M. D. CC. L.
Par M. DE VOLTAIRE
Madame, §
Vous avez vu passer ce siècle admirable, à la gloire duquel vous avez tant contribué par votre goût et par vos exemples ; ce siècle qui sert de modèle au nôtre en tant de choses, et peut-être de reproche, comme il en servira à tous les âges. C’est dans ces temps illustres que les Coudé, vos aïeux[1], couverts de tant de lauriers, cultivaient et encourageaient les arts ; où un Bossuet immortalisait les héros, et instruisait les rois ; où un Fénélon, le second des hommes dans l’éloquence[2], et le premier dans l’art de rendre la vertu aimable, enseignait avec tant de charmes la justice et l’humanité ; où les Racine, les Despréaux, présidaient aux belles-lettres, Lulli à la musique, Le Brun à la peinture. Tous ces arts, madame, furent accueillis surtout dans votre palais. Je me souviendrai toujours que, presque au sortir de l’enfance, j’eus le bonheur d’y entendre quelquefois un homme dans qui l’érudition la plus profonde n’avait point éteint le génie, et qui cultiva l’esprit de monseigneur le duc de Bourgogne, ainsi que le vôtre et celui de M. le duc du Maine ; travaux heureux dans lesquels il fut si puissamment secondé par la nature. Il prenait quelquefois devant votre altesse sérénissime un Sophocle, un Euripide ; il traduisait sur-le-champ en français une de leurs tragédies. L’admiration, l’enthousiasme dont il était saisi lui inspirait des expressions qui répondaient à la mâle et harmonieuse énergie des vers grecs, autant qu’il est possible d’en approcher dans la prose d’une langue à peine tirée de la barbarie, et qui, polie par tant de grands auteurs, manque encore pourtant de précision, de force, et d’abondance. On sait qu’il est impossible de faire passer dans aucune langue moderne la valeur des expressions grecques : elles peignent d’un trait ce qui exige trop de paroles chez tous les autres peuples ; un seul terme y suffit pour représenter ou une montagne toute couverte d’arbres chargés de feuilles, ou un dieu qui lance au loin ses traits, ou les sommets des rochers frappés souvent de la foudre. Non seulement cette langue avait l’avantage de remplir d’un mot l’imagination, mais chaque terme, comme on sait, avait une mélodie marquée, et charmait l’oreille, tandis qu’il étalait à l’esprit de grandes peintures. Voilà pourquoi toute traduction d’un poète grec est toujours faible, sèche, et indigente : c’est du caillou et de la brique avec quoi on veut imiter des palais de porphyre. Cependant M. de Malézieu, par des efforts que produisait un enthousiasme subit, et par un récit véhément, semblait suppléer à la pauvreté de la langue, et mettre dans sa déclamation toute l’âme des grands hommes d’Athènes. Permettez-moi, madame, de rappeler ici ce qu’il pensait de ce peuple inventeur, ingénieux, et sensible, qui enseigna tout aux Romains ses vainqueurs, et qui, longtemps après sa ruine et celle de l’empire romain, a servi encore à tirer l’Europe moderne de sa grossière ignorance.
Il connaissait Athènes mieux qu’aujourd’hui quelques voyageurs ne connaissent Rome après l’avoir vue. Ce nombre prodigieux de statues des plus grands maîtres, ces colonnes qui ornaient les marchés publics, ces monuments de génie et de grandeur, ce théâtre superbe et immense, bâti dans une grande place, entre la ville et la citadelle, où les ouvrages des Sophocle et des Euripide étaient écoutés par les Périclès et par les Socrate, et où des jeunes gens n’assistaient pas debout et en tumulte ; en un mot, tout ce que les Athéniens avaient fait pour les arts en tous les genres était présent à son esprit. Il était bien loin de penser comme ces hommes ridiculement austères, et ces faux politiques qui blâment encore les Athéniens d’avoir été trop somptueux dans leurs jeux publics, et qui ne savent pas que cette magnificence même enrichissait Athènes, en attirant dans son sein une foule d’étrangers qui venaient l’admirer, et prendre chez elle des leçons de vertu et d’éloquence.
Vous engageâtes, madame, cet homme d’un esprit presque universel à traduire, avec une fidélité pleine d’élégance et de force, l’Iphigénie en Tauride d’Euripide. On la représenta dans une tête qu’il eut l’honneur de donner à votre altesse sérénissime, fête digne de celle qui la recevait, et de celui qui en faisait les honneurs : vous y représentiez Iphigénie. Je fus témoin de ce spectacle : je n’avais alors nulle habitude de notre théâtre français ; il ne m’entra pas dans la tête qu’on pût mêler de la galanterie dans ce sujet tragique : je me livrai aux moeurs et aux coutumes de la Grèce d’autant plus aisément qu’à peine j’en connaissais d’autres ; j’admirai l’antique dans toute sa noble simplicité. Ce fut là ce qui me donna la première idée de faire la tragédie d’OEdipe, sans même avoir lu celle de Corneille. Je commençai par m’essayer, en traduisant la fameuse scène de Sophocle, qui contient la double confidence de Jocaste et d’OEdipe. Je la lus à quelques uns de mes amis qui fréquentaient les spectacles, et à quelques acteurs : ils m’assurèrent que ce morceau ne pourrait jamais réussir en France ; ils m’exhortèrent à lire Corneille qui l’avait soigneusement évité, et me dirent tous que si je ne mettais, à son exemple, une intrigue amoureuse dans OEdipe, les comédiens même ne pourraient pas se charger de mon ouvrage. Je lus donc l’OEdipe de Corneille qui, sans être mis au rang de Cinna et de Polyeucte, avait pourtant alors beaucoup de réputation. J’avoue que je fus révolté d’un bout à l’autre ; mais il fallut céder à l’exemple et à la mauvaise coutume. J’introduisis, au milieu de la terreur de ce chef-d’oeuvre de l’antiquité, non pas une intrigue d’amour, l’idée m’en paraissait trop choquante, mais au moins le ressouvenir d’une passion éteinte. Je ne répéterai point ce que j’ai dit ailleurs sur ce sujet.
Votre altesse sérénissime se souvient que j’eus l’honneur de lire OEdipe devant elle. La scène de Sophocle ne fut assurément pas condamnée à ce tribunal ; mais vous, et M. le cardinal de Polignac, et M. de Malézieu, et tout ce qui composait votre cour, vous me blâmâtes universellement, et avec très grande raison, d’avoir prononcé le mot d’amour dans un ouvrage où Sophocle avait si bien réussi sans ce malheureux ornement étranger ; et ce qui seul avait fait recevoir ma pièce, fut précisément le seul défaut que vous condamnâtes.
Les comédiens jouèrent à regret OEdipe, dont ils n’espéraient rien. Le public fut entièrement de votre avis : tout ce qui était dans le goût de Sophocle fut applaudi généralement ; et ce qui ressentait un peu la passion de l’amour fut condamné de tous les critiques éclairés. En effet, madame, quelle place pour la galanterie que le parricide et l’inceste qui désolent une famille, et la contagion qui ravage un pays ! Et quel exemple plus frappant du ridicule de notre théâtre et du pouvoir de l’habitude, que Corneille, d’un côté, qui fait dire à Thésée,
et moi qui, soixante ans après lui, viens faire parler une vieille Jocaste d’un vieil amour, et tout cela pour complaire au goût le plus fade et le plus faux qui ait jamais corrompu la littérature ?
Qu’une Phèdre, dont le caractère est le plus théâtral qu’on ait jamais vu, et qui est presque la seule que l’antiquité ait représentée amoureuse ; qu’une Phèdre, dis-je, étale les fureurs de cette passion funeste ; qu’une Roxane, dans l’oisiveté du sérail, s’abandonne à l’amour et à la jalousie ; qu’Ariane se plaigne au ciel et à la terre d’une infidélité cruelle ; qu’Orosmane tue ce qu’il adore : tout cela est vraiment tragique. L’amour furieux, criminel, malheureux, suivi de remords, arrache de nobles larmes. Point de milieu : il faut, ou que l’amour domine en tyran, ou qu’il ne paraisse pas ; il n’est point fait pour la seconde place. Mais que Néron se cache derrière une tapisserie pour entendre les discours de sa maîtresse et de son rival ; mais que le vieux Mithridate se serve d’une ruse comique pour savoir le secret d’une jeune personne aimée par ses deux enfants ; mais que Maxime, même dans la pièce de Cinna, si remplie de beautés mâles et vraies, ne découvre en lâche une conspiration si importante que parce qu’il est imbécilement amoureux d’une femme dont il devait connaître la passion pour Cinna, et qu’on donne pour raison,
mais qu’un vieux Sertorius aime je ne sais quelle Viriate, et qu’il soit assassiné par Perpenna, amoureux de cette Espagnole, tout cela est petit et puéril, il le faut dire hardiment ; et ces petitesses nous mettraient prodigieusement au-dessous des Athéniens, si nos grands maîtres n’avaient racheté ces défauts, qui sont de notre nation, par les sublimes beautés qui sont uniquement de leur génie.
Une chose à mon sens assez étrange, c’est que les grands poètes tragiques d’Athènes aient si souvent traité des sujets où la nature étale tout ce qu’elle a de touchant, une Électre, une Iphigénie, une Mérope, un Alcméon, et que nos grands modernes, négligeant de tels sujets, n’aient presque traité que l’amour, qui est souvent plus propre à la comédie qu’à la tragédie. Ils ont cru quelquefois ennoblir cet amour par la politique ; mais un amour qui n’est pas furieux est froid, et une politique qui n’est pas une ambition forcenée est plus froide encore. Des raisonnements politiques sont bons dans Polybe, dans Machiavel ; la galanterie est à sa place dans la comédie et dans des contes : mais rien de tout cela n’est digne du pathétique et de la grandeur de la tragédie.
Le goût de la galanterie avait, dans la tragédie, prévalu au point qu’une grande princesse[3], qui, par son esprit et par son rang, semblait fin quelque sorte excusable de croire que tout le monde devait penser comme elle, imagina qu’un adieu de Titus et de Bérénice était un sujet tragique : elle le donna à traiter aux deux maîtres de la scène. Aucun des deux n’avait jamais fait de pièce dans laquelle l’amour n’eût joué un principal ou un second rôle ; mais l’un n’avait jamais parlé au coeur que dans les seules scènes du Cid, qu’il avait imitées de l’espagnol ; l’autre, toujours élégant et tendre, était éloquent dans tous les genres, et savant dans cet art enchanteur de tirer de la plus petite situation les sentiments les plus délicats : aussi le premier fit de Titus et de Bérénice un des plus mauvais ouvrages qu’on connaisse au théâtre ; l’autre trouva le secret d’intéresser pendant cinq actes, sans autre fonds que ces paroles : Je vous aime, et je vous quitte. C’était, à la vérité, une pastorale entre un empereur, une reine, et un roi ; et une pastorale cent fois moins tragique que les scènes intéressantes du Pastor fido. Ce succès avait persuadé tout le public et tous les auteurs que l’amour seul devait être à jamais l’âme de toutes les tragédies.
Ce ne fut que dans un âge plus mûr que cet homme éloquent comprit qu’il était capable de mieux faire, et qu’il se repentit d’avoir affaibli la scène par tant de déclarations d’amour, par tant de sentiments de jalousie et de coquetterie, plus dignes, comme j’ai déjà osé le dire[4], de Ménandre que de Sophocle et d’Euripide. Il composa son chef-d’oeuvre d’Athalie : mais quand il se fut ainsi détrompé lui-même, le public ne le fut pas encore. On ne put imaginer qu’une femme, un enfant, et un prêtre, pussent former une tragédie intéressante : l’ouvrage le plus approchant de la perfection qui soit jamais sorti de la main des hommes resta longtemps méprisé ; et son illustre auteur mourut avec le chagrin d’avoir vu son siècle, éclairé mais corrompu, ne pas rendre justice à son chef-d’oeuvre.
Il est certain que si ce grand homme avait vécu, et s’il avait cultivé un talent qui seul avait fait sa fortune et sa gloire, et qu’il ne devait pas abandonner, il eût rendu au théâtre son ancienne pureté, il n’eût point avili, par des amours de ruelle, les grands sujets de l’antiquité. Il avait commencé l’Iphigénie en Tauride, et la galanterie n’entrait point dans son plan : il n’eût jamais rendu amoureux ni Agamemnon, ni Oreste, ni Électre, ni Téléphonte, ni Ajax ; mais ayant malheureusement quitté le théâtre avant que de l’épurer, tous ceux qui le suivirent imitèrent et outrèrent ses défauts, sans atteindre à aucune de ses beautés. La morale des opéra de Quinault entra dans presque toutes les scènes tragiques : tantôt c’est un Alcibiade[5], qui avoue que « dans ses tendres moments il a toujours éprouvé qu’un mortel peut goûter un bonheur achevé ; » tantôt c’est une Amestris, qui dit que
Ici un Agnonide
Le féroce Arminius, ce défenseur de la Germanie, proteste « qu’il vient lire son sort dans les yeux d’Isménie[7] ; » et vient dans le camp de Varus pour voir si les beaux yeux de cette Isménie « daignent lui montrer leur tendresse ordinaire.[8] » Dans Amasis, qui n’est autre chose que la Mérope chargée d’épisodes romanesques, une jeune héroïne, qui, depuis trois jours, a vu un moment dans une maison de campagne un jeune inconnu dont elle est éprise, s’écrie avec bienséance :
Dans Athénaïs[10], un prince de Perse se déguise pour aller voir sa maîtresse à la cour d’un empereur romain. On croit lire enfin les romans de mademoiselle de Scudéri, qui peignait des bourgeois de Paris sous le nom de héros de l’antiquité.
Pour achever de fortifier la nation dans ce goût détestable, et qui nous rend ridicules aux yeux de tous les étrangers sensés, il arriva, par malheur, que M. de Longepierre, très zélé pour l’antiquité, mais qui ne connaissait pas assez notre théâtre, et qui ne travaillait pas assez ses vers, fit représenter son Électre. Il faut avouer qu’elle était dans le goût antique : une froide et malheureuse intrigue ne défigurait pas ce sujet terrible ; la pièce était simple et sans épisode : voilà ce qui lui valait avec raison la faveur déclarée de tant de personnes de la première considération, qui espéraient qu’enfin cette simplicité précieuse, qui avait fait le mérite des grands génies d’Athènes, pourrait être bien reçue à Paris, où elle avait été si négligée.
Vous étiez, madame, aussi bien que feu madame la princesse de Conti, à la tête de ceux qui se flattaient de cette espérance ; mais malheureusement les défauts de la pièce française l’emportèrent si fort sur les beautés qu’il avait empruntées de la Grèce, que vous avouâtes, à la représentation, que c’était une statue de Praxitèle défigurée par un moderne. Vous eûtes le courage d’abandonner ce qui en effet n’était pas digne d’être soutenu, sachant très bien que la faveur prodiguée aux mauvais ouvrages est aussi contraire aux progrès de l’esprit que le déchaînement contre les bons. Mais la chute de cette Électre fit en même temps grand tort aux partisans de l’antiquité : on se prévalut très mal à propos des défauts de la copie contre le mérite de l’original ; et, pour achever de corrompre le goût de la nation, on se persuada qu’il était impossible de soutenir, sans une intrigue amoureuse, et sans des aventures romanesques, ces sujets que les Grecs n’avaient jamais déshonorés par de tels épisodes ; on prétendit qu’on pouvait admirer les Grecs dans la lecture, mais qu’il était impossible de les imiter sans être condamné par son siècle : étrange contradiction ! car si en effet la lecture en plait, comment la représentation en peut-elle déplaire ?
Il ne faut pas, je l’avoue, s’attacher à imiter ce que les anciens avaient de défectueux et de faible : il est même très vraisemblable que les défauts où ils tombèrent furent relevés de leur temps. Je suis persuadé, madame, que les bons esprits d’Athènes condamnèrent, comme vous, quelques répétitions, quelques déclamations, dont Sophocle avait chargé son Électre ; ils durent remarquer qu’il ne fouillait pas assez dans le coeur humain. J’avouerai encore qu’il y a des beautés propres, non seulement à la langue grecque, mais aux moeurs, au climat, au temps, qu’il serait ridicule de vouloir transplanter parmi nous. Je n’ai point copié l’Électre de Sophocle, il s’en faut beaucoup ; j’en ai pris, autant que j’ai pu, tout l’esprit et toute la substance. Les fêtes que célébraient Égisthe et Clytemnestre, et qu’ils appelaient les festins d’Agamemnon, l’arrivée d’Oreste et de Pylade, l’urne dans laquelle on croit que sont renfermées les cendres d’Oreste, l’anneau d’Agamemnon, le caractère d’Électre, celui d’Iphise, qui est précisément la Chrysothémis de Sophocle, et surtout les remords de Clytemnestre, tout est puisé dans la tragédie grecque ; car lorsque celui qui fait à Clytemnestre le récit de la prétendue mort d’Oreste lui dit : « Eh quoi ! madame, cette mort vous afflige ? » Clytemnestre répond : « Je suis mère, et par là malheureuse ; une mère, quoique outragée, ne peut haïr son sang : » elle cherche même à se justifier devant Électre du meurtre d’Agamemnon : elle plaint sa fille ; et Euripide a poussé encore plus loin que Sophocle l’attendrissement et les larmes de Clytemnestre. Voilà ce qui fut applaudi chez le peuple le plus judicieux et le plus sensible de la terre : voilà ce que j’ai vu senti par tous les bons juges de notre nation. Rien n’est en effet plus dans la nature qu’une femme criminelle envers son époux, et qui se laisse attendrir par ses enfants, qui reçoit la pitié dans son coeur altier et farouche, qui s’irrite, qui reprend la dureté de son caractère quand on lui fait des reproches trop violents, et qui s’apaise ensuite par les soumissions et par les larmes : le germe de ce personnage était dans Sophocle et dans Euripide, et je l’ai développé. Il n’appartient qu’à l’ignorance et à la présomption, qui en est la suite, de dire qu’il n’y a rien à imiter dans les anciens ; il n’y a point de beautés dont on ne trouve chez eux les semences.
Je me suis imposé surtout la loi de ne pas m’écarter de cette simplicité, tant recommandée par les Grecs, et si difficile à saisir : c’était là le vrai caractère de l’invention et du génie ; c’était l’essence du théâtre. Un personnage étranger, qui dans l’OEdipe ou dans Électre ferait un grand rôle, qui détournerait sur lui l’attention, serait un monstre aux yeux de quiconque connaît les anciens et la nature, dont ils ont été les premiers peintres. L’art et le génie consistent à trouver tout dans son sujet, et non pas à chercher hors de son sujet. Mais comment imiter cette pompe et cette magnificence vraiment tragique des vers de Sophocle, cette élégance, cette pureté, ce naturel, sans quoi un ouvrage (bien fait d’ailleurs) serait un mauvais ouvrage ?
J’ai donné au moins à ma nation quelque idée d’une tragédie sans amour, sans confidents, sans épisodes : le petit nombre des partisans du bon goût m’en sait gré ; les autres ne reviennent qu’à la longue, quand la fureur de parti, l’injustice de la persécution, et les ténèbres de l’ignorance, sont dissipées. C’est à vous, madame, à conserver les étincelles qui restent encore parmi nous de cette lumière précieuse que les anciens nous ont transmise. Nous leur devons tout ; aucun art n’est né parmi nous, tout y a été transplanté : mais la terre qui porte ces fruits étrangers s’épuise et se lasse ; et l’ancienne barbarie, aidée de la frivolité, percerait encore quelquefois malgré la culture ; les disciples d’Athènes et de Rome deviendraient des Goths et des Vandales, amollis par les moeurs des Sibarites, sans cette protection éclairée et attentive des personnes de votre rang. Quand la nature leur a donné ou du génie, ou l’amour du génie, elles encouragent notre nation, qui est plus faite pour imiter que pour inventer, et qui cherche toujours dans le sang de ses maîtres les leçons et les exemples dont elle a besoin. Tout ce que je désire, madame, c’est qu’il se trouve quelque génie qui achève ce que j’ai ébauché, qui tire le théâtre de cette mollesse et de cette afféterie où il est plongé, qui le rende respectable aux esprits les plus austères, digne du théâtre d’Athènes, digne du très petit nombre de chefs-d’oeuvre que nous avons, et enfin du suffrage d’un esprit tel que le vôtre, et de ceux qui peuvent vous ressembler.
[1] La duchesse du Maine était fille de Henri-Jules de Condé, nommé communément monsieur le Prince.
[2] Le premier était Bossuet.
[3] Henriette d’Angleterre.
[4] Voir la préface de Nanine, mais c’est Térence et non Ménandre qui y est nommé.
[5] Dans l’Alcibiade de Campistron, acte I, scène 8, on lit : Dans ces tendres instants j’ai toujours éprouvé Qu’un mortel peut sentir un bonheur achevé.
[6] Id.l., II, 7.
[7] Arminius, tragédie de Campistron, acte II, scène 2.
[8] Id., ibid.
[9] Amasis, tragédie de La Grange-Chancel, acte I, scène 7.
[10] Athénaïs, tragédie de La Grange-Chancel, jouée en 1699, reprise en 1736.
AVIS AU LECTEUR §
L’auteur des ouvrages qu’on trouvera dans ce volume se croit obligé d’avertir encore les gens de lettres, et tous ceux qui se forment des cabinets de livres, que de toutes les éditions faites jusqu’ici, en Hollande et ailleurs, de ses prétendues OEuvres, il n’y en a pas une seule qui mérite la moindre attention , et qu’elles sont toutes remplies de pièces supposées ou défigurées.
Il n’y a guère d’années qu’on ne débite sous son nom des ouvrages qu’il n’a jamais vus ; et il apprend qu’il n’y a guère de mois où l’on ne lui impute dans les Mercures quelque pièce fugitive qu’il ne connaît pas davantage. Il se flatte que les lecteurs judicieux ne feront pas plus de cas de ces imputations continuelles que des critiques passionnées dont il entend dire qu’on remplit les ouvrages périodiques.
Il ne fera plus qu’une seule réflexion sur ces critiques : c’est que, depuis les Observations de l’académie sur le Cid, il n’y a pas eu une seule pièce de théâtre qui n’ait été critiquée, et qu’il n’y en a pas eu une seule qui l’ait bien été. Les Observations de l’académie sont, depuis plus de cent ans, la seule critique raisonnable qui ait paru, et la seule qui puisse passer à la postérité. La raison en est qu’elle fut composée avec beaucoup de temps et de soin par des hommes capables de juger, et qui jugeaient sans partialité.
PERSONNAGES §
- ORESTE, fils de Clytemnestre et d’Agamemnon.
- ÉLECTRE, soeur d’Oreste.
- IPHISE, soeur d’Oreste.
- CLYTEMNESTRE, épouse d’Égisthe.
- ÉGISTHE, tyran d’Argos.
- PYLADE, ami d’Oreste.
- PAMMÈNE, vieillard attaché à la famille d’Agamemnon.
- DIMAS, officier des gardes.
- SUITE.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. Iphise, Pammène. §
IPHISE.
PAMMÈNE.
IPHISE.
SCÈNE II. Électre, Iphise, Pammène. §
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
2PAMMÈNE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
PAMMÈNE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
SCÈNE III. Clytemnestre, Électre, Iphise. §
CLYTEMNESTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
SCÈNE IV. §
CLYTEMNESTRE.
SCÈNE V. Égisthe, Clytemnestre. §
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Oreste, Pylade. §
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
SCÈNE II. Oreste, Pylade, Pammène. §
PYLADE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE, à Oreste.
PAMMÈNE, à Oreste qui se détourne.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE.
SCÈNE III. Égisthe, Clytemnestre, plus loin, Pammène, Suite. §
ÉGISTHE, à Pammène.
PAMMÈNE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE, à Pammène.
SCÈNE IV. Égisthe, Clytemnestre. §
ÉGISTHE.
SCÈNE V. Clytemenestre, Électre. §
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
SCÈNE VI. §
ÉLECTRE, seule.
SCÈNE VII. Électre, Iphise. §
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
ACTE III §
SCÈNE PREMIÈRE. Oreste, Pylade, Pammène. §
PAMMÈNE.
PYLADE.
ORESTE.
PYLADE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
SCÈNE II. Électre, Iphise, d’un côté, Oreste, Pylade, de l’autre, avec l’esclave qui porte L’urne et l’épée. §
ÉLECTRE, à Iphise.
ORESTE, à Pylade.
IPHISE, à Électre.
ÉLECTRE.
ORESTE.
IPHISE, à Électre.
ÉLECTRE, à Iphise.
PYLADE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
ORESTE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
IPHISE, en voyant l’urne.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ORESTE, à Pylade.
ÉLECTRE, revenant à elle, et courant vers l’urne.
ORESTE.
PYLADE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
PYLADE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
SCÈNE III. Égisthe, Clytemenestre, Oreste, Pylade, Électre, Iphise, Pammène, Gardes. §
ÉGISTHE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
ÉLECTRE.
SCÈNE IV. Égisthe, Clytemnestre, Oreste, Pylade, Gardes. §
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ORESTE.
CLYTEMNESTRE.
ORESTE.
CLYTEMNESTRE.
ORESTE.
CLYTEMNESTRE.
ORESTE.
9CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
PYLADE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
ORESTE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE, à Oreste.
SCÈNE V. Oreste, Pylade. §
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
SCÈNE VI. Oreste, Pylade, Pammène. §
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PYLADE.
PAMMÈNE.
PYLADE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
ORESTE.
PAMMÈNE.
PYLADE.
PAMMÈNE.
ACTE IV §
SCÈNE PEMIÈRE. Oreste, Pylade. §
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PYLADE.
ORESTE.
PYLADE.
SCÈNE II. Électre, IPhise, Pylade. §
ÉLECTRE.
PYLADE.
SCÈNE III. Électre, Iphise. §
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
SCÈNE IV. §
ÉLECTRE, seule.
SCÈNE V. Électre, dans le fond, Oreste, d’un autre coté. §
ORESTE.
ÉLECTRE, avançant un peu du fond du théâtre.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE, en l’embrassant.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
SCÈNE VI. Électre, Oreste, Pylade, Pammède. §
ÉLECTRE.
PYLADE, à Oreste.
ORESTE.
ÉLECTRE, à Pylade.
PYLADE.
PAMMÈNE.
ÉLECTRE.
PAMMÈNE.
PYLADE, à Pammène.
SCÈNE VII. Égisthe, Clytemnestre, Électre, Oreste, Pylade, Gardes. §
ÉGISTHE.
ORESTE.
PYLADE.
ÉGISTHE.
ÉLECTRE.
ÉGISTHE.
SCÈNE VIII. Électre, Clytemnestre. §
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
ACTE V §
SCÈNE PREMIÈRE. §
ÉLECTRE.
SCÈNE II. Électre, Iphise. §
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
SCÈNE III. Égisthe, Clytemnestre, Électre, Iphise, Gardes. §
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉGISTHE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
ÉGISTHE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
ÉGISTHE.
SCÈNE IV. Égisthe, Clytemnestre, Électre, Iphise, Dimas. §
DIMAS.
ÉGISTHE.
DIMAS.
IPHISE.
CLYTEMNESTRE.
ÉLECTRE.
ÉGISTHE.
DIMAS.
ÉGISTHE.
SCÈNE V. Clytemnestre, Électre, Iphise. §
IPHISE.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
SCÈNE VI. Électre, Iphise. §
IPHISE.
ÉLECTRE.
SCÈNE VII. Électre, Pylade, Iphise, Soldats. §
ÉLECTRE.
PYLADE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
PYLADE, à sa suite.
SCÈNE VIII. Électre, Iphise, Pylade, Pammène; §
ÉLECTRE.
PAMMÈNE.
IPHISE.
PAMMÈNE.
ÉLECTRE.
PAMMÈNE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
PAMMÈNE.
CLYTEMNESTRE, derrière la scène.
IPHISE.
CLYTEMNESTRE, derrière la scène.
ÉLECTRE.
CLYTEMNESTRE.
PYLADE.
IPHISE.
ÉLECTRE.
SCÈNE IX. Électre, Iphise, Pylade, Pammène, Oreste. §
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
ORESTE.
ÉLECTRE.
PYLADE.
COMMENTAIRE DE L’AUTEUR §
Quoique cette catastrophe, imitée de Sophocle, soit sans aucune comparaison plus théâtrale et plus tragique que l’autre manière dont on a jouée la fin de la pièce, cependant j’ai été obligé de préférer sur le théâtre cette seconde leçon, toute faible qu’elle est, à la première. Rien n’est plus aisé et plus commun parmi nous que de jeter du ridicule sur une action théâtrale à laquelle on n’est pas accoutumée. Les cris de Clytemnestre, qui faisaient frémir les Athéniens, auraient pu sur un théâtre mal construit, et confusément rempli de jeunes gens, faire rire les Français, et c’est ce que prétendait une cabale un peu violente. Cette action théâtrale a fait beaucoup d’effet à Versailles, parce que la scène quoique trop étroite, était libre, et que le fond le plus rapproché laissait entendre Clytemnestre avec plus de terreur, et rendait sa mort plus présente ; mais je doute que l’exécution aut pu réussir à Paris.
Voici donc la manière dont on a gâté la fin de la pièce de Sophocle.
On dit que dans ce trouble les Euménides
Sourdes à la prière, et de vengeance avides,
Ministres des arrêts prononcés par le sort,
Marcher autour d’Oreste en appelant la mort.
IPHISE.
Il vient; il est vengé ; je le vois.
ELECTRE.
Cher Oreste,
Je peux vous embrasse: Dieux ! Quelaccueil funeste,
Quels regards effrayants.
ORESTE.
Ô terre entrouvre toi :
Clytemenestre, Tantale, Atrée, attendes moi,
Je vous suis aux enfers, éternelles victimes,
etc.