SCÈNE I. Le grand Pan français, Aymelys, Léontine, Almidor, Argante, Lucidor, le Solon français. §
LE GRAND PAN FRANCAIS.
Grand Dieu qui fut sur Oreb donna jadis tes lois
Et qui dedans tes main régis le coeur des rois,
Reçois sur tes autels cet hymne que j’entonne,
Pour avoir préféré ma française couronne,
5 D’un parjure couard, qui sans foi et sans coeur,
Voulait de mon État demeurer le vainqueur :
Après avoir de moi fait exiler mes prince,
Et semé cent discords dans mes riches provinces,
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Dont l’émail embaumé et les glorieux champs,
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10 Ont été arrosés de ses propres enfants,
Qui séduits finement de ce lâche Conchine,
S’en allaient abîmer dans leur propre ruine,
Imitant en cela le peu rusé poisson,
Qui se donne la mort accrochant l’hameçon :
15 Toutefois aux malheurs qui pendant mon jeune âge,
À l’envi menaçait le France du naufrage,
Je bénis ta puissance, et ton bras redouté
Qui m’a fait châtié l’inique impiété
De ce second Typhé, qui plein d’outrecuidance
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20 Désirait écheler l’Olympe de la France :
Contrecarrer ma gloire envahir ma splendeur,
Et bâtir mon tombeau sur ma propre grandeur,
Qui voulait de la Seine ensanglanter la rive
Et changer en cyprès notre agréable olive,
25 Qui aimant le désordre avait partout produit
Des vautours qui mangeaient de mes sujets le fruit :
Qui ne désirait rien que subites nouvelles
Qui faisaient remparer mes fortes citadelles,
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Qui faisait des accords avec mes ennemis,
30 Qui voulait commander aux mignons de Thémis,
Qui a fait dessous lui gémir la Picardie,
Qui voulait esclaver toute la Normandie,
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Qui de mes bons sujets remplissait les prisons,
Qui voulait mes cités grever de garnisons,
35 Qui fit assassiner le Seigneur de Prouville,
Qui cuida faire occire le Duc de Longueville,
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Qui était le chaos de la confusion,
Qui était l’argument de la division,
Qui était le pivot des discordes civiles,
40 Qui était le tison qui embrasait mes villes :
Bref qui fut le chaos, l’argument et l’auteur,
De cela que Pandore a versé de malheureux
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Dessus les lys français, dû depuis que l’envie,
L’enhardit sourdement d’attenter sur ma vie :
45 Mais puisque ses desseins ont été sans effet,
Puisqu’un Mars de Victry l’a bravement défait,
Éteignons en ce siècle à jamais sa mémoire.
AYMELIS.
Victry pour ce beau coup mérite de la gloire,
Aussi son nom, sa race et sa dextérité,
50 Ne dureront pas moins que la postérité :
Mais par-dessus Victry, Sire, les rois étranges,
Vous donnes pour ce coup mille belles louanges,
Exaltant votre nom, lequel d’un butin d’or,
Ils gravent dans le marbre et dans le bronze encore,
55 Pendant que d’autre part la fameuse Victoire,
Le grave de sa main au temple de Mémoire.
LÉONTIDE.
Sire. Conchine est mort, mais ce n’est pas assez,
Il faut faire à sa femme en bref temps son procès,
C’est la source du mal , la fille de Mégère,
60 Et celle-là que la le venin de Cerbère
Épandu en nos champs, dont sont nés les discords,
Desquels on suscité aux français mille mort.
LE GRAND PAN FRANCAIS.
Avant qu’il soit trois jours cette affreuse sorcière,
Ira voir de Pluton la puante tanière,
65 Hé quoi ? Et quel honneur pourrait -on acquérir ?
De là garder ainsi sans la faire mourir ?
Non, non, il faut de bref que le fer et la flamme,
De son malheureux corps fasse retirer l’âme,
Imitant en cela deux monarques gaulois,
70 Savoir Philippe Auguste, et Charles roi français,
Neuvième du nom, qui père de justice,
Punirent par le feu la sorcière malice,
Des deux vieilles Circé, qui avaient contrefait,
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De pure cire vierge en secret sous une froide lame,
75 Les faisant peu à peu consommer vers la flamme.
ALMINDOR.
Si l’Italie imitant le royaume français,
Vitelle l’empereur et les divines lois,
Faisaient punir ceux-là qui s’engagent au diable,
Elle ne verrait point sa terre déplorable,
80 Confite de leurs arts, et les peuples voisins,
Ne seraient infectés de leurs sales venins.
LE GRAND PAN FRANCAIS.
Ils devraient étouffer cette infernale engeance,
Ils devraient par le feu en tarir la semence,
Sacrifier leur vie aux autels de Pluton,
85 Et leur faire passer le bourbeux Phlegethon.
ARGANTE.
Il faut Galligay faire réduire en cendre,
Que sert Solon français de davantage attendre,
Conchine l’attend jà, pour elle il meut d’ennui,
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Et lui tarde beaucoup qu’elle n’est avec lui.
LE SOLON FRANÇAIS.
90 Si tôt que nous l’aurons derechef confrontée,
Convaincu sa malice et magie infectée,
Nous lui ferons tenir de grève le chemin.
AYMELIS.
Ses livres sorciers son vierge parchemin,
Ses chiffres inconnus ses divers caractères,
95 Sont-ils de sa mort témoins inrefractaires.
LUCIDOR.
Quand d’elle nous n’aurions que ce seul argument,
C’est assez pour lui faire un juste jugement,
Vu que l’on peut juger, voyant telles répliques,
Qu’elle se démentait d’user des arts magiques,
100 Condamnés de Moïse et de l’antiquité.
LÉONTIDE.
Parlant de la façon vous dites vérité,
Car les lois du passé profanes ou divines
Commandent d’étouffer de semblables vermines,
Comme indignes de vivre avecque les mortels,
105 Qui adorent de Dieu purement les autels.
LE GRAND PAN FRANCAIS.
Comme l’arche de Dieu des Philistins ravie,
Avec leur Dieu Dagon n’avait de sympathie,
Comme le plomb et l’or, n’ont aucun aliment,
Comme le feu et l’eau n’ont rien ensemblement,
110 Ainsi ces fils ainés des rives avernales,
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Dont l’art, le filtre amer et les propos thessalles,
Empoisonnent les uns, les autres font mourir,
N’ayant rien avec nous doivent par feu mourir.
LE SOLON FRANÇAIS.
Sire, pour ses forfaits quand elle aurait cent vies,
115 Elle mériterait qu’elles fussent ravies,
Pour expier le mal qu’elle a fait aux humains,
Qui n’ont voulu ramer au port de ses desseins.
LE GRAND PAN FRANCAIS.
C’est par trop délayé faites en un vide.
AGRAVIE.
Elle dût être jà en l’antre ténaride,
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120 Afin de recevoir à son époux sans foi,
Que Louis de Bourbon (n’est moins juste que roi)
En l’ayant fait passer par un honteux supplice,
Après avoir prudent remarqué sa malice.
ALMIDOR.
L’on ne peut exprimer combine Dieu nous fait d’heur
125 Et combien aux français il montre de faveur,
D’avoir précipité au gouffre ténaride;
Celui-là qui voulait nous retenir en bride.
LUCIDOR.
Ce coup n’a pas été aux français moins heureux,
Que celui de Goliath aux gens d’armes hébreux,
130 Ainsi Abimelec qui mettait tout en crainte,
Vit d’un bras moins vaillant sa pauvre vie éteinte,
Ainsi le fier Aman enviant Mardochée,
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Si vit à son gibet comme d’ancre attaché.
LE GRAND PAN FRANCAIS.
C’est assez discouru ici de cette affaire
135 L’Éternel par Victry ce beau coup m’a fait faire,
Or donc du passé n’allons plus discourant,
Mais allons de ce pas faire le demeurant.
SCÈNE II. Alecton, Thésyphore, Mégère, L’Ange. §
ALECTON.
Quoi, filles de la nuit, monstres épouvantables,
Dont les fers, dont les fouets,et les fléaux effroyables
140 Étonnent le front d’Hécate, au corps le sang glacer,
Et en un mot livrant au genre humain la guerre,
Trembler le ciel, l’enfer et la mer et la terre,
Quoi à qui songez-vous qui vous va occupant,
Quel Mome deceveur vous va à l’esprit triomphant,
145 Comment ignorez-vous que voici la journée,
Que Galligay doit être en Cour condamnée,
Non, non, quittez le Styx et l’antre de Pluton
Et venez assister votre soeur Alecton,
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Devancez les éclaires (véritables prophètes)
150 Des orages du ciel, des foudres et tempêtes,
Délaissez le Tantale, Sisyphe, Prométhée,
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Ixion et l’amant de sa propre beauté,
Et tenant en vos mains vos torches pétillantes,
Vos fouets envenimés, vos couleuvres sifflantes,
155 Venez s’il est possible avec moi empêcher,
Que notre soeur ne soit le butin d’un bûcher.
THÉSIPHONE.
Ô rages, ô fureurs, ô démons, ô Cerbère !
Suivez-moi promptement, tout est perdu, Mégère,
Ignorez-vous les cris que fait naître Alecton,
160 Allons et devançant les ailes d’Aquilon,
Sachons ce qui l’émeut à faire un tel esclandre.
MÉGÈRE.
Allons je veux aussi ce sujet d’elle apprendre,
Et bien quoi Alecton qui vous fait contrister ?
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Qui vous fait de la sorte en ce lieu lamenter,
165 Vient-on sur nos amis attenter quelque chose ?
THÉSIPHONE.
Vous le jugez ainsi, comme je le suppose.
MÉGÈRE.
Qu’avez-vous entendu errant par l’univers ?
ALECTON.
Un bruit, lequel mettra nos desseins à l’envers.
THÉSIPHONE.
Dites pour tout cela encor je ne m’effraye.
ALECTON.
170 On dresse le procès à notre Galligaye,
Tellement que je crois qu’avant qu’il soit peu,
Que son corps passera par le fer et le feu.
THÉSIPHONE.
Hé, n’a-t-elle pas bien mérité ce supplice ?
MÉGÈRE.
Oui da, mais elle était notre intime complice,
175 Qui faisait abreuvant les hommes de ses sorts,
Dévaler mille esprits aux royaume des morts.
ALECTON.
Ne souffrons donc mes soeurs que cette brave dame,
Éclipse son beau jour au milieu de sa flamme,
Ou que son chef qui fut des orgueilleux l’Atlas,
180 Soit distrait de son corps d’une tranchant coutelas,
Faisons plutôt grêler forçant l’effet des astres,
Dedans les champs français mille piteux désastres,
Que le père aveuglé égorge son enfant,
Que du père le fils doit cruel triomphant,
185 Que le frère insolent couche au tombeau son frère,
Comme Thèbes jadis vit par ma main meurtrière,
Bref faisons tant d’horreur par le feu et le fer,
Que le monde aux humains ne soit plus qu’un enfer;
L’ANGE GARDIEN.
Quoi, fille des enfers excrément du Cocyte ?
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190 Peste de l’univers, quel démon vous irrite,
Quelle rage vous point quels venins vous infernaux,
Vous forcent à vouloir subsister tant de maux,
Non arrêtez vos pas n’allez point en la France,
Pour penser aux français donner de la nuisance,
195 C’est bâtir dans les airs, c’est semer sur la mer,
Ou vouloir dans un sac tous les vents enfermer,
L’Éternel maintenant veille pour ce Empire,
Le reste des humains ne la peuvent détruire,
Puis qu’une Galligay empêcher le procès,
200 C’est vers sa majesté exercer des excès,
Non retournez vous en dedans de votre demeure,
L’Éternel juste en tout veut qu’injuste elle meure,
Non, qu’il veuille la mort d’un malheureux pêcheur,
Ou lui faire sentir sa divine fureur :
205 Mais pour autoriser les lois de la justice
Et expirer sa faute endurant le supplice.
THÉSIPHONE.
Pourquoi désirez vous ce jourd’hui triompher,
Ô ange radieux, des forces de l’Enfer,
Qui vous porte à cela qui a ce vous convit
210 Est-ce l’ambition ou la mordante envie,
Qu’où portez vos démons de depuis que des Cieux
Ils furent culbutés aux paluds stygieux,
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Non, ne vous mêlés point des négoces mondains,
Laissez rouler le cours des affaires humains,
215 Au moins de faire éclore en ce mortel pourpris,
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Le dessein inouï de nous trois entrepris.
L’ANGE.
C’est se peiner en vain que de lever la orne,
Contre le souverain qui toute la mer borne,
(Qui peut tout ce qu’il veut,) qui se donne la loi,
220 (Et ne voit sinon lui) qui soit égal à sa foi,
Que désirez-vous plus vomir dessus la France,
Plus vous êtes armés de rageet d’arrogance,
Et plus vous souhaitez sa perte et son malheur,
Plus elle est indomptable et féconde en bonheur.
225 Hé ! Quoi voudriez-vous pour une Galligaye,
La Pandore du monde, et de France la plaie,
Faire faner les lys cet état renverser,
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Et les bons et mauvais, pèle-mêle offenser,
Non, non, le souverain qui connait vos malices,
230 Vous fera retrouver en vos noirs précipices,
Si vous osez troubler de France le repos,
Et métamorphoser la monde en un chaos,
Hé ! Quoi ignorez-vous que se toute puissance,
Depuis treize ans me fait garder la France ?
235 Du Turc, de l’Espagnol, du Germain, du Grégeois,
Du Breton, du flamand, du Hongre et de l’Anglais,
Et de cent nations dont l’épée inhumaine
Pensait du sang français faire rougir la Seine,
Rompez donc noires soeurs vos desseins entrepris,
240 Et retournez gêner les malheureux esprits :
Où avec Saint Denis apôtre de la France,
Je vous ferai sentir ma divine vaillance.
MÉGÈRE.
Puisque le Tout-puissant combat pour les Français,
Nous ne désirons pas annihiler ses lois,
245 D’attenter autrement se serait téméraire,
Conter les feux du ciel, dessus Thétis pour traire,
Car s’il commande au ciel, en terre, en l’air, ès eaux,
Il commande aussi même ès paluds infernaux.
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L’ANGE.
L’on ne peut escrimer avec honneur et gloire,
250 Contre cil dont dépend la mort ou la victoire.
ALECTON.
J’ai cent fois plus de peur de ces rouges éclats,
Que Galligay n’a d’un violent trépas,
Combattre qui voudra contre sa sainte dextre,
Pour moi je ne veux pas jouer à mon maître,
255 Car sans compter Conchine on vit Montgomery,
Par un pareil sujet sur le dessert marri.
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THÉSIPHONE.
Ma foi je ne veux pas être de la partie.
MÉGÈRE.
Vous eussiez peu laisser en la grève la vie;
Si vous eussiez toujours été de son côté.
ALECTON.
260 Allons c’est trop longtemps en ce lieu caqueté,
Retournons voir Pluton et laissons Galligay,
Puisque l’enfer en vain de lui aider s’effraye.
L’ANGE.
Allez fatales soeurs au Cocyte infecté.
Jamais ne puissiez vous repasser le Léthé,
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265 Ni les portes de fer que va gardant Cerbère,
Pour venir à la France et aux Français mal faire.