LES FRA-MAÇONNES
PARODIE DE L’ACTE DES AMAZONNES
Dans l’Opéra des Fêtes de l’Amour, et de l’Hymen EN UN ACTE.

M. DCC. LIV. Avec Approbation et Privilège du Roi.

PRIVILÈGE §

J’ai lu par l’ordre de Monseigneur 1e Chancelier un Manuscrit qui a pour titre les Fra-Maçonnes Parodie, et je n’y ai rien trouvé qui puisle en empêcher l’impression, à Paris le 4 Septembre 1754. CREBILLON.

Le Privilège et l’enregistrement se trouve à la fin du nouveau Recueil des Pièces Nouvelles, qui ont été représentées sur le Théâtre de l’Opéra Comique.

À PARIS, Chez DUCHESNE, Libraire, rue Saint Jacques, au-dessous de la Fontaine Saint Benoît, au Temple du Goût.

ACTEURS. §

  • LE VÉNÉRABLE, M. Deschamps.
  • LE PREMIER SURVEILLANT, M. de L’Isle.
  • HORTENSE, Mlle. Deschamps.
  • MARINE, Mlle. Deschamps Cadette.
  • LE SECOND SURVEILLANT, M. La Ruette.
  • TROUPE DE FRANCS-MACONS.
  • TROUPES DE FEMME.

SCÈNE PREMIÈRE. Le Vénérable, Le Surveillant. §

LE VÉNÉRABLE.

Air : Non, je n’en ferai rien.
Eh bien , tout est-il prêt pour la cérémonie

LE SURVEILLANT.

Oui, Maître, vous pouvez compter sur mon génie ;
À suivre vos désirs les Francs-Maçons zélés,
Sont déjà, par mes soins, en ces lieux rassemblés.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Ton humeur est, Catherine.
5 Je craignais, par quelque obstacle,
Qu’ils ne soient tous arrêtés,
Ou qu’ils ne soient au spectacle
Conduits par les nouveautés ;
J’aurais remis notre affaire
10 À demain, sans nul détour ;
Car je sais qu’à présent, Frère ,
Les nouveautés n’ont qu’un jour.
Air : Menuet de Grandval.
Cependant j’ai l’âme ravie
Que tous mes projets soient suivis
15 Commençons la cérémonie ;
Dans l’instant nous serons servis.

LE SURVEILLANT.

Air : La bonne aventure.
Aurons-nous un bon repas ?

LE VÉNÉRABLE.

Oui, je t’en assure.

LE SURVEILLANT.

J’ai vu des ragoûts là-bas
20 D’assez bon augure.

LE VÉNÉRABLE.

Nous recevons l’héritier
D’un vieux marchand usurier :

LE SURVEILLANT.

La bonne aventure.
Oh gué : la bonne aventure.
Air : Mais comment ses yeux sont humides.
25 Mais savez-vous, mon Vénérable,
Qu’une cohorte redoutable
Veut nous jouer un méchant tour :
Je viens, en surveillant habile,
D’apprendre en parcourant la ville,
30 Que trente femmes en ce jour
Doivent forcer notre séjour.

LE VÉNÉRABLE.

Des femmes savoir nos mystères !
Et quelles sont ces téméraires ?

LE SURVEILLANT.

Ce font celles qui dans Paris
35 Font la ressource des maris ;
Qui savent à force d’adresse,
Dégourdir la belle jeunesse ;
Mais qui sur les pas du plaisir
Guident souvent le repentir.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Du Prévôt des Marchands.
40 En ces lieux qui conduit leurs pas.

LE SURVEILLANT.

C’est cet objet si plein d’appas,
Cette Hortense, que l’on admire
Beaucoup moins que ses diamants
Et qui, crainte de la satire,
45 Se contente de six amants.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Je n’y puis rien comprendre.
Hortense ! Oh Ciel ! Que me dis-tu ?
Cette Hortense !

LE SURVEILLANT.

Eh bien !

LE VÉNÉRABLE.

Qu’elle est belle !

LE SURVEILLANT.

Quoi, votre coeur est abattu !
Vous aimez cette Péronelle.

LE VÉNÉRABLE.

50 Non, je la hais.
À part.
Qu’elle a d’attraits !

LE SURVEILLANT.

Vous l’aimez : allons, Frère,
Je vois que de votre argent frais
Vous voulez vous défaire.
Air : Ma raison s’en va bon train.
55 Mais quoi, ce minois trompeur
Toucherait-il votre coeur ?
Si vous pouviez voir
Quel est le savoir
De toutes ces coquettes ;
60 Allez, leurs appas chaque soir
bis.
Restent sur leurs toilettes, lon la.
Air : Ne Vlà-t-il pas que j’aime.
Hortense ne mérite pas
Cette cruelle injure ;
Rien à ses yeux n’a plus d’appas
65 Que la simple nature.
Air : C’est Mademoiselle Manon.
Par ses petits talents
Surtout elle m’enchante ;
Toujours ses vêtements
Sont riches et galants :
70 Elle fait des noeuds,
Chante au mieux,
Sait jouer des yeux ;
Pour persister les gens
Elle est toute excellente.
75 Son goût est exquis ;
Nos Marquis sont par elle instruits,
Ce qui fait qu’à Paris
Sa conquête est de prix.

LE SURVEILLANT.

Air : À la façon de Barbary.
Eh bien, soyez-en amoureux ;
80 Mais si jamais, mon Frère,
Elle ose conduire en ces lieux
Sa troupe téméraire,
Nous n’entendrons point de raison,
La faridondaine, la faridondon ;
85 Nous les arrangerons ici, biribi,
À la façon de Barbari mon ami.

LE VÉNÉRABLE.

Air : De tous les Capucins du monde.
Garde-toi de leur faire injure.

LE SURVEILLANT.

Je veux les rendre à la nature.
Je veux que d’un fard spécieux
90 Leurs figures soient dépouillées;

LE VÉNÉRABLE.

Combien de femmes en ces lieux
Craindraient d être débarbouillées !
Air : La béquille du Père Barnaba.
Mais pourquoi les bannir
De nos secrets Mystères ?

LE SURVEILLANT.

95 Pensez vous qu’au plaisir
Elles soient nécessaires ?

LE VÉNÉRABLE.

Ce sexe né pour plaire
Mérite quelque soin.

LE SURVEILLANT.

Moi, je n’en ai que faire.

LE VÉNÉRABLE.

100 Moi, j’en ai grand besoin.
Air : N°I. Printemps dans nos bocages.
Dans les beaux yeux d’Hortense
L’amour plaça ses traits ;
Son aimable présence
Enchaîne pour jamais.
105 Si tu la voyais,
Tu céderais à sa puissance ;
Si tu la voyais,
Tu céderais, et tu dirais :
Dans les beaux yeux d’Hortense
110 L’amour plaça ses traits ;
Son aimable présence
M’enchaîne pour jamais.

LE SURVEILLANT.

Air : La beauté sauvage.
Ce sexe n’aspire
Qu’à nous asservir.

LE VÉNÉRABLE.

115 Mais sous son Empire
Règne le plaisir.

LE SURVEILLANT.

Que dites-vous ?
Ce sont les fous
Qui vantent sa tendresse.
120 Par ses travers,
Par ses grands airs
ll sait nous émouvoir :
C’est notre faiblesse
Qui fait son pouvoir.

LE VÉNÉRABLE.

Air : L’amant frivole et volage.
125 Le jeune enfant de Cythère
N’a pas toujours un bandeau ;
La vertu souvent l’éclaire
Et lui prête son flambeau ;
En adorant une femme
130 On peut honorer son coeur,
Dès lors qu’il élève l’âme,
L’amour n’est plus une erreur.
Air : Dans un bois solitaire et sombre.
Vas donner l’ordre nécessaire
Pour prévenir tout incident,
135 Et qu’en ces lieux, la loge entière
Se réunisse dans l’instant.

SCÈNE II. §

LE VÉNÉRABLE, seul.

Air : Pour passer doucement la vie.
Qu’ai-je appris ? Se peut-il qu’Hortense
Veuille pénétrer en ces lieux ?
Des Frères je crains la vengeance ;
140 Pour la voir que n’ont ils mes yeux !
Air : Réveillez-vous, belle endormie.
Mais j’aperçois déjà nos Frères
Pensons à notre dignité,
Et pour commencer nos mystères,
Reprenons notre gravité.

SCÈNE III. Le Vénérable, Le Ier et IIème Surveillant, L’Orateur, Le Récipiendaire. Troupe de Francs- Maçons en habits de cérémonie. §

LES DEUX SURVEILLANTS.

Air : N°2. Marche des Satyres de l’Opéra.
145 C’est ce jour
Que vous aurez votre tour ;
Mais avant de vous recevoir,
Il faut savoir
Quel sera votre devoir.
150 Avançons,
Commençons
Loin d’ici tout profane :
Nos secrets
Veulent des gens discrets.
155 Votre coeur
Doit redoubler sa ferveur.
Sachez donc comme il faut marcher,
Parler,
Toucher ;
160 Et puis nous vous apprendrons
Comment nous reconnaissons
Les fidèles Maçons.
Ici les Francs-Maçons font quelques cérémonies ; et lorsque le Récipiendaire se trouve au milieu conduit par l’Orateur, le Vénérable s’approche de lui, et lui dit ;

LE VÉNÉRABLE.

Air : Or écoutez petits et grands.
Mon frère, je vais à vos yeux
Découvrir ce secret fameux ;
165 Ce secret, ce profond mystère,
Respecté de toute la terre :
C’est...
On entend un grand bruit.

SCÈNE IV. Le Vénérable, les Atours précédents, Hortense, Marine, Troupe des femmes de la suite d’Hortense. §

LES FEMMES derrière le Théâtre.

Poussons, poussons fort,
Jetons la porte à terre ;
170 Poussons, poussons, poussons fort.

LE SURVEILLANT.

Air : La pierre sitoise.
Ciel ! Qui peut causer de tels transports !

HORTENSE, en entrant avec sa suite.

Faisons tout céder à nos efforts.

LE SURVEILLANT.

Quoi, des femmes entrer ! Quel démon !
Allons vite, sortez, sortez donc.

HORTENSE.

Non.

LE SURVEILLANT.

175 Frères, venez tous,
Défendons-nous.

CHOEUR DE FEMMES.

Ah, nous entrerons.

CHOEUR DE FRANCS-MAÇONS.

Nous le verrons.

CHOEUR DE FEMMES.

Nous entrerons.

HORTENSE.

180 Arrêtez, Messieurs, y pensez-vous ?
Ayez un peu plus d’égard pour nous.
On ne m’a jamais reçue ainsi :
Nous ne sortirons point d’ici.

LE VÉNÉRABLE.

Si.

HORTENSE.

Air : Que craignez-vous, charmante Reine.
Que craignez- vous, mon vénérable,
185 On ne fuit point l’amour quand on est beau garçon.
bis.

LE SURVEILLANT.

Air : Reçois dans ton galetas.
Sortez vite de ces lieux,
Ne troublez plus nos mystères.

HORTENSE.

Que sert d’être furieux ?

LE SURVEILLANT.

Elle ose nous braver, mes Frères !
190 Allons : de leur témérités,
Il faut les punir.

LE VÉNÉRABLE.

Arrêtez.

CHOEUR D’HOMMES.

Il faut les punir.

CHOEUR DE FEMMES.

Arrêtez.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Quand un tendron vient en ces lieux.
195 De grâce sortez de ces lieux,
Croyez-m’en, belle Hortense.

HORTENSE.

Pourquoi ce ton mystérieux ?
Craignez-vous ma présence ?
Je vois que votre amusement
200 N’est pas décent.
Oui, c’est cela, là,là.

LE VÉNÉRABLE.

Oh, oh, ah, ah, ah, ah !

HORTENSE.

Vous cacheriez-vous sans cela la, là.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Sous un Ormeau.
Un tel soupçon
205 N’est pas dicté par la raison ;
Oui c’est un affront,
Mais tout de bon
Sortez donc.

HORTENSE.

Non.
210 Je veux d’abord savoir
Quel devoir.

LE VÉNÉRABLE.

Je suis au désespoir;
La seule liberté
Fait ici notre félicité,
215 Et dans ces lieux
Nous goûtons loin de tous fâcheux
Des moments heureux
Que troubleraient vos beaux yeux.

HORTENSE.

Dieux !
Air : Des petits ballets. N°3.
Eh pourquoi nous éloignez-vous,
220 Pourquoi montrer tant de courroux ;
Eh pourquoi nous éloignez-vous,
D’un plaisir qui nous paraît si doux.
Fin
Les ris et les jeux
Suivent nos traces :
225 Est-on heureux
En chassant les grâces ;
Sans nous, en ces lieux
Tout est ennuyeux.
Il n’est point de plaisirs
230 Pour qui vit sans désirs.
Eh pourquoi nous éloignez-vous, etc.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Pour soumettre mon âme.
Nous avons des mystères,
Il faut garder un secret :
Votre sexe, mes chères,
235 Par goût n’est pas fort discret :
Mille soins sous votre empire
Empoisonnent nos beaux jours.

HORTENSE.

De nous vous pouvez médire,
Vous y reviendrez toujours.
Air : Si des Galants de la Ville.
240 Les Femmes, mon cher grand maître
Même en vous donnant des fers
Sont des sieurs qu’Amour fit naître
Pour embellir l’Univers.
Là discorde, ou la tristesse
245 Sans nous, occupent vos jours ;
Nous apportons l’allégresse,
Nous réveillons les amours.
Les Femmes, etc.
Quelquefois, sous notre chaîne
250 Il en coûte des soupirs,
Mais quand on connaît la peine.
bis>
On sent bien mieux les plaisirs.
Les femmes, etc.

LE SURVEILLANT.

Air : Entre l’amour et la raison.
Cessez ces propos ennuyeux.

MARINE.

255 Oui, sortons, nous ferons bien mieux.

HORTENSE.

Marine, voulez-vous vous taire.

MARINE.

Ne point parler, mais on rira.

HORTENSE.

Mais vous savez qu’à l’Opéra
Osiris fait seul son affaire.
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde.
260 Tant en cabriolets qu’en diables,
J’ai fait voiturer en ces lieux
Bon nombre de Nymphes aimables ;
Vous pouvez leur offrir vos voeux.
Rien n’est si beau que leur conduite :
265 Aimez-les, vous ne risquez rien ;
Je vous ai fait choisir l’élite
Des Princesses du magasin.
Air : Allons gay.
Mais pourquoi ce silence ?
Révérez-vous toujours ?
270 Comment chacun balance
À suivre les Amours :
Allons gai,
Toujours gai,
D’un air gai.

LE SURVEILLANT.

Air : Ceci fort peu m’embarrasse.
275 Oui, morbleu de ce silence ;
J’ai tout lieu d’être en courroux,
Comment frère, leur présence
Vous a-t-elle troublez tous ?

HORTENSE.

Pense-t-il par sa grimace
280 Nous inspirer de l’effroi,
Sa voix dure et sa disgrâce
Me font rire malgré moi.

LE SURVEILLANT.

Air : Tambour d’amour.
Braves Francs-Maçons,
Suivez mes leçons;
285 Par de cruels affronts
Vengeons notre injure,
Sans aucun égard
Ôtons leur ce fard,
Qui sait avec tant d’art
290 Voiler la nature.

LE VÉNÉRABLE.

Cruels, arrêtez,
Si jamais vous m’irrítez
De tant de témérités...

LE SURVEILLANT,

Menace vaine,
295 Suivez tous mes pas,
Perdons ces trompeurs appas.

LE VÉNÉRABLE, à Hortense.

Je tremble pour vous, ma Reine.

HORTENSE.

Je ne les crains pas.
Les Francs-Maçons sortent conduits par les deux Surveillants.

SCÈNE V. Le vénérable, Hortense, et sa suite. §

HORTENSE.

Air : Que chacun de nous se livre.
Oui, bientôt par ma prudence
300 Leur fureur s’apaisera :
Suivons dans cette occurrence
Les leçons de l’Opéra.
Ses ressources sont fort bonnes ;
C’est par de petits présents
305 Qu’Osiris des Amazones
Fait changer les sentiments.
Air : Mais comment ses yeux font humides.
Apportez-moi, mes Demoiselles,
Des noeuds d’épée, et des dentelles ;
N’oubliez pas les grands chapeaux,
310 Les redingotes en chenille,
Pour courir le matin la Ville :
Les fouets, les petits couteaux,
Les cocardes pour les chevaux,
Les grandes cannes en usage ;
315 Car tous cela sied au visage,
Surtout apportez des liqueurs,
Des fleurs,
Des bouteilles d’odeurs,
Des canapés, de longues chaises
320 Pour leur procurer tous leurs aises,
Enfin, il faut de leur prison,
Faire une petite maison.
La suite d’Hortense sort.

SCÈNE VI. Le Vénérable, Hortense. §

LE VÉNÉRABLE.

Air : Madame en vérité.
À nos lois, malgré mon courroux
Vous me rendez parjure.

HORTENSE.

325 Comment, je suis seul avec vous ?
Quelle heureuse aventure ?
Nous serons plus en liberté :
Allons découvrez-moi votre âme.

LE VÉNÉRABLE.

Qui ? Moi Madame,
330 Eh, mais en vérité,
Vous avez bien de la bonté.

HORTENSE.

Menuet d’Hésione.
Pourquoi nous faites-vous l’injure
De nous bannir ?

LE VÉNÉRABLE.

Ce sont nos lois.

HORTENSE.

335 Vos lois outragent la nature,
N’en croyez jamais que sa voix.
Air : J’aime une ingrate beauté.
Elle a formé les doux noeuds
Qui nous joignent l’un à l’autre.
Votre sexe n’est heureux,
340 Qu’alors qu’il s’unit au nôtre.
Il en conte à vos coeurs,
Quelque soin pour nous plaire ;
Mais on n’obtient des fleurs
Qu’en arrosant la terre.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Ves favoris de la gloire.
345 Votre adresse séduisante
Ressemble sexe imposteur,
Aux feux que la terre enfante
Pour tromper le voyageur,
Il se perd suivant ces guides ;
350 L’espoir aide à son erreur :
Ainsi, vos faveurs perfides
Nous éloignent du bonheur.
Air : Ture lure.
Nous jouissons en ces lieux
D’une paix tranquille et pure :
355 Sans vous, nous sommes heureux.

HORTENSE.

Turelurre.
J’en doute à votre encolure,
Robin turelurre, turelurre.
Air : Ce ruisseau, qui dans la plaine.
Loin d’un sexe né pour plaire,
360 Quel est donc votre plaisir ?
La paix qui vous est si chère
Vaut-elle un tendre désir ?
Un Amant près de sa belle
Méprise la liberté,
365 La douceur d’être aimée d’elle
Le mène à la volupté.
Plus un tendre amour l’engage,
Plus l’ivresse de son coeur
bis.
Lui dit qu’un doux esclavage,
370 Est l’image
Du bonheur.

LE VÉNÉRABLE.

Air : J’aime une jeune Brunette.
Oui, mon coeur pourrait se rendre
1
Au jeune enfant de Cypris,
Si de l’ardeur la plus tendre,
375 Le bonheur était le prix,
Mais d’abord, c’est l’artifice
Qui fait naître nos désirs,
Et bientôt un vain caprice
Empoisonne nos plaisirs.

HORTENSE.

Air : À notre bonheur l’Amour préside.
380 Pour deux coeurs qu’un tendre amour enflamme,
Un caprice est un moment heureux,
Ils se quittent, mais au fond de l’âme
Ils brûlent de resserrer leurs noeuds :
À leurs transports, le calme succède,
385 La Maîtresse cède,
Et de son amour
L’amant prend bientôt un nouveau gage,
C’est après l’orage
L’éclat d’un beau jour.

LE VÉNÉRABLE.

Air : Tout parle amour.
390 Je veux en vain me défendre,
Il faut me rendre
À vos accents :
Ils ont enchanté mes sens ;
Vous voyez l’Amant le plus tendre ;
395 Oui, mon coeur, dans ce beau jour
Connaît l’Amour,
Cède à l’Amour.
Air : Babet que t’es gentille.
Par un aveu flatteur,
Répondez à ma flamme ;
400 Non, jamais tant d’ardeur
N’a régné dans mon âme,
Je n’aime que vous.

HORTENSE.

Que ce mot est doux !
Que ma joye est extrême !
405 Votre coeur vient de s’enflammer.
Quoi ! Mes yeux ont pu vous charmer
Ah ! puissiez-vous toujours m’aimer.
bis.
M’aimer.
Toujours de même.
Air : Bouchés Naïades vos fontaines.
410 J’entends du bruit.

LE VÉNÉRABLE.

Ah ! Chère Hortense,
Rassurez-vous sur ma puissance ;
En vain, les frères contre vous...

HORTENSE.

Ne craignons rien, c’est mon escorte.
415 Nous apaiserons leurs courroux,
Par les présents qu’on leur apporte.

SCÈNE VII. Le Vénérable, Hortense, Marine, suite d’Hortense, portant des corbeilles de fleurs et de noeuds de rubans. §

HORTENSE.

Air : À l’ombre de ce vert bocage.
Avez-vous rempli mes demandes ?

MARINE.

Oui, belle Hortense, les voilà,
Mais nous n’avons pas de guirlandes,
420 On a tout pris à l’Opéra,
Pour enchanter les Amazones :
Osiris en vainqueur malin
2
En emploie quinze mille aulnes,
Dont on forme un grand baldaquin.
On entend du bruit.

SCÈNE VIII et dernière. Le Vénérable, Hortense, suite d’Hortense, les deux Surveillants, troupe de Francs-Maçons, armés de petits sceaux. §

LE VÉNÉRABLE.

Air : Ô vous puissant Jupin.
425 Ciel on vient en ces lieux !
Je vois, furieux
Votre projet affreux.

LE PREMIER SURVEILLANT.

Avançons braves Compagnons,
Suivons les leçons
430 De nos anciens Maçons
Rappellez vos serments,
Qu’en ces instants.

LE VÉNÉRABLE, en les arrêtant.

Air : Comme vla qu’est fait.
Quoi vous oseriez téméraires ?

HORTENSE.

0
Je vais appaiser leurs fureurs.
À sa suite.
435 Vous, que l’on porte à tous les frères,
Nos petits présents et nos fleurs,
Qu’un noeud de rubans les enchaîne,
Remplissons d’ambre la maison.
Les femmes donnent aux hommes des noueds d’épée etc.

LE SECOND SURVEILLANT.

Ma foi pour calmer notre haîne,
440 Vous prenez la bonne façon :
Oh que ça sent bon.

Tout le CHOEUR.

Oh que ça sent bon.

LE SECOND SURVEILLANT.

Air : De tout temps le jardinage.
Oui, sous votre heureux empire,
Malgré nous tout nous attire,
445 L’Amour dicte vos accents,
Vos yeux brillent de ses flammes,
Et pour enchanter nos âmes,
Vous savez charmer nos sens.

LE PREMIER SURVEILLANT.

Air : La Bourgogne.
Quoi, de pareilles misères
450 Pourraient tous vous arrêter.
Eh bien ! Je vais seul mes frères.

LE VÉNÉRABLE.

C’est trop enfin m’insulter,
Je vais bientôt punir, traître,
Ton impertinent fracas,
455 En qualité de grand maître,
Je te bannis du repas.

LE PREMIER SURVEILLANT.

Quel arrêt ! Le repentir
À mon courroux succède ;
Vous savez trop bien punir :
460 Oui, Maître, à votre désir,
Je cède, je cède, je cède.

LE VÉNÉRABLE.

Air : De tous les Capucins du monde.
Enfin, vous l’emportez, Hortense,
Formons une heureuse alliance,
Que votre suite pour jamais
465 Vienne s’unir avec nos frères,
Et que les femmes désormais
Soient admises à nos mystères.
Cette parodie est terminée par un ballet, dont la musique est prise dans l’acte même que l’on a eu dessein de parodier. Il commence par une marche dansante, dans laquelle les hommes s’unissent avec les femmes. Cette marche est suivie d’un pas de deux, qui forme par lui-même tout le plan et l’intrigue de la Piècee. Une femme veut attendrir un homme qui lui résiste d’abord et qui lui cède à la fin. Le corps du Ballet qui succède au pas de deux, aussi bien que la contredanse connue vulgairement sous le nom des oiseaux, achève de marquer l’union des francs-maçons avec les femmes, et le Chorégraphe a donné des preuves de son talent en adoptant avec art dans une contredanse très courte et composée simplement de douze personnes, les figures les plus connues de la maçonnerie.