M. DCC. LXXXI. avec approbation et privilège du Roi.
de M. LA HARPE, de l’Académie française
Approbation §
J’ai lu, par ordre de Mgr le Garde Sceaux, les oeuvres de M. de la Harpe, de l’Académie française, contenant les tragédies de Philoctète et de Menzicoff.
À Paris, le 27 janvier 1781.
Le privilège se trouve à la Tragédie de Menzicoff, du même auteur.
PRÉFACE. §
Il est sans doute bien honorable pour la mémoire de Sophocle, qu’en voulant trouver le chef-d’oeuvre de l’ancienne tragédie, il faille choisir entre deux de ses ouvrages, l’OEdipe roi et Philoctète. Il paraît que l’opinion du plus grand nombre s’est déclarée pour le premier : j’avouir que mon sentiment inclinerait pour le second. Il y a dans l’un, il est vrai, un plus grand intérêt de curiosité ; il y a dans l’autre un pathétique plus touchant. L’intrigue de l’un des deux sujets se développe et se dénoue avec beaucoup d’art : c’est peut-être un art encore plus admirable d’avoir pu soutenir la simplicité de l’autre ; peut-être est-il encore plus difficile de parler toujours du coeur, par l’expression des sentiments vrais, que d’attacher l’attention, et de la surprendre, pour ainsi dire, au fil des évènements. D’ailleurs, on pourrait, ce me semble, faire à la tragédie d’OEdipe des reproches plus graves qu’à celle de Philoctète : car telle est la condition de l’humanité, qu’il y a des fautes même dans les chefs-d’oeuvres. Sans parler des défauts essentiels, reconnus dans l’OEdipe, tels que celui du sujet même, qui a quelque chose de révoltant, puisque l’innocence y est la victime des Dieux et de la fatalité, celui des invraisemblances de l’avant-scène, puisqu’il n’est guère probable qu’OEdipe ni Jocaste n’aient jamais fait aucune recherche sur la mort de Laïus ; sans relever d’autres fautes qui tiennent à la nature du sujet, il y en a une dans la texture de la pièce, et qui n’appartient qu’à l’auteur ; c’est la querelle d’OEdipe et de Créon, qui occupe une grande place, et qui est à la fois dans intérêt et sans motif. La Roi de Thèbes accuse son parent avec une témérité et une précipitation inexcusable ; je sais bien que cet incident sert à remplir la pièce grecque, et que dans l’OEdipe français, Voltaire s’est servi d’un épisode pareil ; mais le besoin d’un remplissage est un défaut, et non pas une excuse ; et Sophocle dans Philoctète, sujet encore plus simple que l’OEdipe, s’est passé de cette ressource. On n’y peut remarquer qu’une scène inutile, celle du second acte, où un soldat d’Ulysse, déguisé, vient, par de fausse alarmes, presser le départ de Pyrrhus et de Philoctère, ressort superflu, puisque celui-ci n’a pas de désir plus ardent que d partir au plutôt. Cette scène ne sert doncqu’à allonger inutilement la marche de l’action, et j’ai cru devoir la retrancher ; mais, à cette faute près, si l’on considère que la pièce, faite avec trois personnages, dans un désert, ne languit pas un moment, que l’intérêt se gradue et se soutient par les moyens les plus naturels, toujours tirés des caractères, qui sont supérieurement dessinés ; que la situation de Philoctète, qui semblerait devoir être toujours la même, est si adroitement variée, qu’après s’être montré la plus à plaindre des hommes dans l’île de Lemnos, il regarde comme le plus grand des maus d’être obligé s’en sortir ; que ce personnage est un des plus théâtrals qui se puisse concevoir, parce qu’il réunit les dernières misères de l’humanité aux ressentiments les plus légitimes, et que le cri de la vengeance n’est chez lui que le cri de l’oppression ; qu’enfin, son rôle esy d’un bout à l’autre un modèle parfait de l’éloquence tragique ; on conviendra facilement qu’en voilà assez pour justifier ceux qui voient dans cet ouvrage la plus belle conception dramatique dont l’antiquité puisse s’applaudir.
On a regardé comme un défaut, du moins pour nous, l’ombre d’ercule, qui produit le dénouement. Cette critique ne me paraît pas fondée : certes,, ce n’est point ici que le Dieu n’est qu’une machine. Si jamais l’intervention d’un Divinité a été suffisamment motivée, c’est sans contredit dans cette occasion ; et ce dénouement, qui ne choque point la vraisemblance théâtrale, puisqu’il est conforme aux idées religieuses du pays où se passe l’action, est d’ailleurs très bien amené, nécessaire et heureux. Hercule n’est rien moins qu’étranger à la pièce ; sans cesse il est quesiton de lui ; la possession de lses flèches en est le noeud principal ; le hhéros est son compagnon, son ami, son héritier : Philoctète a résisté et a dû resister à tout : qui l’emportera de lui ou de la Grèce ? Et qui tranchera plus dignement ce grand noeud qu’Hercule lui-même ? De plus, ne voit-on pas avec plaisir que Philoctète, jusqu’alors inflexible, ne cède qu’à la voix d’un demi-dieu, et d’un demi-dieu son ami ? C’est bien ici qu’on peut appliquer le précepte d’Horace, qui peut-être même pensait au Philoctète de Sophocle, quand il a dit :
Quant à moi, j’ose croire que ce dénouement réussirait parmi nous, comme il a réussi chez les Grecs.
Brunoy s’exprime très judiscieusmeent sur ce sujet, et en général sur les différents mérites de cette tragédie, qu’il a très bien développés.
"Les Dieux (dit-il) font entendre que la victoire dépend de Philoctète et des flèches d’Hercule ; mais comment déterminer ce guerrier malheureux à secourir les Grecs, qu’il a droit de regarder comme le sauteurs de ses maux. C’est un Achille irrrité qu’il faut regagner, parce qu’on a besoind e son bras, et l’on a dû voir que Philoctète n’est pas moins inflexible qu’Achille, et que Sophocle n’est pas en-dessous d’Homère. Ulysse est employé à cette ambassade avec Néoptolème (Pyrrhus et Néoptolème, est le même personnage sous différents noms.) ; heureux contraste, dont Sophocle a tiré toute son intrigue ; car Ulysse, politique jusqu’à la fraude, et Néoptolème, sincère jusqu’à la franchise, en font tout le noeud, tandis que Philoctète, défiant et inéxorable, élude la ruse de l’un, et ne se rend point à la générosité de l’autre, de sorte qu’il faut qu’Hercule descende du ciel pour dompter ce coeur féroce, et pour faire le dénouement. On ne peut nier qu’un pareil noeud ne mérite d’être dénoué par Hercule."
En conséquence de tout ce qu’on vient de lire, on me demandera pourquoi je ne fais pas paraître cet ouvrage sur la scène. Ce serait peut-être un genre de nouveauté assez piquant et assez digne d’atttention ; ce serait au moisn le première fois qu’on aurait vu sur le théâtre d’Athènes. Nous avons eu jusqu’ici que des imitations plus ou moins rapprochées de nos convenance et de nos moeurs ; et il y a longtemps que je pense, comme je l’ai dit ailleurs (Dans l’essai sur les Tragiques Grecs), que ce sujet est le seul, de ceux qu’aient traités les Anciens, qui soit de nature à être transporté en entier, et sans aucune altération, sur les théâtres modernes, parce qu’il est de tous les temps et de tous les lieux, celui de l’humanité souffrante. Mais indépendamment des rausons que j’ai de ne faire représenter , dans les circonstances actuelles, nio cet ouvrage ni aucun autre (raisons que j’ai indiquées dans la préface de Menzikoff, cette tragédie est actuellement sous presse), l’opinion avantageuse que j’ai de l’original grec, ne me rassurerait pas absolument sur le sort de la traduction, même en la supposant aussi bonne que j’aurais voulu la faire. Le Succès qu’elle a eu à la séance publique des l’Académie Française, ne serait pas même un garant infaillible de celui qu’elle pourrait avoir sur la scène : le jugement d’une assemblée quelle qu’elle soit, ne peut s’assimiler aux effets ur le théâtre. Et qui sait si l’on goûterait beaucoup sur le nôtre un drame grec d’une simplicité si nue, trois personnage sur une île déserte, une pièce non seulement sans amour, mais sans rôle de femme ? Il y a de quoi effaroucher bien des gens. La seule tentative qu’on ait faite en ce genre, soutenur du nom et du génie de Voltaire dans sa force, n’a pas réussi de manière à encorager ceux qui voudraient la renouveler. La "Mort de César" a obtenu le suffrage de tous les connaisseurs, mais n’a pu encore (peut-être à notre honte) s’établir (cet admirable ouvrage, joué en 1743, n’eut que sept représentations ; il n’a été repris qu’aux fêtes de la Pais, en 1763, et depuis il n’a pas reparu) ; sur notre théâtre. C’est en ain que les étrangers nous reprochent depuis longtemps, non sans quelque raison, cette préférence trop exclusive que nous donnons aux intrigues amoureuses, et d’où naît, dans nos pièces une sorte d’uniformité, dont l’auteur de "Mérope", d’ "Oreste" et de "La Mort de César" , s’est efforcé de nous affranchir [Voltaire]. Ce grand homme, dont le goût était si exquis et si exercé, avait senti tout le mérite de cette antique simplicité, qui serait aujourd’hui d’autant plus recommandable, qu’elle pourrait servir d’antidote contre l’extrême corruption du goût. Mais comment accréditer ce genre de nouveauté, au milieu de la contagion générale, lorsqu’atteints de la maladie des gens rassasiés, nous voudrions au contraire rassembler tous les tableaux dans le même cadre , tous les intérêts dans un drame, tous les plaisirs dans un spectacle, transporter l’opéra dans la tragédie, et la tragédie sur la scène lyrique ? De là cette perversité d’esprit qui précipite tant d’acrivains dans le bizarre et le monstrueux : on ne songe pas assez qu’il faudrait prendre garde à ne pas user à la fois toutes les sensations et toutes les jouissances, ménager les ressources afinde les perpétuer, admettre chaque genre à sa place et à son rang, n’en dénaturer aucun, ne rejeter que ce qui est froid et faux, et surtout éviter les extrêmes, qui font toujours les abus.
Je sais que dans le moment où j’écris, un certain nombre d’amateurs s’occupent à ranimer l’étude de l’antiquité ; que l’on a su gré à l’auteur d’ "OEdipe chez Admète", d’avoir si heureusement emprunté les deux plus scène d’ "OEdipe à Colone", en y ajoutant de nouvelle beautés ; que quelques personnes ont cru pouvoir en tirer un présage pour le succès de Philoctète ; mais je prie qu’on fasse attention que la vieillesse d’OEdipe aurait pu nous intéresser beaucoup moins, sans les pleurs d’Antigone : et je n’ai point d’Antigone ; en un mot, nous sommes accoutumés à voir des femmes sur la scène. Je conçois aussi bien que personne comment ce plaisir a pu devenir un besoin fort doiux ; je ne dis pas qu’il fût impossible de s’ne passer avec le génie de Sophocle ; mais il est aussi très possible qu’on ne pardonnât pas au Traduteur de l’avoir entrepris.
Et puisque j’ai parlé d’"OEdipe chez Admete", cette pièce, malgré son matériel réel, qu’on ne m’accusera pas de méconnaître, n’est-elle pas elle-même un exemple de ces sortes d’alliages où nous jette la crainte de paraître trop simple ? Personne n’applaudit (Voyez le Mercure du 15 décembre 1778) plus volontiers que moi aux sucès d’un confrère dont j’honnore et chéris les talents et l’honnêteté ; mais c’est ici le lieu d’invoquer son propre témoignage, et de répéter ce que j’ai osé lui dire à lui-même, et ce qu’il a senti mieux que tout autre, parce que l’amour-prore du véritable talent est toujours subordonné à l’amour de l’art et de la vérité. Si M. Ducis se fût borné au sujet d’ "OEdipe à Colone", qui, à la vérité, ne comportait que trois actes, il eût pu faire un ouvrage digne d’être mis en parallèle avec "La Mort de César", un tout omplet et régulier, qui n’aurait été que plus intéressant en devenant plus simple ; et il aurait évité le reproche d’avoir affaible une pièce d’Eurpide en l’amalgamant avec une pièce de Sophocle.
Quoi qu’il en soit, c’est principalement au petit nombre de lecteurs versés dans les lettres grecques et dans l’étude de l’antiquité, que j’offre cette traduction fidèle de l’un des plus beaux ouvrages que l’on ait écrits dans la plus belle des langues connues. C’est surtout à cette classe de juges choisis, que je dois rendre compte de mon travail, qu’eux seuls peuvent apprécier : ils se souviendront sans doute que lorsqu’un poète traduit un poète, la véritable fidélité de la version consiste à rendre, s’il se peut, toutes les beautés plutôt que tous les mots, et ce principe, reçu même dans la prose, est d’un usage incontestable quand il s’agit de vers. Ce que je puis assurer, c’est qu’autant que me l’a permis la différence des langues et le caractère de notre versification, j’ai suivi non seulement les idées et le dialogue, mais même les tournures et les constructions du texte grec : persuadé qu’en traduisant un écrivains tel que Sophocle, plus on se rapproche de lui, plus on est près de la perfection, parce que tous les mouvements de son style sont toujours ceux de la nature. C’est ce que n’a pas assez senti M. Brunoy, homme éclairé et écrivain pur, qui connaissait le mérite des anciens, mais qui ne s’était pas assez rempli du génie de leur composition : il semble se faire une loi de ne conserver que le sens de son auteur, et de substituer d’ailleurs l’élégance moderne à cette expression simple, énergique et vraie de la poésie antique ; souvent il paraphrase Sophocle, et quelquefois le défigure, comme je l’ai observé dans plusieurs endroits que l’on verra cités dans des notes. Mais on lui pardonnerait plus aisément quelques fautes, toujours difficiles à éviter dans toute traduction, que le disproportion continuelle où il est à l’égard de son original. Peut-être aussi aura-t-on quelque peine à pardonner à son goût et à son jugement, la singulière comparaison qu’il fait de Philoctète avec Nicomède, et qui est le résultat de réflexions d’ailleurs sages et instructives. Voici comme il les termine (Voyez dans le second volume du "Théâtre des Grecs", les réflexions sur Philoctète.) : "À suivre le goût de l’antiquité, on ne peut reprocher à cette tragédie aucun défaut considérable ; tout y est lié, tout y est soutenu, tout tend directement au but ; c’est l’action même, telle qu’elle a dû se passer. Mais à en juger par rapport à nous, le trop de simplicité et le spectacle dominant d’un homme aussi tristement malheureux que Philoctète, ne peuvent nous faire une plaisir aussi vite que les malheurs plus brillants et plus variés de Nicomède dans Corneille."
Ces dernière lignes offrent un rapprochement bien étrange. Quant au "trop de simplicité par rapport à nous", on a vu que je ne m’éloignais pas de le penser. Il n’en est pas de même du rôle de Philoctète, que Brunoy trouve "si tristement heureux". Si j’ai bien compris dans quel sens ces mots peuvent s’appliquer à un personnage dramatique, il me semble qu’ils ne peuvent convenir qu’à celui qui serait dans une situation monotone et irrémédiable ; c’est alors que le malheur afflige plus qu’il n’intéresse, parce qu’au théâtre il n’y a quère d’intérêt sans espérance. Mais Philoctète n’est nullement dans ce cas, et ni l’un ni lautre de cex deux reproches ne put tomber sur ce rôle, reocnnu si émminemment tragique. Enfin, de tous les personnages que l’on pourrait comparer au Philoctète de Sophocle, Nicomède est peut-être celui qu’il était le plus extraordinamre de choisir. Quel rapport entre ces deux pièces, quand le principal mérite de l’une est d’abonder en pathétique, et que le grand défaut de l’autre est d’en être totalement dépourvue ? On peut assurément, sans manquer de respect pour le génie de Corneille, s’étonner du "plaisir vif" que procure , selon Brunoy, le drame qui est en effet le moins tragique de tous ceux où Corneille n’a pas été absolument au-dessous de lui-même, ouvrage dans lequel il y a quelques traits de grandeur, mais pas un moment d’émotion.
Le grand intérêt du rôle de Philoctète n’avait pas échappé à l’un des plus illustres élèves de l’antiquité, Fénelon, qui, du chef-d’oeuvre de Sophocle, a tiré le plus bel épidode du sien ; c’est encore le morceau du Télémaque qu’on relit le plus volontiers. Fénelon s’est approprié les traits les plus heureux grecs, et les a rendus dans notre langue avec tout le charme de leur simplicité primitive, et en homme plein de l’esprit des anciens, et pénétré de leur substance. Racine le fils, à qui son père, avait appris à les étudier et à les admirer, mais qui n’avait pas hérité de lui le talent de lutter contre eux, a essayé, dans ses "Réflexions sur la Poésie", de traduire en vers quelques endroits de Sophocle, et en particulier de Philoctète.
Je ne crains pas qu’on m’accuse d’une consurrence mal entendue : tele st mon amour pour le beau, que si sa version m’avait paru digne de l’original, je l’aurais, sans balancer, substituée à la mienne. Mais ceux qui entendent le grec verront aisément combien le fils du grand Racine est loin de Sophocle : ses vers ont de la correction et quelquefois de l’élégance, mais ils manquent le plus souvent de vérité, de précision et d’énergie ; ses fautes même sont si palpables, qu’il est facile de les faire apercevoir à ceux qui ne connaissent pas l’original. Je me bornerai à un seul morceau fort court, mais dont l’examen peut servir à faire voir en même temps combien les anciens étaient de fidèles interprètes de la nature, et combien Racine le fils, qui les aime et qui les loue, les traduit infidèlement. Je choisis l’entrée de Philoctète sur la scène : voici la version en prose littérale.
"Hélas ! Ô étrangers ! Qui êtes-vous, vous abordez dans cette terre, où il n’y a ni port ni habitation ? Quelle est votre patrie ? quelle est votre naissance ? À votre habit, je crois reconnaître la Grèce, qui m’est toujours si chère ; mais je voudrais entendre votre voix ; et ne soyez point effrayés de mon extérieru farouche, ne me craignez point mais plutôt ayaez pitié d’un malheureux, seul dans un désert, sans secours, sans appui. Parlez ; si vous venez comme amis, que vos paroles répondent aux mienne ; c’est une grace, une justice que vous ne pouvez me refuser."
Voilà Sophocle ; ce langage est ce lui qu’a dû tenir Philoctète : rien d’essentiel n’y est omis, et il n’y a pas un mots de trop ; c’est la perfection du style dramatique. Voici Racine le fils.
Ces vers, considérés en eux-mêmes, ont de la douceur, et en général ne sont pas mal tournés ; mais jugez-les sur l’original et sur la situation, et vous serez étonné de voir combien de fautes, pire que des solecismes, combien de chevilles, d’inutilités, d’omissions essentielles !
D’abord, quelle langueur dans les huit premiers vers, qui tombent tous deux à deux, et se répètent les uns les autres! quelle uniformité dans ces hémistiches accouplés, "cette île sauvagen ce funeste rivage, que je vois praître, que je crois reconnaître !" Ce défaut serait peut-être moins répréhensible ailleurs ; mais ici c’est l’opposé des mouvements qui doivent se succéder avec rapidité dans l’âme de Philoctecte, et que Sophocle a si bien exprimés. Où sont ces interrogations accumulées, qui doivent se presser dans le bouche de cet infortuné qui voit enfin des hommes.
Supposons un souverain dans sa cour, recevant des étrangers ; parlerait-il autrement ? Ce tranquille interrogatoire ressemble-t-il à ce premier cri que jette Philoctète ? [phrase en grec] , etc. "Hélas ! Ô étrangers ! Qui êtes-vous ? Ce cri demande du secours" , impore la pitié, et peint l’impatience de la curiosité ; rien ne pouvait le supplée, et les deux premiers vers de Racine le fils, sont uine espèce de contre-sens dans la situation.
Ailleurs cette expression pourrait n’être pas mauvaise : ici elle est d’une recherche froide, parce que tout doit être simple, rapide : quel est votre nom ? Quelle est votre patrie ? Voilà ce qu’il fallait dire, tout autre langage était faux.
Que ce "mais" est déplacé ! Et pourquoi interroger ici hors de propos, quand la chose est sous les yeux ? Sohocle dit simplement : "Si j’en crois l’apparence, votre habit est celui des Grecs." Et qu’est-ce que "l’ardeur de vous entretenir" ? Il est bien question d’ "entretien" ; c’est la son de la voix d’un humain, c’est la voix d’un Grec que Philoctète veut entendre ; Sophocle le dit mot pour mot , [texte en grec], "je veux entendre votre voix : qulle différence !"
Ces vers ne sont pas dans le grec, mais il sont dans la situation, ils sont bien faits ; cependant il eût mieux valu ne pas ajouter ici à Sophocle, et le traduire mieux dans le reste. Ce qu’on lui donne ne vaut pas ce qu’on lui a ôté ; il eut mieux valu ne pas commencer par mentir à la nature, ne pas omettre ensuite ce mouvement si vrai et si touchant ; "Ne soyez point effrayés à mon aspect, ne me voyez point avec horreur." C’est qu’en effet dans l’état où est Philoctète, il peut craindre cette espèce d’horreur qu’une profonde misère peut inspirer. La Traducteur a reporté cette idée dans le dernier vers ; mais une idée ne remplace pas un mouvement de l’âme, ne remplace pas ce beau vers : [texte en grec]
Tout cela est vague et faible, et n’est point dans Sophocle ; Philoctète ne les appelle point "généreux", car il ne sait pas encore s’ils le seront ; et tout ce qu’il dit, peint la défiance maturelle au malheur ; et si leur "regard" est "sévère", pourquoi les suppose-t-il "généreux" ? Ce sont des chevilles qui amènent à des incons"quences. Pourquoi leur parle-t-il de ’tant d’inimitié" ? Toutes ces expressions parasites ne vont poin tau fait, ne rendent point ce que dit et ce que doit dire Philoctète : "ayez pitié d’un malheureux abandonné dans un désert, sans secours et sans ami".
Cette analyse peut paraître rigoureuse ; elle n’est pourtant que juste, elle est motivée, évidente, et porte sur des fautes capitales. C’est en axaminant dans cet esprit la poésie dramatique , que l’on concevra quel est le mérite d’un Racine et d’un Voltaire, qui, dans leurs bons ouvrages, ne commettent jamais de pareilles fautes ; c’est ainsi que l’on concevra en même-temps pourquoi il n’est pas possible de lire une scène de tant de pièces applaudies un moment par une multitude égarée, et dont les succès scandaleux nous ramènent à la barbarie.
Ce n’était pas un barbare que Chateaubrun, qui emprunta des Grecs sa tragédie des "Troyennes", pièce touchante, malgré les défauts du plan et les inégalités du style ; mais s’il a réussi à imiter quelques situations d’Euripide, il n’a pas été aussi heureux en traitant le sujet de Philoctère après Sophocle. Sa diction, qui a dut naturel et de l’intérêt, quoique souvent faible et incorrecte, s’élève rarement à l’énergie du plus grand des tragiques grecs. Son plan est fort loin de la sublime simplicité de Sophocle ; son Philoctète est entièrement moderne ; il a mêlé une intrigue d’amour ; Pyrrhus devient tout d’un coup amoureux d’une fille de Philoctète, qu’il n’a fait qu’entrevoir ; et l’on sent qu’une passion si subite , qui ne saurait être d’un grand effet au théâtre , où il faut que tout soir préparé, ne sert qu’à partager l’intérêt qui doit se réunir sur Philoctète. D’ailleurs Chateaubrun a-t-il pu penser que ce fût la même chose pour ce malheureux prince, d’être seul sur l’île de Lemnos, ou d’y être savec sa fille ? Est-il vraisemblable encore que Sophie soit venue joindre son père, et que depuis dix ans le père de Philoctète et sa famille entière l’aient abandonné ? Un autr inconvénient de la pièce française, c’est que l’auteur, en rejetant le dénouement de Sophocle, a été obligé de faire Ulysse son principal personnage et le héros de sa tragédie. C’est lui dont l’éloquence finit par vaincre la haine de Philoctète ; et pour préparer cette révolution, il a fallu affaiblir beaucoup le cractère de ce dernier, et fortifier et embellir celui d’ulysse, ce qui est conttraire à la nature du sujet, et ce qui ne suffit pas même pour justifier le dénouement : car si Philoctète peut-être fléchi, est-ce bien par Ulysse, celui de tous les mortels qu’il doit le plus abhorrer ? S’il peut résister à Pyrrhus, qu’il aime, comment cède-t-il à Ulysse, qu’il déteste ? Un changement si peu ordinaire au coeur humain, ne peut pas être amené par des discours : il faut des ressorts plus puissants.
PYRRHUS.
PHILOCTETE.
PYRRHUS.
PHILOCTETE.
PYRRHUS.
SOPHIE.
PHILOCTETE.
PYRRHUS.
PHILOCTETE.
SOPHIE.
PHILOCTETE.
(Il rentre dans sa caverne.)
Retrouve-t-on là ces gradations si bien ménagées dans le Philoctète Grec, ce mélange de douleur, de désespoir et d’effroi, ces efforts qu’il fait pour cacher ses tourments, cette inquiétude si naturelle et si intéressante, qui lui fait craindre sans cesse que l’horreur de son état ne rebute la pitié de Pyrrhus ; ces supplications qu’il lui adresse, ces serments qu’il lui demande, enfin tous ces grands développements qui portent jusqu’au fond du coeur l’intérêt d’une situation dramatique ?
Ce n’est pas qu’il n’y ait des beautés dans l’ouvrage, et qui, même, n’appartiennent qu’à l’auteur ; tels sont ces deux beaux vers de Philoctète, parlant à Ulysse et aux Grecs :
Mais ailleurs on voit avec peine les lieux communs du bel esprit moderne, commes des parures de nos jours, qu’une peinture mêlerait dans un sujet de l’antiquité. Pyrrhus, en considérant la sort de Philoctète, s’exprime ainsi dans un monologue :
Il est clair que l’auteur, ne songeant qu’au temps où il acrivait, a oublié que dans les temps héroïques, tels qu’il sont décrits dans Homère, les rois n’étaient pas élevés comme ils l’ont été depuis, dans le luxe et la corruption des grands empires ; que l’éducation qu’Achille avait reçue de Chiron, ne l’avait pas amolli, et que le fils d’Achille n’avait pas besoin de voir Philoctète à Lemnos, pour savoir que les rois sont des hommes. Ces vers, qui pourtant furent applaudis à cause des rois et des hommes, ne sont donc qu’une vaine déclamation, qui aurait paru bien déplacée sur le théâtre d’Athènes.
Je m’explique sur cet objet avec d’autant plus de liberté, que je ne crois pas qu’on m’attribue la prétention de lutter contre le Philoctète de Châteaubrun ; son ouvrage, au sujet près, est à lui ; le mien est tout entier à Sophocle; car je ne compte pour rien le très petit nombre de vers que j’ai été obligé d’ajouter à ma traduction, et que j’ai marqués avec des guillemets, par un excès de scrupule, et pour fair emieux comprendre qu’elle a été mon exactitude dans tout le reste. Je dois même exposer le motif de ces légères additions.
Dans la première scène, je fais dire à Pyrrhus, au moment où il cède aux raisons d’Ulysse :
Ces vers ajoutés ont pour but d’instruire le lecteur que Pyrrhus, dans tout ce qu’il raconte ensuite à Philoctète, ne lui dit que la vérité, et ne le trompe qu’en lui faisant croire qu’il abandonne les Grecs, et qu’il retourne à Scyros. Sophocle n’avait pas besoin de cette précaution avec des spectateurs instruits comme lui de ces événements ; mais elle était nécessaire pour les lecteurs français, qui, sans cela, pourraient ne pas distinguer dans le scène suivante ce qui est conforme à la vérité, et ce qui ne l’est pas. Par la même raison, j’ai fait dire à Pyrrhus, au troisième acte, en parlant de la Grèce :
Le monologue qui ouvre le second acte, est aussi entièrement de moi ; il était nécessaire pour préparer l’aveu de Pyrrhus va faire à Philoctète, et annoncer l’impression qu’a faite sur lui le spectacle des douleurs de cet infortuné. Ce changement est indiqué dans le grec lorsque philoctète quitte la scène, et que Pyrrhus reste avec le choeur : retranchent ce choeur, ainsi que tous le sautres, il a fallu y suppléer par un monologue, puisque le pièce n’a point de confidents.
On sait ce qu’étaient les choeurs chez les Grecs, des morceaux de poésie lyrique, souvent fort beaux, qui tenaient à leur système dramatique, mais qui ne servaient de rien à l’action, et quelquefois même les gênaient. Je les ai supprimés tous, comme inutiles et déplacés dans une traduction française qui peut être jouée. Je n’en ai conservé qu’un, dont j’ai mis les paroles dans la bouche de Pyrrhus, au premier acte, parce qu’il exprime les idées et les sentiments analogues à la situation et au caractère de Pyrrhus.
Ce caractère n’a pas été à l’abri de la critique ; on a a reproché au fils d’Achille de se plier à la dissimulation, et même de savoir à son âge trop bien dissimuler. Mais que l’on songe qu’il avait ordre de suivre en tout les conseils d’Ulysse, et que s’il ne les suit pas, il perd toute espérance de prendre Troie et de venger son père. Voilà sans doute des motifs suffisants pour Pyrrhus ; et les leçons d’u!lysse sont si bien tracées, qu’il ne faut pas une grande expérience pour les suivre ; et avec quel plaisir on voit aussi ce jeune guerrier revenir à son caractère, qu’il n’a pas pu forcer qu’on moment, et se rendre à la pitié, après avoir cédé à la politique ? Que le moment où il se rend les flèches à Philoctète, est noble et attendrissant ! Et que c’est bien-là le tableau de la nature !
Enfin, si cette traduction, (dans laquelle je n’ai retranché du texte qu’environ une soixantaine de vers, qui m’ont paru allonger le dialogue) peut plaire à ceux qui connaissent la poésie de Sophocle, et en donner aux autres une idée plus fidèle que les versions en prose que nous en avons, je serai assez payé de mon travail, qui, malgré ses difficultés, a été pour moi un plaisir, qu’one ne peut goûter qu’en traduisant un homme de génie. Il est doux d’être soutenu par le sentiment d’une admiration continuelle, et c’est alors que l’on jouit de ce qu’on ne saurait égaler.
Personnages §
- PHILOCTÈTE.
- ULYSSE.
- PYRRHUS.
- HERCULE, dans un nuage.
- Un GREC.
- SOLDATS.
ACTE I §
SCÈNE I. Ulysse, Pyrrhus, Deux soldats grecs. §
ULYSSE.
PYRRHUS, s’avançant au fond du théâtre.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
SCÈNE II. §
PYRRHUS, seul.
SCÈNE III. Pyrrhus, un Soldat. §
LE SOLDAT.
SCÈNE IV. Pyrrhus, Philoctète, Deux Soldats. §
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
5PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS, aux soldats grecs.
ACTE II §
SCENE I. §
PYRRHUS, seul.
SCÈNE II. Pyrrhus, Philoctère, Seux soldats. §
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PYRRHUS, à part.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
SCÈNE III. Philoctète, Pyrrhus, Ulysse, Suite de sordats §
ULYSSE, arrivant avec précipitation.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE aux soldats.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
ULYSSE.
PYRRHUS.
SCÈNE IV. Philoctère, Soldats. §
PHILOCTÈTE.
ACTE III §
SCÈNE I. Ulysse, Pyrrhus. §
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
PYRRHUS.
ULYSSE.
SCÈNE II. §
PYRRHUS, seul.
SCÈNE III. Pyrrhus, Philoctète, Soldats grecs. §
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
SCÈNE IV. Philoctète, Pyrrhus, Ulysse, Soldats de la suite d’Ulysse. §
ULYSSE.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS, le retenant.
PHILOCTÈTE.
PYRRHUS.
PHILOCTÈTE.
SCÈNE V. Philoctète, Pyrrhus, Ulysse, Hercule dans un nuage lumineux, Soldats. §
HERCULE.
PHILOCTÈTE.