PAR MONSIEUR D’OUVILLE.
Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la
montée de la Cour des Aydes.
M. DC. XLIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Céline Fournial dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)
Introduction §
L’Absent chez soy est une comédie à l’espagnole écrite par d’Ouville, publiée en 1643 et imitée de la comedia de Lope de Vega, El Ausente en el lugar. Certes, beaucoup de comédies à l’espagnole ont été représentées et publiées au XVIIe siècle, mais d’Ouville a le mérite d’être considéré comme l’initiateur de cette mode. Il adapte des comédies espagnoles à la scène française et renouvelle ainsi le théâtre français en y introduisant des intrigues et des caractères nouveaux.
Un père qui surprend sa fille en compagnie d’un jeune homme qu’il prend pour son amant l’oblige à l’épouser sous le regard désespéré du véritable amant caché et impuissant. Voilà le point de départ d’une intrigue pleine de vitalité et de mouvement dont quelques scènes particulièrement piquantes et amusantes ont pu inspirer Molière.
Éléments de biographie §
Antoine Le Métel, sieur d’Ouville, serait né en 1587 à Rouen, selon James Wilson Coke1. Contrairement à certains historiens de la littérature qui affirment qu’il serait né en 1590 à Caen, James Wilson Coke pense que d’Ouville est né avant 1589. D’Ouville est le fils d’un procureur de la Cour des Aydes de Rouen et il est le frère de François Le Métel, abbé de Boisrobert. On ne connaît pas grand-chose de sa vie avant la création de sa première pièce, Les Trahizons d’Arbiran, en 1637. On sait qu’il a beaucoup d’intérêt pour les langues étrangères qu’il étudie depuis 1616, avec une préférence pour l’Espagnol. Boisrobert dit de lui qu’il était : « l’homme de toute la France qui parloit le mieux Espagnol. »2
Il passe sept ans en Espagne où il s’est marié, mais, selon Tallemant des Réaux3, Boisrobert fit rompre le mariage. Il semblerait que ce séjour s’étende de 1615 à 1622. Ce long voyage permet à l’auteur d’approfondir sa connaissance de la langue et de la littérature espagnoles. Puis, il serait parti quatorze ans à Rome. À son retour en France, en 1636, il est anobli, probablement grâce à l’influence de son frère qui lui obtient aussi une place d’ingénieur de l’État de 1643 à 1650 auprès de Foucault de Dognon4, gouverneur de Brouage. Outre sa qualité d’ingénieur, d’Ouville est géographe et hydrographe. Il est également employé pendant plus de quinze ans au service du gouvernement comme ingénieur et géographe du roi. Tallemant des Réaux raconte le démêlé de Boisrobert avec Monsieur de la Vrillière, secrétaire d’État, qui :
avoit osté de dessus l’estat des pensions un frère de Boisrobert, nommé d’Ouville, qui y estoit comme ingénieur.5
Sur les instances de Boisrobert, Mazarin intercède en faveur de d’Ouville. Son service auprès du comte de Dognon finit mal, si l’on en croit Tallemant des Réaux6 :
(…) le mareschal Foucault, autrefois le comte de Dognon, au lieu de le recompenser de sept ans de service luy avoit prit un cadran de 300 livres, et à la foire Saint-Germain il luy emprunta, pour achepter des bagatelles à sa fille, les derniers escus blancs qu’il avoit.
Parallèlement, d’Ouville poursuit une carrière littéraire. Il a fait publier dix pièces de théâtre entre 1638 et 1650, dont huit sont des comédies : L’Esprit folet (1642), Les Fausses Véritez (1643), L’Absent chez soy (1643), La Dame suivante (1646), Jodelet astrologue (1646), Aymer sans sçavoir qui (1646), La Coiffeuse à la mode (1647), Les Soupçons sur les apparences (1650). Il s’inspire principalement de la comedia espagnole à travers Calderón, Lope de Vega, Montalvan. Dans une moindre mesure, il trouve son inspiration dans la comédie italienne pour Les Morts vivants (1646), tragi-comédie imitée des Morti vivi de Sforza d’Oddi, et, pour Aymer sans sçavoir qui, il s’inspire de l’Hortensio de Piccolomini. Sa première pièce, Les Trahizons d’Arbiran, est une tragi-comédie. Au XVIIe siècle, il est aussi connu pour ses contes. Sa grande connaissance de l’Espagnol lui permet de faire paraître la traduction de cinq novelas de Maria de Zayas y Sotomayor ainsi que des œuvres de don Alonso, en 1655. Ensuite, il serait parti avec son frère au Mans où Boisrobert aurait confié d’Ouville au chanoine Pierre le Prince, neveu de d’Ouville. D’Ouville meurt au Mans vers 1657 dans une grande pauvreté. Boisrobert disait de lui :
Il porte le titre d’Hydrographe, d’Ingénieur, de Géographe ; mais avec ces trois qualités il est gueux de tous les côtés.7
D’Ouville est considéré comme l’introducteur de la comédie à l’espagnole en France.
Quant à l’éditeur de L’Absent chez soy, Toussainct Quinet, c’est un libraire du Palais à la réputation fameuse. Il publie beaucoup de nouveautés, à sa mort, en 1652, il possède plus de vingt mille pièces de théâtre dans ses magasins.
La représentation de L’Absent chez soy §
La question de la représentation de la pièce pose problème. Nous n’avons pas trouvé de traces certaines de sa représentation. Il est peu probable qu’elle n’ait pas été représentée. On sait que plusieurs œuvres de d’Ouville ont été jouées à l’Hôtel de Bourgogne. Plusieurs d’entre elles apparaissent dans Le Mémoire de Mahelot : L’Esprit folet, Les Fausses Véritez, Les Trahizons d’Arbiran, La Dame suivante, Jodelet astologue, La Coiffeuse à la mode. Il cite des pièces antérieures et postérieures à L’Absent chez soy mais ne mentionne pas cette comédie. De même, Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr, dans Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, ne parle pas de la représentation de L’Absent chez soy mais écrit cependant : « D’Ouville (…) dont les pièces ont été jouées par la troupe royale. »8
Certains auteurs parlent pourtant de la représentation de cette comédie, sans qu’on sache d’où ils tirent ces informations. Antoine Adam dit de d’Ouville :
Ce grand connaisseur de la langue et de la littérature espagnoles fit jouer, coup sur coup, entre 1639 et 1643, cinq comédies imitées de Calderón, de Lope de Vega et de Montalvan. Leur succès fut grand.9
Parmi ces comédies figure L’Absent chez soy. Antoine Adam parle même du succès de ces pièces de théâtre, Chamfort en fait de même dans son Dictionnaire dramatique, il écrit au sujet des comédies à l’espagnole de d’Ouville :
Paré de ces richesses, il se présentoit au Public, et éblouissoit ses yeux par la multiplicité, la variété des couleurs.
James Wilson Coke10 signale, au contraire, l’insuccès de L’Absent chez soy.
Quant à la date de représentation de cette pièce, les auteurs qui l’évoquent s’accordent à dire qu’elle aurait eu lieu en 1642. Lancaster juge que la guerre des Flandres mentionnée par d’Ouville et qui s’étend 1639 à 1641, a probablement eu lieu peu avant la première représentation de la comédie11. Il situe donc la création de la pièce entre 1642 et 1643. Antoine de Leris, les frères Parfaict ainsi que le Parfait Dictionnaire, avancent la date de 1643. Cependant, la représentation et le lieu de la représentation de cette comédie restent incertains, les deux historiens de la littérature qui en font état ne donnent aucune grande précision ni certitude.
Résumé de l’action de la source espagnole §
D’Ouville imite une comedia de Lope de Vega, El Ausente en el lugar, qui date de 1617. Avant d’étudier la manière dont d’Ouville adapte son modèle à la scène française et aux exigences du théâtre français, résumons l’intrigue de Lope de Vega.
Acte12 I §
Au lever du rideau, Elisa, en compagnie de sa suivante, Paula, et de son valet, Marquina, s’entretient avec Laurencia, elle aussi accompagnée de sa suivante, Sabina, et de son valet Maese Juan. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées à l’église et se sont lié d’amitié, tout comme les deux servantes ainsi que les deux valets. Elisa, dont le père n’est pas très fortuné, est amoureuse d’un cavalier, Carlos. Sa servante Paula aime le valet de Carlos, Esteban. De son côté, Laurencia aime Feliciano, un jeune homme volage, sa suivante Sabina est amoureuse du valet de Feliciano, Fisberto. Maese Juan et Marquina se plaignent de leur condition de valet et, au cours de cette conversation, Marquina révèle qu’il est poète à ses heures. Laurencia promet à Elisa d’envoyer Feliciano chez elle afin qu’elle fasse sa connaissance. Feliciano, venu voir Laurencia, aperçoit Elisa et s’éprend de cette dernière. Passent alors Carlos et Esteban, Feliciano saisit l’occasion pour dire à Fisberto tout le mépris qu’il a pour Carlos qui a le défaut d’être pauvre. Puis, c’est Esteban qui dresse un portrait dépréciatif de Feliciano à Carlos en soulignant son infidélité en amour et sa vanité. Carlos et Esteban profitent de l’absence du père d’Elisa, Aurelio, et de son frère, Octavio, pour aller chez la jeune fille. En effet, Aurelio a décidé de s’éloigner de chez lui, de faire mine d’aller aux champs, pour s’entretenir avec son fils de l’amour d’Elisa. Aurelio n’approuve pas le choix de sa fille, il juge que Carlos n’est pas assez riche. Octavio avoue alors à son père qu’il est amoureux de Laurencia. Lorsque Feliciano, déguisé en valet, se rend chez Elisa, celle-ci demande à Carlos et Esteban de se cacher car elle juge indécent qu’on trouve un homme chez elle. Carlos et Esteban entendent donc toute la conversation : Feliciano déclare son amour à la jeune femme qui le repousse et lui demande de partir. À ce moment-là, arrivent Aurelio et Octavio qui surprennent Feliciano chez Elisa et l’obligent à épouser la jeune fille. Feliciano accepte, sur les conseils de son valet, davantage par couardise que par amour. Une fois tout le monde parti, Carlos sort de sa cachette furieux, quitte Elisa en déclarant qu’il part à la guerre, malgré les tentatives de sa maîtresse pour lui faire comprendre qu’elle n’a pas d’autre choix que d’obéir à son père. Esteban imite son maître et quitte Paula. Feliciano et Fisberto se rendent chez Laurencia pour lui apprendre la nouvelle. Laurencia croit à un complot contre elle et rejette Feliciano. Ce dernier s’en soucie bien peu, car il est désormais décidé à épouser Elisa, mais à condition que la dot soit augmentée.
Acte II §
Carlos et Esteban préparent leur départ lorsque le Paula et Marquina arrivent. Paula apporte une lettre d’Elisa à Carlos lui demandant d’accepter de la revoir avant qu’il ne parte. Celui-ci, fâché et persuadé qu’Elisa aime Feliciano, déchire la lettre et renvoie Paula et Marquina, tandis qu’Esteban confie à Paula que son maître et lui ne quitteront pas les lieux. Seul avec son valet, Carlos regrette de ne pas avoir répondu à la lettre d’Elisa et décide d’aller voir la jeune fille le jour même. De son côté, Laurencia se lamente d’avoir été abandonnée par Feliciano. Sabina lui conseille de se venger en épousant Carlos. Pour cela, Sabina suggère à sa maîtresse de faire venir Carlos en prétextant savoir qu’il prédit l’avenir. Ainsi, Laurencia lui demanderait de lui dire qui serait son mari, ce qui rapprocherait les deux jeunes gens délaissés et donnerait à Carlos l’idée de se venger d’Elisa en épousant Laurencia. Quant à Feliciano, il regrette d’avoir promis d’épouser Elisa car il pense que la dot est trop faible et qu’on le blâmera quand on saura qu’Aurelio l’a obligé à accepter ce mariage. C'est alors que Carlos va chez Elisa où se trouvent aussi Feliciano, Aurelio et Octavio. Il propose à Aurelio de lui confier son argent pour que celui-ci lui en fasse parvenir pendant son voyage. Il explique les raisons de son départ en prétextant la trahison d’un ami. Quand Elisa se retrouve seule avec Paula, elle décide de désobéir à son père et de faire son possible pour regagner l’amour de Carlos et l’empêcher de partir. Sa suivante lui conseille de le faire venir chez une amie. Elisa choisit d’aller chez Laurencia. Carlos s’y trouve à ce moment-là car Laurencia a suivi le plan de Sabina. Elle et Carlos sont décidés à se marier par vengeance. Esteban et Sabina ont fait de même. Lorsqu’Elisa arrive, Carlos et Esteban se cachent. Carlos, lorsqu’il entend la plainte d’Elisa, est convaincu de la fidélité de la jeune fille. Cependant, arrivent Octavio et Feliciano. Elisa et Paula vont se cacher et voient Carlos et Esteban. Octavio veut savoir si Laurencia l’aime et accepte de l’épouser. Laurencia repousse Octavio et Feliciano en leur disant qu’elle est promise à Carlos. Quand les deux jeunes gens s’en vont, Elisa s’enfuit avec Paula, toutes deux fort en colère contre leurs amants infidèles. Elisa promet à Carlos qu’elle épousera Feliciano sans plus attendre. Carlos et Esteban quittent Laurencia et Sabina pour suivre leurs maîtresses.
Acte III §
Feliciano annonce à Fisberto qu’il a demandé quatre mille ducats supplémentaires à Aurelio dans le but de faire annuler le mariage. Il réprimande son valet lorsque celui-ci lui dit qu’il agit mal et qu’il tente de lui faire entendre raison. Esteban, en compagnie de son maître, va au rendez-vous que lui a donné Paula, Carlos décide alors de parler à la place de son valet de même qu’Elisa prend la place de Paula. S'ensuit une conversation où chaque amant a reconnu la supercherie de l’autre et critique vivement son infidélité. Au cours de la dispute, les amants révèlent leur identité et Carlos, furieux, fait mine de déchirer les portraits et les lettres d’Elisa, qui ne sont autres que les cartes à jouer d’Esteban. Après le départ de Carlos et Esteban, Elisa demande à Paula et Marquina de ramasser les papiers de peur que son père ne les trouve. Ils s’aperçoivent alors de la duperie. C’est le matin, Octavio raconte à Elisa que Feliciano a demandé quatre mille ducats de plus. Elisa arrive à convaincre son père d’augmenter la dot, prétextant qu’elle serait déshonorée si ce mariage n’avait pas lieu : tout le monde croirait que Feliciano aurait quelque chose à lui reprocher. Octavio va donc chercher Feliciano pour lui annoncer que son père accepte sa proposition. Celui-ci se trouve chez Laurencia dont il a regagné l’amour, non sans difficulté, en lui faisant croire qu’il partirai lui aussi pour les Flandres si la jeune fille le repoussait, puis en acceptant de dire du mal d’Elisa. Il en est de même pour Fisberto et Sabina. Face à Octavio, Feliciano quitte Laurencia, son valet l’imite. C’est alors qu’arrivent Carlos et Esteban chez Laurencia, pensant que le mariage d’Elisa est annulé. Détrompé, Carlos décide d’épouser Laurencia. Ils veulent assister déguisés au mariage d’Elisa. Fisberto et Sabina prennent à leur tour le parti de se marier. Lorsque Carlos voit Elisa prête à se marier, il sent son amour renaître et demande à Esteban d’avertir Elisa de sa présence. Après que Feliciano a dit devant toute l’assistance qu’il aimait Elisa, la jeune femme le repousse en déclarant publiquement qu’il n’accepte de l’épouser que par intérêt. Elle annonce à son père qu’elle veut épouser Carlos qui lui déclare son amour. Feliciano se tourne de nouveau vers Laurencia qui lui répond qu’elle est engagée avec Octavio. Esteban épouse Paula et Fisberto Sabina. Feliciano se retrouve seul.
L’Absent chez soy et sa source §
Il apparaît avant tout que l’intrigue de El Ausente en el lugar et celle de L’Absent chez soy sont identiques mises à part quelques différences portant sur des éléments secondaires. Ainsi, le prétexte dont se sert Laurencia pour faire venir Carlos chez elle et lui suggérer de l’épouser n’est pas repris par d’Ouville de même que le mariage final de Fisberto et Sabina. D’Ouville garde le rythme et le dynamisme de la comedia, il respecte l’enchaînement des scènes de son modèle. La durée de l’intrigue de la pièce française est semblable à celle de Lope de Vega. Elle commence, pour Lope, le matin à la sortie de l’église pour se terminer le lendemain matin. Chez d’Ouville, quand le rideau se lève, c’est le matin, Élize et Diane sortent du bal, et la pièce s’achève le lendemain matin. Quant au lieu, les personnages de d’Ouville suivent les déplacements des personnages espagnols. Les différents lieux de la pièce française sont présents chez Lope : la maison d’Élize avec sa chambre et une salle principale, la maison de Diane, celle de Clorimant et la rue. Le seul lieu qui diffère est, comme on l’a vu, la sortie de l’église qui devient la sortie du bal chez d’Ouville. Mais comme la didascalie qui précède la première scène dans El Ausente en el lugar indique « calle », on imagine que le décor est semblable chez d’Ouville, car Diane et Élize attendent leur carrosse dans la rue. Dans les deux pièces, les valets suivent les agissements de leurs maîtres, tombent amoureux, se fâchent, se raccommodent, au même rythme qu’eux. On peut donc considérer que d’Ouville ne s’est guère éloigné de son modèle.
Les différences apportées à la pièce espagnole par l’adaptation de d’Ouville résultent d’une volonté de franciser le modèle et de l’adapter aux exigences du théâtre français davantage que de créer une pièce originale. Cette francisation concerne d’abord le nombre d’actes. La pièce de Lope compte trois actes, ce qui est habituel dans la comedia. D’Ouville a étiré ces trois actes en cinq actes, sans ajouter des scènes ni des épisodes. Il a voulu adapter son modèle au goût français : certes il existe des comédie en trois actes en France, mais les cinq actes donnent à la comédie une ampleur qui élève le genre comique. La francisation du modèle espagnol s’applique aussi aux noms des personnages. Feliciano devient Clitandre, Fisberto Ormin, Carlos Clorimant, Esteban Géraste, Aurelio Polémas, Octavio Octave, Laurencia Diane, Sabina Julie, Elisa Élize, Paula Pauline. De même, d’Ouville déplace le lieu de l’intrigue de Tolède à Paris. Tels sont les éléments apparents de la francisation opérée par d’Ouville ; ce ne sont pas les seuls.
La francisation de El Ausente en el lugar traduit aussi la volonté de d’Ouville d’adapter la pièce aux exigences classiques qui tendent à s’imposer dans le théâtre de l’époque. Le dramaturge a vraisemblablement voulu concentrer la pièce sur son intrigue en la débarrassant de tout ce qui ne la concerne pas directement. Tout d’abord, on remarque qu’il supprime deux personnages, Maese Juan et Marquina. Marquina est l’écuyer d’Élize, il se pique d’être poète, il est âgé. Maese Juan est le valet de Laurencia. Il est vrai que chez Lope de Vega ces deux personnages n’ont aucun lien avec l’intrigue. Ils apparaissent d’ailleurs très peu. D’Ouville supprime le passage où les deux valets parlent de leur vie difficile et remplace les rares interventions de Marquina par celles de Pauline. Chez Lope, ils se bornent à accompagner leurs maîtresses et les suivantes, rien ne les rattache à l’intrigue si ce n’est qu’ils sont les valets des personnages principaux. D’Ouville enlève en outre certains épisodes qui ne sont pas en rapport direct avec l’action principale. La scène où, sur les conseils de sa servante, Laurencia fait venir Carlos pour qu’il lui prédise son avenir afin qu’il ait l’idée de l’épouser pour se venger d’Elisa et de Feliciano, n’apparaît pas chez d’Ouville. À la scène 1 de l’acte IV, Clorimant est déjà chez Diane, l’action se poursuit pendant l’entracte car les deux jeunes gens ont déjà pris la décision de se marier mais le spectateur ignore comment cela s’est passé. De même, chez Lope, Esteban décrit à son maître toutes les femmes qui vivent dans la rue d’Elisa. Cet épisode vif et enjoué disparaît dans la pièce française. L’auteur ne conserve pas ces scènes de mœurs au ton coloré qu’on trouve dans le modèle espagnol. Ainsi, la scène du mariage est plus développée dans la pièce espagnole, Lope y insère une conversation où l’on parle de musique. Le dramaturge espagnol représente la conversation de jeunes hommes et de jeunes filles qui s’entretiennent de sujets divers. Au tout début de la pièce de Lope de Vega, Elisa et Laurencia parlent de la beauté de leurs mains. Lope donne libre cours à leur conversation enjouée. Ainsi, lorsque Marquina demande à Elisa de quoi elle a parlé avec Laurencia, elle répond : « Cosas de mujeres son. »13 (I, 1).
De même, Feliciano et Fisberto, en apercevant Carlos, parlent de sa pauvreté, ce dialogue donne lieu à des considérations sur les vêtements, les tissus, et même, de la part de Fisberto, sur l’homme en général et son statut social. Dans la pièce espagnole, on a l’impression que le rideau se lève sur des personnages en action dans la vie quotidienne, des personnages qui ne sont pas concentrés sur un seul sujet, qui se livrent à des discussions sur des thèmes variés, à des jugements, des pensées autres que les amours des personnages principaux. D’Ouville cherche donc à élaguer son modèle de tous les éléments de la vie quotidienne pour se focaliser sur l’intrigue elle-même. Cette recherche se manifeste également dans la suppression de scènes seulement burlesques présentes chez Lope de Vega. En effet, dans El Ausente en el lugar, certaines scènes ont pour seul but d’amuser le spectateur par les bons mots du gracioso, comme par exemple le discours burlesque d’Esteban au sujet du mariage que d’Ouville ne garde pas. Certes, on retrouve quelquefois chez d’Ouville ces éléments de comique mais dans une moindre mesure. Relevons quelques exemples de ce comique chez Lope. À la scène 1 de l’acte II, Esteban utilise le vocabulaire des soldats expliquant à son maître que puisqu’il part à la guerre, il faut dire « estala » et non « caballeriza ». Lorsque Paula apporte la lettre d’Elisa à Carlos, Esteban se moque des refus de son maître. À la scène suivante, Carlos demande à son valet de ne pas obéir s’il lui demande de rattraper Paula, ce qui donne lieu à une situation comique car, bien sûr, Carlos ne peut pas s’empêcher d’ordonner à Esteban de rappeler Paula. De même, à la scène 3 de l’acte de III, alors qu’Esteban a fait preuve de couardise, il raconte à son maître qu’il a fait peur à Feliciano et Fisberto. Dans la pièce française, on ne retrouve pas les topoi de la comedia, comme le déguisement, lorsque ceux-ci ne sont pas nécessaires à l’intrigue. La première fois qu’il va chez Elisa, Feliciano se déguise en valet, de même, Carlos et Laurencia vont au mariage d’Elisa et de Feliciano déguisés. Tous ces éléments parallèles à l’action principale disparaissent dans l’adaptation française. D’Ouville supprime les scènes lyriques et les monologues. Dans la pièce de Lope, plusieurs personnages se livrent à des monologues ou à des tirades lyriques vantant les mérites de la femme ou encore à des plaintes de type élégiaque. Ils laissent libre cours à l’expression de leurs sentiments. Certes, dans la pièce française, les personnages expriment leurs émotions mais au sein d’un dialogue, d’Ouville ne nous les livre pas comme un déploiement de poésie pleine d’images emphatiques et lyriques. Voici un exemple d’un de ces passages poétiques chez Lope de Vega, à la scène 6 de l’acte III. Elisa reste seule à la fenêtre pendant que Paula est partie chercher Marquina pour ramasser les papiers déchirés par Carlos. La jeune fille se livre alors à l’expression de ses sentiments dans un monologue :
¡ Qué propio es en amor, como lo cantan,Ir y quedarse, y con quedar partirse !¡Oh cuántos pensamientos quieren irse,Que al primer paso del partir se espantan !Los piés con el agravio se adelantanA la tierna piedad del despedirse ;Mas suele amor al mismo agravio asirse,Y sentarse donde ellos se levantan.Si amor es un colérico accidente,No puede hacer efetos de cobarde ;Que es fuego, es ira, es furia, es rayo ardiente.Mal huye quien de amor se abrasa y arde ;Que como amor se precia de valiente,Vuelve la espalda a su enemigo tarde.14
On ne trouve pas ce type de passage dans L’Absent chez soy. Comparons maintenant la scène 14 de l’acte I de Lope et la scène correspondante de d’Ouville, la scène 5 de l’acte II. Il s’agit du moment où Laurencia/Diane attend avec sa suivante le retour de Feliciano/Clitandre. Lope laisse libre cours à l’expression des sentiments de Laurencia et de Sabina :
Laurencia
Deseo en extremo verA Feliciano, Sabina.Sabina
Gloriosa estás de quererHombre tan galan.Laurencia
InclinaA amarle á cualquier mujer.Sabina
Tienes, Señora, razon ;Que cuando pienso en Fisberto,Se me baña el corazonDe un cierto incendio encubierto.¡Agradable suspension,Que no deja á mis sentidosLugar de volver en mí !Laurencia
Amando están divertidos.No dirá Elisa que fuíSirena de sus oidos.Habrá visto en FelicianoQue lo menos le conté,Pues con atrevida manoEn corto mapa cifréTodo un cielo soberano.¿Quién duda que está invidiosaDe verme tan venturosa ?15
La conversation se poursuit encore pendant quelques vers jusqu’à l’arrivée de Feliciano. Chez d’Ouville, la scène est bien plus brève :
Diane
Clitandre s’entretient long-temps avec Elize,
Crois-tu pas en effet qu’elle sera surpriseEt peut-estre jalouse en voyant que j’ay l’heurDe posseder ce brave & galand serviteur.Julie
Il est vray que Clitandre a beaucoup de merite,Mais n’apprehendez rien d’une telle visite ;Car je sçay de certain qu’Elize ayme, & je croyQu’elle a, si l’on dit vray, mesme engagé sa foy.Diane
J’oy du bruit, voy qui c’est.Julie
C’est Clitandre, Madame. (II, 5, v. 679-687).
La comparaison de ces deux scènes est tout à fait caractéristique de la volonté du dramaturge français de concentrer l’action en même temps que les répliques des personnages sur le sujet de la pièce. Dans la pièce française, on remarque que l’expression des sentiments tient beaucoup moins de place que dans la pièce espagnole. Diane ne fait qu’exprimer sa jalousie en quatre vers alors que Laurencia exprime d’abord son amour puis sa jalousie. Elle expose sa crainte de la réaction d’Élize face à Clitandre, le résultat de cette rencontre constitue en effet un des éléments essentiels de la pièce. D’Ouville donne la parole à la jalousie de Diane car c’est ce qui la pousse à rejeter Clitandre lorsqu’il lui raconte ce qui s’est passé. L'auteur ne rappelle pas les sentiments de Diane pour son amant, il les a déjà signalés. De son côté, Lope de Vega laisse parler les sentiments de Laurencia et de Sabina comme s’il voulait déployer un passage de poésie amoureuse. D’Ouville concentre la scène sur ce qui va suivre : la révélation de ce qui s’est passé par Clitandre. Les personnages espagnols expriment donc davantage leurs sentiments. Cette diversité des sujets de conversation permet de représenter leur caractère avec plus de précision. Ainsi, Feliciano, contrairement à Clitandre, est méprisant. Il dénigre la pauvreté de Carlos. En outre, les passages de poésie donnent lieu à une analyse plus fine du caractère et des sentiments des personnages. À la scène 2 de l’acte II, la réplique de Marquina :
Vámonos, Paula, ¿ qué hacemos ?Mira que en el viento vanoAnda deste mozo el seso.Mira los gestos que hace.16
suggère la violence des passions qui gagnent Carlos : après avoir lu la lettre d’Elisa, il s’agite, semble perdre la raison, ce qui est beaucoup moins net dans le texte de d’Ouville où Pauline dit : « Je reviendray tantost, vous estes en colere. » (III, 2, v. 899).
Les valets, chez d’Ouville, se caractérisent d’abord par leur bon sens alors que chez Lope, la multiplication de leurs plaisanteries, leur confère un caractère comique qui est secondaire dans L’Absent chez soy. De plus, leur couardise est un trait que d’Ouville ne retient pas dans son adaptation. Même s’ils font des bons mots, Géraste et Ormin sont aussi moralisateurs. Ormin critique l’infidélité de son maître :
Vous vous mariez donc ? d’où vous naist cette envie ?Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foy ? (II, 3, v. 544-545).
Quant à Fisberto, il pousse Feliciano a épouser Elisa par peur, en exagérant les risques :
Yo pienso que te engañan ; que si dicesQue no quieres casarte, han de matarte.Si quieres defenderte, mete mano ;Quizá saldrémos, aunque no haya puerta.17 (I, 11).
À travers ces différents points, nous avons vu que l’adaptation de d’Ouville résulte d’une volonté de franciser le modèle espagnol, de franciser le cadre mais aussi de rendre la pièce conforme à certaines exigences du théâtre français classique qui tend à concentrer la pièce représentée sur son sujet. D’Ouville supprime la fantaisie de la pièce espagnole et préfère l’unité de ton, c’est ce qui explique que nombre de critiques ont insisté sur la sécheresse de ses comédies. Il reste néanmoins très proche de son modèle, dans la succession des scènes et même dans les vers puisque parfois il traduit le texte espagnol en gardant le même rythme, le même mouvement, le même type de langage :
Carlos
Pues cese del alma el fuegoQue de su quietud la priva ;Cobren su perdida fuerzaMis sentidos, pues verán,Si agora lugar les dan,La gloria que los esfuerza.18 (I, 4).
Dans la pièce française, Clorimant déclare :
Bannissons desormais de chez nous la tristesse,Quoy ! te verray-je donc, ô ma chere maitresse ?Quoy ! de tant de tourmens me verray-je allegé ?Sortez d’ici soupirs, je vous donne congé,Je banny de chez moi la douleur & la plainte,Puis que je te puis voir sans obstacle & sans crainte,Adorable beauté qui causes mon tourment.Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ?Tu dis qu’elle m’attend ? (I, 5, v. 119-127).
Parfois, la traduction littérale aboutit à des contradictions lorsque ces traductions interviennent au moment où d’Ouville a opéré un changement ou une suppression. La réplique du personnage contredit alors ses sentiments ou ce qu’il vient de dire. Ainsi, Feliciano, après avoir été forcé à épouser Elisa, répond à son valet qui lui demande ce que deviendra Laurencia :
Feliciano
Lo que hicé yo.Fisberto
¿Qué fué ?Feliciano
Tener paciencia19. (I, 11).
Chez d’Ouville, quand Ormin demande à Clitandre s’il peut manquer de foi à Diane, Clitandre répond : « Elle aura patience aussi bien comme moi. » (II, 3, v. 546).
Le fait est que dans la pièce espagnole, il est évident que Feliciano se porte à ce mariage parce qu’il est terrorisé, et qu’il regrette immédiatement ce mariage en disant à Fisberto qu’il ne l’acceptera que si on augmente la dot. Dans L’Absent chez soy, la réplique de Clitandre n’a pas grand sens, car il n’hésite pas à accepter la proposition de Polémas et, dès qu’il apparaît à nouveau sur la scène, il exprime son amour pour Élize : « Ouy, c’est pour cét object que je suis tout de flame. » (II, 6, v. 695).
De même, contrairement à l’intrigue de d’Ouville, dans la pièce espagnole, le père d’Elisa sait qu’elle aime Carlos mais il est contre ce mariage car Carlos est pauvre. Il veut obliger sa fille à renoncer à ce mariage et déclare :
Hoy veré con experienciaSi puede más la obedienciaQue el amor en las mujeres.20 (I, 7).
D’Ouville traduit ces vers :
Je veux voir aujourd’huy par cete experienceSi l’Amour est plus fort que n’est l’obéissance, (I, 6, v. 255-256).
Polémas prononce ces mots alors qu’il n’a pas l’intention de contraindre Élize. Il veut rentrer chez lui et surprendre sa fille avec son amant. Il est seulement soucieux de son honneur et de celui de sa fille. Si Clorimant tient à elle, il ne veut pas s’opposer à leur mariage. Cela nous permet également de relever une différence notable dans la dramaturgie des deux pièces. Dans la pièce espagnole, Aurelio est un obstacle à l’amour d’Elisa et Carlos, il s’oppose à cet amour car Carlos n’est pas assez riche. D'ailleurs, à la fin de la pièce, quand il voit le vrai caractère de Feliciano, il regrette de s’être opposé à l’amour de sa fille. L'intrigue de d’Ouville repose, quant à elle, sur un quiproquo. Polémas prend Clitandre pour l’amant d’Élize, il ne sait pas qu’Élize aime Clorimant. Cette idée lui vient sûrement du prétexte que donne Feliciano à Laurencia qui affirme qu’Aurelio et Octavio l’ont pris pour l’amant d’Elisa.
La concentration recherchée par d’Ouville s’illustre également par le fait qu’il mentionne dès le début de la pièce le mariage d’Élize et Clorimant. Cette journée est présentée comme étant décisive pour l’amour des deux jeunes gens. Cela apporte intensité dramatique et concentration à l’intrigue. On ne trouve pas cela dans la pièce espagnole.
Le dramaturge français cherche à renforcer l’unité et la cohérence de sa pièce. Pour cela, il développe quelques points de la pièce espagnole. Il insiste davantage sur ce que l’on peut appeler la religion de l’obéissance chez Élize que ne le fait Lope. L'obéissance d’Élize et les raisons qui l’imposent sont mises en relief par d’Ouville car, comme on le verra dans la suite de l’introduction, il s’agit d’un des éléments-clé de la pièce. À la scène 2 de l’acte II de L’Absent chez soy, Clitandre déclare son amour à Élize par des répliques de plusieurs vers et une tirade, alors que chez Lope, Feliciano est beaucoup moins volubile, il ne s’exprime que par de courtes répliques d’un ou deux vers. Clitandre reprend notamment ce que dit Fisberto sur Elisa :
No es de las que hizó aprisaLa varia naturaleza.Aquí detuvo el pincel,Hizó, deshizó, quitó,Todo el arte puso en él.21 (I, 10).
Feliciano confie ses sentiments à son valet mais n’ose pas les exprimer à haute voix. Pendant cette conversation, d’Ouville ajoute les fureurs de Clorimant que Géraste modère et qui n’apparaissent pas dans le modèle espagnol. De même, Élize se fâche contre son amant qui menace de partir à la guerre dans une longue réplique, alors qu’Elisa se contente de dire : « Espera, repara. »22 (I, 12).
On remarque que d’Ouville développe certains éléments de la pièce espagnole. Ces éléments sont toujours étroitement liés à l’intrigue et alimentent le nœud de celle-ci ainsi que la tension dramatique de la pièce. D’Ouville choisit de franciser la pièce espagnole, de l’adapter aux exigences de la scène française tout en restant proche de son modèle. C'est ce qui lui a valu bien des critiques sur son manque d’originalité et sur la sécheresse de ses comédies. Mais, ce que ces critiques ne voient pas, c’est que la démarche de d’Ouville ne consiste pas à copier une pièce espagnole mais à s’approprier son modèle et à en dégager les situations dramatiques.
L’Absent chez soy et la comédie à l’espagnole §
Nombre d’historiens considèrent que d’Ouville est l’initiateur de la mode de la comédie à l’espagnole en France. Le public apprécie cette nouvelle forme de comédie. Selon Antoine Adam23, son succès s’étend jusqu’en 1656 environ : il explique qu’après la Fronde et la restauration de l’ordre hiérarchique, le public délaisse cette comédie où les valets parlent à leurs maîtres avec désinvolture. L’Absent chez soy, comme beaucoup de comédies à l’espagnole, est une comédie d’intrigue. L'auteur n’introduit pas les marques habituelles de la comedia comme les déguisements, les duels, les enlèvements, les reconnaissances, il préfère développer une intrigue romanesque avec des aventures galantes. L'intrigue est romanesque par ses thèmes et notamment par son thème principal, l’amour. Les jeunes gens sont passionnés, le père a une autorité absolue, la jalousie des amants cause diverses péripéties, des amants se donnent rendez-vous la nuit, ils sont désespérés car dès leur moindre soupçon ils se croient trahis. Voilà les thèmes romanesques de la comedia qu’on retrouve dans la pièce française. Telle est aussi l’origine de la méprise des personnages qui se laissent tromper par les apparences. Ces situations permettent de donner libre cours au dépit des amants et à la fureur du père ou du frère. Ces motifs de la comédie à l’espagnole apportent du mouvement à l’action. Dans L’Absent chez soy, les couples se font et se défont au rythme des querelles, des jalousies et des réconciliations. Les principaux thèmes qui y sont représentés sont l’amour, l’honneur et la jalousie, tels sont les topoi de la comedia.
L'amour §
Dans la comedia, comme dans L’Absent chez soy, les personnages se préoccupent essentiellement d’amour. Dès le début de la pièce, la conversation des suivantes en témoigne :
Et je souhaite fort cette heureuse journée,Qu’ensemble ils seront joints sous les loix d’Hymenée. (I, 2, v. 47-48).
L'intrigue repose sur l’amour contrarié d’Élize et Clorimant par l’intervention de Polémas qui a obligé sa fille à épouser Clitandre après l’avoir trouvé chez elle, ce qui contrarie également l’amour de Diane pour Clitandre. Il s’agit donc jusqu’à la fin de la pièce de reformer le couple d’Élize et Clorimant.
Les personnages sont passionnés. D’Ouville peint l’amour comme une souffrance, ainsi que l’indique la réplique de Clorimant à la scène 5 de l’acte I. Il emploie le vocabulaire de la douleur en utilisant les mots « tristesse », « tourments », « soupirs », « douleur », « plainte ». En outre, il parle souvent de ses « feux » au sens de sa souffrance. Cette passion va jusqu’à la violence, comme le montre la réaction d’Élize à la scène 2 de l’acte IV, lorsque Diane lui dit que Clorimant est parti. Pour la jeune fille, la fin de son amour avec Clorimant marque immanquablement la fin de sa propre vie :
Il faut par une belle & hardie action,Faire paroistre icy quelle est ma passion.Il faut de tant de maux que la mort me délivre,Car Clorimant absent Elize ne peut vivre : (IV, 2, v. 1281-1284)
La passion de la jeune fille prendrait des allures tragiques si l’on ne savait pas que Clorimant était caché et entendait tout. Elle trouve son expression dans la violence du vocabulaire, Élize va jusqu’à parler de sa mort comme seule issue à son désespoir amoureux.
La passion s’exprime aussi à travers les résolutions de Clorimant. Il menace sans cesse de partir mais n’arrive pas à mettre ses propos à exécution, il veut déchirer le portrait de sa maîtresse mais déchire finalement les cartes de son valet. Saint Marc Girardin dit, au sujet de cette scène, que d’Ouville :
a compris d’avance le secret qui fait la supériorité de Molière : il a cherché et trouvé l’intérêt et l’agrément de la comédie dans la peinture fidèle des passions plutôt que dans la complication des aventures.24
Mais cet amour passionné est parfois difficile à concilier avec l’honneur.
L'honneur §
Dans la comédie à l’espagnole, l’honneur occupe une place essentielle. Pères et frères sont les garants de l’honneur de leur fille ou de leur sœur. Dans L’Absent chez soy, dès la première apparition de Polémas et d’Octave, on comprend que leur principal souci est de préserver l’honneur d’Élize en même temps que celui de la famille :
Polemas
Non, non tu me verrois parler d’une autre sorte,Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte,Ayant fait quelque chose indigne de son rang,Auroit esté desjà trempé dedans son sang. (I, 6, v. 155-158).
La violence et la vengeance font partie des moyens de conserver cet honneur si vénéré. La peinture de l’honneur est pétrie de tragique. Chez Élize, l’amour et l’honneur se livrent un véritable combat qui voit triompher l’amour à la scène 9 de l’acte III, mais non sans violence : « Mais mon amour m’oblige à présent d’esclater. » (IV, 2, v. 1234).
Puis :
Permettez qu’à ses yeux, & qu’en vostre presence,Je foule aux pieds l’honneur avec l’obeyssance, (IV, 2, v. 1239-1240).
Il s’agit d’un sacrifice de l’honneur au nom de son amour pour Clorimant, ce qui explique sa fureur et son désespoir quand elle apprend le départ de son amant. L'opposition entre l’amour et l’honneur est encore soulignée un peu plus loin :
Rigoureux point d’honneur, fantosme ridicule,Exécrable bourreau d’une ame trop crédule.Pour observer tes loix je me prive du jour,Et pour t’avoir suivy j’ay trahy mon Amour. (IV, 2, v. 1271-1274).
Élize oppose ici la lumière et la vérité de l’amour à la souffrance qu’impose la vanité de l’honneur qu’elle qualifie d’« exécrable bourreau ».
Le langage extrême employé par la jeune fille traduit la violence du conflit intérieur entre l’amour et l’honneur, comme si les personnages de la pièce étaient dirigés par des sentiments dominateurs qui les dépassent. C’est tantôt l’amour, tantôt l’honneur, tantôt la jalousie qui les pousse à agir, leur volonté semble s’effacer devant leurs passions.
La jalousie §
Dans L’Absent chez soy, les couples se font et se défont au rythme des querelles dues à la jalousie et des réconciliations. Après avoir assisté, caché, à la scène où Polémas oblige Clitandre à épouser Élize, Clorimant ne songe même pas à croire à l’amour de sa maîtresse, la jalousie prend le dessus. Le schéma se répète lorsqu’Élize trouve Clorimant chez Diane. La confiance n’a pas sa place dans L’Absent chez soy, la jalousie éclate immédiatement et donne lieu au désespoir des amants qui se croient trahis, comme en témoigne la tirade de Clorimant au début de la scène 4 de l’acte II, puis celle d’Élize à la scène 4 de l’acte IV. Cette promptitude à la jalousie ne permet pas aux personnages de voir que ce sont des apparences trompeuses qui font naître ces passions. Au contraire, ils cherchent tout de suite la vengeance, c’est pourquoi Clorimant et Diane décident de se marier :
Mais quoy que je m’y porte à présent par vengeance,Pour punir cét ingrat, croyez que quelque jourMa vengeance pourra se changer en Amour. (IV, 1, v. 1196-1198).
C'est encore la jalousie doublée de la vengeance qui pousse Élize à annoncer à Clorimant à la scène 5 de l’acte IV qu’elle est décidée à épouser Clitandre. La jalousie est, en outre, finement représentée à la scène 4 de l’acte V, quand Diane dit à Clitandre :
Mais si tu veux un peu remettre mes esprits,Dy moy du mal d’Élize. (V, 4, v. 1754-1755).
Diane ne demande qu’à croire Clitandre et se trompe elle-même en obligeant celui-ci à tenir des propos contraires à sa pensée. C'est le dépit amoureux qui pousse la jeune fille à demander une telle chose à son amant. « Je te pardonne tout. » (V, 4, v. 1767). Diane prononce ces mots comme un soupir de soulagement.
Les sentiments de l’amour, de l’honneur et de la jalousie sont représentés avec finesse par d’Ouville et occupent une place de premier plan dans la pièce. La représentation qu’en donne l’auteur permet d’affiner le caractère des personnages.
Contrairement aux comédies à l’italienne, c’est la jeune fille, hardie, qui mène une intrigue faite de méprises sur les apparences, sur les sentiments, et nouée par un quiproquo. D’Ouville accentue ce contraste entre la jeune fille déterminée et le jeune homme inerte en rendant Clorimant plus dépendant de la clairvoyance et du recul de son valet que Carlos. Lorsque Clorimant s’apprête à déchirer les portraits d’Élize, c’est son valet qui l’arrête et lui donne ses cartes. Dans la pièce espagnole, c’est Carlos qui se ravise lui-même et qui demande à son valet de lui donner des cartes à jouer. D’Ouville adapte donc un modèle espagnol avec le souci de rendre sa pièce conforme à certaines exigences du théâtre français. Il ne se contente donc pas de copier des pièces espagnoles. Il s’approprie son modèle.
Les personnages §
Les personnages de L’Absent chez soy sont les personnages traditionnels de la comedia. On a cinq amoureux, deux valets, deux servantes, un père et un frère. Leurs relations relèvent du système de la chaîne amoureuse, inventé par le genre pastoral : Octave aime Diane qui aime Clitandre qui aime Diane et Élize qui aime Clorimant qui aime Élize. Antoine Adam, dans son Histoire de la littérature au XVIIe siècle, définit les personnages de la comédie espagnole en ces termes :
Partout des amours contrariées, des jeunes filles malheureuses, des jeunes gens au désespoir (…) Les jeunes gens sont, avec quelques nuances, braves, généreux, passionnés ; les vieillards sont sévères, mais bons ; les jeunes filles honnêtes et tendres.25
On reconnaît dans ces traits certains personnages de la pièce de d’Ouville. Il s’agit ici d’étudier leur caractère en commençant par les jeunes filles, puis les jeunes gens, le père et enfin les valets.
Élize, même si ce n’est pas elle dont il est question dans le titre de la pièce, peut-être considérée comme le personnage central de cette comédie. C'est elle qui prononce le plus de répliques dans la pièce. Elle aime Clorimant, mais ne peut s’engager sans l’accord de son père, ce qu’elle explique à son amant à la scène 7 de l’acte de I :
Je n’oserois manquer à cette obeyssanceQue je dois à celuy de qui je tiens le jour, (I, 7, v. 308-309).
Il s’agit d’une véritable religion de l’obéissance chez Élize. La jeune fille répète à son amant dans cette scène et à la scène 4 de l’acte II que son père est le maître, qu’elle doit lui obéir. Le père a tout pouvoir sur elle et elle ne peut contester ce pouvoir, ce qu’elle signifie en disant :
Si mon père me dit ; ma fille, je desireTe pourvoir en tel lieu, je n’auray rien à dire, (I, 7, v. 319-320).
Il s’agit donc bien d’une question d’éducation dont la jeune fille ne se peut départir. Elle explique d’ailleurs à Clorimant le fonctionnement de cette obéissance avec subtilité à plusieurs reprises, aux actes I et II. Elle dispose de son âme librement mais, quant à son corps, elle doit se soumettre à la volonté de son père car il est l’auteur de ce corps. Son amour pour Clorimant est libre car il relève de l’âme, mais le mariage relève du corps et Élize dépend alors du choix paternel. C'est pour cela qu’elle tente de faire comprendre à son amant que ce mariage forcé n’enlève rien à l’amour qu’elle lui porte. Toute la subtilité des règles de l’obéissance suggère une sorte de religion de l’obéissance. Mais Élize est un personnage qui évolue au cours de l’action. La lamentation que cause l’ordre de son père laisse bientôt la place à l’action. Ainsi, à l’acte II, elle demande même à son amant d’agir pour sauver leur amour :
Si tu peux empescher ce fascheux Hymenée,Je ne revoque point ma parole donnée, (II, 4, v. 603-604).
Jusqu’à la fin de l’acte de III, Élize obéit en se lamentant, ses plaintes rythment la scène 3 de l’acte II et les scènes 5 et 6 de l’acte III. L'évolution se déclenche à la scène 9 de l’acte III, après que Clorimant a annoncé devant tous son départ. La feinte de Clorimant provoque une réaction vive chez Élize, la plainte s’efface devant la détermination : « L'honneur me le deffend, mais je le veux dompter. » (III, 9, v. 1166).
Elle conclut en annonçant la victoire de l’amour, celle du sentiment sur la raison ou du moins sur la raison imposée par son éducation :
Mon pere, c’en est faict, pardonnez cette offence,Mon Amour est plus fort que mon obeïssance. (III, 9, v. 1187-1188).
Elle cesse alors d’avoir le simple rôle d’objet, l’objet de l’amour de Clorimant, l’objet de la crainte de Polémas, pour devenir le sujet de l’action, le sujet agissant qui a pour objet la reconquête de son amour. Le corps suit le mouvement de l’âme en obéissant aux sentiments de la jeune fille et non plus aux ordres du père. À la scène 8 de l’acte V, elle va contre l’autorité de son père en rejetant Clitandre et en déclarant qu’elle aime Clorimant. Elle finit par affronter l’ordre paternel. On perçoit ainsi l’évolution du personnage au cours de la pièce, la passion amoureuse prenant le pas sur une éducation contraignante. Cette progression est amenée par les péripéties qu’a subies son amour pour Clorimant. Son caractère évolue, ce qui lui permet de faire évoluer l’intrigue en agissant plutôt qu’en subissant, en restant ferme dans ses sentiments, malgré les menaces d’épouser Clitandre qui ont pour but de faire avancer son projet. L’étroitesse du lien entre la progression du personnage et celle de l’intrigue fait d’Élize un personnage-clé de la pièce.
Diane est l’autre personnage féminin de la pièce. Elle n’a ni père ni mère, elle ne dépend que d’elle-même. Mais son amour pour Clitandre l’aveugle, elle est incapable de voir les défauts de son amant. Elle passe de la lamentation à la vengeance tout au long de la pièce. Elle n’entreprend pas d’action seule. Même quand elle décide de se venger en épousant Clorimant, on ne sait si c’est elle qui en a eu l’idée, contrairement à El Ausente en el lugar où il est clair que Laurencia fait venir Carlos chez elle pour accomplir sa vengeance. À l’acte V, c’est Clorimant qui lui propose à nouveau de se venger. Mais elle est soumise durant toute la pièce à l’irrésolution de Clorimant et à l’inconstance de Clitandre : sa vengeance n’est jamais assouvie et Clitandre ainsi que Clorimant la quittent tour à tour, deux fois chacun. Son sort dépend des autres personnages. Elle est sans cesse abandonnée par son amant. Cependant elle ne cesse pas d’aimer Clitandre, malgré l’inconstance du jeune homme :
Clitandre est à mes yeux encore plus charmant.J’auray pour son subject tousjours mesme tendresse,Quoy qu’inconstant pourveu qu’Elize me le laisse. (IV, 6, v. 1426-1428).
Cet aveu de faiblesse lui vaut une nouvelle déconvenue quand ce dernier part avec Octave pour épouser Élize et montre que même dans sa vengeance elle n’est pas déterminée. Diane est le personnage toujours trompé car son amant est soit volage, c’est le cas de Clitandre, soit amoureux de quelqu’un d’autre, c’est le cas de Clorimant. Contrairement à Élize, elle ne devient pas véritablement sujet de l’action. Il n’y a qu’à la toute fin de la pièce qu’elle abandonne ce rôle d’objet en rejetant Clitandre et en choisissant Octave, le seul qui l’aime vraiment, plus par dégoût de l’inconstance de Clitandre que par amour.
Clorimant est le personnage dont il est question dans le titre de la pièce, « l’absent chez soy ». Ce titre oxymorique traduit la contradiction de Clorimant. Il est « absent » car il annonce son départ pour la guerre lorsque Polémas oblige Élize à épouser Clitandre. Mais il reste « chez soy » car en réalité ce n’est qu’une feinte, il ne quitte pas Paris. Jacques Scherer énonce les caractéristiques du personnage du théâtre classique :
le héros classique est jeune ; il est beau (…) La valeur militaire est aussi nécessaire au héros classique qu’à son ancêtre (…) Le courage est inséparable chez le héros classique de la noblesse du sang (…) ces héros sont malheureux (…) Malheureux enfin dans la comédie même, où les obstacles au bonheur des héros déterminent des plaintes souvent passionnées.26
Il apparaît clairement que Clorimant répond aux caractéristiques du héros classique. Même s’il n’a pas accompli d’exploit militaire, il annonce son départ à la guerre avec patriotisme :
A present que mon Prince a besoin de mon bras,Ce Monarque indompté s’advance à la campagnePour abatre la force, & l’orgueil de l’Espagne,Allons l’accompagner, joignons nous à son sort ;Cherchons, s’il faut mourir, une honorable mort. (II, 4).
Clorimant est l’amant passionné qui se laisse emporter par ses émotions. Il aime Élize et n’arrive pas à comprendre qu’elle épouse Clitandre, même par obligation, il prend cette attitude pour de l’infidélité et s’emporte. Michel Corvin écrit : « Le langage remplit un sillon déjà creusé dans l’esprit du héros aliéné. »27
Cela s’applique parfaitement au personnage de Clorimant. Il interprète les paroles de sa maîtresse à sa manière, la jalousie lui fait perdre toute capacité de réflexion. Il ne reconnaît plus sa maîtresse, alors qu’elle n’a pas changé puisqu’elle lui répète ce qu’elle lui a déjà dit à l’acte précédent sans qu’il se fâche. Mais à l’acte II, il ne veut plus recevoir le discours de la jeune fille. Il a pourtant été spectateur des scènes 2 et 3, comme le public, il ne peut cependant pas accéder à l’objectivité du public ni comprendre qu’Élize reste sincère dans son amour pour lui. Il a perdu, dans la passion de la jalousie, la faculté de jugement et rejette la raison face à l’amour :
Tu me dis que je pense, & que je considere !En matiere d’Amour, celle qui delibereN’en a point, ou du moins s’il faut qu’elle en ait euEn parlant de la sorte elle l’a tout perdu. (II, 4, v. 659-662).
Tout au long de la pièce, les passions le font agir, lorsqu’il annonce qu’il part à la guerre, lorsqu’il décide de se venger en épousant Diane. Il a agi par colère et jalousie. La fureur lui fait déchirer la lettre de sa maîtresse que Pauline lui apporte. Géraste lui fait alors remarquer son attitude déraisonnable. Cette scène illustre la contradiction du personnage si impatient d’avoir la lettre de sa maîtresse mais qui la déchire dans un mouvement de colère. Clorimant est le lieu de la tension de deux forces opposées, l’amour pour Élize et la colère parce que les apparences lui font croire qu’elle est infidèle. Pauline, à la scène 10 de l’acte IV, explique à sa maîtresse la contradiction de son amant, aveuglé par la passion :
Il n’ira pas bien loing, ce n’est rien qu’un destour,Pour faire rapprocher de plus pres son amour.C'est comme un papillon qui fuit & bat de l’aile,Et qui se vient en fin brusler à la chandelle.Il a devant les yeux un trop obscur bandeau,C’est comme un ciel couvert qui nous menace d’eau,Dont pourtant on ne voit jamais tomber de pluye. (IV, 10, v. 1581-1587).
Ces vers résument le caractère de Clorimant. Il se contredit sans cesse, l’amour l’emportant sur la colère ou la colère l’emportant sur l’amour. Cette contradiction se double d’une contradiction entre être et paraître. L'image qu’il veut donner de lui à Élize est celle de l’amant furieux qui veut se venger alors qu’il l’aime et n’arrive pas à la quitter. Élize saisit cette tension lorsqu’elle lui dit à la scène 4 de l’acte II :
N'as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine ?L'Amour ne fait-il pas chez toy de tous cotez,Mesme dedans ton coeur, des sujets revoltez ? (II, 4, v. 644-646).
C’est cette contradiction qui l’empêche d’agir, l’immobilité intérieure se traduit par une immobilité extérieure. Il dit qu’il part mais il reste, il veut se venger mais dès qu’Élize reparaît il abandonne cette idée. Michel Corvin écrit :
un amoureux qui n’agit pas, n’existe pas, fonctionnellement, c’est-à-dire théâtralement. Ce n’est qu’un discours incarné.28
Clorimant est un discours qui ne devient jamais action, il reste passif et irrésolu. C'est Élize qui sauve cet amour. À l’acte III, elle lui reproche sa passivité :
(…) car dites-moi de grace,Ce que vous avez fait pour recouvrer la placeQue vous aviez acquise au cœur de cet amy ?Pourquoi vous estes-vous sur ce poinct endormy ?Employez en remèdes, & non en larmes feintes,Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ; (III, 6, v. 1087-1092).
Clorimant donne toujours l’impression de faire semblant, semblant de partir, semblant de se venger. Les seuls actes dont il est capable sont des feintes, il feint au lieu d’agir, mais même sa fuite est feinte. À chaque fois qu’il apparaît sur la scène, c’est pour fuir, mais il ne va pas au bout de sa fuite, il reste à Paris. Il pense faire réagir sa maîtresse par ces semblants de départ. Mais Pauline, la suivante, n’est pas dupe : « Il n’ira pas bien loing » (IV, 10, v. 1581).
Cette réplique se vérifie dans les faits. Clorimant ne va jamais loin, il se contente de débuts de fuite, de débuts de vengeance. Si l’on établit les schémas actanciels de la pièce, on se rend compte que tandis qu’ Élize-sujet ne change pas d’objet pendant toute la pièce, déterminée à retrouver son amour, Clorimant change incessamment d’objet, passant d’Élize à Diane, revenant à Élize puis à Diane pour finalement épouser Élize. L’irrésolution du jeune homme s’oppose à la détermination de la jeune fille.
Clitandre est le contraire de Clorimant. Alors que Clorimant est irrésolu car, malgré sa colère, il n’arrive pas à quitter sa maîtresse, Clitandre est irrésolu car il ne fait que quitter sa maîtresse. C’est un inconstant. Clorimant quitte Élize car il croit qu’elle aime Clitandre, il va trouver Diane pour se venger mais son amour pour Élize est toujours présent. Clitandre s’éprend d’une jeune femme qu’il ne fait qu’apercevoir. Quand il se présente chez Élize, la conversation tourne immédiatement à une déclaration d’amour passionnée. Il va jusqu’à parler de mariage à Élize alors que Julie avait dit au début de la pièce qu’il devait épouser Diane dans huit jours. Il ne change pas de maîtresse par vengeance mais par infidélité. Octave signale que Clitandre est réputé pour son caractère volage :
Car il est si léger, & si lasche en AmourQu’il fait à tous objets incessamment la Cour.Il est, à ce qu’on dit, jusqu’à tel poinct volage,Qu’on n’a qu’à luy monstrer seulement un visagePour peu qu’il ait d’attraits qu’à l’instant il est pris. (I, 6, v. 213-217).
Son propre valet lui rappelle : « C’est vostre humeur, Monsieur, d’aller courir au change. » (III, 4, v. 956).
Mais ces amours qui l’ont enflammé bien vite s’éteignent tout aussi rapidement. Il déclare son amour à Élize et accepte de l’épouser à l’acte II mais dès l’acte suivant, à la scène 4, il confie à son valet qu’il regrette d’avoir accepté ce mariage. Ormin lui réplique :
Mais, Monsieur, entre nous, souffrez que je le die,Vostre amoureuse ardeur c’est bien-tost refroidie,Je vous voyois tantost bouïllant, & tout de feu,Et je voy qu’à présent vous en avez fort peu. (III, 4, v. 951-954).
À l’acte IV, quand il apprend que Diane se venge de lui en épousant Clorimant, il décide de rompre son mariage avec Élize. De nouveau, il est sous le charme de Diane :
Ma Diane a pour moy de plus charmants appas,Elle brusle pour moy, l’autre ne m’ayme pas. (IV, 7, v. 1457-1458).
Mais, dans son inconstance, il ne feint pas d’aimer. C'est son caractère d’être volage, il représente le type de l’inconstant et ces mots qu’il dit à Diane après lui avoir avoué qu’il doit épouser Élize – « Je suis tel à présent que j’ay tousjours esté » (II, 6, v. 742) – peuvent être pris en un double sens. Ils veulent faire croire à Diane qu’on l’a obligé à ce mariage, qu’il n’est pas infidèle. Mais, on peut également comprendre qu’il a toujours été volage et que c’est Diane, aveuglée par l’amour, qui ne s’en est pas rendu compte. Clitandre est un personnage type, il ne change pas. Même s’il est vrai quand il dit à son valet qu’il aime, il ment aux autres sur ses sentiments, comme on vient de le voir pour Diane mais aussi lorsqu’il parle à Polémas et Octave :
C'est moy qui suis heureux d’asservir ma franchiseSous les divines loix de la parfaite Elize,Qui voy dans ce bon-heur tous mes désirs contents. (III, 5, v. 987-989).
Puis, à la scène 8 de l’acte V :
Ouy Monsieur je confesse en presence de tousQue volontairement je soubmets ma franchiseDessous les douces loix de la parfaite Elize,Que je suis satis-faict de ce qui s’est passé,Et qu’à ce mariage on ne m’a point forcé. (V, 8, v. 1974-1978).
L'outrance avec laquelle il prononce vraisemblablement ces paroles insiste sur la vanité et le ridicule du personnage de Clitandre. Il ment aussi lorsqu’il raconte à Diane comment il en est venu à accepter le mariage avec Élize : il exagère la réalité en prétextant la violence des propos d’Octave et Polémas. Voilà qui participe à rendre le personnage ridicule tout comme son autre défaut, la lâcheté. C'est la lâcheté qui le pousse à épouser Élize. C'est encore la lâcheté qui le pousse à suivre Octave au dernier acte : dès que Julie annonce l’arrivée d’Octave, il est saisi de peur. L'intérêt pour l’argent fait également partie de son caractère. Cette cupidité lui fait manquer à sa parole. Roger Guichemerre écrit ces mots sur Clitandre :
un galant épris d’une jeune femme la quitte brusquement pour une autre sans que l’abandon pour la première ou l’attirance pour la seconde soit justifié autrement que par l’inconstance. (…) À quoi bon chercher une vérité psychologique chez ce « fou fieffé », si volage et si facilement inflammable ? (…) Ses emballements et ses revirements brusques ne sont évidemment là que pour soutenir une intrigue romanesque en contrariant les amours d’Élize et de Clorimant, et en mettant à l’épreuve la constance de Diane, qui ne se lassera qu’au dénouement d’un amant aussi instable.29
Il pense que Clorimant n’a qu’une utilité d’élément perturbateur. Cela explique son éviction finale, il n’entre pas dans le cercle des amants qui vont se marier, il est rejeté et demeure face au public, seul avec son valet.
Octave est, quant à lui, l’amoureux repoussé, jusqu’à la toute fin de la pièce. Il aime Diane qui aime Clitandre. Ses deux visites chez Diane se concluent par un refus de la jeune fille. Mais, il s’oppose à Clitandre en ce qu’il est constant dans son amour, malgré les refus de celle qu’il aime. Cette constance a raison de l’amour de Diane à la dernière scène, la jeune fille déclare : « Clitandre j’ayme Octave, & je hay l’inconstance. » (V, 9, v. 2023).
En plus du rôle de l’amant, Octave a le rôle du frère. Le frère est garant de l’honneur de la famille, il doit surveiller sa sœur, dans la comédie à l’espagnole. Octave remplit ardemment cette fonction. À la scène 5 de l’acte I, lors de la première apparition d’Octave, Géraste prévient Clorimant : « Octave est un mauvais garçon, » (I, 5, v. 134).
Lorsque son père lui parle des amours d’Élize, Octave est prompt à s’emporter de même lorsqu’il trouve Clitandre chez Élize. Il n’hésite pas à user de violence pour garder l’honneur, comme on l’a déjà vu :
Vous ferez sagement, allons, si son AmourPerd icy le respect, il en perdra le jour :Quand ce galand seroit un Prince, je vous jureQue ce fer vangeroit nostre commune injure. (I, 6, v. 249-252).
Mais, lorsque le rôle de frère et celui de l’amoureux sont dans la balance, Octave n’hésite pas à privilégier son amour en suppliant son père de donner Élize à Clitandre, bien qu’il connaisse l’inconstance de ce dernier.
Polémas, qui est le père d’Octave, joue aussi le rôle de son confident. Octave n’a pas de valet sur scène, c’est donc Polémas qui le conseille, comme à la scène 6 de l’acte I. Polémas est très soucieux de son honneur, il rappelle à Octave :
(…) je n’y contredy pasSi plutost que l’Amour, l’honneur guide tes pas. (I, 6, v. 181-182).
Nous ne revenons pas sur l’importance de l’honneur. Il tient à ce que sa fille obéisse. La scène 6 du premier acte est très représentative du caractère de Polémas. Il s’inquiète, comme tout père du théâtre classique, des amours de sa fille, il veut la marier mais pas forcément la contraindre : il accepte l’amour de sa fille si c’est un amour honnête :
Respondre à quelque Amant qui pourroit quelque jourSi je le trouvois bon l’avoir en mariage. (I, 6, v. 174-175).
D'ailleurs, à la fin de la comédie, à l’indignation de Clitandre rejeté par Élize, Polémas répond :
Ce n’est pas mon dessein d’user de violence,Je luy souffre en ce cas d’agir comme il luy plaist. (V, 8, v. 1996-1997).
Contrairement à la pièce espagnole, Polémas ne connaît pas l’amant de sa fille, d’où le quiproquo : il prend Clitandre pour l’amant d’Élize. Il est tellemnt persuadé que l’amant de sa fille se trouve chez elle qu’il en est aveuglé : dans l’esprit de Polémas, quiconque se trouve au logis d’Élize à ce moment-là ne peut manquer d’être son amant. Les tentatives d’explication d’Élize et de Clitandre sont donc vaines. Mais c’est une méprise : Polémas est pourtant complaisant car il accepte d’augmenter la dot d’Élize sur les prières de sa fille.
Venons-en désormais aux valets. Valets et servantes ont dans cette pièce le rôle de confidents. Leur bon sens et leur recul par rapport aux amours de leurs maîtres leur permettent de les éclairer et de les conseiller. Les maîtres représentent l’émotion, les valets et les suivantes la raison. Ainsi, Géraste dit à Clorimant : « Vous paroissez avoir perdu le jugement. » (II, 3, v. 909).
Ils ramènent leurs maîtres à la raison. Ormin dit à Clitandre :
C'est mal y proceder.Cette action Monsieur n’est point d’un honnête homme. (IV, 7, v. 1438-1440).
Chaque valet ou suivante essaie de guider son maître. Ils sont donc moralisateurs et tentent de calmer les ardeurs et les passions des jeunes gens qu’ils servent.
Le gracioso est gourmand et lâche, ce n’est pas le cas d’Ormin et de Géraste il n’y a que trois allusions à la nourriture dans la pièce, ce trait n’est pas développé par l’auteur. Ormin est volage comme son maître, mais par accident, il suit les agissements de son maître, qu’il désapprouve pourtant, comme une règle :
Julie en te quittant je fay ce que je doyTu n’aurois par raison de te plaindre de moy,Pourrois-je justement abandonner mon maistre ? (V, 5, v. 1853-1855).
On avait déjà cette idée dans El Ausente en el lugar :
Sabina, ya tú sabes que danzamosLos criados al son de nuestros dueños.30 (III, 11).
Valets et suivantes par là même n’agissent pas vraiment, du moins ils agissent mécaniquement. Ce n’est que par cette imitation des actions de leurs maîtres qu’ils sont proches des valets de la comedia.
Pauline conduit sa maîtresse éperdue qui craint le départ de son amant et qui doit épouser Clitandre qu’elle n’aime pas. Elle représente la suivante qui a de l’expérience et qui ne se laisse pas tromper par les apparences. Elle conseille sa maîtresse dans son attitude :
Mais, Madame, il falloit icy dissimuer,Et luy faire à l’abord un peu meilleure mine,Vous contraindre un moment. (III, 9, v. 1158-1160).
Julie est un personnage peu présent. Elle apparaît comme le double de sa maîtresse. Elle est soumise aux humeurs changeantes d’Ormin et de Géraste qui ne peuvent manquer d’imiter leurs maîtres.
Le comique §
On ne peut pas parler de véritable force comique dans L’Absent chez soy, comme dans la comédie à l’espagnole. On l’a vu, l’intrigue est essentiellement romanesque. Il s’agit d’examiner la manière dont l’auteur intègre le comique à cette intrigue ainsi que les effets produits sur le spectateur.
Le comique de situation §
L’intrigue donne lieu à quelques situations comiques. Diane fait un portrait élogieux d’Élize à son amant déjà séduit par la beauté de la jeune fille. Elle l’ignore, mais le spectateur l’a compris, le décalage entre ce que sait le public et ce que sait le personnage provoque le rire.
La situation de Clorimant aux scènes 2 et 3 de l’acte II est elle aussi comique. Le jeune homme, caché dans la chambre d’Élize assiste coup sur coup aux déclarations d’amour de Clitandre à la jeune fille et à l’arrivée du père qui oblige Clitandre à épouser Élize et s’agite vainement. Le comique de situation se double d’un comique de répétition lorsque c’est au tour d’Élize de découvrir son amant chez Diane, à la scène 2 de l’acte IV. Ces situations, qui font naître le dépit amoureux des personnages, sont comiques car, dans le cadre d’une comédie, elles sont sans conséquence. Le comportement des personnages, qui, malgré les apparences, n’aspirent qu’à se réconcilier, laisse entrevoir une fin heureuse. On peut appliquer à ces situations la formule de Marcel Pagnol, citée par Jean Émelina31, selon laquelle le comique naît de « tout ce qui peut, d’une part, créer un désarroi ; d’autre part résoudre brusquement et heureusement ce désarroi »32. Élize et Clorimant s’attirent la sympathie du public, le rire n’est donc possible que dans la mesure où leurs situations difficiles sont appelées à se résoudre de manière heureuse. Le rire ne porte pas sur les personnages mais sur la situation.
La situation de Clitandre surpris par Polémas chez Élize est elle aussi comique car elle cause le désarroi du personnage face à une situation sans issue. Mais, dans ce cas, ce n’est pas la résolution heureuse qui conditionne le rire. Le rire varie selon les personnages sur lesquels il porte et diffère même si les situations et le comique qui en découle sont semblables, car les situations peuvent révéler les ridicules du protagoniste.
Le comique de caractère §
Le seul personnage ridicule de la pièce est Clitandre. Ce n’est cependant pas un personnage intrinsèquement ridicule qui serait porteur de l’essentiel du comique de la pièce. Il n’est comique que dans certaines scènes qui mettent en valeur ses défauts. C’est un jeune homme volage, il n’attire donc pas la sympathie du public, les situations qui le mettent en difficulté prêtent donc à rire. Le rire porte alors non seulement sur les situations mais sur le personnage lui-même. Lorsque Polémas et Octave surprennent Clitandre chez Élize, celui-ci est apeuré, comme l’indique cet aparté : « Je suis perdu, grands Dieux » (II, 3, v. 448).
Sa couardise, qui contraste avec sa vantardise affichée à la scène précédente – « Croyez-moy qu’en mérite il ne m’égale point, » (II, 2, v. 410) – fait rire le spectateur. S’y ajoute le comique de gestes lorsque Polémas dit à Clitandre : « Passez un peu deçà. » (II, 3, v. 479). On imagine aisément le jeu de scène comique : Clitandre se prépare à subir la vengeance du père d’Élize et craint qu’il ne tire son épée.
L’hypocrisie de Clitandre participe du comique de caractère. À la scène 5 de l’acte III, il déclare devant Polémas et Octave qu’il aime Élize alors qu’il vient tout juste de confier à son valet qu’il regrette ce mariage. Son hypocrisie est mise en valeur par l’exagération du vocabulaire qu’il utilise. Il persiste même à la fin de la pièce après avoir essayé de faire annuler la noce. Tels sont les éléments comiques du caractère du personnage. Le rire a ici une valeur morale, le public rit de Clitandre car il est volage, hypocrite, malhonnête et lâche, il rejette ses défauts. La dernière réplique de la pièce, prononcée par Ormin, semble être une adresse au public et indique la présence de ce rire moral :
Certes nous meritons à ce que je cognois,Qu’on se mocque, Monsieur, & de vous & de moi (V, 9, v. 2037-2038).
Le rire, selon Ormin, est mérité et devient une sanction pour Clitandre. Cette réplique répond à l’indignation de celui-ci : « Que vois-je ? Justes Dieux ! Est-ce ainsi qu’on me traite ? » (V, 9, v. 2036). Le pronom personnel « on » peut référer aux autres personnages mais également à l’auteur et au public. Il est question de la manière dont un personnage comme lui est traité par l’auteur et le public. Clitandre est rejeté par les personnages, le public se moque de lui.
Le comique de caractère, lorsqu’il porte sur Clorimant, provoque un rire différent chez le spectateur. Clorimant est le contraire de Clitandre. Il n’est plus question d’un rire réprobateur mais d’un rire de sympathie, amusé par un personnage qui n’arrive pas à quitter celle qu’il aime et qui tente en vain de cacher ses sentiments. L’auteur et le public se jouent des desespoirs amoureux des personnages. Ce comique est le résultat d’une entente implicite entre le spectateur et l’auteur. On peut parler de plaisant plutôt que de comique, pour reprendre la terminologie de Jean Émelina qui écrit que « la déraison des amants bien fous et qui donne lieu à d’innombrables scènes de dépit, n’est que plaisante »33 car le rire est indulgent et non pas réprobateur. Saint Marc Girardin résume le caractère d’Élize et Clorimant en ces termes :
Élize et Clorimant se sont brouillés, sans qu’ils sachent bien pourquoi, et ce sont là les véritables brouilles amoureuses. Ils s’accusent mutuellement d’inconstance, et ils jurent qu’ils ne se reverront plus de leur vie ; mais ils cherchent toutes les occasions de se rencontrer, pour se fuir ouvertement.34
Ce trait atteint son apogée à la scène 9 de l’acte IV, lorsqu’Élize, se faisant passer pour sa suivante, parle à Clorimant qui a pris la place de Géraste. Dans cette scène plaisante, chaque amant croit tromper l’autre. Cela donne lieu à l’ironie d’Élize quand Clorimant-Géraste, après avoir fait croire qu’il était parti, révèle son identité :
Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole.Qui s’enfuit de ces lieux plus viste que le vent. (IV, 9, v. 1532-1533).
De même, la fureur de Clorimant à la fin de la scène est décrédibilisée puisqu’il déchire les cartes de son valet à la place du portrait d’Élize, d’où la réplique de la jeune fille à la scène suivante :
Sans doute Clorimant est de jolie humeur,Il se mocque de nous la chose est évidente. (IV, 10, v. 1610-1611)
C’est bien le caractère indécis des personnages qui est porteur du comique de ces scènes, comme à la scène 3 de l’acte III où l’irrésolution de Clorimant donne lieu à un jeu de scène comique et se trouve ainsi figurée par les gestes de Géraste qui court, s’arrête, repart, pour revenir, au rythme des ordres contradictoires de son maître. À partir de là, toutes les menaces de Clorimant adressées à Élize, malgré leurs allures tragiques, perdent tout sérieux pour basculer dans le comique. Le public a mis au jour les sentiments de Clorimant et ne peut croire à ses feintes.
Le comique de mots §
Les valets ne sont pas comiques en eux-mêmes, comme le sont les graciosos. Ce sont leurs répliques qui sont comiques.
Géraste raille son maître à plusieurs reprises. À la scène 1 de l’acte III, il répète les propos de Clorimant avec ironie :
J’ateste tous les DieuxQue le moindre soûpir, deux larmes de ses yeux,Quatre mots de sa main escrits avec tendresse,Car je cognois assez quelle est vostre foiblesse,Au milieu de la nuë arresteroient l’esclairLe trait poussé de l’arc, & l’oyseau dedans l’air. (II, 1, v. 797-802).
Géraste apparaît alors comme le double du public sur la scène en révélant les contradictions et l’irrésolution de son maître par le rire. Il partage avec le public la connaissance du caractère de Clorimant. Il laisse libre cours à son esprit critique et à son ironie. Le rire bienveillant du valet pour son maître éclaire la nature du rire de sympathie du public envers Clorimant. Géraste émaille ses répliques de bons mots, comme à la fin de la pièce :
Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble,Pauline & moy j’entends. (V, 9, v. 2032-2033).
Le comique de mots est représenté également par l’imitation par les valets des actions de leurs maîtres. C’est par ces imitations que le valet de L’Absent chez soy est proche du valet de la comedia. Valets et suivantes se fâchent et se réconcilient au même rythme que leurs maîtres. La critique35 reproche souvent à d’Ouville que le systématisme de ces imitations en ôte la force comique. Outre le jeu d’écho produit par cette imitation, le comique réside alors principalement dans le décalage entre maîtres et valets. Géraste rend à chaque fois sa réplique burlesque en utilisant un langage plein de trivialité, ainsi à la scène 4 de l’acte II :
Que je m’enfuy de toy, que nous partons ensemble,Desloyale parjure, ame ingrate, & sans foy.Va qu’une balle passe à mille pas de moy,Et qu’entre deux treteaux je briffe en la cuisineSi tu me vois jamais infidelle Pauline. (II, 4, v. 668-672).
Ses propos contrastent avec le sérieux et le ton de ceux de son maître. À la scène 4 de l’acte V, après que Clitandre a dit du mal d’Élize, Ormin en fait de même de Pauline en utilisant des images basses, un vocabulaire terre à terre, le portrait est burlesque.
On voit donc qu’il n’y a pas une ligne directrice du comique de L’Absent chez soy. Plusieurs sortes de comique sont présents dans la pièce. Certaines scènes relèvent plus du plaisant que du comique car le spectateur est amusé et les personnages lui sont sympathiques.
La dramaturgie §
Les unités §
D’Ouville a voulu adapter la pièce espagnole aux exigences classiques. Il s’agit ici de voir dans quelle mesure il respecte les règles classiques et en particulier la règle des unités.
L'unité de temps §
Le dramaturge respecte l’unité de temps. La pièce dure environ vingt-quatre heures, elle commence le matin, à la sortie du bal, et s’achève le lendemain matin. Au cours de la pièce, les répliques donnent fréquemment des indications temporelles. À la première scène de l’acte I, la didascalie précise : « Diane et Elize sortant du bal au matin. »
Clorimant retourne voir Élize « de jour ». Puis, la scène où les deux amants se parlent à la fenêtre se passe la nuit. Au début du dernière acte, c’est le lendemain matin, il est très tôt, Octave dit à son père : « D’où vient que je vous voy, Monsieur, si tost levé ? » (V, 1, v. 1617).
Ensuite, jusqu’à la fin de la pièce, il n’y a plus de précisions temporelles mais l’enchaînement des faits donne une impression de rapidité et Polémas dit à Octave à la scène 2 de l’acte V :
Mais à condition que sans plus de remise,Il sera ce matin joint à ta sœur Elize. (V, 2, v. 1691-1692).
Cela laisse penser que la pièce s’achève le matin même.
L’action continue pendant les entractes. Entre l’acte I et l’acte II, il s’est passé 1 h 30, comme le signale Élize. Peu avant la fin de l’acte II, Clorimant quitte Élize et annonce son départ pour la guerre. Au début de l’acte suivant, il est prêt à partir. Lorsque débute l’acte IV, Clorimant et Diane se sont déjà mis d’accord, ils veulent se venger. À l’acte IV, Clitandre dit qu’il est décidé à écrire à Polémas pour faire annuler le mariage en demandant une dot plus importante. Au début de l’acte V, Polémas a déjà lu la lettre et il est furieux.
On peut considérer que d’Ouville, comme son modèle espagnol, respecte la règle de l’unité de temps en donnant à sa comédie une durée d’environ vingt-quatre heures et en organisant sa pièce de sorte que l’intrigue évolue durant les entractes, satisfaisant ainsi le souci de vraisemblance quant à la durée de l’intrigue représentée.
L’unité de lieu §
L'intrigue se déroule à Paris, mais pas dans un lieu unique. La didascalie de la première scène de la pièce indique : « Diane & Elize masquées sortant du bal au matin »
Les jeunes femmes attendent leur carrosse, le bal est donc relativement éloigné de leur maison, le changement de décor est obligatoire, puisque le reste de la pièce se déroule chez les jeunes filles. Le lieu change à la scène 5 du même acte, Clorimant et Géraste se trouvent devant la maison d’Élise. Ils voient Polémas et Octave sortir : « Ils sortent, je les voy sur le pas de la porte, » (I, 5, v. 131) ils sont dans la rue. À la scène 7, ils entrent chez Élize. À partir de la scène 5 de l’acte II, le lieu change encore, il s’agit de la maison de Diane. L'acte III commence chez Clorimant, jusqu’à la scène 4 où Clorimant et Géraste s’apprêtent à entrer chez Élize. Au début de l’acte IV, l’action a lieu chez Diane, jusqu’à la scène 7 où Clitandre et Ormin sont dans la rue, près de la maison d’Élize. L'acte V se déroule chez Élize, à l’exception des scènes 3 à 7 qui se passent chez Diane. Cet inventaire des lieux de l’intrigue est nécessaire dans la mesure où d’Ouville n’introduit presque pas de didascalie indiquant le lieu de la scène, contrairement à Lope de Vega qui signale chaque changement de lieu. Si l’on se reporte à la pièce espagnole, on peut relever tous les lieux présents dans la pièce française car les personnages de d’Ouville suivent les mêmes déplacements que ceux de Lope de Vega. La pièce comprend donc cinq lieux différents : la sortie du bal, la maison d’Élize, la rue devant cette maison, la maison de Diane, celle de Clorimant.
Lors de la représentation, il serait donc question d’un décor à compartiments. On a pu le remarquer, les personnages se déplacent d’un lieu à l’autre au cours d’un même acte, il paraît donc peu probable que le décor change pendant le déroulement d’un acte. On peut supposer que les trois maisons sont voisines, c’est du moins le cas pour celle d’Élize et de Diane. Clitandre dit à Diane au sujet d’Élize :
(…) mais vous avez trouvéPour vous entretenir une du voisinage. (I, 4, v. 94-95).
La proximité facilité les déplacements. La rue se trouverait alors devant les maisons. Reste la sortie du bal. Mais, comme les jeunes femmes attendent leur carrosse dans la rue, on peut imaginer qu’un rideau cache les maisons dans les premières scènes de la pièce et qu’il se lève ensuite. Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer explique dans L'Histoire de la mise en scène :
les changements de décor étaient réalisés par l’enlèvement de petits rideaux qui n’avaient pas de place fixe sur la scène et pouvaient couvrir n’importe quel compartiment.36
Un autre problème est à résoudre. Certaines scènes se passent dans la rue, d’autres dans les maisons. D’Ouville introduit une didascalie à la fin de la scène 4 de l’acte III qui l’explique : « Il faut lever la toile. »
Clitandre et Ormin sont dehors et entrent chez Élize. La façade de la maison est peinte sur une toile qu’on lève lorsque la scène se déroule à l’intérieur. Il en est de même pour les maisons de Diane et de Clorimant. Il faut également imaginer deux pièces chez Élize et chez Diane qui servent de cachette visible par le public. Cela peut être une pièce voisine ou un recoin. D’Ouville respecte l’unité de lieu au sens large, c’est-à-dire que l’intrigue se passe dans une seule ville, mais les personnages se déplacent dans cette ville.
L’unité d’action §
Dans L’Absent chez soy, plusieurs fils sont en présence. Tout d’abord, il y a deux groupes, les maîtres et les valets. Du côté des maîtres, il y a cinq jeunes gens : deux couples et un amoureux. Quant aux valets, ils forment deux couples également. Les couples de maîtres permutent comme ceux des valets, à l’exception de Pauline qui rejette Ormin. Il faut ajouter le personnage d’Octave, sans cesse repoussé jusqu’à la dernière scène. On peut se demander alors dans quelle mesure on peut parler d’unité d’action dans L’Absent chez soy.
Jean Chapelain, dans sa lettre du 29 novembre 1630 sur la règle des vingt-quatre heures, écrit :
il en est de ceci [les poèmes représentatifs] précisément comme des tableaux réguliers dans lesquels jamais un bon desseigneur n’emploiera qu’une action principale, et s’il en reçoit d’autres dans les enfonçures ou dans les éloignements, il le fera bien pour ce qu’elles auront nécessaire dépendance de la première, mais ce sera plus encore parce qu’elles se passeront au moins dans le même jour, par la seule raison de l’œil qui ne saurait bien voir qu’une seule chose d’un regard et duquel l’action est limitée à certain espace.37
Dans le deuxième discours de la poésie représentative, il définit l’unité d’action :
les bons anciens n’ont jamais eu dans leur tragédie et dans leur comédie qu’une action principale à laquelle toutes les autres se rapportaient et c’est ce que l’on nomme unité d’action.38
L’Absent chez soy semble s’accorder avec cette définition. Il y a bien une action principale, celle qui occupe les maîtres, et une action secondaire, qui occupe les valets. L’action secondaire se rapporte à l’action principale. La dépendance est double car elle porte sur les actants de cette action secondaire, les valets, qui dépendent de ceux de l’action principale, les maîtres, et sur l’action elle-même, car celle des maîtres gouverne celle des valets. Les valets ne font que reproduire in extremis les décisions des maîtres, sans jamais prendre eux-mêmes d’initiative. On peut enlever les aventures amoureuses des valets sans altérer l’action principale. Cette imitation mécanique empêche de parler d’une véritable action des valets, il s’agit davantage d’un effet de miroir, d’un dédoublement de l’action principale et non de deux actions. C’est un fil de l’action principale.
Si l’on considère l’action des maîtres, on peut distinguer trois fils : au début de la pièce, Clorimant et Élize s’aiment, Clitandre et Diane s’aiment, Octave aime Diane. Puis, les couples permutent. Le fil principal est constitué par l’amour de Clorimant et Élize. Jacques Scherer, dans La Dramaturgie classique, écrit :
c’est la possession de ces quatre caractères d’unification qui permettra seule d’affirmer qu’une pièce respecte l’« unité d’action », donnant ainsi à cette formule vague un sens précis. Les trois premiers de ces caractères concernent l’inamovibilité, la continuité et la nécessité des éléments de l’intrigue (…) Le quatrième caractère, plus subtil, concerne la nature du rapport des intrigues accessoires avec la principale.39
Le critère d’inamovibilité est respecté. Il en est de même pour le critère de la continuité car les différents fils « prennent naissance dès l’exposition et trouvent leur conclusion dans le dénouement. »40
Le troisième critère est lui aussi respecté. Pour le quatrième critère, Jacques Scherer prend appui sur Marmontel et dit : « chaque intrigue accessoire exerce une influence sur le déroulement de l’intrigue principale. »41
Ce sont bien les fils secondaires qui influencent le fil principal. Clitandre, à cause de l’intervention de Polémas, doit épouser Élize. Octave incite son père à imposer ce mariage. Il en est de même pour le fil des valets qui imitent les maîtres. Ormin perturbe le couple Géraste/Pauline. Quant à Diane et Julie, elles ne font que se lamenter jusqu’à la fin de la pièce et leur sort dépend du fil principal. On peut dire que cette pièce comporte une action « unifiée », pour reprendre la terminologie de Jacques Scherer. L’unité d’action est respectée.
La structure de la pièce §
L’exposition §
Dans L’Absent chez soy, l’exposition est terminée à la fin de l’acte I, dans la mesure où tous les personnages sont apparus sur la scène. Les deux principales scènes d’exposition, qui donnent le plus grand nombre d’informations sur les personnages et la situation au lever du rideau sont les scènes 2 et 6. D’Ouville rend cela naturel en informant le spectateur par la conversation des deux suivantes dont les maîtresses viennent de faire connaissance, il est donc normal qu’elles s’interrogent l’une l’autre (I, 2). Puis, à la scène 6, Octave annonce à son père qu’il veut se marier, ce qui donne lieu aux questions de Polémas à son fils sur celle qu’il aime, tout comme Octave interroge son père qui lui fait part de son inquiétude pour l’amour d’Élize.
Alors que la scène 6 met en place la rivalité entre Octave et Clitandre, Polémas préfère
(…) parler d’Elize,Et laisser ce discours pour une autre saison. (I, 6, v. 224-225).
Ce sont donc les amours et le mariage d’Élize qui sont mis au premier plan dès le premier acte. Pauline l’a déjà signalé en disant à Julie :
Et je souhaite fort cette heureuse journée,Qu’ensemble ils seront joints sous les loix d’Hymenée.Mais j’apprehende bien que selon leurs désirsIls ne puissent sitost accomplir leurs plaisirs. (I, 2, v. 47-50).
La journée est donc décisive pour Élize et Clorimant, Polémas insiste à la scène 6 :
Je veux voir aujourd’huy par cete experienceSi l’Amour est plus fort que n’est l’obeyssance, (I, 6, v. 255-256).
Cependant, aucun obstacle n’est signalé à leurs amours. La flamme naissante de Clitandre n’est qu’esquissée, lorsqu’il demande à sa maîtresse avec qui elle a discouru. Rien à ce moment ne laisse entrevoir quelque difficulté pour l’amour d’Élize et Clorimant qui remplit les conditions énoncées par Polémas à la scène 6, tandis que l’amour d’Octave pour Diane, pour lequel il y a déjà un obstacle, est présenté comme étant secondaire.
L'action principale offre donc une situation initiale calme. Quand arrivent les obstacles, le but est alors de revenir à cette situation initiale. Mais l’exposition n’empêche pas l’action de commencer et certains traits qui permettent aux spectateurs de mieux connaître la situation et le caractère des personnages sont intégrés à l’action. Ainsi assiste-t-on à la formation de l’amitié d’Élize et de Diane. Clorimant, à la scène 5, manifeste également la violence de sa passion pour Élize et, à la scène 7 de l’acte I, Élize explique à son amant et au public l’obéissance qu’elle doit à son père. D’Ouville introduit déjà les éléments constitutifs de l’intrigue. L'action commence : Diane promet à Élize d’envoyer Clitandre chez elle pour qu’elle fasse sa connaissance, Polémas fait mine d’aller aux champs pour surprendre l’amant de sa fille, Clitandre tombe amoureux d’Élize. L'exposition met en place, sans que le public s’en aperçoive, l’origine du quiproquo, quand Polémas prononce ces vers :
J’ay sceu de bonne part, qu’un certain Gentil-homme,Mais je n’ay peu sçavoir encor comme il se nomme,La visite chez elle, & que sa passionFait remarquer à tous son inclination.Mon dessein à présent n’est autre que d’attendreQu’il vienne en nostre absence afin de le surprendre, (I, 6, v. 227-232).
D’Ouville représente une histoire qui débute sous les yeux du spectateur. À la fin du premier acte, l’action a déjà commencé et le public connaît les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue.
Le nœud §
L'action se noue au deuxième acte, à la scène 3, lorsque Polémas oblige Élize à épouser Clitandre. Deux types d’obstacles participent à ce nœud, un obstacle extérieur et un obstacle intérieur. L'obstacle extérieur est celui qui apparaît clairement dans la pièce, c’est la décision de Polémas qui force Élize à épouser Clitandre. Cependant, l’obstacle extérieur n’est pas dû à l’autorité d’un père qui refuse l’amour de sa fille, mais à un quiproquo. Polémas n’est pas un obstacle en lui-même, il n’avait d’ailleurs pas l’intention de contraindre Élize. L'obstacle paternel est dû à la méprise sur les apparences. Il est par la suite à l’origine de nombreuses méprises des personnages. En effet, chacun croit à un complot :
Clorimant (…)
Tout estoit concerté, tu l’as fait à dessein,Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein,Contre moy vous étiez tous deux d’intelligence, (II, 4, v. 565-567).Diane
Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ?Je vous entends très-bien, vous estes je le voy,Tous trois d’intelligence, & liguez contre moy. (II, 6, v. 752-754).Clitandre
Pour attraper mon bien, croy moy qu’elle & son pèreOnt fort adroittement mesnagé cette affaire,Ouy de me la livrer ils avoient fait complot,Mesme à ma première offre & de me prendre au mot. (III, 4, v. 963-966).
Ce quiproquo est dû au hasard car juste avant que Clitandre n’arrive, c’est Clorimant qui était en compagnie d’Élize. L’obstacle est donc faible et il serait bien facile à lever s’il n’était pas doublé d’un obstacle intérieur.
L'obstacle intérieur est bien plus difficile à lever que l’obstacle extérieur car il nécessite une évolution de la part du personnage d’Élize. Il réside dans l’obéissance d’Élize à son père, une obéissance tellement ancrée en elle qu’elle essaie à peine de détromper Polémas quand il prend Clitandre pour son amant. Jacques Scherer écrit :
Un obstacle n’est intérieur que si l’on veut bien qu’il le soit, et pour qu’un obstacle extérieur devienne intérieur, il suffit que le héros en admette la légitimité et accepte de s’y soumettre, de lutter contre lui, au lieu de se dérober en donnant à ses désirs un autre objectif ou en fuyant.42
Cela illustre l’obstacle intérieur d’Élize, elle légitime la contrainte paternelle par sa religion de l’obéissance. Elle a intériorisé l’obstacle, ce qui explique qu’elle obéit sans dissiper le quiproquo. Elle fait elle-même obstacle à son amour. Elle accepte d’être contrainte jusqu’à la fin de l’acte III. Clorimant semble avoir compris qu’Élize est le véritable obstacle à leur amour c’est pourquoi il ne tente pas de lever l’obstacle extérieur et accuse Élize pour la faire réagir. Élize est le lieu de l’affrontement de l’amour pour Clorimant et de l’obéissance à Polémas. Elle passe de la soumission à la reconquête de son amour en réaction au départ de Clorimant, sans peser l’un et l’autre.
Mais, alors que l’obstacle majeur est levé, la pièce n’est pas terminée, une péripétie s’ajoute et retarde le dénouement. Élize trouve son amant chez Diane et le croit infidèle, elle le rejette à son tour. Ce sont alors les amants eux-mêmes qui font obstacle à leur amour. De même, lorsque Polémas, qui a reçu la lettre de Clitandre, est prêt à annuler le mariage, d’Ouville, par un coup de théâtre, retarde le dénouement car Élize supplie son père d’accepter d’augmenter la dot pour pouvoir épouser Clitandre. Les obstacles sont levés mais Élize n’est toujours pas parvenue à retrouver l’amour de Clorimant.
Le dénouement §
Le dénouement se fait donc attendre jusqu’à la toute dernière scène de la comédie. D’Ouville respecte les exigences du dénouement. Il n’ajoute pas de personnage dans la scène finale, si ce n’est la mention de la compagnie qui entre pour le mariage ou le fait qu’Octave promet à Julie qu’elle pourra épouser un de ses valets. La compagnie n’influence en rien le dénouement et le valet dont Octave parle n’intervient pas sur la scène, en outre, il ne permet pas de dénouer l’action principale de la pièce.
Le dénouement est complet, le sort amoureux de chaque personnage est fixé, l’auteur place tous les personnages de la pièce dans la dernière scène. Les uns se marient, les autres sont rejetés. Le dénouement est concentré dans la dernière scène de la pièce. Notons tout de même l’artifice de l’amour soudain de Diane pour Octave, qui relève davantage d’un dégoût pour Clitandre et son inconstance que d’un amour véritable. C'est là la marque de la volonté du dramaturge de donner un dénouement complet. Le dénouement de cette pièce se compose de deux coups de théâtre, l’un est, on vient de le dire, le choix de Diane d’épouser Octave et de repousser Clitandre, l’autre est le fait d’Élize.
Élize après avoir entendu Clitandre lui déclarer publiquement son amour :
Ouy Monsieur je confesse en presence de tousQue volontairement je soubmets ma franchiseDessous les douces loix de la parfaite Elize.Que je suis satisfaict de ce qui s’est passé,Et qu’à ce mariage on ne m’a point forcé. (V, 8, v. 1974-1978).
le rejette :
Monsieur je desirois avoir cét advantage,Par la confession qu’il me fait aujourd huy,De monstrer que c’est moy qui ne veut point de luy. (V, 8, v. 1980-1982).
Elle exprime sa volonté avec détermination, publiquement. Elle passe de l’obéissance au père à l’expression de sa propre volonté. Élize choisit, au début de l’acte V, de poursuivre ce mariage qui fait obstacle à son amour pour le lever elle-même à la scène 8.
Relevons également l’une des phrases prononcées au dénouement par Polémas :
Si Monsieur m’eust parlé plustost, j’eusse sur l’heureTerminé cette affaire. (V, 9, v. 2011-2012).
Polémas apparaît alors comme l’organisateur de la pièce, autant intérieurement qu’extérieurement. Le mot « affaire » peut être interprété en deux sens différents, il peut référer au mariage d’Élize et Clorimant mais également à la pièce de théâtre elle-même, l’un et l’autre étant étroitement liés car la comédie s’achève lorsque les deux amants sont réunis pour se marier. Polémas est présenté comme le dramaturge qui règle le sort des personnages et donc qui orchestre la pièce. On peut noter l’ironie de l’auteur dans ces vers qui renvoient à la pièce, qui aurait pu ne pas exister.
La liaison des scènes §
Certaines scènes de la pièce ne sont pas liées à celles qui les précèdent. C’est le cas de la scène 5 de l’acte I, de la scène 7 de l’acte I, de la scène 4 de l’acte III, de la scène 7 de l’acte IV. Le motif de l’absence de liaison des scènes est le changement de lieu et le fait qu’on ne retrouve sur scène aucun personnage de la scène précédente.
La scène 5 de l’acte I n’est pas liée à la scène 4, contrairement à la scène correspondante dans El Ausente en el lugar, car d’Ouville, en supprimant certains éléments parallèles à l’action principale a rendu la liaison des scènes impossible. Dans la pièce espagnole, Feliciano et Fisberto, présents à la scène 3 de l’acte I, sont encore sur scène à la scène suivante. Ils se livrent à la critique de Carlos qui entre en scène avec Esteban puis sortent et laissent Carlos et Esteban seuls à la scène 5. D’Ouville n’a pas conservé cet épisode, ce qui se répercute sur la dramaturgie de sa comédie. Il passe d’une scène à l’autre en changeant le lieu et les personnages au sein d’un même acte. Cette absence de liaison des scènes se double d’une rupture dans la continuité de l’action car Géraste entre en scène en rapportant à son maître qu’Élize veut le voir. On a l’impression que du temps s’est écoulé.
À la scène 7 de l’acte IV, la conversation de Clitandre et Ormin dans la rue succède à celle de Diane et Julie chez Diane. Là encore, l’absence de liaison vient de la différence avec le modèle espagnol puisque le passage d’une scène à l’autre correspond au passage de l’acte II à l’acte III chez Lope de Vega. En outre, d’Ouville conserve la même structure que El Ausente en el lugar en représentant une conversation qui a déjà commencé au moment où les personnages entrent en scène, il agit comme si c’était le début d’un acte.
Dans les deux autres cas, la scène 7 de l’acte I et la scène 4 de l’acte III, la liaison des scènes est omise dans la pièce espagnole. D’Ouville n’y remédie pas. À l’époque où il compose sa comédie, la liaison des scènes n’est pas encore considérée comme une nécessité absolue, comme l’explique Jacques Scherer43. Cette absence de liaison vient du fait que d’Ouville change le lieu au cours d’un même acte, ce qui crée une rupture dans la continuité des scènes de la pièce, même si ces lieux sont proches les uns des autres.
La mise en scène de la parole persuasive §
L’Absent chez soy est une pièce où la parole, mais aussi l’absence de parole, priment sur l’action. C'est la non-parole d’Élize qui laisse le quiproquo s’installer et qui cause la colère de Clorimant. Clorimant parle sans agir, son discours ne devient pas action. Les non-dits causent la méprise des personnages. Il est donc nécessaire de les convaincre par la parole persuasive. Le dramaturge emploie l’art de la rhétorique à plusieurs reprises dans la comédie. Dans de nombreuses scènes, l’enjeu principal est de convaincre, au sens actuel et au sens ancien d’accuser, l’interlocuteur qui n’est pas en mesure de juger avec l’objectivité du spectateur. Chaque personnage dans cette pièce cherche sans cesse à persuader son interlocuteur que ce soit de la vérité de ses sentiments, d’un dessein de partir, de la méprise des apparences. Il ne s’agit pas toujours d’un discours rhétorique organisé. Voici quelques exemples : Clorimant cherche à convaincre Géraste que rien ne l’empêchera de partir (III, 1), Pauline à convaincre Élize que Clorimant ne partira pas (II, 4), Clitandre à convaincre Diane qu’il n’a jamais aimé Élize.
Le discours rhétorique le mieux représenté est le discours judiciaire, notamment à la scène 6 de l’acte III. Celui de Clorimant obéit à la composition d’un discours rhétorique avec l’exorde, la narration, la démonstration, la péroraison. Ce discours à double entente doit amener Élize à juger si Clorimant a raison de partir. Clorimant commence par deux vers d’exorde :
Cette cause provient d’une melancolie,Je croy qu’en la sçachant je vous feray pitié ; (III, 6, v. 1052-1053).
Dans ces vers, il cherche à s’attirer la sympathie et la compassion de l’auditoire. Il parle de « melancolie » et indique le sentiment qu’éprouveront les auditeurs après avoir entendu son discours : la pitié. Ethos et pathos sont présent dans ce discours. S’ensuit une narration subjective où il est question de son ami en termes dépréciatifs. Il y introduit des arguments et prend à parti la jeune fille en utilisant la figure de l’interrogation rhétorique :
Je vous en fait le juge, eut-il quelque raisonD’user d’une si lasche & noire trahisonEnvers un qui l’adore ; (III, 6, v. 1061-1063).
comme dans une scène de procès, mais ici l’accusé et le juge ne font qu’un. Il insiste davantage sur la faute de son ami, donc d’Élize, plutôt qu’il ne cherche à justifier son départ, ce qui était pourtant le propos annoncé de son discours. Ses arguments reposent essentiellement sur l’opposition entre ses bons services et la trahison de son ami :
Madame il m’a quitté pour suivre un estranger,Qui, comme je l’ay fait, ne sçauroit l’obliger. (III, 6, v. 1069-1070).
Il cherche en réalité à accuser Élize sous les traits de son ami. Il arrive à la péroraison sur un ton pathétique :
De crainte tous les jours de les trouver ensemble,Bravans ma passion, le meilleur ce me semble,Est de les quitter là. Que je puisse volerPour sortir de ses lieux viste comme un esclair. (III, 6, v. 1075-1078).
S’ensuit un autre discours argumenté, celui d’Élize, qui juge, défend et accuse. Elle commence par juger la décision de Clorimant :
Si de vos differents vous me jugez croyable,Je ne vous trouve pas en ce poinct raisonnable ; (III, 6, v. 1079-1080).
elle défend l’ami en question pour ensuite porter l’accusation sur Clorimant :
C’est avoir peu de soin ; car dites-moy de grace,Ce que vous avez fait pour recouvrer la placeQue vous aviez acquise au cœur de cet amy ? (III, 6, v. 1087-1089).
Ce discours illustre la double fonction de juge et d’accusée d’Élize. Il ne prend pas la forme d’un discours rhétorique, mais il cherche à persuader.
Cependant, on remarque dans les deux cas que le discours n’a aucun effet sur l’interlocuteur. Après le discours d’Élize, Clorimant ne va pas essayer de la reconquérir, mais chercher à se venger. Quant à Élize, il est vrai, c’est après cette scène qu’elle décide de reconquérir Clorimant mais ce n’est pas son discours qui influence son choix mais l’annonce de son départ.
Les discours n’ont aucun effet car cette parole persuasive des personnages s’appuie sur des arguments rationnels, qui demandent réflexion. Les personnages, que ce soit Élize ou Clorimant, semblent avoir perdu cette faculté. C'est l’émotion qui provoque une réaction chez eux. Ce n’est que quand Élize ouvre son cœur à Diane et laisse parler le langage de l’émotion que Clorimant, caché, est persuadé de l’amour de la jeune fille. Lorsque, à la scène 4 de l’acte II, Élize se défendait en alléguant l’obéissance qu’elle devait à son père, Clorimant ne pouvait pas recevoir ces arguments de type rationnel. La passion empêche les personnages de réfléchir. Ils ne comprennent que le langage de l’émotion, rejetant celui de la raison. De même, lorsqu’Élize et Clorimant se parlent la nuit en prenant la place de Pauline et Géraste, tous leurs discours sont vains jusqu’à ce qu’Élize déclare vouloir épouser Clitandre, ce qui provoque une violente émotion chez Clorimant qui veut déchirer les portraits d’Élize.
Une autre scène est comparable à une scène de procès. Il s’agit de la scène 3 de l’acte II. Clitandre est mis en accusation par Polémas et Octave. Il doit donner les raisons de sa présence ainsi que son identité. Il se défend d’avoir voulu offenser Polémas. Clitandre pense qu’il n’a que deux alternatives : épouser Élize ou mourir. Il choisit d’épouser Élize, ce qui rend le jugement d’Octave favorable : « C’est parler comme il faut, je vous veux embrasser. » (II, 3, v. 542).
Clitandre a su les convaincre de son amour. Le discours de type judiciaire est largement employée dans L’Absent chez soy. À la scène 4 de l’acte II, Clorimant accuse Élize de lui être infidèle. À la scène 4 de l’acte III, c’est autour d’Élize d’accuser Clorimant. Quand le discours est accusateur, le personnage se laisse emporter par l’émotion.
D’Ouville met donc en scène une parole persuasive qui n’est pas toujours efficace. Pour qu’elle atteigne son but, cette parole doit s’adresser à l’émotion et non à la raison, tout en étant elle-même portée par le langage de l’émotion. L'émotion donne lieu à des discours de type judiciaire où les personnages accusent sans réfléchir. La pièce apparaît comme une suite de mises en accusation et de défenses, d’où l’importance que revêt la parole.
La postérité §
D’Ouville fait partie de ces nombreux dramaturges du XVIIe siècle qui ont été oubliés, comme effacés par Corneille, Molière et Racine. Les critiques qui le mentionnent parlent souvent de lui en des termes peu élogieux et réduisent ses pièces à de pâles copies des dramaturges espagnols. Il est vrai qu’il était plus connu pour ses contes que pour ses pièces de théâtre mais celles-ci ont vraisemblablement eu du succès. Certains critiques parlent des qualités des pièces de d’Ouville et relèvent des ressemblances avec certaines pièces de Molière, notamment des similitudes concernant quelques scènes.
Selon certains, comme Saint Marc Girardin44, L’Absent chez soy aurait inspiré Molière pour deux de ses comédies, Le Dépit amoureux et Le Mariage forcé. Les similitudes entre la comédie de d’Ouville et Le Dépit amoureux de Molière ne résident pas tant dans l’intrigue que dans certaines scènes. L'intrigue du Dépit amoureux est différente de celle de d’Ouville. Au sujet des scènes 9 et 10 de l’acte IV de L’Absent chez soy, où Clorimant et Élize prennent la place de leur valet pour se parler, conversation à la suite de laquelle Clorimant fait semblant de déchirer les portraits d’Élize, Saint Marc Girardin écrit :
Je viens de relire, après cette scène de L’Absent chez soy, la scène du Dépit de Molière, et je suis encore moins frappé peut-être de la ressemblance des deux scènes que de leur mérite presque égal.45
Claude Bourqui46 considère qu’on peut estimer que Molière a lu la pièce de d’Ouville et qu’il a pu en garder quelques motifs, notamment d’après la comparaison de la scène 9 de l’acte IV de d’Ouville et les scènes 3 à 4 de l’acte III de Molière. Il considère que L’Absent chez soy est une source du Dépit amoureux à « titre accessoire », que c’est une source indécise.
Comparons les deux scènes. La querelle des amants, qui ont été prompts à se fâcher au début des deux pièces, présente des caractères semblables dans la scène 9 de l’acte de IV de d’Ouville et dans la scène 3 de l’acte IV de Molière. Dans les deux pièces, les reproches vont bon train, les amants feignent l’indifférence alors qu’ils n’aspirent qu’à se réconcilier. Chacun accuse l’autre. Cependant, chez Molière, la réconciliation a lieu sur scène. Dans L’Absent chez soy, Clorimant déclare à Élize :
Je te quitte à present me sentant outragé,Mais croy qu’auparavant je veux estre vangé,Et pour ne garder rien d’un esprit si volageTien voilà tes escrits que j’immole à ma rageTes cheveux, ton pourtraict. (IV, 9, 1545-1549).
Éraste dit à Lucile :
Oui, oui, n’en parlons plus ;Et pour trancher ici tous propos superflus,Et vous donner, ingrate, une preuve certaineQue je veux, sans retour, sortir de votre chaîne,Je ne veux rien garder qui puisse retracerCe que de mon esprit il me faut effacer.Voici votre portrait : il présente à la vueCent charmes merveilleux dont vous êtes pourvue ;Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands,Et c’est un imposteur enfin que je vous rends. (IV, 3, v. 1331-1340).
Plus loin, Clorimant dit à Élize :
Et pour plus grand mespris je veux avoir la gloireDe bannir de mon cœur jusques à ta mémoire.Adieu perfide, adieu, je sors de son pouvoir,Et n’imagine pas de jamais me revoir. (IV, 9, v. 1563-1566).
Éraste s’exclame :
Non, non, n’ayez pas peurQue je fausse parole : eussé-je un faible cœurJusques à n’en pouvoir effacer votre image,Croyez que vous n’aurez jamais cet avantageDe me voir revenir. (IV, 3, v. 1323-1327).
La similitude apparaît clairement. Saint Marc Girardin affirme, à propos de cette scène que d’Ouville :
a compris d’avance le secret qui fait la supériorité de Molière : il a cherché et trouvé l’intérêt et l’agrément de la comédie dans la peinture fidèle des passions plutôt que dans la complication des aventures.47
La ressemblance entre les deux scènes apparaît donc dans leur structure et leurs répliques mais aussi dans la manière de traiter la scène, en représentant les passions des amants au désespoir.
On peut se demander si la source principale du Dépit amoureux contient déjà les mêmes éléments que L’Absent chez soy. Claude Bourqui48 écrit que la source principale et avérée de Molière pour cette pièce est L’Interesse, comédie de Nicolò Secchi publiée en 1581. L’intrigue est la même que celle de Dépit amoureux, mais le dépit amoureux n’est pas représenté et les amants qui correspondent à Éraste et Lucile ne sont pas confrontés. Ces éléments représentent les principales similitudes de L'Absent chez soy et du Dépit amoureux.
Les scènes de dépit amoureux rapprochent donc les deux comédies. On peut comparer la scène 2 de l’acte III de L’Absent chez soy avec la scène 5 de l’acte I du Dépit amoureux. Clorimant, après avoir lu la lettre que lui a écrite Élize est pris de fureur, on a le même schéma chez Molière. Les amants au désespoir déchirent les lettres de celle qu’ils aiment. La similitude est grande entre les vers 888-893 de L’Absent chez soy et les vers 325-328 du Dépit amoureux. Ces scènes de dépit amoureux sont proches dans leur forme. De même, dans les deux pièces, les valets imitent les maîtres dans leurs aventures amoureuses, se fâchant, et se réconciliant au même rythme. Cependant, chez Molière, l’imitation paraît moins mécanique. Il développe davantage les possibilités comiques du décalage entre maître et valet, ainsi que le comique du langage des valets.
Saint Marc Girardin49 estime que Molière a emprunté à L’Absent chez soy quelques traits pour une autre comédie, Le Mariage forcé. Claude Bourqui50 ne mentionne pas la pièce de d’Ouville parmi les éventuelles sources du Mariage forcé. Il parle du Tiers Livre de Rabelais comme source à titre essentiel mais qui reste incertaine. La ressemblance viendrait du fait que, comme Sganarelle, Panurge cherche à savoir s’il doit se marier et interroge différents savants à ce sujet. Les ressemblances entre L’Absent chez soy et Le Mariage forcé ne sont pas du même ordre.
Saint Marc Girardin rapproche en premier lieu Polémas d’Alcantor. Tous deux veulent marier leur fille et trouvent l’occasion de la joindre à un riche prétendant. Saint Marc Girardin trouve l’attitude de Clitandre et celle de Sganarelle semblables lorsqu’ils veulent annuler leur mariage, bien que leurs raisons soient différentes. En effet, dans les deux pièces, ces personnages reviennent finalement sur leur décision et acceptent d’épouser la jeune fille qui leur est promise en recevant de nombreux compliments de la part du père ou du frère de la jeune fille en question. Ainsi, à l’avant-dernière scène de la pièce, Polémas, tantôt furieux contre Clitandre, lui dit :
(…) sçachez mon cher Clitandre,Que le desir que j’ay de vous avoir pour gendre, (V, 8, v. 1931-1932).
Chez Molière, dans l’avant-dernière scène de la pièce, Alcidas, le frère de la jeune fille que Sganarelle doit épouser, après avoir dit à Sganarelle que soit il épousait Dorimène, soit il devait se battre en duel contre lui, lui dit, après que Sganarelle accepte d’épouser la jeune fille :
Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l’homme du monde que j’estime le plus, je vous jure ; (scène 9).
De même que c’est par lâcheté que Clitandre accepte d’épouser Élize à la scène 3 de l’acte II, de même Sganarelle accepte le mariage avec Dorimène à la scène 9 par lâcheté, craignant de devoir se battre. Le public rit de la couardise des personnages. On retrouve en effet quelques traits de L’Absent chez soy dans Le Mariage forcé, mais il serait audacieux de prétendre que Molière s’est inspiré de la pièce de d’Ouville, peut-être a-t-il conservé quelques motifs comme dans Le Dépit amoureux, mais on ne peut l’affirmer avec certitude.
Note sur la présente édition §
L’édition originale de L’Absent chez soy de d’Ouville est publiée en 1643 par Toussainct Quinet. Le volume que nous avons pris pour base se présente sous la forme suivante :
1 vol., [I-I bl-II] 156 p. , in 4°
Il s’agit d’un exemplaire de la Bibliothèque Nationale dont la cote est :
Res. YF 224
En voici la description :
(I) L’ABSENT / CHEZ SOY. / COMEDIE. / PAR Mr. DOVVILLE. / (vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la / montée de la Cour des Aydes. / M. DC. XLIII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY.
(II) Verso blanc.
(III) Extrait du privilège.
(IV) Liste des personnages.
156 pages : le texte de la pièce, précédé du titre, en haut de la première page, sous une frise.
Il existe un autre exemplaire de cette édition à la Bibliothèque Nationale : Res. YF 1258 ; à la réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne inclus dans un recueil : RRA 8= 472 ; à la Bibliothèque Mejanes d’Aix-en-Provence dans un recueil : C. 3359 ; et à la Bibliothèque du British Museum de Londres : 86 i 6. (3).
Le texte des exemplaires consultés est le même, aucune correction n’est apportée. Les seules différences résident dans la pagination, certaines erreurs sont corrigées, d’autres ajoutées.
Il existe une autre édition de la pièce en 1644, chez Toussainct Quinet, dont deux exemplaires se trouvent à la Bibliothèque Nationale : Res. YF 315, Res. YF 546 ; un exemplaire se trouve à la réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne dans un recueil des pièces de d’Ouville : RRA 8= 478-1 ; un autre exemplaire se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal dans un recueil de pièces de d’Ouville : Rf 6610.4 BL 3484 (3).
Le texte de cette édition ne présente aucune différence avec celui de l’édition précédente. Il semble que ce soit une réémission de l’édition de 1643.
Nous avons conservé les graphies et la ponctuation de l’édition originale. Les modifications apportées au texte concernent les éléments suivants :
– conformément à l’usage moderne, nous avons distingué le i de j et le u de v.
– nous avons supprimé le tilde qui indiquait, parfois, la nasalisation des voyelles.
– nous avons corrigé certains accents notamment pour différencier l’auxiliaire a de la préposition à.
– nous avons différencié quelle et qu’elle. Ce dernier étant souvent employé à la place de quelle.
– nous avons corrigé les erreurs de pagination.
– nous avons corrigé les fautes d’orthographe et de ponctuation dues à des coquilles :
Les noms des acteurs : PAULINE, suivante de Diane ; les noms des acteurs : JULIE, suivante d’Élize ; v. 20 : repent ; v. 51 : on en ; v. 53 : Cavalier, ; v. 54 : Clorimant, ; v. 75 : maîtresse, ; v. 80 : ravie. ; v. 81 : fort, ; v. 91 : attendre, ; v. 115 : telle ; v. 118 : advertir : ; didascalie précédent le vers 140 : Lidamant et Géraste ; v. 154 : pudicité. ; v. 226 : maison : ; v. 255 : cete ; v. 371 : heureuse, ; v. 384 : comparu ; v. 387 : franchise. ; v. 403 : voye. ; v. 409 : point. ; v. 460 : offencé ; v. 463 : Où ; v. 493 : honneur, ; v. 494 : suborneur : ; v. 497 : Ouy ; v. 609 : le présente ; v. 643 : son ; v. 655 : raisonnuble ; v. 686 : Qu’elle a (pas de ponctuation) ; v. 723 : quoy j’aye dit ; v.740 : flame (pas de ponctuation) ; v. 743 : encore ; v. 754 : touts ; v. 758 : ardiourd huy ; v. 776 : loing, ; v. 797 : parlez ; v. 832 : lon ; v. 842 : jetté ? ; v. 873 : raisou ; v. 912 : la ; didascalie qui précède le v. 981B : PGLEMAS ; v. 1056 : qn’ ; v. 1065 : possede ; v. 1099 : sorte ? ; didascalie qui précède le v. 1105 : POELEMAS ; v. 1139 : semble. ; v. 1140 : retenu (pas de ponctuation) ; v. 1152 : importance (pas de ponctuation) ; v. 1181 : parler ; ; v. 1198 : ce changer ; v. 1237 : voir, ; v. 1238 : M’aymoit ; v. 1240 : Il foule ; v. 1271 : redicule ; v. 1272 : credule. ; v. 1293 : songés ; v. 1321 : manquerez ; didascalie précédent le vers 1375 : ÉLIZE fuyant & Pauline, Clorimant apres ; v. 1405 : lon ; v. 1419 : cruelle (pas de ponctuation) ; v. 1424 : satis-faicte ; v. 1444 : escrire. ; v. 1446 : ducats. ; v. 1447 : mariage (pas de ponctuation) ; v. 1510 : suspect (pas de ponctuation) ; v. 1513 : recommandée ; v. 1517 : entreprends ; v. 1518 : trouver (pas de ponctuation) ; v. 1530 : Qu’elle est (pas de ponctuation) ; v. 1540 : qu’elle (pas de ponctuation) ; v. 1541 : une (pas de ponctuation) ; v. 1554 : Monsieur, ; v. 1564 : memoie ; v. 1567 : cœur (pas de ponctuation) ; v. 1568 : n’entends ; v. 1577 : Madame, ; v. 1586 : d’eau. ; v. 1591 : point (pas de ponctuation) ; v. 1595 : Et ramasse ; v. 1603 : rien, ; avant le v. 1614, omission de la didascalie ELIZE ; v. 1652 : point (pas de ponctuation) ; v. 1665 : audiourd’huy ; v. 1708 : souhaire ; v. 1714 : m’espris ; v. 1772 : l’ozange ; v. 1790 : l’a ; v. 1844 : Et ; v. 1855 : maistre. ; v. 1897 : Clitandre (pas de ponctuation) ; v. 1903 : Ah ; v. 1949 : Elize (pas de ponctuation) ; v. 1949 : nous (pas de ponctuation) ; v. 1950 : tous (pas de ponctuation) ; v. 1961 : n’y ; v. 1970 : volonté. ; v. 1982 : luy. ; v. 1983 : jusques ; v. 1993 : appelle-lé ; v. 2019 : Monsieur, Parlez.
Nous n’avons pas ajouté de tiret entre le verbe et le sujet inversé dans les tournures interrogatives lorsque le texte original l’omettait. Ce tiret est parfois présent parfois absent dans l’édition originale, indifféremment.
Nous avons mis les didascalies en italique et nous les avons déplacées après le vers où elles prennent effet lorsqu’elles étaient placées avant.
Nous avons mis entre tirets toute intervention sur le texte.
Les notes grammaticales font référence aux ouvrages des auteurs suivants, nous ne répétons pas systématiquement le titre dans les notes, nous renvoyons aux pages des éditions énoncées dans la bibliographie :
– Haase A., Syntaxe française du XVIIe siècle.– Sancier-Château Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle.- Spillebout Gabriel, Grammaire de la langue française du XVIIe siècle.- Vaugelas Claude Favre de, Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire.
La pièce est en cinq actes et entièrement écrite en alexandrins à rimes plates à l’exception de la lettre d’Élize où le premier quatrain est composé d’alexandrins à rimes embrassées et les trois autres d’alexandrins à rimes croisées.
L’ABSENT
CHEZ SOY.
COMEDIE. §
EXTRAIT DU PRIVILEGE. §
Par grâce & Privilège du Roy, donné à Paris le 21 Juillet 1643, signé, par le Roy en son Conseil LE BRUN, Il est permis à TOUSSAINCT QUINET, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Théâtre intitulée, L’Absent chez soy, Comédie du sieur D’Ouville, & ce durant le temps de cinq ans à compter du jour que ladite pièce sera achevée d’imprimer. Et deffenses sont faites à tous Imprimeurs & Libraires d’en imprimer, vendre et distribuer d’autre impression que de celle qu’aura fait faïre ledit QUINET, ou les ayans cause ; sur peine aux contrevenans de mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, & de tous les despens, dommages, & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour deüment signifiées.
Achevé d’imprimer le 28. Avril 1643.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Les noms des Acteurs. §
- DIANE, Damoiselle parisienne, Maistresse de Clitandre.
- ELIZE, Damoiselle parisienne, Maistresse de Clorimant.
- PAULINE, suivante [d’Elize], Maistresse de Geraste.
- JULIE, suivante de [Diane], Maistresse d’Ormin.
- CLORIMANT, Gentil-homme Parisien, amoureux d’Elize.
- CLITANDRE, Gentil-homme Parisien, amoureux de Diane.
- GERASTE, serviteur de Clorimant, amoureux de Pauline.
- ORMIN, serviteur de Clitandre, amoureux de Julie.
- POLEMAS, vieillard, Pere d’Elize, & d’Octave.
- OCTAVE, frere d’Elize, & amoureux de Diane.
ACTE PREMIER. §
SCENE I. §
DIANE
ELIZE
ELIZE
DIANE
JULIE
DIANE
ELIZE
DIANE
ELIZE
SCENE II §
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
JULIE
PAULINE
SCENE III §
DIANE
JULIE
ELIZE
DIANE
ELIZE
DIANE
ELIZE
JULIE
SCENE IV §
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
SCENE V §
[p. 11]CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
SCENE VI §
[p. 13]POLEMAS
OCTAVE
CLORIMANT à GERASTE
OCTAVE
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
OCTAVE
POLEMAS
POLEMAS
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
SCENE VII §
CLORIMANT
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
GERASTE à Pauline
PAULINE
GERASTE
ACTE II §
SCENE I §
CLORIMANT
PAULINE
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
SCENE II §
[p. 28]CLITANDRE
ELIZE
CLITANDRE
ELIZE
CLITANDRE
CLORIMANT dedans voulant sortir
GERASTE dedans
ELIZE
CLITANDRE
Je suis toutELIZE
CLITANDRE
ORMIN à Pauline
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
SCENE III §
[E 33]ELIZE
POLEMAS
OCTAVE
CLITANDRE bas
OCTAVE
Un homme icy ! je jure.POLEMAS
ELIZE bas
CLITANDRE se trouble
OCTAVE
ELIZE bas
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
POLEMAS
CLITANDRE
OCTAVE
CLITANDRE
On m’appelle Clitandre.POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
Je l’ay bien jugé.OCTAVE
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
CLITANDRE bas
ELIZE bas
J’ay le cœur toutPOLEMAS à ELIZE
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
OCTAVE à Polemas
POLEMAS à ELIZE
ELIZE
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
CLITANDRE
OCTAVE
POLEMAS
ORMIN à CLITANDRE
SCENE IIII §
[p. 42]CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
AmeELIZE
CLORIMANT
PAULINE
GERASTE
ELIZE
PAULINE
SCENE V §
[G 49]DIANE
JULIE
DIANE
JULIE
SCENE VI §
[p. 50]DIANE
CLITANDRE bas
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE bas en souspirant
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE bas
JULIE à Ormin
ORMIN
DIANE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
ORMIN
CLITANDRE
JULIE
ORMIN
CLITANDRE
Fin du second Acte
ACTE III §
SCENE I §
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
SCENE II §
PAULINE
GERASTE
CLORIMANT
A la guerre, Pauline.PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
CLORIMANT
CLORIMANT
LETTRE
CLORIMANT
PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
CLORIMANT
PAULINE
PAULINE
SCENE III §
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
Bien Monsieur.CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
SCENE IV §
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
SCENE V §
[POLEMAS]
CLITANDRE
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
CLITANDRE
ELIZE bas
CLITANDRE
ELIZE bas
POLEMAS
OCTAVE bas
ELIZE bas
SCENE VI §
PAULINE
POLEMAS
OCTAVE
CLORIMANT entre
ELIZE bas
POLEMAS
CLORIMANT
ELIZE bas à Pauline
PAULINE bas à Elize
ELIZE bas à Pauline
POLEMAS
ELIZE
CLORIMANT à Polemas
ELIZE bas à Pauline
PAULINE bas à Elize
ELIZE bas à Pauline
CLORIMANT
POLEMAS
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLITANDRE bas à Ormin
ORMIN bas à Clitandre
CLITANDRE bas à Ormin
ELIZE à Clorimant
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
CLITANDRE
ORMIN bas à Clitandre
CLITANDRE bas à Ormin
ELIZE bas à Pauline
PAULINE bas à Elize
ELIZE bas à Pauline
[POLEMAS] à Clorimant
CLORIMANT
POLEMAS
CLORIMANT
OCTAVE
SCENE VII §
[p. 84]CLITANDRE
POLEMAS
CLITANDRE
OCTAVE
POLEMAS
CLITANDRE
SCENE VIII §
ORMIN
ORMIN
PAULINE
ORMIN
PAULINE
ORMIN
PAULINE
Pourquoy ? tu le peux bien.ORMIN
CLITANDRE
ORMIN bas à Clitandre
CLITANDRE en se levant
ELIZE
CLITANDRE
ELIZE
SCENE IX §
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
Fin du troisiesme Acte
ACTE IIII §
SCENE I §
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
GERASTE à Julie
JULIE
GERASTE
JULIE
CLORIMANT à Diane
DIANE
JULIE sort & rentre
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
GERASTE
JULIE
SCENE II §
ELIZE
DIANE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
CLORIMANT caché à Geraste bas
GERASTE à Clorimant bas
CLORIMANT bas à Geraste
GERASTE
ELIZE
DIANE
JULIE entre
ELIZE surprise
SCENE III §
[p. 100]OCTAVE bas à Clitandre en entrant
En cetteCLITANDRE bas à Octave
DIANE
CLITANDRE
OCTAVE
DIANE
OCTAVE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
OCTAVE bas
DIANE
CLITANDRE
OCTAVE
CLITANDRE
DIANE
OCTAVE
CLITANDRE
DIANE
OCTAVE
CLITANDRE
OCTAVE
CLITANDRE bas
DIANE à Julie
JULIE
SCENE IV §
[CLORIMANT apres Elize & Pauline fuyant]
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
GERASTE
PAULINE
SCENE V §
CLORIMANT
DIANE
JULIE à Geraste
SCENE VI §
DIANE
JULIE
DIANE
SCENE VII §
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
CLITANDRE
ORMIN
SCENE VIII §
CLORIMANT
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
SCENE IX §
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT bas
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT bas
ELIZE bas
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
GERASTE
CLORIMANT
ELIZE
CLORIMANT
PAULINE à Geraste
GERASTE
SCENE X §
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
ELIZE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
Quoy ?ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
ELIZE
PAULINE
[ELIZE]
Fin du quatriesme Acte
ACTE V §
SCENE I §
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
SCENE II §
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
Si c’est pour leELIZE
POLEMAS
Sçachez que cétELIZE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
POLEMAS
OCTAVE
ELIZE bas en s’en allant
SCENE III §
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
CLITANDRE
ORMIN
SCENE IV §
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
ORMIN à JULIE
JULIE
ORMIN
JULIE
DIANE à CLITANDRE
CLITANDRE
JULIE
CLITANDRE
SCENE V §
[p. 139]OCTAVE à Clitandre
DIANE
OCTAVE
CLITANDRE à Diane
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
OCTAVE
DIANE
OCTAVE
CLITANDRE
ORMIN
JULIE
SCENE VI §
[p. 143]JULIE
DIANE
JULIE
SCENE VII §
JULIE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
DIANE
DIANE
GERASTE
GERASTE
CLORIMANT bas à Geraste
SCENE VIII §
[p. 148]POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
PAULINE bas à Geraste
GERASTE
POLEMAS
PAULINE
POLEMAS
PAULINE bas à Geraste
POLEMAS
CLITANDRE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS à Clitandre
CLITANDRE
POLEMAS
ELIZE
CLITANDRE
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
POLEMAS
ELIZE
GERASTE
CLITANDRE
POLEMAS
ELIZE
SCENE IX & derniere §
CLORIMANT
DIANE
CLORIMANT
ELIZE à Polemas
POLEMAS
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
CLITANDRE
DIANE
OCTAVE
Dieux je suis vostre esclave.DIANE
CLITANDRE
DIANE
ORMIN
JULIE
OCTAVE
GERASTE à Clorimant
ELIZE
CLITANDRE
ORMIN
FIN
Lexique §
Bibliographie §
Sources §
Œuvres de d’Ouville §
Pièces de théâtre §
Les Trahizons d’Arbiran, Paris, Courbé, 1938.L’Esprit folet ou la Dame invisible, Paris, Quinet, 1642.Les Fausses Veritez, Paris, Quinet, 1643.La Dame suivante, Paris, Quinet, 1645.Jodelet astrologue, Paris, Besongne, 1646.Aymer sans sçavoir qui, Paris, Besongne, 1646.Les Morts vivants, Paris, Besongne, 1646.La Coiffeuse à la mode, Paris, Quinet et Sommaville, 1647.Les Soupçons sur les apparences, Paris, Quinet, 1650.
Contes §
L’eslite des contes du sieur d’Ouville, Rouen, Veuve Trabouillet, 1641 (2 vol.).Contes aux heures perdues du sieur d’Ouville, ou le Recueil de tous les bons mots, reparties, equivoques, brocards, simplicitez, naïfvetez, gasconnades, et autres Contes facétieux non encore imprimez, Paris, Quinet, 1644.
Théâtre du XVIIe siècle §
Lope de Vega, El Ausente en el lugar, 1617, dans Biblioteca de autores españoles, tomo XXIV.Molière, Le Dépit amoureux, Paris, Gabriel Quinet, 1663.Molière, Le Mariage forcé, Paris, Jean Ribou, 1668.
Autres sources §
Aubignac François Hédelin, abbé d’, La Pratique du théâtre, Paris, Antoine de Sommaville, 1657.Chapelain Jean, Opuscules critiques, éd. Alfred C. Hunter, Paris, STFM, 1936.Leris Antoine de, Dictionnaire portatif, historique et littéraire des Théâtres, Jombert, 1754.Parfaict François et Claude, Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, vol. 6, Paris, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747.Tallemant des Réaux Gédéon, Historiettes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1960-1961.Vaugelas Claude Favre de, Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Genève, Slatkine, 2000.
Instruments de travail §
Arbour Roméo, Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires : L’ère baroque en France, Genève, Droz, 1977.Catach Nina, La ponctuation, Paris, PUF, 1994.Cioranescu Alexandre, Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle, Slatkine, Genève, 1994 (3 vol.).Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.).Furetière Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les tremes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; réédition Paris, SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).Haase A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1935.Klapp Friedrich Albert, Bibliographie d’histoire littéraire française, Klosterman.Richelet Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, Genêve, J.-H. Witherhold, 1680 (2 vol.).Sancier-Château Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1993, (2 vol.).Spillebout Gabriel, Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985.
Études §
Contexte historique et littéraire §
Adam Antoine, Littérature française, 6, L’Âge classique, I, Arthaud, 1968.Adam Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Domat, 1956 (5 vol.).Bluche, Dictionnaire du grand siècle, 1990, Paris, Fayard.Histoire de l’édition française, vol. 1, Le Livre conquérant, Du Moyen-Âge au milieu du XVIIe siècle, sous la direction de R. Chartier et H.-J. Martin, 1989, Fayard.Kibedi Varga Aron, Les Poétiques du classicisme, Aux Amateurs de Livres, Klincksieck, 1990.Mourre Michel, Dictionnaire encyclopédique de l’Histoire, Paris, Larousse, 1998.Rohou Jean, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2000.Scherer Colette, Comédie et société sous Louis XIII. Corneille, Rotrou et les autres, Nizet, 1983.
Livres sur le théâtre §
Livres §
Adam Antoine, Le Théâtre classique, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1970.Bourqui Claude, Les Sources de Molière, Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques, SEDES, Questions de littérature, 1999.Chardon Henri, Scarron inconnu, Champion, 1903-1904.Cioranescu Alexandre, Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.Corvin Michel [dir.], Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas, 1990.Corvin Michel, Lire la comédie, Dunod, 1994.Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1673, Nizet, 1960.Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Paris, Nizet, 1968-1970 (2 vol.).Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, Le Théâtre du Marais, Paris, Nizet, 1954-1958 (2 vol.).Émelina Jean, Valets et servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700, Grenoble, PUG, 1975.Émelina Jean, Le Comique, Essai d’interprétation générale, SEDES, Paris, 1991.Forestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.Forestier Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Nathan, Collection 128, 1993.Fournel Victor, Curiosités théâtrales, Paris, Garnier, 1878.Fournel Victor, Le Théâtre au XVIIe siècle, Paris, Slatkine, 1987Guichemerre Roger, La comédie avant Molière 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.Guichemerre Roger, La Comédie classique en France, De Jodelle à Beaumarchais, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1989 (2e éd. mise à jour).Howe Alan et Waller Richard [éd.], En marge du classicisme, Essays on the franch theater from the Renaissance to the Enlightenment, Liverpool, Liverpool University Press, 1987.Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris, Paris, Archives Nationales, 2000.Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (5 parties en 9 vol.)Lancaster Henry Carrington [éd.], Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Champion, 1920.Larthomas Pierre, Le Langage dramatique, Paris, Colin, 1972.Martinenche Émile, La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine, Paris, Hachette, 1900.Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, ou de l’usage des passions dans le drame, Paris, Charpentier, 1874, (vol. 5).Scherer Jacques, La dramaturgie classique en France, Paris, Nizet.Ubersfeld Anne, Lire le théâtre, Paris, Paris, Éditions Sociales, 1977.Viala Alain [dir.], Le Théâtre en France des origines à nos jours, Paris, PUF, collection Premier Cycle, 1997Voltz Pierre, La Comédie, Paris, Armand Colin, 1964.
Articles §
Émelina Jean, « L’esthétique du plaisant », Littératures classiques, n° 27, printemps 1996, p. 171-182.Esquerra, « Note sur la fortune de Lope de Vega en France au XVIIe siècle », Bulletin hispanique, 1936, p. 62-65.
Sur l’auteur §
De Armas Frederick A., « Antoine Le Métel, sieur d’Ouville : the « lost » years », Romance Notes, n°14, 1973, p. 538-542.James Wilson Coke, « Antoine Le Métel, sieur d’Ouville : his life and his theatre », Dissertation Abstracts, vol. 19, mars 1959.