La Dame suivante
Comédie
A PARIS,
Chez TOUSSAINCT QUINET,
au Palais, sous la
montée de la Cour des Aydes.
M. DC. XXXXV.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Fabienne Sebert dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (1999-2000).

Introduction §

La Dame suivante, comédie d’Antoine Le Métel, sieur d’Ouville, est créée en 1643, à une période où le genre même de la comédie commence à renaître grâce à la vogue de la comédie espagnole. En effet, pendant les trente premières années du dix-septième siècle, ce genre de pièce est complètement abandonné et le nombre de comédies nouvelles est infime. La farce est alors le seul genre comique subsistant. On trouve cependant certains éléments de comique dans la pastorale et la tragi-comédie, qui contiennent des scènes comiques originales qui ne correspondent ni à la tradition antique latine, ni à la tradition italienne. Des auteurs comme Corneille, dans sa première comédie, Mélite (1629) ou La Place Royale (1634), ou encore Mairet, dans Les Galanteries du duc d’Ossone (1636), essaient de rassembler ces éléments comiques pour créer un nouveau genre de comédie : la comédie de mœurs.

Malheureusement, ces œuvres n’eurent pas un très grand succès auprès du public, trop habitué aux comédies plautiniennes et italiennes, aux soldats fanfarons, aux vieillards amoureux et aux imbroglios. Le genre de la comédie reste donc prisonnier de la tradition jusqu’à l’arrivée de la comédie de type espagnol un peu avant 1640. Antoine Adam écrit : « C’est à d’Ouville que revint le mérite de ce renouvellement1 ». Il crée alors une vogue : « Sur vingt comédies créées entre 1640 et 1648, il y en a dix qui sont des traductions ou des imitations de l’espagnol ». Ces comédies de type espagnol présentent toutes un thème romanesque : elles mettent en scène des galants honnêtes, des jeunes filles passionnées et audacieuses, qui sont voilées et se déguisent, des rendez-vous de nuit, des servantes qui portent des billets doux, etc. Le climat romanesque y occupe une place très importante. Ce sont des comédies sentimentales, dans lesquelles le thème du jeu entre l’être et le paraître est dominant : les nombreux déguisements utilisés dans ces pièces font en sorte que les personnages et les spectateurs ne savent plus qui est qui. Ils génèrent la confusion dans tous les esprits. Le seul but de ce genre de comédies est alors de plaire, de distraire, d’amuser le public. Le comique y est assuré par le personnage du valet bouffon, grossier, lâche, gourmand, peureux et terre à terre, appelé gracioso. Cette comédie nouvelle et « exotique » eut un succès non négligeable. La Dame suivante eut elle aussi du succès, puisqu’alors qu’elle a été créée en 1643 à l’Hôtel de Bourgogne, elle figure encore à son répertoire en 1646-472.

L’auteur §

Les documents pouvant nous instruire sur la vie d’Antoine Le Métel, sieur d’Ouville, sont rares et contradictoires. Ainsi, toute biographie ne peut être qu’imprécise. Les dates de sa naissance et de sa mort sont incertaines. Selon la plupart des historiens, il serait né vers 1590 à Caen. Cependant, James Wilson Coke3 précise que le lieu et la date de la naissance d’Ouville ne sont attestés nulle part et considère que d’Ouville serait plutôt né en 1589, voire en 1587, à Rouen. Quoi qu’il en soit, d’Ouville était le fils d’un procureur de la cour des Aydes de Rouen4 et le frère aîné de François Le Métel de Boisrobert, confident de Richelieu et membre de l’Académie française. Il était géographe, hydrographe et ingénieur. Tallemant des Réaux écrit de lui : « Il sçavoit la géographie le plus exactement du monde, et avoit une memoire prodigieuse5 ». Vers 1622, il devint « ingénieur et géographe du Roy », et toucha pour cela une pension. La littérature était donc pour lui un loisir.

Il s’appliquait depuis 1616 environ à l’étude des langues étrangères, et en particulier de l’espagnole, « qui lui [était] aussi naturelle que la française6 ». Son frère a dit de lui qu’il était « l’homme de toute la France qui parloit le mieux Espagnol7 ». En effet, il demeura sept ans en Espagne, vraisemblablement de 1615 à 16228, alors qu’il était au service de Louis Foucault, Comte du Dognon, gouverneur de Brouage. Il se maria en Espagne. Il connaissait bien les auteurs dramatiques espagnols de la génération précédente, Lope de Vega et Tirso de Molina et après avoir abordé le théatre avec une tragédie de source inconnue en 1637, Les Trahisons d’Arbiran, il écrivit coup sur coup cinq comédies : en 1638 ou 1639, est créée L’Esprit folet, comédie adaptée de La Dama Duende de Calderón. Puis il donna Les Fausses Veritez (1643), adaptée de Casa con dos puertas mala es de guardar de Calderón, L’absent chez soi (1643), adaptée de El ausente en el lugar de Lope de Vega, La Dame suivante (1645), adaptée de La Doncella de Labor de Juan Perez de Montalván, et enfin Jodelet astrologue (1646), adaptée de El astrologuo fingido de Calderón.

Il vécut également quatorze ans en Italie, à Rome, ce qui se ressent dans son œuvre. En effet, il a écrit une comédie italienne, Aimer sans sçavoir qui (1646), comédie qui imite l’Hortensio de Piccolomini, et une tragi-comédie, Les Morts vivants (1646), qui vient des Morti vivi de Sforza d’Oddi.

Sa dernière pièce, Les Soupçons sur les apparences (1650), est une héroïco-comédie sans modèle connu. Outre ces pièces de théâtre, d’Ouville a publié des Contes aux heures perdues en 1644. Au dix-huitième siècle, les frères Parfaict écriront d’ailleurs : « Antoine le Métel, Sieur d’Ouville, frere de l’Abbé de Boisrobert, est plus connu dans le monde par un Receuil de contes qui porte son nom, que par ses Ouvrages Dramatiques9 ». Il a également traduit en 1655 les Nouvelles de Doña Maria de Zayas y Sotomayor et La Fouine de Séville ou l’hameçon des bourses de Don Alonso Castillo de Solórzano, publié en 1661 après sa mort par son frère Boisrobert.

Même s’il a été un personnage important dans l’introduction de la mode de la comédie espagnole en France, Antoine Le Métel d’Ouville semble avoir toujours été un auteur mineur. Ainsi, Tallemant des Réaux rapporte en particulier une anecdote mettant en valeur sa mauvaise réputation :

Boisrobert, quelques années après, eut un grand desmeslé avec M. de la Vrilliere, secrétaire d’Estat. Il avoit osté de dessus l’estat des pensions un frere de Boisrobert, nommé d’Ouville, qui y estoit comme ingénieur. Boisrobert le fit prier par tout le monde de l’y remettre ; ses amis lui dirent : « Nous l’avons un peu esbranslé, voyez-le. » Boisrobert y va : il le reçoit par une Mordieu. « Mordieu ! Monsieur, » luy dit-il, « vous vous passeriez bien de me faire accabler par tout le monde pour vostre frere, pour un homme de nul merite. » Boisrobert, en contant cela, disoit : « Je le sçavois bien, il n’avoit que faire de me le dire ; je n’allois pas là pour l’apprendre10 ».

De plus, au dix-septième siècle, les grands auteurs dramatiques sont ceux qui écrivent des tragédies, et d’Ouville, mis à part sa tragédie Les Trahisons d’Arbiran, ne s’est guère préoccupé que de comédies. Le peu de notoriété d’Ouville est alors dû au genre même de la comédie, qui est un genre minoré au dix-septième siècle. Lui même ne s’est jamais surestimé : par exemple, lorsque sa première comédie, L’Esprit folet fut rééditée, il ne prit pas la peine, comme les grands auteurs, notamment Corneille, de modifier sa pièce ou d’effectuer des corrections. Il savait donc parfaitement que son œuvre n’était pas vouée à la postérité.

Ensuite, le simple fait que la littérature soit pour lui un divertissement a pu lui être préjudiciable. Les frères Parfaict semblent d’ailleurs reprocher à d’Ouville son manque de connaissances des affaires du théâtre. Ils écrivent, à propos de sa comédie La Coifeuse à la mode : « Cette Comédie peut avoir eu quelque succès, mais elle en auroit eu d’avantage, si cette idée avoit été exécutée par un Poëte qui eût mieux connu le Théatre que Monsieur d’Ouville11 ».

Enfin et surtout, d’Ouville est avant tout un adaptateur de pièces espagnoles, ce qui a deux conséquences assez regrettables : d’une part, il est considéré davantage comme un « copieur » que comme un véritable créateur. D’Ouville reste en effet la plupart du temps très fidèle aux originaux dont il s’inspire et, comme nous le verrons, l’adaptation qu’il en fait au goût français rend parfois ces pièces plus sèches qu’elles ne l’étaient. Les frères Parfaict écrivent à ce propos : « Monsieur d’Ouville […] trouvoit les plans de ses Poëmes tous faits dans les Auteurs Espagnols ou Italiens, et […] il n’avoit d’autre peine que de les traduire, et souvent de les défigurer en voulant les rendre à sa manière. » D’autre part, le genre même de la comédie espagnole est très éloigné du goût français classique, puisque son seul but est de plaire au public : les auteurs dramatiques espagnols étaient peu soucieux des convenances françaises, telles que la règle des trois unités de temps, de lieu et d’action, ou encore le respect d’une certaine moralité, convenances qui sont de rigueur dans les années 1640. Cela est sans doute une des raisons qui ont fait de ce type de comédie une mode éphémère et de Le Métel d’Ouville un auteur minoré puis oublié. Cependant, il aura eu le mérite de diffuser en France des pièces qui, sans lui, seraient restées inconnues du public français, et ses adaptations ne manquent pas d’originalité, puisque d’Ouville sait souvent être inventif.

Modèles espagnols et français §

Pour écrire La Dame suivante, d’Ouville s’est inspiré d’une comédie espagnole de Juan Perez de Montalván : La Doncella de labor. Cette pièce met en scène tous les efforts faits par une jeune fille, Doña Isabel, pour conquérir Don Diego qui est déjà l’amant de Doña Elvira. Mais au lieu de procéder à une conquête franche face à celui qu’elle aime, elle se déguise et, sous l’apparence d’une servante, parvient à séparer Don Diego de Doña Elvira et à faire en sorte que ce dernier tombe amoureux d’une Belle invisible qui n’est autre qu’elle-même.

Au commencement de la pièce, Doña Elvira et Don Diego sont amants depuis longtemps. Une jeune fille, Doña Isabel, s’est éprise de Don Diego et cherche à les brouiller lui et Doña Elvira. Elle s’introduit chez lui, masquée, en se faisant passer pour une femme poursuivie par son mari jaloux. Don Diego l’accueille avec générosité avant d’aller rejoindre Doña Elvira au Prado, où ils évoquent l’histoire de leur amour en faisant une promenade. À son retour, Doña Isabel s’apprête à rentrer chez elle lorsqu’entre Don César, ami de Don Diego et amoureux de Doña Isabel, suivi de Doña Elvira. Don Diego les empêche d’entrer dans le cabinet où s’est cachée Doña Isabel, sous un faux prétexte. Doña Isabel sort alors du cabinet et se fait passer pour la rivale de Doña Elvira. La situation est inextricable pour le pauvre Don Diego : Doña Elvira se croit trahie et rentre chez elle, furieuse.

Le lendemain matin (c’est-à-dire au début de la deuxième journée), Don Diego et Doña Elvira se sont réconciliés. Doña Isabel, pour arriver à les séparer, utilise alors un nouveau stratagème : elle se fait engager comme suivante par Doña Elvira, après avoir répandu le bruit auprès de ses amis, et surtout auprès de Don César, qu’elle est partie en voyage à Guadalupe. Son nouveau nom est « Dorotea ». Doña Elvira est enchantée par cette belle « Dorotea », ainsi que Monzon, le valet de Don Diego, qui lui fait la cour et lui propose de se marier, comme leurs maîtres respectifs ont décidé de le faire. Pendant ce temps, Don César se lamente de son sort devant le logis de Don Diego, attendant le retour de celui-ci. À ce moment, il voit Inés, la suivante de Doña Isabel, entrer chez Don Diego par ordre de sa maîtresse, vêtue des habits de celle-ci et portant une coiffe et un masque. Il ne la reconnaît pas, persuadé qu’elle est à Guadalupe avec Doña Isabel. Doña Elvira et « Dorotea » invitées par Don Diego, arrivent à son domicile et, au moment où ils veulent tous entrer dans le cabinet, Inés en sort, accusant Don Diego de l’avoir fait attendre. Doña Elvira, à nouveau trahie, quitte définitivement Don Diego. Inés s’en va rapidement pour ne pas se faire reconnaître, mais elle est rattrapée par Monzon, le valet de Don Diego, qui est aussi l’amoureux de Inés ; elle lui dévoile son identité pour qu’il la laisse partir. « Dorotea » feint alors de partir à la recherche de l’inconnue, curieuse de découvrir qui elle est.. Après le départ de Doña Elvira, elle revient chez Don Diego et lui explique qu’elle a vu une grande et belle Dame, entourée d’un magnifique équipage, qui lui a avoué sa passion pour Don Diego. Ce dernier est touché par ce récit élogieux. Monzon, qui connaît la vérité, soupçonne « Dorotea » de vouloir jouer un tour à son maître et en informe Don Diego.

C’est ainsi qu’au début de la troisième journée, Inés, convoquée par Monzon, avoue une partie de la vérité à Don Diego, dans un récit qui concorde parfaitement avec celui de « Dorotea ». Cette dernière entre ensuite chez Don Diego, en lui faisant croire que Doña Elvira a décidé de se marier avec un autre cavalier. La dernière solution qui se présente à Don Diego est alors d’épouser la belle inconnue. De son côté, Doña Elvira est choquée de la réaction de Don Diego qui veut épouser une inconnue, mais elle avoue à « Dorotea » qu’elle est disposée à céder Don Diego à cette dame si celle-ci l’aime vraiment. Ainsi, elle demande l’adresse de cette Dame à « Dorotea » et lui ordonne de rester à la maison pendant le temps de sa visite. Doña Elvira a une discussion avec la Belle inconnue (dont le nom est Doña Inés) qui lui explique que sa relation avec Don Diego dure depuis de nombreuses années, qu’elle l’aime profondément même s’il est inconstant, et qu’ils ont trois enfants. Doña Elvira la remercie de ces renseignements et se promet de ne plus jamais revoir Don Diego. « Doña Inés » reçoit ensuite Don Diego et Monzon, mais, comme elle doit rentrer au logis de Doña Elvira avant le retour de celle-ci, elle les cache rapidement dans son cabinet, prétextant l’arrivée de son frère qui ne doit pas s’apercevoir d’une telle visite. « Doña Inés » change alors d’habits et rentre au logis de Doña Elvira. À ce moment arrivent Don César, Don Diego et Monzon qui veulent éclaircir la situation, étonnés de la ressemblance entre « Doña Inés » et « Dorotea ». Doña Elvira refuse de parler à Don Diego, un homme qui a eu trois enfants avec une autre femme. Don Diego est très étonné de ce discours mais avoue à « Dorotea » qu’il aime « Doña Inés », malgré ses mensonges. « Dorotea » dévoile la vérité et décline sa véritable identité. Don Diego et Doña Isabel se marient avec le consentement de Don César.

La Dame suivante garde les caractéristiques et le canevas de la pièce espagnole. Les quatre premiers actes restent très fidèles à l’original et équivalent pratiquement à une traduction : le premier acte est la traduction de la première journée ; d’Ouville a segmenté la deuxième journée en deux parties égales qui forment les actes II et III ; enfin, le quatrième acte correspond à la premiére moitié de la troisième journée.

En revanche, tout le cinquième acte est original : alors que Doña Elvira est prête à céder Don Diego à la Belle inconnue chez Montalván, nous apprenons à la fin du quatrième acte de la pièce d’Ouville que Léonor est certes décidée à épouser Adraste et donc à abandonner Climante, mais pas avant de s’être vengée de celui-ci. L’acte IV se termine sans que nous en sachions davantage. À l’acte V, « Dorotée » a arrangé un rendez-vous entre Climante et la belle inconnue. Ils doivent se rencontrer le soir même sur la Place Royale. Léonor est persuadée qu’elle va ainsi se venger de Climante, car c’est « Dorotée » qui, déguisée en grande Dame, va rencontrer celui-ci : il épousera donc une suivante à la place de Léonor et sera puni de son inconstance. Sur la Place Royale, Climante et Isabelle se rencontrent ; il la demande en mariage, bien que frappé de sa ressemblance avec « Dorotée ». Elle lui donne sa main et ils vont tous deux aux fiançailles de Léonor et d’Adraste. Léonor se réjouit de voir que sa vengeance a abouti mais, très vite, Isabelle dévoile toute la vérité. Léonor lui pardonne et épouse Adraste. La pièce se termine par la célébration d’un double mariage. La vengeance de Léonor et toute la variation sur le thème du « trompeur-trompé » entraînent des situations comiques originales, qui étaient absentes de la pièce espagnole.

Outre cette transformation de la fin de la pièce, d’Ouville se détache constamment de son modèle pour l’adapter au goût français : il transporte tout d’abord la scène de Madrid à Paris, et le rendez-vous entre Climante et la Belle invisible a lieu sur la Place Royale alors que Diego conversait avec Elvira au Prado. Une allusion est faite au cabaret de l’Echarpe blanche, certainement connu à l’époque d’Ouville. Isabelle est originaire de Lyon, alors qu’Isabel venait de Plasencia. Le nom des personnages est francisé : Diego devient Climante, Elvira est Léonor et Isabel s’orthographie à la française. D’Ouville fait également référence à des réalités contemporaines ; lorsque Carlin répond à Isabelle :

Leonor va disner au logis de mon Maistre,
Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre,
Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers
Revient accompagé de mille Cavaliers,
Pour rendre grace au Ciel comblé d’heur et de gloire
D’avoir sur l’Espagnol emporté la Victoire. (II, 7, v. 683-688),

l’allusion à la bataille de Rocroi est évidente : cette victoire fulgurante eut lieu en 1643, au moment même où la pièce fut créée. Ce fut une victoire décisive pour les Français, puisqu’elle mit fin à la réputation d’invincibilité de la « redoutable infanterie d’Espagne » et fut la première victoire depuis un siècle de l’armée française sur une armée étrangère. Le Roi défila dans les rues de Paris, en triomphe.

D’Ouville a aussi essayé de donner plus d’unité et de cohérence à sa pièce. Il respecte tout d’abord la règle française de l’unité de temps et réduit le temps de la pièce à vingt-quatre heures : cette limitation du temps est soulignée dans le texte par des allusions nombreuses et précises. De même, d’Ouville a unifié le lieu : il a adopté une unité de lieu large puisque l’action se déroule dans les limites de la ville de Paris. Nous étudierons plus précisément ces questions d’unité de temps et de lieu dans notre partie concernant la dramaturgie.

D’Ouville a également adapté sa pièce au goût français en supprimant les éléments typiquement espagnols. Il a supprimé le dialogue poétique dans lequel Elvira et Diego évoquaient l’histoire de leur amour dans un récit lyrique (I, 6), suppression qui, comme le dit Roger Guichemerre, « rend l’adaptation un peu sèche12 ».

Si d’Ouville doit l’essentiel de sa pièce à son modèle espagnol, le théâtre français de son temps, et en particulier sa propre œuvre, l’a aussi inspiré. Il procède à un jeu métathéâtral avec ses pièces antérieures. Ainsi, dans la quatrième scène du troisième acte, lorsque Climante est surpris de voir Dorise déguisée en grande Dame sortir de son cabinet, il ne comprend pas comment elle a pu s’y introduire et s’écrie :

Ah ! qu’est-ce que je vois ?
Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois,
Par quel moyen as-tu cette porte charmée ? (III, 4, v. 861-63)

De la même manière, dans L’Esprit folet (1639), Florestan, ayant surpris Angélique, déguisée chez lui, s’écriait :

Ombre, Ange, Diable, Esprit, femme, ou qui que tu sois
Tu n’eschaperas pas de mes mains cette fois. (IV, 3)

Le spectateur averti reconnaissait ce jeu métathéâtral.

Enfin, d’Ouville s’est probablement souvenu de La Place royale (1634) de Corneille. En effet, lorsque Climante dit à son ami Adraste, à propos de Léonor :

Et quand je l’aymerois, mon heur seroit extréme
De la voir posseder par un autre moy-mesme. (V, 1, v. 1553-54),

il n’est pas sans rappeler Alidor disant à son ami Cléandre à propos d’Angélique :

A moy ne tiendra pas que la Beauté que j’aime
Ne me quitte bien tost pour un autre moy-mesme, (I, 4, v. 281-282).

Étude de la dramaturgie §

D’Ouville, nous l’avons vu, a adapté La Doncella de labor de Montalván au goût français. Pour cela, il s’est plié aux règles qui sont devenues de rigueur en France dans les années 1630-1640 : l’unité de temps, l’unité de lieu et l’unité d’action, elle-même liée à la continuité de l’action.

Depuis 1630, l’unité de temps a commencé à être observée par les dramaturges français, et encore plus facilement par les auteurs de comédies que par les auteurs de tragédies, puisque le propre du coup de foudre, qui est un élément structurant de la comédie, est de se produire en très peu de temps ; Chapelain publie cette année-là sa Lettre sur la règle des vingt-quatre heures. Pour les théoriciens, l’unité de temps est liée au principe de vraisemblance : « la vraisemblance exige que la durée de l’action représentée ne soit pas démesurément plus longue que la durée réelle de la représentation, qui est de deux ou trois heures13 ». D’Ouville réduit le temps de La Dame suivante à vingt-quatre heures. Le texte lui-même contient de nombreuses indications de temps : le premier acte commence en fin d’après-midi et au fur et à mesure que l’action progresse, le soir tombe. Entre autres allusions, Isabelle déclare à la fin de l’acte :

Il fait desja bien noir,
Il me faudra coucher chez elle pour ce soir. (I, 8, v. 249-250).

Une nuit s’écoule entre les actes I et II, ce qui ne nous est indiqué par aucune indication scénique, mais par le récit d’Adraste au début du second acte. Ainsi, il demande à son valet Ariste :

N’as-tu pas sceu de moy tout ce qui s’est passé ?
Tout ce qu’hier au soir m’arriva chez Climante ? (II, 1, v. 402-403).

Nous apprenons ensuite qu’Isabelle a feint de partir pour Lyon « dès la pointe du jour » (v.455) ou « de grand matin » (v.512) pour se faire engager comme servante chez Léonor dans la matinée même. Le deuxième acte se termine vers midi, puisqu’au début du troisième acte, Carlin dit, en parlant du cuisinier : « Il dit que tout se gaste, il est midy sonné. » (III, 3, v. 829).

Le troisième acte se termine peu après midi et le quatrième acte débute un quart d’heure plus tard. En effet, à la fin du troisième acte, Carlin avait promis à Climante de revenir avec Dorise peu de temps après : « Je viens dans un quart-d’heure, et plutost si je puis. » (III, 7, v. 1097).

Le quatrième acte commence lorsque Dorise et Carlin arrivent chez Climante et l’action progresse pendant l’après-midi : « Dorotée » vient voir Climante, ce qu’elle avait promis de faire une heure après leur dernière entretien à la fin de l’acte III : « Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure. » (III, 6, v. 1044).

Puis « Dorotée » retourne chez Léonor, ce qui suppose que l’on s’avance dans l’après-midi. Enfin, le cinquième acte a lieu en fin d’après-midi et il faut supposer que du temps s’est écoulé entre les scènes 3 et 4, puisque, en parlant de son rendez-vous avec Climante, « Dorotée » explique à Léonor : « Ce soir elle me preste à dessein son logis, » (V, 2, 1607).

Or le rendez-vous a lieu à la quatrième scène et à partir de cette scène, la nuit commence à tomber : la pièce se termine un peu avant la nuit, d’après les mots de Climante : « Et devant qu’il soit nuict, je veux qu’on les fiance. » (V, 8, v.1881).

Nous voyons bien que la pièce dure exactement vingt-quatre heures. Il faut noter que d’Ouville a recours, dans cette pièce, à une utilisation astucieuse du temps : il laisse s’écouler une nuit entre le premier et le deuxième acte, intervalle de temps suffisant pour qu’il soit vraisemblable que Léonor et Climante se réconcilient. Il reste alors à « Dorotée » exactement une journée pour les séparer à nouveau et, pour ainsi dire, une nouvelle pièce débute au commencement du deuxième acte.

De plus, d’Ouville adopte une unité de lieu entendue au sens large, puisque l’action se déroule dans les limites de la ville de Paris. L’unité de lieu ainsi entendue est observée surtout entre 1630 et 1640 et, à un moindre degré entre 1640 et 1650. Jacques Scherer la décrit ainsi :

L’histoire de l’unité de lieu entrera dans une deuxième époque lorsque cette unité sera considérée comme excluant la représentation de lieux trop éloignés les uns des autres, mais comme comprenant celle de lieux assez voisins pour qu’on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l’un à l’autre. Ainsi divers lieux situés dans l’enceinte d’une même ville ou dans les environs immédiats […] pourront constituer cette unité, entendue, on le voit, en un sens encore bien large14.

D’Ouville fait allusion à six lieux différents ; un système de décors à compartiments devait donc être requis.

– L’action de La Dame suivante se déroule principalement dans la rue. Nous pouvons donc imaginer que le centre de la scène représentait la rue.

– Le logis de Climante est lui aussi souvent évoqué et les acteurs évoluent à l’intérieur de cette chambre, ce qui signifie qu’il devait y avoir un compartiment réservé à cet emplacement d’un côté de la scène.

– À l’intérieur de ce logis se trouve le cabinet de peintures de Climante, dans lequel se cache régulièrement la Belle invisible. Cependant, aucune scène n’a lieu dans cet endroit. Une porte seule devait figurer dans le fond du compartiment du logis de Climante, par laquelle entraient et sortaient les acteurs qui s’y cachaient, et qui se cachaient, en réalité, derrière le plateau. D’Ouville indique d’ailleurs à la fin de la huitième scène du premier acte : « Isabelle entre dans le Cabinet qu’on s’imagine estre derriere le Theatre ».

– Le quatrième lieu récurrent est « dans la rue, à la porte de Léonor », mais les acteurs ne jouent jamais à l’intérieur de ce logis. C’est pourquoi une porte seule devait figurer de l’autre côté du plateau, en face du logis de Climante, puisqu’un compartiment n’était pas nécessaire. On peut imaginer qu’une tapisserie cachait le côté de la scène représentant le logis de Climante lorsque les acteurs se trouvaient à la porte du logis de Léonor et, inversement, qu’une autre tapisserie cachait le côté de la scène figurant le quartier de Léonor pendant que les acteurs étaient chez Climante ou dans la rue près du logis de celui-ci. Nous pouvons alors comprendre la simultanéité de certaines scènes, comme les scènes 1 et 2 du deuxième acte, la première se passant dans la rue à la porte du logis de Climante, où Adraste confie ses soucis à Ariste, et la seconde présentant Pamphile, Isabelle et Lucille à la porte du logis de Léonor. Ainsi, le théâtre n’était vide à aucun moment et il n’était pas nécessaire d’attendre qu’Adraste et Ariste sortent pour qu’Isabelle et Pamphile rentrent sur le plateau : ces derniers étaient déjà présents sur scène, cachés par une des tapisseries, et lorsque les tapisseries coulissaient, l’une cachait Adraste et Ariste, ce qui accélérait leur sortie, et l’autre découvrait Isabelle et Pamphile. De même, le procédé des tapisseries devait être employé entre les scènes 6 et 7 du quatrième acte, où nous voyons successivement Adraste, Climante et Carlin « dans la rue à la porte du logis de Climante » et Léonor et Lucille « dans la rue à la porte de Léonor ».

– D’autre part, Léonor et Climante sortent une fois en Ville, et Léonor et Lucille en reviennent à un autre moment de la pièce : on peut donc imaginer que la toile de fond représentait la ville en général.

– Enfin, une grande partie du cinquième acte se déroule sur la Place Royale et plus précisément, à la porte du logis de Lizène. Une grande tapisserie, représentant la Place Royale et une porte d’entrée, devait être tendue devant la toile de fond pendant les scènes 4 à 6 du cinquième acte, scènes pendant lesquelles les deux petites tapisseries de devant devaient être toutes deux tendues, cachant respectivement les logis de Climante et Léonor. À la scène 7 paraissent Timandre et Adraste devant la porte du logis de Léonor. Logiquement, cette scène a lieu en même temps que la scène précédente : la tapisserie représentant la Place Royale est enlevée, laissant place à la toile de fond représentant la ville, et au même moment, la petite tapisserie cachant le quartier de Léonor est retirée elle aussi, laissant apparaître Timandre et Adraste. Les deux scènes pouvaient alors s’enchaîner très rapidement, indiquant au spectateur la simultanéité des deux situations15.

Nous voyons bien, après cette hypothèse concernant le décor de la pièce, combien les questions du lieu et de la liaison des scènes sont interdépendantes. « C’est entre 1630 et 1640 que la liaison des scènes commence à être considérée par certains auteurs comme une règle, ou tout au moins comme un ornement souhaitable16 ». D’Aubignac proclame dans sa Pratique du théâtre (1657) que « le théâtre ne devrait jamais être vide17 ». Cette règle, obligatoire en 1657, se met seulement en place au moment où est créée La Dame suivante.

Si l’on observe la liaison des scènes dans cette pièce, on remarque que celle-ci est globalement respectée. En effet, un grand nombre de scènes présentent les mêmes personnages aux mêmes endroits : ainsi, quasiment tout l’acte II a lieu devant le logis de Léonor et tout l’acte IV devant le logis de Climante ; les personnages ont des raisons vraisemblables de se succéder dans ces mêmes lieux.

De plus, il arrive fréquemment que deux scènes successives présentent des personnages différents dans des lieux eux-mêmes différents. La liaison des scènes n’est pas pour autant rompue, puisque le plateau ne restait alors pas vide : le procédé des tapisseries décrit ci-dessus permettait de passer instantanément d’un lieu à un autre.

En revanche, la liaison des scènes est véritablement rompue à l’acte V, lorsque, après que Dorise et Isabelle ont discuté devant le logis de Léonor, Isabelle apparaît dans la scène suivante sur la Place Royale. D’Ouville fait d’ailleurs intervenir une indication scénique à la fin de la troisième scène, qui indique que le plateau reste vide pendant un moment : « Elles s’en vont toutes deux, l’une par un côté et l’autre par l’autre. » Cette rupture de la liaison des scènes est confirmée par le fait que, vraisemblablement, un long moment s’est écoulé entre les deux scènes, permettant à Isabelle d’aller au logis de Lizène sur la Place Royale et de changer de vêtements. C’est ce qu’indique Jacques Scherer lorsqu’il écrit : « Dans le vide créé par la rupture de la liaison, on pourra supposer que des événements variés ont pris place18 ». Cette rupture du cinquième acte équivaut pratiquement à un changement d’acte : le lieu a changé, du temps s’est écoulé et la continuité de l’action a été rompue.

La continuité de l’action est d’ailleurs intimement liée à l’unité d’action elle-même : toute l’intrigue de l’acte V est secondaire et non nécessaire. L’intrigue principale, qui est la conquête de Climante opérée par « Isabelle-Dorotée » n’est plus réellement en jeu au cinquième acte. Isabelle a atteint son but dès la fin de l’acte IV, lorsque Climante demande à « Dorotée » de lui arranger un rendez-vous avec la Belle invisible et qu’il lui annonce sa décision de se marier avec elle. « Dorotée » n’aurait alors qu’à dévoiler sa véritable identité pour que Climante l’épouse. L’acte V est consacré à la vengeance de Léonor par l’intermédiaire de « Dorotée ». La rupture de la liaison des scènes est ici dûe à la rupture de l’unité d’action : une action multiple ne peut être continue.

Cette rupture de l’unité d’action est due uniquement au désir d’Ouville de jouer avec toutes les possibilités dramaturgiques qu’offre le déguisement : d’un point de vue général, la fonction dramaturgique des déguisements d’Isabelle et de Dorise est de compliquer l’action en créant la confusion dans tous les esprits. Tous les conflits de La Dame suivante sont liés à ces déguisements, et sont eux aussi organisés dans le but de faire douter les personnages, ce qui est une grande source d’ironie verbale et de comique. En effet, ce que Georges Forestier appelle le « comique de la victime »19 est une conséquence naturelle du déguisement-stratagème. Nous étudierons plus précisément ces aspects de confusion et de « comique de la victime » dans notre développement sur le mensonge et ses fonctions. Outre cette forme de comique comme fonction dramaturgique du déguisement, le personnage de Carlin, qui revêt toutes les caractéristiques du gracioso, offre une autre forme de comique.

Les personnages §

Certains personnages sont typiquement espagnols. L’héroïne, dont la double identité donne son titre oxymorique à la pièce, Isabelle-Dorotée, la dame suivante, est le type même de la jeune fille espagnole entreprenante. C’est elle qui mène toute l’action, ce qui est très original par rapport à la comédie d’origine italienne dans laquelle la jeune fille, si elle n’est pas totalement absente, est effacée.

C’est une amoureuse très enflammée : elle confie à sa suivante Dorise (I, 5, v. 128-130) :

Mais en voyant Climante, il me fut impossible
De resister aux traicts d’un si puissant Vainqueur,
Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur.

La seule vue de Climante provoque en elle la passion la plus vive. Elle est romanesque, hardie, entreprenante et beaucoup plus énergique que les deux jeunes hommes de la pièce : elle ne recule devant rien pour conquérir l’homme qu’elle aime et utilise plusieurs stratagèmes pour arriver à ses fins, montrant ainsi son audace et sa témérité. Elle se déguise successivement en grande Dame poursuivie par son mari jaloux et en suivante, elle ment à tout le monde sans exception, fait de faux rapports à Climante et à Léonor. Son seul but est de réussir la conquête de Climante par tous les moyens. Ce thème de la conquête opérée par une jeune fille est très rare dans la littérature dramatique du dix-septième siècle, la conquête étant généralement réservée aux jeunes hommes20.

Enfin, son seul objectif étant de s’approprier Climante, elle se montre particulièrement dure et cruelle envers Adraste qui lui fait la cour. Ainsi, elle explique à Dorise (I, 5, v. 153-156) :

Adraste est importun ; il desplaist à mes yeux,
Dorise, ses respects me sont tous odieux,
Ses transports amoureux excitent ma cholere,
Je ne le puis souffrir ;

Adraste et Climante appartiennent au type du gentilhomme espagnol, brave et généreux. Climante est chevaleresque envers les dames qu’il est toujours prêt à servir, même si cela présente un danger. Lorsqu’Isabelle, déguisée en dame poursuivie par un jaloux furieux, lui demande de l’aider, il accepte immédiatement et accueille cette inconnue dans son logis, sans se soucier des risques qu’il encourt.

Ces jeunes hommes sont aussi très courtois entre eux. Nous apprenons dès la première scène qu’Adraste doit accompagner un de ses amis pour le soutenir lors d’un duel (I, 1, v. 14-17) :

Je m’en vay de ce pas trouver un Cavalier
Que l’on a mal traitté, qui veut en ma presence,
Tirer l’espee au poing raison de cette offence,
Je ne suis que second, et fais ce que je doy ;

Climante, croyant son ami en danger, souhaite lui-même l’accompagner. Il propose son aide à Adraste en ces termes (I, 1, v. 4-6) :

Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie,
Aussi bien d’aujourd’huy je ne vous quitte point :
Et quoy méprisez-vous vos Amis à ce poinct ?

et encore (I, 1, v.7-8) : 

Mon devoir me l’ordonne,
Enfin de tout le jour je ne vous abandonne.

Ces deux gentilshommes sont donc très pointilleux en ce qui concerne le devoir et l’honneur. Adraste, après avoir appris que Léonor voulait se marier avec lui, va d’abord demander à Climante s’il est d’accord pour lui laisser son ancienne amante. Il lui dit :

Qu’il ne tiendra qu’à moy que dans cette journée,
Nous ne soyons unis sous les loix d’Hyménée ;
Qu’au lieu de traverser nostre contentement,
Vous mesme y donnerez vostre consentement,
Sans quoy je ne voudrois jamais rien entreprendre : (V, 1, v. 1533-1537) 

Ils sont tous deux naturellement amoureux : la vue d’une jeune fille, même derrière un masque, le simple son d’une voix, suffisent à provoquer chez eux la passion la plus violente. Ainsi, Climante s’extasie devant une belle inconnue, dont il n’a même pas vu le visage (I, 4, v. 70-73) :

O Dieux qu’elle a d’appas,
Ou le masque me trompe, ou cet objet aimable
Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ;
Ah Dieux ! qu’elle a de grace à plaindre son malheur ?

Adraste et Climante ne se distinguent que par la plus ou moins grande énergie qu’ils mettent en œuvre pour conquérir la femme aimée. Climante est beaucoup plus entreprenant qu’Adraste, puisqu’il demande à « Dorotée » de lui arranger un rendez-vous avec la Belle invisible. Il veut à tout prix rencontrer cette inconnue, et demande sans cesse à «  Dorotée » de s’informer de son identité, de ses intentions et du lieu de sa demeure. Ainsi, il lui demande (III, 6, v.1043) : « Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure. », et encore (IV, 4, v. 1294-97) :

Fay moy doncques le bien que je la puisse voir,
Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure :
Car je veux, le sçachant, l’aller voir tout à l’heure ;
Ma fille, oblige-moy.

Climante est donc actif, il fait tout pour rencontrer puis conquérir la belle inconnue. En revanche, Adraste se contente de se plaindre du peu d’amour que lui témoigne Isabelle et reste totalement passif. Il a la conduite typique de celle de l’amoureux espagnol qui considère l’amour comme une maladie incurable, conduite que décrit Alexandre Cioranescu dans son ouvrage Le Masque et le visage21. Sans Isabelle, la vie lui paraît impossible, il assume sa passion comme une maladie et est donc très mélancolique. Il est également jaloux : il croit voir son Isabelle partout (et il la voit en effet !) et soupçonne Climante d’être son rival. Ainsi, lorsque son valet Ariste lui demande (II, 1, v.396) : « N’estes-vous point guery de cette deffiance ? »,

Adraste exprime son désarroi face à l’attitude ambiguë de Climante dans une longue tirade tragique (v. 404-406) :

Ariste plus j’y pense, et plus mon mal s’augmente.
Il est vray que Climante a fait tout son effort
Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ;

Dans cette tirade, il emploie un vocabulaire tragique et considère Isabelle comme « cruelle » et « ingrate ». À Ariste qui lui demande : « Quel est donc vostre but au mal qui vous possede ? » (v. 459), Adraste répond :

Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ; […]
Dieux soyés-moi propices ?
Ne payez pas si mal mes fidelles services ;
Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour
Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour. (v. 460-466).

Le décalage entre la situation et le vocabulaire tragique qu’emploie Adraste rend le personnage ridicule et la scène comique.

Carlin, le valet de Climante possède toutes les caractéristiques du gracioso espagnol. Il est tout d’abord très réaliste et intéressé uniquement par les biens matériels. Ainsi, alors que Climante a accueilli avec générosité Isabelle et Dorise déguisées et masquées, et les a cachées dans son cabinet, Carlin les prend pour deux voleuses et dit à son maître :

En verité, Monsieur vous n’estes guere fin,
Je viens à double tour de fermer la valise ;
Comment laisser entrer avec tant de franchise
Ces visages chez vous qui vous sont incognus ?
J’ay mis en seureté ce sac de quarts-d’escus
Que vous m’aviez donné pour faire la despense.
Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ; (I, 4, v. 78-84)

De même, après avoir fait la Cour à la prétendue suivante « Dorotée » (II, 7), il lui préfère tout de même Dorise, qui est beaucoup moins belle, parce qu’elle a reçu des écus de Climante. Il lui explique qu’elle n’a aucun souci à se faire au sujet de « Dorotée » en ces termes :

Un bel œil pour me vaincre est une foible amorce,
Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force. (IV, 2, v. 1187-1188).

Enfin, dans la dernière scène, il ne se laisse marier à Dorise que pour les mêmes raisons (V, 8, v.1873-1876). Isabelle lui annonce :

[…] je te donne Dorise,
Elle me sert, je veux qu’elle te soit acquise,

Carlin lui répond aussitôt : « Pourveu qu’elle ait sa bague et cent escus aussi. ».

Carlin est également glouton et ivrogne, confirmant ainsi son appartenance au type du gracioso espagnol. En effet, quand Climante et lui attendent la venue de la belle inconnue dans la rue, sur la Place Royale, Carlin s’impatiente et préférerait attendre au cabaret. Il dit à son maître (V, 4, v. 1651-1653) :

Entrons, et me croyez dans quelque cabaret,
Pour nous desalterer allons-y boire un trait,
Quel plaisir de marcher à vuide dans la ruë ?

Puis il poursuit (v. 1656-1660) :

Il falloit pour le mieux,
Luy donner rendez-vous dedans l’Echarpe blanche ;
Je jeusne ici, mais là j’aurois eu ma revanche,
Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin,
Quand mesme j’y serois du soir jusqu’au matin :

Carlin est aussi superstitieux, caractère qui est mis en valeur lorsqu’il fait la cour à « Dorotée ». « Dorotée » sait que Carlin est l’amant de Dorise et traite celui-ci de volage, puisqu’il s’intéresse à plusieurs filles en même temps. Elle lui dit (II, 7, v. 718-720) :

Mais voyez l’inconstant comme il est interdit.
N’es-tu pas amoureux d’une jeune servante
Qu’on appelle Dorise ?

Carlin se demande comment  « Dorotée » peut être au courant de sa relation avec Dorise et se dit à voix basse (v.720-722) :

Ah ! cela m’épouvente !
Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas
Le sçavoir autrement.

Carlin est également un lâche. En effet, à l’acte III, il sait que la grande Dame surprise dans le cabinet de Climante n’était autre que Dorise déguisée et masquée. Pour éviter la colère de son maître, il préfère mentir que dévoiler la vérité. Et lorsque « Dorotée » s’apprête à dire qui était cette belle Dame, Carlin montre sa lâcheté à deux reprises (III, 6, v.956) : « Ah Dieux je suis perdu s’il faut qu’elle le fasse. » (s’il faut qu’elle dise la vérité.) ou encore : « Pour dix coups de baston j’en voudrois estre quitte. » (v. 964).

Tous ces caractères le rendent beaucoup plus terre à terre que son maître et donc beaucoup moins romanesque : peu enclin à rêver à la belle inconnue masquée, il est en revanche très méfiant envers elle et envers « Dorortée », chez qui il décèle le mensonge. Il multiplie les mises en garde contre cette suivante trop entreprenante et contre la belle invisible qu’il juge beaucoup trop dissimulée pour être honnête. Ainsi, comme nous l’avons déjà vu, alors que Climante accueille chez lui Isabelle et Dorise déguisées et masquées, Carlin, bien loin de trouver des charmes secrets chez cette grande Dame, la prend pour une voleuse (I, 4). De plus, il met en garde son maître contre « Dorotée » qui vient de lui faire un faux rapport sur l’identité de la belle inconnue (III, 7, v. 1047-1049). À Climante, qui lui demande ce qu’il pense de l’histoire que vient de raconter « Dorotée », Carlin répond :

Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez croire !
Je jure que jamais je n’oüy tant mentir ;

Ensuite, à l’acte V, alors que Climante s’est décidé à rencontrer la belle invisible pour l’épouser, Carlin lui conseille encore une fois de se méfier de cette dame qui est suspecte puisqu’elle cache son visage. Il lui dit (V, 1, v. 1562-1570) :

Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle,
Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ?
Estes-vous asseuré de demeurer d’accord ?
Et que cette beauté qu’on vous peint adorable,
Ne soit point à vos yeux quelque objet effroyable ?
C’est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain,
D’abandonner ainsi le seur pour l’incertain : 
Vous faites à vous mesme une trop rude guerre,
Entre deux beaux coussins d’estre le cul en terre.

Il continue à la quatrième scène du cinquième acte, de mettre en garde son maître contre « Dorotée ». Il ne comprend pas la naïveté de Climante  (v. 1640-1647) :

Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy
Aux discours imposteurs de cette Dorotée ?
Ne voyez-vous pas bien que c’est une effrontée
Qui ne fait que mentir ?

Climante lui répond :

Non, tant que je vivray
Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray.

Carlin surenchérit :

Pour se mocquer de vous, elle s’est advisée
De cette fourbe ici : Monsieur, elle est rusée
Plus que vous ne pensez.

Enfin, en un vers lapidaire, il résume toute la situation de la pièce : en parlant d’Isabelle, il dit : « Elle mentit hier, et mentira demain. » (V, 6, v. 1708)

Nous voyons bien, grâce à ces remarques récurrentes de Carlin, combien son caractère terre à terre s’oppose au caractère romanesque de Climante.

Cependant, sa méfiance envers les femmes ne l’empêche pas de courtiser toutes les servantes qu’il côtoie, y compris « Dorotée », en qui il n’a aucune confiance. La scène dans laquelle il fait la cour à « Dorotée » est d’ailleurs très comique, puisqu’il veut impressionner la « servante » en utilisant un vocabulaire précieux : il joue sur le double sens du verbe « appeler » (qui signifie à la fois « interpeller » et « nommer »). Mais, comme « Dorotée » est en réalité une grande Dame, elle le remet immédiatement à sa place (II, 7, v. 675-678) :

Isabelle : Comment t’appelles-tu ? 
Carlin : Moy, comment je m’appelle ?
Je ne m’appelle point : mais si tu veux, ma belle,
Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin, 
Isabelle : A quoy te sert ici de faire le badin ?

Carlin courtise même plusieurs femmes en même temps, ce qui entraîne une scène hautement comique et très originale (IV, 3), dans laquelle il est aux prises entre Isabelle et Dorise, qu’il a toutes les deux séduites. Il est alors dans une situation bouffonne et n’arrive pas à se prononcer en faveur de l’une ou l’autre, situation qui, nous le verrons a inspiré Molière pour Dom Juan, lorsque le héros est en présence à la fois de Charlotte et Mathurine, auxquelles il a tour à tour fait la cour (II, 4).

Parallèlement à ces personnages typiquement espagnols, Léonor présente des caractères plus « français ». Elle représente le type même du « trompeur trompé ». Ce personnage n’est pas très sympathique et assez autoritaire. Léonor est fière et hautaine : elle emploie très souvent des impératifs et est désagréable avec tout le monde. C’est pourquoi le spectateur se réjouit de la voir ridiculisée à la fin de la pièce, tour qui était absent de la pièce de Montalván.

De plus, le décalage entre le vocabulaire tragique qu’elle emploie et la situation la rend elle aussi ridicule. En effet, elle ne cesse de traiter Climante de « perfide », d’« ingrat », d’« infâme », de « traître ». Lorsque la Dame masquée sort du cabinet de Climante, elle s’écrie :

Dy perfide, à present que tu n’es pas un traistre ? (I, 10, v. 335),
Ah le traistre ! ah l’infame ! (v. 352),
Traistre, n’espere pas de me revoir jamais. (v. 378),
Si c’est avec dessein que je me satisface,
Je ne le suis que trop de vos perfides traits ;
Adieu, perfide, ingrat. (v. 384-386).

De même, lorsque la scène se reproduit à l’acte III, Léonor a la même réaction :

Si jamais je te voy, / Perfide, desloyal. (III, 4, v. 869-870),
Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ? (v. 871),
Non, je n’écoute rien d’un traistre qui m’offence. (v. 876).

Enfin, le vocabulaire tragique atteint son paroxysme lorsqu’elle dit : « Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux. » (v. 925).

Léonor est donc un personnage ridicule, puisqu’elle ne parvient pas à prendre du recul sur ce qui lui arrive.

Le mensonge §

Dans La Dame suivante, tous les personnages mentent, excepté Adraste, qui est un amoureux transis qui n’ose rien dire et surtout pas mentir. La vérité ne se dit qu’à voix basse. Cependant, si tous les personnages utilisent le mensonge, ces mensonges ne sont pas équivalents et il existe plusieurs types de mensonges différents.

Le mensonge volontaire est le plus utilisé dans La Dame suivante. Il peut avoir une fonction simplement dramatique, c’est-à-dire qu’il sert à faire progresser l’intrigue. Ces mensonges ne concernent qu’Isabelle et Dorise, les meneuses de l’histoire. Le mensonge est alors un moyen d’arriver à ses fins, et en l’occurrence un moyen de séparer Climante de Léonor et de lui faire aimer la belle invisible. Le but de ces mensonges volontaires employés par Isabelle et Dorise est donc la progressive conquête de Climante. Tous ces mensonges dont la fonction est dramatique sont, dans La Dame suivante, toujours étroitement liés au déguisement, que ce soit un déguisement avec masque, sans masque, ou uniquement verbal.

Au début de la pièce, Isabelle se fait passer auprès de Climante pour une femme poursuivie par son mari jaloux. Elle et sa suivante Dorise portent toutes deux un masque et une coiffe : le but de ce mensonge allié au déguisement est d’abord de sonder la générosité de Climante. Mais très vite, ce but évolue : après l’arrivée de Léonor, Isabelle, toujours masquée, sort du cabinet où elle était cachée et déclare qu’elle est la maîtresse de Climante. Son but se transforme alors : elle désire ruiner le couple Léonor-Climante pour préparer sa propre conquête de Climante dont elle s’est éprise. De même, à la quatrième scène du troisième acte, lorsque Dorise, après s’être rendue en cachette au logis de Climante, sort du cabinet et se fait passer pour la même Dame qu’au premier acte, elle déclare :

Je ne sçaurois comprendre
Pour quel sujet, Climante, on me fait tant attendre ? (v. 843-844).

Cette scène est la stricte répétition de la dixième scène du premier acte. Le but de ce déguisement est le même que la première fois, c’est-à-dire de provoquer la rupture entre Léonor et Climante. En effet, le premier déguisement avait échoué et Léonor et Climante s’étaient réconciliés entre le premier et le deuxième acte. Dorise, qui est dans la confidence d’Isabelle, ne fait ici que l’aider.

Le deuxième stratagème employé par Isabelle pour arriver à ses fins est de se faire engager comme suivante par Léonor. Elle change alors de condition et de grande Dame devient suivante, ce qui lui permet de parler à Léonor et à Climante assez familièrement et de les fréquenter sans être véritablement connue d’eux22. Ce déguisement d’apparence est accompagné de mensonges verbaux : elle fait courir le bruit qu’elle est rentrée à Lyon et prend un nouveau nom : Dorotée. Le but de ce déguisement et de ce mensonge sur sa propre identité est toujours la conquête de Climante : Isabelle pourra mieux brouiller Léonor et Climante en devenant la confidente de Léonor et en s’immisçant à l’intérieur du couple.

Enfin, les mensonges simplement verbaux sont très nombreux et ont eux aussi une fonction dramatique importante. En premier lieu, Dorise ment à Carlin, lorsque celui-ci lui court après afin de connaître l’identité de la grande Dame qui était cachée dans le cabinet. Après qu’elle a enlevé son masque et que Carlin a découvert que c’était elle, elle lui dit qu’elle était venue spécialement pour le voir (III, 4). Ce mensonge a pour seul but que Carlin la laisse partir et que le stratagème d’Isabelle reste secret, ce qui permet à l’intrigue de continuer.

Ces mensonges verbaux prennent ensuite souvent la forme de faux rapports. « Dorotée », après avoir feint de courir après la Dame inconnue pour, dit-elle, satisfaire sa curiosité, revient voir Climante après le départ de Léonor et lui fait une description très avantageuse de cette Belle (III, 6). Elle la décrit riche :

J’ay trouvé là dehors en sortant de ceans,
Un superbe carosse, enrichi par dedans,
Et doré par dehors, environné de Pages, (v. 965-968).

Elle est aussi extrêmement belle :

J’entre, et m’ostant son masque, elle fait que j’admire
Un œil si gracieux, un visage si beau,
Qu’il peut mettre d’abord mille Amans au tombeau :
J’en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste
Que plus que de l’humain elle tient du Celeste. (v. 980-984).

Cette belle Dame lui aurait avoué la passion qu’elle a pour Climante. Isabelle la présente comme très romantique :

Et voulant passer outre, un orage de larmes
Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes : (v. 1007-1008).

Enfin elle conclut son discours en disant :

[…] asseurez-vous Climante,
Qu’elle a beaucoup d’honneur, qu’elle est riche et puissante ;
Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité,
Croyez qu’elle est plus grande encor que sa beauté. (v. 1015-1018).

Ce qui est très intéressant dans ce faux rapport est que le vrai est entremêlé avec le faux : Isabelle fait un portrait d’elle-même, à travers la bouche de « Dorotée ». Cette scène est une scène de séduction médiatisée, avec l’originalité cependant que la séductrice et la médiatrice sont une seule et même personne. Ce jeu de séduction ironique repose sur l’opposition entre le paraître et la véritable identité d’Isabelle. Le but de ce faux rapport est encore une fois la conquête de Climante. Après avoir brouillé Léonor et Climante, « Dorotée » essaie de faire en sorte que celui-ci tombe amoureux de la Belle invisible. Dorise fait à son tour un faux rapport à Climante (IV, 1) : elle ne dit qu’une partie de la vérité en affirmant que c’était bien elle qui était dans le cabinet, comme elle l’avait déjà dit à Carlin. Mais, pour confirmer le récit de « Dorotée », elle ajoute qu’elle était envoyée par une grande et belle Dame. Son mensonge concorde parfaitement avec celui de « Dorotée », ce qui sauvegarde l’innocence et la franchise de celle-ci, indispensables au déroulement de l’intrigue. En effet, si Climante perdait confiance en « Dorotée » et découvrait la ruse, l’intrigue serait terminée.

Le troisième faux rapport a lieu lorsque « Dorotée » vient annoncer à Climante que Léonor a décidé d’en épouser un autre, ce qui n’est pas encore vrai à ce moment de la pièce. Elle se permet à cette occasion de juger Léonor très sévèrement devant Climante, pour influencer le jugement de celui-ci. Ainsi, elle dit (IV, 4, v. 1235-1236) :

Puisqu’il faut dire tout, l’ingrate ailleurs s’engage,
Et sans mentir, c’est trop pour un leger ombrage,

ou encore :

Cette arrogante à tort se croyant outragée
Dessous le joug d’Hymen aujourd’huy s’est rangée. (v. 1244-1245).

Son but est ici d’exciter la haine de Climante à l’égard de Léonor et par là même de confirmer leur rupture. Ce mensonge aboutit au succès puisque Climante décide de se marier à son tour avec la Belle invisible :

Mais puisque sans sujet cette ingrate se vange,
Et puis qu’elle a couru si promptement au change,
Dy luy qu’elle m’a mis en telle extremité
Que je veux l’imiter en sa legereté,
Que je suis inconstant, puis qu’elle est infidelle,
Et que je vais aussi me marier comme elle. (v. 1279-1284).

Enfin, à son retour chez Léonor, elle lui rapporte la discussion qu’elle a eue avec Climante, et le présente à son tour comme un ingrat et un inconstant qui se réjouit d’avoir rompu avec Léonor (IV, 9, v. 1449-1450) :

Il est homme, et l’estant,
Se doit-on estonner de le voir inconstant ?

Bien plus, elle ajoute que pendant leur entretien, la même Dame que celle du cabinet entrait chez Climante :

Comme par mes discours je voulois le toucher,
Cette Dame qu’il ayme, est aussi-tost entrée,
M’estant bien aperçuë, ainsi comme je croy,
Qu’ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy. (v. 1470-1474).

Par ce mensonge, « Dorotée » souhaite cette fois-ci exciter la haine de Léonor à l’égard de Climante et confirmer une fois de plus leur rupture. Ce mensonge réussit également, car Léonor lui apprend qu’elle va se marier avec un jeune Cavalier.

Enfin, les mensonges verbaux se traduisent par des conseils insidieux. Ces mensonges ont encore une fonction dramatique, puisque, grâce à ces mauvais conseils donnés à Climante et Léonor, « Dorotée » les incite à se quitter mutuellement. Ainsi, après que Léonor et Climante se sont réconciliés, « Dorotée » explique à Léonor qu’elle n’aurait pas dû, après un tel affront, retourner auprès de Climante. Elle lui conseille de rompre avec lui, de peur qu’il ne recommence (III, 2, v. 795-800) :

Madame, vostre amour sans mentir est extréme ;
De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ;
S’il cognoist une fois cette foiblesse en vous,
Et s’il peut appaiser si tost vostre courroux,
De tout avec le temps il se rendra capable,
Et puis avecque luy vous serez miserable.

Mais ce mensonge est voué à l’échec puisque, si Léonor écoutait « Dorotée » et quittait Climante, « Dorotée » serait parvenue à son but dès le début du troisième acte, et toute l’action serait déjà terminée. Léonor lui répond donc : « Sans doute tu dis vray, mais je l’ayme, tay-toy, » (v. 801).

De la même façon, après avoir vu Dorise, déguisée en grande Dame, sortir du cabinet, « Dorotée » excite Léonor contre Climante et lui conseille de rompre définitivement avec lui (III, 4, v.857-58) : 

Que voy-je ! justes Dieux !
Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ?

Elle ponctue toutes les excuses de Climante par des réflexions destinées à le mettre dans l’embarras : « L’impudence est notable » (v. 861), ou encore :

Apres un tel mespris, peut-il avoir le front
D’oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire,
Je le voy de mes yeux, et j’ay peine à le croire. (v. 866-868).

Cette fois-ci, ces conseils atteignent leur but puisque, à partir de cette scène, il n’y a plus aucune conversation directe entre Léonor et Climante, mais leur rapport est toujours médiatisé par « Dorotée », ce qui facilite amplement son dessein. Enfin, « Dorotée » conseille explicitement à Climante de quitter Léonor (IV, 4, v. 1231-1232) :

Si j’estois que de vous, sans consulter personne,
Je la quitterois là comme elle m’abandonne.

D’autres mensonges volontaires ont une fonction, que l’on pourrait appeler rhétorique, ou ludique, puisqu’ils ne sont en rien nécessaires au déroulement de l’intrigue. Ce type de mensonge « suscite des complications constamment et gratuitement renouvelées puisqu’il suffirait d’un mot du personnage déguisé pour que tout rentre dans l’ordre (et que l’action s’arrête) ; obstacle qui engendre l’hésitation prolongée entre l’être et le paraître23 ». En effet, on peut penser que la beauté éclatante d’Isabelle lui aurait suffi pour que Climante tombe amoureux d’elle. D’ailleurs, dès leur première rencontre, Isabelle s’apprêtait à enlever son masque et à montrer son visage à Climante, mais, pour des raisons dramatiques, Adraste puis Léonor entrent au même moment (I, 8, v. 258-263) :

CLIMANTE.

Obligez-moy devant
De me permettre au moins d’avoir cet avantage
De contempler les traits de ce parfait visage.

ISABELLE.

Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait,
Et vous en allez estre assez mal satisfait.

Comme elle veut oster son masque on frappe à la porte.

Toutesfois pardonnez, on frappe à cette porte :

De plus, dès la quatrième scène du troisième acte, Léonor quitte définitivement Climante, et le but d’Isabelle est ainsi pratiquement atteint : elle n’aurait qu’à se présenter devant Climante sous sa propre identité et dire qu’elle était elle-même la belle invisible pour achever sa conquête. Or, elle conserve son déguisement et continue de mentir. La seule fonction du déguisement et des mensonges qui l’accompagnent est de créer des quiproquos afin de faire douter les personnages. Cette fonction de confusion entraîne un jeu sur les apparences. Ces mensonges et déguisements font en sorte qu’on ne sait plus qui est qui, qui pense quoi, etc. En cela, ces déguisements sont baroques. La confusion touche tous les personnages : Adraste croit voir son Isabelle partout, et il la voit en réalité mais est dissuadé par son entourage. Il y a également confusion pour Climante, qui ne comprend pas le dessein de la belle inconnue, qui est contrarié de son comportement et qui finalement tombe amoureux d’elle sans avoir jamais vu son visage. Carlin, quant à lui tombe amoureux de « Dorotée », qui est en fait une grande Dame. Enfin, Léonor, déjà trompée dans son amour, joue ensuite le rôle du « trompeur trompé », puisqu’elle confie à sa rivale, qu’elle croit être sa suivante, le soin de se faire épouser par Climante, ce qui est précisément le dessein d’Isabelle. Ainsi, elle dit (V, 2, v. 1620-1622) :

La vengeance seroit conforme à mon desir,
Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse,
S’il prenoit la Suivante.

Toute l’intrigue du cinquième acte est secondaire et non nécessaire ; son seul intérêt est de rendre Léonor ridicule, et ainsi de plaire au public. La fonction de ce double mensonge de Léonor à Climante et d’Isabelle à Léonor est strictement ludique : il contente à la fois Isabelle, Climante et le spectateur omniscient. Les paroles à double entente et les équivoques sont révélatrices de la confusion de Léonor : ces paroles sont ambiguës puisqu’elles ont un sens anodin pour celui auquel elles semblent s’adresser (Léonor), et une toute autre signification pour le personnage qui les prononce (Isabelle) ou pour le spectateur. Isabelle dissimule des paroles assez noires, dont Léonor, la future victime, ne soupçonne pas un instant qu’elles sont annonciatrices de sa perte. Ces paroles sont porteuses d’ironie linguistique, puisqu’elles contiennent un signifiant et deux signifiés (le signifié latent et le signifié patent). Le locuteur et le complice (ici, le spectateur omniscient) saisissent les deux signifiés, alors que la cible ne reçoit que le signifié patent. Ainsi, « Dorotée » assure sa maîtresse de son dévouement de façon très ambiguë (II, 3, v. 575-576) :

Je puis en vous servant aussi me satisfaire,
Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire.

Léonor, sans se douter du dessein d’Isabelle, se félicite du dessein de celle-ci :

Vas, si tu me sers bien, croy que la recompense
Surmontera, ma fille, encor ton esperance ;
Tu ne serviras pas chez moy bien longuement,
Sans estre mariée à ton contentement. (v. 599-602).

Léonor, sans le savoir, annonce sa perte, ce qui rend ses paroles porteuses d’ironie. La réponse d’Isabelle est explicite pour le spectateur averti :

C’est, à n’en point mentir, le seul but où j’aspire,
Vous m’offrez en ce point tout ce que je desire ; (v. 603-604).

De même, après que Léonor a demandé à Isabelle de l’aider à se venger de Climante, Isabelle lui affirme (IV, 9, v. 1493-1494) :

[…] et tenez pour certain
Que je viendray sans peine à bout de mon dessein.

ce à quoi, Léonor, naïve, répond :

Je croy que ton esprit peut entreprendre tout,
Et si je ne me trompe, en venir bien à bout. (v. 1497-1498).

Enfin, dans la deuxième scène du cinquième acte, Isabelle a proposé à Léonor un plan pour se venger de Climante : elle se fera passer pour Lizène et se mariera avec lui. Léonor, inquiète du succès de sa vengeance, lui demande (V, 2, v. 1617-1619) :

LEONOR.

Sans s’informer de toy, penses-tu qu’il souhaite
T’espouser sur le champ ? 

ISABELLE.

Je tiens la chose faite.
Vous en aurez sans doute aujourd’huy le plaisir.

Puis Isabelle précise :

Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy,
Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd’huy. (v. 1623-1624).

Ces déguisements et ces mensonges ont une fonction ludique, puisqu’ils suscitent des complications gratuites en prolongeant les hésitations entre l’être et le paraître.

Certains personnages mentent involontairement, c’est-à-dire qu’ils sont obligés de mentir pour cacher une vérité dont ils ne sont pas responsables et qui déplairait à l’interlocuteur ou susciterait sa colère si elle était dévoilée. Ces mensonges sont donc des mensonges imposés ou mensonges de défense. Ils ne sont plus liés à un déguisement et sont surtout employés par Climante et Carlin. Ainsi, Climante, pour ne pas dévoiler à Léonor qu’il cache une Dame dans son logis, ce qu’elle pourrait mal interpréter, invente un prétexte pour qu’elle n’aille pas chez lui et prétend qu’il doit sans délai offrir son service à son ami Adraste qui se bat en duel (I, 6). De même, à la scène 9 de l’acte I, alors que c’est Isabelle qui est dans le cabinet de Climante, celui-ci dit à Adraste :

Cher Adraste, je veux vous parler franchement ;
Leonor est entrée en cet apartement,
Qui d’autre que de moy ne veut point estre veuë :
Elle est preste à sortir. (v. 289-292)

Adraste sort de chez Climante et rencontre Léonor dehors, qui vient voir son amant. Ce mensonge de Climante est nécessairement destiné à l’échec, puisqu’il va à l’encontre du projet même d’Isabelle, qui constitue toute l’intrigue.

Enfin, Carlin est également obligé de mentir à son maître (III, 4) : il sait que la Dame cachée dans le cabinet de Climante était sa propre amoureuse Dorise, mais il craint que son maître ne se mette en colère en l’apprenant, étant donné que la venue de celle-ci a provoqué la rupture définitive entre Léonor et lui. Il dit donc à Climante qu’il ne connaît pas l’identité de la Dame du cabinet. Mais ce mensonge est lui aussi nécessairement lié à l’échec : entendant « Dorotée » décrire la Belle invisible, Carlin décèle chez elle le mensonge et en informe Climante. Il dit alors que la belle Dame n’était autre que Dorise qui venait pour le voir.

L’absence de morale §

On sait que le mariage est l’élément structurant de la comédie. Toute comédie doit aboutir à une fin heureuse. Nous pouvons cependant nous demander pourquoi d’Ouville a choisi de faire triompher celle qui ment à tous et détruit l’amour des autres, ce qui nous semble aller à l’encontre de toute morale. En effet, il aurait très bien pu faire en sorte que Léonor et Climante se marient après avoir découvert la fourbe d’Isabelle, ce qui, d’ailleurs, aurait rendu leur comportement plus vraisemblable.

Un premier élément de réponse serait que le déguisement, dans toutes les pièces du dix-septième siècle où il est employé, est toujours lié à la réussite. Georges Forestier écrit : « À la racine même de l’idée de déguisement, il y a le concept de réussite24 ». En effet, il n’y aurait aucun intérêt pour le dramaturge de mettre en place un procédé pour l’interrompre aussitôt puisque la reconnaissance de la véritable identité malgré le port du déguisement équivaut à la mise immédiate d’un terme au jeu. En cela, le succès d’Isabelle n’a rien d’original.

D'ailleurs, puisque Léonor est présentée comme un personnage autoritaire, hautain et fier, bref, un personnage antipathique, il est tout à fait moral qu’elle soit ridiculisée à la fin de la pièce. Cependant, le spectateur éprouve de la pitié à l’égard de Léonor et peut-être Léonor est-elle antipathique précisément parce que son amour est détruit par « Dorotée ». Dès sa première apparition, elle est confrontée au mensonge de Climante et elle se croit trahie par celui-ci. Ses réactions violentes et colériques sont alors excusables, et sa fierté est sans doute une réponse défensive face à l’attitude inconstante de Climante.

Cependant, Isabelle n’est pas non plus présentée comme quelqu’un de sympathique: elle est égoïste et veut assouvir sa passion par tous les moyens. Elle est cruelle avec Adraste (acte I, scène 5), n’éprouve aucune compassion pour lui, et, alors que Léonor la traite gentiment et l’accueille avec confiance dans son logis, elle fait entendre des paroles à double entente qui, même si elle réjouissent le spectateur par leur ambiguïté même, sont porteuses d’une ironie grinçante qui le met mal à l’aise. Isabelle, lorsqu’elle ruine le couple Léonor-Climante, n’est donc pas sympathique ni non plus excusable.

La seule réponse possible à cette absence de morale flagrante est que d’Ouville, peu soucieux de moralité, est bien plus préoccupé de plaire au spectateur en multipliant les quiproquos et les confusions, ce qui est très original dans le théâtre français du dix-septième siècle. En effet, les dramaturges du dix-septième siècle, pour réhabiliter le théâtre auprès de l’Eglise qui y voit un modèle de dépravation et qui influence un grand nombre de spectateurs, cherchent à légitimer leurs pièces en leur attribuant une fonction moralisatrice et instructrice, souvent appelée à contre sens fonction « cathartique » : les spectateurs, par identification avec les personnages, désireraient corriger leurs moeurs par le rire (Castigat ridendo mores). D'Ouville, bien loin de suivre ce mouvement, ne cherche même pas à dissimuler l’absence de morale de son personnage principal sous le couvert d’une moralité apparente. Son unique désir est de plaire, et il ne s’en cache pas.

L’amante invisible §

Le thème de la séduction invisible est très fréquent au dix-septième siècle : d’une part, ce thème de la conquête masquée est souvent employé sous sa forme romanesque. Scarron, dans la première partie du Roman comique (1651) adapte une nouvelle espagnole de Solórzano pour en faire son chapitre IX : Histoire de l’amante invisible. Au même moment, Madeleine de Scudéry, dans la sixième partie de son Grand Cyrus raconte un long épisode de même inspiration. D’autre part, sous sa forme dramatique, le thème de la conquête masquée apparaît dans plusieurs comédies : L’Esprit folet d’Ouville (1638), La Jalouse d’elle-même (1648) et La Belle invisible (1656) de Boisrobert, Les Engagements du hasard (1649) et Le Charme de la voix (1656) de Thomas Corneille, ou encore L’Amante invisible de Nanteuil (1672).

Le choix de ce thème dans La Dame suivante confirme le fait que le seul but d’Ouville est de plaire. En effet, ce thème est lié à l’invraisemblance puisqu’il met en scène l’acceptation de l’illusion : Climante se persuade que la Belle inconnue est un être idéal nettement supérieur à Léonor. Au lieu d’expliquer à Léonor qu’il est réellement innocent et essayer de la reconquérir, il préfère l’abandonner pour rejoindre cette belle Dame qu’il n’a jamais vue et avec qui il n’a échangé que quelques mots. Climante a le choix entre Léonor et cette inconnue et il entreprend la conquête de la Belle invisible, choisissant, comme le lui dit son valet Carlin, « d’abandonner ainsi le seur pour l’incertain. » (V, 1, v.1568). Ce choix dangereux consiste à « lâcher la proie pour l’ombre », comme le dit G. Forestier25, alors même que l’ombre n’offre aucune garantie. En effet, Climante n’est pas trop choqué qu’une Dame masquée tente avec obstination de les brouiller lui et Léonor, et, sur le seul témoignage d’une suivante (qui est en fait la Dame elle-même) qui lui assure que cette Dame est riche, extrémement belle et noble, il accepte d’être abandonné par Léonor et ne fait rien pour la convaincre de son innocence et la faire revenir, préférant épouser celle qu’il considère (sans l’avoir jamais vue !) comme le « plus parfait objet qui soit dessous les Cieux » (IV, 4, v.1286).

Il faut d’ailleurs être généreux pour « lâcher la proie pour l’ombre », ce qui explique l’attitude méfiante du valet Carlin à l’égard de la Belle invisible. Celui-ci contredit sans cesse le jugement favorable de son maître. Carlin soupçonne cette inconnue d’avoir de mauvaises intentions et doute constamment de sa beauté :

Estes -vous asseuré de demeurer d’accord ?
Et que cette beauté qu’on vous peint adorable,
Ne soit point à vos yeux quelque objet effroyable ? (V, 1, v. 1564-1566).

L'illusion est reine et l’acceptation du masque suppose une libre adhésion de la victime du masque, adhésion qui est injustifiée, si ce n’est par les nécessités de l’intrigue et les aspects de confusion qui lui sont liées. L'intrigue est alors nettement supérieure à la psychologie du personnage, ce qui confirme le fait que la seule fonction de la comédie chez d’Ouville est de plaire au public.

Le succès et l’influence de La Dame suivante §

La Dame suivante a eu un succès non négligeable, puisqu’alors qu’elle a été créée en 1643, elle figure encore au répertoire de l’Hôtel de Bourgogne en 1646-4726. De plus, d’Ouville lui-même remarque dans l’épître de sa comédie que le duc de Guise a assisté deux fois au spectacle et que celui-ci lui a plu. S’adressant à Son Altesse le duc, il écrit : « Quand le monde sçaura qu’il luy a pleu par deux fois de suite voir la representation de cette Piece, et qu’elle y a trouvé beaucoup de divertissement, comme elle mesme m’a fait l’honneur de m’en asseurer, je suis tres certain que personne ne la trouvera mauvaise. ». Nous pouvons également mesurer le succès de la pièce à l’influence qu’elle a eue.

Le sujet de L’Héritier ridicule de Paul Scarron (1649) est très proche de celui de La Dame suivante d’Ouville : Léonor séduit Dom Diègue et l’enlève à Hélène, comme Isabelle sépare Léonor de Climante. L’héroïne Léonor est, comme Isabelle, poursuivie par un soupirant qu’elle veut éviter, Dom Juan. Plus précisément, une scène de L’Héritier ridicule présente Hélène qui, alors qu’elle rend visite à Léonor, trouve son ancien amant dans le cabinet de celle-ci :

HELENE.

Sa chambre est magnifique.

PAQUETTE.

Elle n’espargne rien
Pour estre bien meublée.

HELENE.

L’agreable tapis pour estre de moquette !
Ce cabinet est riche et plein de bons tableaux.

PAQUETTE.

Je ne sçay s’ils sont bons, mais je les trouve beaux.

HELENE.

N’y vois-je pas quelqu’un ? quel homme pourroit-ce estre ? (IV, 2, v. 1006-1011)

Elle trouve alors dans le cabinet Dom Diègue, son amant. Cet effet de surprise est déjà présent dans La Dame suivante, lorsque Léonor est chez Climante et lui admire son appartement :

LEONOR.

Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle,
Cette tapisserie est de façon nouvelle ;
Où sont vos beaux Tableaux ?

CLIMANTE.

Dedans mon cabinet. (I, 10, v. 319-321)

Climante empêche Léonor d’entrer, mais au même moment, Isabelle en sort ; Léonor se croit trahie et s’en va, furieuse. Cette scène se reproduit, et la même équivoque sur les « beaux tableaux » a lieu, lorsque Léonor, réconciliée avec Climante, lui dit :

En attendant qu’on serve, allons voir vos tableaux
Dedans ce cabinet, on dit qu’ils sont fort beaux.
Y tenez-vous encor quelque vive peinture ? (III, 3, v. 833-835)

Climante proteste que c’est lui faire injure, mais au même moment, Dorise sort du cabinet, déguisée en grande Dame, et une fois de plus, Léonor s’en va, furieuse. Ces vers ont sûrement inspiré Scarron, lorsqu’il fait dire à Hélène :

Ce cabinet est plein de peintures fort belles,
Qui divertissent bien. (IV, 2, v. 1019-1020)

Evidemment, il y a quelques différences entre les deux passages (chez Scarron, par exemple, Hélène est chez son amie Léonor et non pas chez son amant), et l’on peut se dire que l’évocation du cabinet de peinture n’a rien d’original au dix-septième siècle, puisqu’il est très à la mode dans l’aristocratie, en tant que lieu de méditation où l’on peut se retirer. Cependant, la situation et les équivoques sont trop proches pour que Scarron n’ait pas pris connaissance du texte d’Ouville avant d’écrire cette scène de L’Héritier ridicule.

Une autre analogie est indiscutable : Dom Diègue, pour punir une maîtresse trop intéressée, décide de lui faire épouser son laquais (II, 5). De la même façon, Léonor, pour se venger de l’inconstant Climante, a l’idée de lui faire épouser « Dorotée », qui n’est qu’une simple suivante :

La vengeance seroit conforme à mon desir,
Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse,
S’il prenoit la Suivante. (V, 2, v. 1620-1622)

L’humiliation est la même pour Hélène et pour Léonor, lorsque le subterfuge est dévoilé. Ainsi, Dom Diègue dit à Hélène : « Vous m’avez pris pour dupe, un laquais vous a prise ; » (V, 4, v. 1532), de la même façon que Léonor, pensant humilier Climante, lui dit : « Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante. » (V, 8, v. 1813).

Une fois encore, il demeure des différences entre les deux scènes : dans La Dame suivante, la suivante n’en est pas une en réalité, Léonor se console en épousant Adraste alors que chez Scarron, Hélène, humiliée, reste toute seule. Cependant, les situations sont trop similaires pour que la ressemblance soit fortuite.

Il faut toutefois noter que ces ressemblances entre L’Héritier ridicule et La Dame suivante sont déjà présentes entre les deux originaux espagnols dont ces pièces s’inspirent, La Doncella de labor de Montalván et El Mayorazgo figura de Solórzano. Mais comme l’écrit Roger Guichemerre,

les jeunes filles assez hardies pour arracher un galant à une rivale, les galants surpris chez une autre femme, les déguisements, sources de quiproquos piquants, sont monnaie courante dans la comedia. Ici l’imitation est flagrante27.

De plus, le double modèle de La Dame suivante et de L’Héritier ridicule a sans doute suggéré à Molière l’intrigue des Précieuses ridicules, où, de la même façon que Léonor, chez d’Ouville, souhaite se venger de Climante en lui faisant épouser une suivante, de même deux galants, La Grange et Du Croisy, dédaignés par les deux jeunes filles qu’ils recherchaient en mariage, travestissent leurs laquais en gentilshommes pour se venger des deux coquettes et les humilier. Henry Carrington Lancaster émet cette hypothèse et conclut en disant : « C’est comme si Mascarille et Jodelet se révélaient gentilshommes, après que La Grange et Du Croisy les ont aidés à obtenir les femmes qu’ils aimaient28 ». Le thème original du « trompeur trompé » au cinquième acte de La Dame suivante a donc certainement inspiré Molière.

Enfin, une scène originale et hautement comique de La Dame suivante est reprise dans Dom Juan. Nous y voyons le valet Carlin aux prises avec deux suivantes, « Dorotée » et Dorise, qu’il a tour à tour séduites. Chacune, jalouse de l’autre, lui demande de choisir entre elles deux :

CARLIN à Dorise, bas.

Vien-çà, tai-toy badine,
Va, je n’en veux qu’à toy, ne le vois-tu pas bien ?

ISABELLE à Carlin.

Vien-çà, que luy dis-tu ?

CARLIN.

Moy, je ne luy dis rien.

DORISE à Carlin.

Or sus declare-toy, dis à qui tu veux estre,
Je veux sçavoir ici si tu n’es pas un traistre.

ISABELLE à Carlin.

Parle donc promptement.

CARLIN bas.

J’ay les sens tout confus,
L’une est belle, il est vray, mais l’autre a des escus,
Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble.

DORISE.

Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t’en semble ?

CARLIN bas à Dorise.

Dorise, vois-tu pas que je n’en veux qu’à toy ?

DORISE à Isabelle.

Ecoutez ce qu’il dit ?

ISABELLE.

Que dis-tu ? parle à moy.

CARLIN bas à Isabelle.

Je dy que c’est à toy seule à qui je veux plaire. (IV, 3, v. 1200-1211)

Cette scène n’est pas sans rappeler la situation de la quatrième scène du deuxième acte de Dom Juan, où le héros de Molière doit se justifier devant Charlotte et Mathurine, deux paysannes auxquelles il a fait la cour. Là aussi, Charlotte et Mathurine se disputent entre elles avant de demander des explications à Dom Juan et de le forcer à en choisir une des deux ; de la même façon que dans La Dame suivante, le séducteur résout le problème en assurant chacune tour à tour de la sincérité de ses sentiments :

MATHURINE. […] c’est moi, et non pas vous, qu’il a promis d’épouser.

[…] CHARLOTTE. A d’autres, je vous prie ; c’est moi, vous dis-je.

MATHURINE. Vous vous moquez des gens ; c’est moi, encore un coup.

CHARLOTTE. Le vlà qui est pour le dire, si je n’ai pas raison.

MATHURINE. Le vlà qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai.

CHARLOTTE. Est-ce, Monsieur, que vous lui avez promis de l’épouser ?

DOM JUAN, bas, à Charlotte. Vous vous raillez de moi.

MATHURINE. Est-il vrai, Monsieur, que vous lui avez donné parole d’être son mari ?

DOM JUAN, bas, à Mathurine. Pouvez-vous avoir cette pensée ? (II, 4, l.46-63, dans la collection Classiques Larousse.)

Evidemment, Dom Juan fait preuve de beaucoup plus d’habileté que le pauvre Carlin, mais nous retrouvons chez d’Ouville et chez Molière la même situation comique et le même mouvement scénique29.

Le texte de la présente édition §

Il n’existe qu’une seule édition de La Dame suivante, imprimée à Paris, en 1645 par Toussainct Quinet. Quatre exemplaires ont été conservés dans des bibliothèques publiques. À chaque fois, la pièce La Dame suivante fait partie d’un receuil factice. En voici les références :

– B.N. Rés. Yf. 314 = MFICHE Rés. Yf. 314 = microforme P94/665 = MICROFILM M.16837 = microforme R108387   (in-4°, [VIII]-168 p.). Ce recueil, intitulé Recueil de comédies, contient dans l’ordre : La Coifeuse à la mode, L’Esprit folet, La Dame suivante, L’Absent chez soy et Les Fausses Veritez.

– B.N. Rés. Yf. 544 (support imprimé, in-4°, [VIII]-168 p.). Ce recueil, intitulé Recueil de comédies, contient dans l’ordre : L’Esprit folet, La Coifeuse à la mode, La Dame suivante, Les Fausses Veritez et L’Absent chez soy. On a relié par erreur, entre les pages 80 et 81, Les Fausses Veritez et L’Absent chez soy.

– Arsenal : Rf. 6.610. (support imprimé, in-4°, [VIII]-168 p.). Ce recueil, intitulé Comédies du Sieur d’Ouville, contient dans l’ordre : L’Esprit folet, Les Fausses Veritez, L’Absent chez soy, La Dame suivante et La Coifeuse à la mode.

– B.M. Rouen : Norm. m. 714 (support imprimé, in-4°, [VIII]-168 p.). Ce recueil factice contient, outre Les Fausses Veritez et La Dame suivante d’Ouville, La Clarimonde de Baro et Agesilan de Colchos de Rotrou.

Les deux exemplaires de la BNF et celui de la BM de Rouen sont identiques. L’exemplaire de la bibliothèque de l’Arsenal contient une variante : au vers 1814 est inscrit « Dieuz ! » alors que les trois autres exemplaires donnent « Dieux ! ». Nous avons suivi, pour établir notre texte, celui de la bibliothèque de l’Arsenal ( Rf. 6.610 ) ; en voici la description :

(1) : LA / DAME / SUIVANTE. / COMEDIE. / (Vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, / au Palais, sous la / montée de la Cour des Aydes. /M. DC. XXXXV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

(2) : verso blanc.

(3-6) : A / MONSEIGNEUR / LE DUC / DE GUISE, &C. / MONSEIGNEUR. (épître dédicatoire ).

(7) : EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. (avec l’achevé d’imprimer en date du 8 août 1645).

(8) : LES ACTEURS.

1-168 : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page.

Établissement du texte §

Pour établir le texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition. Nous avons respecté l’orthographe et la ponctuation originales. Nous avons cependant effectué quelques modifications d’usage qui en rendent la compréhension plus facile :

– nous avons apporté les modifications traditionnelles aux usages typographiques qui pourraient gêner le lecteur d’aujourd’hui. Ainsi, nous avons distingué les voyelles i et u des consonnes j et v, conformément à l’usage moderne ;

– nous avons supprimé le tilde qui était employé pour indiquer la nasalisation d’une voyelle, et avons décomposé ces voyelles nasales en voyelle + consonne ;

– nous avons décomposé la ligature & en et, de même que le en ss ;

– nous avons corrigé certains accents, pour distinguer adverbe et la article et adverbe de ou conjonction de coordination.

– nous avons respecté la graphie originelle des mots r’entrer et n’aguere.

– enfin, nous avons corrigé la ponctuation lorsque celle-ci ne nous paraissait pas pertinente. Il faut cependant savoir qu’au dix-septième siècle, la ponctuation était orale, puisque la poésie était un type d’écriture destiné à être exclusivement dit à voix haute. La ponctuation était vocale, destinée à marquer des pauses dans le discours et non pas syntaxique, comme c’est le cas aujourd’hui, où elle est destinée à être comprise par la vue seule. Ainsi, la virgule marquait une petite pause dans le discours à voix haute : il est d’ailleurs fréquent qu’une tirade se termine par une virgule, ce qui signifie que le personnage a été interrompu alors qu’il n’avait pas fini sa phrase et n’a donc pas baissé la voix. De même, le point d’interrogation était, au dix-septième siècle, autant un signe d’intonation qu’une marque grammaticale. Il n’est donc pas étonnant de voir un point d’interrogation conclure une phrase affirmative, puisqu’il est la marque d’intonation d’un personnage ému. Le point lui-même peut être un point d’intonation et figurer là où nous attendrions en français moderne un point d’interrogation, signifiant alors que l’interrogation est purement oratoire, sans montée de voix. Cependant, il arrive que la ponctuation du texte original ne soit pas pertinente ; nous avons alors procédé à des corrections, dont nous avons relevé les occurrences dans la liste des rectifications ci-dessous.

Un astérisque* à la fin d’un mot renvoie le lecteur au lexique, pour une définition du mot en usage au dix-septième siècle, dont la définition actuelle différerait.

Rectifications §

Nous donnons ci-dessous la liste des erreurs et coquilles qui ont été corrigées dans le texte que nous proposons.

Acte I §

Vers 40 aumoins / 156 Jene / 199 faire :

Acte II §

vers 410 me gesne m’embarasse, / 447 estrange ? / 463 propices ? / 509 regardant / 528 Je l’aime / 598 fatisferez / 618 tu passe / 642 Excusez-là, / 754 plaisir ;

Acte III §

page 71 ( première didascalie ) masque. / 765 desseins ? / page 95 ( entre les vers 991 et 992 ) CARLIN. / 998 Amours ? / 1048 vueilliez / 1080 tu monstre / 1081 tu l’a dis,

Acte IV §

vers 1150 je la suis / 1179 jusques à / 1243 outragée / 1245 où / page 125 (entre les vers 1352 et 1353) ADRATSE. / 1384 vo9 / 1468 qu’il est ? / 1491 cet offence :

Acte V §

vers 1544 ceda / 1610 prins / 1611 exprez moy. / 1637 l’heure sans, doute, / 1771 en vous tesmoignant / 1774 vous oublier / page 161 (entre les vers 1781 et 1782) avec suitte Climante / 1814 Dieuz ! / 1846 Qui ferois-je, / 1857 Nais / 1881 qu’il soit, nuict

LA
DAME
SUIVANTE.
COMEDIE. §

EPISTRE.
A MONSEIGNEUR
LE DUC
DE GUISE30, &c. §

MONSEIGNEUR ,

Encor que VOSTRE ALTESSE ne se doive abbaisser qu’à des choses serieuses, elle me pardonnera, s’il luy plaist, si je prens la hardiesse de me servir de son nom pour la protection de cet ouvrage que je mets au jour. Quand le monde sçaura qu’il luy a pleu par deux fois de suite voir la representation de cette Piece, & qu’elle y a trouvé beaucoup de divertissement, comme elle mesme m’a fait l’honneur de m’en asseurer, je suis tres certain que personne ne la trouvera mauvaise. Cette particularité donc m’estant necessaire pour faire taire les critiques, V.A. trouvera bon, MONSEIGNEUR, que je me serve de toutes mes pieces en une chose qui m’est d’une telle consequence. Si V.A. estime cet ouvrage indigne d’elle, je me console, que pour grand qu’il puisse estre, il n’aura jamais cette qualité. Cette Comedie a eu l’heur31 de reüssir sur le Theatre, & d’avoir attiré l’approbation des plus difficiles pour ce qui est du sujet que l’on a trouvé surprenant, extrémement intrigué, & raisonnablement débrouillé ; Et puis que V.A. a eu assez de bonte, comme j’ay dit, d’avoir honoré sa representation par deux fois de son Illustre presence, elle y aura, sans doute, trouvé des satisfactions qu’elle n’aura pas sur ce papier ; les Acteurs luy ont donné beaucoup d’éclat, & je ne croy pas que toute nuë elle paroisse dans vostre Cabinet avec toutes les graces & tous les avantages que l’Art luy a donné ; aussi n’ay-je pas la presomption de croire qu’estant à present occupé à faire paroistre vostre genereux Courage contre les Ennemis de cet Estat, vous vous amusiez à jetter les yeux dessus, ny que vous dérobiez à la gloire de vostre Prince que vous servez, des moments qui luy sont si necessaires pour considerer cette bagatelle.. Je me contenteray seulement, MONSEIGNEUR, de sçavoir que V.A. m’honore jusques-là de luy donner place dans vostre Biblioteque, & que cette Dame Suivante ait l’honneur de l’estre de quantité de graves Autheurs qui la remplissent, & qu’elle m’acquiere celuy où il y a si long-temps que j’aspire de me pouvoir qualifier,

MONSEIGNEUR,

DE VOSTRE ALTESSE,

Le tres-humble, & tres-

obeïssant serviteur,

D’OUVILLE

LES ACTEURS, §

  • CLIMANTE, Cavalier Parisien, Amoureux de Leonor.
  • ADRASTE, Cavalier Parisien, Amy de Climante, & Amoureux d’Isabelle.
  • CARLIN, Valet bouffon de Climante, & Amoureux de Dorise.
  • ISABELLE, Damoiselle Lyonnoise, Maistresse d’Adraste & Amoureuse de Climante.
  • DORISE, Suivante d’Isabelle, & Amoureuse de Carlin.
  • LUCILLE, Damoiselle Suivante de Leonor.
  • PAMPHILE, Vieillard, Maistre d’Hostel d’Isabelle.
  • ARISTE, Serviteur, Confident d’Adraste.
  • TIMANDRE, Vieillard, Oncle de Leonor.
  • LEONOR, Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Climante.
La Scene est à Paris.

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

CLIMANTE, ADRASTE.

CLIMANTE.

Oüy vous avez querelle, et je sçay de certain32 [p. 1]
Que vous vous allez batre, Adraste à quel dessein
Vous cachez-vous de moy ?

ADRASTE.

L’estrange resverie ! [p. 2]

CLIMANTE.

Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie,
5 Aussi bien d’aujourd’huy je ne vous quitte point :
Et quoy méprisez-vous vos Amys à ce poinct ?

ADRASTE.

Ah vous me contraignez*.

CLIMANTE.

Mon devoir me l’ordonne,
Enfin de tout le jour je ne vous abandonne.

ADRASTE.

En pensant me servir, vous nous perdez33 tous deux.

CLIMANTE.

10 Dites-m’en la raison.

ADRASTE.

Climante je le veux.
Je ne m’en puis desdire, il faut pour me deffaire
De vos civilitez enfin vous satisfaire :
Oüy, vous avez raison, je ne le puis nier, [p. 3]
Je m’en vay de ce pas trouver un Cavalier
15 Que l’on a mal traitté, qui veut en ma presence,
Tirer l’espee au poing raison de cette offence,
Je ne suis que second, et fais ce que je doy ;
Vous auriez grand sujet* de vous plaindre de moy,
Me trouvant l’agresseur34, si j’en employois d’autres,
20 Et fiois mon honneur en d’autres mains qu’aux vostres.

CLIMANTE.

S’il est vray, je vous laisse et sans plus contester,
Je ne doy davantage ici vous arrester*.

ADRASTE.

Si je reviens vainqueur d’où l’honneur nous appelle,
Vous sçaurez le premier cette heureuse nouvelle.

CLIMANTE.

25 Adieu donc cher Amy, puis que je ne puis mieux,
Je vay faire pour vous des prieres aux Cieux. 
[p. 4]

SCENE II. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE dans la ruë.

Je le quitte à regret. Le sort douteux des armes
Pour ce parfait amy me donne des alarmes.
Qui t’ameine Carlin ?

CARLIN.

Je vous viens advertir
30 Que ce soir Leonor s’en va se divertir* :
Mais quoy ? recevez-vous avec si peu de joye
Ce bien inesperé que le Ciel vous envoye ?
Je vous le fais sçavoir par son commandement.

CLIMANTE.

Mais que veut cette femme ?

CARLIN.

Elle vient brusquement.
[p. 5]

SCENE III. §

ISABELLE, DORISE, CLIMANTE, CARLIN.

ISABELLE.

35 Protegez, Cavalier, une innocente femme,
Qu’un jaloux sans sujet* veut traitter en infame ;
Je me jette à vos pieds, j’embrasse vos genoux,
Sauvez-moy s’il vous plaist des mains de mon époux ;
Et souffrez, que si c’est ici vostre demeure,
40 Elle me serve au moins35 d’azile pour une heure.
Mon jaloux furieux suit l’épee à la main
Un jeune Cavalier, qui sans mauvais dessein
Discouroit avec moy dans ma chambre, et je jure
Qu’il n’a receu de luy, ny de moy nulle injure :
45 Mais quoy ? c’est un brutal* qui n’entend point raison.

CLIMANTE.

Ne craignez rien, Madame, entrez dans ma maison,
Ou s’il veut contre vous quelque chose entreprendre
Je ne manqueray point de cœur pour vous deffendre,
Ny d’amis s’il m’en faut en ce pressant besoin,
50 Y deusse-je perir, non laissez m’en le soin. [p. 6]

ISABELLE.

Je vous devray, Monsieur, et l’honneur et la vie ;
A la chaude* je crains de me voir poursuivie,
Cachez-moy seulement pour deux heures ici,
Je ne crains rien apres, laissez-m’en le souci*,
55 J’ay moyen de me mettre en un lieu d’asseurance.

CLIMANTE.

Je prens de tout mon cœur en main vostre defense,
Et donneray bon ordre à vostre seureté.

ISABELLE.

Vostre cœur marque icy sa generosité.

CLIMANTE.

Quand de mille jaloux vous seriez poursuivie,
60 Je vous garantirois où je perdrois la vie.

ISABELLE.

J’accepte cet honneur, mais à condition
Qu’encor je vous auray cette obligation,
Que dans l’apartement où vous me voulez mettre,
Nul n’entrera que vous, le voulez-vous promettre ?
[p. 7]

CLIMANTE.

65 Non seulement je doy vous accorder ce poinct,
Mais s’il vous plaist encor, je ne vous verray point.
Il luy donne une clef.
Madame, entrez, voila la clef que je vous donne,
Enfermez-vous dedans, et n’ouvrez à personne,
Je m’en vay voir dehors si l’on vous poursuit pas.
70 Carlin, va la conduire.
Carlin sort.

SCENE IV. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE, seul.

O Dieux qu’elle a d’appas,
Ou le masque me trompe, ou cet objet* aimable
Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ;
Ah Dieux ! qu’elle a de grace à plaindre son malheur36 ?
Et que je suis touché de sa juste douleur,
75 Que contre ce jaloux ma colere s’irrite ;
Carlin rentre.
Je n’ay que d’un moment retardé ma visite.
Pardonnez37 Leonor : Allons, suy-moy Carlin.

CARLIN.

En verité, Monsieur vous n’estes guere fin, [p. 8]
Je viens à double tour de fermer la valise ;
80 Comment laisser entrer avec tant de franchise
Ces visages chez vous qui vous sont incognus ?
J’ay mis en seureté ce sac de quarts-d’escus
Que vous m’aviez donné pour faire la despense.
Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ;
85 Dans Paris nous devons de tout nous deffier*,
Je ne laisserois pas à leur voye38 un denier,
Je serois un niais si j’estois si credule,
Puis vous m’accuseriez d’avoir ferré la mule*.

CLIMANTE.

Ta deffiance icy paroist hors de saison,
90 Considere leur mine, ah tu n’as pas raison.

CARLIN.

Ne nous fions, Monsieur, nullement aux visages,
Chacun joüe à Paris d’estranges personnages,
Et sans vous faire tort je cognoy des filoux
Qui du moins ont la mine aussi bonne que vous.
95 Quand aux Dames aussi, telle fait la doucette
Qui sçait subtilement ployer une toilette*.

CLIMANTE.

Laissons-là ce discours, tai-toy, sortons d’icy. [p. 9]

SCENE V. §

ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante.

ISABELLE.

Sont-ils partis, Dorise39.

DORISE.

Ouy : Mais Dieux qu’est-cecy !
Veillay-je*, ou si je dors ? quelle est cette advanture ?
100 A-t’on jamais parlé de pareille imposture ?
Vous estes fille encor, et d’un mary jaloux
Vous fuyez la colere ! ô Dieux que dites-vous !
Lors que si brusquement vous estes descenduë,
Laissant vostre carosse au coin de cette ruë,
105 Faisant signe au cocher de vous attendre-là,
Je n’ay peu deviner où tendoit tout cela :
Vous avez d’un tel art appuyé cette fable
Que j’ay creu, peu s’en faut, qu’elle estoit veritable,
Et j’ay tourné les yeux plusieurs fois tout exprez, [p. 10]
110 Croyant que ce mary vous poursuivoit de prez :
Vous femme ! O Dieux qu’entens-je ? estes-vous insensée ?

ISABELLE.

Il est force*40 qu’icy je t’ouvre ma pensée,
Puis qu’à chaque moment j’auray besoin de toy,
Je t’en veux declarer la cause, escoute-moy,
115 Dorise, tu sçais bien que je suis estrangere,
Que je suis fille unique, et sans pere et sans mere,
Et je puis declarer icy sans vanité,
Qu’avec si peu qu’on dit estre en moy de beauté,
Je possede de plus des biens en abondance,
120 Lyon41 est, tu le sçais, le lieu de ma naissance,
D’où je suis arrivée à Paris, à dessein
D’y poursuivre un procez dont j’espere le gain,
Qui m’importe beaucoup ; Mais qu’est-il necessaire
De venir à present te conter cette affaire,
125 Tu le sçais comme moy, brisons*, venons au poinct,
Et declarons un fait qu’encor tu ne sçais point.
Jusques ici j’estois à l’Amour insensible,
Mais en voyant Climante, il me fut impossible
De resister aux traicts d’un si puissant Vainqueur,
130 Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur :
Mais avant que de faire un entier sacrifice [p. 11]
De ce cœur à Climante, admire mon caprice :
J’ay desiré sçavoir s’il estoit genereux,
Afin de preferer à celle d’Amoureux
135 Cette vertu que j’ayme en un cœur magnanime,
Sans laquelle je fay des autres peu d’estime :
Doutant s’il estoit tel, j’ay feint pour le sçavoir,
Ce que tu viens d’entendre, et que tu viens de voir,
Pour cognoistre en effet, s’il auroit l’asseurance*
140 De vouloir hazarder* sa vie en ma defence :
Ce qu’il a fait, Dorise, avec un cœur si franc,
Qu’il n’a point hesité de prodiguer son sang,
Il s’est offert à moi, mais de si bonne grace,
Qu’ il n’est rien à present que pour luy je ne face ;
145 Puis donc que j’ay cognu ce qu’il est aujourd’huy,
Je n’ay plus qu’une chose à desirer pour lui.

DORISE.

Quelle est-elle, Madame ?

ISABELLE.

Ah Dorise ! qu’il m’aime.

DORISE.

Moderez les transports* de cette ardeur extréme,
Pardonnez si je dy que vous avez grand tort, [p. 12]
150 Adraste qui vous aime, et vous cherit si fort
Merite-t’il de vous un traitement si rude,
De le vouloir payer de telle ingratitude ?

ISABELLE.

Adraste est importun, il desplaist à mes yeux,
Dorise, ses respects me sont tous odieux,
155 Ses transports* amoureux excitent ma cholere,
Je ne42 le puis souffrir ;

DORISE.

Que pretendez-vous faire,
Attendant que Climante ici soit de retour ?

ISABELLE.

Seconde mes desseins, je t’en conjure Amour,
Fay qu’en ce cabinet ma douleur se dissipe.

DORISE.

160 Je crains bien que Climante ici ne s’émancipe,
Vous vous embarassez l’esprit mal à propos.

ISABELLE.

Va Dorise, tay-toy, si je perds le repos
Avec la liberté, je n’ay point, ce me semble, [p. 13]
Perdu le jugement.

DORISE.

Je le croy, mais j’en tremble.

SCENE VI. §

LEONOR, CARLIN, CLIMANTE dans la ruë.

LEONOR.

165 Qu’on fasse promptement avancer mon cocher43.

CARLIN.

Je viens presentement* de l’envoyer chercher,
Car il n’est pas ici, ne croyant pas, peut-estre,
Que vous vinsiez si-tost.

LEONOR.

Voyez un peu le traistre,
Me laisser à la ruë à telle heure qu’il est ? [p. 14]
170 Rentrons,

CARLIN.

Tout est fermé.

CLIMANTE.

Madame, s’il vous plaist
Venir en mon logis attendant sa venuë.

LEONOR.

Quoy ! demeurerions-nous à pied dedans la ruë
A telle heure qu’il est ! allons je le veux bien.

CLIMANTE.

C’est à vingt pas d’ici.

CARLIN bas.

Dieux ! il ne songe à rien ;
175 Il ne se souvient plus de la Dame enfermée,
Leonor seroit bien de cholere animée
Venant à la trouver : Dieux tout seroit perdu ;
Il l’en faut advertir ; Monsieur.

CLIMANTE.

Que me veux-tu ?

CARLIN bas à Climante.

Vous ne songez à rien : craignez-vous point le blâme [p. 15]
180 Qu’elle vous donneroit, en voyant cette femme
Que vous tenez chez vous ?

CLIMANTE bas à Carlin.

J’ay les sens tous confus,
Je proteste*, Carlin, que je n’y songeois plus.
Quel remede à present ? comment pourray-je faire ?

CARLIN bas à Climante.

Vous ne pourriez jamais appaiser sa cholere,
185 Gardez-la d’y venir.

CLIMANTE bas à Carlin.

C’est ce que je pretends.

LEONOR.

Ce discours entre vous durera-t’il long-temps ?
Dépeschons-nous, Climante, allons.

CLIMANTE.

Non, non, Madame,
On en pourroit causer, et vous donner du blâme,
Le cocher va venir, attendons s’il vous plaist, [p. 16]
190 Il seroit indecent à telle heure qu’il est
Que l’on vous vist chez moy.

LEONOR bas.

Grands Dieux, je desespere,
Sans doute ce discours cache quelque mistere.

CARLIN.

Le cocher est venu.

LEONOR bas.

Je creve de courroux.

CLIMANTE.

Il vaut donc mieux, Madame, aller tout droit chez vous.

LEONOR.

195 Je ne me repais pas d’une fourbe pareille,
Carlin vous a parlé quelque temps à l’oreille,
Dont44 vostre esprit confus paroist tout interdit,
Sçachons ce qui vous trouble, et ce qu’il vous a dit.

CLIMANTE.

Madame il est bien vray que je le voulois taire45 : [p. 17]
200 Mais si vous le voulez il vous faut satisfaire,
Je vous l’ay teu de peur de vous inquieter,
Adraste est mon Amy, vous n’en pouvez douter,
Mesme il vous fut un temps serviteur tres-fidele :
Je viens d’aprendre ici qu’il avoit eu querelle.

LEONOR bas.

205 Tu ments, et tu sçais mal couvrir ta trahison,
Dissimulons pourtant.
Haut.
Oüy vous avez raison :
Allez à vostre Adraste offrir vostre service,
Si je vous arrestois je ferois injustice,
Vostre logis est prez, je m’en iray sans vous.

CLIMANTE.

210 Madame s’il vous plaist.

LEONOR bas.

Je brusle de courroux.
Non demeurez ici :
Bas.
Que ce discours me picque*.

CLIMANTE.

Vous me le commandez, j’obey sans replique. [p. 18]

CARLIN.

Mieux que nous n’esperions la chose a reüssi.

SCENE VII. §

ISABELLE, DORISE dans la chambre de Climante.

ISABELLE.

Climante tarde trop, retirons-nous d’ici,
215 Quelle peine grands Dieux à la mienne est egale ?
Sans doute il s’entretient avec quelque rivale,
Quelque objet* plus puissant aura peu le charmer.

DORISE.

Vous ne l’en pouvez pas ce me semble blâmer,
Puis qu’il ne peut sçavoir que vous l’aimez encore.

ISABELLE.

220 Helas si je me plains du feu qui me devore, [p. 19]
Je n’en accuse ici que mon propre malheur.

DORISE.

Parlez luy franchement, ouvrez luy vostre cœur.

ISABELLE.

Ce seroit encor pis.

DORISE.

Que voulez-vous donc faire ?

ISABELLE.

Il faut bien me resoudre à souffrir, et me taire,
225 Puis que je ne voy point de remede à mon mal :
Ah ! ce retardement* est un signe fatal
Que l’ingrat aime ailleurs, helas il me mesprise !
Sortons, fay r’aprocher mon carosse, Dorise.

DORISE.

Demeurerez-vous seule ?

ISABELLE.

Oüy, que redoutes-tu ?

DORISE.

230 Je croy bien que Climante est la mesme Vertu ; [p. 20]
Mais pourtant.

ISABELLE.

A quoy bon d’avoir ces meffiances,
Va va, je ne suis pas si seule que tu penses,
J’ay bonne compagnie estant seule avec moy.
Dorise en sortant rencontre Climante.

SCENE VIII. §

CLIMANTE, DORISE, ISABELLE.

CLIMANTE dans la mesme chambre.

Que fait vostre Maistresse ?

DORISE.

Elle n’a plus je croy
235 Tant de troubles dans l’ame, elle est bien consolée [p. 21]
Depuis qu’elle a receu la faveur signalée*
Qu’il vous a pleu46.

CLIMANTE.

Sçachez si je la pourrois voir.

DORISE.

Je croy qu’oüy47, Monsieur, je m’en vay le sçavoir.
Elle parle à Isabelle par la porte du cabinet.
Ce Cavalier, Madame, est ici qui desire48

ISABELLE dedans, l’interrompant.

240 Tai-toy, je sçais assez ce que tu me veux dire,
Je me masque, et je sors.
Elle sort masquée.
Je commençois Monsieur,
D’estre en peine* de vous, et je mourois de peur
Que mon jaloux Mary49.

CLIMANTE.

Je n’ay rien veu, Madame,
Mais mon retardement* merite un peu de blâme,
245 Le devoir m’a forcé de vous quitter ainsi.

ISABELLE.

Il est tard, permettez que je sorte d’ici,
Je n’ay plus rien à craindre, adieu, je vous rends grace : [p. 22]
A Dorise.
Va trouver ma cousine, et luy dy qu’elle fasse
Aprester son carosse ; il fait desja bien noir,
250 Il me faudra coucher chez elle pour ce soir.

DORISE.

Bien, j’y cours ;
Dorise sort.

CLIMANTE.

Il n’est pas si tard comme vous dites.

ISABELLE.

Des lieux d’où vous venez de faire vos visites,
Le temps vous a semblé beaucoup plus court qu’à nous.

CLIMANTE.

Je l’aurois mieux passé sans doute auprez de vous.
255 Où voulez-vous aller, quelle affaire vous presse ?
Certes pour cette nuict vous serez mon Hostesse,
Disposez du logis.

ISABELLE.

Il est bien plus seant
D’aller où l’on m’attend. [p. 23]

CLIMANTE.

Obligez*-moy devant*
De me permettre au moins d’avoir cet avantage
260 De contempler les traits de ce parfait visage.

ISABELLE.

Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait,
Et vous en allez estre assez mal satisfait.
Comme elle veut oster son masque on frappe à la porte.
Toutesfois pardonnez50, on frappe à cette porte :
Grands Dieux, j’aymerois mieux mille fois estre morte
265 Qu’un autre homme que vous me vist dedans ces lieux.

CARLIN.

C’est Adraste, Monsieur.

ISABELLE.

Adraste, justes Dieux !

CLIMANTE.

Quel estrange accident* vous cause cette veuë.

ISABELLE.

Si cet homme me voit, Monsieur, je suis perduë, [p. 24]
Il est proche parent du Mary que je crains.

CLIMANTE.

270 R’entrez, et là dedans vos soubçons seront vains,
Ne redoutez, Madame, ici nulle surprise.
Isabelle entre dans le Cabinet qu’on s’imagine estre derriere le Theatre, et Climante l’y conduit.

SCENE IX. §

ADRASTE, CLIMANTE.

ADRASTE seul dans la mesme chambre.

Dieux que je suis surpris ! seroit-ce bien Dorise
Que j’ay veuë en entrant ? non, non, cela n’est pas :
Car quel Demon pourroit conduire ici ses pas ?
275 Non, ma veuë aisément se peut estre trompée, [p. 25]
Et ma peur en ce lieu doit estre dissipée.
Dorise, justes Dieux ! pourquoy sortir d’ici ?
Non cela ne peut estre.
Climante sort du cabinet.

CLIMANTE.

Adraste, vous voici ?
J’en suis ravi, comment s’est terminé l’affaire ?

ADRASTE.

280 Nous avons eu tous deux la Fortune prospere :
Entrons au cabinet.

CLIMANTE le repoussant.

N’entrez pas là.

ADRASTE.

Pourquoy ?

CLIMANTE.

Ainsi que vous n’avez rien de caché pour moy,
Je n’ay pour vous, Adraste, aucun secret en l’ame.
Quoy qu’on m’ait defendu de le dire, une Dame
285 Est là, qui ne veut point que vous sçachiez son nom, [p. 26]
Ny que vous la voyez51.

ADRASTE.

Mais pour quelle raison ?

CLIMANTE.

Je vous diray que52 c’est53.

ADRASTE.

Dites tost je vous prie

CLIMANTE bas.

Il faut en ce besoin user de menterie*.
Haut.
Cher Adraste, je veux vous parler franchement ;
290 Leonor est entrée en cet apartement,
Qui d’autre que de moy ne veut point estre veuë :
Elle est preste à sortir.

ADRASTE.

Je vay donc dans la ruë
Attendant qu’elle sorte. [p. 27]

CLIMANTE.

Allez-y faire un tour.

ADRASTE bas.

Courage, tout va bien, je te rends grace, Amour,
295 Que ce soit Leonor, et non pas Isabelle.

CLIMANTE.

Vous me permettrez bien de r’entrer avec elle.
Climante r’entre dans le Cabinet.
[p. 28]

SCENE X. §

LEONOR, ADRASTE, CARLIN, CLIMANTE, DORISE, ISABELLE, LUCILLE.
Comme Adraste veut sortir de la chambre, il rencontre à la porte Leonor qui vient voir Climante54.

LEONOR.

C’est Adraste qui sort de chez luy.

ADRASTE.

Qui va là ?

LEONOR.

C’est moy, c’est Leonor.

ADRASTE.

Que veut dire cela ?
Leonor, est-ce vous ?

LEONOR.

Vous m’avez mise en peine, [p. 29]
300 C’est vostre seul sujet*, Adraste, qui m’emmeine*,
Je me réjoüy fort de vous voir en santé*.

ADRASTE.

Quelles illusions ! quoy donc suis-je enchanté* !
Pouvez-vous estre ici (Dieux cela m’épouvante)
Et dans un cabinet encor, avec Climante ?

LEONOR.

305 Adraste, révez-vous ?

ADRASTE.

Luy-mesme me l’a dit.

LEONOR.

Ah ! je m’en doutois bien, Adraste, on me trahit.

ADRASTE bas.

Mais moi-mesme, ah l’ingrate ! ah Dieux l’ame infidelle !
Allons droit de ce pas au logis d’Isabelle ;
Haut.
Madame, je vous quitte ; ah ! j’en eusse juré. [p. 30]
Adraste sort.

LEONOR entre dans la chambre où elle trouve Carlin.

310 Que fait ton Maistre ?

CARLIN.

Il est, que je croy, retiré*.

LEONOR.

Ouvre, je le veux voir.

CARLIN bas.

La chose est sans remede.
Climante sort du cabinet.
Tout est perdu, Monsieur :

CLIMANTE bas.

Dieux soyez à mon aide :
Haut.
Quel excez de faveur à ces heures ici ?

LEONOR.

Ne vous estonnez pas, j’en dois user ainsi.
315 Je ne puis oublier qu’Adraste m’a servie,
Et comme il a couru fortune de la vie,
Comme vous m’avez dit, je veux sçavoir comment
S’est passé son affaire.

CLIMANTE.

A son contentement. [p. 31]

LEONOR.

Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle,
320 Cette tapisserie est de façon nouvelle ;
Où sont vos beaux Tableaux ?

CLIMANTE.

Dedans mon cabinet55.

LEONOR.

Entrons, je les veux voir.
Elle va pour entrer, et Climante l’arreste.

CLIMANTE.

Madame, il n’est pas net :
Demain asseurément je prendray plus de peine
Pour le mieux ajuster*.

LEONOR.

Cette raison est vaine,
325 Qu’importe56 :

CLIMANTE bas.

Ah je meurs ! Non vous n’entrerez point.

LEONOR.

Climante, je vous trouve interdit de tout point ; [p. 32]
C’est pour ce seul sujet* que j’en ay plus d’envie,
Je verray ce que c’est, ou je perdray la vie.

CLIMANTE la retenant.

Pour cause, n’entrez point.

LEONOR.

Je veux sçavoir que57 c’est :
Bas.
330 Sans doute on me trahit.

DORISE entre qui la prend pour sa Maistresse.

Le carosse est tout prest,
Madame on vous attend.

LEONOR.

Ce message s’adresse
A d’autre58.

DORISE surprise.

Je pensois parler à ma Maistresse ;
Qu’est-elle devenuë ? [p. 33]

CLIMANTE bas.

Ah que je suis confus !

LEONOR.

Ce Cavalier pourra respondre là dessus.
A Climante.
335 Dy perfide, à present que tu n’es pas un traistre59 ?
N’es-tu pas convaincu* ?

CLIMANTE.

Je vous feray paroistre
Que je suis innocent, Madame, croyez-moy.

LEONOR.

Comment pourrois-tu l’estre, ingrat ? dy moy pourquoy ?
Tu tiens au cabinet une femme enfermée :
340 Crois-tu tromper mes sens comme à l’accoustumée ?

CLIMANTE.

Vous m’accusez à tort, et vous avez raison :
Un Amy m’a tantost demandé ma maison
Pour pouvoir librement parler à sa Maistresse :
Ils sont seuls là dedans. [p. 34]

LEONOR bas.

Il ment avec adresse ;
Haut.
345 S’il est vray j’ay grand tort.

CLIMANTE.

Madame, asseurément
Il n’est rien de plus vray.

ISABELLE sort du cabinet masquée, et dit.

Je proteste* qu’il ment,
Climante, à quel dessein une telle imposture ?
Et m’y faire servir de pretexte ?

LEONOR.

Ah ! parjure,
Auras-tu bien le front* encor de repartir* !

CLIMANTE.

350 Croyez qu’asseurément je la vay démentir*.
A Isabelle.
Ne nous déguisez rien, au nom des Dieux, Madame,
Dites pour quel sujet*.

LEONOR.

Ah le traistre ! ah l’infame ! [p. 35]
A-t’il encor le front* de vouloir contester ?

ISABELLE.

Suffit-il point, Climante, ici de m’affronter,
355 Sans me faire mentir ?

CLIMANTE.

Dieux quelle effronterie.
Pouvez-vous soustenir ?

ISABELLE.

Climante, je vous prie
De ne m’obliger point maintenant à parler,
Car quand on me dément* je ne puis rien celer.

CLIMANTE.

Parlez, je ne crains rien.

LEONOR.

Voyez un peu l’audace.

ISABELLE à Leonor.

360 Je m’en vay donc parler, escoutez-moy de grace,
Je vous dis franchement, si vous voulez sçavoir [p. 36]
Qui60 m’emmeine* en ce lieu : c’est luy, c’est pour l’y voir.
Comme nous discourions, et nous tenions ensemble
Quelque propos d’Amour, un Amy ce me semble,
365 Est venu pour le voir : luy tout surpris me met
Pour me cacher de luy dedans ce cabinet.
Incontinent* apres vous estes arrivée,
Qui pensiez me braver, mais je vous ay bravée :
Ma servante est venuë incontinent* apres
370 M’advertir devant vous, qu’un carosse ici prez
M’attend pour me mener* ; Madame je vous cede
Le bien que j’y pretends ; Quoy que je le possede
Ne m’en sçachez pas gré, c’est peu vous obliger*
De vous faire un present d’un Amant si leger.
Bas.
375 Que leur confusion encor est redoublée :
Mais ils sont moins confus que je ne suis troublée.

CLIMANTE à Leonor.

Madame, prenez garde aux sermens que je fais.

LEONOR.

Traistre, n’espere pas de me revoir jamais.
Elle s’en veut aller, et Climante la retient.

ISABELLE à Dorise.

Allons mamie, allons ;

DORISE bas à Isabelle.

J’ay la clef de la porte, [p. 37]
380 La rendray-je ?

ISABELLE bas à Dorise.

Non pas, ainsi que toy j’emporte
Celle du cabinet.

LEONOR à Climante.

Va, tu n’es qu’un trompeur.

ISABELLE bas à Dorise.

Ce sont gages des lieux où je laisse mon cœur.
Isabelle et Dorise sortent.

CLIMANTE à Leonor, la retenant.

Madame demeurez, escoutez-moy de grace.

LEONOR.

Si c’est avec dessein que je me satisface61,
385 Je ne le suis que trop de vos perfides traits ;
Adieu, perfide, ingrat.
Leonor et Lucille sortent.

CLIMANTE.

Carlin, courons apres,
Car ma vie en dépend. [p. 38]

CARLIN.

Voyez quelle malice,
Si je m’en deffiois c’estoit avec justice.

CLIMANTE.

Courons, cette impudente a destruit mon amour.

CARLIN.

390 L’adrette62, la matoise*, ô Dieux le plaisant tour !
Ils courent apres Leonor.

Fin du premier Acte.

[p. 39]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

ADRASTE, ARISTE dans la ruë à la porte de Climante.

ADRASTE.

Quoy, Climante n’est pas en son logis, Ariste ?

ARISTE.

Non, mais desirez-vous estre ainsi toûjours triste ?
Reprenez une fois vos esprits : quoy Monsieur,
Voulez-vous toûjours estre en si mauvaise humeur ?
395 Qu’est devenu ce cœur jadis plein de constance ?
N’estes-vous point guery de cette deffiance ?

ADRASTE.

J’y suis plus que jamais, Ariste, et je ne puis [p. 40]
Retirer mon esprit de ce gouffre d’ennuis*,
Je ne cognoy plus rien capable de me plaire,
400 Je ne sçais que te dire, et je ne puis que faire.
Puis-je estre moins confus et moins embarassé ?
N’as-tu pas sceu de moy tout ce qui s’est passé ?
Tout ce qu’hier au soir m’arriva chez Climante ?
Ariste plus j’y pense, et plus mon mal s’augmente.
405 Il est vray que Climante a fait tout son effort
Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ;
Mais quoy qu’il puisse dire, et quoy qu’il puisse feindre,
J’ay bien moins de sujet* d’esperer que de craindre,
Bien loin de m’esclaircir, son excuse m’aigrit,
410 Me gesne63, m’embarasse, et me trouble l’esprit :
Je voy dans ce cahos mes raisons confonduës :
Doy-je douter encor des choses que j’ay veuës ?
Et dans ce grand malheur que je craignois le moins,
Doy-je accuser mes yeux d’estre deux faux témoins ?
415 Avec mes Ennemis sont-ils d’intelligence* ?
Mais doy-je croire aussi que Climante m’offence ?
Non, non, je ne doy point soubçonner en effet,
Rien qui puisse offencer un Amy si parfait,
Il aime Leonor, il meurt d’amour pour elle, [p. 41]
420 Et je ne pense pas qu’il cognoisse Isabelle.
Non, non, mes faux soubçons m’ont tres-mal adverti,
Et quiconque m’en dit autant qu’eux a menti ;
Vous vous trompez, mes yeux, et Climante sans doute
M’a dit la verité : non vous ne voyez goute*,
425 Vous l’accusez à faux* ; mais hier en effet,
Climante embarassé fut pris dessus le fait,
Son mensonge d’abord me parut manifeste ;
A quoy bon me mentir ? puis quand je pense au reste
Je me trouve surpris d’une estrange façon,
430 Et le tout joint ensemble accroit bien mon soubçon :
Je fus hier au soir au logis d’Isabelle,
Et je vy que fort tard elle r’entroit chez elle ; 
Lors*64 sans me faire voir je rebroussé65 chemin,
Je fus revoir Climante, et je luy dis enfin
435 Ce que j’apprehendois, je luy fy mon histoire,
Et luy dy que j’avois juste sujet* de croire
Qu’il estoit mon Rival, et que cette beauté
Qu’il m’avoit fait passer sous un nom emprunté,
Estoit mon Isabelle ; il me jure au contraire
440 Que ce n’estoit point elle, et me conte un mistere
Tellement esloigné du sujet* de ma peur,
Qu’il la fit dissiper ainsi qu’une vapeur ;
Il me jura cent fois pour m’oster cet ombrage*, [p. 42]
Qu’il n’avoit jamais veu les traits de son visage,
445 Qu’elle fuyoit des mains de son Mary jaloux,
Et de plus que j’estois parent de son Espoux ;
Si Climante dit vray, cette histoire est estrange66.

ARISTE.

Mais seroit-il point homme à vous donner le change* ?

ADRASTE.

Helas je n’en sçay rien, j’ay les sens tous67 confus :
450 Attendons que le temps m’instruise là-dessus.

ARISTE.

Mais à tout ce discours, que dit vostre Isabelle68.

ADRASTE.

C’est ce qui fait ma peine, Ariste, la cruelle
D’ici s’est absentée, et j’oserois jurer
Qu’elle l’a faict exprez pour me desesperer.
455 Dès la pointe du jour la cruelle est partie
Pour aller à Lyon, pour m’arracher la vie,
Avec dessein je croy, de n’en partir jamais,
Afin de rendre vains tous les vœux que je fais.

ARISTE.

Quel est donc donc vostre but au mal qui vous possede ? [p. 43]

ADRASTE.

460 Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ;
Si Climante avec qui je viens me consoler
N’est point à sa maison, il nous en faut aller :
Nous reviendrons tantost ; Dieux soyés69-moi propices70 !
Ne payez pas si mal mes fidelles services ;
465 Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour
Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour71.
[p. 44]

SCENE II. §

PAMPHILE, ISABELLE, LUCILLE.

PAMPHILE à la ruë, à la porte de Leonor.

Songez-y mieux, Madame, et que pensez-vous faire ?

ISABELLE.

Je veux que cela soit, Pamphile, il se faut taire,
Puis que tu me cognois resoluë à ce point,
470 Fay ce que je t’ordonne, et ne replique point.

PAMPHILE.

Tout beau*, j’entends quelqu’un.

LUCILLE.

Qui frappe à cette porte ?

PAMPHILE.

C’est moy qui voudrois bien que vous fissiez en sorte [p. 45]
Que je visse Madame.

LUCILLE.

Attendez un moment.

PAMPHILE.

Je suis ici venu par son commandement.

LUCILLE.

475 Je m’en vay de ce pas faire vostre message :
Madame va descendre ; ah Dieux quel beau visage !

PAMPHILE.

Vous nous obligez* trop.

LUCILLE.

Mon bon-homme, est-ce ici
Cette fille qui vient pour servir ?

PAMPHILE.

La voici :
C’est ma fille, Madame, et fort vostre servante72

LUCILLE.

480 C’est moy qui suis la sienne, ah qu’elle me contente ! [p. 46]
Attendez, je m’en vais de ce pas l’avertir
Qu’elle est fort agreable, elle s’en va sortir.
Lucille sort.

PAMPHILE.

Nous attendrons ici : Mais dites-moy, Madame,
Je ne puis m’empescher de vous donner du blâme.
485 Quel peut estre le but de ce déguisement,
Ce caprice nouveau m’estonne extrémement ;
Je le voy, je le touche, et j’ay peine à le croire :
Vous ne m’avez rien dit de cette estrange histoire
Que peu de chose en haste, il faloit m’avertir,
490 Au moins si l’on m’enquiert, comme il faut repartir :
N’estant pas bien instruit, on me pourroit surprendre.
Contez-moy, s’il vous plaist, et me faites entendre*
Pourquoy vous desirez entrer en cet habit
Pour servir Leonor ?

ISABELLE.

Je ne t’ay pas tout dit.
495 Sçache donc que j’adore un homme incomparable
Qui n’a rien que de grand, qui n’a rien que d’aimable,
Que Leonor aussi cherit extremement :
Il l’aime, et c’est de là d’où73 naist tout mon tourment,
Et le sujet* aussi de ces metamorphoses ; [p. 47]
500 Voy comme en peu de mots je t’ay dit bien des choses,
Sa generosité m’est cognuë à tel point,
Que si je meurs pour luy, ne t’en estonne point :
Je desire aujourd’huy par cette extravagance,
De ce couple d’Amans rompre l’intelligence* :
505 Je leur avois joüé74 cette nuit d’un beau tour,
Qui pouvoit de tout point destruire leur Amour :
Mais quoy, cette union qui leurs deux cœurs assemble
A fait qu’ils ont bien-tost refait leur paix ensemble :
Mais ce Dieu tout-puissant qui regarde en75 mon sein*
510 Me fera bien venir à bout de mon dessein.
J’ay fait courir le bruit, comme tu sçais Pamphile,
Que j’ay de grand matin abandonné la Ville,
Pour aller à Lyon, autant pour destourner
Adraste qui me vient sans cesse importuner,
515 Que pour mieux asseurer par ma feinte retraite
Cette fourbe qui doit me rendre satisfaite.
J’ay sçeu que Leonor qui meurt d’amour pour luy,
Cherchoit une servante, on m’y place aujourd’huy,
On m’a peinte à ses yeux de cent graces pourveuë,
520 Je n’ay plus qu’à la voir pour estre bien receuë :
Juge si ta Maistresse a de l’esprit ou non,
Pour mieux y parvenir j’ay déguisé mon nom ;
Souvien-toy qu’on me nomme à present Dorotée : [p. 48]
Pour Dorise, j’ay fait qu’elle s’est absentée,
525 Je l’ay dés le matin mise chez un Bourgeois,
Pour mieux favoriser le dessein que j’avois,
Ce qu’elle a fait sçavoir au valet de Climante ;
Il76 l’aime dés77 longtemps, dont78 je fais l’ignorante,
Et Carlin mesme aussi croit que je n’en sçay rien,
530 Et ne me cognoit pas ; Voy si par ce moyen,
Pamphile, estans ainsi nous deux en sentinelle,
Je pourray pas sçavoir79 ce qui se fait chez elle :
Pour toy, pren un logis assez proche d’ici,
Tu te diras mon pere, et me verras* ainsi.
535 Toubeau*80, j’entens qu’on ouvre, observe bien Pamphile
L’ordre que je te donne.

PAMPHILE.

Il n’est pas difficile,
Vous estes sans mentir estrange en vos desseins.
[p. 49]

SCENE III. §

LEONOR, LUCILLE, PAMPHILE, ISABELLE, dans la ruë à la porte de Leonor.

LEONOR.

Si belle, me dis-tu ?

LUCILLE.

Plus que je ne la peins,
Madame la voilà, suis-je pas veritable ?

LEONOR.

540 Lucille tu dis vray, Dieux qu’elle est agreable !

PAMPHILE.

Madame, l’on m’a dit que ma fille a l’honneur
De vous venir servir : c’est pour elle un bonheur,
Dont possible81 quelqu’un en vain l’aura flatée.

LEONOR.

Comment l’appelle-t’on ? [p. 50]

PAMPHILE.

Son nom est Dorotée :
545 Ma fille, approchez-vous, parlez, ne craignez rien,
Quelle peur avez-vous ? Vous l’excuserez bien,
Madame, devant vous elle est toute honteuse.
Vous ne laisserez* pas d’estre respectueuse,
Quoy que vous témoigniez un peu de liberté.
550 Faites la reverence avec civilité.
Elle fait une grande reverence.

LEONOR.

N’as-tu jamais servi ?

ISABELLE.

Personne que mon pere,
Madame, mais voyant tout rempli de misere,
A cause de la guerre, et des malheurs du temps,
Mon pere desja vieil, pauvre, et chargé d’enfans,
555 J’ay desiré chercher une honneste Maistresse
Pour soulager un peu son extréme vieillesse :
M’en informant82 à Laure, elle m’a tant vanté
Vostre grande douceur, vostre extréme bonté,
Que mes maux sont finis, si j’ay cet avantage [p. 51]
560 Que de vous pouvoir plaire.

LEONOR.

Elle paroist bien sage.

PAMPHILE.

Madame, pardonnez83 si j’ose la loüer,
Quoy que pere, je suis forcé de l’avoüer,
Elle a beaucoup d’esprit, et vaut plus qu’on ne pense,
Je la feray rougir parlant en sa presence :
565 Pour dresser* le ménage, et arrivant chez vous,
Elle mettra d’abord tout, c’en-dessus dessous84.

ISABELLE.

Plus que vous ne voudrez j’agiray de85 courage
Et d’adresse.

LEONOR.

Dy moy, fais-tu point quelque ouvrage* ?

ISABELLE.

Oüy, Madame, j’en fais, et de toutes façons :
570 Feu ma mere autrefois m’en a fait des leçons,
Je couds bien, je travaille à la tapisserie, [p. 52]
Et sçay d’autres secrets, dont la galanterie*
Vous pourra divertir, et vous estonnera,
Et dont la nouveauté je croy vous surprendra ;
575 Je puis en vous servant aussi me satisfaire,
Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire.

LEONOR bas.

Sa bonne humeur est propre à chasser mon ennuy.
Haut.
M’habilleras-tu bien ? sçais-tu comme aujourd’huy
L’on se coiffe à la Cour ? te rendras-tu capable
580 De me bien ajuster*, pour me rendre agreable
Aux yeux d’un Cavalier qui se dit mon Amant ?

ISABELLE bas.

(Pour te faire paroistre un monstre)
Haut.
Asseurément,
Quoy que j’y sache peu, j’y tâcheray, Madame :
Toutesfois vostre Amant m’en donneroit du blâme,
585 Pensez-vous que je puisse adjouster au parfait,
Et faire plus en vous que Nature n’a fait ?
Non, Madame, en formant les traits de ce visage,
Elle a de l’artifice en vous banni l’usage :
Quand je n’en sçaurois pas ny l’art, ny le moyen,
590 J’y pourrois reüssir merveilleusement bien.

LEONOR.

Qu’elle a l’esprit joli, qu’elle est douce et bien née. [p. 53]
Combien demandes-tu pour servir par année ?

ISABELLE.

Ce qu’il plaira, Madame, à mon pere : je doy
Vouloir tout ce qu’il veut, il dispose de moy.

PAMPHILE.

595 Madame, si ma fille a l’honneur de vous plaire,
Je ne desire point de plus ample salaire,
Vous en disposerez ainsi qu’il vous plaira,
Et la satisferez86 comme elle servira.

LEONOR.

Va, si tu me sers bien, croy que la recompense
600 Surmontera, ma fille, encor ton esperance ;
Tu ne serviras pas chez moy bien longuement,
Sans estre mariée à ton contentement.

ISABELLE.

C’est, à n’en point mentir, le seul but où j’aspire,
Vous m’offrez en ce point tout ce que je desire ;
605 Je parle hardiment, mais c’est vostre bonté [p. 54]
Qui m’oblige, Madame, à cette liberté.

LEONOR.

Bien, va, je te reçoy, Laure qui t’as produite*
M’a tantost respondu de ta sage conduite :
N’ayant jamais servi, Lucille t’instruira.

ISABELLE.

610 Madame, je feray tout ce qu’il vous plaira,
Dans le desir que j’ay de vous estre agreable,
Il faudra peu de temps à m’en rendre capable.

LEONOR bas en s’en allant.

Je r’entre, l’heur m’en veut87, j’ay si bien rencontré*,
Que servante jamais ne fust plus à mon gré.
Haut.
615 Pren congé de ton Pere, et luy dy qu’il s’en aille.
[p. 55]

SCENE IV. §

ISABELLE seule.

Dans la ruë avec Pamphile, à la porte de Leonor.
Tu me vois à present dans le champ de bataille,
Amour, assiste-moi, fay-moy voir dans ces lieux
Que tu passes88 par tout pour le Maistre des Dieux :
Favorisant mes vœux, donne-moy l’avantage
620 Que je puisse égaler ma force à mon courage ;
Qu’authorisant l’ardeur qui couve dans mon sein,
Je puisse executer mon genereux* dessein :
Faisons voir ce que peut une fille Amoureuse,
Qui meurt de jalousie, et se voit malheureuse,
625 D’aimer sans estre aimée, et de voir que son cœur
Adore les appas d’un incognu vainqueur.
Mais quand je souffrirois un tourment cent fois pire,
Le sort en est jetté, je ne m’en puis dédire ;
Allons jusques au bout.
Climante paroist.
Helas ! je voy venir
630 Climante ; justes Dieux que doy-je devenir ?
Il faut dissimuler.
[p. 56]

SCENE V. §

CLIMANTE, CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE
dans la ruë, à la mesme porte de Leonor.

CLIMANTE à Carlin.

Je ne tarderay guere,
Atten moy.

CARLIN.

Bien, Monsieur ;

ISABELLE retenant Climante qui veut entrer.

Que pretendez-vous faire ?
Bas.
(J’ay les sens si confus que j’ay peine à parler)
Comment ? sans dire mot où voulez-vous aller ?
635 Voulez-vous que pour vous Madame me querelle ? [p. 57]
Dites-moy, s’il vous plaist, comment on vous appelle,
Et j’iray demander si l’on le trouve bon.

CLIMANTE.

Mais vous, qui vous oblige à demander mon nom ?

ISABELLE.

Je doy sçavoir qui vient visiter ma Maistresse ;
640 Je sers ici, Monsieur.

CLIMANTE.

J’ay tort, je le confesse,
O Dieux qu’elle a d’appas ! quel beau teint ! quels beaux yeux !
[p. 58]

SCENE VI. §

LEONOR, ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN, PAMPHILE dans la ruë à la mesme porte.

LEONOR à Climante.

Excusez-la89, Monsieur, elle est neuve en ces lieux,
Et l’oyant contester contre vous dans la ruë,
Je suis à vostre voix aussi-tost descenduë.

ISABELLE.

645 Madame, pardonnez90.

LEONOR.

Tu fais ce que tu dois,
Ne le cognoissant point : mais pour une autrefois*
Pour ne t’y point tromper, appren à le cognoistre ;
De ce logis ici, sçache qu’il est le Maistre, [p. 59]
Et que ceans il peut encore plus que moy.

ISABELLE.

650 Madame, c’est assez.

LEONOR.

Va , ma fille, je croy
Que tu ne manques point du tout d’intelligence,
Et que tu ne sçaurois pecher par ignorance91.

CLIMANTE.

Depuis quand l’avez-vous ?

LEONOR.

D’aujourd’huy seulement,
N’est-elle pas jolie ?

CLIMANTE.

Oüy bien asseurément,
655 On auroit peine à voir un plus parfait visage.

ISABELLE.

Ce discours est, Monsieur, trop à mon avantage,
Vous me faites rougir. [p. 60]

CLIMANTE.

Je n’en dy pas assez.
Mais Madame, il est tard, plus que vous ne pensez,
Vous plaist-il pas venir92 ?

LEONOR.

Ne soyez point en peine*,
660 Nous avons trop de temps : que bien-tost on m’emmeine*
Mon carosse, r’entrons, il n’est pas que je croy,
Si tard que vous pensez.

CLIMANTE.

J’en suis content.

LEONOR à Isabelle.

Suy moy.

ISABELLE.

Je m’en vay seulement dire un mot à mon pere.
Climante et Leonor r’entrent.
[p. 61]

SCENE VII. §

CARLIN, ISABELLE, PAMPHILE,
dans la ruë à la mesme porte.

CARLIN.

Ce visage n’est point un visage ordinaire,
665 Il me faut l’accoster. La belle, Dieu te gard.

ISABELLE

N’entres-tu pas aussi ?

CARLIN.

Je me tiens à l’écart,
Il faut attendre ici, mon Maistre me l’ordonne,
On ne desire point estre oüy de personne
Alors qu’on fait l’Amour*.

ISABELLE.

Ils sont donc Amoureux ?

CARLIN.

670 Ils sont d’accord*, et vont se marier tous deux. [p. 62]

ISABELLE.

Mais ce que tu me dis est-il bien veritable ?

CARLIN.

Il n’est rien de plus vray.

ISABELLE bas.

Que je suis miserable !
Mais ce ne sera pas durant que je vivray :
Climante, asseurément je t’en empécheray.
675 Comment t’appelles-tu ?

CARLIN.

Moy, comment je m’appelle ?
Je ne m’appelle point : mais si tu veux, ma belle,
Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin.

ISABELLE.

A quoy te sert ici de faire le badin ?
Carlin, si tu le sçais, dy moy je te supplie, [p. 63]
680 Pour divertir l’effet de ma melancolie,
En quel endroit ils vont ?

CARLIN.

Je te le diray bien,
Ce n’est point un secret, non, non, je ne crains rien.
Leonor va disner au logis de mon Maistre,
Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre,
685 Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers
Revient accompagné de mille Cavaliers,
Pour rendre grace au Ciel comblé d’heur* et de gloire
D’avoir sur l’Espagnol emporté la Victoire93.
Dy moy, puis que mon Maistre est bien-tost sur le poinct
690 D’espouser Leonor, l’imiterons-nous point ?
Mon cœur faisons comme eux, marions-nous ensemble,
Je suis assez bien fait : mais dy moy que t’en semble ?
Me refuseras-tu ?

ISABELLE bas.

La Fortune me rit ;
Dieux ! quelle invention me naist dedans l’esprit.

CARLIN.

695 Respond donc ? [p. 64]

ISABELLE.

Permets-moy que je parle à mon pere,
Je ne puis differer : car c’est pour une affaire
Qui m’importe beaucoup.

CARLIN.

Tout ce que tu voudras.

ISABELLE bas à Pamphile.

Pamphile, parle à moy94, va-t’en droit de ce pas :
Mais la chose m’importe ; il faut en diligence*
700 Que tu trouves Dorise, ou je perds l’esperance
De pouvoir arriver au bien que je pretens
Elle luy donne deux clefs.
Donne-luy ces deux clefs, et ne perds point de temps,
Ces deux clefs, sont les clefs du logis de Climante
Que nous prismes hier ;
Elle luy parle à l’oreille.
cours, et te diligente*,
705 Car l’affaire me touche, et crois asseurément
Que ma vie ou ma mort dépendent d’un moment.

PAMPHILE.

J’entends* bien, mais par là que pretendez-vous faire ?

ISABELLE.

Si la chose succede* ainsi que je l’espere, [p. 65]
Je suis malgré le sort au bout de mon espoir,
710 Et Leonor verra bien pis qu’hier au soir.

PAMPHILE.

Mais, Madame, s’il faut.

ISABELLE.

Ah ! tu veux qu’on s’explique !
Je veux estre obeye ; or sus*, va sans replique.

PAMPHILE.

Bien, Madame, j’y cours.
Pamphile sort.

CARLIN.

As-tu fait ?

ISABELLE.

Oüy, dy moy
Tout ce que tu voudras.

CARLIN.

Je veux sçavoir de toy
715 T’aymant, si je pourrois t’avoir en mariage ? [p. 66]

ISABELLE.

Oüy, si tu m’aimois bien : mais tu n’es qu’un volage
Qui t’offres en cent lieux.

CARLIN.

Moy ?

ISABELLE.

Toy ;

CARLIN.

Qui te l’a dit ?

ISABELLE.

Mais voyez l’inconstant comme il est interdit.
N’es-tu pas amoureux d’une jeune servante
720 Qu’on appelle Dorise ?

CARLIN bas.

Ah ! cela m’épouvente !
Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas
Le sçavoir autrement.
Haut.
Comment donc ? tu fais cas
De si peu de sujet, d’un si chetif visage ?
Croy que si je m’en sers, ce n’est pour autre usage
725 Que pour blanchir mon linge ; est-elle égale à toy ? [p. 67]

ISABELLE.

Hors d’ici tu pourras en dire autant de moy :
Mais quittons ce discours, et parlons d’autre chose,
Je me resjoüis fort d’avoir appris la cause
Qui fait que ma Maistresse aujourd’huy va chez toy,
730 Je brusle de desir, Carlin, de voir le Roy :
Le voudra-t’elle bien ? dy moy ce qui t’en semble,
Je ne l’ay jamais veu.

CARLIN.

Mot95, ils sortent ensemble.
[p. 68]

SCENE VIII. §

CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE, CARLIN, ISABELLE dans la ruë à la mesme porte.

LEONOR.

Qu’on fasse donc venir le carosse96 ?

LUCILLE.

Il est prest,
On l’emmeine*, Madame.

LEONOR.

Allons puis qu’il vous plaist.

ISABELLE bas.

735 Ils sont prests à partir, Dieux que je suis surprise,
Il les faut arrester : car sans doute, Dorise
N’aura pas eu le temps encor de s’habiller. [p. 69]
Haut.
Madame, l’on m’a dit que vous voulez aller
Aujourd’huy voir le Roy, Dieux que j’en suis ravie,
740 Je ne le vy jamais, et j’en brusle d’envie :
Mais vous resolvez-vous d’aller en cet estat ?
L’ornement des beautez en rehausse l’éclat,
Je veux voir d’un chacun les vostres adorées,
Si tost que de ma main je les auray parées :
745 Souffrez que je vous coiffe un peu plus proprement.

LEONOR.

Quoy tu sçais bien coiffer ?

ISABELLE.

Madame, aucunement* :
Quoy que j’aye97 vêcu long-temps à la Campagne,
Une tante que j’ay cousine de Champagne,
Là dessus autrefois m’a fait quelques leçons,
750 Je sçay coiffer, Madame, et de plusieurs façons.

LEONOR.

Il faut que maintenant98 j’éprouve ton adresse :
Mais tu vois qu’il est tard, et Climante me presse.

CLIMANTE.

Je m’en iray devant, vous avez tout loisir.

LEONOR.

R’entrons, je le veux bien, ayons-en le plaisir99, [p. 70]
755 Si de ce coup d’essay dignement tu t’acquittes.

CLIMANTE.

Auray-je bien le temps de faire deux visites ?
Je n’ay qu’un mot à dire.

LEONOR.

Allez où vous voudrez.

CLIMANTE.

Le disné sera prest si tost que vous viendrez.
Climante s’en va.

ISABELLE bas en r’entrant au logis.

Tout m’arrive à souhait, grands Dieux je vous conjure
760 De donner à Dorise une heureuse* adventure100.

Fin du second Acte.

[p. 71]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

DORISE, superbement vestuë avec sa coiffe et son masque101, ADRASTE, ARISTE.

DORISE seule, à la ruë à la porte de Climante.

Pamphile m’a trouvée avec un grand hazard*,
Qui102 m’a donné ces clefs ; Dieux viens-je point trop tard103 !
Pourray-je executer l’ordre de ma Maistresse ?
Considerez un peu la merveilleuse adresse
765 Qu’elle a pour parvenir au but de ses desseins104 ! [p. 72]
Prez d’elle Leonor tous vos efforts sont vains.
Adraste et Ariste paroissent.
Dieux ! je voy ce me semble, Adraste dans la ruë ;
Mais de qui que ce soit pourray-je estre cognuë ?
En l’estat où je suis que doy-je redouter ?
770 Non, non, ne craignons rien, entrons sans consulter*.

ARISTE.

N’est-ce point Leonor Maistresse de Climante,
Qui prez de son logis à nos yeux se presente ?

ADRASTE.

Je ne le pense point, car elle n’en a pas
Ny le port, ny la taille.

ARISTE.

Où s’adressent ses pas ?
Elle entre chez Climante, et ouvre la porte avec la clef.
775 Elle est bien familiere entrant de cette sorte :
Elle entre avec la clef, sans frapper à la porte,
Que veut dire cela ?

ADRASTE.

Climante a sans mentir
Pour tout le jour chez luy dequoy se divertir
Allons, ne troublons point cette bonne fortune, [p. 73]
780 Ma visite aujourd’huy luy seroit importune :
Je serois bien marry* si je l’avois trouvé.

SCENE II. §

LEONOR, ISABELLE, LUCILLE.

LEONOR dans la ruë.

Climante, à vostre avis sera-t’il arrivé ?
Quand je suis un moment sans le voir, Dorotée,
Je suis d’inquietude et d’ennuis* agitée :
785 Je t’ouvre franchement les secrets de mon cœur,
Car tu parois discrette.

ISABELLE.

Ah ! ce m’est trop d’honneur !
Mais vous me commenciez maintenant*105 une histoire
Qui m’est, à dire vray, bien difficile à croire ;
Vous vistes cette femme, et vous prisez* sa foy ? [p. 74]

LEONOR.

790 Je la vy, Dorotée, ainsi que je te voy.

ISABELLE.

Apres un tel affront, pouvez-vous bien, Madame,

LEONOR.

Va, ne m’en parle plus, j’ay leu dedans son ame,
Et ce Dieu qui sur moy l’a rendu si puissant,
M’a fait cognoistre enfin, qu’il estoit innocent.

ISABELLE.

795 Madame, vostre amour sans mentir est extréme ;
De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ;
S’il cognoist une fois cette foiblesse en vous,
Et s’il peut appaiser si tost vostre courroux,
De tout avec le temps il se rendra capable,
800 Et puis avecque luy vous serez miserable.

LEONOR.

Sans doute tu dis vray, mais je l’ayme, tay-toy,
Le voici, je l’entens.
[p. 75]

ISABELLE bas.

Il est vray, je le voy,
L’agreable sujet du trouble de mon ame.

SCENE III. §

CLIMANTE, LEONOR, ISABELLE, CARLIN, LUCILLE.

LEONOR dans la ruë.

Vous avez bien tardé ?

CLIMANTE.

Pardonnez-moy, Madame,
805 J’use de vos bontez un peu trop librement,
Vous excuserez bien ce long retardement*,
Un importun Amy rencontré dans la ruë, [p. 76]
De vos rares beautez m’a dérobé la veuë.

LEONOR.

Quelque Dame, peut estre, a bien eu le pouvoir
810 D’empécher que si tost106 vous ne me vinsiez voir.

CLIMANTE.

Ah ! vous offencez trop une constance extréme !
Et vous faites injure à vostre beauté mesme :
Vous sçavez qu’elle peut tous les cœurs enflamer,
Et que qui la cognoit, ne peut ailleurs aimer.

ISABELLE bas.

815 Helas ! si tu dis vray, je perds toute esperance.

LEONOR.

Encor que ce discours marque plus d’eloquence
Qu’il n’a de verité, je le veux croire ainsi,
Pour vous faire plaisir, et m’obliger* aussi.
Mais entrons, il est tard.
Ils entrent tous dans la chambre de Climante, qui paroistra bien ornée.
Que cette chambre est belle,
820 Elle paroist* au jour bien plus qu’à la chandelle,

CLIMANTE.

Dans l’espoir de l’honneur dont vous m’avez comblé [p. 77]
Je devois faire voir mon logis mieux meublé ;
Ma chambre devoit estre un peu mieux ajustée* :
Mais la chose, Madame, estoit precipitée,
825 Vous m’excuserez bien, je n’appris qu’hier107 au soir
Que j’aurois ce matin l’heur* de vous recevoir.

LEONOR.

Certes vous estes propre* autant qu’on le peut estre.

CARLIN.

Je viens d’oüyr là bas gronder Monsieur le Maistre108,
Il dit que tout se gaste, il est midy sonné.

CLIMANTE.

830 Madame nous deussions avoir desja disné :
Car j’apprens que le Roy doit passer dans une heure.

LEONOR.

Dînons quand vous voudrez.

CLIMANTE.

Servez-nous sans demeure*.

LEONOR.

En attendant qu’on serve, allons voir vos tableaux [p. 78]
Dedans ce cabinet, on dit qu’ils sont fort beaux.
835 Y tenez-vous encor quelque vive peinture ?
Non, car vous m’attendiez.

CLIMANTE.

Ah ! c’est me faire injure !
Vous aviez tant promis de ne m’en parler plus ?
Quoy donc ! tous mes sermens ont esté superflus !
Si vous sçaviez combien ce discours là m’offence109 ?

LEONOR.

840 Entrons, je voulois rire, on sçait vostre innocence.

CLIMANTE.

Ouvre.

CARLIN.

Sçavez-vous pas que cette Dame là
Emporta hier110 la clef ?

CLIMANTE.

Tu dis vray, mais voilà
L’autre que j’ay sur sur moy.
[p. 79]
Comme Climante veut ouvrir le cabinet, Dorise ouvre elle-mesme, sort avec sa coiffe et son masque.

SCENE IV. §

DORISE, CARLIN, CLIMANTE, LEONOR, LUCILLE.

DORISE.

Je ne sçaurois comprendre
Pour quel sujet*, Climante, on me fait tant attendre ?

CARLIN troublé.

845 Sommes-nous enchantez* ? est-ce une illusion ?

DORISE.

Mais pourquoy tant de monde en cette occasion ?

CLIMANTE estonné.

Dieux ! parla-t’on jamais de telle effronterie111 ? [p. 80]

LEONOR.

Ah ! je m’en doutois bien.

CLIMANTE à Dorise.

Madame, je vous prie,
Dites-moy le sujet* qui vous emmeine* ici ?
850 Que faites-vous ceans ? et me dites aussi
Qui vous a peu chez moy tenir la porte ouverte ?

LEONOR.

Comme il fait l’estonné112 ?

CLIMANTE bas.

Tout conspire à ma perte.

LEONOR.

Il m’attend, il me traitte*, et ne peut un seul jour
Bannir l’infame objet* d’un impudique Amour.
[p. 81]

DORISE à Climante.

855 Estes-vous si surpris que vous témoignez l’estre,
Climante ? et feignez-vous de ne me pas cognoistre ?

CLIMANTE.

Qui moy ? je vous cognoy ?

ISABELLE à Leonor.

Que voy-je ! justes Dieux !
Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ?

LEONOR.

Non, non, il a bien fait de ne pas se contraindre,
860 C’est de moy seulement qu’enfin je me doy plaindre.

ISABELLE.

L’impudence est notable.

CLIMANTE à Dorise.

Ah ! qu’est-ce que je vois ?
Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois,
Par quel moyen as-tu cette porte charmée* ?
Et que faisois-tu là toute seule enfermée ?

LEONOR.

865 La question est belle, ah grands Dieux quel affront ! [p. 82]

ISABELLE à Leonor.

Apres un tel mespris, peut-il avoir le front*
D’oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire,
Je le voy de mes yeux, et j’ay peine à le croire.

CLIMANTE.

J’atteste tous les Dieux.

LEONOR voulant sortir.

Si jamais je te voy,
870 Perfide, desloyal.

CLIMANTE la retenant.

Madame, escoutez-moy.

LEONOR.

Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ?
Comme Climante tâche à113 arrester Leonor.
Isabelle fait signe à Dorise qu’elle s’en aille.

DORISE dit bas.

Fuyons, on m’en fait signe, on me voudroit cognoistre.

CLIMANTE à Leonor.

Madame, voulez-vous me mettre au desespoir ? [p. 83]
Ecoutez mes raisons, et je vous feray voir
875 Avant que vous sortiez, quelle est mon innocence.

LEONOR à Climante.

Non, je n’écoute rien d’un traistre qui m’offence.
Durant cela, Carlin arreste Dorise dans la ruë courant apres elle, et apres luy avoir parlé à l’oreille.

CARLIN à Dorise.

Vous n’échaperez pas, la belle, c’est en vain,
Non, je vous veux cognoistre.

DORISE bas.

Ah ! s’il a ce dessein
Il ruinera114 tout.

LEONOR à Isabelle dans la ruë.

Vien, suy-moy, Dorotée.

CLIMANTE la retenant.

880 Madame, sans sujet* vous estes irritée.

DORISE bas à la ruë.

Qu’importe, monstrons-nous. [p. 84]

CLIMANTE à Leonor.

Ecoutez mes raisons

CARLIN à Dorise.

Non, non, je vous veux voir.

LEONOR à Climante.

Va, va, tes trahisons
Ne paroissent que trop.

DORISE à Carlin levant son masque.

C’est moy, c’est ta Dorise.
Qui te vien voir, Carlin.

CARLIN estonné.

Ah Dieux ! quelle surprise.

CLIMANTE à Leonor la retenant.

885 Madame, au nom des Dieux.

LEONOR.

Tu n’es rien qu’un ingrat,
Va ne m’oblige pas à faire plus d’éclat*. [p. 85]
Laisse-moy je te prie.

CARLIN à Dorise en la ruë.

Encor, de quelle sorte
Je te prie, as-tu peu sans clef ouvrir la porte ?
D’où te vient cet habit ?

DORISE à Carlin.

J’ay haste*, en autre lieu
890 Je te conteray tout ; Ne me suy pas. Adieu.
Dorise sort.

CLIMANTE à Leonor la retenant dans la chambre.

Ecoutez-moy.

CARLIN bas en r’entrant dans la chambre.

S’il faut que mon Maistre le sçache ;
Ah Dieu ! c’est fait de moy !

LEONOR à Climante.

Serois-je pas bien lâche
D’arrester* un moment apres ta trahison ?

CLIMANTE.

Puis que cette impudente est dedans ma maison,
895 Faisons-luy confesser qu’elle vous a trompée. [p. 86]

CARLIN.

C’est temps perdu, Monsieur, elle s’est échapée.

CLIMANTE.

Pourquoy, traistre, pourquoy l’as-tu laissée aller ?

ISABELLE à Leonor.

Voyez, s’il est adroit à bien dissimuler,
Comme s’ils n’estoient pas tous deux d’intelligence*115?

CLIMANTE à Isabelle.

900 La belle, vous prenez ici trop de licence.
A Carlin.
Cours viste apres, Carlin, elle n’est pas bien loin.

CARLIN bas.

Je sçay fort bien qui c’est, il n’en est pas besoin.

LEONOR.

Cette peine, Climante, est assez inutile.
O l’esprit inventif ! ô la fourbe subtile !

CLIMANTE.

905 J’y veux aller moy-mesme. [p. 87]

ISABELLE l’arrestant.

Où courez-vous si fort ?
Vous imaginez-vous qu’on creust vostre raport ?
Desirez-vous, Madame, en estre bien certaine ?
Je prendray de bon cœur, s’il vous plaist, cette peine,
Et vous rapporteray fidellement qui c’est.

CLIMANTE.

910 J’y consens.

LEONOR.

En ce fait je n’ay nul interest,
A quoy bon m’éclaircir ? non, il faut que je sorte.
Qui que ce soit, allons.

ISABELLE.

Puis qu’il ne vous importe,
Permettez-moy du moins par curiosité,
De sçavoir qui vous brave avec impunité,
915 Faites-moy ce plaisir, car j’en brusle d’envie.
Elle sort.

CARLIN bas.

S’il faut que l’on le sçache, ah c’est fait de ma vie.

CLIMANTE à Leonor.

Elle prend grande part dedans vos interests. [p. 88]

LEONOR.

Elle fait son devoir.

CARLIN bas.

Dieux ! elle court apres.

CLIMANTE retenant Leonor.

Attendez pour le moins qu’elle soit revenuë,
920 L’innocence à vos yeux paroistra toute nuë.

LEONOR.

Non, non, je ne puis faire ici plus grand sejour,
Adieu.

CLIMANTE.

Vous offencez une innocente Amour116,
Le Ciel vous punira d’une rigueur si grande.

LEONOR en partant.

Suy-moy, Lucille, allons puis que je le commande.
925 Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux.

LUCILLE.

Vous ne trouverez rien dequoy dîner chez vous. [p. 89]

LEONOR.

Allons, la Ville est bonne117.
Elles s’en vont.

SCENE V. §

CLIMANTE, CARLIN.

CLIMANTE dans sa chambre.

O Dieux ! quelle surprise !
Que t’en semble, Carlin ?

CARLIN bas.

Que c’estoit là Dorise ?
Il faut bien sur ce point m’empécher de parler.

CLIMANTE.

930 Qui m’a fait cet affront ? qui m’en peut consoler ? [p. 90]
Dieux ! que je suis confus, quels troubles j’ay dans l’ame.
Mais soubçonnes-tu point qui seroit cette infame ?

CARLIN.

Sçavez-vous bien, Monsieur, qui je soubçonnerois ?

CLIMANTE.

Qui ?

CARLIN.

Je croy la cognoistre* à l’habit, à la voix.

CLIMANTE.

935 Qui ?

CARLIN.

La mesme qui vint hier118 au soir si troublée
Vous demander secours, et masquée, et voilée.
Elle emporta les clefs ; et n’auroit autrement
Jamais peû se couler* en cet apartement.

CLIMANTE.

Je croy que tu dis vray : mais pourquoy, je te prie,
940 Use-t’elle envers moy de telle effronterie ?
Que veut-elle de moy ? pourquoy vient-elle ici [p. 91]
Aux heures seulement que119 l’autre y vient aussi ?
Elle ne me dit mot. Ah ! toutes deux ensemble
Sont d’accord pour troubler mes desseins, ce me semble.

SCENE VI. §

ISABELLE, CLIMANTE, CARLIN.

ISABELLE dans la mesme chambre de Climante.

945 Ma Maistresse, Monsieur, est-elle encor ici ?

CLIMANTE.

Non, et c’est le sujet* qui me met en souci,
Je n’ay peu l’appaiser, ny flechir sa colere.

ISABELLE.

Elle a fait en cela ce qu’elle devoit faire.

CLIMANTE.

Si tu t’es éclaircie en la suivant, pourquoy [p. 92]
950 En cette occasion juges-tu mal de moy ?
Dy moy qui c’est ?

ISABELLE.

J’aurois bien de la hardiesse120,
D’oser ainsi joüer ce tour à ma Maistresse,
Je croy qu’elle le doit sçavoir premierement.

CLIMANTE.

S’il ne tient qu’à cela, je te fais un serment
955 De n’en parler jamais : oblige*-moy de grace.

CARLIN bas.

Ah Dieux ! je suis perdu s’il faut qu’elle le fasse.

CLIMANTE luy donnant une bourse pleine.

Et pour l’amour de moy, tien, reçoy ce present.

ISABELLE bas la recevant.

(Tout m’arrive à souhait.)
Haut.
Que feray-je à present ?
Bien, je suis resoluë à trahir ma Maistresse,
960 Pourveu121 qu’en ce faisant vous me teniez promesse,
Comme vous m’avez dit, de n’en parler jamais, [p. 93]
Je ne celeray rien.

CLIMANTE.

Oüy, je te le promets,
Parle.

CARLIN bas.

Ah ! je suis perdu.

CLIMANTE.

Dy donc, depéche viste.

CARLIN bas.

Pour dix coups de baston j’en voudrois estre quitte.

ISABELLE.

965 J’ay trouvé là dehors en sortant de ceans,
Un superbe carosse, enrichi par dedans,
Et doré par dehors, environné de Pages,
Remply de tous costez de plusieurs beaux visages ;
Où la Dame qui vient de sortir hors d’ici
970 Entroit le cœur rempli de peine et de souci.
Me voyant en humeur* de courir apres elle,
Elle fait arrester, me caresse*, m’appelle,
Et me dit d’un ton doux : Ton dessein est, je croy, [p. 94]
Ma fille, de me voir, et de parler à122 moy,
975 Je le veux, sçachant bien le sujet* qui t’emmeine* ;
Oüy je veux t’éclaircir, entre donc, pren la peine
De monter prez de moy, car je n’ay pas loisir
D’arrester* en ce lieu. Moy bruslant de desir
De sçavoir au certain ce qu’elle vouloit dire,
980 J’entre, et m’ostant son masque, elle fait que j’admire
Un œil si gracieux, un visage si beau,
Qu’il peut mettre d’abord mille Amans au tombeau :
J’en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste*
Que plus que de l’humain elle tient du Celeste.

CARLIN.

985 Mais dy moy, l’as-tu veuë ?

ISABELLE.

Oüy, de mes propres yeux,
Dequoy te mesles-tu ?

CARLIN bas.

Je rends graces aux Dieux
Qui me donnent ici la force de me taire,
123 la parole encor seroit si necessaire ;
Oüy, je brusle d’envie ici de repartir ; [p. 95]
990 Mais non, je feray mieux de la laisser mentir.

CLIMANTE.

Comme124 est faite à peu prez cette fille adorable ?

ISABELLE125.

Comme son poil, sa taille à la mienne est semblable :
Elle m’a dit alors me prenant par la main,
D’un visage riant : Si vous avez dessein
995 De me voir de la part de cette belle Dame,
Je vous veux découvrir les secrets de mon ame ;
Ma fille, faites-luy, s’il vous plaist, ce discours,
Que Climante est l’objet* de mes chastes Amours126 ;
Que je confesse aussi que je suis celle mesme,
1000 Qui desirant de127 voir ce Cavalier que j’ayme,
M’enfermé dans sa chambre où je laissé128 mon cœur
Dés que j’eus admiré cet aimable vainqueur :
Mais vous luy pouvez dire, encore que j’adore
Cet homme genereux, qu’il est vray qu’il l’ignore ;
1005 Par honte et par respect, je n’ay jamais osé
Luy declarer les maux que ses yeux m’ont causé.
Et voulant passer outre*o, un orage de larmes
Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes :
Car j’eus pour l’amour d’elle un excés de pitié,
1010 Qui me la fit trouver plus belle de moitié.
Je dis adieu sur l’heure à ce parfait visage, [p. 96]
L’asseurant à l’instant de faire son message
Derriere le carosse, en sortant j’aperceu
Un Page qui la suit, qu’autrefois j’ay cognu :
1015 Si c’est ce que je pense, asseurez-vous Climante,
Qu’elle a beaucoup d’honneur, qu’elle est riche et puissante ;
Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité*,
Croyez qu’elle est plus grande encor que sa beauté.
Adieu, Monsieur, je vay retrouver ma Maistresse,
1020 C’est tout ce que j’ay sceu, tenez vostre promesse,
Vous estes Cavalier si sage et si discret,
Que vous sçaurez garder comme il faut le secret.

CLIMANTE.

Ne doute point de moy, je te seray fidelle.
Cette histoire, sans doute est estrange et nouvelle,
1025 Amour de ce cahos vien dégager mes sens.

CARLIN bas.

Quels contes fabuleux sont-ce ici que j’entends ?

ISABELLE.

Je pren congé de vous.

CLIMANTE.

Atten, je te supplie,
Si tu veux que par tout ta bonté je publie, [p. 97]
Fay moy cette faveur ; je sçay que tu le peux,
1030 Puis qu’aussi bien je voy qu’on méprise mes vœux,
Que Leonor me croit injustement volage ;
Que j’ay au moins le bien de voir ce beau visage,
Je suis lâche, ou je doy respondre à son desir.

ISABELLE.

Je vous verray, Monsieur, avec plus de loisir,
1035 Et nous en parlerons. Adieu donc, je vous laisse :
Que me commandez-vous de dire à ma Maistresse ?
Vos liberalitez* m’obligent* tellement
Que je prefere au sien vostre contentement.

CLIMANTE.

Dy luy de point en point comme la chose passe129,
1040 Dy tout, puis qu’aussi bien je suis dans sa disgrace !
Qu’elle rit de ma peine, et que tu me cognois
Bien voulu d’un sujet qui vaut mieux mille fois ;
Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure.

ISABELLE.

Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure,
1045 Je vais y travailler.
Bas.
Tout va bien jusqu’ici :
Dieux ! faites-moy le bien que tout s’acheve ainsi.
[p. 98]

SCENE VII. §

CLIMANTE, CARLIN.
Dans la mesme chambre de Climante.

CLIMANTE.

Que te semble, Carlin, de cette étrange histoire ?

CARLIN.

Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez130 croire !
Je jure que jamais je n’oüy131 tant mentir ;
1050 Parlons, quand je devrois cent fois m’en repentir,
La langue me demange, et je ne me puis taire.

CLIMANTE.

As-tu dessein, maraut, de me mettre en colere ?

CARLIN.

Au contraire, Monsieur, ne vous y mettez point, [p. 99]
Et je vous conteray le tout, de point en point.
1055 Si vous me pardonnez.

CLIMANTE.

Oüy va, je te pardonne,
Parle donc promptement.

CARLIN.

Cette insigne* friponne,
Avec son beau langage, en ce quel a conté
N’a pas dit, je vous jure, un mot de verité.
Celle qu’elle vous peint, si belle, si charmante,
1060 Et si riche, n’est rien qu’une pauvre servante,
Aussi gueuse que moy, qui depuis ce matin
Sert un certain Marchand.

CLIMANTE.

Te mocques-tu Carlin ?
Si c’est pour te railler, et pour me faire rire,
Tu prens fort mal ton temps.

CARLIN.

Quoy que vous puissiez dire,
1065 Je dy la verité : car comme je vous voy, [p. 100]
Mille fois je l’ay veuë.

CLIMANTE.

Encor dy moy pourquoy,
Et comment elle a peu sans clef ouvrir la porte ?

CARLIN.

Je le sçauray tantost.

CLIMANTE.

Mais encor, qui la porte*
A s’enfermer chez moy ? j’en suis tout estonné ?

CARLIN.

1070 C’est pour l’Amour de moy, vous m’avez pardonné ;
Depuis un mois ou deux, cette servante mesme
Que vous venez de voir, Vous le diray-je, m’aime,
Et moy je l’aime aussi ; Je vous fay donc sçavoir
Qu’elle n’est là venuë exprez que pour m’y voir ;
1075 Sans penser toutefois vous devoir mettre en peine
Comme elle vous a mis.

CLIMANTE.

Que ta raison est vaine,
Une Suivante a-t’elle un si superbe habit ? [p. 101]

CARLIN.

Pour trouver dans ma grace encor plus de credit,
Elle en a vestu un de ceux de sa Maistresse.

CLIMANTE.

1080 Voy comment à mentir tu monstres132 peu d’adresse :
La femme d’un Marchand, ainsi que tu l’as133 dis,
Pourroit-elle porter ces superbes habits ?
Et quand tout seroit vray, comment se peut-il faire
Que cet autre m’ait fait un discours si contraire ?

CARLIN.

1085 Monsieur, c’est sans sujet* que vous vous étonnez,
Peut-estre elle vous veut tirer les vers du nez* :
N’ayez je vous supplie aucune deffiance,
Ce que je dis est vray.

CLIMANTE.

Grands Dieux ! quelle apparence* !
Non, cela ne peut estre, et je sçay que tu ments.

CARLIN.

1090 Monsieur, écoutez-moy, laissons là les serments,
Je vous veux faire voir que je suis veritable ; [p. 102]
Qui pourroit m’obliger à vous dire une fable* ?
Il faut que sur ce fait je vous rende éclairci,
Je vous veux emmener* cette Servante ici,
1095 D’elle vous sçaurez tout.

CLIMANTE.

Fay donc que je la voye,
Depéche, si tu veux qu’à la fin je te croye.

CARLIN.

Je viens dans un quart-d’heure, et plutost134 si je puis.

CLIMANTE.

Grands Dieux ! delivrez moy de la peine où je suis.

Fin du troisiesme Acte.

[p. 103]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CARLIN, DORISE, CLIMANTE.

DORISE dans la ruë à la porte du logis de Climante.

Mais encore, Carlin, que veux-tu que je fasse ?

CARLIN.

1100 Dy luy de point en point comme la chose passe135.

DORISE.

Mais pourquoy l’as-tu dit ?

CARLIN.

Afin de garentir
Mon Maistre d’une fourbe, il falloit dementir* [p. 104]
Et faire cet affront à certaine rusée
Qui vouloit nous dupper ; la chose est tres-aisée ;
1105 Allons trouver mon Maistre, et luy dy franchement
La chose comme elle est, que l’impudente ment,
Climante sort.
Mais le voici qui sort : Que rien ne t’épouvente.
A Climante.
Ay-je menti, Monsieur ? voici cette Servante
Dont je vous ay parlé, qui n’aguere chez vous
1110 A fait en autre habit un esprit bien jalous.

CLIMANTE.

Est-il136 vray ce qu’il dit ? es-tu la mesme femme
Qui tantost nous a mis tant de troubles en l’ame ?
Que nous avons trouvée enfermée, et chez moy ?
Parle-moy librement, je te jure ma foy
1115 De te le pardonner, sans me mettre en colere.

DORISE.

Puis que vous le voulez, il faut vous satisfaire.
Je suis celle, Monsieur, je le dy franchement,
Qui m’estoit enfermée en vostre apartement ;
J’ay peché contre vous : mais ce qui me console,
1120 Est que vous estes homme à me tenir parole,
Vous estes trop remply de generosité.

CARLIN.

Et bien, qui de nous deux a dit la verité ? [p. 105]

CLIMANTE.

Mais declare-moy tout, car la chose m’importe :
Dy qui t’a peû donner la clef de cette porte ?
1125 Quel estoit ton dessein en t’enfermant chez moy ?
Va, ne redoute rien.

DORISE.

Monsieur, puis que je voy
Qu’il vous plaist me parler avec tant de franchise
Je ne doy point ici craindre aucune surprise ;
Et puis, pourquoy craindroy-je ? il n’y va rien du mien.

CLIMANTE.

1130 Declare-moy donc tout, et ne me cele rien.

DORISE.

Sçachez doncques, Monsieur, qu’une Dame fort belle :
Mais je n’ay peu sçavoir encor comme137 on l’appelle,
En tres-bon équipage*, avec force* Laquais,
Dans un riche carosse alloit vers le Marais.
1135 Ayant sçeu qui j’estois d’une sienne Suivante, [p. 106]
Qui me cognoit fort bien, et qui souvent me hante*,
Elle a fait arrester son carosse, et m’a dit,
Va t’en dire chez moy qu’on te donne un habit
Des plus beaux que je porte, et sans qu’aucun le sçache
1140 Va t’en droit au logis de Climante, et te cache
Dedans son cabinet : ces deux clefs que voici
T’en donneront l’entrée, et si tu fais ceci
D’adresse138, en composant* ton geste et ton langage,
Jusqu’à pouvoir d’abord donner un peu d’ombrage
1145 A certaine beauté qui trouble mes desseins,
Ne crains pas que pour moy tes offices* soient vains,
Je t’offre cent escus. J’apprens vostre demeure,
Luy promets de le faire, et la quitte sur l’heure.
Vous sçavez que la fourbe a fort bien reüssi,
1150 Cette Dame est contente, et je le139 suis aussi ;
J’ignore quels secrets peut cacher ce mystere,
Mais j’en ay le profit, je ne m’en sçaurois taire,
Je vous dis en trois mots tout ce qu’elle m’a dit.
Après m’avoir payée elle a repris l’habit,
1155 Et puis j’ay pris congé de ce parfait visage :
Je ne sçaurois, Monsieur, en dire davantage.
[p. 107]

CLIMANTE bas.

Sans doute Dorotée a dit la verité,
Tout est tel en effet qu’elle me l’a conté,
Desja plus qu’à demy mon ame est éclaircie :
A Dorise.
1160 Bien loin d’estre fasché, va je te remercie,
Et pour te tesmoigner que tres estroitement
Je me sens obligé*, reçoy ce diamant,
Il luy donne une bague.
Encor est-ce trop peu pour un si bon office*.
Quand j’auray le moyen de te rendre service
1165 Ce sera de bon cœur : va t’en, et fais estat
Qu’en moy l’on n’obligea* jamais un cœur ingrat.

DORISE.

Monsieur, je vous rends grace.

CLIMANTE bas en r’entrant.

Ah ! je bruslois en l’ame
Du desir de sçavoir quelle estoit cette Dame.
Il r’entre dans son cabinet.
[p. 108]

SCENE II. §

CARLIN, DORISE.

CARLIN dans la ruë devant la porte de Climante.

Quoy, tu me trompois donc en me faisant sçavoir
1170 Qu’en ce lieu tu venois tout exprez pour me voir ?
Je découvre, Dorise, à present ta finesse*,
Mais à n’en point mentir j’admire ton adresse.

DORISE.

Je n’avois pas alors loisir de te parler,
Vois-tu pas qu’il falloit feindre et dissimuler ?
1175 J’attendois à140 te voir pour t’en conter l’histoire.

CARLIN.

Sans doute elle est étrange, et j’ay peine à la croire ;
Voilà, certes Dorise, un grand hazard* pour toy,
Estant riche à present, voudras-tu bien de moy ?

DORISE.

Penses-tu que je sois jusqu’ à141 ce point volage ? [p. 109]
Isabelle paroist.
1180 Mais cette fille ici me donne de l’ombrage,
C’est à toy qu’elle en veut, elle te vient chercher.

CARLIN.

Tu n’as pas en ce point sujet* de te fascher,
Elle cherche mon Maistre, et n’ay142 que faire d’elle.

DORISE.

Elle plaist à tes yeux, je n’y143 suis pas si belle,
1185 Si je te soubçonnois144 d’aucune145 trahison ?

CARLIN.

Tu m’accuses à tort, va tu n’as pas raison.
Un bel œil pour me vaincre est une faible amorce,
Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force.
[p. 110]

SCENE III. §

ISABELLE, CARLIN, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

M’en doutoy-je pas bien, desloyal, imposteur,
1190 Que tu me trahissois ?

CARLIN bas.

Ah Dieux ! je meurs de peur :
Si je me plains ici, c’est de trop de fortune,
Les voulant toutes deux je n’en auray pas une.

DORISE à Isabelle.

Quoy ! l’empécherés-vous de suivre son desir
S’il me prefere à vous ?

ISABELLE à Dorise.

Il sçait bien mieux choisir,
1195 C’est bien effrontément parler en ma presence, [p. 111]
Vous l’emportez sur moy, mais c’est en impudence.

DORISE à Isabelle.

Pensez-vous le gagner pour parler ainsi haut* ?
Va, je te traitteray, volage, comme il faut.

CARLIN bas.

On me l’avoit bien dit, que j’avois bonne mine*146,
1200 Tout le monde m’en veut.
A Dorise bas.
Vien-ça147, tai-toy badine*,
Va, je n’en veux qu’à toy, ne le vois-tu pas bien ?

ISABELLE à Carlin.

Vien-ça, que luy dis-tu ?

CARLIN.

Moy, je ne luy dis rien.

DORISE à Carlin.

Or sus* declare-toy, dis à qui tu veux estre,
Je veux sçavoir ici si tu n’es pas un traistre.
[p. 112]

ISABELLE à Carlin.

1205 Parle donc promptement.

CARLIN bas.

J’ay les sens tout confus,
L’une est belle, il est vray, mais l’autre a des escus,
Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble.

DORISE.

Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t’en semble ?

CARLIN bas à Dorise.

Dorise, vois-tu pas148 que je n’en veux qu’à toy ?

DORISE à Isabelle.

1210 Ecoutez ce qu’il dit149 ?

ISABELLE.

Que dis-tu ? parle à150 moy.

CARLIN bas à Isabelle.

Je dy que c’est à toy seule à qui151 je veux plaire.
Bas
Je suis bien empesché* de ce que je doy faire.

DORISE.

Je te montreray bien, traistre, que tu n’es pas [p. 113]
Où tu penses encor, tu t’en repentiras.

ISABELLE.

1215 Je t’atraperay bien, je t’en donne parole.

CARLIN bas à Isabelle.

Va, laisse-la parler, ce n’est rien qu’une folle.
Climante paroist.

DORISE.

Adieu, ton Maistre vient.

CARLIN bas à Dorise.

Va, je n’aime que toy.

DORISE en s’en allant.

Je ne souffriray pas qu’on se mocque de moy.
[p. 114]

SCENE IV. §

CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN.
Dans la ruë à la mesme porte de Climante.

CLIMANTE.

De quels excez d’ennuis* mon ame est agitée ?
1220 As-tu bien peu trouver mon logis, Dorotée ?
Hé bien, fulmine-t’on encore contre moy ?
Leonor doute-t’elle encore de ma foy ?

ISABELLE.

Elle est depuis tantost cent fois plus animée ;
Certes, c’est une fille indigne d’estre aimée,
1225 Plus on vous justifie, et plus elle s’aigrit,
Elle a trop de chagrin*, c’est un fâcheux esprit ;
Elle n’aura jamais un Amant si fidelle,
Et j’en suis, je vous jure, en colere contr’elle :
Car j’ay receu de vous aujourd’huy tant de biens, [p. 115]
1230 Que je veux preferer vos interests aux siens :
Si j’estois que de vous152, sans consulter personne,
Je la quitterois là comme elle m’abandonne.

CLIMANTE.

Enfin, ne cele rien, dy tout, s’il faut perir
Acheve promptement de me faire mourir.

ISABELLE.

1235 Puis qu’il faut dire tout, l’ingrate ailleurs s’engage,
Et sans mentir, c’est trop pour un leger ombrage*,
Je n’ay rien oublié pour luy faire sçavoir
Que vous n’avez en rien choqué vostre devoir :
Mais tant plus153 mes raisons prouvoient vostre innocence
1240 Tant plus ce cœur altier montroit son insolence ;
Car sans considerer vostre fidelité,
Ny vostre extréme Amour, ny vostre qualité*,
Cette arrogante a tort se croyant outragée154,
Dessous le joug d’Hymen aujourd’huy s’est rangée
1245 Avec un autre Amant, ou155, pour n’en mentir point,
Si cet Hymen n’est pas accomply de tout poinct,
La chose est resoluë.
[p. 116]

CLIMANTE.

Elle s’est bien hastée :
Mais comment nommes-tu ce rival, Dorotée ?

ISABELLE.

On l’a nommé, mais quoy ! je ne m’en souviens plus.

CLIMANTE.

1250 Ah ! je suis interdit si jamais je le fus156 ?

ISABELLE.

J’ay fait mille sermens, mais quoy ! cette volage,
(Vous me dispenserez d’en dire davantage )
Elle n’aima jamais, on aime foiblement
Quand on ne reçoit pas l’excuse d’un Amant,
1255 Ou son amour157 pour vous estoit bien delicate*,
Pour moy, je quitterois tout à fait cette ingrate.

CLIMANTE.

Mais, Dorotée, encor, que veut-elle, dy moy ?

ISABELLE.

Elle ne le sçait pas elle-mesme, je croy.
Ne vous estonnez* pas de ce que je vay dire,
1260 Au lieu de me fâcher, je n’en ferois que rire
Cognoissant son humeur : Elle m’a mis en main [p. 117]
Ces Lettres que voici,
Elle luy donne toutes les lettres.
me commandant soudain
De vous les apporter, et de plus, de vous dire,
(Mais avec un mépris qui ne se peut décrire :)
1265 Que vous les brulassiez, et qu’elle veut bannir
Toutes choses de vous jusques au souvenir,
Et que puis qu’elle vit dessous les loix d’un autre,
Vous oubliiez son nom comme elle a fait le vostre158.
Voyez ce qu’il vous plaist respondre là159 dessus.

CLIMANTE.

1270 Ah Dieux ! vit-on jamais un homme plus confus ?

ISABELLE bas.

Je l’ay sensiblement touché, mais il n’importe.

CLIMANTE.

La cruelle veut donc me traiter* de la sorte ?
Ma chere Dorotée, où gist tout mon appuy,
Pourveu qu’elle te veuille encor oüyr160, dy luy
1275 Qu’elle s’est en effet bien promptement vangée
D’un homme qui ne l’a jamais desobligée :
Car je prens tous les Dieux pour temoins devant toy
Que sans luy faire tort j’ay conservé ma foy.
Mais puis que sans sujet* cette ingrate se vange
1280 Et puis qu’elle a couru si promptement au change*,
Dy luy qu’elle m’a mis en telle extremité [p. 118]
Que je veux l’imiter en sa legereté,
Que je suis inconstant, puis qu’elle est infidelle,
Et que je vais aussi me marier comme elle.

ISABELLE.

1285 Vous marier ? à qui ? (je tremble justes Dieux ?)

CLIMANTE.

Au plus parfait objet* qui soit dessous les Cieux.

ISABELLE.

Dites-vous vray, Monsieur ? (Dieux que je suis en peine*.)

CLIMANTE.

Non, non, je ne ments point, la chose est tres certaine.

ISABELLE.

Puis-je sçavoir son nom ?

CLIMANTE.

Ce visage si beau,
1290 Qui met, comme tu dis, tant d’Amans au tombeau,
Celle que tu m’as peinte, et si riche, et si belle,
Et qui m’aime si fort.

ISABELLE bas.

Ah ! l’heureuse nouvelle161 ? [p. 119]
Quelle aprehension, grands Dieux ! viens-je d’avoir ?

CLIMANTE.

Fay moy doncques le bien que je la puisse voir,
1295 Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure :
Car je veux, le sçachant, l’aller voir tout à l’heure ;
Ma fille, oblige*-moy.

ISABELLE bas.

Tout m’arrive à souhait,
Haut.
Vous serez dedans peu162 sur ce point satisfait,
Je pourray bien sçavoir par le moyen du Page
1300 Le nom et le logis de ce parfait visage :
Il est vray toutefois, qu’à peu prez je le sçay.

CLIMANTE.

Dy-le donc, satisfais au desir que j’en ay.

ISABELLE bas.

Est-il heur* sous le Ciel qui mon bonheur égale ?
Haut.
Dans un des Pavillons de la Place Royale :
1305 Mais je ne sçay lequel, allez-y sur le soir,
J’iray trouver le Page, et luy feray sçavoir,
Il en avertira sa Maistresse amoureuse [p. 120]
Qui s’en reputera* parfaitement heureuse,
Et vous fera venir.

CLIMANTE.

Que n’est-elle à mes yeux
1310 Aussi belle ?

ISABELLE.

Que qui ?

CLIMANTE.

Que toy.

ISABELLE.

Que moy ! grands Dieux163 ?
C’est comparer, Monsieur, le diamant au verre,
Le Soleil à l’estoille, et le Ciel à la terre,
Quoy qu’elle semble avoir quelque peu de mon air.

CLIMANTE.

S’il est vray, c’est un Ange, il n’en faut point douter.
[p. 121]

SCENE V. §

ADRASTE, CLIMANTE, ISABELLE, CARLIN.
Dans la ruë devant la porte du logis de Climante.

ADRASTE.

1315 De vous trouver ici, Climante, c’est merveille.
Regardant Isabelle.
Mais que voy-je ? en effet, révé-je, ou si je veille* ?

ISABELLE bas.

Il m’a veuë, ah grands Dieux ! que doy-je devenir ?

CLIMANTE.

D’où cet étonnement vous peut-il provenir ?

ADRASTE bas à Climante.

Si je suis interdit, et si le teint me change164,
1320 Ne trouvez point, amy, cette surprise estrange,
Mon admiration* est tres-juste. [p. 122]

CLIMANTE.

Pourquoy ?

ADRASTE bas à Climante.

Quel est ce beau visage ? amy, dites-le moy.

CLIMANTE.

Faut-il tant s’étonner pour voir une Suivante
Qui sert chez ma Maistresse ?

ADRASTE bas à Climante.

Est-il bien vray, Climante ?
1325 Certes, je suis surpris d’une estrange façon.

ISABELLE bas.

En me cachant deluy, j’accroistrois son soubçon,
Il vaut mieux dire adieu sans faire l’étonnée.
Haut.
Si cette affaire ici peut estre terminée,
Vous me tiendrez parole, et songerez à moy.

CLIMANTE.

1330 Ma fille, ne craint rien, je t’engage ma foy
Que je te donneray bien plus que tu ne penses.
N’en doute nullement.

ISABELLE.

Donc sur ces esperances, [p. 123]
Parce qu’il se fait tard, je pren congé de vous.

CARLIN à Isabelle.

Veux-tu point, Dorotée, appaiser ton courroux ?
1335 Me dis-tu point adieu ?

ISABELLE.

N’en dy pas davantage,
Va, va, je te cognoy, tu n’es rien qu’un volage.
[p. 124]

SCENE VI. §

ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN.
Dans la ruë à la porte de Climante.

ADRASTE.

Quoy ? cette fille ici165 sert donc chez Leonor ?
Seroit-il bien possible ?

CLIMANTE.

En doutez-vous encor ?
Je jure qu’il est vray.

ADRASTE.

Pardonnez je vous prie
1340 Si je tiens ce discours pour une réverie*,
Cela ne peut pas estre.

CLIMANTE.

Encor dites pourquoy
Vous voulez sur ce point vous deffier* de moy ?
Que m’importeroit-il ? [p. 125]

ADRASTE.

Parce que ce visage
Est, ou je suis charmé*, la veritable image
1345 D’une Dame que j’ayme, et hors l’habillement
Qui peut tromper mes yeux, mais non mon jugement.
Je n’ay veu sans mentir rien qui fust si semblable.
Ay-je tort de trouver cette chose admirable* ?

CLIMANTE.

Quand cela seroit vray qui si fort vous surprend,
1350 Je ne trouverois pas un miracle si grand
De voir qu’une personne à quelqu’autre ressemble :
Mais, Amy, vous diray-je au vray ce qui m’en semble ?

ADRASTE166.

Oüy, vous m’obligerez*, parlez-moy franchement.

CLIMANTE.

Vous estes, cher Adraste, un si parfait Amant,
1355 Qui portez tellement imprimé dedans l’ame
L’adorable portrait de vostre belle Dame,
Que tout ce qui paroist devant vos yeux charmez*
Vous semble estre aussi-tost l’objet* que vous aimez.
Ces sentimens estans arrivez à mille autres, [p. 126]
1360 Ne vous estonnez point si je blâme les vostres,
Je vous tiens, cognoissant vostre complexion*,
Capable plus qu’aucun de cette impression.
N’eussiez-vous pas juré que cette mesme Dame
Qui nous mit hier167 au soir tant de troubles en l’ame,
1365 Estoit le mesme objet* dont vous estes espris ?

ADRASTE.

Il est vray, je l’ay creu : mais quoy, je fus surpris.

CLIMANTE.

N’est-il pas encor vray, que jusqu’à sa Suivante
Vous pensiez que ce fust celle de vostre Amante ?
Et vous juriez quasi l’avoir veuë.

ADRASTE.

En effet,
1370 J’ay creu que c’estoit elle, et j’en avois sujet*,
Et d’autre que de vous j’aurois bien peine à croire
Que ce fust une fable*, et non pas une histoire*168.

CLIMANTE.

Vous vous trompiez pourtant en vostre opinion,
Celle que vous aimez est allée à Lyon,
1375 Comme vous m’avez dit, et l’autre sur ma vie [p. 127]
Est encor à Paris, et n’en est point sortie.
Puis que l’on m’a promis dans une heure d’ici
De me la faire voir, et luy parler aussi.

ADRASTE.

En quel lieu se tient-elle ?

CLIMANTE.

A la place Royale.

ADRASTE.

1380 S’il est vray, ma beveuë est ici sans égale,
A vous seul je me rends, quoy que fort estonné.

CLIMANTE.

Adraste, une autrefois* soyez moins obstiné.

ADRASTE.

Mais si vous allez voir cette belle Maistresse,
Qui de nouveau vous picque*, il faut que je vous169 laisse,
1385 l’Amour*, vous le sçavez, ne veut point de témoins.

CLIMANTE.

J’ay deux heures encor de loisir pour le moins,
En puis-je estre picqué* ne l’ayant jamais veuë ?
[p. 128]

ADRASTE.

Allons en attendant faire un tour par la ruë,
Nous nous separerons quand vous l’ordonnerez.

CLIMANTE.

1390 Je le veux, nous ferons tout ce que vous voudrez.

SCENE VII. §

LEONOR, LUCILLE.
Dans la ruë à la porte de Leonor, revenans de la Ville.

LUCILLE.

Pensez-y mieux, Madame.

LEONOR.

Ah Lucille, es-tu folle ?
Qu’on ne m’en parle plus, j’ay donné ma parole,
Deussé-je mille fois moy-mesme me trahir, [p. 129]
Mon oncle me l’ordonne, il luy faut obeyr,
1395 Je le veux espouser.

LUCILLE.

L’aveuglement extréme,
Voulez-vous vous vanger vous mesme de vous mesme ?

LEONOR.

En espousant Adraste, il est vray que j’ay tort,
Je l’ay hay sans doute à l’égal de la mort :
Mais que veux-tu, Lucille, à present que je fasse ?
1400 Je suis de feu pour l’un, et pour l’autre de glace,
Climante avoit mon cœur, je ne le cele pas,
Mais puis que ce perfide en fait si peu de cas,
Je veux fouler aux pieds sa cruelle arrogance,
Mespriser ses mespris, et braver son offence.

LUCILLE.

1405 Il est vray que Climante est perfide et leger :
Mais de qui maintenant pensez-vous vous vanger ?
Vous vous rendez vous mesme un tres mauvais office*,
Vous pleurerez long-temps l’effet de ce caprice,
Dont le plaisir ne peut vous durer qu’un moment, [p. 130]
1410 Et dont le repentir dure eternellement.

LEONOR.

Lucille, tu dis vray, mais je suis si piquée*,
De voir ma foy trahie, et mon Amour mocquee170,
Qu’il faut que je me vange, en deussé-je sentir
Le reste de mes jours un cuisant repentir.
1415 Le plaisir que j’auray de me sentir vangée,
Adoucira l’aigreur de mon ame outragée,
Et ce nouveau sujet* de joye en mes douleurs,
Calmera ma tristesse, et sechera mes pleurs.

LUCILLE.

Quoy ? vous desirez donc pour punir son offence
1420 Vivre en pleurs eternels ? ô la belle vengeance !
Par là vous contentez de tout point ses plaisirs,
Car n’ayant plus d’obstacle à ses ardents desirs,
Vostre rivale arrive au comble de sa gloire.

LEONOR.

Aussi sur mon Amour j’emporte la victoire,
1425 En dépit de ma flame il faut favoriser
La recherche d’Adraste, oüy, je veux l’épouser,
Je dois à son amour cette recognoissance : [p. 131]
Et puis nous songerons apres à la vengeance
Contre cet inconstant qui m’a manqué de foy.

SCENE VIII. §

ISABELLE, PAMPHILE, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

1430 Leonor vient d’entrer. Toy, Pamphile, dy moy,
As-tu trouvé Lizene ? as-tu donné ma lettre ?

PAMPHILE.

Croyez que de sa part vous vous pouvez promettre,
Si vostre heur en dépend, entiere guerison,
Elle vous laisse libre aujourd’huy sa maison,
1435 Afin d’y recevoir, comme estant la Maistresse,
Qui bon vous semblera.

ISABELLE.

J’estime ton adresse,
Dorise, portes-y promptement mon habit, [p. 132]
Pour me vestir chez elle, ainsi que je t’ay dit.

DORISE.

Je n’y manqueray pas, mais que voulez-vous faire ?

ISABELLE.

1440 Ne t’en informe point, c’est une estrange affaire,
Que tu verras sans doute, aujourd’huy reüssir,
Et lors* tu te pourras aysément éclaircir,
Par ce que tu verras de l’esprit d’Isabelle.
Mais Leonor paroist, elle sort de chez elle,
1445 Retirez-vous tous deux.
Dorise et Pamphile sortent.
[p. 133]

SCENE IX. §

LEONOR, ISABELLE.
Dans la ruë à la porte du logis de Leonor.

LEONOR.

Dorotée, est-ce toy ?
As-tu veu cet ingrat ? que dit-il ? respond-moy.

ISABELLE.

Si je ne l’avois veu, j’aurois bien peine à croire
Qu’un homme si bien fait eust une ame si noire.

LEONOR.

Acheve, je te prie.

ISABELLE.

Il est homme, et l’estant,
1450 Se doit-on estonner de le voir inconstant ?
Comme il vous avoit pleu me commander171, Madame, [p. 134]
J’ay remis vos écrits aux mains de cet infame ;
Mais luy sans s’estonner*, avec un faux sousris,
Signe trop évident d’un apparent mespris :
1455 Va dire, m’a-t’il dit, à cette glorieuse*,
Qui tranche* de la Reyne, et de l’Imperieuse,
Et dont j’ay, grace au Ciel, presque oublié le nom :
(Mais d’un air arrogant, et d’un superbe* ton)
Que d’elle je reçois avec beaucoup de joye
1460 Ces écrits que j’ay fais, et qu’elle me renvoye,
Qu’elle m’oblige* fort en pensant m’irriter :
Car je ne voulois pas qu’elle se peust vanter,
Comme par ces écrits elle l’auroit peu faire,
Qu’elle eust esté jamais capable de me plaire.

LEONOR.

1465 Avec cette impudence ?

ISABELLE.

Il m’a dit cent fois pis ;
De peur de vous fâcher, croyez que j’adoucis
Autant que je le puis son indigne response.

LEONOR.

Le perfide qu’il est172 ! va, va, je le renonce173 :
Mais qu’as-tu reparti ? [p. 135]

ISABELLE.

Je crains de vous fâcher :
1470 Comme par mes discours je voulois le toucher,
Cette Dame qu’il ayme, est aussi-tost entrée
Ce que174 voyant, soudain je me suis retirée,
M’estant bien aperceuë, ainsi comme je croy,
Qu’ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy.

LEONOR.

1475 Encor cela de plus ? écoute, Dorotée,
Me voyant de ce traistre indignement traitée,
Je ne ressemble point à ces lâches esprits
Dont l’Amour aveuglé s’accroist par le mespris,
Il n’est rien qui me picque*, et qui plus me rebute,
1480 Oy donc un beau dessein qu’il faut que j’execute :
Me voylà resoluë à vivre sous les loix
D’un jeune Cavalier, que mon oncle autrefois
Contre mon sentiment m’a conseillé de prendre :
Mais je desire avant que d’y vouloir entendre*
1485 Me vanger puissament de ce manque de foy.

ISABELLE.

S’il ne tient qu’à cela, reposez-vous sur moy,
J’en viendray bien à bout ; Oüy, je pourray, Madame, [p. 136]
Par un subtil moyen que je conçoy dans l’ame,
Rendre dessus ce poinct vos desirs satisfaits.

LEONOR.

1490 Ma fille, espere tout de moy si tu le fais.

ISABELLE.

Oüy, oüy, je vengeray puissamment cette offence175 :
Mais entrons là-dedans, avec plus d’asseurance
Nous en pourrons parler, et tenez pour certain
Que je viendray sans peine à bout de mon dessein.

LEONOR.

1495 Entrons, je le veux bien, mais que pretens-tu faire ?

ISABELLE.

Laissez-moy comme il faut ménager cette affaire.

LEONOR.

Je croy que ton esprit peut entreprendre tout,
Et si je ne me trompe, en venir bien à bout.

Fin du quatriesme Acte.

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

ADRASTE, CLIMANTE, CARLIN.

ADRASTE dans la ruë.

Le Ciel me favorise, et certes aujourd’huy
1500 J'ay lieu de me loüer* plus que jamais de luy
De vous trouver ici.

CLIMANTE.

Dites-moy quelle affaire
Vous porte à me chercher ?

ADRASTE.

Une tres-necessaire,
Vous seul avez pouvoir de terminer176 mon sort, [p. 138]
J'attens de vostre bouche, ou la vie, ou la mort.

CLIMANTE.

1505 Adraste, devez-vous me traitter* de la sorte ?

ADRASTE.

On veut faire revivre une esperance morte,
Et tout dépend de vous, ainsi que l’on m’a dit.

CLIMANTE.

Vous estes trop heureux* si j’ay tant de credit,
Oüy, disposez de moy, vous en estes le maistre.

ADRASTE.

1510 Je benirois le Ciel si cela pouvoit estre.

CLIMANTE.

Voyez* où vous avez besoin de mon secours.

ADRASTE.

On veut renouveller mes premieres Amours177,
En vous quittant tantost j’ay rencontré Timandre
Oncle de Leonor, lequel m’a fait entendre
1515 Que sa niepce à present brusle d’amour pour moy,
Qu'elle est preste aujourd’huy de178 m’engager sa foy ;
Que vous avez rompu tout à fait avec elle, [p. 139]
Dont179 il venoit exprez me donner la nouvelle ;
Que si j’ay conservé quelque reste d’Amour,
1520 Je n’ay qu’à convenir et de l’heure et du jour
Pour faire les accords de nostre mariage ;
Je n’ay que faire ici d’en dire davantage ;
Vous m’avez fait sçavoir tantost que contre vous
Leonor ce matin a vomi son courroux ;
1525 Et comme je cognoy ces riottes* legeres
Qui parmy les Amans sont assez ordinaires,
J'ay creu que ce dépit mourroit dans un moment,
Mais il m’a bien conté cette histoire autrement,
Car il m’a protesté* que sa Niepce offensée
1530 Vous avoit pour jamais banni de sa pensée,
Qu'elle avoit pour moy seul autant de passion
Qu'elle avoit cy-devant180 conceu d’adversion,
Qu'il ne tiendra qu’à moy que dans cette journée,
Nous ne soyons unis sous les loix d’Hymenée ;
1535 Qu'au lieu de traverser* nostre contentement,
Vous mesme y donnerez vostre consentement,
Sans quoy181 je ne voudrois jamais rien entreprendre :
Dites donc, cher Amy, ce que j’en dois attendre,
Pour Dieu182 ne tenez plus mon esprit en suspends.

CLIMANTE.

1540 Vous ne sçauriez, Amy, mieux prendre vostre temps,
Rebuté des mépris de cette glorieuse*, [p. 140]
Qui pour un faux soubçon fait tant la dédaigneuse,
De bon cœur je la cede, et je ne pretens pas
Vous obliger* beaucoup en cedant183 ses appas ;
1545 Puis que j’ay fait dessein de servir cette Dame,
Pour qui je vous ay dit que j’estois tout de flame :
Je ne la vy jamais, mais on m’a tant vanté
Sa beauté, sa noblesse, et sa civilité,
Le tout accompagné d’une extréme richesse,
1550 Que je suis resolu d’en faire ma Maistresse :
Vous rendant Leonor pour vous, je ne fay rien,
C'est restitution, je vous rends vostre bien,
Et quand je l’aymerois, mon heur* seroit extréme
De la voir posseder par un autre moy-mesme184.

ADRASTE.

1555 Je n’esperois pas moins d’un genereux Amy,
Qui n’oblige* jamais ceux qu’il ayme, à demy.
Puis que de son Amour son mépris vous dégage,
Je m’en vay terminer cet heureux mariage

CLIMANTE.

Leonor est à vous, je n’y pretens plus rien,
1560 Adieu, de mon costé je vay penser au mien.
Adraste s’en va.
Allons, Carlin, allons visiter cette belle.

CARLIN.

Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle,
Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ?
Estes-vous asseuré de demeurer d’accord* ?
1565 Et que cette beauté qu’on vous peint adorable,
Ne soit point à vos yeux quelque objet* effroyable ?
C'est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain,
D'abandonner ainsi le seur pour l’incertain :
Vous faites à vous mesme une trop rude guerre,
1570 Entre deux beaux coussins d’estre le cul en terre.

CLIMANTE.

Dorotée a dit vray, va Carlin, je la croy
Puis qu’elle m’en asseure, elle est digne de foy.
[p. 142]

SCENE II. §

ISABELLE superbement vestuë en Dame. LEONOR, DORISE.
Dans la ruë à la porte du logis de Leonor.

ISABELLE.

Qu'en dites-vous, Madame ?

LEONOR.

Il est vray, Dorotée,
Que la fourbe est subtile, et tres-bien inventée :
1575 Mais j’ay peine pourtant, à me persuader
Que tu viennes185 à bout186.

ISABELLE.

Cessez d’apprehender,
Reposez-vous sur moy, la chose est tres-aisée.
[p. 143]

LEONOR.

Il le faut confesser, tu t’es bien déguisée,
Cet habit te sied bien, mais crois-tu qu’aisément
1580 Climante soit duppé par ce déguisement ?
Et quoy ? crois-tu passer prez de luy pour Lizene ?

ISABELLE.

Mais, Madame, pourquoy vous mettez-vous en peine* ?
Blâmez-moy si je manque*, et si je ne fais bien,
Il suffit qu’aujourd’huy vous ne hazardez* rien,
1585 C'est moy seule qui cours risque de toute chose.

LEONOR.

Sçache qu’à tout peril pour cela je m’expose,
Tu ne le cognois pas comme je le cognois ;
Climante est fort rusé.

ISABELLE.

Le fust-il plus cent fois
Il n’échapera pas des mains de Dorotée.

LEONOR.

1590 Mais dans ce beau dessein, t’es-tu point mécontée* ?
Car Lizene n’est pas la Dame qu’il cherit. [p. 144]

ISABELLE.

Avez-vous oublié ce que je vous ay dit ?
Il est vray que Climante adore cette Dame
Dont vous avez soubçon ; mais non pas comme femme,
1595 Il ne la tient chez luy que pour passer son temps,
Et vous l’avez deux fois trouvée à vos despens :
Mais au nom de Lizene il a rendu les armes,
Il meurt pour ses attraits, il adore ses charmes :
Enfin de ses grands biens estant bien adverti,
1600 Il meurt de posseder un si riche parti.
Moy, sçachant de certain187 qu’il ne l’a jamais veuë,
L'invention soudain dans l’esprit m’est venuë
De passer prez de luy sous ce nom emprunté,
Bien que comme en esprit je luy cede en beauté :
1605 Lizene m’ayme fort, et je suis asseurée
Qu'elle nous servira, je l’ay bien preparée,
Ce soir elle me preste à dessein son logis,
Et m’a par ma cadette envoyé ses habits
Qui me viennent* bien mieux que n’eussent fait tous autres,
1610 C'est le sujet* pourquoy188 je n’ay pas pris189 les vostres,
On diroit que ceux-cy sont fait exprez pour190 moy.
[p. 145]

LEONOR.

Tu ne pourras jamais l’abuser que je croy,
Il te recognoistra, tout le jour il t’a veuë.

ISABELLE.

Laissez-moy faire, ô Dieux ! vostre soubçon me tuë,
1615 J'ajusteray ma mine à mes pompeux habits.

LEONOR.

Quand bien tu passerois pour celle que tu dis,
Sans s’informer de toy, penses-tu qu’il souhaite
T'espouser sur le champ ?

ISABELLE.

Je tiens la chose faite.
Vous en aurez sans doute aujourd’huy le plaisir.

LEONOR.

1620 La vengeance seroit conforme à mon desir,
Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse,
S'il prenoit la Suivante.

ISABELLE.

Adieu donc, je vous laisse,
Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy, [p. 146]
Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd’huy.

LEONOR.

1625 Dieu veüille seconder* cette belle entreprise
Qui vange mon honneur ; Va, le Ciel te conduise.

ISABELLE.

Je meine* pour Servante avecque moy ma sœur.
Leonor s’en va.

LEONOR.

Ciel, donnez-luy la force aussi bien que le cœur*.

SCENE III. §

ISABELLE, DORISE.

ISABELLE dans la ruë.

Allons, ma sœur, allons. Au coin de cette ruë,
1630 Quand tu ne seras plus de personne aperceuë,
Retourne à la maison.
[p. 147]

DORISE.

Je m’en vay m’échaper ;
Grands Dieux ! que cette fille est facile à tromper191 ?

ISABELLE.

Dépéche-toy, Carlin venant avec son Maistre,
Ne manqueroit jamais, sans doute à te cognoistre.

DORISE.

1635 Le hazard* est bien grand que vous allez courir.

ISABELLE.

Ne sors pas du logis, je t’envoyeray querir.
Elles s’en vont toutes deux, l’une par un costé et l’autre par l’autre.
[p. 148]

SCENE IV. §

CLIMANTE, CARLIN.
Dans la ruë qui paroistra, si l’on veut, la Place Royale.

CLIMANTE.

Voicy l’heure, sans doute192, à mon bonheur fatale,
Nous sommes assez prez de la Place Royale,
Quel sera le logis de tous ceux que je voy ?

CARLIN.

1640 Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy
Aux discours imposteurs de cette Dorotée ?
Ne voyez-vous pas bien que c’est une effrontée
Qui ne fait que mentir ?

CLIMANTE.

Non, tant que je vivray
Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray.
[p. 149]

CARLIN.

1645 Pour se mocquer de vous, elle s’est advisée*
De cette fourbe ici193 : Monsieur, elle est rusée
Plus que vous ne pensez.

CLIMANTE.

Que m’importe ? apres tout,
Car si de mes desseins je ne viens pas à bout,
Toûjours* la promenade est belle en cette place ?

CARLIN.

1650 Elle est belle pour vous, mais pour moy je me lasse,
Entrons, et me croyez194 dans quelque cabaret,
Pour nous desalterer allons-y boire un trait*,
Quel plaisir de marcher à vuide* dans la ruë ?
Je me lasse, Monsieur, à faire ici la gruë*.

CLIMANTE.

1655 Quoy maraut ? suis-je un homme à hanter* en tels lieux ?
Qui m’y viendroit chercher ?

CARLIN.

Il falloit pour le mieux,
Luy donner rendez-vous dedans l’Echarpe blanche195 ; [p. 150]
Je jeusne ici, mais là j’aurois eu ma revanche,
Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin,
1660 Quand mesme j’y serois du soir jusqu’au matin :
Mais à pied dans la ruë on me fait trop attendre.

SCENE V. §

UN PAGE d’Isabelle, CLIMANTE, CARLIN dans la Place Royale à la porte de Lizene.
Climante se promene seul.

LE PAGE.

Souffrez la liberté, Monsieur, que j’ose prendre ;
Estes-vous pas Climante196 ? […]

CLIMANTE.

Oüy, l'on m'appelle ainsi.

LE PAGE.

Venez donc, ma Maistresse assez proche d'ici.
1665 Vous attend à la porte, elle s'en va descendre.

CLIMANTE.

J'obeys, et te suy s'il te plaist de m'attendre.
Quel heur* pour moy : Carlin, dis-tu pas qu'elle ment ?

CARLIN.

Si la fin peut respondre à ce commencement ;
(Mais j'en doute bien fort) j'auray menti moy-mesme.

SCENE VI. §

ISABELLE, CARLIN, CLIMANTE.
Dans la ruë qui paroistra, si l'on veut, la Place Royale devant la porte de Lizene.

ISABELLE superbement vestuë.

1670 Vous ayant fait sçavoir, Monsieur, que je vous ayme,
Et que d’un autre objet* mon cœur estoit jaloux,
Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ? [p. 152]

CLIMANTE surpris à Carlin bas.

De quelle illusion est mon ame enchanté* ?
Cognois-tu ce visage ?

CARLIN bas à Climante.

Ah Dieux ! c’est Dorotée ?
1675 C'est elle, mais, Monsieur, en different habit.

ISABELLE.

Vous estes donc muet ? vous estes interdit ?
Quoy Monsieur, traitez-vous les Dames de la sorte ?
Et vous offencez-vous de l’Amour qu’on vous porte ?

CLIMANTE.

L'excez de cet honneur me surprend tellement,
1680 Que je ne puis ouvrir la bouche seulement.
Mais sous un autre habit ne vous ay-je point veuë ?

ISABELLE.

Non, mais c’est à la voix que vous m’avez cognuë
Vous m’avez peu parler seulement une fois
Qui fut hier au soir.
[p. 153]

CLIMANTE à Carlin.

Carlin, j’en jurerois.

ISABELLE.

1685 Expliquez-vous, Monsieur, car ce discours m’estonne.

CLIMANTE.

Vous ressemblez si fort à certaine personne,
Que si ce beau visage, et le sien en sont deux,
On n’a jamais rien veu de si miraculeux.
Voyla son œil, son poil, sa parole, son geste,
1690 Sa taille et sa façon : Oüy Carlin, je proteste*
Que ce l’est elle-mesme.

CARLIN.

Il n’en faut point douter,
C'est elle, et je me ry de vous voir consulter*.

ISABELLE.

Et vous nommez, Monsieur, celle-là ?

CLIMANTE.

Dorotée,
Qui sert chez Leonor, Dame que j’ay hantée*,
1695 Et pour qui j’ay mesme eu de l’inclination. [p. 154]

ISABELLE.

Vous n’estes pas tout seul de cette opinion ;
L'ayant veuë aujourd’huy par la ruë, il me semble
A moi-mesme qu’elle a quelque air qui me ressemble.

CARLIN bas.

Si je ne l’estois pas, je serois bien duppé197.

CLIMANTE.

1700 Cet habit me surprend.

CARLIN.

C'est luy qui m’a trompé.

ISABELLE.

Brisons*-là, pour vous dire ici que je vous aime,
Je le dy librement, et que je suis la mesme
Qui me refugié198 chez vous hier au soir,
Pour avoir plus long-temps le bonheur de vous voir.
1705 Je feigny que j’estois d’un mary poursuivie,
Qui vouloit en cholere attenter sur ma vie :
Mais je suis fille encor, je mentois à dessein.
[p. 155]

CARLIN bas à Climante.

Elle mentit hier, et mentira demain,
Vous l’écoutez encor ?

CLIMANTE.

Maraut te veux-tu taire ?

ISABELLE.

1710 Pour mettre Leonor justement en colere,
Sçachant qu’elle venoit chez vous pour voir le Roy,
J'emporté vos deux clefs, et mandé199 que chez moy
On fist vestir sur l’heure une adroite friponne
D'un de mes beaux habits : Aussi-tost je luy donne
1715 Vos deux clefs dans la main, avec commandement
De venir s’enfermer dans vostre apartement.
Vous voyez que c’estoit pour donner de l’ombrage* ;
Je ne puis pas, Monsieur, en dire davantage,
Vous avez veu le reste, et vous pouvez sçavoir
1720 Si cette jeune fille a bien fait son devoir.

CLIMANTE.

Mais à tous vos desseins pouvois-je rien200 comprendre ?
Madame, sans parler, pouvois-je vous entendre ?
[p. 156]

ISABELLE.

Non, pour moy Dorotée en a pris le souci*,
J'ay sceu depuis tantost qu’on l’appelloit ainsi,
1725 A qui201 j’ay declaré mon amoureux martyre,
Afin de m’epargner la honte de le dire.

CLIMANTE bas.

Dorotée en effet m’a dit la verité.

ISABELLE.

Informez-vous, Monsieur, quelle est ma qualité*,
Et vous recognoistrez, sans doute, qu’en noblesse,
1730 Je passe* Leonor aussi bien qu’en richesse,
Et pleust à mon destin que je peusse en ce jour
La surpasser en grace aussi bien qu’en amour
Pour vous estre agreable.

CLIMANTE.

Ah ! beauté que j’admire202 ?
Dans ma confusion je ne sçay que vous dire.
1735 C'est moy qui doy, Madame, implorer à genoux
L'heur* de vous posseder en qualité d’espoux :
Je me tiens glorieux, et renonce à tout autre
Si vous offrant ma main vous me donnez la vostre.
[p. 157]

ISABELLE luy donnant la main.

Me voici, je l’avoüe, au bout de mes souhaits,
1740 Mon cœur est trop content, pourveu que desormais
Leonor ne soit plus en pouvoir de me nuire.

CLIMANTE.

Elle épouse à203 ce soir Adraste, et je desire
Luy montrer qu’ayant sceu briser tous ses liens204,
J'ay mesprise ses fers comme elle a fait les miens205.

ISABELLE.

1745 Allons-y, vous verrez quelque chose d’estrange,
Adraste vous dira que vous gagnez au change.
Il me cognoist fort bien, allons-y de ce pas.

CARLIN bas à Climante.

Non, croyez-moy, Monsieur, et ne la croyez pas.
Voyez-vous pas206 que c’est une fourbe inventée ?

CLIMANTE.

1750 Mais quoy ! chez Leonor verrons-nous Dorotée
Sans qu’on charme* mes yeux ? sans qu’on trompe mes sens ?
[p. 158]

ISABELLE.

Je vous la feray voir.

CLIMANTE.

Dieux ! qu’est-ce que j’entends ?
Et mesme devant vous je la verray paroistre ?

ISABELLE.

Oüy, tres-asseurément.

CLIMANTE.

Cela ne peut pas estre.

ISABELLE.

1755 Vous l’y verrez.

CLIMANTE.

Allons, j’en veux estre éclairci :
Soyez juges, mes yeux, de ce prodige ici207.
[p. 159]

SCENE VII. §

ADRASTE, TIMANDRE, LEONOR, LUCILLE
Dans la ruë à la porte de Leonor.

ADRASTE.

Mais est-il bien certain, Monsieur, j’ay peine à croire
Que je sois à present si proche de ma gloire.
Leonor paroist à sa porte avec Lucille.

TIMANDRE.

Ne me croyez-vous point ? en doutez-vous encor ?
1760 Allons sur ce sujet consulter Leonor.
Mais la voicy qui sort.

ADRASTE à Leonor.

Beauté plus que mortelle,
Je suis trop glorieux* si ma fortune est telle
Que vostre oncle me dit, et beny l’heureux* jour [p. 160]
Qu'en vostre cœur la haine a fait place à l’Amour208.

TIMANDRE.

1765 Ma Niepce méprisant cent indignes conquestes,
Et recognoissant mieux l’honneur que vous luy faites,
Vous reçoit maintenant en qualité d’Epoux.

LEONOR.

Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous !
Ayant fait plus d’estat d’un perfide, et d’un traistre,
1770 Que d’un fidelle Amant que je n’ay peu cognoistre ?
Mais en me209 tesmoignant qu’au lieu de vous vanger
Par un excez d’amour vous voulez m’obliger* ;
Je jure de n’avoir desormais autre envie
Que de vous obliger*210 tout le temps de ma vie.

ADRASTE.

1775 Apres tant de faveurs que dois-je aprehender !
Timandre, accordez-moy l’heur* de la posseder.

TIMANDRE.

Regardez*, Leonor, ce que vous voulez faire.

LEONOR.

Puis qu’il vous plaist, Monsieur, je le veux satisfaire.
[p. 161]

TIMANDRE.

Je conjure le Ciel que selon vos desirs
1780 Rien ne puisse jamais alterer vos plaisirs :
Entrons, nous serons mieux au logis qu’en la ruë.
Isabelle avec suitte211, Climante et Carlin paroissent.
Ces gens viennent à nous, attendons leur venuë.

SCENE VIII et derniere. §

CLIMANTE, ADRASTE, LEONOR, ISABELLE superbement vestuë avec suitte CARLIN, TIMANDRE, LUCILLE, ARISTE
Tous dans la ruë à la porte de Leonor.

CLIMANTE à Leonor.

Je viens pour prendre part à vos felicitez,
Et non pour rendre hommage encor à vos beautez :
1785 Je sens dedans mon cœur une joye infinie,
De voir à vostre hymen si bonne compagnie.
Montrant Isabelle qu’il tient par la main.
Ce bel objet* que rien ne sçauroit égaler,
Me peut, si je vous perds, aysément consoler.

ADRASTE bas, estonné.

Que vois-je, justes Dieux ! que mon ame est ravie* !
[p. 162]

LEONOR à Climante ;

1790 Si vous considerez mon bonheur sans envie,
Sans aucun déplaisir je voy le vostre aussi.

ADRASTE bas à Leonor.

Madame, justes Dieux ! que veut dire cecy ?
Voyla cette beauté que je croyois absente.

LEONOR bas à Adraste.

Adraste, taisez-vous, c’est ici ma Suivante,
1795 Vous allez, sans mentir, bien passer vostre temps.
Oyez sans dire mot.

ADRASTE bas.

Dieux ! qu’est-ce que j’entends ?
De quel trouble d’esprit est mon ame agitée ?

CLIMANTE à Leonor.

Faites-moy, s’il vous plaist, appeler Dorotée.

LEONOR.

Que luy voulez-vous donc ?

CLIMANTE.

La voir tant seulement.
[p. 163]

LEONOR à Adraste bas.

1800 Et bien, qu’en dites-vous ? c’est elle asseurément,
Il la tient par la main, et vient s’informer d’elle.
Haut à Climante.
Je m’en vais vous aprendre une heureuse nouvelle,
Elle n’est pas bien loin, je vous la vay montrer,
Elle est ici presente, et feignez212 l’ignorer.
A Isabelle.
1805 Dorotée, allez tost me querir ma cassette
Où sont tous mes escrits : (elle fait la muette)
Madame, approchez-vous.

ISABELLE gravement.

Parlez-vous donc à moy ?

ADRASTE bas.

C'est elle asseurément, ah ! qu’est-ce que je voy ?

LEONOR à Isabelle.

C'est à toy que je parle, il n’est plus temps de feindre,
1810 Ma fille, respons-moy, va, tu n’as rien à craindre.
A Climante.
Ah perfide ! ah volage ! indigne de pitié,
Le Ciel me vange bien de ton peu d’amitié,
Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante213.
[p. 164]

CLIMANTE regardant Isabelle.

Dieux214 ! quelle trahison ?

ISABELLE.

N'en croyez rien, Climante,
1815 Je ne veux plus tenir tant de monde en suspens.
Je me veux declarer, oüy Madame il est temps :
Pensant tromper autruy vous vous trompez vous mesme.
J'ay feint, pour posseder ce Cavalier que j’ayme,
Mon nom, et mon habit ; En ay-je dit assez ?
1820 Je ne suis nullement celle que vous pensez :
Adraste que voyla, sçait bien comme on m’appelle,
Qu'il dise franchement s’il cognoit Isabelle ?
S'il sçait quel est mon bien et mon extraction ?
J'ay veritablement trahy sa passion,
1825 Je me suis à ses vœux montrée inexorable,
Mais je le cognoy bien, il est trop raisonable
Pour desirer par force estre maistre d’un cœur
Qui confesse tout haut le nom de son vainqueur.

LEONOR.

Vous mocquez-vous de nous par ces contes frivoles ?

ADRASTE.

1830 Madame, elle dit vray, croyez à ses paroles,
Je la cognoy fort bien, c’est veritablement [p. 165]
Ce sujet tant vanté, cet objet* si charmant
Qui rangea sous ses loix ma liberté ravie,
Quand je vous vy si fort contraire à mon envie :
1835 Mais je r'entre content dedans mes premiers fers,
Je ne me souviens plus des maux que j’ay soufferts :
Car je sens de nouveau renaistre dans mon ame
Le mesme embrazement de ma premiere flame,
Que vostre seul mépris, Madame, avoit esteint.
1840 Vous, cher Amy, croyez si vous estes estreint
Du saint nœud d’Hymenée avec cette merveille,
Que c’est une faveur qui n’a point de pareille,
C'est le plus digne objet* qui soit dessous les Cieux.

LEONOR.

Climante, souffrez-vous qu’on nous jouë215 à vos yeux ?

CLIMANTE.

1845 Puis que je voy qu’ici la chose est sans remede,
Qu'y216 ferois-je, Madame ? il faut bien que je cede :
Mais Adraste a dit vray, je suis tres-satisfait,
Et ne me repens point du beau choix que j’ay fait.

LEONOR.

Le Ciel fait bien paroistre aujourd’huy sa justice ;
1850 Adraste jusqu’ici m’a tant fait de service,
Que ce seroit luy faire un trop indigne tour, [p. 166]
De ne seconder* pas un si fidelle Amour.

ADRASTE.

Apres un tel adveu, je suis ingrat, Madame,
Si je me plains du Ciel.

ISABELLE.

Pour moy, si j’ay du blâme,
1855 De vous avoir fourbez, de vous avoir trahis,
Il en faut accuser l’Astre à qui j’obeys :
Mais217 pour rendre à mes vœux ce Cavalier sensible,
J'aurois tout fait, Madame, et jusqu’à l’impossible.

LEONOR.

Tant s’en faut que j’en garde aucun ressouvenir*,
1860 Que j’en beny le Ciel qui m’a voulu punir,
Et m’offre à vous servir de toute ma puissance :
Mais pardonnez, Madame, à mon extravagance.
Je devois bien juger, voyant ce que je voy,
Que je devois servir, vous, commander chez moy.

ISABELLE.

1865 Cet excez de faveur surpasse mon attente :
Mais quoy ! vous me traitez comme vostre servante.
[p. 167]

TIMANDRE.

Laissons ces complimens, songeons à terminer
Ce double mariage, il nous faut couronner
Ce beau couple d’Amans d’une immortelle gloire,
1870 Afin que nos Neveux* en celebrent l’histoire.

CARLIN à Isabelle.

Tu me quittes cruelle, et je t’ayme si fort.

CLIMANTE.

En effet il est vray, Dorotée a grand tort.

ISABELLE.

Au lieu d’elle Carlin, je te donne Dorise,
Elle me sert, je veux qu’elle te soit acquise,
1875 Tu sçais bien son logis, fay-la venir ici.

CARLIN.

Pourveu qu’elle ait sa bague et cent escus aussi.

ISABELLE.

Va, je t’en donne mille, en veux-tu davantage ?
Pourrois-tu souhaitter un plus beau mariage.
[p. 168]

CARLIN.

Je seray plus heureux que mon Maistre à la fin.

CLIMANTE.

1880 Je veux aussi donner mil escus à Carlin,
Et devant* qu’il soit nuict218 je veux qu’on les fiance.
Ils s’en vont.

CARLIN.

Puis que je voy chez nous et bagues et finance,
Je veux d’orénavant qu’on m’appelle Monsieur,
A quantité de gueux on fait bien cet honneur,
1885 Qui n’ont point tant d’escus ny si belle Maistresse.
Puis-je pas y pretendre avec tant de richesse ?
Oüy, je rompray le col, j’en fais un bon serment,
A quiconque osera m’appeller autrement.

Fin de la Comedie de la Dame Suivante.

EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. §

Par grace & Privilege du Roy donné à Paris le vingt-cinquiesme jour de Juillet 1645. Signé, Par le Roy en son Conseil, LE BRUN. Il est permis à TOUSSAINCT QUINET Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Theatre intitulée, La Dame Suivante Comédie, Par le sieur d’Ouville, durant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer : Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire ledit Livre, ny le vendre ou exposer en vente à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens219, dommages & interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le
huictiesme Aoust 1645.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Lexique §

Accident
Trouble.
V. 267
Accord
« Se dit figurément de l’union de deux personnes qui vivent ensemble. » (Fur.)
V. 670 ; 1564
Admirable
Étonnant.
V. 1348
Admiration
« Action par laquelle on regarde avec estonnement quelque chose de grand et de surprenant. » (Fur.) A le même sens que surprise.
V. 1321
Adviser
« Se dit figurément des découvertes qui se font par les yeux de l’esprit aprés quelque méditation. Il s’est advisé d’une bonne invention. » (Fur.)
V. 1645
Ajuster
Orner, embellir, parer.
V. 324 ; 580 ; 823
Amour (faire l’)
« Se livrer à la galanterie. » (Ac.) « on dit qu’un jeune homme fait l’amour à une fille, quand il la recherche en mariage. » (Fur.)
V. 669 ; 1385
Apparence
« Se dit aussi de ce qui est opposé à la réalité, qui n’est que faux, feint& simulé. » (Fur.)
V. 1088
Arrester
« Signifie tarder, s’amuser, rester quelques temps dans un lieu sans en sortir. » (Ac.)
V. 22 ; 893 ; 978
Asseurance
Constance, fermeté.
V. 139
Aucunement
En quelque façon, jusqu’à un certain point.
V. 746
Autrefois
« Signifie aussi un autre temps : je ne puis faire cela maintenant, ce sera pour une autrefois. » (Fur.)
V. 646 ; 1382
Badin, ine
« Qui est folastre, peu serieux, qui fait des plaisanteries. » (Fur.)
V. 1200
Briser
« Se dit absolument, quand on veut interrompre ou faire taire quelqu’un qui dit des choses désagréables, ou qui peuvent faire naître quelque querelle. » (Fur.)
V. 125 ; 1701
Brutal
« Celuy qui n’a pas plus d’esprit & de conduitte qu’une beste. » (Fur.)
V. 45
Caresser
Flatter, cajoler.
V. 972
Chagrin
« Quelques-uns derivent ce mot de aigrir, parce qu’il cause quelque aigreur ou amertume dans l’esprit. » (Fur.) A le même sens que rancune.
V. 1226
Change
« On dit figurément qu’un homme a pris le change, qu’on luy a donné le change, quand on luy a fait quitter quelque bonne affaire pour en poursuivre une autre qui luy est moins avantageuse. » (Fur.)
V. 1280
Donner le change à quelqu’un signifie « Détourner adroitement quelqu’un du dessein, des vues qu’il peut avoir, en lui donnant lieu de croire une chose pour une autre. » (Ac.)
V. 448
Charmer
A le sens d’ensorceler, enchanter.
V. 863 ; 1344 ; 1357 ; 1751
Chaude (à la) : adv.
« D’une maniere prompte & violente. » (Fur.)
V. 52
Cœur
« Signifie quelquefois, Vigueur, force, courage, intrépidité. » (Fur.)
V. 1628
Cognoistre
Reconnaître.
V. 934
Complexion
Tempérament, « habitude, disposition naturelle du corps. » (Fur.)
V. 1361
Composer
« Signifie encore en Morale, Régler ses moeurs, ses actions, ses paroles. » (Fur.)
V. 1143
Consulter
« Signifie aussi, Etre irresolu, incertain quel party on doit choisir. » (Fur.). Équivaut à hésiter.
V. 770 ; 1692
Contraindre
« Gesner, incommoder. » (Fur.)
V. 7
Convaincre
Faire apparaître manifestement comme coupable.
V. 336
Couler (se)
« Signifie encore, Entrer en quelque maison, s’y glisser avec adresse. » (Fur.)
V. 938
Cy-devant
Auparavant.
V. 1532
Deffier (se)
« Avec le pronom personnel, signifie, N’estre pas assûré de quelque personne, ou de quelque chose. » (Fur.) Signifie se méfier.
V. 85 ; 1342
Delicat
« Se dit encore en ce sens de ce qui est foible ou fragile, qui ne peut pas resister aux attaques des corps estrangers. » (Fur.)
V. 1255
Démentir
« Reprocher à quelqu’un qu’il a menti, luy soûtenir injurieusement qu’il n’a pas dit vray. » (Fur.)
V. 350 ; 358 ; 1102
Demeure
« Se dit, en termes de Jurisprudence, du Retard, du temps qui court au-delà du terme où l’on est tenu de payer ou de faire quelque autre chose. » (Ac.) Sans demeure signifie sans retard.
V. 832
Devant
Auparavant.
V. 258
Avant.
V. 1881
Diligence (en)
Rapidement, en vitesse.
V. 699
Diligenter (se)
Se dépêcher.
V. 704
Divertir (se)
« On dit qu’une femme se divertit lors qu’elle fait l’amour. » (Fur.)
V. 30
Dresser
Préparer, arranger, mettre en état. Dresser le ménage signifie faire le ménage.
V. 565
Éclat
« Bruit, rumeur, scandale. » (Ac.)
V. 886
Emmener
Au sens de amener.
V. 300 ; 362 ; 660 ; 734 ; 849 ; 1094
Empescher
« Signifie aussi Embarrasser, occuper. » (Fur.)
V. 1212
Enchanter
« Charmer, ensorceler par des sons, par des paroles, par des figures, par des opérations magiques. » (Ac.)
V. 302 ; 845 ; 1673
Ennui
Souci, chagrin, tourment.
V. 398 ; 784 ; 1219
Entendre
« Consentir à quelque proposition. » (Fur.)
V. 1484
Comprendre.
V. 492 ; 707
Équipage
« Provision de tout ce qui est necessaire pour voyager, ou s’entretenir honorablement, soit de valets, soit de chevaux, carrosses, habits, armes, … » (Fur.)
V. 1133
Estonner (s’)
S’effrayer.
V. 1259 ; 1453
Estre en peine
Être inquiet.
V. 242 ; 659 ; 1287 ; 1582
Fable
« Signifie absolument Fausseté. » (Fur.) A le sens de mensonge.
V. 1092 ; 1372
Faux (à)
Locution adverbiale, signifie à tort, injustement. (Ac.)
V. 425
Ferrer la mule : proverbe.
« Se dit quand les valets ou les commissionnaires trompent sur le prix des marchandises, & les comptent plus qu’ils ne les ont achetées. » (Fur.)
V. 88
Finesse
« Se dit aussi en mauvaise part, pour signifier, Ruse, adresse, artifice. » (Fur.)
V. 1171
Force : adv.
Beaucoup, d’une manière abondante.
V. 1133
Nécessité, contrainte.
V. 112
Front
« Impudence, temerité de soustenir en face à quelqu’un un mensonge, une calomnie. » (Fur.)
V. 349 ; 353 ; 866
Galanterie
Bonne grâce, agrément, cadeau, divertissement plein de goût.
V. 572
Genereux
Courageux.
V. 622
Glorieux
« Se dit aussi d’un orgueuilleux, d’un homme qui a trop de vanité. » (Fur.)
V. 1455 ; 1541 ; 1762
Goutte
Ne voir goutte signifie ne pas voir clair. (Ac.)
V. 424
Gruë (faire la)
« On dit aussi, qu’un homme fait le pied de gruë, quand il est long-temps debout en quelque lieu, et particulièrement quand on le fait attendre parce qu’on dit que les gruës ont coûtume d’avoir un pied en l’air quand elles font sentinelle. » (Fur.)
V. 1654
Hanter
« Estre souvent en la compagnie de quelqu’un, soit qu’on luy fasse des visites, soit qu’on reçoive les siennes. » (Fur.)
V. 1136 ; 1694
« Se dit aussi des lieux où on va ordinairement. » (Fur.)
V. 1655
Haste (avoir)
Être pressé.
V. 889
Haut
« Se dit aussi de tout ce qui a quelque degré d’excellence, d’eslevation en quelque chose que ce soit, tant en bonne qu’en mauvaise part. On dit qu’un homme est haut en paroles, lors qu’il parle impérieusement. » (Fur.)
V. 1197
Hazard
Risque.
V. 1635.
Peut aussi signifier chance.
V. 761 ; 1177
Hazarder
Risquer.
V. 140 ; 1584
Heur
Rencontre avantageuse, bonne fortune. Équivaut pour le sens à bonheur.
V. 687 ; 826 ; 1303 ; 1553 ; 1736 ; 1776
Heureux
« Signifie aussi, Chanceux, à qui le hasard est favorable.» (Fur.)
V. 760 ; 1508 ; 1763
Histoire
« Description, narration des choses comme elles sont, ou des actions comme elles se sont passées. » (Fur.) Histoire s’oppose à fable.
V. 1372
Humeur
En humeur de signifie résolu.
V. 971
Incontinent
Adv. de temps, signifie un instant.
V. 367 ; 369
Insigne
« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. Il se dit tant en bonne qu’en mauvaise part. » (Fur.)
V. 1056
Intelligence
« Union, amitié entre deux ou plusieurs personnes qui s’entendent bien ensemble, qui n’ont aucun différent. » (Fur.)
V. 415 ; 504
Connivence. « Se dit aussi en mauvaise part, d’une cabale secrette, d’une collusion de parties qui tend à nuire à autruy. » (Fur.)
V. 899
Laisser
Ne pas laisser de signifie « Ne pas cesser, ne pas s’abstenir, ne pas discontinuer de. » (Ac.)
V. 548
Liberalité
« Vertu de celuy qui sait donner quand il faut, & sans interests. Se dit aussi quelque fois de la chose donnée. » (Fur.)
V. 1037
Lors
Alors.
V. 433 ; 1442
Loüer de (se)
« Avec le pronom personnel, signifie, Estre satisfait. » (Fur.)
V. 1500
Maintenant
Tout à l’heure.
V. 787
Manquer
« Signifie aussi, Faire quelque faute. » (Fur.) Équivaut à se tromper.
V. 1583
Marry
« Repentant, fasché, qui a du regret d’avoir fait quelque chose. » (Fur.)
V. 781
Matoise
« Rusée, difficile à estre trompée, adroite à tromper les autres. » (Fur.)
V. 390
Méconter (se)
« Ne se dit qu’avec le pronom personnel, et signifie, Se tromper en ses conjectures, en son raisonnement, en ses actions. » (Fur.)
V. 1590 
Mener
Emmener.
V. 371 ; 1627
Menterie
« Propos par lequel on donne pour vrai ce qu’on sait estre faux. Il est plus familier que mensonge et s’applique à des choses moins graves. (Ac.)
V. 288
Mine
« Se dit du bon ou du mauvais accueuil qu’on fait à quelqu’un, du bon ou du mauvais visage qu’on luy tesmoigne. » (Fur.) Avoir bonne mine signifie donc recevoir un bon acceuil.
V. 1199
Neveu
« Au pluriel, se dit de tous les hommes qui viendront aprés nous, de la posterité. » (Fur.)
V. 1870
Objet
« Se dit poëtiquement des belles personnes qui donnent de l’amour. » (Fur.)
V. 71 ; 217 ; 854 ; 998 ; 1286 ; 1358 ; 1365 ; 1566 ; 1671 ; 1787 ; 1832 ; 1843
Obliger
« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie » (Fur.)
V. 258 ; 373 ; 477 ; 818 ; 955 ; 1037 ; 1162 ; 1166 ; 1297 ; 1353 ; 1461 ; 1544 ; 1556 ; 1772 ; 1774
Office
Service que l’on rend à quelqu’un.
V. 1146 ; 1163 ; 1407
Ombrage
Au sens figuré, signifie deffiance, soupçon.
V. 443 ; 1236 ; 1717
Ouvrage
« Se dit absolument des objets auxquels les femmes travaillent à l’aiguille. » (Ac.)
V. 568
Paroistre
« Signifie aussi, Se faire distinguer des autres, éclater davantage. » (Fur.)
V. 820
Passer outre
Poursuivre son discours.
V. 1007
Passer
Surpasser.
V. 1730
Picquer
«  Se dit aussi des choses qui nous flattent, ou qui nous choquent. Cet amoureux est piqué et charmé d’une telle Dame. » (Fur.)
V. 211 ; 1384 ; 1387.
Signifie aussi choquer
V. 1411 ; 1479
Porter
« Signifie encore, Estre disposé à faire quelque chose, soit par sa propre inclination, soit par l’instigation d’autruy. » (Fur.)
V. 1068
Présentement
A l’instant, tout à l’heure.
V. 166
Priser
« Estimer, faire cas. » (Fur.)
V. 789
Produire
« Signifie aussi, Avancer dans le monde, faire connoistre. » (Fur.)
V. 607
Propre
Bien orné, élégant, soigné, raffiné.
V. 827
Protester
« Promettre, assûrer fortement quelque chose. » (Fur.)
V. 182 ; 346 ; 983 ; 1529 ; 1690
Qualité
« Signifie aussi un titre qu’on donne aux personnes pour marquer leurs seigneuries, leurs prétentions. » (Fur.)
V. 1017 ; 1242 ; 1728
Ravir
« Se dit aussi des passions violentes qui troublent agréablement l’esprit, et suspendent les fonctions des sens, particulierement de la joye, de l’estonnement et de l’admiration. » (Fur.) Équivaut pour le sens à étonner.
V. 1789
Regarder
« Signifie aussi, Examiner, observer, considerer attentivement. » (Fur.)
V. 1777
Rencontrer
« S’emploie absolument et signifie Etre bien ou mal servi par les événements dans quelque affaire. » (Ac.)
V. 613
Reputer
Estimer. « Signifie aussi, Croire, presumer. » (Fur.)
V. 1308
Ressouvenir
« Ce qui demeure en la mémoire. » (Fur.)
V. 1859
Retardement
Délai, retard.
V. 226 ; 244 ; 806
Retiré
« Un homme est bien retiré, lorsqu’il demeure chez luy clos & couvert, & qu’il ne veut voir ni frequenter personne. » (Fur.)
V. 310
Réverie
« Action ou proposition desraisonnable, vision. » (Fur.) A le même sens que mensonge.
V. 1340
Riotte
« Petite querelle ou difficulté qui arrive souvent dans le ménage, ou dans les sociétés. » (Fur.)
V. 1525
Sein
Poitrine, cœur.
V. 509
Santé
« Convenable disposition et tempérament des humeurs et des parties d’un corps animé, qui est cause qu’il fait bien ses fonctions. » (Fur.) Equivaut à bonne santé.
V. 301
Seconder
« Il signifie Aider, favoriser, servir quelqu’un dans un travail, dans une affaire : Seconder les vœux, les désirs, les bonnes intentions de quelqu’un. » (Ac.)
V. 1625 ; 1852
Signalé
Remarquable, célèbre.
V. 236
Souci
Soin, préoccupation.
V. 54 ; 1723
Succéder
Réussir, avoir du succès.
V. 708
Sujet
« Signifie aussi, Cause, occasion, raison. » (Fur.)
V. 18 ; 36 ; 300 ; 327 ; 352 ; 408 ; 436 ; 441 ; 499 ; 844 ; 849 ; 880 ; 946 ; 975 ; 1085 ; 1182 ; 1279 ; 1370 ; 1417 ; 1610
Superbe
Hautain (en parlant du ton.)
V. 1458
Sus
« On dit aussi par exclamation, Sus donc, Or sus, pour exciter quelqu’un à prendre du courage. » (Fur.)
V. 712 ; 1203
Tirer les vers du nez
« Tirer adroitement un secret. » (Fur.)
V. 1086
Toilette
« On dit proverbialement Plier la toilette, pour dire, Enlever ce qu’il y a de meubles, d’habits, de linge, de pierreries, qu’on laisse en voye dans une maison et sur la toilette, soit par un vol domestique, soit par la violence que font souvent les filoux aux Courtisanes. » (Fur.)
V. 96
Toûjours
« Se dit quelquefois du temps present. » (Fur.) Signifie alors du moins.
V. 1649
Tout beau (ou Toubeau) : loc. adv. et fam.
« Doucement, modérez-vous, retenez-vous » (Ac.)
V. 471 ; 535
Trait
« Se dit aussi à table, de ce qu’on avale tout d’un coup en beuvant. » (Fur.)
V. 1652
Traitter
« Agir avec quelqu’un, en user avec luy de telle ou telle manière. » (Fur.) Équivaut pour le sens à considérer quelqu’un de telle ou telle manière.
V. 1272 ; 1505.
« Signifie aussi, Nourrir, donner à manger, soit à l’ordinaire, soit en ceremonie. » (Fur.)
V. 853
Trancher (ou trencher)
« Se dit encore ironiquement des fanfarons, de ceux qui affectent de paroistre plus qu’ils ne sont. Il trenche du grand Seigneur, pour dire, Il fait le grand Seigneur. » (Fur.)
V. 1456
Transport
« Se dit figurément en choses morales du trouble ou de l’agitation de l’âme par la violence des passions. » (Fur.)
V. 148 ; 155
Traverser
« Signifie figurément en Morale, Faire obstacle, opposition, apporter de l’empeschement. » (Fur.)
V. 1535
Veiller
S’abstenir de dormir.
V. 99 ; 1316
Venir
« Signifie encore, Estre convenable. Cet habit vous vient à merveilles. » (Fur.)
V. 1609
Voir
« Signifie aussi, Commander, ou avoir autorité sur quelque chose. » (Fur.)
V. 1511.
Signifie également traitter, considérer quelqu’un de telle ou telle manière
V. 534.
Vuide (à) : adv.
« Qui n’est pas plein. On dit qu’un homme marche à vuide, pour dire, qu’il n’a rien mangé. » (Fur.)
V. 1653

Bibliographie §

Sur la comédie au dix-septième siècle §

ADAM, Antoine, Histoire de la littérature française au dix-septième siècle, Paris, Domat, 1948-1956, in-8°, 5 vol. ; rééd. Paris, Del Duca, 1962.
ADAM, Antoine, Littérature française, t. I L’Âge classique, 1624-1660, dir. Claude Pichois, Paris, Arthaud, 1968.
CORVIN, Michel, Lire la comédie, Paris, Dunod, 1994.
GUICHEMERRE, Roger, La Comédie avant Molière, 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.
FORESTIER, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
LANCASTER, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press ; Paris, PUF, 1929-1942 (9 vol.).
LYONS, John David, A Theatre of Disguise. Studies in French Baroque Drama (1630-1660), Columbia, South Carolina, French Literature Publications Company, 1978.
PARFAICT, François et Claude, Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, Paris, Le Mercier-Saillant, 1734-1749, ( 15 vol.) ; Genève, Slatkine Reprints, 1967 (3 vol.).
SCHERER, Jacques, La Dramaturgie classique, Paris, Nizet, 1950.

Sur d’Ouville §

ARMAS, Frederick A. (de), « Antoine le Métel, sieur d’Ouville : the lost years. », Romance Notes, printemps 1973, p. 538-543.
COKE, James Wilson, « Antoine Le Métel, sieur d’Ouville : his life and his theatre », thèse Indiana University, 1958, Dissertations abstracts, IX.
TALLEMANT DES REAUX, Gédéon, Historiettes, éd. Antoine Adam, bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1960 (2 vol.).

Sur les décors §

DEIERKAUF-HOLSBOER, Sophie-Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, 1548-1680, Paris, Nizet, 1968-1970 (2 vol.).
Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, éd. Henry Carrington Lancaster, Paris, Champion, 1920.

Sur la comédie espagnole §

MONTALVÁN (de), Juan Perez, La Doncella de labor, Alcala, 1639-1640 ; rééd. dans Biblioteca de Autores Españoles, Madrid, M. Rivadeneya, 1858, t. 2.
BOURQUI, Claude, « D’Ouville adaptateur du théâtre espagnol. Deux sources nouvelles », Dix-septième siècle, 1996, XLVIII, n° 191, p. 359-363.
CIORANESCU, Alexandre, Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.
GUICHEMERRE, Roger, « La francisation de la comedia espagnole chez d’Ouville et Scarron », dans L’Âge d’or de l’influence espagnole. La France et l’Espagne à l’époque d’Anne d’Autriche, 1615-1666 [Actes du 20e colloque du CMR, placé sous le patronage de la Société d’étude du XVIIe siècle et de l’université de Bordeaux III, Bordeaux, 25-28 janvier 1990], dir. Charles Mazouer, Mont-de-Marsan, Interuniversitaires, 1991, p. 255-268.
HELARD-COSNIER, Colette, « ‘La scène est à Paris’… de Calderón à d’Ouville », dans Deux siècles de relations hispano-françaises : de Commynes à Madame d’Aulnoy [Actes du colloque international du centre de recherches et d’études comparatistes ibéro-francophones de la Sorbonne nouvelle, juin 1984], Paris, L’Harmattan, 1987, p. 151-161.

Sur les influences de la pièce §

CORNEILLE, Pierre, La Place royale (1634), éd. Jean-Claude Brunon, Paris, STFM, 1993.
MOLIERE, Dom Juan ou le festin de Pierre (1665), éd. Gérard Ferreyrolles, Evreux, Larousse, coll. Classiques Larousse, 1991.
MOLIERE, Les Précieuses ridicules (1660), éd. Jacques Chupeau, Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio / Théâtre, 1998.
SCARRON, Paul, L’Héritier ridicule ou La Dame intéressée (1650), éd. Roger Guichemerre, Paris, STFM, 1995.
BOURQUI, Claude, Les Sources de Molière, Paris, Sedes, 1999.
GUICHEMERRE, Roger, « Une source peu connue de Molière : le théâtre de Le Métel d’Ouville », Revue d’histoire littéraire de la France, janvier-mars 1965, p. 92-102.

Sur la langue §

ACADEMIE FRANCAISE, Dictionnaire de L’Académie françoise, Paris, Coignard, 1694, (2 vol.).
FURETIERE, Antoine, Dictionnaire universel, La Haye, Arnout, 1690 (3 vol.).
HAASE, Albert, Syntaxe française du dix-septième siècle, traduit par M. Obert, Paris, Delagrave, 1935 ; réimp. Munchen, Huber ULG, 1964.
SANCIER-CHATEAU, Anne, Introduction à la langue du dix-septième siècle, ouvrage publié sous la direction de Claude Thomasset, Paris, Nathan, 1993 ; (deuxième volume).
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