SCÈNE I. §
LISETTE, seule.
Me voici seule enfin, parlons un peu raison.
Cléon et son valet sont dans cette maison
Cachés depuis hier, et par mon assistance :
Si notre maître en a la moindre connaissance,
5 Je suis perdue ; aussi je suis riche à jamais.
Si de Cléon je fais réussir les projets.
Il ne contente pas par de vaines paroles ;
Il nous a consigné déjà cinq cents pistoles :
Et s’il enlève Élise à notre procureur,
10 Je puis bien m’assurer qu’il fera mon bonheur.
Il faut gagner le clerc, il fera cette affaire :
Mille écus bien comptant et l’espoir de me plaire
Me répondent de lui. Voici ce dont j’ai peur :
Le procureur céans à sa mère, sa soeur,
15 Et sa fille ; elles sont sans cesse à leur fenêtre.
Déjà plus d’une fois voyant Cléon paraître,
Elles m’ont demandé (mais chacune en secret)
Quel était ce monsieur si charmant, si bien fait,
Qui passait si souvent. Elles en sont charmées,
20 Et sont folles assez pour croire en être aimées.
Les voici toutes trois avec le procureur,
Tâchons de pénétrer jusqu’au fond de leur coeur.
SCÈNE II. Madame Rissolée, Piétremine, Lucrèce, Suzon, Lisette. §
PIÉTREMISE.
Ma mère, finissez vos proverbes des halles,
Sentences du vieux temps, fades et triviales ;
25 On n’entend que cela dans toute la maison,
Et ma fille et ma soeur les mettent en chanson :
Jour et nuit l’une et l’autre à composer s’applique
De pitoyables vers, de mauvaise musique...
MADAME RISSOLÉ.
Soit, vous n’entendrez plus proverbes ni chansons,
30 Mais revenons un peu, de grâce, à nos moutons.
Ce sont vos actions et non pas mon langage
Qu’il vous faut condamner. Ce second mariage...
PIÉTREMISE.
Eh bien ! J’adore Élise, et prétends l’épouser ;
Vos proverbes en vain s’y voudraient opposer.
35 Élise est ma pupille ; étant sous ma tutelle,
Ma mère, en ma faveur je veux disposer d’elle.
PIÉTREMISE.
Entendez-nous. Ma soeur, j’en ai trop entendu.
PIÉTREMISE.
Mais, mon père... Ma fille, autant de temps perdu.
MADAME RISSOLÉ.
Vous devez avant tout pourvoir votre famille ;
40 Mariez votre soeur, mariez votre fille.
PIÉTREMISE.
Et notre mère aussi, n’est-ce pas ?
MADAME RISSOLÉ.
Et notre mère aussi, n’est-ce pas ? Pourquoi non ?
Et, sans tous les caquets et le qu’en dira-t-on...
Un jeune homme... suffit.
PIÉTREMISE.
Un jeune homme... suffit. À votre age, ma mère !
MADAME RISSOLÉ.
Suis-je si décrépite, et hors d’état de plaire ?
PIÉTREMISE.
45 Non pas ; mais...
MADAME RISSOLÉ.
Non pas ; mais... Rira bien qui rira le dernier.
Vous n’avez qu’à toujours demain vous marier,
Je vous suivrai de près.
LUCRÈCE.
Je vous suivrai de près. Je ne tarderai guère
À me pourvoir aussi.
PIÉTREMISE.
À me pourvoir aussi. Vous, ma soeur ?
LUCRÈCE.
À me pourvoir aussi. Vous, ma soeur ? Oui, mon frère.
PIÉTREMISE.
À l’amour jusqu’ici vous aviez résisté.
LUCRÈCE.
50 Il ne faut qu’un moment.
SUZON.
Il ne faut qu’un moment. Pour moi, de mon côté,
Je suivrai leur exemple.
PIÉTREMISE.
Je suivrai leur exemple. Oh ! Ce n’est pas de même.
SUZON.
Pardonnez-moi, mon père ; et déjà quelqu’un m’aime,
Que j’aime aussi.
PIÉTREMISE.
Que j’aime aussi. Comment ! Chacune a donc le sien ?
LISETTE.
On veut vous imiter.
PIÉTREMISE.
On veut vous imiter. Je l’empêcherai bien.
MADAME RISSOLÉ.
55 Mariez-vous, vous dis-je, et puis laissez-nous faire.
PIÉTREMISE.
Oh morbleu ! Ces discours me mettent en colère :
Je sens monter ma bile. il vaut mieux m’en aller.
SCÈNE III. Madame Rissolé, Lucrèce, Suzon, Lisette. §
LISETTE.
Il est si transporté qu’il ne saurait parler :
Au désespoir, au moins, vous allez le réduire.
MADAME RISSOLÉ.
60 La chose est maintenant au point où je désire.
J’aurais donné sujet a chacun de crier,
D’aller de but en blanc ainsi me marier ;
Il m’en fournit enfin un prétexte valable :
On dira que voyant mon fils déraisonnable,
65 J’ai voulu le punir. Cependant, c’est l’amour.
Mes enfants, qui m’occupe et la nuit et le jour.
LISETTE.
Et qui donc aimez-vous?
MADAME RISSOLÉ.
Et qui donc aimez-vous? Tu le sais bien, Lisette :
Mais n’en dis rien, au moins.
LISETTE.
Mais n’en dis rien, au moins. Allez, je suis discrète.
À Lucrèce.
Et vous ?
LUCRÈCE.
Et vous ? Tu le sais bien aussi.
LISETTE.
Et vous ? Tu le sais bien aussi. Je m’en souviens,
70 Et cet amant souvent a fait nos entretiens.
À Suzon.
Quant a vous, c’est celui qui, l’autre jour...
SUZON.
Quant a vous, c’est celui qui, l’autre jour... Lui-même ;
Celui que je t’ai dit.
LISETTE.
Celui que je t’ai dit. Vous aimez, on vous aime.
Mais cet amour encor n’a parlé que des yeux.
LUCRÈCE.
Ô contrainte cruelle !
MADAME RISSOLÉ.
Ô contrainte cruelle ! Ô langage ennuyeux !
LUCRÈCE.
75 Très ennuyeux, sans doute ; et c’est le seul langage
Que dans cette maison l’on peut mettre en usage :
On n’en sort point. Mon frère est brutal ; un amant
Ne veut point essuyer un mauvais compliment,
Ne parler que des yeux.1
SUZON.
Ne parler que des yeux.1 Oh ! Je fais davantage.
80 Mon amant a trouvé le plus poli langage...
Les soins sous ma fenêtre, il demeure arrêté ;
Il tousse, il éternue.
LISETTE.
Il tousse, il éternue. Eh bien ?
SUZON.
Il tousse, il éternue. Eh bien ? De mon coté,
Je tousse et j’éternue aussi.
LISETTE.
Je tousse et j’éternue aussi. Belle manière
De se faire l’amour !
SUZON.
De se faire l’amour ! Toute la nuit entière...
85 Mais mon père revient.
MADAME RISSOLÉ.
Mais mon père revient. Allons, montons là-haut,
Mes enfants ; nous prendrons les mesures qu’il faut.
SCÈNE V. Piétremine, Lisette. §
PIÉTREMISE.
95 Lisette, sais-tu bien que ma famille est folle ?
LISETTE.
Elle est bien amoureuse, au moins.
PIÉTREMISE.
Elle est bien amoureuse, au moins. Cela désole :
Parce que j’aime, il faut que chacun aime ici !
Je me marie, on veut se marier aussi !
Je m’en moque, et je fais ce soir mes fiançailles.
LISETTE.
100 Et, sans doute, demain, monsieur, les épousailles ?
PIÉTREMISE.
Et de très grand matin. Que j’ai bien eu raison
De tenir renfermée Élise en ma maison !
Ne voyant que moi d’homme, elle a perdu l’idée
De Cléon, dont ailleurs elle était obsédée.
LISETTE.
105 Quel est-il ce Cléon ?
PIÉTREMISE.
Quel est-il ce Cléon ? Je ne l’ai jamais vu ;
Feu son père, pourtant, m’était assez connu
Mais cela ne fait rien à sa présente affaire ;
Pour la hâter, mon clerc, jadis clerc de notaire,
Dresse notre contrat.
LISETTE.
Dresse notre contrat. Il se mêle de tout.
110 Votre clerc.
PIÉTREMISE.
Votre clerc. Il n’est rien dont il ne vienne à bout.
C’est le plus habile homme !...
LISETTE.
C’est le plus habile homme !... Ah ! Pour habile, passe
Mais pour homme, il n’en a, tout au plus, que la face ;
C’est un nain : cependant il a bien quarante ans.
PIÉTREMISE.
Quel qu’il soit, je suis fort content de ses talents.
LISETTE.
115 Laissons cela : parlons du festin, de la danse.
PIÉTREMISE.
Oh ! Tout est commandé, même payé d’avance.
Cela me coûte un peu ; mais j’ai plusieurs procès,
Où je redoublerai le mémoire des frais ;
C’est de l’argent qui doit retourner dans ma poche.
120 Et mon clerc... Mais il vient.
SCÈNE VI. Piétremine, Bazoche, Lisette. §
PIÉTREMISE.
Et mon clerc... Mais il vient. Bonjour, monsieur Bazoche.
BAZOCHE.
Serviteur. Laisse-nous, Lisette.
LISETTE.
Serviteur. Laisse-nous, Lisette. J’entends bien.
À part.
Écoutons quel sera pourtant leur entretien.
Elle écoule derrière.
PIÉTREMISE.
Eh bien ! tout est-il prêt ? Avez-vous mis les clauses
Comme je souhaitais ?
BAZOCHE.
Comme je souhaitais ? J’ai bien mis d’autres choses :
125 Au contrat que j’ai fait, vous ne reconnaissez
Que le quart des grands biens d’Élise.
PIÉTREMISE.
Que le quart des grands biens d’Élise. C’est assez ;
Et ce contrat est-il à l’autre tout semblable ?
BAZOCHE.
On ne peut distinguer le faux du véritable ;
Le notaire tantôt n’y reconnaîtra rien.
PIÉTREMISE.
130 Vous êtes assuré de l’escamoter bien ?
BAZOCHE.
Si j’en suis assuré ? Laissez, laissez-moi faire :
J’ai bien fait d’autres tours étant clerc de notaire.
PIÉTREMISE.
Vous aurez cent louis, comme je vous ai dit ;
Les voilà bien comptés.
BAZOCHE.
Les voilà bien comptés. Monsieur, cela suffit.
BAZOCHE, allant après lui.
Adieu. Mais cependant, si pour plus d’assurance,
Et pour m’encourager, vous les donniez d’avance ;
Des scrupules souvent me prennent.
PIÉTREMISE.
Des scrupules souvent me prennent. Les voilà ;
Et rejetez bien loin tous ces scrupules-là.
BAZOCHE, mettant la bourse dans sa poche.
Ils sont passés.
PIÉTREMISE.
Ils sont passés. Je vais amener le notaire ;
140 Tenez les contrats prêts, je ne tarderai guère.
SCÈNE VII. Bazoche, Lisette. §
BAZOCHE, à part.
Voilà ma conscience à présent en repos/
LISETTE.
Peut-on avoir l’honneur de vous dire deux mots ?
BAZOCHE.
Plutôt quatre : tu sais que ma joie est extrême
Lorsque je t’entretiens, et que toujours je t’aime.
LISETTE.
145 Si vous m’aimez, voici le temps de l’éprouver.
Il faut.... Mais je ne sais si je dois achever.
BAZOCHE.
Parle. Est-ce la pudeur qui te ferme la bouche ?
Te repentirais-tu d’avoir été farouche ?
Et 1’amour m’aurait-il vengé de ta froideur ?
150 Ne t’aurait-il point fait quelque blessure au coeur ?
Je suis bon médecin, et je t’offre mon aide.
LISETTE.
Oui, vous êtes d’amour, je pense, un vrai remède;
Et je m’en servirai quand j’en aurai besoin.
Maintenant je vous veux charger d’un autre soin.
155 Vous avez cent louis.
BAZOCHE.
Vous avez cent louis. Oh ! oh !
LISETTE.
Vous avez cent louis. Oh ! oh ! Seriez-vous homme
À les quitter ?
BAZOCHE.
À les quitter ? Non pas.
LISETTE.
À les quitter ? Non pas. Mais pour prendre une somme
Un peu plus forte.
BAZOCHE.
Un peu plus forte. Ah ! Bon : à cela je consens.
LISETTE.
Au lieu de cent louis, toucher trois mille francs,
Cela vous plairait-il ?
BAZOCHE.
Cela vous plairait-il ? Très fort ; et pourquoi faire ?
LISETTE.
160 Vous le saurez. D’ailleurs vous cherchez à me plaire,
Et vous me plairez fort si vous faites cela :
Mais il faut me jurer....
BAZOCHE.
Mais il faut me jurer.... J’en jure ; touche là :
Il n’est rien que pour toi je ne puisse entreprendre.
Faut-il nuire, obliger ? Faut-il pendre, dépendre ;
165 Faire du mal, du bien ; jurer à faux, à vrai ?
De mon amour pour toi tu peux faire l’essai.
LISETTE.
Il ne faut que tromper.
BAZOCHE.
Il ne faut que tromper. Qui ?
LISETTE.
Il ne faut que tromper. Qui ? Monsieur Piétremine.
BAZOCHE.
Quoi ! Notre procureur ? Aisément je devine,
Faire épouser Élise a quelqu’autre ?
LISETTE.
Faire épouser Élise a quelqu’autre ? À Cléon.
BAZOCHE.
170 Cléon, je le connais, c’est un joli garçon,
À part.
À qui le procureur, à la mort de son père,
A volé tant de bien.
LISETTE.
A volé tant de bien. Ferez-vous cette affaire ?
BAZOCHE.
Oui-dà, je la ferai : mais pour l’amour de toi.
Ce sont trois mille francs que l’on me donne à moi.
BAZOCHE.
Autant. Ce n’est pas trop : mais, parce que je t’aime...
Et quand les donne-t-on ?
LISETTE.
Et quand les donne-t-on ? Quand ? À cette heure même.
BAZOCHE.
Va donc me les chercher.
LISETTE.
Va donc me les chercher. Ils sont dans la maison.
BAZOCHE.
Je vais tout préparer pour cette trahison ;
Faire un contrat, au nom de Cléon et d’Élise,
180 Que notre procureur, sans crainte de surprise.
Va signer, en croyant signer le sien.
LISETTE.
Va signer, en croyant signer le sien. Fort bien.
Allez dans votre étude, et ne négligez rien.
Mais, si l’on vous offrait une plus forte somme
Pour nous trahir ?
BAZOCHE.
Pour nous trahir ? Ah ! Non ; je deviens honnête homme :
185 Je quitte le métier après ce grand coup-là.
Friponner un fripon est mon nec plus ultra.
SCÈNE IX. Saint-Germain, Lisette. §
SAINT-GERMAIN.
Ah ! Voici le valet de Cléon. Piétremine
Vient de sortir ; j’étais caché dans la cuisine,
Où je mourais de faim. J’ai passé cette nuit
1
Caché dans votre cave à côté d’un gros muid :
Je l’ai percé, néant, rien n’est venu. La rage
200 Puisse crever ton maitre ! Ah ! Quel maudit ménage !
Je n’ai mangé ni bu depuis hier.
LISETTE.
Je n’ai mangé ni bu depuis hier. Comment ?
Il ne t’est rien resté du souper ?
SAINT-GERMAIN.
Il ne t’est rien resté du souper ? Non, vraiment ;
Les clercs laissent-ils rien jamais sur leurs assiettes ?
Chacun sait qu’ils ont soin de les rendre bien nettes.
LISETTE.
205 Tu te plains ! Et ton maître est aussi mal que toi
Là-haut, dans le grenier.
SAINT-GERMAIN.
Là-haut, dans le grenier. Bon ! Voilà bien de quoi !
Au-dessus de la chambre où couche sa maîtresse,
Songe-t-il à manger dans l’ardeur qui le presse ?
Il vit d’amour, mon maître.
LISETTE.
Il vit d’amour, mon maître. Eh bien ! Fais comme lui ;
210 Pour te nourrir tu n’as qu’a m’aimer.
SAINT-GERMAIN.
Pour te nourrir tu n’as qu’a m’aimer. Vraiment oui,
T’aimer, pour me nourrir ! Ce serait le contraire ;
Cela me sècherait encor plus.
LISETTE.
Cela me sècherait encor plus. Comment faire ?
Personne ne saurait sortir de ce logis.
Piétremine a les clés dans sa poche.
SAINT-GERMAIN.
Piétremine a les clés dans sa poche. Tant pis.
SCÈNE XI. Madame Rissolé, Saint-Germain. §
MADAME RISSOLÉ, essouflé, à part.
De quel coté peut-il avoir tourne ses pas ?
SAINT-GERMAIN, bas.
230 Quelqu’un vient, cachons-nous.
MADAME RISSOLÉ, à part.
Quelqu’un vient, cachons-nous. Je ne me trompe pas.
C’est mon amant là-haut que j’ai vu ; c’est lui-même...
Et voici son ami, de plus. Que! stratagème
Vous a donc fait entrer ici tous deux ?
SAINT-GERMAIN.
Vous a donc fait entrer ici tous deux ? Comment
Tous deux ?
MADAME RISSOLÉ.
Tous deux ? N’êtes-vous pas l’ami de mon amant ?
235 Avec lui plusieurs fois je vous ai vu paraître ,
Et même, hier encor, étant à ma fenêtre...
SAINT-GERMAIN, bas.
Elle veut me parler de Cléon. Mais comment,
Et par quelle raison le croire son amant ?
MADAME RISSOLÉ.
Je viens de l’entrevoir là-haut : à l’instant même
240 Je l’ai perdu de vue. Ah ! Quelle peine extrême !
Où croyez-vous qu’il soit ?
SAINT-GERMAIN.
Où croyez-vous qu’il soit ? Ma foi, je n’en sais rien.
MADAME RISSOLÉ.
Étant son bon ami, vous le connaissez bien.
Mes yeux ont dans les siens pour moi cru voir sa flamme.
Ne me trompait-il point ? M aime-t- il ?
SAINT-GERMAIN.
Ne me trompait-il point ? M aime-t- il ? Mais, madame...
MADAME RISSOLÉ.
245 Parlez sincèrement : vous connaissez son coeur.
SAINT-GERMAIN, bas.
Pour nous tirer d’affaire, appuyons son erreur.
Haut.
Oui, de votre fenêtre, au profond de son âme.
Vos yeux ont su lancer une si vive flamme.
Qu’il est tout plein de vous. J’ai fait de vains efforts
250 Pour vous en arracher : il a le diable au corps.
Je lui dis tous les jours : que prétendez-vous faire ?
Cette dame pourrait être votre grand’mère.
MADAME RISSOLÉ.
Pourquoi dire cela !
SAINT-GERMAIN.
Pourquoi dire cela ! Mon dieu ! J’ai mes raisons ;
2
Voulez-vous l’envoyer aux petites maisons ?
MADAME RISSOLÉ.
255 Il est d’autres moyens...
SAINT-GERMAIN.
Il est d’autres moyens... J’en dis bien davantage,
Et ne m’arrête point seulement sur votre âge :
Je m’efforce, à trouver mille défauts en vous :
La foi que vous gardez surtout a votre époux.
MADAME RISSOLÉ.
Mon époux ! Il est mort.
SAINT-GERMAIN.
Mon époux ! Il est mort. Je le sais bien, madame,
260 Et que sa cendre encor fait durer votre flamme.
MADAME RISSOLÉ.
Non , non, elle est éteinte et j’en su m’en guérir :
C’est sa faute, pourquoi s’est-il laissé mourir ?
Aimer un mari mort, fi donc ! Quelle folie !
On a bien de la peine a les aimer en vie.
265 Parlons de votre ami : qu’il m’a paru bien fait.
SAINT-GERMAIN.
Tenez, regardez-moi, vous voyez son portrait.
MADAME RISSOLÉ.
Oh ! Que sa taille est bien au-dessus de la vôtre !
SAINT-GERMAIN.
Nous portons cependant les habits l’un de l’autre.
MADAME RISSOLÉ.
Cela ne se peut pas, vous paraissez rempli.
SAINT-GERMAIN.
270 Il les porte d’abord, pour y donner le pli ;
Et je les use après.
MADAME RISSOLÉ.
Et je les use après. Pourquoi donc ce ménage ?
SAINT-GERMAIN.
C’est que nous nous aimons on ne peut davantage ;
Nous demeurons ensemble, et c’est une union...
Sous nous servons l’un 1autre en toute occasion ;
275 Je le peigne, il m’étrille ; il m’emprunte, il me prête ;
3
Je le tiens toujours propre et souvent le vergette,
4
Il épouste parfois aussi mon justaucorps ;
À nous complaire, enfin, nous mettons nos efforts.
MADAME RISSOLÉ.
Vous êtes son valet ?
SAINT-GERMAIN.
Vous êtes son valet ? C’est à peu près de même.
MADAME RISSOLÉ.
280 Je comprends bien cela. Mais croyez-vous qu’il m’aime !
SAINT-GERMAIN.
En pouvez-vous douter ?
MADAME RISSOLÉ.
En pouvez-vous douter ? Que fait-il à présent ?
Si son coeur ressentait ce que le mien ressent...
SAINT-GERMAIN.
Il est plus amoureux encor que vous, je gage,
Mais c’est qu’il est timide on ne peut davantage :
285 C’est un amant transi...
MADAME RISSOLÉ.
C’est un amant transi... Fi ! Cela me déplaît.
J’aime un amant folâtre.
SAINT-GERMAIN.
J’aime un amant folâtre. Oh ! Jamais il ne l’est.
MADAME RISSOLÉ.
Un amant enjoué.
SAINT-GERMAIN.
Un amant enjoué. Si j’avais été femme,
Ma foi, j’aurais été de votre goût, madame.
Ah ! Que j’aurais aimé ces jeunes gens badins,
290 Sans cesse à vos genoux à vous baiser les mains,
Qui vous donnent cent fois occasion de dire :
Mais...
Contrefaisant sa voix.
Mais... Arrêtez-vous donc, fi donc ! Est-ce pour rire ?
Allons, petit fripon, vous perdez le respect.
MADAME RISSOLÉ.
Ah ! C’en est trop aussi, l’on doit...
SAINT-GERMAIN.
Ah ! C’en est trop aussi, l’on doit... À votre aspect
295 Mon maître pâlira. De loin ses yeux font rage ;
Mais de près il est sot à force d’être sage.
MADAME RISSOLÉ.
Qu’il soit comme il voudra, c’est un garçon bien fait.
Dans le monde on n’a pas toute chose à souhait :
On prend ce que l’on trouve, en ce siècle où nous sommes.
300 El l’on n’a jamais vu telle disette d’hommes.
Allons, je veux passer sur les défauts qu’il a.
Je m’en vais le chercher là-haut.
SAINT-GERMAIN, voulant l’arrêter.
Je m’en vais le chercher là-haut. Demeurez là,
Je le ferai descendre.
MADAME RISSOLÉ.
Je le ferai descendre. Il faut que de ma bouche
Il apprenne à l’instant que son amour me touche ;
305 Il faut prendre la balle au bond : souvent le temps....
SAINT-GERMAIN.
Mais, du moins, qu’avec vous...
MADAME RISSOLÉ.
Mais, du moins, qu’avec vous... Non, je vous le défends.
SCÈNE XIII. Cléon, Saint-Germain. §
CLÉON.
Je puis le prévenir. Saint-Germain, quel malheur !
310 Je viens de rencontrer la soeur du procureur.
SAINT-GERMAIN.
Quoi ! Lucrèce ?
CLÉON.
Quoi ! Lucrèce ? Oui, Lucrèce.
SAINT-GERMAIN.
Quoi ! Lucrèce ? Oui, Lucrèce. En voilà bien d’une autre !
Nous avons donc ainsi trouvé chacun la nôtre.
J’ai rencontré la mère.
CLÉON.
J’ai rencontré la mère. Ah ! Malheureux ! Pourquoi
Ne te pas mieux cacher ?
SAINT-GERMAIN.
Ne te pas mieux cacher ? Et vous, tout comme moi,
315 Pourquoi vous montrez-vous ? Mais enfin à la belle
Qu’avez-vous dit ?
CLÉON.
Qu’avez-vous dit ? J’ai dit que je venais pour elle,
Que je l’aimais.
SAINT-GERMAIN.
Que je l’aimais. Comment ?
CLÉON.
Que je l’aimais. Comment ? Trop longtemps interdit,
Celte feinte à propos m’est venue en l’esprit.
Voyant sortir quelqu’un de la chambre d’Élise,
320 J’ai cru que c’était elle : ô ciel ! Quelle surprise,
Quand, m’approchant plus près, j’ai connu mon erreur !
C’était Lucrèce. Un froid m’a glacé tout le coeur ;
Mais reprenant mes sens : Adorable Lucrèce,
Ai-je dit, pardonnez un excès de tendresse
325 Qui m’a fait hasarder... Au fond je ne sais pas
Ce que j’ai pu lui dire en un tel embarras :
Mais j’enrage. Elle croit mon amour si sincère,
Qu’elle veut en parler tout-à-l’heure à son frère :
Elle a même ajouté que, s’il la refusait,
330 À me suivre partout elle se disposait ;
Et que, pour s’affranchir d’un trop rude esclavage
Elle se laisserait enlever.
SAINT-GERMAIN.
Elle se laisserait enlever. Bon ! Courage!
Apprenez que la vieille... Elle vient sur vos pas.
SCÈNE XIV. Madame Rissolé, Cléon, Saint-Germain. §
MADAME RISSOLÉ.
Je cherchais en haut, et vous êtes en bas.
335 De votre passion suffisamment instruite...
CLÉON, à Saint-Germain.
Que veut dire cela ?
SAINT-GERMAIN.
Que veut dire cela ? Vous verrez dans la suite.
MADAME RISSOLÉ.
Je viens vous secourir.
SAINT-GERMAIN.
Je viens vous secourir. L’agréable secours !
MADAME RISSOLÉ, à Cléon.
Vous ne languirez pas longtemps dans vos amours.
MADAME RISSOLÉ.
Comment ? Votre valet m’a tout dit.
CLÉON.
Comment ? Votre valet m’a tout dit. Lui, madame ?
Bas, a Saint-Germain.
340 Quoi! D’Élise et de moi tu découvres la flamme ?
Veux-tu nous perdre ?
SAINT-GERMAIN, bas, à Cléon.
Veux-tu nous perdre ? Eh ! non : attendez un moment.
MADAME RISSOLÉ.
Je viens vous assurer de mon consentement.
Je veux, malgré mon fils...
CLÉON.
Je veux, malgré mon fils... Avec cette assurance,
Madame, j’ose encor former quelque espérance.
MADAME RISSOLÉ.
345 Espérez, espérez.
CLÉON, se jette à ses genoux.
Espérez, espérez. Que cet espoir m’est doux !
Souffrez qu’en ce moment j’embrasse vos genoux.
MADAME RISSOLÉ, à Saint-Germain.
Votre maître, vraiment, n’a point tant d’indolence.
SAINT-GERMAIN.
Il faut donc que l’objet ait beaucoup de puissance.
Vous avez là des yeux perçants, aigus...
MADAME RISSOLÉ.
Vous avez là des yeux perçants, aigus... Ho, ho !
SAINT-GERMAIN, bas.
350 Dans l’éclaircissement gare le Quiproquo.
MADAME RISSOLÉ.
Eh bien ! Mon cher, à quand cet heureux hyménée ?
CLÉON.
Pour moi toujours trop tard en viendra la journée ;
Mais voire fils...
MADAME RISSOLÉ.
Mais voire fils... Mon fils, vous dis-je, est un benêt ;
Je lie regarde point ici son intérêt.
355 Comme il te fait, fais-lui. Son Élise qu’il aime,
Par exemple, il l’épouse, et j’en ferai de même.
CLÉON, surpris.
Il l’épouse !
MADAME RISSOLÉ.
Il l’épouse ! Demain, sans mon consentement.
Qu’ai-je besoin du sien ?
SAINT-GERMAIN, bas.
Qu’ai-je besoin du sien ? Voici le dénouement.
CLÉON, bas.
Quelle surprise !
MADAME RISSOLÉ.
Quelle surprise ! Allez, je serai votre femme ;
360 Je m’embarrasse peu qu’il l’approuve ou le blâme.
CLÉON, à Saint-Germain, bas.
D’où vient donc que tu m’as joué d’un pareil tour ?
SAINT-GERMAIN, bas à Cléon.
Il l’a fallu pour mieux cacher votre autre amour.
MADAME RISSOLÉ, à Cléon.
Vous ne dites plus rien, près de m’avoir pour femme ?
SAINT-GERMAIN.
C’est sa timidité qui lui reprend, madame.
365 Je vous l’avais bien dit.
MADAME RISSOLÉ.
Je vous l’avais bien dit. Il se corrigera.
SAINT-GERMAIN.
Non, je crois que jamais cela ne changera.
MADAME RISSOLÉ.
Il n’importe, il me plaît, et l’affaire est conclue :
Marchandise qui plaît est à demi vendue.
MADAME RISSOLÉ, croyant qu’il soupire.
J’enrage. Ce soupir augmente mon amour.
370 Mais adieu, je pourrais soupirer à mon tour ;
Il faut me contenir.
CLÉON, à part.
Il faut me contenir. Que la peste te crève !
MADAME RISSOLÉ.
Vous-soupirez encore ? Ah ! Je demande trêve ;
Je m’en vais revenir ; je veux laisser passer
Un torrent de soupirs qui viennent m’oppresser.
SCÈNE XVI. Cléon, Suzon, Saint-Germain. §
SUZON, en entrant, à part.
Mariage ! Ce mot me réjouit ; voyons.
SAINT-GERMAIN, à Cléon.
Voici quelqu’un encor.
CLÉON, à Saint-Germain.
Voici quelqu’un encor. Oh ! Pour le coup, fuyons ;
C’est, sans doute, la soeur.
SAINT-GERMAIN.
C’est, sans doute, la soeur. Non, monsieur, c’est la fille.
CLÉON, à Saint-Germain.
380 Je serai rencontré de toute la famille.
SUZON, à Cléon.
Ah ! C’est vous à la fin, je vous vois de plus près ;
Je n’aimais point du tout nos entretiens muets :
Votre geste et vos yeux, d une façon charmante,
Avaient beau s’exprimer, je n’étais point contente.
385 Quand viendra le moment de me voir près de lui ?
Disais-je : je n’osais l’espérer aujourd’hui :
Cela vous ennuyait autant que moi, je gage ?
Mais que disiez-vous là, parlant de mariage ?
Venez-vous à mon père ici me demander ?
SAINT-GERMAIN.
À part.
390 Autre pièce nouvelle....
À Cléon.
Autre pièce nouvelle.... Allons donc, sans tarder,
Monsieur, répondez-lui.
CLÉON, bas.
Monsieur, répondez-lui. La cruelle aventure !
Oh ! Je crois pour le coup que c’est une gageure
SAINT-GERMAIN.
À part.
Il faut la soutenir ; je vais parler pour vous.
Haut à Suzon.
Oui, monsieur vient ici pour être votre époux.
CLÉON, bas.
395 Que vas-tu dire encor ?
SAINT-GERMAIN.
Que vas-tu dire encor ? Mais l’espoir et la crainte...
Combattant en son coeur... le tiennent en contrainte,
Lui coupent la parole.
SUZON.
Lui coupent la parole. Et pourquoi donc cela ?
Sans mon coeur je ressens aussi ces choses-là ;
Et si j je parle bien.
SAINT-GERMAIN.
Et si j je parle bien. C’est que dans une femme
400 La parole jamais ne manque qu’avec l’âme :
Bas à Cléon.
Si vous ne dites mot, vous allez gâter tout.
CLÉON, à Saint-Germain.
Je me lasse, à la fin...
SAINT-GERMAIN, à Cléon.
Je me lasse, à la fin... Allez jusques au bout.
CLÉON.
À Suzon.
L’amour que vos beaux yeux...
À Saint-Germain.
L’amour que vos beaux yeux... Que veux-tu que je dise ?
SAINT-GERMAIN.
Achevez, dussiez-vous dire quelque sottise.
CLÉON, à Suzon.
405 Craignant que votre père enflammé de courroux.
Me rencontrant ici, ne se venge sur vous...
Je demeure sans voix dans ce triste silence...
Voyez de mon amour toute la violence.
CLÉON.
Eh quoi ! N’auriez-vous pas la force de parler
410 A mon père ?
SAINT-GERMAIN.
A mon père ? D’abord il faut vous en aller:
Il ne faut pas qu’ici l’on vous rencontre ensemble.
Montez là-haut.
SUZON.
Montez là-haut. J’y vais ; mais enfin il me semble
Que, monsieur ne venant ici que pour me voir,
Il faut bien qu’il me voie.
SAINT-GERMAIN.
Il faut bien qu’il me voie. Il vous verra ce soir.
415 Laissez-nous seuls, vous dis-je, aborder voue père.
SUZON.
Prenez bien votre temps.
SAINT-GERMAIN.
Prenez bien votre temps. Allez, laissez-nous faire.
SUZON, revenant sur ses pas.
Mais, monsieur, si mon père allait vous refuser,
Ne vous rebutez pas ; je puis vous épouser
Sans son consentement ; ma mère a fait de même,
420 Et ma grand’mère aussi.
SAINT-GERMAIN.
Et ma grand’mère aussi. Vraiment, lorsque l’on s’aime,
C’est la règle à présent.
SUZON.
C’est la règle à présent. Les pères, de tout temps,
Ont, dans notre famille, été d’étranges gens ;
Et les filles toujours ont eu de l’industrie.
SAINT-GERMAIN.
Ce que c’est que savoir sa généalogie !
425 Et qu’il est beau surtout d’imiter ses aïeux !
CLÉON, à Saint-Germain.
Ne finiras-tu point tes discours ennuyeux ?
SAINT-GERMAIN, à Suzon.
Ma foi, vous nous perdez a rester davantage.
SUZON.
Adieu , puisqu’il le faut.
SAINT-GERMAIN.
Adieu , puisqu’il le faut. Adieu donc, bon voyage.
SCÈNE XXVI. Madame Rissolé, Piétremine, Lucrèce, Suzon, Cléon. §
SUZON.
Vous querellez monsieur, et pourquoi, ma grand-mère ?
MADAME RISSOLÉ.
Laissez-nous en repos, ce n’est pas votre affaire.
Petit perfide !
SUZON.
Petit perfide ! Eh ! Là ! Ne le grondez donc pas ;
Il vient pour m’épouser, au moins.
CLÉON, à part.
Il vient pour m’épouser, au moins. Autre embarras.
PIÉTREMISE.
515 Il en veut à ma fille aussi ?
SUZON.
Il en veut à ma fille aussi ? Vraiment, sans doute.
PIÉTREMISE.
Pour le coup je m’y perds, et je n’y vois plus goutte.
SUZON.
En mariage il vient ici me demander :
N’est-il pas vrai, monsieur ?
PIÉTREMISE.
N’est-il pas vrai, monsieur ? Il faut vous accorder,
Il veut être à la fois mon gendre, mon beau-père,
520 Et mon beau-frère encor.
SUZON.
Et mon beau-frère encor. Qui est donc ce mystère ?
CLÉON.
Monsieur, il n’est plus temps de vous rien déguiser...
PIÉTREMISE.
Parbleu ! Vous n’avez plus qu’à vouloir m’épouser,
Et vous serez l’époux de toute la famille.
SUZON.
Que veut dire cela, mon père ?
PIÉTREMISE.
Que veut dire cela, mon père ? C’est, ma fille,
525 Que ce galant en veut à toute la maison :
Mais tout à l’heure, enfin, nous en aurons raison.
Voici le commissaire.
SUZON.
7
Voici le commissaire. Affronteur !
MADAME RISSOLÉ.
Voici le commissaire. Affronteur ! Ingrat !
LUCRÈCE.
Voici le commissaire. Affronteur ! Ingrat ! Traître !
SCÈNE XXVII. Madame Rissolé, Piétremine. Cléon, Lucrèce, Suzon, Saint-Germain en commissaire, Lisette. §
LISETTE, bas, à Saint-Germain.
De leurs mains au plus tôt il faut tirer ton maître.
SAINT-GERMAIN, bas.
Laisse-faire.
LISETTE.
Laisse-faire. En passant, j’ai rencontré monsieur...
SAINT-GERMAIN.
530 Qu’est-ce donc que ceci ?
PIÉTREMISE.
Qu’est-ce donc que ceci ? C’est un larron d’honneur,
Qui subornait ma mère, et ma mère et ma fille.
SAINT-GERMAIN.
Il est arrivé pis dans plus d’une famille.
Mais, pour tenir la bride à tous ces fripons-là,
Qui ne font aujourd’hui métier que de cela ,
535 En prison.
CLÉON.
En prison. Quoi ! Monsieur ?
SAINT-GERMAIN, le tirant.
En prison. Quoi ! Monsieur ? En prison , tout à l’heure.
MADAME RISSOLÉ.
En prison !
LUCRÈCE, pleurant.
En prison ! En prison !
SUZON, pleurant.
En prison ! En prison ! En prison !
SAINT-GERMAIN.
En prison ! En prison ! En prison ! Quoi ! Tout pleure ?
La pitié ne doit point entrer dans votre coeur :
Montrez-vous mère, fille et soeur de procureur.
Si le mot de prison rend votre coeur si tendre,
540 Et que sera-ce donc quand je le ferai pendre.
SUZON.
Le pendre ? Pour cela ?
MADAME RISSOLÉ.
Le pendre ? Pour cela ? Mon fils, allons, tout doux.
PIÉTREMISE, bas , au commissaire.
Quand il sera pendu , que diable en aurons-nous ?
Tirons-en de l’argent.
SAINT-GERMAIN.
Tirons-en de l’argent. Je sais bien mou affaire ;
Faisons-lui toujours peur.
PIÉTREMISE.
Faisons-lui toujours peur. Le brave commissaire !
SAINT-GERMAIN.
545 Nous aurons intérêts, dommages et dépens.
SCÈNE XXVIII. Madame Rissolé, Piétremine, Lucrèce, Cléon, Suzon, Élise, Bazoche, Lisette, Saint-Germain en commissaire. §
ÉLISE.
Je viens pour mettre fin au grand bruit que j’entends.
PIÉTREMISE.
Ah ! Ma femme !
ÉLISE.
Ah ! Ma femme ! Ce nom ne m’est pas dû.
PIÉTREMISE.
Ah ! Ma femme ! Ce nom ne m’est pas dû. Ma bonne,
Quand le contrat est fait, c’est un nom qu’on se donne.
ÉLISE.
Quand le contrat est fait, ou se donne ce nom ?
550 J’appelle donc monsieur mon mari.
PIÉTREMISE.
J’appelle donc monsieur mon mari. Quoi ?
ÉLISE.
J’appelle donc monsieur mon mari. Quoi ? Cléon,
Remerciez monsieur d’avoir de bonne grâce
Signé notre contrat.
PIÉTREMISE.
Signé notre contrat. Oh ! Celui-là me passe,
Il veut ma femme encor ; quel diable d’épouseur !
CLÉON.
Je ne veux qu’elle seule, elle fait mon bonheur.
555 Mesdames, contre moi n’ayez point de colère ;
Pour obtenir Élise il était nécessaire...
PIÉTREMISE.
Mais sachons donc comment elle peut être à vous.
LISETTE.
Vous avez cru signer le contrat comme époux,
Et vous l’avez signé comme tuteur.
PIÉTREMISE.
Et vous l’avez signé comme tuteur. J’enrage.
560 Et comment ai-je donc fait un si bel ouvrage ?
LISETTE.
Moyennant mille écus Bazoche vous trahit :
Demandez-lui plutôt.
PIÉTREMISE, à Bazoche.
Demandez-lui plutôt. Est-il vrai ce qu’on dit ?
BAZOCHE.
Très vrai, monsieur; j’avais besoin de cette somme
Pour cesser d’être clerc et me faire honnête homme.
565 Dans le monde il faut vivre avec un peu d honneur ;
Et, pour faire une fin, je me fais procureur.
PIÉTREMISE.
Bazoche me trahit ! Lui qui toute sa vie...
LUCRÈCE.
Je n’en suis point fâchée.
MADAME RISSOLÉ.
Je n’en suis point fâchée. Et moi j en suis ravie.
Vous comptiez sans votre hôte, et c’était battre l’eau.
570 Il faut attendre au soir pour dire le jour beau.
Les violons préludent.
J’entends les violons.
PIÉTREMISE.
J’entends les violons. Le diable les emporte !
Il est bien temps de rire.
MADAME RISSOLÉ.
Il est bien temps de rire. Et pourquoi non ? Qu’importe !
Mes enfants, mal nouveau se guérit aisément ;
Pour un amant perdu l’on en retrouve cent.
575 Je sais bien que marchand qui perd ne saurait rire ;
Mais, où l’espoir n’est plus, l’amour bientôt expire.
ÉLISE.
Mesdames, contre moi n’ayez point de courroux.
LUCRÈCE.
Élise, votre amour vous excuse envers nous.
PIÉTREMISE, à Bazoche.
Et mes cent louis d’or....
BAZOCHE.
Et mes cent louis d’or.... Ils me sont dûs de reste.
PIÉTREMISE.
580 Comment ?
BAZOCHE.
Comment ? Je parlerai, si quelqu’un me conteste.
Bas, à Piétremine.
Vous savez, entre nous, d’où vient tout votre bien ;
Et, si je dis un mot.
PIÉTREMISE, bas, à Bazoche.
Et, si je dis un mot. Suffit ne dites rien,
Quitte à quitte. Et pour vous, Cléon, je vous pardonne.
Élise est une fourbe, et je vous l’abandonne :
585 Puisque, fille, elle a pu me jouer un tel trait.
Étant femme, jugez ce qu’elle m’aurait fait.
J’aurais droit de plaider pourtant : lorsqu’on a robe...
SAINT-GERMAIN, quittant sa robe.
Si vous voulez plaider, je vous rends votre robe,
Et vous montre dessous le valet de Cléon.
PIÉTREMISE.
590 Quoi ! Ma robe servait à couvrir un fripon ?
SAINT-GERMAIN.
Fort à votre service. Allons, que dans la joie
Et dans les flots de vin notre chagrin se noie ;
Et puisque nous avons ici des violons,
Il en faut profiter : rions, chantons, dansons.
LISETTE.
595 Il faudrait préparer quelque petite fête.
SAINT-GERMAIN.
Pourquoi la préparer ? Nous l’avons toute prête ;
Et chacun n’a qu’à mettre un proverbe en chanson :
On est dans ce goût-là céns.
LISETTE.
On est dans ce goût-là céns. Il a raison,
Cela divertira notre bonne grand-mère ;
600 Proverbes et chansons surent toujours lui plaire.
SAINT-GERMAIN.
Je sais m’en escrimer aussi, quand je m’y mets ;
Je commence la fête, et j’en ai de tout prêt.
LES PROVERBES, DIVERTISSEMENT. §
SAINT-GERMAIN.
Allons gai, monsieur le procureur,
Contre fortune bon coeur.
605 Et montrez-vous joyeuse,
Famille amoureuse :
De la perte d’un amant
On se console aisément ;
Et dans ce siècle nôtre
610 Un clou chasse l’autre.
Allons gai, monsieur le procureur,
Contre fortune bon coeur.
Et dans ce siècle nôtre
Un clou chasse l’autre.
615 Avoir un amant a trois,
C’est aller contre les lois ;
Prenez-en trois chacune,
La chose est fort commune.
Allons gai, monsieur le procureur,
620 Contre fortune bon coeur.
LUCRÈCE.
Chaque jour à l’amour, dormant dans son berceau,
Je jouais quelque tour nouveau ;
Je détournais ses traits, j’éteignais son flambeau,
Je déchirais son bandeau :
625 Il s’éveilla, je fus surprise.
Tant va ta cruche à l’eau
Qu’enfin elle se brise.
MADAME RISSOLÉ.
Quand j’étais jeune et belle,
J’étais sotte et cruelle ;
630 Ô ! Que d’heureux moments perdus !
Le temps passé ne revient plus.
Quelle douceur charmante !
Que l’on vivrait contente,
Si jeunesse savait,
635 Si vieillesse pouvait.
SUZON.
Si je trouvais un amant
De bonne mine,
L’enverrais-je à ma voisine?
Non, vraiment.
640 S’il me disait, je t’aime ;
Je répondrais de même,
Sans tant de façons,
Sans tant de raisons,
Sans chercher d’excuse,
645 Sans trouver de ruse ;
Tu veux de moi,
Je veux de toi,
Voilà ma foi.
Qui refuse, muse.
ENTRÉE.
LUCRÈCE.
650 Mon amour, est payé d’indifférence
Par un ingrat qu’une autre a su charmer :
À mes dépens, j’ai de l’expérience ;
Il faut connaître avant qu’aimer.
LISETTE.
J’ai l’air joyeux, je ris et je badine :
655 Qui m’en croirait plus facile aurait tort ;
Il ne faut pas s’arrêter à la mine,
Il n’est pire eau que l’eau qui dort.
BAZOCHE.
Assez longtemps j’ai ménagé Lisette ;
Mais mon amour n’entend plus de raison.
660 Et si jamais je la trouve seulette.
L’occasion fait le larron.
MADAME RISSOLÉ.
À mon époux vivant j’étais fidèle,
J’avais juré de l’être après sa mort ;
Mais il n’est point de femme tourterelle,
665 Les absents ont toujours tort:
LISETTE, au parterre.
Au gré de nos tendres amants
J’ai bien conduit cette manoeuvre :
Messieurs, si vous êtes contents,
Applaudissez, voici le temps.
670 Toujours la fin couronne l’oeuvre.
SAINT-GERMAIN, au parterre.
J’invente un proverbe à l’instant,
Qui ne tombera pas à terre :
D’un juge équitable et savant,
On peut dire communément,
675 Il juge comme le parterre.