Livret de Pomone
Opéra, ou Représentation en musique. Pastorale.

Composée par Monsieur PERRIN, Conseiller du Roy en ses Conseils, Introducteur des Ambassadeurs prés feu Monseigneur le Duc d’Orléans.

Mise en Musique par Mr CAMBERT, Intendant de la Musique de la feuë Reyne.

Et representée par l’Académie Royale des OPERA.

A PARIS,
De l’Imprimerie de ROBERT BALLARD, seul Imprimeur du Roy pour la Musique, ruë S. Jean de Beauvais, au Mont Parnasse.
M. DC. LXXI.
AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTE.

Note sur la présente édition §

Orthographe §

Cette édition présente le texte dans sa graphie et son orthographe originales, y compris en cas de variation orthographique, parfois au sein de la même page (cf. v. 229 et didascalie suivante, deux orthographes du mot « Nourrice »).

Quelques conventions cependant ont été adoptées pour le confort de lecture : les graphies des lettres « i » et « j », ainsi que « u » et « v », ont été systématiquement différenciées, les ligatures, ou esperluettes ont été déliées, la graphie moderne du « s » a été choisie ; l’accent diacritique, distinguant les prépositions « à », et « ou », du verbe avoir à la troisième personne du singulier de l’indicatif, et de l’adverbe relatif « où », a été rétabli ou supprimé, partout où il a été nécessaire :

– V. 222 : « Ou regnent les feux de l’amour » > «  regnent les feux de l’amour »

– V. 262 : « Ah ! nous trouvons l’épine, ou nous cherchons la Rose ! »> « Ah !nous trouvons l’épine, nous cherchons la Rose ! »

– V. 437 : « Cette insensible à méprisé les vœux» > « Cette insensible a méprisé les vœux »

Les astérisques suivant certains mots renvoient au lexique à la fin de cette édition.

Mise en page §

La mise en page et la typographie de la pièce ne sont pas toujours très claires et varient selon les cahiers. Étant pris pour acquis (voir introduction) que l’édition d’un livret d’opéra était l’œuvre essentiellement de l’imprimeur, à partir des documents que lui fournissaient le poète et le compositeur (notamment la première version de la partition), prendre des options de disposition du texte ne nous a pas semblé attenter à son authenticité, dans la mesure où le livret-programme de Ballard n’a probablement pas été revu par Perrin.

Les « réclames » de fin de page, n’ont pas été reproduites ; la taille plus importante de la page d’impression actuelle en rendant l’usage moins nécessaire.

La structure métrique de Pomone n’est pas régulière, contrairement aux tragédies, en alexandrins en distiques à rimes plates. Pour le confort du lecteur, nous avons opté pour une norme progressive de décalage des vers, avec l’alexandrin pour référence : les taquets de tabulation sont placés à 2 pour les vers de 4 et de 5 syllabes, à 1,5 pour les heptasyllabes et les hexasyllabes, à 1 pour les octosyllabes, à 0,5 pour les décasyllabes, à 0 pour les alexandrins.

Dans l’édition originale, les vers sont en italiques, et les didascalies en caractères romains : dans notre édition, les normes actuelles sont respectées, c’est-à-dire les vers présentés en caractères romains, les didascalies en italiques, une virgule systématiquement placée avant la didascalie. Les noms des personnages et les noms propres comportent systématiquement une majuscule, contrairement à la typographie de l’édition originale, notamment dans les listes de présentation de personnages en début de scène. Dans ces listes, des virgules sont également placées systématiquement entre les personnages par souci de clarté, par choix de suivre un usage adopté dans la plupart des cahiers, mais pas tous.

Nous n’avons considéré comme des didascalies que des indications ponctuelles, marquant un changement d’attitude ou de situation au cours de l’action théâtrale. Aussi, les indications de déguisement, fréquentes, ne sont pas présentées en italiques lorsqu’elles s’appliquent à toute une scène. Elles sont d’ailleurs fixées dès les premières pages dans la liste des personnages, et appartiennent en quelque sorte au paratexte de l’œuvre.

Le statut particulier du texte d’un livret engendre certaines difficultés pour la numérotation des lignes. Il faut attirer l’attention du lecteur scrupuleux sur le fait que la numérotation est forcément inexacte : en effet, lorsque des paroles sont répétées, des vers sont omis et remplacés par un « etc » ; lorsqu’un vers est réparti entre plusieurs personnages, il est souvent introduit par une sorte d’attaque qui ne peut être considérée comme un vers à part entière, mais est néanmoins comptée comme une ligne de texte (l. 104)

Enfin, la distinction entre deux hexasyllabes, et un alexandrin réparti entre deux personnages et coupé à l’hémistiche n’est pas toujours évidente, du fait d’une disposition typographique moins précise que la norme actuelle. Nous avons donc dû effectuer des choix, sans doute arbitraires, en suivant ce qui nous a semblé la logique du texte :

– V.103 : considéré comme un alexandrin continu.

– V.395 : considéré comme un vers de 9 syllabes continu.

– V.490 : considéré comme un alexandrin continu réparti en deux hémistiches.

– V.515 : considéré comme un alexandrin continu réparti en deux hémistiches.

– V.533 : considéré comme un alexandrin continu.

Corrections §

Nous corrigeons les coquilles suivantes :

– Extrait du privilège : « et seellé » corrigé en « et scellé ».

– v. 383: « et et beuvez avec luy » donnerait un vers de treize syllabes. Nous corrigeons en « etbeuvez avec luy ».

– Avant-propos (p. 5, §4) « J’ai consenti que la pièce fut imprimée » corrigé en « J’ai consenti que la pièce fûtimprimée. »

– V. 450 : « labsence de Zephir » corrigé en « l’absence de Zéphir »

– V. 499 : « ma » corrigé en « m’a ».

Description des exemplaires §

Pour le livret Ballard, notre édition prend comme référence l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France-François Mitterrand conservé sous la côte RES-YF-1241. Cet exemplaire in-4° est inclus dans un recueil de ballets et de divertissements de cour rassemblés dans un ordre à peu près chronologique à partir du Ballet des Ballets (compilation d’entrées de ballets et de divertissements, Décembre 1671) jusqu’à Alceste ou le Triomphe d’Alcide de Quinault et Lully (1675), et présente la particularité de contenir plusieurs gravures représentant Paris, Versailles et Saint-Germain en Laye. La tranche du livre est marquée « Ballets/Tome 5 » en lettres dorées et ornée de fleurs de lys.

[…] : [p.128 du recueil] : gravure « Veue et Perspective du pont-rouge de la Ville de paris » ajoutée et pliée.

[I] : Page de titre.

POMONE./O P E R A,/ou/REPRESENTATION EN MUSIQUE./P A S T O R A L E./Composée par Monsieur PERRIN, Conseiller du Roy en ses Conseils, Introducteur des Ambassadeurs prés feu Monseigneur le Duc d’Orleans./Mise en Musique par Mr CAMBERT, Intendant de la Musique de la feuë Reyne./Et representée par l’Academie Royale des OPERA./[fleur de lys]/A P A R I S,/De l’Imprimerie de Robert BALLARD, seul Imprimeur/ du Roy pour la Musique, ruë S. Jean de Beauvais,/au Mont Parnasse./[filet]/M. DC. LXXI./AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTÉ.

[II] : verso blanc

[III] : [décor : Roi siégeant en Majesté, conseillers, féaux et évêques autour de son trône surmonté d’un dais richement paré ; trompettes à droite] Epître dédicatoire.

[IV] : suite et fin de l’Epître dédicatoire.

[V]-[VIII] : Avant-propos.

[IX]-[X] :[décor gravé : fond fleurdelysé, Roi en majesté, avec manteau d’hermine, main de justice sceptre à fleur de lys, et couronne en globe, entouré de trois musiciennes (basse de viole, luth ; triangle) et d’une lectrice, assises sur de riches coussins. Inscription P.R. sous les pieds du Roi.] Présentation des personnages.

11-52 : texte de la pièce

[LIII]-[LVI] : LETTRES PATENTES DU ROI/pour establir, par tout le Royaume, des Academies/d’OPERA, ou Representations en Musique en/Langue Françoise, sur le pied de celles d’Italie.

[LVI] :[frise] Extrait du Privilege du Roy.

Autres exemplaires consultés §

Bibliothèque de l’Arsenal : un exemplaire, conservé sous la cote GD-43708 ; la couverture a été remplacée par un cartonnage, et le texte a probablement été extrait d’un recueil semblable à celui de l’exemplaire choisi comme référence.

Deux autres exemplaires sont conservés à la BNF, dont voici les cotes :

– YF-781

– RES-YF-2357

Nous avons également consulté, pour ses entours intéressants (voir introduction), l’édition du Recueil général des opéras de 1714 par C. Ballard, tome I, conservé à l’Arsenal sous la cote GD-29.

Pour le second Avant-propos, le texte sous la partition et son étude dramaturgique, nous nous sommes servis :

– Du microfilm reproduisant le recueil factice de la BNF François-Miterrand conservé sous la cote YF-329, où l’Avant-propos d’un Argument de Pomone perdu, signalé par Nuitter et Thoinan, se trouve.

– de la réimpression en fac-similé (format original 15X11) de la partition Ballard, par les éditions Minkoff, en 1980.

– d’une reproduction imprimée à partir d’une microfiche de la partition originale imprimée par Ballard, conservée en deux exemplaires à la Bibliothèque Nationale, site Richelieu, sous les cotes RES-VM2-1 et RES-VM2-2.

[A,1]

AU ROY. §

[p. 3]

Sire,

Aprez avoir rendu Vostre Estat victorieux, tranquille & bien-heureux, il ne restoit plus à V.M. qu’à le rendre riche, brillant & magnifique. C’est dans cette veuë qu’elle a transplanté dans son Royaume les Arts Liberaux, le Commerce & les Manufactures, & qu’elle s’est appliquée avec tant de soin à l’embellissement de ses Maisons, & de sa Ville Capitale : C’est cét Esprit de grandeur & de magnificence, dont Vostre Ame Royale est entierement possedée, qui a fait sortir de terre ces grands Palais du Louvre, & de Versailles, & qui les a comblez de cette profusion admirable de meubles & de richesses : C’est luy qui a donné à la France tant de beaux divertissemens, & nouvellement ce Superbe Ballet1, qui a fait l’étonnement* de toute l’Europe. Toutes ces choses m’ont persuadé, S I R E, que V. M. auroit agreable2 que [p. 4] l’on introduisit dans son Royaume le seul spectacle & l’unique divertissement dont il estoit privé, qui est celuy des Opera3, que l’Italie & l’Allemagne avoient de particuliers, & sembloient nous reprocher tous les jours4. V. M. S I RE, a eu la bonté d’approuver mon dessein, & de l’appuyer de son authorité, & j’ay eu le bon-heur d’estre assisté dans cette entreprise des soins et de la dépense d’un des plus grands Seigneurs5 tout ensemble6, & des plus beaux Genies de Vostre Royaume. Avec cela, S I R E, V. M. trouvera sans doute que nous avons mal répondu à la grandeur de ses illustres desseins, & à la magnificence de ses Ballets : Mais quelle proportion y peut-il avoir entre le Soleil et les Etoiles, entre de foibles sujets, & le plus grand des Roys. Le courage, S I R E, nous manque moins que les forces : Elles redoubleront, si V. M. honore nos representations de sa Royale presence, & nostre Academie de sa toute-puissante protection : Nous luy demandons tres-humblement l’un & l’autre. Pour moy, S I R E, je suis déja plus que content d’avoir témoigné par cet effort temeraire le zele* passionné que j’ay pour l’avancement de vostre gloire, & la profonde veneration avec laquelle je suis,

SIRE,

De V. M.

Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidele sujet & serviteur.

PERRIN.

AVANT-PROPOS. §

[B,5]

Dez les premieres representations de cét Opera7, mes amis m’avertirent que l’on en critiquoit les paroles, & comme ils estoient persuadez que c’estoit injustement, ils me conseillerent pour les justifier de les faire imprimer : Je m’en suis deffendu jusqu’icy, en leur representant que je n’estois point surpris des mauvais bruits que l’on en faisoit courir ; qu’outre que par une fronde*8 de deux années j’estois tout accoustumé & tout preparé aux caquets des envieux*, des interessez, & des ignorans, dont le nombre estoit infiny, je ne doutois pas que la nouveauté* de cette Poësie Lyrique & Dramatique tout ensemble ne frapat d’abord les plus habiles*9 , jusqu’à ce qu’ils en eussent pris le goust, & qu’à force de reflechir dessus ils fussent entrez dans son esprit, d’autant plus qu’ils ne trouveroient pas icy ce qu’ils attendoient, qui estoit des Airs & des Chansons de Chambre sur des paroles retournées10 & pleines de redites continuelles, telles que la Musique Françoise en a produit jusqu’icy11, mais d’une manière de Poësie originale et sans modele : Que je devois estre content de voir que contre l’opinion generale j’estois parvenu à ma fin, & que ces Vers si criti- [B, 6] quez formoient non seulement un Opera François, que les Maistres de l’Art soûtenoient estre impossible par le deffaut de la langue & des Acteurs ; mais, de l’aveu public, le spectacle le plus surprenant, le plus divertissant & le plus beau que des particuliers ayent donné de nos jours à la France12. Que les plus mal intentionnez, apres l’avoir veu & censuré* en toutes ses parties, estoient forcez de revenir, & d’avoüer qu’ils ne s’y estoient point ennuyez, & que tout leur chagrin*, apres deux heures & demie de representation, estoit de le voir si-tost finir : Qu’au reste ce n’estoient que des bruits confus & mal articulez, qui n’aboutissoient qu’à blâmer trois ou quatre vers, dont les expressions, disoit-on, estoient trop basses et trop vulgaires, sans considerer ny les personnes qui parlent, ny les choses ausquelles elles sont appliquées13, & lesquels mesme j’ay changez pour éviter procez, & pour m’épargner des explications importunes.

Que le reste n’estoient que de fausses plaisanteries, que l’on y crioit14, disoit-on, des Pommes & des Artichauts, que l’on y parloit de Bourriques*, & de pareils quolibets, qui ne meritoient pas une reflexion. Qu’enfin je devois estre consolé d’apprendre que quatre ou cinq de nos plus habiles* hommes en Poësie, qui connoissoient par leur propre experience l’Art & la difficulté de composer des paroles pour la Musique, ne disoient pas du mal de celles-cy, & y reprenoient peu de choses, qu’ils confessoient encore estre faciles à corriger.

[p. 7] Mes amis n’ont pas esté satisfaits de ces raisons, & m’ont representé. Que les bruits se fortifioient de jour en jour. Que le venin se glissoit par contagion jusques dans les esprits les plus éclairez, & les personnes les plus desinteressées. Que je leur donnois le temps de former & de debiter de mauvais jugemens, dont apres ils auroient honte & peine de se retracter ; qu’il y alloit non seulement de mon honneur de me justifier en imprimant les vers, mais de l’interest de cét establissement, que ses ennemis tachoient de ruïner par ces calomnies, & qu’enfin je donnasse quelque chose à leur amitié & à leur zele*, & que je leur fournisse des armes pour me deffendre.

Je me suis enfin rendu à leurs raisons & à leurs prieres, & j’ay consenty que la piece fût imprimée plûtost que je ne l’avois resolu, sans toutesfois pretendre de la justifier icy pour plusieurs raisons. L’une que j’aurois mauvaise grace de faire moy-mesme mon Apologie, l’autre que la matiere est trop vaste pour estre renfermée dans un Avant-Propos, & la derniere que je serois obligé d’expliquer les secrets d’un Art que j’ay découverts par un long estude, & que je suis bien aise de me reserver. Je supplie seulement ceux qui ne seront pas satisfaits de la piece d’en faire la critique, & de la donner au jour, nous en profiterons le public & moy. De ma part je pourray me corriger de mes deffauts, et d’ailleurs m’engageans à une responce, ils donneront occasion à une dissertation curieuse15 sur ce [p. 8] sujet, qui pourra tout ensemble instruire et plaire : Je les avertis seulement de remarquer que par les raisons que j’ay dites dans l’Avant-Propos de l’Argument que j’ay fait imprimer, j’ay jugé à propos d’ouvrir le Theatre par une piece Pastorale, bien que j’en eusse trois Heroïques* toutes composées16, qu’il en faut juger sur ce pied la, & considerer qu’elle est composée de Divinitez, & de Personnages Champestres, & qu’elle conduit tout ensemble, sur les Styles enjoüé* & Rustique, l’intrigue de Theatre, la Musique & la Symphonie* continuelles, la Machine & la Danse.

Je leur demande apres cela qu’ils attaquent la place en galants* hommes ; c’est à dire en soldats & par les formes, et non pas en frondeurs* en escarmouchant, & je leur declare que s’ils continuënt de le faire par satyres et par invectives, je leur répondray par un doux silence, & que je donneray toute mon application à composer de nouvelles pieces pour continuer à les divertir.

Au reste le champ est ouvert pour mieux faire, & si quelqu’un veut travailler* sur cette matiere, & faire l’honneur à l’Academie de luy presenter un Opera, je luy dy de sa part17, qu’apres qu’il aura esté examiné par des gens habiles* et non suspects, s’il est par eux jugé digne d’estre representé, il le sera de bonne foy avec tous les soins & tous les ornemens possibles, & mesme si c’est une personne d’interest, on luy promet une honneste reconnoissance.

[p. C, 9]

PERSONNAGES. §

MUSICIENS. §

Personnages veritables. §

  • POMONE. Deesse des Fruicts.
  • FLORE. Sœur de Pomone, Deesse des Fleurs.
  • VERTUNE. Dieu des Lares ou Follets, amoureux* de Pomone.
  • FAUNE ou FAT*. Dieu des Villageois, amoureux* de Pomone.
  • LE DIEU DES JARDINS. Amoureux* de Pomone.
  • JUTURNE. Nymphe de Pomone.
  • VENILIE. Nymphe de Pomone.
  • BEROÉ. Nymphe de Pomone.
  • Nourrisse de Pomone.
  • CHŒUR DE JARDINIERS.

Personnages feints, & transformez. §

[p. 10]
  • VERTUNE transformé. EN BERGERE DE LAMPSACE, Ville de Grece, où nâquit le Dieu des Jardins.
  • VERTUNE transformé. EN PLUTON, Dieu des tresors.
  • VERTUNE transformé. EN BACCHUS.
  • VERTUNE transformé. EN BEROÉ.
  • FOLLETS transformez. EN BERGERES DE LAMPSACE.
  • FOLLETS transformez. EN SATYRES.
  • FOLLETS transformez. EN AMOURS, MUSES ET DIEUX.
  • Deux follets, cachez.

DANSEURS.
personnages veritables. §

  • BOUVIERS.
  • CUEILLEURS DE FRUICTS.
  • FOLLETS transformez. EN FANTÔMES*.
  • FOLLETS transformez. EN DEMONS.
  • FOLLETS transformez. EN ESCLAVES.

PERSONNAGES MUETS. §

  • TROUPE DE FOLLETS.
  • VERTUNE. transformé. EN DRAGON.
  • VERTUNE. transformé. EN BUISSON D’EPINES.
  • FOLLETS. transformez. EN BUISSONS D’EPINES.
  • FOLLETS. transformez. EN JOUEURS D’INSTRUMENS.

Decorations, ou changements* de theatre. §

La veuë de Paris à l’endroit du Louvre.

Vergers de Pomone.

Parc de Chesnes.

Rochers & Verdures.

Palais de Pluton.

Jardin & Berceau de Pomone.

Palais de Vertune.

La Scene est en Albanie, au pays Latin, dans la Maison de Pomone.

PROLOGUE. §

[p. 11]
Decoration. Paris à l’endroit du Louvre.
Ouverture du Prologue par la Symphonie*.
La toile se leve, & l’on voit Vertune & la Nymphe de la Seine.
Vertune, la nymphe de la Seine.

La nymphe de la Seine.

Toy qui vis autresfois le Fleuve des Romains
Triompher des humains
Et porter le sceptre du Monde,
Vertune, que dis-tu de ma rive feconde ?

Vertune.

5 J’admire tes grandeurs & la felicité*
De ta belle Cité ;
Mais ta merveille* la plus grande
C’est la pompeuse* Majesté
Du Roy qui la commande.
10 Dans l’Auguste LOUIS18 je trouve un nouveau* Mars,
Dans sa ville superbe* une nouvelle* Rome :
Jamais, jamais un si grand homme
Ne fut assis au thrône des Cesars.

La nymphe de la Seine

Aussi sur la Terre & sur l’onde, [p. 12]
15 Ce Monarque puissant ne fait point de projets,
Que le Ciel ne seconde :
Il est l’Amour.

Ensemble.

Il est l’Amour & la terreur du monde ;
L’effroy de ses voisins, le cœur de ses sujets.

La nymphe de la Seine.

20 Mais quel dessein t’amene
Sur le bord de la Seine ?

Vertune.

Moy qui forge les visions,
Je viens tromper ses yeux de mes illusions,
Et luy montrer mes anciennes19 merveilles*.

Ensemble.

25 Sus* donc, par nos accords amoureux* & touchants*,
Commençons de charmer son cœur & ses oreilles :
Meslons nos voix, & remplissons les champs
Du doux bruit de nos chants.

Acte I. §

[p. D,13]
Changement* de Theatre. Vergers de Pomone.
Ouverture de la piece par la Symphonie*.

Scene premiere. §

Pomone, Juturne, Venilie, Beroe,

Pomone.

Passons nos jours dans ces vergers,
30 Loin des amours & des Bergers.
Passons nos jours

Pomone, Juturne, à 2.

passons nos jours
Loin des Bergers et des amours. Ritornele*.

Pomone.

Qui voudra s’engage
Sous les loix d’amour
35 Qui voudra s’engage
Et fasse la cour
A ce Dieu volage*:
Qui voudra l’adore,
Pour moy je l’abhorre*
40 Le flot de la mer,
Est moins infidele
La fleur en est belle [p. 14]
Mais le fruit amer*.

Pomone, Juturne.

La fleur, etc. Ritorn*.

Venilie.

45 Qui croit ce cajoleur*
N’a que peine et douleur.

Juturne.

Dans l’empire amoureux*
Le sort le plus heureux
Est le plus dangereux.

Venilie.

50 Le flot de la mer
Est moins infidele.

Juturne.

La fleur en est belle
Mais le fruit amer*.

Juturne, Venilie, à 2.

La fleur, etc. Ritorn*.

Juturne.

55 Le doux plaisir d’amourette*
Est une tendre fleurette*
Qui ne dure qu’un matin,
Il a le destin
Des plus belles choses,
60 Il naist, il fleurit, il passe en un jour
Les chaisnes d’amour,
Sont chaisnes de Roses.

Juturne, Venilie, à 2.

Les chaisnes, etc. Ritorn*.

Pomone.

Passons nos jours dans ces vergers, [p. 15]
65 Loin des amours et des Bergers,
Passons nos jours,

Pomone, Juturne, à 2.

passons nos jours
Loin des Bergers et des amours. Ritorn*.

Scene deuxiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore.

Flore.

Ah ! ma sœur20, à quoy penses-tu ?
Veux-tu bannir de ton empire
70 Ce Dieu puissant, dont la vertu
Anime tout ce qui respire,
Et dont les fecondes chaleurs
Font naistre tes fruits et mes fleurs21.

Pomone.

Je consens que ses flâmes
75 Brûlent tout l’univers
Pourveu22 que dans nos ames
Il trouve incessamment la glace* et les hyvers*.

Flore.

Ah !si tu connoissois comme moy ses delices !

Beroé.

Ah !si tu connoissois comme moi ses malices* !

Flore.

80 De combien de douçeurs il flatte* nos désirs !

Beroé.

Combien il cause de soupirs ! [p. 16]

Flore.

Que ses fers

Beroé.

que ses lois

Flore.

sont doux ;

Beroé.

sont inhumaines !

Flore.

Qu’il est beau,

Beroé.

qu’il est dur,

Flore, Beroé, à 2.

de vivre dans ses chaisnes !

Pomone.

Il a des biens, il a des peines ;
85 Et je ne veux que des plaisirs.

Scene troisiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore, le dieu des jardins, troupe de Jardiniers.

Le dieu des jardins.

Soulage donc les flames
Du grand Dieu des Jardins.
De plaisirs eternels il sçait remplir les ames,
Renonce pour jamais à l’amour des Blondins* [E,17]
90 Foibles trompeurs, inconstans et badins*,
Unissons, unissons nos cœurs et nos empires ;
Ajoûte aux fruits de tes vergers
Les herbes de mes potagers,
Join mes Melons à tes Poncires23 ;
95 Et mesle parmy tes Pignons24
Mes Truffes et mes Champignons.

Scene Quatriesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore, le Dieu des jardins, troupe de jardiniers, Faune, troupe de bouviers.

Faune.

C’est bien à toy25, Dieu miserable,
De pretendre à tes maux quelque soulagement !

Le Dieu des jardins.

C’est bien à toy, monstre* effroyable,
100 De servir un objet* si rare et si charmant !

Faune.

Elle a beau resister et faire la mutine*,
C’est à moy,

Faune, le Dieu des jardins, à 2.

C’est à moy que le Ciel la destine.

Le Dieu des jardins.

Tout cede

Le Dieu des jardins, Faune,à 2.

Tout cede, tout se rend à mon pouvoir divin. [p. 18]

Flore.

105 Vous le dites en vain,
On vous connoit tous deux, mais éprouvons les vôtres,
Faites chanter les uns, faites danser les autres.
Le Dieu fait avancer sa troupe.

Les jardiniers.

Vive le Dieu des Jardiniers,
Il est toujours prest à bien faire,
110 Bergeres, portez vos paniers,
Il a dequoy vous satisfaire.
Sans luy les jeux, les passe-temps
N’ont qu’une douceur imparfaite ;
Et s’il n’est de la feste,
115 L’on ne rit pas long-temps.
Rien n’est si doux que sa fureur*
Ny si plaisant que sa folie* ;
Elle bannit de nostre cœur
La plus noire mélancolie,
120 Sans luy, etc.

Le dieu des jardins, à Faune.

Hé bien ! dans tes buissons,
Tes Oyseaux chantent-ils de pareilles Chansons ?

Faune.

Il est vray que jamais Rossignols d’Arcadie26
N’ont fait plus douce melodie.

Le dieu des jardins, aux Bouviers.

125 A vous, Bouviers,
Illustre bande*,
Touchez, touchez* n’importe, Menestriers27 ; 28 [p. 19]
Passepied, Menüet, Gavotte ou Sarabande.

Entrée de ballet.

Bouviers.

La troupe s’écarte pour faire place aux Danseurs, puis se rassemble, la danse finie.

Faune, le Dieu des jardins, à Pomone, à 2.

Couronnez, il est temps, couronnez le vainqueur,
130 Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur.

Pomone, à ses Nymphes.

Cueillez, Nymphes, dans ces prairies,
Cueillez pour eux des guirlandes fleuries.
Pomone fait signe à ses Nymphes de joüer ses Amans, elles feignent d’aller cueillir des fleurs.
Et vous, ma sœur,
à Flore
Couronnez le vainqueur.
Elle fait un pareil signe à Flore, et se retirant, elle se cache pour les observer et pour en rire.

Scene cinquiesme. §

Flore, Juturne, Venilie, Beroé, le Dieu des jardins, troupe de Jardiniers, Faune, troupe de Bouviers.

Faune, le Dieu des jardins, à Pomone, à 2.

135 Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur.
Les Nymphes rapportent à Flore une corbeille, dans laquelle est une couronne d’épine, et une autre de chardons.

Flore, aux Dieux.

Venez voir couronner vos tendres amourettes*,
Et recevoir le premier de ses dons, [p. 20]
Elle tire les deux couronnes de la corbeille, et faisant l’étonnée, leur dit en se moquant.
Ah !pour un plus heureux on garde les fleurettes*,
Pour vous l’épine et les chardons.

Flore, Juturne, Venilie, Beroé, à 4.

140 Ah !pour un plus heureux, etc.
La Deesse donne au Dieu des Jardins la couronne d’épine, à Faune celle des chardons.

Scène sixiesme. §

Faune, Troupe de Bouviers, le Dieu des jardins, troupe de jardiniers.

Faune.

Montrant au Dieu et à sa troupe la couronne d’épine qui leur a esté donnée.
Voyla le prix de vos Musiques,
Et ce que meritent vos chants :
Ritornele*, pendant laquelle les Bouviers dansent en se moquant.

Le Dieu des jardins.

Montrant à Faune et à sa troupe la couronne de chardons.
Voyla le fruit du Dieu des champs,
Et dequoy paistre ses Bourriques*.

Le Dieu et les jardiniers.

145 Voyla le fruit, etc.

Scene septiesme. §

Vertune.

Helas29 !que me sert-il de changer tous les jours
De forme et de figure,
Et de me déguiser* à toute la nature, [F,21]
Si je ne puis changer l’objet* de mes amours !
150 J’aime une insensible* maistresse,
Une ingrate* et fiere30 Deesse,
Qui se rit du tourment
Et des soins d’un amant.
Que ferons-nous, mon cœur, en des peines si dures ?
155 Ah ! puis que vainement je dirois mes langueurs*,
Il faut nous transformer, et sous d’autres figures,
Tacher de vaincre ses rigueurs*.
Vous que le Ciel soumet à ma puissance,
Hola, Follets, venez, volez, suivez mes pas,
Une troupe de Follets vole de tous les costez du Theatre.
160 Mais ne vous monstrez pas,
A mes loix seulement rendez obeyssance.
Ils disparoissent.

Intermède I. §

Acte II. §

Changement* de theatre, parc de Chesnes.

Scène première. §

Béroé.

Ah ! n’est-ce pas assez qu’on aime et qu’on soupire
Pendant le cours de sa jeune saison ?
Pourquoy faut-il, Amour, étendre ton Empire [p. 22]
165 Jusques sur nostre âge grison* ?
Malgré tous mes efforts, malgré toutes mes feintes,
Je sents vivre tes feux dans mes cendres éteintes :
D’une crüelle ardeur je me voy consumer,
Que la glace* des ans ne fait que rallumer ;
170 J’ayme un Dieu… le voicy, tachons de le surprendre ;
Il réve à ses amours, cachons-nous pour l’entendre.

Scène deuxiesme. §

Vertune, Beroé cachée.

Vertune.

O doux Zephirs31
Vous enflamez la terre
Par vos soupirs ;
175 Et de vos pleurs
On voit dans ce parterre*
Naistre les fleurs :
Helas ! ainsi que vous,
Je suis tendre et fidele,
180 Discret et doux ;
Et mes douleurs
Ne touchent* point la belle
Pour qui je meurs.
Mais pourquoy tant gemir ? poursuy ton entreprise,
185 Lache, c’est trop se plaindre et soupirer en vain,
Use de ton pouvoir divin, [p. 23]
Join à l’amour la ruse et la surprise*.
Il faut l’attendre icy ; dans ce bocage* vert,
Elle cherche souvent le frais et le couvert*.

Scene troisiesme. §

Vertune, Beroé.

Beroé.

190 Quoy toujours inflexible,
Toujours sourd à mes vœux,
Et toûjours amoureux*
D’une belle insensible* ?

Vertune à l’écart.

Le ridicule objet** !
195 L’Enfer l’amene icy pour troubler mon projet.

Beroé.

Quoy ? tant d’amour ? ingrat !

Vertune, à l’écart.

évitons sa poursuite.

Beroé, l’arrestant.

Arreste, et voy du moins ma peine et mes langueurs*,
Un moment encor et je meurs.

Vertune, à l’écart.

Il faut l’épouvanter et luy donner la fuite.
Vertune se transforme en Dragon, et court à elle comme pour la devorer.

Scene quatriesme. §

[p. 24]
Beroé, Vertune en dragon.

Beroé.

200 Que voyez-vous mes yeux ?
Quel Dragon furieux* ?
Mais non, rasseurons-nous, c’est luy qui se transforme
En ce monstre* difforme.
Elle affronte le Dragon.
Hé bien ! cruël, saoule*-toy de mon sang,
205 Contente ton envie*,
Dechire moy le flanc,
Arrache moy la vie
Je béniray mon sort,
Et je ne puis mourir d’une plus douce mort.
Le Ciel brille d’éclairs, et gronde de tonnerres, la terre tremble, et douze Follets, par ordre de leur Dieu, transformez en Fantômes*, armez de foudres* et de griffes de fer, tombent du Ciel dans un nüage enflamé.

Scene cinquiesme. §

Beroé, douze Follets en fantomes*.

Beroé.

210 Mais quel éclair ? quel horrible tonnerre ?
Quel tremblement de terre ?
Quels Fantômes affreux et quelles visions ?
Que de monstres* armez de feu, de fer, de foudre*,
Pour me reduire en poudre*?
215 Je vous connoy, Follets, et vos illusions.
Vous croyez m’étonner* par cette allarme feinte, [G,25]
Et me joüer à vostre tour :
Mais l’on ne peut former32 les glaces* de la crainte,
Où regnent les feux de l’amour.
Les Follets en Fantômes* descendus de la Machine, s’épandent à l’entour de Beroé, et pour l’épouvanter dansent à ses yeux une danse terrible.

Entrée de ballet.

Fantomes*.

Beroé reste sans s’effrayer, et la Danse finie, dit aux Fantômes.

Beroé.

220 Hé bien, Follets, est-ce assez d’impostures*,
De grimaces et de postures* ?
Et croyez-vous encor sous ce masque* trompeur,
Me donner de la peur ?
Trois Fantômes* disparoissent, quatre saisissants Beroé l’emportent en l’air, cinq restent sur le Theatre.

Beroé.

Au secours, je suis morte,
225 On m’entraisne, on m’emporte.
Le Dieu des Jardins, suivy de quatre Jardiniers, accourt pour la secourir.

Scene sixiesme. §

Cinq follets en fantomes*, le dieu des jardins, quatre jardiniers.

Le Dieu, et les jardiniers, à 5.

Pauvre Nourrisse,33 helas ! tes cris sont superflus.
Le Dieu et sa Trouppe, ne pouvans arracher la Nourrice aux Fantômes*, qui [p. 26] l’emportent, s’en veulent venger sur les cinq qui restent, et crient,
Donnons, donnons34, frapons dessus.
Le Dieu, et les quatre Jardiniers veulent fraper sur les cinq fantômes* ; mais comme ils ont le bras levé, ces derniers se transforment en autant de Bourgeoises de Lampsace, Ville de Grece, où nâquit le Dieu des Jardins35, amies, femmes, maistresses et parentes du Dieu et de sa troupe.

Scene septiesme. §

Le Dieu des jardins, quatre jardiniers, cinq Follets en bourgeoises de Lampsace36.

La premiere bourgeoise, au Dieu des Jardins.

Tu veux m’assassiner ?

Le Dieu, à la premiere.

Ah ! ma chere voisine !

Le premier jardinier, à la deuxiéme.

Ma sœur !

Le deuxiéme, à la troisiéme.

ma femme !

Le troisiéme, à la quatriéme.

ma cousine !

la cinquiéme, au quatriéme.

230 C’est toy, Philandre, helas !

Le quatriéme, à la cinquiéme.

c’est toy chere Cloris !

La deuxiéme, au troisiéme.

Mon aymable Alcidor !

Le troisiéme, à la deuxiéme.

ma charmante* Doris !

La troisiéme, au quatriéme.

Ah Damon ! [p. 27]

Le quatriéme, à la troisiéme.

ah ! Climene !
O Dieux ! qui vous amene
En ces bords étrangers ?

La troisiéme.

235 Le desir de revoir nos aymables Bergers

La premiere.

Depuis que vous cessez de cultiver nos terres,
La mousse et les buissons croissent dans nos parterres* :

La deuxiéme.

On voit sur nostre teint une jaune pasleur*,

La troisiéme.

Nous n’avons plus de Lys

La quatriéme.

nous n’avons plus de Roses,

La cinquiéme.

240 Et nos fleurs demy closes
Fletrissent de douleur.

Le troisiéme jardinier.

Depuis vostre absence,
Ce n’est que souffrance,
Tristesse et langueur*

Le quatriéme.

245 Dez la moindre peine,
Nous perdons haleine,
Courage et vigueur.

Le troisiéme.

Nos peaux sont plus seches
Que des parchemins, [p. 28]

Le troisiéme, et le quatriéme. à 2.

250 Et nos pauvres beches*
Nous tombent des mains.

Le deuxiéme.

Allons, Bergers,

Le premier.

allons, Bergeres.

Tous.

Allons Bergers, allons, Bergeres
Gouster les douceurs du retour.

La premiere, et la deuxiéme bourgeoise. à 2.

255 Allons sur les vertes fougeres
Cueillir les doux fruits de l’amour.

Tous.

Allons sur les vertes etc.
Le Dieu et les Jardiniers vont embrasser chacun leur Bourgeoise, mais dans le moment elles se transforment en autant de Buissons d’Epines.

Scene huitiesme. §

Le Dieu des jardins, quatre jardiniers, cinq Follets en buissons d’epines.

Le Dieu et sa troupe, en se piquant. à 5.

Peste* !quel changement* ?quelle metamorphose ?
Ah !nous trouvons l’épine, où nous cherchons la Rose !

Le Dieu des jardins.

260 Que viens-tu faire en ce lieu,
Pauvre Dieu ?
Tu brûles de vaines flâmes, [H,29]
Et tu souffres cent mépris,
Toy qui fus l’amour des Dames,
265 Et la terreur des maris.
Est-ce à toy de soûpirer
Et prier,
Toy qu’à genoux on implore ?
Va soulager les desirs
270 De la belle qui t’adore,
Et qui meurt pour tes plaisirs.
Deux Follets cachez, chacun dans le tronc d’un Chesne, achevent de joüer le Dieu.

Deux Follets cachez. à 2.

Cesse, grand Dieu, cesse tes plaintes vaines.

Le dieu des jardins.

Qu’enten-je ? quelle voix sort des rives prochaines,
Echos, Arbres, Rochers ; est-ce vous, est-ce vous ?

Deux Follets cachez. à 2.

275 Nous sommes deux Nymphes des Chesnes,
Et le Ciel t’annonce par nous,
Qu’un jour il finira tes peines.

Le Dieu des jardins.

Helas ! hé quand viendra ce bien-heureux moment ?

Deux Follets cachez. à 2.

Quand tu seras discret et fidele en aymant.

Le Dieu des jardins.

280 Taisez-vous, taisez-vous, impertinents oracles,
Amour en ma faveur fait bien d’autres miracles,
Apprenez, apprenez qu’en l’empire amoureux*
On perd tout pour attendre, [p. 30]
Et que le vigoureux
285 Est souvent plus heureux
Que le sage et le tendre.

Le Dieu, et les jardiniers, à 5.

Apprenez, apprenez, etc.

Intermede II. §

Acte III. §

Changement* de Theatre.Rochers et Verdures.

Scene premiere. §

Vertune.

A la fin délivré d’une troupe importune,
Je puis me transformer et paréstre à ses yeux.
290 La voicy, cachons-nous : Destin, Amour, Fortune,
Favorisez mes vœux.

Scene deuxiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Vertune caché.
Symphonie* de Flutes.37

Pomone, Venilie, à 2.

Sortez, petits Oyseaux, sortez de vos boccages,
Quittez, quittez vos nids et vos buissons,
Et meslez vos tendres ramages* [p. 31]
295 A nos agreables Chansons. Flutes.
Volez, doux Rossignols, volez dans ces feüillages,
Venez, Serins38, venez, venez Pinsons,
Et meslez, etc.
Vertune paroit transformé en Pluton, dieu des tresors.

Scene troisiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Pluton.

Vertune en Pluton.

Charmé de tes accents, adorable Pomone,
300 Mais plus charmé de l’éclat de tes yeux,
Je sors de mon empire et je viens en ces lieux,
Du plus riche des Dieux
T’offrir et le cœur et le throne.
Si tu doutes de mes ardeurs
305 Dans mes regards tu les pourras connestre :
Si tu doutes de mes grandeurs
Voy de quels biens je suis le maistre.
Changement* de Theatre. Palais de Pluton.
Un Palais doré paroit, et cinq Follets transformez en Demons39, portants des corbeilles pleines d’or et de richesses.

Scene quatriesme. §

[p. 32]
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Pluton, cinq Follets en demons.

Entrée de ballet.

Follets en demons.

Pomone, ses Nymphes, et Vertune en Pluton s’écartent pour faire place aux Danseurs, puis se rassemblent la danse finie.

Vertune en Pluton, à Pomone.

Mon throne et mes tresors, ma flame et mes langueurs*
Ne pourront-ils, Deesse ? adoucir tes rigueurs*.

Pomone.

310 Non, non, garde ton or, tes pierres et tes marbres,
Mon unique tresor sont mes fruits et mes arbres.

Vertune en Pluton.

Si tu bornes là tes plaisirs,
J’ay dequoy pleinement contenter tes desirs.
Il montre à la Deesse dans la main de ses Demons une corbeille pleine de Bigarrades40 d’or, et une autre pleine de Grenades, dont les grains sont des rubis.
Voy-tu ces Bigarrades,
315 Elles sont toutes d’or, et ces belles Grenades,
Leurs grains sont rubis pretieux ;
Je puis en peupler tous ces lieux.

Pomone.

Il me suffit de mon partage,
Et je ne veux rien davantage ; [p. I,33]
320 Moins de biens, moins de biens, et plus de liberté.

Pomone, Juturne. à 2.

Liberté, liberté.

Vertune, en Pluton.

Hé bien garde ta pauvreté,
Adieu, c’est trop aimer une ingrate* beauté.
Le palais disparoit, et le Dieu avec ses Demons s’enfonce dans la terre.

Scene cinquiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie.

Juturne, Venilie41.

Liberté, liberté.

Venilie.

325 O la grande foiblesse !
De cherir les tresors,
O la grande foiblesse !
C’est prendre l’ombre pour le corps,
Et suivre un bien qui nous füit et nous laisse.

Juturne.

330 Bannir de son cœur la noire tristesse,
La folle tendresse,
Les soins, les desirs :
Rire, chanter, passer en plaisirs
Sa belle jeunesse,
335 C’est la veritable sagesse,
La grandeur, la richesse
N’est qu’ombre et vanité.

Pomone, Juturne, Venilie, à 3.

Liberté, liberté.

Scene sixiesme. §

[p. 34]
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune à l’écart.

Vertune à l’écart.

J’ay perdu mes soins et mes pas :
340 Mais je ne me rends pas :
Achevons l’imposture*,
Et l’abordons sous une autre figure.
Vertune transformé en Bacchus paroit, devancé par trois Satyres, qui tiennent à la main des couppes, des bouteilles et des flaccons.

Scene septiesme. §

Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Bacchus, Follets en Satyres.

Les Follets en Satyres. à 3.

Place, place voisins,
Place au Dieu des raisins. Ritorn*.

Vertune en Bacchus.

345 Remply d’amour et de tendresse,
Je viens, belle Déesse,
Comme les autres Dieux
Rendre hommage à tes yeux,
Et t’offrir à mon tour mon sceptre et ma couronne.

Pomone.

350 Je sçay qu’elle a beaucoup d’éclat et de splendeur :
Mais je renferme ma grandeur
Dans celle que le Ciel me donne.

Bacchus.

Ta couronne est illustre et ton pouvoir divin, [p. 35]
Mais le mien se répand sur la Terre et sur l’Onde,
355 Et t’offrant l’empire du vin,
Je t’offre l’empire du monde.

Pomone.

N’ay-je pas dans le mien un jus* doux et charmant,
Que l’on cherit également ?

Les Follets en satyres. à 3.

O la comparaison étrange,
360 Du Cidre au jus* de la vandange !
Vive nostre aymable liqueur.

Pomone, Juturne, Venilie. à 3.

Vive nostre aymable liqueur,

Juturne.

Elle charme le goust,

Premier Satyre.

elle échauffe le cœur.

Venilie.

C’est le nectar des Dieux,

Second Satyre.

c’est l’honneur de la table.

Juturne.

365 Rien n’est si doux,

Troisiesme Satyre

rien n’est si delectable.

Tous. à 7.

Vive nostre aymable liqueur. Ritorn*.
Pomone et ses Nymphes se retirent en se moquant, Faune arrive.

Scene huitiesme. §

[p. 36]
Faune, Vertune en Bacchus, Follets en Satyres.

Faune.

O Dieux ! quelle chaleur m’enflame !
Je suis dans un double brasier,
La soif altere mon gosier,
370 Et l’amour échauffe mon ame.
Que je te rencontre à propos,
Grand Dieu des verres et des pots,
Ah ! j’implore ta grace
Et ton secours divin,
375 Verse, helas ! dans ma tasse
Une larme de vin.

Vertune en Bacchus.

Il faut le secourir,

Faune.

il y va de ta gloire.

Vertune en Bacchus, aux Satyres.

Donnez-luy du meilleur du muy42,
Enfants, faites-le boire, et beuvez avec luy.
Il fait signe aux Follets de joüer son rival.

Scene neufviesme. §

[K,37]
Faune, Follets en Satyres.

Les Follets en Satyres. à 3.

380 Beuvons tous à la ronde,
Beuvons au Dieu fallot ;
Que chacun me seconde ;
Beuvons tous à la ronde
A ce vieux sibilot43 :
385 Fringue44 la tasse, fringue,
Masse45 à luy, tope et tingue46.

Faune, leur presentant sa tasse.

Versez, versez à rouge bord47,

Les Follets, continuants48 à boire sans l’écouter, à 3.

Masse à luy, tope et tingue.

Faune, s’impatientant.

Donnez-donc, je meurs,

Les Follets, continuants de mesme.

390 Masse à luy, tope et tingue.

Faune leur saisissant la bouteille.

je suis mort.
Donnez, donnez, quelle fadese !

Le 2.Satyre.

Tien, bon-homme, fay nous raison,
Et pour estre mieux à ton ayse
Couche toy-là sur le gazon.
Les Follets placent Faune sur un gazon, et mettent alentour de luy trois flacons, et trois bouteilles.

Faune.

395 O quel plaisir, quand on est alteré49, [p. 38]
De voir autour de ses oreiles
Un cercle inesperé
De pots et de bouteilles !
Beuvons, beuvons, mais qu’est cecy ?
Comme il veut prendre une bouteille elle s’enfuit, et traverse le Theatre, il s’attaque à la seconde, qui fait le mesme.
400 La bouteille s’enfuit, et la seconde aussi.
Il veut saisir la troisiéme, elle s’éleve en l’ait, où un Follet la vient emporter.
A l’ayde, le Demon l’entraisne.
Il croit s’emparer de la quatriéme, elle fond en terre : la cinquiéme fait de mesme.
Et toy, joly flacon, te prendra-t-on ainsi ;
Quoy toute la demy douzaine ?
Il empoigne la sixiéme, et boit à mesme.
Ah ! du moins j’auray celle-cy,
405 Et j’en rempliray ma bedaine.
Il trouve que c’est de l’eau, et crache.

Les Follets en Satyres. à 3.

Ah! le fat* ! ah! le badin*!
Il boit de l’eau pour du vin.

Faune, en se levant.

On me berne, on me raille,
Courez dessus Bouviers,
410 Suivons cette racaille*
A grand coups de leviers*.

Les Follets en Satyres. à 3.

[p. 39]
Ah ! le fat*, etc.
Faune les poursuit à coups de massüe, ils disparoissent.

Intermede III. §

Acte IV. §

Changement* de theatre. Jardin et Berceau de Pomone.

Scene premiere. §

Beroé.

Sors de mon cœur,
Folle fureur*,
415 Aveugle frenesie,
Brutale ardeur, maudite jalousie ;
Peste* des cœurs, dont le poison
Détruit l’amour et la raison,
Sors de mon cœur et de ma phantaisie*50.
420 C’est trop d’affronts soufferts,
Rompons, brisons nos fers,
Vengeons nous de qui nous méprise ;
Et renversons du moins toute son entreprise,
A l’écart.
Mais le voicy qui medite en son cœur
425 De nouveaux* artifices,
Et n’a pas épuisé sa ruse et ses malices*,
Observons ses desseins, fourbe, lâche imposteur*.
[p. 40]

Scene seconde. §

Vertune, Beroé cachée.

Vertune.

Amour, dy-moy, que dois-je faire,
Pour la fléchir et pour luy plaire ?
430 Amour, dy-moy, que dois-je faire ?
En qui me transformer ? des plus puissans des Dieux,
Cette insensible* a méprisé les vœux.
Mais pourquoy l’attaquer sous la forme d’un autre ?
Peut-estre pourrions-nous luy plaire sous la nostre.
435 Tachons de la surprendre une derniere fois,
Prenons de Beroé la figure et la voix,
Cette vieille insensée
Possede entierement son cœur et sa pensée.
Et si dans cet habit je ne puis la tenter,
440 Je veux me presenter,
Et luy parler moy-mesme
De mon amour extréme,
Je veux…mais la voicy.
Il se cache.

Scene troisiesme. §

Pomone, Flore, Vertune et Beroé, cachez51.
Flore soûpire.

Pomone.

Qui cause ce soûpir
445 De langueur* et de flame ?

Flore.

L’absence de Zephir52, [L,41]
Qui tourmente mon ame.

Pomone.

Pour charmer* les ennuis*
Dont elle est travaillée*,
450 Allons sous la verte feüillée
Voir danser nos cüeilleurs de fruits.
Vertune s’avance, transformé en Beroé.

Scene quatriesme. §

Pomone, Flore, Vertune en Beroé,Beroé cachée.

Pomone à Vertune, en Beroé.

Mais te voila, Nourrisse,
Hé qui t’a fait absenter si long-temps ?
Il faut qu’un baiser t’en punisse.
Elle le baise.
455 Mets-toy là, bonne mere, et voy nos passetemps.
Pomone, Flore et Vertune en Beroé vont s’asseoir sous la feüillée. Des Cüeilleurs, et des Cüeilleuses de fruits, la hotte sur le dos, viennent danser.

Scene cinquiesme. §

Pomone, Flore, Vertune en Beroé, Beroé cachée. Cueilleurs, et cueilleuses de fruits.

Entrée de Ballet.

Cueilleurs de fruits.

Scene sixiesme. §

[p. 42]
Pomone, Flore, Vertune en Beroé. Beroé cachée.
Apres la Danse, Pomone, Flore et Vertune en Beroé se rassemblent.

Pomone, à Flore.

Hé bien ! que dis-tu ma sœur
De nostre charmante vie ?

Flore.

Je dy que sa douceur
Me donne peu d’envie* :
460 Sans le plaisir d’amour tous les autres plaisirs,
Lassent facilement nos cœurs et nos desirs.

Pomone.

Tu me conseilles donc desormais de le suivre ?

Flore.

Qui commence d’aymer, il commence de vivre.

Pomone, à Vertune en Beroé.

Nourisse, qu’en dis-tu ?

Vertune en Beroé.

Croiras-tu mes avis ?

Pomone.

465 Je les ay jusqu’icy fidelement suivis.

Vertune en Beroé.

Je detestois l’amour et traitois ses delices
De crime et de supplices :
Mais depuis que j’ay veu Vertune ton amant,
J’ay bien changé de sentiment.
470 Qu’il a d’amour ! qu’il a de charmes !
Il me dit l’autre jour les peines qu’il ressent,
D’un air si doux, si languissant, [p. 43]
Qu’il m’attendrit et me tira des larmes.
Je le dy franchement,
475 Si j’estois jeune et belle,
Mon cœur à cét amant
Ne seroit point rebelle.

Beroé cachée.

Le rusé, l’imposteur* !

Pomone.

il seroit à mes yeux
Le plus parfait des Dieux,
480 Qu’à son amour je serois insensible* !
Non, non, ce cœur est invincible.

Beroé cachée.

Allons le démentir.

Vertune en Beroé.

Souvent le plus constant
S’ébranle en un instant.

Beroé, courant à luy.

485 Je te tiens, fourbe, lâche.
Vertune reprend soudainement sa figure naturelle.

Scene septiesme. §

Pomone, Flore, Vertune, Beroé,

Vertune, à Beroé.

Dequoy m’accuses-tu ? quel crime ay-je commis ?
Ah ! n’ay-je pas sans-toy d’assez fiers ennemis ?

Beroé, à l’écart.

Hélas ! en le voyant ma fureur* se relâche.

Pomone, à l’écart.

Qu’il a l’air fier et doux ! ha ! qu’est-ce que je sents ? [p. 44]
490 Un mouvement secret me transporte les sens.

Vertune.

J’ay failly toutesfois, je suis un témeraire,
D’aspirer, ô Deesse ! à l’honneur de te plaire.

Beroé, à l’écart.

O Ciel ! que ferons-nous ?

Vertune.

aussi jusqu’à ce jour
Le respect m’a contraint de cacher mon amour :
495 Mais enfin emporté par son ardeur extreme,
Je viens à tes genoux te dire que je t’aime,
Il se jette à genoux devant la Déesse.

Pomone, à l’écart.

O Dieux ! il m’attendrit.

Vertune.

et me voir condamner

Pomone, à l’écart.

Je n’en puis plus !

Vertune.

à des peines mortelles,

Pomone, à l’écart.

Helas !

Vertune.

et d’autant plus cruelles

Pomone.

500 Et je sents

Vertune.

que la mort ne peut les terminer,

Pomone, se tournant à luy.

Et je sents [p. M,45]

Vertune.

que dis-tu ?

Pomone.

ce que je n’ose dire
En le relevant.
Et je sents que mon cœur partage ton martire.
Venilie entre d’un costé, Faune et le Dieu des Jardins de l’autre.

Scene huitiesme. §

Pomone, Flore, Vertune, Beroé, Venilie. Faune le dieu des jardins.

Pomone, Flore, Vertune, à 3.

O puissance d’amour ! ô divin changement* !
Ce que l’esprit et la finesse*,
505 Les honneurs, la richesse
Ont tenté vainement ;
L’amour et la beauté le font en un moment.

Scene neufviesme. §

Faune, le Dieu des jardins, Beroé, Venilie.

Faune, au Dieu.

Pauvre Dieu des Jardins !

Le Dieu des Jardins.

Pauvre Dieu de Village !

Faune en luy presentant Beroé.

[p. 46]
510 Voicy ce que le Ciel te reserve en partage.

Le Dieu des jardins en montrant Venilie.

Voicy le mien
En luy montrant les cornes qu’il porte au front.
Voyla le tien.

Faune, en luy montrant sa bouteille.

Voicy le mien
En luy montrant Beroé.
Voyla le tien.

Faune et le Dieu, à 2. En continüant.

Voicy le mien,
Voyla le tien.

Venilie, au Dieu des Jardins.

515 Si d’un Vulcain aussi difforme
Le Ciel me faisoit la Venus53 ;
Il en auroit le front aussi bien que la forme,
Et ne cederoit point aux Dieux les plus cornus.
En montrant Faune.

Intermede IV. §

Acte V. §

Scene premiere. §

Vertune, Pomone, Juturne, Venilie.

Pomone.

En vain tu veux me faire voir
520 L’estat de ton empire et ton divin pouvoir, [p. 47]
Grand Dieu, ce que mon ame
Ressent pour toy de tendresse et d’ardeur,
Tu le dois à ta flame.
Bien plus qu’à ta grandeur.
525 C’est assez….

Vertune

Je sçay trop que ta flame amoureuse*
Est pure et genereuse* :
Mais ce que je pretends
Te montrer de puissance
530 Est plus un passe-temps
Qu’une magnificence.
Mais voicy nostre sœur, dont le soin complaisant*
Nous regale aujourd’huy d’un aimable present.

Scene deuxiesme. §

Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore.

Flore.

Presentant aux Amants le Chappeau d’Hymen54.
Vous ne manquez pas de couronne,
535 Heureux amants, et le Ciel vous en donne
Des plus nobles de l’Univers :
Mais pour un cœur qu’amour tient dans ses fers,
La plus belle et la plus charmante
Est le Chappeau d’Hymen que ma main vous presente.
540 Passez dans ses plaisirs et les jours et les nuits,
Portez ses fleurs, goustez ses fruits. Ritorn*.

Scene troisiesme. §

[p. 48]
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux jardiniers.
Le Dieu des Jardins prend de la main d’un des Jardiniers une corbeille pleine de Truffes et d’Artichauts, et la presente aux Amants.

Le Dieu des jardins.

Je vous offre, grands Dieux, le present d’un pauvre homme,
Mais le ragoust* en est friand* et chaud,
Et dans un jour pareil la Truffe et l’Artichaut
545 Vallent mieux que la Pomme.

Vertune.

Suivons nostre dessein : sus, sus*, Lares, Follets55,
Qu’on bastisse un Palais
A ma belle maistresse.
Un Palais magnifique se montre.
Changement* de Theatre. Palais de Vertune.
Pages, valets,
550 Qu’on serve ma Deesse.
Huits follets transformez en esclaves font la reverence à la Deesse.

Scene quatriesme. §

Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux Jardiniers, Follets en esclaves.

Vertune.

Qu’on enfonce mille tonneaux,
Que le vin coule à plein ruisseaux.
Une fontaine de vin paroit.
Que le Haut-bois s’apreste [N,49]
A celebrer la feste.
Un balcon à ferrade se montre, et sur le balcon une troupe de Haut-bois vestus de livrées* des mariez, et dans le mesme temps, vingt-quatre violons, vestus de mesme, paroissent sur les deux aisles du Theatre.

Scene cinquiesme. §

Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux jardiniers, Follets en esclaves, Follets en symphonistes.

Vertune.

555 Vous, Esclaves, dansez,
Et la divertissez.56
Entrée de ballet.
Follets en esclaves.
La troupe s’écarte pour faire place aux danseurs, puis se rassemble, la danse finie.

Vertune.

Hola, follets, paroissez dans les airs,
Sous mille plaisantes images,
Et pour la divertir, formez dans les nüages
560 Des spectacles charmants, et d’aymables concerts*.
Dix-huit Follets transformez paroissent en differentes nües brillantes, six aux fonds du Theatre dans une grande nüe, six sur le costé droit en trois petites nües diverses, et autant sur le gauche, sous des formes de Dieux de Muses et d’Amours, partie chantants, partie joüants des instruments.

Scene sixiesme. §

Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardin, deux jardiniers, Follets en esclaves, Follets en symphonistes, Follets en dieux dans les nües.
Symphonie* par les Follets dans les nües.

Les Follets dans les nües.

[p. 50]
Venez, Dieux et mortels, à cette grande feste,
Celebrez ce jour de conqueste,
Ce jour illustre et bienheureux :
Nostre Dieu va gouster les plaisirs amoureux*,
565 Sautons, rions, dansons, et chantons à sa gloire
Des chants d’amour et de victoire. Rit.

Juturne, Venilie, à 2.

Courez, courez à pas legers,
Courez, Satyres et Bergers,
Sautez, riez, dansez, et chantez, etc. Rit. par les violons.

Les Follets dans les nües.

570 Et vous, Follets, qui formez dans les airs
La foudre* et les éclairs,
Des vents et des nuages,
Arbitres souverains,
Rendez les Cieux tranquilles et serains,
575 Et chassez loin de nous la foudre* et les orages.
Voicy le jour, voicy le temps,
Des jeux des ris, des passe-temps.
Sautons, rions, dansons, et chantons, etc. Ritorn*.

Scene septiesme. §

Vertune, Pomone et les autres. Faune.

Faune, en dansant et se moquant.

Sautons, rions, dansons, etc.
580 On attrappe aujourd’huy le plus fin des Renards*,
Aujourd’huy se grossit le nombre des Cornards*.
Sans troubler nos humeurs* paisibles,
Nous les porterons sur le front ; [p. 51]
Mais les miennes y paroistront,
585 Les siennes seront invisibles.
La Nourisse paroit.

Scene derniere. §

Vertune, Pomone et les autres. Beroé,

Faune.

Et toy, Nourisse, aussi,
Tu viens paréstre icy ?
Pauvre vieille insensée,
Ne crains-tu pas de cet amant
590 La hayne et le ressentiment ?
Oses-tu regarder ta maistresse offensée ?

Beroé.

Avant la fin du jour
Mes fautes dans l’oubly seront ensevelies,
Et qui ressent les plaisirs de l’amour,
595 En pardonne aysement le crime et les folies*.

Pomone.

Non, non, sans m’offencer tu peux l’aymer toûjours,
Nourisse, ne crains rien et poursuy tes amours.57

Vertune.

Vivons, vivons amis.

Vertune, Faune, Le Dieu des jardins, Pomone, Flore, Beroé.

Vivons, vivons amis. Ritorn*.

Flore, Faune.à 2.

que par toute la terre
600 On chasse les ennuis*, on bannisse la guerre.

Tous.

Que par toute la terre, etc. Ritorn*. [p. 52]

Pomone.

Que l’Automne,

Flore.

que le Printemps,

Pomone, Flore.à 2.

Brillent de jeux, de passe-temps ;

Juturne.

Qu’on y cüeille les fleurettes*,
605 Et les doux fruits d’amourettes*58.

Flore.

Que pendant nos belles saisons,
On fasse l’amour59 sur nos terres.

Le dieu des jardins.

Dans les jardins,

Vertune.

dans les maisons,

Faune.

Les champs,

Pomone.

les vergers,

Flore.

les parterres*.

Tous. Instrumens et Voix.

610 Dans les jardins, dans les maisons,
Les champs, les vergers, les parterres*.
Les six petites nües se retirent, et la grande vole du fond du Theatre sur le ceintre.

Fin. [O,53]

Lettres patentes du roy, pour establir, par tout le Royaume, des Academies d’opera, ou Representations en Musique en Langue Françoise, sur le pied de celles d’Italie. §

Louis par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre : A tous ceux qui ces presentes Lettres verront ; SALUT. Nôtre amé et feal60 Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, et Introducteur des Ambassadeurs prés la personne de feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, nous a tres-humblement fait remonstrer, que depuis quelques années les Italiens ont estably diverses Academies, dans lesquelles il se fait des Representations en Musique, qu’on nomme OPERA ; Que ces Academies estans composées des plus excellens Musiciens du Pape et autres Princes, mesme de personnes d’honneste famille, Nobles et Gentils-hommes de naissance, tres-sçavans et experimentez en l’Art de la Musique, qui y vont chanter, font à present les plus beaux Spectacles et les plus agreables divertissemens, non seulement des Villes de Rome, Venise et autres Cours d’Italie ; Mais encore ceux des Villes et Cours d’Allemagne et Angleterre, où lesdites Academies ont esté pareillement établies à l’imitation des Italiens ; Que ceux qui font les frais necessaires pour lesdites Representations se [p. 54] remboursent de leurs avances sur ce qui se prend du Public à la Porte des lieux où elles se font. Enfin que s’il nous plaisoit luy accorder la permission d’establir dans nostre Royaume de pareilles Academies, pour y faire chanter en public de pareils OPERA , ou Representations en Musique en Langue Françoise ; Il espere que non seulement ces choses contribuëroient à nostre divertissement et à celuy du Public, mais encore que nos Sujets s’accoustumans au goust de la Musique, se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l’un des plus nobles des Liberaux.

A CES CAUSES, desirant contribuer à l’avancement des Arts dans nostre Royaume, et traitter favorablement ledit Exposant, tant en consideration des services qu’il a rendus à feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, que de ceux qu’il Nous rend depuis plusieurs années en la composition des paroles de musique qui se chantent tant en nostre Chapelle, qu’en nostre Chambre : Nous avons audit Perrin accordé et octroyé, accordons et octroyons, par ces presentes signées de nôtre main, la permission d’establir en notre bonne ville de Paris, et autres de nostre Royaume, des Academies composées de tel nombre et qualité de Personnes qu’il avisera, pour y representer et chanter en public des OPERA et representations en Musique en Vers François, pareilles et semblables à celles d’Italie. Et pour dédommager l’Exposant des grands frais qu’il conviendra faire pour lesdites representations, tant pour les [p. 55] Théâtres, Machines, Decorations, Habits, qu’autres choses necessaires ; Nous luy permettons de prendre du Public telles sommes qu’il avisera, et à cette fin d’establir des Gardes et autres Gens necessaires à la porte des Lieux où se feront lesdites representations ; Faisant tres-expresses inhibitions et deffences à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, mesme aux Officiers de nostre Maison, d’y entrer sans payer, et de faire chanter de pareilles OPERA ou representations en Musique en vers françois, dans toute l’étenduë de nostre Royaume pendant douze années, sans le consentement et permission dudit Exposant, à peine de dix mil livres d’amende, confiscation des Theatres, Machines et Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hospital General, et l’autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits OPERA et Representations sont des ouvrages de Musique tous differents des Comedies recitées, et que Nous les erigeons par cesdites presentes sur le pied de celles des Academies d’Italie, où les Gentil-hommes chantent sans déroger : VOULONS et nous plaist, que tous Gentil-hommes, Damoiselles, et autres personnes, puissent chanter ausdits OPERA, sans que pour ce ils dérogent au tiltre de Noblesse ny à leurs Privileges, Charges, Droits et Immunitez. REVOQUONS par ces presentes toutes Permissions et Privileges que Nous pourrions avoir cy-devant donnez et accordez, tant pour raison desdits OPERA, que pour reciter des [p. 56] Comedies en Musique, sous quelques noms, qualitez, conditions et pretextes que ce puisse estre. SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nostre Cour de Parlement à Paris, et autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, que ces presentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer, et du contenu en icelles, faire joüir et user ledit Exposant pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empéchemens au contraire : CAR tel est nostre plaisir. DONNÉ à S. Germain en Laye le 28. Jour de Juin 1669. Et de nostre Regne le vingt-septiéme. Signé LOUIS ; et sur le reply, par le Roy, COLBERT. Et scellé du grand Sceau de cire jaune.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 12. Novembre 1669. Signé LA GUILLAUMIE, et scellé du grand Sceau de cire jaune, il est permis à M. Perrin de faire imprimer l’OPERA, ou Representation en Musique, qu’il a composée, intitulée POMONE, par tel Imprimeur ou Libraire, et en telle forme et manière qu’il desirera, et deffenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires et autres, d’imprimer ou faire imprimer ledit OPERA, sans l’exprez consentement dudit Sieur Perrin, sur les peines portées audit Privilège.

Lexique §

Sources :

– Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue française: ses expressions propres, figurées & burlesques, la prononciation des Mots les plus difficiles, le Genre des Noms, le Régime des Verbes: avec Les Termes les plus connus des Arts & des Sciences, Le tout tiré de l’usage et des bons auteurs ; A Genève, Chez Jean Herman Widerhold, 1680 (R.)

– Furetière, Dictionnaire universel, 1690 (F.)

 Dictionnaire de l’Académie française, première édition, 1694 (Aca.)

Tous les articles des dictionnaires ont été consultés et sont cités à partir des numérisations rendues disponibles par la bibliothèque électronique de Paris IV-Sorbonne.

Le numéro des vers en référence dans le texte du livret Ballard est précisé entre parenthèses.

Abhorrer
« Avoir en horreur, détester. (…) Ce mot vient d’horrere Latin, qui sign. Avoir le poil hérissé de peur, être saisi et transi de froid. » (F.)
(39)
Amer, ère
« Qui a une saveur tres-rude et desagreable à la langue, tel que le fiel des animaux, l’aloes, l’eau de mer. »
« Se dit figurément en Morale. Une douleur amere, des paroles ameres, c’est-à-dire, que nous goustons avec peine et chagrin. » (F.)
(43, 53)
Amourette
« Atachement coquet, passion qu’on a pour quelque belle. Faveur amoureuse. » (R.)
(55, 136, 605)
Amoureux
« Celui qui aime, qui a de la pente à aimer. Qui a de la passion pour les Dames. »
Adj.Qui aime, qui est porté à l’amour. (R.)
De l’Amour.
(Personnages, 25, 47, 192, 282, 526, 564)
Badin
« Sot, fat, benêt » (voir « Fat »).
Enjoué, folâtre. (R.)
(90, 406)
Bande
« †Plusieurs personnes de compagnie » (R.) « Bande signifie encore, une trouppe de plusieurs personnes associées ensemble pour un même dessein. La grande bande des violons se dit des 24 violons du Roy, une bande de Bohémiens. » (F.)
« †Bande joieuse : Plusieurs personnes qui se réjouissent ensemble. »(R.)
Se dit aussi au sens d’un régiment.
(126)
Bêche
« Outil à fer large et tranchant avec un manche de bois d’environ 3.piez servant à creuser et couper la terre. » (R.)
(250)
Blondin
« Jeune homme aux cheveux blonds, galant à perruque blonde. » (R., article « Blond »).
(89)
Bocage
« Petit bois, ou bosquet, ou buisson. Il se dit des bois touffus et agreables, et de petite étendüe. Ce mot vient de bosco. » (F.)
(188)
Bourrique
Anesse. (R.)
« Méchante beste de voiture. Il se dit particulierement des asnes, ou des asnesses, et en suite des méchants chevaux. » (F.)
Cajoler
Dire des paroles civiles et obligeantes (R.)
Flater, loüer, entretenir quelqu’un de choses qui luy plaisent et qui le touchent. (…) Il signifie aussi, Tascher de seduire une femme ou une fille par de belles paroles. (…) une honneste femme ne se doit pas laisser cajoler. (Aca.)
Le mot n’est pas noté comme étant d’un registre bas.
(45)
Censurer
« Reprendre. Il y a des gens qui ne se plaisent qu’à censurer les actions d’autruy. Il signifie aussi, Condamner un livre, une opinion par authorité Ecclesiastique. Cette opinion a été censurée par la Sorbonne, censurer un livre. » (Aca)
Chagrin
« Inquiétude, ennui, mélancolie. La mort de cet enfant est capable de faire mourir sa mère de chagrin. Quelques-uns derivent ce mot de aigrir, parce qu’il cause quelque aigreur ou amertume dans l’esprit ; et en quelques lieux on dit encore aigrin, pour dire, chagrin. » (F.)
« Tristesse. Fâcherie. (…) Se faire des chagrins de rien. Sca. » (F.)
Changement
« Action de la personne qui change. » Le terme générique au sens propre est plutôt « change ».
P. 10, 13, 21, 30, 31, 39, 48.
Au figuré, synonyme de « métamorphose ». (R.)
(258, 502)
Charmer
« Faire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du Demon. (…) signifie aussi, Dire ou faire quelque chose de merveilleux, de surprenant, plaire extraordinairement. » (F.)
Les occurrences dans Pomone tiennent des deux sens du mot. On peut remarquer que le verbe est transitif dans le premier sens, aussi « Charmer les arbres » signifie, dit Furetière, « les faire mourir malicieusement ».
(231, 448)
Complaisant
« Civil, courtois, flatteur, qui tâche de plaire et de se conformer aux volontez d’autruy. Un homme complaisant est bien venu en toute sorte de compagnies. » (F.) Voir « Galant ».
(532)
Concert
« Assemblée de Musiciens qui chantent, ou qui jouënt des Instruments. Il y a des concerts de voix, de luths, de violes, ou de plusieurs instruments meslez ensemble. Il n’y a point de concert qui vaille les representations de l’Opera. » (F.)
(560)
Cornard
« Celuy qui a une femme adultere qui luy fait porter des cornes. » (Aca.)
Il est précisé que le terme est « bas ».
(581)
Couvert
Abry, lieu à l’ombre. (…) un beau couvert d’arbres.
Signifie aussi Logement où l’on est à l’abry des injures du temps. (F.)
(189)
Déguiser, se
« On dit aussi fig. Se desguiser, pour dire, Se faire, se monstrer tout autre que l’on est. Cet homme-là fait toutes sortes de personnages, il se desguise en mille manieres. Le demon se deguise quelquefois en Ange de lumiere. » (Aca., art. « Guise »)
(148)
Enjoüé, ée 
Bien venu dans toutes sortes de sociétés. (F.)
« On dit aussi, qu’un stile est fort enjoûé, quand il est rempli de plusieurs pensées agreables et plaisantes. Le stile du Roman Comique de Scarron est fort enjoüé. La Metamorphose des yeux de Philis est une Poësie fort enjoüée. (F.) « Il se dit aussi, des pieces et productions d’esprit qui sont fort gayes. Cette piece est fort enjouées, trop enjouée. C’est un style enjoué. » (Aca.)
Ennui
Tristesse, déplaisir (R.). Le terme est généralement plus fort qu’aujourd’hui, néanmoins Furetière lui donne le sens « moderne ».
(448, 600)
Envie
Jalousie (passion basse)
Désir de quelque chose. (R.)
(205, 459)
Etonnement
« Epouvante, sorte de surprise étonnante. [Tout le monde est dans l’étonnement.] » (R.)
Fantosmes
Spectres, chimères « qui nous troublent et nous épouvantent ». (F.)
(Personnages, P. 24, 25)
Fat
« Impertinent, sot. » (R.). Voir « Badin ».
(Personnages, 406, 412)
Félicité
« Souverain bien, Bon-heur, Prospérité. » (R.).
Le latin felix signifie quelque chose comme « bien-portant ».
(5)
Finesse
 « Ruses. Toutes ses finesses sont découvertes. » (R.) voir « Surprise ».
(511)
Flatter
Louer quelqu’un pour des qualités qu’il n’a pas.
Excuser les défauts de quelqu’un pour lui complaire.
Déguiser une vérité désagréable.
Caresser.
Toucher agréablement les sens ; employé pour la musique, les parfums. (F.)
(80, employé en syllepse)
Fleurette
Petite fleur.
« Qui ne se dit qu’au figuré de certains petits ornements du langage, et des termes doucereux dont on se sert ordinairement pour cajeoller les femmes. C’est un diseur de fleurettes. Il conte fleurettes à cette Dame, c’est-à-dire, Il luy fait l’amour. » (F.)
(56, 138, 604 en syllepse)
Folie
Dérèglement de la raison causé par « quelque humeur froide ou pituiteuse, qui l’acable. »
(595)
« †* Chose plaisante, choses jolies et agreables qu’on dit. (Ecrire des folies à quelqu’un.) » (R.)
(117)
Foudre
« Ce mot dans le propre est masculin, et féminin, mais plus-feminin. C’est un tonnerre accompagné de fracas. (…) A peine a-t-il vu le foudre parti pour le mettre en poudre, Mal, Poës. »
(P. 24, v. 213, 571, 575)
Friand
« … Se dit aussi figurément d’une chose rare qui est d’un grand prix, d’un grand mérite. (…) c’est un morceau bien friand. » (F.)
(543)
Fronder, fronde, frondeur 
« Fronder : s’est dit aussi fort communément depuis le parti de la Fronde pour signifier, Contredire, combattre, réfuter. (…) Cette piece de theatre a esté generalement frondée. » (F)
Fureur, furieux
« Transport plein de colère et de rage » Furieux : «  Qui est transporté de colere, de fureur, de furie ».
(201, 414, 488)
« Ce mot se prend souvent en bonne part, et signifie transport, enthousiasme. (…) Fureur poëtique. » (R.) « Ainsi on dit, que les Poëtes sont transportez de la fureur d’Apollon, d’une fureur divine, quand ils font des vers plus par genie que par art (…) les Payens avoient aussi du respect pour les fureurs Bachiques dans les Festes de Bacchus, qui procedoient d’avoir trop beu de vin. » (F.)
(116)
Galant 
Celui qui aime
Léger, frivole
« Eveillé, beau, agréable, enjoüé, charmant, amoureux »
« Qui a de la bonne grâce, de l’esprit, du jugement, de la civilité et de la gaïeté, le tout sans affectation. » (R.)
Le terme indique au XVIIe siècle une notion de civilité, d’urbanitas, acquise par la fréquentation du monde et de la Cour.
Généreux
« Qui a l’ame grande et noble, et qui prefere l’honneur à tout autre interest. » (F.)
(527)
Glace
Marqué par une astérisque chez Richelet (sens figuré) : Froideur de cœur, froideur, peu d’amitié, peu de passion. Mes larmes ont fondu la glace de son cœur. Racine.
(77, 169, 218)
Grison, Adj. et subst
« Dont les cheveux commencent à blanchir. » (F.)
(165)
Habile
« Qui est savant. Qui est excellent en quelque chose (…) Il est habile en son art. » Ablancourt. (R.)
Héroïque 
« Ce mot se fit de certains poëtes et de certaine poësie, et il veut dire sublime, élevé. Stile héroïque. Poëme heroïque. Poësie heroïque. Le meilleur poëte heroïque Grec c’est Homere, et le meilleur poëte heroïque Latin, c’est Virgile. » (R.)
Hivers
Au sens figuré, employé plutôt pour la vieillesse. Son sens lui vient ici par association avec la métaphore traditionnelle de la « glace » (voir « Glace »).
(77)
Humeur
« Substance fluide dont les parties sont en mouvement. (…) en termes de Medecine, on appelle les quatre humeurs, les quatre substances liquides qui abreuvent tous les corps des animaux, et qu’on croit estre causes des divers temperamments, qui sont le flegme ou la pituite, le sang, la bile, la melancolie. »
« (…) Se dit aussi du temperamment particulier qui vient du meslange de ces qualitez. Ainsi on dit qu’un homme est d’humeur bilieuse, colerique, emportée, d’humeur flegmatique, douce, posée, froide ; d’humeur sociable, grave, d’humeur mélancolique, chagrine, inquiète, triste, noire, sombre, bizarre, insupportable, hypocondriaque, d’humeur sanguine, gaye, enjoüée, complaisante, volage, amoureuse, de belle humeur, d’humeur joviale, impérieuse.
« Se dit en Morale, des passions qui s’esmeuvent en nous suivant la disposition ou l’agitation de ces quatre humeurs. » (F.)
« Humeurs paisibles » correspond donc ici à l’humeur flegmatique, ce que nous appelons le « sang-froid ».
(582)
Imposture
Tromperie, calomnie. Terme assez fort, aussi bien chez Richelet que chez Furetière ou l’Académie.
(220, 341, 427)
Ingrate
« Celle qui n’a point de reconnaissance. (Aimer une ingrate.Voit. l.30.) » (R.)
« Se dit aussi figurément des terres stériles, des travaux qui n’apportent point de profit. » (F.)
(151, 323)
Insensible
Au figuré : « Qui ne ressent rien parce qu’il est sans cœur, sans raison. Qui ne sent rien, parce qu’il a le cœur dur et qu’il ne se laisse toucher de rien. » (R.)
« … les amans appellent leur maistresse cruelle et insensible, quand elle ne veut pas respondre à leur passion. » (F.)
(150, 193, 432, 480)
Jus
Suc, liquide tiré par expression.
Vin. « On appelle prov. Le vin, Du jus de la vigne, du jus de la treille. » (Aca)
(357, 360)
Langueur
Epuisement dû à une maladie.
« Se dit aussi en Morale des tristesses, des afflictions, ou des passions violentes qui nous privent de joye, ou de santé. (…) Les amants disent qu’ils sentent une mortelle langueur.» (F.)
(155, 197, 244, 308, 445)
Levier
« Long et fort baston » servant à soulever des charges lourdes. (F.)
(411)
Livrée
Uniforme des laquais et serviteurs, qui change selon la circonstance. « Aujourd’huy on ne fait porter les livrées qu’aux Pages, Laquais, Suisses, Cochers, Postillons et Palfreniers. (…)
« Se dit en ce sens des presents que la mariée fait à ses parents et amis pour assister à ses nopces, qui sont d’ordinaire des rubans de la couleur qu’elle aime. Cette cérémonie ne se prattique plus qu’au village où les paysans ne voudroient pas aller à la nopce, si on ne leur avoit envoyé de la livrée. » (F.)
On peut imaginer que la « livrée de mariez » que portent les Hautbois (didascalie suivant le v.562) sont décorées de rubans et sont plutôt dans les tons de blanc, que Furetière indique pour les occasions joyeuses.
(p. 49)
Malice
« Méchanceté, friponnerie, fourberie, finesse, artifice »
†«… Farce plaisante et galante que l’on fait à ses amis ». (R.)
(79, 426)
Masque
Pièce de déguisement couvrant le visage.
« Ce mot au figuré a d’autres sens fort beaux. (…) Son honnêteté n’est qu’un masque pour tromper plus finement, Ablancourt. C’est-à-dire, son honnêteté n’est qu’un voile, qu’une adresse, un prétexte pour tromper. » (R.)
(222, en syllepse)
Merveille
« Chose rare, extraordinaire, surprenante, qu’on ne peut gueres voir ni comprendre. Toutes les œuvres de Dieu et de la nature sont des merveilles inconcevables. Ces merveilles ont ravy en extase plusieurs Saints. (…) On le dit aussi des chefs-d’œuvre de l’art. (…) On appelle un homme fort illustre, la merveille de son siècle » (F.)
Le dictionnaire Cotgrave, de 1611, note : “wonder, a monstrous thing, strange accident, admirable matter”, ce qui laisse à penser que ce sens du mot s’est considérablement affaibli au cours du siècle.
« On appelle subst. en Poësie, Le merveilleux, cette partie de la fable qui cause de l’admiration. Le merveilleux doit estre joint au vray semblable. » (Aca., article « Merveilleux »)
(7, 24)
Monstre
« Prodige qui est contre l’ordre de la nature, qu’on admire, ou qui fait peur. » (R.)
(99, 203, 213)
Mutin
« Opiniastre, querelleux, obstiné, testu. (…) Il signifie aussi, Seditieux. »
Se mutiner : « Il se dit aussi d’Un enfant qui se depite. C’est un enfant qui se mutine pour la moindre chose. » (Aca.)
(101)
Nouveauté
Chose nouvelle
Changement.
Quasi synonyme de révolution, et pris en mauvaise part : « Troubles remûmens et brouilleries qui changent la face d’un état. Notre nation a une pente naturelle aux nouveautez. Mémoires de Monsieur le Duc de la Roche-Foucaut. » (R.)
Objet
« Chose où l’on arrête les yeux. « 
« Chose où l’on arrête sa pensée, son cœur, son but, ou son dessein. » (R.)
(100, 149, 194)
Parterre
« Terme de Jardinier. C’est la place du jardin où est ordinairement la broderie de bouïs. Place du jardin om sont les planches et les carreaux. »
(237)
« En parlant du lieu où l’on joue la comédie ; C’est l’endroit où l’on entend la comédie debout. »
Au figuré : « Les Spectateurs qui sont au parterre tandis qu’on joüe la comédie. » (R.)
(176, 609, 611)
Dans notre texte, le terme est à l’évidence employé en syllepse, dans cette tradition d’un langage poétique à double sens, intelligible pour tous les spectateurs : « fleurs », « fleuves », « fruits » sont entendus à la fois dans leur sens propre et dans leur sens métaphorique.
Pasleur, pâleur
De manière générale, « Couleur pâle. Certaine blancheur fade et morte que la peur fait paroître sur le visage de certaines personnes. C’est aussi une certaine blancheur fade et dégouttante qui est naturelles à certaines gens. »
« Pâles-couleurs : Jaunisse. Epanchement d’humeur bilieuse par tout le corps. » (R.)
(238)
Peste
Toute forme de maladie contagieuse et mortelle.
(417)
« Se dit quelquefois par une espece d’imprecation, Peste de l’ignorant, la peste de l’ignorant, la peste soit de l’ignorant. (…) On s’en sert encore par exclamation et par admiration, et alors c’est une espece d’interjection. Peste, que cela est beau ! Peste, qu’il fait froid ! (…) » (Aca.)
(258)
Phantaisie, fantaisie
« Imagination, goût, volonté. Dessein. Se mettre quelque chose dans la fantaisie. » (R.) Les deux orthographes coexistent, tout comme « fantôme » et « phantôme »
(419)
Pompeux, euse
Qui a de la pompe, qui est magnifique, leste. Bien paré… »
(8)
Posture
Disposition du corps. Attitude, pose.
« Il a été au Prince en posture de suppliant. Les Baladins en dansant font mille postures grotesques et extravagantes. On a fait des ballets de postures, diverses estampes de postures. Dans les tableaux serieux on dit action, attitude.» (F.)
(221)
Poudre
Poussière. « Terre déliée et si menuë qu’elle peut être emportée par le moindre petit vent. (…) Réduire en poudre. » (R.)
(214)
Racaille
« Terme de mépris, qui se dit de ce qui est de moindre valeur en chaque chose. Les seditions ne se font que par la racaille, par les gens de la lie du peuple. (…) Ce mot vient de race ». (F.)
(410)
Ragoust, ragoût
Sauce. « L’s ne se prononce pas. C’est un assaisonnement que le cuisinier fait, qui pique, qui chatouille et réveille l’apétit. » (R.)
(543)
Ramage
« C’est le chant naturel de quelque oiseau que ce soit. Ramage doux, charmant, ravissant, agreable. (…) » (R.)
(294)
Renard
« Beste puante, maligne et rusée, qui vit de rapine. (…) Il se prend fig. pour Cauteleux, fin, rusé. Cet homme-là est un renard, un fin renard… » (Aca.)
(580)
Rigueur 
Sévérité, dureté, austérité. « On dit poëtiquement (…) les rigueurs d’une belle, d’une mastresse, souffrir ses rigueurs, fleschir sa rigueur ». (Aca.)
(157, 308)
Ritornelle, ritournelle
Synonyme de Refrain : « Refrain. Les Italiens l’appellent dans leurs airs ritournelle. » (F.)
Dans Pomone, les ritournelles instrumentales reprennent en écho le « sujet » des airs qui les précèdent. (Voir l’air de Pomone « Passons nos jours » par exemple, dans le document dramaturgique).
V. 32, 44, 54, 63, 67, didascalie v. 142, 344, 366, 541, 578, 599, 601.
Saoûler (se), Soûler
Boire et manger trop, S’enivrer de quelque chose.
Au figuré, Se soûler de sang, employé pour des soldats. (R.)
(204)
Superbe
« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption, une trop bonne opinion de luy-même » (sens péjoratif).
Se dit aussi de ce qui marque la magnificence, la somptuosité. « Les Cirques, les Arcs de Triomphe de Rome étoient des bastiments superbes ». (F.)
(11)
Surprise
Surprendre, au figuré : « Tromper une personne sans qu’elle ait le tems de se reconnoître. Abuser, décevoir, jetter dans l’erreur. »
Surprise, au figuré : « Méprise. (Tomber dans une surprise. Eviter une surprise.) » (R.)
(187)
Sus
« C’est la même chose que sur, qui n’est demeuré en usage qu’en ces phrases. (…) On a enjoint aux communes de courir sus aux ennemis. (…) On dit aussi par exclamation, Sus donc, Or sus, pour exciter quelqu’un à prendre courage. Sus debout. Sus, camarade, marchons. (F.)
Sorte d’interjection qui sert à exhorter. (R.)
Sus, sus, chantons tous-ensemble, dançons, sautons… Molière, Pourceaugnac.
(25, 546)
Symphonie
« Se prend quelquefois pour la seule Musique des instruments. Il y avoit de beaux recits dans cet Opera, mais ce qui estoit de plus excellent, c’étoit la symphonie. » (F.)
« Concert d’instruments, soit qu’il n’y ait point de voix, soit qu’ils servent à accompagner les voix. (…) [i.e. la basse continue] Il se prend aussi, pour toutes sortes de concerts de voix et d’instruments. » (Aca.)
Avant-propos, p. 11, 13, 21, 30, 39, 46, 50.
Toucher
Atteindre.
(25, 182)
« Ce mot se dit en parlant de certains instruments et veut dire joüer de cet instrument. (Toucher l’orgue, le clavessin, le psalterion etc.) » (R.)
(127)
Travailler
Mettre son effort à faire quelque chose. (Avant-propos, dernier paragraphe).
Quand il est verbe transitif : « Tourmenter, donner de la peine. La goute le travaille extremement. Ce qui plus me travaille en ma triste avanture, / Est qu’il me faut cacher le tourment que j’endure. Habert, Temple de la mort. » (R.)
Volage
Inconstant, leger, changeant. (...) se dit plus particulierement en matiere d’amour et d’amitié. C’est un Berger volage, un amant volage, qui change souvent de maistresse. (F.)
(37)
Zele
« Ardeur, passion que l’on a pour quelque chose. C’est le zele de la Religion qui animoit les Apostres et les Martyres. Les Romains avoient bien du zele pour la deffense de la patrie. (…) Les Poëtes se servent quelquefois de zele pour signifier l’amour. Il luy a témoigné son zele en toutes occasions. En ce sens il vieillit ». (F.)
B,5