M. CC. XX.
par M. GUEULLETTE
PERSONNAGES. §
- MONSIEUR LÉANDRE, amant d’Isabelle.
- GILLES, son valet .
- ISABELLE, amante de Léandre.
- MONSIEUR VILLEBREQUIN, vieillard.
- MONSIEUR CASSANDRE, vieillard.
SCÈNE I. Léandre, Gilles. §
GILLES.
Il me paraît notre maître qu’il y a bien du train dans votre quartier, le vielleux a joué toute la nuit ; hier au soir on a montré la curiosité.
LÉANDRE.
Toutes ces magnificences me causèrent une douleur douloureuse ; car enfin Monsieur Cassandre et Monsieur Villebrequin sont deux personnes qui ont du moyen.
LÉANDRE.
Enfin ils sont tous deux amoureux de ma charmante Isabelle.
GILLES.
Oui, ma foi, il leur en faut à ces vieux fous de la viande fraîche, on leur en souhaite.
LÉANDRE.
Si tu ne me soulages pas dans mon infortune, tu peux compter que tu n’as plus Monsieur Léandre pour ton maître.
GILLES.
Hé bien, que faut-il faire ?
GILLES.
Oui, leur ôter cette colique vénérienne qui les tourmente.
GILLES.
Je sais bien aussi où est l’enclouure.
LÉANDRE.
Tais-toi, il ne faut jamais qu’un honnête homme parle de sa maîtresse.
GILLES.
Ce que j’en dis n’est pas pour en parler ; mais enfin à gorge coupée et à fille dépucelée, il n’y a point de remède.
LÉANDRE.
4Cela c’est vrai ; mais ne sais-tu pas qu’il y a toujours à refaire après une fille, et que ces vieux roquetins m’empêchent d’entrer.
GILLES.
Pardienne elle a moins peur pour l’entrée que pour la sortie, celle fille-là, elle voudrait que vous fussiez toujours dedans.
LÉANDRE.
Tu vois donc bien qu’il faut empêcher ces messieurs de roder toujours autour d’elle.
GILLES.
Oh ! Ça notre maître, fermez le cul et ouvrez les oreilles.
LÉANDRE.
J’y consens, eh bien ?
GILLES.
Il faut vous défaire de Monsieur Cassandre et de Monsieur Villebrequin. N’est-ce pas ?
LÉANDRE.
Sans doute. Mais comment feras-tu ?
GILLES.
Pardienne, je leur persuaderais, s’il le fallait, qu’un âne est un perroquet. Allez, laissez-moi faire, mais je vois venir Mam’selle Isabelle.
LÉANDRE.
Il ne faut pas lui rien dire de notre bourde, elle est tant modeste et naturelle.
GILLES.
Je vous laisse tous deux ensemble, vous n’avez pardienne pas besoin de moi pour vous ajuster, je vais prendre pendant ce temps-là un bon lavement de panse.
SCÈNE II. Isabelle, Léandre. §
ISABELLE.
Ah ! Bonjour donc Léandre, pourquoi n’êtes-vous pas venu hier chez nous comme à l’accoutumée ?
LÉANDRE.
Charmante Isabelle, vous étiez embarrassée, vous avez eu la vielle, la curiosité...
ISABELLE.
Vous savez bien qu’il y a toujours place pour vous. Vous me paraissez tout chose ?
LÉANDRE.
Plût à Dieu.
ISABELLE, riant.
Ah, ah ! Et moi aussi.
LÉANDRE.
Charmante z’Isabelle, vous n’avez pas beaucoup à désirer. Mais Monsieur Cassandre et Monsieur Villebrequin me causent du chagrin, ils vous reluquent ; encore si vous en tiriez quelque chose.
ISABELLE.
C’est à quoi je songeais à part moi mon cher amant.
ISABELLE.
Je travaillerai mieux que lui. Mon cher Léandre, laissez-moi faire. J’en vois venir un. Allez-vous-en, retirez-vous.
LÉANDRE.
Je l’ai toujours fait quand vous l’avez voulu. Que je suis heureux d’aimer une si honnête personne comme vous l’êtes, et qui entend si bien le jars.
ISABELLE.
Adieu, mon cher amant.
SCÈNE III. Isabelle, Villebrequin. §
ISABELLE, le prenant sous le menton.
Votre servante, Monsieur Villebrequin.
VILLEBREQUIN.
Cette fille me ravit, c’est la modestie elle-même.
ISABELLE.
Ah ! Point du tout, Monsieur.
VILLEBREQUIN.
Mais, la belle enfant, je voudrais bien que vous vinssiez un jour dans ma maison, ma femme est à la campagne des champs.
ISABELLE.
Monsieur, je ne vais jamais t’en ville.
VILLEBREQUIN.
C’est que j’ai tant de peur de m’enrhumer ; les rhumes sont mauvais cette année.
VILLEBREQUIN.
J’en demeure d’accord, ma mignonne.
ISABELLE.
Cela ne vaut-il pas mieux que de dépenser votre argent comme vous avez fait hier ?
VILLEBREQUIN.
Je vous ai fait voir hier la curiosité, vous me montrerez la marmotte.
ISABELLE.
Vous n’avez qu’à parler, mais si vous voulez me prêter dix écus pour vous donnez à souper.
VILLEBREQUIN.
Par Saint-Jean, je n’y pensais pas ; mais dix écus, c’est beaucoup.
ISABELLE.
C’est que je veux que vous fassiez bonne chère, et qu’après la panse vienne la danse ; de plus il faut que je paye mon terme.
VILLEBREQUIN.
Tenez, ma mignonne, j’en mangerai au moins une partie.
ISABELLE.
Je vous attends ce soir à huit heures précises, frappez seulement à la porte.
VILLEBREQUIN.
Oui, ma charmante, laissez faire à mon impatience.
SCÈNE IV. §
ISABELLE, seule.
8En voilà déjà un de rebouisé, et je veux mériter l’estime de mon cher Léandre en venant à bout de l’autre. Bon, je le vois qui vient ici.
SCÈNE V. Isabelle, Cassandre. §
ISABELLE.
Bonjour mon mignon, mon tout, je parie que vous pensiez en moi.
CASSANDRE.
Vous l’avez deviné, ma charmante. À propos savez-vous bien que j’aurais fort voulu danser moi-même hier, car il m’en coûta six blancs pour le vielleux.
ISABELLE.
Je le crois bien vraiment : mais mon cher Cassandre, je n’aime point à vous voir comme ça dépenser votre argent.
CASSANDRE.
Je ne l’aime pas trop non plus ; mais vous m’enchantez en discourant ce discours, adorable mignonnette, aussi je n’y retournerai plus, mais je voulais vous divertir.
ISABELLE.
Ce n’est pas l’aveugle que j’aime le mieux.
CASSANDRE.
Je le crois ; montons chez vous.
ISABELLE.
Oh pour le présent je ne puis, mais si vous voulez venir ce soir à huit heures, je vous donnerai à souper.
CASSANDRE.
Vous me donnerez à souper ? Vous êtes adorable, jamais je n’ai connu rien de si charmant que vous.
ISABELLE.
Ah ! Pour moi je vous aime, quoique je n’aie jamais rien aimé, et que je ne sache pas comme cela s’est fait.
CASSANDRE.
Tant mieux, ma mignonne, je vous le montrerai. Que je suis plein de bonheur !
ISABELLE.
Je puis donc vous attendre ce soir à huit heures précises. Quand elles sonneront au petit couvent, frappez seulement à la porte.
CASSANDRE.
Je manquerai plutôt ma vie, que de perdre un bonheur si heureux.
ISABELLE.
Vous m’aimez donc bien ?
CASSANDRE.
Je crève d’amour, voyez comme je tousse.
ISABELLE.
Aussi que ne fais-je point ? Car enfin si vous venez chez nous, ce ne sera pas pour des prunes.
CASSANDRE.
Je le compte bien ainsi.
ISABELLE.
Je puis donc cela étant ainsi, vous prier de me faire un plaisir.
CASSANDRE.
Parlez, mignonne, que puis-je faire ?
ISABELLE.
Mon bon ami, vous pouvez me prêter dix écus.
CASSANDRE.
Mais savez-vous bien que ce sont trente livres ?
ISABELLE.
Oui, mon cher amant, c’est à cause que je le sais que je vous prie de me les prêter, je n’ai point assez de quoi vous donner à souper.
CASSANDRE.
Je ne me soucie pas de faire bonne chère, moi ; la sobriété donne la santé, et la santé est le plus grand de tous les biens. Une salade, et ce qu’on aime, me suffisent à merveille.
ISABELLE.
Mais ce n’est pas encore tant pour souper, c’est pour avoir deux chaises et une table.
CASSANDRE.
Nous nous en passerons, nous souperons sur le lit.
ISABELLE.
J’ai trop d’honneur pour vous recevoir comme ça ; je croyais que vous m’aimiez, mais vous ne m’aimez point. Je suis bien malheureuse.
CASSANDRE.
Hé bien, ma chère, je n’y puis plus tenir. Voulez-vous quinze francs ?
ISABELLE.
Non vous ne m’aimez pas, je me suis bien trompée.
CASSANDRE.
En bonne foi, je ne puis donner davantage, pensez-y bien.
ISABELLE, pleurant.
Non. Hi, hi...
CASSANDRE.
Je m’en vas, je ne puis vous voir ainsi dans l’affliction.
ISABELLE.
Hi, hi, hi.
CASSANDRE, revenant.
En voulez-vous dix-huit ?
ISABELLE.
Non. Je suis bien malheureuse !
CASSANDRE.
Allons, il faut être raisonnable aussi, et diminuer quelque chose de votre côté, je mettrai les vingt francs, et c’est tout ce que je puis faire.
ISABELLE.
Et moi, je ne le puis en conscience. On aime, et voilà ce qui vous arrive.
CASSANDRE.
Mais aussi trente francs !
ISABELLE.
Je ne les vaux pas, n’est-ce pas ? Hi, hi.
CASSANDRE.
Vous valez tout ce qu’on peut valoir. Mais trente francs ?
ISABELLE.
Il n’y a qu’un mot qui serve ; le voulez-vous, ne le voulez-vous pas ?
CASSANDRE.
Jugez par-là de l’excès de mon amour. Tenez.
ISABELLE.
Mais il n’y en a que quinze ?
CASSANDRE.
Je donnerai le reste après souper.
ISABELLE.
Cela étant, il n’y a rien de fait. Quoi ! Vous avez de l’estime pour moi, et vous ne vous fiez pas à votre Isabelle ?
CASSANDRE.
Voilà donc les quinze autres.
ISABELLE, riant.
À ce soir donc à huit heures sonnantes. Je vous attends. Frappez à la porte, et prenez bien garde d’être aperçu. Que je suis heureuse d’avoir un amant comme Monsieur Cassandre.
CASSANDRE.
À ce soir, ma mignonne, je n’ai garde d’y manquer. Trente francs ! Ce que l’amour fait faire ! Trente francs ! Dix écus !
SCÈNE VI. §
ISABELLE, seule.
Et de deux ; mon cher amant ne me reprochera plus que je ne sais pas mon pain manger : car nous avons de quoi faire. Mais n’est-ce pas lui qui s’avance.
SCÈNE VII. Léandre, Isabelle. §
LÉANDRE.
Eh bien, ma charmante, qu’avez-vous fait ?
ISABELLE.
J’ai gagné vingt écus.
LÉANDRE.
Voilà ce qui s’appelle savoir vivre.
ISABELLE.
C’est pour nous deux souper.
LÉANDRE.
Il faut un peu de règle à tout ce qu’on fait, et vous allez toujours trop vite dans la besogne, je vous l’ai toujours dit.
ISABELLE.
Cela c’est vrai, je m’emporte t’un peu, mais je me corrigerai, je le faisais pour le mieux.
LÉANDRE.
Vous êtes un peu trop connue dans le quartier, il faut déloger.
ISABELLE.
Je ferai tout ce qu’il vous plaira, mon cher amant ; j’aurai bientôt déménagé, vous le savez.
LÉANDRE.
Je me charge de tout, puisque vous avez du comptant.
ISABELLE.
Volontiers. Je sortirai du quartier dès tout à l’heure, si vous l’avez pour agréable ; car j’ai donné rendez-vous à huit heures précises à ces deux vieillards, et j’aimerais tout autant qu’ils me trouvassent dénichée.
LÉANDRE.
Cela ne serait pas honnête, il faut les attendre chez vous, mais n’ouvrez pas.
ISABELLE.
Ah ! Mon cher amant, je crois bien qu’ils ne pourront jamais ouvrir ; n’ayez point d’inquiétude, car vous êtes un peu jaloux, et bien assurément vous avez grand tort.
LÉANDRE.
Je vais me déguiser, laissez-moi faire, et nous verrons beau jeu.
ISABELLE.
Ah ! Mon cher amant, ne les tuez pas.
LÉANDRE.
Moi, je ne tue personne ; mais je veux me venger de l’insolence qu’ils ont de vous faire des propositions déshonnêtes. Je rentre cheux nous, et je vous attends d’une attente admirable.
SCÈNE VIII. Cassandre, Villebrequin §
VILLEBREQUIN.
Voici l’heure, ou je me trompe fort.
CASSANDRE.
Quand il serait un peu plutôt, l’impatience fait toujours plaisir aux belles personnes. Frappons...
ISABELLE, dedans.
Qui va là ?
CASSANDRE et VILLEBREQUIN, en même temps.
C’est moi, charmante Isabelle...
ISABELLE, dedans.
Qui vous ?
CASSANDRE et VILLEBREQUIN, en même temps.
Vous ? Vous ? Oui, moi... moi.
CASSANDRE.
Allez, vous êtes un vieux fou.
VILLEBREQUIN.
C’est un bel amoureux qu’un galant de soixante-dix ans.
CASSANDRE.
Cela n’est pas vrai, je n’en aurai que soixante-huit, viennent les prunes. N’en avez-vous pas davantage ?
VILLEBREQUIN.
J’ai ce que j’ai, ce ne sont pas vos affaires.
CASSANDRE.
Mais que demandez-vous à cette porte ?
VILLEBREQUIN.
Qu’y demandez-vous, vous-même ?
CASSANDRE.
Je veux que vous vous en alliez.
VILLEBREQUIN.
Je ne m’en irai pas, et je vous chasserai.
CASSANDRE.
Tu me chasseras, vieux fou ?
VILLEBREQUIN.
Voyons donc cela, vieille patraque.
SCÈNE IX. Léandre et Gilles en archers du guet, Cassandre, Villebrequin. §
LÉANDRE.
Quel bruit est-ce que j’entends donc là ?
CASSANDRE et VILLEBREQUIN, en même temps.
Ce n’est pas moi, c’est ce vieux fou... Monsieur, c’est lui qui a tort... Monsieur, je vous donnerai...
LÉANDRE.
Donnez toujours.
Monsieur, faites votre devoir.
SCÈNE X. §
LÉANDRE à Isabelle qui est dans sa maison.
Allez, Mademoiselle, descendez. Nous pouvons à présent trimer à loisir, et jouir du doux fruit de nos chastes amours.
SCÈNE XI, et dernière. Gilles, Cassandre, Vilebrequin. §
GILLES, les lâchant de la coulisse.
Allez, Messieurs, faites la paix, croyez-moi, je vais boire à votre santé. Voilà ce que c’est que de vouloir souper dehors.