LES ŒUVRES
DE MONSIEUR MONTFLEURY,
CONTENANT
SES PIECES DE THEATRE.Représentées par la Troupe des Comediens
du Roy à Paris.
TOME SECOND.
Le Mary sans femme
Comédie
A PARIS,
Chez CHRISTOPHE DAVID, Quay
des Augustins, à l’Image S. Christophe.
M. DCCV AVEC PRIVILEGE DU ROY.

PAR M. DE MONTFLEURY.

Avant-propos §

Notre recherche a pour sujet Le Mary sans femme d’Antoine Jacob de Montfleury. A priori, nous sommes en présence d’une pièce oubliée, d’un auteur qui l’est tout autant... En effet, le nom de Montfleury a disparu des anthologies littéraires modernes et il faut chercher dans les ouvrages spécialisés sur le théâtre du XVIIe siècle pour voir apparaître son nom…

On se rend alors compte qu’Antoine Jacob de Montfleury fut un illustre dramaturge comique de son temps, grand rival de Molière, et que Le Mary sans femme, première comédie en cinq actes de l’auteur, remporta un franc succès au XVIIe et même au XVIIIe siècle.

Il est donc intéressant de s’attacher à la pièce : retracer son histoire, de la scène à l’édition ; étudier ses sources, mais aussi ses originalités, à l’aune des critères de l’époque ; pour essayer enfin de comprendre ce qui entraîna son succès, et son oubli aujourd’hui...

Antoine Jacob Montfleury (1639-1685) §

Un dramaturge oublié §

Antoine Jacob de Montfleury fut un grand dramaturge de la seconde moitié du XVIIe siècle. Bien que la postérité n’ait retenu que le nom de Molière, les deux écrivains furent contemporains et les dates de leurs productions se superposent : de 1660 à 1678, Antoine Jacob de Montfleury écrivit à peu près une pièce par an1, alors que la production théâtrale de Molière se concentra autour des années 1655 et 1673. La carrière de deux auteurs présente de curieuses ressemblances2, allant de pair avec de fortes rivalités.

Fils de Zacharie Jacob, célèbre comédien de la troupe de l’hôtel de Bourgogne, et mari de Marie-Marguerite Soulas, fille de Floridor, comédien non moins illustre de la troupe, Antoine Jacob de Montfleury fut intimement lié à la vie de l’hôtel de Bourgogne. En 1663, lorsque Molière se moque de Montfleury père dans l’Impromptu de Versailles, le raillant d’être « gros et gras comme quatre » et se moquant de sa déclamation boursouflée, c’est Antoine Jacob qui répond avec l’Impromptu de l’hôtel de Condé. Au-delà des rivalités personnelles, ce sont deux troupes qui s’affrontent, celle du Palais-Royal et celle de l’Hôtel de Bourgogne, cherchant à s’attirer les faveurs du public et créant l’émulation dans la vie théâtrale de l’époque.

Au regard de la postérité, Molière sort vainqueur de cette concurrence. Lancaster met en avant l’infériorité de Montfleury fils :

Lacking Molière’s genius, he had dramatic talent and he seems to have watched his rival closely in the hope of supplying the troupe of the Hôtel with comic material that might enable it to hold its own against its most successful competitor3.

Mais, c’est peut-être trop comparer le travail des deux dramaturges, quand l’un4 excelle dans la comédie de mœurs et de « caractère », l’autre5 est davantage tourné vers la comédie d’intrigue. L’œuvre d’Antoine Jacob de Montfleury ne doit donc pas être sous-estimée, et fit d’ailleurs l’objet de nombreuses études6.

Éléments biographiques §

L’avertissement aux lecteurs de l’édition collective de 17397 rassemble des informations sur Montfleury, père et fils. L’éditeur a fondé ses propos sur des témoignages de la fille8 et de la petite-nièce9 d’Antoine Jacob de Montfleury10.

Antoine fut baptisé le 22 septembre 163911. Aîné des six enfants que Zacharie Jacob eut avec Jeanne de La Chappe, « actrice, veuve et fille de comédiens12 », Antoine baigna très jeune dans l’univers théâtral, le pseudonyme qu’il emprunta à son père entraînant par la suite de nombreuses confusions : on en vint à attribuer à Montfleury père des pièces écrites par son fils13, et Antoine Jacob fut crédité d’une carrière de comédien, alors qu’il ne monta vraisemblablement jamais sur les planches14. Le mariage d’Antoine perpétua la tradition familiale puisque, le 5 février 1666, il épousa à son tour une jeune fille liée à la troupe de l’hôtel de Bourgogne, Marie-Marguerite Soulas, dont il aurait eu « au moins deux enfants »15.

Auguste Jal rapporte aussi qu’Antoine Jacob « demeurait rue des Deux-Portes et se disait « avocat » »16. En effet, il fut licencié en droit et reçu avocat au Parlement en 1660. Mais, la même année, il écrivit sa première comédie en un acte, Le Mariage de Rien, qu’il signa de son nom : « Antoine Jacob, advocat au parlement ». Il en écrivit une autre l’année suivante, Les Bestes raisonnables, et sembla alors définitivement abandonner le Barreau en faveur de l’écriture.

En 1674, l’échec de Trigaudin ou Martin Braillart annonça la fin de sa carrière dramaturgique. Il n’écrivit plus que deux pièces, en 1677 et 1678, Crispin Gentilhomme et La Dame médecin préférant se tourner vers une autre activité, la finance. En 1678, Colbert le chargea d’une mission diplomatique : recouvrir certains revenus que le Parlement de Provence devait au roi ; tâche dont il s’acquitta fort bien et qui lui aurait valu de recevoir une place dans les Fermes Générales si l’hydropisie ne l’avait pas emporté le 11 octobre 1685 à Aix.

Un auteur comique décrié §

Le théâtre d’Antoine Jacob de Montfleury est connu au XVIIe siècle et plusieurs de ses pièces rencontrèrent un vif succès. En 1669, La Femme juge et partie serait même venue contrebalancer le succès de Tartuffe, dont la troisième version venait enfin d’être autorisée17.

Les critiques littéraires, qui se sont attachés à l’œuvre de Montfleury, lui reconnaissent tous de grands talents comiques, une vivacité de style, des personnages plaisants et bien tracés... Mais, concernant la vraisemblance et la licence de son théâtre, les reproches fusent : « des crudités de langage, un malheureux penchant aux plaisanteries inconvenantes et d’un goût équivoque, une prédilection marquée pour les personnages qui, au fond, sont de francs coquins, une raillerie systématique des sentiments et des devoirs les plus respectables, enfin une rage de bouffonnerie qui ne s’arrête point à la limite où elle devient du cynisme, et qui n’a même pas l’air de soupçonner que cette limite existe. »18  Malgré l’accueil favorable des ses contemporains19, Montfleury fils pâtit de la mauvaise presse des critiques du XVIIIe siècle, choqués par la moralité douteuse de la « vieille comédie »20. Pourtant, il semble bien que le spectateur du XVIIe siècle prenait plaisir à assister aux représentations du théâtre de Montfleury, retrouvant des anecdotes de son temps ou des emprunts à la comédie espagnole.

La pièce que nous étudions, Le Mary sans femme, n’échappe pas à ces critiques : « Cette Comédie est écrite avec beaucoup de feu, bien conduite, et les scènes dialoguées dans le bon ton comique. Le sujet est riant mais il pêche du côté des bonnes mœurs, un homme qu’on démarie, et dont on donne la femme à celui qui l’a enlevée , n’est pas un tableau à présenter au Théâtre. »21 

Pour juger par nous-mêmes de l’intérêt de la pièce, rappelons d’abord l’intrigue.

Argument du Mary sans femme §

Acte I §

La scène se passe à Alger. Zaïre, la servante de Célime, demande à des esclaves de venir divertir sa maîtresse (Scène 1). Les esclaves en question, Julie et Carlos, se lamentent, ainsi que leurs valets respectifs, Marine et Tomire, chacun trouvant un responsable à l’issue tragique de leur fuite d’Espagne. Finalement, Marine apprend à tous la possibilité d’être sauvés par Dom Brusquin, le mari trompé de Julie, grâce à une lettre qu’elle lui a adressée (Scène 2). Zaïre reparaît pour annoncer la venue imminente de Célime et les met en garde contre l’humeur maussade de sa maîtresse (Scène 3). Restée seule, Zaïre souhaite le mariage de Célime et Fatiman, le gouverneur d’Alger, union qui lui rendrait la liberté (Scène 4). Avant de voir les esclaves, Célime interroge sa servante sur le comportement des deux amants, Julie et Carlos (Scène 5). Julie et Carlos concertent sur la manière d’aimer des européens. Célime demande à Carlos de rester et lui apprend qu’elle l’aime et entend partager cet amour (Scène 6). Carlos est fort embarrassé (Scène 7). Tomire informe son maître que Dom Brusquin vient de débarquer au port d’Alger avec l’intention de récupérer sa femme. Carlos est désespéré et entraîne Tomire pour s’assurer des dires de son valet (Scène 8).

Acte II §

Dom Brusquin, maussade, lit la lettre de Marine. Son valet, Gusman, lui demande d’expliquer son humeur : Dom Brusquin fait alors part de ses peurs de cocuage, mais avoue aussi sa passion pour Julie qu’il veut récupérer contre rançon. Il souhaite tout de même s’assurer de la fidélité de sa femme auprès de Marine (Scène 1). Tomire amène Marine (Scène 2). Cette dernière éclate de joie devant Dom Brusquin qui lui promet une récompense. Il veut d’abord une explication de l’enlèvement et une assurance de la fidélité de Julie. Fatiman arrive et Marine se retire (Scène 3). Fatiman, accompagné de Stamorat, réclame 5000 ducats pour rendre Julie. Marchandage infructueux de Dom Brusquin. Fatiman sort voir Célime, avec des souhaits de mariage (Scène 4). Célime déclare à Fatiman qu’elle souhaite se marier : les chants de Carlos l’ont rendu amoureuse et pour remercier l’esclave elle demande à Fatiman de lui rendre la liberté. Zaïre est chargée d’annoncer la bonne nouvelle à Carlos (Scène 5). Restée seule avec Fatiman, Zaïre avoue la trahison de Célime : cette dernière aime Carlos bien que l’esclave soit insensible à ses avances. Zaïre doit dorénavant surveiller Célime et voit sa liberté d’autant mieux assurée (Scène 6). Julie cherche Carlos pour le prévenir de l’arrivée de Dom Brusquin et lui demander d’intercéder auprès de Célime. Carlos annonce à Julie qu’ils sont perdus puisque Célime est amoureuse de lui (Scène 7). L’arrivée de Dom Brusquin fait partir Carlos (Scène 8). Julie part aussi (Scène 9). Dom Brusquin se repent de son amour (Scène 10).

Acte III §

Stamorat prévient Fatiman que Dom Brusquin, en possession de la rançon, désire le voir pour récupérer sa femme. Fatiman diffère la rencontre et avertit Zaïre qu’il souhaite démarier Julie en faveur de Carlos et punir Célime par des chants qui la blessent (Scène 1). Célime, impatiente, vient à la rencontre de sa servante et apprend que Carlos a montré stupeur et tristesse à l’annonce de sa libération et qu’il semble bien amoureux de Julie. Elle demande à Zaïre d’aller chercher Tomire, qui est en vue, pour s’éclaircir sur cet amour (Scène 2). Alors qu’il allait annoncer la venue de Dom Brusquin à Fatiman, Tomire est interrogé sur son maître. Célime lui donne une bague et se dit au fait des aventures de Carlos que Tomire développe alors longuement : la qualité de noble de Carlos en Espagne, héritier d’un riche oncle avare et à la santé solide ; son amour pour Julie et l’enlèvement raté qu’il entreprit pour la sauver des bras de son nouveau mari... En contradiction avec le précédent discours de Zaïre, Tomire conte la joie récente de Carlos, due à la promesse de sa libération. Tomire veut informer son maître du contentement de Célime, mais elle s’y oppose, assurant qu’elle s’en chargera elle-même (Scène 3). Célime se fâche, soupçonnant Zaïre de la tromper (Scène 4). Stamorat se présente et offre un coffret de pierreries à Célime de la part de son maître. Cette dernière reçoit le cadeau froidement mais s’enchante à l’annonce d’un prochain concert des amants (Scène 5). Stamorat rapporte à son maître les réactions de Célime et Fatiman fait venir Dom Brusquin (Scène 6). Dom Brusquin demande sa femme contre son argent mais Fatiman lui annonce que leur marché a changé : Julie est libre et va prendre un nouvel époux ; la rançon de Dom Brusquin servira pour la noce. Jérémiades de Dom Brusquin qui finit par s’en aller. Stamorat est chargé par Fatiman de le surveiller (Scène 7). Célime arrive et s’inquiète de ne rien voir installé pour le concert promis. Fatiman l’informe de la venue des chanteurs (Scène 8). Le concert déplaît fortement à Célime qui veut s’en venger. Fatiman feint de s’inquièter de la réaction de Célime et promet de châtier les personnes qui l’offensent : ce sont Julie et Carlos, qu’elle veut voir séparés et punis (Scène 9). Julie implore la grâce de Fatiman. Celui-ci propose la mise en place d’un stratagème mais Zaïre doit continuer à duper sa maîtresse (Scène 10).

Acte IV §

Zaïre assure à sa maîtresse son entière fidélité et demande des éclaircissements sur ses agissements : Célime souhaite mettre Carlos dans une situation si inconfortable, qu’en désespoir de cause, il cèdera à son amour ; suffisamment dupe, Fatiman rompra ensuite ses fers (Scène 1). Fatiman se félicite, en présence de Célime, de voir enfin leur mariage se conclure mais cette dernière veut d’abord savoir si sa vengeance a été exécutée : Fatiman lui apprend l’emprisonnement de Carlos et avoue qu’il n’a pas eu la même rigueur pour Julie, voyant en elle un double de Célime. Cette dernière feint alors la jalousie et accuse Fatiman d’aimer l’esclave. Pour prouver son innocence, Fatiman devra chasser Julie en la rendant à son époux et bannir Carlos d’Alger en lui faisant prendre la mer. Avant toute exécution, Célime demande un entretien particulier avec l’esclave. Sceptique, Fatiman se cache pour comprendre les manigances de Célime. Restée avec Zaïre, elle l’avise qu’un navire anglais est prêt à leur faire quitter le port d’Alger le soir même et que, dans la situation à venir, Carlos finira bien par répondre à son amour (Scène 2). Carlos est amené à Célime : celle-ci lui démontre sa toute-puissance, lui fait un présent et lui demande, avant de partir, de suivre dorénavant les ordres de Zaïre s’il veut être sauvé (Scène 3). Seul avec Zaïre, Carlos s’inquiète de l’aide que celle-ci offre à Célime. C’est alors que Fatiman sort de sa cachette et promet de se venger. De plus, il voit que Célime a offert à Carlos le coffret de pierreries... Sa fureur augmente et le cadeau lui inspire un stratagème... Pour le moment, Zaïre doit donner toute espérance à Célime quant à l’amour de Carlos (Scène 4). Tomire arrive pour raconter les malheurs de Dom Brusquin qui s’est fait battre par la suite de Turcs et avertit de sa venue. Fatiman prévient Carlos qu’il doit rester caché (Scène 5). Dom Brusquin, amené par Stamorat à Fatiman. ne cesse de se plaindre. Il refuse toujours d’être présent au mariage de sa femme. Fatiman envisage son absence à condition qu’il signe un contrat de divorce dont il serait l’instigateur. Dom Brusquin refuse. Fatiman lui laisse alors une heure pour se résoudre, au-delà de ce délai, il sera condamné à l’esclavage et aux galères (Scène 6). Dom Brusquin se plaint toujours, en présence de Stamorat (Scène 7).

Acte V §

Retrouvailles de Marine et Tomire qui, pour mener à bien le plan de Fatiman, attendent Célime. Tomire a appris à Marine que l’oncle de Carlos est mort et que le frère de ce dernier vient payer leur rançon. Tomire profite aussi de l’attente pour conter fleurette. Marine le rabroue, arguant qu’elle n’a plus reçu de marques de tendresse depuis leur esclavage. Carlos explique son insensibilité par ses rudes conditions de vie mais ses sentiments n’ont jamais changé et Julie a même consenti au mariage des deux valets... Célime apparaît, conversant avec Zaïre (Scène 1). Célime s’inquiète des préparatifs du départ auprès de Zaïre qui la rassure. Elle voit Marine et Tomire qui feignent de se disputer au sujet de l’avenir de leurs maîtres : Carlos se verrait libre alors que Julie serait à nouveau livrée à Dom Brusquin. Célime jubile et s’emporte à la demande de Marine de la voir intervenir en faveur de sa maîtresse (Scène 2). Fatiman arrête Carlos devant Célime, dans son appartement (Scène 3). Fatiman menace Carlos de mort et Célime en demande la raison : l’esclave a été retrouvé en possession du coffret de pierreries, présent du gouverneur à Célime. La Dame prend sa servante à témoin pour expliquer qu’elle avait confié les diamants à Carlos afin qu’il les remette à un lapidaire pour les mettre en œuvre. Elle voulait ainsi faire une surprise à Fatiman en ne passant pas par son intermédiaire. Fatiman gracie donc l’esclave et Célime court le délivrer (Scène 4). Fatiman est au comble de l’agacement. Il entend venir Dom Brusquin (Scène 5). Dom Brusquin accepte de signer mais Stamorat lui apprend que sa résolution vient trop tard car l’heure est passée. Dom Brusquin parlemente et Stamorat se résout à aller voir son maître (Scène 6). Dom Brusquin se repent de sa conduite (Scène 7). En présence de Fatiman, Dom Brusquin s’engage à signer ce qu’on lui demande, à régler les frais du mariage, à être présent à la noce et à offrir, de sa main, sa femme à son futur époux (Scène 8). Fatiman engage Julie à présenter ses remerciements à Dom Brusquin et s’apprête à présenter le futur mari de Julie (Scène 9). Célime amène Carlos et invite Fatiman à rendre son époux à Julie avant qu’ils ne partent. Fatiman offre alors la main de Julie à Carlos. Fatiman accuse Célime de traîtrise et la condamne à paraître devant le Divan (Scène 10). Dom Brusquin s’étonne du mari que l’on donne à Julie mais Fatiman rappelle leur amour fidèle. Concert final et dernières jérémiades de Dom Brusquin (Scène dernière).

Représentation de la pièce §

Première représentation §

Nous n’avons pas plus d’informations sur la première représentation de la pièce que nous n’en avons sur la première édition22... Encore une fois, l’avertissement au lecteur de l’édition de 173923 est la principale source d’informations : selon l’ordre chronologique proposé, Le Mary sans femme aurait été représentée la première fois sur la scène du théâtre de l’hôtel de Bourgogne, après Les Bestes raisonnables mais avant Trasibule, ce qui fixerait la date de la première représentation entre les années 1661 et 1663.

Au XVIIe siècle, la représentation précédait toujours la publication de la pièce24. Le Mary sans femme ayant été publiée en 1663, selon les sources disponibles aujourd’hui, nous pouvons supposer que la pièce a été représentée, au plus tard, cette année-là. Si la représentation de la pièce ne peut être réellement mise en cause dans la mesure où elle a été éditée, nous pouvons cependant nous demander si elle remporta le succès suggéré par certains commentateurs25. En effet, nul journal, gazette ou autre répertoire consultable de nos jours, ne fait mention de la pièce avant 169526. Cependant, la gazette de Loret rendait rarement compte des spectacles avant 1663-64 ; ce sont ses successeurs, à partir de 1665, en particulier Robinet, qui se montreront plus attentifs à la vie théâtrale. La critique de l’époque était aussi, pour une large part, orale avec les salons mondains. L’absence d’analyse concernant Le Mary sans femme dans les moyens d’informations écrits de l’époque27 n’est donc pas gage d’échec.

Ce qui témoigne de la bonne réception de la pièce, c’est que, trente ans après sa création, Champmeslé eut l’idée de « raccommoder » la pièce et de l’ajouter au répertoire de la Comédie Française. D’ailleurs, grand bien en prit à l’acteur car, entre 1695 et 1761, Le Mary sans femme fut représentée soixante et onze fois28, ce qui est un succès appréciable.

La date de la première représentation du Mary sans femme sera donc plus ou moins éloignée de l’année 1663, date de sa première édition, en fonction du succès que nous lui attribuons29. Cependant, il est peu probable que la pièce éditée en 1663, fut représentée en 166130, et nous réduirons les dates possibles de sa première représentation aux années 1662 et 1663.

Propositions scénographiques §

Le Mémoire de Mahelot §

Nous n’avons pas de traces de la première représentation mais nous pouvons faire des hypothèses sur la scénographie de la pièce grâce au Mémoire de Mahelot.31. Ce document rapportait les pièces jouées par la Troupe Royale en précisant « dans une notice les décors et les accessoires nécessaires à leur représentation et en conservant un croquis du dispositif scénographique dans lequel elles pouvaient être données. »32 Il donnait aussi aux peintres, chargés de brosser les décors, les indications nécessaires pour réaliser les toiles. Pour résumer, le Mémoire de Mahelot était une « pièce d’archives à l’usage du décorateur, du comédien et du peintre, il servait à consigner et à conserver tous les éléments techniques nécessaires à la représentation des œuvres figurant au répertoire de la troupe lors de leur création ou de leur reprise. »33 Il faut ajouter que ce document doit être envisagé comme un aide-mémoire à usage interne à la troupe, et non comme une archive fournissant des indications scrupuleusement respectées...

Le Mary sans femme n’est pas mentionnée dans le Mémoire. Cette absence peut s’expliquer par les périodes théâtrales traitées par l’ouvrage. Lancaster et Deierkauf-Holsboer34 ne donnent pas les mêmes dates pour les diverses parties du Mémoire de Mahelot. Cependant, comme le met en avant Pierre Pasquier, il paraît plus intéressant de délimiter les périodes où la Troupe Royale avait pour répertoire la liste des pièces que de connaître les dates de rédaction du Mémoire : la première liste correspondrait à la fin de la saison 1633-1634 ou à une partie de la saison 1634-1635 ; la deuxième liste restituerait les pièces jouées par la troupe de 1673 à 1685. Quel que soit le degré d’incertitude accordée à ces dates, les premières représentations du Mary sans femme seraient suffisamment éloignées des deux périodes pour ne point y figurer.

Le choix du décor §

Le Mémoire de Mahelot présente deux scénographies bien distinctes, celle des années 1630 et celle de l’époque classique, et nous pouvons nous demander laquelle fut adoptée pour Le Mary sans femme.

Dans les années 1630, le décor de l’Hôtel de Bourgogne était agencé autour de cinq chambres : « deux côtés jardin, deux côté cour et une au centre du dispositif. »35 Une typologie des chambres se fait jour à l’étude des croquis de Mahelot. « Sept chambres [...] apparaissent fréquemment : la grotte, la maison, le palais, la pièce décorée (appelée par Mahelot « belle chambre »), le jardin et le bois (pas toujours nettement distincts), les rochers. Sept autres chambres sont moins fréquemment utilisées : la fontaine et la source (souvent confondues), la prison, le temple, le tombeau, la rivière et la mer (pas toujours distinctes), la tour (qui se fait quelquefois prison), l’arche de verdure. Enfin, Mahelot produit beaucoup plus rarement quelques autres chambres : la forteresse, la ruine, l’ermitage, l’échoppe et la tente. »36

Mais, en 1663, le décor unique et uni, décrit par Michel Laurent à l’Hôtel de Bourgogne dans les années 1670-1680, s’était déjà imposé au théâtre. Aux chambres multiples détaillées par Mahelot, s’est substitué le « palais à volonté » ou « salle de palais » pour la tragédie, et le carrefour urbain ou la pièce bourgeoise pour la comédie37.

Avec Le Mary sans femme, Montfleury semble influencé par la règle de l’unité de lieu recommandée par le modèle classique, mais il ne la respecte pas scrupuleusement. En effet, si Le Mary sans femme se déroule principalement dans un lieu, la salle principale de l’appartement de Célime, le décor est aussi obligé de prendre en compte le cabinet, lieu important pour l’intrigue de la pièce.

Le dictionnaire Furetière peut nous éclairer quant à la composition de l’« apartement » : « Portion d’un grand logis où une personne loge, ou peut loger separément. Un apartement Royal est composé de chambre, antichambre, cabinet, & galerie. »38

Trois appartements sont mentionnés dans Le Mary sans femme  : au vers 235, Célime autorise les amants à retourner dans leur appartement39 ; aux vers 653-654, Fatiman demande à Zaïre de venir dans son appartement, et non dans celui de Célime, l’instruire du complot de sa maîtresse40 ; aux vers 1414 et 1431, Célime est outrée par ce qui se passe dans le sien41.

D’autres lieux sont évoqués dans la pièce mais n’ont pas besoin de figurer sur scène : le port d’Alger42 où débarquent Julie, Carlos, Marine et Tomire, après leur enlèvement sur mer ; la mer43, lieu de tous les dangers et de l’isolement favorable à l’intimité amoureuse ; la prison44 où Julie et Carlos doivent d’abord être enfermés suivant la volonté de Célime, puis Carlos y est envoyé seul par Fatiman, accusé de vol de pierreries.

L’appartement de Célime est cependant le lieu unique où se déroule la pièce, et ce dernier pourrait être agencé comme le décrit Furetière : d’abord composé d’une salle qui sert de carrefour à toutes les rencontres, il comporte aussi un cabinet où Zaïre, puis Fatiman, se cachent pour espionner Célime45 ; une chambre est mentionnée par Zaïre au vers 12246 ; l’antichambre et la galerie ne sont pas évoquées.

On reconnaît dans l’usage du cabinet, une influence de la comédie à l’espagnole. Utilisé à l’origine pour des raisons d’ordre moral47, le cabinet séduit ensuite les adaptateurs français des comedias espagnoles, qui y voient un moyen idéal de bouleverser rapidement l’intrigue. Les décorateurs durent aménager « des chambres ouvrantes munies de portes commodément ouvrables, percées dans la cloison du fond du compartiment, voire dans certains cas, dans la cloison latérale. »48

Nous pouvons imaginer un décor assez simple pour Le Mary sans femme : une « salle de palais »49 peu caractérisée, agrémentée de trois portes : deux portes latérales figurant, d’un côté, une galerie qui communique avec le reste du palais, de l’autre côté, la chambre de Célime ; et une porte, au fond du compartiment, pour représenter le cabinet.

L’indication, « La scène est dans Alger », n’est pas gage d’un décor oriental. Le décor unique du théâtre classique avait tendance à gommer toute couleur locale50. De plus, le texte du Mary sans femme ne fait jamais mention de quelque exotisme du lieu51.

Les objets §

La présence d’objets scéniques n’est pas davantage précisée dans les didascalies du Mary sans femme52. Pourtant, la représentation de la pièce en nécessite un certain nombre53 : le billet envoyé par Marine et lu par Dom Brusquin à la scène 1 de l’acte II ; le coffret de pierreries offert dans un premier temps par Fatiman à Célime à la scène 5 de l’acte III, puis par Célime à Carlos à la scène 3 de l’acte IV, et qui réapparaît finalement à la scène 4 de l’acte V pour confondre Célime ; le blanc-signé54 (blanc-seing) que donne Dom Brusquin à Fatiman pour recouvrer sa liberté.

Ces objets scéniques sont porteurs d’une fonction dramatique et ont une incidence notable sur le cours de l’action. Suivant la typologie de Marc Vuillermoz55, le billet de Marine et le coffret de pierreries ont une « fonction motrice », le blanc-seing de Dom-Brusquin une « fonction résolutive ». Si le blanc-seing a une fonction « périphérique » dans la mesure où il apparaît à la fin de la pièce et ne résout que partiellement le sort de Dom Brusquin, le billet et le coffret ont une fonction fondamentale. En effet, le billet envoyé par Marine explique l’arrivée de Dom Brusquin à l’acte II de la pièce, décidé à récupérer sa femme en payant la rançon des corsaires. Ce billet va être source de malentendus pour Dom Brusquin : il est surpris par les explications rocambolesques de Marine56, ne comprend pas la froideur de Julie alors qu’il vient la libérer57, ni les négociations de Fatiman quand il lui offre l’argent58. Le coffret de pierreries est aussi propice à des situations fausses. Il passe du statut de présent amoureux (offert par Fatiman à Célime, puis par Célime à Carlos) à celui d’objet de vengeance : quand Fatiman s’aperçoit de la tromperie de Célime, il la tourmente en associant le coffret à la perte de Carlos59. Le retournement de situation dans la pièce s’accompagne donc du renversement de rôle de l’objet qui, d’« adjuvant », se transforme en « opposant » à l’encontre de Célime, pour reprendre une terminologie empruntée à l’analyse actancielle.

Il est fait allusion à des objets extra-scéniques dans la pièce : les fers60, le casaquin61, le gourdin62. L’éviction de ces objets de la scène peut être expliquée par les règles de bienséance en rigueur dans la deuxième moitié du XVIIe siècle : la simple référence aux fers est suffisante pour faire surgir dans l’imaginaire collectif la figure des esclaves enchaînés ; l’évocation du gourdin, quant à elle, rappelle déjà trop le registre de la farce pour permettre sa présence sur scène.

Les costumes §

La pièce demanderait aussi une certaine recherche vestimentaire... Mais, d’une part, Montfleury ne donne aucune indication quant aux costumes dans son texte, et, d’autre part, ses exigences n’auraient sûrement pas été respectées à une époque où les produits manufacturés étaient fort chers et entraînaient de grosses dépenses, parfois impossibles pour les comédiens. Les acteurs étaient donc souvent habillés à la mode de l’époque et la richesse, ou la pauvreté, de leur costume dépendait avant tout de leur bourse... Un turban sur la tête et une robe à la turque pouvaient démarquer les turcs des autres personnages. L’acteur jouant le rôle de Dom Brusquin devait être vêtu de manière plus outrancière pour expliquer la description de Tomire à la scène 8 de l’acte I63.

Nous avons déjà noté dans la scénographie du Mary sans femme des particularités qui marquent l’influence espagnole de la pièce. Une partie des personnages vient d’Espagne et la pièce se déroule sur le rivage de la Méditerranée opposé, à Alger. Quels autres éléments tendent à classer Le Mary sans femme dans les comédies à l’espagnole ?

Des influences multiples §

Une influence espagnole §

Absence d’une source identifiée §

Dans l’avis au lecteur de L’Ambigu comique64, Montfleury avoue avoir étudié des pièces espagnoles et avoir assisté à leurs représentations. L’avertissement aux lecteurs de 1739 ajoute qu’« il savoit & parloit si parfaitement l’Espagnol, que la feue Reine, dont il avoit l’honneur d’être connu, disoit que ceux mêmes du pays ne le parloient pas si bien que lui ; aussi a-t’il pris dans leurs auteurs quelques-uns des sujets qu’il a traités. »

En effet, dans les années 1640-1650, les œuvres de l’éclatant Siècle d’Or espagnol sont en vogue en France, chez le public cultivé, et les romanciers et poètes de l’époque connaissent la production littéraire de leurs voisins, au-delà des Pyrénées. Dans le domaine théâtral, Rotrou semble s’être le premier inspiré d’un dramaturge espagnol, Lope de Vega, avec La Bague de l’oubli qui serait une adaptation de Sortija del Olvido. À sa suite, les frères Le Métel, les frères Corneille et Scarron prirent leur inspiration dans beaucoup de pièces espagnoles.

Il est probable qu’Antoine Jacob de Montfleury se soit inspiré d’une pièce espagnole pour construire son intrigue mais ni Puibusque, ni Rohr n’ont pu identifier clairement cette pièce65. L’École des jaloux, où l’on retrouve le même personnage de mari jaloux, sous les traits de Santilanne, serait inspirée de l’Argel fingido de Lope de Vega. Victor Fournel ajoute que plusieurs autres pièces de Montfleury, dont Le Mary sans femme, « sont également tirées de l’espagnol, mais avec beaucoup de liberté, car Montfleury, esprit vif et souple, mettait le sceau de sa propre originalité sur ses imitations. »66 Nous n’avons pas fait davantage de recherches quant à l’hypothétique pièce espagnole qui aurait inspiré Le Mary sans femme. De plus, la production des comedias espagnoles a été particulièrement riche et toutes ces pièces ne sont pas arrivées jusqu’à nous. Enfin, il paraît plus pertinent de déterminer quelles sont les conventions d’écriture espagnoles présentes dans la pièce de Montfleury.

Présence des conventions d’écriture de la comedia §

Nous reconnaissons dans Le Mary sans femme les principaux ressorts de la comédie espagnole67 : une intrigue romanesque, relativement simple comparée à la comédie italienne68, lie des personnages passionnés, pour qui l’amour et l’honneur sont des valeurs fondamentales. Le comique est lié au personnage du valet, le « gracioso » espagnol, ou bien à un personnage de rustre, que ses habits, et ses discours désignés d’emblée comme un ridicule.

Ainsi, la situation du Mary sans femme n’est pas intrinsèquement comique et les personnages sont avant tout au service de l’action69. Les deux amants Carlos et Julie, réduits en esclavage chez les Turcs, sont persécutés par des êtres qui cherchent leur amour : Julie par Dom Brusquin, le mari trompé qu’elle a fui en quittant l’Espagne, Carlos par Célime, dame que le gouverneur d’Alger, Fatiman, souhaite épouser. On retrouve, avec quelques divergences, le schéma relationnel pentagonal de la comedia70.

La pièce du Mary sans femme ne décrit d’ailleurs pas la formation des couples : Julie et Carlos s’aiment avant le lever du rideau et nous assistons aux dangers que court leur amour. Ces risques tiennent plus aux valeurs que prônent les personnages qu’à des péripéties extérieures : l’amour des deux amants leur a fait fuir l’Espagne de manière précipitée, les menant à l’esclavage ; une passion aveugle anime Célime et lui fait entreprendre toutes sortes de manigances ; Dom Brusquin, quant à lui, est mu par un amour irraisonné pour Julie, et son honneur l’oblige à tenter de la récupérer ; l’honneur guide aussi Fatiman dans son désir de vengeance... Tout le romanesque et les grands sentiments de la comédie espagnole sont ici présents, bien que les grands sentiments de Dom Brusquin soient tournés en ridicule.

Ainsi, la comédie se caractérise non pas en fonction d’un critère thématique, mais « par la perspective de libération dans laquelle se trouve placé le spectateur. L’angoisse qui étreint celui-ci devant des actions éveillant la terreur et la pitié se mue dans la comédie en un sentiment de victoire jubilatoire résultant de l’évitement des situations anxiogènes. Il y a comédie, autrement dit, quand la transgression [...] débouche sur une issue positive ; [...] l’ordre des pères est renversé, les tabous sont brisés pour pouvoir laisser la place à un ordre nouveau, au printemps que célèbre joyeusement la comédie. »71Le Mary sans femme illustre bien ce renversement des rapports de forces : initialement, Julie et Carlos sont amoureux, mais ne peuvent jouir librement de leur amour en Espagne où Julie a été mariée par sa mère à Dom Brusquin, homme plus âgé et jaloux ; les amants tentent d’échapper à l’ordre social en fuyant mais ils sont rattrapés par l’esclavage des turcs, situation qui n’est pas davantage propice à leur amour ; pourtant, à la fin de la pièce, l’ordre initial est dépassé puisque Julie est démariée et épouse Carlos. Dans une certaine mesure donc72, la pièce « célèbre la victoire de l’audace contre les tabous et les interdits sociaux, [...] promesse d’un renouvellement salutaire. »73

C’est aussi sur le valet que retombe une partie de la charge comique, à travers le personnage de Tomire qui n’hésite pas à glorifier les bas plaisirs terrestres à la scène 2 de l’acte I74. Mais Tomire n’est pas le seul à déclencher le rire et sur ce point encore, Le Mary sans femme se rapproche de la comedia comique. En effet, l’homogénéité sociale des personnages, qui appartiennent à une noblesse moyenne et anonyme, dénués de charge politique, permet une extension maximale du rire : tous peuvent faire rire à leurs dépens75.

Dans la comédie à l’espagnole, le spectateur est « moins [appelé] à rire qu’à sourire aux situations frivoles dans lesquelles sont pris les personnages. Pour son plus grand plaisir, il ne lui est pas demandé de succomber à l’illusion, mais bien plutôt d’apprécier le degré de sophistication avec lequel le code est manipulé par le spirituel auteur. »76 On retrouve ce même souci de connivence avec le public dans Le Mary sans femme, et Montfleury n’hésite pas à lui faire des clins d’œil : Dom Brusquin craint d’inspirer des auteurs de comédie77.

Mais le rire est bien présent dans Le Mary sans femme et certaines comedias pouvaient en effet être tournées vers le burlesque. Pourtant, à l’exemple de Molière, Montfleury semble s’être beaucoup inspiré des modes de son temps...

Thèmes en vogue dans la société galante de l’époque §

Nous ne pouvons nier à Montfleury la place de choix qu’il tient dans le retour de la « grande comédie » au XVIIe siècle. Le Mary sans femme est la première pièce en cinq actes du dramaturge, régulière et matière à représentation... En effet, depuis les années 1630, s’est amorcée une véritable réflexion sur le théâtre et des règles sont apparues dans un souci de vraisemblance et de pratique. L’anarchie qui régnait sur la scène française au début des années 1630 impose, par réaction, de fixer des limites spatiales, temporelles et dramaturgiques à des spectacles qui en étaient jusque-là dépourvus. D’où l’émergence de la règle des trois unités...

Au-delà de ces règles, la comédie de l’époque subit l’influence voisine des comédies à l’italienne et à l’espagnole d’une part, avec une forte place accordée au romanesque, et, d’autre part, la tradition du théâtre antérieur et de sa tragi-comédie. Mais Montfleury a souvent été accusé de s’inspirer de la farce et de flatter le goût du public de l’époque78.

Le schéma des forces en jeu dans ce type de comédie, comme le présente Michel Corvin dans Lire la Comédie79, est à l’œuvre dans Le Mary sans femme à plusieurs reprises : un sujet (Dom Brusquin) désire un objet (Julie) ; il rencontre des opposants (Fatiman) et bénéficie parfois de quelques soutiens (son valet Gusman, et Marine) ; si on se place du point de vue de Célime, un sujet (Célime) désire un objet (Carlos) ; il rencontre des opposants (Fatiman et Carlos) et bénéficie parfois de quelques soutiens (absents pour Célime). « Mais le sujet désirant est d’ordinaire en position de faiblesse (c’est un intrus) ; la tromperie va être son arme préférée pour arriver à ses fins. »80 Dom Brusquin et Célime sont en effet tous deux en position de faiblesse, lui en tant qu’étranger, elle en tant que femme, et la tromperie est la tactique que Célime emploie pour arriver à ses fins face à Fatiman.

Les thèmes principaux du Mary sans femme semblent être « la comédie du désir amoureux »81, thème premier et principal de la farce selon Pierre Voltz82 et le cocuage, « motif central de la vieille farce française »83. Ce thème central apparaît dès le titre de la pièce, et ne cesse de revenir dans le discours de Dom Brusquin84, telle la passion d’Arnolphe dans L’École des femmes85. Pourtant, au-delà d’un classement péremptoire du côté de la farce86, on peut reconnaître, dans les choix thématiques de Molière et Montfleury, le goût du public de l’époque, composé de mondains et de lettrés.

À l’instar des pièces de Molière87, Le Mary sans femme de Montfleury « met en jeu les rapports entre l’amour et le mariage, question qui, avec son corollaire obligé, la jalousie, faisait l’objet de conversations et de « questions galantes » dans les salons comme dans les grands romans contemporains, du Grand Cyrus (1649-1653) à la Clélie (1654-1660) des Scudéry en passant par La Prétieuse (1656-1658) de l’abbé de Pure. »88 Il est en effet question, dans la pièce de Montfleury, du mariage forcé de Julie, jeune fille espagnole, avec un « fâcheux », Dom Brusquin, et des péripéties qui la conduisent, avec son amant Carlos, à échapper au sort que leur imposent les valeurs rétrogrades de la société de l’époque. « Les Espagnols – dans le sillage du Curieux impertinent et du Jaloux d’Estrémadure de Cervantès – avaient développé, dans leurs nouvelles et dans leurs comédies, des histoires mettant en question l’éducation des filles et la vertu féminine, la jalousie et le soupçon masculins, et l’inutilité de l’enfermement des femmes, illustrant sans relâche le postulat d’Ovide : une femme n’est jamais mieux gardée que par sa vertu même ; l’enfermer, c’est la pousser à faillir. »89 Montfleury fait preuve d’une certaine libéralité dans l’adaptation de l’intrigue à la bienséance française : en effet, Julie est une femme mariée et la morale semble épargnée par le fait que le mariage n’a pas été consommé… Le dénouement du Mary sans femme recoupe aussi celui de L’École des Maris dans la mesure où Dom Brusquin se trouve dans la même situation ridicule que Sganarelle, signer le contrat de mariage de la jeune fille90, et se rend compte, mais trop tard, de son aveuglement sur lui-même et le monde91. On voit percer alors « la philosophie sceptique d’un La Mothe Le Vayer pour qui, le monde étant fait d’équivoques et les perceptions nous trompant, la qualité essentielle de l’individu gît dans le discernement et son défaut principal dans l’aveuglement. Pour procéder à ce discernement, il est nécessaire d’accepter les limitations de nos perceptions et de notre compréhension du monde, d’adopter en tout une perspective mesurée en se gardant avec soin de « l’opiniâtreté » et des idées arrêtées, et de faire modestement confiance (quoique sans excès) à ce qui nous entoure (sans quoi la vie ne serait plus possible) : on perçoit combien cette philosophie, lorsqu’elle touche à des questions aussi concrètes que la mode, l’éducation des filles ou la vie conjugale, s’adapte aisément aux idées et aux comportements privilégiés par la sociabilité mondaine. »92 Tout comme Molière, Montfleury s’inspire donc des questions en vogue dans la société galante de l’époque, et place « au centre de l’intrigue un personnage ridicule du fait de son refus des codes de conduite galants »93. Mais si Molière semble rompre clairement avec la tradition comique de l’époque, Montfleury y reste attaché avec une écriture marquée par la comédie espagnole, comme nous l’avons souligné précédemment.

On retrouve encore dans Le Mary sans femme le thème de la médecine, dénoncée comme imposture94, thème qui prend « appui sur une tradition substantielle – illustrée par Cornelius Agrippa (De incertudine et vantate scientiarum et artium, 1531), Montaigne (Essais, II, xxxvii, « De la ressemblance des enfants aux pères », et III, xiii, « De l’expérience ») et La Mothe Le Vayer (entre autres, la Prose chagrine, 1661, et le vingtième des Problèmes sceptiques, 1666) –, qui avait dénoncé la médecine comme une imposture, analogue à celle des sciences occultes dont tout le crédit repose sur la « faiblesse humaine ». »95

Enfin, Montfleury suit de près Molière dans l’art des jeux de mots et des paroles à double sens, confinant parfois à la vulgarité : le niveau de langue des valets est volontiers imagé et familier ; les insultes fusent96 ; les protagonistes ne finissent pas toujours leurs phrases, permettant à l’ambiguïté de se révéler97 ; les sous-entendus sexuels sont présents98 ; les mots ou les phrases se répètent99 ; des « ballets de paroles »100 se mettent en place101 ; les accumulations et les énumérations se rencontrent souvent102... Là encore, plus que des emprunts à la farce, nous pouvons y reconnaître des choix dramaturgiques liés au sujet traité, et le goût de la société mondaine de l’époque pour « une littérature de couleur médiévale »103.

Mais la pièce présente d’autres originalités, telle la place accordée à la Turquie, à la musique, et à la morale...

Originalités de la pièce §

Turqueries et Lingua Franca §

Goût littéraire pour l’Orient au XVIIe siècle §

L’intrigue de notre pièce se déroule, dans son intégralité, à Alger, qui fait partie de l’empire Ottoman au XVIIe siècle.

Le Mary sans femme n’est pas la première pièce de théâtre à se situer dans un pays oriental. Pierre Martino retrace la naissance de ce goût littéraire au XVIIe : « Ce fut [...] dans le dernier tiers du XVIIe siècle que le goût pour l’Orient, déjà apparu par quelques échappées104, se développa brusquement ; les voyages, le mouvement colonial, la propagande évangélique, les disputes des missions, l’intervention française dans la guerre austro-turque, tout cela fit, vers 1660, un concours remarquable de circonstances [...]. La mode fut d’abord à la Turquie. »105 On s’extasie devant l’accroissement fabuleux de l’empire turc et l’heure n’est pas à la raillerie106. Les dramaturges trouvent alors dans l’histoire turque des ingrédients propices à la tragédie107, et des péripéties108 dont les Italiens et les Espagnols s’inspirent pour leurs comédies. Montfleury apparaît donc comme précurseur dans la mesure où, avant Molière, il exploite l’univers turc dans une comédie.

Toujours est-il qu’en 1660, les spectateurs avaient reçu l’éducation théâtrale nécessaire pour comprendre les allusions aux mœurs orientales, et ils étaient habitués à l’utilisation de noms étranges tels Fatiman, Célime, Zaïre, Stamorat109... Montfleury ne traite pas des enjeux politiques souvent présents dans les tragédies antérieures, mais s’inspire tout de même d’une démesure dont l’Orient est le symbole : Célime est le stéréotype de la femme forte qui souhaite maîtriser sa destinée, Fatiman le représentant d’un pouvoir despotique pouvant démarier et marier qui bon lui semble.

Pourtant, l’exotisme de la pièce, qui affleure à travers les noms et quelques « mots turquesques »110, est stéréotypé et limité111 : si Montfleury s’inspire d’une réalité de l’époque, les Corsaires qui sillonnaient la Méditerranée et faisaient esclavages des voyageurs ou commerçants européens112, les turcs ne sont pas le sujet central de la pièce113. Ce ne sont donc pas les turcs qui font rire mais les situations de décalage où les européens sont empêtrés...

Les situations de décalage §

En effet, une vision négative de la Turquie, teintée d’un certain moralisme religieux, transparaît dans les discours des personnages : Marine parle de « Renegat » vers 100 ; Tomire s’emporte contre « ces chiens de Turcs » vers 114, la polygamie est souvent évoquée à travers le « Serail »114 et l’allusion à des comportements grossiers115. Le statut du mariage est au cœur de la pièce de Montfleury116, et Pierre Martino nous aide à retrouver l’idée que les français avaient de cette union en Orient : « La contrée était vraiment bénie : on y mariait les enfants à neuf ou dix ans, quelquefois à cinq ou six ! les parents étaient les premiers à chercher une concubine à leur fils, dès que celui-ci avait atteint sa seizième année ! Les hommes ne connaissaient pas avant la nuit du mariage la femme qu’ils épousaient ; mais la polygamie, loi religieuse, était là pour les consoler des désillusions possibles ; ils pouvaient recommencer plusieurs fois et renouveler, selon leurs désirs changeants, la recherche de leur idéal amoureux ; d’ailleurs les danseuses et les bayadères s’offraient pour les distraire de leurs amertumes matrimoniales. Si ces tristesses devenaient trop âpres, il leur était facile d’y mettre fin : le mariage n’avait rien de sérieux, n’étant « autre chose qu’un contrat civil que les parties peuvent rompre  » Aussi que de divorces ! mais la loi avait prévu les repentirs, et il était parfaitement admis qu’on renvoyât et qu’on reprit sa femme sous le contrôle bienveillant du cadi, jusqu’à trois fois ; alors seulement le mariage devenait indissoluble. Les Français, au temps de la Régence, durent estimer que les hommes d’Orient jouissaient d’un bonheur bien enviable. Mais le principal de leurs imaginations exotiques alla vers les harems privés et les sérails royaux, dont on leur avait permis de gâter l’intimité par de hardis regards. »117

Dans Le Mary sans femme, le personnage de Dom Brusquin semble bien avoir envisagé l’image du harem, moins la possibilité du divorce...

Si Dom Brusquin est celui qui exprime le plus violemment les stéréotypes orientaux, il est aussi, dans la pièce, le représentant du conservatisme social européen. Fort de son argent et de sa puissance en Espagne, Dom Brusquin est persuadé de pouvoir récupérer sa femme. Or, en se confrontant aux mœurs turques, il ne rachète pas sa femme, pire encore, celle-ci est démariée pour en épouser un autre ! Les normes sociales de l’Europe d’alors sont donc bafouées au profit d’une utopie barbaresque ! Paradoxalement, les amants peuvent réaliser leur amour grâce à l’esclavage, retournement de situation où l’on peut déceler l’empreinte baroque, mais aussi une orientation satirique qui sera très en vogue au XVIIIe siècle. C’est l’amour barbare qui est déçu dans la pièce : Célime est condamnée car elle ne respecte pas les règles de bienséance imposées par sa condition de femme turque...

La Lingua Franca §

La lingua franca intervient à deux moments dans la pièce : à la scène 2 de l’acte II, quand Tomire fait part de sa situation actuelle, et lors du concert final, à la scène dernière de l’acte V. Dans sa première apparition, l’usage de la lingua franca révèle une situation de décalage : Tomire, valet épanoui en Espagne, se trouve dépourvu de ses facultés quand il est confronté à la langue étrangère. Une fois encore, la confrontation avec l’étranger entraîne une perte de repères qui anéantit le pouvoir du personnage.

L’utilisation du turc de fantaisie est réapparue dans la dramaturgie comique française avec la Sœur118 de Rotrou, pièce elle-même imitée de La Sorella de Della Porta. Inspirée de la farce et de l’esthétique burlesque, la fantaisie verbale connaît un renouveau que Montfleury, ainsi que Molière, feront perdurer dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Si Montfleury n’est pas l’initiateur de ces jeux verbaux, il en donne de très beaux exemples à travers ses pièces119 et précède même Molière dans l’utilisation du sabir turc120. Dans La Fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, Robert Garapon caractérise la fantaisie verbale « par une allure gratuite, dégagée des servitudes utilitaires de la signification et de la communication. »121 Cette définition convient bien aux occurrences de la scène 2 de l’acte I : « Carachou », au vers 81, et « sursa cauvé sursa », au vers 85, ne faisaient sûrement pas plus sens pour le public français du XVIIe siècle, qu’il n’en fait aujourd’hui... La pièce est donc un bel exemple de la virtuosité avec laquelle Montfleury fait « jargonner ses personnages »122 , preuve aussi de l’habileté du dramaturge à manier le texte exotique.

Il est un autre domaine où Montfleury fait figure de pionnier par rapport à Molière : la place qu’il accorde à l’élément musical.

Place de la musique §

La musique jouée au théâtre au XVIIe siècle123 §

L’usage d’épisodes musicaux n’est pas une originalité au XVIIe siècle, mais il adopte une place marginale. Tradition théâtrale héritée de l’Antiquité124, les théoriciens de l’époque avancent le même constat : « la suppression des chœurs a eu pour conséquence la disparition de la musique au théâtre, ou plus exactement sa relégation dans les seuls intervalles d’actes »125. La musique, bien qu’enchâssée dans la pièce, avait alors une action dramatique autonome126. Ainsi, « les danses et chansons que l’on trouve dans maintes comedias, comiques ou tragiques, sont comme des pauses ou des parenthèses, et peuvent ne présenter aucun rapport de contenu avec l’action principale. »127 Cette « marginalisation » du medium musical est revendiquée par Corneille dans l’argument d’Andromède : « chaque Acte aussi bien que le Prologue a sa décoration particulière, et du moins une machine volante avec un concert de Musique, que je n’ai employée qu’à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s’attachent à quelque chose qui leur empêche de prêter attention à ce que pourraient dire les Acteurs, comme fait le combat de Persée contre le Monstre : mais je me suis gardé de faire rien chanter qui fût nécessaire à l’intelligence de la Pièce, parce que communément les paroles qui se chantent étant mal entendues des auditeurs, pour la confusion qu’y apporte la diversité des voix qui les prononcent ensemble, elles auraient fait une grande obscurité dans le corps de l’ouvrage, si elles avaient eu à instruire l’Auditeur de quelque chose d’important. »128

Si la musique a toujours fait partie de la représentation, avec des comédiens traditionnellement instruits à danser et à chanter129, son esthétique a été assez peu étudiée. Charles Mazouer donne un aperçu du lien qui unissait la parole poétique, la musique et la danse dans le théâtre musical, autour du personnage : « Le langage chorégraphique des pas, des postures et des mouvements s’ajuste au style et au rythme des airs musicaux (parfois évoqués par nos pièces) qui engendrent et soutiennent les danses. [...] Les formes musicales présentent une variété extrême, cherchant à produire leur effet par le seul prestige des instruments – dans les ouvertures, les ritournelles et autres « symphonies » –, prêtant leurs airs aux danseurs qui, en retour, complètent ou modifient la signification de la danse, s’alliant enfin, en une merveilleuse alchimie, avec les mots et les voix humaines pour produire la palette des chants et chansons, des récitatifs et des airs, duos, trios, des dialogues en musique, des petits et grands chœurs. Éléments orchestraux et éléments vocaux aident à décrire une situation, à peindre le personnage qui fait sien le chant, et sont capables de faire rire ou d’émouvoir puissamment. »130

L’originalité de Montfleury ne tient donc pas à l’utilisation d’ornements musicaux mais à la fonction accordée à ces épisodes. Nous envisagerons Le Mary sans femme dans une perspective musicologique avant d’étudier l’insertion des morceaux à l’intrigue. Nous rapprocherons cette dernière particularité à la technique dramatique du « théâtre dans le théâtre »131, procédé dramatique omniprésent à l’âge baroque132.

Perspective musicologique §

Edward Forman133 et John S. Powell134 ont privilégié la perspective musicologique dans l’étude des éléments musicaux du Mary sans femme.

L’édition de la pièce de 1705, texte sur lequel nous avons travaillé, ne contient pas d’informations quant à l’orchestration des éléments musicaux. L’usage était alors de faire jouer les musiciens sur scène. Edward Forman avance l’hypothèse selon laquelle « la troupe [de l’Hôtel de Bourgogne] disposait à cette époque de deux comédiens et de deux comédiennes, capables d’interpréter des rôles importants et de chanter sur scène. »135 Les acteurs représentant Julie et Carlos étaient donc capables de jouer eux-mêmes « des instruments portatifs – des luths, des théorbes ou des guitares »136. L’exotisme du dernier divertissement pouvait être rendu par « des instruments de percussion, des tambours, des tambourins et des castagnettes : il s’agit d’un exotisme tout à fait conventionnel, qui ajoute à des structures et des mélodies normales des effets périphériques, pris à la musique espagnole et bohémienne plutôt qu’arabe ou turque. »137 Concernant le concert final, Edward Forman propose une analogie avec un épisode du Jaloux invisible de Brécourt. Cette comparaison lui permet de présenter Robert Cambert comme le compositeur des éléments musicaux du Mary sans femme.

John S. Powell maintient la même hypothèse dans Music and Theatre in France 1600-1680, et offre davantage de précisions musicales puisqu’il a retrouvé deux partitions de la pièce138 :

The first song (‘O Giornata Fortunata’) appears notated in F4 bass clef and, judging by the words, it was probably sung by Fatiman. This is an air de mouvement accompanied by two obbligato parts notated in G1 clefs, in which the bassline appears to double as the vocal line and the basse continue [...]. There is nothing intrinsically exotic about this music, although obbligato oboes combined with tambourines, bells, and plucked lutes could invest it with an exotic flavour. The printed text reproduced above shows no line-break between the lyrics ‘Hà, hà, &c.’ and ‘Libertà’ : yet both musical sources show that ‘Libertà’ is the start of another song, sung by a soprano (C1), the lyrics of which are clearly intended for Julie. An ‘Air pour les Turcs’ follows (a gigue), and again imaginative instrumentation could convey a Turkish character. The lyrics change to French for the third song (‘O le bon pays que la Turquie’), and its music, notated in tenor clef (C4), seems intended for Carlos. Two dances, a ‘Gavotte’ and an ‘Entrée des Pantalons’, are followed by another French song for soprano (‘S’il ne falloit que passer la mer’), and a ‘Contredanse’ en rondeau concludes the finale.139

Cependant, au-delà de cette exploration musicologique, il est intéressant d’étudier comment les éléments musicaux sont intégrés à l’intrigue.

Une forme du théâtre dans le théâtre §

La pièce du Mary sans femme est jalonnée de trois concerts140, joués par Julie et Carlos, esclaves des turcs, dans le palais du gouverneur d’Alger141.

Outre leur structure d’intervention dans la pièce142, les épisodes musicaux ont une portée dramatique qui ne met pas en péril l’unité d’action. Au contraire, les liens entre les spectacles et l’intrigue de la pièce sont étroits : le premier divertissement musical expose les habitudes amoureuses des différents peuples européens et permet à Célime d’avouer son amour à Carlos143 ; le deuxième concert, offert par Fatiman à Célime, présente le refus de Carlos d’aimer Célime, tout en indiquant que Fatiman est au courant de l’infidélité de sa maîtresse. Le concert va donc modifier l’action principale en entraînant la fureur de Célime et ses souhaits de vengeance. On se retrouve là dans un cas de mise en abyme discursive : l’opéra chanté par Carlos et Julie est en parfaite adéquation avec ce que vivent les personnages dans la pièce ; la chanson reflète le refus amoureux de Carlos à l’égard de Célime, mais aussi celui de Julie à l’encontre de Dom Brusquin144. D’autre part, le rôle donné à la musique est intéressant145 puisque, conformément aux remarques de Corneille, le sens du concert est percé par Célime, et non par Fatiman qui est surpris de la vive réaction de sa maîtresse146. Comme le note Edward Forman, la « complication de l’intrigue aurait pu survenir autrement que par une scène musicale [...], mais la musique donne à Carlos la possibilité de menacer et de troubler Célime de façon quasi publique, et souligne la complexité des rapports entre Célime, Carlos et Fatiman – qui offre à Célime la belle voix de Carlos, qui lui appartient en quelque sorte. »147

À cette fonction instrumentale des concerts, il faut ajouter la fonction décorative qui paraît particulièrement prégnante dans la scène finale. En effet, c’est dans cette pièce finale que l’orientalisme est le plus présent : « tous ces dramaturges comptent sur la musique pour installer le spectateur dans une euphorie qui n’est pas dépourvue de sens : les vices des hommes et leurs violences, transformés déjà en spectacle comique, sont emportés dans un grand mouvement de folie et de gaieté qui en estompe singulièrement la gravité morale. »148

Au delà de la survivance du procédé du théâtre dans le théâtre, on peut donc voir dans l’utilisation de la musique une manière de plaire au public149 dans un souci décoratif autorisé par les règles classiques. Cette attirance pour le spectaculaire révèle le goût particulier du XVIIe pour ces comédies à insertions musicales, qui rivalisent souvent avec les comédies-ballets...

Influence du travail de Montfleury §

Dans son introduction à l’édition critique du Mary sans femme, Edward Forman met en avant le rôle important de Montfleury dans l’apparition de la comédie-ballet, lui accordant une place de précurseur dans le domaine. Bénédicte Louvat-Molozay partage la même opinion : « Il n’est pas impossible que Molière se soit inspiré de ce divertissement final pour écrire la turquerie du Bourgeois gentilhomme : le sabir est déjà présent dans le premier air et la pièce de Montfleury associe le chant à l’exotisme. De la même manière, c’est peut-être chez Montfleury que Molière trouve le modèle de l’opéra impromptu qu’interprètent les deux jeunes amants dans Le Malade imaginaire, et qu’Argan, à l’instar de Célime, interrompt lorsqu’il a compris le sens des paroles chantées. »150 John S. Powell révèle cette même influence de Montfleury chez Molière dans Le Sicilien, ou l’Amour peintre151 et Le Mariage forcé152.

Outre cette influence musicale, rappelons aussi la place de pionnier qu’a eue Montfleury dans l’utilisation de la lingua franca, frayant la voie à Molière et Lully pour l’écriture du Bourgeois gentilhomme. Ainsi, d’après Edward Forman, Montfleury « est non seulement le premier auteur à mettre cet élément au premier plan en y consacrant la scène culminante de son œuvre, il est non seulement le premier à l’associer à la musique, mais encore il est le premier à manier si habilement le texte exotique que le sens s’en dégage très clairement. »153

Outre ces originalités, l’auteur sut s’attacher aux idées de son époque avec des thématiques qui parcourent les œuvres de ses contemporains : Thomas Corneille avait déjà traité du lien entre la voix et l’amour dans Le Charme de la voix ; la valeur thérapeutique de la musique est étudiée dans La Folle Gageure de Boisrobert et Molière revient aussi sur ce thème dans Le Malade imaginaire.

Au regard de l’influence de Montfleury sur le théâtre du XVIIe siècle, et surtout chez Molière, considéré comme le plus grand dramaturge comique de son temps, nous pouvons nous étonner du peu de place que la postérité a laissée à l’auteur... Les critiques formulées à son égard tournent souvent autour de la moralité. Aussi, nous paraît-il important de revenir sur ce point.

Discrédit de la pièce lié à la morale §

Si Le Mary sans femme ne peut être assimilée à une farce, la moralité de la pièce reste cependant douteuse puisque c’est un amour extraconjugal qui triomphe... Rappelons la condamnation des frères Parfaict pour qui le sujet du Mary sans femme « pêche du côté des bonnes mœurs ». On comprend alors que Montfleury ait été assez mal considéré par les critiques, et ce dès le XVIIe siècle154. Plus qu’un discrédit individuel, l’auteur a pâti de la réputation de la farce dont il était censé s’inspirer, et plus largement du discrédit de la comédie, genre dans lequel il excellait.

En effet, « dès le XVIIe siècle, une comédie est une œuvre mineure. [...] Presque ignorée et souvent méprisée par les doctes dans leur réflexion sur les règles du théâtre, la comédie se voit privée de l’accession au statut de genre « régulier » [...]. Le genre [...] est presque toujours défini « en creux », par opposition à la tragédie, ou se voit assigner les mêmes buts : peindre la nature, instruire et plaire, respecter la bienséance. »155. Si Montfleury a structuré sa pièce de telle sorte qu’elle soit régulière156, son utilité morale ne fut pas concluante pour beaucoup de critiques qui l’étudièrent. Alors qu’il faut « peindre d’après nature » et que Molière fût justement apprécié dans son aptitude à peindre les « caractères », la portée psychologique des personnages de Montfleury paraîtra plus faible...

Pourtant, toutes ces condamnations sont liées à un regard normatif hérité du classicisme : la comédie est jugée à l’aune de sa vraisemblance et non de sa fonction première, divertir. Or, à l’épreuve de la scène, Le Mary sans femme rencontra un véritable succès de 1695 à 1761. Il paraît donc important de mettre en lumière le manuscrit qui servit de support aux comédiens de cette époque.

Le manuscrit §

Les variantes au niveau de l’intrigue §

Comme nous le verrons dans la « Note sur la présente édition », les textes du manuscrit découvert dans la collection Soleinne, et celui de l’édition collective de 1705, présentent des différences : l’orthographe et la ponctuation ne sont pas les mêmes, mais surtout, certains éléments de l’intrigue sont changés. Afin que ces modifications apparaissent plus clairement à la lecture du manuscrit, nous les avons soulignées, puis mises en évidence dans un tableau comparatif entre les deux textes157.

Une première remarque s’impose : alors que le texte de l’édition de 1705 présente cinq actes équilibrés158, le manuscrit développe des parties plus inégales159. En effet, si les premiers actes sont similaires dans les deux versions, des différences apparaissent rapidement : dans le manuscrit, à la scène 3 de l’acte II, Dom Brusquin présente la récompense qu’il accorde à Marine pour sa loyauté ; à la scène dernière de l’acte V, la mariage des valets, Marine et Tomire, est célébré… Mais la principale source de changements entre les deux intrigues est due à la présence du coffret dans le texte de l’édition de 1705160, alors qu’il n’en est pas question dans le manuscrit. La disparition de cette péripétie remodèle l’histoire puisque l’objet ne sera plus preuve de la trahison de Célime et ne permettra pas de la confondre et de l’accuser. Dans le manuscrit, le discours est davantage présent : à la scène 7 de l’acte II, Zaïre avoue à Fatiman l’amour de sa maîtresse quand ce dernier l’interroge sur l’humeur chagrine de Célime161 ; le deuxième concert apparaît plus tôt dans la pièce162 et le sujet, moins offensant pour Célime, anticipe clairement la suite avec l’annonce de la séparation avortée des amants ; Dom Brusquin se montre plus bavard, surprenant les amants à la scène 11 de l’acte II, puis à la scène 5 de l’acte III, et renouvelant à chaque fois son intention de récupérer Julie ; la scène de jalousie163 de Célime à Fatiman, au sujet de Julie, n’est pas motivée par la colère, comme dans le texte de l’édition de 1705164, mais elle intervient en réponse au questionnement de Fatiman sur les raisons qui lui font différer son mariage ; à la scène 5 de l’acte IV, Carlos rapporte à Julie le discours qui a fait fléchir Fatiman en leur faveur.

Le remaniement de la pièce est important. Si le manuscrit date de la fin du XVIIe siècle165, comme nous l’avons avancé dans la « Note sur la présente édition », et le texte de l’édition de 1705 est bien celui de l’auteur166, la comparaison de deux versions pourrait mettre en lumière une évolution de la dramaturgie entre 1663 et 1695.

Témoin de l’évolution des codes dramaturgiques §

Tout d’abord, nous tenons à rappeler que le texte de théâtre n’est pas stable : « il évolue en permanence au gré d’actualisations scéniques successives, au contact des exigences dictées par les conditions de production et de réception du spectacle. Forme contingente stabilisant parfois arbitrairement un certain état de la représentation, historiquement daté, la pièce imprimée est certes une mémoire du spectacle, mais une mémoire tronquée, biaisée, sélective, qui tend à apostasier, sous la bannière unique de l’intention de l’auteur, la multiplicité d’influences qui concourent à l’établissement d’un texte dramatique composite et collectif. »167 Ainsi, dans un article sur « Les Manuscrits de théâtre »168, Jean-Marie Thomasseau distingue treize états des écrits de théâtre. Le manuscrit que nous avons retranscrit serait à identifier comme « texte « jouet » [sic] et rejoué »169, ou « texte tiers » d’après la terminologie de Martial Poirson170. Un tel document nous permet d’évaluer les modifications apportées au texte à l’épreuve de la représentation, en fonction des exigences et des possibilités de la scène, du travail des interprètes, de la réaction du public, de la censure…

Un souci de simplification de l’intrigue transparaît à la lecture du manuscrit : les péripéties sont limitées au profit du discours qui éclaircit les faits et gestes de chacun des personnages171. Cette tendance peut être imputée à l’esthétique classique, qui cherche à unifier davantage l’action dramatique dans sa recherche de vraisemblance172, mais aussi à l’impératif pratique de la représentation.

Cette simplification se lit dans la description des lieux : alors que le cabinet était présent dans le texte de l’édition de 1705, il disparaît dans le manuscrit, marquant une épuration du décor.

Le goût pour le composite est moins prégnant : la lingua franca disparaît du divertissement final ; l’usage des pièces musicales est plus conformiste173

Ce choix d’unification se manifeste aussi dans le dénouement : le mariage des deux amants, Julie et Carlos, est doublé de celui de leurs valets, comme il est d’usage dans de nombreuses comédies ; le personnage de Célime n’apparaît pas à l’avant-dernière scène de la pièce, évitant d’apporter une touche sombre à la conclusion heureuse de la comédie174.

De manière générale175, on remarque une recrudescence d’indications scéniques176 : dans le manuscrit, des détails sont donnés sur l’instrumentation177, sur les protagonistes du divertissement final178, sur la façon de parler des personnages179 ou sur leur manière d’agir180

Plus qu’une nouvelle écriture, ce manuscrit est une ré-écriture, une re-création, qui permet d’éclairer différemment l’œuvre initiale du Mary sans femme en apportant des modifications issues de la scène et du parti pris de certains comédiens181.

Note sur la présente édition §

Il nous a été impossible de retrouver un exemplaire de l’édition originale du Mary sans femme. Edward Forman, qui a déjà publié une édition critique de la pièce182, a rencontré la même difficulté. Pourtant, la pièce aurait été représentée et imprimée entre 1660 et 1664. En effet, l’avertissement tiré de l’édition de 1739 du Théâtre de Messieurs de Montfleury183 propose une liste chronologique des pièces d’Antoine Jacob Montfleury : Le Mary sans femme serait la première comédie en cinq actes en vers de l’auteur, et aurait été imprimée à la suite des Bestes raisonnables184 mais avant Thrasibule185. Il paraît donc vraisemblable que Le Mary sans femme fut publiée en 1663 comme le rapporte de nombreux ouvrages, et non pas en 1666 chez Pépingué, comme le note Lancaster186. La date de 1663 apparaît aussi dans le Répertoire du Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, depuis 1620 jusqu’à sa fermeture en 1680187 figurant dans la Bibliothèque Dramatique de Monsieur Soleinne. Enfin, Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer188 situe la représentation du Mary sans femme durant l’année 1664, mentionnant quarante-neuf reprises à la Comédie Française189.

Nous n’expliquons pas la disparition des exemplaires de l’édition originale de la pièce. Victor Fournel note, concernant Le Mari sans femme de Montfleury, « l’une de ses pièces les plus rares en édition originale. Beauchamps ne l’indique pas dans la liste qu’il a donnée des productions de l’auteur, et ni La Vallière, ni le catalogue Soleinne ne décrivent la première édition. Elle a été recueillie dans les Œuvres de M. Montfleury, 1705, 2 vol. in-12190 ». Le rédacteur de la collection Soleinne, Paul Louis Jacob, précise dans la présentation du Théâtre d’Antoine Jacob de Montfleury191 : « Ces éditions originales sont aussi rares que celles de Corneille et de Molière. Pont-de-Vesle n’avait pu en découvrir que deux. « Ces pièces étant devenues extrêmement rares, dit l’éditeur de 1698, parce que les éditions qui en ont été faites en France ont été entièrement vendues, de sorte qu’on n’en a pu trouver des exemplaires qu’entre les mains des personnes les plus curieuses auxquelles il a fallu recourir. » La rareté de ces éditions vient de ce que les comédies de Montfleury furent jouées en France aussi souvent que celles de Molière, quoique, ou plutôt, parce qu’elles étaient fort libres. Les pièces les plus rares de son théâtre sont le Mari sans femme, Thrasibule, l’Escole des filles (Par., N. Pépingué, 1666), et le Gentilhomme de la Beauce (Paris, Ribou, 1670). » Cependant, cette démonstration ne paraît pas convaincante dans la mesure où d’autres pièces de théâtre du XVIIe siècle ont eu beaucoup de succès et des exemplaires de leur édition originale restent consultables aujourd’hui...

Cette absence rend difficile l’établissement du texte du Mary sans femme puisqu’on ne peut confronter les éditions disponibles à la première édition. Or, il faut rappeler que c’est souvent cette première édition qui fait l’objet d’une relecture et de corrections de la part de l’auteur.

La collection Soleinne contient un manuscrit de la pièce (neuvième portefeuille, numéro 3068) consultable à la Bibliothèque Richelieu (cote Manuscrits Français 9268). Dans le catalogue de la collection, le manuscrit est ainsi présenté : « Le Mari sans femme, com. 5. v. (écrit du dix septième siècle). » Cette pièce est environnée de manuscrits du XVIIIe siècle mais aucune date ne figure sur le manuscrit et ne permet de le dater. Les conservateurs du département manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France à Richelieu, s’accordent tout de même pour dater le manuscrit du XVIIIe siècle, après étude de la calligraphie.

Nous avons donc décidé de travailler à partir de ce manuscrit et d’un exemplaire du Mary sans femme provenant d’une édition française, qui est le premier recueil de l’ensemble des pièces de Montfleury192. Ce dernier ouvrage se trouve à la Bibliothèque Richelieu, département des arts du spectacle (cote 8-RF-6552) et a fait l’objet d’une reprographie.

Le choix de ces deux textes a été dicté par les divergences qu’ils présentent. Alors que les textes des différentes éditions du Mary sans femme sont similaires, celui du manuscrit de la collection Soleinne présente des scènes sensiblement distinctes.

Pourquoi ces différences ? La remarque d’Alexandre Joannidès, dans la table alphabétique des pièces193 de la Comédie Française, peut nous éclairer : « Mari sans femme (le), comédie en cinq actes, en vers, par Montfleury. – 3 octobre 1695. – Th. de l’Hôtel de Bourgogne, 1663. (« Raccommodée » par Champsmeslé pour la reprise à la Comédie-Française). » Champsmeslé aurait donc retravaillé la pièce de Montfleury et donné une autre version de la pièce qui pourrait être celle du manuscrit de la collection Soleinne.

Il est aussi intéressant de noter, avec Lancaster194, que la Bibliothèque Dramatique de Monsieur Soleinne contenait un second manuscrit de la pièce : «  MS. [...] Dom Brusquin, ou le mari sans femme. Comédie (de Montfleury, réduite à 3 personnages), en 3 actes et en vers. Le tout en un vol. in-8, sur pap., écrit du 18e siècle, v. br. »195 Le texte manuscrit, sur lequel nous avons travaillé, pourrait être aussi une première étape au remaniement de la pièce de Montfleury en trois actes.

Nous ne partageons donc pas l’hypothèse d’Edward Forman, selon laquelle « la version préparée par Champmeslé pour la reprise de 1695, et imprimée dans les Œuvres de Montfleury, [...] correspondait suffisamment à la version originale de la pièce pour justifier la décision de la publier sous le nom de l’auteur196. »

À la première lecture, outre des divergences d’intrigue, les deux exemplaires présentent une orthographe et une ponctuation très différentes. En effet, l’orthographe varie beaucoup au XVIIe et au XVIIIe siècles au gré des « modes » et des nouvelles éditions de l’Académie. Ces modifications orthographiques ne portent pas de préjudice au texte dans la mesure où elles signalent la même lexie ou le même son. En revanche, il est plus délicat de toucher à la ponctuation d’un auteur car elle fait davantage partie de son style. Force est de constater ici que la ponctuation du Mary sans femme est très différente entre le manuscrit et l’exemplaire de l’édition collective, le manuscrit ne portant que très peu de marques de ponctuation. Ces variations de ponctuation sont donc d’autant plus préoccupantes qu’aucun exemplaire de l’édition originale ne permet de trancher. De plus, la ponctuation du XVIIe siècle a une fonction essentiellement orale, surtout au théâtre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui197. Devant cette difficulté, nous ne corrigerons, dans l’exemplaire de 1705, que les ponctuations manifestement fautives. Quant au manuscrit, nous avons choisi de ne modifier ni la ponctuation, ni l’orthographe, dont l’usage est différent de celui utilisé dans le monde de l’édition. Nous avons seulement mis en avant les modifications significatives qui existent avec l’édition de 1705, en les soulignant. Afin que la lecture soit plus aisée, nous avons aussi mis en italique quelques didascalies, comme l’exigent les normes éditoriales.

L’exemplaire de l’édition française du recueil de l’ensemble des pièces de Montfleury dans lequel apparaît Le Mary sans femme, se présente dans un format in-12 en deux volumes. La pièce se trouve dans le deuxième volume.

La page de titre se présente de la manière suivante :

LES/ ŒUVRES/ DE MONSIEUR/ MONTFLEURY,/ CONTENANT/ SES PIECES DE THEATRE./ Représentées par la Troupe des Comediens/ du Roy à Paris./ TOME SECOND./ [fleuron du libraire]/ A PARIS,/ Chez CHRISTOPHE DAVID, Quay/ des Augustins, à l’Image S. Christophe./ [filet]/ M. DCCV./ AVEC PRIVILEGE DU ROI.

Nous avons corrigé les erreurs d’impression suivantes :

v. 28 « ou » : où

v. 56 vers manquant :

éd. 1696 : « Mais plûtôt c’est sur toi qu’il faudroit se vanger, »

éd. 1739 : « Mais plûtôt c’est sur toy qu’il s’en faudroit venger, »

v. 105 « . » remplacé par « , »

v. 123 « & vous y concerter » : & vous y concerter,

v. 158 « Q ’a-t’elle » : Qu’a-t’elle

v. 163 « vousattendoient » : vous attendoient

v. 182 « Ils se taisent » : « Ils se taisent, »

v. 192 « aidät » : aidât

v. 204 « . » remplacé par « ? »

v. 206 « De ce qu’en ces climats l’Amour met en usage, Madame. » : Madame au vers suivant

v. 221 « aillerus » : ailleurs

v. 240-241 point rétabli après ZAIRE

v. 292 « Vous me rendrez tantôt réponce . adieu, Carlos. » : Adieu

v. 303 « Qu’es-ce encore » : Qu’est-ce encore

v. 309 « . » remplacé par « ... »

v. 337 « faite » : faire

v. 398 « demangaison » : demangeaison

v. 405-412-519 point rétabli après DOM BRUSQUIN

v. 421 « ? » remplacé par « ... »

v. 440 « Venir jusqu’icy ! » : Venir jusques icy !

v. 453 « dequoy » : de quoy

v. 485 « eût t’on » : eût-on

v. 497 « d Alger » : d’Alger

v. 513 « l’un a l’autre » : l’un à l’autre

v. 547 « C’à » : Çà

v. 556 « . » remplacé par « , »

v. 564 « tu l’aime » : tu l’aimes

v. 571 vers manquant : Ainsi, nous ne pouvons trop exiger pour rendre.

v. 587 « me ures » : mesures

v. 607 « vals » : vais

v. 645 « tu las » : tu l’as

v. 650 « elle ta » : elle t’a

v. 659 « en vainCarlos » : en vain Carlos

v. 689 « front » : fronts

v. 729-728 suppression « D’une »

v. 779 « Ainsi, si vous voulez bien me dispenser, Madame » : Ainsi, vous voulez bien me dispenser, Madame

v. 785 « hazard ; » : nazard

v. 813 « Julie. » : Julie,

v. 879 « Ca » : Ça

v. 931 « sçait ; » : sçait,

v. 968 « De deux Amans heureux une Scène » : De deux Amans heureux, une Scéne

v. 1097 « là » : la

v. 1101 « bonc » : bon

v. 1128 « Restez-vous. » : Restez, vous.

v. 1181 « le Mary tres-indigne. » : le Mary tres-indigne,

v. 1189 « suisje » : suis je

v. 1238 « gardez-là » : gardez-la

v. 1243 vers manquant : Et pour ne le pas voir, il n’en sera pas moins.

v. 1284 « Qui conque » : Quiconque

v. 1306 « Faman » : Fatiman

v. 1370 « ! » remplacé par « ... »

v. 1375 « j’en ay vû tout l’apprêt ? » : j’en ay vû tout l’apprêt.

v. 1396 « qu’es ce » : qu’est ce

v. 1461 « tu n’ignore » : tu n’ignores

v. 1522 L’édition de 1739 rétablit ce vers ; STAMORAT à Fatiman : « Il est prêt à signer tout ce que l’on voudra. ».

v. 1556 « ? » remplacé par « ... »

v. 1557 « En Galere » attribué à Dom Brusquin rétabli dans la bouche de Fatiman

v. 1622 « Rin grasciar » : Ringrasciar

Nous avons relevé les diérèses suivantes :

[ia] : vv. 508-819-912-928-936-1446-1465-1541

[ie] : vv. 151-152-684-700-812-825-909-910-914-926-930-1018-1184-1185-1277-1398-1426-1427-1490-1553-1563

[iœ] : vv. 134-237-238-745-993-1014-1086-1593

[io] : vv. 419-942-1300-1463

[iã] : vv. 114-195-604-631-694-695-712-751-876-1020-1053-1601

[ie˜] : vv. 95-512

[iõ] : vv. 14-110-145-233-253-267-268-377-378-517-518-554-644-789-790-909-1077-1231-1248-1332

[wi] : v. 658

Le Mary sans femme. Comédie. §

[p. M]

ACTEURS. §

  • DOM BRUSQUIN D’ALVARADE, Gentilhomme Espagnol.
  • JULIE, Dame Espagnole.
  • CARLOS, Amant de Julie.
  • FATIMAN, Gouverneur d’Alger.
  • CELIME, Dame Turque.
  • ZAIRE, Naine Esclave de Celime.
  • MARINE, Suivante de Julie.
  • TOMIRE, Valet de Carlos.
  • GUSMAN, Valet de Dom Brusquin.
  • STAMORAT, Turc.
  • SUITE de Turcs198.
La scène est dans Alger199.
[p. Mij]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

JULIE, CARLOS, ZAIRE, MARINE, TOMIRE.

ZAIRE.

Entrez, je vais sçavoir*, si Celime est visible,
Elle est depuis huit jours dans un chagrin*200 horrible*,
Pour la bien divertir*, & faire vôtre201 cour*,
Préparez-vous, dans peu je seray de retour.

SCENE II. §

JULIE, CARLOS, MARINE, TOMIRE.

JULIE

5 Ah Carlos !

CARLOS.

Ah Julie !

TOMIRE.

Ah Marine!

MARINE.

Ah Tomire!

JULIE.

Quels ennuis*202!

CARLOS.

Quels chagrins* !

TOMIRE.

J’en créve*203.

MARINE.

J’en soûpire !

CARLOS.

Helas ! que nôtre sort.

JULIE.

Helas ! que nos malheurs !

CARLOS.

Me va causer d’ennuis* !

JULIE.

Me vont coûter de pleurs !

CARLOS.

Si vous pouviez sçavoir, Julie, à quoy m’expose*
10 Le cruel desespoir d’en avoir été cause204 :
Car, enfin, c’est moy seul que j’en dois accuser, [p. Miij]
C’est moy de qui205 l’orgueil crut pouvoir tout oser.
De vos ressentimens* rien ne me206 peut défendre ;
Ma forte passion* me fit tout entreprendre,
15 C’est moy seul ; c’est, enfin, ce trop sensible* Amant*207,
Que l’amour fit résoudre à vôtre enlevement,
Pour finir mon malheur, j’ay seul causé le vôtre ;
Mais, enfin, vous veniez d’en épouser un autre,
On vous avoit forcée à prendre cet Epoux,
20 Vous m’aimiez tendrement, je n’adorois* que vous,
Malgré ce que l’Amour m’avoit semblé promettre,
Dans son lit, dans ses bras l’hymen*208 vous alloit mettre,
Je voyois vos chagrins*, vous entendiez mes cris,
Quel autre en cet état* n’eût pas tout entrepris ?

JULIE.

25 Dans toutes ces raisons ne cherchez point d’excuse.
Ce n’est que mon malheur, Carlos, que j’en accuse.
Oüy, c’est moy, qui depuis cette funeste* nuit,
prémices*209 cruels du malheur qui me suit,
Sans égard pour mes pleurs une Mere inhumaine,
30 Me venoit de livrer à l’objet*210 de ma haine,
Je sortois de l’Autel troublée, & dans mon cœur*,
Cet hymen* avoit mis tant de crainte, & d’horreur* ;
Que sans considerer quelle en seroit la suite,
Je crus que mon bonheur dépendoit de ma fuite.
35 Marine m’en pressa*, même elle me fit voir,
Que fuïr ses Ennemis est le premier devoir,
Et ses conseils…

MARINE.

Allons, mettons tout sur Marine,
Voyons, qu’ay-je tant fait ? ça* que je m’examine*,
Je vous voyois tous deux desesperez, mourans,
40 L’un enrageoit* dehors*, l’autre pestoit* dedans*,
L’un souhaitoit sa mort, l’autre juroit la sienne ;
Vous me fîtes pitié ; car je suis trop humaine.
Vous fûtes enlevée, il est vray, je conviens*
Que j’en facilitay, de211 ma part les moyens*,
45 Que je vous conseillay d’aller pour cette affaire
A Cadix212, où Carlos disoit avoir sa Mere ;
Et que sans moy l’Hymen* alloit se consommer* ;
Mais, quoy, sçavois-je moy que l’on iroit par213 Mer ?
à Tomire.
Et c’est ta faute, à toy, que le malheur engraisse214,
50 Chien* de porteguignon*215, tu n’eus jamais de cesse*,
Que nous ne fussions tous embarquez, car enfin…

TOMIRE.

Eh ! devinois-je, moy, qu’au milieu du chemin,
Lors que216 l’on se croyoit le mieux dans ses affaires,
Le Vaisseau seroit pris par ces Chiens* de Corsaires,
55 Et qu’ils nous meneroient captifs au port d’Alger ?
..............................................................................217
Il t’a toûjours falu quelque amoureux mystere*,
Quelque intrigue*, & pour toy c’est un faire il le faut219 ?
60 Car, enfin, on le sçait, on te pendroit plûtôt,
Que tu n’eusses toûjours quelque intrigue* en campagne220.
Que221 ne me laissois-tu vivre en paix en Espagne ;
Je me vois sans Amis, là j’en avois un cent222,
J’y mangeois tous les jours comme un convalescent,
65 J’y riois comme un fou, j’étois gras comme un Moine,
J’y dormois en Abbé, j’y bûvois en Chanoine223 ;
Que ne m’y laissois-tu, Traitresse, car c’est toy,
Qui m’a224 mis en l’état* fâcheux où je me voy.

CARLOS.

Laisse-nous en repos*, & te225 tais , va Tomire.

TOMIRE.

70 Cela vous est facile à vous autres à dire,
Qui par bonheur pour vous instruits à bien chanter,
Sçavez dire des Airs qu’on se plaît d’écouter ;
Nôtre Patron chez luy s’en divertit*, & même
Tous les jours au lever de la beauté* qu’il aime, [p. Miiij]
75 Depuis que le destin* sçût nous assujettir*,
Vous venez par son ordre icy le divertir*.
Vous ne manquez de rien, vous vivez à vôtre aise,
Mais pour moy qui ne sçait rien faire qui leur plaise,
Dés qu’un leger sommeil fait place à ma douleur,
80 Un gros Coquin* de Turc dont le diable auroit peur,
Disant cent Carachou226, se montrant à ma vûë,
De dix coups de Gourdin* sans façon* me saluë.
Moy j’ouvre de grands yeux, n’entendant227 pas ces mots ;
Luy de vingt autres coups me chamarre228 le dos ;
85 Disant sursa cauvé sursa229, de son ton grave,
Comme si devinant230 qu’on me feroit Esclave,
J’avois dû par avance exprés avoir appris,
A parler Turc, avant que le traître m’eût pris.

MARINE.

Pour moy je ne sçaurois perdre encor l’esperance*
90 De revoir mon Païs.

JULIE.

Et sur quelle assurance* ?
Sur quoy ?

MARINE.

Je ne sçaurois croire que vôtre Epoux,
Ou vôtre Mere n’ait quelque pitié de vous,
Vôtre Mere vous aime, & je me persuade
Que vôtre digne Epoux D. Brusquin d’Alvarade,
95 Etant fort amoureux avec le bien* qu’il a…
Enfin le cœur* me dit qu’il vous rachetera.

JULIE.

C’est se vouloir flater* d’un espoir chimerique,
Qui leur auroit appris que je suis en Afrique ?

MARINE.

Je ne puis plus vous rien cacher en cet état*,
100 Lors que nous fûmes pris, un certain Renegat*,
Touché de ma douleur voulut bien me promettre,
Que si je luy voulois donner un mot de Lettre231,
Il trouveroit moyen* de le faire tenir*.

CARLOS.

L’as-tu fait !

MARINE.

La réponce en232 est prête à venir.

CARLOS.

105 Quel Demon* ennemy du bonheur de ma vie,
Pour me combler de maux t’inspira cette envie* ?
Tu te devois sur moy remettre du soucy*

MARINE.

Ma foy, sauve qui peut, que diantre* faire icy ?
Et de plus, franchement, puis qu’il vous faut tout dire,
110 Je craignois qu’en perdant l’occasion d’écrire,
Quelques Turcs, comme on sçait qu’ils n’en233 font pas façon*,
Ne voulût234 à la fin quelque jour… que sçait-on
Ce qu’il auroit voulu235 ?

TOMIRE.

Elle a raison, je pense
Tenez, ces chiens* de Turcs n’ont point de conscience*.

CARLOS.

115 Où ta fausse pitié nous va-t-elle engager* ?
Fatiman mon Patron est Gouverneur* d’Alger,
Pour m’en faire estimer j’ay tout mis en usage,
J’esperois par mes soins*236 finir nôtre Esclavage,
Mon Oncle…

MARINE.

Tout cela n’auroit rien fait pour nous,
120 Vôtre Oncle tout au plus n’eût racheté que vous.

CARLOS.

Ah !

TOMIRE.

Zaïre paroît, cachez-luy vôtre peine.

SCENE III. §

ZAIRE, JULIE, CARLOS, MARINE, TOMIRE.

ZAIRE.

Celime va passer dans la chambre prochaine*,
Vous l’y pouvez attendre, & vous y concerter237,
Dépêchez, écoutez, n’allez pas luy chanter
125 De ces Airs indolens* qui font dormir le monde,
Sa tristesse est déja si grande & si profonde,
Que pour peu que vôtre Air soit grave & langoureux*,
Son chagrin* se pourroit répandre sur vous deux.
Je vous en avertis.

JULIE.

Nous vous en rendons grace*.

ZAIRE.

130 Elle est depuis huit jours d’un bourru* qui me passe,
Je ne la connois plus, tout luy déplaît ; Enfin
Je me vois tous les jours en butte* à son chagrin*.
Si j’ay de l’enjouëment*, elle m’appelle folle :
Si je suis sérieuse, elle m’appelle idole238 ;
135 Si je la suis partout, je la mets en courroux*,
Si je ne la suis point, j’ay quelque rendez-vous ;
Si je la veux servir, je fais la necessaire*239,
Si je ne la sers pas, on ne me voit rien faire ;
Si je dis qu’elle est bien, je me plais à flatter*,
140 Si je dis qu’elle est mal, je cherche à contester* ;
Prompte, j’ay trop de feu* ; Lente, mon froid*240 la gele* ;
Enfin je ne sçay point comment vivre avec elle,
Son chagrin* se répand jusques241 sur ses amours,
Fatiman esperoit l’épouser dans deux jours,
145 Il avoit son aveu*, sa passion* est grande,
Maintenant elle dit, qu’elle veut qu’il attende,
Et que pour bien juger de ses empressemens*,
Elle veut éprouver son amour quelque temps.
Dés qu’il la veut presser, son chagrin* renouvelle.
150 Ah ! que si j’étois belle & bien faite242 comme elle,
Et qu’avec moy quelqu’un voulût se marier,
Je me garderois* bien de me faire prier.
Mais à propos, entrez, elle pourroit attendre.

SCENE IV. §

ZAIREseule.

Fasse le juste Ciel qu’elle se puisse rendre
155 Aux feux* de Fatiman ; si l’Hymen* concerté*
Se conclut*, il me doit donner la liberté.
Quand il donne parole, il la tient sans reserve.
Qu’a-t’elle à differer*, il faut que je l’observe,
Pour sçavoir*… Elle vient, son chagrin* me fait peur.

SCENE V. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

160 Ah ! qu’un nouvel amour243 met de trouble*244 en un cœur*,
Sur tout lors que l’on craint d’avoir une Rivale !

ZAIRE.

Vous alliez, disiez-vous, passer dans l’autre Salle,
Ces Gens vous attendoient pour vous y divertir*,
Mais puis que vous voilà, je vais les avertir.

CELIME.

165 Non, demeure.

ZAIRE.

Eh ! souffrez que je les avertisse,
De grace*, & trouvez bon que l’on vous divertisse*,
Vous avez du chagrin*, il ne sert qu’à laidir*,
Tenez, un petit Air vous va ragaillardir,
Laissez-moy faire.

CELIME.

Non, avant qu’on les appelle,
170 Je veux t’entretenir*, Zaire.

ZAIRE à part.

Que veut-elle ?

CELIME.

Tu vois icy Julie, & Carlos tous les jours,
De quel air*245 la voit-il, & quels sont leurs discours*246 ?

ZAIRE.

Leurs discours ? Jamais Gens autres que des Idoles
Ne se sont expliquez* avec moins de paroles :
175 Tenez, voulez-vous voir, ce qui se passe entr’eux ;
De temps en temps Julie un mouchoir sur les yeux,
Pleure en gesticulant*, ensuite elle est rêveuse.

CELIME.

Elle pleure, gémit, rêve, elle est amoureuse,
Et que répond Carlos à cet ennuy* profond ?

ZAIRE.

180 Luy ? tenez. Ah ! voilà tout ce qu’il luy répond.

CELIME.

Sans doute, ils s’aiment ; mais quand leurs douleurs s’appaisent,
A quoy s’occuppent-ils ? que font-ils ?

ZAIRE.

Ils se taisent,
Jusqu’à vôtre réveil ils sont en cet état*,
Non jamais entretien*247 de gens ne fut si plat,
185 Et je ne croirois point, sans le248 voir d’ordinaire,
Qu’une Femme jamais pût si long-temps se taire ;
Il faut les avertir, je vais prendre ce soin*249,
Ils vous réjoüiront, vous en avez besoin.

SCENE VI. §

CELIME seule.

N’étoit ce pas assez du destin* qui me brave*,
190 D’avoir soûmis mon cœur* à l’amour d’un Esclave,
Sans que par un malheur que je ne puis dompter*
La jalousie aidât à me persecuter ?
Si j’en crois leurs regards & ce qu’ils ont de tendre*,
Carlos… Mais cependant j’ay pû les mal entendre,
195 Ma défiance* peut avoir trompé mes yeux,
Et le temps & mes soins* m’en éclairciront* mieux.
Les voicy ; Pour sçavoir* ce que je crains d’apprendre
Avec des yeux perçans je m’en vais les entendre.
Approchez, venez-vous, suivant mes volontez
200 Sur les Européens me donner des clartez,
De ces Peuples heureux révérez250 dans l’Afrique,
Dont on ne sçait que trop la valeur heroïque ;
Allez-vous me chanter par des tons animez
Les diverses façons d’aimer & d’être aimez ?

CARLOS.

205 Nous allons vous tracer une legere image
De ce qu’en ces climats l’Amour met en usage,
Madame251.

CELIME.

Commencez, je vais vous écoutez.
à part.
De ce qu’ils vont chanter, tâchons de profiter.
On chante.
Dans ce vaste Univers sur tout ce qui respire,
210 L’Amour étend son empire :
Par des ardeurs* toûjours nouvelles
Le François se laisse enflâmer,
Il ne ménage* point les Belles ;
Mais il sçait s’en faire aimer.
215 Il signor252 Italien
Aime assez bien,
N’attrape rien.
Il cherche les exploits qui sont de longue haleine,
Et quand sous la fenêtre il va chanter sa peine,
220 La signora
Est ailleurs impedita253.
Pour tout secret de l’amoureux mistere*
L’Alemand sçait donner : C’est l’art* de plaire.
Et de ne pas aimer en vain,
225 Il est constant toute sa vie
Et traite une Silvie254
Comme un muid* de Vin,
Il en boit, il en boit jusqu’à la lie*.
Aussi fidele qu’amoureux,
230 Aussi tendre*255 que l’Amour même
L’Espagnol sçait seul comme on aime
Et merite seul d’être heureux.

CELIME aprés qu’on a chanté.

Cette diversité de passions* m’enchante*,
Je suis de ce concert extrêmement contente.
235 Vous m’avez plû : rentrez dans vôtre Appartement,
Je veux demeurer seule en ces lieux un moment.

ZAIRE.

A vouloir s’ennuïer* c’est être industrieuse*.

CELIME.

Revenez, je me sens aujourd’huy curieuse
Ce que je veux apprendre importe* à mon repos*,
240 Que chacun se retire, il suffit de Carlos.

ZAIRE.

Il suffit de Carlos ! que peut-elle prétendre* ?
Au Cabinet* prochain*, cachons-nous pour l’entendre.

CELIME.

Carlos vous nous venez apprendre par vos chants
Combien dans vos Amours vos cœurs ont de penchans :
245 Mais vous ne m’avez point exprimé ceux des Femmes,
Vous êtes connoisseur, vôtre Espagne a des Dames.
De grace*, apprenez-moy quand quelqu’une à son tour,
Abandonne son ame* aux charmes*256 de l’Amour,
Comment à son Vainqueur dans son ardeur* extrême,
250 Pour la premiére fois, elle dit, je vous aime.

CARLOS.

Madame, cet aveu*, si charmant*257 en effet
Qui coûte tant à faire, & qui pourtant se fait
Dans les occasions diversement s’exprime,
Selon la qualité de celle qu’il anime.

CELIME.

255 J’entens de ces beautez* illustres par le Sang258,
De mon âge à peu prés, Carlos, & de mon rang.

CARLOS.

S’il se trouve en son choix plus ou moins de distances*,
Il faut ou qu’elle attende ou fasse les avances*,
Madame.

CELIME.

C’est à dire, en ces transports*259 si doux,
260 Que si celuy qu’elle aime est d’un rang au dessous,
C’est elle qui se doit expliquer* la premiere ?

CARLOS.

Oüy.

CELIME.

Mais de s’énoncer*, comment260 est la maniere ?

CARLOS.

D’abord*261 par ses regards, truchemens* de son cœur*,
Elle le fait sçavant de son prochain* bonheur,
265 Invente des bienfaits, se plaît à les répandre.

CELIME.

Et si le Cavalier* ne veut pas les entendre.

CARLOS.

Personne n’est aveugle à cette passion*,
L’Amour voit clair, & plus encor l’ambition,
Si le respect oblige à quelque retenuë,
270 La Dame ouvre son cœur* ; parle, elle est entenduë.

CELIME.

Mais (car je prétens tout sçavoir*) si par malheur,
Le Cavalier* ailleurs avoit donné son cœur*.
A son premier amour s’il veut être fidelle,
Que dit à ce mépris la Dame, que fait-elle ?

CARLOS.

275 Malheur au Cavalier* qui méprise ses vœux*262,
Et plus encor malheur à l’objet*263 de ses feux*.
Qu’en ce funeste* état* ces Amans* sont à plaindre !
Dans sa fureur* la Dame offensée est à craindre,
Pouvant tout dans sa haine, elle n’épargne rien.

CELIME.

280 Regardez-moy, Carlos, envisagez*-moy bien.
Sur mon front*, dans mes yeux, lisez vôtre avantage*,
Je vous permets, Carlos, d’expliquer* leur langage,
Et de prendre pour vous ce qu’ils ont de douceur :
Comptez sur mes bienfaits, comptez sur ma faveur*.
285 Vivre en sa liberté, dans ce climat barbare*,
Est le moindre des biens, que ma main* vous prépare.
Portez donc jusqu’à moy vos regards & vos vœux*,
Ma bouche vous l’ordonne ; Aimez-moy, je le veux ;
Obeïssez, craignez d’irriter ma tendresse*,
290 Je puis tout en ces lieux, pensez-y, je vous laisse,
Songez que vôtre sort dépend de mon repos*,
Vous me rendrez tantôt264 réponce. Adieu, Carlos.

ZAIRE cachée.

Elle aime cet Esclave ! Ah ! quelle extravagance* !
Mais il faut la rejoindre, & garder le silence.

SCENE VII. §

CARLOS seul.

295 L’ay-je bien entenduë, ou me suis-je abusé,
A quel plus grand malheur pouvois-je être exposé* ?
Puis-je jusqu’à l’aimer, sans horreur* me contraindre ?
Et puis-je mépriser son ardeur* sans la craindre.
Helas ! mille dangers m’allarment tour à tour,
300 Je crains également sa haine & son amour.
Je me pers, & n’osant resister ny me rendre…

SCENE VIII. §

TOMIRE, CARLOS.

TOMIRE.

Monsieur aprés cecy vous n’avez qu’à vous pendre.

CARLOS.

Qu’est-ce encore, que viens-tu m’annoncer ?

TOMIRE.

[N]
Un malheur
A se desespérer, à mourir de douleur,
305 Et, comme je vous l’ay déja dit, à se pendre,
Et si vous m’en croyez, vous irez sans m’entendre…

CARLOS.

Julie est-elle morte, & le destin* jaloux…

TOMIRE.

Non.

CARLOS.

Que me dis-tu donc ?

TOMIRE.

Qu’elle est morte pour vous.
Qu’elle vit pour un autre, & que jamais œillade*...

CARLOS.

310 Comment !

TOMIRE.

Vous connoissez Dom Brusquin d’Alvarade,
Ce brave* Dom Brusquin, cet obstacle à vos feux*,
Fantasque* comme un diable, & jaloux comme deux,
Maussade comme trois, avare comme quatre.

CARLOS.

Et bien ?

TOMIRE.

Il est icy.

CARLOS.

Que d’ennuis* à combattre ?
315 Ah Ciel ! il est icy, qui te l’a dit ?

TOMIRE.

Mes yeux.

CARLOS.

Ne t’ont-ils point trompé ?

TOMIRE.

Non, je vous répons d’eux.

CARLOS.

Il est icy ?

TOMIRE.

Luy-même.

CARLOS.

Où le Ciel me destine* !
Voilà ce qu’ont produit les Lettres de Marine :
Mais où l’as-tu trouvé ; comment sur son rapport* ?

TOMIRE.

320 Tout à l’heure265, Monsieur, en allant vers le Port,
Je l’ay vû d’assez loin descendre d’une Barque ;
Et comme sa figure est assez de remarque266,
Les Turcs railleurs aprés l’avoir examiné*,
En luy riant au nez l’ont tous environné*,
325 J’ay fait comme eux, voulant m’éclaircir* davantage ;
Mais dés que de plus prés j’ay pû voir son visage,
J’ay vû que c’étoit luy, je ne puis vous flater* ;
Sur tout quand il a dit, qu’il venoit racheter
Sa Femme, qui depuis six mois en Barbarie*,
330 Etoit chez Fatiman sous le nom de Julie.

CARLOS.

Juste Ciel !

TOMIRE.

Vous sçavez qu’il ne vous connoît point ;
Venez vous éclaircir* vous-même sur ce point.
Venez.

CARLOS.

Et bien ! allons nous montrer à sa vûë,
Il mourra de ma main si la chose est concluë* ;
335 Ou si Julie enfin doit partir de ces lieux,
Je ne le verray point sans mourir à ses yeux.

TOMIRE.

Si vous voulez, Monsieur, faire quelque folie,
Ne m’allez pas mener avec vous, je vous prie,
On met à la raison les mutins* en ces lieux,
340 Séparons-nous plûtôt ; car, enfin, j’aime mieux, [Nij]
Quoy que je sçache bien qu’il faudra que je meure,
Etre Esclave cent ans, que pendu demi-heure,
Je vous en avertis, examinez*-vous bien.
Autrement…

CARLOS.

Vien, suis moy, Tomire, & ne crains rien.

Fin du premier Acte.

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

D. BRUSQUIN, GUSMAN.

D. BRUSQUIN lisant.

345 Si Julie encore vous est chere,
Ne pensez point à la chercher
Autre part que dans Alger.
Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire.
Ah, morbleu !… Fatiman Gouverneur* dans ces lieux
350 Nous tient Esclaves toutes deux.
En payant nos rançons, nôtre ennuy* se termine,
Ne perdez point de temps, secondez nos souhaits,
Elle est plus belle que jamais,
Et moy plus que jamais, & caetera, Marine.

GUSMAN.

355 Quoy, Monsieur, sur le point de revoir en Julie,
Aprés six mois d’absence, une Femme cherie,
Quand à terre à couvert de l’orage, & du vent,
Dont le bruit & la peur vous menaçoient souvent ;
Je me flatois de voir Dom Brusquin d’Alvarade,
360 Ne songer qu’à la joye & qu’à faire gambade*,
Vous êtes tout chagrin, & malgré tous mes soins*267,
Je vous vois…

D. BRUSQUIN.

Malepeste* ! on le seroit à moins,
Tant qu’avec toy sur Mer a duré le voyage,
Je n’avois dans l’esprit que la peur du nauffrage.
365 La crainte du peril me donnoit des frissons,
Et maintenant tout plein de mes jaloux soupçons,
J’ay, quand je vois ces Turcs, leur port & leur allure,
Des frayeurs pour mon front*268 de fort mauvais augure.
Oüy, quand je me remets*269 que presque entre mes bras,
370 Par un coup de Demon* que je ne comprens pas,
On m’a ravy Julie, & que je me rappelle,
Le chagrin* qu’elle avoit quand j’étois auprés d’elle,
Les pleurs qu’elle versa, que j’étois son Epoux,
La peine qu’eut sa Mere, à la fléchir pour nous,
375 Et que de bonne foy, tout de bon j’examine*,
Que j’ay l’humeur bouruë*, & que je péche* en mine270,
Que chez un Turc la belle est à discretion*271,
Que ce sont gens amis de la conclusion,
Contre qui, sans miracle, une Belle captive,
380 Soûtient mal-aisément six mois de négative*,
Certain instinc fondé sur beaucoup de raison,
Me dit que ce sera grand hazard si mon nom,
Occupant d’un Railleur le papier & la plume,
Des Maris baffoüez ne272 grossit le Volume.

GUSMAN.

385 C’est d’un pareil scrupule être trop combattu,
Monsieur, Julie est sage, elle a de la vertu, [Niij]
Et vous devez enfin mieux juger en vôtre ame*.

D. BRUSQUIN.

Elle est sage, il est vray ; mais enfin elle est Femme,
Et cette qualité seule peut là-dessus
390 Servir de contre-poids à toutes les vertus.

GUSMAN.

Mais si pour vôtre honneur vous aviez tant d’allarmes,
Pourquoy venir si loin la chercher, par quels charmes*,
Craignant pour vôtre sort le fruit de ses Amours,
Hazarder sur la Mer vôtre argent, & vos jours ?

D. BRUSQUIN.

395 Ah ! j’ay pour mes pechez, pour elle un chien de tendre*273,
Qui n’a jamais voulu me rien laisser entendre :
Et mon penchant plus fort que toute ma raison,
N’a pü faire avorter cette demangeaison.
A peine un Matelot, que le Ciel extermine,
400 M’eut confirmé l’avis que me donnoit Marine,
Que le Diable ennemy juré de mon repos*,
Me fit mettre ma vie à la mercy des flots ;
Comme si pour ces flots, ou pour Dame Fortune274,
J’avois un sauf-conduit* signé du Dieu Neptune275.

GUSMAN.

405 Vous en repentez-vous ?

D. BRUSQUIN.

Je ne sçay ; mais je crois
Que si j’étois chez moy, j’y songerois deux fois,
Ce noir pressentiment où ma raison s’obstine,
Me fait…

GUSMAN.

Mais il faut bien que cecy se termine.
Vous en avez trop fait, pour ne pas achever,
410 On sçait à276 quel dessein vous venez d’arriver,
Et vôtre Femme, enfin, ou coquette, ou fidelle,
En payant sa Rançon vous sera…

D. BRUSQUIN.

Bagatelle,
Si je puis découvrir que ce Turc pour277 début
Se soit fait de son chef icy mon Substitut,
415 Qu’il se soit par ses mains, enfin, de quelque sorte
Payé de l’interêt de l’argent que j’apporte ;
Et que ma Femme enfin avec ce Fatiman,
Ait mis son cœur* à prix, & mon front* à l’encan*278,
Je dis, nescio vos279, & m’en vais sans replique,
420 Et l’affaire entre nous est fort problematique.

GUSMAN.

Et qui sçaura cela chez vous, quand par vos soins*...

D. BRUSQUIN.

Pour n’être pas crû sot, un Homme l’est-il moins,
Dis, Maraut* ?

GUSMAN.

Mais pourquoy jusques en sa demeure?

D. BRUSQUIN.

On me doit faire voir Marine tout à l’heure,
425 Un Esclave en entrant me l’a promis ainsi,
Moyennant…

GUSMAN.

J’entens bien.

D. BRUSQUIN.

Et je l’attens icy.
Vois-tu, je veux sçavoir* avant que de conclure*,
Sur quoy, par qui, comment, & par quelle avanture
Julie est en280 Alger ? Car à te parler net,
430 Je crains fort dans cecy quelque complot secret ;
Je n’ay pû jusqu’icy penétrer ce mistere,
Marine avecque281 moy n’est pas Fille à se taire,
En la flattant* un peu je puis être éclaircy
De tout ce que je crains d’apprendre ; La voicy. [Niiij]

SCENE II. §

DOM BRUSQUIN, TOMIRE, GUSMAN, MARINE.

TOMIRE.

435 Prens bien garde…

MARINE.

Suffit.

TOMIRE à D. Brusquin.

Vous voyez, je m’acquitte,

D. BRUSQUIN.

Je vous suis obligé, Serviteur282.

TOMIRE.

Je vous quitte.

SCENE III. §

D. BRUSQUIN, MARINE.

MARINE.

C’est luy-même, & d’abord* je l’ay bien reconnu.
Ah ! Monsieur.

D. BRUSQUIN.

Dieu te gard.

MARINE.

Soyez le bien venu.

D.BRUSQUIN.

Bien ou mal, me voilà. Concluons*.

MARINE.

Quoy ! vous-même
440 Venir jusques icy !

D. BRUSQUIN.

Que veux-tu, quand on aime
On est sot, on est fou de mettre tous ses soins*

MARINE.

On seroit bien fâché que vous le fussiez moins.

D. BRUSQUIN.

Passons.

MARINE.

Julie aura…

D. BRUSQUIN.

Comment se porte-t’elle ?

MARINE.

Bien.

D. BRUSQUIN.

Comme de tous temps j’ay reconnu ton zele,
445 Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché,
Avant que283 de conclure* icy nôtre marché,
J’ay voulu te parler un peu sur cette affaire ;
Sûr qu’avec ta franchise & ton zele ordinaire,
Par amitié pour moy mettant la feinte au croc284,
450 Tu vas à cœur* ouvert…

MARINE.

Oh ! cela vous est hoc285.
Parlez, je suis pour vous tout cœur*.

D. BRUSQUIN.

Ta récompence
Au reste passera de loin ton espérance,
Et je t’ay préparé de quoy te voir un jour,
Au dessus…. tu sçauras le reste à mon retour.

MARINE.

455 Ah ! Monsieur, parlez donc.

D. BRUSQUIN.

[Nw]
Dis-moy, je te conjure,
Comment, à quel dessein, & par quelle avanture
Vous êtes toutes deux icy depuis ce soir286.

MARINE.

L’avanture, Monsieur, est aisée à sçavoir*.
On venoit de souper, la soirée étoit belle,
460 Julie étoit chagrine, & je fus avec elle
Faire un tour de Jardin, en attendant la nuit,
Tout d’un coup regardant que l’on faisoit du bruit,
Je vis des gens masquez, qui d’abord qu’ils287 nous virent,
Sans être épouvantez de nos cris, nous saisirent,
465 La porte du Jardin s’ouvrit en même temps,
Un Carosse étoit là; l’on nous jetta dedans* ;
Touche288 Cocher, dit-on, l’embarras de la Nôce…

D. BRUSQUIN.

Et vous êtes venus sur la Mer en Carosse ?

MARINE.

Sur la Mer en Carosse ! Eh qui vous dit cela ?
470 Ecoutez jusqu’au bout.

D. BRUSQUIN.

Lors qu’on vous enleva,
Vous criâtes bien fort ?

MARINE.

Bien fort ? A pleine tête289,
Au voleur, au secours, au meurtre, arrête, arrête.
Non, pour du bruit, jamais Femme n’en a tant fait.

D. BRUSQUIN.

Il falloit que ces gens eussent quelque secret
475 Pour avoir rendu sourds, pendant tout ce ravage*
Tous les gens du Logis, & tout le Voisinage,
Car dedans* ny dehors* pas un n’entendit rien290.

MARINE.

Enfin, il est pourtant très assuré…

D. BRUSQUIN.

Fort bien.
Passons.

MARINE.

Nous arrivons au Port, où cette Trouppe
480 Du Carrosse nous mit dedans*291 une Chalouppe,
De là dans un Vaisseau qui n’attendant plus rien…

D. BRUSQUIN.

Et que se passa t’il ? Car, enfin, l’on sçait bien
Que quand pour s’exposer à diverses fortunes*,
On enleve les Gens, ce n’est pas pour des prunes.

MARINE.

485 A peine eût-on été quelques heures en Mer
Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger
Prêts à nous attaquer, on voulut se défendre,
On se battit long-temps ; mais il falut se rendre,
On nous prit, & pour nous le Corsaire adoucy,
490 Nous prit dans son Vaisseau, pour nous conduire icy,
Où depuis…

D. BRUSQUIN.

Franchement je trouve cette histoire
Peu possible ; mais292 bien tres difficile à croire,
Que devinrent ces Gens masquez dont les efforts
Avoient…

MARINE.

Apparemment ils sont captifs, ou morts,
495 Mais comme pas-un d’eux ne montra son visage,
Je ne vous en puis pas apprendre davantage.

D. BRUSQUIN.

Fatiman étoit donc ce Corsaire d’Alger.

MARINE.

Il en est Gouverneur*, & ne va guere en Mer.
Ce fut un autre Turc.

D. BRUSQUIN.

Comment, en sa puissance.

MARINE.

[Nvj]
500 C’est qu’il est Gouverneur*.

D. BRUSQUIN.

Et quelle consequence ?

MARINE.

En cette qualité par un droit peu commun,
Des Esclaves qu’on fait, de huit293 il en prend un,
Il nous vit, & d’abord* nous prit pour son partage.

D. BRUSQUIN.

Sans doute que ce Turc, comme c’est leur usage
505 Avoit quelque Serail* à meubler, sur ma foy…

MARINE.

Toûjours prêt d’expliquer*294

D. BRUSQUIN.

Tout doucement dis moy ;
Tu sçay bien qu’il manquoit, lors que l’on prit Julie,
A nôtre Mariage une Cerémonie.

MARINE.

Quelle Cerémonie ?

D. BRUSQUIN.

Eh ! celle que l’Amour
510 Ordonne à frais communs295 la nuit de ce grand jour.
Celle chez qui des gens que l’on marie ensemble
Fait un nœud gordien* du nœud qui les assemble.
Qui lors que l’on nous eut l’un à l’autre conjoint,
Devoit le soir… Enfin, celle qu’on ne fit point.

MARINE.

515 Eh bien ?

D. BRUSQUIN.

Je voudrois bien avant que de conclure*,
Sçavoir* si quelque Turc épris de sa figure
Ne s’est point….

MARINE.

Quoy ?

D. BRUSQUIN.

Chargé de la commission
De mettre nôtre Hymen* dans sa perfection.

MARINE.

Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage.

D. BRUSQUIN.

Ecoute,
520 Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ?

MARINE.

Le beau doute !

D. BRUSQUIN.

Qu’auprés d’elle ce Turc n’a jamais entrepris
De mettre sur mon frond* les Armes du Pays296,
Que de force ou de gré pas un n’a rien eu d’elle ?

MARINE.

Pas un.

D. BRUSQUIN.

Et qu’elle soit aussi sage que belle.

MARINE.

525 Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront.

D. BRUSQUIN.

Vivat*, je trouve icy sûreté pour mon front*.

MARINE.

Croyez-en mon rapport*, & vous297 mettez en tête
Qu’elle a toûjours trouvé Fatiman fort honnête,
Fort civil, obligeant, même respectueux ;
530 Outre que quand pour elle il eût senty des feux*,
Il eût perdu son temps, puis qu’enfin ma Maîtresse
Sur ce chapitre là n’en doit rien à Lucrece298.

D. BRUSQUIN.

C’est à dire, entre nous, parlant de bonne foy ;
Qu’à son défaut, ces Turcs se sont passez* de toy.

MARINE.

535 Quels discours* ! N’avez-vous rien de meilleur à dire ?

D. BRUSQUIN.

Va, je n’en diray rien, cecy me peut suffire.

MARINE.

Fatiman vient, je sors…

SCENE IV. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT. Suite.

D. BRUSQUIN à part.

Peste* ! quel égrillard* !
A son air* je crains bien d’être venu trop tard ;
Et que sur mon honneur, enfin, étant à même,
540 Comme sur la capture il n’ait pris le huitiéme.

STAMORAT salüant Fatiman.

Voilà cet Espagnol dont on vous a parlé.

D. BRUSQUIN salüe Fatiman à sa mode, & les Turcs l’examinent.

Salut, suis-je venu pour être contrôllé* ?
Messieurs, afin qu’icy personne ne l’ignore,
Je prétend* avec vous traiter de Turc à Maure299.
545 Vous avez pris sur Mer ma Femme sans façon*,
Rendez-la moy de même, en payant sa rançon :
Çà répondez-moy juste au discours* que j’entame.
J’ay de l’argent, de plus j’ay besoin de ma Femme.

FATIMAN.

Ta300 Femme, ce n’est pas Julie, apparemment ?

D. BRUSQUIN.

550 Comment ? Est-ce la vôtre ? Hem ! parlez franchement.

FATIMAN.

Non. Mais pour une Femme aussi bien-faite qu’elle,
Franchement, je te trouve un Mary sans modelle,
A ne te pas flater*, car la beauté qu’elle a…

D. BRUSQUIN.

Il n’est pas à present question de cela ;
555 Pour ne pas chamarrer le dessus de ma lévre
Comme l’on fait icy, d’une barbe de Chévre301,
Sçachez qu’étant un jour tête à tête* au Pays,
Nous ne manquerions pas… Bref chacun vaut son prix,
Elle est pourtant ma Femme, ou peu s’en faut, je n’ose…

FATIMAN.

560 C’est un malheur pour elle.

D. BRUSQUIN.

Ah ! parlons d’autre chose,
S’il vous plaît.

FATIMAN.

J’y consens, je voy bien que tes vœux*
Vont à vous voir chez vous bien réünis tous deux.
Tu meurs de la revoir, car je lis dans ton ame*,
Elle a de la beauté, tu l’aimes, c’est ta Femme ;
565 C’est pourquoy je ne veux que six mille Ducats,
Pour la mettre en tes mains.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! vous n’y songez pas.
Comment, pour une Femme ?

FATIMAN.

Ouy.

D. BRUSQUIN.

Peste*, quelle Somme
Combien faudroit-il donc vous donner pour un Homme ?

FATIMAN.

A bien meilleur marché je vendrois leurs maris,
570 Ce beau Sexe chez nous est un tresor sans prix.
...........................................................................302

D. BRUSQUIN.

Je vous conseille fort, pourtant, de n’en plus prendre.

FATIMAN.

De Femmes ?

D. BRUSQUIN.

Ouy, sur tout des environs.

FATIMAN.

Pourquoy ?

D. BRUSQUIN.

C’est que pour vous parler franc, & de bonne foy,
575 Je vois force Maris qui passent pour tres-sages,
Qui vous les laisseroient sûrement pour les gages,
Et je vous suis garant qu’ils en seroient ravis*.
Faites-nous bon marché pour nôtre droit d’avis303.
Contentez-vous du tiers pour elle & pour Marine,
580 C’est beaucoup. Il ne faut point tant faire la mine304.

FATIMAN.

Tu les veux toutes deux.

D. BRUSQUIN.

Ouy, je l’avouë aussi,
Si l’on vendoit chez nous les Femmes, comme icy,
Pour moitié de l’Argent que j’offre pour la mienne,
J’en aurois, à choisir, du moins une douzaine.

FATIMAN.

585 Finissons, je suis las d’un pareil entretien*,
Tu perds icy ton temps, j’en veux cinq mil, ou rien,
Regle-toy là-dessus, & prens bien tes mesures,
J’en demeure d’accord, ces Loix sont un peu dures ;
Mais cependant il faut ne me voir desormais,
590 Que l’Argent à la main, & me laisser en paix.
Allez…

D. BRUSQUIN.

Quelle Somme ! Ah ! j’en ay la mort dans l’ame*,
J’aimerois presqu’autant qu’ils gardassent ma Femme.
Ils pourroient s’en dédire, il faut se dépêcher.
Ah, Chien* de Turc !

FATIMAN.

Plaît-il ?

D. BRUSQUIN.

Je m’en vais vous chercher
595 Les cinq mille Ducats.

FATIMAN.

Cette affaire est concluë*.
Allons voir si Celime est enfin résoluë
A terminer l’Hymen* qui me doit rendre heureux.
La voicy.

SCENE V. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE.

FATIMAN.

Quel bonheur vous présente à mes yeux ?
Qui vous ameine icy ?

CELIME.

Vous-même.

FATIMAN.

Moy, Madame.
600 O Ciel! à quel dessein?

CELIME.

De vous ouvrir mon ame*.

FATIMAN.

Qui vous cause ce soin*, Madame, est-ce l’Amour ?

CELIME.

Je l’avouë, il me fait vous chercher à mon tour.

FATIMAN.

Et l’Hymen* suivra-t’il ce feu* qui le devance ?

CELIME.

Oüy, luy seul à present fait mon impatience.

FATIMAN.

605 O trop heureux mortel ! O fortuné moment !
A qui dois-je, Madame, un si grand changement ?

CELIME.

Je ne suis pas ingrate, & je vais vous l’apprendre.
Tout ce que dans mes yeux vous remarquez de tendre*,
Ces feux* qu’heureusement vous comprenez si bien,
610 Me viennent d’avoir vû cet Esclave Chrétien.

FATIMAN.

Quoy, Madame…

CELIME.

Jamais ; croyez, s’il est possible,
Vous ne me pouvez faire un plaisir plus sensible,
Que d’en avoir fait choix pour me dés-ennuyer*,
Dans ses Chants que jamais je ne veux oublier,
615 Il a tant fait sentir à mon ame* charmée,
L’agréable douceur d’aimer & d’être aimée,
Que mon cœur* se dévouë à l’Amour desormais,
Et d’un heureux Hymen* je fais tous mes souhaits.

FATIMAN

Que ne luy dois-je point ? que ma surprise est grande.
620 O Ciel !

CELIME.

Puis-je pour luy vous faire une demande,
C’est de sa liberté ; me l’accorderez-vous ?

FATIMAN.

Moy, Madame, je vais luy rendre un bien si doux.
J’y cours.

CELIME.

Non, laissez-moi ce petit soin*. Zaïre,
Vous l’entendez, Carlos est libre ; allez luy dire,
625 Et par vôtre discours* faites-luy concevoir,
Qu’aprés ce grand bien-fait, il songe à son devoir.

ZAIRE.

J’y vais, Madame.

FATIMAN.

Aprés ce que je viens de faire,
Je puis donc me flater de l’Hymen* que j’espere ?
Je puis…

CELIME.

Si le destin* favorise mes pas,
630 Vous verrez des transports* que vous n’attendez pas,
Adieu.

SCENE VI. §

FATIMAN, ZAIRE.

FATIMAN.

De mon amour la confiance fidelle,
Enfin va remporter…

ZAIRE.

O la fine Femelle !

FATIMAN.

Qui, Celime ?

ZAIRE.

Oüy.

FATIMAN.

Comment, au lieu de la loüer…

ZAIRE.

Quoy, vous ne voyez pas qu’elle veut vous joüer ?

FATIMAN.

635 Elle ?

ZAIRE.

Elle aime Carlos.

FATIMAN.

Ah ! quelle perfidie !
Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ?

ZAIRE.

A la folie.

FATIMAN.

D’où sçais-tu cet amour dont elle brûle en vain,
Dis-moy ?

ZAIRE.

Tantôt cachée au Cabinet* prochain*,
J’ay de ses feux* naissans, entendu le mistere,
640 Dans l’aveu* qu’à Carlos, sa bouche en a sçu faire,
Elle luy promettoit des biens en quantité,
Dont le moindre à ses yeux étoit la liberté,
Et c’est pour ce sujet qu’elle l’a demandée.

FATIMAN.

De quelle passion* est-elle possédée !
645 Et Carlos qu’a t’il dit ? tu l’as bien entendu ?

ZAIRE.

Interdit* & confus il n’a rien répondu.

FATIMAN.

De ce complot maudit je veux sçavoir* la suite,
Zaire, j’en commets* le soin* à ta conduite*.
Va trouver Dom Carlos, comme elle te l’a dit.
650 Acheve exactement ce qu’elle t’a prescrit.
Observe adroitement ses yeux, sa contenance
Ses gestes, ses discours*, & même son silence ;
De peur d’être surpris dans cet Appartement,
Tu viendras dans le mien m’instruire promptement,
655 Vole, ta liberté que ma bouche a jurée,
Sera par ce service encor plus assurée.

ZAIRE.

Pour redevenir libre, allons trouver Carlos.

SCENE VII. §

JULIE, CARLOS.

JULIE.

Zaire ?… Elle me fuit, tout nuit à mon repos*,
Je cherche en vain Carlos pour adoucir ma peine.
660 En vain… Mais le voicy, mon bonheur me l’ameine.
Carlos me laissez-vous en proye à mes douleurs ?
Venez avecque moy détourner mes malheurs ;
Pour empêcher ma mort, allons trouver Celime.

CARLOS.

Ah ! quel empressement* de la voir, vous anime ?
665 Madame.

JULIE.

Dom Brusquin est icy dés ce jour,
Avecque Fatiman il traite mon retour.
Par ce rachat cruel livrée à ce barbare*,
Demain nôtre malheur pour jamais nous separe,
Et Celime pourroit auprés de Fatiman…

CARLOS.

670 Ah ! nous sommes perdus, s’il faut son agrément*.
Et plus que Dom Brusquin, elle est nôtre Ennemie.

JULIE.

Comment ?

CARLOS.

Vous le diray-je, helas ! belle Julie,
Pour cet infortuné, par un instinc jaloux,
Elle a le même cœur*, les mêmes yeux que vous.

JULIE.

675 Elle vous aime ? helas !

CARLOS.

Elle a sçû me le dire.

JULIE.

L’aimez-vous ?

CARLOS.

Moy ! Madame, ah ! plûtôt que j’expire
A vos genoux…

SCENE VIII. §

D. BRUSQUIN, JULIE, CARLOS.

D. BRUSQUIN.

Allons pour consommer cela…
Que voy-je icy ? ma Femme !

JULIE.

Ah !

D. BRUSQUIN.

Que faites-vous là ?
Parlez, travaillez-vous tous deux pour nôtre honte.

CARLOS.

680 Je ne suis pas icy pour vous en rendre compte.
Il s’en va.

SCENE IX. §

D. BRUSQUIN, JULIE.

D. BRUSQUIN.

Me voilà, quel accüeil ! Quoy sans sçavoir nâger,
Quand de la Mer pour vous je brave* le danger,
Je ne vous vois pour moy remüer pié ny patte305.
Vous ne pouvez, du moins me dénier ingrate,
685 Que vous voyez en moy vôtre Liberateur.

JULIE en s’en allant.

Je ne puis voir en vous, que mon Persecuteur.

SCENE X. §

D. BRUSQUIN seul.

Suis-je pas un grand Sot d’aimer cette Traîtresse ?
Mais puis que rien ne peut guerir tant de foiblesse,
Et que le Diable épargne enfin si peu de fronts*,
690 Hazard306 à mon marché, concluons* & partons.

Fin du second Acte.

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

STAMORAT, FATIMAN, ZAIRE.

STAMORAT.

D’un air* brusque, augmenté par sa mélancolie,
Le brave* Dom Brusquin pour rachetter Julie,
Vient de nous délivrer les cinq mille Ducats.
Impatient de voir sa Femme entre ses bras,
695 Pour partir promptement il demande Audiance,
Il est proche d’icy ; vous plaît-il qu’il avance ?

FATIMAN.

Non, lors que je voudray le voir, il entrera.

STAMORAT.

Luy diray-je le temps, quand…

FATIMAN.

Quand il me plaira,
En faveur de Carlos, je prétens*, quoy qu’il die,
700 D’avec ce Dom Bouru* démarier Julie.
La remettre, Zaire, à cet heureux Amant*,
Pour prix d’avoir été sincere à Fatiman.
Oüy, ce qu’il m’a fait voir pour moy contre Celime,
L’assure pour jamais de toute mon estime.
705 Quant à l’Ingrate, enfin, je veux jusques au bout
La suivre, la surprendre, & la confondre en tout.
Par des Airs concertez & chantez devant elle,
Insulter, irriter son ardeur* criminelle ;
Toy, comme je l’ay dit, agis de ton côté,
710 Sûre que mes bienfaits suivront ta liberté.

SCENE II. §

CELIME, ZAIRE.

ZAIRE.

Pour me voir libre, allons trouver… Elle s’avance.

CELIME.

Je ne puis resister à mon impatience ;
J’ignore si Carlos a remply son devoir,
Je brûle de l’apprendre, & crains de le sçavoir*,
715 Zaïre est paresseuse &… La voicy. Zaïre,
De la part de Carlos que venez-vous me dire,
A-t’il avec transport* reçû sa liberté,
De quels regards, Zaïre, a-t’il vû ma bonté ?

ZAIRE.

Je voudrois, dans l’état* où j’ay trouvé son ame*,
720 Que de vos propres yeux vous l’eussiez vû, Madame.
Pour en être surprise autant que je la307 suis.

CELIME.

La joye est éclatante aprés de longs ennuis*.
Il t’a, je m’imagine, avec peu de conduite*,
Fait des remercimens par des discours* sans suite,
725 Et qu’il308 viendroit bien-tôt redevable à mes soins*
Embrasser mes genoux.

ZAIRE.

Luy ! Madame, rien moins.
A le voir interdit*, rêveur, muet, stupide*,
Le regard égaré, le visage insipide*,
D’une froide sueür il a paru trempé, [O]
730 Comme si du Tonnerre il eût été frappé.

CELIME.

Un bien* qu’on n’attend pas surprend & saisit l’ame,
Enfin il a parlé ?

ZAIRE.

Rien moins encor, Madame :
De rompre le silence en vain je l’ay pressé*,
Plus je montrois d’ardeur*, plus il étoit glacé,
735 Et sur son teint, du Rouge ayant perdu les charmes*,
Grosses comme des poix j’ay vû couler ses larmes.

CELIME.

On pâlit de surprise, & la joye a ses pleurs.

ZAIRE.

Non, si je m’en rapporte au langage des cœurs,
Les siennes à Julie exprimoient le contraire.

CELIME.

740 Quoy, Julie… Au récit que tu luy viens de faire
Elle était donc présente ?

ZAIRE.

Ils ne se quittent pas,
Madame.

CELIME.

Le crois-tu charmé* de ses appas ?
Seroit-il aimé d’elle, est-ce un plaisir qu’il goûte ?

ZAIRE.

Il ne m’en a jamais parlé, mais je m’en doute.

CELIME.

745 Un desir curieux me porte à le sçavoir*,
Et je veux… Mais quel Homme icy viens-je de voir ?

ZAIRE.

C’est Tomire, autrefois son Valet.

CELIME.

Va luy dire,
Que je veux luy parler, & qu’il vienne.

ZAIRE.

Tomire
Viens, on veut te parler.

SCENE III. §

CELIME, TOMIRE, ZAIRE.

TOMIRE.

J’allois chez Fatiman,
750 Courir executer l’ordre & l’empressement*
Du brave* D. Brusquin, qui demande audience,
Vous voyant, par respect, je retournois.

CELIME.

Avance
Vien. Autrefois Carlos étoit servy par toy ?
Parle.

TOMIRE.

Il n’a jamais eû d’autre Valet que moy.

CELIME.

755 Et tu l’aimes ?

TOMIRE.

Autant qu’un Valet aime un Maître.

CELIME.

Il est noble en Espagne ?

TOMIRE.

Oüy, tout ce qu’on peut l’être.

CELIME.

Quelle honte ! j’admire étant de qualité,
Comment par sa Famille il n’est pas racheté !

TOMIRE.

En Europe souvent, quoy qu’ils soient en estimes,
760 Madame, noble & gueux sont termes synonimes ; [Oij]
Carlos auroit ces noms sans l’espoir singulier*
D’un Oncle riche & vieux dont il est heritier,
Dieu mercy.

CELIME.

Mais ayant cet Oncle, est-il croyable
Qu’il l’abandonne ?

TOMIRE.

Il est avare comme un Diable ;
765 Madame, & nous verroit plûtôt crever* tous deux,
Que de donner un soû.

CELIME.

Sa mort proche, étant vieux,
Enrichira Carlos d’une assez grande Somme.

TOMIRE.

Il est vray qu’il est vieux, mais comme c’est un Hõme
Qui depuis le berceau pour nous faire enrager*,
770 Ne s’est fait, ny seigner, ny droguer, ny purger,
Et qu’il ne veut point voir de Medecins, je doute
Qu’il meure encor.

CELIME.

Parlons d’autres choses, écoute
Carlos t’ouvroit son cœur*, te connoissant prudent ?

TOMIRE.

J’ay toûjours, quoyqu’indigne, été son Confident.

CELIME.

775 Conte-moy ses Amours ?

TOMIRE.

Oh ! Ces Historiettes
De mysteres* galants, d’intrigues, d’amourettes,
Comme vous jugez bien sont de petits secrets,
Qu’un Valet bien discret, ne révéle jamais.
Ainsi, vous voulez bien me dispenser, Madame,
780 De découvrir icy le secret de sa flâme*309.
Ce Dom Carlos dont j’ay ménagé* les Amours,
Fut mon Maître, & je veux m’en souvenir toûjours.
Tel que vous me voyez, j’ay pour luy tant de zéle,
Que je veux être un jour cité comme modéle,
785 D’un Valet achevé, malheureux, mais nazard310 ;
Et je ne haï311 rien tant qu’un Valet babillard*,
Qui veut à tous venans, même sans les connoître,
Conter de but* en blanc les Amours de son Maître.

CELIME.

Carlos est bienheureux que sa condition
790 Luy conserve un tel zéle ; & ta discretion
Me paroît à la fois si rare, & si loüable,
Que le plaisir que j’ay de t’en trouver capable,
Est payé de ce prix.
Elle luy donne une Bague.

TOMIRE.

Oh ! C’est…

CELIME.

Prens, j’aime à voir
Que rien contre Carlos n’ébranle ton devoir.
795 Son interêt m’est cher : qu’à l’avenir ton zéle,
Ne démente jamais une ardeur* si fidelle,
Tu sçais tous ses secrets, garde-toy d’en parler,
Et meurs plûtôt cent fois que de les reveler.

TOMIRE.

Oh !

CELIME.

Quant à ses Amours qu’on auroit peine à croire,
800 Carlos m’en a conté tantôt toute l’Histoire.
Ce n’est plus à present un mystere* pour moy,
Il m’a dit qu’il aimoit Julie.

TOMIRE.

Ah ! je le croy,
Cela n’est pas nouveau.

CELIME.

Qu’une ardeur* mutuelle
Rendoit malgré leurs Fers leur Amour éternelle ; [Oiij]
805 Par quel hazard ils ont perdu la liberté,
Leurs traverses*, leurs pleurs…

TOMIRE.

Il vous a donc conté
Comment il l’enleva du logis de sa Mere ;
La rencontre qu’il fit de ce Vaisseau Corsaire ?

CELIME.

Ouy, vôtre Embarquement, & comment on vous prit.
810 Le desespoir qu’il eut.

TOMIRE.

Il vous aura donc dit,
Là… que la chose fut justement accomplie,
Dans le tems qu’on venoit de marier Julie,
Qui haïssoit à mort l’Epoux qu’on luy donnoit,
Que deux heures plus tard l’Hymen* se consommoit*.

CELIME.

815 Il m’a dit tout cela de point en point, Tomire.

TOMIRE.

Il faut que sur son cœur* vous ayez grand empire,
Pour s’être ouvert à vous ainsi, j’en suis surpris,

CELIME.

J’estime fort Carlos.

TOMIRE

Et vous a-t’il appris
Que ce vieux Singe, à qui l’on maria Julie,
820 Est pour la rachetter dés hier en Barbarie*,
Et qu’avec Fatiman il a fait son marché ?

CELIME.

Je le sçay, & Carlos m’en paroît si touché,
Que sensible* à l’ennuy* qu’il m’en faisoit paroître…

TOMIRE.

Hé bien ! voyez un peu le caprice d’un Maître,
825 Il l’a dit, il n’auroit point cessé de crier,
Si j’en avois ouvert la bouche le premier.
Le monde est ainsi fait.

CELIME.

Cette triste nouvelle,
Me donne pour Carlos, une douleur mortelle,
Car il perd sa Maîtresse312, & l’ennuy* qu’il en a…

TOMIRE.

830 Ne vous affligez point, si ce n’est que cela ;
Depuis une heure ou deux tout a changé de face.

CELIME.

Quoy ! ne me cache rien, dis-moy ce qui se passe.

TOMIRE.

Je n’en suis pas encor tout-à-fait informé,
Mais je viens de laisser Carlos joyeux, charmé,
835 Parlant de se voir libre, & vous nommant, Madame,
Avecque des transports* qui découvrent son ame*.

CELIME.

Vous m’en aviez, Zaïre, informée autrement.

ZAIRE.

J’ay dit ce que j’ay vû, Madame, assûrément,
Carlos étoit chagrin & triste en ma présence.

TOMIRE.

840 C’est donc qu’il a voulu vous cacher ce qu’il pense ;
Car c’est un fin matois*, à le dire entre nous,
Mais maintenant avec Julie, à ses genoux,
Sa bouche tendrement sur ses mains attachées,
Il les baise d’un air* dont vous seriez touchée* ;
845 Je m’en vais leur conter, Madame, avec ardeur*
Combien vous témoignez de joye à leur bonheur.

CELIME.

Non, laisse-moy ce soin*, & ne dis rien, Tomire.

TOMIRE.

Je me tairay, Madame, & vous n’avez qu’à dire. [Oiiij]

SCENE IV. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

M’estes-vous infidelle, & me tromperiez-vous,
850 Zaïre ?

ZAIRE.

Moy, Madame, ah !

CELIME.

Craignez mon courroux*.
Vous sçavez qui je suis ; malheur à qui m’offence.

ZAIRE.

Et quel seroit le fruit de cette intelligence* ?
Je retourne de prés les examiner* mieux.

CELIME.

Non, je n’en veux plus rien sçavoir* que par mes yeux.
855 Demeurez ; Mais qui vient me chagriner.

SCENE V. §

CELIME, STAMORAT, ZAIRE.

STAMORAT.

Madame,
Fatiman pénétré du bonheur de sa flâme* ;
Pour devancer l’Hymen* qui doit le rendre heureux,
Et répondre aux transports* de son cœur* Amoureux,
Vous offre ce Coffret remply de Pierreries.

CELIME.

860 Je suis bien obligée à ses galanteries.
Tenez, Zaïre, adieu.

STAMORAT.

Dans ce même moment
Il vous fait préparer pour divertissement,
Un Opera313 chanté par Carlos, & Julie ;
Mais il craint toutefois que ce chant vous ennuye*.

CELIME.

865 Non, non, j’ay des raisons pour m’y bien divertir*
Si-tôt qu’il sera prêt, qu’on me fasse avertir.

SCENE VI. §

FATIMAN, STAMORAT.

STAMORAT.

Elle n’est pas sensible* à l’Amour legitime.
J’ay peur que Fatiman… il vient.

FATIMAN.

Comment Celime
A-t’elle envisagé mon present ?

STAMORAT.

Froidement.

FATIMAN.

870 Et que t’a-t’elle dit du divertissement ?

STAMORAT.

Avec beaucoup d’ardeur* elle m’a fait connoître
Qu’il luy feroit plaisir, & qu’elle y vouloit être :
Qu’elle avoit des raisons pour s’y bien divertir*,
Et quand il sera prêt, qu’on la fasse avertir.

FATIMAN.

[Ov]
875 Elle y trouvera moins de plaisir qu’elle pense314,
Fais venir Dom Brusquin, qu’il vienne à l’Audience.
Je vais pour obliger Julie, & Dom Carlos,
Contraindre ce Magot*315 de signer leur repos*.

SCENE VII. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT.

D. BRUSQUIN.

Ça*, Seigneur Fatiman, concluons* je vous prie,
880 Aussi bien316 je commence à voir que je m’ennuye* ;
J’ay demandé ma Femme, & l’on m’a fait sçavoir*
Que c’est de vôtre main, qu’il la faut recevoir,
Je veux partir, enfin ; en un mot, comme en douze317 ;
J’ay livré mon Argent, livrez-moy mon Epouse.

FATIMAN.

885 Elle est libre, & de plus contre nôtre Traité,
Je prétens* luy donner gratis la liberté.
La rendre sans Argent, & qu’elle se retire…

D. BRUSQUIN.

Quel excés de bonté ! Sans Argent, c’est à dire,
Que ce Drôle voyant qu’elle quittoit ce lieu,
890 S’est payé par ses mains en luy disant adieu.
De ses bontez pour nous voilà la récompense,
Et je vais sur mon front* en porter la Quittance.
Que feray-je à cela, passons ? Apparemment
Nous pouvons donc partir ; tréve de compliment,
895 Puis que vous voulez bien sans Argent me la rendre,
De peur de vous fâcher, je m’en vais la reprendre ;
Si vous venez chez nous, vous me ferez honneur,
Reste à vous dire adieu but à but318, serviteur.

FATIMAN.

Avant que de partir il faut qu’avec Julie,
900 Vous soyez le témoin d’une Cérémonie,
Et que vous me donniez icy quelques momens.

D. BRUSQUIN.

C’est pour une autre fois, nous n’avons pas le temps,
A nous faire partir, vôtre honneur vous oblige.

FATIMAN.

Vous ne sçauriez partir qu’après cela, vous dis-je,
905 Il faut qu’absolument vous y soyez tous deux.

D. BRUSQUIN.

Vous raillez.

FATIMAN.

Il le faut, vous dis-je, & je le veux.

D. BRUSQUIN.

Dites-moy donc quelle est cette Cérémonie,
Qui veut & ma présence, & celle de Julie,
Sans indiscretion peut-on vous en prier ?

FATIMAN.

910 C’est que je veux ce soir…

D. BRUSQUIN.

Hé bien !

FATIMAN.

La marier.

D. BRUSQUIN.

Julie ?

FATIMAN.

Elle.

D. BRUSQUIN.

Expliquons* s’il vous plaît ce langage,
Est-ce qu’on doute icy de nôtre mariage.
Et que craignant en Mer pour son honnêteté
On veut nous marier pour plus de sûreté ?

FATIMAN.

[Ovj]
915 Non.

D. BRUSQUIN.

Non ?

FATIMAN.

Non, je sçay bien que tu l’as épousée,
Que toûjours à ta flâme* elle s’est refusée,
Que rien ne vous unit, enfin, que quelques mots
Qui n’ont point eu d’effet ; Ainsi pour son repos*
Et même pour le tien, il vaut mieux, ce me semble,
920 Vous separer tous deux, que vous unir ensemble,
L’usage le permet icy, comme chez vous,
Et je luy vais ce soir donner un autre Epoux.

D. BRUSQUIN.

A ma Femme ?

FATIMAN.

A ta Femme : Et de plus….

D. BRUSQUIN.

Quel Negoce*.

FATIMAN.

Ton Argent servira pour les frais de la Nôce.

D. BRUSQUIN.

925 Nous nous entendons mal assurément tous deux.
Vous prétendez* ce soir marier à mes yeux,
Qui, dites-vous, Julie ?

FATIMAN.

Ouy.

D. BRUSQUIN.

Ma Femme : ah ! j’enrage*,
De quel droit, s’il vous plaît, rompre mon mariage ?

FATIMAN.

J’ay de deux Marabous*319 pouvoir pendant dix ans,
930 De démarier ceux qui ne sont pas contens.

D. BRUSQUIN.

Vous ? Si cela se sçait, un jour il faut qu’il fonde,
Des Maris en ces lieux des quatre coins du monde.
Et si vous pouvez mettre à profit tout ce temps,
Cela vous vaudra mieux que vingt Gouvernemens.

FATIMAN.

935 Sans doute, & pour ne pas differer* davantage,
J’en fais ce soir l’essay par ton démariage.
Vous y serez présent, vous en verrez le fruit.

D. BRUSQUIN.

Moy ! Ciel ! à quel malheur me vois-je icy réduit !
Qui l’eût dit ? Quand chez moy je partis plein de flâme*,
940 Que c’étoit pour venir aux Nôces de ma Femme ;
Et que me souhaitant des aîles aux talons320,
Je viendrois de si loin payer les violons* ;
Est-ce un Arrêt pour moy sans appel ; & ma bourse
Ne peut-elle adoucir ?…

FATIMAN.

L’affaire est sans ressource.
945 Je luy donne un Epoux malgré tous tes discours*.

D. BRUSQUIN.

Sera-ce pour long-temps ?

FATIMAN.

Ce sera pour toûjours.

D. BRUSQUIN.

L’a-t’on dit à Julie ?

FATIMAN.

Ouy, je luy321 viens d’apprendre.

D. BRUSQUIN.

Que dit-elle à cela ?

FATIMAN.

Qu’elle est prête à se rendre,
Et qu’elle aimeroit mieux en te manquant de foy*322,
950 Estre aux Fers avec luy, que Reine avecque toy.

D. BRUSQUIN.

Ah ! me voilà donc veuf du vivant de ma Femme.
Et quel est ce beau Fils323 qui cause tant de flâme* ?
Est-ce un secret pour moy ? ne le puis-je sçavoir* ?

FATIMAN.

Tu le sçauras tantôt, je te le feray voir.

D. BRUSQUIN.

955 Scelerat ! Est-ce ainsi que vous me percez l’ame ?
Vous me coupez la bourse324, & me volez ma Femme.
Vous pouviez l’avoir fait, sans m’avoir attendu
Mais si j’y suis présent, je veux être pendu.
Je pars, & vais, pleurant des malheurs incroyables,
960 Donner cent fois le jour les Turcs à tous les Diables.
Il s’en va.

FATIMAN.

Il a beau se hâter, il n’ira pas bien loin.
Suivez-le, Stamorat ; Allez, prenez-en soin.

SCENE VIII. §

FATIMAN, CELIME.

CELIME.

Je ne voy rien encor préparé pour la Fête,
Qui325 retient le Concert, qu’est-ce qui vous arrête ?
965 Je ne croyois jamais être assez tôt icy,
Et je ne vois encor Personne.

FATIMAN.

Les voicy,
Madame.

SCENE IX. §

FATIMAN, CELIME, CARLOS, JULIE.

FATIMAN.

Qu’allez-vous, Carlos, nous faire entendre ?

CARLOS.

De deux Amans* heureux, une Scéne assez tendre*.
On chante.
En vain l’on conspire
970 Pour séduire
Un cœur* amoureux,
Tout ce qu’on fait pour le surprendre
Ne sert qu’à le rendre
Plus fidele & plus tendre*,
975 Pour ses premiers feux*.
Les présens, les faveurs*
N’arrêtent pas toûjours les cœurs,
En amour il faut se contraindre,
Quand on a sçû charmer* ;
980 C’est un feu* qu’il faut feindre326,
Et ce qu’on fait pour l’allumer,
Sert bien souvent à l’éteindre.
Les présens, les faveurs*327
N’arrêtent pas toûjours les cœurs ;
985 Mais je crois que l’Amour…

CELIME aprés qu’on a chanté.

Taisez-vous, Dom Carlos, vôtre chant m’étourdit ;
Mais que fais-je, où m’emporte un trop juste dépit ;
Ils s’aiment, je ne puis l’ignorer. O vengeance,
Prête-moy tous tes traits, pour punir cette offence.

FATIMAN.

990 Il paroît que ces Chants qui me semblent si doux,
Madame, ne font pas le même effet sur vous.

CELIME.

Je ne sçay par quel Air leurs voix ont sçû vous plaire,
Je crains d’en pénétrer l’injurieux mystere* :
Et si je m’en croyois… Mais il vaut mieux sortir.

FATIMAN.

995 Et qui peut vous avoir causé ce déplaisir ?
Madame, expliquez*-vous.

CELIME.

J’aurois peur d’en trop dire,
Je ne suis pas assez à moy ; je me retire.

FATIMAN.

Je ne souffriray point que vous quittiez ces lieux
Sans que vôtre courroux* s’explique*, & qu’à vos yeux
1000 Un châtiment soudain n’étouffe vôtre haine.

CELIME.

Non, vous souffririez trop, je n’en vaux pas la peine ;
A l’affront qui m’est fait vous avez trop de part.

FATIMAN.

Je jure…

CELIME.

A ces sermens prononcez au hazard,
Pour peu que vous vouliez que je donne croyance,
1005 Il faut pour satisfaire à ma juste vengeance,
Que vous chargiez de Fers, sans aucune pitié,
Ces Esclaves Objets* de mon inimitié,
Qu’en des lieux séparez, accablez de misere,
Ils sentent le malheur de m’avoir sçû déplaire.

FATIMAN.

1010 Madame…

CELIME.

Obéïssez, remplissez mes souhaits
Ou bien résolvez-vous à ne me voir jamais.

SCENE X. §

FATIMAN, JULIE, CARLOS, ZAIRE.

JULIE.

Seigneur de ses fureurs* sauvez nôtre innocence.

FATIMAN.

Je veux voir jusqu’où peut aller son insolence,
Et luy dresser un piége adroit, ingénieux :
1015 Mais allons-en parler ailleurs que dans ces lieux,
Et toy cours la trouver, Zaïre, va luy dire
Que je vais accomplir tout ce qu’elle desire.

Fin du troisiéme Acte.

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

Zaïre, je vous ay confié mon secret,
J’ay crû ne le pouvoir328 dans un sein plus discret ;
1020 Si je vous vois répondre à cette confiance,
Zaïre, attendez tout de ma reconnoissance ;
Mais si de me trahir vous cherchez le moment,
Zaïre, craignez tout de mon ressentiment*.

ZAIRE.

J’entre dans vos secrets, Madame, sans contrainte,
1025 Et de vôtre courroux* je ne crains point l’atteinte,
Si la peur maintenant se renferme en mon sein,
Si je tremble, ce n’est que pour vôtre dessein.

CELIME.

L’Amour qui l’entreprend guidera l’entreprise.

ZAIRE.

Et c’est de cet Amour, que mon ame* est surprise,
1030 Madame, est-il bien vray que vous aimiez Carlos ?

CELIME.

Si je l’aime ! l’ingrat, que trop pour mon repos*.

ZAIRE.

Emprisonné, Madame, & trahy par vous-même,
Vous le persecutez, est-ce là comme on aime ?

CELIME.

As-tu vû ses tourmens*, sçais-tu son desespoir ?

ZAIRE.

1035 Dans l’abime profond du cachot le plus noir,
Mains, & piés enchaînez, éloigné de Julie,
Il faut voir ses clameurs.

CELIME.

Que mon ame* est ravie*.

ZAIRE.

Je ne vous comprens pas.

CELIME.

Dans ses cruels ennuis*
Il reconnoît sa faute, il voit ce que je puis,
1040 Plus de son noir Cachot la rigueur est extrême,
Plus il sent qu’il n’en peut sortir que par moy-même,
Et de sa liberté redevable à mes soins*,
Il m’aimera, peut-être, il le feindra du moins.

ZAIRE.

Vous l’allez donc remettre en sa faveur* premiere ?

CELIME.

1045 Ouy, Fatiman rompra ses Fers à ma priere.

ZAIRE.

Mais ne craignez-vous point, l’en pressant* trop souvent,
Que Fatiman ne sorte enfin d’aveuglement ?

CELIME.

Fatiman veut ma main, il s’empresse à me plaire.
Il m’aime, j’en feray ce que j’en voudray faire.

ZAIRE.

1050 Il vient.

SCENE II. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE, suite.

FATIMAN.

He bien, Madame, est-ce aujourd’huy le jour
Où je verray l’Hymen* couronner mon amour :
Mon cœur* impatient d’en celebrer la Fête,
Remplit tous les devoirs dûs à vôtre conquête.
Allons, Madame, aux yeux d’Alger & du Divan*329
1055 Joindre à jamais Celime à l’heureux Fatiman.

CELIME.

Avant que d’achever cette Cerémonie,
Guerissez, s’il vous plaît, mes soupçons sur Julie.
Avez-vous accomply toutes mes volontez ?

FATIMAN.

Vos ordres sont déja, Madame, executez.
1060 Dans un cachot obscur gémissant sous la chaîne,
De vous avoir déplû, Carlos souffre la peine.

CELIME.

Et Julie ? Avez-vous pas330 la même rigueur ?

FATIMAN.

Non.

CELIME.

Non !

FATIMAN.

Je l’avouëray, touché de son malheur,
Des graces, des beautez, comme vous le modele,
1065 J’ay respecté les droits, de vôtre Sexe331 en elle,
Elle est libre.

CELIME.

Ah ! voilà mes soupçons confirmez,
Vôtre cœur* m’est connu, perfide, vous l’aimez.

FATIMAN.

Je l’aime !

CELIME.

Vous.

FATIMAN.

Moy !

CELIME.

Vous. Enfin ma jalousie
Pour être moderée est trop bien éclaircie.
1070 De ces Chants concertez je vois la verité.

FATIMAN.

Eh… quelle erreur, Madame, & quelle pauvreté !
A mon Accusateur j’avois dequoy répondre ;
Mais mon cœur* l’entreprend, & je veux vous confondre,
Pour gagner vôtre cœur*, pour avoir vôtre main,
1075 Pour remplir vos desirs, que faut-il faire, enfin ?

CELIME.

Non, non, je ne veux pas que pour moy l’on se gêne*,
Et l’execution vous feroit trop de peine.

FATIMAN.

Non, non, pour satisfaire à ce que vous voulez ;
Je ne conçois plus rien d’impossible, Parlez.

CELIME.

1080 Il faut à son Epoux que vous rendiez Julie,
La bannir de vos yeux pour toute vôtre vie.

FATIMAN.

Hé bien ! tantôt, Madame, à vos yeux, devant vous,
Je remettray Julie aux mains de son Epoux,
Et je vay de ce pas répondre à vôtre attente.

CELIME.

1085 Ce n’est pas tout, encor, pour me rendre contente,
Et me débarrasser d’un visage odieux,
Que pour jamais Carlos abandonne ces lieux,
Et qu’à peine sorty des Fers de l’esclavage,
Ce soir, avec la nuit, il quitte ce rivage.

FATIMAN.

1090 Vous serez obeïe.

CELIME.

Avant que de partir
Que je luy parle, il faut, & c’est tout mon desir,
Qu’il connoisse pour luy le fond de ma pensée,
Pour ne pas voir ma haine, il m’a trop offensée.

FATIMAN.

Que l’on fasse venir l’Esclave à ses genoux.

CELIME.

1095 Demain vous connoîtrez ce que je sens pour vous.

FATIMAN à part en s’en allant.

Elle embrasse un dessein que je ne puis comprendre,
Observons-la de prés, cachons-nous pour l’entendre.

CELIME.

L’ay-je amené, Zaïre, au point où j’ay voulu ?
Je me sers assez bien du pouvoir absolu.
1100 Dans les rusez détours d’une Œuvre mercenaire,
Fatiman est bon Turc, grand pilleur, franc Corsaire,
Mais dans ces tours d’esprit aux Amans* destinez,
C’est un Homme à ne voir pas332 plus loin que son nez.

ZAIRE.

Il est vray ; mais, Madame, ou j’ay peu de lumiere,
1105 Ou je ne comprens pas ce que vous voulez faire.
L’infortuné Carlos est aimable à vos yeux,
Et vous voulez ce soir qu’il parte de ces lieux.

CELIME.

Ouy ; mais de mes desseins acheve de t’instruire,
Toutes deux avec luy nous partirons, Zaïre.

ZAIRE.

1110 Nous !

CELIME.

J’ay tout préparé, pour ce prochain* départ,
Un Bâtiment Anglois est gagné de ma part,
Mon bien* est en Argent comptant ; dans ma retraite
Je ne laisseray rien icy que je regrette.
Il falloit pour sortir facilement du Port,
1115 Du Seigneur Fatiman avoir un Passeport,
Sa bonté me l’accorde, & par son entremise,
Demain de sa tendresse* il verra la sottise.
Tu peux t’en assurer…

ZAIRE.

Et malgré ces apprêts,
Si Carlos est toûjours rebelle à vos souhaits ?

CELIME.

1120 A me plaire, Zaïre, il mettra son attache*,
Il sçait ce qu’il en coûte, alors que l’on me fâche,
Et puis quand seul à seul, nous nous verrons sur Mer,
Quand il se verra loin de qui l’a sçû charmer*,
Faite comme je suis, il n’est pas impossible
1125 Que son cœur* à mes feux* ne devienne sensible*.

ZAIRE.

Le voilà.

SCENE III. §

ZAIRE, CELIME, CARLOS, FATIMAN caché.

CELIME.

Je le plains des maux qu’il a soufferts,
Zaïre approchez-vous, que l’on ôte ses Fers.
Qu’on me laisse. Restez, vous. Hé bien ! téméraire,
Tu vois quel est le fruit de m’avoir sçû déplaire ;
1130 Je suis absolument maîtresse de ton Sort :
La plus aimable vie, ou la plus dure mort
Sont à ton choix.

CARLOS.

Madame.

CELIME.

En l’état* déplorable,
Où Julie a réduit ton destin* miserable,
S’arracher d’un Objet* qu’on aime tendrement,
1135 N’est pas, je le sçay trop, l’ouvrage d’un moment ;
Aussi, je laisse au temps à333 faire cet office ;
Mes soins* te forceront à me rendre justice.
Pour gage d’un Amour dont mon cœur* est garant,
Accepte ces essais de ma tendresse*, prend.
1140 Prens, dis je, je te laisse, écoute, & crois Zaïre,
Elle connoît pour toy quel mouvement m’inspire.
Fais, voyant ce que peut mon courroux* dangereux,
Ce qu’elle te dira, si tu veux vivre heureux.
Adieu.

SCENE IV. §

CARLOS, ZAIRE, FATIMAN.

CARLOS.

Ciel ! Je… Mais vous à ce qu’elle souhaite,
1145 Prêteriez-vous les mains ?

ZAIRE.

M’en garde le Prophete.
Allons chez Fatiman luy…

FATIMAN.

J’ay tout entendu
Au Cabinet* prochain* ; étonné*, confondu,
De voir à quel excés elle poussoit l’outrage,
Indigné de l’affront, inspiré par la rage,
1150 Je me suis vû tenté de la perdre à vos yeux,
Et je n’ay differé que pour la punir mieux.

ZAIRE.

Je crois que d’un Amant* la fureur* est extrême,
Quand il se voit trahy par la Dame qu’il aime.

FATIMAN.

Je l’aime ! Environné de soins*, sur mon retour*334,
1155 Né dans le sein des Flots, suis-je fait pour l’Amour ?
Son bien*, plus que ses yeux, me la rendent335 aimable.
Et je benis du Ciel le moment favorable,
Qui me montrant l’abîme où j’allois me plonger,
Me fournit les moyens encor de me vanger.
1160 Voyons quel est l’essay de ses galanteries.

CARLOS.

Le voilà.

FATIMAN.

Ce Coffret. Comment, mes Pierreries !
L’usage qu’elle en fait m’inspire le dessein,
D’inventer des tourmens* qui perceront son sein.
Va la trouver, Zaïre, & pour flater* son ame*,
1165 Feins-luy que son Amant* peut répondre à sa flâme*,
Qu’à la suivre déja tu l’as vû balancer*,
Le reste me regarde, & je vais y penser.
Nous… Qu’est-ce ? [P]

SCENE V. §

TOMIRE, FATIMAN, ZAIRE, CARLOS.

TOMIRE.

Je venois, Seigneur, l’ame contente
Raconter à mon Maître une Histoire plaisante :
1170 Mais…

FATIMAN.

Dis-moy ce que c’est.

TOMIRE.

L’illustre D. Brusquin,
S’en alloit vers le Port fort outré de chagrin* :
Donnant les Turcs au Diable, & résolu sur l’heure
De se remettre en Mer, pour changer de demeure,
Lors que huit ou dix Turcs luy couppant le chemin,
1175 Qu’il prenoit pour se voir maître de son destin*,
En se moquant de luy, le traitant d’Excellence,
Ont fait en l’abordant chacun la reverence ;
Puis aprés un d’entr’eux faisant l’Ambassadeur,
L’a salüé fort bas, luy disant, Monseigneur,
1180 Sçachant que de Julie un bonheur tres-insigne*
Vous a fait, cy-devant le Mary tres-indigne,
Fatiman préposé pour pourvoir* aux abus,
Que des gens mal sensez commettent là-dessus ;
Pour vous démarier de bonne intelligence,
1185 Et la remarier, vous prie, avec instance,
De vouloir, terminant la chose avec éclat,
Assister à la Nôce, & signer le Contrat.
Moy signer au Contrat ! Traître, qu’il aille au Diable ,
A-t’il dit, suis je icy pour luy servir de Fable ?
1190 Qu’on me laisse partir, & que ce Suborneur*,
Se contente d’avoir… Mais, enfin, Monseigneur,
A dit d’un ton soûmis l’autre, vôtre Excellence,
Sçait que Fatiman prie, & qu’un refus l’offence,
Et si de ce plaisir vous allez le priver,
1195 Il aura du regret…. puisse-t’il en crever*,
Le Scélérat qu’il est, a dit l’autre en colere.
Puisqu’il ne vous plaît pas, Monseigneur, d’en rien faire,
A dit le Turc, cherchant dessous son Casaquin*336,
Respectueusement trois quartiers de Gourdin*
1200 Dont il s’étoit muny ; Voicy d’une racine,
Qui met à la raison l’ame la plus mutine*,
Vous en ferez l’essay, s’il vous plaît. A ces mots
Le Drôle de vingt coups a chamarré son dos.
Ah ! quartier, a-t’il dit, voulez-vous que je meure ?
1205 Je suis prêt d’aller voir Fatiman tout à l’heure ;
Ne pouvant de vos coups me sauver qu’à ce prix.
Là-dessus ils ont pris le chemin du Logis,
Il demandoit venant, le desespoir dans l’ame,
Si l’on n’est pas content de luy voler sa Femme,
1210 D’où vient que, malgré luy, l’on le rameine icy,
Et si ce Fatiman veut l’épouser aussi ?
On l’ameine.

FATIMAN à Carlos.

A ses yeux tu ne dois point paroître,
Que quand il sera tems de te faire connoître,
Laisse-moy.

TOMIRE.

Le voilà plaisamment consterné. [Pij]

SCENE VI. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT, suite.

D. BRUSQUIN.

1215 Hé bien ! me trouvez-vous suffisamment berné ?
Ah Traitres ! à quoy bon avec vos Excellences
En me roüant de coups, toutes ces revérences ?
Non jamais un mortel, à parler Franchement
Ne s’est vû mieux battu, ny plus civilement.

STAMORAT.

1220 Vous voyez Fatiman, vîte, la revérence,
A son aspect : Bas, bas, plus bas.

D. BRUSQUIN.

Quelle arrogance !
Le Traître de mes coups, rit, entre cuir & chair337,
Et pour comble de maux je n’ose m’en fâcher.

STAMORAT.

Le brave* D. Brusquin de civile maniere,
1225 Devant tes yeux, Seigneur, paroît à ta priere.

FATIMAN à D. Brusquin.

Je vous suis obligé d’avoir tant eû d’égard
Pour les gens qui vous ont salüé de ma part.

D. BRUSQUIN.

Brisons là, ce n’est pas le fruit de leur Harangue ;
Et leurs coups de bâton ont plus fait que leur langue,
1230 Ils m’ont roüé de coups, & n’auroient pas cessé*

FATIMAN.

Ils ont tort. Mais, enfin, oublions le passé.
Cela n’est rien, il faut qu’une amitié sincere…

D. BRUSQUIN.

Quoy que mal-aisément tout cecy se digére,
Puis qu’on fait à mon dos une necessité,
1235 De vous rendre aujourd’huy le maître du Traité ;
Soyez-le, j’y consens, les beaux yeux de ma Femme
Ont mis, je le vois bien, du désordre en vôtre ame*.
Vous voulez la garder, hé bien ! soit, gardez-la,
Faites-en… faites en tout ce qu’il vous plaira.
1240 Vous n’y manquerez pas ; mais que l’on me renvoye,
Qu’on ne me rende point témoin de vôtre joye,
Je n’auray, sans mes yeux, que de trop bons Témoins ;
....................................................................................338

FATIMAN.

Hé bien ! puis que ton cœur* a tant de répugnance
1245 A souffrir que l’Hymen* se fasse en ta présence,
Je veux bien t’obliger, & t’accorder ce point ;
Je te feray partir, tu ne le verras point,
Mais à condition…

D. BRUSQUIN.

Quel est ce nouveau Pacte ?

FATIMAN.

Qu’avant que de partir, on mettra dans un Acte,
1250 Que te trouvant indigne, & n’étant pas le fait*
De Julie, & voyant qu’un Hymen* sans effet,
Te fit contre son gré l’Epoux de cette Belle,
Tu t’es démis du droit qu’on te donna sur elle.
Que volontairement vous consentez tous deux,
1255 Que d’un pareil Hymen* quelqu’un brise les nœuds :
Que Julie en cecy consentit la derniere ;
Que c’est pour t’obliger, & même à ta priere :
Qu’à cet effet pour toy sa bonté se résout,
Que même à tes dépens.

D. BRUSQUIN.

Le Papier souffre tout,
1260 Que l’on y mette tout ce que l’on voudra mettre,
Pourrois-je l’empêcher ? Je veux bien m’en remettre
Sur les soins* que je crois que vous-même en aurez. [Piij]

FATIMAN.

Il faudra le signer, & puis vous partirez.

D. BRUSQUIN.

Moy le signer.

FATIMAN.

Ouy toy, la chose étant écrite,
1265 Il faudra bien signer.

D. BRUSQUIN.

Ah le chien* d’hypocrite !
Quoy, vouloir qu’en signant un pareil Concordat*,
Je passe pour un Sot sur mon Certificat* ;
Et que pour ma Moitié par écrit je convienne*,
Que je consens qu’un Turc en fasse icy la sienne :
1270 Dûssay-je être témoin de tout ce qu’on voudra,
Je ne signeray rien de ce qu’on y mettra.
Ouy, je vous mets au pis339, vous avez beau me dire,
Pour signer contre moy, je ne sçay point écrire.

FATIMAN.

C’est t’emporter en vain, tu n’y veux pas signer ;
1275 Hé bien ! soit, je consens à ne te point gêner*.
Mais comme tout est prêt pour la Cérémonie,
On ne laissera* pas de marier Julie,
Tu verras pour cela ce qui s’est concerté*.
Et comme je luy veux donner la liberté,
1280 Il faudra te résoudre, en souffrant qu’il se fasse,
A demeurer Esclave en échange à sa place ;
Jusqu’à ce que la mort finissant tes regrets,
Ait pris l’un de vous d’eux pour laisser l’autre en paix,
Quiconque restera…

D. BRUSQUIN.

Moy Captif ! & le vôtre !

FATIMAN.

1285 Ira porter chez luy les nouvelles de l’autre.
Tu feras cependant quelque voyage en Mer,
Par divertissement, pour t’apprendre à ramer.

D. BRUSQUIN.

Qui, moy, ramer !

FATIMAN.

Toy-même.

D. BRUSQUIN.

Ah Ciel ! quel coup de foudre !

FATIMAN.

Souviens-toy que tu n’as qu’une heure à te résoudre.
1290 S’il est passé ce tems, constant dans ses refus,
Qu’on le mette à la Chaîne, & qu’on n’en parle plus.

STAMORAT.

Nous irons l’embarquer Forçat* sur les Galeres,
Qui des Côtes d’Alger partiront les premieres.

FATIMAN.

Justement. J’en sçauray tantôt le résultat.

SCENE VII. §

D. BRUSQUIN, STAMORAT, Suite.

D. BRUSQUIN.

1295 Ah ! Canaille maudite ! ah Traître ! moy Forçat* !
Quoy donc ? Il faut finir mes jours en Barbarie*,
Ou la rame à la main, ou noté340 d’infamie ?
Aux dépens de mes bras m’épargner un affront,
Ou bien les soulager aux dépens de mon front* ?
1300 Ah ! Bourreaux qui sur moy faites ces violences !

STAMORAT.

Il faut aller plus loin faire tes doléances.

D. BRUSQUIN.

Croyez-vous que mon cœur* sans douleur souffrira ?

STAMORAT.

Va, songe à te résoudre, & l’on te répondra.

Fin du quatriéme Acte. [Piiij]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

TOMIRE, MARINE.

TOMIRE.

Il faut attendre icy Celime à son passage.
1305 De la bouche, des yeux, du geste, & du visage,
Songeons à suivre en tout l’ordre de Fatiman.

MARINE.

Que ne ferois-je point pour ce bon Musulman ?
Sur l’ardeur* de mon zéle, il peut compter, Tomire ;
Mais de nôtre bonheur achéve de m’instruire.
1310 Le Frere de Carlos vient d’arriver icy,
M’as-tu dit, & son Oncle est mort ?

TOMIRE.

Ouy, Dieu mercy.
Le bon Homme341 est défunt, & pour longues années,
Nous allons voir bien-tôt changer nos destinées*342.
Que diable ! pour mourir, qu’est-ce qu’il attendoit ?
1315 Que la peste le créve* en quelqu’endroit qu’il soit.
Le vieux Renard qu’il est.

MARINE.

Ton dépit me fait rire,
Pourquoy le maudis-tu ?

TOMIRE.

Je le puis bien maudire.
Si quelques mois plûtôt ce Singe eût trépassé,
Mon gros Diable de Turc ne m’eût point tant rossé*343.
1320 Il avoit force Argent, & le Frere en apporte
Dequoy payer trois fois la rançon la plus forte.
Carlos l’a de ces Turcs tres-amplement instruit,
Et puis chez Fatiman il l’a d’abord* conduit.
Et je ne doute point que cette conjoncture
1325 Ne rende leur marché fort facile à conclure*.
Ainsi, comme tu vois, il ne faut plus songer
Qu’à nous bien réjoüir, & bien-tôt déloger.

MARINE.

Celime ne vient point, Tomire, qui l’arrête ?

TOMIRE.

Tant mieux ; nous en aurons un plus long tête à tête,
1330 Il s’offre rarement, tâchons d’en profiter.
Vois-tu, le cœur* m’en dit, & je t’en veux conter344.

MARINE.

Toy ? quelle vision ! vraîment l’audace est belle,
M’en conter !

TOMIRE.

Ouy, comment est-ce chose nouvelle ?
Avant que ta Maîtresse eût eu son Sot Epoux,
1335 Est-ce que je manquois jamais au rendez-vous ?
Et tandis que mon Maître entretenoit* Julie,
N’allois-je pas les soirs dedans* la Gallerie,
Te faire bec à bec345 mille petits Rébus*,
Entrelassez de la… tu ne t’en souviens plus ?

MARINE.

1340 Il m’en souvient que trop, mais depuis six mois, Traître,
Que nous sommes icy, que m’as-tu fait paroître,
Pour me faire la cour*, qu’as-tu fait, qu’as-tu dit ?
Quelques mots en passant par maniere d’acquit346.
Quand on aime, on en parle.

TOMIRE.

En étois-je capable ?
1345 J’avois pour Directeur un cœur* impitoyable, [Pv]
Qui depuis le matin jusqu’à minuit sonnant,
Querelle à lettre vûë347, & rosse* argent comptant.
Il me roüoit de coups, & pour ne te rien feindre,
Je n’avois que le tems qu’il falloit pour me plaindre.
1350 Et je ne sçache rien, Marine, tout de bon,
Si contraire à l’Amour, que les coups de bâton ;
Mais, enfin, à présent qu’un rayon d’espérance
Nous flate, & qu’on nous traite avec plus d’indulgence,
Comme jamais pour toy mon Amour n’a cessé,
1355 Je veux récompenser un peu le temps passé,
Et folâtrer un peu sur nouveaux frais ; je meure348
Si mon cœur*

MARINE.

Et demain, peut-être, ou dans une heure,
Si les coups de bâton surviennent là-dessus,
Tu ne me diras rien, ou ne m’aimeras plus.
1360 Je prétens qu’un Amant*, en pareille avanture,
Conserve un cœur* plus tendre* en une peau plus dure,
Et je me mocque, moy, de cet Amour poltron,
A qui la peur des coups fait faire le plongeon349.
Entens-tu ?

TOMIRE.

Cependant, à regret je m’en vante ;
1365 Mon amour n’est point ladre350, & la peur l’épouvante :
J’en conviens*, c’est pour moy, si tu veux, un malheur ;
Mais j’ay la peau fort tendre, aussi-bien que le cœur* ;
Enfin, pour abreger un discours* qui t’ennuïe* ;
Et te faire ma cour, sçais-tu bien que Julie
1370 M’a tantôt promis...

MARINE.

Quoy ?

TOMIRE.

Que nous serions unis.

MARINE.

Il vaudroit mieux pour toy que je te l’eus promis.

TOMIRE.

Chut, Celime paroît

MARINE.

Elle parle à Zaïre.
Ecoutons, & songeons à ce qu’il nous faut dire.

SCENE II. §

CELIME, ZAIRE, TOMIRE, MARINE.

CELIME.

Pour le départ, Zaïre, hé bien tout est-il prêt ?

ZAIRE.

1375 Avant que de partir, j’en ay vû tout l’apprêt.

CELIME.

As-tu de mes trésors chargé le Capitaine ?

ZAIRE.

Ils sont en bonne main*, n’en soyez point en peine.

CELIME.

Et Carlos ?

ZAIRE.

Avec vous il s’apprête à partir.

CELIME.

Dis-moy, son cœur* est-il touché de repentir ?
1380 En luy parlant de moy, l’as-tu vû se confondre ?

ZAIRE.

A vos desirs, Madame, il m’a paru répondre.

CELIME.

Je viens de sa promesse avertir Fatiman.
Qu’il est temps qu’il réponde à mon empressement*,
Qu’avecque son Epoux je veux revoir Julie, [Pvj]
1385 Pendant que se fera cette Cérémonie.
Dans les cris, le tumulte, & l’ombre de la nuit,
Moy, Dom Carlos, & toy, nous partirons sans bruit.
Que voy-je ? quelle Fille icy s’offre à ma vuë ?

ZAIRE.

Elle est à Julie.

CELIME.

Ah ! m’auroit-elle entenduë ?

ZAIRE.

1390 Je ne crois pas, Madame, elle est trop loin.

CELIME.

Voilà
Le Valet de Carlos aussi ! Que fais-tu là ?

TOMIRE.

Sauf ce qui vous est dû, du meilleur de mon ame*,
Je ris dans mon petit particulier351, Madame.

CELIME.

Quoy ?

TOMIRE.

Marine est en place à352 se désesperer.
1395 Et mon petit Esprit rit de la voir pleurer.

CELIME.

Elle pleure ?

MARINE.

Ouy, Madame.

CELIME.

Eh pourquoy ? qu’est-ce à dire ?

MARINE.

Je pleure de dépit que j’ay de le voir rire.

CELIME.

Ces contrarietez que vous me faites voir,
Ont d’autres fondemens ; & je les veux sçavoir*.

TOMIRE

1400 Madame, à dire vray pour moy, c’est que mon Maître,
Joyeux, charmé, ravy, tout ce qu’on sçauroit l’être,
M’a dit que nous étions tous deux en liberté,
Que rien n’étoit égal à sa felicité ;
Et depuis ce moment je ris, ne vous déplaise,
1405 A gorge déployée, & ne me sens pas d’aise353.

CELIME à Zaïre bas.

Zaïre, il est enfin sensible* à mes ardeurs*.
Et toy, parle, quelle est la source de tes pleurs.

MARINE.

Un chagrin qui ne peut finir qu’avec ma vie.
Aux vœux* de D. Brusquin, Fatiman rend Julie.
1410 Cet Hymen* renoüé produit à nos regrets
Une source de pleurs à ne tarir jamais.

CELIME bas à Zaïre.

Quel plaisir, de pouvoir tourmenter sa Rivale !
Zaïre, ç’en est un pour moy, que rien n’égale.
Mais qui vous fait venir, dans mon Appartement
1415 Donner chacun l’essort à son temperamment.

TOMIRE.

Mon Maître dans ces lieux m’ordonne de l’attendre
Pour un fait d’importance il doit venir s’y rendre,
Il m’a recommandé que cecy fût secret.
Madame, vous sçavez comme je suis discret ;
1420 Ma langue est morte, & j’ay cadenacé ma bouche.

CELIME bas à Zaïre.

Carlos se rend, Zaïre, & mon amour le touche.

MARINE.

Et moy je viens icy, Madame, à vos genoux ;
Vous prier d’empêcher que ce vilain Epoux,
A l’amour de Carlos n’arrache ma Maîtresse.
1425 Elle mourroit, ayez pitié de sa tendresse*.

CELIME.

De cette impertinence osez-vous me prier ?
Moy ! que j’aide Julie à se démarier ?
Sortez, à mon courroux* dérobez vôtre vie.
Zaïre, en ce moment que mon ame* est ravie* !

ZAIRE.

1430 Tout va bien.

SCENE III. §

CELIME, FATIMAN, ZAIRE, TOMIRE, MARINE.

FATIMAN, montrant Tomire aux Turcs.

Le voilà, que l’on le mette aux Fers.

CELIME.

Dans mon Appartement ? devant moy ?

ZAIRE.

Quels revers ?

SCENE IV. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE.

CELIME bas.

Helas !

FATIMAN.

Par des ingrats je suis trahy, Madame.
Malgré tous mes bienfaits, pleins d’une noirceur d’ame,
N’écoutant qu’un esprit au crime abandonné,
1435 Pas un endroit sensible* ils m’ont assassiné.

CELIME bas.

Me voilà découverte. O rigueur inhumaine !

FATIMAN.

Mais Carlos le premier en va porter la peine.
Sous les tourmens* divers que j’ay fait préparer,
Venez le voir, Madame, à vos yeux expirer.
1440 Suivez moy.

CELIME.

Juste Ciel !

FATIMAN.

Vous semblez chancelante,
Venez le voir mourir.

CELIME.

De son crime ignorante
Je cherche en mon esprit, confus, embarrassé,
Par quel endroit il peut vous avoir offensé.

FATIMAN.

Ce seul témoin suffit pour convaincre vôtre ame*,
1445 On l’a trouvé saisi de ce Coffret, Madame.

CELIME.

Hé bien !

FATIMAN.

Ces Diamans entre ses mains tombez,
Prouvent qu’il vous les a sûrement dérobez.

CELIME.

Luy, dérobez !

FATIMAN.

Comment puis-je ne le pas croire ?
Prendrois-je des soupçons honteux à vôtre gloire ?
1450 Les auroit-il reçûs de vôtre main ? Parlez ?

CELIME.

Vous a-t’il confessé qu’il les avoit volez ?

FATIMAN.

De frivoles raisons il vouloit se défendre ;
Mais mon juste courroux* n’a pas voulu l’entendre.

CELIME.

Zaïre, ce que c’est que d’être malheureux !
1455 Un Homme qui se trouve en cet état* affreux,
Est soupçonné de tout, tout ce qu’il fait offence,
On le croit criminel, même dans l’innocence.

FATIMAN.

Qu’entendez-vous par là ?

CELIME.

Dom Carlos en fait foy354.
Tu sçais que ces bijoux luy sont donnez par moy.

ZAIRE.

1460 Ouy, Madame.

FATIMAN.

Il les tient de vous? Qu’osez vous dire ?

CELIME.

Et tu n’ignores pas à quel dessein Zaïre ?

ZAIRE.

Non, Madame.

CELIME.

Et tu vois comment il est traité ?

FATIMAN.

Madame, où poussez-vous ma curiosité ?
De ce dessein, de grace*, expliquez* la manœuvre.

CELIME.

1465 Voyant ces Diamans assez mal mis en œuvre355,
Desirant les voir mieux ; de Carlos j’ay fait choix,
Pour les porter à ce Lapidaire* François ;
Qui de tout vôtre Alger s’est attiré l’estime.
Il est de ses Amis, Seigneur, voilà son crime.

FATIMAN.

1470 Mais pourquoy le vouloir charger de cet employ ?
Vous pouvez vous servir de vos gens ou de moy.

CELIME.

Me servant de mes gens on auroit pû l’apprendre,
Et je vous l’avouëray, je voulois vous surprendre.

FATIMAN.

Vous vouliez me surprendre, & vous m’avez surpris :
1475 Mais bien-tôt vos bontez en recevront le prix.
Dans un moment Carlos alloit cesser de vivre :
Mais étant innocent ; courez, qu’on le délivre.

CELIME.

Ayant presque causé, moy-même, son trépas,
J’y veux moy-même aller, & reviens sur mes pas.

SCENE V. §

FATIMAN, ZAIRE, suite.

FATIMAN.

1480 Plus loin & plus long-tems peut-on pousser l’audace !
Mais je seray vangé, tout va changer de face :
Elle va recevoir le prix de sa noirceur,
Et d’avance déja j’en goûte la douceur.
Dom Brusquin vient, ses cris le font assez connoître.
1485 Ecoutons ses discours*, avant que de paroître.

SCENE VI. §

D. BRUSQUIN, STAMORAT, FATIMAN, suite.

D. BRUSQUIN.

Messieurs, que faites-vous, je suis prêt à signer,
L’heure n’est pas sonnée ?

STAMORAT.

Elle vient de sonner.
Et c’est ta faute, au lieu d’aller au necessaire,
Tu veux moraliser, ou tu ne fais que braire,
1490 Tu crois qu’on soit payé pour t’entendre crier.
Je te l’ay déja dit vingt fois ; point de quartier.

D. BRUSQUIN.

Eh de grace* ! Monsieur, en pareille matiere,
Un moment plus ou moins ne fait rien à l’affaire,
Au nom de Belzebut, vôtre digne Patron,
1495 Voyez Fatiman, vous, ou vôtre Compagnon,
Dites-luy, que soûmis à la loy qu’il m’imppose,
Je luy donne ma Femme à Bail emphithéose*356.
Et que s’il veut du sang, je signeray du mien,
Que de cent ans & plus je ne demande rien.

STAMORAT.

1500 Il n’est plus tems, te dis je, & l’heure est expirée.
Nôtre ordre est positif* & ta priere usée.
Il ne revient jamais, quand il a décidé.

D. BRUSQUIN.

Ah Chien* d’honneur, pourquoy m’as-tu tant obsedé ?
N’importe, par pitié, des peines que j’endure,
1505 Parlez à Fatiman, allez, je vous conjure,
Dites-luy que d’abord* j’avois pris mon party.

STAMORAT.

Ne verra-t’il pas bien que nous aurons357 menty ?

D. BRUSQUIN.

N’importe, donnez-moy cette derniere joye.

STAMORAT.

Il va me renvoyer.

D. BRUSQUIN.

Eh bien, s’il vous renvoye,
1510 Vous ferez lors358 de moy tout ce qu’il vous plaira :
Voyons de quel secours mon Argent me sera.
Tenez, prenez cecy, pour vous donner courage.

STAMORAT.

Attendez, je vay voir ; mais s’il vient, soyez sage.

SCENE VII. §

D. BRUSQUIN, suite de Turcs.

D. BRUSQUIN.

Helas ! à mes dépens je connois, mais trop tard,
1515 Qu’un Homme est un grand Sot quand un coup du hazard,
Le défait d’une Femme un peu Coquette & belle,
D’aller passer les Mers pour courir aprés elle.
Ah ! que je vois par tout de gens mal satisfaits,
Qui rendroient grace* au Ciel d’en être ainsi défaits !
1520 Quelqu’un vient, je crains fort, & je ne m’en puis taire,
Que mon retardement ne m’ait fait quelque affaire.

SCENE VIII. §

D. BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT, suite.
.......................................................................359

D. BRUSQUIN.

Me voilà ! je feray tout ce qu’il vous plaira,
Et signeray, plûtôt que360 vous mettre en colere ;
1525 Pour moy, pour mon Ayeul, & pour défunt mon Pere,
Que nous avons été des Sots de Pere en Fils,
Et même si l’on veut pour tous mes bons Amis,
Je laisse le champ libre à qui voudra m’en croire.

FATIMAN.

C’est quelque chose ; Mais si j’ay bonne memoire
1530 Je ne t’avois donné pour régler ton départ,
Qu’une heure, & ce choix vient, ce me semble un peu tard.

D. BRUSQUIN.

C’est que j’ay quelque tems, parlant de vôtre flâme*,
Entretenu* vos gens du bonheur de ma Femme,
Du plaisir que j’avois à vous trouver d’humeur,
1535 De vouloir consentir… de me faire l’honneur,
D’en recevoir tantôt, sans qu’elle y soit forcée,
Ce qu’elle… ils m’écoutoient, & l’heure s’est passée.

FATIMAN.

Ainsi, tu signeras ce qui t’est ordonné ?

D. BRUSQUIN.

Qu’on me fasse partir, je donne un blanc signé*.

FATIMAN.

1540 Outre ce blanc signé*, ton amitié s’engage*
A payer, sans chagrin*, les frais du Mariage.

D. BRUSQUIN.

Si j’en ay, je sçauray ne le point faire voir.

FATIMAN.

Que tu seras présent à leurs Nôces ce soir,
Et qu’à table auprés d’eux tes discours* ordinaires ;

D. BRUSQUIN.

1545 Pour cela décomptez.

FATIMAN.

Décomptez ! aux Galeres.

D. BRUSQUIN.

Quartier, Messieurs, s’il faut cela pour m’en sauver,
Je boiray leur santé361, quand j’en devrois crever*.
Je vous en laisseray possesseur fort tranquille.

FATIMAN.

Comme pour ton repos* cet Hymen* est utile,
1550 Et que l’Epoux, enfin, que je luy veux donner ;
Peut avoir, quelque peine à se déterminer.
A moins que ton aveu* ne seconde sa flâme*,
Il faudra le prier d’avoir soin* de ta Femme ;
Et de la recevoir de ta main, autrement…

D BRUSQUIN.

1555 Ah ! faites-moy credit d’un si sot compliment,
De quel air* voulez vous que pour le satisfaire...

FATIMAN.

Quoy, cela te fait peine362 ?

D. BRUSQUIN.

Ouy, sans doute.

FATIMAN.

En Galere,
Allez, c’est trop vouloir marchander avec moy.

D. BRUSQUIN.

Je suis soûmis à tout, & vous donne ma foy*
1560 De faire exactement sur chaque circonstance,
Ce qu’on exigera de mon obéïssance.

FATIMAN.

Qu’on luy fasse signer tout ce qu’il me promet.

SCENE IX. §

FATIMAN, JULIE, D. BRUSQUIN, STAMORAT, suite.

FATIMAN.

Venez remercier D. Brusquin, s’il vous plaît,
Belle Julie, enfin, d’une indulgence extrême,
1565 Il renonce à ses droits, & vous rend à vous-même.

JULIE.

En faisant cet effort sur son cœur* aujourd’huy,
Il fait beaucoup pour moy ; mais encor plus pour luy.

D. BRUSQUIN.

Ouy, c’est beaucoup pour moy que d’abaisser mon ame*,
A signer le Contrat du Mary de ma Femme,
1570 Quel honteux personnage on me fait joüer là !

FATIMAN.

Je t’entens murmurer, que veut dire cela ?

D. BRUSQUIN.

Non, j’ay signé, tout est à vos ordres conforme ;
Jamais Homme ne fut Sot en meilleure forme.

FATIMAN.

Maintenant qu’à mes vœux*, tu veux bien consentir,
1575 Je vais pour t’obliger, & te faire partir,
Te faire voir l’Epoux que je donne à ta Femme.

D. BRUSQUIN.

Comment, ce n’est pas vous ?

FATIMAN.

Non, sans doute, & sa flâme*
N’ayant pû se cacher, son cœur* s’est declaré
En faveur* de celuy qu’elle t’a préferé :
1580 Et touché d’une ardeur* si tendre* & si fidelle,
J’ay voulu les unir par amitié pour elle.

D. BRUSQUIN.

J’entens bien ; & pour prix d’une telle faveur*,
Vous ne vous réservez que le droit du Seigneur,
Mon front* est à l’enchere, & ma Femme au pillage.

SCENE X. §

FATIMAN, DOM BRUSQUIN, CELIME, CARLOS, JULIE, MARINE, TOMIRE, &c.

CELIME.

1585 Il est temps désormais d’achever vôtre Ouvrage.
Pour le voir accomplir, je rameine Carlos.
A tant d’infortunez assurez le repos*,
Qu’il soit libre, rendez un Epoux à Julie,
Et qu’ils prennent congé tous de la Compagnie.

FATIMAN.

1590 Ainsi dit, ainsi fait, Julie approchez-vous,
Recevez de ma main Carlos pour vôtre Epoux.

CELIME.

Quoy, Carlos ! est-ce ainsi que mes ordres…

FATIMAN.

Perfide,
De l’odieux amour qui vous charme* & vous guide,
Grace à mes bons destins* le projet m’est connu,
1595 Mais de vous en punir le moment est venu,
Ingrate, rougissez.

CELIME.

O Ciel ! je suis trahie.

FATIMAN.

Qui vous portoit Cruelle, à cette perfidie ?

CELIME.

Peux-tu363 le demander, je l’aimois, je te hais !
Aprés mon procedé contre tous mes souhaits,
1600 D’être unie à Carlos je n’ay plus l’espérance ;
Mais ne crois pas me voir briguer ton alliance,
Je vais sortir d’Alger, pour ne te voir jamais.

FATIMAN.

Non, devant le Divan instruit de vos forfaits,
Il faut qu’auparavant, vous soyez confonduë,
1605 Qu’on l’ôte de ces lieux, elle blesse ma vûë.

CELIME.

Ils blessent tous la mienne, allons, sortons d’icy.

SCENE DERNIERE. §

FATIMAN, JULIE, CARLOS, STAMORAT, MARINE, TOMIRE, D. BRUSQUIN, suite.

CARLOS.

Seigneur en faveur…

FATIMAN.

Non, n’ayez nul soucy*364.
Aprés tous les travaux* d’une longue constance,
Venez de vôtre amour cüeillir la récompense,
1610 Vous êtes à Carlos, & Julie est à vous.
D. Brusquin y consent.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! c’est là cet Epoux ?

FATIMAN.

Ouy, c’est luy, qui charmé des beaux yeux de Julie
L’enleva de tes bras, c’est luy qu’en Barbarie*,
L’Amour pour te l’ôter fit Esclave, & c’est luy,
1615 Qu’on va faire à tes yeux son Epoux aujourd’huy.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! c’est là le Paris, de cette belle Heleine365 ?

JULIE.

On me livra sans peine à l’objet* de ma haine,
Il vous plût de souffrir qu’on en usât ainsi,
On vous force à me rendre, & je le souffre aussi.
On chante.
1620 O Giornata
Fortunata !
Ringrasciar Mahometa,
Mi donnar la libertà,
Di tonar in Patria
1625 Allegria.
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Mi rompir Catena,
Ti donar Femina,
1630 Allegria.
Hà, hà, &c. Libertà.
Voglio casciar d’amar vaga belta
L’amore fa penar
E tropo sospirar
1635 La crudeltà.
Libertà, libertà, &c366.
Air pour les Turcs.
O le bon Païs que la Turquie,
Si l’on y bûvoit du Vin367,
Si-tôt qu’une Femme ennuïe*,
1640 Sans autre cérémonie,
On la donne à son Voisin.
O le bon, &c.
S’il ne falloit que passer la Mer,
Et se rendre en Alger,
1645 Pour rompre un Mariage,
Plus de la moitié des Maris
Qui sont aujourd’huy dans Paris,
Feroient dés demain le voyage.

D. BRUSQUIN, aprés qu’on a dansé.

Helas, tous mes Amis se moquant de ma flâme*,
1650 Ne m’appelleront plus que le Mary sans Femme ;
Mais que ferois-je, enfin, il faut s’en consoler ;
Bien des gens que je vois, voudroient me ressembler.
On reprend icy le même divertissement.

FIN.

Glossaire §

Abord (d’)
« Du commencement, de la premiere veüe. » (Fur.)
Adorer
« Signifie aussi hyperboliquement, Avoir beaucoup d’amour ou d’admiration pour quelqu’un. » (Fur.)
V. 20 
Agrément
« Signifie aussi, Ratification, consentement. » (Fur.)
V. 670 
Air
« Signifie encore, Maniere d’agir, de parler, de vivre, soit en bonne, ou en mauvaise part. » (Fur.)
V. 172, 538, 691, 844, 1556
Amant, ante
« Qui aime et est aimé. » (Rich.)
V. 15, 277, 701, 968, 1102, 1152, 1165, 1360 
Ame
« Forme substantielle qui rend les corps vivants. » (Fur.)
Ardeur
« Se dit figurément en Morale, & signifie, Passion, vivacité, emportement, fougue. » (Fur.)
Art
« Tout ce qui se fait par l’adresse & par l’industrie de l’homme. » (Fur.)
V. 223
Assujettir
« Vaincre, mettre sous le joug, sous la sujettion. » (Fur.)
V. 75 
Assurance
« se dit aussi des verités qu’on donne pour certaines & infaillibles. » (Fur.)
V. 90 
Attache
« Se dit figurément en Morale de l’engagement qu’on a à quelque chose. » (Fur.)
V. 1120 
Avance
« Se dit figurément en Morale, pour dire, Estre le premier à faire des propositions, des recherches d’amitié, des civilités. » (Fur.)
V. 258 
Avantage
« Ce qui fait preferer quelque chose à une autre, ce qui la met au dessus. » (Fur.)
V. 281 
Aveu
« Signifie aussi, Protection, approbation ; ordre, ou consentement donné. » (Fur.)
V. 145, 251, 640, 1552 
Babillard
« Qui parle continuellement, & qui ne dit que des choses de néant. » (Fur.)
V. 786 
Balancer
« Se dit figurément de l’examen qu’on fait dans son esprit des raisons qui le tiennent en suspens, & qui le font incliner de part & d’autre. » (Fur.)
V. 1166 
Barbare
« Estranger qui est d’un pays fort éloigné, sauvage, mal poli, cruel, & qui a des mœurs forts differentes des nostres. » (Fur.)
V. 285, 667 
Barbarie
« Signifie aussi, Ignorance, grossiereté. La Grece où regnoient autrefois la science & la politesse, est presentement plongée dans une affreuse barbarie. La France a été long temps un païs de barbarie. Et en ce sens il se dit tant des mœurs que du langage. » (Fur.)
V. 329, 820, 1296, 1613 
Beaute
« On appelle aussi absolument Beauté, la personne qui est belle. » (Fur.)
V. 74, 255 
Bien
« En termes de Jurisprudence, signifie, Toutes sortes de possessions & de richesses. » (Fur.)
V. 95, 731, 1112, 1156 
Blanc signé
« Un papier, ou un parchemin, que l’on donne à quelqu’un pour le remplir à sa volonté. » (Acad.)
V. 1539, 1540 
Bourru, ue
« Bizarre, qui ne veut point voir le monde, qui a des maximes extravagantes. » (Fur.)
V. 130, 376, 700 
Brave
« Excellent en sa profession. On dit, un brave homme. » (Fur.)
V. 311, 692, 751, 1224 
Braver
« Choquer, mépriser quelqu’un, le traitter de haut en bas. » (Fur.)
V. 189, 682 
But (de [...] en blanc)
« Adv. fig./burl. Inconsidérément, à l’étourdi. » (Rich.)
V. 788 
Butte
« On dit figurément, Estre en butte à l’envie, à la médisance, pour dire, Estre exposé aux traits de l’envie, de la médisance. » (Fur.)
V. 132 
Ça
« Çà est quelquefois une interjection pour exciter & encourager à faire quelque chose. Çà, travaillons. » (Acad.)
V. 38, 879 
Cabinet
« Le lieu le plus retiré dans le plus bel appartement des Palais, des grandes maisons. Un appartement royal consiste en sale, antichambre, chambre, & cabinet avec une galerie à costé. » (Fur.)
V. 242, 638, 1147 
Casaque
« Manteau qu’on met par dessus son habit, & qui a des manches où on fourre les bras. » (Fur.)
V. 1198 
Cavalier
« Se dit aussi d’un galant qui courtise, qui mene une Dame. » (Fur.)
V. 266, 272, 275 
Certificat
« Témoignage qu’on donne par écrit, pour faire connoistre en Justice la verité de quelque chose. » (Fur.)
V. 1267 
Cesse
« Qui se dit toûjours avec la negative, & signifie alors, Continuation. » (Fur.)
V. 50, 1230 
Chagrin
« Melancolie, ennuy ; fascheuse, mauvaise humeur » (Acad.)
V. 2, 6, 23, 128, 132, 143, 149, 159, 167, 372, 1171, 1541 
Charmant, ante
« Qui plaist extraordinairement, qui ravit en admiration. » (Fur.)
V. 251 
Charme
« Se dit figurément de ce qui plaist extraordinairement, qui nous ravit en admiration. » (Fur.)
V. 248, 392, 735 
Charmer
« Signifie aussi, Dire ou faire quelque chose de merveilleux, de surprenant, plaire extraordinairement. » (Fur.)
Chien
« Se dit aussi par injure, & pour reprocher à quelqu’un ses defauts. » (Fur.)
V. 50, 54, 114, 594, 1265, 1503 
Cœur
« Se dit figurément en choses spirituelles & morales, & signifie l’ame, & ses principales fonctions, parce que quelques Medecins, & entre autres Fernel, ont crû que les principales parties de nôtre esprit residoient au cœur, comme l’entendement, la volonté, la memoire. [...] se dit aussi des passions de l’ame. » (Fur.)
Commettre
« Signifie aussi, Confier quelque chose à la prudence, à la fidelité de quelcun. » (Fur.)
V. 648 
Concerter
« Se dit figurément en choses morales, en parlant des assemblées de gens qui font dans un même interest, pour adviser aux moyens de faire reüssir quelque affaire. » (Fur.)
V. 155, 1278 
Conclurre
« Signifie encore, Arrester une chose, la resoudre, promettre de l’accomplir. Ce mariage a été conclu, mais il ne sera executé que dans un an. » (Fur.)
V. 156, 334, 427, 439, 446, 515, 595, 690, 879, 1325 
Concordat
« Convention qui se fait en matiere beneficiale sur quelque resignation ou permutation, & generalementsur toutes les matieres Ecclesiastiques, contentieuses ou obligatoires. » (Fur.)
V. 1266 
Conduitte
« Commandement, direction ; action de celui qui conduit. [...] Il s’employe principalement dans un sens moral. » (Fur.)
V. 648, 723 
Convenir
« Advouër, être du même sentiment. » (Fur.)
V. 43, 1268, 1366 
Conscience
« Témoignage, ou jugement secret de l’ame raisonnable, qui donne l’approbation aux actions qu’elle fait qui sont naturellement bonnes, & qui luy fait un reproche ou qui luy donne un repentir des mauvaises. » (Fur.)
V. 114 
Consommer
« signifie aussi, Venir au dernier but du mariage. Un mariage n’est point parfait, jusqu’à ce qu’il soit consommé. » (Fur.)
V. 47, 814 
Contester
« Quereller, plaider, disputer. » (Fur.)
V. 140 
Controller
« Signifie aussi, Examiner les actions d’autruy, les critiquer, y trouver à redire. » (Fur.)
V. 542 
Coquin, ine
« Terme injurieux qu’on dit à toutes sortes de petites gens qui menent une vie libertine, frippone, faineante, qui n’ont aucun sentiment d’honnesteté. » (Fur.)
V. 80 
Cour
« se dit aussi à l’égard des Grands Seigneurs ou Superieurs, à qui on rend des visites frequentes, des respects, des assiduitez. » (Fur.)
V. 3, 1342 
Courroux
« Mouvement impetueux de colere. » (Fur.)
V. 135, 850, 999, 1025, 1142, 1428, 1453 
Courtier, iere
« On disoit autrefois couratier, qui s’entremet pour faire des ventes, des prests d’argent. » (Fur.)
V. 57 
Crever
« Se prend aussi quelquefois pour Mourir de quelque mort violente, ou simplement pour mourir. » (Acad.)
V. 6, 765, 1195, 1315, 1547 
Dedans
« Adv. & preposition de lieu & de temps, qui signifie la même chose que dans. » (Fur.)
V. 40, 466, 477, 480, 1337 
Deffiance
« Crainte d’estre trompé, ou de ne pouvoir pas reüssir dans ses desseins. » (Fur.)
V. 195 
Dehors
« Adverbe de lieu relatif, opposé à dedans. » (Fur.)
V. 40, 477 
Demon
« Les Anciens ont appelé ainsi certains Esprits ou Genies qui apparoissent aux hommes, tantost pour leur servir, tantost pour leur nuire. » (Fur.)
V. 105, 370 
Destin ou Destinee
« Disposition ou enchaisnement de causes secondes ordonné par la Providence, qui emporte une necessité de l’évenement. » (Fur.)
Destiner
« Projetter de faire quelque chose, en disposer dans sa pensée. » (Fur.)
V. 317 
Diantre
« Terme populaire dont se servent ceux qui font scrupule de nommer le Diable. » (Fur.)
V. 108 
Differer
« Gagner du temps, remettre à une autrefois. » (Fur.)
V. 158, 935 
Discours
« Expression faite de vive voix de ses pensées sur quelques points, sur quelques matieres qu’on veut faire entendre à plusieurs personnes. » (Fur.)
V. 172, 173, 535, 547, 625, 652, 724, 945, 1368, 1485, 1544 
Discretion
« On dit que Les soldats vivent à discretion, pour dire, qu’Ils vivent chez leurs Hostes sans discipline & sans autre regle que leur volonté. » (Acad.)
V. 377 
Distance
« Esloignement d’une chose à l’égard d’une autre, soit pour le temps, soit pour le lieu ou la qualité. » (Fur.)
V. 257 
Divan
« Terme de Relations. Lieu où on rend la justice, où on tient le Conseil dans les pays Orientaux. » (Fur.)
V. 1054 
Divertir
« Destourner, distraire. » (Acad.)
V. 3, 73, 76, 163, 166, 865, 873 
Domter
« Subjuguer, se rendre maistre. » (Fur.)
V. 191 
Éclaircir (s’)
« S’informer, s’instruire » (Hug.)
V. 196, 325, 332 
Egrillard
« Vif, éveillé, gaillard. [...] On l’emploie aussi substantivement. C’est un égrillard. Il est du style familier. » (Acad.)
V. 537 
Emphytéose
« Bail d’heritages à longues années. » (Fur.)
V. 1497 
Empressement
« Témoignage d’ardeur, d’affection, de diligence qu’on a pour quelque chose, pour achever quelque besogne. » (Fur.)
V. 147, 664, 750, 1383 
Encan
« Vente publique de meubles qui se fait par autorité de Justice, & par un Sergent qui les adjuge au plus offrant & dernier encherisseur. » (Fur.)
V. 418 
Enchanter
« Se dit figurément en Morale, de ceux qui se servent de paroles douces ou artificieuses pour plaire à quelqu’un, ou pour en tirer quelque avantage, ou pour se faire admirer. » (Fur.)
V. 233 
Enjouement
« Belle humeur, gayeté qui paroist sur le visage ou dans les actions d’une personne, qui réjouït une compagnie. » (Fur.)
V. 133 
Engager
« Avec le pronom personnel, signifie aussi, S’endetter, ou s’obliger à faire quelque chose, ou cautionner quelcun ; s’embarrasser. » (Fur.)
V. 115, 1540 
Énoncer
« Parler pour faire entendre sa pensée. » (Fur.)
V. 262 
Ennui
« Il signifie aussi generalement, Fascherie, chagrin, deplaisir, souci. » (Acad.)
V. 6, 8, 179, 314, 351, 722, 823, 829, 1038 
Ennuyer
« Ouir, ou faire, ou souffrir quelque chose avec chagrin, avec desplaisir, causer de l’ennuy. » (Fur.)
Enrager
« Se dit figurément en choses morales, des passions violentes qui vont presque jusqu’à la fureur. » (Fur.)
V. 40, 769, 927 
Entretenir
« signifie aussi, Discourir avec une ou plusieurs personnes. » (Fur.)
V. 170, 1336,  
Entretien
« Se dit aussi de la conversation. » (Fur.)
V. 184, 585 
Envie
« Signifie aussi la passion, le desir qu’on a d’avoir ou de faire quelque chose. » (Fur.)
V. 106 
Envisager
« Regarder quelqu’un au visage. » (Fur.)
V. 280 
Environner
« Enfermer tout autour, estre aux environs. » (Fur.)
V. 324 
Esperance
« Est aussi une pretention mondaine qui nous fait attendre un bien que nous desirons. » (Fur.)
V. 89 
Estat
« Signifie aussi la qualité, la nature & la constitution presente de quelque chose. » (Fur.)
V. 24, 68, 99, 183, 277, 719, 1132, 1455 
Estonner
« Il signifie fig. Esbranler, faire trembler par quelque grande, par quelque violente commotion. » (Acad.)
V. 1147 
Examiner
« Faire une exacte perquisition ou recherche de quelque chose. » (Fur.)
V. 38, 323, 343, 375, 853 
Expliquer
« Signifie aussi, Esclaircir, declarer nettement sa volonté. » (Fur.)
V. 174, 261, 282, 506, 911, 996, 999, 1464 
Exposer
« Signifie aussi, Courir le danger. » (Fur.)
V. 9, 296 
Extravagance
« Chose dite ou faite mal à propos, follement. » (Fur.)
V. 293 
Façon
« Se dit aussi de ces ceremonies, compliments & grimaces incommodes qu’on fait avec des gens qui ne nous sont point familiers. » (Fur.)
V. 82, 111, 545 
Fait
« Signifie encore, Ce qui est propre & convenable à quelqu’un. Cette maison-là, cette Charge-là seroit bien le fait d’un tel. ce n’est pas mon fait. c’est justement votre fait. j’ay trouvé son fait. » (Acad.)
V. 1250 
Fantasque
« Capricieux, bouru, qui a des manieres ou des humeurs extra-ordinaires. » (Fur.)
V. 312 
Faveur
« Signifie aussi la bienveillance d’un puissant, d’un superieur, le credit qu’on a sur son esprit. » (Fur.)
V. 284, 976, 983, 1044, 1579, 1582 
Feu
« se dit figurément en choses spirituelles & morales de la vivacité de l’esprit, de l’ardeur des passions. » (Fur.)
V. 141, 155, 276, 311, 530, 603, 609, 639, 975, 980, 1125 
Flamme
« Il se dit communément de l’amour prophane, Cet amant brusle d’une flamme innocente pour cette fille. » (Fur.)
Flatter
« Signifie encore, Deguiser une verité qui seroit desagreable à celuy qui y est interessé, luy donner meilleure opinion d’une chose qu’il n’en doit avoir. » (Fur.)
V. 97, 327, 553 
« Attribuer à une personne de bonnes qualitez qu’elle n’a pas, l’en loüer, l’en feliciter. » (Fur.)
V. 139, 433, 1164 
Foy
« Signifie encore, Serment, parole qu’on donne de faire quelque chose, & qu’on promet d’executer. » (Fur.)
V. 949, 1559 
Forçat
« Galerien, homme condamné aux galeres, qui tire sa rame par force. » (Fur.)
V. 1292, 1295 
Fortune
« Se prend aussi pour Tout ce qui peut arriver de bien ou de mal à un homme. » (Fur.)
V. 483 
Froid
« Se dit figurément de ce qui a peu de mouvement, qui est pesant, posé, serieux. » (Fur.)
V. 141 
Front
« Le haut du visage, la partie qui est au dessus des yeux. [...] Ce mot vient du Latin frons, du Grec phronein, sentire, de phren, mens, esprit, pensée. Martinius pour expliquer cette étymologie, dit que l’on voit sur le front des personnes ce qu’elles sont capables de faire, qu’on y découvre ce qu’elles sont, & quoy elles pensent. Du Laurens le derive de ferre, parce qu’il porte des marques de ce que nous avons dans l’ame. » (Fur.)
V. 281, 368, 418, 522, 526, 689, 892, 1299, 1584 
Funeste
« Qui cause la mort, ou qui en menace, ou quelque autre accident fascheux, quelque perte considerable. » (Fur.)
V. 27, 277 
Fureur
« Se dit aussi de toutes les passions qui nous font agir avec de grands emportements. » (Fur.)
V. 278, 1012, 1152 
Gambade
« Saut ou posture qui se fait dans l’ardeur de la jeunesse par gayeté & emportement. » (Fur.)
V. 360 
Garder de (se)
« S’empêcher de » (Hug.)
V. 152 
Geler
« Se dit figurément d’un froid accueil. » (Fur.)
V. 141 
Gener
« Signifie plus communément, Tourmenter le corps ou l’esprit. » (Fur.)
V. 1076, 1275 
Gentilhomme
« Homme noble d’extraction, qui ne doit point sa Noblesse ni à sa charge, ni aux lettres du Princes. » (Fur.)
Gesticuler
« Faire des gestes indecens, mal à propos, & en trop grand nombre. » (Fur.)
V. 177 
Gourdin
« Gros baston & court. » (Fur.)
V. 82, 1199 
Gouverneur
« Officier du Roi qui commande dans une Province, dans une place. Un Gouverneur autrefois étoit obligé de soutenir trois assauts avant que de se rendre. Un Gouverneur represente le Roi dans une place, & commande non seulement à la garnison, mais aussi aux bourgeois, & à toutes les trouppes qui entrent dans sa place. » (Fur.)`
V. 116, 349, 498, 500 
Guignon
« Malheur, accident dont on ne peut sçavoir la cause, ni à qui s’en prendre. » (Fur.)
V. 50 
Grace
« Signifie aussi, Remerciement, & se dit plus souvent au pluriel. » (Fur.)
V. 129, 1519 
« Faveur qu’un Superieur fait à un inferieur sans qu’il l’ait meritée. » (Fur.)
V. 166, 247, 1464, 1492 
Horreur
« Se dit aussi de la forte haine ou aversion qu’on a pour certaines choses. » (Fur.)
V. 32, 297 
Horrible
« Se dit aussi d’une chose excessive soit en bien, soit en mal. » (Fur.)
V. 2 
Huitiéme
« On appelle Droit de huitiesme, un certain droit d’Ayde qui se prend sur celuy qui vend du vin au détail. » (Acad.) cf. v. 502
V. 540 
Hymen
« Signifie aussi poëtiquement, le mariage. » (Fur.)
V. 22, 32, 47, 155, 518, 597, 603, 618, 628, 814, 857, 1051, 1245, 1251, 1255, 1410, 1549 
Indolent, ente
« Qui n’est point touché des afflictions ordinaires. » (Fur.)
V. 125 
Industrie
« Dextérité, invention ; adresse à faire reüssir quelque chose, quelque dessein, quelque travail. » (Fur.)
Industrieuse
« Qui a de l’industrie, ou qui est fait avec industrie. » (Fur.)
V. 237
Insigne
« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. Il se dit tant en bonne qu’en mauvaise part. » (Fur.)
V. 1180 
Insipide
« Qui n’a rien de picquant, ou d’acide qui chatouille le goust, qui fasse quelque impression sur luy. [...] se dit aussi de la personne, & de la partie où se fait l’impression de ce sentiment. » (Fur.)
V. 728 
Intelligence
« Il signifie aussi, Correspondance, communication entre des personnes qui s’entendent l’une avec l’autre. » (Acad.)
V. 852, 1184 
Interdire
« Se dit aussi de ceux qui se troublent, qui s’estonnent, & qui ne sçauroient parler raisonnablement. » (Fur.)
V. 646, 727 
Interesse, ee
« On appelle un homme Interessé, celuy qui est avare, qui ne relâche aucune chose de ses Interests, qu’on peut gagner, corrompre aisement par argent. » (Fur.)
V. 57 
Intrigant, ante
« Qui a des connoissances, qui se fourre par tout, & qui avec son adresse fait les affaires d’autruy, & les sciennes. » (Fur.)
V. 57 
Intrigue
« Se dit aussi de cette cabale de gens qui par leurs advis, leurs connoissances, leurs adresses ; sçavent ombrouiller ou debarasser les affaires, & en tirer du profit. » (Fur.)
V. 59, 61 
Importer
« Estre de consideration. » (Fur.)
V. 239 
Laidir
« Enlaidir » (Hug.)
V. 167 
Laisser (ne pas)
« Signifie aussi, Estre, demeurer malgré quelque obstacle. » (Fur.)
V. 1277 
Langoureux
« Infirme, valetudinaire, qui languit, qui a de la peine de guerir d’une maladie. » (Fur.)
V. 127 
Lapidaire
« Ouvrier qui taille les pierres précieuses, Marchand qui les debite, ou celuy qui est expert à les connoistre. » (Fur.)
V. 1467 
Lie
« La partie la plus crasse, la plus grossiere du vin, de l’huile, & des autres liqueurs. » (Fur.)
V. 228 
Main
« Se dit aussi de la part, du costé d’où vient quelque chose. » (Fur.)
V. 286 
En bonne main
« On dit encore, qu’une affaire est en bonne main, pour dire, qu’elle est sous la conduite d’un homme qui la sçaura faire reüssir. » (Fur.)
V. 1377 
Magot
« Se dit figurément des hommes difformes, laids, comme sont les singes, des gens mal bastis. » (Fur.)
V. 878 
Malepeste
« Imprecation qu’on fait contre quelque chose, & quelque fois avec admiration. » (Fur.)
V. 362 
Marabout
« Terme de Relations, est un Prestre Mahometan qui dessert une Mosquée, particulierement en Afrique. » (Fur.)
V. 929 
Maraud
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez. » (Fur.)
V. 423 
Matois
« Rusé, difficile à estre trompé, adroit à tromper les autres. » (Fur.)
V. 841 
Mesnager
« Signifie encore fig. Conduire, manier avec addresse. » (Acad.)
V. 213, 781 
Moyen
« Se dit aussi des adresses, des inventions, ou facilitez dont on se sert pour parvenir à ses fines. » (Fur.)
V. 44, 103 
Muid
« Grande mesure de choses liquides. Le muid de vin de Paris contient deux cent quatrevingt pintes, selon le Reglement de Louis XIII. & suivant les Ordonnances de Henri IV. de trois cents pintes. » (Fur.)
V. 227 
Mutin, ine
« Qui se revolte contre l’autorité legitime. » (Fur.)
V. 339, 1201 
Mystere
« Se dit aussi de ce qu’on tient caché, qu’on ne veut pas descouvrir. » (Fur.)
V. 58, 222, 776, 801, 993 
Necessaire
« On s’en sert aussi au substantif... On dit aussi d’un domestique, qu’il fait le necessaire, qu’il s’est rendu necessaire, quand il s’est mis en tel estat, qu’on a de la peine à se passer de luy. » (Fur.)
V. 137 
Negative
« Action de nier, négation » (Hug.)
V. 380 
Negoce
« Trafic, ou commerce, soit en argent, soit en marchandises. » (Fur.)
V. 923 
Nœud gordien
«  Est un proverbe Grec, qui se dit d’un nœud qu’on ne sçauroit desnoüer : & figurément, d’une difficulté qu’on ne peut resoudre. Il vient d’un nœud de courroyes indissoluble, que Gordius Roy de Phrygie mit dans un temple d’Apollon, en memoire de ce qu’il avoit esté salué Roy, parce qu’il estoit entré le premier dans ce temple, quoy qu’il fust d’ailleurs de race roturiere. Alexandre le couppa avec son espée, parcequ’il ne le pût desnoüer, & que l’Oracle avoit predit que celuy qui le desnoüeroit seroit le vainqueur de l’Asie. » (Fur.)
V. 512 
Objet
« Ce qui est opposé à nostre veuë, ou qui frappe nos autres sens, ou qui se represente à nostre imagination » (Fur.)
V. 30, 276, 1007, 1134, 1617 
Œuillade
« Regard, action de veuë. » (Fur.)
V. 309 
Passer (se)
« Signifie aussi, Se contenter. » (Acad.)
V. 534 
Passion
« En Morale, se dit des différentes agitations de l’ame selon les divers objets qui se presentent à ses sens. [...] se dit par excellence de l’amour. » (Fur.)
V. 14, 145, 233, 267, 644
Pécher
« Ce mot au figuré veut dire manquer. » (Rich.) L’expression « Pécher en mine » n’est pas attestée dans les dictionnaires, mais « Il signifie aussi, Faillir contre quelqu’autre regle que ce soit. » (Acad.)
V. 376 
Peste
« Se dit quelquefois par admiration, ou par imprecation, ou serment. » (Fur.)
V. 537, 567 
Pester
« S’emporter contre quelque chose, invectiver contre quelqu’un. » (Fur.)
V. 40 
Positif, ive
« Qui est certain & effectif, qu’on met en fait comme une chose constante & assûrée. » (Fur.)
V. 1501 
Pourvoir
« Donner ordre à quelque chose. Voylà bien du desordre, il faut y pourvoir. on y a pourveu. pourvoyez à cette affaire. si les hommes n’y pourvoyent, Dieu y pourvoyra. il a pourveu à tous nos besoins. » (Acad.)
V. 1182 
Pretendre
« Aspirer à quelque chose, avoir esperance de l’obtenir. » (Fur.)
V. 241, 544, 699, 886, 926 
Presser
« Signifie aussi, Poursuivre vivement, tant au combat, qu’à la dispute. » (Fur.)
V. 35, 733, 1046 
Premice
« Se dit aussi par extension en Morale, du commencement des choses. » (Fur.)
V. 28 
Prochain, aine
« Qui n’est pas loin. » (Fur.)
V. 122, 242, 264, 638, 1110, 1147 
Rapport
« Se dit aussi de la relation de ce qu’a veu, ouy, ou connu celuy qu’on a commis pour s’informer de quelque chose. » (Fur.)
V. 319, 527 
Ravage
« Grand desordre qui se fait par violence. » (Fur.)
V. 475 
Ravir
« Emporter quelque chose violemment. [...] se dit aussi en choses spirituelles et morales. » (Fur.)
V. 577, 1037, 1429 
Rebus
« Jeu d’esprits mediocres ou populaires qui font des equivoques sur des mots couppez, ou joints ensemble, ou sur quelques peintures qui les representent. » (Fur.)
V. 1338
Remettre (se)
« On dit encore, Se remettre quelque chose, pour dire, En rappeller l’idée, le souvenir. » (Acad.)
V. 369 
Renegat
« Qui a renoncé à la Foy de Jesus-Christ pour embrasser une autre Religion. On le dit proprement de ceux qui se rendent Mahometans. » (Fur.)
V. 100 
Repos
« Se dit aussi d’une quietude d’esprit & de corps qui les met hors de trouble, de crainte & de soins. » (Fur.)
V. 69, 239, 291, 401, 658, 878, 918, 1031, 1549, 1587 
Ressentiment
« Il signifie aussi, le souvenir qu’on garde des bienfaits, ou des injures. » (Acad.)
V. 13, 1023 
Retour
« On dit, Estre sur le retour, pour dire, Commencer à deschoir, à viellir, à decliner, à perdre de sa vigueur, de son esclat. » (Acad.)
V. 1154 
Rosser
« Terme populaire. Bastonner rudement quelqu’un, le traitter en rosse ; & se dit par extension de toutes sortes de mauvais traittements. » (Fur.)
V. 1319, 1347 
Sauf-conduit
« Assûrance qu’on donne par écrit à quelqu’un de la seureté de sa personne pour aller & venir en liberté. » (Fur.)
V. 404 
Sçavoir
« Connoistre, avoir connoissances de. » (Acad.)
V. 1, 159, 197, 271, 427, 458, 516, 647, 714, 745, 854, 881, 953, 1399 
Sensible
« Se dit figurément en choses morales, & en parlant de l’émotion de l’ame & des passions. » (Fur.)
V. 15, 823, 867, 1125, 1406, 1435 
Serrail
« On le dit par excellence du Palais où habite le Grand Seigneur à Constantinople, où il tient la cour, où logent ses Concubines. » (Fur.)
V. 505 
Singulier
« Qui est seul ; unique ; hors de comparaison ; rare ; excellent. » (Fur.)
V. 761 
Soin
« Diligence qu’on apporte à faire reüssir une chose, à la garder & à la conserver, à la perfectionner. » […]
V. 118, 187, 196, 361, 421, 441, 601, 623, 648, 725, 847, 962, 1042, 1137, 1262, 1553 
« Se dit des soucis, des inquietudes qui émeuvent, qui troublent l’ame. » (Fur.)
V. 1154
Soucy
« Signifie aussi, Chagrin, inquietude d’esprit, peut-être à cause qu’il fait devenir jaune. » (Fur.)
V. 107, 1607 
Stupide
« Qui n’a point d’esprit, dont l’ame paroit immobile & sans sentiment. » (Fur.)
V. 727
Suborneur
« Qui suborne, qui corrompt, qui desbauche. » (Fur.)
V. 1190
Tant
« Adv. qui se dit des nombres, soit precis, soit indefinis. » (Fur.)
Tendre
« Signifie aussi fig. Sensible à l’amitié, à la compassion, & plus particulièrement à l’amour. » (Acad.)
V. 193, 230, 395, 608, 968, 974, 1361, 1580 
Tendresse
« Sensibilité du cœur & de l’ame. » (Fur.)
V. 289, 1117, 1139, 1425 
Tenir
« Signifie encore, Faire executer quelque chose. » (Fur.)
V. 103 
Teste a teste
« L’un devant l’autre. » (Fur.)
V. 557 
Toucher
« Se dit figurément en Morale, en parlant des passions. Cet homme est fort amoureux, il est bien touché, cette beauté a touché son cœur. » (Fur.)
V. 844 
Tourment
« Douleur violente que souffre le corps, soit par une cause intestine, soit estrangere. » (Fur.)
V. 1034, 1163, 1438 
Transport
« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l’agitation de l’ame par la violence des passions. » (Fur.)
V. 259, 630, 717, 836, 858 
Travail
« Il a travaux au pluriel. Occupation, application à quelque exercice penible, fatigant, ou qui demande de la dexterité. » (Fur.)
V. 1608 
Traverse
« Se dit figurément en Morale, & signifie un obstacle à la reüssite des affaires qu’on entreprend. » (Fur.)
V. 806 
Trouble
« Se dit figurément en Morale des desordres de l’ame causés par les passions. » (Fur.)
V. 160 
Truchement
« On dit aussi de celui qui parle, qui negotie par l’organe d’autrui, que c’est un tel qui est son trucheman. Il se dit aussi au figuré, Ses regards, truchemens de l’ardeur qui la touche. La Fon. » (Fur.)
V. 263 
Violons (payer les)
« Se dit proverbialement en ces phrases. Il paye les violons, & les autres dansent, pour dire, Il fait les frais, il a toute la peine d’une chose, & les autres le plaisir. » (Fur.)
V. 942 
Vivat
« Exclamation, cry de joie par où l’on témoigne que l’on souhaite à quelqu’un une longue vie, ou de la gloire. » (Fur.)
V. 526 
Vœu
« Signifie aussi, Souhait, priere, serment, suffrage. » (Fur.)
V. 275, 287, 561, 1409, 1574 

Ordre chronologique des pièces de théâtre de M. de Montfleury. §

Le Mariage de Rien, Comédie en vers de huit syllabes, en un Acte, 1660.

Les Bêtes raisonnables, Comédie en vers, en un Acte, 1661.

Le Mari sans Femme, Comédie en vers, en cinq Actes, 1663.

L’Impromptu de l’Hôtel de Condé, Comédie en vers, en un Acte, 1663.

Trasibule, Tragi-Comédie, 1663.

L’École des jaloux, ou le Cocu Volontaire, Comédie en vers, en trois Actes, 1664.

L’ École des Filles, Comédie en vers, en cinq Actes, 1666.

La Femme Juge et Partie, Comédie en vers, en cinq Actes, 1669.

Le Procès de la Femme Juge et Partie, Comédie en vers, en un Acte, 1669.

Le Gentil-Homme de Beauce, Comédie en vers, en cinq Actes, 1670.

La Fille Capitaine, Comédie en vers & en cinq Actes, 1672.

L’Ambigu Comique, ou Les Amours de Didon et d’Énée, Tragédie en trois Actes, en vers, mêlée de trois Intermédes comiques, 1673.

Le Comédien Poete, Comédie en vers, en cinq Actes, de moitié avec M. Corneille de l’Isle, 1673.

Trigandin ou Martin-Braillard, Comédie en vers, en cinq Actes, 1674.

Crispin, Gentilhomme, Comédie en vers, en cinq Actes, 1677.

La Dame Médecin, Comédie en vers, en cinq Actes, 1678.

La Dupe de soi-même, Comédie en vers, en cinq Actes, sans date & peut-être non représentée.


Édition 1705 Manuscrit et remarques
Acte I
Scène 1 : La scène se passe à Alger. Zaïre, la servante de Célime, demande à des esclaves de venir pour divertir sa maîtresse.
Scène 2 : Les esclaves en question, Julie et Carlos, se lamentent, ainsi que leurs valets respectifs, Marine et Tomire, chacun faisant peser la responsabilité de leur situation à un tiers. Finalement, Marine apprend à tous la possibilité d’être sauvés par Dom Brusquin, le mari trompé de Julie, grâce à une lettre qu’elle lui a envoyée. Reproches de Carlos.
Scène 3 : Zaïre reparaît pour annoncer la venue imminente de Célime et les met en garde contre l’humeur maussade de sa maîtresse.
Scène 4 : Zaïre souhaite la conclusion du mariage de Célime avec Fatiman car l’union lui rendra sa liberté.
Scène 5 : Avant de voir les esclaves, Célime interroge sa servante sur le comportement des deux amants, Julie et Carlos.
Scène 6 : Concert sur la manière d’aimer des européens. Célime demande à Carlos de rester et lui apprend qu’elle l’aime et entend partager cet amour.
Scène 7 : Embarras de Carlos.
Scène 8 : Tomire informe son maître que Dom Brusquin vient de débarquer au port d’Alger avec l’intention de récupérer sa femme. Carlos est désespéré et entraîne Tomire pour s’assurer des dires de son valet.
Acte I
Scène 1 : La scène se passe à Alger. Tomire, esclave de Fatiman mais ancien valet de Tomire, prévient les autres esclaves qu’ils vont bientôt pouvoir se présenter devant Célime. Zaïre confirme l’avis de Tomire. Didascalie : « Six Violons esclaves ».
Scène 2 : Les esclaves en question, Julie et Carlos, se lamentent, ainsi que leurs valets respectifs, Marine et Tomire, chacun faisant peser la responsabilité de leur situation à un tiers. Finalement, Marine apprend à tous la possibilité d’être sauvés par Dom Brusquin, le mari trompé de Julie, grâce à une lettre qu’elle lui a envoyée. Reproches de Carlos. Tomire annonce l’arrivée de Zaïre. Remarque burlesque de Marine : « Ne pleure donc plus tant car tu me feras rire ».
Emploi suggestif de « la nuit ».
Détails sur le concert.
Renouvellement de l’appréhension de Julie à revoir Dom Brusquin ; insistance sur le rôle d’intrigante de Marine ; méfiance de Tomire à l’égard de Zaïre.
Scène 3 : Zaïre reparaît pour annoncer la venue imminente de Célime et les met en garde contre l’humeur maussade de sa maîtresse. Zaïre souhaite la conclusion du mariage de Célime avec Fatiman car l’union rendra la liberté. Insistance sur la taille de Zaïre.
Scène 4 : Zaïre expose son plan d’espionner sa maîtresse. Sérail paraît rempli de regards.
Scène 5 : Avant de voir les esclaves, Célime interroge sa servante sur le comportement des deux amants, Julie et Carlos. Zaïre renouvelle ses compliments sur les chants des amants.
Scène 6 : Plainte de Célime qui avoue aimer Carlos et veut le voir pour juger de son amour pour Julie.
Scène 7 :Concert sur l’amour plus fort que l’esclavage. Célime demande à Carlos de rester. Zaïre se cache pour les entendre. Concert plus long et qui change de thème.
Scène 8 : Célime apprend à Carlos qu’elle l’aime et entend partager cet amour. Zaïre a tout entendu.
Scène 9 : Embarras de Carlos.
Scène 10 : Tomire informe son maître que Dom Brusquin vient de débarquer au port d’Alger avec l’intention de récupérer sa femme. Carlos est désespéré et entraîne Tomire pour s’assurer des dires de son valet.
Acte II
Scène 1 : Dom Brusquin, maussade, lit la lettre de Marine. Son valet, Gusman, lui demande de s’expliquer. Dom Brusquin lui fait part de ses peurs de cocuage mais avoue aussi sa passion pour Julie qu’il veut récupérer contre rançon. Il souhaite tout de même s’assurer de la fidélité de sa femme auprès de Marine.
Scène 2 : Tomire amène Marine.
Scène 3 : Joie de Marine. Dom Brusquin lui assure une récompense mais veut d’abord une explication de l’enlèvement et une assurance de la fidélité de Julie. Arrivée de Fatiman, sortie de Julie.
Scène 4 : Fatiman, accompagné de Stamorat, réclame 5000 ducats pour rendre Julie. Marchandage infructueux de Dom Brusquin. Fatiman sort voir Célime avec des souhaits de mariage.
Scène 5 : Célime déclare à Fatiman que l’amour l’amène : Carlos en est la cause et pour le remercier elle demande à Fatiman de lui rendre la liberté.
Scène 6 : Restée seule avec Fatiman, Zaïre annonce la trahison de Célime : cette dernière aime Carlos bien que l’esclave soit insensible à ses avances. Zaïre est chargée de surveiller Célime et assure d’autant mieux sa liberté.
Scène 7 : Julie cherche Carlos pour le prévenir de l’arrivée de Dom Brusquin et lui demander d’intercéder auprès de Célime. Carlos annonce à Julie qu’ils sont perdus puisque Célime est amoureuse de lui.
Scène 8 : Arrivée de Dom Brusquin qui fait partir Carlos.
Scène 9 : Julie part aussi.
Scène 10 : Dom Brusquin se repent de son amour.
Acte II
Scène 1 : Dom Brusquin, maussade, lit la lettre de Marine. Son valet, Gusman, lui demande de s’expliquer. Dom Brusquin lui fait part de ses peurs de cocuage mais avoue aussi sa passion pour Julie qu’il veut récupérer contre rançon. Il souhaite tout de même s’assurer de la fidélité de sa femme auprès de Marine. Didascalie : il lit.
Annonce du lieu où se passe la scène : Alger.
Scène 2 : Tomire amène Marine. Didascalie : bas.
Scène 3 : Joie de Marine. Dom Brusquin lui assure une récompense mais veut d’abord une explication de l’enlèvement et une assurance de la fidélité de Julie. Avant d’aller voir Fatiman, Dom Brusquin fait part de la récompense qu’il accorde à Marine : un mari qui ne lui convient pas. Arrivée de Fatiman, sortie de Julie. Grande fantaisie verbale.
Scène 4 : Fatiman, accompagné de Stamorat, réclame 5000 ducats pour rendre Julie. Marchandage infructueux de Dom Brusquin. Fatiman revient sur une image « positive » de la femme. Il vouvoie Dom Brusquin.
Scène 5 : Fatiman sort voir Célime avec des souhaits de mariage. Sérail rempli de regards.
Scène 6 : Zaïre se fait porte parole de sa maîtresse qui souhaite entendre chanter les esclaves pour adoucir sa peine. Fatiman veut connaître les raisons du chagrin de Célime et pourquoi elle diffère toujours le mariage. Zaïre demande le tête à tête pour partager un secret. Portée thérapeutique du chant.
Scène 7 : Zaïre avoue à Fatiman que sa maîtresse aime l’esclave Carlos et que ce dernier reste insensible à ses avances. Fatiman veut prendre sur le fait la traîtresse et prend congé.
Scène 8 : Zaïre annonce l’arrivée de Carlos.
Scène 9 : Zaïre apprend à Carlos qu’il doit se présenter devant Célime avec Julie. Ce dernier aperçoit justement la belle.
Scène 10 : Carlos, resté seul avec Julie, partage ses inquiétudes et son désespoir. Arrivée de Dom Brusquin. Dialogue digne d’une tragédie.
Scène 11 : Dom Brusquin surprend Julie avec Carlos et les prévient de leur séparation prochaine. Julie prend congé. Propos grivois : vers 815 à 819 « Cependant vous pouvez faire vostre pacquet/Car je me trompe fort enfin pour parler net/Si bien tost bec a bec l’hymen ne nous regale/D’un giste ou nostre teint naura pas peur du hasle ».
Scène 12 : Dom Brusquin se repent de son amour.
Acte III
Scène 1 : Stamorat prévient Fatiman que Dom Brusquin, en possession de la rançon, désire le voir pour récupérer sa femme. Fatiman diffère la rencontre et avertit Zaïre qu’il veut démarier Julie en faveur de Carlos et punir Célime par des chants qui la blessent.
Scène 2 : Célime, impatiente, vient à la rencontre de sa servante qui lui apprend que Carlos a montré stupeur et tristesse à l’annonce de sa libération par Célime et qu’il semble bien amoureux de Julie. Célime demande à Zaïre d’aller chercher Tomire, qui est en vue, pour s’éclaircir sur cet amour.
Scène 3 : Alors qu’il allait annoncer la venue de Dom Brusquin à Fatiman, Tomire est interrogé sur son maître. Célime lui donne une bague et se dit au fait des aventures de Carlos que Tomire développe alors longuement : sa qualité de noble en Espagne, héritier potentiel d’un riche oncle, avare mais à la santé solide ; son amour pour Julie et leur aventure. En contradiction avec le précédent discours de Zaïre, Tomire conte la joie récente de Carlos, due à la promesse de sa libération. Tomire veut informer son maître du contentement de Célime mais elle s’y oppose, assurant qu’elle s’en chargera elle-même.
Scène 4 : Remontrances de Célime à Zaïre.
Scène 5 : Stamorat se présente et offre un coffret de pierreries à Célime de la part de son maître. Célime reçoit le cadeau froidement mais s’enchante à l’annonce d’un prochain concert des amants.
Scène 6 : Stamorat rapporte à son maître les réactions de Célime aux deux présents. Fatiman fait venir Dom Brusquin.
Scène 7 : Dom Brusquin demande sa femme contre son argent mais Fatiman lui annonce que leur marché a changé : Julie est libre et va prendre un nouvel époux ; la rançon de Dom Brusquin servira pour la noce. Jérémiades de Dom Brusquin qui finit par s’en aller. Stamorat est chargé par Fatiman de le surveiller.
Scène 8 : Arrivée de Célime qui s’inquiète de ne rien voir installé pour le concert promis. Fatiman l’informe de la venue des chanteurs.
Scène 9 : Le concert déplaît fortement à Célime qui veut s’en venger. Fatiman feint de s’inquiéter de la réaction de Célime et promet de châtier les personnes qui l’offensent : ce sont Julie et Carlos, qu’elle veut les voir séparés et punis.
Scène 10 : Julie implore la grâce de Fatiman. Ce dernier propose la mise en place d’un stratagème mais Zaïre doit continuer à duper sa maîtresse.
Acte III
Scène 1 : Célime fait part à Zaïre de sa déception face à l’insensibilité de Carlos. Célime aperçoit Tomire. Satire générale du caractère des femmes par Zaïre.
Scène 2 : Tomire est arrêté et interrogé sur son maître. Célime lui donne une bague et se dit au fait des aventures de Carlos que Tomire développe alors longuement : sa qualité de noble en Espagne, héritier potentiel d’un riche oncle, avare mais à la santé solide ; son amour pour Julie et leur aventure. En contradiction avec le précédent discours de Zaïre, Tomire conte la joie récente de Carlos, due à la promesse de sa libération. Tomire veut informer son maître du contentement de Célime mais elle s’y oppose, disant qu’elle feindra de tout ignorer. Didascalie. Célime se montre très peinée. Double discours ironique. Pas de didascalie sur la bague.
Scène 3 : Célime révèle à Zaïre son désir de se venger des deux amants. Elle les entend chanter.
Scène 4 : Célime surprend les amants en répétition et demande à ce qu’ils poursuivent le concert. À la fin du concert, Célime se retire. Concert de deux amants dont la séparation est avortée in extremis.
Scène 5 : Dom Brusquin surprend à nouveau les deux amants et demande à Carlos de partir.
Scène 6 : Dom Brusquin expose son intention de pardonner à Julie son infidélité si elle le suit. Refus de Julie qui prétend être liée à un autre. Dom Brusquin dit à Julie de partir. Thème du cocuage.
Scène 7 : Resté seul, Dom Brusquin s’étonne du comportement de Julie mais s’empresse d’aller conclure son marché avec Fatiman.
Scène 8 : Fatiman expose son projet à Carlos et Stamorat avant l’arrivée de Dom Brusquin. Dom Brusquin demande sa femme contre son argent mais Fatiman lui apprend que leur marché a changé : Julie est libre et va prendre un nouvel époux, la rançon de Dom Brusquin servira pour la noce. Jérémiades de Dom Brusquin qui finit par s’en aller. Adresse de Fatiman aux personnages, au public.
Renouvellement de propos grivois de Dom Brusquin.
Scène 9 : Fatiman rassure Carlos sur le fait que Dom Brusquin sera suivi et propose d’aller rendre compte de la chose à Julie.
Acte IV
Scène 1 : Zaïre assure à sa maîtresse son entière fidélité et demande des explications : Célime souhaite mettre Carlos dans une situation si inconfortable, qu’en désespoir de cause il cèdera à ses avances ; suffisamment dupe, Fatiman rompra ensuite ses fers.
Scène 2 : Fatiman se félicite, en présence de Célime, de voir enfin leur mariage se conclure mais cette dernière veut d’abord savoir si sa vengeance a été exécutée : Fatiman lui apprend le triste sort de Carlos et avoue aussi qu’il n’a pas eu la même rigueur pour Julie, voyant en elle un double de Célime. Célime feint alors la jalousie et accuse Fatiman d’aimer l’esclave. Pour prouver son innocence, Fatiman devra chasser Julie en la rendant à son époux et bannir Carlos d’Alger en le faisant prendre la mer. Avant toute exécution, Célime demande un entretien particulier avec l’esclave. Sceptique, Fatiman se cache pour comprendre les manigances de Célime. Restée avec Zaïre, elle l’avise qu’un navire anglais est prêt à leur faire quitter le port d’Alger le soir même et que, dans la situation à venir, Carlos finira bien par répondre à son amour.
Scène 3 : Carlos est amené à Célime : celle-ci lui démontre sa toute puissance, lui fait un présent et lui demande, avant de partir, de suivre dorénavant les ordres de Zaïre s’il veut être sauvé.
Scène 4 : Resté seul avec Zaïre, Carlos s’inquiète de l’aide que celle-ci offre à Célime. C’est alors que Fatiman sort de sa cachette et promet de se venger. De plus, il voit que Célime a offert à Carlos son présent... Sa fureur augmente et le cadeau lui inspire aussi un stratagème... Pour le moment, Zaïre doit donner toute espérance à Célime quant à l’amour de Carlos.
Scène 5 : Tomire arrive pour raconter les malheurs de Dom Brusquin qui s’est fait battre par la suite de Turcs et avertit de sa venue. Fatiman prévient Carlos qu’il doit rester caché.
Scène 6 : Jérémiades de Dom Brusquin que Stamorat amène à Fatiman. Dom Brusquin refuse toujours d’être présent au mariage de sa femme. Fatiman envisage son absence à condition qu’il signe un contrat de divorce dont il serait l’instigateur. Dom Brusquin refuse. Fatiman lui laisse alors une heure pour se résoudre, au-delà de ce délai, il sera condamné à l’esclavage et aux galères.
Scène 7 : Jérémiades de Dom Brusquin en présence de Stamorat.
Acte IV
Scène 1 : Fatiman demande à Célime les raisons qui lui font différer leur mariage. La dame fait part de ses jaloux soupçons : elle veut que Julie s’en aille mais ne s’engage pas pour autant à conclure le mariage.
Scène 2 : Fatiman fait part à Stamorat de ses vœux de vengeance. Des gens arrivent. Explication psychologique à la perte d’amour soudaine de Fatiman. Davantage de vraisemblance.
Scène 3 : Stamorat annonce la venue de Marine et Tomire mais Fatiman est déjà parti. Stamorat le suit.
Scène 4 : Tomire reparle de son amour. Marine le rabroue, arguant qu’elle n’a plus reçu de marques de tendresse depuis leur capture. Carlos explique son insensibilité par ses rudes conditions de vie mais ses sentiments n’ont jamais changé et Julie a même consenti au mariage des deux valets... Julie arrive. Paroles « basses » de Tomire.
Scène 5 : Carlos expose à Julie le discours qui a fait fléchir Fatiman en leur faveur. Julie se montre plus sceptique quant à la possibilité de leur mariage. Carlos la rassure. Cruauté des turcs mise en avant. Discours de Julie sur la bienséance qui empêche le mariage. Question de l’invraisemblance abordée.
Scène 6 : Tomire arrive pour raconter les malheurs de Dom Brusquin qui s’est fait battre par la suite de Turcs et annonce sa venue. Julie part et Carlos va prévenir Fatiman. Bouffonnerie de la pièce revendiquée par Tomire. Didascalie « en riant ».
Scène 7 : Jérémiades de Dom Brusquin que Stamorat amène à Fatiman.
Scène 8 : Dom Brusquin refuse toujours d’être présent au mariage de sa femme. Fatiman envisage son absence à condition qu’il signe un contrat de divorce dont il serait l’instigateur. Dom Brusquin refuse de signer. Fatiman lui laisse une heure pour se résoudre avant de le condamner à l’esclavage et aux galères. Discours de Dom Brusquin sur sa mauvaise grâce appuyé.
Scène dernière : Jérémiades de Dom Brusquin en présence de Stamorat. Didascalie « le chassant ».
Acte V
Scène 1 : Retrouvailles de Marine et Tomire qui, pour mener à bien le plan de Fatiman, attendent Célime. Tomire a appris à Marine que l’oncle de Carlos est mort et que le frère de ce dernier vient payer leur rançon. Tomire profite aussi de l’attente pour reparler de son amour. Marine le rabroue, arguant qu’elle n’a plus reçu de marques de tendresse depuis leur capture. Carlos explique son insensibilité par ses rudes conditions de vie mais ses sentiments n’ont jamais changé et Julie a même consenti au mariage des deux valets... Célime apparaît, conversant avec Zaïre.
Scène 2 : Célime s’inquiète des préparatifs du départ auprès de Zaïre qui la rassure. Elle voit Marine et Tomire qui feignent de se disputer au sujet de l’avenir de leurs maîtres : Carlos se verrait libre alors que Julie serait à nouveau livrée à Dom Brusquin. Célime jubile et s’emporte à la demande de Marine de la voir intervenir en faveur de sa maîtresse.
Scène 3 : Fatiman arrête Carlos devant Célime, dans son appartement.
Scène 4 : Fatiman menace Carlos de mort et Célime en demande la raison : l’esclave a été retrouvé en possession du coffret de pierreries, présent du gouverneur à Célime. La Dame prend sa servante à témoin pour expliquer qu’elle avait confié les diamants à Carlos afin qu’il les remette à un lapidaire pour les mettre en œuvre. Elle voulait ainsi faire une surprise à Fatiman en ne passant pas par son intermédiaire. Fatiman gracie donc l’esclave et Célime court le délivrer.
Scène 5 : Agacement de Fatiman. Il entend venir Dom Brusquin.
Scène 6 : Dom Brusquin accepte de signer mais Stamorat lui apprend que sa résolution vient trop tard car l’heure est passée. Dom Brusquin parlemente et Stamorat se résout à aller voir son maître.
Scène 7 : Dom Brusquin se repent de sa conduite.
Scène 8 : En présence de Fatiman, Dom Brusquin s’engage à signer ce qu’on lui demande, à régler les frais du mariage, à être présent à la noce et à offrir, de sa main, sa femme à son futur époux.
Scène 9 : Fatiman engage Julie à présenter ses remerciements à Dom Brusquin et s’apprête à présenter le futur mari de Julie.
Scène 10 : Célime amène Carlos et invite Fatiman à rendre son époux à Julie avant qu’ils ne partent. Fatiman offre alors la main de Julie à Carlos. Fatiman accuse Célime de traîtrise et la condamne à paraître devant le divan.
Scène dernière : Dom Brusquin s’étonne du mari que l’on donne à Julie mais Fatiman rappelle leur amour fidèle. Concert finale et dernières jérémiades de Dom Brusquin.
Acte V
Scène 1 : Tomire apprend à Marine que l’oncle de Carlos est mort et que son frère vient payer sa rançon. Tomire annonce le dénouement prochain et renouvelle ses vœux de mariage à Marine. Marine entend venir Dom Brusquin et propose de se cacher pour en apprendre davantage sur l’avenir de leur maître. Peur du cocuage qui s’est propagée à Tomire.
Scène 2 : Dom Brusquin accepte de signer mais Stamorat lui apprend que sa résolution vient trop tard car l’heure est passée. Dom Brusquin parlemente et Stamorat se résout à aller voir son maître.
Scène 3 : Dom Brusquin se repent de sa conduite. Abdala ???
Scène 4 : En présence de Fatiman, Dom Brusquin s’engage à signer ce qu’on lui demande, à régler les frais du mariage, à être présent à la noce et à offrir, de sa main, sa femme à son futur époux. Abdala ???
Dom Brusquin demande à quitter Alger le lendemain matin de la noce. Fatiman accepte et le confie à Carlos.
Scène 5 : Fatiman s’interroge sur la réaction de Célime et la voit venir.
Scène 6 : Célime interroge Fatiman sur le sort de Julie : il lui apprend qu’il répond à son désir d’éloigner l’esclave et va jusqu’à la marier pour calmer ses soupçons. Colère de Célime quand elle apprend que l’époux destiné à Julie est Carlos et non Dom Brusquin. Célime refuse alors de s’unir à Fatiman sous prétexte du peu de cas qu’il fait du mariage. Discours à double entente tenu par Fatiman.
Scène 7 : Fatiman indique à Stamorat qu’il voit clair dans le jeu de Célime.
Scène 8 : Dom Brusquin se rend à toutes les volontés de Fatiman et celui-ci s’apprête à présenter les mariés.
Scène dernière : Dom Brusquin s’étonne du mari que l’on donne à Julie mais Fatiman rappelle leur amour fidèle. Tomire en profite pour demander à célébrer son mariage avec Marine. Concert sur les exigences de l’amour. Ajout du mariage de Marine et Tomire. Concert est changé. Indication didascalique : « Six esclaves turcs, six lutteurs mores et six gladiateurs feront leurs entrées, puis chantera Julie ».

Bibliographie §

Sources §

Œuvres de l’auteur §

Les Oeuvres de Monsieur Montfleury, contenant ses pieces de theatre, Représentées par la Troupe des Comediens du Roy à Paris, Tome Second, Chez Christophe David, Paris, 1705.
Théâtre de Messieurs de Montfleury Père et fils, nouvelle éd. augmentée de trois Comédies, avec des Mémoires sur la vie et les Ouvrages de ces deux Auteurs, Tome Premier, La Compagnie des Libraires, Paris, 1739.
Le Mary sans femme, A.-J. de Montfleury, édition critique par Edward Forman, Textes littéraires, collection dirigée par Keith Cameron, University of Exeter, 1985.

Œuvres dramatiques §

Œuvres antérieures à 1660 §
Bounin G., La Soltane, Édition critique par Michael Heath, University of Exeter, 1977.
Corneille, P., Andromède, Texte établi, présenté et annoté par Ch. Delmas, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1974.
Mairet, J., Théâtre complet, Tome I, Paris, Champion, 2004.
Scudéry (de), G., Ibrahim ou l’Illustre Bassa, texte établi, présenté et annoté par Éveline Dutertre, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1998.
Œuvres postérieures à 1660 §
Molière, Sganarelle ou Le Cocu imaginaire, L’École des Maris, L’École des femmes, L’Étourdi ou Les Contretemps, Le Bourgeois gentilhomme, Œuvres complètes, Tomes I et II, Paris, Gallimard, 2010.

Œuvres romanesques §

Scarron, Le Roman comique, Paris, Garnier, 1967.

Poétique et théorie §

Aubignac (Abbé d’), La Pratique du Théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001.
Boileau, Œuvres complètes, intro. Antoine Adam, éd. Françoise Escal, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1966.

Études §

Ouvrages bibliographiques §

Cioranescu, A., Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, t. II, Paris, Éditions du CNRS, 1966.
Jacob, P. L., Bibliophile, (Catalogue Rédigé par), Bibliothèque Dramatique de Monsieur de Soleinne, Alliance des Arts, 1969.

Études générales sur le théâtre §

Forestier, G., Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Nathan (coll. 128), 1993.
Ubersfeld, A., Lire le théâtre, Paris, Éditions Sociales, 1977.
Ubersfeld, A., Lire le théâtre II, Paris, Belin, 1996.

Ouvrages sur le théâtre du XVIIe siècle §

Chambers, R., La Comédie au Château : contribution à la poétique du théâtre, Paris, Librairie José Corti, 1971.
Couderc, C., Le Théâtre espagnol du Siècle d’Or (1580-1680), Paris, PUF, 2007.
Forestier, G., Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle, Genève, Droz, 1996.
Lancaster, H. C., A History of French dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942.
Morel, J., Agréables mensonges, Essais sur le théâtre français du XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1991.
Scherer, J., La Dramaturgie classique en France, Nouvelle édition, Saint-Genouph, Nizet, 2001.

Études sur l’histoire matérielle des théâtres §

Ouvrages §
Chaouche, S., L’Art du comédien, Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique (1629-1680), Paris, Champion, 2001.
Dacier, E., La Mise en scène à Paris au XVIIe siècle, Mémoire de Laurent Mahelot et Michel Laurent, Extrait des Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. XXVIII, Paris, 1901.
Deierkauf-Holsboer, S. W., L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris, Nizet, 1960.
Deierkauf-Holsboer, S. W., Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Nizet, 1970 (2 vol.).
Howe, A., Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Paris, Documents du Minutier central des notaires de Paris, Centre historique des Archives nationales, 2000.
Mélèse, P., Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV : 1659-1715, Paris, Droz, 1934.
Mélèse, P., Répertoire analytique des documents contemporains d’information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV : 1659-1715, Paris, Droz, 1934.
Mongrédien, A., La vie quotidienne des comédiens au temps de Molière, Paris, Hachette Littérature, 1966.
Pasquier, P., (Édition critique établie et commentée par), Le Mémoire de Mahelot, Mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Comédiens du Roi, Paris, Honoré Champion, 2005.
Vuillermoz, M., Le Système des objets dans le théâtre français des années 1625-1650, Corneille, Mairet, Rotrou, Scudéry, Genève, Droz, 2000.
Articles §
Poirson, M., « Le plateau à l’œuvre : du manuscrit de souffleur au relevé de mise en scène (XVIIe-XXIe siècles) », Revue d’histoire du théâtre, 237, janvier-mars 2008, p. 51-66.
Thomasseau, J.-M., « Les Manuscrits de théâtre. Essai de typologie », Littérature, 138, juin 2005, p. 97-118.

Études sur la comédie §

Ouvrages généraux sur le genre §
Conesa, G., La Comédie de l’Âge Classique (1630-1715), Paris, Seuil, 1995.
Corvin, M.,Lire la Comédie, Paris, Dunod, 1994.
Garapon, R., La Fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1957.
Gilot M. et Serroy J., La Comédie à l’âge classique, Paris, Belin Sup, 1997.
Guichemerre, R., La Comédie avant Molière, 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.
Guichemerre, R., La Comédie classique en Fance, De Jodelle à Beaumarchais, Paris, PUF, 1978.
Lebègue, R., Le Théâtre comique en France de Pathelin à Mélite, Paris, Hatier, 1972.
Voltz, P., La Comédie, Paris, Armand Colin, 1964.
Ouvrages sur la comédie espagnole §
Dumas, C., Du gracioso au valet comique, Contribution à la comparaison de deux dramaturgies (1610-1660), Paris, Champion, 2004.
Martinenche, E., La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine, Genève, Slatkine reprints, 1970.
Articles §
Mazouer, C., « La farce au XVIIe siècle : un genre populaire », Littératures classiques, 51, juin 2004, p. 157-170.
Sternberg, V., « La comédie des contemporains de Molière : une production mineure ? », Littératures classiques, 51, juin 2004, p. 171-185.

Études sur les « turqueries » §

Ouvrages §
Martino, P., L’Orient dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1906.
Requemora S. et Linon-Chipon S. (dir.), Les Tyrans de la mer, Pirates, corsaires et flibustiers, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002.
Rouillard, C. D., The Turk in french history thought, and literature (1520-1660), Paris, Boivin, [1938].
Articles §
Requemora, S., « Les « turqueries » : problèmes de définition d’une vogue théâtrale en mode mineur », Littératures classiques, 51, juin 2004, p. 133-151.

Études sur le théâtre et la musique au XVIIe siècle §

Ouvrages §
Louvat-Molozay, B., Théâtre et musique, Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680), Paris, Champion, 2002.
Powell, J. S., Music and Theatre in France 1600-1680, New York, Oxford University Press, 2000.
Articles §
Forman, E., « Musique et quiproquo : l’ironie dans les intermèdes musicaux », Littératures classiques, 21, printemps 1994, p. 45-54.
Louvat, B., « Le théâtre musical au XVIIe siècle : élaboration d’un genre nouveau ? », Littératures classiques, 21, printemps 1994, p. 249-275.
Mazouer, C., « Théâtre et musique au XVIIe siècle », Littératures classiques, 21, printemps 1994, p. 5-28.
Siguret, F., « Les violons de la farce », Littératures classiques, 21, printemps 1994, p. 31-43.

Ouvrages relatifs à Montfleury §

Fournel, V., Les Contemporains de Molière, Recueil de comédies, rares ou peu connues, jouées de 1650 à 1680, avec l’histoire de chaque théâtre, des notes et notices biographiques, bibliographiques et critiques, 3 vol., Genève, Slatkine Reprints, 1967.
Jal, A., Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, Genève, Slatkine Reprints (Réimpression de l’édition de Paris, 1872), 1970.
Joannides, A., La Comédie-Française de 1680 à 1900, Dictionnaire général des pièces et des auteurs, avec une préface de Jules Claretie, New-York, Burt Franklin, 1971.
Parfaict, C. et F., Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, 15 vol., Paris, 1735-49.
Parfaict, C. et F., Dictionnaire des théâtres de Paris, Paris, 1756.

Ouvrages sur la période §

Benichou, P., Morales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, 1948.
Rousset, J., La Littérature de l’âge baroque en France, Paris, Corti, 1995.

Instruments de travail §

Dictionnaires §

Academie Française, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.).
Cayrou, G., Le Français classique. Lexique de la langue du XVIIe siècle, Paris, Didier, 1948.
Furetiere, A., Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).
Moreri, L., Le Grand Dictionnaire historique ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Paris, Les Libraires Associés, 1759 (10 vol.).
Richelet, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise.... avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).

Grammaire et ponctuation §

Catach, N., La Ponctuation, Paris, PUF, 1994.
Fournier, N., Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
Gougenheim, G., Grammaire de la langue française du seizième siècle, Paris, Picard, 1974.
Haase, A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1975.
Sancier-Château, A., Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1993 (2 vol.).
Spillebout, G., Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985.
Vaugelas (de), C. F., Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, Paris, Champ Libre, 1981.
N
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Pv
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