SCÈNE PREMIÈRE. L’Amour, Zélis §
Le théâtre représente un lien champêtre ; on voit au milieu un autel rustique.
ZÉLIS.
Vous, qui soumettez les Dieux et les Mortels,
Dieu du bonheur, âme de la nature,
Amour, je n’offrirai des voeux qu’à vos autels ;
C’est Hilas qui vous les assure.
L’AMOUR.
5 Hilas peut-il inspirer de l’amour ?
Dès le moment de sa naissance
Ses yeux furent fermés à la clarté du jour ;
Comment de la beauté connaît-il la puissance ?
ZÉLIS.
Mes premiers sentiments sont nés de son malheur,
10 Il déplorait son sort, je me plus à l’entendre ;
D’un intérêt trop cher je ne pus me défendre ;
La pitié séduisit mon coeur,
Et le rendit sensible et tendre.
L’AMOUR.
De son supplice il vous devra la fin ;
15 Il va tenir de vous l’éclat de la lumière.
Hilas pourra jouir d’un jour pur et serein,
Puisqu’en aimant il a su plaire.
ZÉLIS.
Pour ses yeux étonnés quel spectacle enchanteur !
Quoi, sa félicité deviendrait mon ouvrage ?
20 Le plaisir de voir son bonheur
M’en fera goûter le partage.
L’AMOUR.
Zélis, un don si précieux
Peut-être de son coeur vous ravira l’hommage :
Lorsque mille beautés paraîtront à ses yeux,
25 S’il allait devenir volage ?
ZÉLIS.
Ce serait un malheur affreux ;
Mais au moins j’aurai l’avantage
De l’avoir rendu plus heureux.
L’AMOUR.
Évitez sa présence,
30 Si vous perdiez son coeur, quand il verra le jour,
Vous seriez sans retour
Victime de son inconstance.
ZÉLIS.
J’espère tout de mon amour.
Il verra donc les transports de mon âme,
35 Et ses yeux animez exprimeront sa flamme.
SCÈNE III. Zélis, Hilas. §
ZÉLIS.
Hilas, je dois parler sans feinte ;
Nous nous aimons, je sens notre félicité ;
Mais l’amour n’est jamais sans crainte ;
Le temps peut amener votre légèreté.
HILAS.
50 Pour rendre ma tendresse extrême
Ai-je besoin d’admirer vos appas ?
C’est un bonheur que je ne connais pas ;
Mais vous parlez, et j’aime.
ZÉLIS.
Hilas, vos yeux vont être ouverts ;
55 Vous allez admirer l’éclat de la nature :
Puissiez-vous n’être pas parjure
Au milieu des plaisirs qui vous seront offerts !
Elle sort.
SCÈNE V. L’Amour, suivi de Nymphes, Hilas. §
On danse.
L’AMOUR.
70 Pour être heureux, jouis de là clarté ;
Vois tous ces objets, nés pour plaire :
C’est le plaisir d’admirer la beauté
Qui fait le prix du jour qui nous éclaire.
Une nymphe danse et tâche de séduire Hilas par les grâces voluptueuses de sa danse.
HILAS.
Que tout ce que je vois me surprend et m’enchante !
75 Dieux, que de grâces, que d’appas !
Oui, cette Nymphe exprime dans ses pas
Ce que je sens quand Zélis chante.
L’AMOUR.
Si c’était elle ?
HILAS.
Si c’était elle ? Non, je ne m’y méprends pas ;
J’éprouverais un trouble extrême,
80 Je la reconnaîtrais :
Tout décèle l’Amour, tout en porte les traits.
Je vais chercher Zélis, je veux voir ce que j’aime :
Grands Dieux ! Sans ce plaisir, reprenez vos bienfaits.
Il sort, les Nymphes le suivent.
SCÈNE DERNIÈRE. L’Amour, Zélis, Hilas, Nymphes, Suivants de l’Amour, Gnidians et Gnidiennes. §
HILAS.
Dieux, pour trouver Zélis mes soins sont superflus.
L’AMOUR.
Il faut s’adresser à Vénus.
HILAS.
90 Que vois-je ? Quel objet me séduit et m’engage?
Soleil, voici l’instant où je te rends hommage !
L’AMOUR.
Tu ne vois la clarté que pour être inconstant ;
La lumière des Cieux pour toi va disparaître,
Je vais t’en priver à l’instant.
ZÉLIS.
95 Arrête l’Amour !
HILAS.
Arrête l’Amour ! Mon coeur n’a pu la méconnaître;
C’est elle ! C’est Zélis ! Quel transport ! Quel moment !
Ah, quel bonheur pour un amant
Quand le coeur et les yeux confondent leur hommage.
ZÉLIS.
Que ce trouble est flatteur ! Que Zélis le partage !
L’AMOUR.
100 Goûtez une si tendre ardeur,
Vivez dans ce séjour tranquille ;
Je vous le donne pour asile,
Et je choisis le mien dans votre cœur.
ZÉLIS et HILAS.
Formons des chaînes éternelles :
105 Règne, Amour, lance tous tes feux !
Tous nos moments seront heureux,
Ton flambeau nous rendra fidèles.
L’AMOUR.
Que leurs transports animent vos désirs,
Chantez, célébrez ma victoire ;
110 Goûtez tous leurs plaisirs :
Aimez ; c’est en aimant qu’on célèbre ma gloire.
LE CHOEUR.
Que leurs transports animent nos désirs;
Chantons, etc.
On danse.
ZÉLIS.
Triomphe Amour, jouis de notre hommage :
115 Tu lances dans ces lieux un trait toujours vainqueur.
Les Dieux n’ont rien dans leur grandeur
Du prix de ton esclavage ;
L’Univers leur doit son bonheur ;
Celui des Dieux est ton ouvrage.
120 Triomphe Amour, jouis de notre hommage :
Tu lances dans ces lieux un trait toujours vainqueur.
On danse.
ZÉLIS, alternativement avec le Choeur.
Ne quitte plus, Amour, notre boccage ;
On n’est heureux qu’en suivant tes lois.
Daigne toujours, sous ce riant ombrage,
125 De nos coeurs déterminer le choix.
ZÉLIS, seule.
Un volage
Te fait outrage ;
Un tendre coeur
Fait son bonheur
130 De la constance.
LE CHOEUR.
Dieu des amants, signale ta puissance.
ZÉLIS.
Bannis des coeurs
Les soupirs trompeurs.
Ne quitte plus, Amour, notre boccage ;
135 On n’est heureux qu’en suivant tes lois.
LE CHOEUR.
Daigne toujours, sous ce riant ombrage ;
De nos coeurs déterminer le choix.
ZÉLIS.
Je fais gloire.
De ta victoire :
140 Toi seul remplis mes vœux.
LE PETIT CHOEUR.
Lance, Amour, tes feux.
LE GRAND CHOEUR.
Fais de ces beaux lieux
Le séjour des ris et des jeux.
ZÉLIS et les CHOEURS.
Par tes bienfaits,
145 Règne à jamais.
Ne quitte plus, Amour, notre boccage ;
On n’est heureux qu’en suivant tes lois.
Daigne toujours, sous ce riant ombrage,
De nos coeurs déterminer le choix.
Un Divertissement général termine la Pastorale.