PAR
Monsieur de SCUDERY.
Chez Augustin Courbé, Libraire et Im-
primeur de Monseigneur frere du Roy, à la
petite gallerie au Palais, à la Palme.
M. DC. XXXVI.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Alexandra Dias Vieira dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2012)
Introduction §
Georges de Scudéry est un auteur raillé pour sa plume féconde, pourtant son théâtre est bien reçu par le public du XVIIe siècle. Aujourd’hui, le théâtre, qui est la majeure partie de son œuvre, est peu connu voire inconnu. Seul son nom est resté dans les mémoires et cela grâce à sa collaboration avec sa sœur.
Scudéry a écrit seize pièces, dont Le Fils supposé. Elle est la seconde concession de Scudéry à la comédie1. Selon Ch. Mazouer, Scudéry aurait un style certes « doux-coulant » mais celui-ci est un « peu plat »2. Bien au contraire pour nous ce style est représentatif du théâtre des années 1630.
Georges de Scudéry §
La vie du dramaturge §
Georges de Scudéry est né au Havre de Grâce, le 11 avril 1601 . Selon ses dires, sa famille serait d’origine italienne, noble mais désargentée. Il est le deuxième d’une famille cinq enfants dont trois moururent en bas âge. Madeleine naquit en 1607. Il perdit ses parents en 1613, à l’âge de 13 ans, et il fut accueillit avec sa sœur chez leur oncle qui les éduqua. Selon Eveline Dutertre3, il aurait fréquenté le collège. Ainsi, il paraîtrait que Scudéry ne fut pas élevé par son oncle. Cependant, cette partie de son enfance reste tout de même floue.
Il embrassa très tôt une carrière militaire, comme son père qui accompagna Villars au Havre de Grâce où il devint capitaine à la fin du XVIe siècle. Ainsi, tout le destinait à s’engager dans une carrière militaire d’après Les Frères Parfaict4. On n’est pas sûr de la durée de la carrière militaire de Georges de Scudéry, mais l’on pense qu’elle a duré entre 13 et 14 ans. Donc à l’âge de 28 ans, Scudéry troqua son épée pour la plume. Selon Éveline Dutertre5, si Scudéry a choisit la carrière des lettres ce fut par nécessité. Certes, sa famille était noble mais elle était pauvre.
En 1629, il s’installa à Paris, rue Vieille du Temple, dans le quartier du Marais. Madeleine rejoindra son frère à Paris après la mort de leur oncle. Un an après, en 1630, fut représenté sa première pièce de théâtre à l’Hôtel de Bourgogne, Ligdamon et Lidias6. Il fréquentait le salon le plus en vogue à cette période: celui de Mme de Rambouillet. Il participa donc à la vie des salons sous le surnom de Sarraïdes7. Il se lia d’amitié avec de grands noms comme Chapelain, Sarazin, Corneille mais cette amitié avec ce dernier se termina avec le Cid. En effet, en 1637, Scudéry écrivit les Observations du Cid, critique virulente du chef-d’œuvre de Corneille. Scudéry gagna la protection de Richelieu lors de la représentation en 1631 du Trompeur puni. Pour le remercier de sa protection, Scudéry lui écrivit une série de poèmes. Fort du succès de sa première pièce, il écrira seize pièces de théâtre mais également des textes théoriques (dont L'Apologie du théâtre publié en 1639) de 1629 à 1642. En 1641, il participa à l’écriture du roman de Madeleine, Ibrahim ou l’illustre Bassa, en composant la préface.
En 1642, Scudéry cessa toute activité dramaturgique de manière brusque. Serait-il possible que l’arrêt de cette activité ait un lien direct avec la mort de Richelieu la même année ? À moins que comme Mairet, il ait renoncé devant l’enchaînement irrésistible du succès de Corneille.
De 1642 à 1667 fut une période marquée par une alternance de voyages entre la capitale et la province. Tout d’abord, de 1643 à 1647 il devint gouverneur à Notre Dame de la Garde à Marseille mais c’est en 1644 que Georges et sa sœur s’y installèrent. À Notre Dame de la Garde, les Scudéry s’ennuyèrent. Comme le souligne Ch. Clerc « Ce fut leur thébaïde, leur désert, leur exil »8. Cependant, cet ennui est bénéfique car Scudéry écrivit en 1646, Le Cabinet de M. de Scudéry et en 1647, il publia Les Discours politique des Rois.
En 1647, les Scudéry retournèrent dans la capitale. Lors de ce séjour, qui dura sept ans, Georges de Scudéry fut élu à l’Académie Française en 1649, et il publia la même année Les Poésies Diverses. Après avoir écrit des pièces de théâtre, des poèmes, des ouvrages théoriques et participé à l’écriture des romans de sa sœur (Artamène ou le Grand Cyrus, 1649-1653 ; La Clélie, 1654-1660 ; etc.), il publia une épopée en 1654 : Alaric ou Rome vaincue.
À la fin de la Fronde, Scudéry dut s’exiler en Normandie du fait de son amitié avec le prince de Condé. Ainsi en 1654 Scudéry partit en Normandie. Pendant son exil (1654-1660), Scudéry épouse Marie Madeleine du Moncel de Martinvast en 1655. De leur union naquit un fils en 1658.
En 1660 Scudéry revint à Paris et il s’installa avec sa famille dans le quartier du Marais, rue de Berry. Sa famille vécut de manière sobre. De 1661 à 1663, il publia un roman mauresque de 6533 pages, Almahide ou l’esclave reine, qu’il écrivit avec la participation de sa femme. Cette plume si féconde fut raillé par ses contemporains. Ainsi, Boileau écrivit :
Bienheureux Scudéry dont la fertile plumePeut tous les mois sans peine enfanter un volume,Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants,Semblent être formés en dépit du bon sens,Mais ils trouvent pourtant, quoiqu’on puisse dire,Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire.9
Ce fut son dernier ouvrage. Georges de Scudéry mourut à Paris le 14 mai 1667 d’une attaque. Il fut enterré à l’église de Saint-Nicolas-des-Champs.
Ses écrits §
Georges de Scudéry est connu par ses contemporains pour sa fécondité. Ainsi il a écrit de nombreux ouvrages, tout genre confondu, entre 1629 et 1663. Nous les citerons par genre et dans l’ordre de leur date de publication.
Le Théâtre §
Ligdamon et Lidias, tragi-comédie, 1631.
Le Trompeur puni, tragi-comédie, 1633.
La comédie des comédiens, comédie, 1635 (comporte une pastorale : L'Amour caché par l’amour).
Le Vassal généreux, tragi-comédie, 1635.
Orante, tragi-comédie, 1635.
Le Prince déguisé, tragi-comédie, 1635.
La mort de César, tragédie, 1636.
Le Fils supposé, comédie, 1636.
Didon, tragédie, 1637.
L'Amant Libéral, tragi-comédie, 1638.
L'Amour Tyrannique, tragi-comédie, 1639.
Eudoxe, tragi-comédie, 1641.
Andromire, tragi-comédie, 1641.
Ibrahim ou l’illustre Bassa, tragi-comédie, 1643.
Arminius ou les Frères ennemis, tragi-comédie, 1643.
Axiane, tragi-comédie en prose, 1643.
Les romans §
Ibrahim ou l’illustre Bassa, 1641 (en collaboration avec sa sœur Madeleine).
Artamène ou le Grand Cyrus, 1649-1653 (en collaboration avec sa sœur Madeleine, en 10 vol.).
Clélie, 1654-1660 (en collaboration avec sa sœur Madeleine).
Almahide ou l’Esclave reine, 1660-1668 (en collaboration avec sa femme Marie Madeleine, en 8 vol.)
Ouvrages divers (théoriques, poème épique, poésies, etc.) §
Édition des Œuvres de Théophile, 1632
Le Temple, poème à la gloire du Roi et de M. le Cardinal […], 1634.
Observation sur le Cid, 1637.
L'Apologie du théâtre, 1639.
Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques, 1643.
Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques, deuxième partie, 1644.
Le Cabinet de M. de Scudéry, 1646.
Discours politiques des Rois, 1648.
Poésies diverses, 1649.
Salomon instruisant le Roi, 1651.
Alaric ou Rome vaincue, poème héroïque, 1654.
Poésies nouvelles, 1661.
L'œuvre §
Réception §
Selon les dires de Georges de Scudéry, la pièce connut un grand succès, « Le Fils supposé vint ensuite qui, par ses fréquentes représentations, fit voir qu’il avait part à la gloire aussi bien que les poèmes qui l’avaient devancé »10. C'est le seul témoignage du succès de la pièce. On sait également que Le Fils supposé fut écrit après Orante (1634-1635) et avant Le Prince déguisé (1635) mais la date de représentation est incertaine. Pour Lancaster11, la pièce fut représentée dans la première moitié de 1634 mais pour Éveline Dutertre12, elle fut représentée en 1635. Dans les deux cas ils ne donnent pas de réelles explications pour ces dates.
Résumé de la pièce §
Cette comédie tourne autour de deux histoires d’amour : Luciane-Oronte et Bélise-Philante
Tout d’abord, dans l’Acte I, Rosandre dit à sa fille Luciane qu’il souhaite la marier avec Philante, le fils de son vieil ami Almédor. Mais cette dernière refuse car elle aime et est aimée par Oronte. Rosandre donne l’ordre à Oronte de renoncer à Luciane mais Oronte refuse et va la voir (Scène 1 et 2). On découvre grâce au récit d’Almédor à son ami Rosandre que celui-ci ne connait pas son fils car il a été enlevé par les Turques. Son fils a été élevé par son Oncle Osmin en Bretagne (Scène 3). En Bretagne, Philante reçoit le serviteur de son père, Doriste. Celui-ci est chargé de conduire Philante auprès de son père à Paris. Il demande à son amante Bélise de le suivre jusqu’à Paris. Celle-ci accepte même si son frère, Clorian, est contre cette union mais après avoir hésité (Scène 4, 5, 6, 7).
À l’Acte II, Luciane désespérée face à ce dilemme (père ou l’amour) décide de se suicider (Scène 1). Cependant elle entreprit, avec Oronte, de décourager Philante et si cela ne fonctionne pas, Oronte le défiera en duel (Scène 2). À Blois, Bélise et Doriste attendent Philante qui devait les rejoindre mais ce dernier ne vient pas. Sur le conseil de Doriste, Bélise se déguise en homme et se fait passer pour Philante. Elle se rendra donc à Paris (Scène 3). Pendant ce temps là, en Bretagne, Clorian le frère de Bélise, après avoir apprit que sa sœur était partie avec Philante, le jette en prison (Scène 4, 5). Cependant pour une raison inconnue Clorian le relâche et ils deviennent amis (Scène 6).
Dans l’acte suivant, à Blois, Philante ne trouvant pas Bélise se met à la chercher avec l’aide de Clorian (Scène 1). Ils apprennent qu’elle est partie avec Doriste à Paris et décident de s’y rendre (Scène 2). À Paris, Bélise se présente comme étant le fils d’Almédor. Ce dernier est heureux de revoir son fils et lui annonce qu’il souhaite le marier avec Luciane (Scène 3). Oronte décide d’aller chez Rosandre pour voir Luciane décourager Philante (Scène 4). Bélise déguisée en Philante est alors présentée à Luciane (Scène 5). Bélise profite d’un moment seul avec Luciane pour lui révéler qu’elle est une fille et qu’elle aime et est aimée de Philante. Luciane la rassure en lui révélant à son tour qu’elle aime Oronte (Scène 6). Oronte apparaît. Luciane, souhaitant se divertir, décide de le rendre jaloux. Celui-ci, convaincu que Luciane l’a délaissé, souhaite alors se battre en duel avec Philante (Scène 7).
À l’Acte IV, Bélise n’est pas en accord avec le choix de Luciane de rendre jaloux Oronte et redoute les conséquences à venir (Scène 1). Oronte voulant se venger demande à Braside de remettre une provocation en duel à Philante, qui n’est autre que Bélise (Scène 2). Pendant ce temps là, Doriste fait part de ses inquiétudes (Scène 3). Philante et Clorian arrivent devant la maison d’Almedor. À ce moment Braside arrive et entend Clorian appeler son ami Philante. Braside croyant avoir trouvé le bon Philante lui remet alors la provocation en duel. Philante et Clorian acceptent le duel (Scène 4). Rosandre et Almédor, croyant que leurs enfants sont amoureux, sont heureux de les unir (Scène 5). Dans une stance, Oronte clame sa colère face à la situation tout en attendant Braside, Philante et Clorian à la Porte Saint Antoine (Scène 6). Oronte aperçoit son ami arriver mais il est surpris de voir un homme qu’il ne connait pas. Cet homme déclare être Philante et affirme ne pas vouloir épouser Luciane car son cœur est déjà épris d’une autre femme. Face à cette révélation, ils décident d’aller chez Rosandre démasquer le faux Philante (Scène 7).
Au dernier Acte, dans de très belles stances, Bélise se désespère de ne pas voir Philante arriver (Scène 1). Luciane annonce à Bélise que son père ne veut point renoncer au mariage et décide même de l’avancer. Doriste lui, redoute le châtiment de Philante pour avoir aidé Bélise (Scène 2). Rosandre et Almédor s’obstinent à marier Luciane et le faux Philante, bien qu’ils soient rebutés à cette idée (Scène 3). Oronte, Braside, Clorian et Philante se présentent chez Almédor. Philante lui déclare qu’il est son fils mais Almédor ne le croit pas et demande à Bélise, déguisé en Philante, et à Luciane de venir (Scène 4). Philante et Clorian sont étonnés de voir Bélise. Elle décide de donner la main de Luciane, qu’elle avait reçu de Rosandre, à Oronte. Clorian explique la situation et les circonstances du déguisement de Bélise. Almédor est heureux de retrouver son vrai fils et les deux pères consentent aux deux mariages (Scène 5). Comme dans toutes les comédies, la pièce se termine bien, Bélise épousera Philante et Luciane Oronte.
La Source §
La source précise du Fils supposé nous est inconnue.
Certes, nous connaissons les sources de la plupart de ses pièces. Mais pour un petit nombre d’entre elle nous sommes réduite à des hypothèses. C'est le cas de L'Amour caché par l’amour, du Fils supposé et La Mort de César.13.
Il y a plusieurs suppositions concernant la source de la pièce. Selon Éveline Dutertre, le modèle utilisé par Scudéry pour Le Fils supposé pourrait être romanesque. Comme le soulignent les Frères Parfaict, cette pièce aurait pu constituer un « roman complet ». Cependant, ce modèle n’a pas été trouvé à l’heure actuelle. Après cela, elle suppose que la source pourrait être antique mais là encore c’est une impasse.
L'option la plus probable est la source espagnole comme le suggère Puibusque14, or elle fut rejetée par Batereau. Que ce soit pour Lancaster ou Éveline Dutertre, Le Fils supposé présente une intrigue similaire à la pièce de Rotrou, La Diane. Ainsi, dans les deux pièces, nous avons affaire à une jeune fille amoureuse (Bélise pour Le Fils supposé et Diane pour La Diane) qui se déguise en homme et va à Paris. Là, la jeune fille, qui a usurpé l’identité d’un homme (l’une de son amant et l’autre de son frère), se trouve alors confrontée à un aporie : demander la main d’une jeune fille. Dans Le Fils supposé, Almédor se retrouve avec deux fils et dans La Diane, le père de Rosinde se retrouve, lui, avec deux gendres. Pour terminer elle révélera son sexe et son frère établira sa noblesse. Du fait de ces similitudes, cette pièce peut bien être la source de celle de Scudéry. Dutertre propose deux hypothèses; soit Scudéry connaissait la pièce de Rotrou qui a été représenté en 1633, publié en 1635 et l’a pris comme modèle, soit Scudéry connaissait le modèle espagnol (Villana de Xetafe de Lope de Vega) dont Rotrou s’était inspiré pour écrire sa pièce. La première hypothèse semble la plus probable pour Éveline Dutertre. Ainsi, elle explique que Rotrou avait déjà modifié quelques éléments de l’histoire de Lope de Vega. Scudéry a apporté également des modifications mais ces dernières vont dans le même sens que celles de Rotrou. Nous sommes en accord avec l’hypothèse et l’explication de E. Dutertre mais cependant cette dernière n’est qu’une supposition. Ce qui est sûr, c’est que la source du Fils supposé reste encore inconnue.
La Dramaturgie §
La question du genre §
Le Fils supposé est intitulé « comédie » par Scudéry. À première vue, on peut se dire que la question du genre ne se pose pas mais plusieurs critiques remettent en cause de manière implicite cette nomination. Ainsi Éveline Dutertre dans Scudéry dramaturge souligne que
Le Fils supposé est intitulé comédie, mais, malgré la dénomination différente, elle ne diffère nullement des tragi-comédies, si ce n’est par la présence d’éléments comiques un peu plus nombreux.15
La comédie a été fortement influencée par la pastorale et la tragi-comédie comme le souligne Mazouer « Ce faisant, elle [la comédie] répudie les univers imaginaires et parfaitement fantaisistes de la pastorale et de la tragi-comédie, qui l’ont si fort influencé »16. Ainsi nous comprenons mieux la remise en cause de la nomination de la pièce par les historiens du théâtre et pourquoi l’on retrouve des passages et des procédés typiques de la tragi-comédie et de la pastorale dans cette comédie. Nous citerons quelques-uns de ces procédés pour démontrer que Le Fils supposé est une pièce d’influences diverses et qu’il est ainsi difficile de savoir à quel genre elle appartient.
La scène 1 de l’acte IV comporte un procédé typique de la pastorale. En effet, la villanelle est une chanson pastorale chantée par des bergers et des bergères (mais nous verrons cela plus en détail dans notre partie intitulée Lyrisme, La villanelle).
Mais Le Fils supposé fait partie également des comédies romanesques par le fait qu’il cumule des péripéties romanesques. Cependant c’est avant tout une comédie d’intrigue. Roger Guichemerre dans La Comédie classique en France expose la structure d’une comédie d’intrigue. Généralement, on a un jeune premier qui veut séduire une jeune fille ou les deux jeunes gens sont déjà amoureux l’un de l’autre, mais avant d’être réunis, ils doivent affronter plusieurs obstacles de natures diverses. Dans notre comédie l’obstacle est de type parental. On retrouve aussi la méprise d’un amant croyant que sa bien aimée s’est éprise d’un autre homme qui n’est autre qu’une femme déguisée. Cela entraîne de nouvelles péripéties comme le duel. Mais, au final tout se termine bien et finit soit par un mariage, soit par une promesse de mariage. Tous ces procédés sont également utilisés dans la tragi-comédie. Par ailleurs, dans notre comédie figure deux thèmes caractéristiques de la tragi-comédie : L'emprisonnement et le duel. En effet, Nous retrouvons, à scène 5 de l’acte II, le personnage de Philante en prison et à la scène VII de l’acte IV un duel entre Philante, Oronte, Braside et Clorian.
Cependant Mazouer argue que « Le Fils supposé de Scudéry est presque une tragi-comédie »17. Intéressons nous à ce « presque ». Par ce terme, Mazouer indique qu’il manque quelque chose pour que Le Fils supposé soit une tragi-comédie. Certes, elle réunit bien des aspects de ce genre mais ces aspects correspondent aussi à deux sous genres en vogue de la comédie dans les années 1630 : la comédie romanesque et la comédie d’intrigue.
Le Fils supposé reste très donc proche du genre de la tragi-comédie même si c’est une comédie. Rappelons que Scudéry a écrit douze tragi-comédies et qu’il a commencé sa carrière par la tragi-comédie, ce qui a sûrement du l’influencer cette comédie.
Après avoir vu de manière, certes, rapide les différents genres qui composent notre comédie nous étudierons sa structure.
Ce qui caractérise la comédie c’est le mariage final selon Georges Forestier18. Ainsi pour qu’une comédie soit complète, il faut qu’elle se termine par le mariage d’un des personnages principaux. Cependant, l’action ne peut être complète que s’il y a un commencement, un milieu et une fin d’après Aristote. Dans ses discours, Corneille nous donne la structure de la comédie :
[…] deux amants séparés par quelques fourbes qu’on leur a faite, ou par quelque pouvoir dominant, se réunissent par l’éclaircissement de cette fourbe, ou par le consentement de ceux qui y mettait obstacle; ce qui arrive presque toujours dans les nôtres [nos comédies], qui n’ont que très rarement une autre fin que des mariages19.
De cela Georges Forestier a déduit « que le genre de la comédie relève d’une méthode de composition qui est celle de la ‘déduction’ »20, c’est-à-dire, que le dramaturge pour écrire sa comédie part de la fin (le mariage) puis remonte jusqu’au début de l’intrigue. Ainsi la comédie repose sur une structure en trois temps : l’union, la désunion ou la séparation, et la réunion. Vu que la comédie est écrite de manière à rebours cela donnerait : la réunion, la désunion ou la séparation et l’union. De ce fait pour écrire sa comédie Scudéry serait parti de la situation finale qui est le mariage de Philante-Bélise et le mariage d’Oronte-Luciane puis il aurait construit divers obstacles (quiproquo, duel, déguisement de Bélise, désaccord parental) pour que les amants soient séparés pour enfin arriver à la situation initiale qui est l’union des amants.
Cette construction à rebours en trois temps est typique de la comédie et notre comédie ne déroge pas à cette structure, qui est généralement utilisée dans la plupart des comédies du XVIIe siècle.
L'action et le cadre spatio-temporel §
Lorsque Scudéry compose Le Fils supposé, la tragi-comédie et l’irrégularité dominent le monde théâtral. Lui-même dans la préface de Ligdamon et Lidias « A qui lit » (1631) faisait ainsi l’éloge de l’irrégularité :
Je ne suis pas si peu versé dans les regles des anciens Poëtes Grecs et Latins, et dans celles des modernes Espagnols et Italiens, que je ne sçache bien qu’elles obligent celuy qui compose un Poëme Epique à le reduire au terme d’un an, et le Dramatique en un jour naturel de vingt-quatre heures, et dans l’unité d’action et de lieu; mais j’ay voulu me dispenser de ces bornes trop estroites faisant changer aussi souvent de face à mon Theatre que les Acteurs y changent de lieux; chose qui selon mon sentiment a plus d’esclat que la vieille Comedie.21
Ainsi l’on remarque que le non respect des règles est un choix délibéré de la part de Scudéry.
L'action §
L'action est liée directement au nœud de l’histoire. Elle doit avoir un début, un milieu et une fin. Dans une comédie, les relations entre les amoureux constituent généralement l’action principale (ou le fil principal) de l’intrigue mais celle-ci peut se compliquer en présence de plusieurs couples d’amoureux. Selon Hélène Baby :
La relation étant la pierre de touche dans l’organisation de l’action, de nombreuses amours sont dignes du même intérêt, et forment autant d’ « actions principales ».22
Dans Le Fils supposé, il y a deux couples Bélise-Philante et Luciane-Oronte. Donc nous avons deux « actions principales ». Pour déterminer lequel de ces deux couplets est le fil principal, H. Baby nous propose deux critères : le titre et l’ordre d’entrée en scène. Si on se référent au premier critère, l’action principale serait le couple Bélise-Philante. En effet, le titre Le Fils supposé désigne Bélise déguisée en Philante. Cependant, nous pensons que ces deux couples sont aussi intéressants l’un que l’autre.
Ces couples forment les deux fils principaux. Ils sont dépendants l’un de l’autre, dans le sens où si l’un des deux fils était supprimé, l’intrigue disparaîtrait.
Ainsi l’intrigue est formée de deux actions principales. Le premier fil est le couple Bélise-Philante et le second fil est celui de Luciane-Oronte.
Le temps §
Le Fils supposé dure plus de vingt-quatre heures. Nous avons repéré deux indications de temps. Dans l’Acte II scène 3 Bélise mentionne que cela fait trois jours qu’elle attend le retour de Philante (v.537-538). La deuxième indication est toujours faite par Bélise dans la même scène. Elle évoque son départ avec Doriste pour Paris et ce départ se ferait la nuit « Partons pour n’estre veus au coucher du soleil » (v. 604). Selon Éveline Dutertre, l’action de notre comédie « doit durer une grande semaine ou deux petites »23 du fait des nombreux voyages que font les personnages entre les différents lieux cités dans la pièce.
Les divers lieux §
Dans Le Fils supposé, l’action se développe dans trois lieux différents : Rennes, près des murailles de Blois (acte II, sc. 3) et Paris. En effet, dans le premier acte, Luciane, Oronte, Almédor et Rosandre sont à Paris mais Philante, Bélise, Clorian et Doriste sont à Rennes. Au deuxième acte, un troisième lieu est mentionné la ville de Blois où Bélise et Doriste attendent Philante. Pour la ville de Paris, dans la pièce, elle se trouve subdivisée en plusieurs lieux différents, c’est-à-dire, que quand la pièce se déroule à Paris on peut être soit chez Rosandre, soit devant la maison d’Almédor, soit à la porte de Saint Antoine. Ce qui rend la représentation scénique bien plus compliquée.
La représentation scénique §
Ce qui caractérise le théâtre de Scudéry, c’est le mouvement. Ce mouvement, selon Dutertre, est composé de trois procédés. Tout d’abord, il y a l’enchaînement d’actions qui se fait de manière rapide et le mouvement des personnages qui se déplacent d’un lieu à un autre. Ensuite, le mouvement peut être créé par les scènes de combat ou de duel qui sont assez fréquentes dans les pièces de Scudéry. Pour terminer, il crée du mouvement en alternant les divers lieux de la pièce. Ces trois procédés figurent dans notre pièce. Certains d’entre eux, comme l’alternance de lieux, rendent la compréhension et la représentation de la pièce plus compliquées. Scudéry mentionne six fois l’expression : « La scene change de face »24 mais il ne la mentionne que quand cela concerne les villes tels que Paris, Rennes et Blois. Il ne mentionne pas les changements de lieux qui se font dans la ville même. Dans notre pièce c’est le cas pour Paris.
Nous allons nous intéresser à ce mouvement et voir comment il aurait pu être représenté sur scène. Nous nous baserons sur le Mémoire de Mahelot pour donner une hypothèse sur le décor. Nous supposons que pour représenter une telle comédie les décorateurs devaient utiliser une décoration simultanée.
Dans un premier lieu, nous savons que Le Fils supposé fut joué en 1634 ou en 1635 sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne où se produisait la troupe Royale. Le plateau mesurait 10 m 70 en profondeur et 13 m 60 en largeur environ et domine le parterre d’un mètre environ. Cependant nous ne connaissons pas la répartition des rôles pour notre comédie. En ce qui concerne les costumes des acteurs, Scudéry ne nous a laissé aucune information mais nous pouvons déduire, grâce au rang social des personnages, leurs costumes. Ainsi Doriste et Polidon portaient des costumes de valet. Les autres personnages étaient vêtus de costumes aristocratiques mais seuls les jeunes premiers portaient en plus une épée au côté (Philante, Braside, Oronte et Clorian). Bélise est le seul personnage à avoir deux costumes. En effet, au début de la pièce elle est vêtue d’une tenue aristocratique mais à partir de la scène 3 de l’acte II elle porte le costume d’un jeune premier.
Pour le décor, on sait qu’ils se servaient de toiles peintes et selon Pierre Pasquier25, elles étaient collées sur des bâtis de bois. Ce décor est ensuite disposé soit parallèlement au bord du plateau, soit parallèlement aux lignes de fuite sur des châssis brisés ou droits. Le procédé le plus utilisé au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne était échelonné en profondeur sur trois plans avec un châssis au fond de la scène planté parallèlement au bord du plateau. C'est sur cette disposition que nous allons fonder notre hypothèse de représentation scénique.
Le décor ainsi planté, formait au milieu de la scène un espace vide. Autour de celui-ci étaient placés des compartiments ou des « chambres ». Cet espace vide est un espace neutre qui permet de prolonger le lieu d’un compartiment désigné.
L'espace subsistant entre le bord du théâtre et les cinq chambres perdait alors sa neutralité et s’actualisait en l’espace jouxtant ou prolongeant le lieu fictionnel que le compartiment désigné était censé figurer.26
Ainsi l’espace vide peut représenter plusieurs lieux fictionnels. Nous supposons que les décorateurs utilisaient pour notre pièce des chambres à un seul niveau. Chacune des chambres possédait des rideaux sur lesquels étaient peints les façades des bâtiments. Certaines chambres restaient closes et pour d’autres le rideau s’ouvrait pendant la représentation puis se refermait. Pour cette comédie nous supposons que toutes les chambres restaient closes, à par celles du compartiment que nous nommerons Rennes et du compartiment de la maison de Rosandre. Pour Rennes, le rideau s’ouvrait pour laisser entrevoir sûrement une prison où Philante sera enfermé à l’acte II scène 5 et 6. Nous supposons également que lorsque le rideau de ce compartiment s’ouvre on peut apercevoir des barreaux. Dans le second compartiment, on pouvait peut-être apercevoir une galerie et un petit salon. Ces rideaux s’ouvraient de l’intérieur par les acteurs qui allaient jouer la scène. Nous pensons également qu’il y avait cinq chambres sur scène. La chambre centrale (chambre qui se trouve au fond de la scène parallèlement au bord du plateau) serait peut-être la maison Rosandre. Si nous la plaçons ici, c’est tout simplement parce que nous savons que cette chambre est celle que les spectateurs voyaient le mieux. Ce qui permettrait à tous les spectateurs de voir une grande partie de l’action du Fils supposé. Au second plan, côté jardin nous supposons qu’il y avait le compartiment qui représentait la porte Saint Antoine. Côté cours, se trouvait semblablement la maison d’Almédor. Et enfin au premier plan, on pouvait probablement trouver d’un côté ce qu’on nommera la chambre de Blois et de l’autre côté le compartiment Rennes où nous supposons qu’à l’ouverture du rideau se trouve une prison.
En ce qui concerne les issues nous pensons qu’il y avait une porte dérobée dans le compartiment Rennes pour permettre à l’acteur qui joue Philante d’entrer dans la prison et d’y rester (acte II, sc. 5). Il y avait également dans le compartiment maison de Rosandre une porte dérobée pour permettre là encore aux acteurs d’entrer et de sortir du compartiment (acte III, sc. 5 à l’acte IV sc. 1) . Il y avait sûrement une porte sur les barreaux, qui permettait à Clorian de fait sortir Philante de prison à la scène 6 de l’acte II.
Nous ne savons pas comment était éclairée la pièce. Pasquier émet plusieurs hypothèses. La plus probable serait que l’avant-scène soit éclairée par des chandeliers garnis de bougies et qu’il y eut en coulisse des sources lumineuses pour éclairer la scène. Selon Pasquier, ces sources de lumières étaient placées côté jardin. Il y avait également des lumières dans les compartiments pour éclairer ce qui s’y passait.
Cependant ce que nous venons d’exposer n’est qu’une simple hypothèse car nous avons aucune information sur le décor utilisé et de son agencement sur scène pour notre comédie.
Les personnages §
Tous les personnages de la pièce ont la même consistance. Comme le souligne Éveline Dutertre :
La faiblesse du trait dans le dessin des caractères est telle que les personnages des premières pièces de Scudéry se réduisent à quelques marionnettes sans épaisseurs humaines. Les caractères sont tout à la fois trop peu variés, trop interchangeable, trop fades et trop peu tracés.27
Dans les dix personnages présents sur scène, tous les personnages utilisent le même langage, même le domestique Doriste, ce qui confirme l’affirmation de Dutertre. Si ne connaissions pas le rang social de ce personnage, on n’aurait pas pu le distinguer des autres personnages. Ainsi, Philante aurait pu être le domestique et Doriste le gentilhomme.
Nous rappelons que l’intrigue de notre pièce est typique de la comédie d’intrigue. Ici l’histoire tourne autour de deux couples d’amoureux.
Les amoureux §
Les amoureux sont les personnages principaux de l’action. Toute l’action de la pièce tourne autour d’eux, comme le précise Dutertre :
Le personnage autour duquel tout s’organise est toujours l’amoureux. Scudéry à cette époque, n’écrit d’ailleurs que pour un seul sentiment, l’amour. Cet amour est toujours nécessaire à l’action des premières pièces, est présenté de la même façon à quelques variantes près. Tous les personnages sont amoureux, et tous les amoureux se ressemblent.28
Comme dans toute la littérature du XVIIe siècle, les quatre héros sont jeunes, beaux et courageux comme le démontre le portrait de Philante fait par Rosandre à sa fille Luciane lors de la scène 1 de l’acte I (v.52-59). Il est le jeune premier idéal que décrit Jacques Scherer dans La Dramaturgie classique en France « Le héros classique est jeune ; il est beau, cela va sans dire [...]. D'autres prestiges s’ajoutent à ceux-là : comme le courtisan qui l’applaudit, le héros de théâtre doit briller par son courage et par sa noblesse. La valeur militaire est aussi nécessaire au héros classique qu’à son ancêtre, le preux du Moyen Age »29. Mais nos héros appartiennent également à la noblesse. Ainsi nous apprenons à la fin de la pièce que Belise et son frère, Clorian, font partie de l’une des familles les plus nobles de Bretagne :
Que si vous redoutez quelque desavantage;/Et la naissance illustre, et le riche partage, /D'agreer leurs desirs, pour ma sœur vous semond;/Puis qu’elle est comme moy de la Maison d’Armont:/Maison assez connuë, et qui dans la Province, /Ne voir rien dessus soy que le pouvoir du Prince. (Acte V, scène 5, v.1443- 1449)
Pour les trois autres héros, il n’est fait allusion à leur noblesse que dans la liste des acteurs. Toutefois pour Philante, on peut le relier à son rang social par les propos de son père « Je cachay ma naissance, et fus pris aisément, / Pour un simple Soldat, à mon habillement »30.
Ce qui caractérise le mieux les amoureux, c’est leur caractère passionné mais aussi leur langage empreint de stéréotype et d’hyperbole. Ainsi nous pouvons ressentir l’influence du roman d’Honoré d’Urfé, L'Astrée, sur les personnages de Scudéry. Ils sont des amoureux parfaits, fidèles et peuvent s’il le faut mourir pour leur amour.
Ce qui est intéressant, c’est que les héros dépendent d’une autorité supérieure telle que le père ou le frère dans le cas de Bélise qui n’approuvent pas le choix de leurs enfants et ainsi devient un obstacle.
Les quatre personnages principaux sont présents à tous les actes de la pièce. Ainsi chaque protagoniste apparaisse au moins une fois dans chaque acte. À eux quatre ils occupent 28 scènes sur 33. Bélise est le héros qui apparaît le plus dans la pièce par rapport aux personnages principaux (12 scènes pour Bélise; 10 scènes pour Philante et Luciane et 8 scènes pour Oronte). On peut remarquer que les personnages principaux sont présents sur scène de manière à peu près équivalente « Les pièces du début du siècle sont […] caractérisées par un assez nombre de héros qui se partagent la scène à peu près équitablement. »31. On remarque également que se sont les personnages féminins qui sont le plus présent dans la pièce. On peut donc supposé que Scudéry apporte plus d’importance aux personnages féminins. Selon Éveline Dutertre,
Les figures féminines échappent à cette mollesse généralisée chez « les jeunes premiers », au point que l’on serait tenté de dire que les caractères les plus virils du théâtre de Scudéry se trouvent chez les femmes.32
Ainsi Bélise prend la décision de se déguiser en homme, d’aller à Paris et de passer pour Philante même si cela lui a été suggéré par le domestique Doriste (acte II, sc. 3, v. 575-606). De même pour Luciane, c’est elle qui choisit de rendre jaloux Oronte, certes, cette décision est un peu puérile mais cela va entraîner de grandes conséquences (acte III, sc. 6, v.881-882). À cause de cela Oronte va souhaiter provoquer en duel le faux Philante, mais par l’intermédiaire de Braside il va provoquer le vrai Philante. Certes, Oronte a prit la décision de remettre une provocation en duel à Philante, mais cette décision découle de celle de Luciane. C'est donc la décision de Luciane qui engendre celle d’Oronte et non le contraire. Ce qui prouve ainsi que les personnages féminins ont un caractère plus ferme.
Ainsi les amoureux du Fils supposé ressemblent à tous les amoureux des comédies des années 1630.
Les pères §
Les pères représentent au XVIIe siècle l’autorité supérieure. Ces derniers en s’opposant aux désirs des amoureux deviennent alors l’obstacle.
Parmi les personnages importants dont les décisions risquent de s’opposer aux volontés du héros, les principaux sont le roi et le père. Le pouvoir paternel et le pouvoir royal sont en effet, selon les idées du XVIIe siècle, absolus et généralement indiscutés33.
Ils sont un obstacle classique de la comédie. Les pères sont incarnés par Rosandre (qui est le père de Luciane), Almédor (qui est le père de Philante) et enfin Clorian (qui est le frère de Bélise). Ces figures paternelles s’opposent aux desseins des héros, c’est-à-dire, le mariage34. La motivation la plus fréquente à cette opposition est la fortune. Ainsi Oronte reproche l’avarice du père de Luciane (Acte I, sc II, v.171-178). Rosandre ne veut pas que sa fille épouse Oronte et, selon Oronte, cette opposition est due au fait qu’il n’a pas d’argent. À l’acte V scène 5, Clorian évoque aussi cette opposition35. Pour aider sa sœur et Philante à se marier, il dévoile à Almédor que Bélise et lui sont de « naissance illustre » et qu’Almédor ne doit pas redouter « quelque desavantage ». Cependant, l’opposition peut ne reposer sur aucun motif36. C'est le cas du frère de Bélise. Ce dernier s’oppose au bonheur de sa sœur sans aucune raison. Ce serait seulement un « caprice » (acte I, sc 7).
La réversibilité des pères §
Il y a un obstacle dans la pièce : le refus des pères face soit au mariage de leur fille, soit face au mariage de leur fils. Or, pour aboutir au dénouement, il faut que l’obstacle disparaisse. Selon Hélène Baby37, la réversibilité parentale n’a lieu qu’à la fin de la pièce, lors du dénouement. Certes, Almédor et Rosandre acceptent le mariage de leurs enfants au dénouement, ce qui permet à Scudéry de terminer sa pièce et d’arriver à la situation finale où les deux mariages sont possibles. Cependant dans notre pièce, le frère de Bélise, après avoir refusé le mariage de Bélise et Philante et avoir mis ce dernier en prison, décide de relâcher Philante (acte II, sc. VI). Dans l’intrigue, ce revirement n’a aucune explication convaincante. Or, au niveau dramaturgique ce revirement permet un nouveau rebondissement dans l’action et permet également à Scudéry de créer un confident pour Philante et un futur compagnon d’arme pour le duel qu’il y aura entre Oronte et Philante.
Ces deux revirements permettent à Scudéry d’abolir l’obstacle principal et ainsi d’arriver au dénouement de la pièce.
Les personnages secondaires §
Nous avons peu de personnages secondaires. Ils sont présents que dans un petit nombre de scènes mais ils ont quand un même un rôle important celui de confident. Le seul personnage secondaire ayant un « rôle muet »38 est le page Polidon qui n’apparaît que dans une seule scène (acte V, scène 4).
Le confident §
Dans les pièces du XVIIe siècle le confident est un personnage très important. Pour Hélène Baby, le confident proviendrait soit du parasite ou soit de l’esclave de la comédie latine. Le confident n’a pas de rang social fixe. Il peut-être un domestique ou bien un noble. Cela importe peu. Elle distingue deux types de confident : il y a le confident passif et le confident actif. Dans notre pièce, les deux confidents sont des personnages actifs.
Doriste est le personnage qui se rapproche le plus du type du confident du fait qu’il est une sorte de valet de comédie latine nuancé. Confident-conseillé, il donne des conseils à Bélise (acte II sc. 3), Philante (acte I, sc. 6) mais aussi à Luciane (acte V sc. 2). Cependant, n’est pas qu’un simple confident-conseiller, il se lamente sur son sort car en conseillant Bélise, il a trahi son maître Almédor (acte IV sc. 3). Ainsi son rôle de conseiller entre en contradiction avec son rôle de domestique dévoué. Il en vient à dire qu’il n’est pas un conseiller et qu’il aurait besoin des conseils d’une autre personne (acte V sc. 2). Cette scène donne un peu plus d’épaisseur au personnage du confident, ainsi il ne fait pas qu’écouter, il donne la réplique quand il le faut.
Le personnage de Braside est un personnage confident : il va aider Oronte pour son duel contre Philante. Comme le souligne Jacques Scherer,
Ainsi, à l’origine, on n’est pas d’emblée confident, on le devient. Le mot est un adjectif, il n’est pas encore un nom. Il vient d’ailleurs, selon M. Fermaud, de l’italien confidente qui, au XV siècle, désignait l’ami à qui l’on demandait de vous servir de second dans un duel.39
Le cas de Clorian est similaire : ce dernier devient l’ami, le confident et le compagnon d’arme de Philante après l’avoir jeté en prison.
Le confident sert avant tout à « écouter, donner la réplique, poser quelque question, transmettre une information, avertir ou consoler. »40. Mais Scudéry donne une épaisseur supplémentaire à leur caractère en leur attribuant une double fonction. Ainsi, dans la pièce, Clorian est l’un des obstacles et également un confident. Doriste, quant à lui, sert le comique en étant un valet nuancé. Seul Braside n’est qu’un simple confident.
Déguisement de Bélise §
Le déguisement est un thème très important dans la littérature de l’époque de Louis XIII. Entre 1630 et 1639, le déguisement touche presque une pièce sur deux41. Il est assimilé à un rôle, on a donc une représentation du théâtre dans le théâtre. Le Fils supposé fait partie des 24 comédies de cette décennie à avoir un déguisement et Scudéry est l’un des spécialistes de ce phénomène.
Nous rappelons que Bélise se déguise en homme et se fait passer pour Philante auprès du père de ce dernier. Ce déguisement est fondamental car c’est autour de cela que l’action se forme. De plus, il est totalement conscient : Bélise se déguise en homme et affirme être le fils d’Almédor. Ainsi, selon Georges Forestier,
À la base de tout déguisement conscient, quelle que soit sa forme, il y a un déguisement verbal, qu’il s’agisse de dire qui l’on prétend être ou ce que l’on prétend ne pas être.42
Cependant le déguisement de Bélise n’est pas que verbal. En effet, cette dernier change également d’apparence et en changeant d’apparence elle change aussi de sexe. Le but de ce travestissement est la fuite. D'après G. Forestier, il y a trois types de travestissement de fuite. Celui de Bélise correspond au second type : « En second lieu, le déguisement permet à la jeune fille d’éviter le mariage auquel on la destine en s’esquivant, avec ou sans son amant »43. Il donne deux exemples dont l’un concerne notre pièce : Bélise déguisée en homme attend Philante à Blois, cependant, ce dernier ne peut la rejoindre car Clorian, le frère de Bélise, le retient prisonnier. Bélise ne voyant pas revenir son amant décide de se rendre à Paris avec Doriste, le domestique, et de se faire passer pour Philante auprès d’Almédor qui n’a pas vu son fils depuis une vingtaine d’année.
Comme nous l’avons mentionné plus tôt le déguisement est un rôle. En effet, le personnage joue un rôle en plus de son rôle. Ainsi comme le souligne Georges Forestier, le personnage joue un autre rôle devant un autre personnage qui se trouve alors en position de spectateur. Il peut soit être dupé par le déguisement, soit il devient le complice du personnage déguisé et dupe ainsi les autres personnages.
Pour que le travestissement de Bélise soit parfaitement réussi, il faut qu’il respecte deux critères : « les signes statiques » et « les signes dynamique »44. Les signes statiques réunissent le physique, la voix, le maintien et ce qui confirme l’identité fictive. Les signes dynamiques sont composés du discours et de l’action.
Georges Forestier nous fait remarquer que
Un travestissement, de femme en homme ou d’homme en femme, implique un changement d’apparence physique, une modification de la voix et une adaptation progressive du geste de l’action, qu’il appartient à l’acteur qui assume physiquement le rôle de mettre en œuvre.45
Cependant nous n’avons aucune information sur ce critère. Nous savons seulement que Bélise revêt un costume d’homme. Dans la scène 3 de l’acte II, Doriste nous fait part du déguisement de Bélise dans son plan mais c’est tout ce que l’on sait. On remarque ainsi que le déguisement se suffit à lui-même.
Mais cette identité fictive est-elle en adéquation avec l’identité réelle du personnage ? Dans notre pièce c’est le cas, il y a une adéquation entre l’identité fictive et la véritable identité du personnage.
Tout ce qui est dit par le personnage déguisé est accepté par les autres personnages, ce qui engendre de l’ironie.
Le travestissement de Bélise sert à compliquer l’action de la comédie en créant un quiproquo : elle joue avec Luciane une scène d’attirance, ce qui provoque la jalousie et la fureur d’Oronte. Cela aura pour conséquence la provocation en duel du faux Philante par Oronte. Or, ce n’est pas Bélise (déguisée en Philante) qui reçoit la provocation en duel mais le vrai Philante qui vient d’arriver à Paris. Il accepte le combat, qui n’aura pas lieu car Oronte se rend compte que ce n’est pas le Philante qu’il recherche. Une fois la situation éclaircie, ils décident d’aller démasquer l’imposteur. Ce n’est qu’à la dernière scène du dernier acte qu’Oronte se rendra compte de son erreur. Ce genre de complication est double : elle réunit la complication de la comédie à l’espagnole et la complication de la comédie à l’italienne. Ainsi le déguisement de Bélise entraîne d’abord une confusion volontaire mais celle-ci va entraine plusieurs confusions involontaires.
Ce travestissement débouche sur une sorte de réussite-échec. En effet, le déguisement de Bélise est une réussite car elle se fait passer pour Philante sans aucun problème. Mais, c’est également un double échec car elle est obligée d’épouser une jeune fille, et sa supercherie est découverte. Ainsi, à la fin de la pièce (Acte V, sc 4 et 5) Philante et Clorian font leur apparition et reconnaissent Bélise derrière le déguisement. Ces deux apparitions mettent fin au déguisement et rétablissent l’ordre.
La thématique baroque §
Le baroque, notion dont l’origine étymologique est incertaine comme le souligne Didier Souiller46 dans son livre. Cette esthétique est avant tout un mouvement européen. Si nous avons choisi d’étudier quelques thématiques de l’esthétique baroque, cela est dû au fait que notre pièce en est empreinte. Nous l’avons déjà remarqué par le mélange de genres employés dans la pièce mais nous le verrons encore par l’utilisation des ornementations lyriques ainsi que par les thématiques présente dans cette comédie que sont « Protée », le change et le rêve éveillé.
« Protée » (ou les fausse apparences) §
Nous appelons cette première partie « Protée » en référence à deux parties de l’ouvrage de Jean Rousset47 dont la première se nomme « Protée » et la seconde « Où Protée réapparaît »
Nous retrouvons cette référence explicite à Protée dans notre pièce à l’acte IV, scène VI, lors des stances d’Oronte.
Commençons tout d’abord par définir qui est Protée. Protée est un dieu marin, il doit faire paître les animaux marins de Poséidon. Il y a plusieurs versions de l’histoire de Protée. Cependant, il est connu par les poètes comme un être qui peut prendre n’importe quelle forme.
Les poëtes disent que Protee prenoit toutes sortes de formes, qu’il se changeoit tantôt en animal, tantôt en arbre, tantôt en feu, en eau et en rocher. Il avoit le don de predir l’avenir, et ne s’expliquoit ordinairement que lorsqu’il y étoit contraint par la force.48
C'est cet aspect de la métamorphose qui nous intéresse. La métamorphose est une des thématiques les plus importantes de l’esthétique baroque. Jean Rousset dans son livre associe Protée à Circé (nous rappelons que Circé est une magicienne). Cette association, selon Rousset, crée un mythe celui de « l’homme multiforme dans un monde en métamorphose »49. Ainsi il nous présente Protée comme un être qui n’est qu’une succession de métamorphose, de visage, de forme. Il est la figure de la tromperie, du masque, dans le sens où il n’est pas ce qu’il paraît être.
Dans notre passage la figure de Protée est là pour évoquer la métamorphose des sentiments de Luciane en vers Oronte « Et dans ses passions veritable Protee ». Cette fin de stance démontre que Luciane est un Protée qui trompe les gens avec des faux sentiments. De plus, avec les vers suivants « Estre une isle flottante en la mer agitée;/ Roseau fresle, desbile, et qui tourne à tout vent;/ Monstre plein d’inconstance, et vray sable mouvant : » ne font qu’affirmer l’inconstance de Luciane et ainsi prouver que ces sentiments n’étaient que chimère. Luciane devient l’image du mensonge comme l’est Protée. Toutefois, on retrouve aussi dans la pièce ce thème des fausses apparences et du mensonge de manière explicite également lors de la tirade d’Oronte à l’acte I scène 2. Pour la première fois dans le texte, Oronte évoque Luciane comme un être avec une fausse apparence « O comme on est deçeu par la belle apparence ».
Mais cette thématique apparaît implicitement dans toute la pièce avec le déguisement de Bélise en Philante. En effet, en se déguisant en Philante elle paraît ce qu’elle n’est pas. Ainsi comme Protée elle s’est métamorphosée.
Les personnages féminins sont des Protée dans notre pièce, elles métamorphosent soit leurs sentiments ou soit leur sexe et leur apparence.
Le change et l’inconstance §
Selon Didier Souiller, la thématique du change fut introduite « dans le cours de la nature » par Théophile. Ainsi,
Tout au long de son œuvre, la métamorphose représente non seulement un monde animé de vie, mais devient la métaphore des propres changements de l’homme.50
Cette thématique du change, que l’homme change, que tout change, est exploité par Scudéry dans cette pièce. Elle est représentée par la Fortune qui est aveugle, changeante et capricieuse et cela aux vers 135, 445 et 1038. Cependant ce monde en mutation est également représenté par la nature. En effet, Oronte en parlant de Luciane dit :
Roseau fresle, desbile, et qui tourne à tout vent;Monstre plein d’inconstance, et vray sable mouvant: (v.1167-1168)
Dans ces deux vers nous est représentée l’inconstance de Luciane. Cette inconstance est exposée par la nature, ce qui nous fait penser à Théophile de Viau et nous fait dire que Scudéry a été fortement influencé par lui (rappelons que Scudéry édite les poèmes de Théophile de Viau en 1632). Nous pensons qu’ici le « sable mouvant » représente deux aspects : celui de l’inconstance de Luciane mais également le temps qui passe (le sable est la figure par excellence du temps qui passe avec le sablier) et qui nous amène à la mort. Certes, comme le souligne D. Souiller cette thématique du temps qui passe et de la mort n’est pas spécifiquement baroque. Pour le XVIIe siècle le temps fragilise l’homme et le laisse seul. Ici Oronte est fragilisé et par l’inconstance de Luciane et par le temps qui passe et qui réduit ses espoirs à néant. Cette figure de la fragilité est également exposée par le thème du vent. Ce thème fait allusion à la métamorphose continuelle de Luciane, à son inconstance, à son changement perpétuel. Cependant selon Didier Souiller
Il est une figure qui en vient à symboliser tout à la fois la variabilité, l’inconstance et la fragilité humaine livrée au temps : il s’agit de la femme.51
Dans notre pièce la figure de la femme symbolise l’inconstance surtout. Ainsi comme le souligne Oronte dans sa tirade sur l’inconstance de Luciane,
Changer et rechanger, aimer tout, n’aimer rien; (V.1164)
Ces deux polyptotes évoquent bien la variabilité des sentiments et le changement. Or cette inconstance, et la mutation du monde seront opposées à la constance. Dans sa tirade Oronte oppose l’inconstance de Luciane et sa constance.
Le rêve éveillé et le doute §
Le rêve éveillé et le doute sont des thématiques importantes du théâtre des années 1630. Selon Souiller, celle du rêve éveillé est fortement utilisée par le théâtre baroque pour « représenter un personnage réduit à ne comprendre ce qu’il a vécu que comme un rêve trompeur ». En effet, l’homme doutant de ce qu’il voit, ne sait plus s’il est dans un rêve ou dans la réalité. Ce topos se retrouve dans la bouche d’Oronte au vers 129 mais également dans l’acte III scène 8. Ainsi Oronte après avoir discuté avec Luciane, ne comprend pas pourquoi cette dernière a défendu son prétendu rival. Oronte se croit alors dans un mauvais rêve.
N'est-ce point un Demon qui forme en ma pensee,Le tragique pourtraict de l’histoire passee ?Suy-je point endormy ? peut-estre ay-je songé,L'abisme des mal-heurs où je me crois plongé ! (v. 909-912)
Le démon du développement d’Oronte nous rappelle le « mauvais génie » de Descartes. Ce démon induit en erreur Oronte, et de ce fait Oronte se met à douter. Il ne sait plus discerner le réel du songe. Ce doute est exprimé par les phrases interrogatives et le verbe croire. Le terme « abisme » marque bien le manque de repère que permettrait à Oronte de faire la différence entre le rêve et le réel. Comme Descartes le souligne dans la première méditation « il n’y a point d’indices concluants ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil ». Cette citation résume la situation d’Oronte à ce moment là. Les trois thématiques baroques que l’on retrouve dans notre pièce sont liées, elles caractérisent l’homme et sa vie par fragilité mais également l’étique qui domine de la fin du XVIe siècle jusqu’au début du XVIIe siècle.
Le lyrisme et la rhétorique amoureuse §
Les poèmes insérés §
On peut trouver dans les pièces de Georges de Scudéry des monologues dont la forme est poétique. Ces monologues lyriques sont présents dans notre pièce sous différentes formes et ont différentes fonctions. On peut trouver deux types de développement lyrique : les Stances et la Villanelle. Ces monologues peuvent exprimer les conflits intérieurs des personnages mais ils peuvent servir aussi de simple ornement. Selon le graphique proposé par Évelyne Dutertre52, Le Fils supposé est la pièce qui contient le plus de stances dans toutes les pièces de la carrière dramatique de Scudéry. Elle contient en tout trois stances et une villanelle.
Les stances §
Ces monologues lyriques sont au nombre de trois dans cette comédie : Acte II, scène 1; Acte IV, scène 6 et Acte V, Scène 1.
Tout d’abord le terme de stance vient de l’italien stanza qui vient lui même du verbe latin stare qui signifie demeurer. Le premier à définir la stance en France fut Pierre de Laudun dans son ouvrage Art poétique français en 1597 :
J'estime que le mot Stance est tiré du verbe sto, stas, stare, qui signifie demeurer ou poser pour ce que à la fin de chaque couplet il y a pose, et fin de sens.53
D'après Marie-France Hilgar54 le mot stance est apparu en France au XVIe siècle. On l’utilise pour nommer des poèmes plus modestes que les odes. La stance, selon Laudun, est formée de
couplets ou bâton pareils les uns aux autres en ordre, genre et rimes; chaque bâton ou couplet contient 4, 6, 8, 10 et 12 vers; le plus souvent, ils ont 6 vers en rime intercroisée. Les stances se font coutumièrement en vers de 10 et de 12 syllabes et plus souvent 12 que 1055.
À partir de cette définition nous allons voir la structure des stances présentes dans Le Fils supposé.
Notre première stance (acte II, sc 1) est composée de six quatrains. Chaque quatrain comprend trois vers de douze syllabes encadré par un vers de huit syllabes. Notre octosyllabe met en relief le premier et le troisième vers de chaque strophe. De plus, il se termine par une rime masculine « Le devoir, et la volonté ».
Les stances d’Oronte (acte IV, sc. 6) sont composées de six strophes contenant chacune cinq octosyllabes et un alexandrin. Par contre les stances de Bélise (acte V, sc. 1) comportent cinq strophes contenant trois octosyllabes, un alexandrin et deux hexasyllabes qui, lorsqu’on les entend, forment à eux deux un alexandrin à rime interne et également le refrain de la stance « On verra mon trespas/ Philante ne vient pas ». Les rimes sont embrassées pour le quatrain et plates pour le distique, dans les deux cas. Hilgar dit que « la plupart des sixains que l’on trouve dans les stances des tragédies et des tragi-comédies au XVIIe siècle sont construits sur trois rimes » comme nos deux stances. Nous nous permettons de rappeler que notre pièce par la variété des genres dont elle est composée, nous permet de prendre comme référence le propos de Marie-France Hilgar pour expliquer la structure de nos stances.
Les stances d’Oronte sont donc composées de sixains mais se sont des sixains à cinq vers courts. D'après Hilgar :
Scudéry et Rotrou ont mis quelquefois un alexandrin en quatrième place c’est-à-dire en tête du second tercet. Placé ainsi, l’alexandrin peut rompre agréablement la monotonie que pourraient offrir des stances isométrique d’octosyllabes56.
Ici c’est le cas de nos deux stances, l’alexandrin est à la quatrième place dans les strophes. Il permet une variété dans le vers de la stance.
Pour le cas des stances de Bélise nous sommes certes dans le cas du sixains à cinq vers courts mais ce sixains a trois mesures différentes. Cette forme de sixains selon Martinon cette combinaison est complexe et peut-être difficile à suivre pour les auditeurs.
Nos deux poèmes sont donc hétérométriques : le premier est formé d’un quatrain composé de trois octosyllabes et d’un alexandrin et d’un distique de deux octosyllabes. On peut penser que Scudéry a choisi d’incorporer un alexandrin en quatrième place pour mettre en relief le distique.
Le second est formé d’un quatrain de trois octosyllabes et d’un alexandrin et d’un distique formé de deux hexasyllabes qui sont le refrain de la stance. Après avoir étudié la partie structurelle de nos stances nous allons étudier leurs thèmes et leurs fonctions dans la pièce.
Comme le souligne Magali Brunel dans son article sur les stances57 le thème généralement évoqué dans les stances est l’amour. Il est souvent accompagné des thèmes de la mort, de l’honneur ou de la haine. Dans notre pièce les trois stances récitées par les amoureux sont des plaintes amoureuses. Ainsi les stances de Luciane sont une plainte amoureuse. En effet, elle est face à un dilemme, elle ne sait pas si elle doit choisir son père ou son amant. Ces stances sont intéressantes, du fait que Luciane pèse le pour et le contre avant de décider de perdre la vie. Certes, elle ne prend pas de décision mais ces stances permettent au spectateur de mieux comprendre les méandres du personnage. Bélise, quant à elle, se désespère de voir apparaître Philante pour la délivrer de sa ruse. Oronte dans ses stances imagine à tort que Luciane lui est infidèle. Les stances ralentissent l’action de la pièce, elles permettent d’informer le public des sentiments et des méandres des personnages.
La Villanelle §
Le deuxième type de poème que Scudéry insère dans sa pièce est la villanelle. Elle est originaire d’Italie. La villanelle est un poème ou une chanson pastorale, composé de plusieurs couplets finissant par le même refrain. Selon Michèle Aquien58, la forme fixe de la villanelle est établit à la fin du XVI siècle. Le modèle de cette forme fixe est la villanelle de Jean Passerat « J'ai perdu ma tourterelle »59. Elle est composée d’un nombre impair de tercets et d’un quatrain final. La villanelle que l’on retrouve dans notre pièce rentre dans la forme des villanelles dont le nombre de vers n’est pas fixe et dont le refrain est composé d’un ou deux vers. Il semblerait que le modèle de la villanelle au XVIIe siècle soit celui de l’inconstance d’Hylas de L'Astrée. Ainsi la villanelle d’Hylas60 que l’on retrouve dans L'Astrée parle de l’inconstance de ce dernier. Celle du Fils supposé est orientée vers la constance. Ainsi dans les deux cas le refrain est annoncé en prélude avant le poème et elles ne respectent pas la forme fixe de la villanelle.
Il serait donc possible que Scudéry ait voulu créer un jeu d’écho avec son public. Ce qui est fort possible, sachant que Scudéry connaît par cœur l’œuvre d’Honoré d’Urfé. Ce jeu d’échos repose sur une opposition entre l’inconstance d’un côté et de l’autre la constance du jeune premier. En effet, la villanelle d’Hylas est placée sous le thème du change. Hylas explique dans ce poème que le rendre constant est quelque chose d’extrêmement difficile voir impossible. Pour étayer cela, il oppose l’âme barbare et son cœur et l’immobilité et le mouvement. Au contraire la villanelle de Philante expose l’amour parfait et la constance du jeune homme. Ainsi Philante est désespéré de ne pas savoir où se trouve Bélise. Son langage est hyperbolique et empreint de passion. Dès qu’il évoque l’hypothèse de l’inconstance possible de Bélise, ce dernier se ravise. On retrouve même le topos de l’écho. Ce topos est très fréquent dans les pastorales. Dans cette scène se dessine de manière très nette le langage pétraquiste que l’on retrouve dans toute la pièce.
Le langage amoureux §
Ce qui caractérise l’écriture de Scudéry est l’omniprésence du langage amoureux, ce que E. Dutertre nommera « les aspects galants »61 dans son ouvrage. Nous choisissons de ne pas utilise ce terme pour cette partie car nous pensons qu’il n’est pas approprié à désigner ce langage amoureux. J.M. Pelous choisit également de ne pas utiliser le terme « galant », il préfère utiliser le terme « tendre »62. Cette thématique de l’amour est fortement influencée par Pétrarque, comme le souligne Lathuillère :
[elles] dérivent des imitation pétraquistes, sans cesse reprises depuis le siècle précédent, ou des influences marinistes alors à la mode.63
Ce langage est également un modèle des relations amoureuses que l’on retrouve dans les romans. De plus, « les auteurs y [trouvaient] un moyen d’expression commode »64 car c’était un langage connu de la société, comme le souligne Gabriel Conesa c’est « un style d’époque ». Ce langage est fortement stéréotypé et impersonnel. Il permet d’ennoblir la comédie mais reste tout de même neutre. Cette thématique amoureuse occupe une place importante dans Le Fils supposé.
L'isotopie de l’amour §
Nous ne prétendons pas recenser tous les termes qui font partie de cette isotopie mais nous allons parler de certains d’entre eux, qui reviennent de façon récurrente dans la pièce et les personnages qui les utilisent le plus. Nous parlerons également des principaux champs lexicaux qui gravitent autour de cette isotopie.
Le terme le plus utilisé est « amour », il apparaît 43 fois dans la pièce et c’est Oronte qui le prononce le plus souvent (14 fois)65. Le deuxième terme est « cœur », il est utilisé 41 fois et c’est encore le personnage d’Oronte qui le prononce le plus (10 fois). Un autre terme de l’isotopie de l’amour qui revient souvent est le verbe « aimer » (32 fois). Il est prononcé 10 fois par Luciane. Nous constatons alors que le langage amoureux se trouve le plus souvent dans la bouche des amoureux. Rappelons que c’est autour d’eux que l’action se construit. « Aimer » c’est ce que les amoureux savent faire.
C'est pour cela qu’ils parlent tout le temps d’amour. Ainsi les amoureux par leur vocabulaire stéréotypé démontre qu’ils sont vertueux, aimants, nobles et généreux. Comme le souligne Éveline Dutertre, « [...] ils sont tous galants à la fois par la qualité du sentiment qu’ils éprouvent et par l’expression qu’ils en donnent. »66. Ils sont le modèle idéal de la relation amoureuse. Cela évoque la pastorale dont les personnages, bergers et bergères, ne font que de parler d’amour.
Autour de cette isotopie, nous avons plusieurs champs lexicaux, comme celui du feu, de l’objet aimé, de la souffrance, etc. Ces champs lexicaux sont rattachés à cette thématique par différentes figures de styles.
Les figures de styles §
Le langage amoureux est composé de plusieurs figures de style. Les principales sont : les métaphores, l’hyperbole, l’antithèse, l’oxymore et les hypocoristiques. Pour cette partie nous allons fortement nous inspirer de l’analyse de Dutertre sur le style de Scudéry67.
Les tropes §
Nous trouvons de nombreuses métaphores qui renvoient au thème de l’amour. L'amour est une flamme qui peut nous enflammer, nous brûler ou encore nous consumer. Cette thématique du feu et de la flamme est la plus utilisé dans le langage amoureux mais aussi la plus ancienne. Selon Éveline Dutertre, on peut trouver 21 métaphores rattachées au feu dans Le Fils supposé.68
Ainsi Luciane, pour parler de l’amour entre deux personnes, utilise cette métaphore :
Mais quand d’un feu tout pur se consomment deux ames,Il leur est glorieux d’en faire voir la flames: (v. 885-886)
Cette métaphore est intéressante car elle est filée et cela avec des termes de la même isotopie. De plus elle est filée sur deux répliques, Bélise réplique :
Le moyen de se taire, et se sentir brusler ? (v. 888)
De même, on peut trouver des métaphores antithétiques. Oronte demande à Luciane d’éteindre la flamme de Philante par sa froideur :
Que Philante à l’abord y trouve des froideurs,Capables d’amortir ses plus vives ardeurs; (v. 507-508)
On trouve également le thème de la servitude. Toujours selon Éveline Dutertre, il y aurait 28 métaphores liées à la servitude. Cette thématique peut être divisée en deux. D'un côté, on a la contrainte qu’exerce l’amour et l’amant au service de sa Maîtresse comme le démontre Oronte
Reine de mon esprit, Maistresse de ma vie, (v. 140)
et de l’autre l’amour contraint, enchaîne. Ainsi Oronte argue :
Tyran, cesse de me poursuivre;Fascheux Amour, retire toy; (v. 1121-1122)
Oronte après s’être dévoué corps et âme à sa maîtresse, refuse cet amour.
Pour finir, on a également l’amour blessé : Oronte apprend que Rosandre destine Luciane à un autre homme et déclame sa tristesse dans une longue tirade. Ainsi il dit :
Je n’ay connu le bien, que pour le regretter. (v. 137)
Enfin, les métaphores liées à « l’objet » aimé. Dans cette pièce, cette métaphore est peu présente. Mais, d’après Dutertre, on peut rapprocher ce trope d’un autre trope : la métonymie. Oronte désigne Luciane par son œil.
Qui frappé dans le cœur du bel œil qui le dompte, (v. 1456)
Dans ce vers Scudéry utilise une « expression galante par excellence ». La métonymie se retrouve renforcée par l’adjectif « bel ».
Les métaphores et la métonymie ne sont pas les seules figures de styles utilisées dans le langage amoureux.
Les figures de rhétorique §
Ainsi, les hypocoristiques, certes peu fréquentes dans notre pièce, tiennent une place importante dans le langage amoureux. On a divers types d’appellation comme « Reine » ou « Maitresse » qui souligne le pouvoir de l’amante ou encore « Ma Luciane ». L'appellation est individualisée par le possessif.
Nous avons aussi en quantité raisonnable des hyperboles et antithèses. Nous retrouvons toujours le même type d’antithèse, celle du tourment et de la joie, de la haine et de l’amour, de la vie et de la mort, etc. L'excès est souligné par l’hyperbole. En effet, l’hyperbole indique amour excessif, la violence de la douleur et comme le souligne Dutertre, cet excès peut devenir parfois comique. Mais ce qui apparaît le plus dans notre comédie, ses sont les figures mythologique de l’amour.
Les figures mythologiques de l’amour §
L'amour est ici représenté par diverses figures mythologiques. On peut, tout d’abord, rencontrer la personnification de l’Amour. C'est le Dieu qui protègent les amoureux, il est traditionnellement représenté sous la forme d’un enfant ailé69 avec les yeux bandés et muni d’un arc et de flèches. Lors de la stance d’Oronte clame :
Amour est un enfant trompeur (v. 1128)
Ainsi Scudéry utilise de manière traditionnelle la figure d’Amour. Mais il fait allusion à d’autres références mythologiques pour parler d’amour. On retrouve de référence la figure de la Déesse de l’Amour Vénus. Au vers 390 Scudéry fait une référence avec les myrtes au mythe d’Adonis. Il y a une seconde référence au mythe d’Adonis au vers 936. Les deux figures (Vénus et Adonis) s’entremêlent. Le premier vers cité renvoie à la naissance d’Adonis et le second vers lui renvoie à sa mort70.
Un autre référence, celle d’Énée descendant de Vénus, il est l’incarnation de l’Amour. Au vers 538 il est fait référence à l’histoire d’amour entre Énée et Didon71.
Un comique enjoué §
Le Fils supposé est une comédie enjouée où l’on esquisse un sourire. Ce qui la rapproche des comédies de Corneille qui elles aussi étaient enjouées. Corneille avait mis sur scène de manière amusante « la conversation des honnêtes gens »72. C'est ce que Scudéry à fait lui aussi. Ainsi il a adapté certains procédés comiques que l’on retrouve dans la farce à sa pièce.
Le comique lié aux personnages §
La plupart des archétypes comiques que l’on retrouve dans les comédies sont empruntés à la comédie italienne. Dans notre pièce nous pouvons trouver le type du matamore et le type du valet, cependant ces deux types sont extrêmement nuancés. Nous pensons que Scudéry a adapté ses personnages à sa pièce pour une question de vraisemblance.
Le valet §
Selon Guichemerre73, il y a deux types de valets : le valet espagnol, le « gracioso » et le valet italien.
Nous allons nous intéresser tout particulièrement au valet italien qui semblerait être l’archétype utilisé par Scudéry pour le personnage de Doriste.
Les valets italiens sont les héritiers des valets rusés et sans scrupules de la comédie latine. Généralement le rôle de ces valets est d’aider leurs maîtres à séduire la jeune fille de laquelle ils sont épris. Cependant Scudéry a fortement nuancé cet archétype. Ainsi dans notre pièce Doriste n’aide pas Philante à conquérir Bélise comme il le devrait le faire. Mais il aide plutôt, l’amante de Philante à fuir la tyrannie de son frère. Selon Philante, Doriste aurait « enlevé » Bélise, ce qui rapprocherait ce valet des valets italien qui enlevaient les jeunes filles à leur père tyrannique. Cependant si nous mettons le terme enlève entre guillemet c’est pour attirer l’attention sur le fait que Doriste n’enlève pas Bélise mais que Bélise décide de partir avec lui à Paris (acte II, sc 3).
D'après Guichemerre, les valets italiens inventent des stratagèmes pour pouvoir introduire leur mètre dans la maison de la jeune fille et ainsi duper le barbon qui la retient prisonniers. Une fois encore Scudéry ne respecte pas cette généralité. Certes, Doriste invente un stratagème pour faire entrer Bélise dans la maison d’Almédor : le déguisement. Cependant ce n’est pas le maître qui s’introduit dans la maison de la jeune fille, mais l’amante qui s’introduit dans la maison du maître (acte III, sc. 3). Ce qui est sûr c’est que Doriste et Bélise déguisée en Philante arrivent à duper Almédor. Ce qui donne une scène assez ironique.
De plus, le valet italien serait un valet sans scrupule, ce n’est pas le cas encore dans notre pièce. Bien au contraire Doriste culpabilise d’avoir dupé son maitre et redoute le moment de la découverte de sa ruse
Pour moy seul la fureur d’un Maistre que j’abuse,Fera voir ses effort en punissant ma ruse. (v. 1279-1280)Lors qu’Almedor verra ta fourbe descouverte,Pourra-t’on empescher sa vengeance et ta perte ? (v. 1064-1065)
Doriste comme les valets italiens ont peur de se retrouver en mauvaise posture. Cependant, comme le souligne Guichemerre, les valets se retrouvent généralement en mauvaise posture à la fin. Or à la fin, l’arrivée d’un personnage, au dernier moment, sauve le valet des conséquences de sa fourberie :
En général, les choses s’arrangent à temps pour nos valets: une reconnaissance in extremis, l’intervention d’un ami, une bonne nouvelle, ou un mariage heureux apaisent finalement les barbon furieux, qui oublient les mauvais tours que leur ont joués ces serviteurs rusés et sans scrupules.74
Scudéry fait de Doriste un valet extrêmement nuancé par rapport à son modèle d’origine qu’est le valet italien ce qui atténue le côté comique du personnage. Ce jeu d’écho avec le valet italien fait sourire les spectateurs.
Le matamore §
Certains personnages de la comédie de Scudéry sont empreints de certains aspects du capitan. Ainsi le capitan trouve son origine dans le personnage de Pyrgopolinice. Le matamore est un personnage fanfaron, qui se vante de ses exploits guerriers et de ses conquêtes féminines. Ici Oronte est plutôt fanfaron : il évoque, sans cesse, vouloir se venger en utilisant son épée (v. 160 ; 521-526 ; 930). Il se vante de pouvoir tuer son ennemi (v. 528). Au vers 1085-1086, Braside dit à Philante qu’Oronte est connu de tous cependant Philante ne vois absolument pas qui est Oronte.
Quel que soit cét Oronte, il faut le contenter;J'iray sur vostre foy: (v.1087-1088)
Le comique lié au déguisement §
Le déguisement est un procédé créant des effets. Ainsi, le travestissement de Bélise crée des quiproquos et de la jalousie ce qui engendre de l’ironie et du comique.
Selon Georges Forestier,
il y a ironie lorsque le spectateur est mis dans la confidence du déguisement, et qu’il peut suivre en pleine connaissance de cause l’évolution du jeu du personnage déguisé, ainsi que celles des supercheries, complications, et autres situations particulières permises par le déguisement.75
Ainsi dans notre pièce, il y a bien de l’ironie puisque le public est au courant du déguisement de Bélise en Philante. De ce fait, le public peut jouir des diverses situations provoquées par le déguisement. Ainsi seuls les personnages sont surpris du déguisement. L'ironie et le comique sont très proches et il est parfois difficile de les distinguer. Avant de produire un effet comique le déguisement produit tout d’abord un effet ironique. L'effet comique se surajoute à l’effet ironique. Comme le souligne Georges Forestier, il y a plusieurs effets comiques. Ainsi dans notre pièce nous retrouvons ce que nomme Forestier le comique de la victime. Le spectateur rit du tour joué à la victime. La victime ne reconnaît pas le personnage qui est déguisé. En effet, quand Almédor voit Bélise déguisé en Philante, il l’accueille comme son fils :
Plus je te voy, mon fils, et plus en ma pensee,Je retrace en pourtraict ma jeunesse passee.J'avois ainsi les yeux, le front, l’air, et le port;Et certes j’y remarque un merveilleux rapport (v. 753-756)
Almédor a l’impression de se voir dans ce fils supposé. Ce qui est comique pour le public c’est que ce dernier sait qu’Almédor est victime d’un déguisement. Cela est possible du fait qu’Almédor n’a pas vu son fils depuis plus vingt ans. Autre victime du déguisement de Bélise, Oronte. Luciane dans la scène de l’acte décide de rendre jaloux Oronte en se servant de Bélise déguisé en Philante. Cette scène comme la scène citée avant produit un effet comique. Oronte est complètement perdu face à la réaction de Luciane et de Bélise. De plus cette ruse s’avère payante car Oronte devient jaloux de ce supposé Philante. Ce qui engendrera divers quiproquos qui eux aussi vont créer des effets comiques.
Le style lié au comique §
Selon Guichemerre, « le style comique »76 réunit les divers procédés qu’utilisent les dramaturges pour engendre un effet comique. Ainsi pour sa comédie Scudéry fait appel à certains de ces procédés.
La stichomythie §
La stichomythie permet de rendre le dialogue plus animé et plus vif. Ce procédé, selon Éveline Dutertre, est très usité par Scudéry dans ses diverses pièces. Ainsi, comme le souligne Guichemerre la stichomythie est un échange entre deux personnes de courtes répliques. Ce procédé est utilisé dans notre pièce pour engendrer des effets comiques dans certaines scènes. Ainsi dans la scène du duel (v. 1187-1202), Oronte se rend compte que ce n’est pas le Philante qu’il attendait. Oronte demande alors à Philante qui il est et celui-ci répond. S'ensuit un enchaînement de répliques courtes où s’entremêle question et réponses. Cet enchaînement mécanique vif perd l’un des personnages, Oronte
Plus je veux m’esclaircir, plus je me sens confondre;Et je ne sçaurois plus demander ny respondre. (v. 1201-1202)
Ce qui est comique ici c’est que le public puisse se moquer de l’esprit lent du personnage d’Oronte car ce dernier ne comprend plus rien. Il est complètement perdu. Cependant la stichomythie n’est pas le seul procédé utilise par Scudéry.
Symétrie, parallélisme et répétition §
Guichemerre nomme ce procédé « eurythmie ». Selon Guichemerre l’eurythmie crée des
[…] effets de symétrie et de parallélisme qui font que certaines comédies deviennent de véritable ballets, où gestes et paroles se combinent en un ensemble harmonieux77
Ces effets de parallélisme, symétrie et répétition créent des effets agréable pour l’oreille de l’auditeur mais permet également d’engendrer des effets comiques, du fait que le dramaturge joue avec les sonorité mais aussi avec les mots et leurs emplacements dans la phrase.
Ainsi lorsque Philante se présente face à Almédor comme son fils, celui-ci ne le croit pas. Une discussion alors s’engage entre les deux personnages. Le dialogue est composé de plusieurs parallélismes
PHILANTEQuoy ! vous me soupçonnez d’inventer ce langage ?ALMEDORQuoy, vous croyez dupper un homme de mon âge ? (v. 1359-1360)
mais également des répétitions
PHILANTEHa ! que vous me donnez une douleur amere;Voyez en mon visage un portraict de ma Mere:ALMEDORMa femme et ce portraict ne tenoient rien d’esgal;Et s’il est fait pour elle, il luy ressemble mal. (v. 1367-1370)
Ces procédés permettent de renforcer la situation comique de la scène, c’est-à-dire, le fait qu’Almédor ne reconnaît pas son fils alors que ce dernier ressemble à sa mère.
Note sur la présente édition §
À notre connaissance, il n’existe qu’une seule édition de la comédie de Georges de Scudéry, Le Fils supposé, publié en 1636 par Augustin Courbé. Nous nous baserons donc sur cette seule édition.
Description du volume §
Le fils supposé, comédie, un volume, In-8°, Paris, chez Augustin Courbé, XII-119 p., Privilège du 2 avril 1638, Achevé d’imprimer le 20 avril 1636.
Il existe 13 exemplaires de cette pièce.
Exemplaires consultés dans les bibliothèques parisiennes §
- -Paris-Sorbonne, BIU centrale : RRA6=708
- -Arsenal : GD-738
- -Arsenal : 8-BL-13618 (2) (Recueil factice)
- -Arsenal : 8-BL-12672 (3) (Recueil factice)
- -Arsenal : 8-BL-9083 (4) (Recueil factice)
- -Arsenal : GD-10635
- -Richelieu : 8-RF-7209 (2) (Recueil factice)
- -Tolbiac-Rez-de-jardin : RESP-YF-285 (5) (Recueil factice)
- -Tolbiac-Rez-de-jardin : YF-7289
- -Tolbiac-Rez-de-jardin :YF-4839
Exemplaires non consultés §
- -Tolbiac-Rez-de-jardin : 8-YTH-7267 (non consultable pour cause de réparation)
- -Grenoble-BM : E29587CGA
- -Besançon-BM : 205083
Description de la page de titre §
[I] : Le FILS/ SUPPOSÉ. / COMEDIE. / PAR / MONSIEUR DE SCUDERY. / [Fleuron] / A PARIS, /Chez Augustin Courbé / Libraire & Im- / primeur de Monseigneur frère du Roy, à la / petite gallerie au Palais, à la Palme. / [Filet] / M. DC. XXXVI. / AVEC PRIVILÈGE DU ROY.
[II] : [verso blanc]
[III-VIII] : A MONSIEUR LE CHEVALIER DE SAINCT GEORGE
[IX-X] : AU LECTEUR
[XI] : EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY
[XII] : LES ACTEURS
1-119 : [le texte de la pièce]
Établissement du texte §
Pour établir le texte nous avons suivi fidèlement l’édition d’origine. Il ne faut pas s’étonner si certains mots peuvent apparaître avec deux graphies distinctes comme « age » et « aage » ou encore « guarir » et « guerir ». À cette époque, il n’y avait pas de règle orthographique proprement dite.
Cependant nous avons effectuée certains changements pour améliorer la compréhension du texte.
- – Nous avons délié les esperluettes,
- – Nous avons remplacé les tildes qui figuraient sur certaines voyelles nasales,
- – Nous avons changé les « β » en « ss », les « ƒ » en « s » de façon systématique,
- – Nous avons ajouté et enlevé des accents diacritiques : « à » (v.119) devient « a » ; « ou » (v.216) devient « où » ; « qu’a » (v.1434) devient « qu’à »
- – Nous avons fait la distinction entre « v » et « u » et entre « i » et « j »,
- – Enfin nous avons gardé fidèlement la ponctuation originelle du texte du fait que Georges de Scudéry dans « Au Lecteur », signale avoir scrupuleusement vérifié son texte.
Liste des coquilles §
Nous avons corrigée la coquille que Scudéry annonce dans son « Au Lecteur » :
- – Acte III, scène 3 vers 774 : Qui devient Que
Ainsi que les coquilles que nous avons remarquées au fil du texte :
- – Dans « A Monsieur le chevalier de Sainct George » : d devient de
- – Acte I, scène 2 vers 152 : le devient te
- – Acte I, scène 4 vers 287 : Ft devient Et
- – Acte II, scène 3 vers 518 : yoy devient voy
- – Acte II, scène 3 vers 556 : Sil devient S'il
- – Acte II, scène 3 vers 600 : douleuur devient douleur
- – Acte II, scène 4 : IIII devient IV
- – Acte II, scène 5 vers 658 : meshumbles devient mes humbles
- – Acte III, scène 4 : IIII devient IV
- – Acte IV, scène 1 vers 1018 : l on devient l’on
- – Acte V, scène 1 vers 1255 : ta devient sa
- – Acte V, scène 2 vers 1284 : destinee devient destinée
- – Acte V, scène 4 vers 1393 : aujourd huy devient aujourd’huy
- – Acte V, scène 5 : Présence, dans la liste des actes en scène, du nom de Philante deux fois
- – Acte V, scène 5 vers 1402 : quo'n devient qu’on
- – Acte V, scène 5 vers 1461 : contens devient content
LE FILS SUPPOSÉ.
COMEDIE. §
A MONSIEUR LE CHEVALIER DE SAINCT GEORGE. §
Mon cher et parfait Amy,
Je donne à vostre merite ce que les autres escrivains presentent à la Fortune*; et je vous dédie ce Livre, parce que n’estant pas grand Seigneur, je vous juge digne de l’estre. Mon object* est bien plus noble que le leur, puis que je regarde la Vertu toute nuë: et qu’eux s’arrestent aux ornemens, dont cette Aveugle78 pare et déguise le plus souvent la difformité du vice. Comme c’est de cette sorte, qu’il faut estimer les hommes, Le choix que je fais de vous, ne peut estre que fort juste; et par consequent approuvé de tous ceux qui vous connoissent: Car si l’on vous regarde par les qualitez de l’ame, et par celles de l’esprit, il faut advouër que les unes estonnent*, et que les autres ravissent*. La vivacité de ce bel esprit dont je parle, la solidité de ce jugement* qui l’accompagne, et la force de cette memoire, qui conserve si fidelement tout ce que les deux autres luy confient, renverse l’opinion Philosophique, qui tient que des effets si differens ne peuvent proceder d’un seul temperamment. Et de vray, vous estes un Prothée de belles choses, qui vous changez en autant de formes qu’il vous plaist; et de toutes les connoissances que doit avoir un honneste homme, il ne vous en manque pas une. Que si je croyois qu’un Cavalier pûst recevoir sans rougir les loüanges que nous donnons aux Dames, je vous monstrerois dans un miroir, que quelque adresse qui soit en vous, sous les Armes que vous portez, et par cét aimable* visage que la Nature vous a donné, on vous prendra plustost pour Minerve que pour Mars. Je vous en dirois davantage, si je ne m’imaginois voir cette belle couleur que la modestie vous met si souvent au front: mais craignant que la colere n’y monte avec elle, et que l’une et l’autre ne me fassent tomber la plume de la main, je me haste de vous dire encor, que je suis, et veux estre toute ma vie,
Mon cher et parfait amy,
Vostre tres-humble et tres-
fidele serviteur,
DE SCUDERY.
AU LECTEUR. §
Je ne sçaurois à cette fois, couvrir mes fautes de celles de l’Imprimeur: Et si dans ce Livre, tu ne remarques non plus des miennes, que de celles qu’il a faites, j’en auray de la gloire*, et toy du plaisir.
Tout mon soing* n’en a pû voir qu’une fort legere, dont je te donne advis; c’est en la page cinquante- quatre, vers dernier, où pour le mot de, qui, tu dois lire, que, Adieu.
Extraict du Privilege du Roy. §
Par grace et Privilege du Roy: Donné à Paris le deuxiesme jour d’Avril mil six cens trente-six. Il est permis à Augustin Courbé, Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer, vendre et distribuer un Livre intitulé, Le Fils Supposé, Comedie, Composée par MonsieurDe Scudery: Et defences sont faites à tous Imprimeurs et autres personnes, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’imprimer, vendre ny distribuer dudit Livre, d’autre Impression que celle qu’aura fait ou fait faire ledit Courbé, ou autres ayant droit de luy, et ce pendant le temps de sept ans, à peine aux contrevenans de quinze cens livres d’amende, et confisquation de tous lesdits exemplaires imprimez, ainsi qu’il est plus amplemens porté par lesdites Lettres de Privilege.
Par le Roy en son Conseil,
Signé, CONRAR.
Achevé d’Imprimer le vingtiesme Avril mil
six cens trente-six.
LES ACTEURS. §
- ALMEDOR, Gentil-homme Parisien
- ROSANDRE, Gentil-homme Parisien.
- PHILANTE, Fils d’Almedor.
- LUCIANE, Fille de Rosandre.
- ORONTE, Gentil-homme Parisien.
- BRASIDE, Gentil-homme Parisien.
- CLORIAN, Gentil-homme Breton.
- BELISE, Sœur de Clorian.
- DORISTE, Domestique d’Almedor.
- POLIDON, Page d’Almedor.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
Luciane.
[p. 2]Rosandre.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
ACTE I. [p. 9]
SCENE II. §
Oronte.
Rosandre.
Oronte.
ACTE I.
SCENE III. §
Almedor.
Rosandre.
Rosandre.
ACTE I.
SCENE IV. §
Philante.
Belise.
Philante.
Belise.
Philante.
Belise.
Philante.
Belise.
Philante.
ACTE I. [p. 22]
SCENE V. §
Clorian.
Philante.
Belise.
Belise.
Philante.
ACTE I. [p. 24]
SCENE VI. §
Doriste.
ACTE I. [p. 25]
SCENE VII. §
Clorian.
Belise.
Clorian.
Belise.
Clorian.
Belise.
ACTE SECOND. §
SCENE PREMIERE. §
Luciane.
STANCES.
ACTE II. [p. 31]
SCENE II. §
Oronte.
Luciane.
[p. C, p.33]Oronte.
Luciane.
Oronte.
Oronte.
Luciane.
Oronte.
Luciane.
Oronte.
Luciane.
Oronte.
ACTE II. [p. 37]
SCENE III. §
Belise.
Doriste.
Belise.
Doriste.
Belise.
Doriste.
Belise.
Doriste.
Belise.
ACTE II. [p. 42]
SCENE IV §
Clorian.
ACTE II. [p. 43]
SCENE V. §
Philante.
ACTE II.
SCENE VI. §
Clorian.
Philante.
Clorian.
Philante.
Clorian.
ACTE TROISIESME §
SCENE PREMIERE. §
Philante.
Villanelle141.
ACTE III. [p. 51]
SCENE II. §
Clorian.
Philante.
Clorian.
Philante.
ACTE III. [p. 53]
SCENE III. §
Almedor.
Doriste.
Almedor.
Belise.
Almedor.
Belise.
Almedor.
Belise.
Doriste.
Belise.
ACTE III.
SCENE IV. §
Oronte.
ACTE III. [p. 59]
SCENE V. §
Almedor.
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
ACTE III. [p. 61]
SCENE VI. §
Belise.
Almedor.
Rosandre.
Belise.
Luciane.
Belise.
Luciane.
ACTE III. [p. 64]
SCENE VII. §
Oronte.
Luciane.
Belise.
Oronte.
[E, p.65]Luciane.
Belise.
Oronte.
Belise.
Oronte.
Luciane.
ACTE III. [p. 67]
SCENE VIII. §
Rosandre.
Luciane.
Rosandre.
Almedor.
Oronte.
[p. 68]ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
Belise.
Luciane.
Belise.
Luciane.
Belise.
Luciane.
Belise.
Luciane.
Belise.
ACTE IV.
SCENE II. §
Oronte.
Braside.
Oronte.
Braside.
Oronte.
Braside.
Oronte.
ACTE IV. [p. 78]
SCENE III. §
Doriste.
ACTE IV.
SCENE IV. §
Philante.
Clorian.
Braside.
Philante.
Braside.
Philante.
Braside.
Braside.
Braside.
Clorian.
Braside.
ACTE IV. [p. 82]
SCENE V. §
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
ACTE IV.
SCENE VI. §
Oronte.
STANCES.
ACTE IV.
SCENE VII. §
Braside.
Philante.
Braside.
Oronte.
Braside.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Philante.
Oronte.
Clorian.
Oronte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
Belise.
STANCES.
ACTE V. [p. 96]
SCENE II. §
Luciane.
Belise.
Doriste.
Belise.
Doriste.
achevez l’Belise.
Luciane.
Belise.
ACTE V. [p. 99]
SCENE III. §
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Almedor.
Rosandre.
Almedor.
Rosandre.
Rosandre.
Almedor.
ACTE V. [p. 103]
SCENE IV. §
Philante.
Oronte.
Braside.
Clorian.
Philante.
Almedor.
Philante.
Philante.
Rosandre.
Almedor.
Philante.
Almedor.
Philante.
[p. 106]Almedor.
Philante.
Almedor.
Philante.
Almedor.
Philante.
Almedor.
Philante.
Almedor.
Philante.
Philante.
Almedor.
Rosandre.
Oronte.
Braside.
Clorian.
Rosandre.
Almedor.
ACTE V. [p. 111]
SCENE V. §
Belise.
Philante.
Clorian.
Oronte.
Almedor.
Philante.
Belise.
Rosandre.
Belise.
Rosandre.
Almedor.
Clorian.
Doriste.
Almedor.
Philante.
Clorian.
Almedor.
Oronte.
Rosandre.
Oronte.
Luciane.
Rosandre.
Almedor.
Philante.
Belise.
Almedor.
[p. 117]Rosandre.
Braside.
Belise.
Clorian.
Luciane.
[p. 118]Oronte.
Luciane.
Oronte.
FIN
Lexique §
Définition du Dictionnaire universel Le Furetière (1690) et du Richelet (1680) :