LA RANCUNE
PARODIE DE PHILOCTÈTE EN UN ACTE EN VERS
Représentée POUR LA PREMIÈRE fois, par les COMÉDIENS ITALIENS Ordinaires du ROI, le Mercredi 7 Mai 1755.

M. DCC. LV. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

par Mr. ROMAGNESI.

APPROBATION. §

J’ai lu par Ordre de Monseigneur le Chancelier, la Rancune, Parodie de Philoctète, et je crois que l’on peut en permettre l’impression, ce 2 Mai 1755. CRÉBILLON.

À PARIS, Chez La Veuve DELORMEL, et Fils, Imprimeur de l’Académie Royale de Musique, rue du Foin, vis-à-vis les Mathurins, à Sainte Geneviève.

ACTEURS §

  • LA RANCUNE. Mr. Dehesse.
  • RODOMONT. Mlle. Catinon.
  • COULISSE. Mr. Balletti.
  • JULIE. Mme. Favart.
  • THOMAS. Mr. Carlin.
La scène est à Lyon.

SCÈNE PREMIÈRE. Coulisse, Rodomont, Thomas. §

Le théâtre représente une île du Rhône inhabitée, où l’on voit plusieurs rochers et un antre profond.

RODOMONT.

Sur les rochers déserts de cette île, où le Rhône
Brise ses flots grossis des ondes de la Saône,
Coulisse, dites-moi, que venons-nous chercher ?

COULISSE.

La Rancune y respire, il faut l’en arracher ;
5 Si jusqu’à ce moment j’en ai fait un mystère,
J’avais, cher Rodomont, des raisons pour me taire
J’ai dû me réserver pour l’exposition.
Nous voulons supplanter l’Opéra de Lyon.
Vous le savez, Seigneur, un courroux légitime,
10 Contre cet Opéra, dès longtemps nous anime ;
De Monsieur Cornillas nous défendons l’honneur,
De la Troupe du Mans ce riche entrepreneur,
Sans prévoir d’infortune en dirigeait les rênes,
Sa charmante moitié tenait l’emploi des Reines,
15 Un Chanteur de Lyon, un petit freluquet
La vit, l’aima, lui plut : elle fit son paquet,
Planta là Cornillas, et ne fut pas honteuse
D’abandonner son rang pour devenir chanteuse ;
Tous les Comédiens partagent cet affront,
20 Nous laissons Cornillas qui se gratte le front.
Brouillon, ce chef ardent, se met à notre tête,
Il veut que l’Opéra devienne sa conquête ;
Il intente un procès, mais malgré nos ressorts,
Cet Opéra triomphe et rit de nos efforts ;
25 Un seul espoir nous reste, hélas ! Vous le dirai-je ?
Nous ne ferons jamais casser son privilège,
Si deux acteurs fameux ne se joignent à nous :
On attend à Lyon et la Rancune et vous.

RODOMONT.

Je croyais à la troupe être seul nécessaire.

COULISSE.

30 Vous êtes trop modeste.

RODOMONT.

Hé bien, laissez-moi faire ?
S’il balance un moment à marcher sur mes pas,
Mon bras...

COULISSE.

Quel fanfaron ! Ménagez votre bras,
Par des raisonnements il s’agit de combattre.

RODOMONT.

Je raisonne fort mal, et je sais bien me battre ;
35 Vous, raisonnez pour moi, chacun fait son métier.

COULISSE.

La Rancune, morbleu, sans me faire quartier,
M’assommerait sitôt qu’il me verrait paraître.

RODOMONT.

Eh pourquoi donc, Seigneur ?

COULISSE.

C’est que je suis un traître,
Je suis cause entre nous de son état affreux ;
40 Mais c’est aussi sa faute, il était trop hargneux,
C’était un froid méchant, caustique, atrabilaire,
Qui pour dire un bon mot eût fait pendre son père ;
Un de nous fatigué de son ton méprisant
Sangla vingt coups de canne à ce mauvais plaisant,
45 Le crâne fut félé.

THOMAS.

Ciel !

COULISSE.

Un cruel vertige
Depuis cet accident de temps en temps l’afflige,
Et lui cause souvent un état convulsif ;
Loin de se corriger il devient plus rétif.
Pour lui laisser le temps d’évaporer sa bile,
50 Sur un prétexte adroit je l’amène en cette île ;
Il lui prend un accès, suivi d’un long sommeil,
Et nous le laissons seul en proie à son réveil.

THOMAS.

Grands Dieux !

COULISSE.

S’il me revoit vous jugez de ma crainte.

RODOMONT.

Un affront porte au coeur une mortelle atteinte.

COULISSE.

55 Je ne suis pas si sot que d’aller m’exposer...
Mais à remplir nos voeux on peut le disposer,
Pour rappeler ce goût dont il fut idolâtre,
Nous avons mis exprès nos habits de théâtre.
Rallumez dans son coeur la noble ambition,
60 Sans parler de Coulisse, encor moins de Lyon,
En flattant son orgueil, tâchez de le séduire
Dans quelque bonne troupe offrez de le conduire,
Et quand nous le tiendrons, nous lui ferons la loi.

RODOMONT.

Cette feinte, Seigneur, est indigne de moi.

COULISSE.

65 Pour régir une troupe, il faut moins de scrupule,
Et comment ménager avec ce ridicule,
Tant d’intérêts divers qui s’accordent si mal,
On peut devenir faux pour le bien général.
La probité permet un peu de tricherie ;
70 Et je n’ose pas dire un peu de fourberie.

RODOMONT.

Je ne contredis point ces grandes vérités,
Et vos ordres bientôt vont être exécutés.

COULISSE.

Je retourne au bateau, sûr de votre prudence.

RODOMONT.

Que Thomas le Souffleur, soit dans la confidence.

SCÈNE II. Rodomont, Thomas, Julie. §

THOMAS.

75 Moi ?

RODOMONT.

Toi, sois mon second, viens chercher notre fou ;
Mais que vois-je... sans doute il habite ce trou,
J’aperçois des chiffons.... il couche sur la dure,
Et les flancs du rocher lui servent de tenture.

THOMAS.

Il me semble en effet qu’il est fort mal meublé.

RODOMONT.

80 Cherchons... Mais quel objet ! J’en suis déjà troublé ;
Quel contraste étonnant, c’est une jeune fille
Avec art ajustée.

THOMAS.

Elle est parbleu gentille,
Bonjour la belle enfant.

JULIE.

Des hommes ! Sauvons nous ?

RODOMONT.

Des hommes vous font peur.

THOMAS.

La, la rassurez vous.

RODOMONT.

85 Demeurez.

JULIE.

Volontiers.

RODOMONT.

Quelle bonne fortune
Vous a conduite ici ?

JULIE.

Fille de la Rancune,
J’ai su qu’il languissait sur ce triste rocher,
J’ai quitté la maison pour venir le chercher ;
Je pris une Servante avec quelque bagage,
90 Déjà nous abordions cet inculte rivage,
Quand un orage affreux, un funeste ouragan
Nous fait faire capot au premier coup de vent ;
Tous les gens du bateau vont sens devant derrière
Boire l’onde et la mort au fond de la rivière.

THOMAS.

95 Et vous noyâtes-vous ?

JULIE.

Non, Seigneur.

RODOMONT.

Quel tableau ?

THOMAS.

Ah ! Que j’ai bien raison de ne pas aimer l’eau.

RODOMONT.

Je suis émerveillé ! Des Mariniers périssent,
Malgré la force et l’art les flots les engloutissent.
Une fille, elle seule échappe du danger.

JULIE.

100 Seigneur, j’ai le talent de savoir bien nager.

RODOMONT.

C’est un talent utile.

THOMAS.

Et la chère soubrette
Nagea-t-elle de même ?

JULIE.

Oh non, j’en suis défaite.

THOMAS.

Tant pis, j’eusse avec elle égayé l’entretien.

JULIE.

Cette soubrette là ne m’était bonne à rien,
105 Ne la regrettez pas. Enfin en prenant terre
J’oubliai tous mes maux en embrassant mon père.

RODOMONT.

L’excellent naturel, éloignons-nous d’ici.
Je veux vous en tirer.

JULIE.

Je le veux bien aussi.
Mais préférant par goût la misère où nous sommes,
110 Mon père est né farouche et déteste les hommes.

RODOMONT.

Quoi seriez-vous de même ?

JULIE.

Oh non, non, vous verrez ;
Je l’amène à vos yeux et vous lui parlerez.

SCÈNE III. RODOMONT, THOMAS. §

RODOMONT.

Mon âme, cher Thomas, nagerait dans la joie,
Si ce joli tendron pouvait être ma proie.

THOMAS.

115 Comme vous prenez feu, la peste qu’il est vif ;
Mais voilà notre fou, quel air rébarbatif !

SCÈNE IV. Rodomont, La Rancune, Julie, Thomas. §

RODOMONT.

Je dois remercier de grand coeur la fortune
Qui me fait rencontrer l’illustre la Rancune.

LA RANCUNE.

À ces tons ampoulés, je vous crois un acteur.

RODOMONT.

120 Oui, qui de vos leçons veut mériter l’honneur.

LA RANCUNE.

J’ai quitté le métier ; ignorez vous encore,
Oh souvenir affreux dont l’horreur me dévore !
Ignorez-vous l’affront le plus cruel de tous ?
Ah si je les tenais....

THOMAS, à Rodomont.

Seigneur, éloignons-nous.

LA RANCUNE.

125 Des acteurs de Lyon j’étais le camarade,
Sur l’eau l’on me propose un jour la promenade ;
Et Coulisse en secret, mon mortel ennemi,
M’abandonne en ces lieux quand je suis endormi ;
À Dieux ! À mon réveil figurez vous ma rage,
130 Je me trouve privé de tout mon équipage,
Et l’on ne m’a laissé par pitié pour mes maux,
Seigneur, qu’un seul fusil pour tirer des moineaux.

RODOMONT.

C’est un tour des plus noirs.

THOMAS.

Tous mes sens en frémissent.

LA RANCUNE.

De mes mugissements ces rochers retentissent,
135 Des monstres à mes cris venant de toutes parts.

RODOMONT.

Quoi pour vous dévorer ?

LA RANCUNE.

Non, ils sont pleins d’égards,
Je les vois s’adoucir, touchés de ma misère ;
Ah ! Les comédiens ne leur ressemblent guère.

THOMAS.

Cette comparaison est un très beau morceau.

RODOMONT.

140 Mais ici chaque jour passe plus d’un bateau,
Vous pourriez aisément abandonner cette île.

LA RANCUNE.

Loin des traîtres humains mon sort est plus tranquille,
Et ma fille Julie adoucit mon malheur,
C’est la meilleure enfant, le meilleur petit coeur,
145 L’humeur la plus docile et la plus...

JULIE.

Oh, mon père.
Vous me faites rougir.

LA RANCUNE.

C’est un bon caractère,
Et vous l’éprouverez.

THOMAS.

Ma foi tant mieux pour vous.

RODOMONT.

Si vous la chérissez, venez donc avec nous,
Ne souffrez pas qu’ici la pauvre enfant languisse,
150 Seigneur, Rodomont, s’offre à vous rendre service.

LA RANCUNE.

Fils de la Rapière ?

RODOMONT.

Oui, du moins j’en ai l’honneur.

LA RANCUNE.

À ce ton suffisant, à cet air tapageur,
Je crois voir le papa, tu gagnes mon estime.
Viens m’embrasser pour lui, car c’était mon intime
Rodomont embrasse la Rancune et Julie, Thomas en fait de même.
155 Comment se porte-t-il ?

THOMAS.

Oh fort bien, il est mort.

LA RANCUNE.

Il est mort ! Et Léandre.

RODOMONT.

Il a fini son sort.

LA RANCUNE.

Est-ce donc les talents que les destins poursuivent ?
Les Grands acteurs sont morts, et des histrions vivent.

RODOMONT.

Cette réflexion, nous mènerait trop loin,
160 De vous tirer d’ici je vais prendre le soin.
Partout où vous voudrez, je m’offre à vous conduire.

LA RANCUNE.

J’y consens volontiers.

JULIE.

Et moi je le désire.

THOMAS, à part.

Fort bien, ils vont donner tous deux dans le panneau.

LA RANCUNE.

Partons, dépêchons nous de gagner le bateau ;
165 Mais quel papillon noir autour de moi voltige ?
Chou, chou, chassez, chassez.

RODOMONT.

Il est dans son vertige.

JULIE.

Mon père....

LA RANCUNE.

Calypso du doux son de sa voix.
Taralantarala, Dieux qu’est-ce que je vois ?
D’où sort ce monstre affreux ? L’épouvantable mine !
170 Ciel ! J’entends dans mes flancs les cris de la famine.
Quel ardeur ; Rodomont daignez me secourir,
Et tuez-moi de grâce, afin de me guérir ;
Ma langue et mon gosier sont remplis d’amertume ;
Mais c’est crier trop fort, je sens que je m’enrhume.
175 Qu’on m’emporte.

RODOMONT.

Souffrez, Madame, que mon soin....

JULIE.

Votre écuyer suffit, nous n’allons pas bien loin.

THOMAS.

Si j’approche de lui, je veux que l’on m’assomme.

JULIE.

Ne craignez rien, papa va faire un petit somme.
Il dort déjà ; restez, je reviens à l’instant.

SCÈNE V. §

RODOMONT, seul.

180 Assez mal-à-propos survient cet accident.
Mais l’âme la plus dure en serait attendrie.
Quel exemple pour nous acteurs de Tragédie !
Ce fameux la Rancune admiré tant de sois ;
Déclamateur pompeux dans les rôles des Rois,
185 Au fond d’une caverne, hargneux, fier, gueux et triste,
S’impatiente et jure autant qu’un machiniste.
Tel est le sort affreux des gens de notre état,
Tant qu’on nous applaudit nous vivons dans l’éclat ;
On flatte notre orgueil, on nous vante, on nous fête
190 On se donne le mot pour nous tourner la tête ;
Nous nous méconnaissons, nous oublions nos noms,
Nous nous croyons les Dieux que nous représentons ;
Pour nous perdre on dirait que chacun se cotise,
Et donne comme nous dans la même méprise.
195 Nous vient-il un revers, qui nous force à quitter,
On dégrade celui qu’on venait d’exalter.
Que ne nous apprend-on, grands acteurs que nous sommes,
Que notre vrai mérite est d’amuser les hommes.

SCÈNE VI. Rodomont, La Rancune, Julie. §

RODOMONT.

Avez-vous bien dormi ?

LA RANCUNE.

Oui, Seigneur.

RODOMONT.

À quoi bon
200 Vous être trouvé mal ?

LA RANCUNE.

J’avais une raison.
Pouvait-on sans cela suivant la règle exacte
Séparer le premier d’avec le second acte ?

JULIE.

De ces syncopes là le Public sent l’abus,
Mon père m’a promis qu’il ne le ferait plus.

LA RANCUNE.

205 De trop justes remords pressent ma conscience,
J’ai fait réflexion en perdant connaissance,
Que je n’étais qu’un sot de demeurer ici.

JULIE.

Je n’osais vous le dire et le pensais aussi.

LA RANCUNE.

Tous les jours au repas je fais la découverte
210 Qu’on fait mauvaise chair en cette île déserte
Encor si l’on avait un ménage complet,
Mais je n’ai pas de quoi faire cuire un poulet.
Et ma fille étant moins friande que coquette,
En nageant n’a songé qu’a sauver sa toilette.

JULIE.

215 Ce n’était pas l’espoir qu’on y vont m’éprouver,
Mais enfin on ne sait ce qui peut arriver.

LA RANCUNE.

Vous ne me dites rien, Seigneur, est-ce là comme
Vous voulez m’emmener ?

RODOMONT.

Je suis trop honnête homme
Pour ne vous dire pas que je suis un coquin.

LA RANCUNE.

220 Comment ?

RODOMONT.

Oui, je vous joue un vrai tour de Pasquin.
Je saisissais l’instant qui met le vent en poupe,
C’était pour vous livrer au chef de notre troupe.

LA RANCUNE.

Retourner à Lyon ! Ah, comme on m’y verra.

RODOMONT.

On ne peut qu’à ce prix culbuter l’Opéra.

LA RANCUNE.

225 Je me sens suffoqué. Fuis, jeune téméraire...
Je ne puis exhaler l’excès de ma colère,
Ma fille, prend le soin de t’emporter pour moi.

JULIE.

Qu’entends-je ? Quelle horreur, quel spectacle d’effroi,
Irions-nous, sans avoir la cervelle troublée,
230 Écouter les propos qu’on tient à l’assemblée.
De ces Dames surtout voir tous les vains débats.
Dieux ! Faites-les aller de faux pas en faux pas.
Que les pauvres auteurs, plastrons de leurs querelles,
Se trouvent déchirés dans les pièces nouvelles ;
235 Et que pendant l’hiver tous les acteurs transis,
Puissent pour spectateurs n’avoir que les gratis.

LA RANCUNE.

Tu viens de déclamer comme une grande Reine.
Et tu rends joliment la vengeance et la haine.

RODOMONT.

Si vous vous emportez c’est avec fondement,
240 Mais vous êtes lié par un engagement.
Et de plus en ces lieux pourquoi vieillir sans gloire,
Venez de vos talents illustrer la mémoire ;
À ces rochers muets dérobez votre sort,
Un acteur doute-t-il sur le choix de sa mort ;
1
245 Dubourg, ce grand braillard, bouffis par Melpomène,
À force de crier se rompit une veine.
**********
Dans Oreste, Mondor ne se connaissant pas,
En gesticulant trop, se cassa les deux bras.
Une actrice expira par la chute d’un peintre,
250 Qui, sans l’en avertir, tomba du haut du cintre.
Voilà tous les dangers qu’il est beau de courir,
Le théâtre est le lit où nous devons mourir.

LA RANCUNE.

Non, que leur salle soit déserte et délabrée,
Plutôt que je leur vaille une seule chambrée ;
255 Eh pourquoi secourir une troupe aux abois ?
Quoi, n’en pouvons nous pas faire une entre nous trois.
Vous joueriez l’amoureux, et ma fille, j’espère
Jouerait....

JULIE.

Oui, pour cela j’ai des talents, mon père.

LA RANCUNE.

Mais quelqu’un vient...

JULIE.

Il faut saisir l’occasion.
260 C’est pour quitter la scène une bonne raison.

RODOMONT.

Que vois-je ? C’est Coulisse, ah qu’elle inconséquence
Lui qui craint la Rancune, à ses yeux il s’avance.
Il sort.

SCÈNE VII. Coulisse, Thomas. §

COULISSE.

Rodomont nous trahit, ah je suis furieux,
J’empêcherai l’effet d’un complot odieux ;
265 Je m’étais finement caché pour les entendre.

THOMAS.

Vous êtes bien rusé, mais je vais vous apprendre
Quelque chose pourtant que vous ne savez pas.

COULISSE.

Ce discours m’inquiète, expliquez-vous Thomas.

THOMAS.

Rodomont par pitié ne plaint point la Rancune,
270 Il n’a de la vertu que par bonne fortune.

COULISSE.

Dieux ! Le permettez-vous ?

THOMAS.

Julie en un clin d’oeil
De ce petit Monsieur a désarmé l’orgueil.

COULISSE.

Mais la sagesse enfin....

THOMAS.

Ce n’est qu’un terme vague
2
Qui produit des longueurs qu’à présent on élague.

COULISSE.

275 On ne pourra jamais concevoir aisément
Qu’une fille bien née aime si promptement.

THOMAS.

Elle s’ennuyait trop pour n’être pas sensible,
La fille d’un acteur est toujours combustible.

COULISSE.

Ils savent, je le vois, profiter des instants ;
280 Rodomont qui devait nous rendre triomphants,
Échoue au premier pas qu’il fait dans la carrière.

THOMAS.

Je reconnais en lui le sang de la Rapière,
Après avoir marché par la grande chaleur,
Étouffé de poussière et rempli de sueur,
285 À peine arrivions nous à la première auberge,
S’il voyait la servante en simple habits de serge,
Il courrait après elle, il savait l’attraper
Et me laissait tout seul ordonner le souper.

COULISSE.

Un sang si bouillonnant m’épouvante et m’alarme,
290 C’est un comédien qui tranche du Gendarme ;
Mais je sais bien comment nous pourrons apaiser
Ce transport au cerveau qui pourrait tout oser.
Si la Rancune encore est difficile à vivre,
Pour qu’il ait l’humeur douce et consente à nous suivre
295 Nous lui tuerons sa fille.

THOMAS.

Ah ! L’excellent moyen,
On persuade un homme en s’y prenant si bien.

SCÈNE VIII. Rodomont, Coulisse, Thomas. §

COULISSE.

Seigneur, il faut partir dans l’instant.

RODOMONT.

Rien ne presse.

COULISSE.

Et la Rancune !

RODOMONT.

À moins qu’on ne le même en laisse
Il ne vous suivra point.

THOMAS.

Je ne m’en charge pas.

COULISSE.

300 Vous approuvez, dit-on, qu’il reste en ces climats.

RODOMONT, regardant Thomas.

J’ai soupçon du bavard, qu’il craigne ma furie.

THOMAS, à Coulisse.

Seigneur, vous m’allez faire une tracasserie.

RODOMONT.

Que me reprochez vous, parlez ?

COULISSE.

D’être trop vif
Pour le beau sexe.

RODOMONT.

Et bien j’en fais l’aveu naïf.

THOMAS.

305 Grands Dieux, vous l’entendez.

COULISSE.

Cela me perce l’âme.

RODOMONT.

Notre état défend-il d’avoir jamais de femme ?

COULISSE.

Non, mais il vous défend, à parler sans détour,
De sentir pour aucune un ridicule amour.

RODOMONT.

Et mon père était-il un homme à votre compte ?
310 Pourtant à s’enflammer son humeur était prompte ;
Chacun sait qu’il aima la fille d’un meunier,
Et qu’afin de pouvoir s’y livrer tout entier,
D’une grosse servante il vola la cornette,
3
Et se cacha longtemps sous l’habit de Toinette.

COULISSE.

315 Mais quand je lui montrai le masque d’Arlequin,
4
Il déchira sa jupe et quitta son moulin.

THOMAS.

Le masque d’Arlequin est un charme suprême,
Qui sait toujours rentrer un acteur en lui-même.

RODOMONT.

Vous offrez vainement cet exemple à mes yeux,
320 Rien ne peut d"gager mes serments amoureux ;
Je reste pour avoir Julie en mariage.

COULISSE.

Quel mot prononcez-vous, quel indécent langage !

RODOMONT.

Mais la pitié du moins a des droits sur nos coeurs.

COULISSE.

Si vous êtes si bon, plaignez donc nos acteurs.
325 Du créancier pressant, ils "prouvent l’outrage ;
Tous leurs habits de Ville à présent sont en gage,
On ne leur a laissé que ceux du Magasin,
Qui sont remplis de trous et ne sont pas d’or fin ;
Ainsi l’acteur tragique accablé, taciturne,
5
330 Crotté sur le pavé, la pompe du Cothurne,
Et le comique en pleurs, toujours pressé de faim,
6
Va chercher à dîner en habit de Crispin.

RODOMONT.

Je succombe au récit d’une telle infortune ;
Allons, je vous promets d’emmener la Rancune,
335 Retournez au bateau,

SCÈNE IX. Julie, et les Acteurs précédents. §

JULIE.

Seigneur, j’ai le frisson,
Mon cher père aurait-il à craindre la prison !

RODOMONT.

Madame....

JULIE.

7
Des recors de la Maréchaussée,
J’ai vu dans un bateau la troupe ramassée ;
Ce spectacle est affreux pour mon coeur éperdu.

RODOMONT.

340 Il nous faut la Rancune.

JULIE.

Ah ! Mon père est perdu !
Je vois qu’on lui prépare un sort d’ignominie,
Et mon cher Rodomont se met de la partie.

RODOMONT.

La gloire de la Troupe est préférable à tout.
À Coulisse.
C’est-il bien ?

COULISSE.

Oui.

JULIE.

Pourquoi me donner du dégoût ?
345 Lorsque pour vous, Seigneur, je n’en ai pas la mine.

RODOMONT.

Madame, en cet instant la vertu me domine.

COULISSE.

Fort bien.

JULIE.

Pour moi, l’amour domine dans mon coeur,
Pour la première fois je connais un vainqueur.

RODOMONT.

8
Ah ! Vous badinez.

JULIE.

Non, la raison en est bonne,
350 Avant que de vous voir, je n’avais vu personne.

RODOMONT.

Ah ! Je sais bien à quoi m’en tenir là-dessus.

JULIE.

Pourriez-vous bien penser....

RODOMONT.

Je ne vous entends plus.

JULIE.

À Dieux ! C’est un amant qui parle de la sorte
Le chagrin me dévore, et quand j’en serai mort
355 Vous vous repentirez de voir encor le jour,
Et je sors tout exprès pour vous jouer ce tour,

RODOMONT.

Julie...

JULIE.

Eh bien ?

COULISSE.

À Ciel !

THOMAS.

Craignez ma voix sévère.

RODOMONT.

De quel côté, grands Dieux, je ne sais comment faire.

JULIE.

Rodomont, Rodomont.

COULISSE.

Que faites-vous, Seigneur ?

JULIE.

360 Mes yeux pourront-ils moins que Monsieur l’Orateur ?

RODOMONT.

Demeurez un moment pour que je délibère.

JULIE.

Pleurons donc !

RODOMONT.

Vous pleurez, courons à votre père.
Il sort.

JULIE, à Coulisse et à Thomas.

Ah ! Qu’ils sont attrapés.
Elle sort.
Silence d’étonnement.

THOMAS.

De ce coup étonnés,
Allons nous en tous deux avec un pied de nez.

SCÈNE X. §

JULIE.

365 Ah ! Les voilà partis, j’en suis débarrassée,
Rodomont va parler à la Maréchaussée.

SCÈNE XI. La Rancune, Julie. §

LA RANCUNE.

Ma fille tu pourrais me faire un grand plaisir.

JULIE.

C’est un bonheur pour moi, je saurai le saisir.

LA RANCUNE.

Tu sais bien que je suis sujet à la folie ?

JULIE.

370 Qui ne l’est pas, Seigneur ?

LA RANCUNE.

Oui, souvent je m’oublie ;
Mais quand l’accès me prend je me livre au sommeil.
Et je suis plus sensé qu’un autre à mon réveil.

JULIE.

Où tend ce beau discours ?

LA RANCUNE.

Je te le vais apprendre,
On dit que des recors sont ici pour me prendre,
375 Et comme ils sont vaillants lorsqu’ils ne risquent rien,
Ils choisiront l’instant où je dormirai bien ;
Prends ce couteau, ma fille, et notre affaire est bonne ;
Lorsqu’ils viendront roder autour de ma personne,
De la gaine aussitôt il faudra le tirer.
380 Redoubler de tendresse, et pour me la montrer,
Me faire l’amitié de me couper la gorge.

JULIE.

C’est comme un conte en l’air qu’en rêvant on se forge.

LA RANCUNE.

Non, je te parle ici très sérieusement,
Je t’aime, et te le prouve indubitablement
385 En choisissant ta main dans cette circonstance.

JULIE.

Je ressent tout l’honneur de cette préférence ;
C’est cependant, Seigneur, à parler tout de bon,
Pour caresser son père une étrange façon.

LA RANCUNE.

Je l’exige.

JULIE.

En honneur cela n’est pas possible.

LA RANCUNE.

390 Fille dénaturée, âme trop insensible !
Tu n’as qu’un mauvais coeur.

JULIE.

J’en demande pardon,
9
Si vous prenez la vie en un si grand guignon,
Si pour mourir enfin, votre ardeur est extrême,
Épargnez m’en la peine en vous tuant vous-même.

LA RANCUNE.

395 Je ne le pourrai pas, ma fille, si je dors.

JULIE.

Eh tuez-vous avant.

LA RANCUNE.

Mais oui vraiment, pour lors
Il faut dès à présent charger ma carabine,
Jeter sur le carreau ceux qui me font la mine,
Et commencer surtout par Monsieur Rodomont.

JULIE.

400 Ah de grâce, Seigneur, ne soyez pas si prompt,
Ce Monsieur Rodomont pour nous n’est point à craindre,
Loin de le redouter vous devriez le plaindre.

LA RANCUNE.

Pourquoi ?

JULIE.

C’est que...

LA RANCUNE.

Poursuis, que veux-tu dire !

JULIE.

Il est...
Mon Amoureux.

LA RANCUNE.

Qu’entends-je, et que cela me plaît !

JULIE.

405 Je vous en remercie, en vérité mon père.

LA RANCUNE.

Nous pourrons en tirer bon parti.

JULIE.

Je l’espère,

LA RANCUNE.

Et sans doute il t’a plu ?

JULIE.

D’abord en arrivant ;
Les hommes dans ces lieux ne viennent pas souvent.
J’ai pâli, j’ai rougi, je craignais son langage,
410 Et si je l’avais pu, j’aurais fait la sauvage.

LA RANCUNE.

Il faut le recevoir de la bonne façon,
Ne le pas rebuter, c’est un joli garçon,
Il peut nous être utile ; ah ! Ma chère Julie ;
Je sens avec douleur, que je te sacrifie.

JULIE.

415 Hélas, Consolez-vous, quand on m’immolerait,
La victime, Seigneur, vous le pardonnerait.

LA RANCUNE.

Mais je vois qu’il te guette, il faut pour être honnête,
Te laisser avec lui décemment tête-à-tête.

SCÈNE XII. RODOMONT, JULIE. §

RODOMONT.

Madame, à nos archers j’ai donné de l’argent,
420 Vous n’avez plus à craindre ils partent dans l’instant
À présent nous pourrions puisque rien ne nous gêne,
Parler un peu d’amour pour animer la scène ;
Mais vous rêvez, je brûle en vain pour vos appas
Vous allumez un feu que vous ne sentez pas.

JULIE.

425 Vous n’êtes pas, Seigneur, bon physionomiste,
Eh ! Sur quoi jugez vous que mon coeur vous résiste ?
Hélas j’en ai trop fait ; d’aujourd’hui je vous vois
Vous m’aimez, je vous aime et reçois votre foi,
Mon père a consenti que je sois votre femme.
430 C’est en fort peu de temps aller vite.

RODOMONT.

Ah Madame
Allons faire à Lyon, la noce dès ce jour.
La gloire y servira de compagne à l’amour.

JULIE.

Rodomont, pour tromper épargnez vos tirades
Voulez vous retourner avec vos camarades ?

RODOMONT.

435 Oui, Madame.

JULIE.

Eh bien moi je ne vous suivrai pas,
Et mon coeur n’aura plus à craindre de combats
D’aucun homme en ces lieux ne recevant l’hommage,
Personne ne pourra savoir que je suis sage,
La vertu pour témoins n’a besoin que des Dieux,
440 Étant seule on en a plus que quand on est deux.

RODOMONT.

Madame, en vérité, vous parlez comme un livre
Mais votre père enfin....

JULIE.

De peur qu’on ne le livre
Il veut que je lui donne un bon coup de couteau.

RODOMONT.

Cela prouve qu’il est attaqué du cerveau
445 N’en convenez vous pas ?

JULIE.

Oui, c’est ce qui m’afflige ;
Mais il faut cependant répéter son vertige,
Si les acteurs sur eux étaient bien éclairés
Ils répandaient des pleurs sur les cerveaux timbrés.
Elle sort.

RODOMONT.

C’est une fille née avec un esprit juste ;
450 Mais que me veut Coulisse avec son air auguste ?

SCÈNE XIII. Coulisse, Thomas, Rodomont. §

COULISSE.

L’Opéra nous écrase, on m’écrit de Lyon
Qu’on court avec fureur à l’Opéra gascon,
Et que tous les Acteurs pour insulte dernière
Vont boire sur la fosse où gît feu la Rapière.

RODOMONT.

455 Et de qui tenez vous ce triomphe nouveau ?

COULISSE.

La Peste à chaque instant ici vient en bateau.

RODOMONT.

Puisqu’on ranime ici le feu de nos querelles,
Je vais prendre à parti toutes ces Demoiselles.

THOMAS.

Et vous serez battu sans pouvoir échapper,
460 Elles sont beaucoup plus ensemble pour frapper
Que pour chanter en choeur.

RODOMONT.

Je le sais, mais n’importe.

COULISSE.

À quoi peut vous servir l’ardeur qui vous transporte,
Je sais un moyen sûr pour sortir d’embarras,
Car si je ne m’en mêle, on ne finira pas,
465 Je veux voir la Rancune.

RODOMONT.

À ciel ! Êtes vous sage

COULISSE.

Je crois que je me sens dans mon jour de courage.

THOMAS.

Je nuirais à la scène, ainsi votre valet.
Il sort.

COULISSE, à Rodomont.

Laissez moi seul, non, non, demeurez.

RODOMONT.

En effet
Vous risquez moins.

COULISSE.

Il vient, je ne sens plus d’alarmes ;
470 Par absence d’esprit il n’a point pris ses armes.

SCÈNE DERNIÈRE. La Rancune, Julie, Rodomont, Coulisse. §

LA RANCUNE, à Rodomont.

Je vous croyais bien loin, qui vous arrête ? Ô Dieux !
L’Auteur de mon malheur, Coulisse est en ces lieux !
10
Allons, ma carabine, et vite, cela presse.

JULIE.

Sans la porter jamais, vous en parlez sans cesse.
475 Au lieu de menacer, il faut effectuer.

COULISSE, donnant son épée à la Rancune.

Prends ce fer.

LA RANCUNE, voulant tuer Coulisse.

Meurs.

RODOMONT, l’arrêtant.

Tout doux.

COULISSE, à Rodomont.

Laissez-le me tuer.
À la Rancune.
Si tu veux te venger voilà ma gorge, coupe ;
Mais cruel, n’étend point les fureurs sur la troupe.

LA RANCUNE.

Du plus cruel affront, la troupe m’a noirci,
480 Perfide, est-ce un chanteur qui m’a conduit ici.

COULISSE.

On te demande excuse.

LA RANCUNE.

Ah ! Ton respect m’irrite.

JULIE.

Ce Coulisse en effet, a l’air bien hypocrite.

LA RANCUNE.

Ôte-toi de mes yeux, va languir à Lyon.

JULIE.

Rien ne peut l’apaiser.

RODOMONT.

Quelle obstination.

LA RANCUNE.

485 Mais avant ton départ, il est bon que ma bile
En imprécation encore se distille :
Déployez vos gosiers, préparez-vous Chanteurs,
Étudiez la scène et rendez-vous acteurs.
N’immolez plus le goût aux arguments frivoles ;
490 Mariez l’harmonie à de bonnes paroles.
Ne sacrifiez plus à de sots préjugés.
Le costume et le vrai si longtemps négligés :
Travaillez pour l’honneur, vous altiers symphonistes ;
Formez vous sans jurer contre les bouffonistes,
495 Danseuses et Danseurs qui tortillez des pas ;
Profitez la décence aux brillants entrechats
Vieux organes des choeurs, chanteuses vétérantes,
Traînez un peu plus loin vos cadences mourantes ;
Cédez sans disputer de vos antiques droits,
500 Le devant du Théâtre a de jolis minois.
Ces principes certains t’assurent la victoire,
Noble Opéra, triomphe et sois couvert de gloire.
Je venge tes malheurs, tu vengeras les miens :
Abîme, coule à fond tous les Comédiens,
505 Excepté Rodomont, que la rage, la peste,
La famine et le Diable emporte tout le reste.

RODOMONT.

Fuyons, n’écoutons point ses jurements affreux,
Qui font frémir d’horreur et dresser les cheveux.
Laissons-là ce brutal, cet animal féroce.
510 Qu’il en coûte à mon coeur ! Adieu projets de noce.

COULISSE.

Un fâcheux misanthrope est partout détesté.
Il devient le rebut de la société.
Et sitôt qu’il est mort, son âme triste, errante,
Des femmes, des enfants, est l’horrible épouvante,
515 L’enfer même, l’enfer se refuse à ses cris ;
Si vous l’osez, cruel, vengez-vous à ce prix.

JULIE.

Mon père, détournez cette horrible menace.

LA RANCUNE.

Quel tableau le barbare oppose à mon audace,
Quoi le Diable indigné, ne voudrait pas de moi,
520 Est-il un trait plus fort ?

JULIE.

Ah ! J’en frémis d’effroi.

COULISSE.

Pour lui prouver qu’à tort son âme me déteste,
Emmenez tous vos gens auprès de lui, je reste.

RODOMONT.

Ah ! Que c’est bien penser.

LA RANCUNE.

Nous croit-il des enfants ?
Ta proposition révolte le bon sens ;
525 Car puisque mes talents vous sont si nécessaires,
Est-ce là le moyen d’arranger vos affaires ?

COULISSE.

Hé bien ! Si son courroux ne peut être adouci,
Qu’il s’en aille avec vous, et je demeure ici,
À part.
Je saurai m’en tirer, je risque peu de chose.

RODOMONT.

530 Que de sublimité !

LA RANCUNE.

Quels remords il me cause ?
Épouse Rodomont, ce prix t’était bien dû,
Mes enfants réparés tous deux le temps perdu ;
Je suis prêt à vous suivre.

RODOMONT.

Ah ! Quel bonheur extrême.

JULIE.

Amants à l’impromptu soyons époux de même,
535 Et disons aux Censeurs qui blâmeraient nos feux,
Qu’il n’est point sans l’amour, de dénouement heureux.

LA RANCUNE.

Coulisse, je me rends, excuse ma folie.

COULISSE.

On va vous en guérir ; et sans que l’on vous lie,
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Certain opérateur, habile homme et profond,
540 A préparé pour vous des calottes de plomb ;
Partons, que des bateaux en toute diligence
Transportent la Rancune.

LA RANCUNE.

Il n’en faut qu’un, je pense.

COULISSE.

Cessons de plaisanter, il faut nous embrasser,
Ce que j’ai dit de toi ne saurait t’offenser.
545 À quelques écarts près, ta vertu magnanime,
T’a rendu dans notre art, un modèle sublime.
Mais on peut d’un modèle éclairer les défauts,
La critique ne doit épargner que les sots.

JULIE.

Esprits qui prétendez aux lauriers du poète,
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550 Pour l’honneur des talents imitez Philoctète,
En prenant son auteur pour guide et pour soutien,
On suivra le grand homme et le vrai citoyen.