos desirable,
S’exposer aux dangers d’une fin lamentable,
75 Que de souffrir long-temps au milieu des travaux*,
La funeste rigueur d’une suite de maux,
Juge si nos Romains exilez de leur terre,
Et déja fatiguez d’une si longue guerre,
Sçachant que le combat la doit faire cesser,
80 N’ont pas d’ardens desirs de le voir commancer.    
Que si pourtant leur voix tesmoigne le contraire,
Elle dément leur cœur de peur de te déplaire.

Cassie.

Il n’est rien de forcé dedans* tous leurs discours. [p. 14]

Brute.

Le mal a trop duré, rompons icy son cours.
85 Cherchons nous le profit, ou bien la vaine gloire    
De triompher des morts apres une victoire ?
Celle de ravager l’Empire des Romains,
Et de pouvoir agir avec cent mille mains ?
Non, un plus beau dessein nous fit prendre l’espée,
90 Nous voulons affranchir nostre terre occupée,
Restablir nos amis dans leur premier bon-heur,
Et monter au degré d’un souverain honneur,
Puis que l’occasion s’en offre si propice,
Faisons voir aujourd’huy quelle est nostre Justice,
95 Et que ses fiers* tyrans percez de mille coups,
Asseurent pour jamais nos libertez et nous.

Cassie.

Dans un si beau dessein mon ame interessée,
Par ton ressentiment* explique ma pensée,
Tes desirs sont les miens, et celuy d’estre Roy
100 M’a toujours fait horreur aussi bien comme à toy;
Je ne le puis souffrir, Nature la premiere
M’inspira cette haine avecque la lumiere,
Ma raison la receut, et depuis nos sermens
En ont authorisé* les justes mouvemens:
105 Mais je ne sçay pourtant si cette impatience
D’aller voir l’ennemy, n’a point de l’imprudence, [p. 15]
Et si precipitant le dessein du combat,
Nous ne reculons point le bien de nostre Estat.

Brute.

Rome que ces meurtriers remplissent de carnage,
110 Nous demande secours, parle à nostre courage,
Et nous pouvons bien voir aux plaintes qu’elle fait,
Que le retardement le rendroit sans effet:
Ne le differons plus, secondons son attente,
Ranimons aujourd’huy la liberté mourante,
115 Redonnons au païs la vigueur de ses lois,
Secourir promptement, c’est secourir deux fois.

Cassie.

Ta resolution si digne de loüange
Fait que contre mon cœur, ma volonté se range;
Combattons donc, cher Brute, et dans le Champ de Mars,
120 Aussi bien qu’au Senat, poignardons des Cæsars.

Brute.

Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre*,
Que je cherche à mourir pour n’avoir point de Maistre.

Cassie.

Et les miens feront voir, quoy qu’il faille tenter, [p. 16]
Que ce bras n’est armé qu’afin de l’éviter.

Brute.

125 Adieu donc, l’heure presse, il faut que je m’en aille
Minuter en repos l’ordre de la bataille.

SCENE III. §

CASSIE, TITINE.

Cassie.

C’est bien contre mon cœur qu’avec si peu de mains,
Nous allons hazarder le salut des Romains:
Mais Brute en ses discours, a je ne sçay quels charmes*,
130 Qui forcent la raison à luy rendre les armes;
Je consens au combat malgré mon sentiment,
Et je crains la rigueur d’un triste evenement. [p. C, 17]

Titine.

Les Dieux seront pour nous, s’ils sont pour la Justice,
Leur bonté ne sçauroit favoriser le vice,
135 Et j’espere aujourd’huy que tous nos differens
Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans.

Cassie.

La cause la plus juste est bien souvent trompée,
Et j’en prens à tesmoin la perte de Pompée.
Ce n’est pas que mon cœur se forme de soupçons
140 Que nous n’obtiendrons pas ce que nous pourchassons;
Mais alors203 qu’il s’agit de l’Empire de Rome,
Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme,
Et dans l’Estat flotant de nostre liberté,
L’asseurance me semble une stupidité.

Titine.

145 Pompée avoit pour but d’assujettir l’Empire,
Et ce mauvais dessein luy fit avoir du pire204.

Cassie.

On ne l’a jamais sceu que par presomption. [p. 18]

Titine.

Les Dieux dedans* son cœur lisoient sa passion,
Rien ne se peut cacher à ces grandes lumieres.

Cassie.

150 C’est assez disputé sur ces vaines matieres,
Il est temps de songer que nous devons ce jour
Faire voir des effets et de haine et d’amour.

SCENE IV. §

BRUTE, son mauvais Genie.

Brute.

J’auray la pointe205 droite, et ma Cavalerie
Essuyera206 des traits la premiere furie,
155 Massala la doit suivre avec un peloton,
Qui sera soûtenu par celuy de Straton:
Et pour perdre en un jour tyrans et tyrannie;
Mais qu’est-ce que je voy ?

Le Genie.

C’est ton mauvais Genie*,
Qui te vient advertir que dans fort peu de temps [p. 19]
160 Tu le pourras revoir parmy les combatans.

Brute.

Hé bien, nous t’y verrons, je veux combatre Octave,
Et faire d’un Roy feint un veritable esclave;
Cassie aura la gauche, et le soin d’ordonner
Comme on s’y conduira quand il faudra donner*.
165 Mais déja le Soleil vient esclairer la terre
Pour commancer le jour qui doit finir la guerre;
Allons voir nos Soldats, et mettre dans leurs cœurs
Le desir de mourir ou de vivre vainqueurs.

SCENE V. §

PORCIE, BRUTE.

Porcie.

Tu vas donc au combat ?

Brute.

La liberté m’appelle,
170 Et je serois content de m’immoler pour elle,
Si je pouvois sçavoir ma Porcie en repos, [p. 20]
Loin des troubles que Mars

Porcie.

Brise là ce propos,
Il choque ma vertu* qui seroit offensee
S’il estoit aprouvé d’une seule pensee;
175 Quoy ! Brute doute encor que mon affection
Ne soit pas au degré de la perfection:
Du repos loin de luy, sans qui mesme la vie
Ne sçauroit me durer que contre mon envie.
Ha ! c’est trop, et ce coup me touche plus le cœur,
180 Que la crainte de voir nostre ennemy vainqueur.
La fille de Caton nasquit parmy les armes,
Les horreurs des combats ont pour elle des charmes*;
Et son repos s’y treuve ainsi qu’en tous les lieux,
Où Brute luy paroist favorisé des Dieux.
185 Que le Ciel conjuré se range pour Octave,
Que le peuple Romain demande d’estre esclave,
Que par ces changemens l’espoir te soit osté,
De restablir jamais l’antique liberté.
Qu’apres estre bannis de nostre chere terre,
190 Tout l’Empire assemblé nous declare la guerre,
Et que tous les malheurs accompagnent nos pas,
Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas. [p. 21]

Brute.

Que percé de cent coups au milieu des batailles,
Le vainqueur insolent m’arrache les entrailles;
195 Si tu vis pour chanter l’honneur de mon trespas*,
Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas.

Porcie.

Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes*
Portent au plus haut point leur rigueur et mes peines;
Si je puis par ma mort t’exempter du trespas*,
200 J’en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas.

Brute.

Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre,
Avecque ton repos celuy de nostre terre,
Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas*,
Je seray satisfait, et ne me plaindray pas.

Porcie.

205 Quand Rome reprendroit cette grande puissance
Qui rangea l’Univers sous son obeïssance,
Si nous devions ce bien à la fin de tes jours,
Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours.
Ne me commande pas de conserver la vie,
210 Si nostre malheur veut qu’elle te soit ravie, [p. 22]
Icy l’obeïssance excede mon pouvoir,
Et la necessité m’enseigne mon devoir;
Ouy, Brute, ton trespas* rend le mien necessaire,
Soit pour me delivrer des mains de l’adversaire,
215 Soit pour ne faire pas un prodige nouveau,
Laissant durer un corps dont l’ame est au tombeau,
Ou bien pour te monstrer que cessant d’estre libre,
La fille de Caton perd le pouvoir de vivre.

Brute.

Tant de rares vertus* auroient bien merité
220 Dans un siecle plus doux un sort plus arresté;
Si la raison sçavoit balancer* toutes choses,
Jamais aucun soucy n’eust approché tes roses*,
Et toujours les douceurs de mille doux plaisirs
Eussent charmé* tes sens, et passé tes desirs;
225 J’espere toutefois qu’une bonté supreme
Reserve à nos travaux* cette faveur extreme.
Qu’un jour victorieux et triomphans des Rois,
Rome nous nommera protecteurs de ses lois,
Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme,
230 Alors nostre repos n’aura rien que de ferme,
Alors ne craignant plus pour nostre commun bien,
Jamais mon sentiment ne choquera* le tien,
Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye,
Ne feront à nos jours qu’une trame de soye,207 [p. 23]
235 Et quand leur providence en coupera le cours,
Nos noms et nos vertus* demeureront tousjours.
Cependant, mon cher cœur, permets que je m’en aille
Disposer mes soldats à donner la bataille,
L’heure me presse, adieu.

Porcie.

Va donc, mon cher soucy*,
240 Certain que si tu meurs je veux mourir aussi.

SCENE VI. §

PORCIE, sa Compagne.

Porcie.

Donques les bras croisez en ce malheur extresme
Je me voy sans rougir differente à moy mesme ?
Doncques ma lascheté m’oste le souvenir
Que Brute ce heros* vient de m’entretenir !
245 Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image
Vient defendre à mes yeux de vous donner passage,
Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy*,
Cedez à la vertu* qui vous bannit d’icy,
Mais non, n’escoutez point ma requeste importune, [p. 24]
250 La vertu* se plaindroit en pareille fortune.
Je voy tout ce que j’ayme en danger aujourd’huy,
Brute et la liberté qui ne vit plus qu’en luy;
Toutesfois banissons ce mouvement de femme,
Ma naissance suffit pour instruire mon ame,
255 En vain irois-je ailleurs rechercher un patron*,
C’est assez que je suis la fille de Caton,
Sus* donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles
Que je brusle d’ardeur de combattre pour elles,
Et qu’avec son portraict mon pere a mis en moy
260 Un desir violent de n’avoir point de Roy;
Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes
Je sçay verser du sang aussi bien que des larmes,
Allons braver la mort au camp des ennemis,
Et vengeons aujourd’huy les maux qu’ils ont commis:
265 Il ne m’importe point d’obtenir la victoire,
Mon sort est assez beau, je n’ay que trop de gloire
Pourveu que combattant pour le peuple Romain
Je meure comme Brute une espée à la main:
Toy ne traverse* point ce conseil* salutaire,
270 Aussi seroit-ce en vain qu’on m’en voudroit distraire,
Il est grand, il est juste, et selon la saison*.208

La Compagne.

Mais vous ne dites pas qu’il choque la raison,
Madame, moderez cette boüillante rage, [p. D, 25]
Pour mieux voir le danger où vostre esprit s’engage:
275 Quoy ! sommes-nous tombez en de si foibles mains,
Que vous n’esperiez rien du salut des Romains ?
Brute auroit-il perdu son courage heroïque* ?
Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique ?
Non, il est toujours Brute, et comme ses parens,
280 Il ne s’arme jamais sans chasser des Tyrans;209
J’espere quand à moy qu’il aura la victoire,
Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire ?
Et si l’executant vous rencontriez la mort,
N’auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort ?

Porcie.

285 On peut bien sans mourir suivre cette entreprise.

La Compagne.

Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise,
Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains,
Quel regret auriez-vous de vous voir en leurs mains ?
Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée,
290 D’estre dans vostre ville en triomphe* menée ?
Le penser seulement me fait trembler d’horreur,
Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur.
Madame et si le Ciel vous donne du courage, [p. 26]
Tesmoignez-en la force à brider vostre rage:
295 Endurez sans vous plaindre, et que jamais vos pleurs,
Ny vostre desespoir m’210expriment vos douleurs:
C’est la lice d’honneur où la vertu* s’espreuve,
Et le port plus certain où le repos se treuve:
Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd’huy,
300 Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy.

Porcie.

En fin à tes raisons ma fureur diminuë,
Comme aux rais du Soleil l’espesseur d’une nuë,
Je me laisse emporter à tout ce que tu veux,
Allons à Jupiter faire offre de nos vœux:
305 Et si nous le trouvons encor inexorable
A soulager les maux d’un peuple miserable
Je sçay depuis long-temps quel sera mon devoir,
Mais qu’un courroux sied mal lors qu’il est sans pouvoir ! [p. 27]

ACTE SECOND. §

SCENE PREMIERE. §

MARC ANTHOINE, LUCILLE,211 et deux de ses Chefs.

Marc Anthoine.

Puis que c’est aujourd’huy qu’un destin favorable,
310 Nous promet de venger ce crime detestable,
La mort du grand Cæsar, le Phœnix des guerriers,
Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers,
Monstrons à ce Heros* dans sa beatitude,
Que nous voulons mourir exempts d’ingratitude,
315 Et que jamais la paix n’esteindra nos combats,
Que plustost on n’ait mis tous ses meurtriers abas*.
Quand Rome verseroit un Ocean de larmes,
Qu’un deüil perpetuel terniroit tous ses charmes,
Et que ses Citoyens n’y sçauroient plus rien voir,
320 Que de tristes objets couverts d’un crespe noir, [p. 28]
Ce seroit laschement honorer la memoire
De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire,
Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps,
Et parmy les plus grands des merveilleux accords.
325 En vain nos conjurez vantans la Republique,
Taxent la Royauté d’un pouvoir tyrannique.
Il est vray qu’un Estat qui se veut agrandir
Contre la Royauté, se doit toujours roidir:
Mais lors qu’il ne peut plus estendre son Empire,
330 Il faut qu’à ce bon-heur tout son effort aspire,
Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir,
Et contenir les grands aux termes du devoir.
Que si l’ambition dans son impatiance
Par un ingrat effort foule cette puissance,
335 Dés l’heure* il est perdu, son bras devient perclus;
Et cessant d’obeïr, il ne commande plus.
Nostre Rome à ce point avoit besoin d’un Maistre
Et les evenemens nous le font bien connoistre*,
Les peuples rebellez depuis cét attentat*
340 Démembrent tous les jours les biens de son Estat:
Et comme nos desirs, nos forces divisees,
Leur rendent contre nous les victoires aisees.
Ha ! Brute desloyal, qu’avec peu de raison
Tu fondas le projet de cette trahison:
345 Tu devois dire au moins la cause de ta plainte,
La bonté de Cæsar l’auroit bien-tost esteinte, [p. 29]
Et ton ressentiment eust esté satisfait,
Sans faire voir au jour un si semblable effet,
Tu pouvois disposer de toute sa puissance,
350 Il n’eust jamais pour toy que de la complaisance;
Mesme jusqu’à ce point, qu’apres mille forfaits
On te pouvoit nommer l’objet de ses biens-faits:212
Et tu meurtris* encor ce Prince debonnaire,
Qui t’appelant son fils, se monstroit plus que pere:
355 Et regarde couler ce beau sang sans effroy,
Alors que ton poignard en rougissoit pour toy.213
O temps ! ô meurs !214 ô Dieux peu reverés dans Rome !
O crisme d’un Démon bien plûtost que d’un homme !
Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort ?
360 Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort;
Semblables aux serpens qu’on voit en la Libye,
Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie.
Ha lasches ! si le Ciel a quelque soin de nous,
Vous sçaurez ce que peut sa haine et mon courroux.
365 Il n’a point fait de loy contre l’ingratitude,
Car la punition n’en peut estre assez rude:
Mais pourtant je feray par mes inventions
Un juste chastiment de cent punitions.
Jamais les Dieux n’ont veu vengeance plus entiere,
370 Ma fureur s’esteindra plus tard que la matiere;
Les Manes215 de Cæsar en seront satisfaits, [p. 30]
Mais il est déja temps de passer aux effets.
Sus* donc, braves Romains, chers enfans de Bellonne216,
Si vous voulez gagner l’honneur d’une Couronne,
375 Secondez mon dessein, qui juste autant que beau,
Mesme apres nostre mort, nous sauve du tombeau.

i. Chef.

Nous n’avons pas plûtost resolu de vous suivre,
Que de venger Cæsar ou de cesser de vivre,
Ainsi ne craignez pas qu’on ne juge aujourd’huy
380 Qu’encore apres sa mort nous combatons pour luy.

ii. Chef.

Les effets feront voir aux despens de ma vie,
Que mon cœur à ce bras inspire mesme envie,
Cæsar merite bien de voir venger ses coups,
Et qu’on meure pour luy, puis qu’il est mort pour nous.

iii. Chef.

385 Brave et vaillant Cæsar, dont la mort avancée
Ne m’entretient jamais sans blesser ma pensée;
Tu connoistras* bien-tost le dessein que j’ay fait,
D’affronter les dangers pour te voir satisfait. [p. 31]

Marc-Anthoine.

Mon cœur apres cela ne voit rien qu’il ne brave.

SCENE II. §

MARC-ANTHOINE, le Medecin d’Octave.

Marc Anthoine.

390 Mais que voudroit de nous le Medecin d’Octave,
Son mal depuis hier seroit-il augmenté ?

Un de la Suite d’Anthoine.

Je viens de le quiter en meilleure santé.

Le Medecin.

Si quelque bon succez* nourrit ton esperance,
Change la desormais en parfaite asseurance,
395 Je te viens anoncer de la part des Destins,
Que les Dieux sont pour nous, et contre ces mutins.
Pendant l’obscurité de la nuict precedente
Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente,
Attendant doucement qu’un sommeil gracieux
400 M’eust ouvert le repos en me fermant les yeux, [p. 32]
Quand tout à coup l’esclat d’une grande lumiere
A brillé dans ma tante, et frapé ma paupiere,
Pour en depeindre icy les plus petits rayons,
Je n’ay dans mes discours que des foibles crayons*;
405 Il suffit que les feus les plus beaux de la terre,
Les esclairs lumineux qui partent du Tonnerre*,
Le Celeste flambeau qui donne la clarté,
Au pris de celle-là ne sont qu’obscurité;
Je n’ay pas plûtost veu cette flamme impreveuë,
410 Que j’ai senty mourir l’usage de la veuë,    
Ma langue s’est noüée, et tous mes sens perclus
Ont exprimé l’estat d’un homme qui n’est plus:
Mon esprit toutefois exempt de cette crainte
Au milieu des rayons, dont ma tante estoit peinte,
415 A veu la Majesté d’une troupe de Dieux,
Et conneu* par ces mots, comme l’on parle aux Cieux,
“Amis du grand Cæsar vos victoires sont prestes,
“Le Ciel est sur le point de couronner vos testes,
“Et redonner la vie à l’Empire Romain,
420 “Cependant leurs Decrets qui n’ont rien que de grave
“Pour destourner les maux qui menassent Octave,
“Veulent qu’au Camp d’Anthoine on le porte demain.
La fin de ces discours a chassé ces lumieres,
Et remis dans mes sens leurs faussetez premieres,
425 Leur laissant toutefois quelque ravissement217 [E, 33]
Dans la reflexion de cét esvenement;
Reçoy donc cét advis, et que ton ame instruite
Donne une loy certaine à ta sage conduite.

Marc Anthoine.

Il est trop important pour estre à negliger,
430 Allons, le temps est court, il le faut mesnager.

SCENE III. §

BRUTE, ses Soldats.

Brute.

En fin, braves Romains, voicy l’heure oportune
Qu’on doit voir la Vertu* surmonter la Fortune,
Et qu’il faut tesmoigner et de cœur* et de mains,
Qu’on nous donne à bon droict le tiltre de Romains;
435 Voicy le jour heureux que l’on doit voir bannie
Par la mort du Tyran l’infame tyrannie,
Et qu’un chacun* de nous doit porter dans le sein
L’espoir de triompher en un si beau dessein:
Car si le seul effort de maintenir sa gloire
440 Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire, [p. 34]
Nous devons aujourd’huy l’esperer beaucoup mieux,
Puis que nous combatons pour Rome et pour ses Dieux.
Quoy Rome endurera qu’un homme la maistrise ?
Elle à qui l’Univers a rendu sa franchise*,
445 Et nous ses Citoyens qu’elle fit naistre Rois,
Suivrons un Empereur et de nouvelles lois ?
Mourons, mourons plûtost que d’encourir ce blasme,
La mort n’a rien de dur que ce qu’elle a d’infame.
Un corps extenué, dont la pasle couleur
450 Represente à nos yeux l’image du malheur;
Les habits et les pleurs d’un amy pitoyable,
A de timides cœurs la rendent effroyable:
Mais comme avec raison on blasmeroit la peur
Qu’un homme concevroit pour un masque trompeur;
455 C’est exposer son ame à des justes censures,
De craindre de mourir pour des larmes futures.
La mort est naturelle, et je ne pense pas
Qu’on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas*;
Encore nostre mort doit estre moins à craindre,
460 Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre.
Celuy-là vit toujours parmy les gens d’honneur,
Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur;
Imitons en cela nos valeureux ancestres,
Que Rome a veu mourir pour n’avoir point de Maistres: [p. 35]
465 Et celuy qui domptant la Nature et les Rois,
Immola ses enfans à l’honneur de nos lois.218
C’est un trop haut dessein pour la puissance humaine,
De soustenir le vol de nostre Aigle Romaine;
Rome donne des loix, et n’en peut recevoir,
470 De peur que la vertu* n’y perde son pouvoir:
Car un peuple abattu sous un honteux servage219
Relasche tous les jours de l’ardeur du courage:
Et comme le lyon qui se laisse enchaisner,
Il perd dedans* les fers le soin de dominer.
475 Je tire aussi de là l’esperance certaine
De nous voir aujourd’huy Maistres de cette plaine,
Puis que tous les Romains qui voudroient l’empescher
Sont esclaves, chetifs, et prests à se cacher:
Outre que les exploits presque au delà de l’homme
480 Se sont faits seulement en combatant pour Rome;
Car les Dieux qui l’ont mise en leur protection
Assistoient les autheurs dans leur affection.
Mais depuis que l’orgueil a bouffi le courage
De ceux qui pouvant tout, ont voulu davantage,
485 Et fait qu’encontre* Rome ils se sont rebellez,
On n’en a jamais veu des actes signalez,
Sinon quand de nos Dieux la sagesse supresme
Arma leurs propres mains pour se defaire* eux-mesmes; [p. 36]
Et que dans ce combat si triste et si mortel
490 L’un d’eux fut la victime, et Pharsale l’autel:
Car lors pour espargner les coups de nostre espée
Le Ciel fit que Cæsar nous sauva de Pompée,
Sçachant que son orgueil apres un tel effort
Le precipiteroit dans les mains de la mort,220
495 Et que contre ceux-cy nos forces reposées
Pourroient trouver apres des routes plus aisées.
Mais je raisonne en vain, que sert-il de parler ?
Vous courez au combat, vous y voulez voler;
Et malgré les efforts des troupes infidelles,
500 Esteindre dans leur sang le feu de nos querelles,
Sçachant qu’un brave cœur ne peut jamais périr
Dedans* le beau dessein de vaincre ou de mourir.
Et bien, allons amis, certains que nostre gloire
Remplira l’Univers apres cette victoire,
505 Si tous d’un mesme accord nous y voulons courir
Avec ce beau dessein de vaincre ou de mourir,
Le Demon* qui regist le sort de nostre Empire,
Ne souffrira jamais que nous ayons du pire,
Et de tout son pouvoir nous viendra secourir,
510 Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir;
Les vœux que le Senat pousse en cette occurance
Verront recompenser leur sainte violance,
Et tant de pleurs qu’il verse en fin pourront tarir, [p. 37]
Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir,
515 Que si trop longuement je parle en cette sorte,
C’est l’amour du païs qui me presse et m’emporte,
Resistons luy pourtant, et sans plus discourir,
Qu’il221 agisse au dessein de vaincre ou de mourir.

i. Chef.

Quand le ressentiment des libertez ravies
520 Ne nous forceroit pas à prodiguer nos vies,
Ton discours sur mon cœur a fait un tel effort,
Qu’il me tarde déja d’estre vainqueur ou mort.

ii. Chef.

De moy quelques succez* que le Ciel nous prepare,
La constance toujours me servira de phare,
525 Et malgré les escueils je trouveray le port
Dans cét ardent desir d’estre vainqueur ou mort.

iii. Chef.

Vos desirs sont les miens apres ce qu’a dit Brute,
Il n’est rien que je n’ose et que je n’execute;
L’honneur, la liberté, Rome, l’Estat mal sein222,
530 Tout nous porte aujourd’huy dans un si beau dessein.
[p. 38]

Brute.

Je voy ces lasches cœurs qui rougissent de honte,
D’avoir de leur honneur tenu si peu de compte;
Mais il est déja temps que chacun à son rang
Aille faire rougir ses armes de leur sang.

SCENE IV. §

PORCIE.223

Porcie.

535 Demons* qui conduisez l’ordre des Destinées,224
Si Rome doit flechir sous le joug des Tyrans,
Commandez à la mort de trancher mes années,
Ou me donnez le cœur* d’imiter mes parens.
Rome qui commandois ce que le monde ensere,225
540 Voudrois-tu subsister apres cét accident ?
Abysme toy plûtost au centre de la terre,
Cét effort genereux* te sauve en te perdant.
Demoly les Autels de ces Dieux de fumée,
Que leurs Temples brisez tesmoignent aux Neveux*226
545 Qu’apres avoir en vain leur force reclamée,
Tu sceus venger au moins la perte de tes vœux.
Tyrans presomptueux dont l’audace effrontée [p. 39]
S’efforce d’usurper un bien si precieux,
Vous courez obstinez au feu de Promethée,
550 Qui doit faire rougir vos cœurs ambitieux.
Et moy dois-je douter qu’apres un coup si rude
Rien me puisse empescher de courir à la mort,
Si mon pere fuyant la mesme servitude
Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort.

SCENE V. §

LA COMPAGNE, PORCIE,

La Compagne.

555 Madame, en cét instant tous les Soldats en armes
Commencent le combat qui doit finir vos larmes;
On n’entend rien que cris et que gemissemens,
Vous diriez que le Ciel confond les Elemens:
Les traits volans en l’air par un confus rencontre*
560 Empeschent le Soleil de voir ce qu’il nous monstre:
Déja venus aux mains, les nostres plus hardis
Tesmoignent d’estre encor ce qu’ils furent jadis,
S’il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine, [p. 40]
Du haut de ce rocher qui commande à la plaine,
565 J’en viens tout maintenant pour vous en advertir,
Croyant que cét objet vous pourroit divertir.

Porcie.

Observez sans danger l’ordre des deux armées,
Par la haine et l’honneur au combat animées,
C’est un plaisir fort doux dans un cœur arresté*,
570 Qui voit sans interest l’un et l’autre costé:
Mais represente toy la course vagabonde
D’un vaisseau que deux vents balottent dessus* l’onde,
Et tu verras l’estat d’un courage offensé,
Qui dans l’un des partis se trouve interessé;
575 Suivant que l’ennemy s’avance ou qu’il recule,
Tantost la peur le glace, ore* l’espoir le brusle,
Il attaque, il defend, et pour ferme qu’il soit,
Il est aussi flotant que le combat qu’il voit.

La Compagne.

Un esprit du commun pourroit souffrir à l’heure*;
580 Mais le vostre, Madame, a la trempe meilleure,
Outre que s’il faut croire aux promesses des Dieux,
Vous verrez aujourd’huy Brute victorieux.
[F, 41]

Porcie.

Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere
En faveur d’un Tyran arma contre mon pere;227
585 Allons y toutefois, et par nos actions
Tesmoignons qu’un grand cœur dompte ses passions.

ACTE TROISIEME. §

SCENE PREMIERE. §

CASSIE, TITINE, PINDARE, DEMETRIE.

Cassie.

C’en est fait, chere Rome, il faut rendre les armes,
Et tascher d’espargner ton sang avec tes larmes;
Il faut s’humilier* aux pieds d’un Empereur,
590 A ce nom seulement je frissonne d’horreur:
Mais quoy le sort le fait, ce grand Maistre des choses
Veut voir ton changement dans ces metamorphoses*; [p. 42]
Flechy donc, grande Reyne, et ne t’offenses pas
D’un conseil que je donne, et que je ne prens pas,
595 Mon dessein y resiste, et je veux mourir libre,
Puis qu’il plaist au Destin que je cesse de vivre;
Mais apres un eschet* si grand et si fatal
N’idolastre jamais les autheurs de ton mal,
Tesmoigne leur plûtost qu’il n’est rien de si rude
600 Que le joug insolent qui fait ta servitude;
Et peut-estre qu’un jour Brute ressuscité
Te rendra le bon-heur avec la liberté:
Et vous, mes chers amis premiers dans mon estime,
Monstrez en cét endroit que l’honneur vous anime,
605 Et que l’injuste effort d’un insolent vainqueur
Ne vous a pas osté la force ny le cœur*:
Mais sur tout que la foy* que vous m’avez jurée
Au delà du bon-heur peut porter sa durée,
Je ne desire pas que vous trempiez vos mains
610 Dans le barbare sang de nos Tyrans Romains:
Je ne demande pas que vous alliez en Thrace
Pour refaire une armée, et choquer* leur audace;
Ce seroit vainement heurter contre le sort,
Mais je veux seulement qu’on me donne la mort,
615 C’est par cette action que je dois reconnoistre
Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre:
Comment à ce discours vous changez de couleur, [p. 43]

Titine.

C’est trop precipiter un extreme malheur,
Que sçait-on si le Ciel à Brute favorable,
620 Vous reserve à tous deux un sort plus honorable ?

Cassie.

Mais d’ailleurs que sçait-on si mort comme vaincu
Il ne me blasme point de l’avoir survescu228 ?

Titine.

Ces soupçons esclaircis j’offre vous satisfaire229,
Cependant laissez moy le soin de cét affaire230,
625 Je m’en vay dans son camp, et si je ne meurs pas    
Vous apprendrez bien-tost sa vie ou son trespas*.

Cassie.

Tu hazardes beaucoup.

Titine.

Nul danger n’espouvante
Ceux qui sont pour Cassie et pour Rome mourante.

Pindare.

J’approuve ce conseil.
[p. 44]

Demetrie.

Et je l’estime aussi.

Cassie.

630 Va donc, mais souvien toy que je t’atens icy.

Titine.

La mort seule pourra me fermer le passage.

Cassie.

J’estime fort Titine, il est vaillant et sage,
Mais cependant gagnons le haut de ce rocher,
Pour mieux voir si quelqu’un nous voudroit approcher.

SCENE II. §

BRUTE, et deux autres.

Brute.

635 Les Tyrans sont vaincus, et nostre chere terre
Va trouver son repos dans la fin de la guerre;
Un injuste dessein ne se peut maintenir,
Les Dieux sont bien clemens, mais ils sçavent punir: [p. 45]
Jusqu’icy nos Tyrans enflez de vaine gloire,
640 Ont creu de gagner231 tout avec cette victoire,
Et nos pauvres Romains non sans grande raison,
Ont creu de rencontrer chez eux une prison:
Mais aujourd’huy le Ciel pour terminer nos plaintes,
Rabat leur esperance, et dissipe nos craintes.
645 Octave dans son lict a trouvé le tombeau,
Indigne qu’il estoit d’un traitement plus beau;
Et la pluspart des siens estendus sur la poudre*,
Ont creu que Jupiter nous aydoit de sa foudre.
Cassie a…

i. Chef.

L’un des siens s’en vient parler à vous.

SCENE III. §

BRUTE, TITINE.

Brute.

650 Les Tyrans sont vaincus.
[p. 46]

Titine.

Ils sont vainqueurs pour nous.

Brute.

O Dieux justes et bons ! est-ce donc la coustume
De ne gouster jamais de bien sans amertume ?
Mais Cassie…

Titine.

Il attend apres votre secours,

Brute.

D’où provient ce malheur, fay nous en le discours.

Titine.

655 Soudain que* le signal fit partir nos armées,
On les vit pesle et mesle* au combat animées;
Car l’honneur excité par le feu du courroux,
Les faisoit à l’envy precipiter aux coups:
Nostre Chef le premier au milieu de la presse*
660 Estale sa valeur, signale son adresse:
L’ennemy voit par tout des effets de son bras,
Et la mort suit toujours la trace de ses pas;
Chacun à son exemple alume son courage,
Avec tant de ferveur, qu’il va jusqu’à la rage.
665 L’ennemy s’en estonne*, et son esprit en deüeil*232 [p. 47]
Tremble que ses desseins ne trouvent un escueil:
La mort volle par tout, le sang avec les larmes
En mille endroits divers se mesle en ces alarmes.
Tout fremit, tout se plaint, les morts et les blessez,
670 Gisent* confusement l’un sur l’autre entassez.
Dans ce sanglant carnage icy l’un s’evertuë
D’arracher de son corps la fleche qui le tuë,
Et là l’autre retient par de foibles efforts
Son sang que mille coups font sortir de son corps.
675 Nous nous vantions déja d’une heureuse victoire,
Quand l’ennemy fasché de voir perdre sa gloire,
Et de se voir presser avec tant de fureur,
Ralume dans le sang sa premiere vigueur:
Ce fut lors que la mort en mille endroits pressée
680 Se craignit elle mesme, et fut souvent blessée.
Ce fut lors que l’Enfer fit voir en abregé
Ce qu’il a de plus noir et de plus enragé.
Ce fut lors qu’on craignit que le Ciel en colere
Voulut noyer de sang l’un et l’autre Hemisphere,
685 Et que Bellonne mesme herissant ses cheveux
Arresta sa fureur pour recourir aux vœux:
L’asseurance et la peur à travers la fumée
Repasserent cent fois de l’une à l’autre armée,
Et la victoire errant en ce danger mortel
690 Douta qui resteroit pour luy faire un Autel.
Fort long-temps ce combat dura de cette sorte, [p. 48]
Sans que l’un soit vainqueur, ny que l’autre l’emporte:
Mais en fin nos soldats se sentans fort pressez,
Et des premiers efforts extremement lassez:
695 Malgré tous les conseils233 que nostre Chef leur donne
Laissent choir en fuyant leur premiere Couronne,
L’ennemy les poursuit, et peint avec leur sang,
En mille, en mille endroits la honte sur leur flanc,
Jusqu’à ce que craignant qu’ils tournassent visage*,
700 Et que le desespoir leur rendit le courage,
Anthoine commanda que l’on se retirast,
Content d’avoir gagné la place du combat:
Cassie craint depuis qu’une mesme avanture*
Vous ait fait dans le sang trouver la sepulture,
705 Ou que pour eschaper aux Tyrans des Romains,
Vous ayez contre vous armé vos propres mains:
C’est pourquoy son esprit touché de mesme envie,
A destiné ce jour pour la fin de sa vie;
Et si vous desirez d’avancer* son trespas*,
710 Il faut partir bien-tost, et marcher à grands pas.

Brute.

La nonchalance icy seroit bien criminelle.
[G, 49]

Titine.

Je m’en vay luy porter cette heureuse nouvelle.

Brute.

Nous te suivrons de prés, je voy dans ce malheur
Que jamais le plaisir ne va sans la douleur,
715 Je ne crain pas pourtant que l’ennemy se vante,
Ny que pas un de vous en prenne l’espouvante;
Puis qu’en comparaison de la perte qu’il fait
La nostre mediocre est un gain en effet,
Mais il est déja temps que j’aille vers Cassie,
720 Remettant à tantost l’heure de voir Porcie.

SCENE IV. §

CASSIE, PINDARE, ET DEMETRIE.

Cassie.

Quoy, je voy l’ennemy qui s’en vient à grands pas,
Et vous voulez encor differer mon trespas* ?234
Vous n’aimastes de moy que ma bonne fortune,
Car depuis mon malheur, ma voix vous importune;
725 Le soin de m’obeïr ne vous semble plus cher, [p. 50]
Et vous estes pour moy plus durs que ce rocher:
Ingrats à quel dessein, est-ce pour me remettre
Es* mains de l’ennemy, et me donner un Maistre ?

Pindare.

Vous soupçonnez à tort nostre fidelité,
730 Mais ce trespas* me semble un peu precipité,
Titine...

Cassie.

Ha ! ce seul nom m’est un sujet de rage,

Pindare.

Qui reviendra bien-tost calmera cét orage.

Cassie.

Je l’ay precipité dans l’excez du danger,
Mais bien-tost par ma mort il se verra venger.
735 Sus* donc, ne tardez plus, contentez mon envie,
Vous me tuez cent fois en me donnant la vie.
Quoy, vous baissez les yeux, mouvemens imparfaits235,
Demetrie, Pindare, où sont donc mes bien-faits ?
Je vous ay rendus francs*, et vostre ingratitude
740 Me veut laisser croupir dedans* la servitude,
Insensibles, cruels, pour estre malheureux,
Ne suis-je plus en droit de dire je le veux ?
[p. 51]

Pindare.

Devoirs, faveurs, bien-faits, liberté redonnée,
Venez vous presenter à mon ame obstinée;
745 Chassez ces mouvemens de tendresse et d’amour,
Et que l’obeïssance y domine à son tour.
Mes vœux sont exaucez, cher Maistre je vous cede,
Et puis que vostre bien depend de ce remede;
Quoy que ce lache cœur y souffre du combat,
750 Je veux estre meurtrier pour n’estre pas ingrat:
Mais si dans vostre esprit la pitié trouve place,
Jusques apres cela ce qu’il faut que je face,
Et de combien de morts pour une seule mort
Cét acte me prepare à ressentir l’effort,
755 Faire mourir celuy de qui je tiens la vie,
Qui seul peut affranchir nostre Rome asservie,
Que je perde celuy que la faveur de Mars
A mille fois sauvé du milieu des hazards:
Et bref qu’en un moment je defasse un ouvrage,
760 Que des siecles ont fait pour honorer nostre âge,
Mon Maistre, mon Seigneur, seul apuy du païs,
Ha ! que je suis brutal si je vous obeïs.

Cassie.

Tous ces foibles discours offensent mon courage,
Icy l’amour me nuit, et la pitié m’outrage, [p. 52]
765 Si toutefois on peut donner des noms si saints
Au profane mespris qui choque mes desseins,
Pindare tu me hais en m’aymant de la sorte,
Je ne sçaurois survivre à la liberté morte:
Ouvre moy l’estomach*, mais tu jettes ce fer
770 Qui me devroit ouvrir la porte de l’Enfer,
Peut-estre que ta lame aux ennemis fatale
Frapant contre un amy, craint d’estre desloyale;
Si c’en est le sujet, pousse la hardiment,
Tu m’as fait ennemy par ton retardement:
775 Mais pour ne pas troubler ton visage ordinaire,
Tien, voicy ce poignard qui t’offre de le faire,
Aussi depuis long-temps choisi pour ce dessein,
Il en seroit jaloux s’il ne m’ouvroit le sein.

Demetrie.

Puis-je voir achever un acte si barbare ?

Cassie.

780 Ne differe donc plus brave et sage Pindare,
Il a rougi du sang du Tyran des Romains,236
Lors que dans le Senat il mourut par nos mains.

Pindare.

Puis que dans ce dessein vostre ame est obstinée,
Et que je dois ceder à cette Destinée, [p. 53]
785 Ce coup en vous perçant me va percer le cœur.

Cassie.

Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur.

Pindare.

Que dois-je devenir apres une avanture*,
Dont l’effroyable objet fait trembler la Nature ?
Faut-il que ce poignard apres un tel forfait
790 Laisse encore durer le meurtrier qui l’a fait ?
Ouy, qu’il vive l’ingrat, puis qu’une mort soudaine
Pour expier son crime auroit trop peu de peine,
Qu’il vive, mais vivant que ses cuisans remorts237
L’exposent tous les jours à de nouvelles morts.

Demetrie.

795 Je veux ceder au temps, et tarissant mes larmes
Porter aux ennemis ces malheureuses armes,
Peut-estre cét objet disposera leurs cœurs
A n’user pas sur moy du pouvoir des vainqueurs.
[p. 54]

SCENE V. §

TITINE.

Pourroit-on justement m’accuser de paresse* ?238
800 Mais d’où vient que je tremble et que le poil me dresse ?
N’avons nous pas encor dequoy braver le sort,
Puis que Brute est vainqueur, quel est cét homme mort ?
Sans doute un malheureux qui blessé dans la plaine
S’est traisné jusqu’icy pour y finir sa peine:
805 Voyons-le de plus prés, O trop injustes Dieux !
Quel deplorable objet monstrez-vous à mes yeux !
Cassie est-ce donc vous que la mortelle Parque*
Vient de precipiter dans l’infernalle Barque239 ?
O rage ! ô desespoir240 tesmoins de ce forfait !
810 De grace apprenez moy qui le peut avoir fait:
Mais quoy je les connoy ces ames mercenaires,
Ces lasches afranchis, ces cruelles viperes,
Pour gagner le Tyran qu’ils croyoient absolu,
Ont achevé ce coup sans qu’il l’eust resolu.241
815 Ha traistres ! si Cæsar n’est pas déraisonnable*,
Il punira sur vous ce meurtre abominable:
Le bien qu’il doit tirer de vostre trahison [p. 55]
Ne l’empeschera pas d’en avoir sa raison*:242
Pour moy dont le depart facilita ce crime,
820 Je veux à ma fureur me choisir pour victime,
Afin que mon esprit justement affligé
Ne me reproche pas de ne m’estre vengé,
Et qu’on puisse trouver au Temple de memoire243
Que je fus innocent d’une action si noire.244
825 Sus* donc mourons, mon cœur, certain que le trespas*
Peut faire seulement que nous ne mourons pas.
Ha, Brute !

SCENE VI. §

BRUTE, UN CHEF.

Brute.

Quelle voix vient de se faire entendre ?

Titine.

Celle d’un innocent que la parque* va prendre.
[p. 56]

Un de la Suite de Brute.

O malheur sans pareil ! Cassie est aussi mort.

Brute à part soy.

830 Il faut dissimuler.

Un de la Suite.

O dure loy du sort !

Brute.

Les hommes courent tous une mesme avanture*,
Par cét ordre fatal prescrit par la Nature;
La mort void d’un mesme œil les Bergers et les Rois,
Et tout également succombe sous ses lois.
835 Ne murmurez* donc plus, mais reprenans courage,
Esperez le repos de la fin de l’orage:
Par de divers moyens le Ciel peut secourir,
Cassie estoit un homme, il devoit donc mourir,
En tuant un Tyran on a peu sauver Rome,
840 Mais on ne la pert pas dans la perte d’un homme;
Car bien que la grandeur des puissans attentats*
Semble estre le pilier qui soustient leurs Estats;
Si le Ciel n’est l’Atlas de ces lourdes machines,
Bien-tost tout leur esclat se change en des ruines.245
845 Quand de tous nos Soldats le dessein perverty [H, 57]
Voudroit favoriser le contraire party.
Et quand le monde entier s’armeroit pour Octave,
Si le Ciel est pour nous, il sera nostre esclave,
Il verra que l’orgueil ne le monte si haut*
850 Que pour luy procurer un plus funeste saut*;
Celuy qui des Geans ne fit qu’un peu de poudre*,
Garde le mesme bras qui leur lança la foudre,
Et n’a point relaché de son adversion,
Pour ces Monstres boufis de trop d’ambition,
855 Il se sert quelquefois de nous et de nos armes
Pour respandre du sang, et pour tarir des larmes:
Mais s’il voit que nos bras ne sont pas assez forts,
Soudain il a recours à de meilleurs efforts;
Il inspire la peur dans la troupe ennemie,
860 Qui bien-tost en fuyant se noircit d’infamie,
Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas*,
Que les plus fiers* torrens246 ne l’aresteroient pas.
Amis, esperons tout de la faveur Celeste,
Nous n’avons rien perdu puis que cela nous reste,
865 Cassie est à present le butin du trespas*,
Mais les Dieux sont vivans et nous avons des bras;
Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure,
Portez sans bruit ce corps dedans* la sepulture,
Et j’espere demain par ma langue et mes mains
870 De redonner le cœur* et Rome à nos Romains.
[p. 58]

ACTE QUATRIEME. §

SCENE PREMIERE. §

OCTAVE, MARC ANTHOINE.

Octave.

Tous ceux qui comme nous combatent pour la gloire,
Se peuvent asseurer d’emporter la victoire,
Les Dieux ne choquent point un dessein genereux*,
A plus forte raison quand il n’est que pour eux,
875 La mort du grand Cæsar appele leurs justices,
A punir son autheur avec tous ses complices,
Et je croy qu’à l’instant que ce coup fut donné
Contre les criminels leur cholere eust trouvé,
S’ils eussent peu choisir la flamme d’un Tonnerre*247,
880 Qui n’eust pas avec eux bruslé toute la terre:
Mais ne pouvans agir avec un moins puissant,
Ny perdre ces meurtriers sans perdre l’innocent;
Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance, [p. 59]
Et purgent ce païs de cette noire engeance,
885 Déja leur volonté s’explique heureusement,
Et vostre valeur fait ce doux evenement.

Anthoine.

Vos vœux mieux que mon bras me l’ont rendu possible.

Octave.

Ha cette flatterie est un peu trop visible !
Chacun sçait comme quoy248 vous avez combatu;
890 Mais un cœur genereux* doit cacher sa vertu*.

Anthoine.

C’est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre.

Octave.

Je vous respondroy bien si vous estiez un autre,
Mais dans les complimens comme dans les combats,
Il faut à vostre abord* mettre les armes bas.249

Anthoine.

895 Ce Soldat de retour porte sur le visage
Les signes evidens d’un funeste presage.
[p. 60]

SCENE II. §

LE SOLDAT, ANTHOINE, OCTAVE.

Le Soldat.

Le sensible regret où le sort me reduit
D’estre contraint à dire un mal qu’il a produit,
Estoufe ma parole, et m’auroit osté l’ame,
900 Si je n’eusse envers vous aprehendé du blasme.

Octave.

Quoy Brute seroit-il de mes troupes vainqueur ?

Le Soldat.

C’est là le trait mortel qui me perce le cœur.

Anthoine.

Tandis qu’Octave et moy porterons une espée,
On la verra toujours contre Brute occupée;
905 Ce traistre ne sçauroit éviter nostre fer,
Et nous l’irions chercher jusque dedans* l’Enfer:
Poursuy.
[p. 61]

Le Soldat.

Le souvenir d’un si sanglant carnage,
Met mon ame en desordre et glace mon courage,
Jamais le Ciel n’a veu tant de corps renversez,
910 Et la mort assouvie a crié, c’est assez.
Soudain que* l’ennemy commença de paroistre,
Nos Soldats animez par la haine du traistre,
Tesmoignent à l’envy ce que peut le courroux,
Quand la haine et l’honneur en excitent les coups;
915 L’ennemy d’autre part courant à la meslée
Oppose à leurs efforts sa valeur signalée;
Les dards greslent par tout, et les plus avancez
En croyant de blesser, sont eux-mesmes blessez;
L’air n’est plus esclairé que d’une lueur sombre,
920 La poussiere et les traits les font combatre à l’ombre,
On ne sçauroit juger quels seront les vainqueurs,
Tous paroissent égaux et de bras et de cœurs*.
En fin lassé de voir la victoire en balance*,
L’ennemy fond sur nous avec tant d’insolence,
925 Qu’on eust dit à le voir les armes à la main,
Qu’il menoit avec luy tout l’Empire Romain.
Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d’espée
Qui du sang des Romains ne paroisse trempée,
Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs:
930 Mais helas c’est en vain ! la rage est dans leurs cœurs;
Tel pour s’innocenter voudroit ouvrir la bouche, [p. 62]
Qui sent ouvrir son cœur par le fer qui le touche;
Et tel autre en fuyant tâche à prendre party250,
Qui void d’un coup mortel son dessein diverty:
935 L’horreur seme par tout une froide fumée
Qui glace le courage à nostre pauvre armée,
Des longs gemissemens fendent l’air alentour,
Le Soleil de regret voudroit haster son tour:
Le sang coule par tout, on ne voit point de terre
940 Qui ne porte en son front les marques de la guerre:
Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort,
Pleurent en s’embrassant la rigueur de leur sort.
Icy le pere void son fils dessus* la poudre*,
Et dépite* le Ciel pour attirer sa foudre.
945 Icy par des regrets qui fendroient un rocher251,
Un fils pleure la mort de ce qu’il eust plus cher.
Icy dedans* le sang mille blessez se noyent,
Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent.
Et bref il est par tout tant d’objets de terreur,
950 Que je croy que l’Enfer en frissonna d’horreur;
Brute bien-tost apres fit cesser le carnage,
Et receust à mercy252 les restes du naufrage.
Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil
Ne vit jamais çà bas253 un desordre pareil ?
955 Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice,
Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice.254
[p. 63]

Octave.

Ha ! pourquoy dans la fin de ces tristes discours,
Ne puis-je rencontrer celle-là de mes jours ?
Destins injurieux*, fortune, parque*, envie,255
960 Rendez moy mes Soldats, ou ravissez ma vie;
Ennemis de mon bien au lieu de me guerir,
Vous deviez travailler à me faire mourir,
Aussi bien le regret où ce malheur m’abysme,
Persuade à mon cœur que ma vie est un crime.
965 Helas ! vit-on jamais Prince plus mal traitté !
Je rencontre la mort lors que j’ay la santé:
Donc je ne verray plus tant de braves gensdarmes*,
Que mon seul interest portoit dans les alarmes.256
Donc sans ses compagnons Octave durera,
970 Et les membres perdus le Chef subsistera ?
Ha ! non mes chers amis, n’ayez point cette doute257,
Vostre trespas* m’apprend une mortelle route258:
Et si durant vos jours vous suivites mon sort,
Au moins je vous rendray la pareille en ma mort:
975 Mais ne connoy*-je pas que la douleur m’emporte ?
Jamais un general ne parla de la sorte:
Et lors que le destin luy donne des malheurs,
Il songe à la vengeance, et non pas à des pleurs;
Prenons donc desormais ce party legitime,
980 Que Brute et tous les siens nous servent de victime;
Ramassons promptement le debris de nos gens, [p. 64]
Et sauvons aux Destins le tiltre de changeans.
Ombres de mes amis, Manes de ma Noblesse,
Ce bras vous vengera du mutin qui vous blesse:
985 Et dessus* les Cyprés259 qui couvrent vos guerriers,
Cette lame fera refleurir des lauriers260,
L’astre de la clarté vient d’une grote noire,261
Et le malheur souvent donne l’estre à la gloire,262
Les Dieux aymoient Cæsar, et ne pourroient souffrir
990 De voir vivre long-temps ceux qui l’ont fait mourir.

Anthoine.

S’ils eussent eu dessein de choquer nostre envie,
Octave dans son camp auroit perdu la vie,
Et mes Soldats et moy par un mesme destin
Aurions dans le combat rencontré263 nostre fin:
995 Mais ils sauvent ce Prince, et me donnent la gloire
D’emporter sur Cassie une belle victoire;
Si bien qu’à balancer* ce rencontre* fatal,
J’estime que le bien l’emporte sur le mal;264
J’ay de mes bataillons ensanglanté la terre,
1000 Et porté dans son camp le foudre de la guerre,
Luy seul s’est garanty d’un funeste trespas*.
[p. I, 65]

SCENE III. §

DEMETRIE, OCTAVE ET ANTHOINE.

Demetrie.

Et ces armes pourtant ne le tesmoignent pas.

Octave.

O Dieux ! seroit-il vray qu’il ne fut plus en vie ?

Anthoine.

Par un discours plus clair contentez nostre envie.

Demetrie.

1005 Qui considerera mon Estat et mon sort,
Il pourra bien juger que ce grand homme est mort;
Tandis qu’il a vescu j’eusse creu faire un crime
De donner qu’à luy seul mon cœur et mon estime,
Au lieu qu’en cét estat je vien vous reverer,
1010 Comme des Rois vainqueurs que tout doit adorer.
Un bon cœur que les Dieux ont rangé sous un Maistre,
S’il ne le suit partout, s’acquiert le nom de traistre:
Mais alors que la mort en a fait son butin, [p. 66]
S’il a du jugement il change de destin.
1015 Pendant que les Romains sous un guerrier si brave
Se defendoient des noms de captif et d’esclave,
Je croyois que bien-tost cedans à nostre loy,
Vous démordriez de ceux d’Empereur et de Roy;
Je pensois que jamais la puissance de Rome
1020 Ne se devoit ranger aux volontez d’un homme,
Et qu’on verroit bien-tost ses plus grands ennemis
Faire hommage à la main qui les auroit sousmis:265
Mais depuis qu’il est mort, je croy que tout se bande*
A rendre tous les jours vostre gloire plus grande,
1025 Et que dans peu de temps les peuples esbahis
Viendront dessous* vos loix asservir leur païs;
Moy pour ne pas troubler dans ces metamorphoses*,
Cét ordre merveilleux que prennent toutes choses,
Sçachant qu’on ne le peut sans estre criminel,
1030 Je viens pour vous offrir un service eternel,
Trop heureux si je puis en faveur de ces armes
Obtenir une place au rang de vos Gendarmes*.

Octave.

Icy les gens d’honneur peuvent trouver un port
Qui les met à couvert des orages du sort.
[p. 67]

Anthoine.

1035 Cavaliers, vos desirs ont un effet propice,
Vous aurez cette place, et rendez nous service.

Demetrie.

O Dieux ! qui connoissez mon amour mieux que moy,
Venez parler de grace en faveur de ma foy*,
Ou si vostre grandeur repugne à cét hommage,
1040 Inspirez à ma bouche un celeste langage,
Pour dire à ces Seigneurs combien je suis heureux,
Si le Destin permet que je meure pour eux.

Octave.

Puis que Cassie est mort, je croy qu’en asseurance
Nous pouvons assembler toute nostre puissance,
1045 Pour suivre l’ennemy tandis qu’il est troublé.

Anthoine.

Allons le proposer au Conseil assemblé.
[p. 68]

SCENE IV. §

PORCIE.

Protecteurs de la liberté,
Grands Maistres de la destinée,
Dont la puissance n’est bornée
1050 Que par la seule volonté.
O Dieux ! apres cette victoire
Je veux celebrer vostre gloire,
Et dessus* vos autels où fumera l’encens,
Faire que le sang des Victimes
1055 Lave desormais tous les crimes
Que j’ay nagueres266 faits de vous croire impuissans.
Par le mesme effet de bonté
Qui fait prosperer nostre guerre,
Jusques icy vostre Tonnerre*
1060 A souffert mon impieté:
J’adore vos faveurs extremes,
Et me repens de ces blasphemes,
Dont ma bouche a voulu noircir vos Majestez,
Mon ame est aujourd’huy plus saine,
1065 Je n’ay plus contre vous de haine,
Elle s’en est allée avec vos cruautez.
Brute, l’honneur de nos guerriers
Parmy le sang et le carnage, [p. 69]
Vient de signaler son courage,
1070 Et de se couvrir de lauriers:
Dans cette publique alegresse
On idolatre sa prouësse267:
Et tous nos Citoyens encensent à son bras,
Grands arbitres de nostre vie
1075 Souffrez ces honneurs sans envie,
Celuy qui les reçoit ne vous les ravit pas.
Ce Heros* avec des respects
Admire vostre providence,
Et connoist* en cette occurance
1080 Que268 peuvent vos divins aspects.
O Majestez que je revere !
Que vos decrets ont de mystere,
Et qu’on prevoit bien mal ce qu’ils ont arresté,
Pour de sagesses si profondes
1085 La raison n’eust jamais de sondes,
Et le plus clair esprit n’est rien qu’obscurité,
Naguere Octave dans le port
S’imaginant nostre naufrage
Menaçoit Rome de servage,
1090 Et tous nos Citoyens de mort:
Cette grosse et superbe* armée
Faisoit dire à la Renommée
Que tout devoit flechir sous ses puissantes loix,
Et que nos bandes* dissipées [p. 70]
1095 Ne seroient bien-tost occupées
Qu’à faire des bouquets pour couronner des Rois.
Cependant ils sont abatus,
Leur orgueil n’est plus que fumée,
Et le débris de leur armée
1100 Esleve un trosne à nos vertus*;
Le camp d’Octave est nostre proye,
Ses feux, sont ceux de nostre joye,
Sa honte est nostre honneur, sa nuict nostre flambeau;
Son sang espandu nous anime,
1105 Et par un destin legitime
Nous trouvons nostre vie au fonds269 de son tombeau.

SCENE V. §

BRUTE, ET PORCIE.

Brute.

En fin je voy qu’un jour vous banissez la plainte.

Porcie.

Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte,
Et je croy qu’aujourd’huy j’ay rencontré le point, [p. 71]
1110 Où sans stupidité270 je puis ne craindre point.
Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible
Qu’encor à la douleur mon ame fut sensible ?
Non Brute, il est certain qu’en l’estat où je suis,
Mon cœur seroit ingrat s’il avoit des ennuis*;
1115 Dans le ressentiment* de mon bon-heur extreme
Je commence de voir que je deviens moy-mesme,
Vostre gloire me charme*, et mes sens enchantez
N’ont plus de mouvemens que pour les voluptez,
Voudriez vous bien choquer ce dessein legitime ?

Brute.

1120 Le penser seulement me tiendroit lieu de crime:
Toutefois il est vray qu’on n’est jamais au port
Lors qu’on peut ressentir les caprices du sort.
Si bien qu’en cét estat j’estime une ame sage
A qui nul accident ne change le visage,
1125 Et qui goustant des maux ou des felicitez,
Ne se porte jamais dans les extremitez,
Ce beau temperament* nous sauve des orages,
Et nous fait une planche au milieu des naufrages,
Au lieu qu’on voit toujours un violant transport*
1130 Agiter nostre esprit et l’esloigner du port.
[p. 72]

Porcie.

Apres un tel bon-heur qu’est-il que j’aprehende ?
Ayant Brute vainqueur, j’ay ce que je demande.

Brute.

Si bien qu’aucun malheur ne vous sçauroit toucher.

Porcie.

Mon cœur contre leurs coups est armé d’un rocher.271

Brute.

1135 Puis qu’il est si constant, j’aurois mauvaise grace    
Si je luy cachois rien de tout ce qui se passe,
Sçachez donc, mon cher cœur, que Rome n’a qu’un bras,
Que le fleau des Tyrans, l’amour de nos Soldats,
Le bouclier du païs, le foudre de la guerre,
1140 Que Cassie en un mot ne vit plus sur la terre:
Et ce qui vient encor augmenter mon ennuy*,
Que presque tous les siens ont mesme sort que luy,
Et qu’il faut que demain la bataille se donne,
Qui me doit apporter la mort ou la Couronne;
1145 Mon regret toutefois en ce dernier effort,
Ne vient que de vous voir à la mercy du sort,
Et le Ciel m’est tesmoin qu’en ce danger extreme,
Pour songer trop à vous je m’oublie moy-mesme. [K, 73]
Ce n’est pas que mon cœur n’espere tout des Dieux,
1150 Mais il fend de regret de vous voir en ces lieux,
En un temps où la mort doit verser sur la terre
Un deluge de sang pour esteindre la guerre.

Porcie.

Vostre seule presence allege mon soucy*,
Et vous desireriez de me voir loing d’icy:
1155 Brute quittez, de grace, un discours qui m’offense,
Jugez mieux de mon cœur, traittez mieux ma constance,
Et sçachez que l’amour qui m’embrase le sein,
Ne concevra jamais un si lâche dessein.
Quoy, vous abandonner au milieu des alarmes,
1160 Et me retirer seule à la mercy des larmes ?
Cela choque si fort mon esprit resolu,
Qu’il mourroit272 mille fois si vous l’aviez voulu:
Mais j’ose me flatter que vostre cœur propice
Ne me rendit jamais un si mauvais office;
1165 Et quand il le feroit, il n’avanceroit rien,
Puis qu’il sera toujours accompagné du mien.

Brute.

Quand je voy tant d’amour et de courage ensemble,
J’adore le lien dont le Ciel nous assemble, [p. 74]
Et croy que tous les biens que j’ay receu des Dieux
1170 Au prix de celuy-là, n’ont rien de precieux,
Que dans le beau dessein de n’estre point esclave,
J’aye tué Cæsar, j’aye defait* Octave:
Que mon front mille fois ait changé de Lauriers,
Qu’on m’estime par tout le Phœnix des guerriers,
1175 Ces honneurs, quoy que grands, plaisent moins à mon ame
Que la gloire que j’ay de vous avoir pour femme.

Porcie.

Pour le moins avec moy vous possedez un cœur,
Qui ne sçauroit souffrir que Brute pour vainqueur.

Brute.

Et le mien fera voir où que le Ciel m’adresse*,
1180 Qu’autant qu’il aye273 un Maistre, il ayme une Maistresse*:
Mais il est déja tard, retirons nous d’icy.

Porcie.

Dieux ! finissez bien-tost ma vie ou mon soucy*.
[p. 75]

ACTE CINQUIEME. §

SCENE PREMIERE. §

BRUTE, STRATON, quelques Chefs de l’armée.

Brute.

Je rends graces aux Dieux de ce que dans l’orage
Chacun de vous conserve un genereux* courage;
1185 C’est beaucoup de dompter avec les ennemis,
Les extremes dangers où l’honneur nous a mis;
C’est beaucoup, il est vray, puis que cette victoire
Nous fait des monumens au Temple de memoire:274
Mais il faut persister, et ne s’arrester pas
1190 Que nous n’ayons trouvé la paix ou le trespas*.
Je veux dire une paix qui purge nostre terre
Par la mort des Tyrans des semences* de guerre:
Paix qui rende l’esclat à ce siecle pervers,
Et qui puisse durer autant que l’Univers. [p. 76]
1195 Allons donc, mes amis, au plus fort de la presse*
Chercher parmy le sang cette belle Deesse,
Elle suit les lauriers, vit prés les gens de cœur*,
Et ne quite jamais le party du vainqueur;
Ainsi voit-on souvent dedans* l’ordre des choses,
1200 Naistre plusieurs effets contraires à leurs causes:275
Nos ennemis rangez pour ce dernier effort,
Portent peinte276 en leur front l’image de la mort,
Je les voy tous tremblans à l’abord* de nos armes,
Ceder aux mouvemens des premieres alarmes:
1205 Ils fuyent, et fuyans, nous laissent le bon-heur,
La paix, la liberté, le repos et l’honneur.
Avançons ce moment pour haster nostre gloire,
Et volons, s’il se peut, apres une victoire,
Dont la possession nous acquiert desormais
1210 La beauté d’un renom qui ne mourra jamais:
Ouy, nous vivrons, amis, malgré les destinées,
Autant que le Soleil reglera les années;
Si nous luy faisons voir cette derniere fois
Que nous avons pour but le soustien de nos lois,
1215 Et que nous n’avons pas cette vieille manie
De triompher des Rois, mais de la tyrannie.277
Ce monstre est en horreur aux yeux des immortels,
Puis qu’il porte ses loix au delà des autels,
Et que son droit sanglant mit dans la sepulture
1220 Avec le droit des gens celuy de la Nature: [p. 77]
Mais je croy que bien-tost lâchement abatu
Il viendra rendre l’ame aux pieds de la Vertu*;
Nos Citoyens alors par des voix esclatantes
Chanteront le retour des libertez absentes;
1225 Rome franche* des Rois et de leurs cruautez,
Estalera sa gloire avecque ses beautez;
Les guerres des Tyrans y seront estoufées,
Et ne paroistront plus que parmy nos trofées,
Nostre Aigle dont le vol sembloit estre intermis*,
1230 Reverra tous les lieux qui luy furent sousmis.
Le Senat reprendra cét esclat honorable,
Qui par tout l’Univers l’a rendu venerable,
Et les Tribuns278 remis auront la faculté
De maintenir le peuple en son authorité;
1235 Pour nous qui soustenus d’une ferme esperance
Aurons presté nos bras à cette delivrance,
On ne nous descendra de nos chars glorieux,
Que pour nous eslever sur les trosnes des Dieux.
Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire;
1240 Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire,
Si nous ne dissipons par des coups furieux
Ce nuage279 ennemy qui te cache à nos yeux.
Allons y donc, amis, et que toute la terre
Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre*,
1245 Que le sang espanché fasse soudre280 un estang
Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang, [p. 78]
Afin qu’à l’advenir il ne naisse point d’homme
Qui s’ose rebeller contre l’honneur de Rome,
Et que ses Citoyens soient exempts desormais
1250 D’acheter par leur sang la victoire et la pais.

Straton.

Brute, la liberté, l’honneur et la victoire
Demeureront toujours dedans* nostre memoire:
Vive donc toujours Brute, et meurent les Tyrans.

Brute.

A moy donc compagnons,281 et qu’on garde les rangs.

SCENE II. §

PORCIE, sa Compagne.

Porcie.

1255 Qu’ay-je fait qui merite un traitement si rude ?
Quel tourment est égal à mon inquietude ?
Morphée282 tous les soirs m’ouvre mille tombeaux;
La terre fend sous moy, je n’entends que corbeaux283:
Et ce qui vient encore augmenter mes supplices,
1260 Je lis mon mauvais sort dans tous mes sacrifices. [p. 79]
Que puis-je devenir, où dois-je avoir recours ?
Puis que mesme la mort est sourde à mes discours ?
Mets fin à mes malheurs, Deesse qui sommeilles,
Mais je l’appele en vain, elle n’a point d’oreilles.284
1265 Et quand elle en auroit, son inhumanité
Ne prend jamais la loy de nostre volonté;
Et moy je veux mourir, c’est mon dernier remede:
Mais pour trouver la mort, ay-je besoin d’un aide ?
Ce bras ne peut-il pas enfoncer dans mon sein,
1270 Ce qui doit achever un genereux* dessein ?
Sans doute, et si les Dieux ne cessent de nous nuire,
Je leur espargneray le soin de me destruire,
Afin que par ce coup l’Univers puisse voir,
Qu’une ame genereuse* est hors de son pouvoir,
1275 Et qu’elle peut trouver nonobstant leur envie,
L’honneur, la liberté, le repos et la vie.

La Compagne.

Pourquoy murmurez*-vous contre les immortels,
Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels,
Et par le zele ardent d’une sainte priere,
1280 Demander à genoux la victoire derniere:
Madame, apaisez-vous, rappelez la raison,285

Porcie.

Toy bannis ces discours qui sont hors de saison*,
Et s’il te reste encore quelque peu d’esperance, [p. 80]
De voir nos gens vainqueurs, démentir l’aparence,
1285 Va jouyr du plaisir de les voir revenir,
Et me laisse en ce lieu seule m’entretenir,
Tu peux beaucoup pour moy dans cette obeïssance.

La Compagne.

C’est pourquoy je voudrois qu’il fut en ma puissance;
Mais on m’a commandé de ne vous quiter pas.

Porcie.

1290 C’est me perdre pourtant que de suivre mes pas.

La Compagne.

Je mourray mille fois avant que je vous laisse.

Porcie.

En quel extreme poinct la Fortune m’abaisse,
Si mes meilleurs amis loing de me soulager,
Ne se monstrent ardens qu’à me desobliger ?
1295 Et bien, puis qu’on le veut, ne quite point mes traces,
Adjouste ta presence à mes autres disgraces,
Il ne m’en fasche pas, il faut ceder au sort.

La Compagne.

Bons Dieux assistez moy pour empescher sa mort.
[L, 81]

SCENE III. §

OCTAVE, MARC ANTHOINE, Leur suite.

Octave.

Qu’on pardonne aux Romains, qu’on cesse le carnage,
1300 Il suffit que sur eux nous avons l’avantage,
Tout est déja reduit au poinct de nos desirs,
Et bien-tost les travaux* feront place aux plaisirs;
Rome nous reverra comblez d’heur* et de gloire,
Non tant pour les lauriers deus à cette victoire,
1305 Mais pour avoir vengé l’insolent attentat*,
Qu’en meurtrissant* Cæsar, on fit sur son Estat.286

Marc Anthoine.

Le temps est oportun, l’occasion est belle,
Pour chastier l’orgueil de ce peuple rebelle,
Allons jusques au bout, poursuivons nostre effort,
1310 Et taschons d’avoir Brute ou prisonnier ou mort.
[p. 82]

SCENE IV. §

BRUTE, STRATON, deux amis de Brute.

Brute.

Puis que nos bons desseins sont veus d’un mauvais Astre,287
Il se faut preparer à souffrir ce desastre;
L’impossibilité ne nous oblige point,
L’honneur peut reculer quand il trouve ce point:
1315 Et celuy justement perd le titre de sage,
Qui veut choquer du temps l’infaillible passage,288
Qui considerera l’ordre de l’Univers,
Il verra chaque jour son visage divers,
Et connoistra* par là que quelque providence
1320 Par le seul changement previent* sa decadence,
Et qu’ainsi nostre Rome ayant peu se porter
A cét extreme point qu’on ne peut surmonter;
Il faloit que suivant cette regle divine,
Elle redescendit devers* son origine;
1325 Tu m’en as fais douter, impuissante vertu*,
Et c’est sous ta faveur que Brute a combatu,
Esperant le secours de ta force oportune,
Mais je t’ay veu tomber aux pieds de la fortune,
Je voy bien maintenant que j’eus beaucoup de tort, [p. 83]
1330 Lors que je te donnoy du pouvoir sur le sort,
Puis qu’aux premiers assauts que sa force te donne
Tu luy laisses gagner le champ289 et la couronne:
Mais je perds vainement en discours superflus,
Des momens qui passez ne se reverront plus:
1335 Profitons-en plûtost, et pendant que l’armée
Couvre tout nostre camp de flame et de fumée,
Que nos Soldats vaincus pratiquent mon conseil,
En suivant du vainqueur le pompeux apareil*,
Afin de prevenir* un malheur si funeste,
1340 Disposons nos amis à faire ce qui reste.
Genereux* compagnons de mes justes projets,290
Le Ciel s’est declaré contre l’honneur de Rome,
Il veut que le Tyran ait des Rois pour sujets,
Et que des demy-Dieux fléchissent sous un homme.
1345 Mais avant de tomber en cette extremité,
Et me voir abatu sous une loy si dure,
Je veux m’ensevelir avec ma liberté,
Et pour plaire à l’honneur, déplaire à la Nature.291
Donc si quelqu’un de vous a l’esprit assez fort
1350 Pour m’estimer encor en ce moment extreme,
Qu’il prenne ce poignard, et m’en donne la mort,
Je dois sçavoir par là s’il est vray que l’on m’ayme.
[p. 84]

L’un des Amis.

Avant de consentir à ce coup furieux,
Je vay chercher la mort au milieu de l’armée,
1355 Et si je ne voy point son bras officieux*,
Je me contenteray que ma main est armée.

Brute.

Au moins puis que tu crains de me ravir le jour,
Va t’en le conserver à ma chere Porcie.

L’autre Amy.

Je le veux seconder en cét acte d’amour,
1360 Peut estre que mes soins luy sauveront la vie.

Brute.

Et toy, mon cher Straton, es-tu de ces amis,
Qui pensent en fuyant de me faire service292 ?

Straton.

Pour servir aux desirs où vous estes sousmis,
Il faudroit peu d’amour, et beaucoup de malice.
1365 Ha ! laissez ce dessein indigne d’un bon cœur,
Qui terniroit l’esclat de vostre gloire extreme;
Un vaincu doit avoir le maintien d’un vainqueur,
Et ne perdre jamais l’Empire* de soy-mesme.
Quoy, le monde ravy de vos premiers progrez, [p. 85]
1370 Vous verra succomber à la fin de l’orage,
Et jugera d’abord, entendant mes regrets,
Qu’un bon-heur seulement faisoit vostre courage,
Esvitez ce peril, et s’il faut que l’Enfer
Vous donne le repos que le Ciel vous desnie,
1375 Courez tout au travers et du feu et du fer,
Mourez, mais combatant contre la tyrannie.

Brute.

Je sçay bien, cher amy, que par ces beaux discours
Tu me veux destourner d’un dessein legitime;
Mais en l’estat funeste où sont reduits mes jours,
1380 Je veux que ton bras m’offre à l’honneur pour victime.
Crois-tu que pour me voir au poinct de mon trespas*
Un jugement bien sain n’esclaire pas mon ame,
Et que j’aille incertain chercher en d’autres bras
Ce que je puis trouver au bout de cette lame ?
1385 On perd souvent un bien qu’on veut trop differer,
Je veux mourir pour vivre, et finir pour durer.

Straton.

Quoy, ce brave guerrier, à qui tout est possible,
Qui fit jadis trembler tant de peuples sousmis,
Perd contre ses desirs le tiltre d’invincible,
1390 Qu’il a toujours gardé contre ses ennemis.
Ha ! non, puissant Heros*, n’encourez point ce blâme, [p. 86]
La mort nous fait juger comment l’homme a vescu,
Et si le desespoir peut surmonter son ame,
On croit mal-aisement qu’il ait jamais vaincu.

Brute.

1395 Si de nos ennemis les troupes avancées
Ne me defendoient pas un plus long entretien,
Je pourroy renverser tes meilleures pensées,
Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien.
Je diroy qu’un grand cœur que la Fortune oppresse,
1400 Jusqu’à luy demander sa vie ou son honneur,
S’il balance* le chois, tesmoigne sa foiblesse,
Et ne reconnoist pas où gist* le vray bon-heur.293
L’honneur dure toujours au Temple de memoire,294
La vie a pour son cours un terme limité,
1405 Sans doute celuy-là mesnage mal sa gloire,
Qui pour gagner un jour, pert une eternité.
D’esperer295 d’un bien que la puissance humaine
Nous peut faire acquerir, est une lâcheté,
Mais ne pouvant r’avoir la liberté Romaine,
1410 Je cede seulement à la necessité.  
Si je cherche la mort tandis que je suis libre,
N’est-ce pas pour monstrer aux races* à venir,
Que j’ay voulu mourir comme j’avois sceu vivre,
Quand j’ay perdu l’espoir de m’y plus maintenir ?
1415 Ne conteste donc plus, seconde mon envie, [p. 87]
Tien ferme ce poignard, j’en beniray les coups,
S’ils peuvent faire voir en me privant de vie,
Que je mourus pour moy, ne pouvant rien pour vous.

Straton.

Dure loy du devoir que ta rigueur est grande !
1420 Obeïssons pourtant, Brute l’a projeté296.

Brute.

L’on m’a presté ce corps, il faut que je le rende;
Mais j’emporte l’honneur avec la liberté,
Approche, cher amy, qu’à ce coup je t’embrasse;297
Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse*.

Straton.

1425 Donc ce grand demy-Dieu rend l’ame devant moy ?
Donc je fais trebucher* l’esperance de Rome ?
Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy*,
Me ravit aujourd’huy ce qui me faisoit homme ?
Brute ne vit donc plus, et l’honneur des guerriers
1430 Vient d’estre le butin de ma lame cruelle ?
La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers,298
Et je suis aujourd’huy moins pitoyable qu’elle ?
Ha ! malheureux poignard, dont les lâches efforts
Nous ravissent un bien que la Parque* revere,
1435 Pourquoy ne puis-je avoir cent ames et cent corps, [p. 88]
Afin de te saouler*, et de me satisfaire.
Rome, Tribuns, Senat, Citoyens, liberté,
Suivez mon desespoir, et ma plainte funeste,
Avec ce grand Heros* vous perdez la clarté,
1440 Et la nuict des prisons est tout ce qui vous reste.
Ne tarissez jamais la source de vos pleurs,
Que leur eau n’ait plûtost fait une mer du Tybre299,
Et noyé, s’il se peut, ces hydres300 de malheurs,
Qui font que vostre Estat va cesser d’estre libre.
1445 Les Tyrans sont vainqueurs, tout l’Estat est perdus301,
La liberté se meurt, Rome s’en va la suivre,
Et pour comble de mal, le grand Brute n’est plus.
Un Heros* peut mourir, et Straton pourroit vivre ?
Non, non, tristes objets qui faites mon soucy,
1450 Ce coup me va venger du Destin qui m’outrage:    
Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy,
Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage.
[p. M, 89]

SCENE V. §

PORCIE, les deux amis de Brute.

i. Des Amis.

C’est l’endroit mal-heureux où nous l’avons laissé.

ii. [Nous ajoutons le point, absent sur l’édition de 1637, présent sur celle de 1652.] Amis.

Ha trop injustes Dieux ! le voilà trespassé*.

Porcie.

1455 Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame,
Et me contraint encor de prolonger ma trame303 ?
Doncque tant de souspirs ne peuvent l’esmouvoir ?
Et je n’ay pas la mort quand je la veux avoir ?
Pourquoy traversez*-vous mes desseins legitimes,
1460 Grands Dieux, auparavant304 de me monstrer mes crimes ?
Sans doute j’ay failly*, je le veux avoüer,
Mais c’est pour trop vous croire et pour trop vous loüer,
Ingrats rendez moy donc tant d’offrandes perdues,
Et tant de vœux payez pour des demandes deuës,
1465 Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus, [p. 90]
Tant de biens prodiguez et tant d’honneurs perdus;
Plustost à les garder mettez tout vostre étude,
Ils seront les témoins de vostre ingratitude,
Ou pour vous en laver, en cette extremité
1470 Rendez-moy seulement Brute et la liberté.
Ha Brute ! cher objet* de mes ameres larmes,
Pourquoy voulant mourir avec tes propres armes
N’as-tu pas commandé que par un pareil sort
Ce qui restoit de toy fut aussi mis à mort ?
1475 De quel front peus-tu voir la moitié de ton ame
Es* mains des ennemis, de la honte, et du blasme,
Sans pouvoir esperer le moindre reconfort,
Non pas mesme celuy qui nous vient de la mort;
Et ce qui plus me fasche et de raison me prive,
1480 Sur le point malheureux d’aller servir captive.
D’aller servir captive, ha trop lasches discours !
Rentrez dedans* mon sein, demeurez-y tousjours,
Autrement je croirois que mon ame ennemie
Se bande* contre nous, et pour la tyrannie.
1485 D’aller servir captive: Ha penser305 inhumain !
Qui choque en mesme instant et mon cœur et ma main.
Quoy, lasche cœur, plustost que souffrir cét outrage
Veux-tu pas306 sur mon corps laisser aigrir ma rage ?
Et toy, ma chere main, si le cœur* me deffaut307,
1490 Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut. [p. 91]
Ouy quand tout l’univers s’armeroit au contraire*
Il n’est pas assez fort pour m’en pouvoir distraire:
Lors que Brute vivoit je souffrois le malheur,
Mais depuis qu’il est mort je cede à la douleur.308
1495 Vantez, ambitieux, les coups de vos tempestes*,
Publiez nostre perte, exaltez vos conquestes,
Mais loüez la fortune en cét evenement,
Vous triomphez de nous par son aveuglement.
Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre,
1500 Brute mon cher soucy*, vous n’estes pas du nombre;
Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre cœur,
Vous l’en avez osté pour estre son vainqueur.309
Traitres n’allez donc plus vanter cette victoire,
Vos lauriers sont fletris, vous n’avez plus de gloire,
1505 Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel,
En demolit le temple et bastit son autel.310
Mais helas que le sort a d’estranges caprices !
La honte des tyrans fait naistre mes supplices,
Et ce trespas* fatal qui ternist leur honneur
1510 Efface en mesme temps l’éclat de mon bon-heur.
Brute étoit mon apuy, mon repos et mon ame,
N’ay-je pas tout perdu dans la fin de sa trame311 ?
Et si je vis encor, mon cœur, voudrois-tu bien
Me sçachant pres des fers conserver ton lien ?
1515 Mon pere se defit* sur la simple apparence [p. 92]
Que le salut Romain étoit sans esperance;312
Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd’huy
N’auray pas le pouvoir de faire comme luy ?
Trop cheres libertez, amour, vertu*, naissance,
1520 Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance,
Un si juste dessein ne peut estre arresté,
Et j’en ay le pouvoir comme la volonté.
Amis injurieux* qui choquez mon envie,
Vous travaillez en vain à conserver ma vie;
1525 Tous ces soings peuvent bien augmenter mon ennuy*,
Mais non pas m’empescher de mourir aujourd’huy.
Brute et la liberté prononcent cét oracle,
Je leur obeïray malgré tout vostre obstacle,
Et quand vous m’osteriez poison, flames, et fers,
1530 Je cognois cent chemins pour aller aux enfers.

Les deux Amis.

Octave vient à nous.

Porcie.

Verray-je ce perfide
Coupable de ma perte et de cét homicide ?
Non, fuyons le plustost, et perdons la clarté
Puis que Rome a perdu Rome et la liberté.
[p. 93]

SCENE VI. §

OCTAVE, MARC-ANTHOINE, leur suite.

Octave.

1535 Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines,
Dont la mort va donner du relasche à nos peines,
Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat
Qui jamais ait tenu les renes d’un Estat;
Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre
1540 Qui se veut opposer aux desirs de son maistre,
Et punit le mutin qui choque des projets
Dont le zele ne tend qu’au bon-heur des sujets,
Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie
Déroba les momens les plus doux de sa vie.
1545 Ceux qui restent encor seront bien tost abas*
S’ils attendent les coups qui partent de nos bras,
Et quand pour éviter nos fureurs legitimes
Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes,
Je feray mes efforts pour pouvoir entasser
1550 Osse sur Pelion et les en deschasser*.313
[p. 94]

Anthoine.

J’approuve ce dessein, et fais vœu de le suivre
Tout autant que les Dieux me voudront laisser vivre;
Mais il faut balancer* les choses par raison,
Considerer les lieux et choisir la saison*:314
1555 Nos soldats sous l’espoir d’une paix desirée
Ont souffert de grands maux et de longue durée,
Combatu vaillament, affronté les dangers,
Donné de la terreur aux peuples estrangers,
Poursuivy les mutins, et pour comble de gloire
1560 Gaigné desja sur eux une double victoire;
Apres tous ces exploits voudriez vous differer
A leur donner un bien qui les fait souspirer ?
J’estime que Cæsar ne veut point de victime
Qui n’ait dedans* son sang fait éclater son crime,
1565 Tous ses meurtriers sont morts, il reste seulement
Ceux qui l’ont offencé par le consentement,
Qui bannis à jamais de leur ville natale,
Vont souffrir les rigueurs d’une peine infernale.
Il suffit ce me semble, et son ressentiment
1570 Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment:
Mais quittons ces discours et gaignons nostre terre
Pour en bannir bien loing les marques de la guerre,
Allons revoir nos Dieux315, nos femmes, nos enfans,
Et changeons ces habits en ceux de triomphans*. [p. 95]

Octave.

1575 Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire
Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire*,
Mais mon ressentiment desire plus de sang.

Anthoine.

Il est bien alteré316 s’il en boit un estang
Qui flotte impetueux là bas dedans* la plaine.317

Octave.

1580 C’est bien peu pour esteindre une mortelle haine,
Et monstrer ce que peut une extreme valeur.318

SCENE VII. §

UN SOLDAT DE BRUTE, ANTHOINE, ET OCTAVE.

Le Soldat.

J’ay donc veu sans mourir ce comble de malheur
Dont l’image tousjours est dans mon cœur emprainte ?
[p. 96]

Anthoine.

Soldat viens et nous dis la cause de ta plainte.

Le Soldat.

1585 A ce commandement je sens que le devoir
En forçant ma douleur m’en donne le pouvoir;
Pardonnez-moy, Seigneurs, si je vous desoblige,
Vostre seule victoire est tout ce qui m’aflige:
La fille de Caton, qui n’a pû la souffrir,
1590 Vient malgré tous nos soings de se faire mourir.
En vain pour empescher ses mortelles pratiques
On avoit étably des argus319 domestiques,
En vain un tas confus d’amis officieux*
Prenoient garde à sa voix, à son geste, à ses yeux,
1595 Et croyans que le temps auroit soin de l’instruire,
Ostoient à sa fureur tout ce qui pouvoit nuire,
Cette prudence est foible et ces soings superflus,
Porcie veut mourir puis que Brute n’est plus:
Mais voyant qu’on fermoit le passage ordinaire
1600 Qui peut mener à bout un dessein sanguinaire;
Allumant sa fureur, elle y trouve un flambeau
Pour aller à la mort par un chemin nouveau.320
Dans ce mortel transport* que sa voix dissimule,
Elle feint d’avoir froid, quoy que son cœur la brusle,
1605 Fait allumer du feu, s’en approche d’abord,
Et profere ces mots messagers de sa mort: [N, 97]
Obstacle de mon bien, trouppe trop importune,
Qui voyez sans pitié durer mon infortune,
Amis injurieux*, domestiques, parens,
1610 Tous vos soings desormais me sont indifferens,
Augmentez vos rigueurs, augmentez vos malices,
Et venez-moy321 ravir poison, fer, precipices.
Elle dit, et soudain d’un maintien de vainqueur
Avalla des charbons moins ardens que son cœur,322
1615 Leur brasier violant estouffe sa parole,
Son bel œil s’obscurcit323, et son ame s’envole.
Porcie est morte ainsi, laissant dessus* son front
Non le trait de la mort mais celuy d’un affront,
Qui rougissant les lys* de sa divine face324,
1620 Monstre qu’à sa fureur la mort mesme a fait place:
A ce funeste objet tout se plaint, tout gemit,
Le Ciel mesme en pleure, et la terre en fremit.

Octave.

Un si triste accident ébranle mon courage,
Et fait que dans le port je crains presque l’orage.
1625 Je cognois* aujourd’huy parmy ce changement
Que le plus grand bon-heur ne dure qu’un moment;325
Je voy que le Demon* qui conduit toutes choses,
Ne pare l’univers que de metamorphoses*,
Afin que nos esprits aymant la nouveauté,
1630 Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté. [p. 98]
Que si c’est un effect de sa toute-puissance,
En vain tous les mortels y feroient resistance,
Et nostre vanité n’auroit rien de pareil
Si nous pensions servir à ce grand appareil*,
1635 Que326 comme d’instrumens incapables d’ouvrage
Si la main de l’ouvrier ne les met en usage:327
L’exemple n’est pas loing; Ce grand Brute autresfois
Servit à degrader des legitimes Rois,
Se vit aussi puissant dans l’Empire de Rome
1640 Que sçauroit desirer l’ambition d’un homme;328
Et pourtant aujourd’huy nous l’avons veu mourir
Sans qu’aucuns des mortels ait pû le secourir:329
Ainsi quoy que nos fronts courbent dessous* les palmes,
Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes,
1645 Et que nous commandions à tout le genre humain,
Nous pouvons n’estre rien et mourir dés demain:
C’est pourquoy relaschant de ma premiere envie,
Je veux que les vaincus soient certains de leur vie,
Qu’on les souffre dans Rome, et que nos citoyens
1650 Renoüent avec eux leurs accords anciens,
Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles
Leur oste le desir d’estre jamais rebelles.330

Anthoine.

C’est le propre d’un cœur purement genereux*
De se montrer clement envers les malheureux;331 [p. 99]
1655 Qu’on prene donc ce corps et celuy de Porcie;
Vous, courez pour chercher celuy-là de Cassie,
Tandis qu’en un bucher ces genereux* amans
Recevront le dernier de leurs embrassemens;
Puis les ayans bruslez conservez-en la cendre,
1660 Parce qu’à leurs parens nous desirons la rendre.332

Octave.

Enfin, graces aux Dieux, nous sommes dans le port,
Nous avons dissipé les flambeaux du discord*,
Demoly ses autels, et basty nos Trophées
Sur le sanglant débris des guerres estouffées.
1665 Themis regne par tout, Mars languis abbatu,333
Le vice qui s’enfuit fait place à la vertu*;
Rome nous tend les bras, nos couronnes sont prestes,
Alons donc recevoir ces fruits de nos conquestes,
Afin que nostre front de lauriers ombragé
1670 Monstre à tout l’univers que Cæsar est vengé.

FIN.

[p. 100]

AUTRES ŒUVRES DU MESME AUTEUR SUR LA GUERISON DE SYLVIE. §

CHANSON. §

1840 Austere et triste solitude
A qui mon esprit fait la cour,
Permets qu’en ce bien-heureux jour
Le plaisir soit tout mon estude,
5 Et si tu veux encor m’obliger doublement
1845 Prens part à mon contentement.
Chasse la nuict et le silence,
En faveur du jour et du bruit,
Souffre tout ce qui te destruit
10 S’il est de nostre intelligence;
1850 Autrement le bon-heur que je veux raconter
M’obligeroit à te quitter.
Sylvie n’est plus enrumée,
Sa bouche me le dit hier;
15 Mais ce bien se doit publier [p. 101]
1855 Par la voix de la Renommée.
Reprens donc ton silence et ton noir vestement,
Mais souffre mon ravissement.

A SYLVIE SUR LA MORT DE SA COUSINE D. L.
SONNET. §

Beaux yeux ne pleurez plus cette belle cousine,
Qui dans ses premiers jours rencontre son tombeau,
1860 Jamais rien de mortel n’eust un destin si beau
Que par le seul excés de la grace divine.
5 Ses maux trouvent leur fin avant leur origine,
Elle quitte le monde en quittant le berceau,
Et son esprit s’envolle en ce sejour nouveau
1865 Où jamais le bon-heur ne meurt ny ne decline.
Ainsi sur une mer où les vents et les flots
10 Ne cogneurent jamais l’usage du repos,
Où les plus asseurez craignent pour leur naufrage,
Cette jeune beauté dont vous plaignez le sort
1870 Rencontre les douceurs du port,334
Sans avoir ressenti les rigueurs de l’orage.
[p. 102]

A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOEL. §

Il faut me conceder, belle et sage Sylvie,
Que vous imitez mal le grand Maistre du Sort,
Il s’approche aujourd’huy pour me donner la vie,
1875 Et vous vous esloignez pour me donner la mort.
5 Je voulois approuver par mes chants d’alegresse
Ceux que par tout le monde on faisoit résonner,
Mais vous voyant partir, l’excés de ma tristesse
Ne me laissa la voix que pour les condamner.
1880 Le respect toutesfois tenant mes levres closes,
10 Par ces mots seulement j’exprimay mes douleurs;
Helas ! faloit-il donc que dans l’ordre des choses
Tout le monde chantast quand je versois des pleurs.

SONNET POUR LA MESME. §

Ma flâme est pour Sylvie à tel poinct de constance,
1885 Qu’il n’est rien sous le Ciel qui la puisse ébranler;
Et quoy que mon desir passe mon esperance,
Je mourray mille fois plustost que reculer.
5 Elle a de la contrainte à m’entendre parler, [p. 103]
Et c’est où mon malheur va jusqu’à l’insolence,
1890 En ce qu’il me contraint à mourir ou brusler,
Ou bien à luy deplaire, ou garder le silence.
Tout s’oppose à mes vœux, rien ne s’arme pour moy,
10 Le sommeil seulement recompense ma foy*,
Flatant ma passion par un si doux mensonge;
1895 Qu’il me semble à tous coups335 que l’objet* de mes vœux
Par des baisers de flâmes authorise* mes feux:
Mais je souffre en effet et ne baise qu’en songe.

A LA MESME.
STANCES. §

En fin le Ciel jaloux du repos de ma vie,
A banny de ces lieux le bien de nos desirs,
1900 Et mon cœur avec mes plaisirs
A suivy les pas de Sylvie:
5 Je souffre cette cruauté
Comme une peine deuë à ma temerité.
J’ose aymer un objet* à qui tout autre cede,
1905 Mais si pour éviter sa fuite et mon trespas*
Il faut ne l’aymer pas,
10 J’ayme bien mieux souffrir le mal que le remede.
Tyrant336 des volontez qui fit naistre ma flâme, [p. 104]
Et que je recognois pour unique vainqueur,
1910 Oste son portrait de mon cœur
Ou mets le mien dedans* son ame,
15 Fais luy voir mon affection
Dans le plus haut degré de la perfection;
Cache sous ton bandeau les deffauts de ma vie,
1915 Ou s’ils sont esclairez, que ce soit par les feux:
Bref pour me rendre heureux*
20 Donne m’en le merite ou m’en oste l’envie.
Mais quoy c’est bien en vain que je te solicite,
Les vertus* de Sylvie ont tenu ce haut point
1920 Que les mortels ne trouvent point,
Et pour qui tout est sans merite,
25 Pardonne à mon aveuglement,
Ton flambeau le causa quand il me fit amant,
Et si tu veux me faire une faveur extreme,
1925 Ordonne seulement que la Divinité
Qui tiens ma liberté,
30 Croye que je l’adore, et souffre que je l’ayme.

FIN.

Lexique §

Dictionnaires utilisés

– Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle ;
– Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye, Dictionnaire historique de l’ancien langage français ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu’au siècle de Louis XIV ;
– Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle ;
– Robert Estienne, Dictionaire Francoislatin, 1549 ;
– Jean Nicot, Thrésor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne, 1606 ;
– Randle Cotgrave, A Dictionarie of the french and english tongues, 1611 ;
– Pierre Richelet, Dictionnaire françois, 1680 ;
– Antoine Furetière, Dictionaire Universel, 1690 ;
– Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au Roy, 1694 [Première édition] ;
– Nouveau Dictionnaire de l’Académie françoise, 1718 [Deuxième édition] ;
– Dictionnaire de Trévoux, 1771 [Dernière édition] ;
– Dictionnaire de l’Académie françoise, 1798 [Cinquième édition] ;
– Dictionnaire de l’Académie française, 1835 [Sixième édition] ;
– Louis Barré, Complément du Dictionnaire de l’Académie française, 1842 ;
– Le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) du laboratoire ATILF ;
– Le Trésor de la Langue Française (TLF), 1971-1994 [notamment sous sa forme informatisée, TLFi].
Abas
À bas. Mettre à bas, être à bas : abattre, être abattu. (TLFi, Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 316, 1545
Abord
« Aproche, arrivée. » (Richelet). « Se dit aussi d’une attaque d’ennemis, soit par mer, soit par terre. L’abord des François est à craindre, on ne peut soûtenir leur premier abord. l’abord fut rude quand on eut accroché le vaisseau. » (Furetière).
Prologue, v. 75 ; pièce, v. 894, 1203
Adresser
« Diriger. » (Huguet).
V. 1179
Appareil
« Ce qu’on prepare pour faire une chose plus ou moins solemnelle. » (Furetière). « Apprest, préparatif, attirail et pompe. Grand appareil. appareil extraordinaire. appareil lugubre. appareil de guerre. on fait de grands appareils pour son entrée. il a fait son entrée dans un magnifique appareil. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, deuxième édition, 1718).
V. 1338
« Objet préparé pour une destination spéciale, réunion, agencement d’ustensiles, de choses se combinant entre elles placées, disposées, mises en certain ordre dans un but auquel elles doivent concourir ensemble » (Godefroy). Godefroy donne l’exemple suivant : « Quant li vilains se fud disné, / As chans revait son labor faire; / Mais donc out mult dol e contraire / Quant ne trova ses apareilz. (BEN., D. de Norm., II, 7195, Michel.) » Le TLFi cite cet exemple de Godefroy pour illustrer ce sens puis écrit : « repris début XIXe s. 1805 (Lunier, Dict. des sc. et des arts : Appareil, en physique, est une collection de machines ou instruments nécessaires pour faire une suite d’expériences sur une matière déterminée) » (article « appareil », partie « Étymologie et Histoire »). Ainsi, le sens qui nous est peut-être le plus familier semble disparaître aux XVIIe et XVIIIe siècle avant de renaître de ses cendres au XIXe siècle : absent de Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave, Furetière et du Dictionnaire de Trévoux, il n’apparaît dans le dictionnaire de l’Académie qu’à partir de la sixième édition (1835).
V. 1634
Arresté
« Arresté. Calme. » (Huguet).
V. 569
Attentat
« Outrage ou violence qu’on tâche de faire à quelqu’un. On punit de mort cruelle les attentats contre les personnes sacrées. il ne s’est pas trouvé coupable de meurtre, mais d’un simple attentat sans execution, le cas est remissible. » (Furetière). « Entreprise contre les loix. Enorme attentat. horrible attentat. c’est un attentat. faire un attentat. commettre un attentat. un attentat contre la liberté publique. empescher l’execution d’un arrest, c’est un attentat. le Parlement a cassé toute la procedure, et tout ce qui s’en est ensuivi, comme un attentat. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 19, 339, 841, 1305
Authoriser
Signifie en premier lieu, dans un sens aujourd’hui vieilli : « Domaine admin., jur., pol., etc. Donner un pouvoir légitime, de l’autorité (à qqn, qqc.). (Quasi-) synon. accréditer, légaliser, légitimer. » « P. ext., domaine moral, idéol., etc. Donner du poids, de l’influence (à quelqu’un, quelque chose). » (TLFi).
Avancer
Spécialement : « Devancer, prévenir. » (La Curne). Ce sens est également présent dans Huguet, qui cite pour l’illustrer quatre exemples tirés de la traduction d’Héliodore par Jacques Amyot (1513-1593), L’Histoire æthiopique.
V. 709
Avanture
« Accident, ce qui arrive inopinément. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Signifie aussi, Ce qui est au pouvoir du hasard, de la fortune. » (Furetière). Nous expliquons le vers 831 par la définition suivante : « Ce qui arrivera probablement (à qqn) dans l’ensemble de l’existence, succession probable d’événements généralement imprévisibles. (Quasi-) synon. sort, destinée. La longue aventure de la vie » (TLFi).
V. 5, 703, 787, 831
Balancer, balance
« Se dit figurément de l’examen qu’on fait dans son esprit des raisons qui le tiennent en suspens, et qui le font incliner de part et d’autre. Le Juge a longtemps balancé les raisons de ces parties. il y avoit longtemps qu’il balançoit s’il se marieroit ou non. les Juges étoient partagés, et cette affaire a esté long-temps balancée. » « On dit aussi pendant un combat opiniastre entre deux armées, que la victoire est en balance, en suspens, qu’elle ne sçait pour quel parti se declarer. » (Furetière).
(Se) bander
« Avec le pronom personnel, signifie, Se liguer, s’unir plusieurs bandes de personnes ensemble pour s’opposer à quelque dessein. Tous les Seigneurs du Parlement d’Angleterre s’étoient alors bandez contre le Roy. » (Furetière).
Bande
« Signifie encore, une trouppe de plusieurs personnes associées ensemble pour un même dessein. » ; « se disoit autrefois des trouppes, des gens de guerre; mais il n’est demeuré en usage qu’en cette phrase, le Prevost des Bandes, pour dire, le Juge des soldats du regiment des Gardes. » (Furetière).
Prologue, v. 43 ; pièce, v. 1094
Chacun
« Un chascun (pronom). Chacun, tout le monde. » (Huguet). « XIIe s. un chacun (Sermons St Grégoire sur Ezechiel, 20, 30 ibid.), surtout en usage au XVIe s. (Hug.), loc. considérée comme basse par Fur. 1690. » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l’article « chacun »).
V. 437
Change
Employé comme substantif, le mot signifie « changement » (Huguet, Cotgrave, Richelet, Dictionnaire de Trévoux). Dans Richelet et le Dictionnaire de Trévoux, il est préféré en poésie plutôt qu’en prose.
V. 46
Charme, charmer
Ne pas oublier la dimension magique du mot, qui en fait un terme fort et peut le rapprocher de l’enchantement ou du sortilège.
Prologue, v. 13, 126 ; pièce, v. 129, 182, 224, 1117
Choquer
1°) « Heurter avec violence. […] les armées se sont choquées avec grande ardeur, si-tost qu’elles ont été en presence. » 2°) « Signifie figurément, Quereller, offencer. » 3°) « Signifie encore, Blesser legerement. » (Furetière).
V. 232, 612
Coeur
« Signifie quelquefois, Vigueur, force, courage, intrepidité. Cet homme a un cœur de lion, n’a rien de bas dans le cœur, a le cœur haut, noble. il a le cœur bien placé. la naissance hausse le cœur, enfle le cœur des Gentilshommes. on ne sçauroit trop mépriser les gens sans cœur et sans foy. » (Furetière ; nous soulignons en caractères gras).337
V. 60, 433, 538, 606, 870, 922, 1197
Connoistre / cognoistre
Pour un verbe aussi important, la démarche la plus sûre semble être de partir d’un dictionnaire structuré et donc (car c’est le meilleur) du TLF. Dans sa longue entrée CONNAÎTRE, on relève deux emplois, vieilli ou vieux.338 Ceux-ci permettent de lever toutes les ambiguïtés que l’on rencontre dans la pièce.
1°) L’emploi vieilli (ou littéraire) : « Reconnaître la marque de quelqu’un ou de quelque chose. » (prologue, v. 20 : les attributs de la Renommée sont évoqués d’abord négativement ; s’ils n’étaient pas cachés, on la reconnaîtrait alors).
2°) L’emploi vieux (ou littéraire) : « Connaître qqc., connaître que + ind. […] - P. ext. Se rendre compte (de) ; avoir la révélation que. Synon. emphatique de savoir. » (pièce, v. 121, 338, 387, 416, 975, 1079, 1319, 1625). Ainsi ce dernier sens a ceci de particulier par rapport à l’emploi usuel que « connaître » est alors une véritable action, strictement concomitante au moment évoqué, et non plus un état de connaissance tributaire du passé. Sur ce point, il se rapproche de l’emploi vieilli 1°).
La forme en -GN- (« (re) cognoistre ») apparaît six fois, dans les cahiers A, M et N ; la forme en -NN- (« (re) connoistre ») onze fois, dans les cahiers B, D, F, G, H, I et L : il n’y a pas de concurrence au sein d’un même cahier. Il est donc probable qu’il s’agisse là d’un fait d’imprimeurs. « Noter la graph. étymol. (sur le lat. class.) cognoistre ds Ac. 1694 (en tant que vedette de renvoi à connoistre) et avec ses dér. : cognoissance, cognoissant, cognoissement ds Ac. Compl. 1842 qui note également le part. passé cognu et Lar. 19e (à titre hist.). » (TLFi).
Prologue, v. 20 ; pièce, v. 121, 338, 387, 416, 975, 1079, 1319, 1625
Conseil
Spécialement : résolution (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 269
Contraire
Nous laissons de côté l’adjectif, dont l’emploi est resté relativement stable durant les siècles qui nous séparent de notre œuvre, pour nous intéresser au substantif, dont l’emploi a évolué et semble s’être affaibli pour se réduire à un sens logique (comme dans « dire le contraire »). C’est déjà le cas dans le Furetière. En outre, s’il en reste des traces dans un emploi de l’adjectif que le TLFi note usuel et littéraire, la dimension d’hostilité s’efface dans le substantif.339 Ceci, appuyé des définitions (exhaustives) suivantes, permet une mise au point sur la locution « au contraire ». On comprendra mieux la construction du vers 1491 et l’on ne sera dès lors plus tenté de voir une substantivation hardie ou une ellipse (« party » sous-entendu, par exemple).
Godefroy :
1°) « CONTRAIRE 2., s.m. chose qu’on fait en retour ou en représailles d’une autre […] Opposition, contrariété, affliction, toute chose fâcheuse et nuisible ».
2°) « CONTRAIRE, s.m. [Compl.] chose contraire […]
Aller au contraire, loc. [Compl.] s’opposer ».
Huguet :
« Contraire (subst.). Adversaire, ennemi, rival. […]
Au contraire. D’une façon contraire, opposée. […] En sens contraire, tendant vers le contraire. […] Faisant opposition, hostile. »
Richelet distingue deux adverbes :
1°) « Au contraire, adv. Au préjudice. [Elle cassa tous les actes rendus au contraire. Maucroix Schisme. l. 2.] »
2°) « Au contraire, adv. Bien loin de cela. »
La distinction n’est plus aussi nette dans le Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694, où le substantif n’est par ailleurs pas mentionné (article « contre ») :
« AU CONTRAIRE. adv. Tout autrement, d’une maniere opposée. Vous dites que cela arriva de la sorte, au contraire il arriva que etc. tant s’en faut que cela soit ainsi, qu’au contraire. vous faites tout au contraire de ce que l’on vous dit. il destruit la Religion, bien au contraire de ses ancestres qui l’ont soustenuë. / On dit, Aller au contraire d’une chose, pour dire, S’y opposer, y contredire. On en demeure d’accord, personne ne va au contraire. allez vous au contraire de cela ? »
V. 1491
Courier
« Postillon qui fait mestier de courir la poste, de porter des dépesches en diligence. […] Se dit aussi de tous ceux qui courent la poste, soit pour leur plaisir, soit pour leurs affaires, encore qu’ils soient de condition. » (Furetière).
Prologue, v. 121
Crayon
« Se dit figurément des descriptions qu’on fait par le discours, soit des personnes, soit des choses. Il a fait un leger crayon de cet homme, qui suffit pour le reconnoistre. Il nous a fait le crayon de cette bataille, de ce campement. » (Furetière).
V. 404
Dedans
Voir l’entrée DESSUS.
Def(f)aire
« Il signifie aussi, Faire mourir. Cette malheureuse a deffait son fruit, son enfant. on a deffait aujourd’huy trois hommes à la Greve. se deffaire soy-mesme. / Deffaire, en parlant de Troupes de gens de guerre, signifie Mettre en desroute, Tailler en pieces. On deffit les ennemis à platte couture. aprés avoir deffait les ennemis. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Prologue, v. 159 : pièce, v. 488, 1172, 1515, 1576
Deüeil
« Douleur qu’on sent dans le cœur pour quelque perte ou accident, ou la mort de quelque personne chere. », « accident » étant à prendre au sens de « Hasard, coup de fortune. » (définitions de Furetière).
V. 665
Démon
« Esprit bon ou mauvais qui préside aux destinées de l’individu, de la communauté » (TLFi). « Le spectre qui apparut à Cassius étoit un mauvais Demon qui l’épouvanta. » (Furetière). Voir l’entrée GENIE.
V. 507, 535, 1627
Dépiter
« Mépriser, dédaigner, braver: […] Les Cireniens enragez, / Un jour en bataille rangez, / Despitoient le ciel et le foudre, / Voulans arracher le soleil. (D’AUBIGNÉ, Trag., Préf., Bibl. elz.) Cette signification se retrouve encore chez Régnier et chez Malherbe; aujourd’hui depiter ne s’emploie plus que pour signifier causer du dépit à quelqu’un, et au réflechi, concevoir du dépit » (Godefroy). « Braver, défier. […] Maudire. — Oudart renioit et despitoit les nopces. RABELAIS, IV, 15. — Despite moy tous les cieux, Despite moy tous leurs dieux, Autheurs de ton mal extreme. JODELLE, Cleopatre, V (I, 150). — Je maudy le destin contre moy conjuré; Je despite ma vie à souffrir condamnee. DESPORTES, Elegies, I, 14. » (Huguet). Ce sens est présent dans Godefroy, Huget et La Curne mais n’apparaît pas dans les dictionnaires des époques postérieures.
V. 944
Déraisonnable
« Qui est contre la raison, le bon sens, la justice. » (Furetière).
V. 815
Deschasser
Chasser, expulser, bannir. En ce sens vieilli, on trouve le mot dans Godefroy, La Curne, Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave et Barré (1842). Ce dernier précise : « Il se trouve dans Montaigne et dans Rabelais. » Notons le préfixe « des » et sa valeur d’intensité.
V. 1550
Dessus, dessous, dedans
Vaugelas condamne l’emploi, qu’il constate courant et en prose et en vers, de prépositions composées (dessus, dessous, dedans, dehors) à la place des simples correspondantes (sur, sous, dans, hors). « Je dis que ce n’est pas escrire purement, que d’en user ainsi, et qu’il faut toujours dire, sur la table, sous la table, dans la maison, et hors la ville, ou hors de la ville; car tous deux sont bons, et non pas dessus la table, dessous la table, etc. On le permet pourtant aux Poëtes, pour la commodité des vers, où une syllabe de plus ou de moins est de grand service; Mais en prose, tous ceux qui ont quelque soin de la pureté du langage, ne diront jamais, dessus une table, ny dessous une table; non plus que dedans la maison, ou dehors la maison. Il semble que ces composés soient plustost adverbes que prepositions; car leur grand usage est à la fin des periodes, sans rien regir aprés eux, puis qu’ils terminent la période et le sens »340. Vaugelas donne trois exceptions bien précises (qui ne concernent pas les mots que nous avons marqués) avant de conclure : « Ces cas exceptez, il ne faut jamais employer ces composez, que comme adverbes, et se faut servir des autres, comme de prepositions. » (Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 124-126). Richelet et le Dictionnaire de l’Académie françoise (première édition, 1694) suivent strictement Vaugelas341 ; Furetière, lui, ne semble pas en tenir compte (voir notamment les articles « dessus » et « dessous »). Remarquons que l’emploi des formes composées est ici exclusivement prépositionnel. Certes, les formes simples sont 6, 5342 fois plus employées, mais les 23 occurrences de composées sont un fait significatif qui nous semble témoigner d’une possibilité : qu’il s’agisse là d’une affaire d’usage de l’auteur ou de style plus que de syllabe.
Prologue, v. 83 ; pièce, v. 5, 83, 148, 474, 502, 572, 740, 868, 906, 943, 947, 985, 1026, 1053, 1199, 1252, 1482, 1564, 1579, 1617, 1643 ; stances
Devers
Du côté de, vers. « Devers. marquant l’origine, le point de départ. » (Huguet). « Préposition qui a vielli, et qui tout au plus ne peut trouver sa place que dans le langage le plus-bas. En sa place on se sert de la préposition vers. Vau. Rem. » (Richelet). Furetière et le Dictionnaire de l’Académie (première édition, 1694) ne sont pas aussi sévères et n’évoquent ni le caractère « vieux » du mot ni son caractère « bas ». Pour le Dictionnaire de l’Académie, il faudra attendre la cinquième édition (1798) pour lire : « DEVERS a vieilli; aujourd’hui on emploie Vers. » D’ailleurs pour comprendre Richelet, il faut remonter à sa source, Vaugelas, dont le jugement est nuancé : « Cette preposition a tousjours esté en usage dans les bons Autheurs, par exemple, il se tourna devers luy, cette ville est tournée devers l’Orient, devers le Midy. Et ainsi des autres. Mais depuis quelques temps ce mot a vieilli, et nos modernes Escrivains ne s’en servent plus dans le beau langage. Ils disent tousjours vers, comme se tournant vers luy, vers l’Orient, vers le Midy. » (Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 172 ; nous soulignons). Un demi-siècle plus tard, l’Académie fait publier ses Remarques accompagnées d’observations censées « rendre compte de l’usage present » (voir l’Avertissement) : « On ne dit plus il se tourna devers luy, ni cette Ville est tournée devers l’Orient, il saut dire vers luy et vers l’Orient. La préposition devers ne laisse pas d’avoir encore quelque usage, mais c’est quand elle veut dire aux environs de comme il vient de devers Lyon. » (Observations de l’Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas, Coignard, 1704, p. 195).
V. 1324
Discord
« Desunion, dispute, querelle. Il est vieux et hors d’usage. » (Furetière). « DISCORD. s.m. Discorde. Il n’a d’usage qu’en vers, et ne se met guére qu’au pluriel. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Discord pour discorde, ne vaut rien en prose, mais il est bon en vers [Exemple pris chez Malherbe.] Les autres Poëtes en ont aussi usé et devant et apres luy. C’est un de ces mots, que l’on employe en vers et non pas en prose, dont le nombre n’est pas grand. […] Quoy qu’il en soit, on ne s’en sert en prose que tres-rarement, y ayant quelque lieu, où peut-estre il pourrait trouver sa place. » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 496-457343). On trouve l’orthographe « discort », apparemment archaïsante, dans le Godefroy.344
Prologue, v. 91 ; pièce, v. 1662
Donner
« Absolument c’est, Commencer le combat, aller à l’assaut. » (Furetière).
V. 164
Empire
« Se dit figurément en Morale, de la domination, du pouvoir qu’on a sur quelque chose. Il a beaucoup d’empire sur soy, sur ses passions, sur l’esprit de sa maîtresse. » (Furetière). Ce sens ne paraît pas vieilli dans les dictionnaires contemporains, comme le TLFi.
V. 1368
Encontre
« Contre. » (Huguet). En tant que préposition, le mot est aussi présent dans Cotgrave mais absent de Nicot, Furetière et du Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694.
V. 485
Ennui
« Affliction, douleur, tristesse. » (Huguet). Le sens du mot s’est affaibli.
Es
« Mot fait par contraction de la préposition En, et de l’article pluriel les, pour signifier Dans les. Il n’a plus maintenant d’usage qu’en cette phrase, Maistre és Arts, et en quelques autres phrases qui sont purement du style de Pratique. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Est tantost preposition locale, qui se donne au nombre plur. comme au singul. Mais le plus vsité et plus naturel au plur. est aux, comme, Il loge és forsbourgs, In suburbiis habitat. Dont le plus commun est aux forsbourgs. » (Nicot). « Avant que la particule és, pour aux, fust bannie du beau langage, on disoit, tomber és mains, depuis on a dit, tomber aux mains, mais ny l’un ny l’autre ne valent rien, et il faut tousjours dire, tomber entre les mains de quelqu’un. L’usage moderne le veut ainsi. Tomber és mains, est particulierement de Normandie. » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 167).
V. 728, 1476
Eschet
1°) « Eschet 1. Coup ( ?). — L’eschet de la tempeste tombe volontiers sur les plus hautes tours. BEROALDE DE VERVILLE, le Moyen de parvenir, Sommaire (I, 285). » ; 2°) « Eschet 2, Eschete, v. Eschec. », « Eschec. Prise, butin. […] Carnage, destruction, ravage. » (Huguet).
« Eschet: m. An Escheat345, or thing fallen to. » (Cotgrave).
« ESCHEC, se dit figurément en choses morales, d’un malheur ou de quelque perte qui donne atteinte aux biens, à la fortune, à l’honneur. Ce favori a receu un grand eschec, un vilain eschec. L’armée a receu un eschec, on luy a enlevé un quartier. » (Furetière).
Le mot échec que nous connaissons, notamment dans le sens d’« insuccès » (le dernier sens que nous avons indiqué, avec Furetière), vient du jeu. « Le c final de échec est peut-être dû à un croisement de ce mot avec l’a. fr. eschec “butin” » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l’article « échec ») : il s’agit là du second sens signalé par Huguet. Ici, la difficulté est l’absence de c au profit d’un t. L’hypothèse d’un dérivé du verbe eschoir (échoir en français moderne) n’est dès lors pas exclue. Le sens de Cotgrave vient de là, mais n’est pas satisfaisant. Cependant, échoir, de la famille de choir, a notamment le sens de « qui advient, qui est dévolu par hasard » (TLFi), ce qui s’applique bien au premier sens donné par Huguet pour le mot eschet, à l’exemple singulier qui l’accompagne, et au mouvement que ce dernier décrit. De plus, une recherche du contexte de cette citation nous confirme qu’il est bien question d’un coup de fortune.
V. 597
Espris (de)
« Espris de. Pris de, saisi par, en proie à. » ; mais aussi : « Estre espris. S’enflammer. » (Huguet). Ce dernier sens est dans La Curne mais disparaît des dictionnaires des époques postérieures.
Prologue, v. 1
Estomach
1°) estomac ; 2°) poitrine. « Se dit abusivement de la partie exterieure du corps, qu’on appelle autrement le sein, la poitrine, et qui est au dessus de la ceinture. Les pecheurs se frappent l’estomac en signe de penitence. Quand on se confesse, on se frappe trois fois l’estomac, en disant mea culpa. » (Furetière). « Poitrine. […] — Et si pouvoit on voir la plus grande partie de son estomac deschiré et meurtry. AMYOT, Antoine, 83. […] Voila comment les armes receues par force et non cerchees ont esté tirees des estomacs offencez. AUBIGNÉ, Debvoir des roys et des subjects, 5 (II, 59). […] De cette signification du mot estomac, il résulte qu’on place souvent le cœur dans l’estomac. […] — Elle... ouvrit à ce meurtrier l’estomach: et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son cœur, le jetta manger aux chiens. MONTAIGNE, III, 1 (III, 254). » (Huguet).
V. 769
Estonnement, (s')estonner
Le mot « étonnement » a perdu de sa force. Étymologiquement lié au tonnerre, il signifiait : « Commotion, ébranlement, étourdissement. » ; employé figurément : « Ébranlement moral. » ; enfin : « Crainte, frayeur. » (Huguet). Dans notre pièce, c’est ce dernier sens qui prévaut. Furetière donne l’exemple suivant : « Les Tyrans n’ont point estonné les Martyrs, ils n’ont pû vaincre leur constance. » Toutefois, il faut garder cette image du tonnerre qui frappe, de telle sorte que le prologue, en employant le mot, peut ainsi rapprocher Louis XIII (« ce grand Roy », v. 8) de Jupiter portant le foudre.
Prologue, v. 9 ; pièce, v. 665
Faillir
1°) « Pecher, manquer à son devoir. » 2°) « A aussi toutes les autres significations de manquer. » (Furetière).
V. 1461
Fier
« Hautain, altier, audacieux. Oeil fier. mine fiere. courage fier. humeur fiere. un esprit fier. beauté fiere. il se tient fier de ses amis, de ses richesses, de son credit. Il sign. aussi, Cruel, barbare. Un fier tyran. un fier ennemi. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 95, 862
Foy
Fidélité, exactitude de la parole donnée, serment. Notamment, dans un contexte féodal, foi du vassal (v. 607, 1038, 1047). Voir Furetière.
Franchise, franc(he)
« Signifie chez les Poëtes et les amants, Liberté. » (Furetière ; nous soulignons). Dans ce sens, être franc, c’est être libre.
V. 444, 739, 1225
Gen(s)darmes
« Gendarmes, au pluriel. signifie quelquefois toutes sortes de gens de guerre, soit Infanterie, soit Cavalerie. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 967, 1032
Générosité, généreux
« Grandeur d’ame, de courage, magnanimité, bravoure, liberalité, et toute autre qualité qui fait le genereux. » (Furetière). Signifie donc également noblesse, attachement à l’honneur. Marc Escola, dans son lexique d’Horace346, cite Descartes : « être généreux, c’est “ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’on juge être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu” (Descartes, Les Passions de l’âme, 1649). »
Prologue, v. 61 ; pièce, v. 43, 542, 873, 890, 1184, 1270, 1274, 1341, 1653, 1657
Génie
« Être surnaturel, esprit bon ou mauvais, inspirant une personne et influant sur sa destinée. » (TLFi). « Bon ou mauvais Demon que les Anciens croyoient accompagner les hommes illustres. Apulée a fait un Traitté du Genie de Socrate. » (Furetière). Voir l’entrée DEMON.
V. 158
Gésir
« Vieux mot qui signifioit autrefois, Estre couché: maintenant il ne se dit que des morts qui sont dans le sepulcre. Cy gist, cy gisent: c’est le commencement des épitaphes. / On le dit au figuré du point où consiste la difficulté d’une affaire, d’une question. Tout le different de ces parties ne gist qu’à sçavoir l’usage de la Coûtume. » (Furetière). 1°) « Être couché, reposer, coucher, se coucher. » 2°) « Être situé, placé. » 3°) « Être placé, consister. » « Gesir en, à. Dépendre de. » (Huguet).
V. 670, 1402
Gesne
Torture, supplice, tourments (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 197
Haut
« On dit, qu’Un cheval va par haut, pour dire, qu’Il fait un manege eslevé, qu’Un homme le prend bien haut, pour dire, qu’Il parle, qu’il respond arrogamment, qu’Il le porte haut, qu’il est haut à la main, pour dire, qu’Il est altier, fier, audacieux. Faire quelque chose haut à la main, pour dire, Avec authorité, imperieusement. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Pris adverbialement, s’emploie dans certaines phrases figurées, telles que les suivantes: […] La fortune semblait ne l’avoir placé si haut, que pour rendre sa chute plus éclatante. » (Académie française, sixième édition, 1835).
V. 849
Héros, héroïque
« C’estoit chez les Anciens un grand et illustre personnage, qui quoy que de nature mortelle, passoit dans la creance des peuples pour estre participant de l’immortalité, et ils le mettoient au rang des Dieux aprés sa mort. Lucien definit un Heros, qui n’est ni Dieu ni homme, mais qui est tous les deux ensemble. » (Furetière). Le héros, incarnation de la vertu (idéal, valeur, force, courage ; voir notre entrée), est originairement un demi-dieu, ce sur quoi Furetière se focalise tout au long de son article.
Heur
1°) « Chance bonne ou mauvaise. » 2°) « Chance favorable, bonheur. » (Huguet). « Ce mot signifie bon-heur, mais il est bas, est peu usité et se prononce sans faire sentir son h. [Je hai la solitude car elle pourroit me ravir l’heur de te voir et te servir. S. Am.] » (Richelet). C’est le seul endroit où nous rencontrons ce jugement.
V. 1303
Heure
Dés l’heure : alors, dès lors. À l’heure : à cette heure, maintenant, à cet instant, alors. Vaugelas note que la façon de parler qui fait dire à l’heure pour alors est au rang de celles qui « ne valent rien » et même, qu’elle est « bien basse » (Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 228). On peut penser que son avis est le même concernant dés l’heure pour dés lors. Si l’on regarde dans le Furetière et le Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694, on ne trouvera nulle part à l’heure pour alors. Et l’on ne trouvera qu’une seule occurrence de dés l’heure pour dés lors (incidemment, dans l’article « pasmer » de Furetière, qui cite Les Visionnaires de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), comédie publiée en 1637).
V. 335, 579
Heureux
Ne pas oublier la connotation charnelle : « Rendre un homme heureux [le sujet désigne une femme courtisée]. Lui accorder ses faveurs. » (TLFi).
Humilier
« Humilier, v.a. Soumettre, rendre humble. [Une Reine à mes piez se vient humilier, Racine, Iphigenie, a. 2.] » (Richelet). « Humilier. Fléchir. […] S’humilier. Se pencher. […] S’humilier à. S’humilier devant. » (Huguet). « S’HUMILIER, se dit aussi de cet abbaissement volontaire qu’on fait devant quelqu’un, et sur tout devant la Majesté de Dieu. L’Evangile dit, qu’il faut prendre les moindres places dans les assemblées, parce que celuy qui s’humiliera sera eslevé. » (Furetière).
V. 589
Injurieux
1°) Qui offense, outrage. 2°) Injuste. « INJURE. s.f. Parole qu’on dit pour offenser quelqu’un, en luy reprochant quelque defaut, ou quelque vice vray ou faux. […] Ce mot vient du Latin injuria. Quod fit citra jus, injuria est. on appelle injure, ce qui se fait sans raison, contre les biens ou contre l’honneur d’une personne. » (Furetière). « INJURIEUX, EUSE, […] On dit fig. et poëtiquement, La fortune injurieuse. le sort, le destin injurieux, pour dire, La fortune, le sort, le destin injuste. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Intermis
Interrompu. On ne trouve le verbe « intermettre » que dans Godefroy, Huguet, Nicot, Cotgrave et Barré347. Ce qui laisse supposer qu’il a vieilli au moment où Guérin de Bouscal écrit.
V. 1229
Lieutenance
Un lieutenant est un « officier qui tient le lieu d’un Superieur, qui exerce une charge en son absence, ou qu’il devroit exercer luy-même » (Furetière). La lieutenance est la charge de lieutenant. Ainsi, vers vingt-six, il n’est pas un homme qui puisse gouverner Rome au nom ou en lieu et place des Dieux.
V. 26
Lys
« Lis, se prend aussi simplement pour la fleur du lis. Cueillir des lis. la pureté des lis. blanc comme un lis. plus blanc que les lis. le lis est le symbole de la virginité, de la candeur, de l’innocence, de la pureté. / On dit fig. Un teint de lis. un teint de lis et de roses, pour dire, Un teint extremement blanc, un teint blanc et vermeil. Et poëtiquement. Les lis de son teint, de son visage. le temps flestrira ces lis et ces roses. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). Voir l’entrée ROSES.
V. 1619
Maistresse
Femme aimée. Le TLFi, dans la partie « Étymologie et Histoire » de l’article « maîtresse », donne cette citation : « XIIIe s. [date du ms.] « fille ou femme aimée de quelqu’un, ainsi nommée à cause de l’empire qu’elle exerce sur l’homme qui l’aime » (Guillaume Le Vinier, Poésies, éd. Ph. Ménard, p. 77, 24) ».
V. 1180
Métamorphose
« On s’en sert dans le fig. pour exprimer un changement extraordinaire dans les affaires publiques, ou dans la fortune et les mœurs des particuliers. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Meurtrir
« Ce mot signifioit autrefois tuer, aussi bien qu’occire, qui ne se disent plus. » (Furetière). Il faut croire que ce mot n’eût pas déplu à Vaugelas, qui l’a employé en ce sens dans sa traduction de Quinte-Curce.348 Il faut dire que le dictionnaire de Furetière paraît bien plus tard. Nous ne comptons pas cet emploi au nombre des archaïsmes.
V. 353, 1306
Murmurer
« Parler sourdement, ou incertainement, se plaindre tout bas et avec timidité. Le peuple murmure ordinairement contre les Puissances. On n’ose pas parler ouvertement de cette affaire, mais on en murmure; on tient que nos trouppes ont esté deffaites, on en murmure; on en attend des nouvelles plus certaines. » (Furetière).
V. 835, 1277
Nef
« Navire. En ce sens il n’a plus guere d’usage qu’en poësie. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Prologue, v. 71
Neveu(x)
« Au pluriel, se dit de tous les hommes qui viendront aprés nous, de la posterité. » (Furetière).
V. 544
Objet
À côté des sens toujours usuels, on note celui de « personne aimée ». Il se dit « dans le langage amoureux » (Huguet), « poëtiquement » (Furetière et le Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Officieux
« Prompt à rendre service, office, courtoisie. » (Furetière).
Ore
Godefroy, donne à cet adverbe la signification général de « maintenant ». Et il ajoute : « Ore... ore, tantôt... tantôt: Rossignol amoureux, qui dans cette ramee / Ore haut, ore bas, atrempant ton chanter... (BAIF, Poés. chois., p. 122, Becq de Fouquières.) » On trouve également dans le Huguet le balancement « ore(s)... ore(s) » dans le sens de « tantôt... tantôt », ainsi que dans le TLFi comme archaïsme, mais nulle part ailleurs.
V. 576
Paresse
« Faineantise, nonchalance, negligence des choses qui sont de devoir, d’obligation. » (Furetière). « Nonchalance. Négligence. Lenteur blamâble. » (Richelet). Chez les chrétiens, c’est un des sept péchés capitaux.
V. 799
Parque
« Déêsse qui à ce que content les Poëtes preside à la vie. [Il y a trois parques Cloton, Lachesis, Atropos. L’une tire le fil de nos jours, l’autre tourne le fuseau, et l’autre coupe la trame.] » (Richelet). Ici, c’est avant tout Atropos qui est convoquée.
V. 807, 827, 959, 1434
Patron
« Se dit aussi d’un modele, de l’idée que nous nous proposons d’imiter. » (Furetière).
V. 255
Pesle et mesle
Pêle-mêle (voir Godefroy et Huguet), c’est-à-dire « dans le plus grand désordre, dans une grande confusion » (TLFi).
V. 656
Poudre
Poussière (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Prologue, v. 160 ; pièce, v. 647, 841, 943
Presse
« Foule, multitude de personnes qui se pressent. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Se dit figurément en Morale, en parlant des choses fâcheuses ou dangereuses. Ce brave s’étoit engagé trop avant dans la meslée, son ami est venu qui l’a tiré de la presse. » (Furetière).
V. 659, 1195
Prévénir
Précéder, devancer.
Race
« On dit poëtiquement. La race future, les races futures, les races à venir, pour dire, Tous les hommes à venir. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 1412
Raison
« Avoir sa raison, avoir la raison. Obtenir satisfaction. — Antonius fut contraint d’appeller devant les tribuns du peuple à Rome, alleguant, pour donner couleur à son appel, qu’il ne pouvoit avoir sa raison en plaidant dedans la Grece contre les Grecs. AMYOT, César, 4. [/] Tirer vengeance. — Celuy là qui s’est veu d’un mot injurieux Outrager mille fois par quelque audacieux. S’il n’en a sa raison, n’est ce pas une beste ? CORNU, p. 65. — Ce brave me pensoit si failli de courage De souffrir m’estre fait un si vilain outrage Et ne m’en ressentir, n’avoir point la raison D’une si detestable et lasche trahison. GARNIER, Juifves, 209. » (Huguet). Ailleurs, on ne trouve l’expression « avoir sa raison » que dans Godefroy et La Curne, qui citent le même exemple ancien. Elle est donc vraisemblablement vieillie. On trouve quelques occurrences de l’expression « avoir raison de » dans Furetière et dans les premières éditions du Dictionnaire de l’Académie françoise.
V. 818
Rencontre
Ce substantif est exclusivement masculin dans notre pièce et renvoie au sens suivant : « Il signifie aussi, le choc de deux armées qui se fait ordinairement par hazard. Il y eut une sanglante rencontre des deux avantgardes, qui engagea ensuite un combat general. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). Dans Huguet, ce sens se réduit à l’emploi masculin et recouvre la grande majorité des exemples alors donnés. Pour le TLFi, il est le plus ancien : « 1234 subst. masc. « action de combattre » (Huon de Méry, Antéchrist, 927 ds T.-L.), au masc., dans les différents sens, jusqu’au XVIIe s. » (partie « Étymologie et Histoire » de l’article « rencontre »). Vaugelas préconise le féminin quel que soit le sens (Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 19). Si le genre masculin ne semble pas se réduire pas au sens guerrier à l’époque de Guérin de Bouscal, nous formons l’hypothèse que la confluence du sens guerrier et du genre masculin connotent un état de la langue antérieur.
V. 559, 997
Ressentiment
1°) Fait de ressentir, sensation ou sentiment ; 2°) « Fait de ressentir un mal, un dommage. » ; 3°) « Reconnaissance, acte de reconnaissance. » ; 4°) « Sentiment, notion, idée. » ; 5°) « Souvenir. » (Huguet). Nous marquons le premier sens, qui n’est plus représenté dans Furetière ou dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie françoise (1694)349, apparemment hors d’usage. Notons qu’il est dans le Cotgrave (1611) : A full tast, a true feeling, a sensible apprehension, of. Au vers 98, il se superpose avec le sens qui nous est familier.
V. 98, 1115
Roses
« Se dit figurément en choses morales, de ce qui est doux et agreable. […] On dit pour bien louër une femme, qu’elle a un teint de lis et de roses; que sa bouche est une rose vermeille, un bouton de rose. » (Furetière). Voir l’entrée LYS.
V. 222
Saison
Moment opportun (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Saouler
1°) Rassasier avec excès. 2°) Enivrer. « On dit fig. Soûler ses yeux de sang, de carnage, pour dire, Prendre plaisir à voir respandre le sang. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Se dit aussi de ce qui remplit les autres organes des sens, et même l’esprit. » (Furetière).
V. 1436
Saut
« Saut, sign.quelquefois, Chute. Tomber d’un troisiéme estage, c’est un terrible saut. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Saut. Chute. […] Prendre le saut. Faire une chute, tomber. […] Recevoir un saut. Se blesser en tombant. […] Faire le saut. Être maltraité, tué. […] Faire le saut naturel. Mourir. […] Donner le saut, un saut à. Faire tomber, renverser. […] Comme ils pensoient estre au sommet de leur grandeur, voila que vous leur donnez le saut et les precipitez en un abysme de misere. DU VAIR, Medit. sur sept. Ps. de la Consolat., Ps. 72. […] Faire mourir, tuer. […] Attaquer, tuer. » (Huguet).
V. 850
Semence(s)
« Se dit figurément en Morale, de la cause des guerres, des dissentions, des procés. » (Furetière).
V. 1192
Soin(g)
« Se dit aussi des soucis, des inquietudes qui émeuvent, qui troublent l’ame. Le mauvais état de sa fortune luy donne bien des soins et du chagrin. Vous luy parlez de s’aller divertir, il a des soins plus importans qui l’agitent. Les Prelats ont le soin des ames qui les inquiete. » (Furetière).
V. 56
Soucy
À côté des sens toujours usuels, on note : « 3. a) fin XIVe s. « préoccupation, inquiétude amoureuse » […] ; 1re moit. XVe s. [ms.] estre en grant soussi de cuer (Froissart, Chron., I, éd. S. Luce, § 168, leçon ms. d’Amiens, t. 2, p. 368) ; b) av. 1577 « objet de préoccupation amoureuse » (R. Belleau, Eglogues sacrées, I ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 302: Avance toy, mon Cœur, et vien choisir ta place Pres de moy, mon souci) ; av. 1589 (A. de Baïf, Églogues, VII ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 3, p. 41: Muses, mon cher soucy) ; » (TLFi, partie « Étymologie et Histoire » de l’article « souci »). Présent dans le Godefroy, qui donne la même citation de Rémy Belleau, l’emploi amoureux disparaît dans les dictionnaires du XVIIe siècle (Cotgrave, Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
Soudain que
On ne trouve guère cette locution conjonctive que dans Godefroy, dans le Dictionnaire du Moyen Français (ATILF) ou dans Huguet (« Soudain que. Aussitôt que. ») ; elle est manifestement vieillie à l’époque de notre auteur. Les exemples donnés se trouvent chez Rabelais et Etienne Dolet (1509-1546).
V. 655, 911
Succez
« Reüssite, issuë d’une affaire. Il se dit en bonne et en mauvaise part. » (Furetière).
V. 393, 523
Superbe
« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption, une trop bonne opinion de luy-même. » (Furetière).
V. 1091
Sus
« Formule d’exhortation ou d’excitation » (TLFi), au moment de l’attaque (v. 257, 373), du suicide (v. 735, 825) et peut-être, dans le cas du vers 257, de l’attaque comme suicide. Pierre Gassendi, résumant la doctrine d’Épicure, donne une belle illustration du moment du suicide : « Quoiqu’il y ait plusieurs cas qui pourraient nous faire renoncer à la vie et nous engager à ne pas attendre qu’un cas fortuit vienne nous en enlever la liberté, nous ne devons rien entreprendre à ce sujet sans méditation, sans calme et surtout sans opportunité. Mais, lorsque le moment tant désiré sera arrivé, oh ! alors, plus d’hésitation ! Celui qui veut faire ce grand pas ne doit pas douter de trouver son salut au milieu même des situations les plus difficiles, pourvu toujours qu’il ne se hâte pas trop et qu’il sache s’y prendre à temps. »350 L’exclamation est alors amenée par une interjection marquant le paroxysme, doublée d’un commandement, et qui est l’équivalent même de « sus » dans notre pièce. Ici, la formule est toujours renforcée par « donc ». D’après le TLFi, elle est obtenue par ellipse de l’expression « courir sus à ».351 Or Vaugelas a écrit une remarque sur « courir sus », témoignant que : « Cette façon de parler soit dans le propre, ou dans le figuré estoit fort élégante du temps de M. Co[e] ffeteau qui en use souvent, mais aujourd’huy elle commence à vieillir. Nous avons pourtant quelques uns de nos Autheurs modernes, et des meilleurs qui s’en servent encore. » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 434 ; nous soulignons).
V. 257, 373, 735, 825
Tempérament
« [1°)] Mélange. […] [2°)] Composition. […] [3°)] Assaisonnement. […] [4°)] Règle. — C’est l’unique sagesse Qui de tous autres biens est le temperament, La fontaine, l’outil, la guide et l’ornement. DU BARTAS, 2e Sem., Magnificence, p. 371. [5°)] Modération, juste mesure. — Platon fut le medecin qui guerit le malade par contraires excessifs: et Aristote le conservateur de la santé, ja recouverte par l’ayde de Platon, avec l’usage du temperament et regime moderé. TYARD, tr. Hebrieu, Dial. III, p. 319. [6°)] Qualité de ce qui est tempéré. » (Huguet).
« [1°)] Complexion, habitude ordinaire du corps de l’homme, sa constitution naturelle, la disposition de ses humeurs. Il y a des gens d’un temperament robuste et violent, qui sont bons pour la guerre; d’autres d’un temperament doux et delicat, qui sont propres pour l’Eglise. En Medecine on appelle aussi temperament, le meslange et l’harmonie des quatre simples qualités elementaires. […] [2°)] Se dit aussi figurément en choses morales, d’un adoucissement, d’une voye mitoyenne qu’on trouve dans les affaires pour accorder des parties. […] [3°)] En termes de Musique, se dit de l’alteration que l’on fait des intervalles, tant à l’égard des consonances que des dissonances, pour les rendre plus justes sur certains instruments. » (Furetière).
Le TLFi donne le sens vieilli de « Mesure dans la conduite; p. méton., solution mesurée apportée pour régler un différend. », qui correspond à Huguet 5°) et Furetière 2°), Huguet 5°) convenant au sens général et Furetière 2°) au métonymique. Ainsi préférera-t-on le Huguet pour expliquer le vers 1127 : on retiendra les sens 4°) de règle (absent du Furetière et du TLFi) et 5°) de mesure dans la conduite, de modération.
V. 1127
Tempeste
« Se dit figurément en choses morales, des troubles, des persecutions qui se font ou contre le general, ou contre le particulier. Voilà une grosse armée qu’on leve, on ne sçait où viendra fondre la tempeste; il sera difficile de conjurer cette tempeste. Il s’est élevé une grande tempeste contre cet Auteur. Il s’est mis dans un Couvent à l’abri de la tempeste. » (Furetière).
V. 1495
Tonnerre
Par métonymie, le tonnerre, manifestation sonore de la foudre, désigne la foudre elle-même, dans un sens usuel au XVIIe siècle (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694), aujourd’hui vieilli (TLFi).
Transport
« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l’agitation de l’ame par la violence des passions. » (Furetière).
Travaux
Épreuves. « Se dit au plurier des actions, de la vie d’une personne, et particulierement des gens heroïques » (Furetière).
Traverser
Faire obstacle, entraver, empêcher (Furetière, Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 269, 1459
Trébucher
« Faire un faux pas, tomber en faisant un faux pas. Il ne faisoit pas un pas sans trebucher. une pierre le fit trebucher. / Il signifie aussi quelquefois simplement Tomber. Le pont fondit sous leurs pieds, et ils trebucherent dans la riviere. En ce sens on dit fig. Trebucher du faiste des grandeurs. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 1426
Trespas(ser)
« TREPASSER. v.n. […] n’a guere d’usage dans le discours ordinaire. » « TREPAS. s.m. La mort naturelle de l’homme. […] En poësie il se prend pour quelque mort que ce soit. Ainsi on dit poëtiquement, Les horreurs du trépas. affronter le trépas. mépriser le trépas. un trépas glorieux. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Mort, passage de cette vie à une autre. Il ne se dit que de l’homme. Il est allé de vie à trepas. […] Ce mot est plus en usage chez les Poëtes, que chez les Orateurs, à cause du beau son et de la rime à appas, et combats, avec lesquels ils le joignent souvent. » (Furetière).
Pièce, v. 195, 199, 203, 213, 458, 626, 709, 722, 730, 825, 861, 865, 972, 1001, 1190, 1381, 1424, 1454, 1509 ; stances
Triomphe
« Ceremonie ou solemnité qu’on pratiquoit autrefois à Rome pour faire honneur à un victorieux, en luy faisant une entrée magnifique. Le Senat decernoit les honneurs du triomphe à ceux qui avoient conquis une Province, ou gagné quelque grande bataille. On menoit les Rois en triomphe, leurs dépouilles étoient étalées en triomphe, suivoient le char de triomphe. » (Furetière). Y a-t-il substantivation de l’adjectif verbal au vers 1574 ? On ne trouve guère le substantif « triomphant » que dans le Dictionnaire du Moyen Français ou dans le Godefroy, qui le mentionne comme « ancien ». Néanmoins, à côté de Jean de Bueil (1406-1477), Godefroy cite Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné (1552-1630), œuvre tardive et relativement proche dans le temps de Guérin de Bouscal. Qu’il y ait ici une tendance archaïsante ou non, « triomphant » a été préféré au nom « triomphateur », dont l’usage n’est aucunement problématique. La nuance est fine. Entre « triomphateurs » et « triomphans », l’on peut voir un déplacement de point de vue, de l’agent (suffixe -(at) eur) vers l’action.
V. 290, 1574
Vertu
L’article du TLFi recoupe (et ce, dans une forme plus rigoureuse) les principaux sens du Furetière et du Dictionnaire de l’Académie françoise (première édition, 1694). On peut donc repartir de sa structure :
« Vieilli. Courage physique ou moral; force d’âme, vaillance. Mâle vertu; vertu romaine. »
Prologue, v. 168 ; pièce, v. 40, 248, 250, 297, 432, 470, 890, 1222, 1325, 1519
« Absol. [Avec l’art. déf.] Disposition habituelle, comportement permanent, force avec laquelle l’individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforme à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu’il rencontre. Amour, triomphe de la vertu; aimer, appeler, pratiquer la vertu; croître, grandir en vertu; le vice et la vertu. »
Prologue, v. 150, v. 168 ; pièce, v. 432, 1222, 1325, 1519, 1666.
« Exercice de la vertu; la vertu telle qu’elle apparaît dans son expression, sa réalisation. Vertu angélique, austère; paré de toutes les vertus. »
α − « Vertu + adj. ou déterm. indiquant le domaine, l’espèce d’actes auxquels elle s’applique. Vertus chrétiennes, civiles, privées, morales, sociales. Vertus cardinales. […] Vertus théologales*. »
β− « En partic., vieilli ou plais. [À propos d’une femme] Retenue, chasteté; fidélité conjugale. […] La chasteté, pour la femme, est synonyme de vertu, comme pour l’homme la justice et le courage, car le milieu de l’homme est la cité, le milieu de la femme est la famille (Ménard, Rêv. païen, 1876, p. 113). »
Pièce, v. 173, 1519 ; stances.
4. « P. ext. Qualité morale. Vertus civiques, domestiques, militaires. »
Prologue, v. 54, 103, 168 ; pièce v. 219, 236, 890, 1100 ; stances.
« Vieilli ou littér. Propriété d’un corps, de quelque chose à quoi on attribue des effets positifs. Vertus d’une plante; remède sans vertu; avoir des vertus; connaître la/les vertu(s) de. »
« Domaine abstr. Pouvoir, propriété. Vertu d’un dialogue. »
La différence notable tient au fait qu’au XVIIe siècle les sens vieillis ne l’étaient pas.
Ce mot est difficile. En effet, il n’est pas rare qu’une de ses occurrences revête plus d’un sens décrit plus haut. Et pour cause, la virtus, originellement force physique, virile, puis courage moral, a été tirée du côté d’une droiture toute stoïcienne. Ainsi les sens A. 1. et A. 2. tendent-ils souvent à se confondre. Lorsque, selon Dion Cassius, Brutus invoque au moment de mourir la Vertu comme victime de la Fortune,352 cette vertu relève du sens A. 2 ; mais, dans notre pièce, même lorsqu’elle est liée à la fortune, au destin ou aux dieux, la vertu est souvent rapprochée du courage (v. 432, 1222, 1325) ou même de la qualité morale de l’individu (prologue, v. 168). Ainsi les allusions à cette fin de Brutus ne déterminent pas strictement le sens du mot. Du côté féminin, la vertu a longtemps été considérée sous son rapport avec à la chasteté et la fidélité : ainsi Porcie, l’épouse inconditionnelle de Brute, peut-elle réunir trois sens au vers 1519 (A. 1., 2. et 3. β). Quant au sens A. 4., il dérive de ceux qui le précèdent et peut donc s’accompagner de connotations. Cette complexité est la raison pour laquelle, bien que nous ayons de manière générale ciblé le sens qui s’impose, nous avons parfois choisi de ne pas décider, ou plus exactement de proposer un choix multiple. C’est également la raison pour laquelle nous avons pris le parti de marquer toutes les occurrences : ainsi le lecteur aura la possibilité de revenir sur le choix, mais surtout sera amené à se rappeler l’arrière-plan que peut cacher un sens jugé évident.
Visage
« On dit aussi, tourner visage, pour dire, s’enfuir, ou retourner au combat, ou même changer de party. » (Furetière). « On dit, Tourner visage aux ennemis, pour dire, Se tourner vers les ennemis pour les combattre. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694).
V. 699

L’archaïsme dans La Mort de Brute et de Porcie : annexe au lexique §

Guérin de Bouscal est un auteur peu connu du début du XVIIe siècle, originaire du Languedoc. Selon les recherches de M. Caldicott pour son décès et les nôtres pour son baptême, notre auteur serait né en janvier 1617 et décédé le 31 décembre 1675 à Réalmont, actuellement dans le Tarn. Issu d’une famille de notaires protestants, il a été lieutenant de Réalmont et conseiller du roi. Ce qui focalise l’attention de l’histoire littéraire, ce sont ses liens avec Molière, qui était lui aussi dans le Languedoc dans les années 1650 et dont la troupe a joué Le Gouvernement de Sancho Pansa, comédie de Guérin de Bouscal sur le thème du Don Quichotte.353 L’œuvre qui nous intéresse est une tragédie publiée pour la première fois en 1637, intitulée La Mort de Brute et de Porcie, seconde pièce et première tragédie d’un auteur qui a vingt ans environ et qui se place du côté des réguliers. C’est le sens de son prologue qui, outre la louange au roi, et surtout à son ministre Richelieu, protecteur des arts, permet à Guérin de Bouscal de se situer dans le champ littéraire : il fait ainsi allusion à des tragédies de Rotrou, Mairet, Benserade, La Calprenède et Scudéry. Le sujet de la pièce est la bataille de Philippes de 42 av. J.-C., opposant les derniers défenseurs de la République romaine (Brutus et Cassius) aux partisans de César assassiné (Octave et Marc Antoine). En préparant l’édition critique de cette pièce, nous avons constaté la récurrence d’un phénomène : l’apparition problématique d’emplois et de mots dont l’usage est non seulement discuté, mais tend à disparaître ou a déjà disparu. C’est la question de ces mots vieillis ou vieux, autrement dit de l’archaïsme, à un moment où la langue s’engage dans le processus normatif du classicisme : 1637, c’est le moment de la Querelle du Cid, arbitrée par l’autorité nouvelle de l’Académie ; Claude Favre de Vaugelas collabore alors à la rédaction du Dictionnaire et ses Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, publiées en 1647, auront le retentissement que l’on sait.

Étude et analyse du phénomène archaïque §

Pour commencer, il convient de donner une idée du relevé que nous avons établi sur cette question de l’archaïsme. Nous avons ainsi retenu 44 mots, correspondant à 81 occurrences. L’édition de 1637 comporte un prologue (170 vers), la tragédie à proprement parler (1670 vers) et cinq poèmes (88 vers), soit un ensemble textuel étudié de 1928 vers. Pour avoir une idée concrète, on considérera qu’on croise en moyenne un emploi archaïque ou archaïsant tous les vingt-quatre vers. Avoir une idée de la langue de 1637 n’est pas évident : il faut voyager dans le temps, en avant, avec notamment les dictionnaires de Richelet (1680), de Furetière (1690) et de l’Académie (1694), et en arrière, avec en particulier Estienne (1549), Nicot (1606), Cotgrave (1611) et le Dictionnaire de la langue française du seizième siècle d’Edmond Huguet. Pour affiner la recherche, on aura confronté le texte aux Remarques de Vaugelas, qui ont valeur de témoignage (contemporain), et, pour sa rigueur plus scientifique, au Trésor de la Langue Française (et notamment à la rubrique « Étymologie et Histoire » de ses articles). Notre approche est de dimension lexicale, les faits syntaxiques ne formant pas un tout significatif.

Une bonne façon de donner une vue d’ensemble est de dresser une typologie. Nous entrerons dans le détail des mots et de la justification de leur caractère archaïque au fil de l’analyse.

  • – Le premier type d’archaïsme tient à la forme du mot, qui n’est plus employée : à l’heure et dés l’heure pour alors et dés lors ; pesle et mesle pour pesle(-) mesle ; un chacun pour chacun ; eschet pour eschec ; faire service pour rendre service ; le substantif triomphant pour triomphateur.354
  • – Le second type tient à l’évolution de la nature du mot : conjonction réduite à l’emploi adverbial (soudain que oublié au profit de soudain), prépositions réduites à l’emploi adverbial (auparavant, dessus/dessous/dedans), préposition réduite à un emploi nominal (encontre).355
  • – Le troisième type tient à la modification du genre : au masculin : affaire, discord/t, estude, rencontre ; au féminin : doute.356
  • – Le quatrième type regroupe les mots dont l’emploi que fait Guérin de Bouscal n’est plus usité mais qui subsistent en d’autres sens : adresser signifiant « diriger », appareil « machine », arresté « calme », avancer « devancer », le substantif contraire « opposition, hostilité », depiter « braver », espris « enflammé » (au sens propre), estomach « poitrine », ore « tantôt », pointe « aile d’une armée », projeter « arrêter, décider », prouësse « bravoure, action de valeur et de hardiesse », ressentiment « fait de ressentir, sensation ou sentiment », saut « mort », soucy « préoccupation amoureuse, personne aimée », soudre « délier, libérer », temperament « règle ; mesure dans la conduite, modération ».357
  • – Enfin, nous mettons dans le dernier type les éléments restants, difficiles à classer, qui sont des expressions inusitées, des mots perdus, vieux : çà bas « ici bas », deschasser « chasser, expulser, bannir », devers « vers », és (dans l’expression [tomber] és mains de l’ennemi « entre les mains de l’ennemi »), gesir « être couché ; consister ; dépendre de », intermis « interrompu », recevoir à merci « faire grâce », avoir sa raison de « se venger », servage « esclavage, servitude », sus (formule d’exhortation dérivée de l’expression courir sus à).358

Nous avons pris soin de ne pas mettre au nombre des archaïsmes, pour épurer nos chiffres, les mots anciens qui ont subsisté sous la forme d’un emploi poétique par lequel ils ont connu une importante postérité (nef, le substantif penser, trespas et trespasser ; quatre mots pour vingt-deux occurrences). Ils constituent ainsi une catégorie à part. Néanmoins, ces mots sont marqués du sceau de l’ancienneté. Leur présence va dans le sens du constat développé ici.

La Mort de Brute et de Porcie au sein des débats §

Notre pièce n’aurait certes pas plu à Vaugelas (1585-1650) et, par suite, à l’Académie. Cela dit, Antoine Furetière (1619-1688), homme de la génération de Guérin de Bouscal (1617-1675), eût sans doute été d’un avis plus nuancé. Le paradoxe est que l’aîné est généralement celui qui condamne, là où ses cadets opposent une résistance. C’est ce que nous allons tenter de montrer par l’étude de quelques cas.

Certaines entrées mettent tout le monde d’accord : prenons les cas de discord et d’heure.

DISCORD (prologue, v. 91 ; pièce, v. 1662) : « Desunion, dispute, querelle. Il est vieux et hors d’usage. » (Furetière ; nous soulignons). « DISCORD. s.m. Discorde. Il n’a d’usage qu’en vers, et ne se met guére qu’au pluriel. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). « Discord pour discorde, ne vaut rien en prose, mais il est bon en vers [Exemple pris chez Malherbe.] Les autres Poëtes en ont aussi usé et devant et apres luy. C’est un de ces mots, que l’on employe en vers et non pas en prose, dont le nombre n’est pas grand. […] Quoy qu’il en soit, on ne s’en sert en prose que tres-rarement, y ayant quelque lieu, où peut-estre il pourrait trouver sa place. » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647, p. 496-457359 ; nous soulignons). On trouve l’orthographe « discort », apparemment elle-même archaïsante, dans le Godefroy.360

Le jugement de Furetière est fort et ne mentionne même pas l’emploi poétique dont parlent Vaugelas et l’Académie. Ainsi, sur le fond (discord est hors d’usage), les avis se recoupent. Si emploi poétique il y a, l’exemple montre qu’un mot peut entrer dans différentes catégories : car toute typologie contient sa part d’arbitraire pour proposer un classement et présente un ensemble de catégories qui ne sont pas hermétiques. Ainsi discord/t se situe entre l’archaïsme par le genre et l’archaïsme qui correspond au mot limité à l’emploi poétique.

HEURE (v. 335, 579)  : Dés l’heure : alors, dès lors. À l’heure : à cette heure, maintenant, à cet instant, alors. Vaugelas note que la façon de parler qui fait dire à l’heure pour alors est au rang de celles qui « ne valent rien » et même, qu’elle est « bien basse » (op. cit., p. 228). On peut penser que son avis est le même concernant dés l’heure pour dés lors. Si l’on regarde dans le Furetière et le Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694, on ne trouvera nulle part à l’heure pour alors. Et l’on ne trouvera qu’une seule occurrence de dés l’heure pour dés lors (incidemment, dans l’article « pasmer » de Furetière, qui cite Les Visionnaires de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), comédie publiée en 1637).

Là encore, il y a accord, comme pour servage, considéré comme « vieux » ou « vieilli » par Furetière et l’Académie. Mais une autre façon de détecter le consensus sur l’archaïsme tient dans le silence des dictionnaires. Ainsi le cas singulier du mot appareil, employé une fois dans notre pièce en ce sens particulier :

APPAREIL (v. 1634) : « Objet préparé pour une destination spéciale, réunion, agencement d’ustensiles, de choses se combinant entre elles placées, disposées, mises en certain ordre dans un but auquel elles doivent concourir ensemble » (Godefroy). Godefroy donne l’exemple suivant : « Quant li vilains se fud disné, / As chans revait son labor faire; / Mais donc out mult dol e contraire / Quant ne trova ses apareilz. (BEN., D. de Norm., II, 7195, Michel.) » Le TLFi cite cet exemple de Godefroy pour illustrer ce sens puis écrit : « repris début XIXe s. 1805 (Lunier, Dict. des sc. et des arts : Appareil, en physique, est une collection de machines ou instruments nécessaires pour faire une suite d’expériences sur une matière déterminée) » (article « appareil », partie « Étymologie et Histoire »). Ainsi, le sens qui nous est peut-être le plus familier, celui de « machine », semble disparaître aux XVIIe et XVIIIe siècles avant de renaître de ses cendres au XIXe siècle : absent de Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave, Furetière et du Dictionnaire de Trévoux, il n’apparaît dans le dictionnaire de l’Académie qu’à partir de la sixième édition (1835).

De même, avec le verbe deschasser, absent de Furetière et du Dictionnaire de l’Académie françoise (première édition, 1694) :

DESCHASSER (v. 1550) : Chasser, expulser, bannir. En ce sens vieilli, on trouve le mot dans Godefroy, La Curne, Huguet, Estienne, Nicot, Cotgrave et Barré (1842). Ce dernier précise : « Il se trouve dans Montaigne et dans Rabelais. »

N’étant plus employé, le mot disparaît purement et simplement.

Mais, comme nous l’annoncions, ce qu’il y a de plus intéressant et de plus significatif dans l’étude des dictionnaires, ce sont les contradictions que l’on peut découvrir, oppositions d’un dictionnaire à l’autre.

DESSUS, DESSOUS, DEDANS (prologue, v. 83 ; pièce, v. 5, 83, 148, 474, 502, 572, 740, 868, 906, 943, 947, 985, 1026, 1053, 1199, 1252, 1482, 1564, 1579, 1617, 1643 ; stances, v. 14) : Vaugelas condamne l’emploi, qu’il constate courant, et en prose et en vers, de prépositions composées (dessus, dessous, dedans, dehors) à la place des simples correspondantes (sur, sous, dans, hors). « Je dis que ce n’est pas escrire purement, que d’en user ainsi, et qu’il faut toujours dire, sur la table, sous la table, dans la maison, et hors la ville, ou hors de la ville; car tous deux sont bons, et non pas dessus la table, dessous la table, etc.On le permet pourtant aux Poëtes, pour la commodité des vers, où une syllabe de plus ou de moins est de grand service; Mais en prose, tous ceux qui ont quelque soin de la pureté du langage, ne diront jamais, dessus une table, ny dessous une table; non plus que dedans la maison, ou dehors la maison. Il semble que ces composés soient plustost adverbes que prepositions; car leur grand usage est à la fin des periodes, sans rien regir aprés eux, puis qu’ils terminent la période et le sens »361. Vaugelas donne trois exceptions bien précises (qui ne concernent pas les emplois ici notés) avant de conclure : « Ces cas exceptez, il ne faut jamais employer ces composez, que comme adverbes, et se faut servir des autres, comme de prepositions. » (op. cit., p. 124-126). Richelet et le Dictionnaire de l’Académie françoise (première édition, 1694) suivent strictement Vaugelas362 ; Furetière, lui, ne semble pas en tenir compte (voir notamment les articles « dessus » et « dessous »). Remarquons que l’emploi des formes composées est ici exclusivement prépositionnel. Certes, les formes simples sont 6, 5363 fois plus employées, mais les 23 occurrences de composées sont un fait significatif qui nous semble témoigner qu’il s’agit là d’une affaire d’usage de l’auteur ou de style plus que de syllabe.

AUPARAVANT DE (v. 1460) : « L’emploi de l’adv. auparavant comme prép., synon. de avant fréq. dans l’anc. lang. a été condamné par Vaugelas. Toutefois quelques ex. apparaissent encore dans l’usage vieilli, dial. ou arg. » (TLFi). Vaugelas, dans la remarque correspondante, décrit l’usage prépositionnel qu’il condamne comme étant « d’ordinaire avec les pronoms personnels » ; il ne donne pas d’exemple de la locution prépositive auparavant de suivie de l’infinitif, mais il ne faut pas douter qu’il eût également mis sur ce point notre auteur au rang de « ceux qui n’ont nul soin de la pureté du langage » (Vaugelas, op. cit., p. 475). Le Dictionnaire de l’Académie françoise (première édition, 1694) n’indique que l’emploi adverbial, là où Furetière ne tient pas compte de la remarque de Vaugelas. Furetière donne même un exemple d’emploi prépositionnel devant un nom (« Vous demandez cela auparavant le temps. »), alors que Vaugelas notait : « devant les noms, je n’ai jamais remarqué qu’ils le facent ».

Le conflit peut se faire âpre. La résistance de Furetière s’illustre alors jusque dans la raillerie, qui vise un public au sein duquel peuvent figurer aussi bien les adeptes du mouvement précieux364 que Vaugelas lui-même :

PROUËSSE (v. 1072) : Vaugelas n’est pas tendre : « Ce mot est vieux, et n’entre plus dans le beau stile, qu’en raillerie » (op. cit., p. 403). Bien entendu, l’Académie ne s’écarte pas de cette ligne : « PROÜESSE. s.f. Action de valeur. En ce sens il n’a guere d’usage. / Il se dit fig. et en plaisanterie des Excés qui se font en certaines choses. » Furetière, lui, ne partage pas ce point de vue (nous soulignons) : « PROUESSE : Bravoure, action de valeur et de hardiesse. On a vanté de tout temps la proüesse d’Alexandre. Les Romans racontent mille proüesses de leurs Chevaliers errants. Les delicats du temps ne veulent plus qu’on use de ce mot, et disent qu’il est vieux. Il vient du Latin probitas. »

À ce point de l’analyse, nous pouvons faire un constat tout à fait étonnant en partant de Vaugelas. Il est deux unités lexicales présentes dans notre pièce que ce dernier rapproche de l’idée de nouveauté : alors que et comme quoy.

ALORS QUE (v. 141, 356, 1013) : « Alors ne reçoit jamais la conjonction que, apres luy, il ne veut dire qu’en ce temps-là, en ce cas là […] Il est bien necessaire d’en faire une remarque, à cause de l’abus qui commence à se glisser,365 mesmes parmy quelques-uns de nos meilleurs Escrivains en prose, par l’exemple des Poëtes; Car il est certain qu’ils ont les premiers introduit cette erreur, pour faire la mesure de leurs vers, quand ils ont eu besoin d’une syllabe ». [Vaugelas donne l’exemple de Malherbe.] « Mais quand ils ont une syllabe de trop, ils sont bien aises de dire lors que, se servant presque aussi souvent de l’un que de l’autre selon les occasions. […] il est extremement rare d’oüir dire, alors que. […] Jamais nos bons Escrivains en prose n’ont fait cette faute. Si donc on le veut escrire, que ce ne soit jamais en prose, et qu’en vers il passe tousjours pour une licence Poëtique. » (Vaugelas, op. cit., p. 227-228 ; nous soulignons). Nous remarquons que dans notre pièce alors que ne compte que trois occurrences là où la conjonction lors que en compte neuf.

COMME QUOY (v. 889) : « On le joint quelquefois avec quoy, et l’on dit. Comme quoy avez-vous fait cela ? comme quoy avez-vous abandonné cette affaire ? pour dire, Comment avez-vous fait cela ? pourquoy avez-vous abandonné cette affaire ? » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). Dans le français contemporain, la tournure subsiste mais est familière (TLFi, article « quoi »). « […] comme quoy, est un terme nouveau, qui n’a cours que depuis peu d’années,366 mais qui est tellement usité, qu’on l’a à tous propos dans la bouche. Apres cela, on ne peut pas blasmer ceux qui l’escrivent, mesme à l’exemple d’un des plus excellens et des plus celebres Escrivains de France […] Mais pour moy, j’aimerois mieux dire, comment, selon cette reigle generale, qu’un mot ancien, qui est encore dans la vigueur de l’Usage est incomparablement meilleur à escrire, qu’un tout nouveau, qui signifie la mesme chose. Ces mots qui sont de l’usage ancien et moderne tout ensemble, sont beaucoup plus nobles et plus graves, que ceux de la nouvelle marque. Quand je parle des mots, j’entens aussi parler des phrases. Ce n’est pas que je ne me voulusse servir de comme quoy, qui a souvent bonne grace, mais ce ne seroit gueres que dans un stile familier. » (Vaugelas, op. cit., p. 333-334 ; nous soulignons en caractères gras). Cinquante ans plus tard, l’Académie observe : « Il est aisé de juger que comme quoy, qui estoit un mot nouveau que M. de Vaugelas a veu naistre, n’avoit pas esté generalement receu, puisqu’il a si-tost vieilli. On ne s’en sert plus presentement. » (Observations de l’Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas, Coignard, 1704, p. 322 ; nous soulignons en caractères gras). Cette observation, dans sa lecture rétrospective, détourne le propos de Vaugelas qui disait qu’« on l’a à tous propos dans la bouche », ce qui revient à dire qu’il était « generalement receu ». Par ailleurs, le propos de l’Académie n’explique pas l’usage que nous connaissons et qui subsiste bel et bien dans notre langue.

Ha cette flatterie est un peu trop visible !
Chacun sçait comme quoy* vous avez combatu;
Mais un cœur genereux doit cacher sa vertu.
(Octave s’adressant à Marc Antoine, IV, 1, v. 888-890)

Ainsi la nouveauté en question, comme le montre bien le recours au TLFi, correspond plutôt à un mot ancien qui a réussi et dont on refuse l’usage à un moment donné, sans qu’on puisse dire en droit qu’il n’est plus employé.367 Car il est beaucoup plus aisé, quand on prône l’hégémonie de l’usage, de réfuter la nouveauté que l’ancienneté : il est alors permis d’invoquer la « reigle generale » ici énoncée. Cette tendance, mise en évidence par la mauvaise foi de l’Académie, désireuse de suivre Vaugelas coûte que coûte, est à lier à la tension interne de la notion d’usage, qui contient en un mot deux idées distinctes : l’usage et le bon usage, ce qui se dit et ce qu’il faut dire.

Rapprochements et âpreté baroque §

Nous ne savons pas si Guérin de Bouscal s’est converti au catholicisme avant 1637. Quoiqu’il en soit, ses rapports cordiaux avec ses frères, tout au long de sa vie, ainsi que les autres arguments donnés par Caldicott368, laissent penser qu’il a pu avoir un rapport privilégié avec un auteur comme Agrippa d’Aubigné (1552-1630), autre auteur protestant originaire du Sud-Ouest. Le premier rapprochement possible est l’utilisation du substantif triomphant, rare et inusité.

TRIOMPHANT (v. 1574) : Y a-t-il substantivation de l’adjectif verbal au vers 1574 ? On ne trouve guère le substantif triomphant que dans le Dictionnaire du Moyen Français ou dans le Godefroy, qui le mentionne comme « ancien ». Néanmoins, à côté de Jean de Bueil (1406-1477), Godefroy cite Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, œuvre tardive et relativement proche dans le temps de Guérin de Bouscal : « L’ame du premier homme estoit ame vivante, / Celle des triumphans sera vivifiante. » Qu’il y ait ici une tendance archaïsante ou non, « triomphant » a été préféré au nom « triomphateur », dont l’usage n’est aucunement problématique. La nuance est fine. Entre « triomphateurs » et « triomphans », l’on peut voir un déplacement de point de vue, de l’agent (suffixe -(at) eur) vers l’action.

Allons revoir nos Dieux, nos femmes, nos enfans,
Et changeons ces habits en ceux de triomphans*.
(Marc Antoine à Octave, V, 6, v. 1573-1574)

DEPITER (v. 944) : « Mépriser, dédaigner, braver: […] Les Cireniens enragez, / Un jour en bataille rangez, / Despitoient le ciel et le foudre, / Voulans arracher le soleil. (D’AUBIGNÉ, Trag., Préf., Bibl. elz.) Cette signification se retrouve encore chez Régnier et chez Malherbe; aujourd’hui depiter ne s’emploie plus que pour signifier causer du dépit à quelqu’un, et au réflechi, concevoir du dépit » (Godefroy ; nous soulignons en caractères gras). « Braver, défier. […] Maudire. — Oudart renioit et despitoit les nopces. RABELAIS, IV, 15. — Despite moy tous les cieux, Despite moy tous leurs dieux, Autheurs de ton mal extreme. JODELLE, Cleopatre, V (I, 150). — Je maudy le destin contre moy conjuré; Je despite ma vie à souffrir condamnee. DESPORTES, Elegies, I, 14. » (Huguet). Ce sens est présent dans Godefroy, Huguet et La Curne mais n’apparaît pas dans les dictionnaires des époques postérieures.

Icy le pere void son fils dessus* la poudre,
Et dépite* le Ciel pour attirer sa foudre.
(un messager rapportant la défaite de troupes d’Octave, IV, 2, v. 943-944)

ESTOMACH (v. 769) : 1°) estomac ; 2°) poitrine. « Se dit abusivement de la partie exterieure du corps, qu’on appelle autrement le sein, la poitrine, et qui est au dessus de la ceinture. Les pecheurs se frappent l’estomac en signe de penitence. Quand on se confesse, on se frappe trois fois l’estomac, en disant mea culpa. » (Furetière). « Poitrine. […] — Et si pouvoit on voir la plus grande partie de son estomac deschiré et meurtry. AMYOT, Antoine, 83. […] Voila comment les armes receues par force et non cerchees ont esté tirees des estomacs offencez. AUBIGNÉ, Debvoir des roys et des subjects, 5 (II, 59). […] De cette signification du mot estomac, il résulte qu’on place souvent le cœur dans l’estomac. […] — Elle... ouvrit à ce meurtrier l’estomach: et tout chaudement de ses mains, fouillant et arrachant son cœur, le jetta manger aux chiens. MONTAIGNE, III, 1 (III, 254). » (Huguet).

Je ne sçaurois survivre à la liberté morte:
Ouvre moy l’estomach*, mais tu jettes ce fer
Qui me devroit ouvrir la porte de l’Enfer
(Cassie demandant la mort à son affranchi, III, 4, v. 768-770)

Ce dernier exemple, qui contient une citation de la Vie d’Antoine, permet de glisser vers une autre figure : celle de Jacques Amyot (1513-1593), traducteur des Vies parallèles de Plutarque. En effet, le sujet, l’archaïsme dans notre pièce, implique un relevé qui lui-même mène au célèbre traducteur.

AVANCER (v. 709) : Spécialement : « Devancer, prévenir. » (La Curne). Ce sens est également présent dans Huguet, qui cite pour l’illustrer quatre exemples tirés de la traduction d’Héliodore par Jacques Amyot, L’Histoire æthiopique.

Et si vous desirez d’avancer* son trespas,
Il faut partir bien-tost, et marcher à grands pas.
(Titine rapportant à Brute la défaite de Cassie, III, 3, v. 709-710)

RAISON (v. 818) : « Avoir sa raison, avoir la raison. Obtenir satisfaction. — Antonius fut contraint d’appeller devant les tribuns du peuple à Rome, alleguant, pour donner couleur à son appel, qu’il ne pouvoit avoir sa raison en plaidant dedans la Grece contre les Grecs. AMYOT, César, 4. [/] Tirer vengeance. — Celuy là qui s’est veu d’un mot injurieux Outrager mille fois par quelque audacieux. S’il n’en a sa raison, n’est ce pas une beste ? CORNU, p. 65. — Ce brave me pensoit si failli de courage De souffrir m’estre fait un si vilain outrage Et ne m’en ressentir, n’avoir point la raison D’une si detestable et lasche trahison. GARNIER, Juifves, 209. » (Huguet ; nous soulignons en caractères gras). Ailleurs, on ne trouve l’expression « avoir sa raison » que dans Godefroy et La Curne, qui citent le même exemple ancien. Elle est donc vraisemblablement vieillie. On trouve quelques occurrences de l’expression « avoir raison de » dans Furetière et dans les premières éditions du Dictionnaire de l’Académie françoise.

Ha traistres ! si Cæsar n’est pas déraisonnable,
Il punira sur vous ce meurtre abominable:
Le bien qu’il doit tirer de vostre trahison
Ne l’empeschera pas d’en avoir sa raison*:
(Titine, découvrant le corps sans vie de son maître, Cassie, III, 5, v. 815-818)369

POINTE (v. 153) : « En termes de Guerre, se dit des corps les plus avancez, soit en la marche, soit en l’attaque. Ce Capitaine avoit la pointe, commandoit l’avant-garde. Il étoit à la pointe de l’aisle droite. » (Furetière). Dans un sens plus spécifique : «  Aile [d’une armée]. […] — Ilz se meirent à deviser... touchant l’ordonnance de la bataille, là ou Brutus pria Cassius de luy laisser la conduitte de la poincte droitte. AMYOT, Brutus, 40. » (Huguet ; nous soulignons). Ailleurs, en ce sens d’« aile d’une armée », on ne trouve le mot que dans La Curne (entrée « poincte »). Les trois exemples donnés par les deux dictionnaires viennent de Jacques Amyot, que Guérin de Bouscal devait avoir sous les yeux pour écrire sa pièce. L’exemple tiré de la Vie de Brutus en est quasiment la preuve.370

J’auray la pointe* droite, et ma Cavalerie
Essuyera des traits la premiere furie,
Massala la doit suivre avec un peloton,
Qui sera soûtenu par celuy de Straton:
(Brute rapportant son organisation pour la bataille, I, 4, v. 153-156)

Le lien avec Jacques Amyot est d’autant plus évident quand on sait que Guérin de Bouscal a publié deux autres tragédies, l’une en 1640, La Mort de Cléomènes, roy de Sparte, l’autre en 1642, La Mort d’Agis. Or Plutarque a également écrit la Vie de chacun de ces deux rois de Sparte, qu’il a traités en même temps.

La Mort de Brute et de Porcie, comme son titre l’annonce, fait une place particulière à la femme de Brutus, Porcia, qui est aussi fille de Caton d’Utique, l’exemple même du suicide stoïcien. Par ailleurs, le dramaturge fait de Brutus un stoïcien dont le suicide final est comparable, en ce qu’il est l’acte vertueux de celui qui refuse de survivre à sa raison de vivre : la liberté.371 Le suicide de Porcia, avalant des charbons ardents dans une scène qui ressemble en tous points à la comparution de Mucius Scaevola jetant sa main au feu devant Porsenna, parachève l’idée que la pièce est tout entière consacrée au triomphe de la virtus.372 La virtus, c’est cette force des anciens Romains, courage physique puis moral, énergie virile. C’est dans ce cadre que l’on doit considérer l’omniprésence de la violence, qui brille dans les récits de batailles ou de suicides. Or cette violence, déjà visible dans les exemples donnés pour rapprocher Guérin de Bouscal de Jacques Amyot et d’Agrippa d’Aubigné, ne peut trouver sa place dans une pensée faite de mots policés : c’est sans doute une bonne raison pour expliquer l’archaïsme, qui est alors au service d’une âpreté baroque, dans la revendication d’une langue qui refuse la castration précieuse et la tutelle du classicisme. Ainsi ce récit de bataille fait par un soldat rapportant la défaite des troupes d’Octave (IV, 2), récit dans lequel un certain nombre de mots relevés figurent :

Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d’espée
Qui du sang des Romains ne paroisse trempée,
Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs:
Mais helas c’est en vain ! la rage est dans leurs cœurs;            930
Tel pour s’innocenter voudroit ouvrir la bouche,
Qui sent ouvrir son cœur par le fer qui le touche;
Et tel autre en fuyant tâche à prendre party,
Qui void d’un coup mortel son dessein diverty:
L’horreur seme par tout une froide fumée                    935
Qui glace le courage à nostre pauvre armée,
Des longs gemissemens fendent l’air alentour,
Le Soleil de regret voudroit haster son tour:
Le sang coule par tout, on ne voit point de terre
Qui ne porte en son front les marques de la guerre:                940
Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort,
Pleurent en s’embrassant la rigueur de leur sort.
Icy le pere void son fils dessus* la poudre,
Et dépite* le Ciel pour attirer sa foudre.
Icy par des regrets qui fendroient un rocher373,                945
Un fils pleure la mort de ce qu’il eust plus cher.
Icy dedans* le sang mille blessez se noyent,
Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent.
Et bref il est par tout tant d’objets de terreur,
Que je croy que l’Enfer en frissonna d’horreur;                950
Brute bien-tost apres fit cesser le carnage,
Et receust à mercy*374 les restes du naufrage.
Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil
Ne vit jamais çà bas*375 un desordre pareil ?
Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice,                955
Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice.
(un messager rapportant la défaite de troupes d’Octave, IV, 2)

L’image du carnage est associée de manière récurrente à celle du « deluge de sang » (IV, 5, v. 1152) :

Allons y donc, amis, et que toute la terre
Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre,
Que le sang espanché fasse soudre*376 un estang
Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang
(Brute, V, 1, v. 1243-1246)

Ou encore :

Il [Jupiter] se sert quelquefois de nous et de nos armes
Pour respandre du sang, et pour tarir des larmes:
Mais s’il voit que nos bras ne sont pas assez forts,
Soudain il a recours à de meilleurs efforts;
Il inspire la peur dans la troupe ennemie,
Qui bien-tost en fuyant se noircit d’infamie,
Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas*,
Que les plus fiers torrens377 ne l’aresteroient pas.
(Brute exhortant ses compagnons après la découverte du corps de Cassie, III, 6, v. 855-862)

Enfin :

Octave.
Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire
Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire,
Mais mon ressentiment desire plus de sang.
Anthoine.
Il est bien alteré378 s’il en boit un estang
Qui flotte impetueux là bas dedans* la plaine.
(V, 6, v. 1575-1579)

Ce dernier exemple reprend l’image problématique de l’étang, présente dans le premier exemple, en résolvant une difficulté. Certes, un « estang » est une étendue d’eau stagnante et circonscrite, mais cela n’exclut ni le débordement ni surtout le fait que son surgissement provoque un « deluge de sang » (v. 1152), image dynamique. En outre, l’impétuosité de l’étang est nommée comme telle aux vers 1578-1579 et les « torrens » du vers 862 en sont une variante.

On peut également illustrer la violence de l’archaïsme par l’étude des dérivés de contre.

ENCONTRE (v. 485) : « Contre. » (Huguet). En tant que préposition, le mot est aussi présent dans Cotgrave mais absent de Nicot, Furetière et du Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694.

CONTRAIRE (v. 1491) : Nous laissons de côté l’adjectif, dont l’emploi est resté relativement stable durant les siècles qui nous séparent de notre œuvre, pour nous intéresser au substantif, dont l’emploi a évolué et semble s’être affaibli pour se réduire à un sens logique (comme dans « dire le contraire »). C’est déjà le cas dans le Furetière. En outre, s’il en reste des traces dans un emploi de l’adjectif que le TLFi note usuel et littéraire, la dimension d’hostilité s’efface dans le substantif. Ceci, appuyé de définitions exhaustives379, permet une mise au point sur la locution « au contraire ». On comprendra mieux la construction du vers 1491 et l’on ne sera dès lors plus tenté de voir une substantivation hardie ou une ellipse (« party » sous-entendu, par exemple).

Et toy, ma chere main, si le cœur me deffaut,
Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut.
Ouy quand tout l’univers s’armeroit au contraire*
Il n’est pas assez fort pour m’en pouvoir distraire
(Porcie, après la découverte du corps de Brute, V, 5, v. 1489-1492)

RENCONTRE (v. 559, 997) : Ce substantif est exclusivement masculin dans notre pièce et renvoie au sens suivant : « Il signifie aussi, le choc de deux armées qui se fait ordinairement par hazard. Il y eut une sanglante rencontre des deux avantgardes, qui engagea ensuite un combat general. » (Dictionnaire de l’Académie françoise, première édition, 1694). Dans Huguet, ce sens se réduit à l’emploi masculin et recouvre la grande majorité des exemples alors donnés. Pour le TLFi, il est le plus ancien : « 1234 subst. masc. « action de combattre » (Huon de Méry, Antéchrist, 927 ds T.-L.), au masc., dans les différents sens, jusqu’au XVIIe s. » (partie « Étymologie et Histoire » de l’article « rencontre »). Vaugelas préconise le féminin quel que soit le sens (op. cit., p. 19). Si le genre masculin ne semble pas se réduire pas au sens guerrier à l’époque de Guérin de Bouscal, nous formons l’hypothèse que la confluence du sens guerrier et du genre masculin connotent un état de la langue antérieur.

On n’entend rien que cris et que gemissemens,
Vous diriez que le Ciel confond les Elemens:
Les traits volans en l’air par un confus rencontre*
Empeschent le Soleil de voir ce qu’il nous monstre
(la compagne de Porcie décrivant un combat à sa maîtresse, II, 5, v. 557-560)
Si bien qu’à balancer ce rencontre* fatal,
J’estime que le bien l’emporte sur le mal;
J’ay de mes bataillons ensanglanté la terre,
Et porté dans son camp le foudre de la guerre
(Marc Antoine relatant sa victoire sur Cassie, IV, 2, v. 997-1000)

Nous avons constaté et mesuré les traces d’archaïsme dans notre pièce, nous avons tenté de soumettre celle-ci aux débats contemporains sur l’usage pour finalement donner au fait un sens. Ce voyage dans le temps et les mots nous a fait trouver des influences et nous a montré Guérin de Bouscal comme un auteur de la violence impétueuse, flux de mots libérés de l’usage, d’une vigueur mâle et, malgré un projet classique, dégagée de la délicatesse du classicisme. C’est une esthétique baroque au service de la célébration des Anciens, des Romains et de la virtus. Outre l’ombre de César, « physiquement » présente dans le traitement du sujet par Shakespeare380, le souvenir des ancêtres381 mais aussi de Caton, de Pompée, et même de Cicéron, hante la pièce de Guérin de Bouscal. Au point que les vivants parlent malgré eux par la voix des morts illustres :

O temps ! ô meurs ! ô Dieux peu reverés dans Rome !
O crisme d’un Démon bien plûtost que d’un homme !
(Marc Antoine, II, 1, v. 357-358)

« O tempora, o mores » s’écriait Cicéron dans ses Verrines (II, IV, 25) ainsi qu’au début de ses Catilinaires (I, 1). Son mot est ainsi mis dans la bouche de Marc Antoine, celui qui avait fait exécuter et exposer la tête et les mains de l’auteur des virulentes Philippiques, un an plus tôt. Marc Antoine, en condamnant le crime du meurtrier Brutus, nous rappelle le sien. La victoire de Marc Antoine sera rendue acceptable par la clémence dont il fera preuve au cinquième acte en appelant à la fin des combats : car la clémence revient à se vaincre soi-même.382La Mort de Brute et de Porcie est ainsi une célébration des Anciens par la langue ancienne.

Bibliographie §

Sources §

Textes de Guérin de Bouscal §

Édition originale de la pièce §
La Mort de Brute et de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar, Toussaint Quinet, 1637.
Ses autres tragédies §
La Mort de Cleomenes, roy de Sparte, Antoine de Sommaville, 1640.
La Mort d’Agis, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1642.
Éditions critiques existantes de ses œuvres §
Dom Quixote de la Manche, éd. Daniela Dalla Valle et Amédée Carriat, Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1979.
Dom Quichot de la Manche, comédie. Seconde partie, éd. Marie-Line Akhamlich, Université de Toulouse-Le Mirail, 1986.
Le Gouvernement de Sanche Pansa, éd. C.E.J. Caldicott, Genève, Droz, 1981.
Dom Quixote de la Manche ; Dom Quichot de la Manche, seconde partie, éd. Kevin Annelot, Paris IV-Sorbonne, 2012.
Le Fils désadvoüé, ou le Jugement de Theodoric roy d’Italie, éd. Valérie Sinson, Paris IV-Sorbonne, 2012.

Textes des XVIe et XVIIe siècles §

Tragédies §
Boyer Claude, La Porcie romaine, éd. Marie Roux, Paris IV-Sorbonne, 1997.
Corneille Pierre, Cinna, éd. Christian Biet, Le Livre de Poche, 2003.
Garnier Robert, Les Tragédies de Robert Garnier, Mamert Patisson, 1585.
Racine Jean, Œuvres complètes, éd. Georges Forestier, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1999.
(de) Scudéry Georges, La Mort de César, Augustin Courbé et Toussaint Quinet, 1636.383
Shakespeare William, Jules César, dans Titus Andronicus, Jules César, Antoine et Cléopâtre, Coriolan, éd. Germaine Landré, trad. François-Victor Hugo, Garnier-Flammarion, 1965.
Textes théoriques §
Chapelain Jean, Opuscules critiques, éd. Alfred C. Hunter, révisée par Anne Duprat, Genève, Droz, 2007.
Mairet Jean, La Silvanire ou la Morte-vive, préface, François Targa, 1631.
Rapin René, Les Réflexions sur la poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes [1674], éd. E.T. Dubois, Genève, Droz, 1970.

Textes antiques §

La Bataille de Philippes §
Appien, Histoire des guerres civiles de la république romaine, trad. J.J. Combes-Dounous, 1808.
Dion Cassius, Histoire romaine, trad. E. Gros, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1865.
Plutarque, Vies parallèles, trad. Anne-Marie Ozanam, dir. François Hartog, Gallimard, 2001.
Valère Maxime, Actions et paroles mémorables, trad. Pierre Constant, Garnier, 1935.
Velleius Paterculus, Histoire romaine, trad. Pierre Hainsselin et Henri Watelet, Garnier, 1932.
Sources historiques complémentaires §
Aurelius Victor, Origine du peuple romain ; Hommes illustres de la ville de Rome ; Histoire des Césars ; Vie des empereurs romains, trad. N.A. Dubois, C.L.F. Panckoucke, 1846.
Cicéron, Œuvres complètes de Cicéron, dir. Nisard, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1869.
Quintilien, Institution oratoire, trad. C.V. Ouizille, C.L.F. Panckoucke, 1829-1835.
Références indispensables §
Aristote, Poétique, éd. Michel Magnien, Le Livre de Poche, 1990.
Homère, Iliade – Odyssée, trad. Robert Flacelière et Victor Bérard, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1955.
Sénèque, De clementia, trad. François-Régis Chaumartin, Les Belles Lettres, 2007.
Virgile, Énéide, éd. Henri Goelzer, trad. André Bellesort, Les Belles Lettres, 1956.

Instruments de travail §

Dictionnaires, remarques et encyclopédies §

Dictionnaires de langue (classés chronologiquement selon leur objet) §
Godefroy Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, F. Vieweg, Émile Bouillon, 10 tomes, 1881-1902.
(de) La Curne de Sainte-Palaye Jean-Baptiste, Dictionnaire historique de l’ancien langage français ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, Niort, Paris, L. Favre, H. Champion, 10 tomes, 1875-1882.
DMF (1330-1500) : Dictionnaire du Moyen Français, version 2010. ATILF - CNRS & Université de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf.
Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Librairie ancienne Édouard Champion, 1928 [1925], 1932, Didier, 1946, 1950, 1961, 1965, 1967.
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Nicot Jean, Thrésor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne, David Douceur, 1606.
Cotgrave Randle, A Dictionarie of the french and english tongues, Londres, Adam Islip, 1611.
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Furetière Antoine, Dictionaire Universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 3 tomes, 1690.
Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au Roy, Coignard, 1694 (1ère éd.).
Nouveau Dictionnaire de l’Académie françoise, Coignard, 1718 [Deuxième édition] (1ère éd. 1694).
Dictionnaire de Trévoux, La Compagnie des libraires associés, 1771 [Dernière édition] (1ère éd. 1704).
Dictionnaire de l’Académie françoise, J.J. Smits et Ce, 1798 [Cinquième édition] (1ère éd. 1694).
Gattel Claude-Marie, Dictionnaire universel de la langue française, Lyon, J. Buynand, 1819 (3e éd.).
Dictionnaire de l’Académie française, Firmin Didot frères, 1835 [Sixième édition] (1ère éd. 1694).
Barré Louis, Complément du Dictionnaire de l’Académie française, Firmin Didot, 1842 (1ère éd.).
Institut National de la Langue Française / Unité de Recherche Linguistique / Imbs Paul (dir.), Trésor de la langue française (TLF), CNRS / Gallimard, 16 vol., 1971-1994. Site Internet (Trésor de la langue française informatisé ou TLFi) : http://atilf.atilf.fr/.
Remarques §
Favre de Vaugelas Claude, Remarques sur la langue françoise, Camusat et Le Petit, 1647.
Observations de l’Académie françoise sur les Remarques de M. de Vaugelas, Coignard, 1704.
Dictionnaires thématiques et encyclopédies §
Corneille Thomas, Le Dictionnaire des Arts et des Sciences, Coignard, 1694.
Diderot et D’Alembert, Encyclopédie, Briasson, David l’aîné, Le Breton et Durand, 1751-1772.
Mongez Antoine et Mongez Marie Joséphine Angélique, Encyclopédie méthodique, ou Recueil d’antiquités, H. Agasse, 1804, 1811.
Noël François, Dictionnaire de la Fable, Le Normant, 1801, 1803, 1810.
Schmidt Joël, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Larousse, 1985, 2000.

Bibliographies §

Cioranescu Alexandre, Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, éd. CNRS, 3 vol., 1965-66.
Klapp Otto [Klapp-Lehrmann à partir de 1986], Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann (publication annuelle, depuis 1960).

Grammaire, syntaxe, ponctuation §

Anglade Joseph, Grammaire élémentaire de l’ancien français, A. Colin, 1934.
Haase Alfons, Syntaxe française du XVIIe siècle, trad. M. Obert, A. Picard et fils, 1898.
Riffaud Alain, La Ponctuation du théâtre imprimé, Genève, Droz, 2007.

Travaux critiques §

Études historiques, histoires de la littérature, histoires du théâtre §

Ouvrages §
Bayet Albert, Le Suicide et la morale, Alcan, 1922.
Grisé Yolande, Le Suicide dans la Rome antique, Les Belles Lettres, 1982.
Himy-Piéry Laure et Macé Stéphane, Stylistique de l’archaïsme, Colloque de Cerisy, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Poétique et stylistique, 2010.
[Pasquier Pierre éd.], Le Mémoire de Mahelot, Champion, 2005.
Pasquier Pierre et Surgers Anne, La Représentation théâtrale en France au XVIIe siècle, Armand Colin, 2011.
Riffaud Alain, Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660, Genève, Droz, 2009.
Scheid John, La religion des romains, A. Colin, 1998-2010.
Article §
Sedley David, « The Ethics of Brutus and Cassius », Journal of Roman Studies, 87, 1997, p. 41-53.

Travaux sur le théâtre du XVIIe siècle §

Ouvrages §
Forestier Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Klincksieck, 1996 (nouv. éd. Genève, Droz, 2004).
Forestier Georges, La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques, Armand Colin, coll. U, 2010 (1re éd. PUF, 2003).
Kossmann Ernst Ferdinand, Nieuwe bijdragen tot de geschiedenis van het Nederlandsche tooneel in de 17e en 18e eeuw, La Haye (‘s-Gravenhage), Martinus Nijhoff, 1915.
Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.).
Licha Alexandra, La vertu de l’héroïne tragique (1553-1653), Thèse Littérature française, Paris IV-Sorbonne, 2004.
Louvat Bénédicte, Poétique de la tragédie, SEDES, 1998.
Mazouer Charles, Le Théâtre français de l’âge classique, t. I Le premier XVIIe siècle, Champion, 2006 ; t. II L’apogée du classicisme, Champion, 2010.
Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Saint-Genouph, Nizet, 1950-2001.
Article §
Dutertre Éveline, « À propos de quelques tragédies de la mort de César des XVIe et XVIIe siècles », Littératures Classiques, 16, 1992, p. 199-227.

Travaux sur l’auteur §

L’homme §
Caldicott C.E.J., « Hola ! Hé ! Sganarelle. Molière et le réalmontais Guérin de Bouscal », Revue du Tarn, 93, 1979, p. 15-26.
Caldicott C.E.J., « Molière, le comte d’Aubijoux, Guérin de Bouscal et l’Albigeois », Revue du Tarn, 177, 2000, p. 155-162.
Desbarreaux-Bernard Tibulle, « Coup d’œil bibliographique et littéraire sur un auteur dramatique et littéraire du XVIIe siècle. », Mémoires de l’Académie des Sciences de Toulouse, t. IV, 1848, p. 39-79 ; repris dans « Mélanges biographiques et littéraires sur un auteur du XVIIe siècle. », Bulletin du Bibliophile, 1849, p. 114-129.
Vergnes Georges, « Le mariage de Guérin de Bouscal avec la petite nièce de Rondibilis », Revue du Tarn, 137, 1990, p. 89-92.
Son œuvre en général §
Davies Mark James, The dramatic works of Guérin de Bouscal, Thèse Univ. of Wales, Swansea, 1981.
La Vallière, Bibliothèque du théâtre françois depuis son origine, Dresde, Michel Groell, t. II, 1768, p. 457-503.
Ses tragédies384 §
Ouvrage §
*Wahner Angela, Das Böse im französischen Theater der Jahre 1635-1649 : Studien zu ausgewählten Werken Boyers, Chevreaus, Pierre Corneilles und Guérin de Bouscals, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, coll. Europäische Hochschulschriften : XIII ; 223, 1997 [Thèse Univ. Münster (Westfalen), 1995].
Articles et contributions à des ouvrages collectifs §
*Doiron Normand, « Porcie, ou la tragédie du feu », Poétique, 144, 2005, p. 413-428.
Forsyth Elliott, « Guérin de Bouscal et le dilemme tragique », dans János Riesz et Alain Ricard, Semper Aliquid Novi : Mélanges offerts à Albert Gérard, Tübingen, Gunter Narr, 1990, p. 347-356.
Hilgar Marie-France, « Une tragédie de Guérin de Bouscal : La Mort d’Agis », Proceedings – Pacific Northwest Conference on Foreign Languages, V. 25, Part 1, 1974, p. 204-207.
*Hilgar Marie-France, « Héroïnes tragiques, Héroïnes bourgeoises: variations sur une même image », dans Wolfgang Leiner, Onze nouvelles études sur l’image de la femme dans la littérature française du dix-septième siècle, Éditions Place, 1984, p. 13-23.
*Lancaster Henry Carrington, “Leading French Tragedies just before the Cid”, Modern Philology, XXII, 1925, p. 375-378.
La trilogie cervantine §
Akhamlich Marie-Line, « Adaptation théâtrale du Don Quichotte de Cervantes par Guyon Guérin de Bouscal », Cahiers de Littérature du XVIIe siècle, 5, 1983, p. 33-43.
Akhamlich Marie-Line, « Dulcinée à la française : Cervantes revu par Guérin de Bouscal. », Cahiers de Littérature du XVIIe siècle, 7, 1985, p. 5-11.
Caldicott C.E.J., “The Trilogy of Guérin de Bouscal: A Phase in the Progression from Don Quixote to Moliere’s Dom Juan”, The Modern Language Review, 74, 1979, p. 553-571 ; traduit dans Revue du Tarn, 100, 1980, p. 583-610.
Dalla Valle Daniela, « Don Chisciotte in commedia (La trilogia cervantina di Guérin de Bouscal) », dans Forme del comico. Metodologie della critica letteraria. Atii del V Convegno della Società Universitaria per gli Studi di Lingua e Letteratura Francese (Bologna, 29-30 ottobre 1977), Bologna, Pàtron Editore, 1979, p. 9-25.
Dalla Valle Daniela, « Don Quichotte et Sancho dans la France de Louis XIII. La trilogie comique de Guérin de Bouscal », Revue de littérature comparée, 53, 1979, p. 432-461.
Dalla Valle Daniela, « Sancho Pança gouverneur : de Cervantès à Guérin de Bouscal et à Dancourt », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 48, 1996, p. 185-203.
Mazouer Charles, « L’Illusion dans la trilogie dramatique de Guérin de Bouscal », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 48, 1996, p. 165-184.
Roques Jean, « Une résurrection : le théâtre du réalmontais Guérin de Bouscal qui fut joué par Molière », Revue du Tarn, 103, 1981, p. 429-435.
Son roman §
Borda Elena, « L’Antiope di Guérin de Bouscal e il Thésée di Puget de la Serre: un caso di contaminazione nascosta », Studi Francesi, 95, 1988, p. 283-290.
Dalla Valle Daniela, « “Éclat” e “Naturel”. La poetica del romanzo di G. Guérin de Bouscal. », dans Mélanges à la mémoire de Franco Simone, Slatkine, t. II, 1981, p. 81-96.
Rolla Chiara, « Le “statut” du roman dans la première moitié du XVIIe siècle : à propos de quelques œuvres et auteurs “mineurs” (Guerzan, Du Broquart, Guérin de Bouscal, “Axiane”) », dans Mladen Kozul, Jan Herman, Paul Pelckmans (dir.), Préfaces romanesques, Actes du XVe colloque international de la SATOR, Leuven-Anvers, 22-24 mai 2003, Louvain, Éditions Peeters, coll. La République des Lettres, vol. 23, 2005, p. 103-116.
Autres §
Pompejano Natoli Valeria : « La seduzione in tragicommedia. La percezione dell’Oriente islamico nell’ Amant libéral », dans Dalla tragedia rinascimentale alla tragicommedia barocca, Fasano, Schena, 1993, p. 201-221.
Vergnes Georges, « Deux poèmes de Guérin de Bouscal », Revue du Tarn, 109, 1983, p. 89-94.
Vergnes Georges, « Une énigme littéraire tarnaise. Richelieu, Guérin de Bouscal et l’Académie de Castres », Revue du Tarn, 115, 1984, p. 461-470.