SCÈNE PREMIÈRE. Lisette, Frontin. §
LISETTE.
Que veut le beau Frontin aujourd’hui dans ce lieu ?
FRONTIN.
Te rendre ce Billet, et t’embrasser.
LISETTE, lui donnant un soufflet.
Te rendre ce Billet, et t’embrasser. Adieu.
FRONTIN.
Si j’avais cru devoir m’attendre à la riposte,
Je vous l’aurais Madame envoyé par la Poste.
LISETTE.
5 Tiens-tiens, baise ma main et ne te fâche plus ;
C’est donc pour ma maîtresse pourquoi point de dessus ?
FRONTIN.
Oh ! Dans notre maison nous aimons le mystère.
LISETTE.
Ta maîtresse renferme un rare caractère.
Le manège qu’elle a pâlir l’esprit humain ;
10 Mais quand débute-t-elle ?
FRONTIN.
Mais quand débute-t-elle ? À cinq heures demain.
LISETTE.
C’est sans doute pour faire applaudir ta maîtresse.
Qu’on voit venir ici des gens de toute espèce ;
Le chevalier, l’abbé, le conseiller aussi,
Avec le financier doivent souper ici.
FRONTIN.
15 Oh depuis quinze jours j’ai bien fait des affaires !
Que de billets portés, de lettres circulaires ;
Dans les hôtels garnis, les cafés et le cours :
Il faut que j’aie été quinze fois chaque jour,
Elle aura des batteurs, ou le diable me tue,
20 Jamais actrice enfin ne fera plus battue.
LISETTE.
Moi je blâme ses soins et les précautions,
Et pourquoi mendier des approbations ?
Si son mérite est sûr, il parlera pour elle ;
Être loué de gré, vaut bien mieux que par zèle ;
25 Je ne suis point la dupe et je le dis tout net.
D’une actrice qui vient après son rôle fait,
D’un air de suppliante entrer de loge en loge
Et de chaque payant arracher un éloge.
FRONTIN.
Ma maîtresse fera bien pis encor, crois moi,
30 Je connais son esprit, et te donne ma foi,
Que s’il en est qui vont dans les loges pour plaire,
1
Celle-ci pourrait bien aller jusqu’au parterre :
Tiens, Lisette elle est folle, et d’elle il est cent traits,
Que l’on ne pourrait croire, et qui pourtant sont vrais
35 De fables, de romans, sa chambre est toute pleine ;
Sans celle elle s’habille en princesse romaine ;
De sa fille de chambre elle a changé le nom.
2
Je crois qu’elle l’appelle ; attendez : Charmion.
Elle me nomme Arcas, et puis tantôt Auguste.
3
40 Et celle qui nous fait la cuisine.... Laucuste.
Mais écoute la peur qu’un jour elle me fit,
Quand j’y pense j’en suis encor tout interdit :
Morbleu qu’on est à plaindre avec telle maîtresse ;
4
Une nuit répétant son rôle de Lucrèce
45 Elle entra dans ma chambre un poignard à la main,
5
Et vouloir malgré moi, que je fisse Tarquin.
LISETTE.
Et comment finit donc cette plaisante scène ?
FRONTIN.
À reprendre mes sens j’eus d’abord quelque peine ;
Mais je revins à moi, pour finit ce détail,
50 Quand je vis le poignard n’être qu’un éventail.
LISETTE.
Parlons de son manège il ne se peut comprendre,
J’en sais aussi des traits qui pourront te surprendre ;
Il faut qu’elle ait entrée en vingt mille maisons ;
Car avec tout le monde elle a des liaisons ;
55 Se mêle du barreau, de la cour, de la guerre
Et rien je crois n’est fait, que par son ministère :
Qu’un emploi soit vaquant, elle le fait avoir,
Sans trop solliciter à qui le peut vouloir
Un mariage fait, elle le fait défaire ;
6
60 Une terre vendue, elle la fait retraire ;
Brouille tous ceux qui font étroitement liés,
Et raccommode aussi tous ceux qui font brouillés ;
Entre dans les détails des charges, des offices,
Des fonds des hôpitaux, de ceux des bénéfices ;
65 Par elle celui-là devient introducteur,
Celui-ci secrétaire, Se l’autre ambassadeur.
Non je ne pense pas que personne en la vie,
Aie avec tel succès su pousser l’industrie
D’un fripon qui volait partout impunément ,
70 Elle en fit d’un seul mot, hier un sous-traitant.
Cette condition est ma foi ta Fortune.
FRONTIN.
Je l’achète bien cher, hélas si c’en est une !
Je ne fus pas heureux dans mes conditions ;
J’ai toujours essuyé des tribulations :
75 Je me souviens d’avoir servi chez certain homme,
S’il m’y fallait rentrer j’irais plutôt à Rome.
Morbleu que celui-là me menait joli train :
Il m’aurait fait crever, quoiqu’il fut médecin ;
Tiens,dans cette maison je faisais tout fans aides,
80 Je rasais, je frottais, je portais les remèdes ;
Je faisais la cuisine, et battais les habits,
Je balayais la Cour, et je faisais les lits ;
Ratissais le Jardin, habillais la maîtresse
Que te dirai-je enfin, courant, veillant sans cesse,
85 Tantôt valet de chambre, et tantôt palefrenier,
Tantôt à la toilette, et tantôt au grenier,
Travaillant pour l’époux, agissant pour la femme,
Je pansais le cheval, et je peignais Madame.
LISETTE.
Il fallait y rester, peut être qu’à la fin,
90 Tu serais comme lui devenu médecin.
FRONTIN.
Vous pensez vous moquer, mais apprenez la belle,
Que toujours le Valet, au Maître se modèle ;
Tel est notre destin chez ceux que nous servons,
Nous sommes, mon enfant, de vrais caméléons ;
95 Nous imitons leurs moeurs, leurs discours, leurs allures,
Et souvent nous prenons jusques à leurs figures.
Avec les Corneilles, nous devenons galants ;
Nous prenons un air grave avec les présidents ;
Servons nous un jaloux il nous faut être traître,
7
100 Nous sommes comme fous avec un petit-maître ;
Nous prenons un air doux chez le bénéficier ;
Et sommes insolents derrière un sous-fermier ;
Mais ta maîtresse à toi, madame la Baronne,
Qui tranche de l’esprit, et sans raison raisonne,
105 N’en parierons nous point ?
LISETTE.
N’en parierons nous point ? Son style précieux.
Devient depuis un temps, tout-à-fait ennuyeux.
FRONTIN.
Mais que dit-elle encor ?
LISETTE.
Mais que dit-elle encor ? De la nouvelle actrice,
Tant que dure le jour, elle est l’admiratrice ;
Et la rage qu’elle a pour entendre ( des Vers ,
110 Mettra je crois, bientôt, son esprit à l’envers; )
De ta maîtresse enfin, elle a la maladie
Et ne parle à présent qu’en vers en Tragédie :
Si la jeune Comtesse aujourd’hui la vient voir,
On n’entendra que vers du matin jusqu’au soir.
FRONTIN.
115 Je n’y viendrai donc pas, je suis las d’en entendre.
LISETTE.
Si ta maîtresse y vient il faudra bien t’y rendre.
FRONTIN.
Tu crois que la Comtesse aussi déclamera.
LISETTE.
Non mais elle a toujours son jargon d’Opéra ;
De sorte que quand l’une a dit un vers tragique.
120 L’autre prend la parole avec un vers lyrique,
Et ce fol entretien règne si fréquemment,
Qu’elles ne peuvent plus se parler autrement.
FRONTIN.
Nous nous verrons tantôt, adieu, je me retire.
LISETTE.
Je crois avoir encor quelque chose à te dire,
125 Je voulais te parler touchant le Chevalier ;
Dis moi donc promptement, crainte de l’oublier ;
Pourquoi nous le voyons toujours chez ta maîtresse ?
FRONTIN.
Il est amoureux fou, de la jeune Comtesse,
Et jaloux qui plus est, mais jaloux à mourir,
130 Et quoiqu’il soit aimé, rien ne peux le guérir ,
Il se brouille souvent pour une bagatelle ;
C’est toujours au logis quelque scène nouvelle ;
Et comme ma maîtresse a de l’ambition,
Quelle veut des amis, de la protection,
135 Elle cherche à se rendre à chacun nécessaire,
Et pour se ménager l’un et l’autre, et leur plaire,
Le scrupule qu’elle a, te le dirai-je net :
Elle veut les unir par un hymen complet,
Elle en veut faire autant, je crois, de la Baronne
140 Avec le conseiller, du moins, je le soupçonne.
LISETTE.
J’en serais assez aise, et te dis franchement
Que pour parler pour lui j’ai quelque engagement.
Près d’elle j’ai promis de faire mon possible,
Pour les coeurs généreux ; moi j’ai l’âme sensible,
145 Mais j’entends ma maîtresse.
FRONTIN.
Mais j’entends ma maîtresse. Adieu jusqu’au revoir,
Je vais continuer mon fatigant devoir
Et porter au plutôt des billets de parterre,
Chez les étudiants et les clercs de notaire.
SCÈNE II. La Baronne, Lisette. §
LA BARONNE.
Lisette savez-vous ce qu’on joue aujourd’hui ?
LISETTE.
150 Voulez-vous aller à la Comédie.
LA BARONNE.
Voulez-vous aller à la Comédie. Oui.
LISETTE.
La Pièce que l’on joue est plus belle que rare
8
Car je pense avoir lu fur l’affiche l’Avare.
LA BARONNE.
Oh, je n’y irai donc pas.
LISETTE.
Oh, je n’y irai donc pas. Pour demain nous irons.
LA BARONNE.
Je veux être à midi dans les premiers balcons,
155 Je ne veux pas manquer notre actrice nouvelle,
LA BARONNE.
Tenez, lisez. Quoi donc ?
LISETTE.
Tenez, lisez. Quoi donc ? C’est une Lettre d’elle !
LA BARONNE, lit.
Je ne sais quel sera le sort
De la malheureuse Chimène ;
Mais je tremble d’avance, Et frissonne si fort,
160 « Que je crains de tomber dès la première scène ;
Daignez donc avertir pour demain vos amis,
À vos ordres d’abord ils seront tous soumis,
Quand vous leur aurez dit que Chimène vous touche,
Ils prendront tous pour moi des sentiments humains
165 Et même me battront des mains
Avant que j’aie ouvert la bouche ;
C’est mon peu de perfection ?
Qui fait que je vous sollicite,
Si je me croyais du mérite,
170 Prendrais-je ces précautions ?
Adieu belle et charmante Dame,
Que j’aime de toute mon âme,
Et que j’aimerai même au delà du trépas ;
9
Cet Oracle est plus sûr que celui de Calchas. »
175 Pour moi la pauvre enfant est pleine de tendresse ;
Je veux qu’à l’applaudir tout le Public s’empresse :
J’ai déjà prévenu bon nombre d’officiers ;
Demain dans le parterre ils feront des premiers ;
Ils prieront leurs amis de devenir les nôtres,
180 Ils n’applaudiront qu’elle, et siffleront les autres ;
Et de cette façon dès la première fois ;
Ils la recevront tous d’une commune voix.
LISETTE.
Tout le public je crois, fera fort content d’elle :
Pour changer de propos, savez-vous la nouvelle,
185 Que l’on débite ?
LA BARONNE.
Que l’on débite ? Non, quelle cet-elle ? Dis-moi.
LISETTE.
Vous faites l’ignorante.
LA BARONNE.
Vous faites l’ignorante. Ah ! Je jure ma foi,
Que je ne sais non plus ce que tu me veux dire.
LISETTE.
Le jeune Concilier n’a pas sur vous empire,
Et vous ne devez pas au plutôt l’épouser ?
LA BARONNE.
190 Je l’avouerai Lisette, et sans rien déguiser ?
Que depuis quelques jours on m’a su faire entendre,
Qu’il ressentait pour moi la flamme la plus rendre,
Et que l’Hymen m’en fut sur l’heure proposé
Que mon coeur à cela se trouvant opposé,
195 La réponse pour lui ne fut pas favorable.
LISETTE.
Il a beaucoup d’esprit, il est bien fait, aimable ;
Il a de la noblesse et je ne sais comment,
On peut le recevoir d’un oeil indiffèrent,
À ne pas l’accepter quel sujet vous engage ?
LA BARONNE.
200 Mais je l’avouerai.
LISETTE.
Mais je l’avouerai. Quoi ?
LA BARONNE.
Mais je l’avouerai. Quoi ? Je le trouve trop sage ;
Il n’a pas l’enjouement et la vivacité,
Que font voir aujourd’hui nos gens de qualité,
J’aime l’air petit Maître, il m’enchante la vue.
LISETTE.
De ces petits Messieurs je suis bien revenue ;
205 Ah qu’ils ont selon moi, l’air vain, fou, sot et plat ;
Et je voudrais savoir quel fut le premier fat ;
Qui fit naître à Paris cette secte nouvelle ;
Ou le colifichet qu’ils prirent pour modèle :
Est-il rien de plus lot que l’est leur entretien ?
210 Ils vous parlent toujours et ne vous disent rien.
Quel plaisir trouve-t-on à leur entendre dire ?
Ah te voilà Marquis, vas-tu chez Arlemire ?
Où soupes-tu ce soir, mon carrosse viendra ?
Je revins ivre hier, as-tu vu l’Opéra ?
215 Céphise est de retour ! Que dit de moi Belise ?
Donne moi du Tabac, as-tu vu la Marquise ?
Et cent autres discours, jargons des étourdis ;
Qui pourraient rendre fou tel à qui l’on les die,
Moi je prendrai bientôt un mari,je l’espère ;
220 Mais il ne fera pas d’un pareil caractère ;
Si vous faisiez ainsi vous ne feriez que bien.
LA BARONNE, en récitant.
Donne moi donc Lisette un coeur comme le tien.
Elle continue naturellement.
Mais : désapprouve tu l’air naturel et tendre,
Qui se fait remarquer dans le jeune Ciitandre,
225 Je ne vois rien en lui qui lui soit reproché
C’est un esprit pliant qui n’a rien de caché.
LISETTE.
Non il ne cache rien, il est plein de franchise
Car il montre partout les lettres de Belise.
LA BARONNE.
Et Damon qu’en dis tu, n’est il pas beau bien fait ?
LISETTE.
230 Hélas Madame à qui faites vous son Portrait ?
Je ne suis pas encor à savoir, je vous jure,
Qu’il pèche par l’esprit et non par la figure,
LA BARONNE.
Sa voix fait assez bien les honneurs d’un repas.
LISETTE.
Qu’il y chante toujours et qu’il n’y parle pas.
SCÈNE VI. La Comtesse, et Le Chevalier, §
LA COMTESSE.
Chevalier faites trêve à cette humeur rêveuse,
270 Ou je vais devenir plus que vous sérieuse :
D’un mot dit en riant, vous devenez jaloux ,
Je ne puis plaisanter sans vous voir en courroux,
Quoi parce que j’ai dit sans avoir nulle idée,
Elle chante.
« Est-ce ma faute à moi
275 Si Licas me plaît plus que toi. »
Votre âme est contre moi de fureur possédée,
Je le dis franchement, si vous voulez m’aimer ,
À mon humeur badine il faut s’accoutumer.
LE CHEVALIER.
Mais Madame ai-je tort rendez-moi donc justice ;
280 Mes mouvements jaloux viennent-t-ils du caprice ?
Quoi : dans le même instant que je jure à vos yeux,
Qu’excepté mon amour rien ne m’est précieux ,
Que je fais mon bonheur de vous aimer sans celle
Que j’arrête le Ciel que ma vive tendresse ,
285 Jusqu’au dernier moment de mes jours durera ,
Morbleu, vous répondez par un trait d’Opéra ;
Et pour comble de maux ce trait est un passage,
Que je ne puis tourner qu’a mon désavantage.
LA COMTESSE.
Mais quand j’ai dit cela, c’est sans réflexion.
LE CHEVALIER.
290 Vous me prêtiez vraiment beaucoup d’attention.
LA COMTESSE.
Qu’aurais- je dû répondre expliquez le vous-même ?
11
Le Chevalier veut parler et se tait.
La Comtesse continue en chantant ce passage de Roland : J’aimerai toujours mon Berger.
LE CHEVALIER.
Est-ce en chantant, morbleu, qu’on doit dire qu’on aime ?
LA COMTESSE.
Comment donc en pleurant, je hais le sérieux,
Et ne veux point aimer un mouchoir sur les yeux ;
295 Croyez-vous dites-moi, changer mon caractère ?
Avec cet air chagrin avec ce ton colère.
Je veux bien raisonner un instant avec vous,
Je vous l’ai déjà dit, j’abhorre les jaloux ;
Et si vous ne changez avec moi de langage,
300 Il ne faut plus compter sur notre mariage.
Je ne fais point un choix pour vivre dans l’ennui,
Si je prends un époux, c’est pour rire avec lui.
LE CHEVALIER.
Croyez-vous que de rire on puisse avoir envie,
Quand on vous fait mourir tous les jours de la vie ;
305 Et qu’on ne prend jamais soin de vous radoucir
Sur un doute, un soupçon qu’un mot peut éclaircir.
Voilà ce qui fait seul aujourd’hui mon supplice.
LA COMTESSE.
Et sur quoi voulez-vous que je vous éclaircisse ?
LE CHEVALIER.
Par exemple tantôt j’ai vu.
LA COMTESSE.
Par exemple tantôt j’ai vu. Quoi Chevalier ?
LE CHEVALIER.
310 Oui, j’ai vu de chez vous sortir le conseiller.
LA COMTESSE.
Et quoi le conseiller à présent vous occupe.
Serez-vous donc toujours de vous-même la dupe ?
12
Mais quel plaisir prend-on à faire son tourment ?
LA COMTESSE, en chantant.
13
Sachons. Pour moi l’Amour est un plaisir charmant.
LA COMTESSE, en riait; >
Encor. Le Conseiller puisqu’il faut vous le dire.
LE CHEVALIER.
Eh bien quoi vous rirez toujours.
LA COMTESSE, en chantant.
Eh bien quoi vous rirez toujours. Je prétends rire.
SCÈNE X. L’Actrice, L’Abbé, Le Financier, La Conseiller, Le Chevalier. §
L’ACTRICE, au Chevalier.
360 Vous pouvez acheter ce nouveau Régiment,
Monsieur, j’en ai pour vous obtenu l’agrément ;
Je vois avec plaisir que l’on vous est propice,
Et que par mon canal on vous rende justice.
LE CHEVALIER.
Vous êtes adorable, et je ne sais comment
365 M’acquitter envers vous d’un service si grand.
L’ACTRICE.
En vous faisant plaisir, moi-même je m’oblige,
Soyez de mes amis c’est tout ce que j’exige.
Dans peu monsieur l’Abbé vous aurez votre tour,
Quoique votre nom soit peu connu de la Cour,
370 J’ai fait pour vous un trait de véritable amie,
Et vous aurez dans peu place à l’académie.
L’ABBÉ, d’un ton doucereux.
Mademoiselle.
L’ACTRICE.
Mademoiselle. Et vous Monsieur le Conseiller,
16
Au théâtre demain viendrez-vous babiller ?
LE CONSEILLER.
Je me garderai bien de rompre le silence.
L’ACTRICE.
375 On vous saura bon gré de cette violence.
LE FINANCIER.
Moi je parle toujours à table ou bien au jeu ;
17
Mais à la Comédie, oh par la ventrebleu !
Personne mieux que moi n’observe le silence,
Car toujours je m’endors d’abord qu’elle commence.
L’ACTRICE.
380 J’espère que demain vous veillerez pour moi.
LE FINANCIER.
Hé , mais, j’applaudirai, mais sans savoir pourquoi ;
Car enfin m n malheur, est d’avoir la faiblesse,
D’ignorer le mauvais, ou le bon d’une pièce.
L’ABBÉ.
Comment jugez-vous donc d’une ouvrage d’esprit ?
LE FINANCIER.
385 Je règle mon avis, sur ce que chacun dit
Par exemple, en voyant pleurer dans une scène,
Je m’attendris, je sens que cela me fait peine ;
Et sans savoir aussi, n’y pourquoi, ni par où,
Quand le parterre rit, oh je ris comme un fou.
LE CONSEILLER.
390 Vous voyez qu’il n’est pas un homme qui déguise.
L’ACTRICE.
Il parle comme il pense, et j’aime sa franchise.
SCÈNE XI. La Baronne, La Comtesse, L’Actrice, Le Chevalier, Le Conseiller, L’Abbé, Le Financier, Lisette, Un Laquais de la Baronne. §
LISETTE.
La lettre au Conseiller l’a rendu furieux.
LA BARONNE, en déclamant.
18
« Si Titus est jaloux , Titus est amoureux , »
Je vais le détromper.
LA COMTESSE.
Je vais le détromper. Vous croirait-il Madame ?
LA BARONNE.
395 Monsieur le Conseiller, j’approuve votre flamme.
Vous avez su me plaire et je veux devant tous
Le déclarer ici, vous serez mon époux.
LE CONSEILLER.
Madame à ce bonheur aurais-je dû m’attendre ?
Vous comblez les souhaits de l’amant le plus tendre,
LA BARONNE.
400 Qu’en dit le Chevalier ?
LA COMTESSE.
Qu’en dit le Chevalier ? Le Chevalier croira,
Que c’est encor ici quelques traits d’Opéra.
LE CHEVALIER.
Hélas ! Que voulez-vous que je pense Madame,
Quand vous tardez toujours à couronner ma flamme ?
Je ne suis point tranquille, et ne puis vivre heureux,
405 Qu’au moment que l’hymen nous unira tous deux.
L’ACTRICE.
Madame il faut se rendre et sa raison est bonne ;
Imitez croyez-moi, Madame la Baronne,
Comblez du Chevalier et l’amour et les voeux,
Cela peut pour moi-même être, un augure heureux
410 Et crois si je voyais ce double mariage,
Que j’en jouerais demain avec plus de courage.
LA BARONNE.
Vous vous aimez tous deux, hâtez ce doux lien.
LA COMTESSE, en chantant.
19
Hélas ? Que son amour est différent du mien ;
Mais je me sacrifie à son humeur jalouse ;
415 C’en est fait Chevalier je serai votre épouse.
LE CHEVALIER.
De mes jaloux transports ne craignez plus l’effet,
Je suis sur d’être aimé, mon coeur est satisfait.
L’ABBÉ, d’un ton doucereux.
De voir ce double hymen je suis charmé Mesdames,
20
Et je veux faire en Grec vos deux épithalames.
LE FINANCIER.
420 Il s’agit bien ici du Grec et du Latin,
Moi je parle François, j’aurai soin du festin.
LA BARONNE.
Puisque nous voilà tous dans la réjouissance,
Donnons à notre actrice un moment d’audience,
21
Quelques scènes du Cid, si vous le voulez bien.
L’ACTRICE.
425 Il ne m’est pas permis de vous refuser rien.
LA BARONNE, à la Comtesse.
Elle fera demain l’ornement de la scène,
Vous y viendrez sans doute.
LA COMTESSE.
Vous y viendrez sans doute. Oh je veux voir Chimène.
En chantant.
22
« Sangaride ce jour, est un grand pour vous. »
LA BARONNE.
Claquez la bien Messieurs.
Tous les Hommes ensemble.
Claquez la bien Messieurs. Nous la claquerons tous.
L’ABBÉ, toujours doucereusement.
430 Pour la faire jouer avec plus de courage ,
23
Je ferai de Rodrigue ici le personnage,
Au Collège autrefois, je récitais des mieux.
LE FINANCIER.
Je crains bien que ceci ne devienne ennuyeux.
Qu’en dis tu Chevalier ?
LE CHEVALIER.
Qu’en dis tu Chevalier ? Moi je pense au contraire
435 Qu’il va nous divertir, il faut le laisser faire.
LE FINANCIER, à l’Abbé.
Allons Rodrigue, allons, alerte à repartir.
LA BARONNE, à un Laquais.
Quand on aura servi qu’on nous vienne avertir ;
Ils s’asseyent tous, excepté l’Actrice et l’Abbé,
L’ACTRICE.
24
« Quoi Rodrigue en plein jour, d’où te vient cette audace ?
Va, tu me perds d’honneur. »
LA BARONNE.
440 Quel son de voix flatteur.
L’ACTRICE. continue.
Retire toi de grâce.
L’Abbé sans faire de geste et froidement sur le ton du Collège.
25
« Je vais mourir Madame, et vous viens en ce lieu,
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
Mon amour vous le doit, et mon coeur qui respire. »
LE FINANCIER.
445 Le mien étouffe.
LA BARONNE.
Le mien étouffe. Paix.
L’ABBÉ.
Le mien étouffe. Paix. Je ne sais plus que dire.
L’ACTRICE, à l’Abbé.
Ne songez qu’a vous seul, c’est là l’unique point.
LE FINANCIER.
Allons Abbé Bidet, ne vous déferrez point.
L’Abbé continue toujours de même.
Et mon coeur qui respire,
N’ose sans votre aveu sortir de votre empire.
L’ACTRICE.
26
450 « Tu vas mourir. »
L’ABBÉ.
« J’y cours et le Comte est vengé
Aussitôt que de vous j’en aurai le congé. »
L’ACTRICE.
« Tu vas mourir. »
LE FINANCIER.
Qu’il meure donc, parbleu, cela m’impatiente.
LA BARONNE.
455 Vous ne vous traitez point, quelle humeur étonnante ?
Moi je n’ai jamais vu rien d’égal à cela.
LE FINANCIER.
Il dit qu’il va mourir, Se reste toujours là.
L’ACTRICE, continue.
27
« Celui qui n’a pas craint les Maures et mon Père,
Va combattre Don Sanche et déjà désespère. »
LA BARONNE.
460 Ah ! Quelle expression, elle met dans son jeu,
Je crois être Chimène et je suis toute en feu.
LE FINANCIER.
Pour moi je suis gelé quelque chose qu’on fasse,
Et Rodrigue me vaut une tasse de glace.
L’ACTRICE, continue.
28
« Ainsi donc au besoin ton courage s’abat. »
L’ABBÉ, toujours froidement.
29
465 « Je cours à mon supplice, et non pas au combat. »
LA BARONNE.
Jusqu’à son jeu muet, on voit qu’elle à de l’âme,
C’est une grande actrice avouez-le Madame ;
Sur les autres demain on va crier haro.
LA COMTESSE.
Chimène est un prodige.
LE FINANCIER.
Chimène est un prodige. Et Rodrigue un zéro.
L’ABBÉ, continue.
30
470 « Et ma fidèle ardeur sait bien m’ôter l’envie ,
Quand vous cherchez ma mort de défendre ma vie ;
J’ai toujours même coeur, mais je n’ai point de bras,
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas. »
LE FINANCIER.
Monsieur l’Abbé, haut les bras.
L’ABBÉ.
475 Et pourquoi m’interrompre, il prend bien de la peine.
C’est gâter à plaisir le plus beau d’une scène.
LE CHEVALIER.
Il a raison, silence. Il récite assez bien.
LE FINANCIER.
Qu’il gesticule donc, je ne dirai plus rien.
LA BARONNE.
Qu’on le laisse achever moi j’en fuis fort contente
480 Avec un air aisé je vois qu’il se présente,
Et trouve qu’il serait excellent dans son jeu
S’il avait de la voix, des gestes, et du feu.
Mais venons je vous prie à la fin de la scène,
C’est à vous à parler.
L’ABBÉ.
C’est à vous à parler. Non pas, c’est à Chimène.
L’ACTRICE, continue.
31
485 « Puisque pour t’empêcher de courir au trépas,
Ta vie et ton honneur font de faibles appas,
Si jamais je t’aimai, cher Rodrigue en revanche,
Défends toi seulement pour m’ôter à Don Sanche ;
Combats pour m’affranchir d’une condition. »
LE FINANCIER.
490 Lui combattre l’Abbé ?
LA BARONNE.
Lui combattre l’Abbé ? Vous ne sauriez vous taire
Monsieur.
LE FINANCIER.
32
Monsieur. D’un coup de busque il tomberait par terre.
L’ACTRICE, continue.
33
« Et si pour moi tu sens ton coeur encor épris,
Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix.
Adieu ce mot lâché, me fait rougir de honte. »
L’ABBÉ, toujours froidement.
34
495 « Est-il quelque ennemi qu’à présent je ne dompte. »
LA BARONNE, en se levant.
On ne peut jouer mieux il le faut avouer ;
Qu’en dites vous, Meilleurs ?
LE CHEVALIER.
On ne peut que louer, sur tout monsieur l’Abbé.
Madame il a fait rage.
L’ABBÉ, doucereusement.
500 Vous pensez vous moquer mais je suis tout en nage.
Avec elle en jouant on sent je ne sais quoi,
Qui dans la passion fait entrer malgré soi.
LA BARONNE.
Elle sera reçue, elle s’y doit attendre ;
Monsieur le Financier, vous la venez d’entendre.
505 Dites nous votre avis qu’en pensez vous.
LE FINANCIER.
Dites nous votre avis qu’en pensez vous. Morbleu,
Je n’ai point vu d’actrice avoir un si grand jeu.
L’ACTRICE.
À trop flatter les gens, on se rend condamnable ,