SCÈNE I. Ismène, Théone. §
ISMÈNE.
Où vais-je ? Où suis-je ? Hélas ! Où courons-nous, Théone ?
Ma raison me trahit, ma vertu m’abandonne ;
Mon cour est dévoré des plus cruels ennuis ;
1040 Je cours dans ce palais sans savoir où je suis ;
Je crains d’y rencontrer un malheureux que j’aime ;
Je me dérobe au jour ; je me cache à moi-même ;
Je me fuis, mais en vain ; et tout ce que je vois
Me reproche mon crime et s’arme contre moi.
1045 De quel front, de Sapor soutiendrai-je la vue,
Si, de ma trahison déjà trop confondue,
Je n’ose regarder ce palais odieux,
Où le sang de mon père est fumant à mes yeux ?
Dieux ! Que deviendra-t-il, quand ma bouche cruelle
1050 Lui marquera l’état de mon cour infidèle ;
Quand il m’entendra dire, interdit et confus,
« Prince, je vous aimais, je ne vous aime plus ;
« Je ne suis plus à vous ; à l’autel entraînée,
Avec votre rival j’unis ma destinée ;
1055 Cet hymen se célèbre à vos yeux dans ce jour,
Et je vais vous trahir par un effort d’amour ? »
Ah ! Plutôt que lui faire un aveu si terrible,
Fuyons, fuyons, Théone, au sein d’un antre horrible ;
Cachons-nous dans l’horreur des plus sauvages lieux ;
1060 Renonçons pour jamais à la clarté des cieux.
Viens, Théone, suis-moi. Mais quelle erreur m’emporte !
Ne me souvient-il plus de ces fers que je porte ?
Où puis-je aller, grands dieux ! Quels chemins sont ouverts ?
Hélas ! Je ne peux plus me cacher qu’aux enfers.
THÉONE.
3
1065 Madame, à quelques maux que le destin me livre,
Ordonnez de mon sort, je suis prête à vous suivre :
Prompte à briser mes fers, je marche sur vos pas,
Sous un climat brûlant, ou sous de froids climats ;
Soit qu’en ce jour fatal votre ombre fugitive
1070 Descende pour jamais sur la funeste rive,
J’irai...
ISMÈNE.
J’irai... Non, demeurons. En quel affreux séjour
Ne porterais-je pas ma honte et mon amour,
Après avoir conçu le dessein téméraire
D’épouser en ce jour l’assassin de mon père ?
1075 Il suffit que mon crime étonne l’univers,
Sans en aller si tôt infecter les enfers.
THÉONE.
Madame, jusqu’ici votre innocente vie
D’aucune tache encor ne se trouve ternie ;
Et frustrant l’empereur du don de votre main,
1080 Qui peut vous reprocher...
ISMÈNE.
Qui peut vous reprocher... Quel horrible dessein !
Voilà de tes conseils l’ordinaire injustice.
Et que t’a fait Sapor pour vouloir qu’il périsse ?
Que t’ai-je fait, grands dieux ! Par quel affreux courroux
Veux-tu que contre lui je tourne encor mes coups ?
1085 C’est donc peu contre lui que la rage et l’envie ;
L’amour, pour l’opprimer, se met de la partie.
SCÈNE II. Sapor, Ismène, Théone. §
ISMÈNE.
Mais, dieux ! Je l’aperçois ; il tourne ici ses pas.
Dans le trouble où je suis ne m’abandonne pas.
SAPOR.
Enfin le ciel, madame, à mes voux moins contraire,
1090 Luit d’un rayon plus pur ; il permet que j’espère,
Il va m’ouvrir bientôt, en signalant mes coups,
Le moyen de mourir ou de vivre pour vous.
Sabinus, dans l’armée excitant sa puissance,
Des Romains courroucés irrite la vengeance ;
1095 Tout le camp mutiné s’arme en notre faveur,
Et mon cour tout entier se livre à la fureur.
Mais que vois-je, grands dieux ! Et quel sombre nuage
Vient obscurcir l’éclat de votre beau visage !
Quel changement ! Pourquoi détournez-vous vos yeux ?
1100 Depuis quel temps vous suis-je un objet odieux ?
C’est Sapor qui vous parle. Ah ! Ma chère princesse,
Jetez les yeux sur moi. Quel sombre ennui vous presse ?
Vous ne me dites rien ? Ciel ! Que je sens d’effroi !
Serais-je donc trahi ? Par qui ? Comment ? Pourquoi ?
1105 L’aurais-je pu penser ? Quel amour ! Quelle glace !
Est-ce ainsi que vos yeux enflamment mon audace,
Ces yeux où je venais prendre toute l’ardeur
Qui devait animer et mon bras et mon cour !
Je vais vous arracher...
ISMÈNE.
Je vais vous arracher... Hélas ! Qu’allez-vous faire ?
SAPOR.
1110 Pour vous dans les hasards je cours en téméraire ;
Je me livre au destin ; quel que soit le danger,
Sur les pas de la mort je vole vous venger.
Mon courage inquiet depuis longtemps murmure
De n’avoir du destin pu réparer l’injure ;
1115 Et je suis criminel aux yeux de l’univers,
De vous avoir laissée un moment dans les fers.
Cet univers saura que ce temps, ce silence,
Servaient à méditer une illustre vengeance,
Et que, tout malheureux et tout abandonné,
1120 J’étais digne du cour que vous m’avez donné.
SAPOR.
Hélas ! Vous soupirez, je vois couler vos larmes.
Et pourquoi verse-t-on du sang avec ces armes ?
Cédons à la fureur.
ISMÈNE.
Cédons à la fureur. Tournez vos premiers coups
Contre ce cour ingrat qui ne peut être à vous.
SAPOR.
1125 Qui ne peut être à moi ! Ciel ! Que viens-je d’entendre ?
Quelle secrète horreur dans moi va se répandre !
L’ai-je bien entendu, grands dieux ! J’en doute encor.
Est-ce Ismène qui parle, ou bien suis-je Sapor ?
Qui ne peut être à moi ! C’en est donc fait, madame ?
1130 L’amour, ce tendre amour, est banni de votre âme ;
Vos sens d’une autre ardeur sont enfin prévenus ;
Vous m’aimiez autrefois, et vous ne m’aimez plus.
Ne craignez point ici que ma bouche rebelle
Vous accable des noms d’ingrate, d’infidèle,
1135 Vous fasse souvenir des serments et des pleurs
Dont il vous plut jadis irriter mes ardeurs :
Non, pour vous reprocher votre injustice extrême,
Je ne veux exciter contre vous que vous-même ;
Au lieu de condamner votre esprit inconstant,
1140 Je vous pardonne tout, si j’en puis faire autant.
Vous me quittez, madame, et je me rends justice,
De mes cruels malheurs je suis le seul complice ;
Indigne de vous plaire et de vous posséder,
Méritais-je ce cour que je n’ai pu garder ?
1145 Devais-je me flatter, puisqu’il faut vous le dire,
Que, toujours insensible aux charmes d’un empire,’
Votre amour s’irritant au milieu des malheurs,
Vous oublieriez pour moi le trône et ses grandeurs ?
Espérais-je en effet que, malgré mille obstacles,
1150 Le ciel en ma faveur prodiguât des miracles ?
Croyais-je que toujours... Ah ! Trop longtemps déçu,
Malheureux que je suis ! Je ne l’ai que trop cru ;
Je me suis trop flatté d’une fausse promesse,
Et du charme imposteur d’une feinte tendresse ;
1155 Ma raison prévenue, et mon cour enchanté...
Non, je n’étais point fait pour tant de cruauté.
ISMÈNE.
Étais-je faite aussi pour être si cruelle ?
SAPOR.
Vous étiez faite, hélas ! Pour n’être pas fidèle :
Vous m’avez abusé d’un espoir trop flatteur ;
1160 Je me croyais aimé, j’adorais mon erreur :
Ne pouviez-vous encor quelque temps vous contraindre ?
ISMÈNE.
Hélas ! Connaissez mieux en quel temps je veux feindre.
SAPOR.
Je ne veux rien connaître ; assuré de mon sort,
Mes voux les plus ardents m’entraînent à la mort ;
1165 J’y vais avec plaisir : il faut du sang, madame,
Pour achever d’éteindre une importune flamine ;
J’y cours...
ISMÈNE.
J’y cours... Que dites-vous ? Ah ! Quelle aveugle erreur
Vous fait chercher la mort avec tant de fureur ?
Vivez : si vous mourez, il faut que je vous suive.
SAPOR.
1170 Hé ! Pourquoi voulez-vous maintenant que je vive ?
Abandonné, trahi, désespéré, vaincu,
Madame, en cet état j’ai déjà trop vécu.
ISMÈNE.
Quel trouble me saisit ! Je tremble, je frissonne.
Ah, Théone ! Fuyons. La force m’abandonne.
1175 Fuyons...
SAPOR.
Fuyons... Vous me fuyez dans ce moment fatal ;
Vous courez vous jeter dans les bras d’un rival !
Est-ce ainsi qu’autrefois, sensible à mes alarmes,
Vous me voyiez courir dans les périls des armes,
Lorsque, nous séparant par de tendres adieux,
1180 Vous me suiviez longtemps et du cour et des yeux ?
Me fuyiez-vous ainsi, quand ma main fortunée
Tenait à mes drapeaux la victoire enchaînée ;
Quand, revenant vainqueur, j’étalais à vos pieds
Le débris de l’orgueil des rois humiliés,
1185 Des javelots brisés, des aigles menaçantes,
Du sang des ennemis encore dégoûtantes,
Des faisceaux arrachés, mille et mille étendards,
Dignes fruits d’un héros, cueillis au champ de Mars ?
Tout couvert de lauriers, et tout brillant de gloire,
1190 Je ne me réservais, pour prix de la victoire,
Que le plaisir charmant de vous la raconter,
Et vous, madame, et vous, celui de l’écouter.
Pour qui donc ai-je mis tant de villes en cendre ?
Pour qui coulait le sang que l’on m’a vu répandre ?
1195 Vous ne l’ignorez pas, j’allais de vos parents
Apaiser, par mon sang, les mânes murmurants.
Ce n’était pas assez qu’aux plaines de Larisse
Mon bras leur eût offert un sanglant sacrifice,
Et que vous eussiez vu leurs sillons désolés
1200 Blanchir des ossements dont ils étaient comblés :
C’était peu que, traînant les horreurs de la guerre,
De vastes flots de sang j’eusse inondé la terre ;
Il me fallait encor, par de plus grands travaux,
Changer l’ordre du ciel, faire rougir les eaux,
1205 Leur apprendre à couler par des routes nouvelles.
Vous le savez, vos yeux sont des témoins fidèles :
L’Oronte a vu deux fois ses flots précipités,
De cadavres romains dans leur cours arrêtés,
Remonter vers leur source, et cherchant un passage,
1210 S’égarer dans les champs voisins de son rivage.
Quel fruit de mes travaux, grands dieux ! N’en parlons plus ;
Mes regrets aussi bien seraient-ils superflus.
Ô ciel ! Tu me devais un destin moins barbare.
Mais calmons la fureur qui de mon cour s’empare.
1215 Oui, madame, trahi, percé de mille traits,
Je sens que je vous aime encor plus que jamais.
ISMÈNE.
Vous m’aimeriez encor ! Non, je suis trop coupable.
SAPOR.
Pour ne me plus aimer, êtes-vous moins aimable ?
ISMÈNE.
Vengez-vous par la haine, armez votre courroux.
SAPOR.
1220 Pour me venger, hélas ! Quel chemin m’ouvrez-vous ?
ISMÈNE.
Je le dirai pourtant : du destin poursuivie,
Je devrais être plainte, et non être haïe.
Vous le saurez un jour.
SAPOR.
Vous le saurez un jour. Ah ! Dans mon désespoir,
Votre bouche déjà m’en a trop fait savoir,
1225 Me m’apprenez plus rien : je n’ai rien à vous dire,
Je ne vous retiens plus, allez chercher l’empire ;
Tandis que d’autre part, en proie à ma fureur,
Je vais, pour me venger, chercher un empereur.
Qu’il me tarde de voir mon bras, de sang avide,
1230 Se perdre dans le sein du traître, du perfide !
Lorsque dans les combats je signalais mes coups,
Je n’étais qu’amoureux, je n’étais point jaloux ;
Par les coups de l’amour j’ai commencé ma vie,
Faisons sentir ici ceux de la jalousie ;
1235 Le champ nous est ouvert ; il faut s’y signaler.
Cruel, tu périras, et ton sang va couler !
ISMÈNE.
Ah, dieux ! Que dites-vous ?
SAPOR.
Ah, dieux ! Que dites-vous ? En vain votre tendresse,
Tremblante pour ses jours, dans son sort s’intéresse ;
Il mourra de mes coups, j’irai chercher son cour. ’
1240 Mais, hélas ! Pardonnez à ma juste fureur,
Si, pressé du transport d’une jalouse rage,
Je ne respecte point votre divine image ;
Si je perce ce cour pour effacer des traits,
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Ailleurs que dans le mien, infidèles, imparfaits,
1245 Et si, l’amour rendant ma fureur légitime,
J’immole, en me frappant, une double victime.
ISMÈNE.
Sortons d’ici, Théone, je me sens accablé ;
Je tremble, je chancelle, et je ne puis parler.
SCÈNE III. §
SAPOR, seul.
Enfin dépouillons-nous d’une feinte apparence ;
1250 Déchirons maintenant ce voile de constance
Où ma faiblesse a su si longtemps se cacher ;
Il n’est plus de témoins pour nous la reprocher.
Ouvrons enfin la scène, exposons à la vue
Les sentiments secrets d’une âme toute nue.
1255 Éclatez, mes regrets trop longtemps retenus ;
Je vais mourir bientôt, je ne me plaindrai plus.
Voilà pour quel usage on me laissait la vie !
Ciel, tu me réservais à cette perfidie !
Hé bien ! Es-tu content ? La fortune et l’amour
1260 M’ont-ils assez joué l’une et l’autre à leur tour ?
Ô trop flatteur espoir, détruit dans sa naissance !
À quel point se réduit toute mon espérance !
Je vais mourir ; et pour comble d’horreur, hélas !
Ismène est infidèle et ne me plaindra pas.
1265 Je ne vous verrai plus, ingrate ! Encore aimable
Je ne vous verrai plus ! Quel mot épouvantable !
Je tremble, je frémis, je sens couler mes pleurs !
Ah ! Qui peut exciter ces indignes terreurs ?
Est-ce la mort, grands dieux ! Qui cause mes alarmes ?
1270 Est-ce l’amour trahi qui m’arrache des larmes ?
Je ne sais ; mais, hélas ! Renonce-t-on au jour,
Quand on ne peut encor renoncer à l’amour ?
Qui pourra vous aimer autant que je vous aime,
Quand, de vos cruautés mettant puni moi-même,
1275 Je serai descendu dans l’infernale horreur ?
Mais quel transport jaloux s’élève dans mon cour ?
Quoi ! L’on vous aimera (j’en frémis quand j’y pense),
Et je ne vivrai plus pour venger cette offense !
Ah ! De quels soins cruels viens-je ici m’affliger ?
1280 Ismène encor vivra, c’est trop pour me venger.
Elle a pu me trahir, l’ingrate ! Sera-t-elle
Pour un nouvel amant plus que pour moi fidèle ?
Non, je serai vengé dans le sein du trépas.
Mais, tandis que je vis, vengeons-nous par mon bras.
1285 Quel autre mieux que moi punirait cet outrage ?
Que l’amour dans mon cour se convertisse en rage :
D’un orgueilleux rival allons percer le flanc,
Et noyons son amour dans les flots de son sang.
Courons, qu’attendons-nous ? Qu’il périsse !...
SCÈNE IV. Sapor, Zénobie. §
SAPOR.
Courons, qu’attendons-nous ? Qu’il périsse !... Ah ! Madame,
1290 Venez voir le désordre et l’horreur de mon âme ;
Venez, considérez l’état où l’on m’a mis :
Vous ne direz jamais quels sont mes ennemis.
Le jour m’est à présent une peine cruelle ;
Je suis trahi, madame ; Ismène est infidèle,
1295 Ismène, votre fille ! Et dans quel temps, grands dieu^ !
Lorsque je vais verser tout mon sang à ses yeux ;
Et que mon bras, armé pour se rendre justice,
Des destins ennemis va dompter la malice.
Ah ! Que ne suivait-elle encor quelques moments
1300 Le cours toujours trompeur de ses déguisements ?
Par pitié, pour le moins, que ne me laissait-elle
Dans l’erreur où j’étais de la croire fidèle ?
Que ne se faisait-elle encore un peu d’effort ?
Les dieux n’allaient-ils pas ordonner de ma mort ?
1305 J’aurais abandonné ma languissante vie
Avecque plus d’amour et moins d’ignominie.
ZÉNOBIE.
Prince, calmez l’excès de vos ressentiments ;
Le temps attend de vous d’autres comportements.
D’un tyrannique amour déplorable victime,
1310 Ma fille est malheureuse, et voilà tout son crime :
Son infidélité, dans ce jour malheureux,
Bien plus que sa constance, a fait briller ses feux. ’
D’amour et de terreur son âme combattue
À de tendres frayeurs s’est la fin rendue ;
1315 Une loi trop cruelle arrachait un discours
Qu’elle ne prononçait que pour sauver vos jours.
Non que je veuille ici, trop pleine de tendresse,
Faire grâce à l’amour, et cacher sa faiblesse.
Si de meilleurs conseils avoient été suivis,
1320 Ma fille, vous et moi, nous serions tous péris,
Plutôt qu’un lâche aveu fût sorti de sa bouche ;
Mais enfin, plus sensible à l’ardeur qui la touche,
Ismène a consenti, dans ce funeste jour,
Pour sauver son amant, d’immoler son amour !
SAPOR.
1325 Ah ! Que me dites-vous ? Est-il bien vrai, madame ?
À ce flatteur espoir puis-je livrer mon âme ?
Quoi ! Malgré ses froideurs, Ismène, dans son cour,
Aurait désavoué ce discours imposteur ?
Ces sentiments trompeurs, arrachés par la feinte,
1330 N’étaient que des effets d’amour et de contrainte ?
Ah ! Pardonnez, Ismène, à mon aveuglement ;
Pardonnez aux transports d’un trop crédule amant ;
Je vous crois criminelle, et je suis seul coupable :
Vous ne serez jamais à mes yeux plus aimable,
1335 Maintenant que je sais le prix de vos combats,
Que quand vous me direz que vous ne m’aimez pas.
Mais peut-être, madame, une pitié secrète,
Plus que la vérité, dans mon malheur vous jette :
Car enfin deux amants, en cette extrémité,
1340 De la feinte aisément percent l’obscurité.
Hélas ! D’un seul soupir elle eût calmé l’orage,
Dissipé mes frayeurs, rassuré mon courage.
Eh ! Contrainte à tenir un discours odieux,
Son cour ne pouvait-il s’exprimer par ses yeux ?
ZÉNOBIE.
1345 Tout mentait dans Ismène ; et ses regards timides
Craignaient d’en trop apprendre à des témoins perfides :
On l’observait.
SAPOR.
On l’observait. Madame, ah ! Que m’apprenez-vous ?
On l’observait, grands dieux ! Ah ! Courons, hâtons-nous :
Nos projets sont détruits ; tout est perdu, madame.
1350 Hélas ! Dans les transports qui déchiraient mon âme,
Je n’aurai pu me taire ; on saura... j’aurai dit...
Je sens que dans mon cour l’espoir s’évanouit.
Tout est perdu, madame, et je vous ai trahie.
Quel malheur ! Quel revers ! Dieux ! Quelle est donc ma vie ?
1355 Tous mes moments ne sont qu’un éternel retour
De la crainte au dépit, de la rage à l’amour.
Allons, courons finir mes jours et ma misère.
Ciel, je ne serai plus l’objet de ta colère :
Il ne te reste plus contre moi qu’un seul trait ;
1360 Je l’attends : tonne, frappe, et je suis satisfait.
ZÉNOBIE.
Il n’est plus temps ici de se répandre en plaintes ;
Défendez votre cour contre ces vaines craintes ;
Que ce nouveau malheur, et peut-être incertain,
Ne serve qu’à hâter les coups de votre main.
1365 Dans mon appartement Sabinus va se rendre ;
De ses soins empressés nous devons tout attendre.
Nous avons des amis touchés de nos malheurs,
Et la pitié n’est pas éteinte en tous les cours.
Enflammé par l’amour, animé par la gloire,
1370 Prince, je crois vous voir voler à la victoire.
SAPOR.
Allons, madame, allons, le succès est certain,
Si je puis seulement avoir le fer en main.