Méléagre
Tragédie

Alexandre Hardy

A PARIS,
chez JACQUES QUESNEL, ruë S. Jacques aux
Colombes, pres S. benoist
M. DC/. XXIIII.
Avec Privilege du Roy.

Édition critique établie par Boucebia Maghda dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2000-2001).

Introduction générale §

L’intérêt porté à Alexandre Hardy, oublié ou presque pendant plus de deux siècles, renaît depuis l’étude de Rigal en 18891. Le nom de Hardy, le fécond dramaturge qui a rempli de ses œuvres innombrables toute la première partie du XVIIe siècle est le nom d’un personnage à la fois célèbre et inconnu. Les opinions sur ses mérites en tant que dramaturge et sur son importance dans l’évolution du théâtre classique ont été très partagées. Il n’est souvent resté qu’un nom dans l’histoire théâtrale et son œuvre a été malheureusement trop vite oubliée.

De Corneille à aujourd’hui, en effet, on n’a jamais cessé de parler, à intervalles plus ou moins réguliers, du théâtre de Hardy, reconnaissant par là son rôle dans l’histoire littéraire, et par conséquent le problème esthétique qu’il pose. On peut résumer tout ce qui a été dit sur Hardy, notamment par la critique du XIXe siècle par la formule que lui applique Gustave Lanson : « bon dramaturge, mauvais écrivain »2. Ce qui revient en fait à lui donner une grande importance dans l’histoire littéraire, mais à lui dénier toute valeur propre. De fait, Hardy s’est vu assigner une place essentielle dans l’histoire du théâtre français : il occupe de sa seule présence une importante période de transition, celle qui se situe entre la cessation des activités des confrères de la Passion, dont les représentations des mystères sont interdites en 1558 et les premiers succès de Mairet, de Théophile et de Corneille dans les années 1625-1630. C’est lui qui en rompant avec le théâtre du moyen âge a préparé la floraison du théâtre classique.

Mais il nous a semblé qu’il était possible de lire Hardy autrement que pour approfondir la connaissance d’un moment de l’histoire littéraire. Hardy n’est pas seulement l’auteur dont les pièces ont contribué à fixer la forme de la tragédie classique. Il existe d’autres raisons que l’histoire littéraire pour s’intéresser au Théâtre de Hardy.

L’auteur §

La vie d’Alexandre Hardy §

Malgré les efforts de ses biographes : Lancaster, Rigal et surtout Deierkauf-Holsboer, Alexandre Hardy semble échapper aux tentatives faites pour bien préciser les détails de sa vie. Les informations que nous avons à son sujet sont souvent l’œuvre de suppositions ou de déductions et les critiques se contredisent entre eux. Nous allons cependant essayer de retracer son histoire.

Parmi les renseignements que nous possédons, aucun ne nous informe sur ses années formatrices et sa date de naissance n’est pas connue. Aucun indice concernant sa naissance « n’a été conservé dans les Archives de la Seine ni dans les registres des Eglises », affirme Deierkauf-Holsboer3. Rigal la situe entre 1569 et 1575 ; Lancaster entre 1575 et 1577. Pour situer sa date de naissance, nous suivrons Alexandre Hardy qui dans sa dédicace Aux Chastes et Loyales Amours de Théagène et Cariclée avoue avoir écrit pendant 30 ans. Etant donné que le privilège de cette pièce date du 8 octobre 1622 il aurait donc commencé à écrire en 15924. Deierkauf-Holsboer en déduit donc qu’ « en admettant comme plusieurs de ses prédécesseurs qu’il écrivit ses premières pièces à l’âge de 20 ans il s’en suivrait que la date de sa naissance remonterait à 1572 environ5 ».

Ce qui est sûr c’est qu’Alexandre Hardy était de Paris. En effet, son nom est accompagné du titre de parisien en tête de chacun de ses volumes. Il est probable que Hardy était de bonne famille. Il a reçu une éducation classique et soignée : Hardy emprunte ses sujets de tragédie à l’antiquité classique et se réclame des principes d’écriture érudite de Ronsard. Comme le prouve sa Berne des deux rimeurs de l’hostel de Bourgogne et ses avis au lecteur, Alexandre Hardy connaît les auteurs latins et grecs, les dramaturges du XVIe siècle, les prosateurs et les théoriciens de son temps.

Alexandre Hardy a été en France le premier auteur dramatique professionnel et le seul écrivain de théâtre important pendant une vingtaine d’années. Poète très fécond, il a écrit entre 600 et 800 pièces6 et sa fécondité a été louée par des sommités poétiques de son époque. La facilité de Hardy étonnait déjà ses contemporains qui la célébraient à l’envie : Théophile dans « Au Sieur Hardy » montre son enthousiasme face à une telle production :

Coûtumier de courre une plaine,
Qui s’étend par tout l’univers,
J’entens à comparer des vers,
Trois milliers tout d’une haleine.
HARDY, dont les lauriers féconds,
Font ombre à tant de doctes testes
Que les plus grands de nos Poëtes,
S’honorent d’être ses seconds. (…)7

Il a été le pilier du théâtre nouveau et ne présenta au public que des pièces dans le nouveau goût : tragédies, tragi-comédies, pastorales et peut être quelques comédies et intermèdes. De toute cette œuvre, il ne nous reste que les 33 pièces qui ont été publiées et les titres de 13 pièces perdues.

Il passa la majeure partie de sa vie comme poète à gages, écrivant des pièces pour des troupes d’acteurs d’abord en province puis à Paris8. On ne sait rien de ses pérégrinations en province. Nous ne connaissons ni les pièces avec lesquelles Hardy fit ses débuts comme auteur, ni celles qui ont été montées sur scène.

Sa vie professionnelle est mieux éclairée, mais encore bien insuffisamment, par quelques actes notariés. Il travaille sans doute d’abord pour la troupe d’Adrien Talmy le jeune. Hardy y est probablement acteur et fournisseur de pièces. En 1598, il s’attache à la troupe de Valleran le Conte dont l’ambition sera de s’installer à Paris à l’hôtel de Bourgogne, mais qui n’y réussira qu’épisodiquement. Dans un bail du 2 septembre 1611, Hardy porte le titre de « comédien ordinaire du roi ». Il a donc été acteur. Les noms de Hardy et de Valleran sont souvent associés à l’hôtel de Bourgogne. Mais étant donné le retard de Paris sur la province en ce qui concerne le goût théâtral, il faut sans doute supposer que l’auteur et les acteurs furent aussi souvent en tournée que dans la capitale. Plus tard ce fut à Marseille en 1620 que Hardy s’associa au successeur de Valleran, Pierre le Messier, dit Bellerose9. Les rapports de Hardy avec Bellerose furent tendus. Les contrats impliquent, conformément à l’usage de l’époque, que les pièces de Hardy sont la propriété permanente de la troupe qui les a acquises moyennant le paiement d’une somme forfaitaire. L’auteur ne peut donc pas les publier.

Mais pourquoi Alexandre Hardy voulait-il alors publier ses œuvres ?

Le succès grandissant de son théâtre d’abord en province ensuite à Paris, la parution de copies clandestines ou d’œuvres faussement attribuées à sa plume, les publications de plus en plus nombreuses d’auteurs dramatiques inférieurs à lui : tels furent les facteurs qui ont influencé la décision d’Alexandre Hardy de publier ses pièces.

Hardy menace à plusieurs reprises Bellerose de quitter la compagnie et de s’associer à une troupe rivale. C’est probablement cette menace qui a incité Bellerose à quelque indulgence : il lui a rendu à plusieurs reprises quelques pièces. Il est très probable que la rupture avec Bellerose en 1626 dériva de la volonté de Hardy de se sentir plus libre dans le domaine des publications. Mais en quittant Bellerose, Alexandre Hardy perd la propriété littéraire de ses 500 ou 600 pièces. Il est certain que Bellerose a continué à faire jouer les pièces de Hardy pendant quelques années, puis quand elles furent dépassées, il les a sans doute détruites.

La représentation des pièces d’Alexandre Hardy continue de 1631 à 1636 à l’hôtel de Bourgogne. En effet, en 1635, ses pièces étaient encore représentées au théâtre : la preuve se trouve dans La Comédie des comédiens de Scudéry où Blandimore demande à ses camarades « Quelles pièces avez-vous vu ? » et où Bellefleur répond « toutes celles de feu Hardy. » De plus nous savons bien qu’à l’époque où Mahelot s’occupait de la décoration à l’hôtel de Bourgogne, on jouait encore Hardy, puisque nous trouvons dans son album plusieurs décors destinés aux œuvres de notre auteur.

Séparé de Bellerose, Alexandre Hardy entre dans une troupe rivale dirigée par Claude Deschamps, sieur de Villiers. Hardy lui cède non la totalité de sa production à venir mais seulement un nombre de pièces limité, probablement pour avoir le temps d’en écrire d’autres, qu’il pourra librement publier. Cet arrangement dure semble-t-il jusqu’à la mort du poète.

On a souvent cru que la rupture avec Bellerose avait rendu notre poète un peu plus amer, que l’importance de la troupe de Pierre le Messier avait grandi et continué à jouer le rôle le plus important et enfin qu’Hardy avait quitté de plein gré le centre de la vie théâtrale. Deierkauf-Holsboer a montré qu’une fois que la rupture de Hardy avec Pierre le Messier avait été consommé le cercle d’amis de Hardy n’avait fait que se réduire. Pour le confirmer il suffit de comparer le nombre de célébrations qui étaient présentes dans le premier tome de son Théâtre ; dans le quatrième qui est publié en 1626, seuls deux inconnus le célèbrent dans une ode. Deux ans plus tard, le dernier tome de son Théâtre est édité sans stances. Or les découvertes d’Alan Howe nous invitent à revenir sur ces informations :

S’agissant de la carrière de Hardy, le bail du 9 juillet 1629 nous réserve une révélation surprenante, car ceux qui signaient le document –« tant pour eulz que pour leur compaignons et associez, commédiens ordinaires du prince d’Orenge »-étaient Charles le Noir, Claude Deschamps, dit de Villiers, Louis de La Barre et … Alexandre Hardy. Le poète à gages est nommé même en tête de liste et c’est la maison où il habite, rue de Poitou, que les preneurs élisent comme leur domicile irrévocable pour l’exécution de l’acte. Or, la présence inattendue de ce nom dans un contrat de la troupe du prince d’Orange bouscule complètement l’idée couramment admise des fortunes du dramaturge vers la fin des années 1620. (…) Or la découverte du bail du 9 juillet 1629 démolit entièrement cette théorie concernant les fortunes du vieux « poète du Roi ». Lié pour 6 ans à Deschamps et à La Barre en vertu du contrat du 5 janvier 1627, Hardy était passé avec ces comédiens de la troupe des vieux Comédiens du Roi dans celle du Prince d’Orange. Ainsi, ces pièces continuaient d’être crées vers la fin de sa vie par des comédiens talentueux qui appartenaient à l’une des meilleures troupes. Qui plus est, elles continuaient d’être représentées – du moins pendant deux mois en 1629 – au théâtre de l’hôtel de Bourgogne, devenu le centre de l’art dramatique en France. (…) D’où il s’ensuit aussi qu’à la fin de sa carrière Alexandre Hardy n’avait pas vu pâlir son étoile au même degré qu’on l’avait supposé10.

Vers la fin de sa vie Hardy souffre de la rivalité de jeunes dramaturges. En effet, Hardy publie trop tard. Des voix discordantes se font déjà entendre. Une nouvelle génération de dramaturges employant un style poétique plus moderne commence à se faire connaître du public parisien. L’année 1628 est marquée par la colère de Hardy contre Du Ryer et Auvray, deux jeunes dramaturges qui ont joué leur pièce à l’Hôtel de Bourgogne et qui ont remporté un vif succès. Commence alors un jeu de lettres injurieuses (lettre de Damon à Poliarque puis lettre de Poliarque à Damon ). Hardy y répond par un pamphlet, La Berne des deux rimeurs de l’hôtel de Bourgongne. Ce pamphlet est très important parce que Hardy y alterne les invectives les plus virulentes aux proclamations les plus passionnées concernant sa propre œuvre. Il y explique la cohérence de ses conceptions et y revendique la noblesse de son art. Ce pamphlet et l’avis « au lecteur » du cinquième tome du Théâtre annoncent la querelle des Anciens et des Modernes.

Financièrement, malgré les affirmations si souvent répétées de sa pauvreté, Hardy avait réussi à entasser une fortune assez importante. En effet, il nous a toujours été présenté comme un poète pauvre, devant rédiger ses pièces à la hâte pour pouvoir subvenir à ses besoins. Son indigence a été confirmée par ses contemporains et amis : Scudéry expliquait la rapidité de création des pièces de Hardy par cette pauvreté dans la Comédie des comédiens :

Et s’il eust aussi bien travaillé par divertissement que par nécessité, ses ouvrages auroient été inimitables : mais il avoit trop de part à la pauvreté de ceux de sa profession et c’est ce qui produit l’ignorance de votre siècle et le mépris de la vertu11.

Si l’on a souvent dit que Rigal dans son enthousiasme avait peut être crée cette idée d’un poète pauvre pour excuser les défauts de Hardy, quel aurait été l’intérêt de Scudéry à faire croire que notre poète était pauvre s’il ne l’était pas, du moins pendant une partie de sa vie. En fait Alexandre Hardy fut vers la fin de sa vie « secrétaire de monseigneur le Prince de Condé » et il comptait parmi ses parents un procureur et un conseiller-secrétaire du roi. Hardy a dédié Théagène et Cariclée et le quatrième volume de son Théâtre à M. de Condé qui l’aurait donc récompensé en lui octroyant une charge de secrétaire12. De plus, Deierkauf-Holsboer affirme même que :

Pendant la période qu’Alexandre Hardy a été le poète à gages attitré de la compagnie de Pierre le Messier, il a par la composition de plus de 600 pièces, disposé de ressources suffisantes pour subvenir à son existence. (…) Après avoir retracé la vie du poète sous ce jour on peut juger de notre étonnement quand nous avons découvert, quelques années plus tard, quatre minutes aux archives nationales se rapportant à la succession d’Alexandre Hardy. Nous étions loin de croire que l’auteur ait laissé une somme si importante, qu’il fallût l’intervention de plusieurs notaires pour la partager entre les ayants droits13.

La mort de Hardy est plus précise. Les auteurs ont souvent adopté la date de 1630 parce que c’est celle qu’avancent les frères Parfaict :

Nous conjecturons, disent-ils, que cette mort peut être arrivée vers l’année 1630, car en 1628 il était encore vivant et fit paraître le dernier tome de ses tragédies ; et il n’était plus en 1632, puisqu’on trouve un plaidoyer composé cette année pour sa veuve au sujet du procès qu’elle avait intenté contre les comédiens pour raison de cette société qui avait été formée entre le poète et les comédiens14.

Cependant, en septembre 1631, quelques vers de Hardy paraissent en tête d’une tragi-comédie de Scudéry Ligdamon et Lydias dont le privilège date du 17 juin et l’achevé d’imprimé du 18 septembre ; les vers ne sont pas signés de l’expression « feu Hardy ». En octobre 1632, une dernière mention d’Alexandre Hardy est faite par Chapelain dans une lettre. La mort de notre poète se situe donc entre septembre 1631 et octobre 1632. Il serait mort de maladie contagieuse, probablement de la peste.

Une fois disparue la génération qui avait connu Alexandre Hardy, notre dramaturge tombe dans l’oubli le plus profond. Il va renaître sous les critiques des hommes du XIXe siècle, mais pas souvent sous les meilleurs traits. L’oubli et la chute de la gloire de Hardy ont été mis en scène par Scarron dans Le Roman comique. La Rancune, qui se souvenait de la longue période où Hardy représentait seul le théâtre français, allait dire de temps en temps à Ragotin : « Vous êtes bien malheureux, et nous aussi, que vous ne vous donniez tout entier au théâtre : de deux ans on ne parlerait non plus de Corneille comme l’on fait à cette heure de Hardy15 ».

En ce qui concerne les publications de notre auteur, Hardy donne au public Les Chastes et Loyales Amours de Théagène et Cariclée, composition de huit « poèmes dramatiques » de cinq actes chacun. Il publie entre 1624 et 1628 les cinq tomes de son Théâtre contenant un choix de 33 pièces16.

Hardy et la tradition théâtrale §

Au terme de sa longue carrière, Hardy n’hésita pas à se décrire comme « celuy à qui le teatre françois doit son entretien depuis trente ans. » En effet, si Hardy est peu connu pour sa propre œuvre, les critiques se sont mis d’accord pour lui accorder une place relativement importante dans la tradition théâtrale.

L’importance de Hardy dans la formation de notre théâtre a souvent été remarquée : sa dramaturgie pour être située chronologiquement à mi-chemin entre le théâtre de la renaissance et la pratique classique revêt un aspect transitionnel indéniable. Nous allons tout d’abord rappeler dans quel contexte historico-théâtral l’œuvre de Hardy va s’inscrire.

L’année 1549 ouvre une ère nouvelle : la Pléiade renverse le passé, nie tout ressouvenir de gloire nationale et suit l’Antiquité presque en esclave. L’arrêt du parlement du 17 novembre 1558 ne permet à la confrérie parisienne de la Passion que la représentation de sujets profanes et licites alors que leur source la plus féconde avait été jusque là l’Ecriture Sainte. Il faut également rappeler le rôle important des troupes de campagnes dans l’histoire du théâtre et de l’art dramatique. C’est en effet, par l’une des troupes de campagnes et par le poète qu’elle avait à ses gages, Alexandre Hardy, que l’art dramatique moderne a pu pénétrer et s’établir à Paris.

Scudéry s’avoue son disciple et ajoute à sa mémoire dans La Comédie des comédiens :

Il faut donner à cet adveu à la memoire de cet autheur, qu’il avoit un puissant génie et une veine prodigieusement abondante (comme huict cent Poëmes de la façon en font foy) et certes à luy seul appartient la gloire, d’avoir le premier relevé le Théâtre François, tombé depuis tant d’années. Il estoit plein de facilité, et de doctrine ; et quoiqu’en veuillent dire les envieux, il est certain que c’étoit un grand homme : et s’y eust aussi bien travaillé par divertissement que par nécessité, ses ouvrages auroient été inimitables : mais il avoit trop de part à la pauvreté de ceux de sa profession, et c’est ce qui produit l’ignorance de votre siècle et le mépris de la vertu17.

Dans son Examen de Mélite, Corneille avoue pour sa part le parrainage d’Alexandre Hardy :

Cette pièce fut mon coup d’essai, et elle n’a garde d’être contre les règles, puisque je ne savais pas alors qu’il y en eût. Je n’avais pour guide qu’un peu de sens commun, avec les exemples de feu Hardy, dont la veine était plus féconde que polie, et de quelques modernes qui commençaient à se produire et qui n’étaient pas plus réguliers que lui.

D’autre part, on s’accorde souvent à dire que Hardy par sa fécondité a sauvé le théâtre français et que grâce à lui la voie était ouverte aux jeunes poètes. Les frères Parfaict reconnaissent qu’« aucun ancien ou moderne n’a tant travaillé pour le théâtre18 ». On ne saurait donc nier l’importance de Hardy dans l’évolution de l’art dramatique. Mais ce que l’on reconnaît surtout Hardy c’est son sens du théâtre comme le souligne Gustave Larroumet : 

Hardy n’avait le loisir ni le souci de faire des efforts de style ; mais il avait cette chose mystérieuse et rare qu’on appelle le don du théâtre. (…) Ces pièces sont très lâches de facture ; mais de la première à la dernière, il est facile de voir que l’auteur a le sens du théâtre, que toutes ses pièces sont le résultat de la pratique et de l’expérience, que selon ce que lui apprenait la représentation il a ajouté, retranché, modifié ; en un mot nous avons là le fruit d’une collaboration de l’auteur, des comédiens et du public19

Premier auteur dramatique professionnel en France, Alexandre Hardy réfléchit davantage en dramaturge : il recherche les effets, les surprises, multiplie les situations et les coups de théâtre.

La réflexion théorique d’Alexandre Hardy §

À partir des années 1620 s’établit progressivement l’usage de justifier la valeur dramatique d’une pièce dans une préface. Les avertissements au lecteur de Hardy contiennent de précieuses indications sur sa poétique. Il y exprime la conscience aiguë qu’il possédait de la dignité de son art.

Dans les préfaces des cinq tomes de son Théâtre Hardy dévoile au lecteur deux éléments fondamentaux de sa poétique. Tout d’abord, il profite de ce moment privilégié pour rappeler au lecteur les problèmes que posent à ses yeux les fautes des imprimeurs, et rappelle le nombre de copies factices qui lui sont faussement attribuées.

D’autre part, il évoque avec une violence de plus en plus importante, d’année en année la parenté qui l’unit à Ronsard. En ce sens, il rejette les nouveautés qu’apportent les modernes. Dans les préfaces des deux premiers tomes de son Théâtre, Hardy s’en prenait déjà aux modernes, en répondant à des critiques qui mettaient en cause son expression poétique. Mais si les deux premiers avis au lecteur contenaient déjà des attaques contre les partisans de Malherbe, la préface du troisième tome de son Théâtre montre à quel point Alexandre Hardy est attaché aux principes de la Pléiade :

Leur première censure condâne entièrement les fictions, ainsy que superflues au lieu qu’une infinité de belles conceptions s’y raportent, et se fortifient en leur apuy : les epitetes, les Patronymiques, la recherche des mots les plus significatifs, et propres à l’expression d’une chose, tout cela ne leur sent que sa pédanterie : les rithmes pour lesquelles ils font tant de bruit, ce sont ceux qui les observent le moins, aussi se veulent elles puiser dans une source plus profonde. Si bien que nostre langue, pauvre d’elle-même, devient totalement gueuse en passant par leur friperie, et par l’alembic de ces tymbres félez. 

L’avis au lecteur du dernier tome du Théâtre de Hardy est essentiel. À cette critique violente des modernes, Alexandre Hardy ajoute sa définition de la tragédie. Il suffit de lire cette définition de la tragédie pour s’assurer de la parenté qui unit Alexandre Hardy aux dramaturges de la Renaissance :

La tragédie qui tient rang du plus grave, laborieus et important de tous les autres Poëmes, et que ce grand Ronsard feignoit de heurter crainte d’un naufrage de réputation, se traite aujourd’huy par ceux qui ne virent seulement jamais la couverture de bons livres (…) Or afin que peu de lignes te crayonnent et répètent mon sentiment sur les parties esquelles consiste la perfection de la Tragédie, et pour montrer combien ces mauvais Archers tirent loin du but, je diray que le sujet de tel Poëme faisant comme l’âme de ce corps, doit fuir les extravagances fabuleuses, qui ne disent rien, et détruisent plutôt qu’elles n’édifient les bonnes mœurs, que le vrai stile tragique ne s’accorde nullement avec un langage trivial, avec ces delicatesses effeminées, qui pour châtouiller Quelque oreille courtisane mécontenteront tous les experts du métier, déchet du privilège de la venerable antiquité luy donner pour en venir à son honneur ; Que la disposition ignorée de nos rimailleurs regle l’ordre de ce superbe Palais, qui n’est autrement qu’un labyrinthe de confusion.

Sans issüe pour ces monstres d’Auteurs : la grace des interlocutions, l’insensible douceur des disgressions, le naïf rapport de comparaisons, une égale bienséance observée, et adaptée au discours des personnages, un grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur, et résonnent jusqu’en l’âme du spectateur : voilà ce que mon foible jugement a reconeu depuis trente ans pour les secrets de l’art20.

Comme nous l’avons vu auparavant, Alexandre Hardy n’a livré à la postérité qu’une petite partie de sa production. Parmi ses pièces imprimées, plus d’un tiers sont des tragédies. Que Hardy ait offert à ses lecteurs un nombre assez élevé de tragédie n’a rien d’étonnant puisque c’est le genre qu’il prisait le plus.

L’insistance de Hardy sur la tragédie n’est qu’une manière de montrer au lecteur qu’il se situait personnellement aux nombres de ceux qui possédaient les qualités requises pour un tel art : « ce laborieux Poëme de la Tragédie veut des esprits solides et vigoureus pour en supporter le faix. » nous dit-il dans la dédicace du tome V. Pour les tragédies, Alexandre Hardy exige que les sujets soient grands, que les actions soient nobles et que les protagonistes soient toujours des personnages illustres appartenant à la noblesse.

L’avis au lecteur du cinquième tome du Théâtre déclenche une querelle entre Alexandre Hardy et deux modernes. Auvray et Du Ryer qui pensaient que les reproches de Hardy leur étaient adressés, critiquent ouvertement l’auteur du Théâtre dans les lettres de Damon à Poliarque. Hardy répond à ces deux lettres par la Berne des deux rimeurs de l’hôtel de Bourgongne. Il y explicite la cohérence de ses conceptions en réfutant un à un les arguments de Poliarque et de Damon. L’érudition, la culture en général constituent un point de divergence fondamental avec la nouvelle école. Pour celle-ci, elles constituent un bagage inutile voire fastidieux. Aux yeux de Hardy, c’est à travers elles seulement que le poète peut s’inscrire dans la tradition.

Pour chaque genre, Alexandre Hardy indique les modèle à suivre. Pour le théâtre il n’y a pas à hésiter, ce sont Sénèque et Garnier qui doivent servir de guides.

Pour Hardy, la recherche de la sobriété du style n’empêche nullement un effort constant d’enrichissement de la langue. Il reprend à son compte le thème de la pauvreté de la langue française hérité des traités de la Renaissance. Ainsi, il faut suppléer aux lacunes du français en créant des termes nouveaux. À côté des néologismes, Alexandre Hardy prévoit aussi l’emploi d’archaïsmes et révèle que les métaphores constituent un élément essentiel du style tragique.

Ainsi la poétique de Hardy montre à quel point le modèle ronsardien est omniprésent dans sa dramaturgie.

La datation de Méléagre §

Méléagre apparaît dans le premier tome du Théâtre de Hardy, publié à Paris chez Jacques Quesnel en 1624 et dont le privilège date du 16 mars 162421. En 1624, quand Alexandre Hardy publie le premier volume de son Théâtre, il était au sommet de sa carrière théâtrale. Des marques de son prestige se multipliaient. Le volume de 1624 eut un grand succès comme l’attestent l’édition pirate et la réédition de 1626.

D’autre part, les pièces de Hardy, pour avoir été toutes publiées sans indication de date de composition ou de représentation entre 1623 et 1628 ne peuvent qu’être replacées dans une chronologie relative. C’est en ce sens que la datation des pièces de Hardy est autant sujette aux controverses et aux datations approximatives. Les frères Parfaict qui prennent la liste de toutes les pièces de Hardy et qui les datent dans l’ordre de leur publication évoquent l’année 1604 pour Méléagre. Lancaster la situe entre 1605 et 1615. Rigal et Lancaster ont montré la parfaite absurdité de la datation des frères Parfaict car rien ne prouve en effet qu’Alexandre Hardy a publié ses pièces dans l’ordre de leur création.

Un acte notarié que Deierkauf-Holsboer cite dans Vie d’Alexandre Hardy poète du roi nous invite à émettre une autre hypothèse. Cet acte notarié extrait de compagnie et promesses en Srs Alexandre Hardy, François le Messier et Nichollas Prudhomme est signé par ces trois hommes à Marseille le 9 octobre 162022. Il s’agit de l’acte de liaison entre Alexandre Hardy, poète à gages de François le Messier. Hardy y promet de donner six pièces par an à François le Messier et lui vend cinq pièces dont Méléagre qui apparaît avec une faute d’orthographe dans l’acte notarié : « une erreur s’est glissée dans l’orthographe des titres lors de la transcription de la minute par le clerc de notaire. Il faut lire respectivement Méléagre, Lucrèce ou l’adultère puni, et la Gigantomachie. » nous dit Deierkauf-Holsboer23.

Il est donc certain que la date de composition de Méléagre est antérieure à 1620 et donc pas si ancienne que le croyaient les frères Parfaict. Dans ce contrat il est interdit au poète d’imprimer ses anciennes pièces ainsi que ses nouveautés. C’est pour cette raison qu’on a souvent supposé que les œuvres publiées étaient pour la plupart assez anciennes, qu’elles n’étaient plus représentées sur scène ou du moins que c’étaient celles dont la valeur financière était en baisse et que la troupe pouvait abandonner sans trop de difficultés.

De plus, Deierkauf-Holsboer affirme qu’aucune restitution de pièce n’a été effective avant l’acte de consentement du 26 septembre 1625 c’est-à-dire après la publication du premier tome du Théâtre : ce qui veut dire qu’Alexandre Hardy a publié certaines pièces de ce volume entre autres Alphée, Scédase et Méléagre en dépit de l’interdiction du 9 octobre 1620.

Cette incertitude en ce qui concerne la datation de Méléagre est également accentuée par le fait que notre pièce contienne un choeur. En effet, les critiques ont souvent considérés les pièces avec choeur comme les plus anciennes d’Alexandre Hardy. Comme le suggère notre poète lui-même dans l’avis au lecteur du premier tome du Théâtre, il serait possible qu’il ait pu exister un premier Méléagre dans lequel Alexandre Hardy avait inséré des choeurs, qu’il a retranché d’abord à la représentation puis dans l’édition de sa pièce : « les choeurs y sont obmis comme superflus à la représentation et de trop long de fatigue à refondre ». Notre pièce serait donc un second état de ce qu’il convient d’appeler le manuscrit original.

Rappelons-nous cependant que le tome que nous appelons premier du Théâtre de Hardy est paru sans indication de tomaison. Hardy pensait donc que ce volume pouvait être le seul et l’unique. Il devait donc viser à deux résultats : faire réussir son livre et donner de son talent l’idée la plus avantageuse. Hardy a donc dû publier les pièces qui ont eu le plus de succès et celles qui plairaient le plus au public de l’époque.

Alexandre Hardy a dédié ce premier volume à Henri II, duc de Montmorency qui était encore jeune à l’époque et qui bénéficiait d’un crédit immense. Ami des lettres et des écrivains, il a protégé entre autres Théophile et Jean Mairet. La dédicace ne semble rien n’avoir apporté de particulier à Hardy à tel point que Rigal affirme : « comment le duc répondit-il à ses éloges ? Par une gratification et ce fut tout ; Hardy ne vint pas accroître le nombre des gens d’esprit qui formaient la Cour de l’hôtel de Chantilly24. »

Sources et influences §

Méléagre se trouve au carrefour de plusieurs influences. En effet, si Alexandre Hardy emprunte ses sujets de tragédie à l’antiquité classique, le modèle de Sénèque et du théâtre de la Renaissance trouve plusieurs échos dans notre pièce.

Ovide et Apollodore §

Pour l’histoire de Méléagre, Hardy n’a pas adapté la version d’Homère (Iliade, 1, IX, v. 533-600) mais celle toute différente qu’a établie Ovide dans ses Métamorphoses (I, VIII, v. 260-547)25.

Respectueux de sa source, Alexandre Hardy reprend de nombreux incidents et menus détails que développe Ovide. Ainsi Méléagre tombe amoureux d’Atalante au premier regard chez nos deux auteurs. La fuite des habitants, la mention des « chiens découplez » à la chasse, la comparaison du sanglier à la foudre, la description de l’animal, la marque des dents du sanglier sur un chêne, le carquois d’Atalante, le récit de la chasse, sont autant d’éléments que Hardy reprend fidèlement à Ovide.

Mais, même s’il manifeste un profond respect pour sa source, Alexandre Hardy apporte quelques variantes à l’histoire de Méléagre.

Le rang de Méléagre n’est pas précisée chez Ovide : on ne sait s’il est le roi ou encore le prince de Calydon mais Oenée est toujours vivant puisqu’il pleure la mort de son fils (vers 527 et suivants). Etant donné que dans ce passage Oenée déplore son grand âge (Ovide nous dit même qu’il a les cheveux blancs), on peut supposer que Méléagre a succédé à son père en tant que roi. Chez Hardy, Méléagre se qualifie tantôt de roi tantôt de prince, et aucune mention de son père ne nous est faite dans la pièce.

La première grande différence qui apparaît entre Ovide et Alexandre Hardy tient dans le fait que dans la version antique c’est Méléagre qui donne le prix de la victoire à Atalante sur le lieu de la chasse et c’est également là que le meurtre des deux oncles Plexippe et Toxée a lieu. Chez Hardy, au contraire, c’est à Thésée que Méléagre donne le soin de partager les prix de la victoire. Le lot n’est attribué à Atalante qu’après discussion. Le traitement de la chasse est donc très différent chez nos deux auteurs. Alors que la chasse donnait lieu à un récit épique chez Ovide, Alexandre Hardy n’a pas lieu de s’étendre sur la chasse dans une pièce de théâtre. Notre poète réduit donc l’entreprise collective ovidienne à la victoire de deux héros : Méléagre et Atalante. La mention des actions des autres héros est réduite à la simple allusion. La version simplifiée rend ainsi la récompense d’Atalante davantage méritée.

De même, Alexandre Hardy a retiré tout sentiment maternel à Althée, la mère de Méléagre, et n’a rien gardé ni de la douleur, ni de la lutte de sentiments qu’Ovide avait mise en elle. Pour se rendre compte de la différence qui existe entre les sentiments de ces deux femmes comparons leurs discours :

Quatre fois elle fait un effort pour poser le tison sur le feu, quatre fois elle s’arrête indécise ; en elle la mère et la sœur se combattent et ces deux noms tirent un seul et même cœur en sens contraires. Tantôt l’horreur du crime qu’elle va commettre fait pâlir son visage ; tantôt les feux de la colère font monter à ses yeux leurs rouges lueurs ; parfois il semble que ses traits menaçants annoncent je ne sais quelle action cruelle, parfois ils offrent l’expression de la pitié ; à peine l’ardeur sauvage de son courroux a-t-elle séché ses larmes qu’elle trouve encore des larmes. Comme un vaisseau, entraîné d’un côté par le vent, de l’autre par le flot, subit ces deux forces contraires et leur obéit dans sa course incertaine ; ainsi la fille de Thestius flotte irrésolue entre des sentiments divers ; tour à tour sa colère se calme et aussitôt après se réveille.

Cependant la sœur commence à l’emporter sur la mère ; pour apaiser par son sang les ombres de son sang, elle devient impie par pitié. Lorsqu’elle voit le fatal brasier dans tout son éclat :  « Que ce bûcher, dit-elle, brûle le fruit de mes entrailles ! » Tenant dans sa main barbare le tison dont dépend une destinée, la malheureuse, debout devant cet autel funéraire, continue ainsi : « Déesses du châtiment, Euménides, tournez toutes les trois vos regards vers ce sacrifice, bien fait pour vos furies. Je punis et je commets un crime ; il faut expier la mort par la mort, ajouter un forfait à un forfait, des funérailles à des funérailles ; (…) Puissiez-vous seulement mânes de mes frères, ombres récentes, apprécier l’hommage que je vous rends et agréer une offrande funèbre qui me coûte si cher, le triste fruit de mon sein. Ah ! Malheureuse ! Où m’emporte ma colère ? O mes frères, pardonnez à une mère. Mes mains se refusent à un tel attentat ; oui, je l’avoue, il a mérité de périr ; ce qui me répugne, c’est d’être l’auteur de sa mort. Alors il restera donc impuni, il vivra et, vainqueur, fier du succès de son crime même, il règnera sur Calydon, et vous, vous ne serez plus qu’un peu de cendre, des ombres glacées sous la terre ? Non, je ne le souffrirai pas ; qu’il périsse, le scélérat, qu’il emporte avec lui les espérances de son père, que sa mort entraîne la chute du royaume et de la patrie ! Mais où sont l’amour maternel, les tendres soins que les parents doivent à leurs enfants, les fatigues que j’ai supportées pendant deux fois cinq mois ? Ah ! Plût au ciel que le feu t’eût consumé tout enfant et que je l’eusse souffert ! C’est grâce à moi que tu as vécu ; aujourd’hui tu mourras par ta faute. Reçois la récompense de ton crime ; deux fois je t’ai donné la vie, en te mettant au monde, puis en retirant le tison du feu ; rend-la moi, ou bien réunis-moi à mes frères dans leur tombeau. Je peux punir et je ne puis. Que faire ? Tantôt j’ai devant les yeux les blessures de mes frères et le tableau de cet affreux carnage ; tantôt mes devoirs et mon titre de mère brisent mon courage. Ah ! Malheureuse ! Votre triomphe, mes frères, sera ma honte ; triomphez cependant, pourvu que je vous suive moi-même, vous et celui que je vous aurai livré pour consoler vos mânes. » Elle dit et, détournant la tête, elle jette d’une main tremblante au milieu du foyer le tison funeste. Le bois lui-même exhala ou sembla exhaler des gémissements, quand il devint la proie des flammes qui le dévoraient à regret26.

En ce qui concerne l’adaptation de Hardy, il suffit de se référer aux deux tirades qui entourent le dernier acte de la pièce. (v. 1037-1064 puis v. 1097-1124). Si la première tirade ne laisse pas la moindre place à l’hésitation, la seconde l’évoque de manière bien légère. Althée a pris sa décision et a du mal à expliquer l’instant d’hésitation qu’elle ressent et donne maladroitement à son sentiment maternel le nom d’« instinct ».

La véritable invention d’Alexandre Hardy est la nuit amoureuse où Méléagre et Atalante sont réunis et qui est évoquée à l’acte V, 2.

En effet, chez Ovide, Méléagre tombe amoureux d’Atalante et s’il s’écrit  « Heureux, celui qu’elle daignera prendre pour époux », il n’y a aucun lien entre eux, et rien n’évoque que l’amour soit même réciproque entre ces deux personnages. L’histoire d’Atalante, vierge qui a promis d’épouser l’homme qui la battrait à la course est même racontée par Ovide dans ses Métamorphoses, II, livre 10, v. 560-739.

Apollodore dans la Bibliothèque (Chapitre 8 § 64 à 73) nous raconte également l’histoire de Méléagre mais contrairement à ce qu’en pense M. Geoffrey Brereton dans son article sur « Alexandre Hardy »27, il ne nous semble pas qu’Alexandre Hardy reprenne la version d’Apollodore, ni qu’il en ait eu connaissance. En effet, chez l’auteur antique Oenée est roi de Calydon, tandis que Méléagre n’en est que le Prince. C’est Oenée qui organise la chasse. De plus Apollodore raconte les deux versions de la mort de Méléagre et propose successivement la mort de Méléagre selon la version d’Homère puis selon celle d’Ovide.

Apollodore n’évoque seulement l’histoire de Méléagre comme une anecdote. Etant donné qu’Alexandre Hardy ne reprend aucun trait caractéristique de cette version nous ne pouvons affirmer qu’il ait emprunté quoique ce soit à cet auteur.

La source sénéquienne §

Au XVe siècle les manuscrits des tragédies de Sénèque se multiplient. On commence à redécouvrir cet auteur antique. Le modèle sénéquien est également présent chez Hardy.

Tout d’abord le nom de Méléagre apparaît à de nombreuses reprises dans des réminiscences mythologiques du théâtre sénéquien. Sénèque nous offre un résumé concis de l’action de Méléagre dans sa Médée (v. 644-46) :

Fratres, Meleagre, matris

impius mactas, morerisque dextra

matris iritae. (tes mains impies, ô Méléagre, égorgent les frères de ta mère et tu meurs par la main de cette mère indignée.)

L’influence de Sénèque sur Hardy est double. Tout d’abord, Sénèque a agi indirectement sur notre auteur. En effet, Hardy a emprunté ses théories littéraires à l’école de Jodelle et de Garnier qui reconnaissaient Sénèque pour maître. Ainsi toutes ses pièces sont divisées en cinq actes. Mais les chœurs ne sont plus ceux qu’avaient développés l’auteur latin. Ils jouent le rôle de véritables personnages.

Sénèque a également une influence directe sur Hardy. En effet, il le cite lui-même en tant que modèle à suivre dans sa Berne des deux rimeurs de l’hôtel de Bourgongne. Mais même si aucune pièce de Hardy ne porte le même titre qu’une pièce de Sénèque « l’imitation de telle ou telle idée, de tel ou tel passage, de telle situation est tangible, indéniable » comme nous le montre Jules Beraneck dans Sénèque et Hardy28.

Hardy emprunte à son modèle latin les passages obligés de la tragédie : le rôle du destin, le songe prémonitoire, l’horreur qui est un ingrédient indispensable à l’action, le goût de la violence et du macabre, la peinture des passions humaines les plus extrêmes telles que la jalousie, la vengeance et la passion amoureuse, le recours habituels des protagonistes au suicide sont les éléments communs à nos deux auteurs. Hardy s’est également servi de plusieurs termes empruntés au latin et toujours dans le sens que Sénèque leur avait donné : ainsi, l’expression « fère » v. 718 qui signifie  « bête sauvage » n’est que l’écho d’un vers de Sénèque « tenuere feras vinctas » (Hippolyte, v75). L’expression « ô claire Délienne » (I, v. 149), invocation à Diane assimilée à la Lune obéit au même schéma.

De même, la sentence d’Atalante aux vers 269-270 « Cloton mire plutôt la personne couarde/ Que celle qui sans crainte au péril se hazarde » n’est qu’une adaptation du vers 159 de l’Hercule Oeta « fortuna fortes metuit ignavos premit ». Ainsi, Hardy accumule des procédés sénéquiens. En effet, l’érudition mythologique dont fait preuve Hardy était déjà un procédé cher à Sénèque. Une autre figure de la rhétorique de Sénèque se retrouve chez Hardy : elle consiste à énumérer toutes sortes de phénomènes qui devraient se passer avant que le personnage accomplisse tel ou tel acte, comme aux vers 996-98 « Phoebus lors ira naître où va mourir le jour… » qui n’est qu’une motivation pour montrer la détermination du personnage.

Les modèles modernes : Ronsard et Garnier §

Ronsard §

Alexandre Hardy a souvent été présenté par la critique d’une manière plus ou moins violente comme un « ronsardisant attardé ». En effet, Hardy suit Ronsard sur de nombreux points. Pour nous rendre compte de l’influence de Ronsard sur notre auteur, il suffit de se rapporter au chapitre « Style et rhétorique » de notre étude où de nombreux exemples montreront comment Hardy se place comme l’héritier de Ronsard et de la tradition de la Pléiade. C’est sous ce patronage qu’il refuse toutes les innovations des Malherbiens. Dans Méléagre, Hardy suit les préceptes de Ronsard :

Tu dois davantage, Lecteur, illustrer ton œuvre de paroles recherchées et choisies et d’arguments renforcez, tantost par fables, tantost par quelques vieilles histoires, pourveu qu’elles soient briefment escrites et de peu de discours, l’enrichissant d’Epithètes significatifs et non oisifs, c’est-à-dire qui servent à la substance des vers, et par d’excellentes, et toutefois rares sentences29.

On voit dans notre texte comment Hardy a suivi les conseils de Ronsard. Il les reprend même presque terme à terme en son propre nom dans sa Berne des deux rimeurs de l’Hôtel de Bourgogne et dans l’avis au lecteur du troisième tome du Théâtre30.

Le vocabulaire recherché de la chasse, l’érudition mythologique souvent réduite à des allusions pour être plus bref conduit les personnages à se comparer aux héros antiques. Les nombreuses épithètes et les sentences qui ponctuent la pièce ne sont qu’une illustration supplémentaire de cette filiation qui unit Hardy, Sénèque et Ronsard.

Et Ronsard ajoute : 

Tu n’oublieras jamais de rendre le devoir qu’on doit à la divinité, oraisons, prières, sacrifices, commençant et finissant toutes tes actions par Dieu, auquel les hommes attribuent autant de noms qu’il a de puissances et de vertus, imitateur d’Homère et de Virgile qui n’y ont jamais failli31.

Ce devoir que l’auteur doit rendre à la divinité, Hardy n’y manque pas dans Méléagre. En effet, la pièce commence par une invocation à la déesse Diane, les prières qui lui sont adressées sont nombreuses dans le texte. De même le chœur de filles promet à Diane un sacrifice et des jeux annuels si elle consent à la victoire du peuple.

Disciple de Ronsard, Hardy croit en la valeur des Anciens. C’est dans ce sillage de l’antiquité classique que se place le frontispice de notre œuvre. Tome inaugural du Théâtre de Hardy, le frontispice place l’œuvre de Hardy dans un contexte antique. En effet, le frontispice représente la muse de la tragédie selon le procédé allégorique traditionnel. Dans sa partie supérieure, le frontispice représente une reine qui est assise sur un trône, tenant de sa main droite la trompette de la renommée, et de l’autre main un sceptre. Aux deux côtés se situent deux scènes de pastorales. Au-dessous, se trouve une assemblée de spectateur avec cet épigraphe : « Aux charmes de sa voix la grave Melpomoene, / De l’obscur du Tombeau les vertueux rameine. »

À la partie inférieure du frontispice, enfin, un guerrier et Hercule soutiennent un médaillon avec ce titre : « LE THEATRE d’Alexandre Hardy Parisien ». Dédié à monseigneur de Montmorency.

Au bas, le frontispice nous rappelle le nom de l’éditeur et le lieu de la publication.

Une grande partie de la gravure reprend les différents éléments d’un recueil d’emblèmes : on retrouve la muse de la tragédie, Melpomène, les héros antiques, le trône, la couronne, le sceptre qui sont l’apanage des rois, héros de tragédie. D’autre part, Alexandre Hardy révèle la diversité de sa production à travers les deux scènes de pastorale et l’allusion évidente à la tragédie. La trompette de la renommée ainsi que les spectateurs évoquent le succès de la pièce de théâtre vue dans son rapport avec le public. La fonction du frontispice est donc double : Alexandre Hardy y révèle la diversité de ses productions et y insère son œuvre dans une tradition tragique bien définie.

Garnier §

L’autre influence française que subit Hardy est celle de Robert Garnier. En effet, grand admirateur de Grévin et de Garnier, Hardy ne pratique l’art dramatique que parce que c’est celui qu’ont adopté ses prédécesseurs.

Il révèle la filiation qui l’unit à Garnier dans sa Berne des deux rimeurs de l’hôtel de bourgongne :

Et quant au teatre, le style du bon Sénèque suivy de Garnier, que c’est tout ce qu’un brave homme peut et doit faire : que si quelque chose de rude se trouve en leurs ouvrages, c’est à faire à un coup de lime et à s’accomoder au temps32.

Nous trouvons donc chez Hardy plusieurs traits caractéristiques du style de Garnier. Il imite les apostrophes qu’on qualifiera plus tard de cornéliennes « Allons, mon âme ! », « Sus donc ! Il faut mourir ! » qui sont si fréquentes chez Garnier. C’est le style classique qui se forme. On les retrouve chez Hardy « sus, alons le quérir ! » v. 1105 etc.

Cependant, nous ne nous étendrons pas trop sur l’influence de Garnier sur Hardy et sur la manière dont il l’a été car ce propos fera l’objet d’une partie postérieure de notre étude consacrée à la dramaturgie de Hardy.

Le sujet de Méléagre §

Méléagre vu par Aristote, Castelvetro et La Mesnardière §

Le sujet de Méléagre a été étudié par des critiques illustres tels qu’Aristote, Castelvetro et La Mesnardière qui ne se sont pas accordé sur sa valeur.

Aristote cite Méléagre comme un sujet qui fournit tout ce qui est requis à la structure du poème dramatique :

Reste par conséquent le cas intermédiaire. C’est le cas d’un homme qui, sans être incomparablement vertueux et juste, se retrouve dans le malheur non à cause de ses vices et de sa méchanceté, mais à cause de quelque erreur. (…) Pour être belle, il faut que l’histoire soit simple, plutôt que double comme le disent certains, que le retournement de fortune se fasse non pas du malheur vers le bonheur mais au contraire, du bonheur vers le malheur, et qu’il soit provoqué non pas par la méchanceté mais par une erreur grave du personnage qui, ou bien possédera les qualités qu’on a dites, ou bien sera bon plutôt que mauvais. J’en veux pour preuve ce qui se produit actuellement : au début, les poètes prenaient en compte des histoires trouvées au hasard, alors qu’aujourd’hui, les belles tragédies sont agencées autour d’un petit nombre de maisons, autour par exemple d’Alcméon, d’Oedipe, d’Oreste, de Méléagre, de Thyeste, de Télèphe et de tous les autres héros à qui il est arrivé de subir ou de causer de terribles malheurs. Voilà donc selon les règles de l’art l’agencement qui permettra de composer la plus belle tragédie33.

La Mesnardière dans La Poëtique examine longuement le sujet de Méléagre, regroupe les différentes opinions émises par ses prédécesseurs sur Méléagre et propose de voir si « son avanture doit estre bannie du théâtre34 ». Nous n’avons pu lire les jugements de Castelvetro, la barrière de la langue étant pour nous trop importante, mais si l’on en croit les différentes remarques de La Mesnardière, il trouve le sujet de Méléagre fort mauvais. Castelvetro attaque Aristote sur les détails de l’histoire de Méléagre alors que l’auteur antique n’avance la fable de Méléagre que comme un sujet illustre et n’étudie pas les différents incidents qui ponctuent son aventure. La principale dénonciation de Castelvetro repose sur la qualification des meurtres des deux oncles puis de celui de Méléagre assimilés à des actes de justice.

D’un point de vue différent, le mobile du meurtre est pour La Mesnardière la violente fureur, la colère qui a poussé Méléagre puis Althée au meurtre et non pas un sentiment de justice même s’il existe. Il justifie le sujet de Méléagre au nom d’Aristote :

Aristote examinant les moyens qui font naistre les Passions dans le Poëme de Théâtre, nous apprend que l’Ignorance de la Personne tragique, et l’Aveuglement de son ame excitent la Compassion ; pource qu’il est naturel de plaindre les infortunes qui arrivent aux personnages qui ont failli par ignorance ou qui ont été transportez de quelque passion vehemente, qui excuse aucunement les fautes qu’ils ont commises35.

Les deux meurtres s’expliquant par un aveuglement de la raison, le sujet de Méléagre est donc racheté. Mais pour la Mesnardière, le fondement de la tragédie de Méléagre ne repose pas sur la mort du héros éponyme mais c’est le meurtre des deux oncles qui est l’action principale de la pièce. En effet, Méléagre ne meurt que parce qu’il a tué ses deux oncles. C’est donc « dans ce meurtre qu’il faut chercher l’Ignorance, les Passions, et l’Aveuglement36. »

C’est ainsi que le lecteur doit avoir pour Méléagre des motifs de pitié, car il n’est plus à lui quand il tue ses oncles. Le lecteur doit également ressentir les mêmes sentiments pour Althée, cette mère qui est déchirée entre son devoir de sœur et sa qualité de mère. La Mesnardière nous montre qu’« enfin si la Passion l’aveugle, on voit que son aveuglement a un extrême rapport à celui de la justice ; Et que si elle [ Althée] n’a plus d’yeux pour connoître son propre fils, c’est pource qu’il est trop coupable, et qu’il lui paroist tout sanglant du parricide de ses frères37. » Ainsi le sentiment de justice n’est pas absent mais ne devient qu’une motivation dans le crime. La Mesnardière conclue son analyse en affirmant que la fable de Méléagre « est juste en toutes ses parties ». Le meurtre des oncles est motivé par l’amour et la colère de Méléagre, le meurtre de ce dernier par le ressentiment la douleur et le désespoir d’Althée :

Tout est grand, tout est magnifique dans cette illustre avanture. (…) Il faut certes confesser après cette démonstration, que ce Sujet est admirable ; qu’il ne fournit à l’écrivain que des images pompeuses et des idées magnifiques ; et que s’il ne triomphe pas dans cette merveilleuse Fable, c’est qu’il n’a pas assez d’adresse pour donner une belle forme à une si riche matière38.

Voyons maintenant ce qu’a fait Alexandre Hardy de cet illustre sujet.

L’intrigue §

Avant de développer le sujet de la pièce d’Alexandre Hardy, il semble nécessaire de nous replacer dans un contexte mythologique particulier.

La déesse Diane est particulièrement connue, dans le monde antique pour ses colères, et c’est à l’une de ses vengeances que la fable de Méléagre doit naissance. En effet, en offrant à tous les Dieux, les prémices de la récolte de l’année dans le pays, Oenée, père de Méléagre et roi de Calydon oublia Diane. La déesse courroucée lâcha un sanglier d’une taille et d’une force sans égales, qui rendait la terre impossible à ensemencer et qui détruisait les troupeaux et les gens qu’il rencontrait.

C’est dans son contexte de terreur que se situe le début de la pièce.

Voyant son pays dévasté par les ravages de la bête et face aux plaintes du peuple et des paysans, Méléagre décide d’organiser la chasse du sanglier de Calydon. Il demande l’aide des héros grecs avec lesquels il a conquis la toison d’Or et promet de donner tous ses biens, sa couronne comprise à celui qui le débarrasserait de cet animal monstrueux. Thésée, Pirithois, Lyncée et Idmon sont prêts pour la chasse. Ce groupe s’agrandit avec l’arrivée de Plexippe et Toxée, les deux oncles du roi et d’Atalante la jeune vierge guerrière désireuse de gloire. La présence de cette femme à la chasse amuse particulièrement les héros grecs et notamment Thésée qui lui fait des compliments ironiques sur ses prétentions guerrières. La chasse est organisée et le sanglier est tué : Atalante a blessé le sanglier d’une première flèche et Méléagre a achevé l’animal d’un second coup. De retour de la chasse, Méléagre laisse à Thésée le loisir de distribuer les récompenses. Thésée donne le prix au roi et en second lieu à Atalante. Après une discussion plus ou moins animée, le trophée de la victoire qui n’est autre que la peau de l’animal, est attribué à Atalante. Cette préférence marquée pour une femme offusque les oncles jaloux qui vont lui reprendre le lot39. Atalante fait plainte au roi de cette brutalité. Méléagre qui est tombé amoureux de la jeune vierge lui promet de venger cette offense. Il appelle ses oncles et leur demande de rendre le trophée à Atalante et de lui présenter leurs excuses. Devant le refus de ses oncles, Méléagre, dans un excès de fureur, les tue et demande à Atalante de l’épouser. Indignée de cet acte, Althée, la mère de Méléagre qui ne nous a jamais été présentée jusqu’ici, repoussant les conseils de sa nourrice, décide de faire périr Méléagre et jète au feu le tison fatal auquel était attaché le destin de son fils40. La scène se transporte dans la chambre de Méléagre où au sortir d’une nuit d’amour avec Atalante, il sent ses entrailles consumées par ce brasier caché. On vient annoncer à la reine la mort de son fils. Althée apprend cette nouvelle avec une joie extrême et annonce sa mort imminente. Mais si elle décide de mourir ce n’est pas parce qu’elle regrette son acte mais parce qu’elle se sent incapable de vivre sans ses frères.

La structure de la pièce §

La pièce de Hardy suit le même découpage que celle du théâtre humaniste. Si les critiques ont trouvé que la pièce manquait d’unité c’est parce qu’ils n’ont pas compris sa structure et sa mise en scène et qu’ils l’analysaient avec les critères du théâtre classique. Althée, comme nous l’avons déjà vu n’est présenté par Hardy qu’au cinquième acte de la pièce. Dans le théâtre humaniste, il est rare que l’on voie la totalité des personnages dans le premier acte, qui n’est fréquemment constitué que d’une seule et même scène. Ainsi, l’acte I et II forment l’exposition. À l’acte I, alors que Méléagre se décide à demander l’aide des Argonautes ni le nom d’Atalante ni celui des oncles de Méléagre ne sont prononcés. Au second acte, la chasse se prépare, les héros grecs plaisantent Atalante et paradoxalement Plexippe et Toxée se taisent. On remarque une absence totale de tension dans ces deux actes. L’acte III commence poétiquement par le chœur de filles implorant Diane de les aider, et finit sur une atmosphère de vague mésentente. Certains héros grecs ainsi que Plexippe et Toxée ne comprennent pas pourquoi Méléagre tient autant à offrir le trophée de la victoire à Atalante. Rigal reproche à Hardy d’avoir retiré Atalante de la scène dans ce troisième acte, seulement pour « se garder de la matière pour le quatrième acte »41. Car en effet, si Atalante avait été là, elle aurait accepté la hure, Plexippe et Toxée se seraient révoltés et Méléagre les aurait tués. Ainsi Rigal trouve le quatrième acte inutile. Mais c’est au quatrième acte que la tension est extrême. Plexippe et Toxée arrachent le lot à Atalante, et Méléagre tue ses oncles.

La pièce semble finir puisque Méléagre et Atalante vont se marier. « Cependant il reste un acte et c’est Altée qui va le remplir »42, objecte Rigal. L’acte V est le dénouement de la pièce. Nous apprenons qu’Althée détient la vie de son fils dans un tison que les Parques lui ont remis. Elle le tue et se suicide.

Rigal présente ainsi Méléagre comme une pièce qui contient des défauts de structure. Or il faut se rappeler que dans la tragédie du XVIIe siècle, le sujet de la pièce de théâtre se trouve souvent dans le dénouement. Le fondement du sujet de Méléagre réside dans sa mort par le tison que détenait sa mère. Le cinquième acte n’est donc pas une faiblesse de Hardy. Au contraire, par l’absence de     présentation du personnage d’Altée dans les actes précédents, il a su créer un effet de suspension et de surprise.

En ce qui concerne la mise en scène, Alexandre Hardy reprend des éléments du théâtre humaniste. Au XVIe siècle, les actes ne sont généralement pas divisés en scène. Une division est présente chez Hardy mais l’entrée ou la sortie d’un personnage est loin de définir toujours le point de départ d’une scène nouvelle. L’acte premier n’est pas divisé en scènes, mais quand un nouveau personnage apparaît son nom est imprimé en gros caractères. De même, Alexandre Hardy n’indique pas les changements de scène à l’entrée ou à la sortie d’un ou plusieurs personnages peu importants et dont le rôle est très court ou à la sortie d’un ou plusieurs personnages qui laissent un héros prononcer un court monologue. La division classique des scènes apparaît mais n’est pas totalement acquise.

De plus on a souvent reproché à Hardy le manque d’unité thématique de la pièce. En effet, on a souvent dit que si la vengeance est le thème principal de la pièce, Alexandre Hardy ne l’introduit qu’au quatrième acte. Néanmoins n’est ce pas oublier que la pièce n’a de raison d’être que par rapport à la vengeance d’une déesse dont Alexandre Hardy développe les méfaits dans les premiers actes de sa pièce ?

Méléagre : un sujet d’époque §

Autour de Hardy, l’histoire de Méléagre intéressa plusieurs dramaturges.

Pierre de Bousy écrit le premier un Méléagre en 1582, puis vint La fatalle de Meleager et le desespoir d’Althée sa mère de Boissin de Gallardon, en 1618. Pour cette tragédie nous ne savons pas si elle est antérieure ou postérieure à notre pièce. En 1641, Bensérade publie son Méléagre, que vont ensuite suivre celui de Boursault en 1694, celui de La Grange-Chancel en 1699 et celui de François Antoine Jolly en 1709.

La fable de Méléagre a été très appréciée puisqu’en un peu plus d’un siècle, sept Méléagre ont vu le jour. Nous allons étudier dans le cours de ce développement comment le sujet de Méléagre a été traité par ces dramaturges, quelles ressemblances il existe entre la tragédie de Hardy et celle de ces auteurs, et dans quelle mesure Alexandre Hardy a repris des éléments des auteurs qui l’ont précédé et dans quelle mesure il a inspiré ses successeurs.

Étudions d’abord le premier de tous ces Méléagre, celui de Pierre de Bousy datant de 158243. La structure de cette pièce est celle du théâtre de la Renaissance : chacun des quatre premiers actes est coupé par un chœur qui développe le sujet qui vient d’être évoqué dans l’acte précédent.

L’acte premier commence par un discours d’Oenée qui implore Diane de se venger sur lui si elle considère qu’il a oublié de l’honorer volontairement. Il déplore les ravages de l’animal mais a le pressentiment que quelque chose d’horrible va se dérouler. Méléagre dit qu’il faut se venger et mettre à mort le sanglier. Il partira donc en chasse avec les héros grecs et celui qui tuera la bête aura pour récompense la hure de l’animal. Un chœur de chasseur implore la déesse pour que la chasse réussisse.

Au début de l’acte II, Althée se rend au temple pour demander aux dieux de favoriser la chasse lorsqu’un messager arrive et fait le récit de la chasse44. Apprenant que Méléagre a tué le sanglier, Althée s’apprête à faire à la déesse un chaste sacrifice.

À l’acte III, Oenée craint toujours quelque chose et propose de faire une offrande. Althée est prise d’un même pressentiment. Commence alors un dialogue sur la mort à laquelle nous sommes tous promis. Le chœur à la fin de l’acte parle des dieux dans leurs rapports avec les humains et évoque l’injustice divine.

Au début de l’acte IV, Althée entre en furie sur scène et explique à son mari qu’à son retour du temple de Diane elle a rencontré des hommes qui portaient les cadavres de Plexippe et de Toxée et que Méléagre était le meurtrier. Oenée, cherchant à excuser son fils, demande les circonstances de ce qu’il juge comme un accident. Althée lui raconte comment Méléagre tombé amoureux d’Atalante a offert les dépouilles de l’animal à cette seule femme. Plexippe et Toxée se seraient rebellés en disant que la hure était le bien de tous les chasseurs. Méléagre aurait tué ses oncles. À la fin de ce récit, Althée avoue à Oenée qu’elle veut punir son fils avec le tison. Suite aux conseils de son mari, Althée revient sur sa décision et se résout à réagir en mère et non en sœur.

À l’acte V, un messager vient apprendre à Althée la mort de Méléagre qu’elle reçoit avec une joie sans pareille. Pour célébrer sa victoire, elle demande au messager de faire le récit de la mort de Méléagre. Le messager évoque la fin de Méléagre : en mourant il a fait ses adieux à ses amis et a demandé son père, sa mère, ses soeurs et ses frères. Althée regrette alors son geste. Elle se poignarde. Enfin, Oenée, ayant appris la mort de sa femme et de son fils déplore l’iniquité du sort et demande de mourir pour suivre les siens.

Un grand nombre de points communs semblent exister entre le Méléagre de Pierre de Bousy et celui de Hardy. En effet, les deux Méléagre commencent de la même façon. Chez l’un c’est Oenée, chez l’autre c’est Méléagre qui demandent à Diane d’exercer son courroux sur eux seuls et de libérer ainsi leur peuple :

Oénée

Regarde dedans moy et vois si par malice
Sur ton autel sacré je n’ay fait sacrifice
Et si tu me cognois coulpable d’un tel cas,
Foudroyes, brusles moy, et ne m’espargnes pas. (…)
Qu’il n’y ait cruauté (s’il s’en trouve dans toy)
Que ta vengeante main ne l’exerce sur moy45

Chez Hardy, Méléagre implore Diane en ces termes :

O vierge Latoïde, ô puissance première,
A qui nous devons tous la céleste lumière,
Retire ce fléau, qui tache funereux,
D’un diffame eternel mon règne malheureux !
Où mon peuple affranchi détourne sur ma teste,
Les suprêmes efforts de l’outrageuse beste,
Repete sur moy seul, comme plus criminel,
Qui me vouë au païs le delit paternel46

Évidemment le discours n’est pas totalement le même, mais le premier a sans doute inspiré le second. En effet ce ne sont pas les mêmes personnages qui parlent. On ne voit pas la situation du même point de vue : Oenée est coupable de la fureur de Diane tandis que Méléagre ne fait que subir cette vengeance.

D’autre part la métamorphose subite de leur pays en un « désert » est présente dans nos deux textes. Chez Bousy, Oenée déplore la fuite du peuple en ces termes :

Ne te sufit-il pas, et n’ay-je pas assez souffert,
De voir que mon pays pour jamais est désert,
Veut de ses citoyens, qui pour fuir ta guerre,
Et la prochaine faim, cerchent une autre terre ?47

Passage qui devient chez Hardy dans la bouche du chœur de peuple :

Pere comun des tiens, monarque magnanime,
Vueille faire cesser le mal qui les opprime,
Ce mal qui vagabond assiège nos citez,
Prive les habitans de leur necessitez,
Interdit le commence, epouventez de sorte,
Qu’il n’y a contre luy forteresse assez forte,
Que l’horreur de ce monstre empreinte au souvenir,
La province un desert rendroit à l’avenir.
Chacun, qui çà, qui là, minutant sa retraite,
Où il la juge en lieu de sauveté distraite48.

La première grande ressemblance qu’on retrouve chez Bousy et chez Hardy tient dans la promesse d’honorer Diane d’un sacrifice si elle favorise la chasse. Or cette idée semble naître chez Bousy puisqu’elle n’est pas présente chez Ovide. Le chœur de chasseur, chez Bousy implore la déesse en ces termes :

Que l’heureuse entreprise,
Si tu nous favorise,
Diane, et si tu veux,
Nous donner la victoire,
Dictyne au front d’Yvoire,
T’enclinant à nos voeuz.
Pour un tel benefice,
Nous ferons sacrifice,
A ta divinité,
D’une sainte hécatombe,
De bœufs…

Chez Hardy c’est le chœur de filles qui implore Diane de favoriser la victoire et on retrouve en des termes à peu près similaires le discours précédent.

Détourne ce méchef Déesse, qui présides,
Au ciel, dans les forests, et au Royaume vain,
Termine en ton courous ces fureurs homicides,
La victoire emportée est un coupe de ta main.
Si te le fais, ô claire, ô belle délienne,
Une pure Hecatombe offerte à tes autels,
Ne doute que chez nous ta Déité n’obtienne,
Une première gloire entre les immortels.
De riches jeux de prix, celebrez chaque année,
Jusques à la fin du monde honorent ce bien-fait.49

De plus, à l’acte IV, chez Pierre de Bousy, Althée explique sa colère en ces termes :

(Venez) Punir l’énormité d’un meschant parricide,
D’un traistre, d’un meurtrier, qui a trempé ses mains
Dans le sang innocent de ses oncles humains.

Hardy reprend presque textuellement le même passage à l’acte V, 1 toujours dans la bouche d’Altée :

Ce monstre scélérat, qui ne peut empirer,
Ce monstre issu de moy, qu’une impudique rage,
N’emancipe cruel à quelque simple outrage,
Dans le sang innocent de mes propres germains.

Au vue de toutes ces ressemblances, il faut constater que Hardy a imité son prédécesseur. La filiation est évidente : de nombreuses idées et expressions sont reprises par Hardy. Cependant force est de constater qu’Alexandre Hardy amène mieux le meurtre des deux oncles, ainsi que la passion de Méléagre pour Atalante qui donne lieu à ce meurtre. Certes, chez Hardy, le meurtre a lieu sur scène. Au meurtre des oncles de Méléagre sur scène répond la violence du suicide d’Althée au dernier acte du Méléagre de Bousy. Mais ce que Bousy avait mis en récit, Alexandre Hardy le met en action. C’est sans doute de cette prédominance pour l’action que notre Méléagre tire sa force. De même Alexandre Hardy a mieux exploité le personnage de Méléagre. En effet, notre Méléagre apparaît comme le personnage principal de l’intrigue, alors que chez Pierre de Bousy, il n’apparaît en personne que rapidement au premier acte pour hâter la chasse. Ensuite il n’est l’objet que de récits. Alexandre Hardy change de perspectives et donne plus de consistance à son personnage qui apparaît sur scène avec un caractère et une psychologie particulière.

Cependant, si Alexandre Hardy reprend quelques idées à son prédécesseur, il modifie un élément de la fable de Méléagre : Oenée est absent de notre pièce, alors qu’il était encore présent chez Ovide et chez Pierre de Bousy. Par l’absence du père, Méléagre devient roi de Calydon. Il est l’égal des autres rois et de Thésée notamment. De ce fait il est le personnage qui doit rendre la justice et qui a le droit et le devoir de punir tous les sujets qui lui manqueraient de respect. C’est en ce sens que la non-obéissance des oncles de Méléagre touche à la révolte et que ce dernier en tant que roi se doit de réagir.

Dans La Fatalle ou la conqueste du sanglier de Calidon, de Boissin de Gallardon l’intrigue commence comme le Méléagre de Hardy par un appel au Dieu. Méléager parle de la gloire des Dieux et se montre désireux de ceindre son front de laurier. La chasse du sanglier va être une occasion de montrer sa valeur. Les héros grecs et Atalante se joignent à la troupe. Méléager tombe amoureux d’Atalante et lui promet la victoire.

À l’acte second, les chasseurs s’exhortent mutuellement. On ne sait pas exactement comment mais le sanglier est tué. Thésée loue Méléager qui avoue ne pas mériter l’honneur de la victoire qui doit revenir à Atalante. Atalante et Méléager s’entretiennent d’amour. Plexippe se rebelle alors et dit que le prix de la victoire doit être le même pour tous les chasseurs. Atalante, Plexippe et Toxée échangent des propos acerbes. Méléager tue ses oncles et l’acte se termine sur les déplorations d’Atalante : elle craint que les dieux et le roi décident de se venger.

Au début de l’acte III, Althée est ravie de la victoire et très fière de son fils qui a mis à mort le monstre. Mais un chasseur arrive et apprend à Althée la mort de ses deux frères tués par Méléager. Althée décide alors de se venger et apprend à sa suivante l’existence du tison. Après un récit de la chasse et des circonstances de la mort de ses frères par le chasseur, Althée tient Atalante pour responsable de sa colère envers son fils.

À l’acte IV, dans un discours à son père, Méléager fait le récit de la chasse, parle de son amour pour Atalante, parle du meurtre de ses oncles, fait ses adieux à son père, se résignant ainsi à rejoindre le monde des morts. Mais Oenée n’a entendu que la voix d’un jeune homme et n’apprend que trop tard que c’était Méléager. Ce dernier est mort.

À l’acte V, on assiste au désespoir d’Althée. Un gentilhomme arrive et annonce qu’Althée s’est poignardée. Les soeurs de Méléager déplorent la disparition des leurs.

Si les deux histoires de Méléagre commencent par une invocation aux dieux, il ne s’agit nullement d’un lien quelconque entre les deux œuvres. En effet, plus qu’un lien de parenté, ce principe est l’un des fondements de la tragédie humaniste. Chez Hardy comme chez Boissin de Gallardon Althée ne nous est présentée qu’à l’acte III et à l’acte V seulement chez notre auteur. On trouve également quelques similitudes dans l’érudition mythologique des deux auteurs qui parlent tous deux de Cérès et de Bacchus quand ils déplorent les ravages de la bête puis de l’arrêt de Rhadamante quand Althée se résout à tuer son fils à l’acte V. Cependant La Fatalle présente quelques faiblesses. L’acte IV apparaît comme plus ou moins gratuit et la fin de l’acte V est rempli de considérations sur la mort quelque peu inutiles. De plus, le déroulement de la chasse n’est pas clair. Si Atalante reçoit le prix de Méléager on n’en connaît pas les raisons : A-t-elle vraiment touché le sanglier ou Méléager lui remet-il le prix de la victoire simplement parce qu’il est amoureux d’elle ? De même, la mort de Méléager n’est pas claire. On ne sait pas exactement dans quelles circonstances il meurt. Au début de l’acte V, Althée nous apprend qu’elle a tué son fils, alors que l’acte précédent terminait sur la volonté de Méléager de rejoindre l’autre monde. De plus, le texte est souvent obscur. Les trop nombreuses allusions mythologiques et les trop longs monologues qui durent parfois plus de cinq pages rendent le texte bien difficile à comprendre voire presque illisible. Beaucoup d’éléments de la légende de Méléagre n’ont pas été suffisamment exploités par Boissin de Gallardon. La Fatalle est plus une tragédie de la déploration tandis que notre Méléagre est une tragédie de l’action.

Le Méléagre de Bensérade est très intéressant parce qu’il est très proche de celui de Hardy et qu’on leur trouve beaucoup de points communs.

L’acte premier commence sur l’aveu d’Atalante qui malgré les conseils et supplications de Déjanire de ne pas s’exposer à un tel danger, décide de participer à la chasse. Succèdent les déplorations de Méléagre qui évoque les ravages de la bête. Les héros grecs sont prêts pour la chasse. Altée et les oncles du roi apparaissent. Plexipe et Toxée ont décidé de se rendre à la chasse. Altée leur avoue qu’elle appréhende pour eux quelque chose de triste mais qu’elle ne craint pas pour la vie de son fils car elle possède son existence dans le tison que les Parques lui ont remis. L’acte second, commence par les stances qu’Atalante adresse à Diane et qu’observe Méléagre caché dans un buisson. Atalante implore Diane d’être la première à toucher le monstre. Méléagre sorti de sa cachette, les deux jeunes gens s’entretiennent d’amour. Acaste vient apporter la nouvelle de la victoire sur le sanglier et loue Atalante.

Au début de l’acte III, Thésée, Atalante, Plexipe et Toxée couronnent Méléagre du laurier et le louent. Mais Méléagre dit à Atalante qu’elle mérite davantage d’être couronnée que lui. Thésée, Plexipe et Toxée voient bien que c’est l’amour qui motive l’action de Méléagre et Toxée ajoute « hors de mon interest, je lui pardonne tout ». Acaste survient et donne la hure à Méléagre. Alors que Toxée estime que tous les chasseurs ont le droit à une part de la hure, Méléagre la donne entièrement à Atalante. Toxée avoue alors à Méléagre ses contrariétés et lui dit que la hure doit être partagée parce que le combat a été gagné grâce à la présence de tous les chasseurs. Méléagre décide de ne pas revenir sur sa décision parce qu’il estime ne faire de tort à personne. Et si Thésée et Jason renoncent à leur part du lot, Toxée refuse d’en faire de même et se résout à défendre son bien. Plexipe arrache alors la hure à Atalante et s’enfuit avec son frère. Méléagre les suit. Il revient peu après la hure à la main, et tout ensanglanté. Méléagre décide de retourner au château pour apaiser la colère de la reine.

Au début de l’acte IV, Altée cherche les cadavres de ses frères. Elle croit que c’est le sanglier qui a tué les siens. Méléagre arrive et implore le pardon de sa mère dans un long discours. Dans un dialogue basé sur le quiproquo, Althée qui ne comprend pas les excuses de son fils, unit les mains d’Atalante et de Méléagre et prévoit de les marier prochainement. Méléagre avoue être le meurtrier de ses oncles. Altée change alors brutalement d’attitude, maudit son fils et lui demande de la craindre.

À l’acte V qui commence paradoxalement sur une scène seconde, Méléagre et Atalante mariés s’entretiennent de leur amour quand le jeune marié sent brûler ses entrailles. Il demande la présence de ses amis et désire plus que tout de voir sa mère pour qu’elle lui pardonne. Altée hésite quelque peu devant le tison. Lorsque Déjanire accourant lui dit que Méléagre expire, la reine retire alors le tison du feu et l’éteint. Déjanire retourne auprès de son frère qui va déjà mieux. Altée restée seule déplore son acte, se résout à laisser la vie sauve à son fils et à apprécier Atalante. Déjanire revient et apprend à sa mère que Méléagre est guéri. Altée de nouveau seule, c’est la sœur qui désormais en elle est prise de remords : elle remet le tison au feu. À la fin de la pièce, voyant le corps de Méléagre Altée regrette son geste et désespérée se tue.

La tragédie de Bensérade est très importante parce qu’elle emprunte au Méléagre de Hardy de nombreux éléments. Les conseils de Déjanire à Atalante au début de l’acte I ne sont qu’un écho du chœur de filles qui conseille à Atalante de ne pas se mesurer à un tel péril. Comme chez Hardy (v. 1031), le meurtre des oncles de Méléagre est assimilé à un acte de justice chez Bensérade : « Je scay de quel lien nous serroit la nature, / Mais la vengeance est juste en pareille aventure »

Idée qui est reprise quelques vers plus loin : « Qu’à vous faire justice ou bien à vous venger. » La mariage d’Atalante et de Méléagre n’est que la reprise par Bensérade d’idées de Hardy. En effet, la liaison des deux protagonistes n’est présente ni chez Ovide, ni chez les premiers dramaturges qui ont adaptés l’histoire de Méléagre.

Bensérade reprend plusieurs éléments présents chez Hardy : Atalante désireuse de laurier, le portrait du sanglier, l’allusion mythologique à Bacchus et à Cérès, la comparaison du sanglier à la foudre et à l’image du torrent, la double alternative des héros grecs : vaincre ou périr, la preuve faite par Méléagre de la valeur d’Atalante devant les remarques ironiques des héros grecs, le récit de la chasse, et le fait que ce soit Thésée qui remette le laurier de la victoire à Méléagre ne sont que des échos du Méléagre de Hardy.

Bensérade reprend également quelques expressions à Hardy, nous ne les énumèrerons pas ici mais nous indiquerons en note à notre texte tous les passages qui sont largement empruntés à notre auteur.

Le Méléagre de Boursault voit le jour en 1694. Comme chez Hardy un argument présente la fable de Méléagre, mais, à la différence de notre auteur, la présence des Dieux est très importante chez Boursault.

L’acte I se lève sur un dialogue entre Borée et la nuit qui parlent des désastres du sanglier et qui annoncent que les héros de la Grèce vont trouver une solution pour faire revenir la joie et le repos à Calydon. Apparaît Diane qui demande à Borée d’agiter les vents pour créer une tempête. Cette machination de Diane n’a pour but que de différer la chasse. Arrive l’Aurore qui annonce un prompt secours aux malheurs des hommes et qui prédit que c’est le dernier jour du sanglier.

L’acte II débute sur les remarques d’Althée qui affirme que son fils doit suivre ses lois, et qu’il ignore l’existence du tison. Nous apprenons que Méléagre a promis à Hésione de ne jamais la quitter et cette dernière parle de vengeance parce que Méléagre aurait rompu sa promesse. Ce retour sur la parole donnée serait dû à Atalante. Le roi arrive et annonce que tout est prêt pour la chasse et qu’Atalante ravit tout le monde de ses attraits. Tous s’exhortent et se motivent au combat. Le grand prêtre de Diane demande d’interrompre un combat si profane et annonce que la victoire sur le sanglier sera aisée mais qu’elle sera source de maux. À la fin de l’acte, Méléagre et Atalante se courtisent et parlent d’amour.

L’acte III se situe dans la forêt. Hésione déplore le perte de son amour. On poursuit le sanglier qu’Atalante a touché d’un premier coup. Thésée annonce la mort du sanglier. Pan, Cérès, Bacchus, les nymphes expriment tous leur joie, parce que les bois sont désormais libres.

L’acte IV transporte le scène dans l’antre de l’Envie qui se plaint de devoir servir le courroux de Diane. En effet, Diane a demandé à l’Envie d’insinuer un poison dans le cœur de Toxée pour corrompre sa raison. La scène se transporte et on se retrouve auprès de l’arc de triomphe où tous célèbrent la victoire. Atalante et Méléagre décident de se marier. Méléagre offre la dépouille du sanglier à Atalante. Toxée, perverti par l’Envie se rebelle. Méléagre tue Toxée. Althée qui a appris la victoire de Méléagre vient lui offrir le laurier de la victoire qui n’est autre qu’Hésione. Elle voit son frère mort et Méléagre avoue être le meurtrier. L’acte se termine sur les plaintes d’Althée et d’Hésione qui promettent de ne point attendre pour se venger.

Au début de l’acte V, devant les cendres de Toxée, Althée se demande ce qu’elle doit faire pour venger Hésione. Le roi cherche à la calmer, prétextant que Méléagre n’est pas responsable de son acte parce qu’il aime et que c’est le même sang qui anime Méléagre et Althée. Althée pardonne à son fils et demande à Méléagre et à Atalante de les rejoindre. Désormais seule, elle se moque de la crédulité de roi et évoque le plaisir qu’elle va ressentir à voir mourir Méléagre devant Atalante. Althée met au feu le tison. Méléagre mourrant fait ses excuses à sa mère. Emue par ce spectacle, Althée avoue au roi qu’elle est la cause de la mort de Méléagre et annonce sa mort imminente. Le roi demande qu’on la surveille pour qu’elle se souvienne toujours de son crime.

Le Méléagre de Boursault et celui de Hardy sont donc ainsi très différents quoique la joie d’Altée soit ici poussée à son paroxysme puisqu’elle se réjouit de voir mourir son propre fils. Mais, en même temps que Boursault s’éloigne d’Ovide, il s’éloigne de Hardy. La responsabilité de Méléagre dans le crime de son oncle est atténuée par les machinations de Diane. D’autre part la colère d’Althée est déplacée. C’est l’histoire d’amour, c’est la femme promise par Althée à Méléagre que la présence d’Atalante compromet qui met le feu au poudre. La thèse d’une autre femme délaissée et vengeresse sera reprise par d’autres dramaturges.

Le Méléagre de La Grange-Chancel de 1699 reprend cette thématique d’un amoureux délaissé qui vient compliquer la fable de Méléagre.

Au début de l’acte I, Déjanire, la fille de Toxée, annonce la prochaine chasse du monstre. Athalante a promis sa couronne et sa main au vainqueur. Althée pour unir Méléagre et Déjanire attend le retour de la chasse et nommera en même temps son fils roi. Althée apprend à Déjanire l’existence du tison, qu’elle seule a le pouvoir d’allumer et expliquant qu’elle a des craintes pour la vie de son fils et qu’elle sent que le tison va être allumé, elle décide de le confier à Déjanire. À la fin de l’acte, Plexippe vient apprendre aux deux femmes que le monstre est mort. Athalante l’a touché d’un premier coup et Méléagre d’un second coup mortel. Plexippe avoue ses craintes à Déjanire : il craint que Méléagre une fois roi ne laisse libre court à sa haine envers lui50. Il imagine un autre sort pour lui : en effet il désire s’élever au trône d’Athalante dont il est tendrement amoureux et demande à Déjanire de s’entretenir avec cette dernière en sa faveur.

Au début de l’acte II, Athalante nous apparaît en colère parce qu’un jeune téméraire lui a arraché la victoire. Elle s’apprête donc à quitter Calydon. Plexippe qui déplore son départ lui annonce que Méléagre et Déjanire vont se marier. Il lui avoue son amour auquel Athalante répond avec désinvolture mais « qu’avez-vous de grand pour être mon époux ? ». Seule avec sa confidente, Athalante confie la passion qu’elle voue à Méléagre et se résout à venger cet outrage. Suite aux requêtes de Déjanire puis de Méléagre, Athalante décide de repousser la date de son départ à condition que Plexippe ne lui parle plus d’amour. Méléagre avoue à Déjanire qu’ils font une erreur en se mariant et qu’il serait préférable qu’elle attende Hercule. Méléagre pense ainsi se marier avec Athalante qu’il aime secrètement.

À l’acte III, Althée affirme qu’elle ne consent pas au mariage d’Athalante et de Méléagre. Déjanire pour aider les amoureux demande à Althée d’écouter son fils et de permettre qu’elle s’exile. Althée ne permettant pas à son sang de se mélanger, demande à Méléagre de ne plus lui parler de cet amour ou de craindre son courroux. Athalante, que la reine chasse, vient faire ses adieux à Méléagre, lui demande de la laisser partir et de vivre pour une autre. Méléagre et Plexippe se disputent.

L’acte IV commence avec les noirs pressentiments d’Althée. Plexippe rentre blessé et nomme Athalante sa meurtrière. Althée décide de se venger. Mais Méléagre avoue qu’il est le véritable meurtrier. Althée regrette alors son serment. Elle décide de ne pas faire mourir Méléagre et de le nommer roi. Mais la haine de Déjanire a grandi.

À l’acte V, Athalante ne peut s’abandonner à sa joie, car un noir pressentiment la hante. Le mariage se prépare. Althée organise la cérémonie et allume un feu avec les tisons que Déjanire lui apporte. C’est alors que Méléagre sent en lui un feu qui le dévore. Sa mère lui annonce qu’il ne peut mourir en lui apprenant l’existence du tison. Déjanire avoue alors à Althée qu’elle s’est servie d’elle pour se venger de Méléagre et le faire mourir.

Le Méléagre de la Grange-Chancel s’éloigne des traits essentiels de la fable de Méléagre : le crime passionnel a remplacé l’infanticide. Les noirs pressentiments sont communs à notre auteur et à la Grange-chancel. Mais comme chez Boursault la présence d’un amoureux rival et d’une femme délaissée est une motivation supplémentaire au nœud de l’intrigue. Ainsi, le meurtre de Plexippe est assimilé à un crime d’amour, la vengeance d’Althée est effacée ; c’est encore un crime passionnel et elle n’a été l’instrument d’une vengeance qui n’est pas la sienne. Contrairement à l’héroïne de Hardy, Althée réagit en mère et non en sœur. L’histoire garde de ce sentiment maternel quelque chose de plus poignant et de plus émouvant à la fois.

Enfin, François Antoine de Jolly crée aussi un Méléagre en 1709.

L’acte I commence sur les plaintes d’Altée qui ne peut apaiser la colère de Diane. Elle explique le sort de Méléagre remis entre ses mains et évoque le pressentiment qu’elle a depuis quelque temps : le tison va être allumé. Méléagre annonce que la chasse est imminente. Arrivent Plexippe et Atalante que Méléagre implore, à part, d’être sensible à sa tendresse. Une prêtresse annonce que le destin va livrer le monstre à leurs coups et Atalante demande à Méléagre de la laisser vaincre le monstre.

Au début de l’acte II, Plexipe apprend à Altée que le monstre a été abattu et que c’est Méléagre qui l’a tué. Plexippe confie ensuite ses peines à son confident : il est amoureux d’Atalante qui aime Méléagre. Tout le monde célèbre Méléagre qui reste triste parce qu’Atalante le fuit. La gloire ne lui sert à rien s’il n’a pas l’amour. En fait, Atalante le fuit parce que son triomphe l’offense.

L’acte III se situe dans la forêt, Méléagre y cherche Atalante, qui est avec Plexippe. Ce dernier veut venger Atalante de l’offense qu’elle a subi. Méléagre et Atalante se rejoignent et reconnaissent une ardeur mutuelle.

Au début de l’acte IV, Plexippe a appris l’union d’Atalante et de Méléagre. Diane lui propose son aide pour se venger, mais Plexippe jugeant l’aide de la déesse trop lente décide de tuer seul son rival. Nous sommes transportés au palais d’Altée. Plexippe y arrive blessé mortellement. Il demande à sa sœur de le venger et nomme Méléagre son assassin. Contrariée d’avoir fait cette promesse, Altée hésite et s’évanouit. Diane demande aux Parques et aux Démons de ranimer la fureur d’Althée.

À l’acte V, pendant que Méléagre et Atalante s’épanchent sur leur amour, Méléagre est pris soudainement d’un feu intérieur. Altée comprend ce qui se passe et annonce qu’elle va retirer le tison du feu. Les Parques sortent une nouvelle fois des Enfers, arrêtent Altée et l’emmènent d’un côté du théâtre. Méléagre meurt et Atalante le déplore.

F. A. Jolly garde les éléments essentiels de la fable de Méléagre : c’est de nouveau la mère qui est la meurtrière. Il y ajoute pourtant une intrigue amoureuse comme chez La Grange Chancel. On retrouve cependant quelques échos de Hardy.

À l’acte I, 1 Althée déplorait son sort en ces termes : « O reine infortunée ! ô destin trop sévère ! » Comme le Méléagre de Hardy s’écrie dans la même scène : « O déplorable prince ! ô trop inique sort ! »

De même l’évocation de jeux célébrés en l’honneur de Diane si elle favorise la chasse et que nous avons cités plus haut en ce qui concerne Alexandre Hardy, se retrouvent chez F. A. Jolly : à l’acte I, 4, la prêtresse implore Diane de clémence :

Diane, écoute nos regrets,
Entend la voix d’un peuple qui t’adore,
C’est la clémence que j’implore,
Fai cesser tes cruels effets,
De ta vengeance redoutable,
Et jette un regard favorable
Sur les jeux qu’en ton nom je consacre à jamais !

On voit que le véritable génie de notre auteur réside dans le fait que ce dramaturge fertile a inspiré énormément d’auteurs. De nombreux sujets qu’il a remis au goût du jour sont repris et remaniés par ses successeurs. Alexandre Hardy a été une grande source d’inspiration pour les dramaturges à venir.

La dramaturgie de Hardy §

Une dramaturgie de la rupture §

Les tragédies de Hardy demeurent conformes en bien des points à la tragédie régulière dont Garnier avait fixé le type. Se présentant comme un héritier de Garnier et de Grévin, Hardy conserve une partie des théories dramatiques de la Renaissance et en modifie une autre partie.

Suivant ses prédécesseurs, toutes les pièces d’Alexandre Hardy sont écrites en cinq actes et en alexandrins. Le principe est de commencer in medias res, aussi près possible de la catastrophe : Méléagre commence par la décision d’entreprendre la chasse et l’intrigue se complique après la chasse et la décision de donner le prix à Atalante. Comme dans le théâtre humaniste, on retrouve dans Méléagre les utilités et l’usage habituel des pressentiments, songes, visions et ombres qui intensifient la crainte des personnages et préparent le dénouement tragique. On retrouve également un style élevé et des personnages de haut rang.

Madame Charpentier dans son étude sur la tragédie humaniste affirme que la tragédie de la Renaissance offre une « akmé » de la tension dramatique vers le troisième parfois vers la quatrième acte et que deux éléments peuvent créer cette tension : une péripétie ou l’affrontement de deux volontés. Or, on retrouve cette même « akmé » au quatrième acte de Méléagre quand la jalousie des oncles du roi provoque une série d’actes de vengeance et précipite ainsi le dénouement. Ainsi, après cette « poussée de fièvre dramatique on assiste à une retombée : les dés sont jetés, le ressort tragique achève de se dérouler51. »

De même, les dramaturges humanistes ont pris l’habitude de ménager dans leur pièce un élément d’intrigue qui deviendra de plus en plus important. Alexandre Hardy use du même procédé avec le personnage d’Altée et ménage ainsi tout le suspense. Tout l’art du dramaturge consiste ici à disposer l’action de façon à soutenir l’intérêt malgré la notoriété que peut avoir la fable de Méléagre. Comme dans le théâtre humaniste, la tragédie s’achève sur un dénouement funeste et la victime désignée est toujours sympathique.

Alexandre Hardy maintient ainsi fermement certains principes de l’art tragique de la Renaissance, en même temps qu’il s’en éloigne. La dramaturgie de Hardy se présente donc à nous comme une dramaturgie de la rupture. Elle reprend des éléments du théâtre humaniste, les modifie et en apporte de nouveaux.

Les tragédies de Hardy ne sont plus les mêmes que celles de Garnier. On le sent aussitôt à l’absence de chœur, au caractère moins lyrique de ses tragédies, au nombre plus grand de personnages, à la présence de monologues et de descriptions moins importantes, au développement plus prolongé des situations.

Hardy, tout d’abord supprima les choeurs. En 1561, Grévin dans son Brief Discours pour l’intelligence de ce théâtre publié avec sa tragédie César, avait déjà senti combien semblaient artificiels les choeurs du théâtre antique chantés le plus souvent par des acteurs mal entraînés sur des scènes improvisées, les seules dont disposaient alors les auteurs dramatiques.

Les choeurs chez Hardy « y sont omis, comme superflus à la représentation et de trop long de fatigue à refondre », nous dit-il dans le « Au Lecteur » du premier tome du Théâtre. Ce qui revient à dire qu’en composant ses premières tragédies Hardy avait sans doute imité le modèle de la Renaissance et y avait inséré des choeurs qu’il a d’abord supprimé à la représentation puis définitivement dans l’édition de ses œuvres. Les choeurs n’ont pas totalement disparu de Méléagre et le chœur de peuple déclame encore quelques quatrains au début de l’acte III, mais ces choeurs n’ont plus rien de communs avec ceux de ses prédécesseurs : ils parlent, contribuent à l’action. Le chœur qui exprimait au XVIe siècle la moralité du fait tragique en plaignant les victimes, remplit désormais le rôle d’un personnage.

De plus, Hardy n’hésite pas à rompre les éléments qui ont fait l’apanage du théâtre humaniste : il partage encore plus que Garnier la préoccupation de Sénèque pour la violence et pour l’horreur. Des crimes atroces sont perpétrés sur scène, Méléagre tue ses deux oncles sans aucun remords, Althée tue également son fils sans la moindre hésitation, des filles se font violer sur scène dans d’autres pièces.

Si la tragédie de la Renaissance a souvent été définie comme une tragédie de la lamentation, les tragédies de Hardy sont résolument tournées vers l’action. Son théâtre est d’autant plus novateur que sa marche est résolument tournée vers la résolution de l’intrigue. Avec Hardy, l’action n’aura de trêve qu’une fois la dernière scène du dernier acte achevée, après avoir connu une accélération constante depuis le début de la pièce. Ce qui conduit Gustave Lanson à dire :

Le drame ne languit pas, chaque scène a son mouvement intérieur dans un mouvement général de la pièce. Le dialogue ne s’égare pas dans la dissertation morale ou dans l’amplification lyrique : ce dialogue même est toujours de l’action52

Dans Méléagre, les trois premiers actes se suivent sans trop d’action. Le temps est dilaté. Or, du quatrième au cinquième acte, le temps s’accélère : l’action une fois engagée se précipite jusqu’au dénouement, les péripéties se multiplient.

Au niveau de la dramaturgie, Hardy se situe donc à mi chemin entre les tragédies de Garnier et celles de Corneille. Hardy garde des éléments de la tragédie de la Renaissance : le messager, les présages et les songes, la présence du monologue, de prières et de plaintes, le goût des sentences et des stichomythies : tous ces éléments reliant Hardy à la tragédie du XVIe siècle sont encore présent dans Méléagre. Aux éléments rhétoriques et moralisant de la Renaissance, il accorde des dimensions dramatiques et psychologiques. Les discours plus courts, les dialogues plus rapides attestent cette nouvelle orientation, qui met l’accent moins sur les réflexions morales que sur les conflits des volontés. Dans Méléagre, le conflit entre la mère et le fils est mis en scène à l’acte V, 1 par un dialogue entre Altée et sa nourrice basé sur la figure rhétorique de la stichomythie. Or il ne s’agit pas ici d’une réflexion morale sur les devoirs d’une mère qui s’opposent à ceux d’une soeur, mais au contraire d’un simple conflit entre deux volontés : celle de la nourrice, la voix de la raison, et celle d’Altée, la voix de la Passion.

D’autres aspects de la technique dramatique de Hardy annoncent la tragédie classique. Nous ne trouvons plus les victimes passives et plaintives de la tragédie humaniste, mais plutôt comme dans le théâtre de Corneille, des personnages actifs qui façonnent le dénouement de la pièce. C’est en ce sens que Gustave Lanson affirme que :

Dans les cas de fureur et de vengeance il trouve le tragique des volontés en conflit, l’intérêt dramatique de la psychologie, il s’aperçoit que l’émotion s’accroît et que l’action s’anime quand les victimes luttent, et quand d’autres sentiments sont combattus par d’autres sentiments. (…) le ressort de la tragédie classique est trouvé53.

De plus, il existe encore une différence importante entre les tragédies de Hardy, celles de Sénèque et des dramaturges de la Renaissance : le public. Sénèque n’envisageait pas la mise en scène de ses pièces qui étaient plutôt destinées à être lues par des cénacles plus ou moins cultivés ; les tragédies de la Renaissance étaient certes jouées mais devant des spectateurs pour la plupart érudit. En revanche, le public de Hardy était composé de gens peu instruits qui allaient au théâtre pour se divertir. C’est ainsi que pour la première fois en France, il y eut une alliance entre un public populaire et un auteur érudit qui entretenait des notions assez élevées sur la tragédie mais qui se voyait néanmoins obligé de plaire au public pour gagner sa vie.

Hardy est donc parvenu à un ingénieux mélange. Il a utilisé les genres anciens avec quelque chose de nouveau, et les genres nouveaux avec quelque chose de dramatique et de vivant : c’est sans doute à ce caractère hybride que sont dues les critiques nombreuses du XIXe siècle sur Hardy et le fait qu’on ne puisse l’apprécier qu’en le comparant à une autre époque.

Alexandre Hardy : un dramaturge baroque ? §

Mais comment situer alors Alexandre Hardy dans l’esthétique littéraire ? Il n’appartient plus au courant humaniste puisqu’il innove par rapport à eux et n’est pas encore un classique puisqu’il ne respecte pas les règles qui feront l’apanage du théâtre classique et qui d’ailleurs ne sont pas encore clairement définie. D’autre part il a souvent été présenté comme un représentant du théâtre irrégulier, souvent assimilé par les critiques au mouvement baroque.

Dans son article « De la Renaissance au classicisme : le théâtre baroque en France », Raymond Lebègue définit les tendances du baroque. Le goût de la liberté en littérature est annoncé comme un élément du baroque, tout comme le dédain des règles et de la mesure. Est baroque également ce qui est irrationnel. L’élan émotif et passionnel qui caractérise Méléagre et Althée, les deux meurtriers, ainsi que le mystère et le surnaturel qui sont liés à l’existence du tison sont les éléments baroques qui sont présents dans notre Méléagre. Le songe d’Atalante, l’ombre des frères d’Althée qui permettent à la mère de Méléagre de sacrifier son fils sont autant de manifestations surnaturelles qui font entrer l’œuvre de Hardy dans le champ baroque. Dans le théâtre baroque, les règles qui entravent l’imagination du poète sont mises à l’écart. De même, Hardy refusait de se soumettre à toute contrainte excessive : « Aucune loy n’oblige à l’impossible » dit-il dans sa dédicace du troisième tome du Théâtre. Ainsi aucune règle n’a le droit d’emprisonner la créativité du poète dans un carcan au nom d’une perfection impossible à atteindre et de ce fait stérile.

L’effusion de sang, la violence qui caractérisent les tragédies de Hardy sont des éléments baroques. Les passions violentes et les caractères extravagants sont l’apanage de cette tendance littéraire : « chez un bon nombre de héros ou héroïne, l’élan passionnel n’est réfréné ni par la conscience morale ni par la pudeur ni par le sentiment religieux, ni par la volonté ». C’est par cet élan passionnel, par cette fureur que s’expliquent le meurtre des oncles du roi et celui de Méléagre. Aucun sentiment ni maternel ni filial n’a restreint la folie de ces personnages.

De plus, Raymond Lebègue affirme « que les amoureux dans ce théâtre ne sont pas tous des Céladons respectueux, soumis et transis. Très souvent la passion est hardiment sensuelle et le désir s’exaspère jusqu’à la brutalité54. » L’allusion sexuelle n’est pas absente de notre pièce. Méléagre décrit Atalante dans ses attraits féminins. Le désir sensuel est tellement présent que Méléagre n’hésite pas à demander à Atalante de l’épouser devant les corps de ses oncles à peine morts et réclame à Atalante de ne pas se préoccuper pour hâter une nouvelle étreinte. (V, 2)

Il annonce donc des éléments appelés « baroques » par les théoriciens littéraires du XXe siècle mais il inclut en même temps des caractéristiques qu’on qualifiera plus tard de « classiques ».

Alexandre Hardy et les unités §

Alexandre Hardy n’est ni pour ni contre les règles. Tout en les connaissant il ne s’est jamais posé véritablement le problème. Hardy n’affronte pas directement la question des trois unités. Il se contente d’exprimer l’exigence d’une construction soignée. Ainsi toute pièce de théâtre doit obéir à un ordre rigoureux. Alexandre Hardy a souvent été considéré comme un irrégulier à tel point que Sainte-Beuve affirme que :

Quand un ou deux traités aristotéliques lui auront passé dessus, que l’horloge sera mieux réglée et la scène mieux toisée, on aura précisément cette forme tragique dans laquelle Corneille paraît si à l’étroit et Racine si à l’aise55.

Or la théorie des trois unités ne s’est formulée qu’entre 1630 et 1637. Et si l’on a souvent reproché à Hardy d’être un irrégulier, on l’a jugé en fonction de critères qui n’étaient pas encore les siens.

Dans la tragédie du XVIe siècle, les unités de temps et d’action n’étaient pas toujours respectées. Hardy profite de cette liberté d’action donnée au dramaturge. Mais en même temps, fidèle admirateur du théâtre de Garnier, connaissant bien la tragédie antique, il est conscient de la valeur positive des unités.

Dans Méléagre l’unité d’action est totale. Hardy ne se permet aucune intrigue secondaire. L’intrigue progresse de manière linéaire sans aucun retour en arrière possible. C’est ainsi que la vengeance de Diane et la présence du sanglier monstrueux sont seulement évoqués dans l’argument de la tragédie. L’existence du tison fatal qui a été remis à Althée à la naissance de Méléagre ne nous est jamais expliquée.

Quant aux unités de lieu et de temps, le souci de concentration de l’action amène Hardy à se rapprocher des unités classiques.

En ce qui concerne l’unité de temps, la durée de la pièce ne dépasse pas les bornes d’un ou deux jours. Les quatre derniers actes se suivent à peu d’intervalles, quelques heures au maximum, mais entre le premier et le second acte, il faut laisser le temps nécessaire pour aller trouver et pour amener à Calydon les héros grecs. Si l’on met de côté ce laps de temps nécessaire, l’action de la pièce commence avec la chasse du sanglier et se termine le lendemain matin, au sortir du lit par la mort de Méléagre.

En ce qui concerne l’unité de lieu, inconnue avant 1630, le théâtre de Hardy se conforme aux conventions du début du XVIIe siècle. Méléagre est donc adapté au décor simultané, dérivé des mystères du moyen âge et toujours en usage à l’hôtel de Bourgogne. Le fond et les côtés du théâtre étaient divisés en compartiments représentants les lieux divers où se déplaçait l’action de la pièce. Entre deux scènes, l’action pouvait se transporter d’un lieu à un autre. Souvent dans le théâtre de Hardy et surtout dans ses tragi-comédies l’action s’étend sur plusieurs années et sur plusieurs pays. Celle de notre pièce au contraire est limitée et unifiée. La scène de Méléagre ne change que dans un rayon très limité. L’action de la pièce se déroule entre deux villes proches dans l’esprit de Hardy. Ainsi l’irrégularité est réduite au minimum.

Mais si Hardy n’indique pas les lieux ni les changements de lieux c’est parce qu’il composait ses pièces pour être jouées et non pour être lues, et que comme la décoration existait sur scène il ne lui était pas nécessaire de l’indiquer dans ses vers, puisqu’il présidait lui-même à la mise en scène de ses pièces, tout du moins dans le début de sa carrière.

Mais quoique les changements de lieux ne soient pas indiqués dans la pièce nous allons tenter de replacer l’histoire de Méléagre dans des lieux déterminés. L’acte premier doit se dérouler dans le palais de Méléagre, Atalante doit également avoir un palais, mais celui ci doit être placé proche de celui de Méléagre puisque Hardy semble faire vivre la jeune guerrière dans le voisinage de Calydon.

Si nous devions imaginer la décoration de Méléagre sur scène nous situerions au fond le palais royal où se situe une grande partie de la pièce. À une extrémité du théâtre, le palais d’Atalante. Il y a sans doute le lieu de la chasse, mais il ne doit pas être représenté sur scène puisque la chasse n’est pas mise en scène et ne fait l’objet que d’un récit. Deux scènes cependant posent problème. Où devons-nous situer l’acte IV, 1 où Plexippe et Toxée délibèrent ? Sont-il dans une salle du palais royal ? Le chœur de filles qui déclame quelques quatrains à l’acte III, 1 se situe également dans un lieu indéterminé, probablement entre le lieu virtuel de la chasse et le palais royal car le chœur rencontre le messager qui va annoncer la mort du sanglier et la victoire du peuple.

À la différence des classiques qui bénéficient d’un corps de doctrines constituée et explicitée, ce qui nuit à la dramaturgie de Hardy c’est qu’elle n’a que sa réalité interne pour se défendre et que de ce fait la tentation a toujours été grande de la mesurer à l’aune des critères qui n’étaient pas les siens, faisant aussi bien conclure à l’absence de principes et de règles d’un théâtre qui en a en revanche beaucoup.

Thèmes et personnages §

Méléagre ou le triomphe de la vengeance §

La violence : une thématique d’époque §

Les tragédies d’Alexandre Hardy attestent le goût du public théâtral dans le premier tiers du XVIIe siècle, pour les représentations de la violence, de l’horreur et de la cruauté.

Ainsi, la violence est une caractéristique commune d’une grande majorité des tragédies du début du XVIIe siècle.

Les critiques ont tenté d’expliquer cette nécessité de la violence dans la tragédie de différentes façons. Pour certains, la tragédie implique une certaine quantité de violence et chaque auteur dramatique de l’époque voit dans la vie quotidienne tout autour de lui des actes de cruauté pas moins surprenants que ceux que nous avons dans les pièces de Hardy. De plus, dans les tragédies en général et particulièrement chez Hardy la mort a une place prépondérante.

D’autres critiques voient dans cette préoccupation avec la violence une simple et aveugle imitation de Sénèque. En effet, Sénèque a choisi ses intrigues parmi les plus sanglantes et les plus affreuses des anciens mythes. Et on sait bien combien Hardy s’est inspiré de Sénèque puisqu’il le nomme comme un auteur à imiter dans sa Berne des deux rimeurs de l’Hôtel de Bourgongne. De nombreux textes confirment le goût du public de l’époque pour la violence. Tout d’abord, Pierre Delaudun d’Aigailiers dans son Art poétique françois fait une apologie de la violence : « plus les tragédies sont cruelles, plus elles sont excellentes ». En effet, le spectacle macabre loin de rebuter le public de l’époque, lui plaisait. C’est en ce sens que Théophile de Viau évoquait le plaisir de voir un spectacle violent :

Une autre veine, violente,
Tousjours chaude et tousjours sanglante
De combats de guerre et d’amour,
A tant d’esclat sur les theatres
Qu’en despit les freslons de Cour,
Elle a fait mes sens idolâtres :
HARDY, dont le plus grand volume
N’a jamais sçeu tarir ta plume,
Pousse un torrent de tant de vers
Qu’on diroit que l’eau d’Hypocrene
Ne tient tous ses vaisseaux ouvers
Qu’alors qu’il y remplit sa veine56.

Mais en même temps qu’un goût du public, cette dominante du crime, de l’horreur et de la démesure sont également des thèmes baroques.

Ainsi Alexandre Hardy, dramaturge de son temps, résiste rarement au plaisir de représenter les actions violentes plutôt que de les raconter. La violence est présente dans Méléagre. En effet, l’action de la pièce est fondée sur le meurtre à l’intérieur d’une famille : Hardy accentue la violence car le crime coïncide avec le meurtre de personnages de même sang. La pièce se termine sur une scène dans laquelle la mère dénaturée qui a tué son fils, pleure la mort de ses frères et se voue au suicide.

La vengeance §

Mais plus que la violence c’est le thème de la vengeance qui occupe une place de premier plan dans le théâtre européen des XVIe et XVIIe siècles. La vengeance est le thème principal de Méléagre. En effet, c’est parce qu’Oenée avait oublié de donner des sacrifices à Diane lorsqu’il offrait les prémices de ses récoltes à toutes les divinités qu’elle envoya contre son pays un sanglier d’une taille extraordinaire.

La chasse du sanglier qui est l’action principale de la pièce doit sa raison d’être à cette vengeance de la déesse. Le thème de la vengeance est mis de côté dans les trois premiers actes de la pièce. Ce n’est qu’au quatrième acte que la jalousie de Plexippe et de Toxée déclenche une série d’actes de vengeance : les deux oncles arrachent la hure à Atalante (IV, 2) ce qui provoque la colère de Méléagre qui tue ses oncles sur scène (IV, 3) et enfin, la fureur d’Althée qui décide de se venger de son fils et de le tuer (V, 1).

Tout comme Sénèque l’avait fait dans sa Médée, Hardy renverse dans Méléagre, les lois de la naissance et de la race, il nous présente la destruction des proches par la vengeance d’un crime qui conduit à la recherche d’un crime qui le dépasse. Comme chez Sénèque, « ses personnages sont des êtres passionnés et violents qui respirent la haine et le sang et qui excitent à la tuerie ou qui se retournent contre eux-mêmes avec autant d’énergie et d’ostentation. » affirme Carla Federici. Ainsi, Althée ne laisse aucune place au pardon et au sentiment maternel, elle ne ressent aucune compassion pour son fils Méléagre. Elle ne décide de se suicider à la fin de la pièce, parce que ses frères lui manquent et non parce qu’elle regrette son acte.

À une pareille violence se relie l’image de la main vengeresse. Dans Méléagre, Althée se réfère à son fils comme au monstre qui « a polu ses mains parricides » dans le sang de ses frères. (v. 1045 ; 1117). L’image de la main réapparaît et au moment où elle commence son propre acte de vengeance, sa main « tremblote ». La main apparaît ici comme le symbole de la vengeance, elle est la partie grâce à laquelle le crime qui tend à expier la faute précédente, va avoir lieu.

Ainsi, comme chez Sénèque, c’est le renversement des lois de la nature qui amène la destruction de la structure familiale : Au quatrième acte scène deux, Méléagre qualifie l’action de ses oncles, le ravissement de la hure comme un acte contre nature. Tout d’abord, en agissant ainsi ses deux oncles ont défié la nature en deux points. Ils n’ont pas respecté l’autorité royale auquel tout un chacun doit se soumettre puis ils se sont opposés à la « mère nature » (v. 933) en s’attaquant à une jeune femme. De même, c’est la « nature violée en ce meurtre » (1065) qui incite Altée au crime. En effet, c’est en ces mots qu’Altée classifie le meurtre perpétré par Méléagre et comment elle justifie devant sa nourrice la décision d’un crime plus abominable. En effet, l’acte de Méléagre est contre Nature. En tuant ses oncles, Méléagre a violé les lois sacrées de la famille qui sont placées sous la garde des Euménides. C’est en ce sens qu’Altée invoque les furies pour qu’elles l’aident à venger ce crime impitoyable. Or, force est de constater que l’action criminelle d’Altée répond au même schéma et l’acte de la mère est encore plus inhumain que celui de son fils. Les liens de sang qui unissent la mère et le fils font d’Altée une mère profondément dénaturée.

En rappelant le mythe de Méléagre le chœur de la Médée de Sénèque se termine sur une idée de justice ; il conclue les vers que nous avons cité plus haut par l’expression « mervere cuncti », « tous l’ont mérité ».

La vengeance de Méléagre ainsi que celle d’Althée ne sont donc pour l’auteur latin que de justes châtiments.

Alexandre Hardy reprend la même thématique : La vengeance de Méléagre envers ses oncles est assimilée à un acte de justice :  «  ces ravisseurs punis de leur témérité, / possèdent justement le loyer mérité » et plus loin il qualifie le meurtre de ses oncles d’« acte de justice ». De même à la fin de la tragédie, Altée manifeste sa satisfaction d’avoir accompli son devoir et célèbre les louanges de la « justice céleste » (1242). C’est à cause de cette idée de justice à laquelle les meurtres sont liés que nos héros perdent tout sentiment. En effet, Méléagre en tant que roi de Calydon se doit de rendre la justice. Ainsi paradoxalement tous ces vengeurs s’estiment être des instruments de la justice alors qu’ils sont en même temps des criminels dignes à leur tour d’être punis.

Chez Hardy, la thématique de la vengeance s’inscrit également dans un système de paroles prophétiques qui se réalisent. En effet, lorsque Plexipe et Toxée arrachent la hure de l’animal à Atalante, cette dernière annonce que le roi va la venger : « Le roi me vengera, mon unique deffence, / Sa grandeur plus que moy de l’injure s’offence » (v. 865-66).

Ainsi, le meurtre des deux oncles de Méléagre ne fait que répondre à une attente d’Atalante. De même, la parole prophétique qu’avait lancé Plexippe avant de mourir s’est réalisée : « Le Ciel, le juste Ciel, quelque vengeur nous garde. » (1010)

De plus, chez Hardy, on devient criminel parce qu’on perd la raison. Méléagre tue ses oncles et Altée tue son fils dans un excès de fureur incontrôlable. En effet, Méléagre n’écoute pas les supplications d’Atalante qui lui demande de ne pas se laisser emporter par sa colère (v. 1017). De même, Altée n’écoute pas sa nourrice, la voix de la raison et décide de tuer son fils.

Ainsi, la vengeance occupe une place de premier ordre dans notre pièce d’autant qu’elle n’est vaincue par aucun sentiment plus fort.

L’érudition mythologique et l’accumulation des métaphores §

Élève d’une école savante mais pressé par l’importance de sa production et par le temps, Alexandre Hardy apporte à son théâtre les réminiscences de certains sujets, thèmes et procédés qu’il a dû lire dans les textes antiques.

Alexandre Hardy connaissait de nombreux auteurs latins et grecs et l’importance de son érudition se mesurera aux nombreuses allusions mythologiques qui ponctuent la pièce.

Le sujet de Méléagre inscrit la pièce dans un contexte mythologique particulier : il fait de nombreuses allusions à l’expédition des argonautes à laquelle plusieurs personnages de la pièce ont participé et évoque fréquemment la colère de Neptune envers les Argonautes. Cependant la présence d’Idmon pose problème dans notre pièce. En effet, si l’on suit la légende, il est mort pendant l’expédition des argonautes. C’est sans doute le fait qu’il soit mort à la chasse par un sanglier qui a motivé Alexandre Hardy à faire revivre Idmon dans Méléagre. Mais, peut être avait-il seulement oublié que le devin était mort ou a-t-il mis en scène un autre personnage qui nous est inconnu, étant donné qu’il ne se sert à aucun moment des dons prophétiques d’Idmon.

À cette allusion mythologique qui est inhérente à l’histoire de Méléagre, s’ajoute la présence des Parques liées à l’histoire de Méléagre par l’existence du tison fatal et de Diane dont la vengeance est le point de départ de la pièce. Il est important de remarquer cependant la richesse de l’évocation de la déesse. Alexandre Hardy multiplie les épithètes : Diane est tantôt qualifiée de « vierge Latoïde », de « claire Cinthienne » ou encore appelée « belle Délienne ».

Mais à ces allusions qui sont ancrées dans l’histoire de Méléagre, il faut ajouter toutes celles qui ne sont que des réminiscences ponctuelles et qui appartiennent réellement à l’érudition mythologique de notre poète. Très souvent le personnage évoque un héros pour motiver son action, pour en magnifier la valeur. Il se met ainsi à la hauteur d’un héros antique dont il doit imiter les prouesses. C’est en ce sens que le veneur compare les chasseurs à Orion, que le messager assimile le tir de Méléagre à ceux d’Apollon, qu’Atalante est évoquée comme une autre Pallas. La comparaison des oncles du roi aux barbares Lestrigons puis de Méléagre à Busire ne sont également qu’une incitation au crime d’abord pour le roi puis pour Altée. La détermination de la mère devient complète : telle Rhadamante elle a pris sa décision : son fils est coupable.

Les autres dieux sont évoqués simplement dans leur fonction et attribut. On retrouve Mercure, Morphée, Junon et Jupiter. De plus, les ravages de la bête sont figurés par les Lares détruites et les déplorations de Cérès et de Bacchus. Enfin, une dernière allusion mythologique est récurrente dans la pièce. Aux nombreuses évocations à ses douze travaux s’ajoute l’assimilation de Méléagre à un nouveau Hercule par la nourrice. L’importance de ce demi-dieu dans la dramaturgie de Hardy est d’autre part soulignée par sa présence sur le frontispice général du premier tome du Théâtre.

À cette érudition mythologique de notre auteur s’ajoutent les nombreuses images que développe Alexandre Hardy dans Méléagre. Nous nous attarderons particulièrement sur trois métaphores filées : l’image de la curée, celle de la navigation et enfin celle de l’accumulation de phénomènes climatiques ou naturels.

Sous l’influence de la passion, les personnages de Hardy recourent souvent à l’image de la curée. Dans Méléagre, elle n’est pas seulement une expression de la fureur des personnages mais elle appartient à la structure de la pièce. La métaphore est filée de scène en scène. Une première allusion à la curée est faite par le choeur de filles qui conseille à Atalante de ne pas se mesurer à un tel danger et qui se sert de cette image de la curée pour l’en dissuader.

Le sanglier que l’on donne en curée aux chiens à la fin de la chasse est la seconde manifestation de cette image que l’on trouve au cours du récit du messager :

Oculaire témoin au spectacle introduit,
J’ay veu le porc, fournir la meute de curée,
Onc chose ne sera, ne fut plus asseurée. (Acte III, 1)

Au quatrième acte, après avoir décidé d’aller reprendre le lot à Atalante, et d’user si nécessaire de la violence, Toxée reprend la même image : « Doncques s’adoucira du veneur qui le blesse, / Un lion, qui le va démembrer en la presse. »

Puis au même acte, c’est le chœur de filles, qui en expliquant au roi la rage de ses oncles, les compare à deux loups prêts à faire « un repas sanguinaire » de la brebis qu’est Atalante :

Deux loups une brebis tirasser pour l’avoir,
Preste à chaque moment de fournir butinée,
Un repas sanguinaire à leur rage effrenée. (v. 944-47)

Une telle description explique la fureur de Méléagre et contribue à l’accomplissement de son acte criminel. Au cinquième acte, Atalante est surprise, au sortir de sa nuit amoureuse par un songe qui lui montre Altée métamorphosée en tigresse, prête à dévorer :

Une grave matrône, en équipage tel,
Que la mere on dépeint du Monarque immortel,
A pris ce me sembloit (métamorphose énorme),
De tygresse en un clin l’épouventable force,
Son petit d’aventure au spectacle présent,
Dans une rouge flâme, & mortelle exposant,
Preste de m’engloutir, à l’heure qu’éveillée,
Palpitante de crainte, & de sueur moüillée,
Vos bras, mes doux liens, étroitement serrez,
Ont mes sens éperdus peu apres r’assurez. (v. 1139-48)

À cette métaphore filée de la curée, s’ajoute celle de la navigation.

Au début du premier acte, Aristandre se sert de l’image du pilote qui sur son navire combat l’orage. Par cette métaphore, Aristandre tient à pousser Méléagre à réagir contre la sanglier. Méléagre reprend cette même thématique quand il compare son peuple à des marins. Maintenant que tout le peuple se retrouve dans le même navire, l’entreprise est lancée. Une dernière image de la navigation se trouve dans le dernier monologue d’Altée à l’acte V. Altée prend l’image d’un marchand qui a été volé en mer et à qui on a restitué ses biens. Comme ce marchand volé puis repossédé de ses biens, tout est rentré dans l’ordre pour Altée. Comme le marchand, elle devient sereine, possédée par le sentiment d’avoir accompli son devoir et d’avoir récupéré quelque chose.

Enfin, Alexandre Hardy multiplie dans son texte les allusions aux phénomènes climatiques et naturels les plus divers. L’image du torrent qui détruit tout sur son passage n’est qu’une allusion aux dommages que provoque le sanglier. Thésée parle de la chasse comme d’un orage. Lincée assimile le tir d’Atalante à un éclair et celui de Méléagre à un tonnerre. À ces métaphores s’ajoute la comparaison des héros grecs à des soleils : ce sont des astres guerriers. De plus, la thématique de la foudre est omniprésente dans le texte. Le terme est masculin dans Méléagre et Furetière nous dit dans son dictionnaire que ce mot a un sens figuré dès lors qu’il est masculin.

Ainsi, dans Méléagre, la foudre est le symbole de la colère de Diane. Tout au long de la pièce, le sanglier qui ravage Calydon est métamorphosé en foudre. C’est ainsi que les dommages qu’il provoque sont comparés à ceux que créent le phénomène climatique. (v. 163). La description du sanglier est liée à cette thématique du feu : ses yeux deviennent des « tisons furieux » qui étincellent. Par cette richesse du vocabulaire, l’image de la foudre est filée de vers en vers. À deux reprises seulement, la métaphore de la foudre ne représente pas la fureur de l’animal mais l’envie profonde de Méléagre de se débarrasser du sanglier qui ravage sa province : il est pressé de le tuer à l’aide d’un arc qu’il compare à la foudre. Reprenant la même logique, le coup qui s’est abattu sur le sanglier et qui l’a tué est comparé à la foudre.

Par ces images, Alexandre Hardy nous révèle ses talents de poète.

Sur les caractères des personnages et leurs passions §

Le caractère des personnages de Hardy est plus ou moins développé en fonction de leur rôle et de leur utilité dans la pièce.

Méléagre remplit les conditions requises par Aristote lorsqu’il définit le héros tragique comme « un homme qui sans être incomparablement vertueux et juste, se retrouve dans le malheur non à cause de ses vices ou de sa méchanceté mais à cause de quelque erreur »57 Conformément aux exigences aristotéliciennes Méléagre est un personnage illustre, de haute naissance.

Pour Aristote, le personnage doit être bienséant, constant, ressemblant et excellent. Le personnage doit continuer à se conduire du début à la fin de la pièce de la même manière. Pour son héros, Alexandre Hardy suit le schéma aristotélicien. Méléagre est roi. Il use à de nombreuses reprises de générosité. Méléagre apparaît comme un roi sympathique au premier acte quand il supplie les Dieux de le frapper lui-même et d’épargner son malheureux pays. Un roi de tragédie peut avoir des passions. Cependant il ne doit avoir un comportement indigne à son caractère. Or, même si Méléagre est aveuglé quelques instants par la passion amoureuse et par la colère, il réagit tout au long de la pièce avec le caractère de roi. Il en a toutes les caractéristiques : Méléagre doit rendre la justice et il assimile le meurtre de ses oncles à un acte de justice. Nul n’a le droit de renier les décisions royales. Ainsi, comme dans le théâtre racinien, Méléagre n’est tout à fait coupable, ni tout à fait innocent. L’injuste malheur d’un héros parfait répugnerait au spectateur. À l’inverse le malheur d’un personnage abominable lui apparaîtrait comme un simple effet de justice. Il convient donc que le héros se situe entre ces deux extrêmes. En effet, Méléagre commet une faute sur le plan aristotélicien. Mais cette faute est presque idéale. La fable de Méléagre n’est autre que l’histoire d’un roi aveuglé par la colère face à des hommes qui se sont révoltés contre une décision juste et royale. Mais Méléagre est également coupable. Les liens de parenté qui l’unissent à ses victimes devraient faire naître en lui un dilemme auquel nous n’assistons pas. Ce sont donc les sentiments de Méléagre qui sont sources de l’acte de vengeance du roi. Méléagre est possédé par la passion amoureuse : quand ce sentiment s’empare d’un personnage de Hardy, il lui ôte toute sensibilité humaine. C’est pourquoi, par exemple, ce dernier amoureux d’Atalante peut passer dans la même scène et avec brusquerie de la tuerie à l’amour, auprès des cadavres de ses deux oncles. La jalousie entraîne la haine qui déforme tout même l’idée de l’amour.

Altée de la même manière agit en mère dénaturée : sa qualité de mère et de sœur en même temps devrait faire naître en elle un débat intérieur. Or elle n’hésite pas à sacrifier son fils et ne semble éprouver pas le moindre regret à le voir mourir.

Le personnage a un instant d’hésitation, un petit mouvement de cœur où affleure le sentiment maternel. La main d’Altée tremble au moment de mettre le tison au feu :

Quoy ma dextre tremblote, & fuit à l’aprocher,
Ce gage funereux qu’elle n’ose toucher,
Un venin de serpent infus à son essence,
Luy donne à mon avis telle occulte puissance,
Ou plutost quelque instinct reprime ta fureur,
Simple, t’ébranles-tu d’un scrupuleux erreur ? (v. 1111-1116).

Elle essaye très maladroitement d’en expliquer la raison : l’« instinct » comme elle appelle très primitivement cette force qui la fait hésiter semble avoir le dessus sur sa fureur, et ce n’est que par la vision de ses frères égorgés qu’elle réussit à sortir de cette impasse et à parcourir le dernier pas qui sépare la mère de la criminelle.

Ce qui fait du personnage d’Altée une mère profondément dénaturée c’est la joie avec laquelle elle apprend la mort de son fils (1183-1190).

En ce qui concerne le caractère du personnage d’Altée il est entièrement submergé par la passion. Altée devrait avoir le caractère d’une mère. Or, c’est une mère dénaturée qui n’est pas animée par le moindre remord. Elle n’est ni reine, puisqu’elle n’use pas de clémence quoiqu’elle rende la justice, et elle n’est ni mère. Ainsi, la mère est inhumaine dans un châtiment si barbare.

Quant à Plexipe et à Toxée, les deux oncles du roi, ils sont quelque peu indifférenciés et agissent souvent par paire. Quand l’un réagit, il entraîne inévitablement l’autre. En effet, en ce qui concerne la décision de reprendre la hure à Atalante et même au moment de leur propre mort, ils se concertent avant de prendre une décision. Lors de leur première apparition, ils se joignent à la chasse non par gloire mais par souci de participer à un événement auquel le sang les lie. Ils s’agrègent donc au groupe sans manifester d’héroïsme comme les autres chasseurs.

Comme Méléagre et Altée, ces deux personnages se rendent justice tous seuls. En effet, l’attribution du lot à Atalante les blesse dans leur amour propre. Ils sont vexés que le lot revienne à une femme et prétendent que si Méléagre ne veut pas de la hure de l’animal c’est à eux-mêmes qu’elle revient puisqu’ils sont ses plus proches parents parmi les chasseurs. Contrairement aux autres versions de Méléagre qu’ont mis en scène les contemporains de Hardy, où les oncles manifestaient leur désaccord par souci d’équité entre tous les chasseurs, Plexippe et Toxée sont chez notre poète de vrais jaloux. Ils sont fondamentalement méchants et jalousent un bien qu’ils ne méritent pas.

Les deux oncles ont manifesté leur désaccord lors de l’attribution du lot : le roi ne les écoute pas. Ce mécontentement exacerbé donne lieu à l’acte IV, 1. Ce dialogue entre les deux oncles révèle leurs personnalités profondes. Ils veulent reprendre la hure et au besoin user de violence tout en sachant que la colère du roi se dirigera contre eux dès lors qu’il apprendra leur action. C’est donc en toute connaissance de cause que les oncles vont ravir la hure à Atalante.

Ainsi, Plexipe et Toxée animés par la jalousie sont prêts à sacrifier Atalante que Méléagre aime. Méléagre animé par la passion amoureuse tue ses deux oncles et Altée animée par la vengeance et la colère tue son fils.

Deux rôles conventionnels sont cependant importants dans la pièce.

Le messager, qu’il s’agisse d’Idmon ou de celui qui vient conter le succès de la chasse, est un rouage essentiel de l’action. Il assure la communication, l’échange d’informations entre les personnages séparés, disjoint dans l’espace ou dans le temps pour une raison quelconque. Il raconte tout ce qui se passe hors de l’espace scénique, soit qu’il s’agisse d’immenses actions que l’on ne saurait représenter en tableau vivant : soit que l’on cache en coulisse des actes dont l’horreur ou l’impudeur sont proscrites de la scène. Le messager est donc le lien entre le dehors et le dedans, une fenêtre ouverte sur l’extérieur.

Quant à la nourrice elle est le double et l’ombre des personnages féminins. La nourrice ainsi que le chœur de filles ne sont que les voix de la raison et de la prudence. Aristandre le confident de Méléagre joue le même rôle.

Ainsi la pièce repose entièrement sur le jeu des passions : la passion amoureuse s’oppose d’abord à la jalousie puis au devoir d’un roi et enfin d’une soeur. Les passions telles que la jalousie, la vengeance et la colère sont donc largement représentées dans notre pièce.

Style et rhétorique §

Un style jugé « archaïque » §

La langue, le style et la versification de Hardy ont été vivement attaqués de son vivant. On les disait négligés, surannés et sans délicatesse. Dans sa thèse, Eugène Rigal ajoute : « Ce dramaturge est un fort mauvais écrivain » et renoue par-là avec une critique énoncée depuis les années 1620.

Cependant force est de constater que Hardy reconnaissait certaines faiblesses de son style. En effet, dans son avis au lecteur du troisième volume du Théâtre, notre poète déplorait la rapidité avec laquelle il était forcé de travailler et le grand nombre de ses productions qui lui déplaisait : « je voudroy que telle abondance defectueuse se pût restreindre dans les bornes de la perfection ».

Hardy n’ignorait pas les défauts de ses œuvres, ses préfaces le prouvent.

Mais si le style de Hardy a souvent été considéré comme archaïque, il semble plus judicieux de dire qu’il est vieilli. En effet, il suffira de jeter un coup d’œil au glossaire et aux notes qui accompagnent cette édition pour se rendre compte du nombre de termes vieillis dont Hardy continue encore à se servir ou des mots encore usités qu’il emploie avec des acceptions désormais archaïques. Tous les écrits dans lesquels Hardy défend son style poétique montrent qu’il se place comme un disciple de Ronsard. Dans la lignée de la Pléiade, il ponctue son texte d’allusions mythologiques. Au niveau du vocabulaire, il accumule les patronymiques : Alcide, Aegide, etc et multiplie les épithètes « monarque Aetolien », « Delienne », « Cinthienne », etc. Il accumule aussi les archaïsmes58 et les mots savants notamment en ce qui concerne la chasse et ne craint pas de donner à un mot son acception latine. Par ces moyens Hardy entendait continuer le projet entamé par la Pléiade d’enrichissement de la langue française qu’il considérait comme appauvrie par l’Ecole de Malherbe et ne fait que suivre Ronsard qui dans l’Abbrégé de l’art poétique affirme : « Tu ne dédaigneras pas les vieux mots François d’autant que je les estime tousjours en vigueur59. »

Au niveau de la syntaxe, Hardy affronte le même problème. Il publie trop tard. En effet, aux tournures permises par la grammaire très libre du XVIe siècle, Hardy ajoute celles d’un latiniste acharné : propositions infinitives, adjectifs mis pour des adverbes, participes employés de façon absolue. En même temps, l’auteur pratique des ellipses de toute sorte : y compris de l’article, du pronom sujet, d’un élément de la négation. Les appositions embarrassées, les périodes interminables rendent quelquefois son style singulier. La lecture de Méléagre est d’autre part rendue très difficile par une pratique presque systématique de l’inversion des mots. De plus, la mise en place de l’exposition, la décision d’entreprendre la chasse, et la présentation des personnages est complexe. Plus tard le style se simplifie. Toutes ces violences faites aux conventions syntaxiques du français ont sans doute contribué à la réputation d’obscurité qui a suivi pendant de longues années Hardy. La maladresse des imprimeurs de l’époque ajoute parfois aux difficultés du texte. Quelquefois nous restons devant de véritables énigmes.

Style poétique §

Cependant dans ses dédicaces, ses avis au lecteur et dans sa Berne c’est surtout son style poétique qu’Alexandre Hardy défendait avec insistance et véhémence même. En ce qui concerne la versification de Méléagre, toute la pièce est écrite en alexandrins, à rimes plates, avec alternance de rimes masculines et féminines, comme c’est l’usage. Hardy reste sourd aux réformes de Malherbe. Il lui arrive parfois de faire rimer des mots apparentés (v. 83-84 : humain et inhumain) et des homophones (v. 987-88 premier et premier). Il ne se prive pas non plus de quelques rimes banales ou faciles. L’hiatus se rencontre quelquefois.

Hardy était très fier de ses rimes. L’avis au lecteur du troisième tome le confirme. Cependant pour l’école de Malherbe elles avaient deux défauts graves. Tout d’abord Hardy ne tenait pas compte des réformes faites par Malherbe, et d’autre part ses rimes reposaient sur une prononciation qui dans bien des cas était archaïque. En effet, Malherbe affirme que la prononciation du « r » final était archaïque au XVIIe siècle alors qu’elle était encore d’usage au XVIe siècle. Alexandre Hardy reste sourd à cette règle et fait rimer « lâcher » et « cher » aux vers 655-56 de Méléagre. En ce qui concerne les rimes, d’après Malherbe, il fallait éviter de faire rimer ensembles les mots simples et les mots composés, les mots qui dérivent les uns des autres et ceux qui ont entre eux quelques convenances. Alexandre Hardy rapproche sans scrupule les mots apparentés. Les exemples sont nombreux, nous ne citerons simplement que quelques occurrences : droit et craindroit (v. 11-12), celle et pucelle (v. 13-14), passage et sage (v. 49-50), convie et vie (v. 221-22)…

Il fait également rimer les mots simples avec les composés v. 486-88 « bien-fait » et « fait » et ne se prive pas d’une rime approximative : piquer et appliquer (v. 355-56)

Au plan de la métrique, le talent de Hardy à faire des rimes a souvent été louée par ses contemporains : il ne nous déçoit pas dans Méléagre. Ses vers sont fiers et mâles, leur sonorité et leur coupe sont hardies. D’autres vers valent par des qualités poétiques très évidentes, par leur sonorité, par l’allitération ou l’image pittoresque : « (ce mal) Interdit le commerce, épouventez de sorte, / Qu’il n’y a contre luy forteresse assez forte. » (v. 65-66)

Les rimes de Hardy sont très riches ; en cela il suit les conseils de Ronsard qui dans l’Abbrégé de l’art poétique, exige que la rime repose sur deux syllabes, et au moins une syllabe lorsque la rime est masculine, et à la seule condition que cette rime soit résonnante et d’un son entier et parfait : v. 1031-32 « commencement » et « encensement » ; v. 1037-38 « Averne » et « Caverne »… Les quatrains sont de beaux morceaux de poésie, le rythme en est très harmonieux.

En accord avec les principes de la Pléiade Hardy emploie un style élevé, très imagé qui tend à mettre en valeur certains tropes et figures rhétoriques comme la métaphore.

La métaphore et la comparaison sont les manifestations principales de son style poétique. Hardy emploie les images de la chasse et de la navigation. En cela il suit Ronsard qui dans la Préface à la Franciade dit :

Tu n’oublieras les noms propres des outils de tous métiers, et prendras plaisir à t’en enquerre le plus que tu pourras et principalement de la chasse. Homère a tiré toutes ses plus belles comparaisons de là60.

Hardy développe le thème de la chasse tout au long du texte par un vocabulaire très spécialisé et très riche : limier, veneur, piqueur, hure, bauge, fort, erres, abois, quartanier, miré, tirasse, la mention des chiens découplés, vermeiller…

De même, les fréquents jeux d’échos et de répétitions de mots sont utilisés pour communiquer les préoccupations obsédantes des personnages. Ils se trouvent parfois justifiés par la gravité et l’urgence d’un argument ou d’une supplication. De plus, les jeux de mots appartiennent au goût baroque pour le divertissement verbal : « Oeuvre dont j’ayme mieux la gloire disperser, / Que de ne rien étraindre à force d’embrasser » (v. 183-84)

Méléagre montre ainsi sa détermination par le rapprochement de deux verbes aux sens très proches. La chasse du sanglier est imminente.

Ou encore : « Mon frère, que chacun destine là sa vie, / D’une gloire en la mort immortelle suivie » (v. 353-54)

Par cette alliance oxymorique Plexipe évoque l’idée qu’un grand événement fait de notre mort un symbole d’immortalité aux générations à venir.

D’autre part, l’allusion mythologique continuelle s’inscrit également dans une dynamique interne : il s’agit presque toujours de trouver aux épreuves, aux sentiments et aux choix des personnages, des équivalents divins ou héroïques qui en multiplie et en magnifie la valeur.

Les sentences §

Comme ses prédécesseurs, Alexandre Hardy atteste le goût du public et des auteurs pour les sentences. Quand ils publiaient leurs pièces, les dramaturges du XVIe siècle avaient soin d’attirer l’attention du lecteur sur les sentences qu’ils prisaient tellement. Ils faisaient donc précéder les vers sentencieux par des guillemets initiaux qui indexaient certains vers susceptibles d’être extraits du texte et retenus pour leur portée générale. Pour Alexandre Hardy, on ne saurait se fier totalement à ce signe pour identifier toutes les sentences. En effet, d’autres maximes de la pièce ne sont indiquées par aucun signe typographique. Comme Pierre de Laudun d’Aigailiers l’avait annoncé dans son Art Poëtique françois « Il faut qu’en la tragédie les sentences… soient fréquentes », Alexandre Hardy dans son avis au lecteur du cinquième tome du Théâtre évoque la nécessité de la présence de sentences dans l’oeuvre dramatique. Il recommande donc : « Un grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur, et résonnent jusqu’en l’âme du spectateur. »

On peut classer les sentences de Méléagre en cinq catégories : les rois, les grands sentiments, l’ambition, la place des petits par rapport aux grands et les considérations d’ordre général.

Les rois §

De l’empire des Roys, qu’il couronne et dépose. (v. 118)
Quiconque à ce sujet refuse le trépas,
Trahit le nom de Roy qu’il ne merite pas.

Méléagre justifie ainsi la valeur de ses actes par les devoirs qui incombent à un roi. Cette conception de l’héroïsme amène également à une réévaluation de la mort. Issue tragique par excellence, la mort est un acte de courage que le héros peut accepter en vue d’un bien supérieur.

Les grands sentiments §

La vertu :

La vertu paroist mieux quand sage on se contient,
Et qui dessous son joug la nature nous tient. (v. 275-76)
Sus amis, la vertu par tout se fait passage. (v.  449)

La gloire :

Qui survit à sa gloire, est indigne de vie,
Ou qui ne pouvant mieux ne la venge ravie. (v. 729-30)

Le pardon :

Onc vaincoeur genereux ne pardonne à demy,
Et apres le pardon ne hait son ennemy. (v. 1199-1200)

La sentence rejoint ici un but didactique. Elle a évidemment une valeur morale et contribue à enseigner les grands sentiments.

L’ambition §

Cloton mire plutost la personne coüarde,
Que celle qui sans crainte au péril se hazarde. (v. 269-70)
La vertu paroist mieux en une âme débile,
Quand elle vient à bout d’un exploit difficile. (v. 273-74)

Dans ces maximes, Atalante tend à prouver à ses compagnes son ambition : elle est très désireuse de ceindre son front du laurier de la victoire.

Les petits par rapport aux grands §

Les plus petits buissons par fois portent ombrage. (v. 397)
De son superieur on tolère l’injure,
Du moindre on ne la peut sensible digerer. (v. 774-75)
Un respect envers eux observe de plus dire. (v.  914)

Ces sentences font allusion à la politesse et à un certain sens de la hiérarchie. On respecte les personnes socialement supérieures. L’attribution du lot à Atalante est sentie comme une faute, une incivilité de l’inférieur au supérieur.

Les considérations générales §

Le sage sçait user d’un modéré compas,
Et jamais à l’envie il ne sème d’appas,
Jamais la vanité ne le force importune,
A prendre trop du vent de la bonne fortune. (v. 795-99)

Cette sentence est une preuve dans un discours qui se veut argumentatif. C’est en ces termes qu’Atalante veut prouver au choeur de filles qu’il n’est pas nécessaire de la mettre trop en valeur et qu’il serait plus sage d’être plus modeste.

À toutes ces sentences qui sont indiquées par des guillemets s’ajoutent celles qui ne sont indiquées par aucun signe typographique et qui valent pour des vérités générales : « Quiconque attend oisif l’assistance divine, / Ne la mérite pas amy de sa ruine. » (v. 41-42)

Ou encore : « une vierge ne doit chérir que le repos » (v. 272).

Établissement du texte : les différentes éditions de Méléagre §

Du vivant de Hardy sont parues trois éditions de Méléagre. On va les appeler A, B et C.

A est la première édition parisienne du Théâtre (tome I) de Jacques Quesnel publiée à Paris en 1624.

B est une édition pirate des frères Wormen parue à Francfort en 1625. Il s’agit d’une contrefaçon relativement soignée mais parue sans privilège.

C est la seconde édition parisienne du Théâtre (tome I) de Jacques Quesnel publiée à Paris en 1626.

À ces trois éditions, s’ajoute un autre exemplaire du premier tome du Théâtre de Hardy que nous allons appelé C’ (Arsenal, Rf : 6223). Nous lui donnons ce nom car deux opinions divergent quant à la manière de classer cette édition supplémentaire. Philip Ford dans son édition critique de Panthée considère que ce volume supplémentaire est une première impression de l’édition de 1626 qui garde les coquilles de la première édition c’est-à-dire de celle de 1624. Dans cet esprit, le volume que nous avons appelé C devient la seconde impression de l’édition de 1626. Cette dernière édition étant entachée de coquilles et de fautes diverses, et étant donné qu’au même moment Hardy s’est fâché avec Quesnel, Philip Ford estime qu’entre ces deux impressions de 1626, il y a eu une profonde volonté de l’éditeur de dénaturer le texte.

Mais après une comparaison des différents volumes du premier tome du Théâtre de Hardy, nous allons nous rallier à la seconde hypothèse qui a été émise sur ce volume C’, par Alan Howe61. En fait, il s’agit d’un exemplaire hybride qui est composé d’éléments des deux éditions parisiennes. En effet, les feuillets liminaires (le titre vignette, le faux titre qui précède toutes les pièces, l’argument de la tragédie de Méléagre et la liste des acteurs) sont ceux de l’édition de 1626 mais le reste du volume contient le texte de 1624. « C’ » est donc un exemplaire factice et supplémentaire du premier tome du Théâtre de Hardy.

Présentation du texte : description des volumes §

Volume A daté de 1624 §

XXXII [I frontispice qui représente dans sa partie supérieure une reine assise sur un trône et tenant d’une main un sceptre, de l’autre la trompette de la renommée ; aux deux côtés deux scènes de pastorales ; au-dessous une assemblée de spectateurs avec cette épigraphe : « Aux charmes de sa voix la grave Melpomoenes ! / De l’obscur tombeau les vertueux rameine. »

À la partie inférieure enfin, un guerrier et Hercule soutiennent un médaillon avec ce titre : le théâtre d’Alexandre Hardy parisien. Dédié à Monseigneur le Duc de Montmorency.

II blanc.

III LE / THEATRE / D’ALEXANDRE HARDY, P. / CONTENANT, / DIDON, se sacrifiant. / SCEDASE, où l’Hospitalité violée. / PANTHE’E. / MELEAGRE. / PROSCRIS, où la jalousie infortunée. / ALCESTE, où la fidelité. / ARIADNE Ravie. / ALPHE’E, pastorale nouvelle. / [ Marque gravée de Quesnel : deux colombes dans une cartouche surmontée d’un écu marqué Q entouré de la phrase « amorem gignit concordia »] / A PARIS, / chez JACQUES QUESNEL, ruë S. Jacques aux / Colombes, pres S. benoist. / [Trait] / M. DC. XXIIII. / Avec Privilege du Roy.

IV Blanc.

V-VII A / MONSEIGNEUR / DE MONTMORANCY. / DUC, PAIR, ET ADMIRAL / DE FRANCE.

VIII-X AU LECTEUR.

XI épigramme en grec.

XXII-XXI AD CLARISSIMUM, / DOCTISSIMUMQUE D. / ALEX. HARDY, / Regium Poëtam.

XXII-XXIII AU SIEUR HARDY.

XXIV-XXV A MONSIEUR HARDY / SUR SON THEATRE.

XXVI-XXVII A MONSIEUR HARDY / POETE DU ROY, / SUR SON THEATRE.

XXVIII AU SIEUR HARDY ; / SUR SON THEATRE / EPIGRAMME.

XXIX SUR LES TRAGEDIES / DE MONSIEUR HARDY./ STANCES.

XXX Extraict du Privilege du Roy.

XXXI ARGUMENT / de cette tragedie.62

XXXII LES ACTEURS.

P. 1-87 Didon se sacrifiant.

P. 85-150 Scédase, où l’hospitalité violée,

P. 151-207 Panthée.

P. 208 blanc

P. 209 pièce précédée d’un faux titre : MELEAGRE, / Tragedie. / PAR ALEXANDRE / Hardy, / Parisien.

P. 210-211 Argument / de ceste tragedie.

P. 212 LES ACTEURS.

P. 213-217 La pièce.

PARIS : Sorbonne (RRA 452 in 12°)

BNF (réserve YF 4461)

Arsenal (8° B.L. 12646 rés et RF 6223)

Volume B daté de 1625 §

X [I     LE THEATRE / D’ALEXANDRE / HARDI, PARISIEN. / CONTENANT, / DIDON, se sacrifiant. / SCEDASE, ou l’hospitalité violée / PANTHEE. / MELEAGRE. / PROSCRIS, ou la jalousie infortunée. / ALCESTE, ou la fidelité. / ARIADNE, Ravie. / ALPHEE, Pastorale nouvelle. / [Marque gravée de Herman et Kof Wormen : deux enfants et une couronne ] / A FRANCFORT, / Par HERMAN, & KOF WORMEN, / freres, nouvellement, associez. / M. DC. XXV.

II Blanc.

III-IV A/ MONSEIGNEUR/ DE MONTMORENCY./ DUC, PAIR, ET admiral de france.

V-VI AU LECTEUR.

VII-VIII AU SIEUR HARDI (poème de Théophile)

IX Argument de cette tragédie.

X les acteurs.]

P. 1-78 Didon se sacrifiant.

P. 79-133 Scédase

P. 133-181 Panthée.

P. 181-233 Méléagre.

PARIS : Arsenal (RF 6222)

Volume C daté de 1626 §

XXX [I frontispice.

II Blanc.

III     LE / THEATRE / D’ALEXANDRE HARDY, P. / CONTENANT / DIDON, se sacrifiant. / SCEDASE, où l’Hospitalité violée./ PANTHEE./ MELEAGRE. / PROSCRIS, où la jalousie infortunée./ ALCESTE, où la fidelité, / ARIADNE Ravie./ ALPHEE, Pastorale nouvelle. / vignette / A PARIS, / chez JACQUES QUESNEL, ruë S. Jacques aux / Colombes, pres S. benoist. / [ trait ] / M. DC. XXVI. / avec Privilege du Roy.

IV Blanc.

V-VII A / MONSEIGNEUR / DE MONTMORANCY. / DUC, PAIR, ET ADMIRAL DE FRANCE.

VIII-X AU LECTEUR.

XI épigramme en grec.

XII-XXI AD CLARISSIMUM, / DOCTISSIMUMQUE D. / ALEX. HARDY, / Regium Poëtam.

XXII-XXIII AU SIEUR HARDY.

XXIV-XXV A MONSIEUR HARDY / SUR SON THEATRE.

XXVI-XXVII A MONSIEUR HARDY / POETE DU ROY, / SUR SON THEATRE.

XXVIII AU SIEUR HARDY, / SUR SON THEATRE : / EPIGRAMME.

XXIX SUR LES TRAGEDIES / DE MONSIEUR HARDY./ STANCES.

XXX Extraict du Privilege du Roy.

XXXI ARGUMENT / de cette Tragedie.

XXXII LES ACTEURS.

P. 1-84 Didon, se sacrifiant.

P. 85-150 Scedase, où l’Hospitalité violée,

P. 151-207 Panthée

P. 208 Blanc

P. 209 Pièce précédée d’un faux titre. MELEAGRE, / Tragedie. / PAR ALEXANDRE / Hardy, / Parisien.

P. 210-211 ARGUMENT / DE CETTE TRAGEDIE.

P. 212 LES ACTEURS.

P. 213-271 La pièce.

PARIS : BNF (Réserve YF 2974)

Note sur la présente édition §

Le texte de cette édition reproduit celui de l’impression de 1624 comme il est d’usage et d’autant plus que l’édition princeps a peut-être comme le suggérait Rigal, un très léger avantage sur celle de 1626. En effet, c’est ce volume qu’ont connu la plupart des lecteurs contemporains de Hardy. Car à en juger par la rareté des exemplaires qui ont survécu de l’édition de 1626, le tirage en fut bien moins important que celui de l’originale. Nous reproduisons donc l’édition princeps avec les modifications suivantes :

– distinction entre i et j et entre u et v.

– résolution du tilde (pour n et m).

– ∫ devient s.

– ß devient ss.

– Addition ou élimination de signes diacritiques pour distinguer entre à et a, et entre ou et où.

Où devient ou : v. 25, v. 110, v. 133, v. 171, v. 243, v. 260, v. 307, v. 314,   v. 324, v. 357, v. 403 (deux reprises), v. 488, v. 530, v. 539, v. 547, v. 604,   v. 631, v. 642, v. 643, v. 671, v. 730, v. 747, v. 802, v. 950, v. 1115, v. 1149,     v. 1234.

À devient A v. 602.

– élimination de la barre qui sépare les actes du bandeau précédent l’Argument et le premier acte, de la lettrine ornée placée au début de l’argument et du premier vers de la pièce et des « réclames » et signatures figurant en bas des pages.

– correction de quelques coquilles évidentes en fonction des corrections apportées par les autres éditions. (voir plus loin)

L’orthographe des noms propres et des noms communs varie dans le texte. Nous avons respecté l’orthographe de l’édition originale y compris dans ses variations orthographiques.

Les variations entre les différentes éditions §

L’orthographe est libre au XVIIe siècle. On comprend donc ainsi les variations orthographiques d’une édition à l’autre. Les variations de ponctuation, d’accentuation sont fort nombreuses dans les trois éditions de notre texte ;

Dans l’édition pirate de 1625, les frères Wormen transforment le « é » en « es », le « y » devient « i », le « ï » devient « y », et ajoutent de nombreuses majuscules qui n’étaient pas présente dans le volume paru à Paris en 1624.

La seconde édition parisienne accumule les changements de ponctuation par rapport à l’édition princeps. Elle ajoute des tildes, la double consonne se simplifie, le « i » devient « y » et le tréma tend à disparaître.

Liste des coquilles de l’édition de 1624 que nous avons corrigées §

V. 83 employe

V. 120 ne

V. 455 autre, chef

V. 587 honnneur.

V. 695 l’apendras

V. 706 qu’el oppobre

V. 737 soffrons

V. 972 une autre cypris

Édition de 1625 §

Nous donnons ici les leçons manifestement erronées de l’édition de 1625 que nous n’avons pas retenues parmi les variantes.

V. 1 commonde

V. 47 recercher

V. 142 l’espérance

V. 156 carnacier

V. 201 moissonne

V. 287 laurir

V. 362 accquise

V. 429 du

V. 438 ou

V. 461 espanchons

V. 539 Où

V. 593 revoquer

V. 606 croiance

V. 682 boibles

V. 697 atttendüe

V. 761 commade

V. 804 elle

V. 940 vuertis

V. 1168 ou

V. 1244 encores

Édition de 1626 §

V. 40 à la raison

V. 125 l’usure

V. 130 sa fuite

V. 148 pût

V. 190 une ofre

V. 199 d’employer

V. 281 q’aux

V. 474 veillards

V. 489-492 réplique attribuée à Méléagre.

V. 587 honneurs

V. 662 ceve-crcoeur

V. 842 sifie

V. 886 sa bouche

V. 925 à

V. 1010 ta cruauté

V. 1071 éparnes

Nous avons cherché à donner un texte tel que Hardy l’avait souhaité, dans lequel : « Nulle transposition notable, nul sens perverty, et nulles obmissions d’importance ne demenbreront le corps de l’ouvrage. » (Au lecteur, du quatrième tome du Théâtre).

Nous espérons n’avoir pas été trop infidèle à son voeu.

MELEAGRE,
Tragedie. §

ARGUMENT de ceste Tragedie. §

DIANE offensée du mépris qu’Oenée,63 pere de Meleagre &Roy de Calydon, avoit fait de sa Deïté*, envoye un sanglier de monstrueuse grandeur, qui ravage tout le païs. Meleagre donc, ne pouvant, ne par vœux envers les immortels, ne par aucune humaine industrie*, chasser ce fleau de son pays, a recours aux Argonautes ses anciens compagnons d’armes,64 qui sous la conduite de Thesée, se resolvent à la conqueste du sanglier. Atalante cependant vierge des plus belles, & endurcie au travail de la chasse, se trouve à l’assemblée*, avec resolution de participer à la gloire de tel exploit, ils vont de compagnie forcer la beste jusqu’en son repaire, laquelle après une merveilleuse resistance, meurtres d’hommes, & de chiens, est atteinte du dard* d’Atalante en la hure*; Meleagre la seconde, donnant le coup mortel au sanglier. La chasse faite, le pris de vaillance* d’une commune voix s’adjuge, & se porte à la belle Atalante, ce qui conçoit une telle jalousie d’honneur aux oncles du Roy, qu’ils le luy vont arracher de vive force. La Vierge en fait sa plainte au Roy, qui sur le refus d’une promte restitution tüe ses oncles, épousant Atalante. Ce meurtre offense tellement Altée mere du Roy, qu’elle conspire la mort de son fils, & par le moyen du tison fatal,65 auquel estoit attaché le destin de la vie de Meleagre, effectuë sa mauvaise volonté, ce qui finit la Tragedie.

LES ACTEURS66. §

  • MELEAGRE.
  • ARISTANDRE.
  • CHŒUR DE PEUPLE.
  • TROUPE DE PAYSANS.
  • I VENEUR.
  • II VENEUR.
  • ATALANTE.
  • CHŒUR DE FILLES.
  • THESÉE
  • PIRITHOIS.
  • LYNCÉE.
  • PLEXIPPE.
  • TOXÉE.
  • IDMON.
  • ALTÉE.
  • NOURICE
  • CHŒUR.
  • MESSAGER.

ACTE I §

MELEAGRE, ARISTANDRE, CHŒUR DE PEUPLE, TROUPE DE PAYSANS, I VENEUR.

MELEAGRE.

Fille de Jupiter, Déesse trois fois grande,
Au Ciel, dans les forests, & où Pluton commande67,
Diane68, desormais fléchible*, pren69 pitié,
D’un peuple, pour son Roy trop long tems châtié.
5 Benigne* fay cesser ta vengeance effroyable, [p. 214]
Qu’exerce dessur* nous ce monstre impitoyable,
Ce sanglier70 qui remplit la province d’horreur,
Qui d’un monde englouty ne borne sa fureur.
Helas ! l’impieté du mépris de mon pere,
10 Tes honneurs oubliez alluma ta colere,
Les siens, & luy, punis de l’offense à bon droit,
Car qui plus autrement71 des mortels te craindroit ?
Poursuivre toutefois ne convient pas à celle,
Qu’oblige à la clemence un titre de pucelle,
15 Saturne des humains72 dissipe la rancœur,
Te peut la tienne donc demeurer sur le cœur ?
Mesme apres ne sçavoir offrande, ny victime,
Qui puisse plus laver l’énormité du crime,
Apres mainte hecatombe, outre* le sang humain,
20 Qu’épanche l’animal implacable de faim,
O vierge Latoïde, ô puissance premiere,
A qui nous devons tous la celeste lumiere73,
Retire ce fleau, qui tache funereux*,
D’un diffame* éternel mon regne malheureux !
25 Ou mon peuple affranchy, détourne sur ma teste,
Les suprêmes efforts de l’outrageuse* beste,
Repete sur moy seul, comme plus criminel,
Qui me vouë au païs le delit paternel74.

ARISTANDRE.

Plus le pilote expert voit s’accroître l’orage,
30 D’autant75 sçait-il mesler l’industrie* au courage,
Sa constance redouble, ainsy que le danger,
Et ne sçauroit la peur où chez lui se ranger! [p. 215]
Imitez-le grand Roy vostre vertu montrée,
En chose digne d’elle à propos rencontrée,
35 Sans doute qu’on devoit selon l’ordre tenu,
Tel malheur du courroux celeste provenu,
N’épargner aucuns76 vœux, sacrifice, priere,
Capable* d’amolir* la Dive* forestiere,
Remedes appliquez en leur propre saison,
40 Mais il faut que l’effet succede à l’oraison*;
Quiconque attend oisif l’assistance divine,
Ne la merite pas, amy de sa ruine,
Sire, il faut employer l’artifice*, & l’effort,
Qui desire exaucé, mettre le monstre à mort.

MELEAGRE.

45 Las ! Où77 la Deïté* nos malheurs favorise,
Toujours trop d’aliment nourit leur flâme éprise,
On a beau se deffendre, on a beau rechercher,
Dequoy pouvoir le flus d’un torrent empescher,
Qui dissipe, qui pert78, qui se trouve passage,
50 Parmy la prévoyance aveugle du plus sage !
Ainsy froisse* les dards*, les veneurs & les rets*,
Ce sanglier qui n’a plus son repaire aux forests,
Qui s’ose impunément jusqu’aux portes des villes,
Exiger un tribut sur leurs troupes serviles;
55 L’inévitable parque accompagne ses pas,
Mon Empire, & ma gloire envoyez au trépas,
Hé ! qui jamais eust creu les natures celestes,
Nourir si longuement des rancoeurs* si funestes ?
O déplorable Prince, ô trop inique sort, [p. 216]
60 Un peuple aporte icy ses plaintes de renfort.

CHŒUR DE PEUPLE79.

Pere comun des tiens80, Monarque magnanime,
Vueille81 faire cesser le mal qui les opprime,
Ce mal qui vagabond assiege nos citez,
Prive les habitans de leurs necessitez,
65 Interdit le commerce, épouventez82 de sorte,
Qu’il n’y a contre luy forteresse assez forte,
Que83 l’horreur de ce monstre empreinte au souvenir,
La province un desert rendroit* à l’avenir,
Chacun qui çà, qui là, minutant sa retraite,
70 84 il la juge en lieu de sauveté* distraite,
Or* dois-tu vray pasteur, ton troupeau secourir,
A l’extrême réduit, sur le point de mourir.

MELEAGRE.

Chetifs* ! l’affliction vous ôte la prudence,
Telle plainte vers moy coupable d’imprudence,
75 Qui85 l’Empire attaqué de voisins ennemis,
Où le juste combat d’homme, à homme, permis86,
Dés* long tems, dés* long tems, ma vie abandonée,
Eusse au bien du païs salutaire* donée,
Mon desir brûle apres ce dessein vertueux,
80 Que le cruel destin me rend infructueux :
Toutefois chers amis, la bonne conscience,
M’asseure que dans peu (munis de patience) [p. 217]
Un secours employé qui surpasse l’humain,
Joyeux vous brisera ce servage inhumain,
85 Et possible* premier* que le flambeau celeste87,
Mais ? quel spectacle encor nous arrive moleste*,
D’une troupe champestre effroyable de pleurs ?
Indice plus que vray témoignant ses malheurs.

TROUPE DE PAYSANS.

Plaise à ta Majesté88, ne souffrir davantage,
90 Qu’un fier* hôte infernal gâte son heritage,
Plusieurs* sans resistance, épars diversement,
Et de qui le travail est le seul pensement*,
Desesperez d’avoir toujours perte sur perte,
Sont contraints de quitter la province deserte,
95 Province que viendra la famine engloutir,
Où nul n’ose l’enclos de ses Lares sortir89,
Lares impunément violez à toute heure,
Du90 monstre carnacier qui fait que chacun pleure,
Qui vient les nouriçons aux meres arracher,
100 Mortes de ses regards lancez à l’approcher91.
Quiconque d’entre nous ose prendre les armes,
Ne faisant rien qu’acroistre, & la perte, & les larmes,
Si qu*’au lieu de l’espoir de la blonde Ceres,
Les steriles chardons herissent nos guerets*,
105 Bacchus sur les cotaux languit la teste basse,
Sans qu’aucun* le service* acoutumé luy face92 ; [p. 218]
Helas ! qui le pourroit ? l’image du trépas,
Presente, inseparable, unie à chaque pas93.
Ren nous donc, ô grand Roy, la franchise* premiere94,
110 Où te cherche qui plus habite un coemetiere,
Pareille extrémité dispense du devoir,
Au cas que ton secours n’avise d’y pourvoir.

MELEAGRE.

Relevez-vous enfans, d’espoir & de courage,
Un beau soleil plus gay, va luire apres l’orage,
115 Qui ce foudre95 pouvoit decoché retenir :
Qui des mortels parer aux coups de l’avenir ?
Nul certes, le destin maitre absolu, dispose,
De l’Empire des Roys, qu’il couronne, & dépose,
Sa justice expiant le crime paternel,
120 Me reserve un courrous de rancœur éternel ;
Desormais* elle a pris excessive l’usure96,
Ce feu meurt à present, faute de nouriture,
Autre dificulté plus grande ne me tient,
A qui du monstre occis* la victoire apartient,
125 Sinon joints d’arrester sa fuite vagabonde,
Chacun donc vigilant à l’envy me seconde,
Chacun des mariniers* le bel ordre suivant,
Patron me reconnoisse à ce grand coup de vent,
Sans murmure obeïsse97, & sans plus entreprendre,
130 Que ne veut notre oracle98, à peine de99 méprendre. [p. 219]

CHŒUR DE PEUPLE.

Quiconque à ce devoir impieux* contredit,
Soit du moteur suprême100, & des hommes maudit,
Quiconque, épargnera sa fortune, ou sa vie,
Puisse, l’ âme aux enfers criminelle ravie,
135 De memoire execrable à la posterité,
Recevoir un supplice éternel merité.

TROUPE DE PAYSANS.

Bien que notre industrie* à cultiver la terre,
L’usage n’ait apris des outils de la guerre,
Propres à conquerir ce brutal ennemy,
140 Nul pourtant ne voudroit paroitre homme à demy,
Nul, où la Majesté du Prince se hazarde*,
Montrer d’aucune peur l’aparence coüarde,
Plus digne ocasion* ne se peut onc* offrir,
Plus digne, où le trépas, volontaire souffrir101.

MELEAGRE.

145 Telle émulation* de vertu me contente :
Or* preparez ensemble à une brêve atente,
Chacun paisiblement se retire102 chez soy,
Nos veneurs de retour à propos j’apperçoy,
Qui possible* auront mieux la beste reconnuë,
150 Comme tout au labeur cede à la continuë*,
Et bien ? quelle nouvelle ? avons-nous découvert,
Un chemin desormais à la victoire ouvert ? [p. 220]

I VENEUR.

L’ animal effroyable en son espece énorme,
Surpasse des sangliers la nature, & la forme,
155 Qui ne sçauroit de l’œil estre assez admiré,
Haut, quartanier*, & plus, oüy bien plus que miré103,
Sa hure* une forest ombrageuse ressemble104,
N’estant à son mouvoir si brave* qui105 ne tremble,
Dessous chaque paupiere un tison furieux,
160 Toujours étincelant luy compose les yeux,
Quelque chesne vieillard qu’imprime sa deffence106,
S’ensuit comme du foudre une mortelle offence,
Nous-mêmes l’avons veu par maniere d’ébat*,
Dechirer un lion aggresseur107 du combat,
165 Son soufle, bruit plus fort qu’une forte tourmente,
Et jadis le pareil es* forests d’ Erymanthe ;
Sous Alcide broncha ce demy-dieu vaincoeur,
Que le Tonant fournit de forces, & de cœur*108.

MELEAGRE.

Préoccupez d’effroy, ce rapport peu fidelle,
170 Ne touche au principal du soin* qui me martelle,
Sur les bauges* instruits*, ou sur l’endroit celant*,
(Repaire accoutumé)109 l’animal violent,
Nul n’ignore que là gist* le nœu de l’affaire,
Qu’il faut voir l’ennemy, premier que* le défaire*.

II. VENEUR.

175 Hors du cours naturel, conçeu prodigieux*,
Chaque action chez lui nous ébloüit les yeux,
Aucuns110 secrets appris du métier de la chasse, [p. 221]
Non quand un Orion111 tiendroit la même place,
Ne le reconnoitroit qui vague* sans égard,
180 Et giste, où sa fureur s’adonne de hazard*.

MELEAGRE.

L’œuvre112 laborieux ma presence demande,
Bel œuvre qu’à un Roy la pieté commande,
Œuvre dont j’ayme mieux la gloire disperser*,
Que de ne rien étraindre à force d’embrasser :
185 Aristandre, va donc exercer ta faconde*,
Chez la fleur des vaillants qui decore le monde,
De ces preux Myniens113, qui la riche toison,
Conquirent avec moy au Thessale Jason :
Accepte Ambassadeur un offre114 magnanime,
190 D’affranchir le païs du fleau qui l’opprime,
Accepte necessaire115 un secours étranger,
A qui ma main premiere écarte le danger,
A qui l’extrémité communique ma gloire,
Honteux qu’une si basse, & brutale victoire,
195 Profane la valeur des fils de Jupiter,
Mais le destin nous veut jusques-là mal-traiter.

ARISTANDRE

Un prince vertueux n’obscurcit sa loüange,
116 la necessité à ce party le range,
D’employer les amis capables reconnus,
200 Et ne luy en sont pas ses peuples moins tenus117,
Qui moissonnent* le fruit d’une volonté bonne,
Qui le voyent premier*118 aux effets en personne ;
Ainsy le bon pasteur contraint reclamera, [p. 222]
La troupe des voisins qui promte s’armera,
205 Et du loup119 combatu la gloire luy demeure,
Bien qu’accablé parmy la multitude il meure :
Sire, pareil honneur ce bel exploit attend,
Or* vay-je du devoir enchargé* m’aquitant120.

MELEAGRE.

Afin que l’entreprise heureuse121 nous succede,
210 J’entends qu’un sacrifice à Diane précede,
Seule propiciable* entre les immortels,
Que mainte pure hostie* arrouse ses autels :
Sans desister*, avant qu’es* entrailles on lise,
Un signe favorable à la chasse entreprise :
215 Vous autres derechef*, & promts, & vigilans,
Ce foudre découvert, à ses pas violens,
Toute difficulté, toute demeure ôtée,
Ne faudrez122 de donner l’adresse souhaitée,
Quiconque plus expert fera mieux son devoir123,
220 Un salaire Royal certain de recevoir.
[p. 223]

ACTE II. §

ATALANTE, CHŒUR DE FILLES, THESÉE,MELEAGRE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE.

SCENE I. §

ATALANTE, CHŒUR DE FILLES.

ATALANTE.

Compagnes, n’estimez qu’où la gloire convie,
Je refuse jamais de prodiguer ma vie,
Atalante chez elle124 a pris son élément125,
Si bien qu’on ne l’en peut separer nullement,
225 L’aiguille, & le fuseau*, feminins exercices,
Où comme d’autres font courtiser les delices,
Non, certes, notre humeur n’y sçauroit consentir,
Oisive ne sçauroit ces Sereines sentir126,
Sous ne sçay quel aspect genereusement née,
230 Depuis l’âge plus tendre127 à la chasse adonée,
Que Diane endurcit aux robustes ébats,
Qui par fois les lions affrontez mettent bas128,
Qui m’obtiennent apres la Déesse un Empire, [p. 224]
Des hostes bocagers, seul bon-heur où j’aspire.
235 Quelle apparence* donc, un brave los* aquis,
De ne prétendre pas à ce laurier exquis ?
Laurier que ne dispute129 une ignoble commune130,
Mais la fleur des guerriers, qui fut malgré Neptune,
Jusqu’aux bords Phasiens conquerir la toison :
240 Resoluë, ma gloire est ma seule raison,
Qui ne treuveroit131 onc* objet plus digne d’elle,
Qui vous veut consacrer un vertueux modelle,
Ou sucombant au faix132, n’importe, mon trépas,
Sans honneurs immortels ne demeurera pas.

CHŒUR DE FILLES.

245 Merveille de nos jours, que l’univers adore,
Phoenix* que la vertu ne sçauroit plus éclore,
Reprime ce desir tes forces excédant,
N’obscurcy la clairté du renom précédent.
Temeraire tenter l’impossible n’apporte,
250 Qu’un honteux repentir au dessein qui avorte,
Consulte ta prudence, ô Vierge derechef*,
Premier* que d’encourir le suprême méchef*,
Ce monstre qui les cœurs plus genereux133 effroye,
A qui tout un païs tantost demeure en proye,
255 T’engloutiroit, ainsy que le lion cruel,
Quelque biche legere opposée en duel134.

ATALANTE.

La grandeur du peril m’augmente le courage, [p. 225]
Qui135 souvent les sangliers à l’ecumeuse* rage,
Transperce roides morts sur l’herbage étendus,
260 Peu, ou point, de mes dards* inutiles136 perdus,
Un populaire bruit le figure indomtable,
Sujet qui me le rend beaucoup moins redoutable,
Car ce fangeux amas s’epouvente d’un rien,
De ma part incredule à l’epreuve je vien.

CHŒUR.

265 Helas ! mille ont passé l’irrepassable* fleuve137,
Qui trop avantureux firent la même épreuve,
Qui vous servent d’exemple, & deussent empécher,
De perdre ce qu’on tient au monde le plus cher.

ATALANTE.

Cloton138 mire* plutost la personne coüarde,
270 Que celle qui sans crainte au peril se hazarde*.

CHŒUR.

Au soldat furieux conviennent ces propos,
Une Vierge ne doit cherir que le repos.

ATALANTE.

La vertu paroist mieux en une âme debile*,
Quand elle vient à bout d’un exploit difficile.

CHŒUR.

275 La vertu paroist mieux quand sage on se contient,
Et que dessous son joug la nature nous tient.

ATALANTE.

Erreur de l’estimer maratre, qui deffende139, [p. 226]
A nous autres l’effet d’une entreprise grande.

CHŒUR.

Qui croira que jamais l’amoureuse Cypris,
280 Ait le metier de Mars homicide entrepris140 ?

ATALANTE.

Qu’aux simples animaux ma guerre ne s’adresse,
Où peu d’autres possible* égalent mon adresse.

CHŒUR.

Mais icy le danger surmonte le plaisir,
Que legitime141 on doit à la chasse choisir.

ATALANTE.

285 Ce bras l’écartera, Diane reclamée,
Propice*Deïté* qui m’a toujours aymée,
Qui me ramenera le front ceint de laurier,
Adieu, l’heure m’apelle à cet ébat guerrier.

CHŒUR.

O vaine ambition, pernicieuse* audace,
290 Qui herisse mon chef*, & les veines me glace,
En la perdant, mes sœurs, notre chaste troupeau,
Pert ce qu’il eut jadis d’admirable, & de beau,
Pareilles desormais* au rosier qu’on méprise,
Sa plus vermeille fleur du Scyrien142 surprise.
295 Demeure opiniâtre*, & ne te vueille pas,
De loüange affamée apporter le trépas :
Sourde, un tan*143 genereux la semble forcenée,
Pousser bon-gré, mal-gré, devers* sa destinée,
Si que* ne pouvant plus autre chose de mieux144, [p. 227]
300 Que le zele dans l’âme, & les larmes aux yeux ;
Implorer ta grandeur, ô claire Cinthienne145,
Qu’ores* de* son salut quelque soucy te tienne,
Conserve-là, Déesse, & franche* de méchef*,
Nos saints vœux exaucez luy couronne le chef*.

SCENE II. §

THESÉE, MELEAGRE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, ATALANTE, VENEUR.

THESÉE.

305 Venus à ton secours, juge si telle bande146,
Peut le monstre deffait* accomplir ta demande,
Juge si chez Neptune, ou chez le Roy des morts147,
Aucun* se treuveroit digne de ses efforts,
L’univers me connoist148 leur fleau redoutable,
310 Pourquoy donc employer que ma dextre indomtable149 ?
Thésée combatant, reposez-vous amis,
Fussent les infernaux, & les Cieux ennemis,
Ma dextre se promet une victoire entiere,
Ou je perdray vaincu l’honneur, & la lumiere,
315 Les perdre en un exploit qui peu laborieux150, [p. 228]
Semble notre pouvoir bleçer injurieux*.

MELEAGRE.

A mon grand deshoneur la rancune celeste,
Paroist en ce seul point plus inique, & moleste*,
M’afflige malheureux davantage, reduit,
320 A me tenir vaincu de l’ennemy qui fuit,
M’ implorer du secours sans moyen, sans espace,
D’opposer son courage à ce foudre qui passe151 :
Autrement Jupiter, tu me seras témoin,
Que jà* vaincoeur, ou mort les armes dans le poin,
325 La pointe du peril emporteroit éleuë,
Ma premiere loüange aux neveux152 impoluë* :
Quiconque à ce sujet refuse le trépas,
Trahit le nom de Roy qu’il ne mérite pas.

PIRITHOIS.

Monarque Ætolien153 ta valeur indomtée,
330 Au suprême degré de la gloire montée,
Ne se peut revoquer* en doute nullement,
Chez ceux que même aspect influë* également,
Chez ceux que tu as eus compagnons de fortune,
Quand la premiere nef* triompha de Neptune,
335 Nous sçavons que la peur de ta presence fuit,
Qu’un brutal adversaire en trahison te nuit ;
Or* me feray-je fort sa retraite conneuë,
De luy clôre les yeux d’une éternelle nuë,
Ton labeur épargné brave Cecropien154,
340 Le chef d’œuvre second du pere olimpien155,
[p. 229]

LINCÉE.

Pourveu que seurement conduit dessur* ses erres*,
L’épaisseur des forests, ne* distance de terres,
Ne* ruse, que sçauroit l’animal employer,
Mon œil qui perce tout ne sçauroit fourvoyer*156.
345 Découvert une fois, au peril de la teste,
Lincée ose plêger* certaine sa conqueste,
Du plutost que miré, que receu pour objet,
Diane l’abandone à la parque sujet.

PLEXIPE.

Entre ces clairs soleils de vaillance* guerriere,
350 L’honneur ne nous permet de demeurer derrière,
Unis à la couronne, à qui le même sang,
Peut selon l’ordre un jour donner le même rang :
Mon frère, que chacun destine là sa vie,
D’une gloire en la mort immortelle157 suivie.

TOXÉE.

355 Le cheval genereux en la plaine piquer,
Est sa peine, dit-on, superfluë appliquer158,
Ainsy, n’ay-je besoin, qu’exemple ou que langage,
Autre que le devoir à ce combat m’engage ;
Heureux si le païs épreuve mon amour,
360 Que qui159 me le donna me répete le jour.

THESÉE.

Telle émulation* de bien faire, m’asseure,
Comme aquise dé-ja nôtre victoire seure,
Que n’executeroit en sa guerriere ardeur,
Une troupe qui n’est que gloire, & que candeur ?
365 Reste à ne la laisser oisive davantage, [p. 230]
Sçavoir user du tems est un grand avantage.

MELEAGRE.

Les veneurs atendus, qui sur certain raport,
Découvrent du sanglier le plus habile abord,
Qui guident l’assemblée aux bauges* reconnuës,
370 Les relais disposez dessur* les avenuës160,
Chacun avisera de se mettre en devoir ;
Mais, quelle Deïté* maintenant nous vient voir,
La trousse* sur le flanc, à Diane pareille ?
Ce poil* d’or crépulu*, cette face* vermeille,
375 Figurent Atalante, hé ! qui t’amene icy,
Beauté l’honneur du monde, & des Cieux le soucy ?

ATALANTE.

Sur ce qui se passoit nagueres avertie,
Un desir glorieux me fait de la partie,
Preste à montrer que161 m’a l’experience apris,
380 Et que Vierge, parmy tant d’hommes de grand pris,
Atalante, chez eux merite quelque place,
Qui d’un sexe craintif l’ordinaire surpasse,
Qui conjoint le courage à la dexterité,
Posons que ce luy162 fût au pis temerité,
385 Sire, l’affection qui pure vous la donne,
Ne se peut, ny se doit, dédaigner de personne.

MELEAGRE.

Non, certes ton secours amene dans ces yeux,
Le vaincoeur enchainé du Monarque des Cieux163,
Amene de renfort les amours & les graces,
390 Avec leur moindre effort le monstre tu terraces, [p. 231]
Tu charmes sa manie*, & ne faut164 autre dard*,
Autre chasse, autre rets*, qu’un amoureux regard.

ATALANTE.

Ce bras décochera165, non l’œil, chose solide,
Capable d’arrester sa fureur homicide*.

THESÉE.

395 Tu me presteras donc asseuré* le couvert,
En cas que le peril menace trop ouvert166.

ATALANTE.

Les plus petits buissons par fois portent ombrage,
Tel se moque, qui peut s’aider de mon courage.

PIRITHOIS.

Vaincre les cœurs humains suffit à ta beauté,
400 Ailleurs* à mon avis nouvelle en cruauté.

ATALANTE.

Une chaste Déesse imitable modelle,
M’aprent la cruauté, je ne la tiens que d’elle.

LINCÉE.

Poursuivre le chevreüil, ou la biche, ou le daim167,
Sont ébats* familiers que demande ta main,
405 Non l’extrême peril de la chasse presente,
Où la dextre plus forte à peine est suffisante.

ATALANTE.

Ma foiblesse, par fois ne laisse sans secours,
D’abatre à coups de traits les lions, & les ours,
Plus ostinée alors, plus ardente* de gloire,
410 Où l’enorme danger balance la victoire. [p. 232]

MELEAGRE.

Ne vous émerveillez, son courage dément
Ce beau teint délicat, doux, & fatal aymant,
Incapable de crainte, à la chasse nourrie,
Elle s’est jusques-là genereuse aguerrie,
415 Qu’autre Veneur jamais n’a plus de gloire aquis,
N’a plus dans les forests de dépoüilles conquis.

THESÉE.

Vien donc à la bonne heure Amazone accomplie,
Et ne t’éloigne pas de moy je te supplie,
Qui seray ton bouclier, ton appuy, ton rempart,
420 Qui fourniray la force où tu presteras l’art.

ATALANTE.

Me devore le monstre, avant que telle honte,
A l’honneur entamé d’Atalante s’affronte,
Paravant* que de crainte elle recule un pas168,
La puisse prévenir le plus âpre trépas.

MELEAGRE.

425 Regarde* neantmoins à ne priver nature,
Du Phoenix* qui s’éteint dedans ta sepulture,
Ne laisse de beautez orphelin l’univers,
Amour verroit adonc* son Empire à l’envers,
Ta perte me tient lieu de la perte d’un monde,
430 Fay donc que le courage à la force réponde,
Ne prodigue ta vie, ou vueille desister*169,
J’apperçoy nos veneurs, il n’y a que douter170,
Quelle nouvelle enfants ? une derniere queste,
Nous peut-elle montrer les erres* de la beste ? [p. 233]

VENEUR171.

435 Sire, graces aux Dieux, ma vigilance a fait,
Qu’on tire du repaire un indice parfait,
D’embuscade caché dedans l’épais fueillage,
D’un vieil chesne au bois même, où172 l’ennemy saccage,
Devers* le point du jour sorty pour vermeiller173,
440 Bien deux arpens de terre on luy a veu foüiller,
De là courir brigand les campagnes voisines,
Sur hommes, & troupeaux, exercer ses rapines,
Puis le soleil jà* haut, superbe revenir,
Au creux d’une spelonque* affreuse se tenir,
445 Mille buissons autour en deffendent l’aproche,
Sa profondeur étrange occupe une grand roche174,
Toutefois on pourra le forcer là dedans,
A coups d’épieux175, de dards*, avec flambeaux ardens.

THESÉE.

Sus* amis, la vertu par tout se fait passage,
450 Chacun176 paroisse icy temerairement sage,
Se haste lentement, & ne prenne le soin*,
Que de suivre conduit mon exemple au besoin.

MELEAGRE.

Conjoint à ta valeur, divine, inseparable,
Octroyez-moy, bons Dieux, ce destin favorable,
455 Que victime receuë,autre chef* que le mien,
Ne rende à ce païs le bon-heur ancien,
Faites que mon trépas luy rachete la vie, [p. 234]
Une sainte justice à cela vous convie :
Or* allons sur les lieux du combat disposer,
460 Et nos hommes selon l’occurrence poser.

ACTE III. §

CHŒUR DE PEUPLE, MESSAGER, MELEAGRE, THESÉE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPPE, TOXÉE, IDMON.

SCENE I. §

CHŒUR, MESSAGER,

CHŒUR DE PEUPLE.

ESPANCHONS* à ce coup, le sein moüillé de larmes177,
Les genous contre terre, & l’âme dans les Cieux,
Une priere, afin de revoir nos gendarmes,
Ce fier* monstre vaincu, le laurier sur les yeux.
465 Car, helas ! autrement sa brutale manie*,
Nous chasse vagabons hors du natal sejour,
Et faut bon-gré, mal-gré, fuir telle tyrannie,
Qui se veut conserver la lumiere du jour.
Deux grands peuples détruits, sans ordre, sans conduite,
470 Iront par l’univers à la mercy du sort, [p. 235]
Epreuver les travaux d’une éternelle fuite,
Et mourir mille fois en redoutant la mort.
Hélas ! hé ! le moyen, que ces âmes chétives ?
Qu’un peuple de vieillards, de femmes, & d’enfans,
475 Passassent pesle-mesle, aux étrangeres rives,
Et pour les prolonger n’acourcissent leurs ans ?
Détourne ce méchef* Déesse, qui présides,
Au Ciel, dans les forests, & au Royaume vain178,
Termine en ton courous ces fureurs homicides*,
480 La victoire emportée est un coup de ta main.
Si tu le fais, ô claire, ô belle Delienne179,
Une pure Hecatombe offerte à tes autels,
Ne doute que chez nous ta Deïté* n’obtienne,
Une premiere gloire entre les immortels.
485 De riches jeux de prix, celebrez chaque année,
Jusqu’à la fin du monde honorent ce bien-fait,
Mais quelqu’un survenu sçait notre destinée,
Bonne ou mauvaise, ainsy que la chasse aura fait.
[p. 236]

MESSAGER.180

Citoyens, qu’on éleve un long io* de joye,
490 Le monstrueux sanglier demeure notre proye,
Une brave pucelle, & la valeur du Roy,
Remettent l’asseurance* où habitoit l’effroy.

CHŒUR.

Qu’aujourd’huy le païs affranchy du servage,
On ne redoute plus son impiteux* ravage ?
495 Possible*, flates-tu nos malheurs d’un faux bruit,

MESSAGER.

Oculaire témoin au spectacle introduit,
J’ay veu le porc, fournir la meute de curée,
Onc* chose ne sera, ne fut plus asseurée.181

CHŒUR.

O Déesse, l’honneur des nocturnes flambeaux,
500 Qui182 compasses* nos mois183, qui moderes les eaux,
Tu as oüy les cris d’une troupe innocente,
Tu veux que ton secours à present elle sente,
On te doit la victoire, on te doit desormais,
Unique tutelaire* invoquer à jamais :
505 Or* telle histoire amy, t’oblige commencée,
Au discours poursuivy de la chasse passée.

MESSAGER.

Le repaire du monstre horrible184 découvert,
Precipice semblable à quelque gouffre ouvert,
Cette fleur de guerriers demy-Dieux l’environe,
510 Et la place à chacun de combatre se done,
Puis les chiens découplez185 un bruit monte à la fois,
De piqueurs*, de chevaux, d’armeures, & d’abois* ;
Le Ciel en retentit, la terre épouventée,
Croit Atlas186 succomber sous sa charge eclatée,
515 L’indomtable Ægeide187, & notre Roy premiers,
Sur l’indice certain que donnent les limiers188,
Entrent à corps perdu dans la grotte profonde ;
Une troupe de pres leur courage seconde,
A force de flambeaux on fend l’obscurité, [p. 237]
520 Pour tirer au combat l’animal irrité,
Qui s’élance dehors plus leger que le foudre,
Hommes, & chiens, ensemble aterre sur la poudre*189,
Si que* les plus hardis commencent à blémir,
Qui luy voyent le feu de la gueule vômir190,
525 Que191 sa peau, qui des dards* ne redoute l’injure,
Inutiles receus les émousse plus dure192 :
Sorty, l’enceinte acroist sa rage tellement,
Que peu l’osent en front* regarder seulement,
Meleagre qu’époint* cette Royale envie
530 D’affranchir ses sujets, ou de perdre la vie,
Rejoint le porc fumeux*, r’encourage les siens,
Commande à point nommé qu’on relaie les chiens,
Il encoche* sur l’arc une fléche pointuë,
Atalante d’ailleurs* hâtive s’évertuë,
535 En faveur* d’un gros orme atend ferme venir
L’homicide*, qui veut son garot prévenir,
Dans la hure* assené*, tout le test* en resonne,
L’animal jusqu’alors indomtable s’étonne*.

CHŒUR.

Tu t’es tantost mépris ou te méprens, je croy,
540 Qui disoit ce chef-d’œuvre apartenir au Roy.

MESSAGER.

Patience, à l’instant luy-même un coup desserre*,
Qui l’ébranlé Colosse entraine contre terre,
Coup, que ne pouvoit mieux Apollon décocher,
La fleche dans le cœur venant droit se ficher :
545 La cheute fait un bruit, comparable à la mine*,
Qui193 l’orgueil d’une tour précipite en ruine, [p. 238]
Ou comme quand le foudre apaise son courous,
Sur un haut chesne ateint, la gloire de ses coups.
Imaginez qu’adonc* la neige plus menuë,
550 Sur les monts Apennins194 ne tombe de la nuë,
Qu’une gresle de dards* l’envelope couvert,
Mort, son gosier demeure encor de rage ouvert,
Nos chiens intimidez semblent craindre son ombre,
Et n’osent l’aprocher, quoy qu’infinis de nombre;
555 Que tel heureux raport vous satisface amis,
Sejourner davantage icy ne m’est permis,
Qui195 m’en vay faire ouvrir le palais, & les temples;
Où ce jour produira témoignages plus amples,
D’une joye acomplie, & d’une liberté,
560 Que revoit le païs tel nuage écarté.

CHŒUR.

Suivons, suivons ses pas, & qu’à foules publiques
On pousse dans le Ciel mille pieux Cantiques,
Mille actions de grace, à redire en l’honneur,
Des organes196 choisis qui causent ce bonheur.
565 Preux Monarque, aujourd’huy la vertu te courone,
Sa dextre197 d’un laurier tes temples environe,
Tu t’aquiers aujourd’huy l’empire de nos cœurs,
Et l’oubly ne peut plus sur tes gestes vaincoeurs,
Ny sur les tiens aussi, belle vierge guerriere,
570 Qui de notre soleil précedes la lumiere, [p. 239]
Et qui meriterois sa pudique moitié,
L’étreindre sous un nœu de jugale* amitié,
Afin que quelque jour Lucine reclamée198,
Perpetuast chez nous une suite germée
575 De Princes valeureux, qui de leurs devanciers,
Fussent au sçeptre autant qu’en vertus heritiers.

SCENE II. §

MELEAGRE, THESÉE, PIRITHOIS, LINCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, IDMON.

MELEAGRE.

Apres ce haut exploit, Martiale assemblée,
Qu’un doux calme a rassis ma Province troublée,
Qu’au prix de vos labeurs le monstre gist* éteint,
580 Qu’à la perfection de ses vœux on atteint,
L’allegresse à son tour veut regner successive,
Veut que de sa moisson la vertu ne se prive,
Thesée à ce sujet, comme l’astre brillant,
Capable* de guider un troupeau si vaillant,
585 Ordone souverain, disperse* à la victoire,
Ce que tu sçais chacun meriter en sa gloire :
Le premier en honneur, nomme, designe apres, [p. 240]
Ceux que tu jugeras te suivre de plus pres ;
Pareille oeconomie* entre tes mains remise,
590 Tu t’obtiens dessur* tous toute chose permise,
Ma courone, mes biens, salaire destinez,
199 rémunerateur tu les auras donez.

THESÉE.

Révoquer* du Soleil en doute la lumiere,
Et à qui de l’ébat* la loüange premiere200,
595 Ne sont que chose même, autre201 certes que toy,
N’emporte de vaincoeur le titre, ny de Roy ;
Ton courage épreuvé te merite l’Empire,
Que si quelqu’un de suite au second pris aspire,
La belle chasseresse, un prodige à mes yeux,
600 Elêve son renom plus outre que les Cieux ;
Ne l’admireroit-on, d’adresse, & de courage ?
Qui premiere au peril tant qu’a duré l’orage,
Reprima du sanglier la brutale fureur,
Car ce coup ne sent rien d’imprudence, ou d’erreur,
605 Tel coup incomparable, & heureux, me fait honte,
Tel coup jaçoit* que veu, ma creance surmonte202,
Desormais* le lion craindra le cerf peureux,
Puisqu’une fille exploite un fait si valeureux.

MELEAGRE.

Fait qui ravit mon âme en merveille profonde,
610 Et qui l’offenceroit d’une gloire seconde203,
Fait bien consideré qui surpasse l’humain,
Non, Diane a voulu se servir de sa main,
Si que* ne luy ceder la primauté j’estime,
Commettre irremissible un sacrilege crime : [p. 241]
615 Mon suffrage de gré luy transporte ce droit,
Qu’aucun à son merite envier ne voudroit,
Joint* que fort peu d’honneur couronne l’entreprise204,
205 qu’il n’est question que d’une beste prise,
Sujet indigne à ceux qui dessous le Dieu Mars,
620 Foulent mille lauriers plus beaux en mille parts.

PIRITHOIS.

La vertu ses effets n’exerce moins entiere,
Dessur* l’une jamais que sur l’autre matiere,
Où la difficulté se compare au danger,
Qu’un monde ne pouvoit en armes étranger,
625 Où l’extrême valeur témoigne le courage,
Où d’un énorme monstre on étoufe la rage,
Sans doute le renom s’égale glorieux,
A celuy qui d’ailleurs s’aquiert victorieux,
Ainsy l’Hydre aux marests Lerneans étoufée,
630 Alcide ne s’impute à un moindre trophée206,
Que le Libique Anthée, ou Gerion défaits*207,
Ainsy tort, grand Monarque à ta gloire tu fais.

MELEAGRE.

La chose plus que moy regarde une Atalante,
En tout ce qui se peut desirer excellente,
635 Sa victoire à la mienne a frayé le sentier,
Car depuis le berceau la chasse est son métier,
Aucun veneur n’eut onc* pareille experience;
Une mâle vigueur pratique sa sçience,
Pourquoy representer ce que chacun sçait bien, [p. 242]
640 Son coup dessur* le monstre a mesuré208 le mien.

LINCÉE.

Dy mieux que son éclair ton tonnerre précede,
Ou que ta courtoisie à sa beauté le cede,
Ou que l’afection loin de ce prix vaincoeur,
Consacre volontiers à ses graces ton cœur.

PLEXIPE.

645 Voila sonder le vif d’une invisible playe,
Et d’un los* excessif l’origine trop vraye,
Quelque adresse conjointe à la necessité,
Merite qu’on la louë avec mediocrité,
Non de sorte pourtant, que l’ignare commune,
650 Défere tout l’honneur à sa bonne fortune,
Ta vaillance*tenuë incapable d’avoir,
Sans un bras feminin le monstre en ton pouvoir.

TOXÉE.

Le grand Astre du jour ne voit chose plus vaine,
Que ce sexe n’ayant nulle borne certaine ;
655 Et plus que de raison la bonde luy lâcher209,
Coûte à notre indulgence aucunefois* bien cher.

MELEAGRE.

Quelque homme ambitieux qui briguast* de salaire,
Sous un mauvais dessein la faveur populaire,
Doneroit à penser, où elle nullement,
660 Qu’un desir de loüange anime seulement.

THESÉE.

Otez à la vertu pareille recompense,
Un juste creve-cœur* de servir la dispense, [p. 243]
Elle ne porte plus ses agreables fruits
Dedans le champ ingrat de l’envie produits210.

PIRITHOIS.

665 Adjoutez, que l’exploit admirablement rare,
Obtiendroit son guerdon* voire du plus barbare,
Mais icy le chemin plus facile à tenir,
Est, sauf meilleur avis, qu’on la face venir,
Celebrer à l’envy sur la palme obtenuë,
670 Sa recompense preste à même heure* tenuë,
En quelque privilege, ou remarque d’honneur,
Ainsy la comblez-vous de joye, & de bon-heur.

PLEXIPE.

O ! qu’elle sçaura bien sans qu’autre211 en ait la peine,
Sa loüange, & soudain pousser à forte aleine,
675 Le salaire de suite à point nommé requis,
Que sa presomtion jugera plus exquis.

MELEAGRE.

Une pluralité de sufrages suivie,
Contre tout ce qu’en vain repliqueroit l’envie,
Ma gloire du combat luy transporte sa part,
680 L’as tu point veuë Idmon, paravant* le depart ?

IDMON.

Oüy, Sire, & m’a prié de l’excuser, si lasse212,
Que ses foibles genous tremblotans sur la place,
Une sueur perleuse* arrousoit le vermeil213,
Du visage amoureux de ce jeune soleil !
685 Tu vois (m’at-elle dit,)214 que l’extrême contrainte,
Me tire sans congé d’avec leur troupe sainte, [p. 244]
Et le rapporteras fidellement au Roy,
Si par cas d’avanture il s’informe de moy.

MELEAGRE.

Va la treuver portant la hure* couronée,
690 Du monstrueux sanglier à sa valeur donée,
Ces mots précederont : belle Nymphe, recoy,
L’honorable present qui tient compris en soy,
Ta vertu, qu’une troupe immortelle préfere,
Et à qui notre Roy le triomphe défere,
695 Tu l’appendras* au temple, offrande si tu veux,
De la triple Déesse215 exorable* à tes vœux,
Apres, tourne legere au palais atenduë,
Une solennité jusqu’alors suspenduë,
Qui te comble d’honeur, & de contentement,
700 Or*sus*, voy216 d’aquiter ta charge promtement.

IDMON.

Sire, l’affection me donnera des ailes,
Mercure député de si bonnes nouvelles217.

MELEAGRE.

Nous, l’hommage rendu que desirent les Cieux,
Du festin, passerons au repos gracieux.
[p. 245]

ACTE IV. §

PLEXIPE, TOXÉE, CHŒUR DE FILLES, ATALANTE, MELEAGRE.

SCENE I. §

PLEXIPE, TOXÉE.

PLEXIPE.

705 Tel affront enduré mon frere, nous ne sommes,
Que l’opprobre des Cieux, & la fable des hommes,
Ah ! chetifs* on a fait banqueroute à l’honneur,
Qui jadis nous tint lieu de souverain bon-heur,
Cét inique tyran que l’univers abhorre,
710 Et qu’un aveugle feu de luxure dévore,
L’arrache furieux, le volle entre les mains,
De ceux mêmes qui sont de sa mere germains*,
Repoussez, dédaignez, il ose temeraire,
Une fille honorer de ce brave salaire218 ;
715 Maniaque*, il offence un monde valeureux,
Sous le pretexte pris d’un coup avantureux,
Qu’extorqua la frayeur à sa belle effrontée,
Unique triomphant de la fere* domtée,
Unique à dépoüiller la commune moisson : [p. 246]
720 Non, plutost que cela passe de la façon219,
Ma vie mille fois, & mille autres perduë
Luy coûtera du moins la depoüille rendüe,
L’infame dedans peu reparera ce tort,
Aprise à se sçavoir mesurer à son sort.

TOXÉE.

725 L’outrage* également sensible me transporte,
Du* regret incroyable à la fureur me porte,
Legitime fureur, qui ne peut s’alleger,
Paravant* que l’objet coupable sacager220,
Qui survit à sa gloire, est indigne de vie,
730 Ou qui ne pouvant mieux ne la venge ravie221 :
Jà* le peuple idiot d’aparence deçeu*,
Croit semblable secours d’elle seule reçeu,
Ne bruit que sa valeur, qu’Atalante n’estime222,
Nous comme ombres tenus au grade* plus infime,
735 Casaniers reputez, timides, faineants,
Plus à la volupté qu’à la gloire beants :
Mon frere, ne souffrons que l’erreur s’enracine,
Donons au mal naissant sa promte medecine,
Chacun son bien ravy par tout peut repeter,
740 Ainsy nous, ce beau fruit de force luy ôter.

PLEXIPE.

L’affection du Roy qui ne vit plus qu’en elle,
Sans doute épouseroit à l’heure* sa querelle.

TOXÉE.

L’affection du Roy ne r’animera pas,
Une ombre feminine envoyée au trépas. [p. 247]

PLEXIPE.

745 Le suplice en cela excederoit l’offence,
A l’endroit* d’une Vierge, ains* d’une pure enfance.

TOXÉE.

L’Aspic*, ou le vipere*, éteints ne font plus peur,
Et sa vie autrement nous est une vapeur.

PLEXIPE.

L’injure ne provient que de qui la guerdonne*,
750 Elle n’a point failly prenant ce qu’on luy donne.

TOXÉE.

Mais ce traitre animal une fois irrité,
Ne se rapaise plus.

PLEXIPE.

Tu dis la verité,
Toutefois n’épreuvons que tard la violence.

TOXÉE.

L’importune douceur croitra son insolence,

PLEXIPE.

755 Tant mieux, la force adonc* aura quelque raison,
Chaque chose donnée en sa propre saison.

TOXÉE.

Un Roy qui l’idolatre, un Roy qu’elle maitrise,
Plus soudain qu’averty nous fera lâcher prise.

PLEXIPE.

Permis223 alors aussy de disputer son droit.

TOXÉE.

760 Qui fier* au courous des amants se voudroit ? [p. 248]
Où leur pouvoir commande absolu sur la vie,
224 le sujet aymé ils pensent qu’on envie.

PLEXIPE.

Resolvons l’entreprise, & laisse à mon soucy,
Ce coup fait, le moyen de le rendre adoucy.

TOXÉE.

765 Donques s’adoucira du veneur qui le blesse,
Un lion, qui le va démembrer225 en la presse*,
Au surplus tel dessein s’effectüe à chercher,
Et où se treuvera le prix luy arracher.

PLEXIPE.

N’en doute pas, fût-elle au sein du temeraire
770 Qui devoit retenir ce superbe salaire,
Qui devoit contenter son ardeur, de se voir,
Dessur* la primauté nos suffrages avoir.

TOXÉE.

Semblable experience obvioit* au murmure,
De son superieur on tolere l’injure,
775 Du moindre, on ne la peut sensible digerer,
Mais resoute226, avisons de ne plus differer.

PLEXIPE.

Suy-moy ne dépliant227 la force qu’à l’extrême,
Possible* à la raison docile d’elle même,
Qu’outre l’espoir conçeu la chose reüssit,
780 Chemin qui moins fâcheux nos rigueurs acourcit.
[p. 249]

SCENE II. §

CHŒUR DE FILLES, ATALANTE, PLEXIPE, TOXÉE.

CHŒUR DE FILLES.

Vous semez les œillets, l’amarante, & les roses,
Une moisson de fleurs nouvellement écloses,
Sous ces pas, que l’on deust rebaiser adorez,
La couronne tissue à ces cheveux dorez,
785 Tressant d’une façon mignarde*, & curieuse,
N’appelle que ma main, ouvriere228 industrieuse*,
Comme principe*, à l’heur* du païs recouvert,
Sus*, mes sœurs, que la voix, & le courage ouvert,
Proferent gayement quelque Hymne, à la loüange,
790 D’une chaste Pallas229, qui du monstre nous venge.

ATALANTE.

Rien moins, filles, cessez, le vouloir230 me sufit,
La gloire deuë au Roy du monstre déconfit :
Pareille recompense excede mon merite,
Donques en abuser insolentes, l’irrite :
795 Le sage sçait user d’un moderé compas*,
Et jamais à l’envie il ne seme d’appas*,
Jamais la vanité ne le force importune,
A prendre trop du vent de la bonne fortune : [p. 250]
Alons chaste troupeau, sans plus outre* atenter,
800 Chez la source du bien ce don representer.

CHŒUR.

Inique, ne présume obtenir ta demande,
Que respect, ou raison tes loüanges deffende,
Tant que du blond Phoebus231 les flâmes reluiront,
L’air, la terre, & les Cieux, dessous elles bruiront,
805 Nous les ferons passer jusqu’aux races dernieres,
L’univers éclairé de leurs belles lumieres,
Ta tombe comblera des honneurs immortels,
Elle aura ses parfums, ses Prestres, ses Autels,
Tu peux tout dessur* nous, hormis ce point, de faire,
810 Qu’on fraude la vertu de son juste salaire.

ATALANTE.

Ma dextre infirme, n’a qu’ébauché ce labeur,
Dont notre Roy s’aquiert le principal honneur,
Je ne suis d’un grand feu que la moindre étincelle,
De ce corps acomply que la moindre parcelle,
815 Outre que pareil coup, referable au hazart ;
Mais ses oncles vers nous tirent en cette part232,
Une morne tristesse occupe leur visage,
Et ce farouche aspect rien de bon ne présage.

PLEXIPE.

Tu as mauvaise grace, ô Nymphe, à te vouloir,
820 Sur la gloire d’autruy jusques-là prévaloir,
Ce present accepté de le mettre en parade,
Quelle presomption folle te persuade,
Qu’aux dépens de l’honneur de tant de gens de bien, [p. 251]
Un si riche guerdon* puisse demeurer tien ?
825 Refrene à l’avenir une indiscrete audace,
Et fay qu’ore* envers nous sa borne elle ne passe.

ATALANTE.

Apres la volonté liberale du Roy,
Telle action demeure en immuable* loy.

TOXÉE.

Tu le dis, non pas nous, à qui ce rapt inique,
830 Ne peut autoriser un plaisir tyranique.

ATALANTE.

Le courage me l’a, non quelque brigue aquis233,
Receu hors d’esperance, & premier* que requis.

PLEXIPE.

Tu inferes* de là ta valeur magnanime,
S’investir du present à titre legitime ?

ATALANTE.

835 Assez témoigneront, que selon le pouvoir,
Peu d’autres peuvent mieux aquiter ce devoir.

TOXÉE.

Volontiers, tu l’auras vaincu seule, impudente*,
Ateint d’un foible coup de ta flêche pendante ?

ATALANTE.

Onc* ma crédulité n’admettra ce forfait,
840 Nul autre que le Roy tel miracle n’a fait ;

PLEXIPE.

Tu veux gratifier un234 qui te gratifie,
Faveur qui rien de bon pourtant ne signifie, [p. 252]
Ne te garantira, présume le surplus,
Si de restituer tu nous refuses plus.

ATALANTE.

845 Onc* la peur n’extorqua chose à mon prejudice,
Et n’y a que le Roy qui reprendre le puisse.

TOXÉE.

Mon prophetique avis, dit bien que le plus seur,
N’estoit pas de tenir un chemin de douceur.

ATALANTE.

L’innocence ne craint ces menaces frivoles.

PLEXIPE.

850 Sus*, mon frere, passons à l’effet des paroles.

ATALANTE.

Me contraindre surprise, & me violenter,
Le courage plus mol, ne voudroit l’attenter.

TOXÉE.

Cela n’adviendra pas, moyennant qu’ostinée,
Tu ne resistes plus à une destinée.

ATALANTE.

855 Puisse, puisse premier* l’Erebe235 m’engloutir,
Que ma gloire trahië onques* le consentir.

PLEXIPE.

Malgré-toy, nous l’aurons, & lâche soudain prise.

ATALANTE.

Au secours Citoyens, on me force surprise.

CHŒUR DE FILLES.

Accourez-vîte, amis, des voleurs inhumains,
860 Dessur* qui vous libere osent mettre les mains. [p. 253]

TOXÉE.

Implore desormais* qui tu voudras, paillarde*,
Et renonce à la part du present qu’on te garde.

ATALANTE.

Ah ! traitres envieux, lâches, effeminez,
Indignes du Soleil, indignes d’estre nez,
865 Le Roy me vengera, mon unique deffence,
Sa grandeur plus que moy de l’injure s’offence ;
Allons, filles, venez, l’outrage* témoigner,
Et vos humides pleurs au besoin n’épargner.

CHŒUR.

Helas ! tu le peux croire, ateintes jusqu’en l’âme,
870 D’un rebelle forfait qui merite la flâme,
A qui l’extrême peur la parole a glacé,
Qui ne dirons que trop comme tout s’est passé236,
Qui débiles* pour toy ne portons d’autres armes,
Que de sçavoir méler les prieres aux larmes.

ATALANTE.

875 Cela sufit, alons comme pleine d’effroy,
De ce pas, nous jeter ensemble aux piez du Roy.
[p. 254]

SCENE III. §

MELEAGRE, ATALANTE, CHŒUR DE FILLES, PLEXIPE, TOXÉE.

MELEAGRE.

Beau pourtrait, imprimé dans mon cœur, qui respire,
Desormais s’asservir au joug de ton Empire,
Atalante, où es-tu ? Nymphe, hâte le pas,
880 Vien d’un Prince amoureux differer le trépas,
Ce même coup fatal deux victoires te done,
De Mars, & de Cypris237, t’obtient double courone,
Ta celeste vertu conjointe à ta beauté,
Ne peuvent meriter moins qu’une Royauté,
885 Moins que ta part du sçeptre, ainsi que de ma couche,
Ah ! mon âme dé-ja vole dessur* ta bouche,
S’atache à ce corail, où un essein d’amours,
Décoche nouveaux traits, & se campe toujours,
Faveur petite, au pris de manier à l’aise,
890 Ces tertres, que decore une jumelle fraise238,
Je tay le dernier point, qui du ressouvenir,
Me semble avoir dé-ja prévenu l’avenir ;
Me dérobe les sens, me transporte de joye ;
Dans un doux fleuve ateint de delices, me noye. [p. 255]
895 Vien Soleil amoureux, dissiper ce soucy,
O ! bons Dieux, toute en pleurs, & proche, la voicy
Un augure certain me frape la pensée,
D’où l’injure provient, qui l’auroit offensée,
Ma guerriere, ma sainte, hé ! quel sujet as-tu,
900 De ne joüir des fruits de ta rare vertu ?
Quiconque temeraire ose à elle se prendre,
S’asseure, qu’envers moy c’est lourdement méprendre,
Que sans exception de grade*, ma fureur,
Aux neveux le destine exemplaire terreur.

ATALANTE.

905 Chez votre Majesté, azile qui me reste,
Je me sauve des dents d’un monstre plus funeste,
Monstre plus redoutable, & mille, & mille fois,
Que l’autre à qui l’on a fait rendre les abois*,
L’Averne le conçeut dedans la nuit profonde,
910 Qui ne finira point que par la fin du monde :
L’infame nom d’envie, à sa rage convient,
De luy, mon deshonneur, & ma plainte provient,
Ses ministres choisis, ah ! dispensez-moy, Sire ;
Un respect envers eux, observe de plus dire.

MELEAGRE.

915 Parle chere maitresse, acheve hardiment,
Tu connoitras apres si ma parole ment.

ATALANTE.

Vos oncles, qui n’ont peu le faire par amorce*,
Ravissent outrageux* d’ouverte, & vive force, [p. 256]
L’honorable guerdon* qui me fût precieux,
920 Plus que de seoir au lieu de Junon dans les Cieux :
Prieres, ne raisons, ne repliques, n’excuses,
Les larmes, ny les cris, de ces filles confuses,
N’ont pû rompre le coup à ce mauvais dessein,
N’ont adoucy le fiel qui leur couvoit au sein,
925 Atalante chétive à present resolüe,
De ne survivre plus à sa gloire polüe.

MELEAGRE.

O Ciel ! as-tu pû voir un acte si pervers,
Sans les pousser ensemble aux Tartares239 ouverts,
Ces rebelles geans à l’âme déloyale,
930 Qui negligent, pervers, l’autorité Royale,
Qui foulent ma puissance, osent à son mépris,
Prendre où je l’ay doné ce victorieux pris.
Osent comme ennemis de la mere nature,
Violer son chef-d’œuvre en cette creature :
935 Barbares Lestrigons240, courages de rocher,
Osez-vous sans tremeur* les reliques toucher,
D’un corps, divin sejour des vertus, & des graces,
Capable d’alumer la flâme dans les glaces,
Osoit votre manie* éprendre son courrous,
940 Avertis que le mien s’éclateroit sur vous.

CHŒUR DE FILLES.

Onc* spectacle ne fut à l’égal pitoyable,
Oncques* assacinat à l’égal effroyable,
Que votre Majesté se represente voir,
Deux loups une brebis tirasser* pour l’avoir, [p. 257]
945 Preste chaque moment de fournir butinée*,
Un repas sanguinaire à leur rage effrenée,
Non que la peur luy fit de visage changer,
Nous seules sans couleur tremblantes du danger.

MELEAGRE.

Idmon, tes soldats pris, viste qu’on les ameine,
950 N’importe, vifs, ou morts, mais sans excuse, à peine*,
Croiras-tu mon soucy qu’un soupçon m’a prédit,
L’origine du mal avant qu’on me l’ait dit,
Memoratif qu’au point de la palme adjugée,
Leur envie à ton los* abayoit241 enragée,
955 Redone à ce beau teint un gracieux printems,
Ta priere s’242obtient plus que tu ne prétens,
Je veux qu’à genoux bas, d’une voix claire, & haute,
Ils impetrent* de toy le pardon de leur faute,
Le premier qui fera quelque difficulté,
960 Un suplice l’atend du destin consulté.

ATALANTE.

Sire, que mon sujet de rancœur ne vous done,
Contre ceux que le sang unit à la courone,
Las ! j’ayme beaucoup mieux ne m’en point ressentir,
Que l’ire* precipite engendre un repentir243.

MELEAGRE.

965 Maxime, que l’estat préfere la tutelle,
De nos droits souverains à toute parentele244, [p. 258]
Qu’agresseurs, tu n’encours aucun blâme, ha ! voicy,
Mes lions indomtez, qui froncent le sourcy ;
Comment, audacieux ? ma volonté connüe,
970 Dessur* la palme qu’a sa valeur obtenüe,
Avez-vous entrepris ce vol injurieux*,
Contre une autre Cypris245, lâchement furieux,
Quelle raison solide opposée en deffence,
Peut ores* palier l’irreparable offence,
975 Dites, qui vous a meus de ravir sans égard,
Un droit que ma justice à sa gloire depart* ?

PLEXIPE.

La cause nous absout, qui parle d’elle-même,
En ce que tu luy peux doner ton Diadême,
Non pas le bien d’autruy, non pas l’honneur de ceux,
980 Que ton service n’a reconu paresseux.

MELEAGRE.

Mon service l’épreuve, ainsy que la patrie,
Utile dessur* tous qu’autre ne s’aparie*246,

TOXÉE.

L’aveugle passion qu’un aveugle produit,
Nos esprits ocupez facilement séduit.

MELEAGRE.

985 Perfides, imposteurs, la verité palpable,
De telle passion me declare incoupable,
Une troupe immortelle en oracle premier*,
Voulut de ce beau pris sa valeur premier*247.

PLEXIPE.

Oüy plus, ainsi qu’amis, qui desirent complaire, [p. 259]
990 Que pour ne la sçavoir indigne du salaire.

MELEAGRE.

O ! l’enorme malice, ô ! mensonge effronté,
Sans replique trois mots disent ma volonté.
Que la hure* luy soit entre les mains remise,
L’humble pardon requis de la force commise,
995 Faites tost, ce dessein n’admet aucun sejour.

TOXÉE.

Phoebus lors* ira naitre où va mourir le jour248,
La belette sera des serpents lors* amie,
Que nous consentirons à pareille infamie.

MELEAGRE.

Si tel refus persiste une seconde fois249.

PLEXIPE.

1000 Ta frivole menace aux esclaves tu dois,
Libres, & que la peur faciles n’épouvante,
N’espere que jamais superbe elle se vante.

MELEAGRE.

Rebelles, vous mourrez, voila trop de mépris,
Trop dessur* un Monarque à sa face entrepris.

PLEXIPE.

1005 O ! brutal, ô barbare, ô ! tyran parricide*,
Fuy mon frere, je tombe au gouffre Acherontide250,
Ce suprême sanglot pousse l’âme dehors.

MELEAGRE.

A peine de251 le suivre en la plaine des morts,
Dépesche, ce refus te coûtera la vie. [p. 260]

TOXÉE.

1010 Tygre, ta cruauté m’oblige pousuivie,
Je veux qu’un même fer, & qu’une même main,
Rende mon sort semblable au sort de mon germain*,
Le Ciel, le juste Ciel, quelque vengeur nous garde,
Qui sur ta teste un jour, & dessur* ta paillarde*.

MELEAGRE.

1015 Ton sang nous purgera ce blaspheme outrageuse*,
Mâtin*, qui n’est sinon de l’aboy courageux.

ATALANTE.

Ha ! Sire, refrenez,252 la colere l’emporte,
Et pour le retenir je ne suis assez forte.

MELEAGRE.

Ces ravisseurs punis de leur temerité,
1020 Possedent justement le loyer* merité,
Mon vouloir maintenant n’a plus qui le contrôle,
Tu te peux desormais* fier en ma parole,
Tu pourras desormais* compagne de mon lit,
Dire que ta vertu, à ce grade* t’élit,
1025 Ne le consens-tu pas, chere âme de mon âme ?
Tu ne voudrois meurtrir un Roy qui te reclame.

ATALANTE.

Jaçoit que tel honeur passe ma qualité*,
Son refus sentiroit une brutalité,
Trop heureuse, le Ciel du tout*, en tout propice*,
1030 Si notre chaste hymen eut pris meilleur auspice.
[p. 261]

MELEAGRE.

Un acte de justice à ce commencement,
Plus agreable aux Dieux qu’aucun encensement,
Presage le contraire, & que tel hymenée,
N’aura que du cercüeil sa liesse* bornée,
1035 Alons, ma Reyne, alons, hâter ce doux effet,
Qui la sainte union de nos moitiez parfait*.

ACTE V. §

ALTÉE, NOURICE, MELEAGRE, ATALANTE, IDMON.

SCENE I. §

ALTÉE, NOURICE.

ALTÉE.253

Implacables fureurs, que redoute l’Averne254,
A ma plainte quitez votre horrible caverne,
Qu’une trêve aujourd’huy relâche le tourment,
1040 Aux esprits condamnez du triste Rhadamant255,
Et plus qu’onques* là bas en colere alumées,
De fers, & de flambeaux, mieux que devant armées,
Qu’ores* sous ma conduite on vienne torturer,
Ce monstre scelerat qui ne peut empirer,
1045 Ce monstre issu de moy, qu’une impudique rage, [p. 262]
N’emancipe cruel à quelque simple outrage*,
L’execrable a polu* ses parricides mains,
Dans le sang innocent de mes propres germains*,
Un devoir filial n’a restreint sa manie*,
1050 Quel Busire256 conçeut pareille felonnie ?
Et quelle seureté nous reste desormais* ?
Nulle, fay donc saigner ta vengeance à jamais,
Assez forte, d’ailleurs le secours ne mendie,
Un moment acourcit sa trame desourdie257,
1055 Un moment éteindra son adultere amour,
Qui vous prive à cette heure, ô mes freres, du jour.

NOURICE.

Moderez le courous épris dedans votre âme,
Perilleux conseiller, à qui le croit, Madame,
Domestique lion ses hôtes devorant,
1060 Qui farouche toujours à la raison se rent,
Je concede ce crime encore plus extrême,
Mais la mere, & le fils ne sont que chose même,
Et les brutes on voit mourir pour leurs petits,
Loin d’exercer sur eux de vengeurs appetits.

ALTÉE.

1065 Nature violée en ce meurtre258, dispense*
Ma vindicte*, à l’effet du dessein qu’elle pense.

NOURICE.

Enfant, & Roy, bons Dieux ! perdez le souvenir,
De ce qui ne peut plus aussy bien n’avenir*.
[p. 263]

ALTÉE.

N’exiger du forfait un suplice capable,
1070 Sans doute me rendroit plus que l’auteur coupable.

NOURICE.

Jupiter seul punit les offences des Roys,
Absolus sur la vie, ainsy que sur les lois.

ALTÉE.

Cela n’empêche pas mon pouvoir sur la sienne.

NOURICE.

Que le respect d’un peuple innocent vous retienne,
1075 Ne le faites de pere en son Prince orphelin,
Acte trop impieux*, trop cruel, trop malin.

ALTÉE.

Luy ôter un tyran, m’oblige la patrie.

NOURICE.

Quoy ? le restaurateur de sa gloire flétrie ?
L’Alcide259, qui le monstre a nagueres occis*,
1080 Qu’un beau los* dé-ja monte entre les Dieux assis.

ALTÉE.

Sa putain du combat remporte la loüange.

NOURICE.

Comme la passion le bon sens nous étrange,
Oncques* sujet moins sale, & moins voluptueux,
Un beau pair n’acoupla qui fut plus vertueux.

ALTÉE.

1085 Tu leur seras en fin partisane commune,
Et fautrice du coup qui cause ma rancune.
[p. 264]

NOURICE.

Vos germains* agresseurs précipitent leur mort,
Le Roy que d’un courous excessif n’a le tort.

ALTÉE.

D’un courous enragé, d’un courous, qui merite,
1090 La haine dans mon âme à sa ruine écrite.

NOURICE.

Le tems apaisera ce regret fraternel.

ALTÉE.

Oüy, son corps du tombeau le depost éternel.

NOURICE.

Voulez-vous adjouter dommage, sur dommage.

ALTÉE.

Retire-toy d’icy, je pardone à ton âge,

NOURICE.

1095 O pitoyables Dieux, rendez-luy la raison,
Saine, & sauve, gardant la Royale maison.

ALTÉE seule.

Seule, libre, qui n’as d’obstacle à l’entreprise,
Immuable*, poursuy ta conclusion prise,
Arrache à l’inhumain la lumiere du jour,
1100 Et les fruits ocieux* d’un idolatre amour,
Labeur facile à toy, qui possedes sa vie,
Dans le tison fatal des parques asservie,
Dans le tison fatal à ta garde commis,
Qui termine ses jours en la flâme remis.
1105 Sus*, alons le querir* ; tu retives* mon âme,
Et n’entens de l’Erebe une voix qui reclame,
Cheres ombres, cessez de me plus émouvoir, [p. 265]
Mon amitié vers vous bien tost se fera voir,
L’homicide* mourra, victime preparée ;
1110 Voicy qui maintenant vous la plege* assurée,
Quoy ? ma dextre tremblote, & fuit à l’aprocher,
Ce gage funereux*260 qu’elle n’ose toucher,
Un venin de serpent infus à son essence,
Luy done à mon avis telle oculte puissance,
1115 Ou plutost quelque instinct reprime ta fureur,
Simple, t’ébranles-tu d’un scrupuleux erreur261 ?
Tes freres égorgez de sa dextre assacine,
Tes freres parangons* d’une vertu divine,
Ne l’effroyerent pas, sus*, acheve, hé ! bon Dieu,
1120 Nullement, c’en est fait, la pitié n’a plus lieu,
Sacré bois, la faveur de ton secours j’implore,
Ainsy puisse perir, que le feu te devore,
L’homicide* inhumain, l’abominable chef,
Qui par sa cruauté s’attire ce méchef*.

SCENE II. §

MELEAGRE, ATALANTE.

MELEAGRE.

1125 T’amuses-tu ma vie à ruminer craintive,
Dessur* la vision d’une ombre deceptive,
Change, change propos, & pour te divertir,
Vien de nouveaux baisers mes flâmes amortir, [p. 266]
Recomençons du jour une nuit amoureuse,
1130 Que ton humeur ainsy me déplaist langoureuse,
Au cas qu’elle persiste à me plus refuser,
Je m’en vay de mes droits absolument user.

ATALANTE.

Ma lumiere, mon tout, mon unique esperance,
Ce songe funereux*, portera d’asseurance*,
1135 Sa dure impression semble prédire exprés,
Nos Myrthes dedans peu convertis en Cyprés.262

MELEAGRE.

Bien que ce tems perdu, redy ma souveraine,
Le motif oublié de ta creance vaine.

ATALANTE.

Une grave matrône, en équipage tel,
1140 Que la mere on depeint du Monarque immortel,
A pris ce me sembloit, (metamorphose énorme,)263
De tygresse en un clin* l’épouventable forme,
Son petit d’avanture au spectacle present,
Dans une rouge flâme, & mortelle exposant,
1145 Preste de m’engloutir, à l’heure* qu’eveillée,
Palpitante de crainte, & de sueur moüillée,
Vos bras, mes doux liens, étroitement serrez,
Ont mes sens éperdus peu apres r’assurez.

MELEAGRE.

Folâtre, ce qu’on craint, ou ce que l’on desire,
1150 D’un faux crayon, Morphée au sommeil nous le tire264,
Il en repaist l’esprit, qui ne repose point : [p. 267]
O Cieux ! quelle douleur profonde à coup* m’époint*,
Un feu de ma poitrine invisible s’empare,
Plus chaut que ne vomit le sommet de Lipare265,
1155 Dieux ! comme un charme ardent se coule dans mes os,
Ardeur qui pourra bien s’en aler au repos.

ATALANTE.

Une étrange pâleur vous ocupe la face,
O miserable, helas ! de crainte je trépasse.

MELEAGRE.

Ne t’aflige mon heur*, tu me dones la mort,
1160 Ha ! ce mal furieux redouble son effort.

ATALANTE.

Sire, ne differez d’en chercher le remede,
Que nature vaincuë à sa force ne cede,
On ne peut prévenir trop tost les accidens.

MELEAGRE.

Tu dis vray, mon soucy, vous, sortez là dedans,
1165 Qu’icy nos medecins plus experts on assemble,
D’autres mettent au lit ce corps foible qui tremble,
Secourez mes amis votre Roy vistement*,
Où la parque le va ravir tacitement*.

ATALANTE.

Done je te suplie immortelle cohorte,
1170 Que ton ire* sur moy victime se transporte,
Que mon époux sauvé, tu ne m’épargnes pas,
A l’effroyable horreur du plus cruel trépas.
[p. 268]

SCENE DERNIERE. §

ALTÉE, NOURICE, IDMON.

ALTÉE.

Le marchand qui malgré les orages, arrive,
Sa nef* de lingots pleine à sa natale rive,
1175 Le voyageur qui voit un brigand assacin,
Qui nagueres luy tint le poignard sur le sein,
Ses biens restituez, d’un bois patibulaire266,
Recevoir en public le suplice exemplaire,
N’aproche comparé l’indicible soulas*,
1180 Que tu goûtes Altée, un meurtrier en tes lacs,
Que ta haine animeuse* épreuve l’allegeance*,
En la proche moisson que touche ta vengeance :
Or* la felicité parfaite qu’elle atteint,
Est qu’au même compas* que le tison s’éteint,
1185 Une flâme à loisir le rongeant languissante,
L’homicide* mourir de la sorte se sente,
Que la parque son fil retranche plusieurs fois,
Et qu’un long desespoir l’entretienne aux abois,
O ! l’heur* incomparable, ô ! la claire journée,
1190 Vien Nourice, vien voir ma tristesse bornée,
Ne sçay quelle faveur spéciale du Ciel,
L’amer de mon courous me convertit en miel.

NOURICE.

Miraculeux effet que la grace divine, [p. 269]
Ait si tost à vos maux doné la medecine,
1195 Qu’en cette passion violente qui fuit,
Elle vous ait au joug de la raison réduit.

ALTÉE.

La cause va cesser qui causoit ma rancune,

NOURICE.

Perdez entierement sa memoire importune,
Onc* vaincoeur genereux ne pardone à demy,
1200 Et apres le pardon ne hait son ennemy.

ALTÉE.

Tu dis vray, le cercüeil devore toute haine,
Haïr, seroit apres une torture vaine.

NOURICE.

L’ambage* de ces mots remplis d’obscurité,
Me fâche, dites-moy la pure verité.

ALTÉE.

1205 Elle te paroitra l’heure proche venuë.

NOURICE.

Tant y a, vers le Roy placable* devenuë,
Que l’on ne parle plus de se vouloir venger.

ALTÉE.

Non, car le sort jeté d’avis me fait changer.

NOURICE.

Dieux ! combien ce discours oblique me martelle.

IDMON.

1210 O perte à la patrie effroyable, & mortelle,
Pauvre Monarque éteint en la fleur de tes ans, [p. 270]
Que la rigueur du sort inique tu ressens.

ALTÉE.

O heureuse nouvelle, ô plus qu’heureuse Altée,
Recoy de ton exploit la courone aportée,
1215 A nous, Idmon, à nous, ne murmures-tu pas,
D’un inique tyran l’expiable trépas.

NOURICE.

Madame, parlez mieux, quelle rage incensée,
Poursuit à vous troubler la brutale pensée ?

IDMON.

Ha ! la voix me defaut*, sinistre* Messager,
1220 Du plus triste malheur qui vous puisse afliger.

ALTÉE.

Tu t’abuses, croyant ma débile* constance,
Au desastre préveu manquer de resistance,
Meleagre a suivy ses oncles immolez,
Est-ce là tant dequoy nous rendre desolez ?

IDMON.

1225 Tant que l’Empire meurt en ce Roy magnanime,
Pert avec luy son heur*, & sa gloire sublime,
Pert un sage patron, déplorable vaisseau,
Dont l’orage se jouë à la mercy de l’eau.

ALTÉE.

Le tems te purgera pareille erreur conçeuë,
1230 Fay sans plus le discours de sa tragique issuë.

IDMON.

La force, à ce recit lugubre me defaut*,
Toute l’âme d’horreur palpitante tressaut*, [p. 271]
Le pauvre Prince, helas ! plutost mort, que malade,
D’un charme, ou d’un poison, a trouvé l’embuscade,
1235 Surpris d’un mal à coup* ; qui peu à peu coulant,
De minute en minute, a cru plus violent,
Comme un cierge s’éteint la cire consomée,
La parque au sein l’a pris de son epouse aymée,
Qui Niobe soudain convertie en rocher267,
1240 Ne sçauroit jamais plus de larmes étancher.

ALTÉE.

Va, poursuy ton chemin, j’ay ce que je demande,
O favorable Ciel, que ta justice est grande,
Que tu as adressé ce beau coup de ma main,
Coup, vers un parricide* encore trop humain,
1245 Coup, qui de l’univers merite des loüanges,
Et de renom voler aux terres plus étranges268,
Afin de retenir sous le frein du devoir,
Quiconque le permet pardessus son pouvoir,
Quiconque ne sçait pas comme* un sçeptre on manie,
1250 Sur ses propres parents paissant269 sa tyrannie.
Or* la victime offerte à vos manes heureux,
Reposez sous le frais des Myrthes odoreux,
Recevez-la propice*, ô venerables ombres,
Compagne, m’atendant dans les campagnes sombres,
1255 Où dans peu, votre düeil precipite mes pas,
Car de vivre sans vous, m’est pis que le trépas270.

Glossaire §

Ce glossaire ne prétend pas être exhaustif. Il ne contient que les mots qui risquent de présenter des difficultés au lecteur moderne, qu’ils soient sortis d’usage, qu’ils aient subi des changements de sens depuis l’époque de Hardy. Les chiffres arabes renvoient aux vers de la pièce.

Abois
Aboiement
V. 512
Rendre les abois
Mourir
V. 908
Adonc
Alors
V. 428 ; 549 ; 755
Ailleurs
D’autre part
V. 400 ; 534
Ains
Ou plutôt
V. 746
Allégeance
Soulagement
V. 1181
Ambage
Le détour ; l’ambage de ses mots : ce discours voilé
V. 1203
Amollir
Diminuer, attendrir
V. 38
Amorce
Attrait
V. 917
Animeux
Furieux, acharné
V. 1181
Apparoir
Produire preuve
V. 982
Apparence
Vraisemblance
V. 235
Appas
Attrait
V. 796
Appendre
Suspendre, offrir en hommage, consacrer
V. 695
Ardente de
Brûlant de, désirant ardemment
V. 409
Artifice
Adresse, habilité
V. 43
Assemblée
Mot à la mode selon Huguet dans le sens de chasse
Assené
Frappé, atteint
V. 537
Asseurance
Sécurité
V. 492 ; 1134
Asseuré
Se trouvant à l’abri, qui offre la sécurité
V. 395
Aspic
Poison
V. 747
Aucun
Quelqu’un
V. 106 ; 308
Aucunefois
Quelquefois
V. 656
Avenir
Advenir
V. 1068
Bauge
« Terme de chasse : lieu où repose le sanglier, ou d’autres bestes mordantes, qui est ordinairement sale et bourbeux » Furetière.
V. 171 ; 369
Bénigne
Bienveillante
V. 5
Brave
Orgueilleux, insolent, rude
V. 158
Briguer
Solliciter
V. 657
Butiner
Prendre en butin, détruire
V. 945
Capable de
Digne de
V. 38 ; 584
Celant
Caché
V. 171
Chef
Tête
V. 290 ; 304 ; 455
Chetif
Malheureux
V. 73 ; 707
Clin
En un clin d’œil
V. 1142
Cœur
Volonté, courage, détermination
V. 168
Comme
Comment
V. 1249
Compas
Mesure, marche régulière, harmonie
V. 795 ; 1184
Compasser
Mesurer, régler
V. 500
Continüe, à la continüe
D’une façon continue, à la longue
V. 150
Coup, à coup
Immédiatement, d’un seul coup
V. 1152 ; 1235
Crépulu
Frisé, crépu
V. 374
Creve-cœur
Dépit, douleur, déplaisir, regret
V. 662
Dard
Javelot, arme de trait qui est un bois ferré et pointu par le bout que l’on jette avec la main
Argument, V. 51 ; 260 ; 391 ; 448 ; 525 ; 551
De
Par suite de
V. 726
Au sujet de
V. 302
Debile
Faible
V. 273 ; 873 ; 1221
Deçeu
Trompé, abusé
V. 731
Défaut (troisième personne de l’indicatif présent du verbe défaillir)
Faire défaut
V. 1219 ; 1231
Déité
Divinité
Argument, V. 45 ; 286 ; 372 ; 483
Defaire
Tuer
V. 174 ; 306
Defait
Tué
V. 631
Departir
Distribuer, donner
V. 976
Derechef
De nouveau
V. 215 ;  251
Dés
Depuis
V. 77
Désister
Cesser, renoncer
V. 213 ; 431
Désormais
À l’avenir
V. 607 ; 861 ; 1023
Maintenant
V. 121 ; 293 ; 1022 ; 1051
Desserer
Lancer, envoyer
V. 541
Dessur
Au dessus de, sur
V. 6 ; 341 ;370 ; 590 ; 622 ; 640 ; 772 ; 809 ; 860 ; 886 ; 970 ; 982 ; 1004 ; 1014 ; 1126
Devers
Vers
V. 298 ; 439
Diffame
Deshonneur, honte
V. 24
Dispenser
Permettre de faire quelque chose contre le droit commun
V. 1065
Disperser
Distribuer
V. 183 ; 585
Dive
Déesse
V. 38
Ébat
Passe temps, divertissement
V. 163 ; 404
Bataille
V. 594
Écumeuse rage
Manifestation de la rage par l’écume qui vient aux lèvres
V. 258
Émulation
« Sentiment qui pousse à vouloir égaler ou surpasser quelqu’un généralement par des actions louables » Dictionnaire de l’Académie ; terme qui vient du latin Aemulatio : « rivalité »
V. 145 ; 361
Enchargé
Ordonné, être chargé de
V. 208
Encocher
Attacher, fixer
V. 533
À l’endroit de quelqu’un
À l’égard de quelqu’un
V. 746
Époindre
Piquer, exciter
V. 529 ; 1152
Erres
Trace
V. 341 ; 434
Es
En les
V. 166 ; 213
Espancher
Répandre
V. 461
S’étonner
Être frappé de stupeur
V. 538
Exorable
Qui ne peut être fléchi par des prières, clément
V. 696
Face
Visage
V. 374
Faconde
Éloquence
V. 185
Faveur
En faveur de : appuyé contre
V. 535
Fere
Bête sauvage
V. 718
Fier
Féroce, barbare, cruel (du latin ferus : sauvage, féroce)
V. 90 ; 464 ; 760
Fléchible
Flexible
V. 3
Fourvoyer
S’écarter de la route
V. 344
Franc, che
Libre, exempt
V. 303
Franchise
Liberté
V. 109
Froisser
Briser, rompre
V. 51
Front, en front
En face, de front
V. 528
Fumeux
Sujet à la colère, violent, irritable
V. 531
Funereux
Funeste, de mauvaise augure
V. 23 ; 1112 ; 1134
Fuseau
Petit morceau de bois tourné en rond qui sert à filer et à tordre le fil.
V. 225
Germain
Frère
V. 712 ; 1012 ; 1048 ; 1087
Gésir
Être situé, reposer
V. 173
Être mort
V. 579
Grade
Rang, dignité
V. 734 ; 903 ; 1024
Guerdon
Récompense
V. 666 ; 824 ; 919
Guerdonner
Récompenser
V. 749
Gueret
« Terre que l’on avoit laissé reposer et qu’on a fraîchement labourée pour l’ensemencer la même année »
V. 104
Hazard
Danger, péril
V. 180
Hazarder
Faire courir un danger à quelqu’un
V. 141 ; 270
Heur
Bonheur, bonne fortune
V. 787 ; 1189 ; 1226
Terme affectif
V. 1159
Heure, à même heure, à l’heure
Alors
V. 670 ; 742 ; 1145
Homicide
Meurtrier
V. 536 ; 1109 ; 1123 ; 1186
Meurtrière (adj.)
V. 394 ; 479
Hostie
Victime
V. 212
Hure
La tête d’un sanglier, et par extension la peau de l’animal
Argument ; V. 157 ; 537 ; 689 ; 993
Immuable
Éternel
V. 828
Résolument obstinée
V. 1098
Impétrer
Obtenir
V. 958
Impieux
Impie
V. 131 ; 1076
Impiteux
Impitoyable, cruel
V. 494
Impollu
Pur, non souillé
V. 326
Impudente
Insolente, effronté
V. 837
Industrie
Habilité, adresse de faire quelque travail
Argument ; V. 30 ; 137
Industrieuse : V. 786
Injurieux
Injuste, nuisible
V. 971
Injustement
V. 316
Inférer
Imposer
V. 833
Influer
« Communiquer insensiblement et par une efficace secrette, ses qualités bonnes ou mauvaises à un autre sujet » Furetière
V. 332
Instruits
Connus
V. 171
Io
Traduction de l’exclamation grecque ‘iw, interjection exprimant la réjouissance
V. 489
Ire
Colère
V. 964 ; 1170
Irrépassable
Qu’on ne peut repasser en parlant du fleuve des enfers
V. 265
Déjà
V. 324 ; 443 ; 731
Jacoit que
Quoique
V. 606
Joint que
Outre que, en outre
V. 617
Jugal
Conjugal
V. 572
Liesse
Joie
V. 1034
Lors
Alors
V. 996 ; 997
Los
Louange, éloge, gloire
V. 235 ; 646 ; 954 ; 1080
Loyer
Salaire, récompense
V. 1020
Maniaque
Fou
V. 715
Manie
Folie
V. 391 ; 465 ; 939 ; 1049
Marinier
Marin
V. 127
Mâtin
Vilain, homme grossier
V. 1016
Méchef
Malheur, accident fâcheux
V. 252 ; 303 ; 477 ; 1124
Mercy
Grâce, miséricorde
Mignarde
Mignonne, gracieuse, délicate
V. 785
Mine
Manière
V. 545
Mirer
Viser
V. 269
Moissonner
Recueillir, amasser
V. 201
Moleste
Triste, pénible, funeste
V. 86 ; 318
Ne
Ni
V. 342 ; 343
Nef
Navire
V. 334 ; 1174
Obvier (à)
Rencontrer, empêcher, éviter
V. 773
Ocasion
Sujet, motif, raison
V. 143
Ocieux
Oisif, inactif, tranquille
V. 1100 pas même sens
Occire
Tuer
V. 124 ; 1079
Oeconomie
Conduite sage
V. 589
Onc, oncques, onques
Jamais
V. 143 ; 241 ; 498 ; 637 ; 839 ; 845 ; 856 ; 941 ; 942 ; 1041 ; 1083 ; 1199
Opiniâtre
Entêté, obstiné
V. 295
Oraison
Discours, propos
V. 40
Or, ore, ores
Maintenant
V. 71 ; 146 ; 208 ; 302 ; 337 ; 459 ; 505 ; 700 ; 826 ; 974 ; 1043 ; 1183 ; 1251
Outrage
Injustice, excès de violence
V. 725 ; 867 ; 1046
Outrageux, euse
Violent, meurtrier, nuisible
V. 26 ; 1015
Violemment
V. 918
Outre
Davantage
V. 19 ; 799
Paillarde
Coquine, débauché
V. 861 ; 1014
Parangon
Modèle
V. 1118
Paravant (que)
Avant (que)
V. 423 ; 680 ; 728
Parfaire (participe passé parfait)
Achever
V. 1036
Parricide
Meurtrier d’un proche parent
V. 1005 ; 1244
Peine (à)
C’est à peine si
V. 950
Pensement
Vieux mot selon Furetière pour pensée.
V. 92
Perleuse
Semblable aux perles
V. 683
Pernicieuse
Dangereuse
V. 289
Phoenix
« Se dit figurément quand on veut louer quelqu’un d’une qualité extraordinaire et dire qu’il est l’unique de son espèce » Furetière
V. 246 ; 426
Piqueur
Moissonneur
V. 512
Placable
Clément
V. 1206
Plêger
Garantir, assurer
V. 346 ; 1110
Plusieurs
Un plus grand nombre
V. 91
Plus outre
Davantage
V. 799
Poil
Cheveu
V. 374
Polu
Profané, atteint d’une souillure morale
V. 1047
Possible
Peut être
V. 85 ; 149 ; 282 ; 495 ; 778
Poudre
Poussière
V. 522
Premier (adverbe)
D’abord
V. 202 ; 855
Premier (adjectif)
Supérieur
V. 987
Premier (verbe)
Récompenser
V. 988
Premier que
Avant que
V. 85 ; 174 ; 252 ; 832
Presse, en presse
À la hâte
V. 766
Principe
Commencement
V. 787
Prodigieux
Monstrueux
V. 175
Propice
Favorable
V. 286 ; 1029
Favorablement
V. 1253
Propiciable
Favorable
V. 211
Qualité
Rang social, condition
V. 1027
Quartanier
« De quatre ans » Huguet
V. 156
Querir
Chercher
V. 1105
Rancœur
Rancune
V. 58
Regarder
Faire en sorte, avoir soin de
V. 425
Rendre
Devenir
V. 68
Retiver
Hésiter, résister
V. 1105
Rets
« Filet, lacis de plusieurs cordes jointes ensemble par plusieurs noeuds qui laissent de grandes ou petites mailles » Furetière
V. 51 ; 392
Révoquer en doute
Remettre en doute
V. 331 ; 593
Salutaire
Qui contribue au salut, à la conservation de l’âme
V. 78
Sauveté
En sûreté, hors de danger
V. 70
Service
Culte
V. 106
Sinistre
Malveillant, défavorable
V. 1219
Si que
Si bien que, de sorte que
V. 103 ; 299 ; 523 ; 613
Soin
Souci
V. 170 ; 451
Soulas
Plaisir, joie
V. 1179
Spelonque (spelunca)
Caverne, grotte
V. 444
Sus
Interjection servant à exhorter : allons !
V. 449 ; 700 ; 788 ; 850 ; 1105 ; 1119
Tacitement
Silencieusement
V. 1168
Tan
Orthographe normale chez Hardy pour taon
Test
Crâne
V. 537
Tirasser
Tirailler, tirer avec force et violence
V. 944
Tout, du tout
Tout à fait
V. 1029
Tremeur
Frayeur, tremblement
V. 936
Tressaut (troisième personne du présent de l’indicatif du verbe tressaillir)
Être surpris, agité par quelque mouvement violent qui vient tout à coup
V. 1232
Trousse
Carquois rempli de flèches
V. 373
Tutelaire
Qui a pris en sa protection quelque chose
V. 504
Vaguer sans égard
Aller deçà de là sans considération de personne
V. 179
Vaillance
Grandeur de courage, valeur
Argument ; V. 349 ; 651
Vindicte
Vengeance
V. 1066
Vipere
Poison
V. 747
Vistement
Rapidement
V. 1167

Appendice 1 : florilège des « meilleurs » jugements sur Hardy §

C’est surtout son expression rocailleuse et aussi son goût pour des situations jugées choquantes, que l’époque classique trouvera inadmissibles en Hardy, tout en rendant hommage à son sens théâtral. Nous voyons par ce florilège que trois siècles plus tard les points de vues de la critique n’ont pas beaucoup changés.

Ce quatrième volume fera voir ce théâtre sous une forme plus raisonnable. Il ouvre en 1601 par la vie de Hardy, le poète dramatique le plus fécond qui ait jamais existé, puisque ses pièces excèdent le nombre de 700. Heureusement il n’en reste que 41 : et c’est assez pour rendre à cet auteur la justice qui lui est dût. (Les frères Parfaict271.)

Nul choix dans ses sujets, aucune bienséance dans le caractère de ses personnages, et toute sa versification rude, basse et remplie d’inutilités. (Les frères Parfaict272.)

A Garnier succéda Alexandre Hardy, Parisien, l’auteur le plus fécond qui ait jamais travaillé en France pour le théâtre (…) Dès qu’on lit Hardy, sa fécondité cesse d’être merveilleuse. Les vers né ne lui ont pas beaucoup coûté, ni la disposition de ses pièces non plus. Tous sujets lui sont bons : la mort d’Achille, et celle d’une bourgeoise que son mari surprend en flagrant délit, tout cela est également tragédie chez Hardy. Nul scrupule sur les moeurs, ni sur les bienséances. Tantôt on trouve une courtisane au lit, qui par ses discours soutint assez bien son caractère ; tantôt l’héroïne est violée, tantôt une femme mariée donne des rendez-vous à son galant. Les premières caresses se font sur le théâtre, et ce qui se passe entre les deux amants, on en fait perdre au spectateur le moins qu’il se peut. (…) Les personnages se baisent volontiers sur le théâtre ; et pourvu que les deux amants ne soient point brouillé, vous les voyer fauter au col l’un de l’autre… (Fontenelle273.)

En examinant sans prévention les ouvrages de Hardy, on s’apercevra aisément que ses plans sont sans choix et sans beaucoup de discernement, que sa versification est des plus foible[s], et des plus basse[s], et qu’il a aussi mal observé les règles des moeurs, et des bienséances, que celles de la poésie dramatique. (Les frères Parfaict274.)

Lisez d’un bout à l’autre, si vous en avez la patience, quelques-unes des pièces qui composent le recueil choisi dont je parlais tout-à-l’heure, et vous y sentirez presque partout l’absence complète et simultanée de la nature et de l’art. la langue est monstrueuse : il faut dire le mot, parce que ceux qui suffisaient à caractériser les plus grands excès de Ronsard n’en donneraient qu’une idée fausse. Les latinismes, les hellénismes, les chevilles de Garnier sont une application réfléchie du système de la Pléiade ; l’effet n’est pas heureux sans doute, mais on peut s’y accoutumer jusqu’à un certain point (…) Les incorrections qui doivent être reprochées à certains ouvrages de Régnier ne sont que d’aimables négligences, si on les compare aux attentats contre la logique de la grammaire dont fourmillent ceux de Hardy et qui l’amènent parfois à ne plus laisser comprendre, la médisance dirait à ne plus se comprendre lui même. (Felix Robiou275.)

Il faut reconnaître qu’outre l’ennui qu’elles inspirent, les tragédies et les tragi-comédies de Hardy son assez grossièrement ajustées, et qu’on n’y rencontre que bien rarement une scène d’un effet médiocre. Avec tout cela la forme est loin de relever le fond. Le style du dramatiste parisien est lâche et traînant, sans aucune élégance et d’un terre-à-terre que l’enflure des mots rend trop souvent grotesque. L’absence complète de style, voilà le vrai défaut de Hardy, et tout le monde sait que c’est surtout par la forme que les écrivains restent. C’est pourquoi la renommée de cet auteur si fécond ne devait pas survivre et n’a pas survécu à son temps. (Alphonse Royer276.)

Toutes ces oeuvres, si bien oubliées, sont mal combinées, mal écrites surtout, et si l’auteur ne continue ni Jodelle ni Garnier, il faut avouer qu’il n’ouvre aucune route, malgré les licences qu’il se donne. C’est donc à tort qu’on le regarderait comme l’un des fondateurs de notre théâtre et que l’on voudrait en faire par l’intention du moins, une espèce de Shakespeare sans génie. Alexandre Hardy ne vaut pas le dernier des dramatistes anglais du 16e siècle. (Alphonse Royer277.)

Hardy est un poète absolument impersonnel, un compilateur de première force ; il rend les idées qu’il a prises, telles quelles, sans se donner la peine de les marquer de cette empreinte originale qui a fait le charme et la grandeur d’un poète. (…) Il y a dans son oeuvre un manque de tact, une crudité d’expressions, une grossièreté dans les actes dont ni Sénèque ni Jodelle n’avaient donné d’exemple. (Jules Beraneck278.)

Sénèque est un psychologue, Hardy est un esprit plat et vulgaire. (Jules Beraneck279.)

Concernant la parenté de deux pièces : l’Alcméon de Hardy et la Médée de Sénèque il dit : « nous pourrions nous livrer ici à une étude détaillée et parallèle des deux tragédies mais nous ne croyons pas que celle de Hardy en vaille la peine. » (Jules Beraneck280.)

Doué d’une facilité prodigieuse pour rimer et dialoguer, il s’engagea, jeune encore, en qualité de poète dans la troupe de comédiens que nous avons vue s’établir à Paris, et pendant 30 ans il défraya par ses 800 pièces, la curiosité publique. Cette longue fécondité, qui donna à de meilleurs que lui le temps de naître et de croître, fut à peu près son unique mérite. Sans prétention comme réformateur, il s’inquiéta avant tout, de gagner ses gages en remplissant sa tâche de chaque jour, et que l’on ne peut guère aujourd’hui le louer d’autre chose que d’avoir été un manoeuvre laborieux et utile. (Sainte-Beuve281.)

Les pastorales sont toujours par la forme et souvent par le fond empruntées de celles qui à cette époque infectaient l’Italie et les copies plutôt rustiques que champêtres de l’imitateur ont de moins encore que les originaux le charme continu d’une langue naturellement pittoresque et mélodieuse. (…) Hardy ne manque pas de s’en emparer et corrompit encore davantage par un style diffus, trivial, incorrect, qu’à ses inversions fréquentes on serait tenté de rapporter aux premiers temps de Ronsard. (…) Nous insisterons peu sur des pièces dont la monotonie n’est jamais relevée par la moindre beauté, et dont les licences mêmes, effroyables naguère ont perdu aujourd’hui le piquant du scandale. (Sainte-Beuve282.)

Quand un ou deux traités aristotéliques auront passé dessus, que l’horloge sera mieux toisée, on aura précisément cette forme tragique, dans laquelle Corneille paraît si à l’aise. Le bon Hardy l’a introduite le premier, comme au hasard. (Sainte-Beuve283.)

Hardy possédait quelques sérieuses qualités de style, mais il les a d’abord compromises dans l’imitation de Ronsard et de son école, il les a noyés ensuite sous l’intarissable flot de sa production. (Eugène Rigal284.)

Mais le plus souvent la facture de ses vers est comme celle de son style : archaïque, obscure, incorrecte et plate. Deux traits le caractérisent : Ronsardiste attardé, il conserve avec soin les traditions, les procédés, surtout les licences de la Pléiade ; improvisateur hâtif, il ne se donne le loisir, ni de développer ni de combattre ses défauts, ses beautés sont éclatantes mis passagères ses fautes grossières et innombrables. (Eugène Rigal285.)

A quoi attribuer ce vice capital ? A une maladroite imitation des auteurs latins et de Ronsard ? Oui en partie. A ce que Hardy n’avait pas les talents du poète et de l’écrivain ? en partie encore. Mais la clarté n’est pas une qualité accessoire, c’est la plus nécessaire de toutes pour un dramaturge populaire comme notre auteur. Or ce n’est pas l’homme qui, le premier avait su prêter quelque vie à la tragédie, donner une forme amusante à la tragi-comédie, et à la pastorale, préparer ses scènes et ses effets, et, pour tout dire d’un mot, créer un public à la scène française. Ce n’est pas cet homme, dis-je, qui pouvait méconnaître une aussi évidente vérité. (…) L’improvisation, on la sent partout chez Hardy et non seulement dans ses solécismes ou barbarismes, dans ces ellipses trop fortes, dans toutes ces fautes de style que nous venons d’étudier, mais encore et surtout dans les répétitions, qui sont un des traits frappants de sa manière. Ce fournisseur de drames avait trop de vers et de scènes à donner au public, et il avait trop peu de temps d’en chercher, pour ne pas reprendre ce qui était son bien, après tout, et ne pas se répéter lui-même le plus possible. (Eugène Rigal286).

Après ce que nous venons de dire, on devine aisément quel mélange de platitude, d’emphase, de phraséologie maniérée doit offrir le style de notre auteur. (Eugène Rigal287.)

Dans sa lutte contre les difficultés sans nombre, la langue de Ronsard a été pour lui un arc d’Ulysse : force et loisir lui manquaient sans cesse pour le tendre, et sans cesse les traits s’échappaient de sa main ridiculement nombreux et impuissants. (Eugène Rigal288.)

Mais tandis que les poètes de la Pléiade étaient au moins pour la plupart, de laborieux écrivains, limant et polissant leurs vers, soigneux de la langue aussi bien qu’épris d’harmonie, Hardy était un improvisateur besogneux, qui ne pouvait laisser retarder sa production, ni par les lois du vers, ni celles du langage, et qui trouvait souvent plus simple de créer le mot ou la tournure dont il avait besoin que de les chercher. (Eugène Rigal289.)

Ce dramaturge habile est un fort mauvais écrivain. Cela est vrai, il est peu de genres de fautes dont on ne puisse trouver chez lui de nombreux spécimens, cela est vrai encore. Mais il ne faudrait pas ni croire, ni laisser croire que tout chez lui est impropre, incorrect, obscur, alternativement bas ou prétentieux. (Eugène Rigal290.)

Il a manqué, à notre premier tragique le génie, surtout le génie littéraire (…) sans goût et sans style Hardy est homme de théâtre ; il voit les chose en scène. Méchant écrivain, c’est un bon dramaturge. (Gustave Lanson291.)

Après les beaux esprits, les poètes de Cour, les abbés et les courtisans lettrés du XVIe siècle, Alexandre Hardy représente une nouvelle espèce d’écrivain, l’auteur besogneux, famélique, à la verve inépuisable, incessamment sollicitée par le besoin de vivre, et qui voit dans l’invention dramatique moins une carrière à parcourir qu’une mine à exploiter et pour tout dire un gagne pain. (Henri Tivier292.)

Ces tragédies ne peuvent nous convaincre, on ne le sait que trop : elles manquent d’invention. Hardy n’était pas un créateur de formes ; sa conception tragique de l’homme, neuve et moderne, emprunte une dramaturgie désuète qui ne peut la recevoir. (Octave Nadal293.)

Parce que Hardy déroute ses lecteurs, la tentation est grande de croire que lui-même se perdait dans son propos. (Louis Marmin294.)

L’image que Hardy nous a laissé entrevoir à travers ceux de ses écrits où il tente de se justifier vis à vis de ses lecteurs contre les imprimeurs et rivaux est celle d’un homme hargneux cherchant volontiers querelle et se laissant trop facilement emporter à des excès de langage de nature à le desservir en face d’adversaires lus modérés. Hardy présentait tous les symptômes de la paranoïa auxquels se mêlait une tendance certaine à la mégalomanie et à la mythomanie. (Louis Marmin295.)

Hardy ignore complètement le souci de bienséance : on se bat et on se tue sur son tréteau. Tout est énorme dans ses drames, les passions y sont effrénées et se frayent une voie à travers les flots de sang, sur des monceaux de morts. C’est un monde noir qui accumule tous les procédés susceptibles d’ébranler les nerfs du public : trahison, empoisonnements, adultère, meurtres, suicides. Rien n’est épargné à la sensibilité et à la vue du spectateur. (Carla Federici296.)

Appendice 2 : « Au lecteur » du tome 1 §

Je sçay, Lecteur, que mon histoire Etiopique, toute monstrueuse des fautes survenuës en sa première impression, fit faire une mauvaise conséquence de mes autres ouvrages à certains Aristarques, et nommément à ces frélons qui ne servent qu’à devorer le miel des escrits d’autruy, ne pouvants d’eux-mêmes rien mettre dehors, que l’aiguillon de la médisance. Je me serviray contre eux du privilège d’une loy militaire, qui permet au soldat, ne pouvant plus fuir, de mettre l’épée à la main contre son Capitaine, comparant tels censeurs à ceux qui sans joüer, contrôlent, et remarquent hardiment les fautes commises sur le jeu, mais qui ne joüent jamais, où faute d’argent, où crainte de perdre : ainsy leurs calomnies mordent impunément sur la réputation des gens d’honneur, à faute de donner prise sur eux, d’autant que telles tortuës ne mettent jamais la teste hors la coque de leur ignorance. Condamner un livre à son ouverture est paroistre indigne de sa lecture, et montrer plus de passion que de jugement : aussy les meilleurs juges ne sont pas ordinairement les plus severes, et si la prudence ne guide en telles actions, la même perfection ne se treuvera qu’imparfaite : un Appelle rencontrera mille faquins, disposez à contrôler ce qu’ils doivent admirer : Non pas, Lecteur, que je te vueille nier icy, ce que j’avoy là ingenuëment confessé ; beaucoup de défectuositez, pardonables à une jeunesse impetüeuse, qui ne tâchoit en ce tems là, qu’à se sauver à la nage, des griffes de celle, qui le plus souvent dévore les meilleurs esprits. Quant au chois de ces dernières fleurs que je donne à ta curiosité, l’envie y treuvera possible plus de résistance, ton goust plus d’apétit, et ma juste douleur quelque allégeance en ton contentement. Ma Didon presque entièrement imitée du Poëte Latin, au moins te prépare le plaisir de conférer sa version avec celles des autres : Et la diversité des sujets qui la suivent, comme du tout miens, montreront ce que j’ay pû seul ; les Choeurs y sont obmis comme superflus à la représentation, et de trop de fatigue à refondre. J’ayme mieux te repaître encor de l’espérance de quelque dernier mets, autant digne de ta bienveillance que du service de l’Auteur.

Appendice 3 : « Au lecteur » du tome 2 §

La vérité plus que la vanité m’oblige à t’avertir, amy Lecteur, que l’avarice de certains Libraires fait couler sous mon nom une rapsodie de Poëmes intitulez Le Theatre François, que je ne desavoüe par mespris, et ne puis avoüer pour mon honneur : ton jugement susceptible de plus grandes difficultez en sçaura faire la distinction, et ce mot d’avis m’acquittera vers le public.

Appendice 4 : « Au lecteur » du tome 3 §

L’honneur et la vérité m’obligent d’avertir le Lecteur par forme d’Apologie, que l’Oracle de ce grand Ronsard, dans une sienne Elegie à Grevin, s’acomplit de nos jours, & que la Poësie passe desormais chez quelque autre nation plus judicieuse, & moins ingrate que la nostre : car l’aparence de retenir davantage les Muses chez nous, après les avoir dépoüillées, & réduites à telle pauvreté, qu’à peine se peuvent elles servir de quelques paroles affectées, qui passent à la pluralité des voix, par le suffrage de l’ignorance, pour déplorer nostre folie, et leur misere. L’excellence des Poëtes d’aujourd’huy, consiste en la profession que faisoit Socrate, (mais plus à propos qu’eux) de ne rien sçavoir ; qu’ainsy ne soit, examinons la tyrannique reformation que les principaux d’entr’eux veulent faire, & que des Arbitres sans passion, jugent après, s’il est licite de détruire les principes d’une Sçience pour la réformer en perfection : Leur première censure condâne entièrement les fictions, ainsy que superflues, au lieu qu’une infinité de belles conceptions s’y raportent, et se fortifient en leur apuy : les Epitetes, les Patronimiques, la recherche des mots les plus significatifs, et propres à l’expression d’une chose, tout cela ne leur sent que sa pédanterie : les rithmes pour lesquelles ils font tant de bruit, ce sont eux qui les observent le moins, aussi se veulent elles puiser dans une source plus profonde. Si bien que nostre langue, pauvre d’elle même, devient totalement gueuse en passant par leur friperie, & par l’alembic de ces tymbres félez. J’aprouve fort une grande douceur au vers, une liaison sans jour, un choix de rares conceptions, exprimées en bons termes, & sans force, telles qu’on les admire dans les chef-d’oeuvres du sieur de Malherbe ; mais de vouloir restreindre une Tragédie dans les bornes d’une Ode, où d’une Elégie ; cela ne se peut ny se doit, non plus que se rendre passioné partisan de Montagne, pour mettre en usage ces mots de propreté, politesse, & autres, plutost que suivre l’autorité d’Amiot qui dit, polissûre, & propriété, de meilleure grâce. Nos champignons de rimeurs, trouvent étrange aussy, qu’en Poëmes si laborieux, & de longue étendüe que les Dramatiques, je face dire aux personnages, exclus, perclus, expulsez, sans pouvoir au demeurant trouver une seule rime licencieuse, où forcée : mais lors que ces venerables censeurs auront pû mettre au jour cinq cens Poemes de ce genre, je croy qu’on y trouvera bien, autrement à reprendre non que la qualité ne soit icy preférable à la quantité, & que je face gloire du nombre qui me déplaît ; au contraire, & à ma volonté que telle abondance défectueuse, se pût restreindre dans les bornes de la perfection. La force de leur calomnie m’a contraint de prendre ce bouclier plus que suffisant d’en rabattre les coups : quiconque au surplus s’imagine que la simple inclination dépourvûe de sçience puisse faire un bon Poète, il a le jugement de travers, & croiroit à un besoin que le corps pût subsister sans âme, attendu que la Poésie s’anime des plus rares secrets de toutes les sciences, comme les oeuvres d’Homère, & de Virgile en font foy, esquelles n’apartient qu’aux esprits solides, et capables d’assoir un jugement diffinitif, sur la controverse de laquelle, il s’agit icy.

Appendice 5 : « Au lecteur » tome 4 §

Aucun ne doit trouver estrange, si à l’exemple d’un pere qui semble naturellement obligé de quelque préférence d’affection vers les enfants qui luy ressemblent le plus, je donne un droit de primogéniture contre l’ordre, à ce dernier volume qui vient de sortir au jour, Veu que les precedents me font rougir de la honte des Imprimeurs, ausquels l’avarice fist trahir ma réputation, estans si pleins de fautes, tant à l’ortographe, qu’aux vers, que je voudrois de bon coeur en pouvoir effacer jusques à la mémoire. Au regard du dernier, un Imprimeur digne de sa profession, te le rend, Amy Lecteur, outre qu’il consiste d’une élite de poëmes soigneusement élabourez, aussi correct que le peut souffrir la première presse : bref que sa diligence contribuant à mon labeur, le donne au public, capable de contenter les plus difficiles, sinon de l’esprit au moins de la veuë, ou possible de tous les deux. Car jaçoit que Paris excelle en nombre d’Imprimeurs, qui ne le cedent à aucuns de l’Europe ; cela n’empesche que beaucoup de passe-volants : Et de ma part j’ayme mieux que mon livre sans autre circonspection soit bien imprimé à Roüen, que mal à Paris : Certain que l’expérience heureuse à quiconque honorera celui-cy d’une lecture sérieuse, le range à mon party, veu que nulle transposition notable, nul sens perverty, et nulles obmissions d’importance ne démembreront le corps de l’ouvrage, me faisant souffrir la peine de la coulpe d’autruy. S’estendre au surplus davantage, sur ce qui concerne les particularitez du plus grave & laborieux poëme de tous, ne sentiroit qu’une repetition autant ennuieuse que superflüe, à ceux qui en ont desja veu mon sentiment ailleurs : outre qu’il vaut mieux taire les loüanges que sa profession, que donnant trop de carriere à la vanité, s’usurper une tyrannie sur la liberté du jugement public, duquel tout homme bien sensé doit attendre sa réputation.

Appendice 6 : « Au Lecteur » du tome 5 §

Je t’useroy volontiers, Lecteur, en ce qui regarde ma profession, de la confidente repartie que Phocion fit au peuple Athenien, lors qu’il s’affirma être celuy que l’Oracle avoit dit resister seul à tous les autres en l’administration de la République : & sçache que l’honneur me tient icy lieu d’un cas de conscience, pour désabuser ces crédules qui reçoivent en la carrière des Muses, ceus qui n’y peuvent disputer que le pris de l’ignorance, composé pour eux d’une couronne de chardons ; désordre provenant, à mon avis, de ce que selon l’humeur Françoise, une infinité de cerveaus mal-faits attribuent la perfection des choses à leur nouveauté, et n’en poisent les mérites qu’à la balance d’une faveur autant inique qu’imprudente : pour preuve de mon dire, la Tragédie, qui tient rand du plus grave, laborieus, & important de tous les autres Poëmes, & que ce grand Ronsard feignoit de heurter crainte d’un naufrage de réputation, se traite aujourd’huy par ceux qui ne virent seulement jamais la couverture de bons livres, qui sous ombre de quelques lieus communs pris & apris en Cour, se présument avoir la pierre philosophale de la Poësie & que quelques rimes plattes entrelacées de pointes affinées dans l’alembic de leurs froides conceptions feront autant de miracles que de vers en chaussant le coturne : d’autres aussi, que l’on pourroit nommer excremens du Barreau, s’imaginent de mauvais Advocats pouvoir devenir bons Poëtes en moins de temps que les champignons ne croissent, & se laissent tellement emporter à la vanité de leur sens, & des louanges que leur donne la langue charlatane de quelque écervelé d’Histrion, que de là ces miserables corbeaux prophanent l’honneur du Theâtre de leur vilain croacement, & se présument être sans apparence ce qu’ils ne peuvent jamais espérer avec raison, jusqu’à bâtir s’il étoit possible sur les ruines de la bonne renommée de ceux qui ne daigneroient avouer de si mauvais écoliers qu’eus. Or afin que peu de lignes te crayonnent et répètent mon sentiment sur les parties esquelles consiste la perfection de la Tragédie, & pour môntrer combien ces mauvais Archers tirent loin du but, je diray que le sujet de tel Poëme faisant comme l’âme de ce corps, doit fuir les extravagances fabuleuses, qui ne disent rien, & détruisent plutôt qu’elles n’édifient les bonnes moeurs ; que le vray stile tragique ne s’accorde nullement avec un langage trivial, avec ces delicatesses effeminées, qui pour châtouiller quelque oreille courtisane mécontenteront tous les experts du métier ; que quiconque se soumet en tel ouvrage aux tyrannies de nos derniers censeurs, déchet du privilège de la venerable antiquité luy donne pour en venir à son honneur ; que la disposition ignorée de tous nos rimailleurs regle l’ordre de ce superbe Palais, qui n’est autrement qu’un labyrinthe de confusion, sans issüe pour ces monstres d’Auteurs : la grace des interlocutions, l’insensible douceur des digressions, le naïf rapport de comparaisons, une égale bienséance observée, et adaptée aux discours des personnages, un grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur, & résonnent jusqu’en l’âme du spectateur : voilà selon ce que mon foible jugement a reconeu depuis trente ans pour les secrets de l’art, interdits à ces petits avortons aveuglez de la trop bonne opinion de leur suffisance imaginaire. Et s’ils t’objettent que mes écrits franchissent souvent la borne de ces beaux préceptes, la veuë, au pis aller, fera foy qu’entre six cens Poëmes, & plus de ce genre, aucun ne s’égare tant du bon chemin que le plus poly des leurs, pourveu qu’un arbitre capable & sans passion vueille prononcer là dessus. Paye-toy, Lecteur, de ces raisons comme de bon aloy, et qui furent de mise entre ces plus renommez Grecs, Latins, et Italiens, qui eleverent jadis le Théâtre au trône de sa perfection, sans t’amuser à l’apparence extérieure de ces inventions bizarres & chimériques à la mode ; autrement tu imiteras ces petits enfants, qui estiment plus la pienture [pour peinture] d’une pirouete, que les plus vives couleurs & les plus beaux traits du meilleur original de Michel Ange. Quant à moy, cette consolation du sage Athénien, me demeure, que ces foibles cervelles qui m’auront autrefois condamné en l’accès de leur phrenesie, m’absoudront une jour de leur resipiscence ; outre que ceux à qui la dépravation du goût fait trouver mes viandes mauvaises, seront quittes pour les laisser à de moins difficiles, & plus judicieux, qui m’en sçauront gré.

Appendice 7 : Lettres Poliarque et Darmon sur les mesdisances de l’autheur du theatre §

A PARIS

Chez FRANC. TARGA au premier

Pilier de la grand Salle du Palais,

Devant les consultations

[ trait]

M. DC. XXVIII

Avec permission…

Lettre a Poliarque §

Poliarque, je croy que vous aurez sceu ce que je viens d’apprendre. L’autheur du Theatre est allé jusques dans le Palais faire un proces par escrit a certains Advocats qu’il accuse de s’estre divertis à ses despens : mais son accusation est si pleine d’injures qu’elle ne peut estre bien receue. Je me suis imaginé que ce paquet s’addresse à vous, c’est le premier messager de vostre gloire, et sans doute qu’il a travaillé bien inutilement, si son dessein n’a pas esté de l’augmenter. Je ne scay si vous devez ou parler ou vous taire, le silence en ce cas tesmoigne ou peu de sentiment ou beaucoup de timidité. Son animosité qui persécute vostre réputation s’affoibliroit assez sans defence pour cette premiere atteinte, mais il faut empescher que ses mesdisances n’aillent plus avant et n’obligent vostre plume a votre honneur toutes les fois que vous ferez paroistre les avantages que vous avez de la Nature. Il faut estre comme l’Echo, qui ne parle jamais qu’on luy parle, mais qui ne se peut taire, quand on l’attaque. On croiroit qu’il veut monstrer sa franchise en ses censures, s’il ne passoit auz outrages, mais son stile marque sa passion et son vieil age fait voir que le vin et la vie s’aigrissent facilement estant au bas. Les 3 grandes vertus ne seront jamais sans jalousie, quoy que le Soleil face moins d’ombre sur la terre, plus il est haut monté : mais comme la flamme s’estouffe par sa propre fumée, j’ay peur pour vostre Censeur que la gloire de ses ouvrages ne s’obscurcisse en son envie. Un bon courage parle librement mais sans aigreur ny mesdisance : et si son âge luy donne une plus grande licence de parler, il ne s’en doit pas rendre indigne par la calomnie. Il a peut estre leu qu’on voit rarement un grand esprit sans quelque meslange de folie et par cette raison il a pensé donner une marque du sien dans son extravagance : et d’autant que les plus sages font souvent les plus grandes fautes, il a voulu monstrer de la sagesse dans son erreur, en quoy cet autheur a fait voir qu’il estoit capable de leurs defauts et non de leur vertu. Quand il vante ttes ses pièces, il me semble ouyr un homme qui a beaucoup navigué sans arriver à un port, et lorsqu’il esleve ses 600 poemes sur le vostre, il me souvient de la Renarde d’Esope qui faisant beaucoup de petits, reprochoit à la Lyonne qu’elle ne faisoit qu’un : non dit-elle mais c’est un lyon.

Il se dira père des poètes, ce sera quand Ronsard et ses imitateurs n’auront point escrits : toutesfois je veux qu’il en prenne le tiltre, c’est une cruauté de vouloir estouffer ses enfans qui ne font que naistre. Ses partisans l’appelleront un Aigle, ce sera donc pour ce que sa plume ne peut souffrir le meslange des autres sans tascher à les corrompre. Sa plume veut troubler le cours de la vostre, comme une belle eau dedans sa source, en cela il fait un aussi grand crime, qu’on eust faict autrefois de vouloir forcer une Vestale. Vos fondements, Poliarque, occupent tant de lieu qu’on peut aisement juger de la hauteur de l’edifier : et bien que les vertus ne se produisent pas toutes en un jour, vos ouvrages pourtant sont comme ces fruicts, de vie qui meurissent devant les autres. On ne s’estonne pas pour voir de la maturité dedans l’Automne, et se seroit une merveille d’en voir dans le Printemps : les premieres saisons des années n’ont que les esperances : et vostre jeunesse monstre aussi tost le fruict que les fueilles ; c’est le miracle qui se lit a la naissance du monde : Quiconque attend la sagesse du temps en est plus obligé aux années qu’à soy mesme : la vostre se fait voir en naissant, la suitte de vostre vie servira plustost à la continuer qu’à l’accroistre. Je croy que vous n’enviez point à vostre ennemy les facultez de son ame, ni de sa maison : sa gloire, ny ses ventes, et que vostre seul divertissement fait tout vostre crime. Ne vous ressentez pas pourtant ce qu’il a dict, ses passions luy font assez d’ennemis chez luy, son envie est sa peine et ses escrits mesme son mescontentement. L’Epistre qu’il addresse au Lecteur dans son dernier Livre, est un ouvrage que personne ne louera, que de bons esprits n’approuveront jamais, et que ses amis mesmes se contenteront de ne pas blasmer. Il ne faut que pouvoir parler pour sçavoir mesdire : toutefois il faut apprendre de son ennemy quand il fait bien : peut estre que vous n’escrivez pas selon ses crimes : « il faut chausser le cothurne et dans la carrière des Muses ne pas attribuer la perfection des choses à la nouveauté, craindre le naufrage de réputation, éviter ces délicatesses effeminées et surtout rejetter bien ses rimes plattes de pointes affinées dans l’alambic d’une froide conception » et joignant à cela le Trepte Tymbrean, c’est pour faire un cabinet d’Antiquitez. Si vous lui respondez, il esclattera mais les plus grands tonnerres se perdent en fumée : sans craindre l’envie. Il se faut approcher de la Vertu et ne pas quitter le gloire de l’une pour se défaire des importunitez de l’autre : il vaut mieux estre Achille avec des rivaux que Thersite sans envieux. S’il avoit parlé sans interest, il seroit mieux receu : pour moi je ferois gloire d’apprendre voire de mes valets : je recevrois la vérité de la bouche mesme de mes ennemis : quelque part que je treuve la raison, je m’y laisse aller sans opiniatreté. Mais un homme qui veut apporter le fer pour emporter la pièce qui veut feindre une playe pour en faire une véritable s’il peut, c’est estre du siècle des tyrans plus tost que du nostre : quoy qu’il face toutesfois il en sortira moins de sang que de gloire. Je croy qu’il n’est pas Stoïcien ou qu’il renonce à cette maxime de leur Secte, que la passion ne tombe jamais dedans l’âme du sage. Il se fasche de la bonne fortune de vos oeuvres : il faut donc faire comme à ce Prince de Sparte qui pour le renom et l’amitié qu’il s’estoit seul acquis sur l’opinion et le coeur des citoyens fut condamné à l’amende. Mais le Soleil se leve pour tout le monde, personne ne se plaint qu’il n’est commun, cette sorte de biens se communique à tous sans division, comme une mesme voix s’entend également par diverses oreilles, comme le feu eschauffe en pareil degré ceux qui s’en approchent avec mesme distance : les sciences en font de mesme, ce sont des maistresses qu’on ne dira point inconstantes pour recevoir plusieurs rivaux a leur amour : lorsqu’elles ont esté chez luy, il les y devoit arrester, s’il craignoit qu’elles fussent communes, comme les Lacedemoniens qui enchainoient le simulachre de Mars pour retenir la force avec ce Dieu des grands courages et les Athéniens qui couperent les aisles de l’Idole de la victoire pour ne la perdre jamais. La gloire ouvre les bras à quiconque la veut mériter, elle n’est point avare au travail, c’est une lumière qui luit à tous ceux qui ne sont pas aveugles, elle n’est jamais pourtant toute occupée, c’est une source qui renaist plus on l’espuise. Ceux qui nous ont précédé en ont eu leur part, nous aurons la nostre sans diminuer celle de nos successeurs.

Il blasme cette grande affluence de pensées et conclut de là contre la bonté des pièces nouvelles, comme si l’on ne voyoit point des femmes belles et bonnes tout ensemble, comme si le Médecin éloquent avoit moins d’expérience en son art et qu’il ne peust donner la guérison pour ce qu’il parleroit trop disertement. Un grand capitaine n’est pas moins à priser quand il est honni, les ornements du corps au contraire font paroistre avec plus d’advantage les perfections de l’esprit. Il semble à l’ouyr que dans un changement de stile contraire au sien on face des hérésies et des mutations d’Estat, qu’il soit contre l’ordre de la police et la paix du Royaume, il en escrit a un des meilleurs jugemens de la France, comme s’il n’estoit pas assez juste pour recongnoistre sa passion et la blasmer. Il vous accuse de n’avoir jamais voir la couverture mesme des bons livres : je scay bien qu’un d’entre vous qui m’est fort proche a veu que celle des siens pour le ou dire qu’ils sont mauvais ou que sa proposition est fausse. Il vous appelle de laids monstres comme s’il en avoit de beaux : un Pere de l’Eglise a dict que la France n’en produit point, mais il n’en a pas leu le passage. Son humeur n’est pas courtisane, il a choqué les complimens de Cour, il ne nous en donnera jamais d’eau beniste, puisque il n’y en a point en sa Paroisse. Il dit que vous estes de mauvais Archers et que vous tirez bien loin du but : je suis marry qu’il juge des oup sans les avoir veuz. Au rapport d’un homme que je penserois trop honorer en les nommant dans mes Escrits. Il vous prend pour des corbeaux et vostre harmonie luy est un croacement mais la plume et le chant font cognoistre l’oyseau. Il ne voudroit pas vous avouer pour escoliers aussi est il votre pedecesseur et non vostre maistre : C’est un advantage du temps que tous ceux de son âge ont aussi bien sur vous que luy. Ceux qui ne scavent pas comme moy que son Epistre est faicte dans ses acces de fievre peuvent pourtant juger qu’il falloit estre malade pour se laisser aller jusques à vous nommer Excremens du barreau : je croy sans mentir qu’il a pris cette métaphore sur la selle pour vous mettre en mauvaise odeur : sa médecine toutesfois luy a faict une tres mauvaise opération : et je me promets que cette injure treuvera des juges pour la condamner autant que de lecteurs. En fin les discours à la mode sont de mauvais goust à cet autheur malade : s’il falloit escrire comme anciennement il faudroit donc aussi que ce fust sur des palmiers, des tablettes et de la cire pour ne deschoir en rien de la venerable Antiquité comme il dit que vous faittes. Mais on a treuvé depuis quelque chose de plus délicat que l’escorce pour recevoir aussi facilement les belles pensées, qu’elles se conçoivent par les bons esprits. Les Contes de la Reyne de Navarre ont eu leur temps, on travaille aujourd’hui plus utilement à de meilleurs ouvrages. Monsieur d’Urfé n’a pas escrit comme Esope ny Théophile comme Marot : s’il n’y avoit que les gentils-hommes qui prissent les armes come aux vieilles guerres, ce seroit suivre l’antiquité et faire beaucoup de fainéants. Il y a eu des temps si malheureux que les Sciences ont faict horreur : la pureté des langues augmente de jour en jour : on ne gesne plus son esprit pour tirer par force une parole et l’on treuve des senteurs d’eau rose sans alambic. Tous les siècles ont produit de bons esprits, comme toutes les mers peuvent former de belles perles : mais il ne faisoient pas si bien valoir. Les femmes d’aujourd’huy ne sont peut estre pas plus belles que les anciennes Grecques, mais elles se parent mieuz. Les premiers Poètes estoient devins, ceux d’aujourd’hui sont divins. Nous ne sommes plus au temps qu’il falloit aller chercher la doctrine dans les cloistres, on parle bon latin hors les Cordeliers, et bon François ailleurs que dans la Cour : plusieurs grands genies du Parlement me font foy de l’une et de l’autre vérité. On ne s’amuse plus à disputer sur une étymologie : la science des lettres et des syllabes est bonne pour les enfans : on ne se met pas en peine d’ou soient dérivez les mots, pourveu qu’ils soient bons ; ceux qui sont barbares sont chassez du commun usage, comme autrefois les estrangers de Rome. On ne bastit plus comme on faisoit, les Peintres ont d’autres manières, les tireurs d’armes d’autres leçons, les capitaines d’autres subtilitez : les airs nouveaux en la musique sont toujours agréables : et les inventions non encore veues ont un merveilleux appas dedans un poème : le temps nous amène avec les jours de nouvelles esperiences : qui eust laissé l’eau comme nous l’avions de nos premiers parens, nous n’aurions pas ces belles grottes où l’artifice dispute avec la Nature et qui sont aussi plaisantes à l’oeil que les grands fleuves sont utiles au commerce.

Si la France maintenant venoit à produire de l’or comme au Pérou on ne laisseroit pas d’en user bien qu’on n’en eust point encore veu : et si l’Autheur du Theatre n’aime pas les nouveautez que diroit-il donc de ces nouvelles Estoiles d’Eloquence dont le premier miracle est de paroistre plus vivement au jour que mille lumières qui prennent tiltre de Soleil ? Si l’on eust pris son conseil la Digue asseurement estant une nouveauté seroit encore à faire à la Rochelle. En fin pour conclure, c’est une loy générale qu’il faut observer les loix du pays ou l’on est : mais nous ne sommes pas Romains ny Romans, nous escrivons à Paris, on y parle assez bien, sans emprunter un idiome estranger. Et à dire vray, les Escrits de vostre Censeur ont quelques teintures de doctrine. Mais ils ressemblent auz médailles que l’on chérit plus pour ce qu’elles marquent des antiquitez que pour leur propre beauté ; mais je suis trop long ; brisons-là : j’ay peur de vous charger d’ennuy en me deschargeant de mes pensées : Damon vostre plus intime, et que j’aime autant que moy mesme, voudroit sçavoir vostre sentiment sur un si beau sujet. Thyrsis et Alcidon, que la fréquentation fera toujours recognoistre pour de très bons esprits attendent cela de vous et ne sont pas d’advis que vous laissiez toucher vos roses à ces mains profanes sans les picquer. La gloire vieillit assez tost, sans la laisser en proye à la passion de nos censeurs. Ce critique injurieux dont la haine se porte jusqu’à ceux qui chantent vos louanges, les ayant apprises de la vérité, feroit parler de sa victoire par vostre silence, ou vos Escrits luy feront céder le prix à ceuz qui le méritent mieux que luy. »

Lettre a Damon §

Damon, je scay bien que la Nature mesme donne point assez de forces pour resister aux passions qui nous suivent toujours, à qui mesme nos propres sentimens permettent bien souvent l’entrée et le gouvernement de nos âmes. Puisque l’Autheur du Théâtre est homme : du moins puisqu’il en a la figure, il est aussi subject aux communs defauts, et aux mouvements d’affection ou de haine qui prennent leur diverse naissance dans le commencement et la suitte de nos ages. Je m’estoit imaginé jusques icy que la vieillesse ne consumoit les forces du corps qu’à dessein de donner à l’esprit celles que la jeunesse luy refuse contre l’attainte des passions : mais ce vieux Autheur de qui la plume et les actions se conduisent au gré de l’Envie m’en fait treuver une expérience contraire dedans l’excès de ses folles extravagances, où j’apprends que les racines d’un poil grison sont vertes bien souvent. Cette maladie est quelquefois incurable et sa médecine est en la raison qu’elle ne peut souffrir. Toutefois qu’y feroit-on s’il est extravagant ou fol, cela luy vient de la Nature, de qui les défauts et les vices sont plus forts que toutes sortes de remèdes. La suitte confuse de ses paroles mal arrangées, et le désordre d’un jugement qui ne peut nuire qu’à son autheur, donnent contre luy un asseuré tesmoignage de son envie, et me fournissent de raisons pour te confirmer ce que je t’en ay dict.

Qu’il esclatte contre toy, que sa vanité emprunte injustement la répartie de Phocion : on sçait bien qu’il tonne sans cesse à l’entour de la Vertu et que l’Envie, qui se treuve toujours à sa naissance, a cela de bon dans la malice de ses discours qu’elle fait cognoistre les vertueux. C’est une gloire que de treuver des envieux, tout le monde n’en est pas capable, ils ne s’addressent qu’au mérite ; et je veuz croire que nostre suffisant passionné n’a jamais eu cette gloire. Il la recherche en s’attaquant à toy, mais ses discours t’ont tousjours donné plus de pitié que d’envie, et tu luy fais autant d’honneur en parlant de luy que tu tires de preuves de son imprudence dans la vanité de ses Escrits. Il veut persuader là dedans que les pointes de tes conceptions sont mal affilées : il est vray toutes fois qu’elles l’ont picqué jusqu’au vif et que s’il avoit du coeur, il eust plus tost treuvé la mort dans leurs picqueures que des calomnies.

Ne t’estonne point de ses injures, ce sont les discours ordinaires des ignorans qui blasment indifferement le vice et la vertu sans cognoistre ny l’un ny l’autre : une bouche puante et infecte ne sçauroit envoyer que des odeurs de mesme nature. Ceux de la sorte, à qui la mesdisance sert d’estude, condamnent toutes choses comme un crime et ne sçauroient rien prouver ; si bien que pensant descouvrir les moeurs des autres, ils descouvrent la maladie de leur esprit. Un homme raisonnable ne s’amuse point aux injures, d’ou l’on ne sçauroit esperer que du mespris : et celuy que le désir de la louange n’a jamais poussé dans les termes de l’honneur, ne sçauroit s’empescher par la crainte du blasme de ce que la raison ne peut permettre. Bien qu’il paroisse en colere dans ses discours, les amis veulent l’asseurer qu’il a perdu son naturel sauvage, et que son humeur frenetique l’a rendu plus doux et plus accostable, puis qu’elle luy a faict vomir tout son fiel. Il t’a faict sçavoir par escrit qu’il ne daigneroit t’advouer pour un de ses escoliers, aussi serois-tu fasché d’avoir estudié sous un si hardy Pedant qui ne met en pratique que la seule ignorance des regles qu’il nous donne. Cependant sa témérité nous veut apprendre qu’il suit en cela, les anciens Autheurs, tant Grecs, Latins, que Italiens, et autres : mais on ne voit point dans leurs oeuvres qu’il ayent esté barbares en leurs langues comme il l’est en la sienne.

Damon, je veux sur ce sujet t’enseigner de sa part une belle façon de dire poëtiquement (auparavant la nuit) ; voicy l’elegance de nostre Autheur tirée des secrets qu’il estudia l’espace de trente ans (auparavant le Soleil abconsé) [ note : expression de la pièce de Timoclée de Hardy]. Ce mot à ton advis n’est-il pas capable de chasser le Soleil du monde, et de luy faire avancer sa course dans la mer pour y noyer ce monstre d’absconse, qui l’accompagne avec tant d’horreur et d’infamie ? Si la langue Latine n’estoit point morte, elle l’accuseroit de cruauté, pour l’avoir escorchée de telle façon à la contrainte d’une rime ; (comme il dit) l’Aréopage des Muses offencées luy en prepareroit la punition, si l’envie et la haine qu’il nous porte ne luy servoient de chastiment.

Et puis pour eslever ses capacitez il reproche une mauvaise disposition de Theatre a tes oeuvres : j’advoue qu’il sçait fort bien la dispsition de celuy de l’Envie ; et j’asseure aussi qu’il n’y sçauroit faire jouer un bon personnage à la Raison. Qu’il considère son âge et le tien, et qu’il rappelle son jugement, afin de luy faire attendre que le Soleil soit levé pour juger de sa lumière, et pour luy faire voir que tu iras jamais employé trente ans à treuver des secrets qu’il n’a pas encore appris ; autrement il se feroit tort de n’en pas favoriser sa réputation, qui se pend d’elle mesme. On n’estimera tousjours celuy-là blessé de l’esprit, qui aura des remedes contre sa maladie, sans rechercher sa guerison dans leur usage.

Il n’avoit que faire de nous vanter le travail de sa vie, qui consiste en la quantité de six cens Poëmes Tragiques : on n’a pas beaucoup de peine à le croire : ce n’est pas la quantité des actions, qui nous donne de l’estime : plusieurs ont eu quelquefois l’honneur du triomphe pour une seule victoire. Si tu as autrefois perdu le temps dans la lecture de ses pièces, tu as facilement peu recognoistre que les fautes et les mots barbares y tiennent lieu de sentences : et que d’une si grande quantité de vers, à peine pourroit-on faire une bonne pièce : J’aurois tort de te vouloir apprendre ses fautes puisque tout le monde sçait bien que l’on feroit un autre Theatre : et que mesme une vertu Chrestienne que cet Autheur ignore pour n’avoir point sujet de l’exercer envers toy, nous oblige d’endurer les imperfections des hommes.

Laisse donc parler ton ennemy, ton mérite plus fort que ses injures : le Soleil attire et dissipe les nuages : c’est en vain qu’il veut t’abaisser : le corps admirable d’un colosse pour estre couché sur l’herbe ne sçauroit perdre sa grandeur : et la vertu ne perdra jamais sa beauté dans le mespris que l’on en fait. Les flots que l’orage porte contre un rocher à dessein de le briser se crevent eux-mesmes en le touchant : et la colere de la mer après avoir long temps effroyé la terre, se change enfin en escume, qui ne se tourne qu’à son usage.

Ton travail louable en son entreprise, et plus admirable encore en ses effets, a mis ta réputation en un lieu que l’Envie peut bien regarder et non pas attaindre, et d’où tu peux bien entendre ses injures sans en estre touché.

Si tu nous avois produit des monstres, comme dit ce vieux Gaulois, la diversité de tant de bons esprits, qui furent tes juges sans faveur et sans passion, ne les eussent point baptiser d’un si beau nom : car la Religion que nous tenons défend de baptiser des monstres. Dedans l’effort des resveries que luy donne sa fièvre, il accuse les escrits de confusion, et tu me permettras de dire que c’est en cela qu’il monstre sa raison, puis qu’à sa honte il y en trouve beaucoup pour luy. Les mieux polis de ses Poëmes ont paru au mesme lieu que le tien aux yeux de tout le monde et quand il voudra prendre des arbitres pour en juger plus à loisir, tes lauriers luy donneront de l’ombrage aussi bien en particulier comme en public.

Bien qu’il ait recours à l’Antiquité pour y chercher des excuses qui sont trop vieilles, il sçait bien que les Anciens se plaisoient aux choses nouvelles, et que Virgile ternit la louange de son predecesseur Ennius. N’a-t-il pas encore appris que les Muses ne vieillissent point et que leurs vestemens vieillissent tous les jours ? et qu’estant de la nature et de l’humeur des femmes, elles s’habillent selon le temps, et favorisent plus tost les caresses des jeunes que des vieux ?

Mais encore que je parle généralement, j’estimeray mon bonheur incomparable dans le respect que je dois à Monsieur Malherbe, de qui le mérite et la science se sont acquis le privilège de leurs caresses par le consentement de toute la France, et malgré la rigueur des années. Si l’Autheur du Theatre se veut mettre en son rang et si sa vanité le flatte d’un mérite imaginaire, il est assez âgé non pas pour avoir acquis la mesme faveur, mais pour avoir appris que les privilèges ne se donnent pas à toutes sortes de personnes. Peut estre que ce desplaisir porte l’insolence et l’attaque de son discours contre tout le monde, sans sçavoir qu’il faut se defendre, en assaillant. Son envie n’est pas assez forte pour résister à tant de vertus : comme le fer se consume dans sa rouille, l’envieux se perd dans son propre vice. Il faut donc laisser dans son humeur et dans la comparaison des chiens enragez qui mordent aussi bien leurs maistres et ceux qui leur ont donné pour vivre, que les estrangers. Ce sont là ses défauts plus légers, qui peuvent asseurément tesmoigner d’un cerveau mal fait : et j’entreprendrois de t’en dire d’autres, si la crainte de te donner de l’horreur ne m’en empeschoit point. Toutefois ce seroit trop t’importuner sur un mesme sujet, tu cognois mieux que moy, ton ennemy, et je te ferois croire en fin que je veux tirer un tesmoignage de ta patience dans un si long entretien et si peu profitable. Je te diray seulement que ses injures nouvelles te menacent desja d’enlever la pièce alors que ton ancre et ta plume te serviront de remede pour guerir tes blesseures et pour aigrir les siennes, qu’une Muse mercenaire a rendues incurables. Et cependant Thyrsis, Alcidon et Poliarque, qui te font gloire d’estre du nombre de tes amis, te préparent des louanges pour la victoire asseurée, que la Raison te promet sur l’ Alexandre des Envieux.

Indigna theatris

Scripta pudet recitare et nugis addere pondus.

Appendice 8 : Compaignie & promesse entre Srs Alexandre Hardy, poete, et Francoic Le Messier, et Nichollas Prudhomme (extrait des Archives départementales des Bouches du Rhône) §

Marseille, 9 octobre 1620.

L’an mil six cent vingt et le neuvième du mois d’octobre après midy, constitué en personne par devant moy notaire royal héréditaire de la ville de Marseille et son diocèse, soubssigné, les tesmoins présents à la fin nommés, Sr Alexandre Hardy, parisien, poète ordinaire de sa Majesté, Nicolas Prudhomme dit Médor, d’Orléans, Pierre le Messier dit de Bellerose, et François le Messier dit la Flotte, frères, de la ville de Beauvais, et Philibert Robin dit le Gaulcher, de Lion, et Philippe Damozeau dit de Gramond, de Chasre en Beausse, Simon Ferreux, parisien, et Loys Gallian dit de Saint-Martin, de Vienne en Daulphiné, comédiens ; lesquels, de leurs grés, due et mutuelle stipulation intervenant tous ensemble ont fait compagnie et se sont associés pour deux années prochaines du jour d’huy comptables, sous les pactions, quallités & conditions suivantes : en premier lieu en ce qui concerne ledit Sr Hardy, il sera tenu pendant lesdites deux années, composer et faire tenir aulx susdicts comédiens douze poèmes entiers le plus dillaigemment que faire se pourra, la port d’icelles sera payé sur les fraicts commungs des parties, en déduction desquelles il leur a réalement délivré l’original dung poème tirée de Servante espagnol traictant les amours d4eusébie et de René, promettant ledit Sr Hardy rendre les onze restantes originallement comme sus est dict. De plus leur a vandu et remis en main l’original d’une pastorale par luy composée intitée Alphée ou la justice damour, les cinq dernières coppies intitulées melenges, Lucrèce adultère, Scédase, Dorise, et La Gigantomafio et ce pour le prix savçoir : ledict original de la pastorale la somme de septante cinq livres et lesdites copies en nombre susdict de cinq, pour le prix de cent livres laquelle somme lesdicts commédiens promettent de payer audict Sr Hardy des deniers communs que proviendront de leur représentation dans ung mois prochain aux conditions expressement faictes que iceluy Sr Hardy promect d’avoir donné ni réservé auculnes copies desdicts deux originaux, sçavoir : d’Eusébie aulcune et Alphée, pastorale vendu pour original et que affirme avec serment et de ne pas donner ni reserver des onze originaulz qu’il doibt composer pendant ledict temps de deux années aulcung extrait ou copie ains remect en mains desdicts commédiens les originaulx, & brolhart qu’il aura faict à peyne de tous despans domaiges et intérêts et de nulité du présent contract sans lesquels icelluy n’eust esté faict. Par réciproque et mutuelle convention tous les contractants ont promis et promectent de se despartir de ladocte compagnie et société pendant lesdictes deux années, exigeant chascun sa part du lucre et gaing qui proviendra de leur représentation (…) de plus a été convenu que ledict Sr Hardy ne pourra auparavant ny les deux ans passés, prétendre aulcune copie de sesdicts poèmes, tous lesdicts originaux et pièces qu’ils ont tant a presentde cy devant, ou qu’ils auront pendant ledit temps ainsi que les toiles et choses communes demeurant au corps de troupe (…)

Fait et publié audict Marseille (…)

A. Hardy, Le Messier, dit Bellerose, Robin Simon Ferru, Prudomme, Galian, Le Messier, Gautier, Damoiseau, dit de Grandmont, Trinquier et moi Honnoré Torcati, notaire royal à Marseille soussignés.

Appendice 9 : La Berne des deux rimeurs de l’Hostel De Bourgongne. En forme d’Apologie contre leurs Impostures. (M. DC. XXVIII.) §

Deux bonnets carrez qui ne couvrent pas la moitié d’une bonne cervelle, en guise de veaux qui s’entrelèchent, ou plutost de mâtins qui abboyent à la Lune a cause qu’elle leur semble trop claire, faute d’occupation dans le Palais, ou l’on se lie aussi peu à leur langue qu’à leur plume, d’autant que personne n’ayme gueres à perdre sa cause en ce temps cy, ont depuis peu pour faire montre de la pièce entière de leur malicieuse ignorance invectivé contre l’honneur de celuy auquel la voiz commune de la France donne ce mesme pris de loüange qu’Euripide et Seneque meriterent jadis de leurs nations. Ce couple de jeunes harpies s’entend donc piqué dans la Preface de son dernier Tome, bien qu’il ne les creust pas au monde, comme la colere des lyons n’a jamais des lievres d’objet, a tant vomy d’injures pueriles, qui ne sentent que le fouët, avec lequel on renvoye leurs pareils à l’ecole pour apprendre à se taire ou à mieux parler, qu’enfin la patience échappée à l’un de ses amis l’oblige à repartir, et par l’examen de leurs Lettres farcies d’impudence et de calomnies faire avouer à leurs partisans mesme que, si tous les asnes portaient croupieres, les compagnons auraient le derriere bien ecorchés. Pour mettre donc le premier de ces jeunes éléphant dans la Berne (car tous deux n’y pourroient pas [ tenir] à la fois) le commencement de sa Lettre donne un messager à la gloire de celuy qui en fut et sera tousjours incapable, sans considérer que toute privation présuppose quelque possession passee : erreur irremessible : si d’avanture il ne luy vut imposer l’épithète des Barbiers, comprendre ici une presomptueuse opinion de soy mesme, avec la gloire qui récompense les belles actions, defendues à tels Erostrates, qui se pensent immortalisés à mettre le feu dans ce sacré Temple, où la Memoire ainsi que meres des Muses conserve aux siens une place d’heureuse recommendation chez la postérité. Mais à quel titre pretendroit ce miserable Ecrivain de trois jours un paquet venant de si bonne part ? veu l’antipatie de ses rimes avec cette vierge qui n’en sçauroit souffrir l’impureté, non plus que la punaisie de son nez-camus qui serviroit au besoin de retrait en temps contagieux pour faire un préservatif en alenant ses infectes vapeurs. L’apparence qu’un soldat qui ne montra jamais que les talons à l’ennemy prétende que d’estre dégradé des armes en suitte du morion ? Qui vid jamais un superbe edifice à celuy qui ne l’a connue qu’en qualité de mortel ennemy, indigne de sa moindre faveur ? En ce cas le messager désavoué s’achemina chargé à vuide, ou avec une lettre en blanc pour se moquer de celuy qui l’attendait sans la meriter. La gloire ou plutost presomption de ce mechant rimailleur est son ignominie en ce qu’elle sert d’allumette au feu de sa ridicule vanité et de chandelle à éclairer ses folies. Sa plume ne luy est que l’aiguillon mortel de la vipere, qu’il faut retrancher avec la teste pour en faire un contrepoison. A trois lignes de là, son venerable Encomiaste faisant l’Orateur moderne, dit que l’on persecute sa reputation, comme s’il parloit de la persecution des Chrestiens sous Diocletian. Un peu apres il use de cette belle rethorique, & n’obligent votre plume a votre honneur toutes les fois que vous ferez paroitre les avantages que vous avez de la Nature. Qui ne void icy une cervelle estropiée, exprimant avec une obscurité prodigieuse la faiblesse de son sens, & ces avantages de la Nature ne se peuvent bonnement appliquer qu’aux louanges de quelques belles garces, dont la hantise est plus fréquente à ces messieurs que celle du Palais, où ils n’ont que faire. Ecoute, lecteur, une admirable comparaison qui suit, Il faut estre comme l’Echo,etc. Les plus ignorans sçavent qu’Echo qui n’est qu’une repercussion de voix aux lieux caves et souterrains, represente hieroglitiquement. Ces babillards, qui parlent tousjours sans rien dire, chose que habile homme desire et conseille d’imiter. A luy permis, puis qu’il ne peut faire autrement. Apres comme un chien qui mord la pierre qu’on luy a ruee ne pouvant faire pis, il emprunte une autre comparaison du Cabaret ou il preside d’ordinaire avec ses complices, disant que le vin et la vie s’aigrissent estans au bas. Mais son vilain tonneau qui ne fut jamais plein que d’un lie d’ignorance a cette aigreur dès le premier jour & il en faudroit faire de la gravetee pour l’oster. Ce falot fait en suite du Soleil ne plus ne moins que d’un homme monté sur quelque Dromadaire, ignorant que le mot d’elevation est celuy des Astronomes. A mesme temps, pour grater la rongne de son camarade, il dit craindre pour son Censeur ; mais don Dieu, que sçauroit-on censurer sur celuy qui ne lit jamais rien digne de venir en la bouche & a la veue des hommes ? Quelle mere prendra le meilleur gibboyeur du monde s’il n’a sur soy que tirer ?

Or ainsi qu’un vice attire l’autre, ce rustre passe de la calomnie à une espece d’impieté en ce qu’il reproche l’age a celuy qui sous telle consideration devoit donner un mors à sa langue effrenee. La vieillesse ne fut jamais que venerable entre les gens de bien, desquels il ne tient tache. A quoy lui sert cela, sinon de crever un aposteme à son ennemy lui pensant donner le coup mortel en trahison ? C’est comme reprocher à un vieil Capitaine l’experience qui luy acquit dans la longueur des années des victoires qui le rendent autrement admirable qu’inimitable à ceux qui viendront apres luy. De sorte que nostre imposteur, se prevalant de sa jeunesse fait bouclier de sa folie, car on scait qu’elle et la sagesse sont incompatibles. Or, en ce qu’il dit que les plus grands esprits commettent les plus grandes fautes, luy et son adjoint sont plus qu’assurez de ne faillir jamais de ce costé là. Presque au mesme lieu ce flatteur effronté tire une consequence à gauche de l’opposition de 600 poèmes passez à l’epreuve d’une commune approbation des doctes avec une méchante rapsodie sans nom, et seulement comparable à ces faus germes qui n’ont point de vie tesmoignans une indisposition de matrice telle que ce cerveau qui l’a mise au jour en execration de quiconque en voudra juger sans passion. Que Messieurs les Poetastres corrigent icy leur plaidoyé, attendu que l’Autheur du Teatre a trop de courage et d’honneur pour se mettre en parallèle d’un enfant non pas en malice, mais en la connoissance des secrets de ce divin metier, ausquels a peine suffiroit l’age de Nestor pour en acquerir la perfection.

Nos Poetes feignent que Pallas naquit & sortit toute armee du cerveau de Jupiter, ce que la trompette des louanges de Polyarque veut verifier de luy : et sans m’amuser à repartir sur ce que le plagiaire derobe une comparaison à Monsieur de Barzac (sic) parlant de forcer une Vestale, il fait ocuper une grand’ lieue en diametre aux fondemens d’un edifice, qui ne paroit non plus que cette cité batie en l’air dans les nuages d’Aristophane. et pour reprendre le fil de mon discours, avec une audacieuse impiété nomme les futurs ouvrages de son Mevié297, fruits de vie, et au lieu qu’ils doivent sortir de l’enfer, des ignorans contaminent le Paradis terrestre de leur naissance, accouplant apres le miracle de celle du monde à celle d’un buffle de la Camargue, de qui la jeunesse montre aussi tost le fruit que les feuilles. C’est donc ce fruit qui croit aux rivages de la mer morte, beau d’apparence & de couleur. Mais qui se convertit en cendres si tost qu’on la presse sous les doigts. Une pire ineptie suit encor a faire ce prodigieux esprit capable d’agir sans l’organe du corps, sans pouvoir ne croitre ne diminuera proportion de l’age en ce qui concerne les sciences : mais si tel esprit etait palpable comme le corps, je croy qu’on y remarqueroit le defaut de Louys de Hongrie, auquel l’artifice des Medecins donna la peau que nature luy avoit deniée arrivant au monde.

Il me fasche que ces deux beliers teints en cramoist donnent tant de prise sur eux, pareils à ces mauvais tireurs d’armes qui ne sont jamais bien en garde et ne servent que de but aux coups de fleuret que le premier venu leur voudra porter : car a quel propos dis ce jeune etourdy au parangon des beaux esprits par antiphrase, qu’il n’envie ne la fortune, ne la maison, ne les rentes de son adverse partie chez qui la fortune se borne du contentement, vraye richesse d’une humeur libre comme la sienne. Et quant à l’extraction qui va pour le moins de pair avec ces avortons des Muses, qui veulent faire d’une mouche un Elephant, il suffit à l’Auteur du Teatre d’avoir à l’exemple des mouches à miel nourry des frelons de son travail desquels ces rimeurs de la derniere fournée se servent à déclamer contre l’honneur de sa reputation, qui se purifie dans le feu de leurs calomnies, ainsi que ce lin qui brule sans se consommer.

Ce crapaut continuant à vomir la bave de sa medisance, attaque à tort et à travers l’Epitre qui ne sçauroit plaire a luy ny a son compagnon, non plus qu’à ses larrons repris de justice, la nudité qui decouvre leurs épaules fleurdelysées, où les precedents malefices sont ecrits avec le fer et le feu. Ainsi ne veut il pas que les bons esprits la prouvent, ne que ses amis mesme l’admettent sinon par tollerance, appellant médisance une juste censure de leurs heresies et malfaçons, en ces ouvrages de longue aleine, qu’ils ne peuvent perfectionner faute d’outils necessaires, en ces champs qu’ils ne peuvent entonner faute de poumons. Ce brutal pour grater l’autre où il se demange, semblable à l’aveugle qui s’efforce en flatant son compagnon d’infirmité de luy persuader qu’il void extremement clair, dit que l’Auteur du Teatre le reprouve a cause qu’il n’imite pas son style. De cela le croit-on sans jurer, il n’est pas permis à chacun d’aller à Corinthe un tout autre esprit que le leur, quoy qu’en mesme société, fait gloire de pouvoir suivre de loin l’Auteur du Teatre et ce d’autant que le dernier avec plus de suffisance à moins de presomption qu’eux. Or voicy les defauts que ce nouvel Aristarque colle en l’epitre aux termes suivans chausser le coturne naufrage de reputation, carriere des Muses, attribuer la perfection des choses à la nouveauté. Appren, pauvre homme qu’en tous metiers il y a des phrases particulières aux artisans pour s’exprimer : un peintre dira imprimeure, crayon, carnation, païsage et ainsi des autres. Brisset, le moindre vers duquel vaut mieux que cent volumes de rimes comme les tiennes, use au commencement du sonnet qu’il donne à son teatre de la mesme locution. Quant aux metaphores, un qui fait profession de parler au public deust avoir pris dans sa Rhetorique qu’à les separer de l’oraison c’est chastrer un parterre de ses plus belles fleurs. Il ne faut oublier que sa reprimande finit par deux mots pedantesques de Trepis Tymbrean qui ne signifient que l’ignorance de celuy qui les cite mal à propos et sont hermaphodites comme les hyenes, attendu que trepis tymbrean ne se trouvera dans aucun Auteur grec ou latin, trop bien Delphique ainsi qu’au lieu ou la superstition Païenne tiroit ses oracles en faveur du trepis qu’un pescheur y consacra, bien qu’il y ait diverses opinions là dessus.

Les niaiseries suivantes qui prolongent le babil de sa Lettre ainsi qu’une sale araignée file sa toile en quelque coin de retrait, ne merite aucune reponse. Car vous n’y voyez qu’une exageration de louanges qui abaissent autant leur sujet qu’elles luy sont mal deues comme de luy dire qu’il vaut mieux estre Achille avec des rivaux de Thersite sans envieux. Ce Mydas le jeune prend icy un avis general pour envie, une correction paternelle pour un rigoureux supplice. J’envierois aussi tost la fortune d’un crocheteur que le style d’un miserable rimeur, et croy que si la vertu ne trouve d’autres hostes qu’eux, elle est en grand danger de coucher dehors. Ils representent ces jeunes soldats de l’antiquité qui n’avoient encore rien de gravé sur leurs boucliers, et veulent qu’on les enrolle avec de vieux routiers dont la valeur a donné trop de preuves aux belles occasions pour estre plus revoquée en doute. Mais passons outre pour admirer la subtilité des arguments de ce bel esprit qui concluent une communauté de science à tous les hommes indifferemment, puisque la lumiere du Soleil se disperse a tout le monde, et qu’une mesme voix s’entend de diverses oreilles, que pourroit enférer Pierre du Puis ressucité de plus ridicule. L’experience journaliere dément ce paradoxe qui touche les sciences ausquelles par la providence divine qui leur sert d’oeconome divers esprits inclinent plus ou moins et s’apparient diversement : car bien que les Muses soient soeurs, tel excelle en la Theologie qui seroit mauvais Medecin : Au reste une maxime generale tient que les Orateurs se font par artifice, les Poetes de naissance, mais sans prejudice d’une doctrine meslee qui fortifie, la nature, a peine de produire des enfans qui meurent en naissant. Ainsi nos deux Satyriques manques de l’une et l’autre partie ne peuvent esperer l’usage de leurs rimes converties qu’a ce que dit le Prince de nos Poetes, apres Horace, s’entend

A faire des habits

Au sucre, à la canelle, au gingembre, et au ris

Notre premier calomniateur lassé de mentir et jouer le personnage de ses harangeres qui perdent l’aleine à force de cracher des injures, en imitant les yvrognes apres qu’ils ont dans le sommeil dissipé les plus fortes vapeurs du vin, s’escarmouche contre soy mesme, faisant croire à son imagination troublée que l’Auteur du Teatre condamne l’affluence des belles pensées (ce sont ses mots). En quoy il se trompe, la Préface du livre qui fait tant moucher ces deux roussins de Mirebalais porte seulement que telles fleurs naissent et se cueillent en d’autres jardins, et que le style enervé de leurs pareils ne vaut qu’à faire des chansons à la populace de Paris. Quant à l’epithete de laids qu’il tient superflus, étant né avec la chose, il ne luy peut donner mauvaise grace, outre que la deformitez de plusieurs degrez. Mais voilà quereller sur un pié de mouche.

J’oublioy que l’Auteur de Teatre n’estant rien moins que Stoïque laisse à ces deux Cyniques l’os de la médisance à ronger, pendant qu’il leur dira qu’une eau commune supplée pour les abreuver lors qu’ils viendront à sa paroisse : et que si ce grand personnage allegué vivoit aujourd’huy, leur simple veue l’obligeroit a changer d’opinion, et croire que la France abonde en monstres d’Ecrivains. Leur Antagoniste se loue au demeurant d’un acces de fievre qui composa l’Epistre propre a guérir leur manie, si elle n’estoit desesperée et digne des petites Maisons dorénavant : qu’ils jugent par là ce que peut sa santé. Or comme un torrent attraine toujours avec ses eaux bourbeuses toutes les ordures du precipice où il est, ce mauvais disciple de Bartole mèle toujours d’impostures ses paroles, confirmées par de foibles raisons et de bourdes comparaisons, témoin et qu’il oppose les ouvrages de Monsieur d’Urfé aux fables d’Esope, et les écrits de ce brave Théophile à la naïveté de Marot.

Une repetition de consequence me fait rougir de sa honte et [elles] se refutent d’elles mesmes comme à dire que si les principes de la Poësie doivent tenir bon pour l’antiquité et ne peuvent s’alterer sans une subversion du total, quelques tablettes de cire, d’Escuyers et de maçons que vueille obliquement amener la sophisterie d’un rimeur, quiconque a l’esprit mieusfait que son compagnon n’a le nez, m’avouera que s’il avoit a continuer la Franciade, il ne changeroit point l’ordre de Ronsard, qu’en matiere d’elegie Tibulle luy serviroit de modelle et d’Epigrammes Martial ; que l’imitation des pointes d’Ovide en ses Epitres et l’Art d’aimer ne luy seroit qu’honorable ; et quant au Teatre, le style du bon Seneque suivy de Garnier, que c’est tout ce qu’un brave homme peut et doit faire : que si quelque chose de rude se trouve en leurs ouvrages, c’est à faire a un coup de lime et à s’accomoder au temps. Sur ce qu’il dit que sans estre Romans et Romains on parle bon français à Paris, quiconque sçait le Grec et le Latin le parle encor mieus, temoin ces Oracles du premier Sénat de la France, que luy mesme cite à sa confusion.

La Berne commence à s’user des diverses secousses données et receues au pesant fardeau d’une si grosse beste, encor trois coups seulement afin qu’elle demeure entiere pour l’autre. Je luy maintien donc que rien ne se peut dire qui n’ait esté dit, que ses nouveautez sont vieilles, ses finesses cousues de fil blanc, ses secrets communs et divulguez, ses appas dégoutants et ses artifices sans art. En quoy je prendray juges et temoins tous ceux qui ont mis le nez dans les livres (peine de laquelle nature dispense son homme) nos Orateurs Courtisans ne travaillent qu’après Seneque, Tacite, Apulée, et Petrone premièrement imitez du Sieur de Montagne, ou ces Messieurs puisent la plupart de leurs mots affectez, mais aucunement tolerables sous l’autorité d’un tel personnage, ou si nos deux Critiques veulent qu’on s’en rapporte à ces grands Genies de l’Ecole ou ils ont si mal profité, un Marion, du Vair, et Servin sont les vrais flambeaux de l’Eloquence Françoise, sous la conduite desquels on ne peut s’egarer, et a laquelle je ne croy pas que les inventions de leurs jeunes cervelles puissent rien adjouster. Quant à la Poesie aucun ne doute que Monsieur de Malherbe n’ait toujours semblable à soy-mesme suivy un mesme style, plus adoré qu’approuvé de beaucoup en ce siecle. Or y a-t-il trente ans du moins qu’il a commencé à écrire, voilà donc une vieille nouveauté. Et ainsi que l’admiration tombe aisement es esprits foibles preoccupez d’ignorance, ce pauvre idiot admire ces grottes ou l’eau n’imite que les orgues d’eau ou Hydraules de l’antiquité : ce mot de Clepsidre encor témoigne que les orloges eurent quelque chose de semblable. Et pour montrer que les anciens se prevalurent d’inventions inimitables, ces jardins de Babilone suspendus en l’air, qui ne sont que l’un des sept miracles du monde, laissent le dementy à ce nouveau rimailleur qui ne scait pas aussi que la digue de la Rochelle, où de semblables furent pratiquées en Hollande long temps devant la prodigieuse naissance de son adhérent. Au regard de ces nuits propres à offusquer la beauté du Teatre, l’Amphytrion de Plaute se moque de telle nouveauté, et les Automates fautiques298 font le proces à l’ignorance de ce jeune levron, qui me fait d’orénavant pitié de le voir tout etourdy dans la Berne crier mercy a la justice des Muses qui lui pardonne apres deux neufvaines acomplies où il scait et qui luy prepare la consolation des miserables, à voir punir son compagnon.

Le camus berné.

La plus lâche espece de vengeance et plus usitée des gens, est sans doute celle qui s’eclatte en paroles injurieuses, comme plus propre à quelque passion feminine qu’à la prudence d’un homme bien sensé : ce sont foibles armes qui apportent plus de blâme que de gloire à ceux qui les employent, sinon à l’extremité et lors que la loy du Talion nous le permet contre l’arrogance des agresseurs, ou quand le ressentiment des outrages faits à un amy nous presse plus que notre propre interest. Ainsi l’Achille d’Homere s’offense plus de la mort de Patrocle que du rapt de la belle Chryseide. La perte d’un amy obtient ce qu’il avait refusé à la priere de tous les autres. Ainsi l’affection que je porte à l’Auteur du Teatre m’anime contre ces deux Cercopes qui reveillent un Hercule à force d’injures atroces et sanglantes en leurs lettres, ou plutost libelles diffamatoires, l’appellant frénétique furieux, yvrongne, mercenaire, Pedant, chien enragé, fol, extravagant et tout ce qu’une manie de colere a peu suggérer à leur brutalité sans autre sujet, ou pretexte que de deux mots proferez par l’oracle de la verite, qui ne furent que comme un baume instillé dans la playe de leurs calomnies et censures ordinaires en plein Hostel de Bourgongne, ou il ne se recite aucun de ses vers qui n’ait un coup de dent, ou ces chenilles rongent ses plus belles fleurs, et soutiennent pour parler pedantesquement des theses de medisance contre sa reputation. Or afin de luy épargner le temps qu’il employe à sa Comedie en prose sous le titre des rimeurs modernes, il faut achever ma tâche, et mettre dans la Berne ce pauvre here qui voudroit en estre dejà quitte, et à qui la peur vaut un autre supplice.

Une Philosophie cornue met notre Camart sur le serieux au commencement de sa harangue, qui sent les harangs et la harangère : car elle passe incontinent aux invectives, d’où il se confesse travaille de l’imaginative à n’avoir connu les défauts que la vieillesse apporte à ce vieux Auteur, où dès là ce pauvre badin peche en grammaire, et parle badaudoisement, ne luy deplaise, attendu que vieil Auteur a plus de grace et de raison : j’avoue que l’un passe quelquesfois pour l’autre, mais un vieil homme avec une vieille femme s’accordent le mieus du monde. On dira souvent vieux Capitaine, vieux Gaulois, pour la douceur du langage mais rarement ou point du tout, vieux homme, qui est dur à l’oreille ; ou si vieil ne se dit plus, une vieille paire de souliers aura fort à faire, et demeurera sans nom. Un peu après ce Desmothène des rimeurs tombe en Pleonasme, où il dit, La suite confuse de ses paroles mal arrangées, sçavoir si elles peuvent estre bien arrangées y ayant de la confusion. Or d’insister sur la recherche de semblables fautes, seroit vouloir compter tous les grains de sable d’Olone : pincons seulement les principales cordés de sa téméraire ignorance. Tu remarqueras, lecteur, sa plaisante Retorique, et la belle liaison de sa prose, où il infère que des vertes racines du poil grison résulte une maladie incurable. A la seconde, 3 et 4 pages, il repete l’envie que l’Auteur du Teatre porte à sa vertu. Voyons s’il y a de quoy.

Comme les Matématiciens tiennent le point en la ligne pour la plus petite chose que l’esprit humain puisse imaginer, ainsi ne scauroit on concevoir de sujet plus incapable de l’envie que celui d’un autre Esope (quant à la forme non quant à l’esprit) qui vit dans le monde non par emprunt et come n’estant point du nombre des homes, qui n’a science ne richesse, bouche n’esperon, qui n’a de qualités plus recommandables que celles de l’imprudence, sans nom parmy les doctes, et sans espérance d’en avoir, mal fait du corps et de l’esprit qui n’a point de nez en toutes ses actions et qui pose les fondemens de sa fastueuse vanité sur une Madonte faite en dépit des Muses, avec plus de fautes que de syllabes, sans rime et sans raison, bref digne d’une telle rature que Phyloxepeen fit à celle du Tyran de Syracuse, moins tyran et plus capable de discipline que luy, attendu qu’il se soumit à la correction d’un habile homme pour servir d’exemple à ce malavisé tenu de la même humilité à l’Auteur du Teatre. Que des juges equitables et sans passion prononcent maintenant si celuy à qui le teatre françois doit son entretien depuis trente ans a quelque legitime occasion d’envie contre un si miserable sujet.

Ce petit fripon qui n’a pris ses licences que de la calomnie, luy donnant le largue, coutume299 à dire que si l’Auteur du Theatre eust eu du courage, il rencontroit la mort dans les pointes aiguisées, mais le lourdaut use du mot affilées improprement, des conceptions de son second. Voilà s’abuser lourdement et qui n’a point de nez : sa comparaison excellente d’un costé cloche de l’autre, les guespes et les cantarides qui leur sont comparables piquent à la vérité : mais leur piqueure est leur mort, l’aiguillon qu’elles laissent dans la playe les oblige naturellement à y laisser la vie : de petites brouces ne rendent, apres la clairté du Soleil que plus vive et plus agréable : un homme ne fait que blanchir sa gloire dans la noirceur des calomnies, ainsi que l’or perd son écume dans le feu qui le veut engloutir : l’innocence porte la teste haute partout, et des sots tels que ceux cy sont toujours sots, quelque profession qu’ils embrassent.

Sur ce que luy et sa seconde épée s’accordent comme larrons en foire à dire que les sciences sont communes à tout le monde, que les Muses ainsi que les filles ayment la nouveauté en matière d’habits, et preferent la caresse des jeunes a celle des vieux, Thamyre fut aveuglé par elles mesmes pour un moindre crime : l’imposture de nos perroquets n’est que trop evidente en ce que, depuis la naissance de ces belles, à peine cent amoureux choisis en toutes les nations de la terre habitable ont possédé leurs bonnes graces ; elles ne sont nullement Françoises pour lever les etoffes du change dans la boutique de l’inconstance à s’habiller : elles cherissent autant nos esprits qu’elles haissent nos moeurs, et comme d’estraction divine elles n’ont que faire de fardo ne d’embellissement, il les faut voir nues pour estre esprit de leurs beautez, elles ne dementent jamais une premiere affection à quiconque elles s’adonnent, ces gracieuses hotesses n’ayment point à changer de logis, et l’Auteur du Teatre ne les éprouva jamais plus prodigues en son endroit qu’à présent, témoin leurs dernières faveurs qu’il a produites et consacrées au public : mais sur tout ces chastes Nymphes si polies fuyent les caresses d’un punais.

Cet égout d’infections dit après qu’une bouche puante ne peut envoyer que des odeurs de mesme nature. Juge, lecteur, si estant camus et punais, il peut avoir bonne bouche, à cause du voisinage des parties, et qu’elle luy est comme la gueule d’un retrait : ce que l’Auteur du Teatre témoignera par une malheureuse expérience, car ce maroufle le visitant depuis en qualité d’espion luy prolongea un accès de fièvre qu’il avoit lors de plus de trois heures par les vapeurs pestiférées qui sortirent de son vilain corps. Mais passons au galimaltias suivant. Un homme raisonnable ne s’amuse point aux injures, d’où l’on ne scauroit esperer que du mespris : et celui que le desir de la louange n’a jamais poussé dans les termes de l’honneur ne scauroit s’empecher par la crainte du blâme de ce que la raison ne peut permettre. Je ne croy point que tous les enigmes des plus obscures loix ne soient plus faciles à soudre, et quiconque voudra gloser ce texte en fera la glose d’Accurse. Cependant l’imbecile presume que cela doit estre ecrit en lettres d’or au frontispice du temple de son ignorance reduit à une etable. Telles conceptions ont quelque apparence de bien, mais au demeurant si mal exprimées que ce qu’il veut dire vaut mieus que ce qu’il dit.

Quant à ce pretendu desadveu d’ecoliers auquel l’Auteur du Teatre ne pensa jamais que generalement, ô quel heur à ces deux corbeaux s’ils eussent esté couvez par un cygne, possible que la nourriture en eut sinon changé, du moins amendé la nature, et que les coups de verges de ce hardy Pedant leur eusse sauvé l’estrapade des Muses. Son impudence adjoute peu apres que les Auteurs Grecs et Latins n’ont point esté barbares en leurs langues comme luy en la sienne : ainsi le braire des sereins d’Arcadie ses freres est la plus douce armonie que hument leurs longues oreilles, ainsi le cerf se laisse charmer au craquement des rouës mal graissées, et s’enfuit au son d’un lut ; ainsi ce qui leur est barbarie sert d’admiration aux beaux esprits.

Voicy desormais l’endroit ou ce crapaut creve en vomissant le reste de son venin contre la reputation de l’Auteur du Theatre, en cet hemistique du Poeme de Timoclée, auparavant le Soleil absconsé : où sa phrase monstrueuse dit parlant à son complice, Ce mot à ton avis n’est il pas capable de chasser le Soleil du monde, luy faire avancer sa course dans la mer pour noyer ce monstre d’absconsé.. Cela s’appelle faire de ce bel astre du jour qui nous represente la Divinité, quelque satellite qui porte noyer les monstres dans la mer. Et en ce qu’il abboye apres. Si la langue latine n’estoit pas morte, elle n’est morte que pour luy, qui ne fera jamais le miracle de sa resurrection. Mais il faut voir si ce mot d’absconsé est si monstrueux qu’un monstre d’ignorance se l’imagine.

Premierement comme la marque du Prince fait valoir les especes, la suffisance d’un Auteur donne le poids et le cours à ses paroles, chose confirmée par le Phoenix de nos Poetes en son Art Poetique, ou il asseure que ce qui fut permis à Virgile estoit un sacrilege a d’autres moindres que luy, et qu’en cas de necessité on peut enrichir la pauvreté de notre langue de mots nouveaux et usitez, pourveu que significatifs : luy mesme en sa Franciade nous sert de porte-enseigne en ce vers,

A longs andains les honneurs d’une prée.

Nostre mastin a court poil trouvera bien à mordre en ce mot andain, comme franc Picard, pour dire aïambée, mais il passera sans murmure chez les doctes, attendu la qualité de celuy qui le met en usage. Bien plus, c’est Homere qui vaut à tout le moins ces basilics éclos dans le fumier de la calomnie, employe les quatre Dialectes grecs a la construction d’un ouvrage qui n’a de fin que celle du monde, sans restraindre son style dans les termes du langage Attique, quoy que le plus poly et mignard de tous les autres, tel que le Toscan en Italie et le François en France. Ce mot d’absconsé est originaire Normand et usité au païs, sans estre, a le bien prendre, plus ecorché du Latin que celuy de derivé et infinis qui coulent de la source latine : au reste extremement significatif et plus propre à decrire la fin du jour que celuy de couché, veu que le Soleil faisant une ronde perpétuelle se cache plutost qu’il ne se couche. Toutesfois pour introduire telles nouveautez il faut avoir du nez, car ce que commande un Capitaine sent les etrivières à un goujat. Mais dy moy, petit frelon du Palais, comment avec deux cents mots, qui est tout ce que ce grand habile homme de Cardinal du Perron a remarqué de naturel en notre langue, tu voudrois ou pourrois faire six cents Poemes Dramatiques ? Et appren de luy mesme au mot de fermer pour borner en sa traduction du 6. De l’Eneide que les grands personnages prennent les grandes licences. La foiblesse de ce vermisseau, ne vaut pas qu’on l’ecrase avec les remarques du doctissime Espagnol Delrio en sa preface sur Seneque, ou il montre que l’antiquité des mots leur donne certaine majestueuse gravité, et qu’a ce dessein il en avoit usé apres Virgile qui emprunte des vers entiers du bon Ennius avec ce mot tout vermoulu Olli. Mais le pauvre camus qui voudroit que l’on vestit un geant avec demie aune de drap, ne void dans les Auteurs que la longueur de son nez, et n’est cygne qu’entre les oisons.

Le reste du Pasquil de ce faquin retombant sur l’envie comme au centre de ses discours enervez, ne merite aucune repartie, mais bien ce qu’il fait chanter la victoire avant le Combat a son Echo (car ces deux babillards s’en servent tour à tour), l’autre en son Epitre persuade que cettuy-cy qu’il a fait un lyon en sa Madonte, cettuy-cy persuade à l’autre qu’il l’emporte sur l’Auteur du Teatre avec son Aretaphile, propre a nommer l’enseigne d’une fameuse taverne. Mais si tout animal produit son espece, l’un au lieu de lyon auroit fait une sereine de moulin, et l’autre un magot. La prudence du lecteur ne scauroit que condamner cette furieuse et du tout insupportable vanité, deux versificateurs de trois jours qui se sont epuisez en ces ouvrages de neant ou trois mille rimes ne donnent pas la rencontre d’un bon vers s’il n’est derobé, et dont la renommée ne sortit jamais l’enclos de l’Hostel de Bourgongne, n’ayant d’autre trompette que celle des Pages et laquais, s’affrontent à celuy que la France ne scauroit qu’ingratement frustrer pendant sa vie du nom qu’Euripide ne receut de l’Oracle qu’apres sa mort, ne plus ne moins que qui voudroit comparer les triomphes d’Alexandre le grand avec le combat de ces deux goujats, de son armée, qui fit par forme de passe-temps le prejugé de l’une de ses plus glorieuses victoires contre le Roy de Perse. Apprenez tymbres felez que l’Auteur du Teatre vous usera toujours et à bon titre de ces termes des vieux routiers Macedoniens sous la conduite d’Eumenes envers leurs ennemis jeunes d’age et de peu d’experience en l’art militaire : hé quoy, pendarts (leur disoient ils en l’ardeur du combat) vous osez vous prendre à vos peres ? Et les coups suivoient leurs paroles, comme cela sera si la premiere et douce correction de la plume empruntée d’un amy ne vous remet de la raison dans le devoir.

Et pour montrer que ces deux miserables rimailleurs font plus de pitié que de peur ou d’envie à l’Auteur du Teatre, c’est que dès peu il refondra aux mesmes sujets deux medailles que ces mauvais apprentifs ont gastées les jettant dans les moules raboteux, crevacez et rompus de leurs rudes esprits, afin que le public avec une huée leur donne la chasse, et comme Apollon de Thyane fit un mauvais demon à force d’injures les banisse du commerce des Muses, que cependant s’ils ont tant de courage, d’honneur et de merites qu’en propose leur vanité, que l’on voye au jour ces ouvrages qui demeurent dans la nuit d’un Hostel de Bourgongne ainsi que franchise des larcins de leurs rapsodies dont ils ont fait les Comediens receleurs, pour entrer en la Comedie sans argent, et avoir quelques repues franches : alors au lieu d’un mot qui ne seroit pis que quelque peu ponciere facile à essuyer sur le bord d’un riche et exquis tableau, l’Auteur du Teatre s’offre à prouver qu’il n’y a rien dedans ces toiles d’araignées qui ne merite le feu pour expiation de leur temerité. Mais ce Pygmee de camart est encor à rapetasser son personnage de Tessandre que les Comediens, ses monstres, luy ont fait recoudre comme l’un des plus necessaires, chose plaisante qu’un Architecte desseigne sous des maçons : et quant au secours de ces bons esprits qu’il implore, l’Auteur du Teatre fort en son innocente prud’hommie s’asseure qu’ils prendront chacun plutost un coin de la Berne que d’empecher la juste punition que prend de leur folie ce fleau de l’ignorance des excrements du barreau.

FIN.

In Audaces non est audacia tuta.

Bibliographie §

Approche générale §

Sources et théories théâtrales §

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