SCÈNE PREMIÈRE. Stratonice, Séleucus, Policrate, Zénone. §
STRATONICE.
725 Le soin de notre hymen tout entier vous regarde,
Et si vous souhaitez, Seigneur, qu’on le retarde,
Vous en êtes le maître, et dans ce sentiment
Vous n’avez pas besoin de mon consentement.
SÉLEUCUS.
Si vous n’y consentez, je ne puis l’entreprendre.
STRATONICE.
730 Si vous le désirez, je ne puis m’en défendre,
Et vous avez déjà sur moi des droits sacrés
Pour me faire vouloir ce que vous désirez.
Ne consultez que vous, différez sans rien craindre,
J’aurais bien du regret, Seigneur, de vous contraindre.
SÉLEUCUS.
735 N’outragez point ma foi jusqu’à vous figurer
Que par froideur pour vous je cherche à différer.
Mon cour suit mon devoir et ma seule tendresse
Demande ce délai pour mon fils qui m’en presse.
STRATONICE.
Quoi, ce délai, Seigneur, du prince est souhaité ?
SÉLEUCUS.
740 Lui-même avec ardeur m’en a sollicité ;
Sans lui jamais ce soin n’eut entré dans mon âme.
STRATONICE.
Quoi, lui-même ?
SÉLEUCUS.
Quoi, lui-même ? Oui, lui seul, n’en doutez point, Madame.
STRATONICE.
Ah, je n’en doute point, et mon cour interdit,
En croit bien plus encore que vous n’en avez dit ;
745 Je crois qu’auprès de vous le prince a l’injustice
De me rendre toujours quelque mauvais office ;
Je crois qu’il ne peut voir mon hymen qu’à regret,
Je crois que mon bonheur fait son tourment secret,
Je crois qu’il veut m’ôter ce que j’obtiens de gloire,
750 Je crois qu’il vous y porte.
SÉLEUCUS.
Je crois qu’il vous y porte. Ah, c’est un peu trop croire.
STRATONICE.
Quoi, Seigneur, dans la haine où je le vois pencher,
Prenez-vous intérêt jusqu’à me la cacher ?
SÉLEUCUS.
Non je n’entreprends point de vous cacher sa haine,
Je sais que je prendrais une inutile peine,
755 Puisqu’on ne voit que trop en chaque occasion
Les bizarres effets de cette aversion,
Et que son âme en est si fortement touchée,
Qu’il me désavouerait si je l’avais cachée.
Je n’entreprends ici que de vous assurer
760 Que c’est un sentiment qu’il ne peut m’inspirer ;
Que je ne trouve en vous rien qui ne doive plaire,
Que la haine du fils ne va point jusqu’au père,
Et que cette injustice indigne de son rang
A du moins respecté la source de son rang.
STRATONICE.
765 Si je vous plais, Seigneur, je dois être contente, ;
Toute autre aversion doit m’être indifférente,
Et mon âme livrée au pouvoir d’un époux
Doit borner ses désirs et ses craintes en vous.
On peut croire pourtant que sa haine enflammée
770 Aurait déjà cessé si vous m’aviez aimée,
Et qu’ayant sur un fils un pouvoir absolu,
Il aurait pu m’aimer si vous l’aviez voulu.
SÉLEUCUS.
N’accusez que mon fils, assurez-vous, Princesse,
Qu’il ne tient pas à moi que sa haine ne cesse.
775 J’ai fait ce que j’ai pu pour vous en faire aimer,
Il a des sentiments qu’on ne peut trop blâmer,
Et j’aurais empêché son cour d’oser les prendre,
Si jusques sur son cour mes droits pouvaient s’étendre ;
Il tient de moi le jour, il est dessous ma loi,
780 Mais son âme est un bien qu’il ne tient pas de moi ;
Les Dieux dont elle vient par leur loi souveraine
L’ont faite indépendante et libre dans sa haine,
Et le ciel dans mes droits ne m’a point accordé
Un pouvoir que les dieux n’ont pas même gardé.
785 Je l’ai pourtant réduit enfin à me promettre
De respecter le rang où ma main vous doit mettre ;
Mais son cour, pour dompter cet aveugle transport,
Demande un peu de temps pour un si grand effort,
Et si vous souhaitez que sa haine finisse...
STRATONICE.
790 Non, non, puisqu’il le veut, Seigneur, qu’il me haïsse,
Achevez notre hymen, et cessons aujourd’hui
De le vouloir forcer à m’aimer malgré lui.
SÉLEUCUS.
Quoi, je n’obtiendrai point le délai qu’il désire ?
STRATONICE.
Je vous l’ai déjà dit, je suis sous votre empire,
795 C’est de vous que dépend ce que vous demandez,
Et j’y consentirai si vous le commandez.
Mais si votre bonté d’autre part considère
Le jour qu’on a choisi, les voux que j’ose faire,
Et ce qu’on doit au sang dont j’eus l’heure de sortir,
800 Vous ne me voudrez pas forcer d’y consentir.
Je consens à sa haine, et dois trop peu la craindre
Pour lui vouloir donner le loisir de l’éteindre ;
M’en faire aimer, Seigneur, ce serait me trahir,
Je ne vous cèle point que je le veux haïr,
805 Je n’y veux épargner, ni temps, ni soin, ni peine,
Et pour le bien haïr j’ai besoin de sa haine :
Souffrez qu’il la conserve, et sans plus consulter,
Pressez le noud fatal qui la peut augmenter.
Il y va de ma gloire à le haïr sans cesse ;
810 Sauvez-moi du péril d’une indigne tendresse,
Et si vous ne voulez trahir mes justes voux,
Ne vous empêchez pas de nous haïr tous deux.
SCÈNE II. Séleucus, Policrate. §
SÉLEUCUS.
Connais-tu ma disgrâce, et les peines cruelles
Où ne vont exposer leurs haines mutuelles ?
815 Hélas ! Cher Policrate, en ces extrémités
Pourrais-tu dans mon cour jeter quelques clartés ?
Stratonice et le Prince ont un désir contraire,
Quels droits dois-je garder et d’époux ou de père,
Et qui doit l’emporter sur mes sens interdits,
820 Du devoir ou du sang, d’une femme ou d’un fils ?
POLICRATE.
Seigneur, quoique du sang la puissance soit forte,
Il faut sans balancer que le devoir l’emporte.
De ce jour pour l’hymen vous-même avez fait choix,
Et rien n’est préférable aux paroles des rois :
825 C’est au désir du prince à respecter la vôtre,
Ou pour mieux dire, il doit n’en avoir jamais d’autre.
SÉLEUCUS.
Il le doit, je le sais, mais je ne sais pas bien
Si son désir aussi ne serait pas le mien.
POLICRATE.
Quoi, Seigneur, cet hymen aurait pu vous déplaire,
830 Jusques à désirer aussi qu’on le diffère ?
SÉLEUCUS.
Hélas ! Si je sondais mon cour sans le flatter,
J’appréhenderais bien de n’en pouvoir douter,
D’y rencontrer toujours une flamme mutine,
Et de n’y rien trouver plus avant que Barsine :
835 Il me semble en effet que mon cour qui s’émeut,
Cherche à n’y renoncer que le plus tard qu’il peut,
Et que devant ailleurs une foi qui l’engage,
Il tâche à reculer, s’il ne peut davantage ;
Pour avoir du délai je me suis trop pressé
840 Pour ne m’y croire pas moi-même intéressé,
Et le cruel refus que l’on vient de m’en faire,
Me devrait moins toucher si je n’étais que père.
Je ne croyais tantôt parler que pour mon fils ;
Mais je crains qu’en effet je ne me sois mépris,
845 Que je n’ai en secret confondu dans mon âme
L’intérêt de mon sang et le soin de ma flamme ;
Que les désirs du prince en de tels déplaisirs,
N’aient servi que de voile à mes propres désirs,
Et que pour l’exprimer dans mon cour qui murmure,
850 L’amour n’ait emprunté la voix de la nature ;
L’empire de Barsine a des charmes pour moi,
Que j’ai peine à quitter... Mais, ô Dieux ! Je la vois.
SCÈNE III. Séleucus, Barsine, Céphise, Policrate. §
SÉLEUCUS.
Venez, venez m’aider, inhumaine Princesse,
À m’arracher de l’âme un reste de faiblesse ;
855 Mon cour, ce lâche cour que vous sûtes charmer,
Malgré moi, malgré vous, ose encore vous aimer.
Amenez, pour briser des chaînes si cruelles,
Des dédains redoublés, des cruautés nouvelles ;
Venez armée enfin d’un excès de rigueur,
860 Et d’un surcroît de haine, au secours de mon cour.
BARSINE.
Moi, vous haïr, Seigneur ? Être à ce point ingrate,
Pour un roi dont le soin en ma faveur éclate,
Et qui m’ayant comblé de bienfaits infinis,
M’aime encore jusqu’au point de me donner son fils ?
SÉLEUCUS.
865 Ah, si ce don vous plaît, gardez-vous de me plaire,
Essayez d’affaiblir votre charme ordinaire ;
Et de peur que vos yeux ne me semblent trop doux,
Mêlez-y quelques traits d’orgueil et de courroux.
Irritez-moi, de peur que je m’attendrisse,
870 Sauvez-moi ma vertu par un peu d’injustice,
Et n’ayant pu m’aimer, pour le moins en ce jour
Prêtez-moi vos mépris pour vaincre mon amour.
Mon cour m’avait promis de suivre un autre empire ;
Et cependant le traître est prêt à se dédire,
875 Est prêt à violer la foi de nos traités,
Si vous n’y mettez ordre avec vos cruautés.
BARSINE.
L’heure de vous obéir fait ma plus chère envie,
Demandez-moi, Seigneur, et mon sang et ma vie,
Et tout ce que je puis jusques à mon trépas ;
880 Mais pour des cruautés ne m’en demandez pas,
Et daignez n’exiger de mon obéissance
Que des efforts au moins qui soient en ma puissance.
SÉLEUCUS.
Hé quoi, pour m’accabler avez-vous entrepris
De me refuser tout jusques à vos mépris ?
885 Quoi, n’aurez-vous pour moi jamais eu que colère,
Tant que votre rigueur à mes voux fut contraire ?
L’aurez-vous fait toujours éclater avec soin.
Et n’en aurez-vous plus lorsque j’en ai besoin ?
Après avoir pour moi conservé votre haine,
890 Tandis qu’elle devait ne servir qu’à ma peine,
Pourrez-vous bien la perdre ici mal à propos,
Alors qu’elle pourrait servir à mon repos ?
Serez-vous à me nuire assez ingénieuse,
Pour prendre une pitié pour moi si rigoureuse,
895 Pour un bonheur passé me faire un mal présent,
Et pour m’outrager même en me favorisant ?
BARSINE.
Non, non, puisque pour vous ma tendresse est à craindre,
Je ferai mes efforts afin de me contraindre,
Et pour vous obéir, je cacherai, Seigneur,
900 Le mieux que je pourrai les secrets de mon cour.
Le silence à qui souffre est pourtant difficile,
La plainte est toujours douce encore qu’inutile,
Et mon sort à tel point devient injurieux,
Que je pourrais me plaindre, ou de vous, ou des dieux.
905 Mais pour soulagement du mal qui me menace,
Je borne tous mes voux dans une seule grâce,
Si vous me l’accordez mon sort sera plus doux,
Et si je me plaindrai ni des dieux ni de vous.
SÉLEUCUS.
Je ne suis pas encore en état d’entreprendre,
910 De vous refuser rien que vous puissiez prétendre,
Parlez et demandez, bien, dignité, grandeur ;
Demandez tout enfin, mais exceptez mon cour ;
Ma foi l’engage ailleurs, je la dois à ma gloire,
Ne le demandez pas si vous me voulez croire ;
915 Ou plutôt pour tout dire et pour vous retenir,
Ne le demandez pas de peur de l’obtenir.
BARSINE.
La faveur que j’attends ne sera pas si grande,
Le seul droit d’un refus est ce que je demande,
Et tout ce que je veux, c’est qu’il me soit permis
920 De ne pas épouser le prince votre fils.
SÉLEUCUS.
Vous n’aimez pas mon fils ? Est-il bien vrai, Princesse ?
BARSINE.
Il est trop vrai, Seigneur, excusez ma faiblesse,
Ce don venant de vous doit m’être précieux,
Si mon cour m’en croyait, il plairait à mes yeux,
925 Et mon âme à ce prince aurait été donnée,
Si son destin ailleurs ne l’eut point entraînée.
Mais forcée à faillir, j’aime mieux en effet
Être ingrate à demi, que l’être tout à fait,
Je tâche de m’arrêter à la moitié du crime,
930 Et crois devoir plutôt par un soin légitime
Lui refuser un cour qui suit d’autres appas,
Que d’oser le promettre et ne le donner pas.
SÉLEUCUS.
Si vous avez un cour pour le prince invincible,
Pour quels autres appas peut-il être sensible ?
935 Que je connaisse au moins qui vous pouvez aimer.
BARSINE.
Ah ! Ne me pressez point de vous en informer,
En disant ce secret je ne puis que vous nuire,
Et si vous m’en pressez j’ai peur de vous le dire.
SÉLEUCUS.
Pour quel roi voisin gardez-vous votre amour ?
BARSINE.
940 Non mes voux ne vont pas plus loin que votre cour.
SÉLEUCUS.
Timante après mon fils tient la première place,
Est-ce lui qui vous plaît ?
BARSINE.
Est-ce lui qui vous plaît ? Sa naissance est trop basse.
SÉLEUCUS.
Ce n’est pas moi ; du moins vous vous taisez ?
BARSINE.
Ce n’est pas moi ; du moins vous vous taisez ? Hélas !
Si ce n’était pas vous, je ne me tairais pas.
SÉLEUCUS.
945 Vous m’aimeriez, Princesse ? Ah ! Dieux, le puis-je croire ?
Vos dédains ne sont pas sortis de ma mémoire,
Et mon cour engagé par un droit absolu,
N’aurait été qu’à vous si vous l’aviez voulu.
BARSINE.
Et ne savez-vous pas qu’elle est la peine extrême
950 Qu’une fille a toujours pour avouer qu’elle aime,
Et que ce sexe fier qui se rend à regret,
Refuse bien souvent ce qu’il veut en secret ?
J’ai toujours su le prix d’un cour tel que le vôtre ;
Et quand j’ai refusé ce bien qu’obtient une autre,
955 Je n’ai pas cru le perdre, et j’osais me flatter
De l’espoir de me voir contraindre à l’accepter.
Mais cet espoir cessa lorsque je vis votre âme,
Pour plaire à votre fils, renoncer à ma flamme,
Car enfin qui renonce à l’objet de son feu,
960 Ou n’aime point du tout, ou n’aime que bien peu.
Le ciel sait quels tourments mon âme dépitée
Souffrit pour vous quitter quand vous m’eûtes quittée,
Et quels furent alors les efforts que je fis
Pour m’arracher au père et me promettre au fils ;
965 Oui, voyant qu’à ce fils vous me vouliez soumettre,
Je lui promis mon cour, mais l’ai-je pu promettre,
Et dois-je être forcée à lui tenir ma foi
Si j’ai promis un bien qui n’était pas à moi ?
Puisqu’il veut être à vous, souffrez qu’il y demeure,
970 Je ne demande point de fortune meilleure,
Endurez ma faiblesse, et dispensez ma foi
D’achever un hymen qui me comble d’effroi.
Dégagez-moi, Seigneur, de l’injustice extrême
De ne pouvoir aimer ce qu’il faudra que j’aime,
975 Et vous-même rompez des nouds mal assortis,
De peur de dérober mon cour à votre fils.
Mais enfin si ma voix faiblement vous touche,
Mes yeux pour vous fléchir se joignent à ma bouche,
Et pour avoir le droit de n’aimer point ailleurs,
980 Je confonds à vos pieds ma prière et mes pleurs.
SÉLEUCUS.
Ah, levez-vous, Madame, et retenez vos larmes,
Vos yeux pour me toucher ont assez de leurs charmes,
Et ces brillants auteurs des troubles que je sens,
Sans le secours des pleurs ne sont que trop puissants,
985 Vous n’avez pas besoin des larmes qu’ils répandent,
J’accorde à vos désirs tout ce qu’ils me demandent,
Et crains d’accorder même à vos charmants appas
Ce que peut-être encore vous ne demandez pas.
BARSINE.
Ah, Seigneur, quand on suit ce que la gloire inspire,
990 On ne demande pas tout ce que l’on désire ;
Je n’ai garde d’avoir assez de vanité
Pour demander le cour que vous m’avez ôté ;
Il est en d’autres mains, et je ne puis prétendre
Que vous l’en retirez afin de me le rendre.
995 Je cède à Stratonice, elle peut mieux que moi
Obtenir et garder l’amour d’un si grand roi ;
Mieux que moi vous paraître, utile, illustre, et belle,
Et je ne puis, Seigneur, que vous aimer mieux qu’elle.
SÉLEUCUS.
Ah, c’est un bien encore qui me peut éblouir,
1000 Pourquoi me l’offrez-vous si je n’en puis jouir.
Et s’il faut m’affliger comme d’un mal extrême,
Du bonheur d’être aimé de la beauté que j’aime ?
J’ai beau presser pourtant mon cour que vous charmez
De sentir du regret de ce que vous aimez ;
1005 Je ne puis empêcher, quelque soin que j’emploie,
Qu’il en prenne en secret une maligne joie,
Je me trouve en péril, pour un aveu si doux,
De renoncer à tout pour me donner à vous,
De trahir mon devoir, ma gloire, et mon empire.
1010 Hélas ! Si vous m’aimez, deviez-vous me le dire ?
Ou plutôt , s’il est vrai que vous m’aimiez sans fard,
Princesse, deviez-vous me le dire si tard ?
Que n’avez-vous fait voir l’ardeur qui vous anime,
Alors que je pouvais y répondre sans crime ?
1015 Quand vous pouviez me rendre heureux innocemment...
Mais qui fait avancer Zabas si promptement ?
SCÈNE V. Barsine, Céphise. §
CÉPHISE.
Sans cet avis funeste à contre-temps venu,
Votre adresse, Madame, aurait tout obtenu.
BARSINE.
Apprends que cet avis que tu nommes funeste,
1030 Du dessein commencé doit achever le reste,
Et que cet étranger qui vient parler au roi,
Est un ressort nouveau qui n’agit que pour moi.
Il naquit dans Pergame, et sujet de mon père,
Il s’est toujours fait voir empressé pour me plaire :
1035 Et soit dans notre cour, ou près de Seleucus,
C’est à mes soins qu’il doit les biens qu’il a reçus ;
N’ayant pas rencontré Stratonice chez elle,
J’ai remarqué tantôt cet homme plein de zèle ;
Tu me l’as vu longtemps, entretenir tout bas,
1040 Il doit par un mensonge aider à mes appas ;
Il vient pour dire au roi qu’il sait que Stratonice
N’a pour lui que mépris, que haine, et qu’injustice,
Qu’elle a pris pour le prince un amour si puissant
Qu’elle ne peut cacher les ennuis qu’elle sent ;
1045 Qu’enfin c’est un secret qu’il a su d’elle-même,
Et que la connaissant dans cette peine extrême
Il m’estimerait par son silence innocent,
Et qu’il croit la servir même en la trahissant.
Juge quel grand succès de cet avis doit naître ;
1050 En suite par mon ordre il ne doit plus paraître,
De peur qu’en le pressant il ne se confondit,
Et ne soutint pas bien tout ce qu’il aurait dit.
CÉPHISE.
Stratonice et le prince ont fait voir tant de haine,
Que le roi ne croira cet amour qu’avec peine.
BARSINE.
1055 On est aisément cru quand on flatte un amant ;
Mais le roi n’en eut-il qu’un soupçon seulement,
Il voudra retarder cette union funeste,
Et si j’obtiens du temps, j’obtiendrai bien le reste.
CÉPHISE.
Mais ne brûlez-vous point pour le prince en secret,
1060 Et pourrez-vous enfin le perdre sans regret ?
BARSINE.
Ah, ne m’en parle pas, n’éveille point ma flamme;
Il n’est plus pour l’amour de place dans mon âme,
L’ambition l’emporte, et ce mouvement fier
N’a pas trop pour lui seul de mon cour tout entier.
1065 Je vois ma destinée au point d’être conclue,
Laisse-moi sans faiblesse en attendre l’issue,
Et permets à mon âme après tant de revers,
de voir que j’obtiens sans voir ce que je perds.