De Monsieur de Monléon
Chez PIERRE GUILLEMOT
aux Palais à la
gallerie des prisonniers
Avec Privilège du Roy
Édition critique établie par Delphine Rosenthal sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)
Introduction §
Lors du siège de Sancerre en 1573, on raconta que des hommes et des femmes affamées mangèrent leurs congénères. L'historien Jean de Léry rapporta qu’un couple en était venu à manger son propre enfant1. Et dans son poème Les Tragiques, Agrippa d’Aubigné confrontait le mythe de Thyeste à ce terrible événement2. L'odieux festin rejoignait la réalité et cette histoire de vengeance fratricide évoquait au poète le massacre des protestants par leurs frères catholiques. Le détour par la fable permettait à d’Aubigné de dénoncer les guerres de religion dont les actes cannibales signifiaient qu’une terrible malédiction s’était abattue sur la France3. Le Thyeste que le dramaturge Roland Brisset traduisit de Sénèque parut dans ce même contexte sanglant et tourmenté4.
Sénèque était alors la source privilégiée du théâtre humaniste. Puis il perdit progressivement de son attrait. Lors du premier tiers du dix-septième siècle, l’histoire du colosse Hercule, symbole de la maîtrise et de la volonté, séduisait surtout les auteurs préclassiques5. Les sujets horribles et extrêmes du théâtre sénéquien avaient quant à eux quelques difficultés à coexister avec le respect des bienséances que les poéticiens classiques commençaient à imposer6. Pourtant, deux auteurs pour leurs premières tragédies s’essayeront au théâtre le plus sanglant de Sénèque. L'un, Pierre Corneille, s’emparera de l’histoire de la magicienne infanticide Médée ; l’autre, le sieur de Monléon, du mythe cannibale du Thyeste. Pour son entrée sur la scène tragique française, Corneille choisit de mettre en scène une héroïne sublime dans sa vengeance et dont l’horreur était indissociable du merveilleux : Après avoir baigné de sang la scène, Médée s’envolait sur un char ailé. Cette première tragédie remporta un certain succès tandis que Le Thyeste de Monléon ne connut pas le même enthousiasme du public. Peut être qu’à l’instar des Tragiques de d’Aubigné, passés inaperçus lors de leur publication, ce sujet s’accordait mal avec l’ère pacifiée que la France connaissait depuis peu.
Au risque d’une lecture par trop rétrospective, Le Thyeste du sieur de Monléon présente pour intérêt premier d’appartenir à ce corpus d’oeuvres composées entre 1625 et 1635, décennie où l’on put croire en la mort de la tragédie. La pièce de Monléon témoigne de cette période charnière dans l’histoire du théâtre où des dramaturges de renom comme Corneille, Rotrou et Mairet travaillaient à la renaissance du genre déchu. Sur la scène théâtrale française régnaient alors la tragi-comédie et la pastorale et le public accordait ses faveurs à ces deux genres irréguliers. Mais dans le même temps, les poéticiens élaboraient la doctrine classique. Chapelain démontrait la nécessité de la règle de vingt quatre heures, Mairet faisait l’éloge des règles dans sa préface de La Silvanire. Des auteurs s’emparaient d’un sujet antique à dessein de composer une tragédie moderne. Tel était leur défi.
Le Thyeste de Monléon se situe au confluent du baroque et du classicisme. En effet, sa pièce tentait d’accorder les règles classiques, strictes et contraignantes, à un sujet outrancier mais susceptible de plaire à un nouveau public, populaire et friand d’émotions fortes. Tout en participant à la renaissance de la tragédie classique et régulière, sa pièce présente les déséquilibres d’une œuvre qui gardait encore un pied dans le baroque. Peut être était-ce à cause de ce caractère hybride que le public bouda cette œuvre ? Mais c’est précisément cette originalité qui nous intéresse aujourd’hui.
L'auteur §
Nous ne disposons d’aucun élément biographique sur le sieur de Monléon. Les références les plus susceptibles d’apporter des informations sur les personnalités du XVIIe siècle, comme les Dictionnaire des frères Parfaict et de Moreri, n’en procurent aucune7. Aussi ne connaissons-nous ni les dates ni le lieu de naissance de Monléon. Quant à ses œuvres, si les historiens et critiques du théâtre du XVIIe siècle en parlent -ce qui n’est pas toujours le cas puisque Lancaster dans sa volumineuse histoire du théâtre français du XVIIe siècle l’omet8 - ils ne retiennent de lui que sa tragédie macabre, Le Thyeste, publiée en 1638 et qui fait l’objet de cette présente édition9. Or, Monléon écrivit avant cette tragédie une comédie baroque intitulée L'Amphitrite10. Il s’agit plus exactement d’une pastorale mettant en scène des divinités antiques et des bergers, comme cela se faisait beaucoup à l’époque. Seul Jean Rousset, dans son livre consacré à la littérature baroque11, s’attarde sur cette comédie-ballet - mêlant théâtre et danse - qui aurait été créée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. Elle fut publiée la même année à Paris, puis recomposée en 1635 sous un nouveau titre, Neptune amoureux12.
Nous pouvons seulement supposer que ce seigneur lettré n’était pas un petit auteur de province anonyme. En effet, il fit précéder sa comédie L'Amphitrite de « Stances » dédiées au poète et dramaturge Claude de l’Estoile, qui à son tour y répondit en préface de la comédie de Monléon13. Or, Claude de l’Estoile était une personnalité littéraire influente, appartenant au groupe de cinq auteurs qui composèrent sous la férule du cardinal de Richelieu. Il est probable que Monléon fréquentât aussi le dramaturge Théophile de Viau puisque dans l’avertissement de sa comédie, il reconnaît devoir beaucoup aux conseils d’un certain « T » qui, d’après le collectionneur Soleine, pourrait être le dramaturge.
Nous devons prendre de multiples précautions sur la date et les conditions de création de la tragédie du Thyeste. Un recueil factice intitulé Répertoire du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, depuis 1620 jusqu’à sa fermeture en 168014 propose comme date de création la saison 1633-34 sans vérification possible. Si le Dictionnaire des frères Parfait avance la même année, 1633, la raison en est erronée. Ils ont en effet confondu création et publication qui auraient eu lieu « la même année » selon eux. Mais la publication fut exécutée en 1638 et non en 1633. Le site Internet « César » propose une information divergente dont nous n’avons pu vérifier la source. Dans leur Calendrier des représentations théâtrales sous l’Ancien Régime, les chercheurs avancent la date 1637. Or, il était courant qu’un délai de dix huit mois environ sépare une création d’une publication, ce qui signifierait que le calendrier « César » en tenant compte de cette pratique, propose 1637 par déduction, après avoir retranché cette durée sur la date de publication du Thyeste qui eut lieu en août 1638.
En somme, le manque de sources et de témoignages fiables ne nous permet pas d’affirmer avec certitude qu’une représentation eut effectivement lieu. En revanche, les « orages » mentionnés par Monléon dans son « Epistre » font peut-être allusion à un mauvais accueil ressenti par son auteur. En 1660, dans ses Discours sur le poème dramatique15, Pierre Corneille relate l’échec d’un Thyeste, sans citer Monléon. Il revient sur cette tragédie inspirée de Sénèque pour la comparer à sa Médée, créée en 1635. Du reste, son analyse nous a permis de comprendre pourquoi Le Thyeste de Monléon pouvait ne pas avoir eu de succès, ce sur quoi nous reviendrons ultérieurement.
Nous ne sommes donc sûrs que de la date de publication du Thyeste qui eut lieu en 1638 comme l’atteste l’achevé d’imprimer. Monléon fit publier sa pièce chez Pierre Guillemot, probablement l’un des fils de la Veuve Guillemot chez qui sa première comédie avait été publiée. Les Guillemot (Veuve et fils) étaient libraires, marchands de nouveauté dans la Galerie du Palais, celle-là même qui constitue le décor de la comédie du même nom de Pierre Corneille et où l’on voit l’un des personnages s’attarder sur l’étal d’un libraire16.
L'édition du Thyeste comporte de très nombreuses coquilles mais présente en revanche de belles enluminures et surtout, une gravure, sous le titre, particulièrement intéressante.
Ce frontispice donnait à voir aux lecteurs du Thyeste le dénouement de la tragédie, conformément à l’esthétique du théâtre antique où, dans le cadre d’un prologue, la fin était annoncée dès le début de la pièce. Dans Le Thyeste, point de personnages protatiques car l’usage en était démodé. Mais sur cette gravure, les principaux protagonistes se tenaient dans une pose reconnaissable qui correspondait à la dernière scène de la tragédie. Ces postures équivalaient en quelque sorte à une représentation visuelle de ce qu’on appelle en rhétorique l’« ethos », c’est à dire le caractère conforme à l’âge, au statut et au rang de chacun des différents personnages tels que le public pouvait s’attendre à les voir se comporter.
Nous avons donc, au premier plan, deux hommes du même âge et de même carrure qui se tiennent face à face. Il s’agit des deux autres frères ennemis de la mythologie grecque, non pas ceux de la famille des Labdacides, Etéocle et Polynice, mais ceux des Atrides, Atrée et Thyeste. Leur similitude d’apparence correspondrait à leur gémellité supposée, bien que les récits mythologiques varient sur ce point.17
A droite, Atrée pointe avec son épée un bassin contenant des morceaux de chair humaine. A gauche, Thyeste désarmé regarde ce plat qui contient ses propres enfants, dépecés par son frère, et qui lui ont été donnés à manger. Ces enfants étaient nés de la relation adultère que Thyeste entretint avec Mérope, la femme d’Atrée. Elle aida Thyeste à dérober une toison d’or, symbole du pouvoir royal. Ainsi, en plus de lui avoir volé son trône, Thyeste avait pris à Atrée sa femme. Cette dernière se tient en arrière plan, allongée. Elle est morte, s’étant suicidé après avoir appris les circonstances de la mort de ses enfants, empoisonnés par Atrée grâce à la trahison de sa confidente, Mélinthe.
Un sujet tragique par excellence §
Telles sont les lignes principales de la pièce inspirée du fameux auteur latin Sénèque. En choisissant sa pièce, Monléon bénéficiait de sa notoriété et optait pour un sujet dont le public connaissait et affectionnait les thèmes abordés : les revers de fortune d’un grand, Thyeste ; le portrait d’un tyran monstrueux, Atrée. En reprenant les effets stylistiques de la pièce latine, Monléon offrait à ce même public les tournures qu’il appréciait : hyperboles, imprécations, emphase, maximes stoïciennes18. De plus, cette histoire simple de vengeance était propre à engendrer les deux émotions tragiques que sont la terreur, suscitée par le bourreau et la pitié, ressentie pour les victimes.
Ces deux émotions tragiques, la crainte et la pitié, avaient été définies par le poéticien grec Aristote. Encore fallait-il choisir un sujet qui soit le mieux à même de les engendrer. Et parmi les sujets les plus tragiques, Aristote préconisait notamment une histoire de vengeance entre frères. Monléon optait donc pour l’un des trois meilleurs sujets de tragédie :
Parmi les événements, voyons donc lesquels provoquent l’effroi, lesquels appellent la pitié. Par nécessité, des actions de ce genre sont accomplies par des hommes qui entretiennent entre eux des relations d’alliance, de haine ou d’indifférence [...] Mais les cas où l’événement pathétique survient au sein d’une alliance, par exemple l’assassinat, l’intention d’assassiner ou toute autre action de ce genre entreprise par un frère contre un frère, par un fils contre son père, par une mère contre son Ris ou par un fils contre sa mère, ce sont ces cas qu’il faut rechercher.19
Rappelons que la Poétique d’Aristote avait été découverte pendant la Renaissance. Au XVIe siècle, les auteurs français de la Pléiade, dans leur vaste programme de refonte des lettres françaises - tant en poésie, en théâtre qu’en poème épique - cherchaient alors à rivaliser avec leurs confrères italiens. Comme eux, ils revendiquaient les racines antiques de leur littérature. Il n’est donc pas étonnant de constater que les premières tragédies françaises du XVIe siècle se plaçaient sous l’autorité d’auteurs latins dont Sénèque constituait la principale source. Et Jean de La Taille, dans son Art de la tragédie en définissant à la manière d’Aristote quels pouvaient être les meilleurs sujets de tragédies, proposait justement le Thyeste de Sénèque :
La vraye et seule intention d’une tragédie est d’esmouvoir et de poindre merveilleusement les affections d’un chascun car il faut que le subject en soit si pitoyable et poignant de soy, qu’estant mesmes en bref et nument dit, engendre en nous quelque passion : comme qui vous conteroit d’un à qui l’on fit malheureusement manger ses propres fils, de sorte que le Père (sans le sçavoir) servit de sepulchre à ses enfans ; et d’un autre qui ne pouvant trouver un bourreau pour finir ses jours et ses maux, fut contraint de faire ce piteux office de sa propre main.20
Un Thyeste « à la françoise » §
En choisissant ce mythe, Monléon semblait donc s’inscrire dans les sillons d’une tradition savante et humaniste. Or, pour un auteur tragique des années 1630, il ne s’agissait pas tant de revendiquer un héritage que de se positionner à l’opposé d’un théâtre moderne et irregulier qui monopolisait alors la scène théâtrale. Le public s’était détourné des tragédies par trop moralisantes et statiques du siècle précédent. Il leur préférait la tragi-comédie et la pastorale. La tragi-comédie mélangeait les tons -tragiques et comiques -, les classes - grands ou marchands - ce qu’interdisaient formellement les poétiques qui exigeaient une unicité de style. Outre cette infraction, les tragi-comédies faisaient fi de l’unité d’action et offraient à son public de nombreux retournements de situation. Ces aventures s’échelonnaient sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années. Et les nombreux personnages circulaient d’un pays à un autre. Cette esthétique était donc en totale opposition avec celle du siècle précédent mais le public suivait avec beaucoup d’intérêt ses pérégrinations sans règles. Cette faveur était telle qu’entre 1628 et 1634, sept tragédies seulement parurent. Et si l’on se reporte au programme de la saison 1633-34 du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, on observera que seules deux tragédies furent programmées sur treize pièces au total21.
De cet espace désertique ressortaient d’autant mieux les efforts et la volonté affichés par les auteurs de la nouvelle génération pour créer et imposer une nouvelle tragédie. Les jeunes auteurs réguliers voulaient démontrer qu’ils étaient capables de se saisir d’un sujet antique (mythologique ou historique) tout en se démarquant de son ancien traitement humaniste. Dans cette intention, ils se portaient sur les mêmes sujets que leurs prédécesseurs22. En outre, pour ressusciter le genre tragique, il fallait démontrer au public que les règles classiques, loin de figer l’action, pouvaient la rendre plus tendue et concentrée. En somme, tandis que les poéticiens travaillaient à justifier et rationaliser ces règles, les jeunes dramaturges tâchaient de les adapter aux goûts du temps.
Les trois unités du Thyeste §
La source dont s’inspirait Monléon contenait en substance les trois règles d’unité -action, lieu et temps. Les événements pouvaient se dérouler en moins de vingt quatre heures et en un lieu unique. Monléon allait cependant s’inspirer du succès du genre concurrent afin de ne pas refaire un Thyeste à la Sénèque, mais bien « à la françoise ».
Un coucher de soleil prématuré §
L'auteur tragique devait substituer aux multiples revirements de situation de la scène irrégulière, la notion de crise. Pour ce faire, Monléon resserra la durée de sa tragédie. Son Thyeste peut en effet s’achever en une demi-journée, voire en quelques heures. Témoin cette réplique d’Atrée à la fin de l’acte III, c’est-à-dire deux actes avant le dénouement : « Je jure tous les Dieux, que celuy qui l’a fait / Ne survivra jamais une heure à son forfait. » (vers 890-891).
La tragédie de Monléon ajoute à la venue de Thyeste un caractère imminent. Chez Sénèque, Thyeste entrait dans Mycènes accompagné de ses enfants alors que Monléon décompose cette arrivée en deux temps, en introduisant d’abord les enfants de Thyeste, suivis deux actes plus loin de leur père. A plusieurs reprises, il sera fait mention de cette arrivée. Théombre, le conducteur des enfants, pourra ainsi annoncer à Mérope à l’acte II, vers 594 : « Vous l’auré dans ces lieux au plus tard dans une heure.» A cette imminence s’ajoute naturellement la notion de hâte. Atrée doit s’empresser de sacrifier les enfants de Thyeste avant l’arrivée de leur père. Monléon construit ainsi une situation de crise, absente du modèle Latin. Quand Sénèque séparait l’élaboration du châtiment de son exécution par une intervention du choeur, Monléon étire ce moment sur deux actes. Ce qui amène au début de l’acte IV cette formule de Criton surpris : « Bons Dieus, il est icy plus tost qu’on ne pensoit » (vers 1155).
Ces éléments de précipitation et de suspens préparent l’arrivée de Thyeste. Ainsi, lorsque ce dernier fait son apparition, il reste deux actes à Monléon pour acheminer sa tragédie vers une fin inéluctable. Quelques heures doivent suffire à Atrée pour faire découvrir à Thyeste la nature des mets qu’il vient de manger. Dès lors, le temps va pouvoir s’arrêter et le dénouement s’étirer en pleine obscurité.
Un palais unique ou compartimenté §
Le lieu de l’action devint unique car il n’était plus vraisemblable qu’en vingt quatre heures les personnages se déplacent sur de grandes distances. Pour Monléon, cette règle d’unité était facile à respecter dans la mesure où dans la pièce de Sénèque, l’action se déroulait uniquement dans le palais d’Atrée. Mais le public attendait les scènes « à faire », et notamment la scène de prison. L'auteur tragique se devait d’offrir à son public la scène du héros emprisonné ou d’intégrer dans le lieu unique de sa tragédie cette notion de captivité. C'est donc à dessein que Monléon fit du palais d’Atrée la « prison » d’une Mérope captive que Thyeste venait libérer23.
Au moment où Monléon composait son Thyeste, les décorateurs n’avaient pas encore abandonné les compartiments pour appliquer le décor unique, appelé « palais à volonté ». Il est donc possible que cette tragédie obéisse encore à l’ancien système où, de part et d’autre de la scène de forme rectangulaire, on rangeait face à face des « mansions » censées représenter les différents lieux de l’action. Si la tragédie de Monléon n’en avait pas besoin, du fait de son lieu unique, en revanche le dénouement nécessitait ce qu’on appelait des « tapisseries ». Ces toiles étaient tendues sur les compartiments et les ôter ne manquait pas de susciter la surprise du public, surtout lorsqu’il s’agissait de découvrir les corps découpés des enfants de Thyeste et le cadavre de Mérope.
Les doctes exigeaient également que toutes les scènes soient liées, c’est à dire que le plateau ne soit jamais laissé vide. Si un personnage sortait, un autre devait y entrer, ou rester sur scène. Jacques Scherer explique que cette exigence théorique avait une origine très pratique. En effet, comme les plateaux de théâtre étaient profonds et encombrés, le temps que prenait un acteur pour atteindre le bord de scène était souvent très long. C'était donc pour combler ce laps de temps inutilisé et ne pas ralentir inconsidérément l’action que servit la liaison des scènes. Sur ce chapitre, Monléon se révéla un tragédien classique particulièrement zélé puisqu’il composa la première tragédie régulière où toutes les scènes étaient liées24. Et on observera que Monléon a le plus souvent utilisé le confident Criton comme lien entre les scènes. De ce fait, ce personnage compte le plus grand nombre de scènes et non Atrée comme on pourrait s’y attendre25.
Une tragédie de la vengeance §
L'action du Thyeste est d’une grande simplicité : Atrée se venge de son frère. L'unité d’action était d’autant plus facile à respecter que la pièce de Sénèque n’offrait déjà aucune échappatoire. Du reste, Monléon n’a pas choisi de compliquer cette unité. Toutes les scènes de son Thyeste sont dévolues à l’élaboration d’un châtiment exemplaire. Comme son modèle latin, l’action se déroule de façon linéaire et pas une scène ne dévie de cette trajectoire26. A l’exception du prologue et des choeurs que Monléon a retranchés, parce que leur usage en était démodé, l’auteur a suivi la structure générale du Thyeste de Sénèque, comme la plupart des tragédies de vengeance pré-cornéliennes qui se sont inspirées de l’auteur latin27.
Au premier acte, Atrée expose les éléments du conflit. Sa fureur sans borne installe l’atmosphère passionnelle du reste de la pièce. Ensuite, comme chez Sénèque, le vengeur exhale sa colère et repousse les conseils raisonnes d’un contradicteur, Criton. Puis, jusqu’à l’arrivée de Thyeste à l’acte IV, Atrée prépare sa vengeance en s’attaquant d’abord à ses enfants puis à sa femme (ce qui dans la pièce latine équivalait à une intervention du chœur et au récit du sacrifice des enfants par un messager). L'acte IV met en scène la rencontre entre les deux frères et constitue une pause momentanée, une apparente accalmie avant la catastrophe finale. Le dénouement achève enfin la réalisation des projets lentement mûris.
Dans une tragédie de la vengeance, l’importance est donnée au châtiment, la cause étant secondaire. Dans Le Thyeste, les raisons pour lesquelles Atrée se venge de son frère ne sont évoquées que brièvement. Cette hiérarchie était identique dans la pièce de Sénèque. Monléon cependant a développé le récit des forfaits de Thyeste. Il devait informer son public - qui n’était plus seulement constitué de lettrés comme au siècle précédent -, des tenants et des aboutissants du mythe. De surcroît, il fallait justifier une haine donnée comme un fait accompli chez Sénèque en développant la psychologie du personnage de furieux. C'est pourquoi le récit de l’inceste est plus développé que dans la pièce de Sénèque, où il n’occupait que quelques vers énigmatiques.28
Le dénouement étendu29 §
Les causes ayant été exposées, il restait à traiter l’essentiel, l’élaboration de la vengeance. Mais les auteurs modernes qui s’inspiraient d’un sujet antique se confrontaient à deux problèmes de réécriture. Le premier concernait le dénouement, traditionnellement annoncé dès le début, le second se rapportait au retranchement des chœurs, des récits et des sentences.
Chez Sénèque, la pièce s’ouvrait par un prologue où Tantale, interpellé de force par la Furie, s’effrayait de ce qui allait advenir à son petit-fils Thyeste. Suivait ensuite le monologue où Atrée exposait sa vengeance. Dans le Thyeste de Monléon, ce monologue ouvre d’emblée la tragédie. L'auteur moderne saute l’étape de l’apophétie de l’aïeul mais Atrée dévoile toujours ses manœuvres au public. Les spectateurs savaient à l’instar de Tantale que Thyeste devait être l’hôte d’un funeste festin. C'était autour de ce dénouement annoncé que s’organisait toute la pièce. Aucune « péripétie » - c’est à dire aucun retournement de situation - ne fait dévier cette trajectoire fatale. Cependant, cette dramaturgie d’une fin annoncée correspondait à la rhétorique de déploration des tragédies humanistes, où les héros se lamentaient de leur sort sans se débattre. Monléon devait amener le dénouement le plus naturellement possible, de telle manière que l’intérêt de ses spectateurs soit renouvelé au gré d’une action mouvementée et surprenante, comme dans les tragi-comédies. Pour cette dramaturgie de l’action, l’auteur devait sacrifier les personnages traditionnels du prologue et du chœur et les trop nombreuses maximes et sentences qui déplaisaient au public. La question dès lors se posait de faire tenir sur les cinq actes de la tragédie moderne, cette peau de chagrin qu’était devenue la pièce originale.
Comme la plupart des auteurs modernes qui y avaient recours, Monléon ajouta à son intrigue principale des épisodes secondaires30. Ces ajouts et ces inventions étaient tolérés des poéticiens (et probablement appréciés du public) dans la mesure où l’unité de l’action principale était respectée. Pour ce faire, il fallait qu’au dénouement toutes les actions supplémentaires aient été résorbées et qu’au tomber de rideau, aucune intrigue n’ait été laissée en suspens. Le sort de tous les personnages, mêmes secondaires, devait être réglé. En ajoutant l’épisode des victimes, Monléon respectait ces contraintes.
L'apport des victimes : d’une rhétorique de la déploration à une rhétorique de l’action §
Pour étirer la matière de sa pièce, Monléon développa considérablement le rôle des victimes. Tandis que la pièce de Sénèque se résumait à un duel fratricide ponctué par les interventions du chœur, la tragédie de Monléon multiplie par trois la confrontation entre Atrée et ses victimes. Le bourreau se trouve d’abord confronté aux enfants de son frère (acte II) puis à sa femme (acte III) et enfin à son frère (acte V). Les personnages de la femme et des enfants de Thyeste appartenaient au mythe mais Sénèque n’attribuait aux enfants qu’un rôle marginal sur scène et Mérope n’intervenait pas dans la pièce latine. Avec Monléon, ces victimes ne sont plus seulement évoquées, elles sont désormais représentées. On passait donc d’une dramaturgie du récit à une dramaturgie de l’action, de la représentation. De plus, Monléon devaient les faire intervenir pour une autre raison, essentielle : il fallait impérativement compenser et justifier l’entrée tardive du héros Thyeste, qui n’avait lieu qu’au quatrième acte. Dans la pièce de Sénèque, son apparition semblait moins retardée grâce aux interventions récurrentes du chœur. Mais ces parties ayant été retranchées, il fallait que Monléon remplace cette matière, équivalente à deux actes. C'est donc aussi pour justifier l’apparition tardive du père que Monléon fit précéder Thyeste de ses enfants.
Si la présence d’enfants sur scène restait exceptionnelle et pouvait attirer un public curieux, en revanche leur fonction dramaturgique était déjà souvent exploitée lorsque Monléon composa son Thyeste. En effet, l’enfant sur la scène tragique servait fréquemment d’enjeu politique, en tant qu’héritier ou otage. Les tragédies, humanistes et préclassiques, ne faisaient alors que refléter une vie politique où l’enfant était au centre des alliances. Avec le théâtre baroque macabre, ce rôle évolua. L'enfant allait être exhibé et tenir le rôle de la victime tragique par excellence. Il n’était plus seulement au coeur des alliances, mais aussi au cœur des supplices. Parmi les exemples les plus emblématiques de cette vague d’infanticides, citons les bourreaux de la Tragédie mahommetiste et du More Cruel31 qui s’acharnaient avec délectation sur des enfants innocents
Monléon semble redevable de cette tradition. Pourtant, lors de la création de son Thyeste, la pression des bienséances avait déjà commencé d’interdire les spectacles trop sanglants et choquants sur scène. De plus, les doctes répugnaient aux scènes d’épanchements affectifs que la présence enfantine était susceptible de provoquer. De ce point de vue, la scène de baisers entre Mérope et ses fils constitue le type même de scène à la limite de l’acceptable. Et si les scènes de baisers étaient encore fréquentes sur la scène préclassique, elles disparaîtront tout à fait de la scène classique après la Fronde.
Avec le théâtre classique, notamment pour des raisons de morale chrétienne, il ne sera plus question de donner à voir le massacre d’innocents. L'enfant gardera son statut privilégié de victime, mais il sera dorénavant épargné32. Ainsi, Racine en choisissant un épisode biblique pour sujet de tragédie, ne pouvait en aucun cas laisser son monstre Athalie exterminer l’enfant Joas, seul survivant de la lignée du roi David.
Ces évolutions historiques - concernant le rôle des enfants sur la scène théâtrale, l’avancée des bienséances et le renouveau de la scène tragique - nous permettent de mesurer l’archaïsme de Monléon. Conformément à une esthétique spectaculaire et macabre, les enfants du Thyeste restaient avant tout les sujets du bourreau Atrée et leur exploitation dramaturgique semblait d’abord procurer à leur auteur le prétexte d’une scène d’empoisonnement supplémentaire. Mais paradoxalement, malgré cet archaïsme baroque, la présence de Théandre et Lysis accentuait aussi le caractère pathétique d’une pièce à l’origine essentiellement horrifique. Ce rééquilibre en faveur des victimes faisait pencher la balance des émotions tragiques du côté de la pitié, émotion que venait encore soutenir et renforcer Mérope, ce personnage de mère et d’amante.
Monléon en faisant intervenir Mérope, s’appropriait son sort, incertain dans le récit mythologique (selon les versions, elle était simplement exilée ou jetée à la mer33). En outre, son personnage permettait de former avec Thyeste un couple que le public appréciait et connaissait puisqu’il s’agissait du couple d’amants tyrannisés que Théophile de Viau avait, quelques dix ans auparavant, mis en scène dans l’un des plus grands succès théâtraux, Pyrame et Thisbé34. En développant le thème de la relation amoureuse entre Thyeste et Mérope, Monléon introduisait des éléments galants. Pourtant, les deux amants ne se rencontraient pas. A cette scène déchirante que le public devait attendre, Monléon substitua une scène magistrale de confrontation entre les deux anciens époux, Mérope y découvrant le vrai visage d’Atrée. Cette scène se rapprochait des scènes de « reconnaissance » des pastorales, même si dans ce cas bien précis, les deux protagonistes sont censés ignorer l’identité de leur interlocuteur. Mais tandis que les bergers et les bergères des comédies bocagères se travestissaient, se dérobaient et se révélaient enfin à leurs amants, Mérope et Atrée se jouaient une scène fort similaire, sous des tonalités funèbres. Du reste, ces rapprochements entre tragédies baroques et pastorales ne sont pas anodins dans la mesure où Monléon avait fait ses premiers pas de dramaturge dans la comédie bocagère. Et Jean Rousset, dans son ouvrage sur la littérature baroque, tisse des liens de parenté entre les deux genres35.
C'est encore pour satisfaire les goûts d’un public amateur de mouvements et d’action, que Monléon substitua au personnage féminin traditionnel de la scène tragique, statique et éplorée, un personnage de femme en action. Bien que tyrannisée, Mérope ne pouvait plus se comporter comme une épouse larmoyante qui ne cherchait pas à échapper à son destin. Cette rhétorique de la deploration et ce spectacle de pleurs étant dépassés, on comprend qu’avant d’être acculée au suicide, Mérope tentait de fuir36, attitude que ne pouvait avoir la Cléopâtre captive de Jodelle un siècle plus tôt. De plus, dans la scène de l’empoisonnement, le public voyait cette reine courir d’un fils à l’autre. Et pour accompagner ce rythme soutenu, les courtes répliques entre Mérope, Melinthe et Théombre s’enchaînaient rapidement :
MELINTHE
Madame, icy Madame !MEROPE
Ah ! lamentable jour.Détestables faveurs.THEOMBRE
Courez icy Madame ! 37
D'une manière générale, en ajoutant des personnages, Monléon accélérait le rythme des échanges. L'exemple le plus frappant concerne le récit de l’empoisonnement des enfants que les deux complices d’Atrée, Criton et Melinthe, rapportaient au roi (scène 3, acte III). De l’unique messager de Sénèque, ce récit était désormais partagé entre trois voix, Atrée intervenant fréquemment pour couper ou relancer ses interlocuteurs. « Criton vit le spectacle. »38
Le traitement de la terreur : du récit au spectacle §
Garder les récits de la pièce antique aurait ralenti le rythme de la pièce moderne. Les supprimer revenait aussi pour les auteurs à leur substituer une rhétorique du spectaculaire et du merveilleux. Outre la scène finale du festin pédophage, qui se déroulait déjà dans une atmosphère sombre et surnaturelle, Monléon ajouta à la pièce de Sénèque une scène d’empoisonnement et de suicide. Les enfants et Mérope agonisaient sous les yeux du public. Pour reprendre la célèbre expression de Jean Rousset, de la mort figée antique, les auteurs baroques proposaient désormais le spectacle d’une « mort convulsée ».39
Ce théâtre macabre vit le jour à la fin du XVIe siècle. Il répudiait l’aspect didactique de la tragédie humaniste. Tout en puisant aux mêmes sources - en l’occurrence Sénèque - ces auteurs en proposaient une lecture radicalement différente. Le premier théâtre baroque voulait en effet moins instruire que « provoquer une conversion violente »40. Pour ces auteurs le movere (émouvoir, en latin) devait l’emporter sur le docere (instruire). Ce changement de finalité de la tragédie se fit sentir en France en 1585. A cette date parut la pièce de Jean-Edouard Du Monin, L'Orbecc-Oronte, une traduction libre de la pièce de l’auteur italien Giraldi, L'Orbecche, inspirée du Thyeste de Sénèque41. L'auteur italien, puis son adaptateur français, terminaient cette tragédie sur une triple catastrophe. Lors de la scène finale, inspirée comme nous l’avons dit de la tragédie de Sénèque, le personnage du vengeur présentait à sa propre fille, son mari et ses enfants découpées en morceaux, puis la fille poignardait son père pour finir par se tuer elle-même.
Monléon, en tirant sa tragédie de la même source que ces pièces sanglantes, s’inscrivait indubitablement dans cette tradition baroque. Un public lettré ne pouvait manquer de se souvenir de la pièce de Du Monin ou d’autres pièces du début du siècle qui tiraient leur catastrophe de ce même schéma42, même si dans son « Avis au lecteur » Monléon ne mentionnait comme sources que Sénèque et un historien latin Carcinome. Sans les citer, Monléon ne se différenciait pas de ses prédécesseurs baroques dans sa lecture spectaculaire de l’horreur.
Ainsi, grâce à l’entrée successive des victimes, Monléon ménageait une montée exponentielle de la pitié, tout en y cumulant un mouvement similaire de surenchère dans l’horreur. Car les crimes d’Atrée vont s’enchaîner les uns après les autres, tels que le bourreau les avait programmés dès les premiers vers de la pièce. La tragédie progressait donc selon une structure linéaire et une dramaturgie narrative où la marche vers la mort était inéluctable. A l’image de ses confrères de la tragi-comédie courants d’aventures en aventures, Atrée courait de crime en crime.
Les sources romanesques §
Cette dramaturgie narrative que nous pouvons déceler dans le Thyeste de Monléon s’inspirait très vraisemblablement du succès remporté par les tragi-comédies. Or, celles-ci se construisaient sur un modèle qu’elles avaient puisé dans des sources romanesques sur lesquelles elles se moulaient43. C'est pourquoi on peut supposer que la pièce de Sénèque ne fut pas la seule source d’inspiration de Monléon. Ce dernier composa en effet sa tragédie moderne dans un contexte littéraire qui s’était ouvert à d’autres sources que le théâtre savant et latin. Au début du siècle, Les Histoires tragiques que les français Boaistuau et Belleforest avaient traduites des Novelle de l’italien Bandello, connurent un vif succès et inspirèrent Le More cruel44. II en est de même pour l’une des nouvelles du recueil de Jean Yver, Le Printemps (1572). Cette histoire d’amour oriental, sur fond de guerre, de jalousie, de décapitation et de suicide inspira La Rhodienne de Mainfray (1621), La Perside de Desfontaines (1642) et le roman de Mademoiselle de Scudéry, Ibrahim. Dans l’une des nouvelles du recueil, un amant pour se venger de sa maîtresse infidèle lui envoyait une pomme empoisonnée, mais la destinataire offrait le fruit à son amant. Cette pomme qui passe de mains en mains nous rappelle la scène d’empoisonnement de Théandre et de Lysis qui succombent sur scène après avoir mangé une pomme qui passa des mains d’Atrée à celles de Criton et de Mélinthe avant d’atteindre leurs victimes.
Enfin, mentionnons également deux recueils de nouvelles de Jean-Pierre Camus, publiés en 1630 et où étaient relatés des récits de cannibalisme en famille, L'amphithéâtre sanglant où sont représentées plusieurs actions tragiques de nostre temps et Cléarque et Timolas45.
Les nouvelles de ces recueils étaient écrites de telle manière que le lecteur puisse les confondre avec la réalité. Les auteurs avaient ce souci de réalisme et leurs histoires mêlaient habilement fiction et réalité, à la manière des « faits divers ». Outre le style de certaines nouvelles que l’on qualifierait aujourd’hui de « journalistique », ces histoires sanglantes avaient comme autre point commun de mêler des intrigues sentimentales (parfois erotiques) et des scènes d’horreur. Le sentiment amoureux convoquait généralement la jalousie, qui elle-même engendrait la colère vindicative et le meurtre. Adultères, incestes, infanticides et vengeance semblaient donc des ingrédients indissociables, que le public retrouvait sur la scène théâtrale baroque. Citons pour exemple deux tragédies de la vengeance d’Alexandre Hardy, le plus prolixes des auteurs de l’époque, où l’intrigue amoureuse tenait lieu de prétexte à la fureur criminelle : Lucrèce et l’adultère puni et Alcméon ou la Vengeance féminine46.
On voit donc comment les sources romanesques avaient pu inspirer le théâtre, Le Thyeste s’inscrivant dans ce contexte littéraire.
La question des bienséances §
Ce déferlement de sang et d’amours illégitimes ne sera bientôt plus du goût ni de la Cour ni des auteurs soucieux de redonner à la tragédie ses lettres de noblesses. C'est pourquoi, parallèlement aux trois règles d’unité, la tragédie régulière se façonna aussi dans le cadre strict des bienséances. Cependant, les historiens du théâtre présentent Monléon comme le mauvais élève de cette « purification » de la scène théâtrale française47. Or, si l’on compare son Thyeste avec d’autres tragédies contemporaines, il est surprenant qu’elle soit si souvent mentionnée comme l’un des exemples phares de l’horreur théâtrale baroque. Il suffit de lire Crisante de Rotrou, tragédie tirée de Plutarque48. L'auteur ajouta à cette histoire de vengeance sur fond de jalousie et de viol, trois évanouissements, une hallucination, trois meurtres et deux suicides. De plus, dans la scène finale, on y voyait l’héroïne apporter une tête décapitée. Dans Médée de Corneille, la magicienne accomplissait sur scène ses prodiges, les morts de Creuse et Créon ayant lieu sous les yeux des spectateurs. Dans Clitandre du même Corneille, l’héroïne se vengeait cruellement de son violeur49. La Mort de Mithridate de La Calprenède s’achevait sur cinq cadavres, lentement consumés sous l’effet du poison50. Nous pourrions citer d’autres exemples mais il est vrai que comparés aux supplices que les bourreaux faisaient subir à leurs victimes quinze ou vingt ans auparavant, on peut parler de progrès des bienséances. Les monstres préclassiques exécutaient désormais leurs victimes en coulisses. De surcroît, ils justifiaient leurs crimes quand leurs prédécesseurs baroques ne s’en embarrassaient pas. Les premières tragédies macabres ne consistaient qu’en un théâtre de cruautés, le cadre de la vengeance étant brièvement exposé, le prétexte des crimes à venir sommairement présentés. De ce point de vue, on peut parler aussi de progrès de la vraisemblance. Et Monléon y participa. Si l’on tient compte de la production tragique des années 1630, il semble donc injuste de le retenir comme une figure de refractaire isolé. Non seulement les monologues vindicatifs d’Atrée restaient sobres comparativement à d’autres déclarations contemporaines mais surtout, le récit très cru de l’original sénéquien avait été soigneusement gommé.
En comparant la fureur d’Atrée à celle du roi Astyages de la tragédie de Mainfray, Cyrus triomphant ou la fureur d’Astyages, Roy de Mede (1618), nous pouvons prendre la mesure de la sobriété du premier. Le second en effet n’épargnait pas au public le récit des supplices qu’il comptait exécuter sur son petit fils Cyrus :
Le feray-je estouffer ou bien si d’un poignardJe lui transperceray le coeur de part en partOu noyer [...]Ou estouffer [...]Non il ne luy faut pas un trespas si sanglantC'est le fils de ma fille et le sang de mon sang.51
A la lecture de ces vers, on réalise que Monléon a tu les déclarations trop « saignantes » qu’aurait pu tenir son bourreau. Car si Atrée témoigne de sa fureur, il n’en donne aucun détail cru, sauf dans la scène ultime de confrontation avec son frère. Mais les quelques vers où Atrée décrit la manière par laquelle il procéda au dépeçage de ses neveux nous semble particulièrement sobre comparativement au récit sénéquien :
Le sauvage lui a enfoncé son épée dans le corps et pénétrant au plus profond, il a fouillé de sa main sa gorge [...] la nuque tranchée, le tronc se projette en avant, la tête a roulé, poussant une plainte [...] Les entrailles arrachées aux corps vivants tressaillent, les veines palpitent et le cœur bondit encore d’épouvante ; mais il manipule les chairs, scrute les destins et observent les veines encore chaudes des viscères [...] Lui-même découpe le corps, sépare les membres, ampute jusqu’au tronc les larges épaules et les attache des bras, dénude sans pitié les articulations et retranche les os...52
Des deux émotions tragiques, la crainte et la pitié, la pièce de Sénèque privilégiait le « phobos » aristotélicien. Ce terme avait été traduit par « horreur » chez les humanistes. Les auteurs et poéticiens classiques, quant à eux, le traduisirent différemment : soit par « crainte » (c’est le cas de Corneille »), soit par « terreur » (comme dans la Poétique de La Mesnardière) ou encore par « frayeur »53. Cette évolution de traduction est intéressante dans la mesure où Monléon a vraisemblablement cherché à atténuer l’horreur de la source latine, mais non pas la terreur. Non seulement Monléon avait pris soin de gommer les détails les plus répugnants du récit du sacrifice, mais dans sa tragédie, le sacrifice des enfants se tenait dans le cadre « réglementé » d’une autopsie et non lors d’un rituel sacré, et détourné. De plus, si Atrée demeurait un tyran terrifiant, il ne torturait pas sur scène. Pour preuve, les enfants de Thyeste n’étaient pas mis en présence de leur bourreau, à la différence du tyran Salmon dans la pièce de Du Monin qui exécutait ses petits fils devant leur père et de manière aussi sadique que l’Atreus de Sénèque. Ce n’était pas tant l’horreur des meurtres commis par Atrée qui pouvait choquer le public, que son caractère tyrannique. En d’autres termes, sa monstruosité résidait dans son acharnement sur des victimes innocentes, et non dans la nature des supplices qu’il leur faisait subir.
En résumé, dans sa tragédie, Monléon a tenté de contrebalancer l’émotion tragique de la terreur par son corollaire, la pitié, émotion tragique que la pièce de Sénèque ne comportait qu’en filigrane. On relève dans son traitement du mythe un effort pour susciter chez son public moderne de la compassion envers les personnages des victimes, Thyeste et ses auxiliaires pathétiques, ses enfants et leur mère. Ces personnages étaient nécessaires compte tenu de deux impératifs : pallier l’entrée tardive de Thyeste et rééquilibrer la présence écrasante du bourreau. Pour autant sa pièce demeure une tragédie de la vengeance qui s’articule autour d’un seul et unique thème : l’élaboration d’un châtiment exemplaire. C'est pourquoi, malgré ces tentatives de rééquilibrage, la pièce de Monléon pivote autour d’un personnage omniprésent, le bourreau Atrée.
La double nature d’Atrée, furieux et masqué §
Comme la tragédie dont il est le personnage principal, Atrée est à la fois antique et moderne. Figure traditionnelle de l’excès, de l’hyperbole et de la volonté de puissance, il s’inscrit dans la lignée des monstres vindicatifs du théâtre humaniste. Dans le même temps, Atrée présente un aspect baroque qui réside non plus dans les traits de son caractère mais dans l’élaboration de ses crimes. La marche vers la mort qu’il entreprend ne s’opère pas sans manipulation, ostentation et mensonge qui sont autant de thèmes baroques. Son double langage, son ironie tuent comme le poison et le poignard. Enfin, sa puissance destructrice resterait incomplète si elle n’était pas mise en spectacle et ses crimes seraient imparfaits s’ils ne suscitaient pas la surprise54. Telle est la double nature de son personnage.
Atrée, furieux §
« Il hait autant qu’il peut. »55 Aveuglé par la fureur, Atrée exerce sa tyrannie au nom de la vengeance et s’abstient de toute forme de procès dans l’accomplissement de ses crimes56. Thyeste ayant rompu leur « saincte amitié », Atrée exige réparation de ce sacrilège et de ce fait, rend légitime ses représailles, tel Egisthe déclarant dans Agamemnon d’Eschyle : « J'ai tramé son meurtre en toute justice ».57
Atrée est tyrannique à double titre. Car au sens étymologique du terme, « tyran » signifie aussi usurpateur. Non seulement Atrée légifère selon son bon vouloir, mais il usurpe le pouvoir divin. Comme Prométhée - dont Thyeste rappelle par deux fois le châtiment aux vers 1204 et 1597 - Atrée prétend à l’égal des dieux délivrer le feu, la lumière, métaphores traditionnelles de la connaissance. Profitant de l’absence du soleil (« Le Soleil ne luit plus, & cette obscurité / Sollicite ton ame à cette cruauté. », v. 1361-62), Atrée s’autoproclame monarque absolu. A l’égal d’un Roi Soleil58, il éclaire Mérope et Thyeste, prétendant seul pouvoir leur révéler la vérité.
Cette présomption est à l’image de sa démesure. Atrée est un être entièrement voué à la surenchère. Quand son frère surpasse Tantale et Pélops, leurs aïeux (« Son crime d’un inceste a surmonté le leur »59), Atrée se doit de faire mieux (« J'adjouste à sa fureur une plus violente [...] Je ne suis point vengé si je ne les surpasse. »60). En gravissant ainsi les échelons du sacrilège, Atrée se situe au-dessus de l’humanité. Etre d’exception, il commet un crime d’exception que « seul Atrée a pu s’imaginer »61.
En atteignant ainsi des sommets d’orgueil, il rejoint les figures mythologiques du gigantisme : « Et ma félicité qui n’a point de seconde, / Me rend le plus heureux & le plus grand du monde. » (v. 1354-55). Comme les Géants - évoqués au vers 1675 - dont la légende est associée à la notion de défi62, comme Tantale et tant d’autres figures mythologiques de Vhybris, Atrée dépasse la mesure. C'est pourquoi il pourra déclarer au vers 7 : « L'enfer tremble d’effroy, le ciel d’estonnement ». Par un double renversement de valeurs, c’est Atrée qui effraie, et non l’enfer, c’est lui qui tonne ou foudroie, et non le ciel. Mais cet orgueil ne lui suffit pas. Non content de donner à manger de la chair humaine à son frère, Atrée renchérit par une autre infraction : En rassasiant la faim de son grand-père, Tantale, il bafoue l’interdit divin.
J'ay treuvé des repas pour soulager sa faim : Mais des repas cruels, & dont son cœur perfide Aura de la frayeur voyant mon homicide :63
Il est intéressant de noter que dans le Thyeste de Sénèque, ce sacrilège n’était pas commis par Atrée mais par la Furie qui déclarait à Tantale : « Je t’ai accordé un jour de liberté et t’ai donné licence d’assouvir ta faim à cette table »64. Atrée n’est donc pas seulement le digne héritier de son ancêtre Tantale mais aussi celui de la Furie, emblème du mal. Atrée représente le monstre qui en dépit de son aspect physique n’a plus rien d’humain. Cette figure contre-nature, surnaturelle doit beaucoup à l’imaginaire démoniaque exploité et développé pendant les chasses aux sorcières. Ces poursuites et ces procès en sorcellerie, qui avaient encore cours en France au XVIIe siècle, ont alimenté une littérature où, entre fiction et réalité, les auteurs-chroniqueurs retraçaient avec force détails les rituels infernaux des sabbats. Et ces rencontres nocturnes s’accompagnaient toujours de scènes d’anthropophagie et de meurtres d’enfants. Atrée ferait donc partie de ces figures modernes du diable qui, comme le fait observer Marianne Closson65 permettaient d’expliquer la monstruosité de certains crimes tels que les infanticides.
La mythologie rejoint donc la modernité ; et la furie mythique, le diable baroque. Figure intemporelle, le monstre assoiffé de sang d’enfants, peut ainsi trouver sa place dans l’imaginaire littéraire et théâtral, qu’il soit de source mythologique, biblique, ou oriental. L'Atrée de Sénèque pourra inspirer aussi bien le tyran biblique Nabuchodonosor que l’esclave oriental du More cruel66.
Le monstre et son acolyte §
A côté de cette figure traditionnelle du vengeur, Monléon a ajouté le personnage du traître. Absent du théâtre antique et humaniste, ce personnage trouvera sa place dans la tragédie classique, mais il est encore rarement exploité dans le théâtre baroque. C'est pourquoi cette figure du traître dans le Thyeste de Monléon est intéressante à double titre, de par sa nouveauté et de par son sexe, puisqu’il s’agit d’une femme.
Mélinthe est un rôle à part entière. Dans le récit des forfaits de Thyeste, récit que Monléon a considérablement développé par rapport à son modèle latin, Mélinthe y joue un rôle essentiel. Atrée la désigne comme responsable de la relation incestueuse. Ce serait elle qui permit à Mérope et Thyeste d’entretenir leur adultère. Cette invention de Monléon ne contredit pas la mythologie dans la mesure où les circonstances de cette relation secrète n’y étaient pas développées. Monléon bénéficiait d’une marge de manœuvre qu’il exploita amplement. Cette responsabilité de Mélinthe dans les crimes passés des deux amants justifie qu’Atrée se serve de la confidente de Mérope pour en faire une traître. Atrée tient Mélinthe en son pouvoir et peut la faire chanter. Coupable, Mélinthe devra trahir et commettre un infanticide sans quoi elle sera condamnée. Donc, son rôle permet aussi de déculpabiliser le couple d’amants et de reporter une partie de la faute sur son personnage.
Bras droit d’Atrée, Mélinthe fait figure de double féminin du vice. Elle ment à sa reine comme Atrée ; elle feint devant Criton, comme Atrée avec Thyeste ; elle empoisonne les enfants de Mérope, comme Atrée plus tard les découpera. Enfin, comme un authentique tyran, Mélinthe est mue par la même soif de pouvoir. Aveuglée par son ambition, elle croira en la fallacieuse proposition d’Atrée (une couronne contre un crime) et commettra l’infanticide. Mais, en toute logique, le souverain démoniaque se débarrassera d’une traître devenue inutile et son rôle se clôturera en coulisses (acte III, scène 3) afin de ne pas montrer sur scène un meurtre supplémentaire.
3e dirai icy en passant que la moitié de la tragédie se joue derrière le théâtre67.
Parce qu’il trame ses crimes en coulisses, Atrée n’est pas le personnage le plus présent de la tragédie68 ce qui peut étonner pour un personnage principal. Mais cette absence correspond à la face secrète du tyran. Monléon allait ainsi justifier pour des raisons dramaturgiques la nécessité de cacher au public des scènes sanglantes (dépeçage des enfants) ou des crimes secondaires (les meurtres de Mélinthe et de Theombre), et non par un respect zélé des bienséances. Cette feinte permet dans le même temps de ménager la surprise des interlocuteurs d’Atrée et du public. La scène où Atrée épie son frère, puis fait une soudaine irruption sur scène, illustre bien cette stratégie. Le procédé conventionnel de la « feinte » du théâtre humaniste69 était ainsi naturellement intégré. Elle pouvait même faire l’objet d’une explication, en d’autres termes, devenir « vraisemblable » : tandis qu’Atrée dépeçait en coulisses les enfants de Thyeste, Criton était en mesure d’expliquer et de justifier à Oronte (acte IV, scène 5) les raisons pour lesquelles le roi s’était absenté : pour ne pas faire éclater sa rage au grand jour et susciter des doutes chez son frère.
Les masques d’Atrée §
On a pu reprocher aux personnages du théâtre de Sénèque leur caractère immuable. De fait, Atrée n’évolue pas mais oscille entre mensonge et vérité. Cette ambivalence ne réside pas dans ses hésitations et ses remords car ces dilemmes passagers appartiennent à un « style d’époque », codé et dénué de naturel70. Dans cette rhétorique conventionnelle, Atrée fait preuve d’une duplicité de façade. Son caractère y reste entier. C'est donc ailleurs qu’il faut chercher son équivoque. Mais, à la différence des personnages masqués de la scène baroque, son hypocrisie ne réside pas dans son inconstance. Il acquière son ambiguïté par un usage récurrent de l’ironie. Son masque est avant tout rhétorique. Les jeux de déguisement de la tragi-comédie se retrouvent ici sous des tonalités funèbres, le mensonge et la ruse étant mis au service de la terreur.
Atrée ment pour dissimuler ses desseins criminels et persuader ses acolytes de lui prêter main forte. Pour reprendre la distinction opérée par Bernard Chédozeau entre rhétorique de persuasion et de conviction71, nous pourrions dire qu’Atrée emploie la première et Criton la seconde. Ce dernier incarne le personnage du raisonneur, du contradicteur et appartient de ce fait au théâtre antique et classique. Il use d’une rhétorique de conviction et raisonne en employant des arguments logiques. Criton démontre pour convaincre. Atrée cherche au contraire à persuader en suspendant le raisonnement d’autrui, rhétorique de persuasion caractéristique de la littérature baroque. Nombreuses sont les répliques des interlocuteurs qui témoignent de cette puissance rhétorique : Criton et Mélinthe rétorquent sans hésiter « Grand roi, disposez de mon bras » (v. 55) ou « Ordonnez, je suis prest. » (v. 708) après que leur souverain ait exposé ses desseins monstrueux.
Atrée ne persuade pas seulement, il contamine aussi. Le double langage est présent dans toutes ses paroles et dans celles de ses deux acolytes. Mélinthe use de l’art du mensonge auprès de la reine Mérope et de Criton (scène 5, acte 1). Le sage Criton saura mentir à Thyeste, Lycostene et Theombre. Seules les victimes échappent à ce processus mensonger. La sincérité de Thyeste et Mérope en ressort d’autant mieux.
L'ironie, déguisement verbal §
On analyse traditionnellement l’ironie comme une antiphrase, figure de pensée qui consiste à faire entendre le contraire de ce qu’on dit72. Mais ironiser c’est aussi « railler, disqualifier, tourner en dérision, se moquer de quelqu’un ou de quelque chose »73. La « moquerie insinuante » d’Atrée - pour reprendre l’expression de Jacques Morel74 - s’adresse à un public avisé davantage qu’à son interlocuteur, comme l’illustre la citation qui suit où Atrée, s’adressant aux enfants de Mérope, énonce le contraire de ses pensées. Seul le public pouvait discerner l’antiphrase :
Vous me le faites voir adorables enfans,C'est par vous que mes jours se rendront triomphans...75
Dans cet autre exemple, le public discernait également la raillerie d’Atrée derrière cette fausse déclaration galante à Mélinthe :
Tu sçais bien que pour toy mon amour est extrême, Qu'il m’a déjà rendu plus à toy qu’à moy-mesme.76
Mais, il est une autre ironie, plus subtile, qui consiste à citer un discours sans le revendiquer77. La parole, en apparence univoque, est en fait polyphonique. Et seul un interlocuteur éclairé peut déjouer le piège de cette double voix. Citons deux exemples. Dans le premier, Atrée reprend telles quelles les paroles de son frère : « Apres les longs travaus d’une si dure absence... » (v. 193). Cette mention est ironique dans la mesure où le public sait qu’Atrée est incapable de pitié à l’égard de son frère exilé. Et le piège fonctionne puisque Mélinthe pense en effet que le roi est prêt à pardonner son frère. Dans le second exemple, Atrée se fait le porte-parole d’un discours officiel, celui des Dieux : « Mesme de me priver (puis que le Ciel l’ordonne) / Pour les favoriser, d’elle & de ma coronne, ... » (v. 113-115). Atrée n’adhère évidemment pas à ce commandement divin - qui du reste est faux78 - et les parenthèses soulignent cette distance prise par Atrée à l’égard de ses propres paroles. Cependant, un interlocuteur naïf pourrait légitimement croire en la magnanimité du roi.
Enfin, dans la citation qui suit, Atrée désigne par antiphrase, les enfants de Thyeste comme son bien le plus précieux :
Caressez ce présent & gardez moy ce gage,Qui de tous mes trésors m’est le plus précieux...79
Or, Thyeste lui vola un « trésor » aussi précieux, la toison. Atrée se venge donc à l’identique.
Une vengeance à l’identique §
La vengeance d’Atrée dépasse l’ancestrale loi du Talion (« oeil pour oeil, dent pour dent ») : ce sont désormais les criminels qui se punissent eux-mêmes et Atrée s’en sert comme instrument de sa vengeance. Mélinthe empoisonne les enfants de Thyeste à la place du roi, Mérope se suicide sans qu’il soit besoin de la tuer, Thyeste amène ses propres enfants à leur bourreau. Parmi les répliques qui formulent ce principe, retenons celle adressée à Mérope où Atrée parle de la Reine, sans qu’elle ne le sache :
Et quiconque en ces lieux se soit monstre perfide, Se punira soy-mesme en son propre homicide.80
Atrée applique ce même principe à rencontre de son frère : « Thyeste de sa main punira son forfait » (v. 28).
« Le même et l’autre. »81 §
Aux dires d’Atrée, Thyeste aurait pu lui donner à manger ses propres enfants82. Par cette suspicion, Atrée considère donc son frère comme un autre lui-même. Cette figure de l’alter ego est récurrente et traverse toute la pièce, à telle point que Thyeste lui-même parle d’Atrée comme d’un jumeau : « L'un & l’autre de nous est assez détestable.83 »
Le projet de tuer son frère aurait pu faire hésiter Atrée, comme Thamar qui vient pourtant d’être violée par son frère, dans Amnon et Thamar de Chrestien des Croix (1608) :
C'est mon sang que je jette au Tonnerre inhumain ; Ce que je veux détruire est mon frère germain ! C'est un autre moi-même ! ...84
Mais c’est précisément cette gémellité qui motive Atrée et le pousse à la haine. Parce que Thyeste aurait pu être un autre lui-même, un autre roi, un autre époux de la reine, Atrée doit l’éliminer85. Monléon exploite encore ce thème du miroir et de l’alter ego avec les enfants de Thyeste. Considérés par Atrée comme les exactes répliques de leur père, ces images de Thyeste semblent se démultiplier. C'est donc aussi pour mettre fin à cette répétition qu’Atrée les tuera, éliminant tous les héritiers potentiels à l’instar des tyrans. Sa vengeance privée s’enrichit finalement d’arguments politiques.
Theatrum mundi et « monde renversé » dans Le Thyeste de Monléon §
Le « théâtre du monde » et le « monde renversé » sont des thèmes baroques qui exploitent les effets de reflets et de confusion. Dans Le Thyeste, ces phénomènes d’enchevêtrement se retrouvent à trois niveaux : confusion entre fiction et réalité, microcosme et macrocosme, présent et passé.
Pour les poètes baroques, le monde n’est que le reflet d’une pièce de théâtre où les hommes sont des marionnettes au dessus desquels règne un metteur en scène divin. Dans cette lecture du Theatrum mundi, Atrée pourrait bien occuper le statut de ce démiurge. Dans son palais, une pièce se joue en effet dont il est le seul arbitre. La dernière scène de la tragédie équivaut à une véritable mise en scène de la mort où, dans un procédé de « théâtre dans le théâtre », Atrée dévoile ses meurtres en soulevant tour à tour deux rideaux. Le premier découvre les restes des enfants de Thyeste, le second, le cadavre de Mérope.
Cette confusion entre fiction et réalité s’illustre également dans la scène 2 de l’acte IV où Thyeste découvre un tableau où deux frères s’entretuent. Lycostène le rassure en lui rappelant qu’il s’agit d’une fiction.
Dans ce vaste « théâtre du monde », le macrocosme se reflète et se confond dans le microcosme. Dans Macbeth, le crime des époux sanguinaires se reflétait dans un monde désordonné86. On trouve ce même rapport analogique dans le Thyeste de Monléon, où l’éclipsé du soleil reproduit le comportement du couple adultère, Thyeste et Mérope. Pour preuve, cette définition du terme « adultère » dans le Dictionnaire de Furetière en 1690 : « Les astronomes appellent adultère du soleil et de la lune leurs éclipses quand elles se font en quelque manière contre les règles de l’Astronomie ».
A cette confusion cosmique s’ajoute encore une confusion des temps. Ce que l’on croyait appartenir au passé redevient présent. Ainsi, dans la scène 8 de l’acte 2, lorsque Mérope embrasse tour à tour ses deux enfants, elle ne peut exprimer de préférence. Ses valses hésitations rappellent son comportement de femme aimante, tiraillée entre les deux frères Atrides. « De ses plaisirs perdus, elle prend les usures », commente Mélinthe87.
Enfin, le cycle de la vengeance comme le récit de l’autopsie appartiennent à ce même procédé de mise en abyme. On peut lire en effet les gestes du médecin éventrant les enfants de Thyeste comme une répétition générale du sacrifice qui doit avoir lieu deux actes plus loin. Atrée répéta quant à lui le sacrilège de son grand père, Tantale. Le crime se transmet donc de père en fils. Et dans le récit mythologique, la vengeance se prolongeait encore, le fils de Thyeste, Egisthe, tuant le fils d’Atrée, Agamemnon. Seule une intervention divine pouvait clore le cycle88.
Clôture du mythe : quelle morale tirer du Thyeste ? §
Monléon, cependant, va mettre un terme à ce cycle. En effet, dans la mythologie, Atrée avait deux fils, Agamemnon et Ménélas que Monléon ne mentionne à aucun moment alors que dans la tragédie de Sénèque, ils avaient pour fonction d’être les messagers auprès de Thyeste. Avec Monléon, ce rôle revient à Lycostene. Son roi Atrée est donc sans héritiers. En outre, dans le récit mythologique, Atrée ne sacrifiait pas tous les enfants de Thyeste. Dans un autre volet de la fable, il restait un enfant qui vengeait l’injure faite à son père. C'est pourquoi le public romain savait que le bourreau ne demeurait pas impuni même si Sénèque achevait sa tragédie du Thyeste sur le festin. L'auteur latin avait en effet composé un Agamemnon où Egisthe assassinait le fils d’Atrée.
Monléon choisit donc de ne pas laisser en suspens ce cycle de la vengeance. Au tomber du rideau, le public ne pouvait pas espérer en une justice à venir, aucun fils de Thyeste ne vengerait son père. Le vice était impuni, la vertu opprimée. En d’autres termes, sa tragédie ne proposait aucune leçon de morale.
C'est au XVIe siècle, que la tragédie fut définie comme un genre littéraire instructif. En effet, pour Ronsard et les auteurs de la Pléiade, la tragédie humaniste devait être « didascalique et enseignante »89 et son dénouement, funeste - ce qui explique que Jean de La Taille ait pu citer le Thyeste parmi les meilleurs sujets de tragédie. C'est au XVIIe siècle que les poéticiens classiques assignèrent à ce dénouement une finalité morale : Les héros devaient être récompensés et les méchants châtiés, comme le préconisait La Mesnardière en 1639, écartant de fait les Médée et Thyeste de Sénèque des bons sujets tragédie :
Si le sujet est tel que le principal personnage soit absolument vicieux, ce qu’on tâchera d’éviter pour les raisons que j’ai dites, il ne faut pas que ses crimes soient exempts d’un châtiment qui donne beaucoup de terreur, et même il faut s’il est possible, que les mauvaises actions paraissent toujours punies, et les vertus récompensées. [...] C'est en ce point là que le poète doit penser à la morale, donner beaucoup à l’exemple, et ne pas commettre les fautes que nous voyons en plusieurs poèmes, ainsi que dans la Médée où le héros est perfide, et l’héroïne meurtrière [...] sans que l’une soit punie d’une cruauté si horrible, ni que l’autre soit châtié [...].
La Thyeste est fort imparfaite pour cette même injustice, et il n’y a point de lecteur qui ne murmure en la lisant, lors qu’il voit l’exécrable Atrée se baigner impunément dans le sang de ses neveux à ce détestable banquet qui fit éclipser le soleil, si nous croyons les livres.90
Dans Le Thyeste de Monléon, fidèle au dénouement sénéquien, les « mauvaises actions » d’Atrée n’étaient pas condamnées. Il n’est donc pas étonnant que ce sujet ait été rejeté par les poétiques classiques91. Dans son travail de réécriture, nous avions vu que Monléon avait eu pour souci de rééquilibrer sa tragédie au détriment d’un bourreau omniprésent et au profit des victimes. Mais cette relecture du mythe n’était pas sans poser de problèmes quant à la morale. Quelle leçon en effet tirer du spectacle de victimes impitoyablement accablées par un bourreau impuni ?
Corneille proposait une réponse, ayant eu à se confronter à ce même type de dénouement sanguinaire avec Médée. Dans son Premier discours sur l’utilité du poème, il expliquait quelles modifications il dut apporter à cette pièce pour qu’elle puisse être utile à son public. Celui-ci, rappelait-il, n’avait pas les mêmes attentes que les Athéniens et les Romains pour qui ces pièces avaient été initialement composées. Car Sénèque, à la différence de Corneille et de Monléon ne s’était pas embarrassé d’une fin morale. Le théâtre sénéquien était violent et ses bourreaux, impunis car seul le plaisir du public était la finalité de sa tragédie. Le public ressentait du plaisir à ce théâtre violent grâce à une distance assumée et revendiquée par la mise en scène de ce spectacle. C'est cette distance cathartique qui empêchait le public d’être dégoûté par la violence représentée. Or, l’interprétation que l’on fit au XVIe et au XVIIe siècles de cette catharsis aristotélicienne était toute autre : Elle devint morale. Catharsis fut traduit par « purgation des passions ». En d’autres termes la tragédie devait purger le public de ses passions répréhensibles grâce à un spectacle funèbre et violent mais qui s’achevait sur une punition du vice. Cette interprétation de la distance cathartique et de l’épuration des passions étaitdonc en totale contradiction avec la fin aristotélicienne et sénéquienne de la tragédie92. Toujours est-il que Corneille et Monléon, en s’inspirant d’un sujet antique devaient apporter une finalité morale à leur dénouement violent. Ce qui explique que Monléon ait pu faire dire par l’un de ses personnages, Lycostène, cette déclaration de principe tout à fait contraire à la fonction cathartique du théâtre sénéquien : « Pour le faire abhorrer ce crime est ainsi feint.93 »
Le « crime » en question est un fratricide. Au début de l’acte IV, Lycostène et Thyeste se trouvent en effet devant un tableau qui représente un frère poignardant son frère dans le dos. Il s’agit donc de l’illustration d’une scène de trahison et de meurtre. Les paroles sentencieuses de Lycostène signifient que ce spectacle, cette fiction, a pour but de dégoûter (« faire abhorrer ») le public de ces pratiques. Or, comme nous venons de le voir, le recours à la fiction chez Sénèque n’avait pas du tout la même finalité. La feinte avait au contraire pour seul but de procurer du plaisir au public regardant ces spectacles violents. Et le paradoxe d’un plaisir pris grâce à un spectacle sanglant était résolu précisément parce que ces horreurs, a priori insoutenables, étaient simulées et non réelles. Florence Dupont analyse ce processus de distanciation en s’appuyant sur un passage des Phéniciennes, qui nous semble-t-il peut aussi bien s’appliquer au Thyeste du même auteur. En effet, Œdipe se délecte du spectacle de ses fils luttant à mort, à l’instar de Tantale que la furie invite à jouir du festin funèbre de son petit-fils :
L'ancêtre savoure, apaisé, les abominations de sa descendance qui reproduisent les siennes. Si l’on rapproche cette fin de l’Œdipe que constituent les Phéniciennes de la fin des Troyennes, on retrouve la fonction apaisante, cathartique, que Sénèque attribue aux spectacles les plus atroces : l’exécution des enfants troyens, le duel fratricide devant Thèbes consolent des héros douloureux, victimes de violence inouïe94.
Au XVIIe siècle, comme le prouve la déclaration du personnage de Monléon, l’on n’attribuait pas à la tragédie cette « fonction apaisante ». Une tragédie classique devait détourner le public de ses passions, les faire « abhorrer ». Et pour ce faire, Corneille dut transformer sa tragédie sanglante, Médée, afin que le vice et la vertu y soient clairement dissociés et équitablement rétribués. A cet égard, le Thyeste de Monléon ne faisait pas assez clairement la part des choses, comme Corneille l’écrivait dans le passage qui suit :
Notre théâtre souffre difficilement de pareils sujets : Le Thyeste de Sénèque n’y a pas été fort heureux ; sa Médée y a trouvé plus de faveur ; mais aussi à le bien rendre, la perfidie de Jason et la violence du roi de Corinthe [Créon] la font apparaître si injustement opprimée, que l’auditeur entre aisément dans ses intérêts, et regarde sa vengeance comme justice qu’elle se fait elle-même de ceux qui l’oppriment.95
Une des clés de l’insuccès du Thyeste de Monléon réside dans ces lignes. Pour paraphraser Corneille, il eut fallu que l’auditeur entrât aisément dans les intérêts d’Atrée. Alors seulement, il aurait pu considérer sa vengeance « comme justice qu’il se fait lui-même de celui qui l’opprime ». Corneille transforma Médée en victime « injustement opprimée » tandis que l’Atrée de Monléon n’avait rien de cette victime opprimée par son frère. Thyeste en effet n’atteignait pas les sommets de « perfidie » de Jason. Corneille fit de ce dernier un petit ambitieux que le pouvoir et la sécurité avaient attiré au point d’abandonner celle à qui il devait sa gloire. Médée avaient toutes les raisons de se venger de ce perfide. Monléon aurait dû faire de Thyeste un perfide afin qu’Atrée justifie sa vengeance. C'est le contraire qu’il fit. Monléon dépeignit Thyeste en personnage vertueux, contrairement du reste à ce qu’il était dans le récit mythologique. Avec Monléon, Thyeste s’excusait sincèrement auprès de son frère au point de lui envoyer en gage ses deux enfants et il retournait à Mycènes non par appas du pouvoir mais pour se réconcilier.
En somme, la colère d’Atrée n’était pas en mesure d’inciter au public de la pitié. Et ce n’était pas non plus de la terreur que ses crimes odieux pouvaient susciter, mais de l’indignation, c’est à dire une émotion non tragique. Dès lors, le spectacle sanglant du Thyeste devenait répugnant, non pour des raisons de bienséances mais pour des raisons morales.
Une pièce antique n’était d’aucune utilité pour un public moderne du XVIe et du XVIIe siècle, à moins d’être transformée. Les tragédiens humanistes avaient déjà osé trahir les maximes des œuvres antiques dont ils s’inspiraient si elles n’étaient pas conformes à leur morale chrétienne, en transformant par exemple l’injustice des dieux païens en justice du dieu chrétien. Tout en respectant le dénouement sanglant de sa source, Corneille adapta Médée aux us et coutumes de son public. Il est probable que pour rencontrer les faveurs du public, Monléon aurait dû être moins fidèle à Sénèque. Il est probable aussi que des sujets ne puissent passer l’épreuve de la vraisemblance classique. Et le Thyeste pourrait bien être de ces sujets « invraisemblables » parce que les actes de leurs personnages sont injustifiables, comme ceux d’Atrée. Pour preuve, aucun auteur classique ne s’y essaya. Pas un seul Thyeste ne fut composé entre 1638 et 1707. Il faudra que la notion de « vraisemblance » tombe en désuétude et que le règne de la tragédie classique s’éteigne pour que des sujets aussi excessifs et outranciers fassent de nouveau leur apparition sur la scène théâtrale française. 96
Conclusion §
On a souvent émis des hypothèses quant aux représentations des pièces de Sénèque. Certains historiens ont jugé que ses oeuvres étaient irreprésentables, d’autres que ses pièces avaient bien été écrites pour la scène, et non pour être lues. L'insuccès du Thyeste de Monléon tendrait à prouver que le mythe de ce festin cannibale pose effectivement la question de sa représentation théâtrale. Il nous semble que ce mythe s’accorde plus volontiers à une dramaturgie de la déclamation antique, épurée et supportée par des récitants statiques, plutôt qu’à une dramaturgie moderne qui se veut réaliste et démonstrative. C'est peut être la raison pour laquelle l’histoire littéraire retient le Thyeste de Sénèque et non celui de Monléon.
Établissement du texte §
Il n’existe qu’une seule édition du Thyeste, exécutée par Pierre Guillemot. L'édition est non datée mais l’Achevé d’imprimer est du 9 août 1638.
Description de l’édition de référence §
La présente édition a été effectuée à partir de l’exemplaire de l’édition originale disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la côte [4° BL 3654], Il s’agit d’un volume de format in-8° qui se présente ainsi :
[I] Aut extrema, aut nulla fratrum vindicta / LE THYESTE DE MONSIEUR / DE MONLEON./ A PARIS, / Chez PIERRE GUILLEMOT, aux Palais à la / gallerie des prisonniers. / Avec privilège du Roy.
[II] blanc.
[III à VI] Epistre.
[VII à VIII] Au lecteur.
[IX] Privilège du Roy ; Quelques fautes reconnues depuis l’Errata.
[X] Acteurs.
[1 à 107] (cahiers A à 0) Le Thyeste – Tragédie.
[non paginé] Errata.
Autres exemplaires §
Un exemplaire de cette édition est conservé à la Bibliothèque nationale [Yf 1529] et deux autres exemplaires sont également disponibles à la Bibliothèque de l’Arsenal [Rf 6545] (référence ayant servi à constituer la micro-fiche disponible sur le site Gallica) et [8° GD 48552], ce dernier exemplaire étant sans Epître, Avis au lecteur et liste d’Acteurs. L'Ere baroque en France de Roméo Arbour97 mentionne également deux exemplaires disponibles à l’étranger : un exemplaire à la Bibliothèque du British Muséum, à Londres [164.e. 15] et un autre à la Bibliothèque de la Harvard University (Cambridge, Mass. USA) [FC6. C4282.637 L]
Nombre de tirages §
Les exemplaires consultables de l’Arsenal [8° GD 48552] et [4° BL 3654] présentant des leçons différentes, nous en avons déduit que l’édition du Thyeste avait fait l’objet de deux tirages. Nous avons donc établi le texte à partir de la leçon la moins fautive [4° BL 3654], les autres exemplaires présentant les coquilles suivantes :
v. 560 : desperer (corrigé en d’espérer)
v. 560 : la promis (corrigé en l’a promis)
v. 880 : MEROPE (corrigé en ATREE)
v. 929 : questes vous (corrigé en qu’estes vous)
page 56 (corrigée en page 58) personnage,
v. 930 : Ø (ATREE a été ajouté)
v. 930 : Mlavez-vous (corrigé en Me l’avez-vous)
v. 1030 : mouru (corrigé en mourut)
didascalie, v. 1155 : voulant sortit (corrigé en voulant sortir)
v. 1174 : d’avantage (corrigé en davantage)
Cependant, dans la leçon que nous avons retenue, les vers 1172-73 posent problème. En effet, les modifications qui y avaient été apportées nous semblent erronées. Sur le premier tirage, non corrigé, de l’exemplaire [8° GD 48552] deux répliques s’enchaînaient de la manière suivante :
THYESTE
Je viens rendre à ces vœux l’une & l’autre asservieEt mettre entre ses mains un trésor précieux ;CRITON
Un bien incomparable, un frère ? Ah justes dieux !Vous lui pouviez donner tout le monde en partage :Mais vous ne pouviez pas l’obliger davantage.
Le deuxième tirage, celui de l’exemplaire [4° BL 3654], proposait la correction suivante :
THYESTE
Et mettre entre ses mainsCRITON
Un trésor précieux ;Un bien incomparable, un frère ? Ah justes dieux !
Or, s’il devait y avoir une coupure, elle s’est faite à notre avis un vers trop haut. L'enchaînement suivant nous semble plus cohérent (sachant que le point d’interrogation est une coquille que l’on a corrigée en point d’exclamation) :
THYESTE
Et mettre entre ses mains un trésor précieuxUn bien incomparable, un frère !CRITON
Ah justes dieux !Vous lui pouviez donner tout le monde en partage :Mais vous ne pouviez pas l’obliger davantage...
C’est pour ce dernier découpage que nous avons opté.
Dernières remarques d’ensemble : sur tous les tirages, on observe que chaque réplique commence par un retrait d’alinéa. Et comme souvent dans cette première moitié du XVIIe siècle, les caractères sont italiques et non romains.
Rectifications et coquilles §
Pour l’établissement du texte, nous avons effectué les rectifications suivantes :
- Nous avons distingué i et u (voyelles) de j et v (consonnes)
- Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en voyelle + consonne :
ô = on ; â = an ; e = en ;
- Nous avons rétabli le ß en ss.
Afin de rendre compte de l’état graphique de l’édition originale, nous avons conservé :
& pour et
-y-pour-i-(ex : toy ; j’ay, ...)
-oi-pour-ai-(ex : noyoit, foible, ...)
-éspour-ez(ex : « immolés » à la place de « immolez »)
-ezpoures (ex : beautez, ...)
-z-pour-s- (ex : hazarder, ozer, poizon, toizon, ...)
cétpourcet
en finpourenfin
dequoypourde quoy
Dans ce même esprit de fidélité, nous n’avons modifié aucun accent dans la mesure où la lecture n’en était pas entravée (ex : « véhémence » pour véhémence) et nous avons gardé :
-es-pour -ê-(ex : mesme)
-as-pour -â-(ex : fascheux)
-is-pour -î-(ex : Epistre)
-us-pour -û-(ex : eust)
-os-pour -ô-(ex : oster)
-û-de soupir
-â-de flâme
Cependant, nous avons corrigé et ajouté des accents diacritiques afin de distinguer :
[où] pronom relatif du [ou] conjonction
[à] préposition du [a] troisième personne du verbe avoir.
Nous avons conservé les graphies fidèles aux étymons latins : debvez, doibs, advantage, droict, soing...
Nous avons ajouté entre crochets ce qui avait été omis, comme certains noms de personnages au début des scènes.
Enfin, nous avons uniformisé l’orthographe de « Thyeste » et de « Lycostène » que l’on trouvait très souvent orthographiés sans [y] en « Licostene » et « Thieste » dans les derniers cahiers correspondants aux actes IV et V.
Absence du [t] analogique §
Le t analogique permet de faire la liaison entre le verbe et son sujet en cas d’inversion (ex : alla-t-il...). Sur les éditions de la première moitié du XVIIe siècle, ce [t] n’était pas systématiquement indiqué. Vaugelas précisait qu’il devait être prononcé malgré son omission :
Si le verbe finit par une voyelle devant « on » [...] il faut prononcer et écrire un t entre deux [...] pour ôter la cacophonie, et quand il ne serait pas marqué, il ne faut pas laisser de prononcer ni lire, comme lisent une infinité de gens, « alla-on, alla-il » pour « alla-ton, alla-t-il ».98
Dans la mesure où la présente édition du Thyeste a systématiquement omis ce [t] analogique, cette absence ne peut être considérée comme une coquille. Cependant, pour une lecture plus aisée, nous l’avons rajouté entre crochets aux vers : 49, 71, 149, 370, 576, 589, 793, 797, 965, 1132, 1399, 1495, 1499, 1580.
Pluralité de graphie §
L'édition originale présente de manière très fréquente deux orthographes pour un même mot, souvent au sein d’un même cahier (nous avons indiqué le cahier entre crochets). Il ne s’agit pas de coquilles mais l’ouvrier-imprimeur disposait très vraisemblablement d’un texte qui présentait déjà cette pluralité de graphies. Ainsi, dans notre édition, même lorsque deux mots dérivés d’une même racine se suivaient de près dans le texte, ils pouvaient s’écrire différemment. Par exemple, pour le verbe « commencer », on trouvera dans un même cahier, [L], les orthographes « commance » au vers 1310 et « commence » au vers 1286. Autre exemple, « guarison » et « guerison », deux orthographes différentes pour un même terme et présentes dans deux cahiers différents. Il nous faut resituer ces impressions à une époque où l’orthographe était beaucoup plus souple et fluctuante qu’aujourd’hui. Et c’est pour rester fidèle à l’état graphique de l’édition originale que nous n’avons pas uniformisé ces orthographes. Nous avons donc conservé :
(r)amene [C], [D]bien que l’on trouve rameine [B], [E], [N]
atteintes [E], [K]attainte [F], [G]
commance [F], [L] commence (et dérivés) : [F], [L], ...
contant [D], [F] content [G] et dérivés : [D], [F],...
coronne [A], [B], ...couronne (une seule occurrence, dans [B])
couppe [H] coupe [H]
dessains [N] desseins [N] et autres...
dieus [ts les cahiers sf H, I, L, M] dieux [tous les cahiers sauf A,B,D, I]
enfens (une seule occ. dans [A]) enfans : [B] et suivants
esprits [F] et [H], [K], [N], [0] espris [F] et [A], [B], [G]
estaindre (et dérivés) : [B] et [F] esteindre (et dérivés) : [B] et [C], [I]
furieux [A] [H] et [I] [M] [0] furieus [A] [H] et [B] [C] [E] [F]
guarison [E] [H] guerison [N]
plainement [L] pleine, adj. [I] ; pleine, subst. [K]
retraitte [D] retraite[G] [I]
roys [C] [D] [L] rois [A] [I]
succès [D] succez [D] et [C], [E]
throsne [B] trosne [C]
tirannie [A]tyrannique [H]
toizon [G] toison [A]
toutefois [A] [E] toutesfois [A] [B] [G] [K] [M]
tormens [A] [L] [N] tourmens [A] [L]
treuver (et dér.) [A,B,F,H] et [E,I] trouver(et dér.) [A,B,F,H] et [C,G,N,M]
vanger (et dérivés) [F] [G] [O] venger (et dér.) [F] [G] [0], ...
Nous avons également gardé les formes suivantes : enfraindre (v. 1485) ; advanture (v. 1597) ; epouvente (v. 270) ; epouventable (v. 272) ; dueil (pour deuil) et sueil (pour seuil).
Remarques sur la ponctuation §
Les marques de ponctuation de cette édition sont très aléatoires et défectueuses. Nous les avons presque toujours corrigées sauf lorsqu’une virgule ou un point, en fin de vers ou d’hémistiche, avaient pour fonction de remplacer ce qui correspond à des points de suspension. En ce cas, nous avons conservé ces signes d’origine (point, point virgule ou virgule) avec une note en bas de page pour rappeler à quoi ils équivalent (une pause brève ou longue).
En outre, les points d’interrogation sont très souvent omis après une proposition interrogative et ce de manière systématique dans les derniers cahiers (N à 0). Il s’agit bien de coquilles et non d’une volonté de l’auteur comme cela pouvait être le cas dans certaines éditions soignées, particulièrement de la seconde moitié du XVIIe siècle et notamment dans celles du théâtre de Racine99. Le cas de figure inverse s’est également présenté où un point d’interrogation remplaçait par erreur un point ou une virgule. En ce cas, nous avons corrigé. Ces nombreuses coquilles sont indiquées dans la liste qui suit.
Liste des rectifications et des coquilles §
Les vers entre crochets indiquent les coquilles situées juste avant ce vers (ex : [400]) Les marques de ponctuation défectueuses sont indiquées entre deux barres (ex : /?/)
Epitre | a (leur gloire) |
Au lecteur | sois rendu |
cett’ erreur | |
si parfaites /:/ | |
mes actions /,/ | |
moins de foy | |
Privilège | cependant [corrigé en « ce pendant »] |
trouveveront | |
Errata | (trois ou quatre) vers |
Acteurs | (inceste de) Thieste |
Le Thyeste, | vers : |
27 | mà fait |
46 | on oste point |
52 | nuptial /./ |
68 | la (commis) |
90 | fefons [la coquille était indiquée dans l’Errata] |
103 | ces (espris) |
105 | à |
118 | ou |
155 | fureur/:/ |
167 | ces (crimes) |
167 | personels |
169 | s’en |
177 | mes |
180 | Roy /./ |
182 | à |
204 | incestueus /?/ |
206 | adultère /./ |
208 | Cest |
218 | ma |
236 | je le veux /?/ |
241 | Grand Roy /?/ |
291 | ces (transpors) |
351 | Thyeste les suit /./ |
317 | accordés |
360 | je l’eus |
360 | dans ces yeux |
364 | ma |
370 | vous l’a-t-il asseuré /./ |
399 | l’ont peu faire voir |
[400] | CRITON |
[405] | CRITON |
410 | ma |
412 | suis |
413 | que (le ciel) |
[467] II,6 | MELINTHE, |
489 | n’estime |
557 | aimable /?/ |
558 | déplorable /,/ |
576 | embrassé /./ |
584 | à (mon cœur) |
584 | à (mon amour) |
589 | Songe-t-il à Mérope /./ |
596 | Madame, ici Madame/?/ |
597 | Courez ici Madame /?/ |
628 | s’est |
632 | (je les ai) veu |
675 | ses (lieus) |
710 | Achever |
719 | Atrée : Donc ces enfants sont morts/./ |
" | Mélinthe : Ouy/?/ |
723 (2nd hém) | Mélinthe : Ils sont morts /?/ |
724 | Elle a peu voir |
731 | et tu peus luy donner |
754 | odieus /./ |
725 | n’oyoit |
725 | dans (leurs larmes) [coquille indiquée dans l’Errata] |
726 | ses (discours) |
726 | allarmes /?/ |
736 | ces (deux soleils) |
770 | ces ces [coquille indiquée dans l’Errata] |
797 | sera-[t]-elle inutile/./ |
799 | Où dois-je donc aller/./ |
803 | forrune |
814 | mercenaire/./ |
822 | homicide/;/ |
844 | ces (efforts) |
844 | empescher/./ |
856 | abondonné |
880 | glorieux /?/ |
891 | la |
893 | ses |
895 | A Justice |
898 | nom |
899 | héritiers /?/ |
919 | Dois-je avoir de l’espoir/./ |
929 | qu estes |
941 | Oyez terres ? |
952 | odieux/?/ |
958 | qu’elle |
978 | perfide /./ |
984 | Dieux /./ |
991 | a (qui ce bras) |
991 | à (servy) |
994 | coulpable /./ |
[995] didasc | . aun (poignard) |
1031 | s’en (est fait) |
1043 | Espère toutefois /Ø/ |
1044 | des morts /./ |
1047 | s’en (est fait) |
1058 | avoir lassez |
1067 | élément /0/ |
1084 | surmontez /./ |
1091 | présenté /./ |
1123 | achepter |
1128 | Luy feriez-vous ce tort /./ |
1136 | qu’elle |
1140 | Rien du tout /?/ |
1155 | Plutost [rectifié en « plus tost »] |
1156 | il nous apperçoit /./ |
1157 | hommage /,/ |
1165 | Atree, à |
1179 | (gens que j’ay) veu |
1205 | un (erreur) |
1215 | autels/0/ |
1222 | Cest |
1231 | seint |
1245 | ma |
1249 | a |
1253 | complice /Ø/ |
1296 | changer [coquille indiquée dans l’Errata] |
1297 | m’esprises |
1299 | penses |
1309 | Semble (de s’effrayer) |
1323 | Adieu ? |
1325 | funeste/./ |
1341 | a |
1345 | jalousie /,/ |
1351 | Thyeste est en mes mains /Ø/ mal-gré tous ses effors /,/ |
1362 | vos crimes /./ |
[1375] didasc. | s’est estonné [coquille indiquée dans l’Errata] |
1388 | Il eust veu |
1394 | ma |
1399 | trépas /./ |
1403 | seulement/./ |
1404 | cet esprit/./ |
1406 | attente/./ |
1407 | ce perfide/,/ |
V, 3, liste pers. CRITON
[1448] didasc.vers
1449Destins
1464t’arissant
1498le suit-elle/./
1499Cour/./
1500a teu vostre retour.
1501bien tost/./
1526Page/,/
1534divin office /;/
1544 repos /;/
1552 connois-tu pas /./
1571 sans foy /Ø/
1579 corbeaux /,/
1580 nouveaux/./
1581 rage /./
1582 davantage /./
1593 N'ont pu soulier
1597 qu’elle
1608 malheureux /,/
1623 veu rostir [...] ton repeu
1624 pas peu
1627quelques restes /,/
1630 à
1650 vengeance /,/
1652 Estoient-ils criminels /./
1656 ne me vengent-ils pas /./
1657 un crime par un crime /./
1660 ta
1665 (tu t’en) est
1678 foudre [correction man. sur l’E.O. : poudre.]
1697 promesses /,/
1698carresses
Page 28, il manque un alexandrin entier (vers 452), omission que nous avons signalée par une ligne en pointillés.
Signalons enfin deux erreurs de pagination : la page 78, numérotée par erreur « 76 » et la page 88, numérotée par erreur « 82 ». Ces deux coquilles sont signalées dans la présente édition par des doubles crochets [[78]] et [[88]] se situent dans les derniers cahiers, c’est-à-dire dans ceux qui comptent le plus grand nombre de marques de ponctuation défectueuses.
Aut extrema, aut nullafratrum vindicta 100
LE THYESTE DE MONSIEUR DE MONLEON §
EPISTRE
A TRES-HAUT
ET TRES PUISSANT PRINCE
MONSEIGNEUR
LOUIS DE VALOIS,
COMTE D'ALLEZ,101
Chevalier des Ordres du
Roy, Colonel, General de
la Cavallerie légère
de France, Gouverneur &
Lieutenant General pour
sa Majesté de ses Pays &
Armées de Provence. §
MONSEIGNEUR,
Apres l’estime que vous avez faite de cet ouvrage, je me persuade que je puis sans crainte l’exposer aux yeux du public, & que vous ne treuverez* pas estrange* la hardiesse que je prens de vous le dédier : Comme j’oze espérer que vous daignerez le recevoir, j’ay la vanité de croire que chacun l’estimera : & l’approbation que vous luy avez donnée me fait attendre celle de tout le monde.
Ceux qui par de favorables violences l’ont arraché de mon cabinet pour en mieux voir la conduite par sa représentation, bien qu’ils m’ayent exposé parmy les orages furieux de l’envie & de l’ignorance, sçachant dans quel port je suis en seureté, & ce que j’ay gaigné auprès de vous, seront ravis de m’avoir fait hazarder* si peu, pour acquérir de si grands trésors. Et certes en quelque degré éminent que la nature ayt eslevés les Princes, & quelques grands qu’ils se soient faits par eux-mesmes, comme il est asseuré que les affections des Rois, bien qu’elles n’augmentent ny leur vertu ny leur mérite, adjoustent de grands ornemens à leur gloire, & la font esclater* avec beaucoup plus d’advantage. Il est aussi très véritable, que quelques excellens que soient les ouvrages du reste des hommes, que l’estime de ces Princes fait leur plus bel esclat* ; & leur support, un puissant bouclier pour les mettre à couvert des trais* de la médisance, & de la jalousie : Et quiconque se peut vanter comme moy de posséder ces faveurs, comme il n’a rien plus à craindre, il n’a rien plus à souhaiter.
Ce n’est pas (MONSEIGNEVR) que j’eusse eu la témérité de croire que ce bien me pût arriver, ou que mon imagination se fust jamais flatee d’une prétention si haute, si vostre propre bouche ne m’eust asseuré que quelques petits & inutiles que soient mes devoirs &. mes services, ils vous seraient toutesfois agréables, & que je ne vous offencerois point en vous offrant une chose que vous avez estimée digne du jour : J'ay obey à cette voix, & je vous l’offre avec ma vie ; c’est peu pour un Prince : mais c’est tout ce que vous peut offrir,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur,
DE MONLEON.
AU LECTEUR. §
Si je t’avois donné cette Tragédie de la façon que Carcinome102, ou Seneque103 l’ont traittee, peut-estre (Lecteur) y aurois-tu trouvé plus d’agreemens, & peut-estre aussi l’aurois tu estimée trop nue pour le Théâtre d’aujourd’huy. Les Grecs & les Latins ont fait à la Grecque, & à la Romaine, ce que je fais à la Françoise, & comme les esprits de ce temps embrassent davantage, il a fallu aussi dequoy davantage les contenter : J'ay tasché à le faire, non pas sans beaucoup de peine & de sueur, par l’entreprise d’un ouvrage ou plusieurs se sont lassez104, et le peu de matière, et l’horreur du sujet ayant arresté leur plume ; m’ont fait prendre la mienne à dessein de rendre supportable aux yeux, & aux cœurs des moins cruels de la Nature, ce que la Nature mesme abhorre, & ce qu’on n’auroit jamais peu croire s’il n’estoit arrivé dans la race de Tantale.105
On m’a voulu persuader que cet effort avoit favorablement réussi : Mais quand je considère mes forces, et le grand personnage qu’il m’a fallu soustenir106, soit dans la disposition de l’Histoire, dans les pensées, ou dans les raisonnemens, une frayeur me saisit ; je rends les armes premier que* de combatre ; & si l’on tient pour fabuleux ce qu’Homère assure de ces Dieux qui combatoient pour les hommes, je n’ay pas dequoy soustenir leur opinion, & ma vanité ne m’aveugle pas jusques au poinct de les croire.
Quoy qu’il en soit, (Lecteur) & quelque jugement que tu en fasses, apprens que la disposition du sujet est absolument mienne107, et que j’ay eslevé sur le fondement de l’histoire & de l’antiquité un ouvrage à la moderne. Les enrichissemens que j’ay rencontrez parmy leurs matériaux en font l’embellissement ; et bien que je me sois rendu plus prodigue qu’eux à m’estendre, pour contenter les esprits de ce siècle108, je n’ay pas toutefois voulu sortir de leurs estroites règles109 qui me semblent si judicieuses, & si parfaites, que sans elles, (quoy qu’au jugement de plusieurs, il s’en rencontre tous les jours) j’ay de la peine à croire qu’aucun Poëme puisse estre agréable. Regarde donc si j’auray péché contre mon dessein ; monstre moy charitablement mes deffauts, alors tu recognoistras par mes actions de grâce, & de combien je te seray obligé, & combien me sera douce cette correction. Je laisse dans leurs foiblesses, et leur bigearreries* ceux qui s’estiment parfaicts, leurs cerveaux ont besoin d’hellébore110, et tels esprits sont plus dignes de blasme que de louange : quand on présume moins de soy, on mérite davantage, & par la seule humilité nous nous eslevons au trosne de la gloire.
Parle donc hardiment, je suis exempt de cette erreur, & de ce crime, & pour t’en asseurer, je sçay que je suis homme.
Extraict du Privilège du Roy. §
Par grâce et privilège du Roy, il est permis à Pierre Guillemot Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer un livre intitulé Le Thyeste, Tragédie, compose par le Sieur de Monleon : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs d’imprimer, ou faire imprimer, vendre ny distribuer aucun desdits Livres, sans sa permission, ou de ceux qui auront droict de lui, & ce pendant le temps & espace de huit ans, à compter du jour que ledit Livre sera parachevé d’imprimer pour la première fois, à peine aux contrevenans, de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires qui se trouveront contrefaits & de tous despens ; dommages & intérests, ainsi qu’il est contenu plus au long ausdites Lettres de Privilège. Donné à Paris le sixiesme d’Aoust mil six cent trente-huict. Par le Roy en son conseil, Signé
CONRART.
Achevé d’imprimer le 9. Aoust 1638,
Quelques fautes reconnues depuis l’Errata. §
Page 81. il y a changer, il faut charger. Page 88. Scène 2. Criton sans voir Atree s’est estonné, il faut mettre est.
ERRATA §
Lecteur, je te laisse des fautes que je n’ai point reconnues, et qui sont miennes, tu les corrigeras, s’il te plaist : pour celles de l’imprimeur, elles sont les moindres, tu suppléeras en lisant quelques syllabes qu’il a obmises, et changeras plusieurs lettres qui font une autre prononciation. A la page 6, vers 6 il y a fefons pour fesons. Page 46, vers 1 noyoit dans, il faut dedans. Page 48. il y a deux fois ces, dans la page 93. A la marge, après trois ou quatre verres, il faut adjouster il se lesve : ainsi plusieurs autres de cette qualité, ausquelles on peut suppléer, & ce qui me semblent de peu d’importance.
ACTEURS.111 §
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
ATREE seul.
SCENE SECONDE. §
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
CRITON.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE, il resve* quelque temps.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
LETTRE DE THYESTE A ATREE.144
THYESTE.
CRITON.
Je plains sonATREE.
CRITON.
CRITON.
ATREE.
SCENE III. §
ATREE seul.
SCENE IV. §
ATREE.
MELINTHE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
Ah croyance légère !MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
SCENE V. §
MELINTHE seule.
SCENE VI. §
MELINTHE.
CRITON, il porte des fruits empoisonnez.
MELINTHE.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
CRITON.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
MELINTHE.
CRITON.
SCENE VII. §
CRITON seul.
SCENE VIII. §
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
CRITON.
LYCOSTENE.
SCENE II. §
ATREE.
LYCOSTENE.
ATREE.
LYCOSTENE.
ATREE.
LYCOSTENE.
ATREE.
LYCOSTENE.
SCENE III. §
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
SCENE IV. §
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
CRITON.
SCENE V. §
ATREE.
ORONTE.
ATREE.
ORONTE.
ATREE.
ORONTE.
ATREE.
SCENE VI. §
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
SCENE VII. §
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
THEANDRE ET LYSIS.
ATREE.
THEOMBRE.
ATREE.
SCENE VIII. §
MEROPE.
MELINTHE.
MEROPE.
MELINTHE.
MELINTHE.
MEROPE.
MELINTHE.
MEROPE.
MELINTHE.
MEROPE.
THEANDRE ET LYSIS.
MEROPE.
Il faut donc à monMELINTHE.
MEROPE.
THEOMBRE.
MEROPE.
THEOMBRE.
Autant comme à luy-mesme.MEROPE.
THEOMBRE.
MEROPE.
MELINTHE.
MEROPE.
THEOMBRE.
MEROPE.
MELINTHE.
SCENE IX. §
MELINTHE.
MEROPE.
MELINTHE.
SCENE X. §
MELINTHE seule.
Ces véritablesFin du Second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
ATREE seul.
SCENE II. §
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
CRITON.
SCENE III. §
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
Son amour partageeATREE.
MELINTHE.
ATREE.
CRITON.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
C'est assez à tout cecy, Theombre.CRITON.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
MELINTHE.
ATREE.
SCENE IV. §
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
CRITON.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
SCENE V. §
CRITON.
MEROPE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
ATREE.
MEROPE.
ATREE.
Toy-mesme as fait leSCENE VI. §
MEROPE seule.
SCENE VII. §
CRITON.
MEROPE.
CRITON.
MEROPE.
CRITON.
MEROPE.
Fin du troisiesme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
THYESTE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE
LYCOSTENE.
THYESTE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
SCENE II. §
CRITON, voulant sortir apperçoit Thyeste.
THYESTE.
CRITON.
THYESTE.
THYESTE.
CRITON.
THYESTE.
CRITON.
TropTHYESTE.
CRITON
THYESTE.
SCENE III. §
LYCOSTENE.
LYCOSTENE.
THYESTE.
ATREE, du sueil de la porte.
THYESTE, regardant le tableau.
LYCOSTENE
THYESTE.
ATREE, à part.
THYESTE, continuant sans voir Atree, & regardant tousjours le tableau.
ATREE, à part.
THYESTE
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
SCENE IV. §
CRITON seul.
SCENE V. §
CRITON.
ORONTE.
ORONTE.
CRITON.
CRITON.
ORONTE.
CRITON.
ORONTE.
ORONTE.
Fin du quatriesme Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE. §
ATREE seul.
SCENE II. §
CRITON, sans voir Atree, est estonné* de voir une profonde nuict, lors que* le Soleil devoit faire plus de jour.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
ATREE.
CRITON.
Il aura bien tost fait.ATREE.
CRITON.
ATREE.
SCENE III. §
CRITON, continuant
Mais ce PrinceTHYESTE, Il se lesve.298
SCENE IV.300 §
THYESTE.
CRITON.
Mais vient-il en ces lieuxTHYESTE.
CRITON.
THYESTE.
CRITON.
THYESTE.
CRITON.
THYESTE.
SCENE V §
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
THYESTE.
ATREE.
FIN
Glossaire §
Sigles des ouvrages consultés :
(F) désigne le Dictionnaire Universel de Antoine Furetière, 1690.
(R) désigne le Dictionnaire français de Richelet, 1680.
(A) désigne le Dictionnaire de l’Académie Française, 1694.
Dans le texte établi de la pièce, nous avons signalé d’un astérisque les termes dont les acceptions sont différentes de celles d’aujourd’hui. Cependant, pour une definition exhaustive de ces termes, nous avons parfois signalé les occurrences où ces mots ont le même emploi qu’aujourd’hui afin de relever les usages polysémiques qu’en pouvait faire l’auteur (ces occurrences ne sont pas distinguées par un astérisque dans le texte de la pièce).
Ex : « courage »
- doublet de « cœur » au vers 766 (signalé par /*/) ;
- « vaillance » au vers 90 (sans /*/).
Appendice 1 : le mythe de Thieste §
Le péché originel §
Les malédictions qui touchent et déciment une famille grecque prennent leur origine dans une infraction première. Ainsi, pour comprendre la rivalité des frères ennemis Labdacides, Etéocle et Polynice, il nous faut connaître les crimes perpétrés par leur père Œdipe et leur grand-père Laïus - ce dernier ayant enfreint l’ordre d’Apollon qui lui avait interdit de procréer sous peine d’engendrer son propre criminel. De la même manière, pour comprendre la haine qui lie les deux autres frères ennemis de la mythologie grecque, Atrée et Thyeste, il nous faut connaître les sacrilèges commis par leur père Pélops et grand-père Tantale.
Tantale, fils de Zeus et roi de Lydie, avait le privilège de manger à la table des Dieux et de pouvoir goûter ce que seuls les immortels pouvaient goûter, le nectar et l’ambroisie. Tantale les déroba pour les faire goûter aux mortels. Mais ce ne fut pas le moindre de ses forfaits: il offrit aux Dieux un festin composé des morceaux bouillis de son fils, Pélops326. Découvrant la nature de ce mets, les Dieux condamnèrent le criminel à demeurer éternellement dans l’Hadès, attaché à un arbre fruitier au pied duquel coulait un ruisseau, en proie à une soif et une faim dévorante qu’il ne pourrait jamais rassasier327. Pélops, lui, fut ramené à la vie, un morceau d’épaule en moins - mangé par Déméter ou Thétis selon les récits - que les Dieux remplacèrent par de l’ivoire.
Pélops eut pour femme Hippodamie 328. Il la conquit après avoir remporté la course de char que son père, le roi de Pise Oinomaos, organisait pour donner la main de sa fille au vainqueur. Mais la course était truquée. Le père d’Hippodamie possédait en effet des chevaux que lui avait offerts Hermès, d’une célérité inégalée - le père remportait donc toujours la victoire. Les futurs amants soudoyèrent Myrtile, le cocher du roi, afin qu’il scie l’essieu du char royal. Ayant remporté la course, Pélops s’en débarrassa. Avant de succomber, Myrtile le maudit ou, selon les récits, c’est Hermès qui le maudit.
Le péché originel des Atrides remonte donc à Tantale et Pélops et devait s’abattre comme une malédiction sur les générations à venir.
Les frères ennemis.329 §
De son mariage avec Hippodamie, Pélops eut plusieurs enfants dont Atrée et Thyeste. Il eut aussi un fils d’une liaison extraconjugale, Chrysippos qu’Atree et Thyeste tuèrent sur ordre de leur mère. Pélops les bannit alors de son royaume et les deux frères se réfugièrent chez leur sœur Nicippe, épouse de Sthénélos, roi de Mycènes. Ils se virent confier le gouvernement de Midée.
Atrée épousa la fille du roi Catrée, Aéropé qu’il avait achetée comme esclave. De leur union naquirent deux fils, Agamemnon et Ménélas (ou selon d’autres récits, leur père, Plisthène). Aéropé tomba amoureuse de Thyeste et devint sa complice, comme Hippodamie de Pélops. Elle l’aida en effet à détrôner son frère en lui volant une toison d’or. Cette toison était celle d’un agneau qu’Atree avait fait vœu de sacrifier à Artémis. Or pour l’éprouver, la déesse lui avait envoyé un agneau dont la toison était d’or et qu’Atree, dans sa cupidité, tua. Il enferma la toison dans un coffre que sa femme Aeropé déroba et donna à Thyeste.
Entre temps, le roi de Mycènes Sthénélos et son seul héritier, moururent. Leurs sujets consultèrent l’oracle de Delphes qui leur suggéra de choisir l’un des deux souverains de Midée. Comme ils ne pouvaient s’accorder dans leur choix, Thyeste proposa que l’on choisît celui qui pourrait montrer une toison d’or. Atrée accepta, pensant en être encore le propriétaire. Mais ce fut évidemment Thyeste qui la leur montra. De ce fait, il devint roi. Cependant, sur les instructions de Zeus qui désapprouvait la relation adultère, Hermès se rendit auprès d’Atrée. Il lui conseilla d’accepter le maintien de Thyeste sur le trône à moins que lui-même pût montrer un prodige encore plus grand : celui de renverser la course du soleil et le sens des Pléiades dans le ciel. Thyeste, pensant que son frère était devenu fou, accepta le défi. Le prodige se réalisa et Thyeste dut céder son trône. Atrée le bannit.
Ce n’est qu’après avoir envoyé son frère en exil qu’Atrée prit connaissance des circonstances du vol de la toison, rendu possible grâce à la relation complice et adultère entre son frère et son épouse (liaison de laquelle étaient nés des fils330). Atrée regretta son indulgence première. Il lui fallait faire revenir Thyeste pour se venger « dignement ». Il lui fit croire à une réconciliation possible et au partage du pouvoir. Thyeste de retour, il s’en suit l’épisode célèbre de l’éclipse du Soleil pendant laquelle Atrée offrit en festin à son frère, ses enfants.
Appendice 2 : structures comparées des Thyeste de Sénèque et Montléon §
Scènes de Sénèque | Scènes directement imitées de Sénèque | Scènes inspirées de Sénèque | Scènes inventées |
Prologue et 1er chant du choeur (v. 1-175) | |||
Atrée (v. 176-204) | I, 1. Atrée | ||
Atrée - Courtisan (v. 205-335) | I, 2. Atrée - Criton III, 4. Récit des forfaits de Thyeste | I, 3. Atrée | I, 4, 5, 6, 8. |
Choeur (v. 336-403) | 1,7. Criton | IIentier
IIIentier sauf scène 2, (voir récit du messager de Sénèque) et 4. |
|
Thyeste - Tantale (fils) (v. 404-490) | IV, l. Thyeste - Lycostène | IV, 2. IV, 3, v. 1198-1214. : scène du tableau | |
Atrée (caché) (v. 490-506) | IV, 3, v 1215-1236 | ||
Atrée - Thyeste (v. 507-545) | IV, 3. v. 1237-1306. | IV, 4, 5. | |
Choeur (v. 546-622) | |||
Chœur - Messager (v. 623-788) récit du sacrifice | III, 2
récit de l’autopsie du médecin |
||
Choeur (v. 789-884) | |||
Atrée (v. 885-919) | V, 1. Atrée. | V, 2. Atrée - Criton | |
Thyeste (v. 920-969) | V, 3 (stances) | V, 4 . Thyeste - Criton | |
Atrée - Thyeste (v. 970-1112) | V, 5, entier sauf scène des rideaux. | V, 5. v. 1567-69 et 1643-46 : 1er et 2nd rideau. |
Appendice 3 : citations du Thyeste de Sénèque dans Le Thyeste de Monléon §
MONLEON
ACTE I, scène 1. Atr. v. 5-6 : Et faisons quelque chose en ce dessein funeste Qui soit digne d’Atree & digne de Thyeste. Atr. v. 12 : J'ay treuvé des repas pour soulager sa faim Atr. v. 22 : Je ne suis point vengé si je ne les surpasse. Acte I, scène 2. Criton, v.29-30 : Craignez qu’un bruit fascheus volant par [la province. Ne trouble le respect que l’on doit à son Prince. Atr, v.31-32 : Les Rois enfans des Dieus peuvent tout icy bas : Leur plaisir sont des Loys... Criton, v. 35-40 A suivre absolument ce qu’ils ont projette Ils forcent bien les corps, mais non la volonté. Autant que sa fureur fait un Roy redoutable, Autant sa courtoisie à tous le rend aimable. Ses noires actions font naistre son mespris, Et sa seule douceur luy gaigne les espris. Atr., v. 45 Qu'ils sortent d’avec moy, qu’un Royaume périsse, Pourveu qu’on n’oste point Thyeste à ma justice Atr., v. 49-52 : A-[t]-il craint d’attenter à ma vie De voiler la toison, & portant son envie Au delà des transpors d’un appétit brutal, De commettre un inceste en mon lict nuptial. Criton, v. 69 : Voulez-vous par le fer en tirer la vengeance ? Atr, v. 58-60 : Tu me parles Criton, de la fin de sa peine ; Je la veus commencer, & qu’un estrange sort Apres mille langueurs le conduise à la mort. Criton, v. 61 : Auriez-vous jusques-là le cœur impitoyable ? Criton/Atrée, v. 69-73 : C- Voulez-vous par le fer en tirer la vengeance ? A- Ce supplice est trop dous pour punir son offence. C- Le feu suffira-[t]-il ? A- Il est trop criminel, Il en faut un plus lent, & qui soit plus cruel. C- Où le trouverez-vous ? A. Dans le mesme Thyeste. Atr., v. 77-85 Mais d’où vient que mes yeux sont couverts d’un [nuage : Un trouble furieus transporte mon courage : La terre sous mes pas tremble d’estonnement ; Le Ciel tonne par tout, & de chaque élément Quelque funeste objet à mes yeux se présente : Mon despit se renflame, &. ma fureur s’augmente : Les Dieus mesme sçachant ce projet furieux, De crainte de le voir ont detorné les yeus. Je le veus, il me plaist, puis qu’il est si terrible. Atr., v. 95-98 Qu'il treuve en ses enfens un délicat morceau ; Que son sein criminel leur serve de tombeau, Que la mère estoufant ce qu’elle a mis au monde, Monstre que ma fureur n’a rien qui la seconde. Criton, v. 99 mais comment [l’atrapper ? Vous en voulez beaucoup Atr, v. 100-104 Par les mesmes moyens dont il nous veut tromper : Ce traistre plein de fourbe en ces lieus s’achemine, Et prétend de treuver sa gloire en ma ruine : L'esclat de ma grandeur esbloùit ces espris, Et par ces faus appas nous l’avons comme pris. Criton, v. 105 Thyeste contre vous a trop de deffiance. Atr., v. 106-108 Un perfide est tousjours de légère croyance. Outre que dés long temps Merope entre mes mains Procure son retour sans sçavoir mes desseins : Lettre de Thyeste à Atrée, v. 136-137 : Mon ame qui suit ce dous gage, Par eus vous monstreroit vostre gloire & ma foy.Acte I, scène 7. Criton, v. 319 et suiv. Si la gloire des Roys a quelque dous appas, Leur vie a des rigueurs que l’on ne connoist pas, Leur grandeur est un roc que la nature mine. Leur sceptre est de roseau, leur coronne est d’espine : Leurs cœurs sont traversés d’incroyables ennuis. S'ils ont quelques beaus jours, ils souffrent mille nuis : Les soubçons, les terreurs, les vengeances, les rages, Sans cesse font en eus de furieus orages. Heureus de qui l’esprit vit sans ambition : Il est Roy véritable, & sa condition Hors de tous les mal-heurs d’une vie importune. Surpasse des grands Roys la gloire & la fortune. ACTE III, scène 2 Atrée, Criton, Mélinthe : récit de l’autopsie (le récit a lieu avant les retrouvailles entre les frères) C : Elle s’esvanouyt comme le Médecin Entre dedans la chambre. A : Achevé : cette fin C : L'estonne, le surprend, & fait qu’il se propose De chercher dans ces corps & l’effet & la cause : On les ouvre aussi-tost, on treuve le poison, La Reyne se resveille & sort de pasmoison. Et d’une voix qui sort à peine de sa bouche, Elle veut exprimer la douleur qui la touche. Puis retournant les yeus de larmes tous couverts, Ainsi qu’elle apperçoit ces deux corps [entr'ouverts, Une estrange douleur s’emparant de son ame, Pour la quatriesme fois encor elle se pasme. ACTE IV, scène 1 THYESTE. Après les longs travaux d’un exil rigoureux, Où mon crime & le sort me rendoient malheureux : Je vous revoy beaux lieux, où jadis ma jeunesse Fist admirer de tous sa force & son adresse. Agréables Palais, superbes bastimens, [...] Tout le peuple d’Argos se présente à ma veuë ; [...] Atree à bras ouverts vient embrasser son frère Atree ? Ah que dis-tu, crains plustost sa colère, Abandonne ces lieux, cherche un autre élément Reprens le premier cours de ton banissement, Visite des forests les cavernes plus sombres, Et préfère à ce lieu la retraite des ombres, Afin que ny l’esclat, ny la pourpre des Rois, Ne vienne à t’esblouyr pour la seconde fois. Mais d’où vient qu’aujourd’duy mon esprit [s’espouvante, Que mon trouble s’accroist, & ma fureur ['augmente, Et mal-gré moy m’emporte. LYCOSTENE. Estrange mouvement, Grand Prince, d’où vient ce transport véhément ? [...] LYCOSTENE. Ce soudain changement rend mes sens esbahys ; Quel accident vous force à quitter le pays : Tout le monde vous veut, un frère vous demande, Son sceptre vous attend. [...] LYCOSTENE. Craindre sans fondement. THYESTE. Il est vray, Lycostene, Je souffre sans sçavoir la cause de ma peine ; J'ignore le soupçon qui me va tormentant, Je ne vois rien à craindre, & si je crains pourtant : De mesme qu’un navire approchant du rivage, Se voit porter ailleurs par les vens & l’orage. Quand je voy ce séjour plein d’amour & d’appas, J'avance, & malgré moy je porte ailleurs mes pas. LYCOSTENE. Surmontons les dangers, suivons nostre fortune, Et foulons sous les pieds cette crainte importune. Les pensers d’un exil troublent vostre bon-heur ; Voyez que ce retour vous prépare d’honneur, Vous pouvez estre Roy. [...] THYESTE. Il ne faut qu’un Soleil pour esclairer les cieux : Un seul bras pour un sceptre LYCOSTENE. Ah desseins furieux ! De deux conditions faut-il choùesir la pire. THYESTE Pensant trouver son bien, on trouve son martyre, Tousjours dans la grandeur comme dessus les flots, Un orage inconnu trouble nostre repos. Ah ! qu’il est bien plus doux, sans crainte de personne, De se nourrir des fruicts que la nature donne, De prendre ses repas en toute seureté, Loin de la perfidie & de la vanité, Qui dedans ces Palais où le luxe & le crime Régnent impunément ; & font tout légitime. J'en sçay l’expérience, & que la trahison Dans une couppe d’or nous donne du poison, Nous prépare la mort, & par ses artifices, Nous la fait avaller avec des délices. Que c’est bien acheter un sceptre chèrement ; Lycostene, croy moy, tout le contentement Est de pouvoir régner sans sceptre & sans coronne. LYCOSTENE. Pourquoy les refuser quand le ciel nous les donne ? THYESTE. Pourquoy les désirer ? LYCOSTENE. Quand un frère le veut, / Luy feriez-vous ce tort. THYESTE. Mais quand il ne se peut. LYCOSTENE. Par ses plus grands désirs, son cœur vous en conjure. THYESTE. Ses vœus me sont suspects, & je crains quelque injure. [...] LYCOSTENE. Que craignez-vous si fort ? THYESTE. Tout ce que l’on peut craindre : Car sa haine est un feu qu’on ne sçauroit esteindre, Il hait autant qu’il peut. LYCOSTENE. Que peut-il contre vous ? THYESTE. Rien du tout ? LYCOSTENE. Pourquoy donc craindre tant son courroux ? THYESTE. Ayant entre ses mains le seul bien qui me reste, Je crains pour mes enfans, & non pas pour Thyeste. LYCOSTENE. Lors que dans des liens le sort nous a jette, Il n’est plus temps de craindre une captivité, Il la fallait prévoir. THYESTE. Tu dis vray, Lycostene : Mais l’amour m’aveugla pour complaire à ma Reyne ; Et ce Dieu maintenant fait voir à mes esprits Des objects de terreur. LYCOSTENE. C'est luy qui vous a pris, / Luy seul vous doit sauver. THYESTE. Mon mal est sans remède, Suivons la volonté du sort qui nous possède : ACTE IV, scène 3, v. 1215 et suiv. ATREE, au sueil de la porte. En fin, il est à nous, & les Dieux immortels Conduisent la victime aux pieds de nos autels Son crime qui ne peut éviter son supplice L'entraîne, & le fait cheoir au fond du précipice. […] ATREE, à part. Un plaisir inconnu me vient entretenir Et mon esprit se peut à peine contenir, Tant la douleur l’agite et la fureur l’emporte. Mais il faut devant lui paroistre d’autre sorte ; Feindre mille regrets, & l’œil couvert de pleurs Tesmoigner qu’on prend part à ses justes douleurs. Voyez comme il commence à paroistre sauvage, Son crime et son exil sont peins sur son visage. Mais je diffère trop à m’approcher de luy. Donc cher frère, je puis après un long ennuy T'embrasser mille fois, & mille fois encore. Te voila de retour, cher frère que j’adore, Et malgré les efforts d’un sort malicieux, La clémence du ciel te redonne à mes yeux. Oublions, oublions nos colères passées, Effaçons ces objects qui troublent nos pensées. [...] THYESTE Vostre amour m’a vaincu, je suis sans résistance ; Si vous estiez moins doux, je serois sans offence. [...] Le Ciel à m’assister se rendrait favorable, Si vostre excez d’amour ne me faisoit coulpable. Mais puis qu’à mon malheur pour estre criminel, Il suffit seulement que vous m’avez creu tel ; [...] Et sans la pieté que vous avez pour nous, Je ne meritois pas un traictement si doux. Je l’implore, mon frère, & si mes justes larmes Manquent pour l’attirer de puissance & de charmes, Par ces pieds que j’embrasse, & ce front glorieux, Perdez le souvenir de mon crime odieux, Octroyez un pardon qu’un frère vous reclame. ATREE / THYESTE, v. 1269 et suiv. ATREE. Gouvernez avec moy toute cette Province, Quittez ces vestemens indignes d’un grand Prince, Et faictes que mes yeux ne soient pas offensez, En voyant quelque object de vos malheurs passez. [...] La coronne aujourd’huy se partage entre nous, Prenez un ornement qui soit digne de vous : Je le dois, je le veux, & ma gloire est extrême, De remettre en commun, un commun diadesme : Le sort nous donne un Sceptre en nous favorisant, Et c’est une vertu que d’en faire un présent. THYESTE. Que le Ciel recompense un Monarque invincible : Mais à tous vos presens mon cœur est insensible : [...] Cette main fuit le sceptre, & mon cœur solitaire Parmy tant de grandeurs commence à se déplaire ATREE. Le Royaume est à deux, & vous y succédez. THYESTE. Le Royaume est à moy quand vous le possédez. ATREE. Dieux, à qui fust jamais cette grâce importune ! Et qui la hait : THYESTE. Celuy qui connoist la fortune : Qui sçait son mouvement, & son cours incertain ; Aujourd’huy flatte-[t]-elle, elle trahit demain. ATREE. Quoy ? me frustrerez-vous du bien de mon attente. THYESTE. Vostre gloire est parfaite, & mon ame est contente. ATREE. Donc vous ne voulez pas une fois m’obliger, THYESTE. Ce faiz est trop pesant, je ne m’en puis charger. ATREE. Mesprises la coronne, & je quitte la mienne. THYESTE. Je l’accepteray donc : mais quoy que je la tienne, Ne penses-pas mon frère, avoir un autre Roy, Vous seul commanderez, je suivray vostre loy. ATREE. A peine mon esprit se contient dans la joye, Acceptez les presens que le Ciel vous envoyé, Allons sur les autels d’un cœur devotieux, Pour cet heureux retour rendre grâce aux Dieux. Mais pour plus dignement célébrer cette feste, Criton, soyez soigneux que le festin s’appreste. ACTE V, scène 1. Atrée, scène 1. QUEL bon-heur fut jamais à mon bon-heur pareil ? Quel Monarque aujourd’huy regarde le Soleil Avecque plus de gloire & moins de jalousie, Ny l’excez du plaisir dont mon ame est saisie, Ny l’extrême douceur de son ravissement, N'ont rien à souhaiter dans leur contentement. Je suis presque assouvy ; cette belle victoire Establit mon repos, & fait naistre ma gloire : [...] Et ma félicité qui n’a point de seconde, Me rend le plus heureux & le plus grand du monde. Mais tu raisonnes mal, ton sort n’est point changé, Puis que ton cœur n’est pas entièrement vengé, Tu vis infortuné, ta gloire est imparfaite, Tenant à ce captif ta vengeance secrette : Si tu veux triompher monstre luy ses malheurs, Ta victoire despend de ses seules douleurs. Voy-tu pas que le jour dans de profonds abysmes S'est caché seulement pour mieux cacher vos [crimes : Le Soleil ne luit plus, & cette obscurité Sollicite ton ame à cette cruauté. Achevé Atree, achevé un dessein si funeste, Employé à te venger la fureur qui te reste, Le temps te le permet ; & si tu ne peux pas Devant des Dieux craintifs exposer ce repas, Contente-toy qu’un père en ces lieux détestables, Voye en despit du jour ces objects effroyables. Retire cet esprit de son aveuglement, Fais luy, fais luy sentir son crime & son tourment, Que de ces doux objects on contente sa veuë, Et qu’il voye à quel poinct ma vengeance est venue. Atrée, scène 2, v. 1415 et suiv : Il jouyt trop long-temps de ce contentement, Il faut le retirer de son aveuglement, Cet aymable désir sollicite mon ame, Et mon cœur embrazé d’une si douce flame, Condamne à tous momens, les momens que je perds. Il est temps, il est temps que tout cet Univers, Qui sçait de mes despits la cause sans exemple, Dedans mes cruautez aujourd’huy me contemple : C'est assez se soulier d’un horrible repas, Il troublerait ses sens, & je ne le veux pas : Car pour punir son crime, & venger mon offence, J'ay besoin de Thyeste & de sa connaissance. Amy, voicy dequoy nous rendre triomphans, Il luy monstre un vase que portoit un Page où estoit le sang amassé de ces deux enfans. Ce breuvage amassé du sang de deux enfans, Pour me faire raison, dans ce cœur plein de rage, Sous la couleur du vin treuvera son passage. Allons donc de ce pas assouvir tous nos vœux ; Ce ne m’est pas assez de le voir malheureux, Mon despit est plus grand, & plus grand mon ouvrage, Je veux voir en naissant sa misère & sa rage. Acte V, scène 4. CRITON, v. 1445-1448. Mais ce Prince repose, Il est dessus le lict le front couvert de rose. Dieux qu’il est bien changé de port & d’ornement, De celuy qu’il estoit dans son bannissement. STANCES de THYESTE, v. 1479-1490 : Mais de quelque contentement Dont le destin flatte mon ame, Un bourreau contre-elle s’enflame, Et l’attaque secrettement. Elle se ressouvient de sa faute passée, Et tousjours mon exil revient en ma pensée, Mes yeux sans y songer laissent couler des pleurs ; Et lors que le plaisir attire ma parole, Un soupir sans dessein avec elle s’envolle, Et je croy qu’il m’annonce encores des malheurs. Et bien, suivons ces loix qu’on ne sçauroit enfraindre, Tu t’avises trop tard, il n’est plus temps de craindre Acte V, scène 5. Atrée, v. 1512-1516 Cher frère, par l’excez de nos contentemens, Et par les doux plaisirs où le sort nous appelle, Rendons de ce beau jour la mémoire éternelle ; Finissons nos malheurs, & goustons désormais Les aymables douceurs d’une immortelle paix. Thyeste, v. 1516-1520 : Ma gloire est sans seconde, & vostre grâce extrême : Mais pour faire aujourd’huy que tout en soit de mesme Et rendre nos plaisirs de nos maux triomphans, Que la Reyne mandée ameine ses enfans. Atrée, v. 1521-1529 : Noble ressentiment, affection d’un père, Vous voulez vos enfans, vous les aurez mon frère, Jamais ils ne seront de vos bras arrachez ; Ces objets à vos yeux ne seront point cachez, Et baisant à louezir leur aymable visage, Vous vous en soullerez* : mais tandis que ce Page, Ira leur tesmoigner quel est vostre dessain : Noyons tous nos soucis, prenons la couppe en main, Renouvelions l’amour que le Ciel renouvelle. Thyeste, v. 1530 et suiv. Acceptons le présent d’une amour fraternelle, Et versons dans ces lieux qui serviront d’autels, Les honneurs que l’on doit aux mânes paternels. Mais d’où vient que ma main en ce beau sacrifice, Refuse à mes désirs un si divin office ; Ce fardeau la surcharge, & croit à tous momens, Le vin fuit de ma bouche, & les contentemens S'esloignent de mon cœur ; ce tremblement de terre M'est l’augure certain de quelque horrible guerre : Les Astres retirez laissent le firmament. Ah grand Dieu ! sur ce corps vengez-vous seulement, Pardonnez aux enfans, rendez-moy ces doux gages. v. 1542 et suiv. ATREE. Vous aurez dedans peu ces précieux hostages. THYESTE Las ! qui dedans mes sens excite tant de flots, Quel secret desplaisir trouble ainsi mon repos ; Sous le fais des douleurs mon ame est abbatuë, Et mon cœur est chargé d’un fardeau qui le tue : Je pleure sans pleurer, &. les plaintes que j’oy, Quoy qu’elles soient dans moy, ne viennent pas de moy. Merope, chers enfans, de vostre seule veuë Despend la guerison du regret qui me tuë. Mais d’où me parlent-ils ? ATREE. Que ne tends-tu les bras ? Ils sont desja venus ne les connois-tu pas. THYESTE. Je reconnois mon frère, ame noire & perfide ; Terre, peux-tu souffrir ce cruel homicide ? Que n’ouvres-tu ton sein afin de l’engloutir : L'un ou l’autre de nous devoit desja sentir Dans le fond des enfers & de leurs précipices, Pires que leurs ayeuls, de plus cruels supplices. Si le Ciel pour punir leurs crimes odieux, Pour eux tant seulement n’a point fait d’autres lieux ; Ta masse incessamment roulant dessus nos testes, Et du noir Acheron les plus noires tempestes, Et d’un fleuve de feu les sablons consommans, Sont pour nous chastier de trop foibles tormens : Mais tout à mon malheur insensible demeure, Je le vois, & le Ciel ne veut pas que je meure. ATREE. Il tire un rideau, & fait voir la teste, les bras & les pieds de ces enfans sur une table dans un plat bassin. Mon frère que ton cœur soit un peu plus remis ; Tu veux tes chers enfans, je te les ay promis : Reçoy sans différer l’effet de ma promesse. THYESTE. Voila les noirs effets d’une ame vengeresse, D'une haine brutale ; & d’un Prince sans foy Je ne demande pas ce qui fait contre toy, Ou qui puisse empescher ta vengeance exécrable, Mais de ces innocens le reste desplorable : Non point pour conserver ce trésor précieux, Mais afin de le perdre, & le perdre à tes yeux. ATREE. Ton ame injustement contre ma foy déteste, Tu vois ce que j’en ay, tu tiens tout ce qui reste. THYESTE. Sont-ils point les repas des loups ou des corbeaux, Ou les reserve-t-on à des monstres nouveaux. ATREE. Pourquoy veux-tu sçavoir ma vengeance & ta rage. Tu les viens de manger, en veux-tu davantage. THYESTE. Et c’est là le sujet qui force tous les Dieux De s’esloigner de nous, & de quitter ces lieux, Et qui changeant le jour en une nuict obscure, A confondu les loix de toute la nature [...] Helas ! quelles douleurs monstreront mes attaintes, Et quels cris suffiront à faire voir mes plaintes : Leurs pieds, leurs mains, leurs bras que l’on m’avoit [cachez, Et leurs chefs innocens de leurs troncs arrachez, N'ont peu soulier ma faim, ny dedans mes entrailles Treuver un monument propre à leurs funérailles. Le reste encor vivant m’agite incessamment, Et mon crime à sortir s’efforce vainement, Il me ronge le sein, quelle estrange advanture, Donne un mesme Cousteau, j’en feray l’ouverture, Encores criminel & rougy de leur sang, Il transpercera mieux ce détestable flanc. [...] Tu ris de mes douleurs, tu ris de mes dessains, Au refus de ce traistre assistez-moy mes mains. Mais helas ! pardonnons à ces ombres fidelles, Que rien que mon amour n’a faites criminelles, [...] J'ay mangé mes enfans ? horreurs ! forceneries, Tu te pouvois venger par de moindres furies. ATREE. Si je t’avois puny moins rigoureusement, Ma vengeance seroit sans son contentement : Je n’ay fait qu’à demy ce que je voulois faire : Il falloit, il falloit, pour soulier ma colère, Et pour plaire aux transpors qui me vont assaillant, T'enyvrer de leur sang tout fumeux & bouillant, Leur livrer à tes yeux milles nouvelles géhennes, Et les faire passer tous vivans dans tes veines. Mais tous ces vains propos, & si remplis d’horreur, Ne sont que les tesmoins de ma juste fureur. J'ay moy-mesme arraché le coeur à ces infâmes ; J'ay moy-mesme allumé les charbons & les fiâmes, Sur qui j’ay veu rostir les mets qui t’ont repeu ; Un père l’eust mieux fait, mais il ne s’est pas peu, Et de ce doux plaisir ma vengeance est frustrée. Il est vray que soullant sa faim démesurée, Luy-mesme a deschiré ces morceaux délicats ; Mais c’estoit sans douleur ne les connoissant pas. THYESTE, v 1668-1690. Toy seul des immortels qui connois mes ennuis, Et qui vois de mon sort la violence extrême, Monstre icy les effets de ton pouvoir suprême ; Que tous les elemens soient sans ordre & sans rang ; Fais gresler des cailloux, & fais pleuvoir du sang, Permets à tous les vens de se faire la guerre, Cependant que ta main avecque ce tonnerre, Dont Offe & Pelion malgré tous leurs démons, Et leurs cruels Tytans aussi grands que leurs mons. Furent faits les tombeaux de ces corps que la foudre, Pour punir leur orgueil avoient réduis en poudre, [...] Et si tu me veux seul, je suis le seul coulpable. Tonne, esclaire, fouldroye ; un corps si malheureux Ne sçauroit ressentir un coup trop rigoureux : Que ton feu me consomme, & me réduise en cendre. Aussi bien si tu veux que Lysis &Theandre Reçoivent les faveurs de ce doux élément, Tu me dois consommer, je suis leur monument, ATREE / THYESTE, v. 1655-1664 [...] 1699-1702 : T ; Grands Oieus, vangés pour moy cet horrible [repas. A : Et les Dieux de l’Hymen ne me vengent-ils pas. T : Qui compensa jamais un crime par un crime. A : Moy, moy ; mais ce n’est pas la cause légitime Du despit furieux qui trouble tes esprits ; Tu voulois prendre Atree, & c’est luy qui t’a [pris : Tu voulois le premier exposer sur sa table Ce présent gratieux, ce mets incomparable ; Et ta douleur n’est pas de l’avoir dévoré, Mais de voir ce repas sans l’avoir préparé : [...] T : Dieux qui voyez l’horreur d’un crime si nouveau, Je vous laisse à punir cet infâme bourreau. A : Contant d’avoir porté ma vengeance à l’extrême, Je laisse à tes enfans à te punir toy-mesme. |
SENEQUE (trad. F.-R. Chaumartin. Ed. des Belles Lettres, 2000) Atr. v. 271 : Est bien digne d’Atrée et digne de Thyeste ce forfait que l’un comme l’autre est capable d’accomplir. La Furie à l’ombre de Tantale, v. 64 : Je t’ai accordé un jour de liberté et t’ai donné licence d’assouvir ta faim à cette table. Atr. v. 195-196 : on ne se venge d’actes criminels que si on les surpasse. Satelles (le courtisan), v. 204 : Le jugement hostile de ton peuple ne t’effraie pas du tout ? Atr., v. 217-218: Pureté, piété loyauté sont des biens privés : les Rois doivent aller au gré de leur bon plaisir. Sat., 207-210 : Ceux que la terreur contraint aux louanges, la terreur nourrit aussi leur inimitié. Mais celui qui aspire à la gloire d’une vraie popularité voudra les louanges des cceurs plutôt que celles de voix. Atr., 190-191 Cette puissante demeure de l’illustre Pélops, qu’elle s’écroule d’elle-même, fût-ce sur moi, pourvu qu’elle s’écroule sur mon frère. Atr., v. 222-223 : Il a enlevé mon épouse par un adultère et mon pouvoir par un vol. Sat., v. 245. Tue-le par le glaive pour qu’il rende ce souffle que tu hais. Atr., v. 246. Tu parles de la fin du supplice ; moi c’est un supplice que je veux. Sat., v. 249. Aucun sentiment de piété ne t’inspire ? Atr. / Sat., v. 254-259 : Le fer ? C'est trop peu. Le feu ? C'est encore trop peu. -De quelle arme usera donc une si violente rancœur ? -De Thyeste lui même. Atr., v. 260-274. Une agitation délirante secoue mon cœur et le bouleverse profondément ; je suis emporté et je ne sais où, mais je suis emporté. Le sol mugit depuis ses profondeurs, le ciel serein tonne, la maison a craqué comme si toute sa toiture s’était fracassée, les Lares ébranlés ont détourné leur visage. Que se produise, que se produise ce sacrilège dont vous avez peur ô dieux. Atr., 276-278. Que leur père déchire avec avidité et avec joie ses enfants et dévore sa propre chair. Sat. 286-288. Mais quelles ruses réussiront à le prendre, à lui faire mettre le pied dans vos filets ? Il croit que tout lui est ennemi Atr., v. 288-291. Il ne pourrait être pris s’il ne voulait prendre. II espère maintenant mon royaume. Cet espoir le fera affronter les menaces d’un tourbillon (...) cet espoir le poussera à ce qu’il estime être le plus grand mal, voir son frère. Sat, v. 293-294. Qui lui donnera confiance en la paix ? Qui lui fera croire à une surprise de cette taille ? Atr, v. 295-297. Un espoir pervers est crédule C'est à mes enfants pourtant que je confierai ce message, pour qu’ils le portent à leur oncle. Thyeste à Atrée, v. 521 : Accepte comme gage de ma parole donnée, ces innocents, frère. Le Chœur, v. 348-350. le roi est celui qui s’est libéré de ses craintes et des maux rongeant un cœur cruel ; celui que ne séduisent ni l’ambition incontrôlée... Le Chœur : v. 388-389. Est roi qui sera sans crainte, est roi qui sera sans désir. Messager : récit du sacrifice, v. 689 et suiv. (le récit a lieu après les retrouvailles entre les frères) mais le sauvage lui a enfoncé son épée dans le corps et pénétrant au plus profond, il a fouillé de la main sa gorge : le glaive retiré, le cadavre est resté debout et, après avoir hésité longtemps s’il tomberait d’un côté ou de l’autre, il tombe sur son oncle. Thyeste/Tantale, v. 404-490. THYESTES Toits désirés de ma patrie, splendeurs d’Argos, et, bien le plus haut et le plus grand pour de misérables exilés [...] Argos viendra à ma rencontre, son peuple viendra à ma rencontre en foule - oui mais aussi Atrée. Regagne plutôt tes refuges [...] cette splendeur glorieuse du pouvoir royal ne doit pas offusquer ta vue de son faux éclat [...] Naguère, j’ai été vaillant et joyeux, maintenant, je reviens à mes terreurs : mon cœur se fige et désire ramener en arrière mon corps, je cherche à bouger un pied résiste. TANTALE Qu'est-ce ? Mon père demeure immobile TANTALE. Quelle raison te contraint père à porter tes pas loin de ta patrie au moment où tu la vois ? Pourquoi refuses-tu à accueillir de si grands biens. Ton frère a mis de côté sa rage, il te revient, il te remet une part du pouvoir, réunit les membres de notre famille déchirée et te restitue à toi-même. THYESTE Tu veux connaître la raison de ma crainte, quand je l’ignore moi-même. Je ne vois rien à craindre mais pourtant je crains (...) Ainsi le courant résistant aux rameurs et aux voiles, porte en arrière un vaisseau que poussent rameurs et voiles. TANTALE Triomphe de tout ce qui fait obstacle et entrave ta volonté et aie sous les yeux tous les magnifiques privilèges qui t’attendent à ton retour. Père, tu peux régner. [...] THYESTE Le pouvoir royal ne tolère pas deux maîtres. TANTALE Quand peut être heureux, préfère-t-on être malheureux ? THYESTE Crois-moi, c’est par de fausses apparences que nous plaisent les grandeurs, c’est à tort que l’on craint une vie sans confort. Tant que je me suis trouvé au sommet, je n’ai jamais cessé d’être dans l’épouvante et de craindre jusqu’à l’épée que je portais à mon flanc. O quel grand bien c’est de ne faire de mal à personne, de prendre en sûreté ses repas, étendus à même le sol. Les crimes n’entrent pas dans les chaumières et on prend, en toute sécurité, sa nourriture sur une humble table, le poison se boit dans l’or. Je parle d’expérience. [...] TANTALE. On ne doit pas refuser le pouvoir si un dieu nous le donne. THYESTE. Ni le convoiter TANTALE. Ton frère t’appelle à régner. THYESTE. Il m’appelle ? On doit avoir peur. Quelque piège rode ici. TANTALE. Il n’est pas rare de voir l’affection revenir dans un cœur d’où elle a été chassée et un amour légitime retrouve ses forces perdues. THYESTE. Mon frère aime Thyeste ? Auparavant la mer baignera les Ourses célestes et l’on dévorante du courant sicilien s’arrêtera [...] TANTALE. Quelle perfidie crains-tu donc ? THYESTE Toutes. Quelle mesure pourras-je fixer à ma crainte ? Sa puissance est aussi grande que sa haine. TANTALE Que peut-il contre toi ? THYESTE Pour moi je ne redoute rien : c’est vous qui me faites craindre Atrée. TANTALE Tu crains d’être trompé quand tu es sur tes gardes ? THYESTE Il est bien tard pour prendre garde, quand on est plongé dans le mal. Qu'on aille ! Pourtant moi, votre père, je vous prends à témoin d’une seule chose, je vous suis, je ne vous guide pas. TANTALE La divinité aura des égards pour tes bonnes intentions. Poursuis ta route d’un pas assuré. ATREE, v. 491-511. Le fauve est tenu enfermé dans les filets que j’ai posés : je le vois en personne et avec lui, tout à côté du père, l’avenir de cette odieuse race. Désormais mes haines sont en lieu sûr. Thyeste est enfin tombé dans mes mains, il y est tombé et vraiment tout entier. J'ai peine à modérer mes ardeurs, mon ardeur a peine à tolérer un frein [...] Lorsque la rage respire du sang, elle ne sait pas se cacher ; cachons-la pourtant. Regarde comme sa chevelure, lourde d’une crasse abondante, recouvre son visage affligé, comme sa barbe s’étale, hideuse. Donnons lui notre parole. J'ai joie à voir mon frère. Rends-moi des étreintes tant désirées. Que disparaissent toutes nos haines passées ; à partie de ce jour honorons notre sang et notre affection et notre affection, condamnons nos haines, bannissons-les de nos coeurs. THYESTE, v. 512-521. Je pourrais me disculper complètement si tu n’étais pas tel que tu es. Mais je l’avoue, Atrée, je l’avoue, j’ai commis les actions dont tu m’as cru coupable. L'affection que tu me montres en ce jour a rendu ma cause fort mauvaise. Est radicalement coupable quiconque a paru coupable à un si bon frère. Il faut plaider avec mes larmes : tu es le premier à me voir suppliant ; ces mains qui te supplient n’ont jamais touché de pieds ; renonce à toute rage, retranche de ton cœur ton emportement, fais-le disparaître. Accepte comme gages de ma parole ces innocents, frère. ATREE / THYESTE, v. 522-546. ATREE. Ote ta main de mes genoux et viens plutôt chercher mes étreintes. Vous aussi jeunes gens, soutiens de la vieillesse, pendez vous tous deux à mon cou. Quitte ces vêtements sales, épargne mes yeux, prends des parures égales aux miennes, avec joie viens partager le pouvoir de ton frère. Mon mérite est plus grand de donner à mon frère sauvé sa part de la gloire paternelle. Posséder le pouvoir est un effet du sort, le donner est un acte de vertu. THYESTE. Ma tenue sordide refuse le diadème et ma main infortunée dérobe au sceptre. Permets-moi de demeurer caché au milieu de la foule. ATREE. Un tel royaume eut accueillir deux maîtres. THYESTE. Je crois qu’est à moi, frère, tout ce qui est à toi. ATREE. Qui refuse les présents d’une abondante prospérité. THYESTE. Quiconque a éprouvé combien ils disparaissent facilement. ATREE. Interdis-tu à ton frère de s’acquérir une gloire immense ? THYESTE. Ta gloire est déjà parachevée, le mienne reste à construire : j’ai pris la décision ferme de refuser le pouvoir royal. ATREE. J'abandonnerai la mienne, si tu n’acceptes pas ta part. THYESTE. Je l’accepte : je porterai le nom de roi que tu m’imposes, mais justice et armée seront à ton service comme je le serai moi-même. ATREE. Porte le bandeau dont on ceint ton front vénérable ; moi je vais offrir aux dieux d’en haut les victoires qui leur sont destinées. Atrée, v. 885 et suiv. Je marche égal aux astres et au-dessus de tous atteignant de ma tête altière les hauteurs du firmament. A cette heure, je possède les splendeurs du pouvoir, je possède le trône de mon père. Je donne congé aux dieux : j’ai atteint le sommet de mes vœux. Me voici heureux, comblé, désormais c’est assez, même pour moi. Mais pourquoi serait-ce assez ? Je poursuivrai et je remplirai le père de ses enfants morts. Afin que nulle pudeur ne dressât d’obstacles, le jour s’est retiré : poursuis, tant que le ciel est vide. Ah ! si seulement je pouvais retenir les dieux en fuite, les traîner de force, pour mettre sous leurs yeux à eux tout le festin de a vengeance - mais, et c’est assez que le père le voie ! Même si le jour ne le veut pas, je dissiperai pour toi les ténèbres sous lesquels se cachent tes détresses. ... Voilà trop longtemps que tu es étendu, convive au visage serein et gai : désormais assez a été donné à la table et assez à Bacchus : il faut un Thyeste à jeun pour l’accueil de si grand malheurs. Serviteurs, toute ma troupe, ouvrez les portes du temple, que la maison en fête se montre au grand jour. J'ai joie à voir naître sa souffrance [...] Je ne veux pas le voir malheureux, mais tandis qu’il devient malheureux. Atrée, v. 910 et suiv. Lui-même est étendu sur le dos dans la pourpre et l’or, soutenant de sa main gauche sa tête alourdie par le vin. Il rote. 0 moi le plus grand des êtres célestes, le roi des rois. Je suis parvenu au-delà de mes vœux. Il est repu, il boit du vin dans une vaste coupe d’argent - bois généreusement : il reste encore le sang de tant de victimes ; la couleur d’un vin vieux le dissimulera. Qu'une telle coupe, une telle coupe soit la clôture du repas. Que le père boive le sang des siens que contient ce mélange : il aura bu le mien. Voici que maintenant il entonne des chants, profère de joyeuses paroles et n’est plus guère maître de sa volonté. THYESTE, v. 947-969. Les roses printanieres ont glissé de ma tête, mes cheveux imbibés d’huile d’amome se sont dressés sous la pulsion de terreurs soudaines... ... mes yeux se mouillent de larmes malgré eux, un gémissement fait irruption parmi mes paroles. Le chagrin aime les larmes auxquelles il s’est accoutumé, les malheureux ont une passion funeste pour les pleurs [...] Mon esprit m’envoie des signes du deuil à venir, il a le pressentiment de son futur malheur : une tempête sauvage menace les matelots, lorsqu’en absence de vent se gonfle de flots tranquilles ? Quels deuils, quels tumultes t’imagines-tu dément ? [...] Désormais quel que soit l’objet de tes craintes, il est sans motif ou vient trop tard. ATREE / THYESTE Atrée, v. 970-972 : Célébrons d’un commun accord, frère, ce jour de fête : c’est lui qui doit raffermir mon sceptre et nouer, par une entente franche et solide, les liens d’une paix sûre. Thyeste, v. 973-975 : Tu me rassasies d’un festin et d’une profusion de vin. Un surcroît de plaisir peut m’être encore donné, s’il m’est accordé de savourer mon bonheur en compagnie des miens. Atrée, v. 976-983 : Crois que tes enfants sont ici, sous les étreintes de leur père. Ils sont ici et y resteront ; aucune part de ta descendance ne te sera soustraite. Je te donnerai des visages que tu désires ardemment et, à cette heure, je remplirai le père de tous ses petits. Tu seras rassasié, sois sans criante ! Dans l’immédiat, mêlés aux liens, ils accompagnent les rites charmants d’un repas de jeunes ; mais on les appelle. Prends une coupe de faille, pleine de la liqueur de Bacchus. Thyeste, v. 983-997 : Je le prends ce présent venu du festin que me donne mon frère. Faisons une libation de vin aux dieux de nos pères, puis vidons nos coupes. Mais qu’est-ce ? Mes mains ne veulent pas obéir, le poids de cet objet s’accroît et épuise ma main droite ; la liqueur de Bacchus, quand je l’approche, s’enfuit sur le bord même de mes lèvres [...] la table a bondi sur le sol tremblant. Le feu brille à peine, le ciel lourd reste lui-même interdit de se voir abandonné, à mi-chemin du jour et de la nuit [...] Quel que soit ce prodige, je prie les dieux qu’il épargne mon frère et mes enfants, que toute cette tempête se projette sur ma pauvre tête. Rends-moi tout de suite mes fils. v. 998 et suiv. ATREE Je vais te les rendre et nul jour ne te les enlèvera. THYESTE Quel est ce tumulte qui agite avec farce mes entrailles ? Qu'est-ce qui a tremblé au-dedans de moi ? Je sens un fardeau que je ne peux supporter et ma poitrine gémit d’un gémissement qui ne vient pas de moi. Venez à moi mes enfants, votre malheureux père vous appelle, venez à moi. A votre vue la douleur s’enfuira - D'où lancent-ils des injures ? ATREE Déploie tes étreintes, père. Ils sont là. Est-ce que tu reconnais tes fils ? THYESTE Je reconnais mon frère. Tu endures de porter un si horrible sacrilège, Terre ? Tu ne te plonges pas dans l’infernal Styx avec nous, et en ouvrant une brèche immense, tu n’emportes pas dans le vide du chaos ce royaume avec son roi ? [...] Si quelque endroit existe au-dessous du Tartare, où sont nos aïeux, projette-nous vers 'immense abîme de ton gouffre, enfouis-nous, couvre-nous sous la masse entière de l’Acheron. Que les âmes coupables errent au-dessus de nos têtes et que le Phlégéthon de feu poussant tous ses sables de ses flots brûlants coule impétueusement au-dessus de notre lieu d’exil. Immobile, terre, tu gis comme une masse inerte ? Les dieux ont fui. ATREE Pour l’heure, accueille plutôt avec joie ces êtres longtemps désirés : ton frère ne veut pas te retarder ; jouis d’eux, couvre-les de baisers, répartis tes étreintes entre tous les trois. THYESTE C'est là notre pacte ? C'est là l’amitié, c’est là la parole d’un frère ? [...] en frère, je demande à un frère ce qu’il peut me donner, sans entamer son crime et sa haine : le droit de les ensevelir [...] Rends ce que tu vas voir être consumé aussitôt ; ce que je demande, moi le père, ce n’est pas pour le déposséder, c’est pour le perdre. ATREE Tout ce qui subsiste de tes enfants, tu l’as, Tout ce qui n’en subsistes pas, tu l’as. THYESTE Gisent-ils livrés en pâture aux oiseaux sauvages, sont-ils réservés pour des monstres ou nourrissent-ils des fauves ? ATREE Tu t’es toi-même repu de tes enfants en un festin impie. THYESTE. Tel est l’acte dont les dieux ont eu honte, L'acte qui a chassé le jour et l’a fait reculer vers l’Orient. Quelles paroles ferais-je entendre dans cette détresse, quelles plaintes ? Quels mots pourront me suffire ? J'aperçois leurs têtes tranchées, leurs mains arrachées, les pieds détachés de leurs jambes brisées - voilà ce que l’avidité de leur père n’a pu absorber. Mes entrailles s’agitent au-dedans moi, mon sacrilège enfermé en moi lutte sans trouver d’issue et cherche un moyen de fuir. Donne-moi frère, ton épée ; elle est tout pleine de mon sang : que ce glaive ouvre une voie à mes enfants ! L'épée m’est refusée ? Que ma poitrine résonne sous les coups que je lui donnerai. - Retiens ta main, malheureux, épargnons leurs ombres. Qui a vu un tel sacrilège ? [...] Voici que moi, leur père je pèse sur mes enfants et que mes enfants pèsent sur moi. Existe-t-il quelque mesure pour le crime ? ATREE, v. 1052-1068. On doit conserver une mesure dans le crime, Lorsqu’on le commet mais non lorsqu’on le rend. C'est encore trop peu pour moi : J'aurais dû répandre dans ta bouche le sang encore chaud de leurs blessures, pour te faire boire à flots ce sang, quand ils étaient en vie. Dans ma hâte j’ai frustré ma rage. Je les ai entaillés en plongeant le glaive en eux, je les ai abattus au pieds de l’autel, j’ai apaisé les dieux de mon foyer en leur consacrant ce meurtre et, amputant les corps inanimés, j’ai coupé leurs membres en petits morceaux et je les ais plongés dans des chaudrons bouillants ou les ai réduits à petit feu ; j’ai tranché à vif leurs membres et leurs muscles ; j’ai vu bruire les chairs, transpercées par une mince broche et j’ai, de ma propre mains, attisé les flammes. Toutes opérations que leur père aurait pu mieux accomplir ; sa douleur s’est perdue en vain : il a déchiré ses enfants de sa bouche impie, mais ils ne le savait pas et eux ne le savaient pas ? THYESTE, v. 1077-1095 : Toi, guide suprême du ciel, maître puissant de la céleste cour, développe l’univers tout entier d’affreuses nuées, engage partout la guerre des vents et en tous lieux tonne avec violence non pas de la main dont tu frappes avec des traits légers les toits des maisons innocentes, mais de celle qui fit crouler la triple masse des montagnes et les Géants qui se dressaient aussi haut que ces montagnes, de cette main apprête tes armes et brandis tes feux. [...] Attaque-moi, transperce ma poitrine d’une torche enflammée avec ton trait à la triple pointe. Si moi leur père, je veux donner des funérailles à mes enfants et les livrer au feu suprême, il faut me brûler moi-même. ATREE / THYESTE, v. 1102-1112 : T : Je prends à témoin les dieux protecteurs des devoirs familiaux. A : Et ceux du mariage ? T : Répare-t-on un crime avec un crime ? A : Je sais de quoi tu te plains : avoir été devancé dans le crime te fait mal ; ce qui te tourmente, ce n’est pas d’avoir absorbé ce repas sacrilège, c’est de ne pas l’avoir préparé. Tu avais l’intention d’apprêter de semblable mets pour ton frère à son insu, de mettre la main sur mes enfants avec l’assistance de leur mère et de les abattre en un semblable repas. Une seule pensée t’a retenu : tu as cru qu’ils étaient à toi. T : Les dieux viendront exercer leur vengeance ; je leur confie par ces vœux le soin de te punir. A : Toi c’est à tes enfants que je confie le soin de te punir. |
Appendice 4 : argument du Thyeste de Monléon §
Acte I - Exposition de la vengeance d’Atrée et de ses complices §
Dans son monologue inaugural, Atrée laisse libre cours à sa fureur vengeresse dont il expose les principes : surpasser son aïeul Tantale en commettant un crime inégalé et « perdre les innocents » en sacrifiant les deux enfants incestueux de Thyeste et Mérope (scène 1). Suit la mise à l’épreuve de ses deux complices, Criton et Mélinthe. Atrée commence par Criton. Il lui rappelle les crimes de son frère (vol de la toison, adultère) puis lui dévoile le piège tendu à ce dernier pour le faire revenir à la cour : il lui a proposé le partage du trône et le piège a fonctionné. En témoigne la « Lettre de Thyeste » que lit Atrée où son frère annonce que ses deux enfants le précèdent en gage de bonne volonté. Atrée s’enquiert de la fidélité de son confident. Celui-ci oppose à son roi des arguments d’ordre public et privé : un souverain ne peut commettre un crime, un frère doit pardonner son frère. Mais le confident finit par se rallier à la cause de son roi (scène 2). Criton parti quérir la seconde complice, Atrée seul, effrayé par ses propres desseins se persuade - avec succès - de la nécessité de sacrifier les enfants de son frère (scène 3). Criton revient accompagné de Mélinthe, confidente de la reine Mérope. Atrée, sous la forme d’un chantage à peine déguisé, demande main forte à Mélinthe : soit elle accepte de participer au meurtre des enfants et elle deviendra reine, soit elle refuse et elle mourra (scène 4). Mélinthe, laissée seule, résout ce dilemme en se ralliant à la cause du roi (scène 5). Craignant toutefois de paraître trop prompte et intéressée, elle feint quelques réticences auprès de Criton venu lui apporter les fruits empoisonnés destinés aux enfants. Mélinthe finit par les prendre (scène 6). Criton, resté seul, hésite à son tour (scène 7) lorsque la venue de Lycostène, confident de Thyeste, vient l’interrompre pour annoncer l’arrivée prochaine de son maître. Il lui confirme que Thyeste s’est fait précéder de ses deux enfants (scène 8).
Acte II - Les premières victimes §
Après avoir transmis au roi ces nouvelles, Criton rejoint Lycostène. Celui-ci fait part de son admiration pour la magnanimité d’Atrée que Criton confirme en lui rappelant les témoignages d’amour fraternel de son souverain (scène 1). Atrée confie à Lycostène un message pacifique à l’intention de Thyeste (scène 2). Sitôt le départ du messager, Atrée se réjouit de la bonne marche de son stratagème. Mais Criton lui fait part de ses réserves quant à la loyauté de Mélinthe. Atrée, lui, ne doute pas de l’ambition de cette dernière (scène 3). Justement, elle entre accompagnée de la reine. Atrée rassure Merope sur le destin de son « époux » Thyeste qui sera bientôt de retour (scène 4). Oronte annonce l’arrivée à la Cour de Théandre et Lysis, les deux enfants du couple adultère. Atrée ne les ayant jamais vus questionne Oronte à leur sujet puis l’envoie avec Criton les accueillir (scène 5). Merope déclare à Atrée qu’elle espère que ses enfants sauront plaider la cause de leur père. Atrée réitère quant à lui son impatience de les voir (scène 6). Les deux enfants apparaissent, accompagnés de leur conducteur Théombre. Ils demandent « pardon » pour leur père. Atrée les désigne comme ses héritiers (scène 7). Une fois le roi sorti, Merope demande à ses enfants des nouvelles de leur père. Elle reconnaît en eux les traits de son amant et s’empresse de les embrasser. Mélinthe les attire à elle en leur offrant les fruits empoisonnés. Les deux enfants succombent mais Mélinthe fait croire à la reine qu’il est encore temps de les sauver (scène 8). Criton, attiré par les cris, feint la surprise devant le spectacle funèbre. Il accompagne Merope et ses suivants chercher un Médecin (scène 9). Seule, Mélinthe est assaillie par les remords d’une criminelle. Mais la couronne saura « effacer » le crime devenu légitime d’une future reine (scène 10).
Acte III - La deuxième victime §
Atrée lutte contre des signes de faiblesse et de lâcheté. Il est temps pour lui d’achever son projet et de faire subir à la mère le même sort que ses enfants (scène 1). Criton s’alarme de nouveau de la fureur de son roi, mais lui réitère sa fidélité (scène 2). Mélinthe les rejoint pour confirmer au roi la mort des enfants. Atrée demande à ses deux complices de lui raconter l’épisode de l’empoisonnement auquel il n’a pas assisté et celui de l’autopsie dont Criton « vit le spectacle » : Le médecin ayant découvert le poison et Merope le crime, celle-ci s’étant évanouie quatre fois, se réveillait pour demander à subir le même sort que ses fils. Criton informe ensuite Atrée qu’il s’est « assuré » de Théombre. Mélinthe, quant à elle, réclame son dû. Atrée explique qu’il doit encore s’assurer du trône pour le lui remettre, et lui désigne un lieu de retraite. Mélinthe s’y rendra pour ne plus jamais reparaître... (scène 3). Criton comprend qu’Atrée a condamné Mélinthe et rappelle au roi sa parole. Atrée lui rappelle à son tour comment Mélinthe fut la complice des amants en cachant leurs enfants (scène 4). Merope survient pour demander justice au Roi : qu’il punisse l’empoisonneuse Mélinthe et venge ses héritiers. Atrée lui répond qu’il punira la criminelle mais qu’il n’a perdu aucun héritier. Merope découvre la vengeance d’Atrée. « Toi-même a fait le coup », lui dit-il, en ayant engendré ces enfants (scène 5). Laissée seule, Merope tente de fuir afin de prévenir Thyeste du danger. En vain. Prisonnière, il ne lui reste comme seule issue que le suicide (scène 6). C'est à propos que Criton et Oronte lui font part de la « clémence » du roi : elle a le choix de sa mort, le poignard ou le poison. Mérope, qui avait souhaité suivre ses enfants, se voit donc exaucée. Elle s’empoisonne et expire sur les corps de ses fils (scène 7).
Acte IV - La dernière victime : les retrouvailles §
De retour d’exil, Thyeste retrouve Mycènes avec bonheur. Cependant, il appréhende la cour. Lycostène le rassure en lui rappelant qu’il sera roi. Thyeste répond que la vie d’un roi est sans repos. De plus, connaissant son frère, il pressent un piège. Lycostène rappelle les vœux de réconciliation d’Atrée. Thyeste les met en doute mais se résout à pénétrer dans le palais car s’il ne craint rien pour lui, du moins craint-il pour ses enfants (scène 1). Criton, surpris par ce retour prématuré les accueille mais tâche de retarder leur entrée. Puis il se presse d’avertir le roi (scène 2). Thyeste et Lycostène déambulent dans une salle du palais où Thyeste remarque un tableau représentant deux frères qui s’étreignent, l’un des deux poignardant l’autre dans le dos. Ses appréhensions resurgissent mais Atrée, qui l’espionnait de loin, se montre et I' « embrasse ». Il lui confirme le partage du pouvoir et l’assure que les fautes passées sont oubliées. Thyeste se prosterne devant son frère. Atrée commande à Criton de préparer le festin pour ces retrouvailles (scène 3). Resté seul, Criton résiste à la tentation de désobéir à son roi (scène 4). A Oronte, il confie qu’Atrée feindra une faiblesse pour ne pas assister au repas de Thyeste qu’il rejoindra seulement après que ce dernier ait mangé (scène 5).
Acte V : Le festin de Thyeste §
Atrée se réjouit : Mérope et ses enfants sont morts, Thyeste est pris au piège. Il interprète le voilement soudain du soleil non comme la condamnation divine de ses crimes présents mais comme la désapprobation de ceux que Thyeste perpétra par le passé. Il ne lui reste donc plus qu’à dévoiler à Thyeste, malgré l’obscurité, la nature des mets qu’il vient de manger (scène 1). Criton s’inquiète de cette nuit survenue en plein jour. Atrée explique que c’est la preuve qu’il a enfin commis un crime inégalé. Criton l’informe que Thyeste est attablé et a commencé de manger. Atrée y voit encore un signe d’approbation des Dieux. Il demande à son fidèle serviteur de prévenir son frère qu’il viendra boire en sa compagnie et tend à Criton une coupe qu’il doit lui remettre. Criton s’effraye à l’idée de ce qu’elle peut contenir (scène 2). Il trouve Thyeste allongé, ivre et repu. Dans des stances éthyliques, Thyeste remercie le destin de l’avoir enfin favorisé après tant d’épreuves. Le voilà roi ; il peut noyer ses maux dans une « mer d’oubli ». Pourtant, il se met à pleurer sans raison et pressent ses malheurs (scène 3). Criton lui annonce la venue du roi mais interrogé sur celle tardive de Mérope et de ses enfants, le fidèle serviteur lui explique qu’Atrée souhaitait ainsi ménager la surprise. Thyeste s’en réjouit (scène 4). Pour fêter leur réconciliation, Atrée offre à son frère une coupe contenant le sang des innocents. Dès les premières gorgées, Thyeste croit entendre leurs plaintes. Atrée soulève alors un rideau où se trouvait dissimulé un plat contenant une partie seulement de leurs corps découpés. Thyeste lui demande où se trouvent les restes. Atrée déclare à son frère qu’il vient de les manger. Dès lors, Thyeste comprend pourquoi le soleil s’est caché en plein jour : les lois de la nature se sont inversées, des innocents ont payé pour le criminel. Il demande à Atrée un couteau pour se fendre l’abdomen mais n’obtient pour réponse qu’un rire retentissant : Ce sont les remords éternels de Thyeste qui seuls etancheront la soif de vengeance d’Atrée. Celui-ci soulève un second rideau derrière lequel repose le corps de Mérope. Pour justifier ce châtiment, Atrée se place sous la protection des « dieux de l’Hymen ». Enfin, il déclare que sa seule et vraie victoire fut d’avoir commis ce que Thyeste aurait été autant capable de commettre, avant lui. Thyeste horrifié en appelle au jugement dernier : que les Dieux fassent « pleuvoir du sang », que le tonnerre foudroie son corps, tombeau de ses enfants, qu’ils punissent son bourreau. Atrée, quant à lui, invoque son frère : « Je laisse à tes enfants à te punir toi-même » (scène 5).
Appendice 5 : stances de Monsieur de l’Estoille sur L’Amphitryte de Monléon §
Monsieur de l’Estoille.