**** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_HENRIETTE *date_1779 *sexe_masculin *age_jeune *statut_exterieur *fonction_autres *role_henriette Oui, papa : tu ne devines pas à qui je veux la donner ? Non, car tu ne veux jamais de fleurs. Tu cueilles cependant les fruits. Je ne peux jamais disputer avec toi, papa, tu as plus de raison que moi. Es-tu fâché que j'aie cueilli ma rose ? C'est aussi pour lui que j'ai cueilli ma rose. Tu me devines toujours. Oh, non ! Papa, non ; tu m'aimes tant, tu es si bon : tu n'es pas fâché ? Papa, il est bien huit heures. C'est vrai ; c'est que c'est aujourd'hui le jour de Georges... C'est lui, papa. C'est vous ? Où est Georges ? Il n'a pas pu venir. Est-il malade ? Non, mon enfant, Dieu merci. Pourquoi n'est-il pas venu ? C'est aujourd'hui son jour. Le jardinier de la Dame du château avait besoin d'un journalier, et Georges y est allé. Mais il savait qu'il devait venir prendre aujourd'hui les légumes et les fruits de mon père. C'est vrai. Et votre crème, ma fille ? Je la garde. Mon voisin, vous apporterai-je quelque chose de la ville ? Je ne veux rien, je n'ai besoin de rien. Ce sera pour un autre jour... Adieu, ma chère enfant. Adieu. Pourquoi vient-elle à la place de son fils. Ce n'est ni elle, ni moi, qui avons tort. Tu le sais bien, papa. Cela m'est égal. Pauvre rose ! C'était à Georges, c'était à ce méchant que je t'avais destinée, il n'est pas venu te chercher... Il préfère aller travailler dans le jardin d'une grande Dame, à venir prendre les fruits de son Henriette... Pauvre Henriette ! Quoi ! C'est de mes larmes qu'est arrosée la première rose que j'ai vue s'épanouir, que j'avais cueillie pour lui... pour lui... Funeste fleur ! Je ne te verrai donc que pour penser à lui... Non, non. Je n'y veux plus penser, c'est un ingrat... Tiens, méchant, tiens ; voilà comme je traite ta rose. J'écrase cette vilaine rose qui me fait pleurer. Tu as raison, papa, car j'ai la main malheureuse, et je briserais tout. Certainement. Oui, papa. Tu te moques de moi, papa. Eh bien ! Je m'en vais. . Oh ! Papa. Papa, papa, on maltraite la bonne Berte... Mais qu'as-tu donc, papa ? Tes yeux sont enflammés... Tu trembles... Monsieur, avez-vous fait du mal à mon père ? Ah ! Mon coeur vous reconnaît à cet embrassement. Qu'on la querelle à la porte. Entre, ma bonne Berte, entre. C'est ce méchant homme, que je ne connais pas, qui m'interroge brutalement, et qui prétend me faire parler malgré moi. C'est la mère de Georges. Recommandez lui donc, Monsieur, de ne plus me maltraiter. Dieu merci, Monsieur. Plutôt mourir, Monsieur. Je vois bien que je n'aurai pas la force de vous rien cacher. Je ne le connais pas. Pour venir prendre les fruits et les légumes de Monsieur Wild, la crème de ma bonne Henriette, et leurs commissions. Non, Monsieur. Georges n'est pas son fils ? Écoutez-moi sans vous fâcher, sans me condamner, je vous dirai tout, tout... Jamais, mais je puis vous assurer que c'est un bien honnête garçon ; depuis qu'il vient dans ce hameau, on n'y a pas versé une seule larme, il n'y a plus un seul malheureux ; il est incapable de faire du mal à quelqu'un. Comment, papa, tu ne veux pas qu'il revienne ? De tout mon coeur ; et toi aussi, papa ? Je ne l'aime plus. Tu me fuis, papa, tu fuis ton Henriette, quand elle a tant besoin de tes caresses. Tu as du chagrin aussi ? Eh bien ! Pleurons ensemble, cela soulage ; pleurons sur la tombe de ma mère. Que dis-tu ?... Tu veux mourir ? Tu veux mourir ? Et ton Henriette, tu ne l'aimes donc plus ? Est-ce qu'un père a le droit de quitter son enfant ? Je le crois : mais moi, moi, l'aimerai-je comme je t'aime ? Est-il dans l'univers un homme que Henriette puisse aimer, comme elle aime son père ? Tu manques de courage ? Eh bien ! J'en aurai pour nous deux ; j'oublierai mes peines pour prendre tes chagrins. Crains-tu qu'à nous deux nous ne puissions pas les supporter ? Si tu ne veux plus vivre pour toi, vis pour ton Henriette. Quand ma mère expira dans nos bras, la dernière demande qu'elle te fit, fut de vivre pour Henriette, le dernier ordre qu'elle me donna, fut de vivre pour toi. Je ne l'ai point oublié, moi. Henriette n'a plus besoin de toi ! Est-ce qu'on peut vivre sans aimer ?... Henriette n'a plus besoin de toi, quand Geor...., quand tout le monde l'abandonne ! Eh ! Que me font ce rang, cette fortune ? En avais-je besoin pour être heureuse ? Ne suffisais-tu pas à mon malheur ? M'as-tu jamais entendu me plaindre ? M'as-tu jamais vu pleurer en secret ? Je ne versais des larmes qu'avec toi, sur la tombe de ma mère, ou sur tes mains, quand tu gémissais : et tu veux me quitter ? Eh bien ! La mienne aussi ; puisque mon père veut me quitter, puisque Georges m'a trompée, je n'aime plus rien dans la vie, délivre-m'en, mon père. C'est toi qui m'a donné la vie, elle est à toi, tu peux me la reprendre... Mais toi, mon père, de quel droit finis-lu la tienne ? Ce n'est pas toi-même qui te l'as donnée... Non, non, je ne te quitte pas. Pour me quitter ? Tu me le promets ? Non, papa. Non. C'est que mon père ne quittera pas son Henriette sans l'avoir bénie, sans l'avoir embrassée. Qui peut donc redoubler son chagrin : il a revu son ami, Monsieur de Rothenberg, et il veut mourir... Ah ! C'est ce méchant Georges qui cause sa mort, il causera aussi la mienne. Papa a raison, la vie est trop triste quand on n'est plus aimée, il vaut bien mieux mourir. Qui est là ? Georges... Georges... Il n'y a plus de Georges. Il n'y a plus de Georges pour Henriette ; il n'y a plus d'Henriette pour Georges. Je sais tout. Je ne veux pas être heureuse. Entrez... C'est donc bien vrai que vous n'êtes plus Georges, Monsieur Vous m'avez trompée. Laissez-moi, Monsieur ; je vais appeller mon père, vous lui direz le secret qui peut faire son bonheur. Non, Monsieur, je ne vous aime plus... Je vous méprise, je vous déteste... Vous faites bien du mal à mon père et à moi. Est-ce qu'on doit aimer quelqu'un qui nous trompe, quelqu'un qui ment, quelqu'un qu'on ne connaît pas... Qui êtes-vous ? Vous êtes le fils ?... Méchant !... Eh ! Pourquoi donc nous le cacher ? Il dit vrai. Ah ! Je sens bien que j'aimerai Rothenberg comme j'aimai Georges, si ce changement rend mon père heureux. Ah ! Non, non, cela n'est pas possible ; Henriette ne sait pas mentir, Henriette n'a jamais trompé personne. Non , je sais bien que je suis née dans l'opulence ; que c'est un lâche, un monstre, qui, par la plus infâme des calomnies, a fait perdre à mon père son rang, son état, sa fortune, et l'a réduit à cacher jusqu'à son nom. Et vous croyez que mon père n'aura plus de chagrin. Et qu'il ne voudra plus mourir ? Comme je suis contente ! Écoutez Geor...., je ne sais plus comment vous nommer, je ne voudrais pas vous appeler Monsieur. Ah ! Tant mieux, tant mieux, car j'aurais eu bien de la peine à vous appeler autrement mon coeur est fait au nom de Georges. Voilà mon père voyez, Georges, comme il est triste... C'est vous, méchant, qui en êtes la cause. Papa, papa, n'aie plus de chagrin voilà Georges. Ne le menace pas.... Ce n'est pas un méchant, ce n'est pas un trompeur... C'est le fils de ton ami, de ce bon Monsieur de Rothenberg, qui nous aime tant, que tu aimes bien aussi. Et tu seras heureux, parce que nous le serons aussi ; son père va venir pour te demander la permission d'être aussi le mien tu le voudras bien, n'est-il pas vrai, papa ? Georges avait raison, il me disait que tu serais heureux, je l'en aime davantage il ne faut plus mourir, je ne le veux plus, moi. Toujours Georges. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_MADAMEBERG *date_1779 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameberg Oui, Monsieur ; on m'a dit que vous vous faisiez un plaisir de secourir les infortunés, et c'est à ce titre que je viens implorer votre secours. Vous ne m'entendez pas, Monsieur ; ce n'est pas le besoin qui m'amène ici. On m'a assuré, Monsieur, que la finesse de votre esprit surpassait encore la bonté de votre coeur ; et c'est votre plume et non votre bourse que je viens réclamer. Je suis la veuve d'un simple employé, qui m'a laissée sans fortune ; mon travail est ma seule ressource : mais j'ai eu le malheur d'être nommée dans un infâme libelle, intitulé « Les Portraits du Jour », dont toute la ville est occupée. Vous sentez, Monsieur, le tort que cela peut me faire ; je voudrais donc que vous eussiez la bonté de me composer un petit mémoire, que je présenterais au ministre, contre l'auteur de cet affreux libelle. Non, Monsieur ; mais le ministre doit le connaître : c'est sans doute quelque malheureux qui n'ayant pas le courage d'être un honnête ouvrier, gagne sa vie dans un grenier, à déchirer les plus honnêtes gens. Prenez ma défense, Monsieur, et le ministre me rendra justice. Monsieur, ma conscience ne me reprochant rien, je mépriserais le scélérat qui ose attaquer ma réputation ; mais il me fait tort dans mon commerce, et j'ai droit d'exiger un dédommagement. Si c'est, comme je le crois,un misérable, ne pourriez-vous pas demander qu'on le fit enfermer. Mais si par hasard c'était un homme riche, ce qui le rendrait encore plus coupable, puisqu'il ferait le mal pour le seul plaisir de le faire, et n'aurait pas même l'excuse de la faim, je demanderais un dédommagement. Mais, Monsieur, ce serait être raisonnable, je crois, que de me contenter de cinquante ducats. Oui, Monsieur. Qu'est-ce que cela signifie, Monsieur ? Votre ami, Monsieur ? Ah ! Monsieur, il vous connaît, et il peut être méchant ! Il n'a donc jamais lu dans votre coeur ? Il n'a donc jamais senti le bonheur d'être généreux, sensible ? De pouvoir se dire : jamais je n'ai fait répandre une larme ; vous l'éprouvez, vous, Monsieur, ce bonheur si pur ! Votre coeur ne vous reproche rien ; vous n'êtes pas obligé de rougir ; aussi le ciel bénira vos jours, parce que vous êtes bon... Adieu, Monsieur, je n'oublierai jamais votre nom, je l'apprendrai à mes enfants, ils le chériront... Ce qui m'étonne, ce qui m'afflige même, c'est qu'un honnête homme comme vous, soit l'ami d'un être aussi méchant, aussi méprisable qu'un libelliste. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_ROBERT *date_1779 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_robert Oui, Monsieur le Baron. Il y a plus d'une heure. Personne. Monsieur le Baron.... Oui, Monsieur le Baron ; j'ai toute sa confiance ; il écoute mes avis et mes conseils avec docilité, parce que je les lui donne sans prétention. J'ose me flatter d'en être aimé autant peut-être que je lui suis attaché. Ses moeurs sont douces, ses goûts sont honnêtes, et je le crois sans ambition. Né avec toutes les qualités qui rendent un homme aimable, il a encore reçu de la nature un esprit fin et agréable, que l'étude, sa seule passion, a développé et enrichi ; il est fAit pour être aimé de tout le monde, et il le serait sans doute... si... Il serait adoré sans un penchant cruel auquel il s'abandonne. Celui de médire. Autant son coeur est bon, autant sa plume est méchante ; personne n'est à l'abri de ses traits. Oui, Monsieur le Baron, c'est le nom qu'on lui donne. Ce jeune homme, si dangereux dans son cabinet, est l'être le plus aimable et le plus doux dans la société, ami franc, plein d'honneur et toujours prêt à secourir l'infortuné qu'il peut découvrir. Il en est tout au plus soupçonné ; quelques affaires que lui suscitèrent ses premiers écrits, et dont il se tira avec honneur... Ces affaires lui firent voir le danger que court le libelliste ; et depuis ce temps, il se tient prudemment caché sous le manteau de l'anonyme. Oui, M. le Baron ; et rien jusqu'à ce jour n'en a altéré la pureté ; je ne vous cacherai pas cependant que je lui crois une intrigue secrète. Ayant remarqué que, tous les deux jours, il sortait de la ville aussitôt que les portes en étaient ouvertes, j'ai eu la curiosité de le suivre d'assez loin pour n'en pas être aperçu. Je l'ai vu entrer à une demi-lieue de la ville, chez une vieille fermière qui lui fournit des habits de paysan, avec lesquels il se rend à votre ermitage. Oui, Monsieur le Baron. Non, Monsieur le Baron, je sais seulement que c'est aujourd'hui son jour de rendez-vous, et je ne doute pas qu'il n'y soit allé. Cela ne sera pas difficile ; je la connais bien de vue, et je suis certain de la faire parler. Dès aujourd'hui, j'espère vous en rendre un compte exact. Oui, oui, je vous ferai parler. Oui, Monsieur le Baron. Eh ! Monsieur le Baron, c'est cette vieille paysanne chez laquelle Monsieur votre fils... Que veut dire cela ? C'est Franck... le valet-de-chambre de Monsieur de Rothenberg. Auteur ?... Lui !... Le pauvre diable ne sait ni lire, ni écrire. Expliquez-moi donc ce que tout cela veut dire, Monsieur Franck. Comment ! Brûler tous ces papiers ? Ah ! Tant mieux..... tant mieux. On vient de remettre à votre hôtel ce paquet de la part du ministre ; j'ai craint qu'il ne contînt quelqu'ordre pressé, et j'ai cru devoir vous l'apporter sur-le-champ. Oui, Monsieur. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_BERTE *date_1779 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_berte Oui, mon enfant. Il y a environ trois mois, qu'un matin, c'était un dimanche, je vis entrer chez moi un jeune homme bien beau, bien habillée ; je lui demandai, toute ébauhie de sa visite, ce qu'il voulait de moi. Un service, me répondit-il, qui peut me sauver la vie. De quoi s'agit-il, lui dis-je ? Vous allez, reprit-il, chercher tous les matins le lait, les fruits, et les légumes de Monsieur Wild, qui demeure dans cette chaumière, à côté de l'ermitage du baron de Rothenberg ? Oui, mon cher Monsieur, je les porte à la ville, je les y vends, et je lui eu rapporte le prix, ou ce dont il a besoin. Eh bien ! Ma chère Dame, continuat—il, permettez-moi d'y aller à votre place. Comment, mon cher enfant, lui dis-je, comment se pourra-t-il faire qu'un beau Monsieur comme vous, aille chercher des légumes pour les vendre au marché ? Comment voulez-vous que ce brave Monsieur Wild, qui est si sauvage... Pardonnez, je vous rapporte mot pour mot notre conversation Comment voulez-vous que ce Monsieur Wild, qui est si sauvage, qui ne parle à personne, qui ne reçoit personne chez lui, qui ne vous connaît pas, vous donne ses légumes ? Vous ne m'entendez pas, me fit-il à son tour, ma bonne mère ; demain je ferai apporter chez vous des habits de paysan, je les mettrai, et ainsi déguisé, je me présenterai chez Monsieur Wild, comme votre fils, sous le nom de Georges ; je lui dirai qu'un rhumatisme vous retient au lit, et que vous m'envoyez à votre place, prendre ses commissions. Tout cela me parut fort bien arrangé, cependant j'eus beaucoup de peine à m'y prêter ; et ce ne fut que lorsqu'il m'eut juré sur son honneur et sur son Dieu, qu'il n'avait aucune mauvaise intention, que je pouvais faire son bonheur, celui de Monsieur Wild, celui de ma chère Henriette, et qu'au contraire je causerais sa mort, si je le refusais ; et en disant cela, il me serrait les mains, il pleurait, mais tout de bon ; je me laissai attendrir, je n'eus pas la force de résister à ce beau garçon, qui pleurait si franchement. Je consentis à tout, et dès le lendemain je vous l'envoyai comme mon fils, sous le nom de Georges, après lui avoir fait répéter son serment, qu'il n'avait aucun dessein ni méchant, ni malhonnête. Voilà tout, mes chers Messieurs, absolument tout ; avez-vous à vous plaindre de lui, vous a-t-il fait quelque tort ? Je suis prête à tout réparer. Oh ! Mon Dieu, ayez pitié de lui. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_FRANCK *date_1779 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_franck Monsieur ? C'est Monsieur de La Presse, votre libraire, qui demande si vous êtes visible. Entrez, Monsieur. Monsieur, une Dame est là qui demande à vous parler. Je n'en sais rien. Je le lui ai demandé ; elle m'a dit qu'il vous était inconnu. Entrez, Madame. Monsieur le Comte de Vander-Alte ! Monsieur. Oui, Monsieur ; mais s'il était inquiet ? S'il me demandait où... C'est bon, Monsieur. Je les porterai à votre libraire ? Tous ? Très bien, Monsieur. N'ayez aucune inquiétude ; tout sera brûlé, tout. Le beau feu que je vais faire !... Mais pourquoi donc veut-il que je brûle tous ses papiers, qui lui ont couté tant de peines à griffonner... Quelle folie de perdre tant de temps pour rien.... Il avait cependant l'air si content quand il les écrivait... Monsieur de La Presse, son libraire, était si satisfait quand je les lui portais... Il me disait toujours, c'est bien peu, Monsieur Franck ; et cependant toujours la pièce d'or pour Monsieur Franck.... Parbleu ! Il me vient une idée... Oui, ma foi... Excellente !... Lumineuse, au lieu de brûler tous ces papiers, gardons-les... Cachons-les... Je quitterai cette ville, j'irai à Paris, j'y porterai tous ces ouvrages, je les y vendrai comme de moi ; je m'y ferai auteur, comme tant d'autres... Se mettre à son bureau, se frotter les mains, essayer ses plumes, en jeter cinq ou six par terre, rêver quelques instants, se gratter le front, écrire quelques lignes, les effacer, se lever précipitamment, se promener à grands pas, revenir s'asseoir, et puis recommencer à se gratter la tête, à se frotter le front... Voilà tout : ce n'est pas si difficile d'être auteur. Il est vrai que je ne sais ni lire ni écrire, mais c'est égal ; on m'a dit qu'en France, il y avait beaucoup de beaux esprits qui n'en savaient pas plus que moi, et qui n'en avaient pas moins de réputation. Mais que me veulent ces Messieurs ?... Messieurs... Bon !... Ils me prennent pour mon maître. Messieurs... Mais asseyez-vous, je vous en prie. En vérité, Messieurs, vous me faites trop d'honneur, je ne mérite pas... De quel ouvrage parlez-vous, Messieurs ? Car j'en ai tant fait. Eh ! Vous nommez cet ouvrage, Messieurs ? Comment dites-vous, Messieurs ? Ce n'est que cela, Messieurs ? Bon ! C'est une misère ; vous en verrez bien d'autres ; j'en ai là, au moins cent, bien supérieurs. Pourquoi me faites-vous cette question là, Messieurs ? Des preuves ? Eh ! Oui, Messieurs, c'est moi. Bien certainement. Messieurs, je vous le signerais... Si je le pouvais. Hem ? Que veut dire cela, Messieurs ? Messieurs.... Messieurs si j'appelle mes gens Mais, Messieurs... un mot... un seul mot... Je vous jure que vous vous méprenez, Messieurs ; je ne suis qu'un pauvre diable... un misérable. Mais je vous jure, Messieurs, que je ne suis point auteur, que je n'ai jamais écrit une seule ligne de ma vie, que je ne suis enfin que le valet-de-chambre de Monsieur de Rothenberg. C'est ce que je demande, Messieurs : que faut-il faire ? Je vous assure qu'on ne porte pas des physionomies plus heureuses. Vous êtes trop honnêtes. Jamais, Messieurs, jamais. Qu'est-ce que c'est, Messieurs ? Je ne sais pas lire... l'écriture. Signer ? Pardonnez-moi, Monsieur ; mais cela m'est impossible. Je ne le peux pas. Miséricorde, Messieurs ; je vous jure par tout ce qu'il y a de plus sacré, que je ne suis qu'un pauvre valet. Que je ne sais ni lire, ni écrire. Si vous ne m'en croyez pas, permettez-moi d'appeler quelqu'un de la maison qui vous l'attestera. Eh ! Voilà justement Monsieur Robert ; mon cher Monsieur Robert, venez donc me sauver. Eh ! Oui, Messieurs ; je me suis tué de vous le dire. C'est une mauvaise plaisanterie de la part de ces Messieurs... Venez m'aider à brûler tous ces vilains papiers. Oui, Monsieur m'en a donné l'ordre. Maudits papiers... Ah ! Le sot métier que celui d'auteur. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_LETENDRE *date_1779 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_letendre Ne vous dérangez pas, Monsieur... De grâce ne vous dérangez pas, nous serions fâchés de vous faire perdre quelque idée brillante, quelque trait charmant.... Nous savons trop combien la moindre distraction est cruelle pour un auteur tel que vous. Nous ne vous interromprons pas longtemps dans vos charmantes occupations. De la modestie ! C'est le sceau du vrai talent. Il y a longtemps qu'on n'en a vu un pareil. Quelle vis comica dans les anecdotes ! Mais, de votre dernier, Monsieur. Qui met le sceau à votre immortalité. Ah ! Vous feignez en vain de l'ignorer... Pouvez-vous renier le plus brillant de vos enfants ? Vous seul étiez en état d'écrire les Portraits du jour. Les Portraits du jour. Que cela ? Nous ne doutons ni de votre facilité, ni de votre génie ; mais vous ne ferez jamais rien de mieux, rien de plus fort que les Portraits du jour, car c'est vous qui les avez faits. Nous craignons que par un excès de modestie, déplacée sans doute, vous ne vouliez pas avouer cet ouvrage. Oui, Monsieur ; mais vous sentez bien qu'il faut que nous soyons certains, par votre propre aveu, que vous en êtes l'auteur. C'est vous ? Cela suffit. Parlez bas ; nous sommes chargés de la part de Monsieur le Comte de Vander-Alte, que vous avez lâchement outragé dans votre affreux libelle, de vous donner une petite correction littéraire. Parlez bas, ou... Nous sommes pressés, et nous n'avons pas un seul instant à perdre. Nous le savons bien... Nous devons vous en appliquer vingt-cinq... Faites les choses de bonne grâce. Mauvaise défaite... Vous nous donnez votre parole d'honneur de n'en jamais parler. Lisez, Monsieur. Monsieur a un peu d'humeur... Je vais vous le lire. « Je reconnais avoir reçu de Son Excellence, Monsieur le Comte de Vander-Alte, par les mains de messieurs le Tendre et la Douceur, (ce sont les noms de vos très humbles serviteurs), vingt-cinq coups de bâton, pour prix des infâmes calomnies que je me suis permises contre lui, dans mon libelle intitulé les Portraits du jour, dont je lui demande pardon, et lui fais réparation. À Vienne, ce 1er mai 1797.» Voulez-vous bien signer ? Oui, Monsieur, signer. Monsieur ne veut pas signer ? J'en suis bien fâché, Monsieur ; nous avons l'ordre exprès de Monsieur le Comte de VaNder-Alte, d'apporter votre signature, en de vous faire expirer sous le bâton. Défaite... Nous vous l'expliquerons, Monsieur ; mais point de bruit... Qu'est-ce que c'est que ce Monsieur là ? Son valet-de-chambre ? En ce cas, pardon, Monsieur Franck, du petit quiproquo... Serviteur. **** *creator_beaunoir *book_beaunoir_libellistes *style_prose *genre_drame *dist1_beaunoir_prose_drame_libellistes *dist2_beaunoir_prose_drame *id_LADOUCEUR *date_1779 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ladouceur Nous venons seulement rendre hommage à votre mérite, et vous témoigner, au nom du public entier, tout le cas qu'il fait de vos rares talents. Nous sommes étrangers, et prêts à retourner en France nous n'avons pas voulu quitter cette ville, sans voir son plus beau génie. Votre dernier ouvrage, Monsieur, est un chef d'oeuvre. Quelle force dans les portraits ! De celui qui vous confirme le titre de l'Aretin du dix-huitième siècle. Qui vous mérite l'estime et l'admiration de vos contemporains. Vous voulez en vain garder l'anonyme ; tout le monde a reconnu votre touche. C'est bien vous qui en êtes l'auteur ? D'autant plus, que nous sommes chargés de la part d'un jeune seigneur, qui en est enchanté, de vous en témoigner toute sa reconnaissance, et de vous en donner des preuves. Qu'il ne faut pas que nous donnions à un autre ce qui n'est destiné qu'à l'auteur des Portraits du jour. Bien certainement vous ? Si Monsieur voulait, tout se passerait à l'amiable. Nous ne sommes pas aussi méchants que nous le paraissons. Nous voulons bien gagner l'argent de Monsieur le Comte de Vander-Alte, mais nous serions au désespoir de vous faire aucun mal. Nous sommes sans témoins, personne ne peut savoir ce qui se passe entre nous trois. Eh bien ! Sans en venir à des extrémités qui répugnent à notre délicatesse, autant qu'à notre humanité, nous nous retirerons aussitôt que vous aurez eu la complaisance de signer ce petit papier. Mensonge. Il n'est donc pas auteur ?