SCÈNE I. Eugène, Abbé. Messire Jean, Chapelain. §
EUGÈNE.
La vie aux humains ordonnée
Pour être si tôt terminée,
Ainsi que même tu as dit,
90 Doit-elle, pour croire à crédit,
Se charger de tant de travaux ?
MESSIRE JEAN.
Le seul souvenir de nos maux,
Qui jà vers nous ont fait leur tour,
Ou de ceux qui viendront un jour,
95 L’appréhension incertaine
Empoisonne la vie humaine :
Et d’autant qu’ils la font plus griève,
Ils la font aussi plus briève.
Mais qui sait mieux en ce bas-ci
100 Que vous, Monsieur, qu’il est ainsi ?
EUGÈNE.
Il ne faut donc que du passé
Il soit après jamais pensé,
Il faut se contenté du bien
Qui nous est présent, et en rien
105 N’être du futur soucieux.
MESSIRE JEAN.
Ô grand Dieu, qui dit onques mieux !
EUGÈNE.
Comment donc ne consent-on point
De s’aimer soi-même en ce point,
De se flatter en son bonheur,
110 De s’aveugler en son malheur,
Sans donner entrée au souci ?
MESSIRE JEAN.
C’est abus, il faut faire ainsi.
EUGÈNE.
En tout ce beau rond spacieux,
Qui est environné des Cieux,
115 Nul ne garde si bien en soi
Ce bonheur comme moi en moi :
Tant que soit que le vent s’émeuve,
Ou bien qu’il grêle, ou bien qu’il pleuve,
Ou que le Ciel de son tonnerre
120 Fasse peur à la pauvre Terre,
Toujours Monsieur moi je serai,
Et tous mes ennuis chasserai.
Car serais-je point malheureux
D’être à mon souhait plantureux,
125 Et me tourmenter en mon bien ?
Je ne vouerai jamais à rien,
Sinon au plaisir, mon étude.
MESSIRE JEAN.
Ce serait une ingratitude
Envers la fortune autrement,
130 Qui vous pourvoit tant richement :
Car qui est mal content de soi
Il faut qu’il soit, comme je crois,
Mal content de fortune ensemble.
EUGÈNE.
Fortune assez d’heur me rassemble
135 Pour me plaire en ce monde ici,
Esclavant en tout mon souci :
Sans travail les biens à foison
Sont apportés en ma maison,
Biens, je dis, que jamais n’acquirent
140 Les parents qui naître me firent,
Et qui ainsi donnés me sont
Qu’à mes héritiers ne revont,
Ains pour rendre ma seule vie
En ses délices assouvie,
145 Ce que nous pratiquons assez,
Tant qu’il semble que ramassés
Tous les plaisirs se soient pour moi.
Les Rois sont sujets à l’émoi
Pour le gouvernement des terres :
150 Les Nobles sont sujets aux guerres :
Quant à Justice en son endroit,
Chacun est serf de faire droit.
Le marchant est serf du danger
Qu’on trouve au pays étranger :
155 Le laboureur avecque peine
Presse ses boeufs parmi la plaine :
L’artisan sans fin molesté,
À peine fuit la pauvreté.
Mais la gorge des gens d’Église
160 N’est point à autre joug soumise,
Sinon qu’à mignarder soi-mêmes,
N’avoir horreur de ces extrêmes,
Entre lesquels sont les vertus :
Être bien nourris et vêtus,
165 Être curés, prieurs, chanoines,
Abbés, sans avoir tant de moines
Comme on a de chiens et d’oiseaux,
Avoir les bois, avoir les eaux
De fleuves ou bien de fontaines,
170 Avoir les prés, avoir les plaines,
Ne reconnaître aucuns seigneurs,
Fussent-ils de tout gouverneurs :
Bref, rendre tout homme jaloux
Des plaisirs nourriciers de nous.
175 Mais que servirait t’expliquer
Ce que tu vois tant pratiquer,
N’était que je me plais ainsi
En la mémoire de ceci,
Voulant les plaisirs faire dire.
180 Où d’heure en heure je me mire ?
Au matin, quoi ?
MESSIRE JEAN.
Au matin, quoi ? Le feu léger,
De peur que le froid outrager
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Ne vienne la peau tendrelette,
Le linge blanc, la chausse nette,
185 Le mignard peignoir d’Italie,
La vêture à l’envi jolie,
Les parfums, les eaux de senteurs,
La cour de tous vos serviteurs,
Le perdreau en sa saison,
190 Le meilleur vin de la maison,
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Afin de mettre à val vos flumes :
Les livres, le papier, les plumes,
Et les bréviaires cependant
Seraient mille ans en attendant
195 Avant qu’on y touchât jamais,
De peur de se morfondre : mais
Au lieu de ces sots exercices,
De la musique les délices
Avant que monter à cheval,
200 Et puis et par mont et par val
Voler l’oiseau, se mettre en quête
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Bien souvent de la rousse bête :
Ou bien par les plaines errant
Suivre le lièvre bien courant,
205 Pendant que moi Messire Jean
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Je sue auprès le feu d’ahan,
De tâter les molles viandes,
Pour vous les rendre plus friandes :
Vous arrivez tous affamés,
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210 Les chaudeaux sont soudain humés,
De peur de vicier nature :
On fait aux tables couverture,
On rit, on boit, chacun fait rage
De babiller du tricotage.
215 On est saoul, on se met en jeu,
Et puis s’on sent venir le feu
De la chatouillarde amourette,
Soudain en la quête on se jette,
Tant qu’on revienne tous taris
220 Par ces pisseuses de Paris.
EUGÈNE.
Tout beau Messire Jean, tout beau,
Demeure là, d’un cas nouveau,
Puisqu’à l’amour tu es venu,
M’est à cette heure souvenu,
225 Pour lequel appelé t’avais.
MESSIRE JEAN.
Quoi ? Comment ? D’où vient telle voix ?
Avez-vous reçu quelque offense ?
EUGÈNE.
Non non, tout beau, seulement pense
De me prêter ici tes sens.
230 Tu sais bien que depuis le temps
Qu’Henry magnanime Roi,
A mené ses gens avec soi
Jusques aux bornes d’Allemagne,
Amour qui se met en campagne
235 Pour faire quête de mon coeur,
S’est rendu dessus moi vainqueur,
Me venant d’un trait enflammer,
Pour me faire ardemment aimer
Cette Alix, mignarde et jolie,
240 Bague fort bonne et bien polie,
Pour qui, ô serviteur fidèle,
Tu me vaux une maquerelle.
MESSIRE JEAN.
Ô que je me tiens en repos,
Pour voir où cherra ce propos.
EUGÈNE.
245 Jusqu’ici tant bien m’a servi,
Que du tout en elle je vis :
Et pour être bon guerdonneur
Lui voulant couvrir son honneur,
Comme tu es bien averti,
250 Lui ai trouvé le bon parti
De Guillaume le bon lourdaud,
Qui est tout tel qui nous le faut,
Et les ai mariés ensemble.
MESSIRE JEAN.
Ô fort bien fait.
EUGÈNE.
Ô fort bien fait. Mais que te semble ?
255 J’ai feint que c’était ma cousine.
MESSIRE JEAN.
La parenté est bien voisine,
Il n’y fallait épargner rien,
Ce sont trois cents écus : et bien
Qu’est-ce pour votre dignité,
260 Sinon qu’oeuvre de charité ?
EUGÈNE.
Mais maintenant j’ai si grand’ peur,
Que Guillaume sente mon coeur
Avec les cornes de sa tête.
MESSIRE JEAN.
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Ha ventrebieu il est trop bête,
265 Son front n’a point de sentiment,
Ni son coeur de bon mouvement :
Ho ho, quoi ? Craignez-vous en rien
En cela un Parisien ?
Le bon Guillaume sans malice
270 Vous est couverture propice,
Pour sûrement brider l’amour.
Si fussiez allé chaque jour
Cependant qu’Alix était fille,
Planter en son jardin la quille,
275 À l’envi chacun eût crié :
Mais depuis qu’on est marié,
Si cent fois le jour on s’y rend,
Le mari est toujours garant :
On n’en murmure point ainsi.
280 Et puis en cette ville-ci
On voit ce commun badinage,
De souffrir mieux un cocuage,
Que quelque amitié vertueuse.
EUGÈNE.
Après, mon amour est douteuse :
285 Et je crains que cette mignarde
D’aller autre part se hasarde.
Car ses femmes ainsi friandes,
Suivent les nouvelles viandes.
Et puis qui ne serait jaloux
290 D’un entretien qui m’est tant doux ?
Dès lors que fais chez elle entrée,
Je la trouve exprès apprêtée,
Ce semble, pour me recueillir :
Elle me vient au col saillir,
295 Elle me lace doucement,
Et puis m’étreint plus fortement,
J’entends si Guillaume est dehors,
Bonjour mon Tout, dit-elle alors :
Mais si quand elle entend ma voix,
300 Elle sent le cocu au bois,
Ou bien en quelque lieu voisin,
Bonjour (dit-elle) mon Cousin.
MESSIRE JEAN.
Et quoi plus ?
EUGÈNE.
Et quoi plus ? Nous entrons dedans,
Et jà d’un désir tous ardents
305 Nous mirons nos affections
Au miroir de nos passions,
Qui sont les faces de nous deux :
Souvent mollement je me deulx
Du temps, elle se complaint
310 Que l’amour assez ne m’atteint.
MESSIRE JEAN.
Ô dueil heureux !
EUGÈNE.
Ô dueil heureux ! Elle s’apaise,
Elle accourt, et plus fort me baise :
Puis s’arrêtant elle se mire
Dedans mes yeux.
MESSIRE JEAN.
Dedans mes yeux. Ô doux martyre !
EUGÈNE.
315 Et folâtrant elle rempoigne
Mes lèvres, qui font une trogne,
Afin que d’elle elles soient morses :
Et quant est des autres amorces,
Pense que peut en cela faire
320 Celle qui se plaît en l’affaire.
MESSIRE JEAN.
Qui pourrait être homme tant froid,
Qui ne s’émeut en cet endroit ?
EUGÈNE.
Mais où me suis-je promené ?
Où l’amour m’a-t-il jà trainé ?
325 Ore donc sache en cette affaire
Comment il te faut me complaire
Au long discours de cette chose.
Deux points tous seuls je te propose :
La peur que j’ai que ce sottard
330 Découvre la braise qui m’ard :
Et la peur que j’ai qu’en ma Dame
Ne s’allume quelque autre flamme.
Au premier tu remédieras,
Quand ce lourdaud gouverneras,
335 L’assurant que j’ai bonne envie
De lui aider toute sa vie :
Quand tu le mèneras au jeu,
Quand l’amadouant peu à peu,
Tu le rendras ami de toi,
340 Autant que sa femme est de moi,
Afin qu’ayez l’entrée sûre.
Quant est du second, je t’assure
Qu’il te faudra prendre cent yeux,
Afin de me la garder mieux !
345 Qu’on épie, que l’on regarde,
Qu’on s’enquière, qu’on prenne garde
De n’être en embûche trouvé,
Après avoir bien éprouvé.
Pour le loyer de ton office
350 Je te voue un bon bénéfice.
MESSIRE JEAN.
Grand merci Monsieur, c’est de grâce :
Ne vous souciez que je fasse,
N’ayez de ces deux points émoi,
Dès ores je prends tout sur moi.
SCÈNE II. §
MESSIRE JEAN.
355 Ainsi, Dieu m’aime, on voit ici
Maints aveuglés, qui sont ainsi
Que les flots enflés de la mer,
Qu’on voit lever, puis s’abîmer
Jusques au plus profond de l’eau.
360 Ceux-ci se fichant au cerveau
Un contentement qu’ils se donnent,
Dessus lequel ils se façonnent
Le portrait d’une heureuse vie,
Voyent soudain suivre l’envie
365 Du sort bien souvent irrité,
Rabaissant leur félicité.
Songez à celui qu’avez vu,
Ce brave Abbé tant bien pourvu
Moins en l’Église qu’en folie :
370 Songez dis-je, au mal qui le lie,
Ains l’étrangle tant doucement
D’un folâtre contentement :
Il se fait seul heureux, en tout
Il n’imagine point de bout,
375 Il ne prévoit, et ne prévient
Au malheur, qui souvent advient :
Et qui pis est, voir il n’a su
Qu’il est journellement déçu.
L’aveuglement est le moyen
380 De tourner un beaucoup en rien.
Il est si fol, comme je vois,
De penser, Alix est à moi,
Et me tient seul ami certain :
Alix dis-je plus grand putain
385 Qu’on puisse voir en aucun lieu,
Et qui veut sans crainte de Dieu
Se bâtir aux cieux une porte,
Par l’amour qu’à tous elle porte
Exerçant sans fin charité.
390 Assez longtemps elle a été
À un Florimond, homme d’armes,
Qui par avant sous les alarmes,
Pae qui son amour l’asservit,
Longtemps à Hélène servit,
395 Soeur de ce bel Abbé mon maître,
Sans par son pourchas jamais être
Reçu au dernier point de grâce.
Tant qu’étant vaincu de l’audace
De sa maîtresse impitoyable ;
400 Pour passer l’amour indomptable,
Et amortir sa fantaisie,
Fût par lui cette Alix choisie,
Laquelle il entretint toujours,
Non pas seul maître des amours,
405 Jusques à ce camp d’Allemagne,
Pour lequel se mît en campagne :
Mêmes on m’a dit qu’un grand zèle
Florimond avait envers elle.
Mais qui veut bien aimer, ne fasse
410 Aux Parisiennes la chasse :
Et puis notre Abbé, notre brave
Fol masqué d’un visage grave,
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Ce sot, ce messer coyon pense
Avoir eu seul la jouissance,
415 Et l’a mise en son mariage
Afin qu’il fît un cocuage
De mari et d’ami ensemble.
Mais, je vous prie, que vous semble
Des morgues, que je tiens vers lui ?
420 S’il dit oui, je dis oui :
S’il dit non, je dis aussi non :
S’il veut exalter son renom,
Je le pousserai par ma voix
Plus haut que tous les cieux trois fois.
425 Ainsi je fais un hameçon
Pour attraper quelque poisson
En la grand’ mer des bénéfices,
Sont mes états, sont mes offices,
Et qui n’en sait bien sa pratique,
430 Voise ailleurs ouvrir sa boutique.
SCÈNE III. Guillaume, Alix. Messire Jean. §
GUILLAUME.
Hé Dieu quelle heureuse fortune
M’eût été plus heureuse qu’une,
Ou quelle plus douce rencontre
En toute la terre se montre,
435 Que celle-là qu’ores j’ai faite
De cette femme tant parfaite,
À qui Dieu m’a joint pour ma vie ?
Hé mon Dieu que j’ai bonne envie
De t’en rendre grâce à jamais !
440 Ah ! Je t’en irai désormais
Souvent présenter des chandelles,
Et à la Reine des pucelles,
Qui m’a donné si chaste femme,
Sa beauté tout le monde enflamme :
445 Car je vois bien souvent passer
Maints amourets que trépasser
Elle fait en les regardant :
Mais aucun n’y va prétendant,
Accablé dessous sa vertu :
450 Moi-même je suis abattu
Bien souvent de sa chasteté.
Car alors que suis excité
De faire le droit du ménage,
Elle me dit d’un saint courage,
455 Écoute mon mignon, contemple
Du bon Joseph la sainte exemple,
Qui ne toucha sa sainte Dame.
Notre chair est vile et infâme :
Ces actes sont vilains et ords :
460 Et qui nous damne, que le corps ?
Alors je me mets en prière,
Et lui tourne le cul arrière :
Car hélas (bon dieu) tu ne veux
Que l’on blesse les chastes voeux.
ALIX.
465 Qui est celui j’oy compter,
Er tellement se contenter ?
Ha mananda, c’est mon badault,
Écouter ici me le faut,
Pour savoir qu’il dira de moi.
GUILLAUME.
470 Bon Dieu, je suis tenu à toi !
Outre cela elle est tant douce,
Jamais ses amis ne repousse :
Elle est à chacun charitable,
Et envers moi tant amiable
475 Que le monde en est étonné.
Quantes fois m’a-t-elle donné
De l’argent pour m’aller jouer ?
Cil qui veut à Dieu se vouer
Ne sera jamais indigent :
480 Alix a toujours de l’argent,
Elle est sainte dès ce bas lieu :
Car c’est de la grâce de Dieu,
Que cet argent lui vient ainsi.
ALIX.
Je suis en paradis aussi,
485 D’avoir un mari tel que j’ai :
Par ainsi sainte je serai.
GUILLAUME.
Même quand je me vais ébattre,
Si j’y étais trois jours ou quatre,
Elle n’en dit rien au retour
490 Non plus que d’un seul demi jour :
Et quand je me veux excuser,
Et de tels mots vers elle user,
Pardon je vous suppli, ma femme,
Vraiment ce m’est un grand diffame
495 D’avoir demeuré jusqu’à ores :
Je voudrais qu’y fussiez encores,
Mon ami, c’est votre santé.
ALIX.
Hé benêt, que c’est bien chanté.
GUILLAUME.
Et quand je me trouve en malaise,
500 Je sens que sa prière apaise
La maladie que je sens,
Elle s’en court par ces couvents
De saint François, saint Augustin,
De l’abbaye saint Martin,
505 De saint Victor, de saint Magloire,
Pour faire prier.
ALIX.
Pour faire prier. Voire voire,
On y prie à deux beaux genoux.
GUILLAUME.
Elle m’apporte à tous les coups
De ces saints couvents quelques choses :
510 Ou bien de quelque pain de roses,
Ou bien des eaux, ou bien du flan,
Aucunesfois de leur pain blanc,
Et me dit que par les mérites
Du bon saint, ces choses petites
515 Ont pouvoir de guérir la fièvre.
ALIX.
Serait perte s’il était lièvre,
Les cornes lui seyent fort bien.
GUILLAUME.
Elle ne me moleste en rien,
Même quand malade je suis
520 Elle ferme soudain mon huis,
Et de crainte de me fâcher
En autre lieu s’en va coucher :
Mais bien souvent je sens de peur
Dedans moi débattre mon coeur,
525 Quand ma partie me deffaut,
Car j’entendis un jour d’en haut
Un esprit qui fort rabâtait,
Lorsqu’en mon lit elle n’était.
ALIX.
Je retiens d’un sermon ces mots,
530 Qu’un esprit n’a ni chair ni os.
GUILLAUME.
Puis quand elle est malade aussi,
Vraiment je lui fais tout ainsi
Et me couche en quelque chambrette :
Mais hélas ! Elle est tant fluette,
535 Qu’elle est bien souvent en malaise,
Ou elle feint, ne lui déplaise,
Pour accomplir en sainteté,
Quelque beau voeu de chasteté :
Non fait non, elle souffre peine :
540 Car la nuit bien fort se démène.
ALIX.
Ô que je sens un doux martyre !
Je crève ici quasi de rire,
Je ne saurais m’y arrêter :
Mais je vais ore l’accoster.
GUILLAUME.
545 Mon Dieu que je serais marri.
ALIX.
De quoi parlez-vous, mon mari ?
GUILLAUME.
Ha notre femme, Dieu vous gard.
Je meure si votre regard
Ne m’a servi d’allègement
550 Contre mon fâcheux pensement.
GUILLAUME.
Quel pensement ? Le créancier
M’a fait ore signifier
Qu’il veut que je paye aujourd’hui.
ALIX.
Aujourd’hui : c’est un grand ennui,
555 C’est donner bien peu de répit,
Il n’en faut point être dépit,
Il faut prendre patiemment
Ce que notre Dieu justement
Pour nos commises nous envoie.
GUILLAUME.
560 Il est vrai, c’est la droite voie
Patience est d’Honneur la porte.
ALIX.
Patience est toujours plus forte.
GUILLAUME.
Ses dons sont à tous bien séants.
Mais comment ? Qui entre céans ?
565 Avez-vous laissé l’huis ouvert ?
ALIX.
Tout beau tout beau, j’ai découvert
Un des plus grands de nos amis,
C’est le Chapelain, le commis,
Le factotum de mon cousin.
MESSIRE JEAN.
570 Et puis quoi ? Comment ? Votre vin
Est-il jà là-bas mis en broche ?
ALIX.
Il est trouble, car on le hoche
Trois ou quatre fois tous les jours.
GUILLAUME.
Monsieur faites deux ou trois tours
575 Par le jardin en attendant :
M’amie envoie cependant
Au meilleur sans craindre les frais.
MESSIRE JEAN.
Je vais donc là prendre le frais.