DE Mr QUINAULT
Chez CLAUDE BARBIN,
dans la gran’
Sale du Palais, du costé de la Sale Dauphine,
au Signe de la CROIX.
M. DC. LVII.
Avec privilege du Roy.
Édition critique établie par Gabrielle Jeanselme dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2008-2009)
Introduction §
Le sçay tu bien Clarine ? Ô Ciel ! est-il possible,Qu’Isabelle pour moy, cesse d’estre insensible ;
Les premiers vers de la pièce jettent d’emblée une vive lumière sur l’indélébile incertitude du cœur qui aime : l’amour s’enquiert fébrilement, cherche à savoir, et plus il vacille, moins il cherche de réponse sincère, pourvu qu’il se tienne auprès de l’objet de ses feux. Aucune attitude ne se prête plus aux illusions dans son adoration aveugle, aux désespoirs sans fondement dans sa passion irraisonnée, aux quiproquos enfin, dans une pièce qui baigne d’un bout à l’autre dans une atmosphère de délicieuse pénombre.
Quinault nous livre ici une comédie qui n’en est pas une, une tragédie qui n’a rien que de faussement tragique, où tous les doutes les plus désespérants se révèleront sans fondement. Et tout au long de la pièce, l’auteur se jouera si finement des apparences, des genres et de leurs codes, les entremêlant sans cesse, que nul spectateur ne saura dire s’il a été plus ému des passions contrariées qu’on lui a peintes, qu’amusé des quiproquos à répétition, et toujours il doutera de qui est le plus fantôme des amoureux. C’est une véritable tragi-comédie que nous sert Quinault, dont les multiples péripéties ne cessent de nous tenir en haleine, et dont la fin heureuse, loin de nous laisser un goût de vain artifice, opère comme un véritable dénouement : elle libère et surprend. Pourtant la pièce ne connut pas un succès retentissant. Elle fut même vite oubliée, sans avoir déplu cependant. C’est cette mystérieuse ombre autour de la pièce que nous allons nous efforcer de percer ici. Et c’est en mettant au jour qui était Quinault, d’où et pour quel public il a écrit, que nous nous engagerons dans ce clair-obscur chemin.
Quinault : une carrière brillante semée d’embûches §
La vie de Quinault est emplie de succès, de ses débuts applaudis dans le théâtre à ses merveilles dans la tragédie lyrique. Cependant ses réussites semblent avoir été aussi nombreuses que ses détracteurs pugnaces. Si sa carrière va en fleurissant, de sa première période d’œuvres dramatiques à sa dernière période de drames lyriques, elle connaît également des zones d’ombre. Nous allons voir, parmi les lacis de cette carrière, où prend sa place notre tragi-comédie.
Première période (1653-1671) : Quinault auteur dramatique §
Il faut attendre au moins un siècle pour que Quinault commence à être reconnu à sa juste valeur. Encore en 1882, Victor Fournel, dans son édition critique de la vie et du théâtre de Quinault, se sent obligé d’écrire que « Quinault vaut infiniment mieux que sa renommée vulgaire ». C’est assez montrer combien un si grand poète a pu demeurer durablement sous les coups de ses détracteurs. Ses origines mêmes ont fait l’objet de spéculations et moqueries en tous genres. Nous savons aujourd’hui que Quinault est né à Paris, d’après l’acte de baptême du 5 juin 1635 découvert par Beffara. La petite ville de Felletin dans la Creuse lui a érigé, en 1852, un buste commémoratif, qui surmonte une fontaine. Cependant cette modeste sculpture repose sur une erreur : Quinault n’est pas né à Felletin. En revanche il est possible que son père y ait vécu. Furetière a particulièrement plaisanté Quinault sur son origine :
C’est la meilleure pâte d’homme que Dieu ait jamais faite. Il oublie généralement les outrages qu’il a soufferts de ses ennemis et il ne lui en reste aucun levain sur le cœur… Il a eu quatre ou cinq cents mots de la langue pour son partage, qu’il blutte, qu’ils ressasse et qu’il pétrit le mieux qu’il peut1.
De ses origines humbles jusqu’à la modestie même qui le caractérisera toute sa vie durant, Quinault a de quoi être raillé. Parce qu’il ne viendrait pas de Paris, parce qu’il est fils d’un « petit boulanger », parce qu’il est doux et bien fait. Mais cette humilité au contraire est ce qui rendra plus admirable l’ascension sociale et artistique de ce simple jeune homme.
Quinault est très tôt initié à l’amour des lettres : Très jeune, il entre chez Tristan comme valet. On peut en trouver la preuve chez Tallement (Historiettes), qui rapporte un mot du duc de Guise :
M. de Guise parlait un jour d’un jeune garçon, nommé Quinault, qui fait des comédies où il y a beaucoup d’esprit : vous voyez, dit-il, c’est le fils d’un boulanger ; il n’« enfourne » pas mal. C’était le valet de Tristan.
Le duc de Guise, protecteur de Tristan, puis de Quinault, parlait en connaissance de cause. Quinault, quant à lui, dans toutes ses dédicaces parle en termes émouvants de son maître (Les Coups de l’Amour et de la Fortune, Osman, Le Fantôme amoureux), mais se donne délibérément comme élève, jamais comme valet. Il est dit dans la Vie de Boscheron que Quinault entre chez Tristan en 1643. Etienne Gros émet l’hypothèse, à ce propos, qu’étant donné son âge, il est fort probable que Quinault n’y soit entré que quelques années plus tard2. Tristan, de protecteur qu’il était pour son valet, fait avec le temps de Quinault son ami et son confident. Il écrit en effet de Tristan, dans sa Dédicace à Osman, qu’ « une bonne fortune [le] fit autrefois avoir quelque part dans sa confidence ». Boscheron atteste que Tristan fait preuve d’une très réelle affection à l’égard du jeune homme. Quinault se forme auprès de son maître et a bientôt l’ambition d’écrire pour le théâtre. Perrault loue ses qualités oratoires précoces3, lorsqu’il relate que « Quinault étonna un jour « un gentilhomme d’esprit et de mérite » par la netteté de son esprit et la solidité de ses arguments ». Ainsi, dès son plus jeune âge, il s’initie à l’amour des lettres, et donne dès 18 ans ses premières pièces. Quinault commence donc à briller non seulement par son talent, mais également par sa précocité. Boscheron en fait son éloge à ce sujet : « Il composa dès dix-huit ans des comédies tres-agréables4. »
Tristan est son maître en l’art, il est également son protecteur lorsqu’il est temps d’aborder le monde. Quinault a à peine 18 ans lorsqu’il aborde l’Hôtel de Bourgogne. Victor Fournel relate une anecdote fort édifiante à ce propos, qu’il tient probablement des frères Parfaict :
Pour lui aplanir les voies, Tristan l’Hermite présenta la comédie des Rivales comme sienne. Messieurs de l’Hôtel ne pouvaient que recevoir avec empressement une pièce de l’illustre auteur de la Marianne. Ils lui en offrirent le prix royal de cent écus ; mais, en apprenant qu’elle était d’un jeune homme inconnu, ils n’en voulurent plus donner que cinquante. Il est raconté partout comment, en forme de compromis, Tristan obtint d’eux qu’ils payeraient à Quinault le neuvième de la recette, tous frais déduits, tant que la pièce serait jouée dans sa nouveauté ; après quoi, elle appartiendrait aux comédiens. Cet arrangement, qui passa dès lors en règle générale, sinon absolue, est l’origine du droit d’auteur.
Quinault a donc la chance d’être introduit par Tristan dans le monde du théâtre et de bénéficier aussitôt de conditions matérielles décentes.
C’est par Les Rivales en 1653 que Quinault débute brillamment. Sa comédie lui vaut les applaudissements du public, mais également la jalousie de bien des hommes de lettres, qui ne peuvent accepter d’être dépassé par un cadet. Scarron, Boisrobert, Somaize, Furetière, Racine et Boileau, tous décrient celui qui ose rivaliser avec eux, et avec tant de panache. Lorsque Boscheron commence sa Vie de Quinault, il annonce immédiatement son dessein : « défendre le celebre Quinault contre un grand nombre de Satiriques ». Le biographe sait en effet le nombre de ceux qui se sont acharnés à calomnier le jeune poète. C’est avec ses premiers succès et du fait de sa précocité éclatante que Quinault commence à attirer les inimitiés.
De ses premières à ses dernières pièces pour le théâtre, le style de Quinault s’affine, se raffine, gagne en souplesse et en élégance. Victor Fournel note déjà une différence entre Les Rivales et La Généreuse Ingratitude.
La comédie les Rivales, amas de déguisements, de quiproquos, de rencontres imprévues, de surprises dans le goût du temps, d’une plaisanterie souvent triviale et grossière, d’une versification fort aisée, était une preuve précoce de la facilité et du talent de Quinault.
Il ne nie pas son talent, mais souligne la facilité d’un auteur qui n’ira qu’en grandissant dans son art.
Cette première pièce est en effet suivie coup sur coup, l’année suivante (1654), de trois autres pièces en vers, « dont la diversité atteste une souplesse de talent égale à son abondance5. » La Généreuse Ingratitude et L’Amant indiscret furent en effet de grands succès. Lors de la représentation de L’Amant indiscret, Boscheron note ainsi comment Quinault a tout de suite ravi les faveurs du public : « à peine [fût-il] sur le Theatre, que tout ce qu’il y avoit de gens de la plus haute qualité vinrent embrasser Quinault, & le feliciter sur la beauté de sa Pièce, qu’ils venoient voir representer à ce qu’ils disoient pour la troisiéme ou quatriéme fois. » Perrault atteste dans son Paralelle des Anciens & des Modernes que Quinault a su par son talent « faire revenir trente fois de suite à la representation d’une même Tragedie ou d’une même Comedie » certains spectateurs.
Fournel dit de L’Amant indiscret qu’il est « très proche de l’Etourdi de Molière, [qu’il]a tous les caractères d’un travail précipité, mais l’ouvrage est spirituel, l’intrigue amusante et vivement conduite. »
Le succès de Quinault est donc immédiat, intense et ne diminue pas avec les pièces suivantes. En 1655 on parle même du « génie » de Quinault lors des représentations de la Comédie sans comédie : « les differens genres de spectacles, dont elle est composée, étoit une marque de la fertilité de son genie6. » La comédie sans comédie, seule pièce à avoir été créée au théâtre du Marais, comprend, au dire de Fournel, « toutes les variétés de poèmes dramatiques, depuis la farce jusqu’à la tragédie, en passant par la tragi-comédie et la pastorale. » Aux débuts de sa carrière donc, Quinault fait fleurir un certain baroque dans son œuvre, y mêlant tous les divertissements qui plaisent alors.
LaGénéreuse Ingratitude fait partie de cette première période de tragi-comédies. Elle appartient également à la mode espagnole, pièce romanesque et galante, composée à la manière espagnole.
Quinault choisit avec soin ses dédicataires et, dès l’abord, s’adresse très haut. Il dédie La Généreuse Ingratitude au prince de Conti, dont les relations sont très étroites avec Molière. Au moment où Quinault lui dédie sa pièce, le prince de Conti est pair de France, Prince de sang, « Grand Maître de la maison du Roi, gouverneur et lieutenant général pour sa Majesté en Guyenne, vice-roi et capitaine général de ses armées en Catalogne et Roussillon7. » Ainsi, Quinault vise dès ses commencements l’ascension sociale. Il est jeune, talentueux, sa réputation grandissante, nul étonnement que tous ces atours lui attirent des envieux : on cabale contre lui. « Il se fit dans ce tems-là une cabale de gens envieux de la réputation de Quinault ; qui décrioient par tout ses Ouvrages8. » Somaize en profite même pour dire de lui, dans L’Histoire des Précieuses, qu’« il est sans talent, qu’il a réussi grâce à ses protecteurs. » Avec le recul des années, il est devenu évident que le talent de Quinault était bien réel et durable.
Ainsi, avant d’avoir accompli sa vingtième année, Quinault a déjà pris possession des deux théâtres de Paris, en y faisant jouer quatre grands ouvrages en vers. Fournel note ici une étape importante de la relation entre le maître et l’élève :
Tristan put applaudir à ces premiers succès de son jeune élève : il mourut l’année suivante, lui laissant une nouvelle marque d’affection en un legs considérable. Il paraît bien que ce fut le legs de son maître qui lui permit d’acheter une charge de valet de chambre du roi. Légataire du poète-gentilhomme, il fut également son exécuteur testamentaire, et publia, en 1656, sa tragédie pothume d’Osman.
En 1656 sont créés le Mariage de Cambyse et La Mort de Cyrus. À nouveau on s’en prend à l’âge du poète, on ne peut décemment pas louer une si jeune et forte tête : « Les Connoisseurs (…) prétendoient qu’un jeune homme ne pouvoit pas entendre le Theatre, & qu’il n’y avoit point d’art ni de conduite dans ses Pieces9. » À toutes ces injures, Quinault ne réplique pas. Il reste concentré sur la marche de sa carrière et sur son ascension sociale. De plus, son caractère ne le porte pas à l’irritabilité : « Comme il était patient et doux, il ne répliqua point. Il n’avait pas la fougue et l’irritabilité de Racine et ne réagissait pas sous l’injure […] il songeait bien plus à faire sa fortune qu’à répondre à ses ennemis10. »
En contrepoint sarcastique, Somaize donne une description amère du jeune poète dans son Dictionnaire des précieuses :
[c’est] un jeune auteur dont je ne dirai pas grand chose, parce que je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup à dire de lui, tout le monde commençant assez à savoir quel il est, que les Précieuses l’ont mis au monde, et que tant qu’il a trouvé à débiter la bagatelle, il a eu une approbation plus générale qu’elle n’a été de longue durée ; il pille si adroitement les Vers & les incidens de ceux qui l’ont devancé, qu’on l’a souvent crû Auteur de ce qu’il s’étoit adopté. Ce n’est pas qu’il n’ait pas d’esprit, qu’il n’invente quelquefois ; mais il lui faut pardonner, cela ne lui arrive pas souvent11.
Puis il en vient à le décrire disgracieusement :
Il est plus grand que petit, & si l’on ne sçavoit parfaitement la mort du Roi d’Ethiopie, on le prendroit aisément pour lui, car il est fort noir de visage ; il a la main fort grande & fort maigre ; la bouche extraordinairement fenduë ; les lèvres grosses & de côté ; la tête fort belle, grace au secours du Perruquier qui lui en fournit la plus belle partie, ou si vous voulez, graces à des coins. (…) Au reste, il est d’une fort belle encolure, & dans son deshabillé, on le prendroit presque pour Adonis l’aîné12.
Il continue sur la qualité de sa conversation, qu’il ne devait, du reste, connaître que très peu : « Sa conversation est douce, & il ne rompt jamais la tête à personne, parce qu’il ne parle presque point, que lorsqu’il recite quelques Vers, ses yeux sont noirs & enfoncez, pétillans & sans arrêt13. »
Boscheron ne voit en cette description qu’une raillerie maligne et outrée, et corrige le portrait :
Quinault étoit bien fait de sa personne, d’une taille élevée, il avoit les yeux bleus, lenguissans, & à fleur de tête ; les sourcils clairs, le front élevé, large & uni, le visage long ; l’air mâle, le nez bien fait, & la bouche agreable ; la physionomie d’un parfaitement honnête homme14.
Il poursuit sur son esprit : « Il avoit plus d’esprit qu’on ne pouvoit dire, adroit & insinuant, tendre & passionné15. » Et loue sa société et la « délicatesse de ses expressions dans les conversations familieres ; son style n’étoit point recherché, au contraire, c’étoit la pure nature qui parlait en lui16 ». Enfin, il résume en une courte phrase : « il avoit le secret de se faire aimer de tout le monde17. »
La marche de Quinault se poursuit donc avec éclat malgré les mots très âpres de ses contemporains. Elle prend à la fin des années 1650 un nouveau tournant, délaissant les tragi-comédies bigarrées pour s’intéresser à la tragédie plus sobre, avant de se tourner vers le drame lyrique en 1671. Ainsi, il se dessine une dichotomie en 1656 : « En 1656, il fait jouer trois pièces : la Mort de Cyrus, le Mariage de Cambyse, tragédies, puis le Fantôme amoureux, tragi-comédie, qui n’eut pas le succès des précédentes, bien que restée au répertoire pendant vingt-cinq ans18. » Le statut du Fantôme amoureux est donc ambivalent. Si la pièce n’est plus à la mode, si les tragédies lui sont préférées, cependant elle demeure longuement au répertoire et recueille les faveurs du public sur le théâtre.
Boscheron dit succinctement et obscurément de notre pièce : « le Fantôme amoureux, Tragi-Comedie, qui fut représentée en 1659, n’eut pas le même succès, n’ayant été représentée que sept fois19. » Si concis et si confus sont ces mots sur notre pièce. Non seulement on ne trouve aucune explication de la malchance de la pièce au théâtre, mais encore il y a une erreur sur la date de création, à croire que Boscheron ne disposait pas d’informations précises sur la pièce. Boscheron compare l’insuccès du Fantôme amoureux de 1659 à la réussite d’Agrippa Roi d’Albe en 1660, qui fut « approuvée des connoisseurs » et « pendant deux mois (…) occupa le Theatre François20 ». On voit bien dans cette présentation des faits, qu’après avoir constaté le désintérêt pour les tragi-comédies hispanisantes, le dramaturge s’est rapidement orienté vers la tragédie plus sobre.
Si le Fantôme amoureux ne plaît pas autant qu’il aurait pu, c’est que ses feux sont ternis par les deux tragédies qui sont données la même année, car c’est surtout à Cyruse et Cambyse que s’appliquent les vers fameux :
Les héros dans Quinault parlent bien hautement,Et jusqu’à : Je vous hais, tout s’y dit tendrement.
Victor Fournel voit ici le sommet de l’art dramatique de Quinault :
Les cinq actes de la Mort de Cyrus débordent d’agréables conversations, de maximes ingénieuses, de tendres sentiments, de beaux feux, de langueurs, de soupirs qui s’expriment en termes délicats et choisis. Quinault n’est pas de ces hommes d’un goût ferme et indépendant qui résistent ; il est de ces hommes d’esprit qui raffinent sur les modes littéraires.
En 1656, Quinault acquiert le titre de gentilhomme d’Henri de Guise. En 1657, il donne Stratonice et Les Coups de l’Amour et de la Fortune, puis en 1658 le Feint Alcibiade et Amalasonte. Ces quatre tragédies ont le même succès que les autres pièces.
De 1658 à 1660, aucune pièce n’est donnée. Quinault fait sa cour : nous le voyons épouser à Saint-Eustache, le 29 avril 1660, Louise Goujon, veuve de Jacques Bonnet, marchand et bourgeois de Paris, qui avait été son ami et son client. Victor Fournel nous donne le secret probable de leur liaison. « Chargé des affaires du mari, disent la plupart des biographes, le jeune avocat-poète avait naturellement fait connaissance avec la femme. » Il associe ainsi leur liaison naissante à une œuvre supposée biographique de Quinault : L’Amour sans faiblesse, ouvrage où tous les personnages seraient biographiques mais déguisés sous des anagrammes ou autres pseudonymes (Homère pour Tristan, Térence pour Quinault, Marianne pour Louise). On y apprend que Quinault aurait connu et aimé Marianne pendant qu’elle était encore jeune fille et aurait même noué avec elle une véritable intrigue, où toutefois « la région des billets doux et des petits soins » n’aurait point été dépassée. Mais la mère de Marianne, femme cupide, donne sa fille à Timante, un commerçant qui a du bien.
Malgré son desespoir, Marianne se soumit, et comme c’était une honnête femme, non seulement elle ne trahit pas son mari, bien qu’elle continua à voir Quinault et qu’elle garda son ancien faible pour lui, mais elle lui voua, à défaut d’amour, une affection et une reconnaissance sincères pour ses bons procédés21.
Cet excellent mari se lie de plus en plus avec Quinault, surtout pendant sa maladie, à la suite de la mort de Tristan ; il lui fait des offres de service et finit par insister pour qu’il vienne demeurer chez lui ; « mais loin de joindre ses instances à celles de son mari, comme celui-ci l’en priait, la vertueuse épouse l’en détourna22. » Quelques temps après, Timante meurt d’une chute de cheval. Restée veuve avec deux petits enfants, Marianne perd bientôt sa mère.
Dans sa douleur elle se retira au fond d’un couvent, où vinrent la chercher les lettres et les visites de Quinault. Au bout de huit mois elle reparut au monde, et sa jeunesse, sa beauté, la fortune qu’elle tenait de ses parents et de son mari la rendirent l’objet de nombreuses recherches. Elle les écarta pour accueillir le poète, en résistant à tous les efforts qu’on fit pour la détacher de lui. Enfin, elle l’épousa, et le lendemain du mariage, signa un acte où elle lui donna la disposition de ses revenus et de ceux de ses enfants, que le contrat de mariage ne lui avait pas accordée23.
Quinault épouse donc en 1660 cette riche veuve, qu’il dit aimer d’un « amour sans faiblesse ». La jeune veuve lui apporte quarante mille livres de dot, somme qui permet à Quinault d’acheter la charge de valet de chambre ordinaire de Sa Majesté, charge honorifique qui lui confère la noblesse et qui surtout le rapproche de Louis XIV.
Bien qu’il ait alors de l’argent en suffisance, il ne renonce pas à la scène. En 1665, c’est le triomphe d’Astrate et de La Mère coquette, il atteint là l’apogée de sa carrière d’auteur dramatique. Sa production se ralentit pourtant. Etienne Gros suit l’hypothèse selon laquelle sa femme « avait témoigné une grande répugnance à épouser un poète », et qu’elle entendait qu’il ait quelque occupation plus honorable; mais il semble surtout que Quinault se soucie alors et avant tout de servir son roi, et de s’en approcher au plus près.
Ainsi, avant d’avoir atteint vingt-cinq ans, ce fils de boulanger est devenu
valet de chambre du roi, avocat en parlement, seigneur d’une femme charmante et d’une dot très ronde – cent mille écus d’après l’abbé d’Olivet, sans compter ce qu’il avait acquis de son côté. Poète applaudi et déjà célèbre, auteur de 11 pièces jouées à l’Hôtel de Bourgogne et au Marais24.
Toutes ces pièces sont dédiées aux plus hauts personnages : prince de Conti, au duc de la Valette, au duc de la Meilleraye, à Mgr le udc d’Anjou, frère du roi ; au comte de Saint-Aignan, au duc de Guise, à M. de Castille, trésorier de l’Espagne, Fouquet, le magnifique intendant des finances et madame la surintendante.
En 1660, l’année même de son mariage, il donne la tragi-comédie d’Agrippa ou le Faux Tibérinus, toujours « dans le même goût d’invention romanesque, mais conduite avec beaucoup d’art et renfermant des beautés de détails et des situations dramatiques qui dépassent ce qu’il avait fait jusqu’alors25. »
Pendant les trois années suivantes, Quinault garde un silence inusité, « soit qu’il savoure les douceurs de la lune de miel, soit qu’il se recueille pour frapper un grand coup26. » Et vers la fin de l’année 1664, il reparaît à l’Hôtel de Bourgogne avec son chef d’œuvre tragique : Astrate, roi de Tyr.
Cette pièce devait plaire à la bonne cabale surtout par ses conversations pleines de concetti, d’antithèses subtiles, de rapprochements alambiqués, de maximes brillantes, de dissertations poussées avec art et qui forment un véritable code de l’amour et de la galanterie27.
L’éclatant succès d’Astrate, qu’on joua cent fois de suite en mettant les places au double, est attesté par les épigrammes mêmes de Boileau, non moins que par les témoignages de Loret.
Ce succès tragique est suivi d’un chef d’œuvre comique : La Mère coquette ou les amants brouillés, celle de toutes les pièces qui est restée le plus longtemps au répertoire. Fournel nous confie une anecdote sur cette comédie.
Même avant d’avoir vu le jour de la rampe, la Mère coquette donna naissance à une querelle en revendication qui fit alors quelque bruit. Tandis que les grands comédiens en préparaient la représentation, un jeune homme remuant, nommé Donneau de Visé, accusa hautement Quinault de lui avoir volé le sujet, dont il avait fait confidence « chez une personne de qualité ; » il ajoutait que « des personnes de naissance et dignes de foi » avaient vu sa propre pièce « longtemps avant que cet illustre auteur eût commencé de travailler à la sienne. » La plainte fut portée jusqu’aux oreilles du roi, qui ne semble pas avoir donné raison au jeune poète contre son ancien. Quinault vint le premier, vers le 15 octobre 1665, précédant d’une semaine seulement la pièce de Donneau de Visé, que la troupe de Molière avait répétée en toute hâte et qu’on attendait avec une curiosité qui ne fut pas étrangère à son succès. De Visé se vante qu’elle a été plus suivie à la 18e représentation qu’à la première, et Robinet, dans sa lettre du 29 novembre, nous apprend que la comédie de Quinault avait déjà plié bagage, alors que l’autre attirait toujours la foule28.
Quinault fait ses adieux à l’Hôtel de Bourgogne par les deux tragédies de Pausanias, qui est du milieu de novembre 1668, et de Bellérophon, dont on ignore la date exacte, mais qui doit avoir été un peu postérieure. Ces pièces, « la première surtout, furent loin de valoir les chef d’œuvres précédents et n’en eurent point le succès29. » Les biographes qui les ont placées en 1665-1666 se sont étonnés du long silence qu’aurait gardé Quinault pendant les 6 années suivantes, ils l’ont attribué à la promesse qu’il aurait faite à sa femme de ne plus travailler pour le théâtre. C’est une pure légende selon Fournel, basée sur une double erreur, et que détruit de fond en comble la constatation de la vraie date du mariage de Quinault, qui est de 1660, non de 1668. En se mettant à composer des opéras, Quinault ne fait que tenir à sa parole de répondre aux divertissements du roi.
En 1670, Quinault, déjà membre de l’Académie des médailles et des inscriptions, où il a succédé à Cassagne, est élu à l’Académie française, en remplacement de Salomon. Sur sa présence au sein de l’Académie, Fournel nous donne quelques détails intéressants :
Son discours de réception, ses deux harangues au roi à la tête de la compagnie, et la présence d’esprit avec laquelle il intercala dans l’une d’elles un passage improvisé avec beaucoup de bonheur sur la mort de Turenne, montrèrent que cet esprit souple et fin était plein de ressources et pouvait se prêter à toutes les circontances. A la mort de Colbert, il prononça son éloge en vers. Il fit plusieurs lectures publiques : en particulier, à la réception de La Fontaine. Nous savons aussi, par les Factums de Furetière, qu’il prenait une part active aux travaux de l’Académie et qu’il vota l’exclusion de celui-ci, ce qui dût coûter beaucoup à sa douceur et à sa prudence.
Une nouvelle ère va s’ouvrir pour lui. En 1672, Lully obtient du roi le privilège pour l’Académie royale de musique, enregistré au parlement le 27 juin de la même année. Tout d’abord, il a le soin de s’assurer la collaboration de Quinault, dont il a pu apprécié l’année précédente, à l’occasion de Psyché, le « talent pour composer des vers propres à être mis en musique30 ».
Deuxième période (1672-1686) : Quinault librettiste de Lully §
Quinault travaille aux divertissements du roi, aide discrètement Benserade, Molière et Lully à composer des ballets dont Sa Majesté se délecte. Pour tous ces services discrets faits au prince, il est largement récompensé : il reçoit en 1670 un fauteuil à l’Académie française, et en 1671 la charge d’auditeur à la chambre des Comptes.
Il jouit de l’estime de Molière et de Corneille, qui lui demandent de versifier les divertissements de Psyché. Louis XIV et Colbert l’invitent à se joindre à la Petite Académie, cénacle restreint de lettrés chargés d’organiser le mécénat royal.
C’est comme librettiste de Lully qu’il fait éclater son talent. Vers 1672-1673 le public voit enfin naître un genre fait pour ses délices, et qui doit ses plus beaux jours à la collaboration de Lully et de Quinault : l’opéra. La déclamation de la tragédie parlée se fait alors d’autant plus épurée que la tragédie lyrique puisera à de multiples sources, usant de la beauté de la musique et de celle du chant, de la splendeur des décors, du jeu des machines.
De Cadmus et Hermione en 1673, à Armide en 1686, Lully et Quinault donnent onze tragédies en musique qui fondent l’opéra français et qui sont autant de réussites. Après Armide, Louis XIV renonce aux enchantements de l’opéra. Quinault imite son roi et se prépare à une fin chrétienne.
À l’aube de sa mort, Quinault voit que son chemin avait été brillant, bien que semé d’hostilités malveillantes. Il a connu la gloire alors qu’il était collaborateur attitré de Lully, et qu’il était déjà célèbre par ses tragédies, contrebalançant même celles du grand Corneille. En 1686, il prend la décision de renoncer au théâtre, ce qui motive une note de Dangeau le 5 avril :
On sait que Quinault avait fait demander au Roi de le faire dispenser de l’Opera ; dans sa dernière maladie, il a eu des scrupules sur cela, et S. M. a trouvé bon qu’il n’en fît plus ; il va travailler à un poème qui expliquera les peintures que Lebrun a faites dans la Galerie de Versailles31.
Il ne survivra pas longtemps à sa retraite : le 26 novembre 1688 il meurt, et la Gazette du 4 décembre signale : « Le sieur Philippe Quinault, auditeur des Comptes, et qui estoit de l’Académie Françoise, mourut le 26 du mois dernier, âgé d’environ 55 ans ». Il n’est fait ici, à la mort d’un très grand et très illustre poète, aucune allusion à son passé théâtral. La mesquinerie dont de nombreux jaloux l’avaient assailli si souvent durant sa vie s’acharne donc en cet ultime événement. Dangeau, en novembre de la même année, dit succinctement et avec respect de celui qui a su préparer sa discrète retraite : « Quinault est mort ce matin. Il étoit de l’Académie Françoise et de la petite Académie pour les médailles du Roi. Il a fait plusieurs comédies et plusieurs opéras, s’étoit mis depuis deux ans dans une grande dévotion32. »
C’est le Marquis de Termes qui a sans doute le mot le plus juste, à propos d’un minores de son siècle qui ne serait apprécié à sa juste valeur qu’un siècle plus tard : « Quinault est mort. Après s’être moqué de lui pendant sa vie, on l’a regretté pour ses opéras après sa mort. »
On ne saurait s’abstenir de noter l’étrange destinée du poète : il connaît en son siècle des amitiés enthousiastes et des inimitiés tenaces, est exalté au siècle suivant, puis ignoré par les romantiques. Au siècle classique nombre de ses contemporains trouvent des raisons pour le dénigrer, le fustiger d’allusions malveillantes, il est frappé de celles de Somaize, des attaques de Furetière et de Baillet, gagne l’hostilité de Boileau. Ces rancunes, attachées à cet homme doux et sociable, s’expliquent presque toujours par des motifs personnels, ou par des jalousies littéraires.
En revanche au XVIIIe siècle, ce sera un parfait revirement. C’est en un siècle de raffinés que Quinault devait être le mieux goûté, où l’on ne cherche plus avec fébrilité les règles et la perfection du vers. En ce siècle nouveau, on aime alors « sa poésie légère et galante, sentimentale et un peu perverse, élégante et sans éclat33 ».
Création du Fantôme amoureux : une réception réservée, des échos énigmatiques §
À en croire Quinault dans son épître, la pièce aurait connu un certain succès. Il évoque en effet avec une satisfaction non dissimulée le « bon-heur qu’elle a eu de ne pas déplaire sur le Theatre ». En effet, la pièce est fertile en divertissements, et des plus prisés alors. Cette habile peinture de passions tragiques sans cesse traversées de situations comiques, le surgissement de machines, toute cette composition astucieuse semble faite pour recueillir les faveurs du public, alors si avide de divertissements. Le Fantôme amoureux est l’une des tragi-comédies les plus baroques de la seconde moitié du XVIIe siècle. Et en dépit de tous ses appas, la pièce ne connaît, aux dires des premiers biographes, que sept représentations avant d’être retirée de l’affiche. Est-ce là un franc succès ? Ou bien s’agirait-il seulement d’un faible enthousiasme que Quinault aurait voulu déguiser? Ou bien serait-ce encore que pour des raisons toutes étrangères à la pièce et à ses appas véritables, elle n’ait pu avoir la gloire qu’elle méritait ?
Le marquis d’Argenson, dans ses Notices sur les Œuvres de théâtre, note à propos du Fantôme amoureux un certain succès auprès du public, tout en émettant ses propres critiques au sujet de la pièce :
il y a quantité, surtout entre les amants, de querelles de méprise, de fausses apparences et de pétulance, où la colère ne veut rien écouter. J’avoüe que cela impatiente beaucoup le spectateur, et qu’on y receüille autre chose qu’une vaine admiration du jeu des acteurs. Les revenants ont souvent formé les sujets de pièces d’intrigue34 ; ces sujets sont naturels par les circonstances bien arrangées, puisque le merveilleux en est possible35. Cette pièce eüt beaucoup de succez dans son tems et a été rejoüée depuis.
Elle a en effet été rejouée de nombreuses fois, en français et dans deux autres langues, et restera ensuite au répertoire durant 25 ans. Ce que note Paulmy ici, c’est le baroque de la pièce, ce caractère éminemment foisonnant et vivace d’une pièce aux intrigues et aux émotions ardentes. Malgré la présence d’un être surnaturel, le fantôme, le sujet n’est cependant pas rejeté comme invraisemblable, puisque le merveilleux est rendu possible par la croyance au purgatoire. Ainsi, Paulmy nous éclaire sur les appas probables de la pièce à l’époque, sur son succès, mais aussi sur ses éléments-limite, en passe de ne plus plaire bientôt, et qui auraient pu lasser certains spectateurs.
La saison à laquelle est créée la pièce est peut-être une circonstance fâcheuse pour le succès de la pièce. Elle est en effet créée à l’Hôtel de Bourgogne en plein mois de juillet 1656, lors de la saison la plus chaude et la plus lourde à Paris. Or, cette saison semble être des moins favorables à la bonne fortune d’une pièce : Chappuzeau, dans son Théâtre, précise ainsi que « les grands acteurs ne veulent exposer leurs pièces nouvelles que depuis la Toussaint jusqu’à Pâques, lorsque toute la Cour est rassemblée au Louvre ». Or, lorsque la pièce est représentée, la Cour n’est pas à Paris. La France est en guerre contre l’Espagne et, comme à l’accoutumée, le retour de la belle saison a signalé la reprise des grandes manœuvres. Louis XIV est donc en campagne, il a pris le chemin du nord, et lorsqu’il s’arrête à Compiègne ou à la Fère, parmi les nombreux divertissements du roi, il n’est jamais mentionné dans les Gazettes que les Grands Comédiens aient été invités à y jouer Le Fantôme amoureux.
Cette circonstance s’accompagne d’une deuxième coïncidence : Non seulement Quinault s’inspire très clairement d’un auteur sans l’indiquer au public, mais en plus, à la même époque exactement, paraît une pièce qui porte un nom très similaire et qui s’inspire de la même source. Un certain Nicole fait éditer en 1656 une adaptation de la Mostellaria de Plaute, qu’il nomme Le Fantôme. Dans sa préface, il s’excuse d’avoir intitulé ainsi sa pièce, et avoue l’avoir fait d’après la pièce de Quinault, cette « merveilleuse pièce que j’ai vue avec plaisir représenter ces derniers jours, qui est bien au-dessus de la mienne, et qui est du célèbre auteur des Rivales ». Nicole venait donc de voir la pièce de Quinault lorsque son privilège est enregistré le 11 juillet 1656. Il l’a trouvée « merveilleuse » et ne dissimule pas son plagiat du titre de Quinault. Pourquoi alors le public aurait-il été si suspicieux à l’égard de Quinault, dénigrant ainsi cette seule pièce parmi toutes celles qui eurent un si grand succès auprès de lui?
Si la pièce n’est pas la plus célèbre sur la scène à l’époque, du moins sa réussite est-elle plus franche en librairie, car on compte cinq éditions séparées antérieures à 1662. Son succès s’étend même hors de France : elle est adaptée en allemand par Andreas Gryphius en 1660 dans Das Verliebte Gespenst.
On peut noter également, parmi les circonstances de la pièce et les inclinations du public, un certain revirement de goût, qui ne fait que s’amorcer en 1656 et que Quinault ne pouvait anticiper. L’Espagne s’est fait très populaire depuis 1640, mais entre temps et surtout à la fin des années 1660, on s’est peu à peu détourné de l’Espagne, et qui y puise son modèle ne ravira plus les faveurs du public. On se tourne alors vers les canevas italiens, les romans français ou l’histoire antique. Quinault comprend alors avec ce premier moindre-succès que le « vent littéraire a changé36 », et en 1657, avec Amalasonte, « il renonce aux modèles espagnols pour situer désormais les intrigues de ses tragi-comédies dans une pseudo-Antiquité qui sera encore celle de Racine37 ».
Le théâtre espagnol en France, influences et adaptations §
La mode espagnole §
Le regain de la tragi-comédie après 1652 s’accompagne d’un sursaut d’influence ibérique. Comme le rappelle Chappuzeau, c’est aux modèles espagnols que la France doit le perfectionnement de son théâtre :
Nous sommes plus obligés aux Espagnols qu’aux Italiens, et n’étant redevables aux derniers que de leurs machines et de leur musique, nous le sommes aux autres de leurs belles inventions poétiques, nos plus agréables comédies ayant été copiées sur les leurs.
Le type de la comédie espagnole connaît un franc succès dans les années 1640-1660, époque à laquelle le genre s’impose dans le paysage théâtral du XVIIe siècle français. On retient alors tout un univers espagnol, celui de la plus haute aristocratie, entichée d’honneur et de conquêtes, le plus souvent amoureuses. Le personnel comique s’en trouve renouvelé. À côté des valets, on trouve surtout de nobles gens, empreints de dignité, élégants dans leurs discours et plus audacieux que les jeunes premiers de Corneille.
Le terme « comedia » est un terme espagnol qui désigne le théâtre avec une diversité de significations débordant la classification des genres (comprenant à la fois la comédie, la tragédie, et la tragi-comédie). D’une part, il n’y a guère de tragédie sublime ou héroïque dans le théâtre espagnol, car la nature humaine est faible. D’autre part, il n’y a pas non plus de vraie comédie, car l’homme est mené par des forces qui le dépassent. Par conséquent, tout est tragi-comique sur la scène, à l’image de ce qui se passe dans la rue ou dans l’histoire.
Lope de Vega, dans son Arte nuevo de hacer comedias terminé en 1609, enjoint de mêler comique et tragique, et de doubler chaque action principale d’une action secondaire, dans le souci de recréer une épaisseur et une vraisemblance qui soient celles de la vie. Les dramaturges français, s’ils dénigrent son art poétique, n’en puisent pas moins à profusion parmi les pièces du maître espagnol : Rotrou lui emprunte la donnée de ses Occasions perdues et de la Belle Alphrède, Corneille celle de La Suite du Menteur.
Puis c’est Calderon de la Barca qui entreprend de retravailler la comédie espagnole. Il comprend le goût naissant du public pour le spectaculaire, pour les musiques et les machines provenant d’Italie. Les dramaturges français s’empressent alors de piller Calderon. De 1652 à 1658, l’influence espagnole est plus forte que jamais : sur quinze comédies, dix ressentent franchement cette influence. Et c’est Calderon qui, parmi les auteurs espagnols, a l’avantage, avec six comédies. Cette période est également la plus féconde de Quinault qui, de 1654 à 1662 donne huit tragi-comédies.
Les intrigues héritées de la comédie espagnole sont également baroques, complexes et fantaisistes, romanesques à souhait, faites de cap et d’épée et d’amour passionné. Corneille ne représente qu’une nuance de l’influence espagnole dans la comédie avec le Cid et Don Sanche d’Aragon. Il y a eu d’autres auteurs à porter cette influence : ils sont un groupe compact et parfaitement synchronisé. C’est à cette époque qu’apparaît une espèce nouvelle d’auteurs dramatiques ainsi qu’une nouvelle approche de la comédie : l’exploitation méthodique des sources étrangères est devenue nécessaire. Le théâtre comme spectacle est déjà organisé, et sa marche ne peut plus dépendre des textes fournis par des collaborations éventuelles ou par la libre initiative des auteurs. Ces auteurs doivent faire feu de tout bois. La profession est difficile, elle suscite alors peu d’attrait. C’est ainsi que se forme un groupe d’auteurs dramatiques qui produisent avec régularité des comédies qui répètent les modèles espagnols. Ce sont les frères Métel, d’Ouville et Boisrobert, avec Scarron et, un peu plus tard venus, Thomas Corneille et Philippe Quinault. Les historiens ont compté 35 comédies écrites et représentées entre 1640 et 1668 : ils admettent qu’une vingtaine remonte à des modèles espagnols.
Ces chiffres sont en-dessous de la réalité. On trouve en fait 72 imitations de la comédia dont la source a été dûment identifiée. C’est sans doute l’heure espagnole du théâtre français38.
Cette circonstance montre comment Quinault n’a fait que s’insérer dans la marche de son temps. Avec Le Fantôme amoureux, il suit la vague espagnole, se place face à une demande forte du public français.
Antoine le Métel d’Ouville, qui a passé six ans de sa vie en Espagne, est le véritable introducteur de la comedia en France, si l’on pense à la comedia aux intentions comiques. Son premier rival est Scarron qui profite sagement de l’expérience de ses prédécesseurs. Il choisit le comique burlesque, et de tous les personnages de la comédie espagnole, il préfère le gracioso. Boisrobert prend la suite de d’Ouville, écrit une douzaine de comédies, dont 10 proviennent d’Espagne. Il possède mieux que son frère les secrets de la composition dramatique et de la versification. L’originalité ne le préoccupe pas. Thomas Corneille fait partie de la génération suivante qui écrit beaucoup. L’imitation espagnole est alors la première période de son activité. De 1649 à 1660, il écrit 13 pièces dont 8 se rapportent au théâtre espagnol, dont La Dame invisible ou L’Esprit follet, que Quinault reprendra également. Il est évident qu’il cherche le succès. Son intérêt pour le théâtre espagnol ne s’explique pas autrement. Parmi ses mérites, il faut lui compter celui de ne pas avoir caché la provenance de ses sujets. Les autres auteurs n’ont pas aimé ce genre de sincérité. Son souci des unités, visible, paralyse l’ensemble des actions. Très bon fournisseur, il n’a jamais connu la défaveur.
À la suite de ces quatre dramaturges arrive Quinault, de tous plus proche de Thomas Corneille. Il ne s’intéresse à la comédie qu’à l’époque de ses commencements, et ce dans l’espoir, vite confirmé, d’atteindre au succès par le moyen des comédies à l’espagnol. On lui doit deux tragi-comédies : Les Coups de l’amour et de la fortune (tiré de Calderon, Lances de amor y fortuna, 1665) et Le Fantôme amoureux (tiré de Calderon, El galan fantasma, 1657) ; ainsi que Les Rivales (1655), comédie dans laquelle il remanie Les deux Pucelles de Rotrou (1639), lui-même inspiré de Cervantes. Dans la Comédie sans comédie (1657), qui obéit à la formule du théâtre dans la théâtre, l’action de l’acte III, qui s’intitule Le Docteur de verre, imite l’histoire du Licenciado Vidriera du même Cervantes. La part de l’Espagne est donc bien présente dans l’œuvre de Quinault, de ses débuts jusqu’au Fantôme amoureux.
Plus tard, il suit un chemin indépendant, pour devenir le principal représentant du drame lyrique.
Il est un personnage important à noter, tout spécifique à la comédie espagnole : c’est le gracioso. Sorte de bouffon qui traduit en un langage à la portée du vulgaire les nobles principes galants, ses maîtres, il est le porteur du comique burlesque. Valet grossier, balourd, gros mangeur et gros buveur, doublon négatif de son maître, pour sa part tout de dignité et de raffinement. Le contraste entre ces deux univers ouvre la voie à un comique truculent, que les auteurs français reprennent avec enthousiasme. Chez Scarron, le contraste tend à s’amenuiser, jusqu’à se transformer en un parallèle compromettant entre maître et valet. Ainsi, le comique, loin de rester cantonné, comme dans les comédies espagnoles, aux valets ou aux servantes, investit peu à peu les personnages nobles, élargissant le champ de la comédie. Le valet à l’espagnol redonne à la comédie la force comique qui lui manquait, mais son identité sociale a éclaté, ce qui a permis de diversifier et d’investir le comique dans toutes sortes de personnages et de situations. Ainsi, chez Scarron, Dom Japhet et Dom Blaize procèdent de toute évidence de la même veine que Jodelet, sans pour autant être des valets.
Dans notre pièce ce rôle a été épuré, mais il se retrouve en fines touches dans le caractère de Jacinte, et parfois même dans celui du duc. Jacinte est empreinte de sentiments assez vils et d’une fidélité toute relative. Cependant elle demeure très correcte en regard de ce qu’est un gracioso, c’est une suivante, non une véritable « criarda ». Le duc pour sa part a quelques ressemblances avec un gracioso, dans la mesure où, dans toutes les scènes où il apparaît, il porte sur lui tel un fardeau comique, soit son échec amoureux, soit sa lâcheté dans le combat. Nous reviendrons aux liens entre la pièce espagnole et la pièce française par la suite.
La comédie à l’espagnol a permis d’exploiter les ressorts d’un procédé de langage très prisé au milieu du XVIIe siècle : le burlesque. Comique jubilatoire et haut en couleurs, ce discours surabondant, émaillé de créations verbales fantaisistes, est toujours employé à contresens, pour évoquer des sujets qui au contraire réclameraient un registre noble. Procédé issu du baroque, il consiste à traiter un sujet sérieux dans un mode parodique, dans un style bas ou grossier.
On trouve ce procédé à maintes reprises dans notre pièce, mais de façon toujours assez fine. Quinault sait en effet utiliser des sortes de chutes burlesques. Il sait l’art de passer des hauteurs lyriques à la trivialité d’une chute dans un fossé. C’est le cas de la chute du duc à la fin de la scène 9 de l’acte IV. Alors qu’il vient de déclamer ces vers tragiques, il se laisse tomber par mégarde dans la mine aussitôt après : « Allons, il faut nous perdre ou la sauver ? ah Cieux. » Puis c’est la chute, triviale, basse et concrète, de l’acteur dans les dessous du théâtre. On voit bien le duc passer d’une alternative hautement tragique à la chute débile de son corps sous le théâtre. Avec lui, le registre tombe du même coup de la hauteur du « cothurne de la tragédie » à la simplicité de « l’escarpin de la comédie39, » et le burlesque est réussi.
La comédie espagnole sur scène §
Pour comprendre la comédie espagnole, il nous faut d’abord comprendre quel était le public espagnol, quels étaient les lieux dans lesquels vivait la « comedia ». Au XVIe siècle, les représentations ont lieu dans de longues salles fort mal agencées et à l’acoustique difficile : l’attention se lasse vite dans le public en émoi, et il faut, pour le retenir, un spectacle varié et une déclamation violente. Les spectateurs sont tous pressés les uns contre les autres, et toujours prêts aux railleries énormes. Il s’agit, pour les acteurs, de dominer le tumulte, et de ravir l’attention du public par une déclamation vive et saisissante. Ainsi naît une tradition de rapidité dramatique qui permet d’enlever un long récit et de « faire sonner un dialogue comme deux épées croisées en un duel furieux40. »
Les moyens sont rudimentaires sur le plateau : bien que les costumes coûtent de plus en plus cher, ils n’ont aucun rapport avec les personnages qu’ils représentent. Ainsi, alors que les spectateurs français voient tout de suite où se passe l’action, à la simple vue des décors et des costumes, les spectateurs espagnols doivent attendre les premiers vers. Cette abstraction rendant leur richesse aux mots est encore accrue par la pauvreté des décors : « La décoration n’était pas devant les yeux, elle luisait dans les imaginations à mesure que se déroulaient les descriptions du poète. » C’est donc toute une prolixité et une richesse de la langue qui pallie la faiblesse des moyens scéniques. Les Français réduisent cette profusion à un simple charme baroque espagnol très francisé. Au temps de Lope de Vega, on croyait aux miracles de l’épée, et c’était un idéal que l’on venait retrouver sur scène. Au temps de Calderon, cet idéal s’y retrouve toujours, mais on vient y chercher quelque chose de plus, de la dérision, une contradiction en marche au cœur des valeurs classiques.
Dans la même direction, Quinault ouvre encore vers cette distanciation comique. Ses personnages ne sont plus du tout les héros de Lope de Vega. Plus de batailles téméraires au cœur de la nuit, plus d’action intrépide au péril de la vie. La passion criminelle est toujours là, chez le duc, mais le courage du combat a disparu : aucun des deux ennemis n’est présent durant le meurtre. Le duc a envoyé ses gardes combattre à sa place, et Fabrice s’est dissimulé, laissant un inconnu se faire tuer à sa place. On trouve donc chez Quinault une ironie certaine qui, bien qu’elle maintienne certaines caractéristiques de la passion espagnole, en élague l’héroïsme tout puissant.
Dramaturgie de l’adaptation §
Une construction à double intrigue §
Notre tragi-comédie est une pièce à double intrigue. Le dénouement, point de départ de notre étude, est le double mariage. Ainsi, dans l’intrigue principale comme dans l’intrigue secondaire, l’événement toujours retardé est le mariage, d’une part entre Climène et Fabrice, de l’autre entre Isabelle et Carlos. Selon le principe de d’Aubignac, il faut que l’intrigue complémentaire soit « tellement incorporée au sujet principal, qu’on ne les puisse séparer sans détruire tout l’ouvrage. » Nous allons donc voir comment l’intrigue principale se noue et se dénoue par l’entremêlement avec l’intrigue secondaire, et comment cette dernière ne saurait se dénouer sans l’existence de la première. Il nous faut donc d’abord conter les deux séparément pour plus de clarté :
Intrigue principale : Climène et Fabrice sont sur le point de se marier, mais le duc, également épris de Climène, s’y oppose, menaçant de tuer Fabrice. Croyant avoir fait tuer Fabrice dans la nuit, le Duc tente vainement de conquérir le cœur brisé de Climène, jusqu’à ce qu’il soit menacé par le fantôme de Fabrice, et qu’il renonce à sa passion pour lui céder Climène.
Intrigue secondaire : Isabelle vient de faire dire à Carlos qu’elle l’aime en retour, mais cet amour est ignoré par son père qui la destine au couvent. Ils dissimulent leur relation jusqu’à ce que le père d’Isabelle les surprenne seuls chez Carlos lors de la deuxième nuit. Voyant qu’ils s’aiment honnêtement (et que Carlos est bien pourvu en argent), le père finit par accorder un double mariage.
Le trouble de l’identité et la confusion des rôles §
Il apparaît, à observer ce schéma et à étudier le rôle de chacun dans le déroulement de l’action, qu’il ne soit pas évident de déterminer de façon claire qui est adjuvant ou opposant, dans une pièce où le trouble de l’identité, l’utilisation du masque, la confusion du réel et de l’imaginaire, sont en jeu. Personne n’est vraiment ce qu’il semble être :
Fabrice n’est pas vraiment un fantôme, bien qu’il semble l’être aux yeux de tous, et qu’il joue ce rôle la plus grande partie de la pièce.
Le père Alphonse est opposant aux deux mariages mais seulement temporairement et par ignorance, c’est donc un faux opposant qui se révèle finalement adjuvant à l’acte V. Ainsi, même Alphonse, l’opposant par excellence, celui qui retarde les deux mariages, se trouve en fait avoir un rôle ambigu : il est à la fois opposant et adjuvant. Il n’est donc pas possible de déterminer son rôle de façon unaire.
De même, Jacinte est certes adjuvante du couple de l’intrigue principale, surtout lorsqu’elle révèle les projets du duc à Fabrice et lui permet de sauver Climène, mais elle est aussi opposante, puisque son aveu se fait malgré elle, et qu’à plusieurs reprises elle est complice des entreprises d’enlèvement duc envers Climène.
Enfin, chaque couple a un rôle totalement ambivalent dans l’action. Il est à la fois retardateur du dénouement heureux de l’autre couple, et à la fois son adjuvant. Ainsi, Carlos dissimule Fabrice, il l’aide à revoir Climène, puis à combattre le duc. Il est adjuvant de Fabrice dans son périple vers le mariage avec Climène. Cependant son erreur à l’acte IV oblige les couples à rester sur place et retarde leur fuite conjointe. Son rôle est donc ici tout à fait inverse : il retarde le double mariage. De même, c’est la recherche de Climène qui occasionne la méprise d’Isabelle à l’acte IV. C’est donc l’intrusion de l’intrigue 1 dans l’intrigue 2 qui provoque une dispute, la séparation momentanée des deux amants, et le retard de leur dénouement heureux. En revanche, à la fin de l’acte V, le mariage de Fabrice et Climène entraîne celui de Carlos et Isabelle. C’est parce que l’intrigue 1 s’est dénouée que l’intrigue 2 peut elle aussi arriver à sa fin. À cet ultime moment donc, le couple Fabrice-Climène est adjuvant du couple Carlos-Isabelle, puisque leur hyménée est précurseur du deuxième.
L’exposition de la double intrigue §
Boileau veut, dans son Art poétique « Que dès les premiers vers l’action préparée / Sans peine du sujet aplanisse l’entrée », et précise qu’à ses yeux « Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué ». Selon Corneille dans ses Discours, la « protase » « doit fermer le premier acte ». Cet acte
doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l’action principale que pour les épisodiques, en sorte qu’il n’entre aucun acteur dans les actes suivants qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu’un qui y aura été introduit.
Jacques Scherer distingue plusieurs types d’exposition41. Nous en retenons ici deux :
– L’exposition par une scène entre un héro et un confident. Elle fait exposer l’intrigue au confident par le héros.
– L’exposition par une scène entre deux héros.
Le premier type d’exposition de notre pièce, dans la première scène de l’acte I, est celui qui se fait par une scène entre un héros et un confident. On fait exposer l’intrigue par le confident s’adressant au héros. C’est Clarine qui annonce à Carlos, et par-delà au spectateur, qu’Isabelle paie enfin son amour de retour. On sent ici quelque peu l’artifice du procédé : il s’agit d’exposer, d’autant que Clarine répète ici ce qu’elle a déjà dit avant le début de l’acte. L’amant exige une confirmation, ne pouvant croire à ce bonheur soudain. Peut-être veut-il aussi goûter son plaisir longuement en s’en délectant encore. Utilisant cette forme d’exposition, Quinault montre qu’il a bien retenu la leçon du Cid. Si Corneille a dû modifier les personnages de son exposition, c’est qu’ils choquaient la bienséance. Que le Comte converse familièrement avec une servante ne se pouvait pas alors concevoir. Voici quels furent Les Sentiments de l’Académie française sur le Cid : « Nous trouvons encore que l’observateur42 l’eût pu raisonnablement reprendre d’avoir fait l’ouverture de toute la pièce par une suivante, ce qui nous semble peu digne de la gravité du sujet, et seulement supportable dans le comique. » Corneille supprimera cette faute en 1660 dans un entretien entre Elvire et Chimène. Il est plus convenable qu’une suivante s’entretienne avec sa maîtresse, d’autant plus que le confident s’est peu à peu ennobli aux yeux du public, et sa transformation en ami facilite l’emploi de ce type d’exposition.
Le deuxième type d’exposition de la pièce est l’exposition par une scène entre deux héros. Ainsi, Fabrice et Carlos se retrouvent à la scène 2 de l’acte I, où l’on prend connaissance des éléments acquis de la situation du couple Fabrice-Climène par la bouche de Fabrice : « Mon hymen est conclu, l’on vient de l’arrester. » Cette rencontre inopportune pour Carlos, qui veut aller voir sa belle, l’est donc en revanche pour Fabrice, mais surtout pour l’auteur qui peut achever ici d’exposer la situation initiale. Ainsi, lorsque l’action commence, d’une part un mariage est conclu, et d’autre part un amour est réciproque. On croirait plutôt entendre une fin de comédie ici, mais c’est à quelques pas de la victoire que les amants vont se faire arrêter et devenir le jouet de vains obstacles et surtout de multiples quiproquos.
Interaction des deux intrigues §
Il s’agit pour nous ici de voir comment les conflits sont disposés au cours des cinq actes. À partir d’un dénouement simple (le double mariage), les obstacles se succèdent et structurent la pièce. Celle-ci étant construite sur deux intrigues simultanément, son étude doit se faire par le biais de leur interaction. Il sera donc question pour nous d’observer comment les deux intrigues s’entre-empêchent jusqu’à leur double dénouement heureux.
L’acte I pose les fondements de l’action. Il présente les couples en présence, leurs intrigues sur le point de se dénouer heureusement, puis dessine un réseau mêlé d’obstacles et d’aides qui ne feront que se décliner sous diverses formes par la suite. Cet acte se construit donc sur la succession de plusieurs obstacles aux deux intrigues, mais également sur leur enchevêtrement heureux. Même si les couples se trouvent entravés extérieurement et intérieurement, ils commencent déjà à se mêler, à reconnaître leurs intérêts communs et, par moments, à être chacun l’adjuvant de l’autre.
Au début de la pièce, les deux couples sont heureux mais non encore mariés. Le couple 1 est, lui, sur le point de se marier, il n’y a donc ni obstacle intérieur, ni obstacle extérieur à ce mariage. Le couple 2 en revanche, s’il ne connaît plus d’obstacle intérieur (Isabelle vient de faire dire son amour à Carlos), est empêché par un obstacle extérieur : Alphonse n’a pas connaissance de leur liaison et destine sa fille au couvent. C’est ici que les deux intrigues commencent à s’entrechoquer : Fabrice empêche Carlos de retrouver Isabelle. Il s’impose sur son chemin et le détourne de son objectif. Carlos ne pourra pas voir Isabelle tout de suite. Mais bientôt, Fabrice veut emmener Carlos dire bonsoir à Isabelle, ce qui au contraire rapproche Carlos de son objectif. Et dans un troisième retournement, Fabrice retarde Carlos, à cause de la venue de Climène dans la rue. Ainsi, si Fabrice emmène Carlos jusqu’au seuil du logis, il l’empêche d’entrer, et détourne l’action vers sa propre intrigue amoureuse. Car c’est alors que Climène apprend à Fabrice que le duc l’aime et que Fabrice doit fuir. Le premier obstacle extérieur est ainsi posé. En quelques scènes, les deux couples sont empêchés extérieurement.
C’est alors que Carlos joue le rôle d’adjuvant de Fabrice : il lui propose de le dissimuler chez lui afin qu’il demeure près de Climène. Ainsi Fabrice peut rester proche de l’objet aimé. On pourrait croire ici que le dénouement est proche, les amants pourraient fuir ensemble par exemple. Mais bientôt, deux obstacles s’opposent à Fabrice de façon très hostile, dont l’un est intérieur à son couple. Il surprend Climène à son balcon et croit que ses paroles d’amour s’adressent au duc. Il croit donc à la trahison de Climène, ce qui est un obstacle intérieur cette fois. Cet obstacle est aussi un faux obstacle, puisque la trahison de Climène n’est pas réelle mais imaginée. C’est le fruit d’un quiproquo. Mais ce quiproquo engendre de lourdes conséquences sur le déroulement de l’action. En effet, conséquence intérieur, l’amour de Fabrice se tourne en haine. Conséquence extérieure ensuite, Fabrice se fait poursuivre par les gardes du duc, qui finissent par le tuer. Une fois de plus, cet obstacle est faux puisque Fabrice n’est pas vraiment mort : on a tué quelqu’un d’autre à sa place. Cependant, cette mort étant l’objet de la croyance de tous les autres personnages, elle demeure un véritable obstacle au mariage, surtout aux yeux de Climène et du duc. Ainsi, le seul acte I pose tous les motifs de la pièce. Il dessine les forces en présence : deux couples d’amoureux, un père opposant, un duc ennemi, une trahison amoureuse. Mais surtout, il donne les thèmes principaux : le quiproquo dans la nuit (dès la scène 2), l’amour contrarié et dissimulé (du couple Isabelle-Carlos d’abord, du couple Fabrice-Climène ensuite), les faux obstacles. On s’attend donc déjà à voir ces obstacles tomber, les quiproquos se développer de façon comique, les couples lutter pour parvenir au mariage. La seule inconnue reste le comment.
L’acte II développe les motifs de dissimulation de l’acte I et mêle inextricablement les deux intrigues dans une tension accrue. Fabrice est dissimulé par Carlos, puis Carlos à son tour se dissimule dans la cachette de Fabrice, et chaque personnage devient la diversion de l’autre. C’est parce qu’Alphonse est préoccupé par Fabrice qu’il ne prête pas attention à la présence de Carlos chez Isabelle. De même, c’est parce que Carlos est présent et qu’il intervient pour tromper le duc que le masque et la dissimulation de Fabrice sont préservés. C’est la coprésence de Fabrice en tant qu’intrigue simultanée qui préserve l’intrigue amoureuse de Carlos et Isabelle. C’est aussi l’intrication de l’intrigue secondaire qui permet à Fabrice de se protéger des foudres du duc. Le motif du quiproquo est également repris ici, mais seulement par petites touches, le temps d’une scène. Il sera bien plus exploité dans les actes suivants. C’est la scène entre Isabelle et son père, qui permet à Quinault de divertir le spectateur d’un type nouveau de quiproquo. Car ici il n’est pas question d’un quiproquo concernant l’interlocuteur en présence, mais le discours. C’est bien le sujet de la conversation qui fait l’objet d’un malentendu, d’un dédoublement par la confusion respective des deux locuteurs. Isabelle croit qu’Alphonse parle de sa liaison secrète, tandis qu’il s’afflige de l’assassinat de son fils. Le mot « malheur » recouvre ainsi deux crimes, un crime amoureux, la liaison d’Isabelle, et un crime meurtrier et passionnel, l’assassinat de Fabrice. Ainsi, durant 20 vers, la plupart des vers sont autant de syllepses, le discours est très riche en signification, et excite l’acuité et la malice du spectateur, qui lui, sait tout.
L’acte III développe le motif du quiproquo encore, mais surtout celui de l’illusion et de la fausse mort. Alors que dans l’acte précédent, les deux intrigues ont été très mêlées, ici il n’est plus question que de l’intrigue principale. Cet acte se concentre sur la séparation tragique des deux amants, sur leur impossibilité à se retrouver (ils se manquent deux fois de suite), puis les unit à nouveau, levant ainsi l’obstacle intérieur. Acte jouant sur d’illusion, il est aussi celui où intervient la mine. Au cœur de l’acte III, la mine surgit des profondeurs de la terre, le monte-charge des dessous du théâtre. Cet effet spectaculaire vient donc renforcer l’atmosphère de songe et d’illusion. Quinault choisit d’isoler cet acte pour faire basculer la tension sur le couple principal. Ainsi, le rythme se ralentit un peu, et on peut plonger dans les profondeurs de cette intrigue, entrer plus avant dans l’action. C’est donc un savant découpage rythmique que fait ici Quinault, il utilise l’intrigue secondaire comme respiration, comme divertissement à l’intrigue principale, et surtout comme principe rythmique dans la structure de la pièce. Il est donc judicieux de briser brusquement le va-et-vient constant entre les deux intrigues pour enfin donner l’occasion au spectateur d’entrer dans l’action, de s’identifier aux personnages, et de se concentrer sur une tension dramatique particulière.
Le motif de la fausse mort est ici très présent, qui annonce le coup de théâtre final. La mort est présente sur scène, dans le corps pâle et errant de Climène, dans son corps gisant à terre, évanoui. Mais elle est surtout présente dans les esprits, et partant, dans le discours. Elle est l’objet du discours, et même, dans les stances de Climène, le destinataire du discours. La mort est dans les discours, tour à tour, de Climène, qui croit Fabrice mort et s’en plaint au dedans d’elle même en parcourant les allées du jardin, de Fabrice ensuite, qui la voit à terre et la croit aussitôt trépassée. Ainsi, la mort est partout et nulle part : Fabrice apparaît des antres de la terre comme un spectre aux yeux de Climène mais n’en est pas vraiment un ; la terre semble s’ouvrir vers les ténèbres mais c’est en fait une simple mine qui sort de dessous terre ; Climène est morte aux yeux de Fabrice mais ne l’est pas véritablement, elle invoque la mort mais se résigne à vivre. On peut donc en conclure que, plus que la mort, c’est une illusion de mort, une évocation de la mort par le discours et la chorégraphie des corps, une invocation de la mort par les prières de Climène, qui est en jeu dans cet acte III.
L’acte IV et l’acte des quiproquos dans la nuit. Alors que l’intrigue 1 semblait sur le point de se dénouer puisque Climène et Fabrice se sont retrouvés et expliqués, elle va à nouveau être mise en péril. Les amoureux sont toujours dans le jardin, sous la tutelle de la lune permissive cette fois, et parmi les allées sombres se rencontrent des ennemis en nombre. Valère retient les amants et fait fuir Fabrice. Carlos se mêle à leur intrigue en tentant d’emmener Climène avec lui. Mais il est le sujet d’un quiproquo, emmenant Isabelle à la place de Climène. Ainsi, à cet endroit des intrigues, les deux femmes sont interchangées, le rôle d’amoureuse est comme fusionné et confond les deux intrigues.
C’est cette confusion qui viendra engendrer les derniers obstacles au mariage dans l’acte V. Par l’erreur de Carlos, un obstacle interne au couple 2 surgit au début de l’acte V. Isabelle croit à l’infidélité de Carlos. Puis surgit son père qui veut d’abord sa mort, puis consent à leur mariage. Le dénouement est donc tout proche pour ce couple, mais il ne sera pas possible tant que l’autre couple ne sera pas heureux. En effet, dès qu’Alphonse a calmé ses foudres et accordé son consentement, il exprime sa préoccupation pour la vie de son fils, et cette préoccupation empêchera qu’il puisse véritablement permettre le mariage de sa fille. Ainsi, il faut attendre que Fabrice ait trompé le duc et obtenu de lui la vie et la main de Climène pour que tous les obstacles soient écartés. Autrement dit, c’est le duc qui fait ultimement figure d’obstacle, de figure paternelle forte et rigoureuse. Lorsque ce personnage a accepté ses erreurs, avoué sa méconduite et renoncé à ses instincts passionnels et meurtriers, l’obstacle peut se lever, les intrigues se dénouer ensemble.
De Calderon à Quinault, inspiration et adaptation §
Quinault ne copie pas le modèle espagnol, il ne subit qu’assez peu et accidentellement l’influence de la comédie espagnole. Les Coups de l’Amour et de la Fortune et le Fantôme amoureux sont écrits à une époque où plupart des auteurs, quand ils écrivent une tragi-comédie, se sentent obligés d’aller chercher leur inspiration en Espagne. Mais ces deux pièces ne sont guère espagnoles que par leurs sources.
Elles n’ont conservé des originaux ni l’exubérance du style, ni l’abondance de la matière, ni le lyrisme, ni la poésie : ce sont des œuvres romanesques, certes, mais claires, sèches, et de souffle court. On ajoute Les Rivales et la Généreuse Ingratitude et voilà : la part de l’Espagne est maigre dans l’œuvre de Quinault43.
Ses pièces d’inspiration espagnole sont de loin plus françaises qu’espagnoles, et ne gardent de leur source qu’un parfum exotique alors très en vogue. Etienne Gros souligne la part prépondérante d’adaptation et de francisation en œuvre chez Quinault : « Comme dans les Coups de l’Amour et de la Fortune, Quinault allège, simplifie, clarifie : il francise44. » Car il suffit de considérer la troisième journée de Calderon, et on aperçoit une suite d’imbroglios, un véritable casse-tête. Or, on ne le trouve pas chez Quinault, il a balayé cette complexité foisonnante pour une intrigue certes double, mais plus proche du classicisme français que du baroque espagnol.
Du Galan fantasma au Fantôme amoureux, Quinault élague, simplifie, met en valeur l’intrigue principale, y rattache discrètement et stratégiquement l’intrigue secondaire, et garde les éléments clés de la pièce source. Quinault a transposé l’action à Ferrare au lieu de la situer en Saxonie, comme avait fait Calderon. Quinault suit Calderon d’assez près, mais son interprétation est très libre, conforme au goût français. Si Quinault a modifié le cadre général, il ne s’agit que d’une Italie de façade où les Ferrarrais s’appellent Carlos et Jacinte. Il a donc substitué des noms italo-espagnols aux prénoms italiens des saxons de Calderon.
Les ressorts comiques restent les mêmes (quiproquos dans la nuit et dissimulations en tous genres), les éléments fondamentaux de l’action sont préservés (le faux fantôme et le passage souterrain). Seule est opérée une rééquilibration de la construction d’ensemble, une restructuration du rythme, recadencé à la française. Lancaster donne la clé du rapport entre les deux pièces :
Malgré les changements, l’intérêt principal demeure dans les situations de surprise, rendues possibles, comme chez Calderon, par un prétendu fantôme et un passage souterrain, auxquels Quinault ajoute un mur pivotant45.
Ainsi, de la pièce source, tous les motifs dramatiques et comiques sont maintenus, mais sont redimensionnés par Quinault, afin qu’ils soient à la mesure du goût français. Les intrigues sont également reconduites dans leurs grandes lignes mais rééquilibrées d’une part l’une par rapport à l’autre, d’autre part raccourcies et simplifiées dans leur ensemble pour mieux s’adapter à la durée réglementaire française. Le travail de Quinault, à partir de là, est un travail de recombinaison dramaturgique, de sélection des séquences-source à représenter sur scène, de sélection des narrations à maintenir, supprimer ou raccourcir, de remodelage et d’anoblissement des caractères, de sublimation du discours vers une sonorité plus élégante et plus précieuse.
Réduction du personnel dramatique et anoblissement des caractères §
Quinault adoucit et polit chaque caractère de la pièce, il élève les mœurs et anoblit les coeurs. Avant tout, il supprime le gracisio. Car ce personnage n’était pas bien vu des délicats : « les spectateurs français de la comédie espagnole montrent une certaine répulsion pour ce personnage qui force le rire dans les moments de tension dramatique46. » Sa versatilité est très forte. Quinault supprime le gros rire certes, cependant il maintient cette part de versatilité à faible degré. Si le gracioso n’est plus présent sur scène en tant que tel, l’humour burlesque qui lui est propre se retrouve dans la propension de chaque scène à mener des hauteurs tragiques sublimes au ridicule de personnages faibles, hésitants ou couards.
Il a également réduit le nombre de personnages : les six personnages nobles sont conservés, mais ce sont les rôles de valets qui disparaissent. Disparaît chez Quinault le gracioso, valet couard, ses amours burlesques avec les deux servantes, qui servaient de repoussoir à celles, pleines de grandeur, de ses maîtres. Les graciosos et les graciosas sont des types qu’on ne peut pas transposer tels quels sur la scène étrangère. Disparaissent Porcia et Lucrecia : les criardas de Calderon sont promues au rang de suivantes, à cause de la noblesse de leur maîtresse. Quinault les rend moins libidineuses, mais tout aussi immorales et vénales, et ne leur hôte pas leurs conseils lubriques. Ainsi, Jacinte et Clarine sont anoblies, ont le statut de suivantes, leurs maîtresses sont nobles, elles s’expriment dans un langage châtié. Cependant leur caractère demeure relativement bas : toutes deux sont vénales et infidèlels. Jacinte n’hésite pas à trahir sa maîtresse en aidant le duc à l’enlever, Clarine permet à Carlos de rendre visite à sa maîtresse à des heures fort indécentes, car celui-ci la paie de façon satisfaisante. Peureuses également, et dénuées de la vertu de courage, elles adoptent facilement des comportements ridiculement comiques sur scène : Jacinte est très superstitieuse, elle croit au fantôme de Fabrice et lui avoue tous ses méfaits avant même que celui-ci ne lui demande aucune chose. Elle suit peureusement sa maîtresse dans le noir, et refuse de passer devant pour la conduire. De ces comportements vils, Lancaster donne son point de vue critique : selon lui, « la psychologie de Quinault est particulière47. » Ainsi, il prend soin de noter tous les comportements particulièrement vils ou violents des personnages, la morale toute relative des caractères, et, paradoxalement, la sympathie que le spectateur peut éprouver pour ces mêmes personnages. Et cela est très ambiguë et très vrai : bien que ces suivantes soient loin d’être vertueuses, elles provoquent la sympathie, la compassion indulgente, la distance amusée. De même, bien qu’Alphonse fasse preuve d’une désintérêt certain pour sa fille qu’il destine au couvent et à laquelle il ne lègue pas d’héritage, bien qu’il menace crûment de la tuer lorsqu’il apprend sa liaison, cela n’ôte rien à la sympathie que nous éprouvons pour ce père soucieux du devenir de ses enfants. C’est peut-être qu’il est peint de façon très ambivalente, à la fois aimant et intransigeant, opposant et complice.
Les personnages du fantôme et de Climène ont particulièrement été remaniés. Esprits et fantômes faisaient partie des ressorts traditionnels de la tragi-comédie, toujours à la recherche de l’effet spectaculaire. Mais, chez Calderon, l’apparition surnaturelle était à ce point effrayante que la folie s’emparait de l’héroïne. Quinault préfère atténuer le tout. Climène n’ira que jusqu’à perdre un peu la raison et le goût de la vie, se laissant errer dans les allées du jardin. De même, les apparitions du fantôme n’engendrent tout au plus que l’effroi comique des personnages. Pour compenser cette perte d’intensité dramatique, il rend les tirades de Climène si lyriques qu’elles ressemblent à s’y méprendre à l’un des plus beaux airs de cours du temps, le fameux monologue « Ombre de son amant » de Michel Lambert. Ainsi, Quinault sublime le paysage-source, il adoucit les traits originaux et les rend appréciables par le public français exigeant et policé. À la frayeur violente il substitue l’effroi comique, à la folie l’affliction lyrique, au gros rire un fin humour aux accents burlesques.
Une certaine concentration spatio-temporelle §
Sur la scène théâtrale, vers le milieu du siècle, la tendance est à la concentration dramatique. La tragi-comédie se fait plus sobre et se soumet aux règles. C’est en effet après 1640 que le lieu de la plupart des tragi-comédies tend à se resserrer. Sous l’action des règles, la tragi-comédie s’est assagie. Elle devient sentimentale et langoureuse, observant les bienséances, évitant le gros rire, les situations scabreuses, la trivialité, mais gardant les scènes et personnages comiques.
Bien que, dans notre pièce, la durée de l’action dépasse légèrement les 24 heures réglementaires, et bien que le lieu ne soit pas unique mais bien multiple, ces deux aspects de l’action ont été, autant que possible, soumis aux règles des unités, depuis leurs dimensions espagnoles originaires très baroques. La multiplicité de lieux contenus dans la pièce source est maintenue dans un décor à compartiments multiples, alléguant avec La Mesnardière que l’unité de lieu n’engendre pas nécessairement la représentation d’un lieu unique :
La scène, autrement le lieu où l’action a été faite, désignant pour l’ordinaire une ville tout entière, souvent un petit pays et quelquefois une maison, il faut de nécessité qu’elle change d’autant de faces qu’elle marque d’endroits divers48.
La Mesnardière, partisan de la décoration simultanée, permet de se servir d’un grand nombre de chambres, tout en réduisant l’étendue du lieu, et en proscrivant des pays différents et les diverses parties du monde. Quinault parvient à respecter cette conception large de l’unité de lieu selon laquelle il y a unité lorsque le lieu est une petite région dans laquelle on peut se déplacer en peu de temps. L’essentiel est de bien distinguer les lieux, c’est-à-dire les compartiments sur la scène,
car il faut que les spectateurs distinguent, par ces différences, la diversité des endroits où les particularités que le poète aura démêlées seront exactement dépeintes et que les distinctions de scène empêchent que l’on ne trouve de la confusion en ces lieux49.
Ainsi, pour ne pas égarer le spectateur, on distinguera nettement quatre lieux. D’une part à l’intérieur, les appartements de Carlos et Climène ; d’autre part à l’extérieur, le jardin de Climène et la rue devant les logis. Le lieu reste limité à l’espace de deux maisons et de leurs alentours immédiats, ce qui demeure simple pour le spectateur, et relativement conforme aux règles. Ainsi, d’une fable complexe et prolixe contenant plus de trois maisons, un jardin, un souterrain secret et plusieurs rues, il a fallu extraire un lieu simple bien que permettant de contenir plusieurs compartiments. Calderon ne fut pas confronté à un tel problème, le théâtre espagnol ne laissant que très peu de place au décor, et donnant en revanche une très large part aux descriptions baroques des lieux, lieux multiples et explorés par le biais de l’imagination au cours de l’action.
Alors que dans la pièce espagnole, l’action était divisée en trois longues journées, elle se réduit avec Quinault à 24 heures approximativement, c’est-à-dire une durée d’une journée encadrée de deux nuits. On peut ainsi affirmer que Quinault, s’il ne suit pas à la lettre les principes très fermes de Chapelain, qu’il a néanmoins respecté le principe d’Aristote selon lequel l’action doit « [s’efforcer] de s’enfermer, autant que possible, dans le temps d’une seule révolution du soleil, ou de ne le dépasser que de peu50 ». Les théories sur le temps étant plus faites d’après expérience (Quinault réduit le lieu à une seule pièce dans une seule de ses tragi-comédies), il est essentiel de rappeler que leur principe fondamental est celui de la vraisemblance. D’Aubignac énonce en effet que « la vraisemblance… doit toujours … être la principale règle, et sans laquelle toutes les autres deviennent déréglées51 ». L’essentiel, c’est que la représentation laisse place à une certaine projection, à une certaine identification, pour que le spectateur puisse y croire et se perdre, le temps de la représentation, dans l’illusion. L’idéal selon les plus réguliers, serait de faire coïncider le temps de la représentation avec le temps de l’action, ce qui sera la limite de laquelle il faudra s’approcher dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Pour la période qui nous concerne, on s’en tiendra au résumé de Corneille qui, en 1660, énonce dans son troisième Discours :
[...] ne nous arrêtons point ni aux douze ni aux vingt-quatre heures ; mais resserrons l’action dans la moindre durée qu’il nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux et soit plus parfaite.
Ainsi, on trouve dans notre pièce une limitation du temps à 24h à peu près, de la nuit à la nuit. On passe certes d’un début de nuit à une fin de nuit, d’un soir à un petit matin, mais le cadre temporel respecte la règle de vraisemblance, car après tout, en un jour et deux nuits, il ne se passe rien, pour ainsi dire, et personne n’opère de déplacement spectaculaire. Allons même plus loin, personne ne parvient à se déplacer du tout. En un mot, dans un monde d’illusions et de simulacres, où chacun menace ou feint de s’éloigner sans jamais franchir le seuil de la parole, le divertissement peut réussir sans provoquer l’invraisemblance.
Un exemple de resserrement de la durée §
Certaines scènes ont été supprimées. L’unité de temps a été obtenue par la suppression de longs passages. Prenons, par exemple, la blessure reçue par le galant dans la pièce originale. Dans la comédie de Calderon, cette blessure avait pour avantage d’expliquer la mort supposée du héros, mais elle exigeait trop de temps pour que le héros puisse courir et revenir sur scène. La construction de Quinault est donc beaucoup plus logique et plus resserrée. Il supprime la blessure et le récit du héros, et laisse le spectateur dans l’ignorance durant quelques scènes. Ainsi, lorsqu’on apprend à l’acte II que Fabrice n’est pas mort, la surprise est plus grande et plus agréable, le secret gardé par quelques personnages seulement, et la tension plus grande et mieux construite. Quinault transforme donc les éléments de Calderon en une véritable tragi-comédie classique. Ainsi, si la donnée est celle de Calderon, Quinault l’organise autrement. Même si la tragi-comédie est un genre libre, on ne pouvait plus faire fi, à cette date, des règles d’unité de temps et de lieu.
Une action toujours complexe dans un discours simplifié §
Selon Jacques Scherer52, la notion d’unité d’action a connu une évolution notable après 1640. Notre pièce se situe bien dans cette évolution qui va vers la concentration dramatique. Après 1640 environ, chaque action accessoire doit exercer une influence sur l’action principale. On trouve cette dernière interaction dans notre pièce. Si l’intrigue principale a des répercussions sur quelques obstacles pour les amants de l’intrigue secondaire, cependant c’est surtout l’intrigue secondaire qui vient nourrir et faire rebondir l’intrigue principale. À l’acte I, Fabrice empêche Carlos d’accéder à son rendez-vous amoureux, mais cet obstacle est très vite levé, car une scène plus tard, la rencontre se fait. L’interaction n’est donc pas déterminante pour l’intrigue secondaire. À l’acte V, la méprise de Carlos est due à la présence de Climène et à l’implication de Carlos dans l’intrigue principale. Cependant le différend est réglé en une scène, et l’intrigue principale, en somme, ne sert qu’à dissimuler leur intelligence secrète, et à préserver leur amour. En revanche, leur implication dans l’intrigue principale est déterminante dans le cours que prend l’action. C’est l’aide de Carlos qui permet à Fabrice de rester sur place, à Ferrare. De fait, c’est aussi par cette aide qu’il se fera poursuivre par les gardes puis passer pour un fantôme. C’est ensuite grâce à l’aide d’Isabelle que Fabrice peut demeurer à l’abri des foudres du duc. C’est elle qui le cache dans son cabinet à l’acte II, rejointe dans son secours par Carlos, qui va au devant du duc pour le tromper et l’assurer de la mort de Fabrice. Ainsi, ces deux personnages secondaires ont à plusieurs reprises pour rôle de maintenir le quiproquo aux yeux du duc. Ainsi, l’action secondaire est véritablement dépendante de l’action principale, et l’action principale ne serait plus du tout la même si l’on supprimait l’action secondaire.
Si Carlos et Isabelle n’étaient pas là, il n’y aurait pas de personnage adjuvant de Fabrice dans sa dissimulation, ni même de lieu voisin où dissimuler Fabrice, ni de quiproquo dans la nuit dotés de ressorts comiques et capables d’opposer des obstacles au dénouement attendu. Sans ce couple ami pour dissimuler Fabrice, soit Fabrice partirait pour Florence, soit il serait tué par le duc, et dans les deux cas il ne pourrait y avoir de fantôme amoureux. On voit donc ici combien le simulacre du fantôme repose sur le personnage adjuvant de Carlos. Ainsi, c’est par un va-et-vient constant hors de l’intrigue principale vers l’intrigue secondaire que l’action peut se tisser et se colorer de péripéties qui tiennent le spectateur en haleine.
Dans une telle intrigue multiple, Quinault s’efforce de suivre le principe de D’Aubignac selon lequel l’intrigue complémentaire doit être « tellement incorporée au sujet principal, qu’on ne les puisse séparer sans détruire tout l’ouvrage. » Or l’intrigue Carlos-Isabelle n’est, selon le mot d’Etienne Gros, qu’un « hors-d’œuvre53 » : leur histoire ne saurait subsister sans celle de Climène et Fabrice. Dans toute leur intrigue, on ne trouve en effet que peu de péripéties : une dans le premier acte, deux dans le deuxième, et cinq dans le dernier. Ils disparaissent ainsi durant deux actes sans que personne ne s’en émeuve. D’autant qu’aucun personnage ne semble vraiment s’intéresser à cette intrigue : ce désintérêt va même jusqu’à l’ignorance complète de cette intrigue amoureuse par le père durant quatre actes, et lorsqu’au dernier acte Alphonce découvre l’affaire, il ne fait que se jouer un instant des deux amoureux dont il se soucie peu. En réalité il s’inquiète surtout pour son fils, qu’il préfère de toute évidence à sa fille. À la fin de la scène 2 de l’acte V, il va même jusqu’à dire sa relative indifférence pour cette intrigue : son aparté « Feignons encor pourtant » montre bien qu’il n’a voulu que s’assurer des bonnes intentions de Carlos, et qu’il ne fait que s’amuser de cette situation. Certes cette situation a déchaîné chez lui de violents élans de colère, mais ces démonstrations avaient simplement pour rôle d’éprouver l’amour des deux jeunes gens, et surtout les intentions de Carlos. Sachant que Carlos est bien intentionné et qu’il est surtout bien pourvu en argent, il ne s’y oppose plus. On peut ainsi en conclure que le père n’est opposant à cet amour que tant qu’il n’en a pas connaissance, ce qui fait de lui un faux opposant, du moins un opposant par ignorance. Ainsi, dès qu’il apprend le bien fondé de cette alliance secrète, et les ressources du prétendant, il accorde aussitôt sa bénédiction. Si la résistance est si ténue dans cette intrigue, c’est que ces personnages ne servent que de ressort à la tension dramatique principale. Rien n’est plus divertissant qu’une histoire à plusieurs intrigues, qui sait insérer des respirations aux moments les plus propices, et tenir en haleine le spectateur d’un bout à l’autre, sans jamais l’avoir ennuyé. Ainsi, même si l’intrigue d’Isabelle et Carlos n’est pas rendue particulièrement palpitante, cela est fait à dessein, car cette intrigue a pour rôle d’exciter la curiosité du spectateur, de le maintenir dans une attente constante, et de le divertir du drame principal.
Exemples d’accélération de l’action §
Quinault fait appel à certaines accélérations pour unifier l’action : les trois premières scènes de l’acte I, la plus grande partie de l’acte II, et plusieurs scènes de l’acte III ne ressemblent guère à l’original. La conduite d’un personnage peut être attribuée à un autre.
Quinault ne cherche pas à approfondir la psychologie des personnages ou à faire une satire des mœurs. Il préfère, comme dans l’original, faire reposer l’intérêt sur l’ingéniosité de l’intrigue où un simple souterrain suffit à provoquer quiproquo, surprise et effroi.
La réduction des personnages a engendré la suppression des scènes de valets, et a permis par là l’unité d’action. Ainsi on est passé de trois intrigues parallèles à deux dont la deuxième est si dépendante de la première qu’on peut considérer que l’action est vraiment une.
La disposition de l’intrigue est profondément modifiée : l’ordre des scènes est inverti. Par exemple l’acte II scène 3 correspond à la 2e journée.
La matière d’une scène est parfois transportée à une autre. Ainsi l’acte III scène 3 où Climène évoque l’ébranlement de la terre et le déracinement des arbres, juste avant de s’évanouir, est contenu dans la troisième journée où Julie les énumère à la scène suivante, après sa pamoison.
Quinault a aussi parfois fait une scène unique de ce qui faisait la matière de plusieurs scènes. Ainsi l’acte II scène 10 comprend les éléments de la deuxième et de la troisième journée.
Quinault a supprimé des longueurs : dans la deuxième journée, il supprime le monologue de Fabrice et l’allusion à la légende de Daphné. Il supprime la blessure du héros, blessure qui nécessite plusieurs jours dans la pièce espagnole, pour être soignée.
Il a aussi supprimé des épisodes inutiles. Par exemple dans la deuxième journée, le récit d’Astolfo à Julie.
Il a supprimé les redondances de style.
Il a réduit le dialogue de la première journée entre Astolfo (Fabrice) et Carlos et l’interminable tirade où Carlos expose à son ami le détail de l’histoire de la mine. Ils sont réduits par Quinault à 46 vers.
Il réduit aussi le récit de Julie au duc dans la deuxième journée, à une seule scène, la scène 3 de l’acte III.
Quant à l’acte V scène 5, c’est une invention de Quinault. Il invente donc le faux mur et l’ultime scène de quiproquo, peut-être la plus comique, mettant en scène les deux plus grands ennemis de la pièce enfin en présence. Aveuglés qu’ils sont par l’ombre du passage secret au bout duquel ils se trouvent, ils sont incapables de s’affronter vraiment.
Des mœurs espagnoles aux mœurs françaises §
Certaines caractéristiques de la comédie espagnole ont été directement reconduites dans la pièce française. Susceptibles de surprendre voire de choquer le spectateur français, il nous faut ici éclaircir certains points.
La mère n’apparaît jamais dans les comédies espagnoles, ou seulement pour marcher avec la noble gravité de l’austère épouse. Ainsi, aucune mère n’apparaît dans la pièce. Seule la mère de Carlos est mentionnée au vers 1213 par le duc, pour assagir l’esprit tourmenté de Climène, mais jamais il n’en sera plus fait mention, et encore moins la verra-t-on paraître sur scène. Les mères de Fabrice, Isabelle ou Climène ne sont pas même évoquées. On retrouve ici un schéma patriarcal très fort, le père étant le principal opposant au mariage pour Isabelle ou adjuvant pour Fabrice.
Le rôle autoritaire du père sur l’honneur de sa fille s’exprime de façon beaucoup plus violente en Espagne. C’est cette violence d’Alphonse qui pousse Cioranescu à juger la psychologie de Quinault de « particulière54 ». On peut élaborer ici l’explication selon laquelle cette psychologie n’est pas créée de toutes pièces par Quinault, même simplement un résidu de l’âme espagnole du caractère originaire d’Alphonse. La scène 2 de l’acte V peut choquer par l’animosité aussi abrupte que virulente d’Alphonse envers sa fille. Cet emportement est si imprévu et excessif qu’il peut porter à rire alors qu’il vise au tragique. Isabelle, depuis le début de la pièce, garde farouchement son honneur, se jouant de l’obéissance de son amant éperdu, ne lui cédant rien, l’éprouvant par maints stratagèmes. De plus, ce n’est que par erreur, par un malencontreux quiproquo, qu’elle vient de retrouver son amant dans la scène précédente, ce qui a donné lieu non à une scène d’amour, mais à une dispute animée. Et pourtant, le père vient les surprendre au moment fatidique de leur réconciliation. Il entre donc au seul moment de leur entretien qui puisse porter au quiproquo. Ce n’est qu’un vers qui suffit à exciter le courroux d’un père qui se croit trahi : « Mes soupçons à Carlos font sçavoir que je l’ayme. » Peu importe alors que l’amante émette des soupçons à l’égard de son amant. Il est question d’amour, et la seule idée d’un tel amour est punissable de mort. C’est Isabelle elle-même qui annonce immédiatement quel sera son propre châtiment, son crime fut-il en paroles seulement : « Il faut me disposer à mourir de sa main ». Alphonse ne la contredira pas, au contraire, il s’entêtera durant toute la scène à vouloir la voir mourir. Ce comportement s’explique aisément : comme il est entendu que le père risquerait sa vie pour venger sa fille à la plus légère imprudence de l’amoureux, il n’est pas étonnant qu’il ait le droit de la tuer si elle désobéit éhontément. Cette sentence funeste, qui peut paraître disproportionnée par rapport au peu de mots qu’Alphonse a surpris, Martinenche nous l’explique plus avant :
[...] père et frère sont responsables de la fille et sœur, et leur honneur exige le plus effroyable châtiment. Il n’est pas besoin d’une faute réelle pour qu’une tâche rejaillisse sur l’honneur et demande une sanglante réparation. Le moindre soupçon y suffit.
C’est bien d’un soupçon qu’il s’agit ici, car Alphonse n’a presque rien entendu de leur échange, et le simple mot d’amour intercepté à la volée justifie la mort de celle qu’il vouait au couvent. Il ne voudra pas en savoir davantage, pour lui le crime sera certain, et Isabelle n’aura pas l’occasion de défendre son innocence. Elle ne cherchera qu’à mourir par la main de son père, pourvu que ce soit au nom de son amour. C’est dans le tournant tragiquement funeste de la scène que l’on trouve un accent éminemment espagnol, cette ardeur mêlée d’un honneur gardé très farouchement.
Au XVIIe siècle, dans la littérature française, les hommes ont le droit de déclarer leur amour aux femmes qui leur plaisent. Les femmes, en revanche, n’ont point ce droit. D’Aubignac précise qu’« il ne faut jamais qu’une femme fasse entendre de sa propre bouche à un homme qu’elle a de l’amour pour lui55 ». Il leur faut alors trouver toutes sortes de subterfuges pour contourner cet obstacle, et l’aveu doit faire rougir celle qui le laisse échapper. C’est pourquoi Isabelle use de tant de détours pour atteindre celui qu’elle aime, et que même lorsqu’elle s’adresse à sa suivante elle exprime une certaine forme de honte dans sa pudeur. Contrairement à la « Dame Fantôme » et à ses audacieuses avances, Isabelle ne va pas aux devants de son amant pour lui annoncer la réciprocité de ses sentiments. Elle ne le fait même pas dire simplement par l’intermédiaire de sa suivante, mais monte un stratagème bien plus complexe : elle dicte à Clarine tout un discours faux par lequel celle-ci doit prétendre trahir sa maîtresse en révélant un secret que jamais elle n’aurait dû déceler. L’amour est un aveu bien douloureux pour une femme, et ne se dit que comme on révèle un crime. À la scène 1 de l’acte II, Isabelle retrouve Clarine et s’enquiert avec soin du succès de son stratagème. Même à sa confidente elle ne dit pas son amour comme tel, de façon directe : « Il faut que je t’avoüe /Que j’ay quelque plaisir, quand j’entens qu’on le loüe. » Ce n’est que ce plaisir de l’entendre louer qu’elle avoue à la femme la plus proche d’elle-même, plaisir qui n’est pas lié de façon évidente à un sentiment amoureux. Ce n’est que par la retenue et par la forme de l’euphémisme qu’elle peut exprimer son amour, si elle veut répondre aux exigences de bienséance. Ce « quelque plaisir » recouvre et remplace sur ses lèvres ce que son cœur nommerait sa flamme ardente s’il se pouvait exprimer sans détours. Mais ce n’est pas là l’objet : Isabelle veut savoir comment sa confidente a opéré la délicate tâche de donner une réponse à l’amour de Carlos sans en avoir l’air. Ce que veut savoir Isabelle, c’est « de quelle maniere » il a appris la chose, l’essentiel étant pour elle qu’il ne l’ait pas pris pour un aveu de sa maîtresse mais pour une confidence réprimable d’une suivante prolixe et incontinente. Quinault, par la bouche de Clarine, raille doucement ce procédé alambiqué : « Vous craignez qu’il le sçache, & luy faites apprendre ». On ne sait ici de qui l’on doit rire : de la complexité confinant au ridicule de la maîtresse, ou bien de la bêtise de sa suivante. Mais ce court échange permet à Isabelle de s’expliquer sur son comportement tortueux, et c’est alors qu’elle en nomme la raison : « La pudeur que le Ciel dans nostre Sexe a mis, /En matière d’amour ne se croit rien permis ». C’est la pudeur inhérente à son sexe qui lui interdit de rien dire sur ses sentiments. Cette pudeur toute précieuse qui fait parler les femmes par circonlocutions et euphémismes, c’est ce qui rendra l’âme de l’amante bienséante sinueuse et complexe, objet mystérieux que toujours l’homme cherchera à déchiffrer. De sa pudeur, Isabelle avoue qu’elle « Ne sçauroit, sans rougir, [lui] laisser dire, j’ayme ». Cette pudeur est synonyme de « honte » pour la femme qui a opéré ce « changement » en son cœur, y voyant naître l’amour, et si l’amour doit se dissimuler au mieux, cependant les traits de la honte eux seuls seront visibles dans l’empourprement du visage. Quinault parvient ainsi à respecter les bienséances tout en se jouant de ce qu’elles peuvent avoir d’affecté et de dérisoire. Si dans les vers de Quinault, l’amante doit être pudique et réservée, cependant elle ne reste pas assujettie à ces règles qui la veulent muette et docile, mais les utilise pour les renverser et se jouer de son amant comme on manipule un sujet.
Les morts très sanglantes sur scène ont subi une évolution en France un peu plus rapidement qu’en Espagne. Car si en 1656 Quinault s’éloigne de la pièce de Calderon en plaçant, astucieusement et selon la bienséance en vigueur, le meurtre de Fabrice hors scène, en France, au début du siècle, le public faisait preuve d’un certain goût pour les morts horribles sur scène. Nulle restriction, on aimait mettre en scène les morts les plus affreuses. C’est à partir de 1630 que les bienséances interdisent les spectacles sanglants et les exhibitions de cadavres. On évoque alors par le dialogue ce qu’on ne montre plus. Puis, vers le milieu du siècle, on bannit également du dialogue cette violence. La bienséance est une exigence morale, elle demande que la pièce ne choque pas les goûts, les idées morales, les préjugés du public. D’Aubignac précise ainsi que « la scène ne montre point les choses comme elles ont été, mais comme elles devraient être ». Le devoir être et l’être s’opposent comme la fiction à la réalité. À partir du milieu du siècle, on refuse d’aller au théâtre pour voir le réel dans toute sa violence et dans son pittoresque, mais on veut y voir un idéal de bienséance et de noblesse, de galanterie et de grandeur. Quinault se situe dans cette voie, mais est encore à mi-chemin, car s’il supprime visuellement la violence et le sang de la scène, il les maintient cependant sonorement, dans le discours de Carlos lors de sa description du spectre au Duc, à l’acte II scène 10. Le vers 691, particulièrement, peut choquer les bienséances : « Un sang livide & noir luy sortoit de la bouche ». Une telle description est le signe que l’on se trouve entre la volonté d’épuration scénique bienséante voulue par d’Aubignac et un certain pittoresque espagnol.
De l’escarpin de la tragédie au cothurne de la comédie : le savant tissage des ressorts tragiques et comiques §
Le quiproquo, un ressort comique essentiel §
Rares sont les scènes sans quiproquo dans la pièce, et le fondement même de l’intrigue principale en est un. Elle repose en effet sur la croyance erronée des personnages en la mort de Fabrice. Cette croyance entraîne deux quiproquos : d’une part la substitution du cadavre mal identifié au corps de Fabrice, d’autre part la substitution de Fabrice-fantôme à Fabrice-vivant. Tout le monde prend le mort pour Fabrice, puis Fabrice lui-même pour un fantôme. C’est à ce quiproquo que viendra prendre sa source toute la veine tragique de notre pièce, mais d’où jailliront aussi tous les flots comiques. Le quiproquo a en effet avant tout une fonction comique forte dans la mesure où il provoque les erreurs des personnages sous l’œil amusé du spectateur. Il a également une fonction de révélateur des intentions ou sentiments secrets dans la mesure où chaque personnage en situation de quiproquo est enclin à faire des confidences inappropriées.
Dans l’analyse de Jacques Scherer sur le quiproquo, il développe un concept fort intéressant pour l’analyse de notre pièce : le faux obstacle. « Un obstacle imaginaire peut fournir le nœud d’une pièce, ou un élément de ce nœud, tout aussi bien qu’un obstacle réel56. » Il prône ici la supériorité du faux obstacle : non seulement il produit les mêmes réactions dans l’âme du héro, mais encore il est beaucoup plus facile à écarter, puisqu’il est faux. Il suffira que le héro s’aperçoive de son erreur. Il s’agit bien de faux obstacles dans notre pièce, puisque tous les obstacles sont des quiproquos, c’est-à-dire des erreurs, des malentendus, des empêchements plus imaginés que réels. Seule la menace du duc est un véritable obstacle au mariage de Fabrice et Climène, qui ne sera écartée qu’après de multiples faux obstacles, obstacles intérieurs et fruits d’erreurs des amants.
C’est la fonction du quiproquo dans l’action qui nous intéresse ici. Il assure une complicité entre l’auteur et le public. Les conversations à double entente donnent le plaisir au spectateur de connaître un secret que ne partage pas le personnage. Le spectateur se sent supérieur au personnage qui ne comprend pas le quiproquo. C’est le cas de l’acte III scène 7, où Jacinte croit voir le fantôme l’attaquer et la menacer. Le spectateur sait qu’il ne s’agit que du Fabrice humain et inoffensif, et l’alarme de la suivante s’en trouve d’autant plus absurde et risible. Quinault exploite cette situation et la développe. Le quiproquo provoque chez Jacinte la révélation de ses intentions secrètes, l’aveu de ses fautes, et l’amusement du spectateur, qui sait, depuis sa hauteur, que la peur de la suivante n’a pas lieu d’être et que Fabrice se joue d’elle et la tourne en ridicule. Les deux personnages sont risibles, puisqu’aucun des deux ne sait ce qu’il est en train de faire. Fabrice ne vient que pour proposer à Jacinte de fuir avec eux, puis, aux paroles d’aveu de Jacinte, il ne fait qu’entrer dans son jeu, s’improvisant un caractère mauvais et vindicatif, ce qui ne lui ressemble en rien. De son côté, Jacinte parle à tors et à travers et ne se rend pas compte qu’elle est en train de tout révéler à Fabrice vivant. Lorsqu’il entend que Jacinte a commis des fautes, il profère aussitôt une phrase de menace, mais celle-ci est fort maladroite : « Ne me déguise rien, aussi bien je sçay tout. » Le fantôme, dans la même phrase, dit qu’il sait tout, et en même temps demande que Jacinte lui avoue tout, ce qui est une manière bien malhabile de menacer. Cependant, ce subterfuge gauche fonctionne, comble du ridicule ! Jacinte avoue tout, sa trahison passée et son entreprise future avec le duc. Fabrice a réussi, contre toute attente, sans beaucoup de malice et par son simple déguisement de fantôme, à jouer de la couardise et de la bêtise de Jacinte. Celle-ci s’est démasquée elle-même aux yeux de celui qu’elle croit être sa victime. Le quiproquo est donc encré de façon très forte chez Jacinte, qui croit tant à la mort et au spectre de Fabrice, qu’elle va jusqu’à se mettre dans la position la plus humiliante et la plus ridicule face à lui. On voit donc comme le quiproquo renverse les rapports de force et déplace les personnages vers un tout autre jeu. Le personnage, se croyant face à un autre interlocuteur, se comporte de façon différente, change son jeu, ses paroles, et crée un décalage comique.
La scène de quiproquo la plus comique est sans doute celle de l’acte I scène 7, car elle met en scène un triple quiproquo, trois personnages dans l’erreur, trois personnages grotesques. Ils sont tous trois idiots puisque tous trois sont en parti aveuglés. Climène ne voit rien ni n’entend personne, le duc ne voit ni n’entend Fabrice, et Fabrice voit le duc mais ne l’entend pas. Ainsi, chacun a un regard erroné et biaisé sur la situation. Le dialogue est donc entravé, la communication trouble. Les ressorts comiques de cette scène sont d’une part le quiproquo, d’autre part les répétitions. Chaque personnage masculin est le double de l’autre, et le dédoublement de leur erreur décuple le comique de la situation. En effet, d’une part Climène fait une déclaration à son amant qu’elle ne voit pas et n’entend pas, d’autre part chaque amant dissimulé croit que ces mots sont adressés à l’autre. Le spectateur, de sa hauteur, voit tous les personnages et comprend leur erreur. Il peut se rire de leur erreur avec le dramaturge. C’est dans leur complainte chagrine et sans fondement que se trouve le ridicule de leur situation : à la plainte du duc de n’être pas préféré par Climène répond celle de Fabrice de n’être pas à la place de son rival. Le rival n’étant lui-même pas à cette place convoitée, il n’y a plus personne à envier, ces jalousies n’ont donc aucun sens, et on tombe dans l’absurde. Tandis que chacun voudrait être à la place de l’autre, aucun ne parvient à se rendre compte que Climène ne sait même pas qui se trouve sous sa fenêtre. Mais Fabrice est sans doute le plus ridicule des deux, car il se trouve bel et bien à la place de celui qu’il voudrait être. Il se retrouve donc à pleurer une situation qui est la sienne et qui est heureuse, car il est aimé et ces douces paroles lui sont adressées. Mais au lieu de s’en délecter, il reprend la complainte de son rival, y répond comme par écho sans le savoir. C’est comme s’il commettait une erreur sur la réaction à adopter à l’écoute des paroles de Climène, ce qui le rend assez grotesque. De son côté, le spectateur entend tout, il entend la répétition des complaintes absurdes, il voit l’aveuglement de Climène, l’erreur de Climène à laquelle répond celle de Fabrice. Une telle ronde de malentendus et de « malvus » ne peut que le porter à rire.
Il existe un quiproquo d’une autre sorte. Lorsqu’il n’est pas su du spectateur, mais qu’il découvre son erreur en même temps que les personnages, c’est une surprise agréable qu’il ressent. C’est à la scène 6 de l’acte II seulement que l’on apprend que Fabrice n’est pas vraiment mort, et que son spectre, décrit par Jacinte avec effroi dans la scène précédente, n’en est pas vraiment un. La pitié pour le héros mort et la frayeur du fantôme sont donc annulées à cette levée du quiproquo, et la surprise est agréable pour tous. Pour une fois donc, l’illusion a opéré sur le spectateur, il s’est retrouvé prisonnier d’une croyance fausse, celle de la mort du héros, et s’en trouve donc libéré à ce moment de l’action.
Le quiproquo sert surtout à faire connaître des sentiments que les personnages auraient tenus secrets. Cette situation fausse est donc un artifice dans lequel le personnage se révèle. Considérons le rôle du quiproquo pour les personnages de Climène et Fabrice dans l’acte III. Chacun fait alors l’objet d’une illusion, et cette illusion pour chaque amant tient lieu de véritable péripétie, événement qui les place dans une situation tragique, et éveille en eux une certaine grandeur également. C’est d’abord Climène qui croit à la mort de son amant et qui depuis se laisse dépérir. À la scène 3 de l’acte III, elle laisse jaillir du fond de son coeur sa tristesse et son désespoir, alors qu’elle déambule dans son jardin en fleurs. On voit alors que la croyance dans la perte de son amant révèle la profondeur de son cœur avec la constance de son amour, et non pas sa frivolité et son intérêt pour l’argent, comme l’avait annoncé Clarine. On aurait pu s’attendre à demeurer dans l’atmosphère légère de la comédie lorsque Clarine annonçait dès l’acte I scène 1 : « il n’est point de liens que l’interest ne brise ». L’éventail des possibles est alors béant face à chaque personnage, qui peut s’adonner à sa bassesse et à sa vilenie, comme le fera Jacinte dans une certaine mesure, ou bien révéler une certaine grandeur comme le fera Climène lors de ses stances. Et pourtant, deux scènes plus tôt, Jacinte annonçait encore la frivolité du cœur de Climène, niant sa noblesse et sa grandeur d’âme, préparant ainsi un effet de surprise pour le spectateur : « La passion defaut lors que l’objet n’est plus ». Si l’on en croit cette sentence rude, on s’attend à ce que Climène ait déjà oublié Fabrice à l’acte III et se prépare à accepter le diadème que lui tendra le duc deux scènes plus tard. Or, nous allons voir comment, justement dans ces quelques scènes, le caractère de Climène s’anoblit et reflète la grandeur d’une âme d’héroïne tragique. Car vraiment, elle ne peut vivre sans celui que son cœur avec sa raison a élu, et même si elle se résigne à vivre, c’est dans la plus noire mortification : « Etouffons nos sanglots, interdisons nos pleurs », « ne nous accordons pas l’usage de la plainte ». Dans cette mesure même, Climène fait preuve de grandeur d’âme. Il aura donc fallu à Climène ce quiproquo, cette illusion dans laquelle elle est plongée, cette fausse mort enfin de celui qu’elle aime, pour éprouver son amour. Non seulement Climène n’a pas le cœur assez vil pour être aussi volage et changer d’objet si promptement, mais encore ira-t-elle jusqu’à refuser un diadème, déclinant la proposition d’un souverain. Mais n’oublions pas que la querelle du Cid nous a appris à mépriser ce genre de comportement. En aucun cas une jeune femme au cœur et aux sentiments nobles ne saurait épouser l’assassin de celui qu’elle a aimé, que ce soit son père ou son amant. Elle refuse donc de céder au duc, et ce à jamais dans la scène 5 de l’acte III. Plutôt que d’accepter de se lier à l’assassin de son amant, elle cherche la vengeance de celui qu’elle a perdu : « J’iray percer le cœur de ce Prince Barbare ». Les émotions sont donc bien plus vives et radicales, plus colorées de tragique que dans le Cid ici. La renonciation à la vie, à la gloire et au bonheur est immédiate et éternelle. À celui qui lui réitère ses maladroites avances, elle réplique ainsi à la fin de la scène, comme par manière de décret immuable et fatal : « Le temps n’a point pour moy de remede assez fort, / Mon mal n’aura jamais de terme que ma mort. »
Entre ces deux scènes, et en écho au quiproquo dans lequel est prise Climène, on trouve celui de Fabrice, qui croit pour un instant à la mort de sa maîtresse. C’est ici sa deuxième méprise au sujet de Climène, puisque depuis l’acte I, il croit à la trahison éhontée de celle qui lui avait promis le mariage. Il est donc rempli d’une amertume et d’une colère très âpres lorsqu’il pénètre dans le jardin de Climène à l’acte III. Il ne déguise pas son ressentiment et ses intentions vindicatives : il se dit être dans le jardin pour « chercher l’ingrate », et compte bien lui reprocher « [ses] services passez », « son amour inconstante » et « ses sermens faussez ». Fabrice a un naturel moins noble que celui de Climène, il est plus faible et sans éclat, et lorsqu’il échappe à la mort, ce n’est pas par une décision avisée de courage et de vie austère et fidèle, mais par simple hasard. Il avait déclaré à l’acte I : « Tu ne sçaurois mourir sans m’empescher de vivre », et cette promesse aux accents lyriques et tragiques ne sera pas suivie d’effet ici, puisque lorsqu’il croit Climène étendue sans vie, il ne s’arrache pas les cheveux, ne la rejoint pas au séjour des morts, mais prend la fuite à l’approche de pas qu’il n’identifie même pas. Si donc il ne fait pas preuve d’une réelle grandeur d’âme, cependant le quiproquo révèle chez lui la capacité à des revirements comiques. En effet, à l’acte I, il lui a suffi d’entendre quelques mots de Climène pour la croire infidèle, sans même examiner plus avant si ses mots ne lui étaient pas adressés à lui. Mais ici nous est révélée l’âme de Fabrice : c’est une âme qui se complaît dans l’illusion, qui aime à croire tout ce que son amour dit, et qui reflète comme un miroir l’image, fidèle ou fallacieuse, de son amour. Lorsque Climène paraît infidèle, il se transforme en amant dépité et vindicatif, lorsqu’elle semble avoir perdu la vie, il fait volte face, amant éperdu et fidèle jusqu’après la mort. Les revirements sont toujours aussi subits que comiques : « A ce funeste objet, qui me rend interdit, / Une tendre pitié succède à mon dépit ». Il n’y a pas de constance chez Fabrice, mais une « pante à changer tour à tour », en réponse à ce que lui peint son illusion. Il est le jouet d’une vision furtive ou d’un mot capté à la dérobée. Il n’examine pas plus avant, il est léger et souple comme la feuille, attendrissant comme un galant de comédie, amoureux et épris comme un héro de tragédie. Le personnage de Fabrice se disloque et s’articule autour des deux genres, prête à sourire autant par son ridicule que par sa simplicité tendre et sincère. Sa profession de foi est plus dans son amour de l’illusion que dans l’amour de son objet lui-même : « Tu m’obligerois de vouloir m’abuser ». Son plaisir réside dans son illusion.
Les stances de Climène ou l’éclosion du lyrisme §
Quinault respecte également l’évolution des règles dans son utilisation du vers. Le choix fait par Quinault de la forme et de la longueur du vers, son utilisation sobre du monologue, et son traitement raffiné de la stance sont d’un ton très juste, car Quinault sait à quel point et dans quelle mesure ils sont appréciés au moment où il écrit. De 1652 à 1658, l’alexandrin est majoritairement employé, mais dans la plupart des pièces, on varie en introduisant quelques stances ou autres lettres.
Les stances, à l’acte III scène 3, répondent à des exigences assez subtiles : à l’origine, toutes les stances ont un refrain repris à la fin de chaque strophe. En 1660 on a complètement renoncé à doter les stances de refrain. Quinault se situe près de ce rejet complet du refrain et répond à cette évolution de goût : il place en effet, comme une plainte tragique et lancinante, un octosyllabe au centre des quatre sizains qui constituent ses stances, mais non pas un refrain à la fin de chaque strophe. La stance se caractérise par cette esthétique de la pause et de l’écoute du silence qui s’ensuit. Du latin stare, Stance signifie demeurer, être arrêté. C'est ce repos, cette suspension que l’on cherche dans la stance. Boileau dit que depuis Malherbe, « les stances avec grâce apprirent à tomber. » Et en effet, on a ici, au creux de chaque sizain, une chute chaque fois plus marquée des forces de l’amante esseulée, tandis que l’amour en son cœur s’accroît à le rompre. Climène, dans cette scène, est prête à renoncer définitivement à la vie, et elle s’y abandonne d’autant plus pleinement que son amant a déjà rejoint la mort avant elle, du moins le croit-elle. Ces stances s’insèrent entre deux scènes de dissimulation risible, celle du duc d’une part, celle de Fabrice d’autre part. L’une suscite la distance critique du spectateur devant le ridicule d’un duc qui n’affronte jamais son échec amoureux, l’autre invite à un amusement devant la versatilité burlesque d’un amant incapable de retrouver celle qu’il aime. Ainsi, entre deux scènes mêlées d’ironie et de quiproquos comiques, le rythme est cadencé par cette rupture aux accents tragiques. Climène croit Fabrice mort, et c’est la réalisation de cette perte soudaine qui engendre des sentiments vifs et déchirants et qui permet aussi une scène lyrique d’effusion sentimentale, car l’objet de ses feux n’est plus. Ces stances se construisent sur une suite de renoncements. Le premier renoncement est, funeste, à la vie sans amour. Si son amant est mort, elle doit l’être aussi, et elle ne vivra que s’il revient du monde des ombres. Ce premier octosyllabe fait résonner un rythme singulier, c’est un vers lourd, qui traîne, trébuche, languit et meurt. La ternarité mélodieuse de l’alexandrin est brisée par une binarité claudicante en son centre. On lit 123, 12…, 123, et il manque une syllabe. C’est la chute tragique, et la pause désemparée qui la suit nécessairement.
On peut ainsi lire dans cette claudication une métaphore de la blessure infligée à l’amante. Tout comme Climène est blessée au cœur par la perte de son amant, ses vers sont amputés en leur centre. De même, tout comme Climène erre dans le jardin comme une ombre, d’un pas lent et incertain, ses vers ont perdu leur rythme ternaire et résonnent plus gravement et plus lentement. Cette claudication peut aussi être la métaphore d’un manque profond, central : Quelque chose est perdu ici, qui crie par le silence qu’il laisse derrière lui, comme l’être aimé a délaissé le monde. Ainsi son repliement à terre est une prière à l’amour : « Que la mort cede à ta puissance ». Elle croit encore à l’amour et veut que tout, même la mort, lui cède et la rende à son âme sœur.
Le deuxième cri de douleur est plus empreint de désespoir encore. La belle solitaire devient la proie d’une obsession morbide. Tout, autour d’elle, et dans la nature la plus luxuriante, la renvoie à la mort. Et si la vie et le plaisir dans leurs plus hautes formes reflètent la mort, alors il n’est plus rien qui puisse être signe de vie. Dès lors, c’est une négation totale de la vie qui se cache sous ces vers, et une ode au suicide dissimulée. Elle se sent happée par cette ombre qui gît silencieusement sous les choses, c’est-à-dire par l’envers de la vie. Ce qui chante ici sous ces mots, c’est la complainte lancinante de l’âme obsédée par ce qu’on lui a ravi, hantée par une douleur présente, qu’elle a seule à l’esprit.
L’accent tragique atteint son paroxysme avec le troisième octosyllabe. Les mots y nient si bien ce qu’ils portent pourtant comme sens, que l’agonie de la blanche victime y est admirablement rendue. Car c’est d’un véritable tragos qu’il s’agit ici, et lorsque les mots de la jeune femme disent sa vie et son désarroi, sa voix qui se meurt retentit comme un cri d’agonie : « Je demeure encore vivante ». Ces mots sonnent comme un ultima verba, avant qu’elle ne s’abatte, sans vie. Ils résonnent de façon lisse et marmoréenne, tel le repos imperturbable de la mort.
Hybridité et tragi-comédie §
La production tragi-comique sur près d’un siècle et demi, jusqu’à la moitié du XVIIe siècle, est très diverse, et une considérable imprécision des définitions en accompagne le développement. La tragi-comédie apparaît, avec Plaute et son Amphitryon, comme un mélange de personnages nobles et moins nobles ; elle peut être, comme le modèle espagnol de la Célestine, une comédie ensanglantée et irrégulière ; enfin, régulière chez les théoriciens et praticiens italiens, elles se présente tantôt comme une action tragique à dénouement heureux, tantôt comme une action mixte à issue heureuse. Si l’on considère la tragi-comédie française depuis le XVIe siècle, on aperçoit la dispersion des formes sous l’apparente unité du nom, malgré l’apparition d’éléments communs : notamment l’irrégularité, la diversité des actions engagées, le bonheur du dénouement, et un personnel mêlé. Nous allons affiner cette définition pour comprendre l’évolution du genre autour de notre période.
Chapuzzeau définit ainsi la tragi-comédie : « la tragi-comédie nous met devant les yeux de nobles aventures entre d’illustres personnes menacées de quelque grande infortune, qui se trouve suivie d’un heureux événement. » La tragi-comédie serait donc tragique en son déroulement, et ne porterait le nom de comique que par sa fin heureuse. Cette définition s’avère sur plusieurs aspects de notre pièce, mais elle est tout de même très réduite, car on retrouve un entrelacement de tragique et de comique plus fin et plus complexe que cela. Entre la régularité de la tragédie et la liberté du roman, la tragi-comédie vogue entre baroque et classicisme. Ce genre, qui réussit à Quinault, lui permet de mêler scènes tragiques et comiques d’une manière plus intime encore qu’il n’avait osé le faire dans La Comédie sans comédie ou Les Coups de l’Amour et de la Fortune. Hélène Baby57 note la diversité des définitions dans le XVIIe siècle français. Parmi les multiples citations qu’elle nous donne, nous en retenons deux particulièrement pertinentes pour notre pièce.
Scudéry affine la définition de Chappuzeau par une remarque clairvoyante, faite lors de la querelle du Cid en 1637 : « La tragi-comédie est comme un composé de la tragédie et de la comédie, et qu’à cause de sa fin elle semble pencher plus vers la dernière. » Ainsi, il s’agit bien d’un composé des deux genres, subtil mélange, complexe tissage, et non d’un simple assemblage d’une action tragique à un dénouement de comédie. Scudéry remarque également que c’est surtout dans le dénouement que l’on trouve une apparence de comédie plus marquante. Il note bien qu’il s’agit là d’une impression du public, qui reste marqué à la fin de la représentation par un sentiment de joie ultime de tous les personnages, et se complaît dans ce sentiment de divertissement léger et agréable. C’est ce que recherche encore le public au milieu du siècle et surtout depuis les années 1630, où la tragi-comédie avait connu son apogée. C’est en 1641, dans l’avis au lecteur d’Andromyre, que Scudéry nous livre la plus juste définition de la tragi-comédie :
Ce beau et divertissant poème, sans pencher trop vers la sévérité de la Tragédie, ni vers le style railleur de la Comédie, prend les beautés les plus délicates de l’une et de l’autre : et sans être ni l’une ni l’autre, on peut dire qu’il est toutes les deux ensemble et quelque chose de plus.
On vise ici à une essence raffinée et à part entière du genre. La tragi-comédie, pour être appréciée à sa juste valeur, doit se distinguer des deux autres genres et en tirer une couleur spécifique, à la fois profonde comme la tragédie et colorée comme la comédie, elle doit briller de mille feux contraires et pourtant réunis. Elle est, en un mot, une véritable gageure. Hélène Baby retient quatre critères pour définir la tragi-comédie : elle comporte une part d’invention romanesque, le mélange de la matière comique et tragique, une fin heureuse, et cependant un personnel dramatique noble. On a tous ces critères dans notre pièce. Tirée d’une pièce très romanesque de Calderon, découpée en longues et prolixes journées, elle porte en elle une part d’invention romanesque, surtout dans l’existence d’un passage secret et d’une mine inconnue de tous sauf du héro et de son adjuvant ; elle mêle, de scène en scène, des émotions tragiques, perte d’êtres chers, passion pour l’honneur, et des quiproquos comiques à répétition ; la fin est heureuse, et doublement, puisque les deux couples finissent par se marier ; et enfin les personnages sont nobles, on a balayé de la scène les graciosos et graciosas de Calderon, il ne reste plus que des gentilshommes et des dames de Cour, avec leurs confidents respectifs.
Dans les années 1630, on loue la tragi-comédie, on en écrit plus que jamais, et lorsqu’on défend le genre, on débat du mélange, dans la vie, des choses sérieuses et futiles, et de son éventuelle imitation sur la scène. On veut rendre la vie dans sa totalité concrète, dans toutes ses beautés et dans toutes ses aspérités. Ogier, dans la préface de Tyr et Sidon (1628), écrit ainsi :
Car de dire qu’il est malséant de faire paraître en une même pièce les mêmes personnes traîtant tantôt d’affaires sérieuses, importantes et Tragiques, et incontinent après de choses communes, vaines et Comiques, c’est ignorer la condition de la vie des hommes, de qui les jours et les heures sont bien souvent entrecoupés de ris et de larmes, de contentement et d’affliction, selon qu’ils sont agités de la bonne ou de la mauvaise fortune.
Le spectateur du début du siècle veut garder les yeux ouverts, et lorsqu’il va au théâtre, il entend être diverti de la façon la plus variée, contrastée, et bigarrée possible. Ogier continue, et pointe la difficulté mais aussi la beauté de ce genre particulier : « Il appartient de savoir descendre à propos du Cothurne de la Tragédie à l’Escarpin de la Comédie. » C’est dans cette articulation des deux genres, dans cet art de tomber dans le rire, et de remonter dans la grandeur tragique, que réside la beauté et la valeur du genre. Quinault réussit particulièrement bien ce tour de force. Il enchaîne en effet avec talent une scène de grandeur lyrique et tragique, la scène 3 de l’acte III, avec une chute comique menant à un quiproquo où les amants se manqueront une fois de plus, la scène 4. Les personnages sont nobles, les cœurs montrent une certaine grandeur, et s’ils ne font jamais preuve d’une complète bassesse, certaines situations les portent en revanche parfois à des méprises comiques qui ne diminuent pas leur grandeur mais jouent sur leur puissance de dérision. Les confidents, bien qu’assez raffinés pour ne pas être appelés bouffons, servent de contrepoint comique et simple, leurs répliques étant parfois comme des chutes burlesques dans le comique. On se référera par exemple à la scène 6 de l’acte IV, où Jacinte lance des répliques d’autant plus comiques que la situation est grave pour Isabelle et Climène, et que la peur de Jacinte est sans fondement.
Voyons plus précisément comment le comique et le tragique se mêlent finement dans notre pièce. L’action, oscillant sans cesse entre ces deux registres, teinte le comique d’émotions tragiques. En effet, les ressorts de l’action étant tous faits de quiproquos et d’illusions qui se font et se défont les uns après les autres, la matière de l’action est elle-même fantomatique. Si on ne trouve aucun fondement assuré aux émotions tragiques, elles sont tout de même esquissées avant de disparaître, et cela suffit à venir colorer le comique. Lors de la querelle d’Isabelle et Carlos à l’acte V, Isabelle croit Carlos infidèle. Nous savons bien que cette division se fonde sur une erreur, sur un malencontreux quiproquo qu’il serait très aisé de dénouer. Et pourtant notre jouissance comique de la scène est entravée par une inquiétude tragique : et si Carlos ne parvenait pas à dire sa vérité à Isabelle, si leur rupture présente devenait perpétuelle ? Puis nous nous laissons prendre nous-même à l’illusion, et une autre question s’insinue: et si Carlos avait réellement une autre maîtresse ? Si ce mensonge devenait réalité, comme déjà le fantôme de Fabrice l’est devenu pour la plupart des personnages ? Quelles que soient les inquiétudes qui assiègent le spectateur lors de cette scène, un fait est certain : cette scène n’est pas purement comique, mais elle se tient sur la vacillante limite entre un tragique qui menace – la rupture des amants – et un comique qui ne fait que pointer – la maladresse de Carlos à s’expliquer. L’élément comique est du côté de l’amant que l’on croit infidèle, tandis que le tragique se tient dans la bouche amère et accusatrice de l’amante, qui se croit trahie et malheureuse à jamais. Et ces deux composantes s’articulent ensemble dans un crescendo d’émotions duelles : plus Isabelle exacerbe sa plainte et son malheur, plus Carlos se noircit lui aussi, répondant avec la plus grande maladresse à ce que lui lance Isabelle. Car cette malhabileté de Carlos, au lieu de verser dans le tragique, rend la situation de plus en plus comique, et plus Isabelle en extrait le pathos, plus Carlos en rend le ridicule. La faute de Carlos est de mal s’expliquer, de ne pas parvenir à dire simplement ce qui est : citons les quelques premiers vers qui ont le pouvoir d’accroître le désespoir d’Isabelle et d’exciter le rire du public : « Je pretendois conduire une autre femme icy » /« J’avouëray qu’à regret je vous voys en sa place » /« Et que vostre presence en effet m’embarasse ». Quoi de plus maladroit en effet lorsqu’il veut expliquer qu’il ne s’agit nullement d’une maîtresse, mais simplement de sauver Climène ? Il lui suffirait de la nommer, mais cela mettrait fin trop rapidement et trop simplement à cet échange comique qui dit l’inaptitude à communiquer. Ces trois vers contiennent chacun un quiproquo et sont trois fois un coup porté au cœur d’Isabelle. Le premier quiproquo est celui qui porte sur cette « autre femme » non nommée. En remplaçant le nom propre par une périphrase généralisante, il transforme Climène en une amante virtuelle, ce qui, pour Isabelle, devient une véritable trahison. Le quiproquo se poursuit ensuite, sur les deux vers suivants, et vient, de façon ironique, étayer les soupçons d’Isabelle. Ce deuxième quiproquo porte sur les sentiments de Carlos. L’embarras qu’il éprouve au sujet de Climène égarée se change, aux yeux d’Isabelle, en un embarras face à celle qu’il n’aime plus. Non seulement il a une maîtresse, mais encore il avoue ouvertement que ses sentiments sont tout entiers à cette inconnue. Durant 30 vers ensuite, le quiproquo se poursuit, durant lesquels Carlos tente de se justifier sans succès. Après ces 30 vers d’interruptions à répétition, lorsqu’Isabelle laisse enfin à Carlos le temps de s’expliquer, il ne fait que reconduire la situation en redisant son embarras. C’est ainsi que l’on voit comment, malgré une tension tragique dans le péril qu’encourt Carlos, l’échange demeure divertissant, reposant sur des principes de répétition et de quiproquo comiques. Si le spectateur est porté à s’identifier à la souffrance de Carlos, compatissant dans son sentiment d’incompréhension et d’injustice, il est toutefois sans cesse mis à distance par la maladresse du personnage à se faire entendre. Si le spectateur est touché par l’incapacité du couple à se rejoindre et à communiquer, il est toutefois amusé par les modalités de cette incapacité, qui sont comiques : la gaucherie, les répétitions vaines, la ridiculisation du personnage qui souffre.
On a donc touché l’essence de la tragi-comédie au début du siècle. Vers 1639 en revanche, le triomphe croissant de la régularité met à mal cette notion de mélange, et on voit Sarasin rétorquer à Ogier dans son Discours sur la tragédie : « Quelle apparence que les acteurs aient un pied dans le Cothurne et l’autre dans l’escarpin ? » Le mélange des genres est devenu, avec l’épuisement du genre, une claudication générique. Et on s’indigne alors devant les procédés du genre plus tôt portés aux nues, se demandant alors :
Comment peut-on faire compatir les commandements des rois, les meurtres, les désespoirs, les morts violentes, les parricides, les incestes, les incendies, les batailles, les plaintes, les pleurs, les gémissements et les funérailles qui sont les choses que contient la Tragédie, avec les jeux, les festins, les noces, l’avarice des vieillards, les fourbes et l’ivrognerie des esclaves et des parasites de la comédie ? […] ils ont allié deux choses contraires, ils ont fait un monstre de deux natures excellentes, ils ont oublié les premiers préceptes de leur maître.
C’est peut-être en réponse à de telles accusations que Quinault soigne et polit autant sa pièce, afin qu’elle ne choque pas par des mélanges détonants, mais divertisse, émeuve et amuse par une diversité discrète. La tragi-comédie est taxée d’une monstruosité, d’une hybridité qu’on abhorre de plus en plus au cours du siècle. Hélène Baby dit à propos de cette hybridité que « le centaure, c’est l’hybridité des espèces, fascinante mais frappée d’interdit, parce qu’elle consacre, contre la nature, l’alliance monstrueuse que les Réguliers voient dans la Tragi-comédie58. » Si elle se fait encore au milieu du siècle, c’est contre les Réguliers. Qui écrit alors une tragi-comédie doit s’attendre à ne plus être apprécié. En 1650, on reniera même le nom de tragi-comédie, et l’on déguisera la tragi-comédie sous le nouveau nom de « comédie héroïque ». Si entre 1659 et 1665, 12 tragi-comédies sont jouées, entre 1665 et 1671, ce sont seulement 3 tragi-comédies et 4 « comédies héroïques » qui sont représentées, et le nouveau terme montre le discrédit où est tombé le genre. Le goût a résolument changé. Corneille va même jusqu’à débaptiser ses deux tragi-comédies pour les appeler tragédies : Clitandre (1660) et le Cid (édition de 1648 changée en 1660). C’est le désaveu cornélien.
Quinault, de son côté, polit sa tragi-comédie. De son aspect espagnol très baroque, il corrige les aspérités trop marquées, unifie l’action, élimine les graciosos d’une trop évidente bassesse, retire la mort sanglante de la scène, répond au mieux à la règle des trois unités. Cependant l’hybridité demeure, les hauteurs tragiques s’allient aux trivialités comiques, la noblesse des familles et des cœurs côtoie le ridicule de leurs comportements souvent peureux et maladroits. Si Le Fantôme amoureux est à l’origine une comédie, dont l’action était toute faite pour porter à rire, il devient chez Quinault une comédie ennoblie, qui porte parfois les couleurs et les sonorités tragiques (comme dans les stances de Climène), mais demeure essentiellement une pièce dédiée à l’amusement.
La nuit manteau des crimes et des amours secrètes §
Il est intéressant de se pencher sur le rôle d’un personnage que nous n’avons pas mentionné jusqu’ici : le ciel, qui possède lui aussi deux visages ; celui du soleil, et celui de la lune. Tour à tour dans chaque acte, les actions se font sous le regard et avec la caution d’une autorité céleste. Le soleil, père du jour, préside aux actions justes et aux éclaircissements. Lorsqu’il se lève se retirent avec lui le voile brumeux de la nuit, les troubles et les incertitudes. Père du jour, il est aussi père de la lumière sur les choses et les êtres, père de la vérité, et celui qui donne la vie. C’est au grand jour que Climène lève le quiproquo sur sa trahison de l’acte I. Elle explique enfin et éclaircit les malentendus à la lumière du jour. De même, c’est lorsque le jour perce au milieu de la nuit, à la lueur d’une torche, au début l’acte V, que Carlos reconnaît son erreur et voit Isabelle. Enfin, c’est lorsque le jour pointe à l’horizon, à la fin de l’acte V, que Fabrice lève enfin le voile sur son identité usurpée, et se révèle comme vivant. Ainsi, au dénouement, la figure du père et celle du jour sont fortement présentes : lorsque les secrets sont révélés, la justice rétablie, les pères sont tous présents et forcés d’abdiquer et de donner leur accord. Le duc d’abord reconnaît ses erreurs et donne sa bénédiction aux deux couples, Alphonce accepte enfin de voir demeurer son fils et se réaliser le mariage, le soleil enfin père du jour, préside à ce rétablissement de la justice et à la rentrée de Fabrice dans la vie. Car pour Fabrice, il s’agit bien de renaître à la vie, de quitter son déguisement de mort et de revoir enfin le jour. Le jour est en effet plus que la lumière opposée aux ténèbres, il est avant tout la vie opposée à la mort. Depuis le premier coucher de soleil du premier jour, Fabrice est en danger de mort. Avec la tombée de la nuit, il voit le jour s’enfuir et ses propres jours être l’objet d’un péril certain. Durant le deuxième acte, il ne peut voir le jour, et reste présent comme un absent, comme un fantôme, dissimulé dans les recoins des habitations. À l’acte III il revoit le jour mais comme fantôme, c’est-à-dire sous son déguisement, il n’appartient donc plus au règne des vivants mais bien à celui des morts, puisque son court séjour au jardin lui est funeste et triste, alors qu’à la tombée de la nuit il retrouve son amour et sa vitalité avec l’apparition de la lune et de sa bien-aimée.
À l’inverse donc, la nuit est propice aux dissimulations et aux quiproquos en tous genres. Elle est le manteau qui cache et qui protège, la main douce et complice des plus grandes audaces, coups d’épées ou baisers. C’est d’abord le lieu et le temps d’un crime, celui de l’assassinat de Fabrice. Mais plus profondément, c’est celui des erreurs et des injustices, des larcins et des quiproquos. Car il s’agit là d’une erreur avant d’un meurtre. Non seulement on se trompe de victime, mais encore on n’identifie pas le cadavre après le crime. La nuit est ainsi le lieu du trouble, lieu où les passions se déchaînent, et où les cœurs parlent plus librement. Fabrice est tué dans un coup de folie du duc à l’acte I, Isabelle fait dire à Carlos qu’elle l’aime à la tombée de la première nuit, Climène retrouve Fabrice et ils planifient leur fuite amoureuse au début de l’acte IV, à la tombée de la deuxième nuit. C’est donc couverts du manteau de la nuit, et sous la protection de la lune, que se jouent tous ces larcins. C’est lorsque la lune s’avance que Fabrice retrouve la vie et son amour perdu. Car Fabrice n’est plus qu’un mort-vivant, il appartient désormais au monde des ténèbres, et ne trouve sa protection et sa bien aimée que lorsque l’ombre est jetée. Lorsque s’ouvre l’acte IV, il faut d’abord qu’apparaisse la lune, astre céleste et féminin, avant que l’amante ne puisse être retrouvée. Il faut donc d’abord cette caution nocturne.
Ainsi, seul l’acte III se déroule en plein jour. Mais est-ce vraiment en plein jour ? De cela même on peut encore douter. Car si l’action est censée se passer le jour, elle se déroule toutefois dans un jardin, rempli d’allées, de ramures et d’ombres. De fait, même si cet acte appartient au règne du jour, il semblerait malgré tout qu’il penche plus du côté des ténèbres que de la pleine lumière. Car les personnages ne font que se dissimuler dans le jardin, plutôt que d’aller se promener sous le soleil, ils préfèrent les allées aux sombres ramures. Le duc se cache de Climène, l’espionne dans une allée, dissimulé derrière des branchages. Fabrice sort de la mine, fait apparaître les ténèbres en plein jour, puis se dissimule à nouveau dans la mine. Le sol s’entrouvre, les ténèbres font surface et sèment le trouble. Climène s’évanouit, ainsi, lorsque le mort-vivant sort des entrailles de la terre, c’est comme si la mort s’étendait autour de lui. Climène, avant son apparition, était déjà plongée dans une tristesse funeste ; après son arrivée, elle gît à terre comme frappée par la mort.
Il existe toutefois un point de rencontre, de réconciliation entre le jour et la nuit, un mince moment de coïncidence. C’est l’aube, instant où la nuit laisse place au jour, où, lorsque le soleil pointe à l’horizon, la lune se laisse encore apercevoir au loin. C’est dans cette douceur lumineuse que se dénoue l’action, lorsque les deux astres célestes président ensemble à l’action, lorsque la nuit des erreurs et des unions amoureuses secrètes côtoie le jour de la justice, des erreurs avouées et de la paix retrouvée. Ainsi au petit jour et aux derniers rayons de lune, la passion funeste du duc s’efface, l’union secrète de Carlos et Isabelle se révèle et se scelle éternellement, les deux visages de Fabrice se découvrent et se rejoignent, et son union avec Climène peut enfin se réaliser, sous la caution cette fois des deux astres à la fois.
Acte I | Acte II | Acte III | Acte IV | Acte V |
Soir | Nuit (jusqu’au point du jour) | Jour | Soir (puis nuit) | Nuit (jusqu’au point du jour) |
Les représentations du monde dans la tragi-comédie §
Les représentations du monde et le réalisme tragi-comiques renvoient à la théâtralité et à l’ornement. De même, le traitement de l’illusion souligne toujours de façon explicite l’écart entre le délire et le réel : l’illusion tragi-comique, depuis le début du siècle, propose une imitation relative du réel. Elle maintient ainsi une distance entre la chose imitée et la chose qui imite. Le spectateur assiste à une représentation qu’il connaît être vraie et fausse à la fois, il ne peut jamais tomber dans l’hallucination totale d’une illusion parfaite. La convention du spectacle est soulignée. Ce qu’Hélène Baby appelle les « parenthèses de l’esprit59 », véritables suspensions dramatiques, permettent, grâce à leur nature de frontière, de figurer parfaitement cette « lisère qu’est l’illusion tragi-comique60 ». L’esthétique tragi-comique ne tend jamais vers l’illusion totale des pièces baroques ni vers l’illusion parfaite des aspirations classiques. Elle souligne le hiatus entre illusion et réalité, joue de cet écart propre à la fiction, et empêche le spectateur de s’écrier, comme le duc à l’acte V : « Est-ce une verité, seroit-ce point un songe. » La tragi-comédie assume donc un rapport indirect entre l’objet littéraire et le réel, dans une perspective qui est propre aux années 1630, et que les bouleversements de la pensée vont faire disparaître. Elle ne se sert pas alors de la fiction pour penser le monde, mais du monde pour construire la fiction et penser les rapports avec le réel.
En revanche, à partir du milieu du siècle, cette convention change, ainsi que le rapport au réel et la conception de la représentation. La tragi-comédie est alors au centre de tous les débats théoriques : elle cristallise une réflexion esthétique essentielle du XVIIe siècle qui s’oriente vers une esthétique de l’imitation absolue. Le jeu s’efface, qui existait entre le réel et la fiction, et on ne cherche alors plus que l’illusion parfaite, ou l’émerveillement magique. On trouve une véritable fracture au milieu du siècle dans ce rapport à la représentation, où l’on passe d’une conception de la représentation à une conception de l’imitation. Il y a dès lors un hiatus irréductible entre la dramaturgie classique et les principes de la création tragi-comique, qui ne lui permettront pas de survivre sous son ancienne forme. Hélène Baby61 situe une charnière dans les années 1660, avec les derniers succès tragi-comiques de Quinault. On a alors une nouvelle conception de la convention, et un nouveau rapport au réel et au merveilleux. Alors que la tragi-comédie des années 1630 illustre un rapport de représentation, la rupture du théâtre des années 1660 ouvre le champ du magique et du merveilleux.
Le Fantôme amoureux se situe entre ces deux périodes et à cheval sur ces deux tendances. Il porte les germes de la magie illusionniste avenir, dans son décor multiple à trappe et à double fond, mais laisse tout de même une distance sensible entre la représentation et le réel. Le spectateur est mené à croire à ce qu’il voit : que la mine s’ouvre des entrailles de la terre, que le mur mène vers un labyrinthe souterrain, mais ces procédés demeurent très sobres, ils ne versent pas dans l’émerveillement magique. Et surtout, leur apparition coïncide toujours avec une scène comique, donc avec une mise à distance, ce qui entrave un possible émerveillement béat. De même, lorsque Fabrice apparaît sur scène comme fantôme, il n’apparaît pas comme tel aux yeux du spectateur, mais bien aux yeux des autres personnages, ce de quoi se rit le spectateur qui a tout compris depuis sa distance. Partant, le sujet de l’illusion est à l’intérieur de la pièce, non pas à l’extérieur. Le spectateur voit Fabrice lui-même entrer sur scène, et il s’étonne avec amusement et distance, de l’illusion du personnage. Il y a donc encore dans cette pièce une distance tragi-comique forte, dans le soulignement de la convention théâtrale et la mise à distance critique et comique. Si les rebondissements de l’action et les multiples lieux secrets emportent le spectateur au cœur de la fiction, ils n’en font pas un dupe de l’illusion théâtrale, car ici c’est encore l’illusion qui est donnée en spectacle, dans un effet de mise en abîme. Nous ne sommes pas encore dans la magie de l’illusion totale qui opère sur le spectateur lui-même.
Espace réservé au spectacle, l’œuvre d’art deviendra par la suite un lieu où la question de la vraisemblance ne se posera plus, car la machine incarnera, actualisera et fixera, dans son fonctionnement, celui de la convention. Quinault illustre déjà les préoccupations classiques : les rapports du réel à l’œuvre ne sont plus pensés, mais tantôt représentés dans l’univocité magique de la rupture, et tantôt dissimulés dans la continuité transparente de l’imitation.
Le masque et le visage, jeu dichotomique sur l’identité §
Au cœur de la pièce repose une problématique baroque fondamentale : celle de l’identité. Qui est Fabrice ? Un fantôme ou un homme de chair et de sang ? Un homme amoureux ou un fantôme d’amoureux ? L’homme qui aime Climène ou celui qui la déteste ? De même, Climène est-elle l’amante éplorée de l’acte III, ou la traîtresse de l’acte I ? Est-elle l’amante de Fabrice ou bien la maîtresse du duc ? En vérité, une réponse tranchée se révèle très difficile à donner. La position fondamentale de la dichotomie baroque est la suivante : « todo es verdad y todo mentira ». Tout est vrai et faux à la fois, le personnage n’est pas celui que l’on croit, il est deux personnes à la fois, deux visages tour à tour. Il se dédouble au cours de l’action, montre deux visages, provoque l’illusion, l’erreur, la désillusion, la connaissance et la reconnaissance. Si Fabrice n’est pas un véritable fantôme, il est cependant un fantôme d’amoureux, dissimulé et impuissant, empêché et peureux. S’il est le véritable Fabrice fait de chair et de sang, il échoue cependant à s’affirmer comme tel et à dire ses intentions aux autres personnages : son père, qu’il craint, Climène, qu’il peine à rejoindre, son ennemi, qu’il fuit. De même, il est tour à tour celui qui aime Climène d’un amour inaltérable et pétrifiant (il ne peut se résoudre à s’éloigner de Climène), et celui qui la déteste et ne vit que pour cela (depuis sa trahison à l’acte I jusqu’à son aveu à l’acte III). Alexandre Cioranescu62 analyse cette dichotomie baroque ainsi :
l’individu n’est pas l’homme qu’il croit être, ou que les autres s’imaginaient connaître ; à la fin de cette longue série d’erreurs concernant l’identité, je trouve en moi deux individus à la fois et je ne vois plus clairement lequel des deux je suis en réalité. […] le personnage est devenu masque et visage.
Cette image dichotomique du masque et du visage est particulièrement intéressante pour notre pièce. En ce qui concerne Fabrice, son masque est celui du fantôme, la pâleur de ses traits et ses mensonges suffisent à faire de lui un fantôme aux yeux des autres personnages, et un véritable fantôme d’amoureux aux yeux de tous, personnages et spectateurs. À l’issue de la pièce, il est devenu à la fois son visage (Fabrice amant de Climène se dissimulant comme fantôme), et son masque (Fabrice fantôme qui effraie tout le monde et remporte la victoire sur le duc). Les deux images, masque et visage, se sont rejointes, et les deux sont à la fois vraies et fausses. Fabrice n’était pas fantôme mais vivant, il n’était pas lui cependant mais duplice, car il se faisait passer pour un autre.
De même Climène possède un masque et un visage. Son visage est celui qu’elle montre à sa suivante. Son masque est celui qui est perçu par les deux amoureux aveugles et sourds. Pour le duc, son masque est celui de l’amante inconsolable de Fabrice, pour Fabrice en revanche son masque est celui de la traîtresse impardonnable de l’acte I. Son identité est assez délicate à cerner, dans la mesure où elle est à la fois l’amante fidèle de Fabrice et la servante du duc. Elle aime certes Fabrice, mais ne va pas jusqu’à s’enfuir avec lui dès le début ou à faire fi des menaces du duc. Elle craint et respecte le duc. Elle accepte sa position et partant ses avances dans une certaine mesure. Car son mariage est reporté, elle y renonce d’une certaine manière, par crainte du duc, par dissimulation, par protection, par désaveu. Elle est donc à la fois celle qui veut épouser Fabrice, et celle qui ne l’épouse pas et lui demande de fuir, celle qui se refuse au duc, et celle qui s’incline devant lui, celle qui mourrait sans Fabrice vivant, et celle qui peut supporter son éloignement et le report de leur hyménée. Son visage est donc celui de l’amante fidèle, et son masque est double : celui de la jeune femme en deuil de son amant perdu d’une part, celui de la traîtresse amante du duc d’autre part.
On voit ici comme cette thématique est éminemment baroque. Les explications sont infinies et interminables sur l’identité de chaque personnage. L’analyse pourrait être faite également pour le duc et pour Jacinte, qui sont eux-mêmes doubles et complexes. Rien n’est simple lorsqu’on observe les caractères des personnages, et tout se construit comme en un labyrinthe tapissé de miroirs. Finalement, aucun personnage n’est celui qu’il paraissait être. Fabrice n’était pas mort, ni fantôme, ni amant pleinement reconnu et en droit de se marier. Climène n’était pas infidèle ni en deuil d’un amant perdu. Jacinte n’était pas traîtresse de sa maîtresse ni traîtresse du duc, mais l’adjuvante et la traîtresse des deux à la fois. Le duc, de même, n’était pas l’amant de Climène, ni le maître de celle-ci, ni l’assassin de Fabrice. Et pourtant, tous les personnages ont été tout cela à la fois au cours de l’action.
Cette myriade de personnages qui se reflètent et se cachent les uns dans les autres permet un décuplement des rebondissements de l’action. Ainsi, l’action gagne en rythme et en divertissement, elle plaît, déroute et amuse à la fois. Le spectateur baroque est enchanté, le spectateur classique en revanche est loin d’être contenté…
Plus loin dans son analyse, Alexandre Cioranescu distingue deux masques, ce qui éclaire encore la lecture de notre pièce : il différencie le déguisement et la substitution des personnes (ou usurpation). Il explique ainsi :
L’ursupateur prend une place connue qu’il donne pour être la sienne, son visage colle à une réalité préexistante plus ou moins connue, il feint d’être ce qu’il n’est pas : tandis que le déguisement dissimule l’identité sans se référer à celle d’un autre et, loin de prétendre au visage d’un autre, ne demande qu’à cacher le sien63.
Fabrice, lui, est à la fois usurpateur et déguisé. D’un côté il se cache derrière le déguisement du fantôme et se protège ainsi, mais d’un autre côté il utilise une idée préexistante dans l’esprit de tous les personnages, celle du fantôme. Si tous ne croyaient pas à sa mort et au purgatoire, il ne pourrait pas se faire passer pour tel, il utilise donc une idée préexistante, et avec son vrai visage se fait passer pour ce fantôme. Toutefois, en se faisant passer pour fantôme, il se supprime aussitôt et se dissimule comme sous un déguisement, ce n’est donc là ni une véritable usurpation, ni un véritable déguisement, car tous le voient sans le voir vraiment. Ils le voient mais ne le reconnaissent pas. Ils le voient lui-même mais le prennent pour un autre lui-même, non pas pour un autre tout à fait autre. C’est-à-dire qu’il demeure visible tout en étant inidentifiable. Ainsi il est les deux acteurs que différencie Cioranescu lorsqu’il dit : « Le masque est chez l’un offensive et chez l’autre une couverture. » Ce qui est intéressant pour nous, c’est que le masque de Fabrice est à la fois une offensive et une couverture. D’abord une couverture, parce qu’il lui permet de demeurer présent et vivant, sans craindre les foudres du duc. Ensuite une offensive, car à l’acte V il utilise ce masque pour effrayer le duc et en obtenir tout ce qu’il désire. Il usurpe donc totalement son rôle de fantôme, de mort, de personnage puissant et redoutable, et cependant demeure déguisé et dissimulé derrière ce masque pour se protéger.
On voit bien comme le déguisement et l’illusion sont à l’œuvre tout au long de la pièce. C’est sur ce principe que repose l’intrigue, les erreurs des personnages, la reconnaissance finale et tous les obstacles intermédiaires, qui ont permis de repousser cette fin le plus longtemps possible. Sans illusion de la mort de Fabrice, sans déguisement de Fabrice en fantôme, et illusion réussie sur les autres personnages, c’est l’action toute entière qui aurait eu un autre visage et n’aurait pu porter le nom de Fantôme amoureux.
Étude de la scénographie §
Nous ne trouvons, dans les Mémoires des décorateurs qui ont succédé à Mahelot, rien sur le dispositif scénique qui fut utilisé pour cette pièce, ni sur la distribution des rôles. Nous savons cependant que la troupe des Grands Comédiens était alors dirigée par Floridor, le plus grand acteur de son siècle. Parmi ces illustres acteurs, certains durent participer à la création de notre pièce en 1656. Cette troupe comptait Bellerose, qui avait interprété les grands personnages tragiques de Corneille, et avait précédé Floridor à la tête de la troupe puis s’était retiré en 1646, qui joua jusqu’en 1660 ; de Villiers, qui avait inventé le personnage comique de Philippin ; Montfleury, qui excellait autant dans les rôles d’empereur que dans ceux de valet burlesque ; Beauchâteau qui pourtant, aux dires de Boileau, était un « exécrable comédien » ; La Baron qui brillait dans les rôles de tendresse ; mademoiselle Bellerose qui fut la Camille, la Cléopâtre et l’Emilie de Corneille ; mesdemoiselles de Villiers et de Beauchâteau qui avaient respectivement interprété Chimène et l’Infante lors de la crétion du Cid au Marais.
On peut également préciser quel était le contexte général de représentation des pièces de l’époque, et en déduire les procédés pour cette pièce en particulier. L’Hôtel de Bourgogne est une salle rectangulaire composée d’une scène étroite, d’un parterre limité au fond par une loge et, sur les côtés, de deux étages de galeries. La scène a une largeur de 5-6 mètres seulement, pour une profondeur de 6, 25 à 7 mètres. L’acteur doit entrer par le fond, non par les côtés, car il n’y a pas de coulisses sur les côtés, la largeur étant trop petite. Elles sont seulement de 1 à 5 mètres derrière la toile de fond. Le décor est constitué de toiles peintes, ici nous en trouverions probablement trois, une au fond représentant le jardin de Climène, une autre sur un côté représentant l’appartement de Carlos, et une troisième de l’autre côté représentant celui d’Isabelle. Entre les habitations, la rue se dessinerait naturellement.
Le décor est donc simultané, composé de plusieurs chambres ou compartiments que le spectateur a sous les yeux en permanence. On compte ainsi cinq chambres : Les habitations sur chaque côté, la rue au milieu du plateau, le jardin au lointain, et sur les côtés également, des allées d’arbres sans doute, dessinées par des décors en bois peint posés sur des châssis. Une exception à ce décor simultané peut être notée cependant en ce qui concerne le cabinet d’Isabelle, petite chambre qui est probablement dissimulée derrière une porte, et qui s’ouvrira subrepticement au moment de la scène de cabinet.
Les scènes de cabinet étaient des scènes indispensables à toute bonne comédie à l’espagnole, on les attendait comme autant de morceau de bravoure. De telles situations de dissimulation fortuite demandaient des chambres ouvrantes munies de portes commodément ouvrables, percées dans la cloison du fond du compartiment, voire dans certains cas, dans la cloison latérale. Ainsi, lorsque Isabelle est forcée de dissimuler Fabrice dans le cabinet, elle ouvre soudain la porte incrustée dans le décor de son appartement, y pousse Fabrice et referme ce lieu dans lequel se trouve déjà Carlos. Si la porte est latérale, et si l’on aperçoit encore les personnages à l’intérieur du cabinet, le comique sera encore redoublé de voir Carlos étonné d’être rejoint sans rien y voir cependant.
Deux procédés sont spécifiques à notre pièce, qu’il nous faut expliciter ici clairement. D’une part, la mine, qui s’ouvre sous le jardin, d’autre part, le mur pivotant au fond du décor de l’appartement de Carlos. La représentation de la mine a dû nécessiter l’utilisation d’une machine avec un système d’élévation sous la scène, le plateau s’ouvrant par une trappe à cet endroit, c’est-à-dire, devant le décor du jardin situé dans le lointain. Ainsi, au moment où s’ouvrira la trappe, le sol ne sera plus le sol, le décor ne sera plus décor mais machine prodigieuse. Le décor participe donc lui aussi de cette illusion baroque, dans la mesure où le sol du jardin n’est pas ce qu’il semblait être. Il contenait plus qu’il ne laissait voir à première vue. Pour ce qui est des éléments de décor telles l’herbe et les fleurs virevoltant lors de l’ouverture de la mine, soit ils ont vraiment été placés sur la mine et propulsés au moment de son ouverture, ce qui veut dire que la trappe s’est ouverte à la verticale, soit la trappe a coulissé et l’acteur a lui même lancé les éléments depuis les dessous du théâtre, soit ils n’ont pas été placés sur la scène, la trappe a coulissé de l’intérieur, et dans ce cas la description de Climène aurait une véritable valeur d’ekphrasis. Pour cette scène donc, on utilise un décor mobile encore une fois. Alors que les autres procédés (mur pivotant, porte du cabinet, velum) exigent le recours aux décors se situant dans la cage de scène ou dans les cintres, celui-ci fait appel aux dessous du théâtre. L’espace se fait soudain plus profond qu’il ne paraissait. Un homme en surgit, et c’est toute une succession de mécanismes qui est mis en marche sous le plateau. Les fermes, machines à apparition, équipées sur les âmes, montants, disparaissent dans les dessous par les trapillons. Du dessous s’élève bientôt la trappe à apparition, petite plateforme qui monte grâce à un contrepoids. Ce procédé est d’une grande importance, car sa signification est très grande. C’est des dessous du théâtre que surgit le spectre, des entrailles de la terre, donc du purgatoire pour Climène. Il est en effet intéressant que le spectre sorte des entrailles de la terre, des dessous du théâtre, et non pas seulement d’une coulisse quelconque, puisque son existence s’appuie sur la croyance des personnages et des spectateurs dans le purgatoire. Son apparition en sera d’autant plus crédible, vraisemblable, effrayante et propice à l’amusement du spectateur qui sait qu’il ne s’agit que d’une simple mine.
Pour l’acte V, on utilise un mur pivotant, qui doit être intégré au décor de l’appartement de Carlos. On imagine donc que ce qui était jusqu’alors pris pour un décor de mur devient alors mobile, le fixe s’articulant brusquement, et permettant un nouvel espace de jeu et de confusion comique. Le mur pivote sur lui-même et dégage une petite ouverture sombre pour Fabrice qui doit se dissimuler. Il nous faut également supposer que ce mur se trouve sur le côté de la scène, qu’il est déjà disposé de biais sur la scène, si bien que lorsqu’il sera tourné un peu plus, les spectateurs pourront voir Fabrice derrière le mur, et le duc s’avancer un peu plus loin dans la semi-obscurité. Ainsi, derrière cet espace fraîchement créé, on place Fabrice à l’abri des regards extérieurs, mais non des regards du public, ni de ceux du duc, qui arrivera précisément par ce couloir sombre. On trouve ainsi une mise en scène dans la mise en scène aux effets on ne peut plus comiques.
L’éclairage est une donnée fondamentale de la scénographie, de même que la lumière est une donnée centrale de la dramaturgie. Ces deux éléments s’entre-influencent. En effet, ce que l’intrigue contient dans son rapport au jour et à la nuit déterminera nécessairement les moyens employés (lumière tamisées, jeux de lumière et d’ombres incessants permettant les quiproquos). De même, les moyens techniques mobilisables détermineront eux aussi nécessairement le jeu des acteurs, le décor utilisé, mais aussi jusqu’aux scènes de quiproquos elles-mêmes, et donc jusqu’au texte des acteurs jouant les scènes nocturnes. Si Fabrice décrit la venue de la lune et le déclin du soleil, c’est peut-être parce que l’on détenait à l’époque le moyen de diminuer la lumière par différents procédés (armature de fer posée au dessus des bougies) ainsi que la possibilité de disposer un velum au-dessus de la scène, figurant un ciel étoilé.
Les spectacles se donnaient ordinairement l’après-midi et devant une salle qui restait éclairée pendant toute la représentation. L’inventaire des décorations effectué au Marais en 1663 mentionne « quatre grands chandeliers de cristal et deux petits semblables », suspendus au-dessus de l’avant scène probablement. À cet éclairage principal s’ajoutait, à en croire Mahelot, un éclairage d’appoint de deux types. Les comédiens plaçaient des sources lumineuses de forte intensité en coulisse afin d’éclairer latéralement la scène à travers les issues ménagées entre les chambres. La lumière ainsi produite était réfléchie et diffusée grâce à de petits miroirs dissimulés dans les éléments décoratifs selon une technique bien connue en Italie au siècle précédent. Ainsi, on pouvait obtenir une lumière plus ou moins diffuse, plus ou moins feutrée. Ce qui explique que les scènes de quiproquos puissent être exécutées avec une lumière qui permette au spectateur de distinguer les personnages sans que leur visage soit cependant en pleine lumière par exemple.
La production de lumière nocturne est celle qui nous intéresse particulièrement. Dans les années 1640-1650, l’essor de la comédie à l’espagnol met à la mode des scènes nocturnes à multiples rebondissements, censées se passer dans une obscurité totale ou partielle. De nombreuses scènes nocturnes se retrouvent dans le théâtre de cette époque : dans L’Esprit folet de d’Ouville, Isabelle s’échappe d’une chambre après avoir éteint la chandelle puis assené un coup de poing à Carille ; dans les Fausses vérités de d’Ouville on trouve un quiproquo amoureux dans la nuit ; dans Don Bernard de Cigarral de Thomas Corneille, tout l’acte III se déroule dans la nuit. La mise en oeuvre de ces scènes exigeait des décorateurs une certaine habileté dans l’augmentation et la réduction rapide de la lumière, sans laquelle de telles phases de l’action auraient perdu tout leur piquant. Le fait que la plupart des comédies à l’espagnole écrites à cette époque comportent de tels épisodes suffit à prouver que ces techniques étaient convenablement maîtrisées à l’Hôtel de Bourgogne. Certaines notices de Mahelot laissent cependant penser que la simulation de la nuit ne faisait pas seulement appel à une modification de l’éclairage. Le premier rédacteur du Mémoire range la nuit parmi les accessoires nécessaires à la représentation de Lisandre et Caliste après « des casques, des bourguignottes, des rondaches, des trompettes et une espée qui se demonte ». Les décorateurs auraient donc peut-être eu recours à une sorte de velum semé d’étoiles déployé au-dessus de l’avant-scène. Cette technique est pratiquée en 1663 dans la salle de la rue Vieille-du-Temple, parmi les éléments recensés : « une grande toille peinte en nuict servant de plafonds au haut du parterre64. »
Cela nous permet donc de supposer que dans notre pièce, lors de la scène de retrouvaille des amants au début de l’acte IV, un velum a pu être utilisé. La description que Fabrice fait de l’apparition de la lune et de l’éloignement du soleil permet de penser qu’un velum a pu se déployer à ce moment là, tandis que la lumière diminuait sur la scène. Le dispositif du velum permet ainsi une apparition sonore et visuelle de l’astre de la nuit, astre qui demeurera tant que durera la nuit, et trônera au-dessus des personnages comme le gardien de leurs unions secrètes.
Les spectateurs sur scène et la liaison des scènes §
Nous pouvons penser que certains spectateurs étaient présents sur la scène au moment des représentations, ce qui pouvait gêner l’avancée des spectateurs. Charles Perrault note dans ses Parallèles des Anciens et des Modernes de 1688, que les entrées et sorties des spectateurs étaient rendues
fort incommodes et mettaient souvent en désordre les coiffures des comédiens, parce que, ne s’ouvrant que fort peu par en haut, elles retombaient rudement sur eux quand ils entraient ou quand ils sortaient.
Il leur fallait donc dépasser les spectateurs qui étaient sur le plateau même ; l’usage n’a pris fin qu’en 1759, et a dû commencer en 1637 avec le Cid : la lettre de Montdory à Balzac 1637 nous apprend que
la foule a été si grande à nos portes et notre lieu s’est trouvé si petit que les recoins de théâtre qui servaient les autres fois comme niche aux pages ont été des places de faveur pour les cordons bleus ; et la scène y a été d’ordinaire parée de croix de chevaliers de l’ordre.
Il y a ainsi des spectateurs sur la scène, dans les angles que fait la toile de fond avec les décors latéraux, et dans les petits compartiments aménagés sur les côtés du plateau. Ils gênent de toute façon l’avancée de l’acteur. Et les acteurs ne peuvent pas se permettre de contourner à vive allure ces spectateurs, ils doivent soutenir par une démarche noble et lente le prestige des personnages qu’ils représentent. L’attribut essentiel d’un roi est la majesté, les rois et les princes représentés ne peuvent marcher que lentement, les confidents doivent les suivre, ils ne peuvent donc pas non plus marcher vite. Les acteurs doivent en plus venir jusque sur le devant du plateau : c’est là que se joue la quasi-totalité des scènes, sauf celles qui se jouent dans un compartiment. La raison en est que c’est là qu’ils étaient le mieux entendus (l’acoustique étant mauvaise et les spectateurs bruyants), et le mieux vus (l’éclairage étant faible et les décors étant trop petits, la proportion serait mauvaise s’ils en étaient trop près).
Il est également important de justifier les entrées mais surtout les sorties des personnages : D’Aubignac en 1657 le dit ainsi : « les excellents dramatiques ont toujours accoutumé de faire dire aux acteurs où ils vont, quel est leur dessein quand ils sortent du théâtre ». Corneille précise que ce principe de justification est « surtout pour la sortie […], et il n’y a rien de si mauvaise grâce qu’un acteur qui se retire du théâtre seulement parce qu’il n’a plus de vers à dire. » Pour l’entrée, c’est moins nécessaire, le spectateur attendant déjà avec curiosité ce que va dire le personnage qui arrive : « l’auditeur attend l’acteur ». Ainsi, à la fin de chaque scène, les personnages annoncent leur dessein prochain, ou bien l’arrivée d’un nouveau personnage soit qu’ils vont rencontrer, soit qui les fait fuir. À la fin de l’acte II, chacun annonce ses intentions avant de sortir de scène : Fabrice doit partir pour Florence, du moins le prétend-il ; Isabelle ira chez Climène ; Alphonce doit se rendre chez Carlos. Ces liaisons peuvent également fonctionner comme soutien de la tension dramatique. A la fin de la scène 6 de l’acte III, Climène laisse Fabrice et justifie sa sortie par le prétexte qu’elle ira chercher ses pierreries avant de fuir, ce qui retarde le dénouement attendu. Mais ces liaisons peuvent aussi contribuer à l’accent comique des situations qui s’entremêlent. Durant l’acte III, lorsque le fantôme apparaît à plusieurs reprises, c’est une succession de fuites devant des spectres de personnages avançant dans la nuit qui lie les scènes de façon furtive et comique : le duc fuit Climène, qu’il préfère observer depuis sa cachette à la fin de la scène 1 ; Fabrice se dissimule dans la mine, à l’approche de pas qu’il n’identifie pas à la fin de la scène 4, tandis que Climène vient de s’évanouir à la vue de Fabrice qu’elle prend pour un fantôme.
Ces indications de mouvements ne sont donc pas contenues dans des didascalies, ce qui se fera plus par la suite, mais elles sont bien contenues dans les dialogues directement.
Des indications scéniques §
Le texte doit se suffire à lui-même, il n’est pas besoin de didascalies ni même de signalisation des changements de scène : D’Aubignac dit ainsi que « le poète doit faire parler ses acteurs avec tant d’art qu’il ne soit pas même nécessaire de marquer la distinction des actes et des scènes, ni même de mettre les noms des entreparleurs ». Les auteurs du XVIIe siècle ont pensé comme d’Aubignac et ont été économes d’indications scéniques et ont donné le plus d’indications possibles dans le texte même. Sans doute se méfiaient-ils des imprimeurs de leur temps : il arrive assez souvent que ceux-ci défigurent ou déplacent les indications scéniques, attribuent à un personnage les répliques prononcées par un autre ou omettent dans l’intitulé d’une scène le nom d’un personnage. Ainsi les indications scéniques sont-elles minimalistes dans notre texte. On trouve seulement une vingtaine de didascalies, dont la plupart son très succinctes. Ce sont trois ou quatre mots seulement pour indiquer que Fabrice fuit à l’acte I, encore quelques uns pour annoncer que les gardes le suivent. Ces gestes parlent en effet d’eux mêmes et donneraient moins d’effet à être seulement décrits par un personnage. À l’acte II, la didascalie précise que l’on montre un corps massacré sur un lit. On aura donc à suggérer cette mort toute proche des personnages, et non à l’exhiber sur le devant de la scène. À l’acte III, la didascalie indique un bruit cette, fois, celui de la mine qui s’entrouvre. Il s’agira donc ici d’utiliser des bruitages pour donner plus d’effet à cette scène aux allures surnaturelles. À la suite de cela, on trouve encore une didascalie explicitant les gestes de Climène. Très succinctement, on sait qu’elle devra s’évanouir, sa chute funeste donnera plus de tension à l’action, et peut-être aussi une petite touche burlesque, puisque ce sera le moyen de manquer une fois de plus son amant.
Ainsi, les indications scéniques sont très rares et très succinctes lorsqu’elles apparaissent. Elles sont donc, pour leur majorité, beaucoup plus contenues dans les répliques que notées en didascalies. Notons, par exemple, à l’acte III, l’exclamation du duc à la vue du dédain de Climène, ces vers suffisent à indiquer le jeu du personnage, un geste de lassitude, un regard outré. De façon analogue, au même acte, la description de la pâleur de Climène par Jacinte permet de présumer que son visage devra être fardé d’une manière particulière, que ses traits devront se ressentir d’une certaine langueur funeste. Plus parlant encore, lorsque Climène se défend de Valère qui tente de l’emmener de force à l’acte III, on comprend aussitôt qu’il a dû avoir un geste violent, une action coercitive quelconque qu’il faudra rendre avec vigueur.
Note sur la présente édition §
Notre édition a été établie à partir du texte original, première édition du Fantosme amoureux de Philippe Quinault, imprimée en 1657 à Paris chez Claude Barbin.
Ce texte se trouve à la Bibliothèque Richelieu sous la cote 8 – RF- 6757. En voici la description :
6 ff. 79 p. et privilège : front. gr. ; in 12°.
[I] : LE / FANTOSME / AMOUREUX / TRAGI-COMEDIE / DE Mr QUINAULT / (vignette, coupe remplie de fruits) / A PARIS, / Chez CLAUDE BARBIN, / dans la gran’ / Sale du Palais, du costé de la Sale Dauphine, / au Signe de la CROIX. / [barre] / M. DC. LVII. / Avec privilege du Roy.
[II] : verso blanc.
[III, IV, V, VI, VII] : Epître dédicatoire.
[VIII] : Liste des personnages.
Pages 1 à 79 : Texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de chaque page paire.
[IX, X] : Privilège du Roi.
Le texte que nous avons reproduit dans la présente édition suit exactement le texte original publié en 1657 chez Claude Barbin. Le document original se trouve au département Arts du spectacle de la Bibliothèque Richelieu, et en raison de sa grande fragilité, on ne peut le consulter que sous la microfiche 8 – RF- 6757. Cet exemplaire a été suivi fidèlement, car d’une part nous tenions à rester près de la graphie d’origine, et d’autre part il ne comportait que très peu d’erreurs de frappe, et aucune de ponctuation. Nous avons également consulté les éditions ultérieures à l’édition originale, celles de 1715, de 1739 et de 1778, publiées chez Jean Ribou, qui nous ont certes apporté un élément biographique important, la Vie de Quinault par Boscheron, mais aucun changement édifiant quant au texte lui-même, si ce n’est de nombreuses erreurs de frappe et de ponctuation, que nous aurions dû corriger et supprimer si nous avions travaillé à partir de ces exemplaires.
Éléments de modernisation §
Nous avons tenu à rendre le plus fidèlement possible la graphie originale. Mais sur de rares points, nous avons voulu faciliter l’intelligence du texte : Ainsi, pour plus de clarté, nous avons distingué le –i du –j, confondus en –i dans le texte d’origine, et le –u du –v, confondus à l’époque en –u. Nous avons remplacé les tildes « » par les groupes nasalisés –en, –an, -on, am-
et -om. De même, nous avons introduit des accents diacritiques là où ils manquaient encore, pour une plus grande clarté. En revanche, la ligature « & » a été maintenue lorsqu’elle apparaissait dans le texte original, et n’a pas été remplacée par la coordination « et ».
De même, l’orthographe encore polymorphe et non régulée du XVIIe siècle n’a pas été modernisée. Il était question pour nous de rendre au mieux le texte dans la langue de l’époque qui, bien qu’étant déjà du français, n’en chantait pas moins d’une toute autre façon. Nous avons donc préféré cette irrégularité orthographique qui sert la diction classique à une modernisation qui s’en serait éloignée. On trouvera souvent des mots orthographiés de plusieurs façons différentes dans notre texte ; nous avons tenu à maintenir cette hésitation orthographique, signe d’une richesse de la langue en pleine évolution.
Les voyelles §
Le tréma apparaît fort souvent dans le texte, nous expliquons ici la raison de ses diverses utilisations.
– Il sert à distinguer des voyelles dont la seconde est un e final muet : c’est le cas dans aiguë, issuë, conçeuë, inpreveuë, ruë, tuë.
– Il distingue u voyelle de u consonne dans oüy, loüer, évanoüir, évanoüye, cercueüil.
– En revanche, il ne note pas encore systématiquement la disjonction. Ainsi on trouve hairois au vers 283.
L’accent circonflexe sert d’une part à garder un souvenir étymologique du s disparu, c’est le cas dans accoûtume, soûtient, coûtera, soûmettre, brûle, soûpire, toûjours, mais il sert aussi d’autre part à marquer les oppositions de longueurs : ainsi dans trône ou thrône, pâleur. Et dans les mots où les consonnes finales ont disparu, il sert également à marquer la longueur des voyelles : ainsi dans crû, pû.
Le y :
– D’après Lanoue 1624, la graphie y sert à noter une prononciation monosyllabique. Ainsi dans aymer, abuseray, ay, sçay.
– En revanche il note la disjonction de la diphtongue [w] dans loy, foy, toy, moy.
– On trouve également le y calligraphique, qui servait, comme lettre legibilior, à noter i en finale des substantifs, des adjectifs et des participes : amy, celuy, ennuy, icy.
Le e ouvert se note par la graphie ei que l’on trouve dans ameine, peine, promeine, emmeine, meine.
Le e fermé se note de plusieurs façons :
– Dans cét, l’accent aigu note le s muet interne, étymologique, qui a disparu (la forme ancienne étant cest, cestuy la).
– On le signale par un s adscrit. On trouve ainsi par exemple espendre, escrire, esloigner, esclaircir, empescher, escouter…
– C’est l’Académie française qui introduit systématiquement l’accent aigu en finale et devant en 1694.
– En revanche, on le distingue du e ouvert avec le z muet, dans succez, beautez, clartez, obscuritez, et avec le r muet dans percer au vers 595 et toucher au vers 1460.
La voyelle nasale [an] hésite entre la graphie –en et la graphie –an : on trouve par exemple pante au vers 11, anchantement au vers 1698, asseurence au vers 1288 et asseurance au vers 1316.
De même les anciennes diphtongues nasales ain et ein oscillent entre la graphie ein et la graphie ain. on trouve en effet estainte au vers 659 et esteint au vers 1110, tainte au vers 817 et teint au vers 492.
Consonnes §
On trouve indifféremment les graphies s et z pour noter le son [z]. Ainsi, au vers 69 on a orison pour horizon, alors qu’on a hazard pour hasard aux vers 669 et 997, hazardes pour hasardes au vers 1228, et oze pour ose au vers 1010.
On trouve, au vers 1362, achepté pour acheté. Il s’agit ici de l’ajout d’une consonne qui a trois raisons. Elle s’explique d’abord étymologiquement, l’étymon selon les classiques étant le latin accipio, qui signifie prendre pour faire venir à soi, recevoir. La forme du supin est en effet acceptum, proche de celle d’achepter, et le sens de ce verbe est alors plus proche d’une appropriation par laquelle un bien spirituel devient sien, que de l’achat commercial d’un bien.
Cette graphie a également une explication phonique, car si la consonne n’est pas prononcée, elle indique néanmoins le [e] ouvert, plus proche du son [a] que de la voyelle [e]. Il y eut en effet entre le XVe et le XVIIe siècle une hésitation orthographique entre achepter et achapter, car le e ouvert suivi de deux consonnes s’est alors ouvert en a dans la prononciation parisienne. Cette prononciation était particulièrement goûtée au théâtre, comme le note Ménage en 1675 : « l’a est plus emphatique et plus majestueux que l’e. »65
Cette graphie s’explique enfin par des raisons de lisibilité de la syllabe et de prononciation du [e] ouvert. De nombreuses consonnes qui avaient été amuïes avant le XVe siècle ont été réintroduites à l’écrit au XVe, XVIe siècle par réfection étymologique. Ces consonnes étaient muettes et n’avaient pas de valeur diacritique mais aidaient à la lisibilité, marquant la fin de la syllabe. Ainsi on trouve achept et laict respectivement pour achat et lait, les deux [e] étant ouverts.
Le son [s] se note indifféremment s ou c. On trouve ainsi offence au vers 169, offense au vers 290, deffence au vers 590, deffense au vers 405, dispence au vers 707, et dispensent au vers 1201.
Les géminées sont particulièrement touchées par cette indétermination orthographique. Elles sont certes déjà utilisés pour signaler le [e] ouvert, mais on les trouve aussi dans jetté au vers 601, dans le verbe apercevoir qui s’écrit appercevoir, dans suite qui s’écrit suitte, dans traiter qui s’écrit traitter. Et inversement, elles disparaissent dans certains mots : on trouve par exemple pouray au vers 30. On ne saurait donc énoncer une règle pour cette époque.
L h :
– Le h étymologique, présent en début de mot, a été supprimé dès les documents épigraphiques latins, et restitué que beaucoups plus tard, au XVIe s ou bien après. Ainsi a-t-on pu passer de horizon à orizon au vers 69.
– En revanche, un h non-étymologique peut être rajouté devant une voyelle pour éviter l’élision ou la liaison. Nicot note en 1606 : « Le François le prononce de plus forte haleine, et par aspiration » ; « il faut observer qu’en quelques mots qui n’avoient point d’h, dans le latin et qui en prennent une françois elle se prononce ; par exemple en haut qui vient d’altus. » Ce phénomène a dû s’étendre à la diction, comme le montre le h de herreur au vers 1378.
Étymologie §
D’une part, on trouve des marques étymologiques fortes comme les lettres adscrites. Ainsi, on trouve escrire pour écrire et advertir pour avertir. Le d de advenir est une lettre diacritique adscrite qui montre que le u a bien la valeur d’un v, mais c’est aussi une lettre étumologique vient aussi du latin advenio.
D’autre part, on trouve de nombreuses fautes d’étymologie : la graphie sçavoir vient du fait qu’on a pris scire au lieu de sapere comme étymon du verbe. On retrouve cette erreur tout au long du texte.
– Au vers 538 c’est tyrannie qui est écrit tirannie, s’éloignant du latin tyrannus.
– La règle de la transformation du n en m devant le p vient du latin, mais elle n’en est pas une au XVIIe siècle ; ainsi on trouve au vers 904 inpreveuë au lieu de impreveuë.
De même, les désinences sont souvent approximatives :
– On trouve vois pour voix au vers 904 ; on a donc ignoré ici l’étymon vox.
– Aux vers 152 et 1091 on trouve la graphie accort. Il s’agit ici d’une confusion entre deux termes qui ont originairement un sens et une étymologie différents. Accort, dans notre texte, emprunte le sens de accord et la graphie de accort. Alors que accord vient du latin accordare ( ac réunion, corda des cœurs), accort vient du latin accorigere, s’apercevoir, et de l’italien accorto, habile, avisé, d’humeur facile. On assiste donc ici à un flou étymologique caractéristique de l’époque.
– De même, au vers 172 on trouve la graphie exité pour excité ; ici aussi, la phonétique est respectée mais l’étymon, excitare, disparaît.
Corrections de mots entiers dans un vers §
Il nous a semblé pour ces deux vers, que le sens nécessitait la substitution d’un mot entier pour un autre (On note ici l’erreur d’origine à chaque fois, la version corrigée se trouvant dans notre texte) :
v. 839 : Et souffrons nos sanglots, interdisons nos pleurs
v. 522: Je me sens plus atteint de tes coups que moy-mesme
Erreurs de frappe §
On note ici l’erreur d’origine à chaque fois, la version corrigée se trouvant dans notre texte.
v. 168 : n’aquit
v. 180 : Ma
v. 548 : jay
v. 603 : Ma
v.621 : qui la
v.657 : dont
v. 660 : ny
v. 779 : senta
v. 1129 : ma
p. 55 : cahier F au lieu du cahier E
v.1532 : il l’a
v. 1685 : un ombre
v. 1743 : veillez
v. 1702 : logis,
Erreurs de numérotation de cahier §
p. 55, on a cahier [F iiij] au lieu de [E iiij]
Erreurs de prosodie §
v.843 : au dedans (suppression de au)
v.1233 : encore (suppression du e)
v.1713 : encore (suppression du e)
Sur la ponctuation §
Le point d’exclamation et le point d’interrogation sont souvent confondus dans la littérature du XVIIe siècle, exprimant tous deux une certaine émotion dans le ton de la voix qui monte. Mais à l’époque où paraît cette pièce déjà, on distingue les deux ponctuations. Nous avons donc bien différencié les deux points afin qu’ils correspondent à une lecture moderne.
Le trait d’union est rare jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Dans les groupes verbaux avec inversion du sujet de notre texte d’origine, il n’apparaissait que sporadiquement ; nous avons trouvé bon d’unifier la graphie en établissant un tiret à chaque groupe qui en manquait.
En revanche, l’apostrophe, dans le groupe a-t’il , a été maintenue.
Le point peut avoir la valeur d’une longue pause, entre deux propositions. Ainsi, au vers 389, alors que la phrase n’est pas terminée, on trouve un point après la concessive. Nous avons conservé cette ponctuation. De même au vers 479, le point séparant les deux propositions a été maintenu, car considérant l’émotion d’Alphonce au moment où il doit annoncer la mort de son propre fils, il est fort probable que la pause soit longue avant qu’il ne prononce la deuxième partie de la phrase.
De même, il arrive souvent que des phrases interrogatives se terminent par un simple point. Cela indique que la question est purement informative, qu’il n’y a aucune marque d’émotion ni de montée de la voix à la fin du vers. Nous avons maintenu cette ponctuation.
Erreurs de ponctuation §
v. 205 : Reignez rien
Erreurs de grammaire §
v. 288 : t’est
v. 564 : fit
v. 941 : exposé
v. 1021 : commune
v. 1031 : fût
v 1381 : tu n’entre
v. 1452 : tu presume
v. 1634 : ne t’abuse
On trouve de nombreuses terminaisons de verbes ne correspondant pas avec le sujet lorsque celui-ci est postposé. Nous ne les avons pas corrigées, comme elles apparaissaient de façon récurrente. On trouve ainsi :
v. 309, 1618 : Entend-je
v. 1305 : Arreste-tu
v. 80 : Doute-tu
v. 1551 : Fonde-tu
Les participes passés sont également parfois approximatifs. On en trouve deux écrits comme des infinitifs, que nous n’avons pas modifiés dans le texte, car il servait la diction :
v. 595 : Percer pour percé
v. 1460 : Toucher pour touchée
LE
FANTOSME
AMOUREUX
TRAGI-COMEDIE §
EPISTRE
A MONSEIGNEUR,
MONSEIGNEUR LE COMTE DE SAINT AIGNAN66, CONSEILLER DU ROY EN SES CONSEILS D’ESTAT, Lieutenant General en ses Armées, & premier Gentilhomme de la Chambre. §
Monseigneur,
C’est avec beaucoup de crainte et & de trouble que j’ose prendre la liberté de vous offrir cette Tragi-Comedie ; Je n’ay pas assez tiré de vanité du bon-heur qu’elle a eu de ne pas déplaire sur le Theatre, pour m’assurer qu’elle soit autant heureuse en se presentant à vous sur le papier ; Je suis persuadé que vous avez des lumieres peu communes pour la connoissance des belles choses : Je sçay que vous en sçavez parfaitement discerner les beautez, les artifices & les deffauts ; & que cet Ouvrage n’a rien qui ait esté treuvé juste, que vous ne puissiez treuver deffectueux avec justice, si vous l’examinez avec rigueur : Mais quand je serois assuré qu’il ne recevroit de vous que du mépris, je ne changerois le dessein que j’ay fait de vous l’offrir ; & n’aurais pas de honte de vous faire connoistre ma foiblesse, pourveu que j’eusse au moins l’honneur de vous faire paroistre mon zele. La passion, MONSEIGNEUR, qui m’oblige à vous honorer, n’est pas une passion nouvelle : Aussi-tost que j’ay commencé d’avoir quelque connoissance de ce que l’on appelle Merite, j’ay commencay d’avoir des sentimens de veneration pour vous : J’ay ensuite appris tout ce que je sçay de la belle Poësie, en vous entendant loüer : je suis mesme obligé d’avoir des ressentimens eternels d’un grand nombre de liberalitez que vous avez faites, & j’estime que vous n’en douterez pas, quand vous sçaurez que j’ay eu le bon-heur d’avoir feu l’illustre Monsieur Tristan pour Maistre dans un Art où il estoit sans doute admirable, puis qu’il y a merité vostre estime. Encore que cét Homme excellent vous ait consacré ses veilles les plus laborieuses, & qu’il ait rendu son nom immortel en voulant eterniser le vostre, il n’a pas laissé de reconnoistre en mourant que les loüanges n’estoient pas encore en si grand nombre que vos bienfaits : Je suis tesmoin que dans ses derniers moments, il a tesmoigné moins de regret de voir sa vie achevée, que de laisser sa reconnoissance imparfaite & je croirois commettre une espece de larcin, si je ne vous offrois, pour l’acquitter, toutes les lumieres dont je luy suis redevable. Quelque juste défiance que j’aye de mon peu d’artifice, j’ose toutesfois m’assurer de ne dire que des choses extraordinaires , pourvu que vous ayez la bonté de me permettre de parler de vous ; & je croy n’avoir pas besoin d’estre fort ingenieux pour reüssir dans ce dessein, puisque pour n’escrire rien de vous que de merveilleux, il suffit de n’escrire rien que de veritable. Mais ce n’est pas en cét endroit que je pretends commencer à former quelques traits à votre gloire, c’est dans un Ouvrage beaucoup plus fort & plus estendu qu’une Lettre, que je me propose de faire une peinture esclattante de toutes vos admirables qualitez, & de vos actions toutes heroïques. Je me contenteray seulement de vous oser icy demander avec respect la permission de me dire,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur, QUINAULT.
LES PERSONNAGES. §
- CARLOS, Amant d’Isabelle,& amy de Fabrice.
- CLARINE, Suivante d’Isabelle.
- FABRICE, Amant de Climene.
- CLIMENE, Maîtresse de Fabrice & du Duc.
- JACINTE, Suivante de Climene.
- FERDINAND, Duc de Ferrare.
- VALERE, Capitaine des Gardes du Duc.
- ISABELLE, Sœur de Fabrice.
- ALPHONCE, Pere de Fabrice & d’Isabelle.
- LICASTE, Domestique d’Alphonce.
- CELIN, Domestique de Carlos.
- GARDES.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
CARLOS.
CLARINE.
CLARINE.
CARLOS.
CLARINE.
A m’expliquer sansCARLOS.
CLARINE.
CARLOS.
CLARINE.
CARLOS.
CLARINE.
CLARINE.
Oüy je sçay vosCARLOS seul.
SCENE II §
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS à part.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS à part.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
SCENE III §
CLARINE s’adressant à Fabrice, croyant parler à Carlos.
FABRICE.
CLARINE à part.
FABRICE.
CLARINE.
FABRICE.
SCENE IV. §
CLIMENE sortant de son logis.
CARLOS.
FABRICE.
FABRICE arresté par Climene.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
SCENE V. §
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
SCENE VI. §
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
JACINTE sortant de chez Climene.
FABRICE.
SCENE VII. §
CLIMENE s’adressant au Duc, & croyant parler à Fabrice.
FABRICE à part.
CLIMENE.
FABRICE à part.
CLIMENE.
LE DUC à part.
FABRICE à part.
CLIMENE.
FABRICE à part.
CLIMENE.
LE DUC à part.
FABRICE à part.
CLIMENE.
LE DUC.
FABRICE en s’enfuyant.
LE DUC.
JACINTE.
CLIMENE.
SCENE VIII. §
VALERE.
JACINTE sortant du logis de Climene.
JACINTE.
LE DUC.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
ISABELLE.
ISABELLE.
CLARINE.
ISABELLE.
CLARINE.
ISABELLE.
ISABELLE.
ISABELLE.
CLARINE.
ISABELLE.
CLARINE.
ISABELLE.
SCENE II. §
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CLARINE.
SCENE III. §
ALPHONCE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ALPHONCE.
ISABELLE à part.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
Ah que souvent nos attentes sontISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
SCENE IV. §
LICASTE.
ALPHONCE.
LICASTE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
SCENE V. §
CLARINE.
ALPHONCE.
Estes-vousCLARINE.
ALPHONCE.
CLARINE.
ALPHONCE.
CLARINE.
ALPHONCE.
CLARINE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
SCENE VI. §
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
Par des regrets n’accroists point maSCENE VII. §
ISABELLE.
ALPHONCE.
SCENE VIII. §
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
SCENE IX. §
CARLOS sortant du Cabinet.
SCENE X. §
LE DUC.
ALPHONCE, montrant au Duc le corps qui est sur le lict.
LE DUC.
CARLOS à part.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
CARLOS.
Je vous donne maALPHONCE.
LE DUC.
ALPHONCE à Carlos.
CARLOS.
SCENE XI. §
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
JACINTE.
LE DUC.
JACINTE.
LE DUC.
JACINTE.
LE DUC.
JACINTE.
LE DUC.
JACINTE.
SCENE II. §
JACINTE.
CLIMENE.
JACINTE.
CLIMENE.
LE DUC.
LE DUC.
JACINTE.
SCENE III. §
CLIMENE seule.
STANCES.
SCENE IV. §
FABRICE sortant de la Mine.
SCENE V. §
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
SCENE VI. §
FABRICE.
JACINTE à Climene.
CLIMENE.
JACINTE.
CLIMENE.
FABRICE se découvrant.
JACINTE.
CLIMENE.
Quoy, Jacinte me laisse ?JACINTE en s’enfuyant.
FABRICE retenant Climene.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
SCENE VII. §
FABRICE.
JACINTE.
FABRICE.
JACINTE.
FABRICE à part.
JACINTE.
JACINTE.
FABRICE.
JACINTE.
FABRICE.
JACINTE.
FABRICE.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
FABRICE.
SCENE II §
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
SCENE III. §
VALERE.
FABRICE.
CLIMENE.
VALERE.
CLIMENE.
CLIMENE.
VALERE.
CLIMENE.
VALERE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
CLIMENE parlant tout bas.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE.
CLIMENE à part.
FABRICE.
FABRICE.
VALERE.
LE DUC.
SCENE IV. §
CARLOS sortant de la mine.
VALERE.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
VALERE.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
CARLOS.
SCENE V. §
CLIMENE.
CARLOS.
CLIMENE.
CARLOS.
CLIMENE.
CARLOS.
CLIMENE.
CARLOS.
CLIMENE.
SCENE VI. §
JACINTE.
ISABELLE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
ISABELLE.
ISABELLE.
JACINTE.
ISABELLE.
JACINTE.
SCENE VII. §
FABRICE.
JACINTE.
ISABELLE.
FABRICE.
ISABELLE, bas.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
ISABELLE.
FABRICE.
SCENE VIII. §
CARLOS.
LE DUC.
CARLOS à Isabelle.
ISABELLE à part.
C’est Carlos, suivons-le sansLE DUC.
SCENE IX. §
CLIMENE.
FABRICE.
LE DUC.
CLIMENE.
LE DUC.
FABRICE.
CLIMENE.
FABRICE.
CLIMENE.
LE DUC.
Fin du Quatrième Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
Il suffit ingrat, ton crime est confessé,CARLOS.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
SCENE II. §
ALPHONCE.
CARLOS.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
ALPHONCE.
ISABELLE.
ALPHONCE.
CARLOS.
ISABELLE.
ALPHONCE.
CARLOS.
ALPHONCE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
ISABELLE.
ALPHONCE à part.
CARLOS.
ALPHONCE.
SCENE III. §
FABRICE.
ALPHONCE.
ALPHONCE à Carlos.
CARLOS.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
FABRICE.
ALPHONCE.
CLIMENE.
Ouy, Seigneur, je m’y suis engagée :ALPHONCE.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE.
CARLOS.
ISABELLE.
CARLOS.
FABRICE.
ALPHONCE.
CARLOS.
SCENE IV. §
CELIN à Carlos.
CARLOS.
ALPHONCE.
CARLOS.
CLIMENE.
FABRICE.
CARLOS.
FABRICE seul.
SCENE V. §
LE DUC seul.
FABRICE.
C’est Fabrice,LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE à part.
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE.
LE DUC.
FABRICE à part.
LE DUC.
FABRICE à part.
LE DUC à part.
FABRICE à part.
LE DUC à part.
SCENE VI. §
CLIMENE.
LE DUC.
Vois-je encor maVALERE.
LE DUC.
CARLOS.
LE DUC.
ALPHONCE.
LE DUC.
ALPHONCE.
LE DUC.
ALPHONCE.
LE DUC.
ALPHONCE parlant à Carlos.
CARLOS s’adressant à Alphonce.
VALERE.
LE DUC.
ALPHONCE.
LE DUC.
SCENE DERNIERE. §
FABRICE sortant de derriere le faux mur.
LE DUC.
ALPHONCE.
FABRICE.
LE DUC.
ALPHONCE.
CARLOS.
LE DUC.
Fin du cinquiesme & dernier Acte.
Privilege du Roy. §
LOUIS par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre ; A nos amez & feaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement, Baillifs, Seneschaux, Prevots, ou leurs Lieutenans, & à tous autres nos Justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut : Nostre tres-cher & bien-aimé Claude Barbin, Marchand Libraire en nostre bonne Ville de Paris, nous a fait remonstrer qu’il desiroit faire imprimer une piece de Theatre, intitulée, Le Fantosme Amoureux, composé par le Sieur Quinault, & réimprimer un Livre cy-devant imprimé intitulé, Thesaurus Sacerdatum & Clericorum Locupletissimus insigni pietatis ac devotionis supellectile exuberans in sex loculos seu partes segregatus, &c. S’il nous plaisoit luy vouloir permettre, nous requerant à cettefin octroyer nos Lettres sur ce necessaires. A CES CAUSES, ne voulant priver le public de si beaux ouvrages, Nous avons permis & permettons audit Barbin d’imprimer lesdits Livres intitulez, Le Fantosme Amoureux, & le Thesaurus sacerdotum & Clericorum Locupletissimus insigni pietatis, &c. & iceux vendre & debiter en tels volumes & carracteres que bon luy semblera, pendant le temps de cinq ans, à commencer du jour que lesdits Livres auront esté achevez d’imprimer pour la premiere fois : Faisant tres-expresses inhibitions & deffenses à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer ou faire imprimer en tout ou en partie, vendre & debiter, contrefaire, alterer, ny apporter de contrefaits des Pays estrangers lesdits Livres en quelques langues que ce soit, sans le consentement dudit Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens, dommages & interests, & de confiscation des exemplaires contrefaits, à la charge d’en mettre trois exemplaires, sçavoir deux en nostre Bibliothecque, & un en celle de nostre tres-cher & feal le Sieur Seguier Chancelier de France, avant que de l’exposer en vente, suivant nostre Reglement : Si vous mandons que des presentes vous ayez à faire jouyr ledit Exposant plainement & paisiblement, contraignant tous ceux qu’il appartiendra par toutes voyes deuës & raisonnables : Car tel est nostre plaisir. DONNÉ à Paris le vingt-neufième Septembre mil six cens cinquante-six. Et de nostre regne le treiziéme. Et plus bas, Par le Roy en son Conseil. Signé, Le Gros. Et scellé du grand Scau de cire jaune.
Les Exemplaires ont esté fournis, ainsi qu’il est porté par le Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires le 4. Octobre 1656. Signé BALLARD.
Achevé d’imprimer le Sixième Octobre 1656.
Glossaire §
Tous les termes de ce glossaire ont été signalés par un astérisque dans le texte. Nous relevons ici, pour chaque terme, les acceptions qui ont subi une évolution depuis le XVIIe siècle. Nous nous référons à trois dictionnaires datant du XVIIe siècle :
– le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, publié en 1684.
– le Dictionnaire françois de Pierre Richelet, publié en 1680.
– le Dictionnaire de l’Académie françoise, publié en 1694.