**** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_comte-essex *date_1678 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_comteessex On dit que vous voulez vous assurer de moy, Madame, et que Coban craignoit ma resistance : Qu'il ne craigne plus rien, me voicy sans deffence, J'ay prevenu⁎ vostre ordre. Je parois devant vous avec quelque assurance, Fier de vostre justice et de mon innocence. Je viens de vostre haine et de la trahison, Sans crainte, avec respect vous demander raison. Vostre injuste courroux n'a rien que j'apprehende. Vous me devez justice, et je vous la demande. Vous voyez mon desordre et je le sens trop bien. Jamais trouble pareil n'est entré dans une ame. J'ay grace au Ciel encor l'honneur de vostre flâme ; Et malgré cét amour qui vous parle pour moy Vous croyez l'imposture et doutez de ma foy, Vous jettez sur mon nom une tache si noire. Je suis né, j'ay vécu, j'ay tout fait pour la gloire ; Ma Reine cependant a pû me soubçonner, Et déjà dans son cœur semble me condamner. Elle croit le raport de ces esprits serviles, Des infames Cobans, des Ralegs, des Ceciles, Que la haine et l'envie animent contre moy, Pestes de Cour, sans nom, sans courage et sans foy, Sans vertu dans la paix, sans valeur dans la guerre, La honte et le mépris de toute l'Angleterre, Flatteurs interressez, Delateurs achetez. Que dira-t'on de vous si vous les écoutez ? Vos témoins ! Quels que soient ces témoins oseront-ils paroistre ? Quoy vous croyez de moy tant d'infidelité ? Qu'un coup de foudre, ô Ciel ! montre la verité. Brise de l'imposteur la teste criminelle, Ou ne m'épargne pas si je suis infidelle. Ainsi la calomnie avec impunité Triomphe auprés de vous de ma fidelité ? Ainsi tout ce qu'ont fait mon zele et mon courage, Cét Empire sauvé d'un assuré naufrage, Pour vous et pour l'Etat tant de sang répandu, Mes travaux, mes exploits, mon nom, j'ay tout perdu. Si l'on m'oste l'honneur, je renonce à la vie. Achevez, fecondez et la haine et l'envie. Regnez, menacez-moy du plus affreux trépas, Je n'avoüeray jamais un crime qui n'est pas. Avec ces faux écrits on voudroit me confondre ; Mais, Madame, voila comme il y faut répondre, Et si de tels témoins font douter de ma foy, Je laisse à mes exploits à répondre pour moy. Amy, vous me voyez, sous le coup qui m'accable, Des caprices du sort un exemple effroyable. Ma naissance, mon bras, l'amour et la faveur Avoient au plus haut point élevé ma grandeur : Par un fatal revers la fortune infidelle Me renverse à ses pieds et ma chûte est mortelle. Inconstante Maîtresse, idole des grands coeurs, Tu me flattois fortune et voila tes faveurs. Tu ne m'as point trompé, je connois ton caprice ; Mais c'est un peu trop loin pousser ton injustice. Elle veut qu'à ce prix je conserve ma vie ? J'ay vû sans m'ébranler sa bonté, son courroux : Faut-il combattre encore un amy tel que vous ? D'un indigne attentat m'avez-vous crû capable ? Comte, vous me croyez à ce point temeraire ? Voila le coup fatal qui comble ma misere. Je ne me plaindray plus de mes fiers ennemis : Ce nom seul contre moy leur rendoit tout permis. Je ne me plaindray plus du courroux de la Reine : Le soubçon suit toujours la grandeur souveraine. Mais vous cher amy, vous à qui toûjours mon cœur Confia ses secrets avec tant de candeur, Vous soubçonnez ma gloire avec tant d'injustice ? Ah ! que dès ce moment on m'envoye au supplice. Mon crime est trop certain sans rien examiner ; Mon plus fidelle amy vient de me condamner. Malgré les imposteurs qui noircissent ma vie, J'ay crû dans vostre cœur pouvoir braver l'envie, Et je me contentois du bonheur pretieux De me voir innocent et de l'estre à vos yeux. Cher amy ce conseil est trop facile à suivre ; Je crains peu le trépas et j'ay honte de vivre : Dans l'état où je suis, accablé, malheureux, Accusé, prisonnier, et sur tout amoureux Avec tant de tendresse et si peu d'esperance.... Vous voyez sa beauté, mais vous ne sçavez pas, Quels tresors sont cachez sous ses jeunes appas. Une ame grande et belle, une noble tendresse, Une foy sans exemple, un amour sans foiblesse, L'adorer en secret et l'aimer sans espoir, Craindre un amour qu'enfin la Reine peut sçavoir, Est-ce vivre ? non, non, méprisons une vie Qui ne peut échapper aux fureurs de l'envie. Ses perfides desseins se font assez connoistre : Allez ne craignez rien. Est-ce vous que je voy ? D'où me vient cét honneur ? Vous venez insulter⁎ au malheur qui m'accable. C'est sans doute à vos yeux un sujet agreable. Pour le cœur de Coban ce triomphe est bien doux. Qu'un semblable discours cache mal vôtre feinte, Et qu'on verroit en vous de desordre et de crainte, Si par un lâche aveu je daignois acheter Le pardon des forfaits que l'on m'ose imputer ! Un semblable conseil seroit pour vous à suivre, Coban, j'aime l'honneur et vous aimez à vivre. Ce conseil qu'un grand cœur n'a jamais pardonné, Je le laisse, Coban, à qui me l'a donné, Et dans un autre temps.... Le Ciel éclaircira vos noires trahisons. Je sçay que vôtre envie Fût toûjours d'obscurcir la gloire de ma vie. Coban se fit toûjours des projets de grandeur Sur l'éclatant débris de toute ma faveur. Je sçay tous ses complots et tous ses artifices, Ses billets supposez, ses témoins, ses complices, Et si je ne peris en victime d'Etat, Je scay que par un lâche et secret attentat.... Vous m'entendez. Hé bien puisqu'il le faut j'avoûray mes forfaits. Vous vous troublez, Coban, est-ce crainte, est-ce joye ? Puisque vous le voulez, allez sans differer, Luy dire qu'à ses pieds je vay tout declarer Et de mes actions avoûer les plus noires, Luy demander pardon de toutes mes victoires ; Luy demander pardon du sang que j'ay versé, D'un monde d'Ennemis à ses pieds renversé ; Luy demander pardon d'avoir contraint l'envie A force de vertus, d'attenter sur ma vie. C'est de quoy vôtre esprit vouloit estre éclaircy ; C'est tout ce que j'ay fait, je le confesse aussi, Et je ne puis nier à toute l'Angleterre Des crimes si connus presque à toute la Terre. Non, Coban, arrestez. Allez luy dire encor toutes vos lâchetez. J'ay part à vos forfaits et ce fût là mon crime D'avoir voulu pour vous surprendre⁎ son estime, De vous avoir souffert ainsi que vos pareils Infecter son esprit par vos lâches conseils, D'avoir à vos amis par trop de complaisance Pour les plus grands emplois donné la preference ; De vous avoir enfin laissé jusqu'en ce jour Par vôtre politique empoisonner la Cour. J'en demande pardon à la Reine, à l'Empire. C'est ce que de ma part vous avez à luy dire. Venez, venez, Duchesse, et par vostre presence A ce cœur accablé rendez quelque esperance. L'entretien de Coban m'a mis au desespoir. Je vous l'avois prédit, vous le sçavez, Madame, Qu'un grand malheur suivroit ma fortune et ma flame. Dans le temps que la Reine en formant ma grandeur M'apelloit par degrez à toute sa faveur, Je vous aimay, Madame, et mon rang favorable Obtint pour vous prés d'elle une place honorable. Je partageay mes soins entre ma gloire et vous, Et dans ce temps heureux, dans ce moment si doux, La Reine par vos soins m'expliqua sa tendresse : Mon front plus d'une fois rougit de sa foiblesse. Je craignis cét amour et pour vous et pour moy, Tant d'honneur à la fois me donna de l'effroy, Je voulus au peril de toute ma fortune Interrompre le cours d'une flame importune, Je voulus éviter les yeux de nos jaloux, Vous donner tous mes soins, ne vivre que pour vous Et dans un lieu plus bas dérober à l'envie Ma gloire, mon repos, mon amour et ma vie. Vous rompites le coup que j'avois resolu ; Me voila dans les fers, vous l'avez bien voulu. Cependant vous voyez que la Reine elle-mesme, Loin de me faire part de la grandeur suprême, D'un infame destin menace ces beaux jours Que j'avois destinez à nos tendres amours. Ainsi de tous côtez nostre peine est extréme. Ainsi je crains pour vous bien plus que pour moy-mesme. Abandonnez ma vie à la rigueur du sort, Vos jours sont en peril, sauvez-vous par ma mort. Après ma mort Coban n'aura plus rien à dire. J'iray donc m'accuser des plus noirs attentats, Et me deshonorer pour racheter ma vie. M'aimerez-vous couvert⁎ de honte et d'infamie ? N'exigez rien de moy qui me fasse rougir. Sauvez, sauvez ma gloire et disposez du reste. Où me voy-je reduit ! Il est donc veritable Que la Reine et l'Etat me traitent de coupable. Dequoy m'accuse-t'on ? à peine ma memoire Que devroient occuper d'autres soins pour ma gloire A mon ame indignée ose representer Les crimes odieux que l'on m'ose imputer. Je suis donc accusé de quelque intelligence⁎ Avec une ennemie et jalouse Puissance : Les Irlandois, dit-on, ces fameux revoltez Ont receu de ma part des lettres, des traitez, Ont receu de ma main des secours infidelles, Quand cette mesme main punissoit ces rebelles ; Un tel soubçon peut-il estre mieux effacé Que par leur propre sang que ma main a versé ? On m'accuse d'oser pretendre à la Couronne. Cependant aussi-tost que la Reine l'ordonne, J'abandonne l'armée et sans autre secours Je viens mettre à ses pieds ma fortune et mes jours. Mais on a vû pour moy la populace armée, La Cour en prend ombrage et paroist allarmée. Si j'ay l'amour du peuple est-ce un crime pour moy ? Son zele et sa faveur ébranlent-ils ma foy ? On me voit au peril d'une prison certaine, Desarmé, me livrer au pouvoir de la Reine. Ce sont là mes forfaits ; combattre heureusement, M'immoler pour l'Etat, obeïr promptement, A tous mes ennemis me livrer sans deffence, M'assurer⁎ sur ma Reine et sur mon innocence : Voila mes attentats. Mais quelle lâcheté Semble icy me soumettre à votre authorité ? Faudra-t'il devant vous que je me justifie ? Que la Reine à son gré dispose de ma vie ; Mon sort independant du reste des humains Releve d'elle seule, il est tout dans ses mains. Un Raleg, un Coban, auront-ils l'assurance De vouloir sur mon sort prendre quelque puissance ? Puis-je, Salisbery sans fremir de courroux Les voir tous deux assis en mesme rang que vous ? Ou pour ou contre moy j'abhore leur suffrage. C'est pour mes ennemis un trop grand avantage De voir abandonner par une injuste Loy A des hommes comme eux un homme comme moy. Luy qui s'aime luy seul, qui seul se considere, Coban tranche⁎ du Juge équitable et sincere. Achevez, prononcez l'Arrest de mon suplice. L'imposture triomphe et je n'ay plus d'espoir. Qu'un prompt trépas m'arrache à l'horreur de les voir. En faut-il davantage ? Je ne changeray point de cœur et de langage. Vous sçavez ce que c'est qu'un cœur comme le mien ; Je n'ay rien à repondre à qui me connoist bien. Que me demandez-vous, en me voulant sauver ? Ne me faites point grace, ou daignez l'achever. La honte, les malheurs où m'expose l'envie, Me laissent-ils encor quelque amour pour la vie ? Pour l'Etat et pour vous j'ay prodigué mes jours : Faut-il par le desir en prolonger le cours, Des lâches trahisons avoüer la plus noire ? La vie est-elle un bien s'il m'en coûte ma gloire ? Un cœur comme le mien qui brave le trépas, Ne trouve rien d'aimable⁎ où la gloire n'est pas. Supposez un forfait encor plus honorable, L'innocence, Madame, est toûjours plus aimable⁎. Qu'est-ce qui m'a rendu digne de ces emploits, De ce sublime rang qui m'aprochoit des Roys ? N'est-ce pas ma vertu ? si vous m'aimiez, Madame, Noircy de ces forfaits dont je fremis dans l'ame, Je le dis hardiment, il me seroit plus doux, D'estre digne de vous que d'estre aimé de vous. Si vous pouvez m'aimer, quoy que chargé d'un crime, Cet amour m'est bien cher, mais vaut-il vostre estime ? Un Amant de la sorte a de foibles apas, Et l'amour meurt bien tost où l'estime n'est pas. Vous me le commandez, quel est vostre dessein ? Abuse-t'on ainsi du pouvoir souverain ? J'ay toûjours respecté la grandeur souveraine ; Nul n'a porté si loin les ordres de ma Reine, Je n'ay rien menagé pour les executer ; Les plus affreux perils n'ont pû m'épouvanter. Vostre voix redoubloit ma force et mon courage : J'ay vaincu, j'ay tout fait, je ferois davantage, Mais le sacré pouvoir que je dois adorer, Ne sçauroit me contraindre à me deshonorer, Je n'ay pas moins d'horreur, malgré vostre colere, D'avoüer des forfaits, que j'aurois à les faire, Et me le commander c'est me faire une loy Trop indigne, Madame, et de vous et de moy. Ne vous emportez point : j'oppose à vostre haine, Cet aneau pretieux, ce present de ma Reine. En vous rendant ce gage, il faudra malgré vous, Vous me l'avez promis, forcer vostre couroux. Mais estant innocent, je ne veux point de grace, Et dussay-je perir du coup qui me menace, On ne me verra point par ce honteux secours Racheter lâchement le reste de mes jours. Madame, on me permet encore de vous voir. Est-ce grace ou rigueur quand je n'ay plus d'espoir ? Ah ! vous estes perduë. O destin trop contraire ! Je pardonnois au sort sa derniere rigueur Ses traits les plus mortels n'alloient pas jusqu'au cœur. Je mourois innocent par les traits de l'envie, Fatigué de grandeurs, je méprisois la vie, Pour me faire un grand nom j'avois assez vaincu, Pour vivre après ma mort j'avois assez vêcu ; En vivant plus long-temps mon ame embarrassée, Avoit de quoy trembler pour ma gloire passée ; Je voy qu'un prompt trépas la met en seureté. Mesme en perdant icy rang, espoir, liberté, Je vous laissois auprés d'une auguste Princesse, Le rang qui vous est dû, sa faveur, sa tendresse ; Dans un autre moy-mesme heureux apres ma mort, Qu'avois-je à reprocher aux cruautez du sort ? Mais hélas ! je vous perds, le coup qui vous menace, M'oste tout ce qui peut consoler ma disgrace. Une Reine abusée, une Amante en courroux... Je prevois mille maux dont je tremble pour vous. Non, non, je la connois, nostre perte est certaine. Dût-elle nous laisser la liberté, le jour, Daignera-t'elle aussi nous laisser nostre amour ? Il faut briser le noeud qui joint mon sort au vostre, Il faut que nos deux cœurs s'arrachent l'un à l'autre, Renoncer pour jamais aux douceurs de nous voir, Ou vivre sans amour, ou vivre sans espoir. La vie est à ce prix un suplice effroyable. Ah ! vous ne mourrez point : si c'est trop de bassesse, De prier pour ma grace une injuste Princesse, Je puis avec honneur la demander pour vous : Je puis mesme forcer sa haine et son courroux. Le secret dont je vay vous faire confidence, Demanderoit sans doute un eternel silence ; Mais quelque soit enfin cét important secret, Quand on sert ce qu'on aime on peut estre indiscret. La Reine dont j'ay craint la faveur inégale, Voulut par le present d'une bague fatale, M'assurer pour jamais de sa fidelité, Contre son changement me mettre en seureté, Et me donner enfin une pleine esperance, De tout ce que le Ciel a mis en sa puissance. Je me suis jusqu'icy refusé ce secours, J'ay ménagé ma gloire au peril de mes jours. Mais quand il faut pour vous emporter la victoire, Je prens soin de mes jours au peril de ma gloire. C'est ce don pretieux.... Menagez ce secours pour un autre moy-mesme, C'est par là que je veux conserver ce que j'aime, Sans cela point de grace.... Ah ! ce n'est pas ainsi qu'on sauve l'innocence. Allez vous opposez à cette violence. Vostre frere nous perd. Vous voyez son courroux, allez sans differer Faire rendre à la Reine entiere obeissance. Dittes à ces mutins que leur secours m'offence, Et si mon bras avoit la liberté d'agir, J'irois venger la Reine et la faire obeir. Ce reproche sanglant et qui semble plausible, S'il estoit bien fondé me seroit trop sensible. Mais pourquoy vous oster si proche du trépas Une erreur qui me perd et ne vous déplaist pas ? Madame, je suis las d'attendre mon supplice, Daignez haster ma mort et faites-vous justice. Puisque vous le voulez je parleray Madame, Je puis bien avoüer le crime de ma flame. Il est trop glorieux pour le dissimuler. Est-ce un crime d'avoir soupiré pour un autre ? Si cét amour est né sans connoistre le vostre ? Vous sçavez ce que c'est qu'une premiere ardeur, Qu'un instinct invincible attache au fond du cœur . Ayant sçû vos bontez, si ma bouche discrette, Vous a tû si long-temps ma passion secrette, Loin de vous abuser j'ay fait paroistre au jour Ce qu'auroit fait pour vous le plus fidelle amour. Ne pouvant arracher ce que j'avois dans l'ame, J'ay fait aller mon zele au delà de ma flame. Par quels puissants efforts, par quels nouveaux secours, Ay-je presque étouffé ces premieres amours ? Pour vous plaire, peut-estre avec trop de foiblesse, J'ay renfermé mes feux, et dompté ma tendresse. Je vous donnay mes soins, mes respects, mes desirs, Tout mon temps, et Clarence, à peine eut mes soupirs. Pour guerir son amour, et pour servir le vostre, Ne pouvant l'obliger à vivre pour un autre, Par des emploits de guerre éloigné de la Cour, Je voulus par l'absence éteindre mon amour. Pour vous seule j'aimay, je cherchay la victoire, J'occupay mon esprit des soins de vostre gloire, Et Clarence surprit à peine en sa faveur Quelque foible desir dans le fond de mon cœur. Si j'ay perdu mes soins quand je vous ay servie, De ce que je vous dois payez-vous par ma vie. Permettez seulement qu'en finissant mon sort, Pour le prix de mon sang, pour le fruit de ma mort, Je demande à vos pieds la grace de Clarence. Je ne vous diray point quelle est son innocence, Avec quelle tendresse elle a parlé pour vous ; Je ne vous diray point quel genereux courroux, Quelle ardeur, quels efforts, son courage⁎ fidelle, Employe en ce moment contre un frere rebelle, Et mesme avec quels soins pour vous faire obeir, On la voit travailler peut-estre à se trahir.                p. 66 Si vostre amour se veut faire quelque justice, Pour la peine du crime acceptez mon supplice. Que si pour vous venger ma mort ne suffit pas, Je veux bien avoüer les plus grands attentats ; Vous demander pardon, par ce nouveau langage, Immoler à vos pieds ma gloire et mon courage, Et pour vous épargner un horrible forfait, Confesser, m'imputer ce que je n'ay pas fait. Expliquez-vous si mal..... Hé bien il faut mourir. Il faudra donc, Madame, Finir d'assés beaux jours par une main infame. Quelque horrible que soit la rigueur de mon sort, Pour vous plus que pour moy, je me plains de ma mort. Vous pleurerez un jour une mort trop cruelle Qui vous oste un sujet innocent et fidelle. Pour la gloire et pour vous j'ay vécu seulement ; Faut-il qu'on me condamne à mourir autrement ? Faites vostre devoir, qu'on me mene au suplice, Ciel, fais tomber sur moy toute son injustice. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_elizabet *date_1678 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_elizabet Monstre d'ingratitude, Ton crime est à mon cœur la peine la plus rude, Le plus cruel tourment que le Ciel en courroux, Que l'enfer ait jamais inventé contre nous. Le Comte a pû commettre une action si noire ! Il manque à sa Patrie, à sa Reine, à sa gloire ! Cét amy qui me fut si cher, si pretieux, Toûjours heureux et grand, toûjours victorieux, L'ame de mes Etats, l'objet de ma tendresse ; Que dis-tu ? que fais-tu malheureuse Princesse ? On pourroit t'écouter : parmy tes déplaisirs Rappelle ta fierté, devore tes soupirs, Et pour ceder sans honte au torrent qui l'entraine Fais taire ton amour et fais place à ta haine. Qu'on ne m'en parle plus. Vos soins sont superflus. Je sçaurais bien sans vous punir sa perfidie. S'est-on saisi du Comte, et seray-je obeïe ? Je veux sans plus tarder.... Hé quoy, vous vous troublez. Allez, Coban, allez, faites vostre devoir. Qu'il meure si l'ingrat resiste à mon pouvoir. Je le connois, Duchesse, il voudra se deffendre, Son intrepide orgueil ne voudra pas se rendre. Je le voy triompher une épée à la main, Forcer les miens, braver mon ordre souverain, Venir jusqu'en ces lieux m'arracher la Couronne, Et porter l'attentat jusques sur ma personne. Le Comte ! Est-ce son desespoir, Ou sa fierté qui vient defier mon pouvoir ? Osez-vous en ces lieux Avec cette fierté vous offrir à mes yeux ? Oüy, je vous la rendray. Sortez. Leve les yeux : Regarde enfin ta Reine et ces augustes lieux Où les profusions de ma main liberale, Et de ton ascendant la puissance fatale T'ont fait un sort si grand et si peu merité. Meurs de honte en voyant ton infidelité. Aprés t'avoir fait part de la toute-puissance, Aprés avoir si haut relevé ta naissance, Aprés t'avoir comblé de tresors et d'honneurs, Je n'ay pû te soûler⁎ de gloire et de grandeurs. Il falloit de ma teste arracher la Couronne. Respectant peu les loix que nostre sexe donne, Tu me croyois peut-estre indigne de regner. Ce sexe toutefois que tu veux dédaigner, A fait souvent honneur à la grandeur supréme. Sans porter une épée on porte un diadême, La vertu, la raison font la grandeur des Rois, Sans répandre du sang on peut donner des lois, L'art plûtost que la force écarte la tempeste Et le bras sur le Thrône agit moins que la teste. Tu t'es fermé les yeux sur cette verité. Le Comte de Tyrron ce fameux revolté, T'a sans doute inspiré l'ambition de l'estre. Tu crus que ton pays te demandoit un Maistre. L'Espagnol, l'Ecossois ont ébranlé ta foy. Tu t'es laissé tenter à ce grand nom de Roy. Ah ! n'en avois-tu pas la puissance et la gloire ? Ingrat, loin de mes yeux perdis-tu la memoire ? Ta Reine t'honorant de toute sa faveur N'estoit-ce pas assez de regner dans son cœur ? Mon amour qui devoit te rendre plus fidelle, Je le voy bien, c'est luy qui t'a rendu rebelle : Luy seul à tant d'orgueil t'a fait abandonner, Et c'est aussi luy seul qui te veut pardonner. A ma confusion j'avoüeray ma foiblesse, Mon courroux ne sçauroit dedire ma tendresse. Si tu me vois rougir de ma facilité, Pour ne pas rougir seule aprés tant de bonté Daigne avoüer ton crime et joüir de ma grace. Tu changes de couleur, qu'est-ce qui t'embarrasse ? Quand je veux t'obliger toy-mesme à t'accuser Je t'aime et m'aime trop pour vouloir t'abuser ; Car enfin si mon cœur fait grace à ce qu'il aime, Je sens bien que ce cœur se fait grace à luy-mesme. Je te dis ma foiblesse et tu ne me dis rien. Par cét emportement de zele pour ta gloire Crois-tu sur la Justice emporter la victoire ? Pourquoy te déguiser par d'inutiles soins ? Tu ne sçaurois jamais confondre mes témoins. Oüy, perfide, et tu les dois connoistre. Voy cette lettre écrite au Comte de Tyrron. Peux-tu desavoüer tes armes et ton nom ? Tes messagers surpris et témoins trop fidelles D'un commerce secret avec des Chefs rebelles, Le peuple et les soldats gagnez par tes bienfaits, Tes ressorts criminels pour empescher la paix : Tu t'émeus, tu pâlis, et le remords imprime Sur ton coupable front la marque de ton crime. C'est fort mal ménager ma gloire et mon estime : Ce billet déchiré redouble vostre crime. Je voulois te soustraire à la rigueur des Lois, Ingrat, je te voulois absoudre par ma voix. Ma gloire en ta faveur s'est presque dementie, Seule j'estois icy ton juge et ta partie ; Ton juge et ta partie alloit parler pour toy ; D'autres Juges, ingrat, te parleront pour moy. Gardez ce fier orgueil, prouvez vostre innocence, Le temps presse, cherchez une prompte deffence. Les témoins sont tout prests et vous n'irez pas loin, Armez-vous de vertu vous en aurez besoin. A moy Gardes, à moy. Veillez sur sa personne, Qu'on ne le quitte point, c'est moy qui vous l'ordonne, Vous ferez sa prison de cét appartement. Mais qu'est-ce que je sens ? quel lâche mouvement, Quelle indigne pitié s'eleve dans mon ame ? J'écoute l'un et l'autre, et j'aime vostre zele ; Mais de tous vos conseils quel est le plus fidelle ? Reunissez vos soins, je m'abandonne à vous. Soutenez ma bonté, soutenez mon courroux. Tous deux voyez le Comte et menagez ma gloire. Qu'il me confesse tout, j'en perdray la memoire. Ramenez s'il se peut ce courage indompté. Flechissez son orgueil sans trahir ma fierté. Pour l'obliger enfin à rompre le silence, Essayez tout, colere, adresse, complaisance. Vous, flattez, menacez, Et vous, priez, pleurez. Osteray-je à l'Etat ce glorieux secours ? Faites, faites, Coban, qu'il obtienne sa grace : Ou qu'il parle, ou qu'il meure, allez, obeïssez. Quoy ce fier criminel ne veut pas obeir ? Salisbery, Coban, n'ont peu rien obtenir. Clarence, c'est en vous seulement que j'espere. Le Comte n'eut jamais rien de secret pour vous. Il a donc avoüé..... Vous pouvez me tout dire, en faveur de sa gloire Je veux tout oublier et je ne veux rien croire. Mais enfin contentez ma juste impatience, Le Comte veut-il rompre, ou garder le silence ? Veut-il dans son orgueil toûjours perseverer ? Mais parmy sa douleur, dans tout son entretien Il cherche à m'abuser et ne confesse rien. Vous avez avec luy concerté ces allarmes, Ce zele, ces respects, ces douleurs et ces larmes. Quel orgueil indomptable ! il aime mieux mourir.... Il mourra, vous voulez en vain le secourir. Vostre cœur et le sien sont trop d'intelligence⁎.            p. 29 Ciij Il n'a pour moy qu'orgueil, faux respect, deffiance, Il brave mon amour, ma faveur, mes bienfaits. Ne m'en parlez jamais. Vous ménagez fort mal l'honneur de ma tendresse, Vous n'abuserez plus tous deux de ma foiblesse. Je veux pour le juger qu'on s'assemble aujourd'huy. Le sort en est jetté, plus de grace pour luy. Allez, qu'on se separe. Ingrat pour vous encor, ma bonté se declare. J'ay suspendu l'Arrest, j'ay vaincu mon couroux, Que ferez-vous pour moy, quand je fais tout pour vous, Vostre cruel orgueil ne veut-il pas se rendre ? De l'aveu que je veux pourra-t'il se deffendre ? Un cœur comme le vostre et grand et magnanime, Rend l'attentat illustre et consacre son crime. Si les charmes du Thrône ont tenté vostre bras, Vous me deviez punir de ne vous l'offrir pas. Je vous l'ay déjà dit le régne d'une femme, Vous a fait murmurer dans le fond de vostre ame, Et vous fit presumer que vous pouviez trahir, Celle qui vous laissoit la honte d'obeïr. Aimons comme je veux, daignez enfin me croire, Et croyez un peu moins ces scrupules de gloire. Vostre crime ne peut échaper aux clartez, Aux indices pressans qu'on void de tous costez ; Mais ingrat, vous craignez qu'un jour vostre Princesse, Ne vous pût reprocher un crime, une foiblesse. Cruel, vous aimez mieux mourir que l'avoüer. Ce sentiment est beau, je dois vous en loüer. Mais songez que souvent il est beau de descendre De ces grands sentimens à l'amour le plus tendre, Que souvent sur un crime illustre et glorieux, Quand il est avoüé, l'amour ferme les yeux, Et que par cette aimable⁎ et promte déference, Des crimes avoüez valent bien l'innocence. Vous ne vous rendez point, cruel je le voy bien, A toutes mes bontez, Comte, n'accordez rien. Refusez à l'amour l'aveu qu'il vous demande ; Mais je vous parle en Reine et je vous le commande. Quel orgueil ! Coban qu'on se rassemble. Et vous qu'on le remene. Ah Clarence ! le Comte est plus traitre que luy. Vous me voyez la rage et la fureur dans l'ame. Sans doute on vous a dit quel genereux effort L'enleve à la Justice et l'arrache à la mort : Cét ingrat cependant qui brave ma clemence Plus que jamais s'obstine à garder le silence. Et son Rival ! Coban m'aimeroit ? J'ay remarqué souvent quelque éclat de sa flame. Mais ou j'ay negligé ses feux audacieux, Ou j'ay toûjours douté de la foy de mes yeux. Et puis prendre sa place ? il a donc presumé Qu'aprés la mort du Comte il pourroit estre aimé. Luy jusques là pousser un espoir temeraire ; Pretendre aprés le Comte à l'honneur de me plaire. J'aimerois mieux le Comte accusé, condamné, Que Coban innocent, que Coban couronné. Plût au Ciel que Coban eût forgé tous ces traits Qui font de mon amant la honte et la disgrace. C'est alors que Coban pourroit prendre sa place, Et que pour me vanger, sans crainte et sans douleur J'en ferois le sujet de toute ma fureur. Quel triomphe pour moy, quel spectacle agreable, De faire à l'imposteur le destin du coupable, Et de voir dans le sang d'un traitre et d'un jalous En ranimant ma joye éteindre mon courroux ! Du transport que je sens je tire un bon augure. Allons sans plus tarder éclaircir l'imposture. Que l'on cherche Coban. S'il veut dissimuler, Il aime, c'est assez nous le ferons parler. Ne craignez rien, l'amour est au dessus des lois. Allons voir s'il le faut absoudre par ma voix, Et jetter sur Coban et la peine et le crime. Ah, que j'aurois de joye à changer de victime ! Je vous faisois chercher, Coban : enfin le Comte Ne nous bravera plus, vostre fidelité Nous vange heureusement de sa temerité. Je me devois enfin un si grand sacrifice, Et je dois à vos soins cét important service. Je veux bien l'avoüer, la mort de cét ingrat Seroit pour ma Couronne une horrible disgrace Si je n'avois en vous dequoy remplir sa place. Le Ciel vous fit pour ces emplois, Et vos pareils sont nés pour la gloire des Roys. Je vous connois Coban, et mesme des soupirs Qui par trop de respect n'osent se faire entendre, Et qu'on a pris le soin de me faire comprendre.... Vous vous troublez, et ce trouble à mes yeux Offre ce qu'on m'a dit et me l'explique mieux. L'audace est noble et belle alors qu'elle est heureuse. Remettez-vous, Coban, des sujets comme vous, Meslant à leurs respects un peu d'amour pour nous, En servent mieux leur Reine ; il n'est respect ny zele, Qui vaille les ardeurs d'un amour bien fidelle. L'amour fait les Heros, et le plus genereux Ne sert jamais si bien qu'un sujet amoureux. L'amour de vos pareils ne peut jamais déplaire. Non, non, souvenez-vous qu'après la mort du Roy, En me couronnant Reine on m'imposa la loy D'en faire un sans sortir des lieux de ma naissance : Vous, meritez mon choix par vostre obeissance. Vous vous tairez toûjours en courtisan discret, Je sçay qu'on ne sçauroit vous surprendre⁎ un secret, Moins encor l'arracher d'un cœur comme le vostre. Je ne vous presse plus ; mais dittes m'en un autre. Le Comte est condamné, rien ne le peut sauver, Sa perte est resoluë, il la faut achever. On dresse un Echaffaut dans la place publique. C'est icy qu'avec vous il faut que je m'explique. Vous avez sçû du Comte éclaircir l'attentat, Et sans doute en rival ou d'amour ou d'Etat : Dans ces occasions la politique adroitte, Mesle dans les ressors d'une intrigue secrette, Quelque artifice heureux, quelque fausse clarté, Des couleurs dont on sçait farder la verité. Ne vous emportez pas, l'air qu'icy l'on respire, Cét esprit qu'en naissant nous prîmes vous et moy, Est trop incompatible avec la bonne foy : Cette sincerité scrupuleuse et sauvage Dans la cour, entre nous n'est plus guere en usage. Je vous connois, Coban, ouvrez-moy vostre cœur, Vous enviez au Comte une injuste faveur : Vous devez le haïr, et vous m'avez servie D'ajoûter au pouvoir que j'avois sur sa vie, Le droit de le punir en criminel d'Etat, Et de m'avoir presté l'ombre d'un attentat. On me vante par tout l'innocence du Comte, Vous avez trouvé l'art de le perdre sans honte, D'employer la Justice à servir mon courroux, Ma haine avoit besoin d'un homme comme vous. Que ne vous dois-je point d'avoir fait un coupable, D'un sujet dont l'orgueil m'estoit insuportable ! Des crimes deguisez avec quelque couleur..... Donnez un autre nom à ce fameux service. Vostre crime me sert, je suis vostre complice, Et pour dire encor plus vostre crime est le mien : Parlez on m'a tout dit, ne me deguisez rien. Vous le sçavez, Coban, un orgueil inflexible Perd le Comte : craignez l'exemple, obeissez, Parlez. Ciel ! mais quel interest..... N'est-ce point un éclat de vos inimitiez ? Croiray-je ce raport, avanture funeste ? Tous deux me trahiront ? Laissez-moy, je n'ay plus besoin de vos sermens. Ah ! je ne voy que trop ces perfides Amans. Malgré leur artifice une ardeur empressée, Mille soins naturels s'offrent à ma pensée. Ay-je pû m'abuser en les voyant tous deux ? Sous la tendre amitié le secret de leurs feux, A-t'il pû si long-temps échaper à ma veuë ? Coban, tu m'as donné le poison qui me tuë. Pour servir ton amour, ou plûtost ta fureur, Que ne me laissois-tu perfide mon erreur ? Quoy des traistres par tout ? au dehors des rebelles, Au dedans des mutins, chez moy des infidelles. Je sens la pesanteur de ton bras tout puissant, Grand Dieu, la voix des pleurs et du sang innocent Qu'a versé si souvent ma noire politique, M'a fait le seul objet de la haine publique. Mon Thrône est assiegé de soubçons, de terreurs, De haine, digne prix de toutes mes fureurs. A cet affreux destin il faut que je réponde, Tout le monde me hait, haïssons tout le monde. Ou plûtost ramassons tous nos ressentimens ; Perçons de tous nos traits deux perfides Amans. Mon cœur à tant de haine à peine peut suffire, Ma haine, ma douleur souffrez que je respire. Ce n'est pas luy, c'est vous qui luy donnez la mort. J'allois tout oublier ; vostre ardeur mutuelle Fait l'horreur de son crime, et luy sera mortelle. Je ne fiois qu'à vous le nom de mon vainqueur, A vostre seule foy j'abandonnois mon cœur, Je vous fis le témoin de toute ma foiblesse, Et vous trompiez tous deux ma credule tendresse. La force du remords, l'horreur de cet affront, Vous fait baisser les yeux, fait pâlir vostre front. Vantez vostre innocence, Au crime de vos feux ajoûtez l'impudence, Perfide, je sçay tout, et Coban m'a tout dit. Dites, dites plutost que vostre passion, Secondant les fureurs de son ambition, L'attacha prés de moy sous le masque infidelle. Sous le brillant dehors d'un veritable zele. Vous vous aimez tous deux, il ne m'aima jamais. Il vouloit seulement surprendre⁎ mes biens faits, Me voler lâchement toute ma confiance, S'armer de mes faveurs, usurper ma puissance, Et sur tout, quel malheur est comparable au mien ! Surprendre⁎ mon amour quand un autre a le sien. C'est une trahison et si noire et si pleine.... Jamais traistre ne fut digne de tant de haîne. Aussi jamais courroux ne fut si bien servy. Je le verray bien-tost pleinement assouvy. Je vous verray gemir et trembler l'un pour l'autre ; Je soûleray⁎ mes yeux de son sang et du vostre, De vostre Amant, l'Etat me va faire raison, Et je me la feray de vostre trahison. Oüy, j'en donne, cruelle aux malheurs de ma vie, Au mortel souvenir de vostre perfidie. De l'air dont vous flattiez mes timides appas, Je me croyois aimée et je ne l'estois pas. Peut-estre que sans vous l'ingrat m'auroit aimée. Ah ! c'est le plus cruel de tous mes ennemis. Il n'en faut plus douter, vous l'aimez il vous aime : Cependant vous voulez, quelle injustice extréme ! Vous voulez que je sauve un sujet revolté, Et que ce soit pour vous qui me l'avez osté. En vain vous pretendez me flechir par vos larmes. Plus vous montrez pour luy de troubles et d'alarmes, Plus vous montrez d'ardeur, plus je sens que je doy Faire perir ce traistre et pour vous et pour moy. Eh, n'a-t'il pas bravé vos prieres, vos larmes ? Mais vous esperez tout du pouvoir de vos charmes, Je voy combien l'ingrat est soûmis à vos loix, N'importe, parlez-luy pour la derniere fois. Qu'on le fasse venir ! lâche et foible Princesse ! Cruelle vous voyez jusqu'où va ma foiblesse. Vous perirez tous deux si le Comte aujourd'huy Ne me demande grace et pour vous et pour luy. Quoy ! pour sauver le Comte on s'arme contre moy ? Tu veux mesme avec moy, peuple ingrat et rebelle, Elever sur le Thrône un sujet infidelle ? Cét infame Echafaut qu'icy j'ay fait dresser, Voila, voila le Thrône où je le veux placer : Ou pour mieux te punir je veux avec ta Reine Faire un Roy qui partage et mon Sceptre et ta haine, Reprendre mes fureurs, et te donner un Roy, Qui soit digne de toy, qui soit digne de moy. Ce nom redouble mon couroux, Ne m'en parle jamais, son crime est veritable ; Ce que font les mutins le rend assez coupable. Approchez-vous, Coban, le Comte est criminel, Et je n'écoute plus ce soubçon trop cruel, Qui m'a fait sans raison condamner vostre zele : Le Comte est un perfide et vous este fidelle. Je sçay tout, et ce bruit parvenu jusqu'à moy M'aprend que ces mutins me demandent un Roy. Ils osent jusques-là porter leur insolence ? Dittes tout, acchevez. Ah Coban ! c'en est trop, un si cruel outrage, Ce dernier déplaisir accable mon courage⁎. Oüy, le traistre, à Clarence ayant donné sa foy, Aimeroit mieux mourir que régner avec moy. Aprés un tel affront, aprés cette injustice, Je veux pour redoubler sa honte et son suplice, Par un sanglant reproche et par mille remords, Luy faire avant sa mort endurer mille morts. Je veux avant sa mort vous donner sa puissance, Vous donner ce qu'il perd, et mesme en sa presence. Je veux avant sa mort me faire mieux connoistre, Confondre son orgueil et luy donner un Maistre : Je veux le voir, je veux d'un objet odieux Soûler⁎ avant sa perte et ma haine et mes yeux. Qu'on me l'amene. Vous, prevenez⁎ nos alarmes, Et voyez si le Peuple est toûjours sous les armes. Que pour luy comme vous tout l'Etat s'interesse, Plus il s'emportera, moins j'aurois de foiblesse. Helas ! si vous sçaviez.... Le voicy, laissez-nous. Approche, et ne crains pas que je t'offre ma grace : Prens pour un nouveau crime une nouvelle audace. Ce n'estoit pas assez d'un horrible attentat. Quand pour justifier des trahisons d'Etat, Quand pour t'en épargner et la peine, et le crime, J'en veux charger un autre, et changer de victime ; Un crime plus affreux vient de paroître au jour. J'apprens la trahison qu'on fait à mon amour. Mon cœur fut pour toy seul capable de foiblesse, Sur toy seul j'arrestay, j'epuisay ma tendresse : Une autre est cependant plus heureuse que moy, Et tu ne m'aimois point quand je n'aimois que toy. Aprés t'avoir comblé d'honneurs et de puissance, J'ay demandé ton cœur à ta reconnoissance, L'amour mesme a parlé, je n'ay pû l'obtenir. Mais, ce n'est pas assez : ah cruel souvenir ! Ce n'estoit pas assez de n'estre pas aimée : Tu feignis de m'aimer et mon ame charmée A passé des transports d'une si douce erreur, Au mortel desespoir d'un amour en fureur. D'un crime si honteux te pourras-tu deffendre ? Ce reproche sanglant, cruel, peus-tu l'entendre ? Et puis-je t'expliquer ton crime et mon malheur, Sans expirer tous deux de honte et de douleur ? Toûjours fier et muet mesme sur un amour Que ton amante avouë et vient de mettre au jour ? C'est de ce crime seul que tu m'oses parler, Cruel, tu ne veux pas confesser à ta Reine, Des forfaits que l'on peut te pardonner sans peine, Et tu veux confesser et mesme couronner, Un crime qu'on ne doit jamais te pardonner. Tout ce qu'a fait pour moy ton devoir et ton zele, Perfide, valoit-il ce que tu fais pour elle ? A toute ma tendresse as-tu bien répondu ? Ce cœur que je voulois, ce cœur qui m'estoit dû, Il estoit à Clarence, ingrat, oses tu croire, Que tes soins, tes travaux, ton sang et ta victoire, Soient le prix de mon cœur quand un autre a le tien ? Je voulois ton amour, tout le reste n'est rien. Aimes tu jusques-là celle qui m'a trahie ? Tu ne ménages rien pour luy sauver la vie. Ton orgueil qui pour elle enfin s'est dementy, A cet effort pour moy n'a jamais consenty. Ton orgueil fut pour moy toûjours inexorable ; Mais pour elle il n'est rien dont tu ne sois capable. Ah ! je ne doute plus que tes noirs attentats N'ayent voulu par ma mort couronner ses appas. Ma couronne, ma teste, et tout ce qu'on revere, Rien n'est inviolable à l'ardeur de luy plaire. Je sçauray prévenir⁎ cét amour furieux. Qu'on l'oste de mes yeux, Ma haine enfin triomphe et finit mes malheurs ; C'en est fait. Mais que fais-je ? il m'échape des pleurs. Le perfide en mourant laisse-t'il dans mon ame Un reste mal éteint d'une honteuse flame ? Meurs amour malheureux quand tu n'as plus d'espoir. Vous y voyez l'effet de vostre trahison Au Comte, à vostre Amant il en couste la vie. Et vostre mort.... Ciel, qu'est-ce que je voy ? Et cependant la mort luy semble un sort bien doux, Lors qu'il n'espere plus pouvoir vivre pour vous. Mais n'importe, il vivra je ne puis m'en dedire. Oüy le Comte vivra. Vous, portez luy sa grace, et sans perdre un moment. Que vostre amour me rend un bon office ! Vous avez arraché le Comte à ma justice. L'amour estoit pour luy, mais l'amour en courroux L'alloit sacrifier à mes transports jaloux. Le cruel que n'a-t'il plûtost par ce cher gage, Imploré ma clemence, appaisé mon courage ! Le plaisir que me donne un si tendre retour, Vous rend mon amitié comme à luy mon amour. Qu'en cette extrémité vous m'avez bien servie ! Si le Comte fût mort j'allois perdre la vie. Allons, le Comte a redoublé ses pas, Et montré tant d'ardeur en courant au trépas, Qu'un seul moment perdu peut trahir nostre envie. O Ciel ! On m'a trahie. L'ordre de le sauver trop tard executé.... Le perfide Coban est l'Autheur de sa mort. Allez, qu'on me l'amene, et qu'un juste transport L'immole à ma justice, à ma flame, à ma haine. O Heros trop aimé dont la perte m'accable ! Ah Coban, dont le crime est horrible, execrable ! Ah trop juste vangeance ! ah trop juste douleur ! A qui de vous faut il abandonner mon cœur ? Venez, Comte, venez. Ainsi le Comte est mort et j'ay pleine asseurance, Et de mon injustice et de son innocence. L'imposteur a parlé, Coban par son raport M'assassine d'un coup plus cruel que la mort. Il meurt, mais en mourant il échape aux suplices. Comte, il te reste encor Raleg et ses complices : Il te reste ce cœur en ce funeste jour, Victime pitoyable et de haine et d'amour. Prens mon sang pour laver mon crime et ton offence. Et toy peuple mutin acheve sa vengeance. Ennemy de la Reine, et rebele à ses loix, Vange une mort injuste et sois juste une fois. Tu m'abandonnes lâche à ma propre justice. Hé bien ce souvenir sera seul mon suplice.             1580 A tout ce que j'aimois j'ay fait perdre le jour, Ce que j'aimois n'est plus et j'ay tout mon amour. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_clarence *date_1678 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_clarence Tout rit à vos souhaits et vostre ame déploye Sur ce front satisfait une maligne joye. Le Comte va perir et par un prompt retour, Se livrant tout entier aux ordres de la Cour Il prepare un triomphe aux fureurs de l'envie, Qui poursuit en secret une si belle vie. Ah Coban ! c'est donc peu qu'une haine infidelle Porte sur l'innocent une atteinte mortelle, Vous voulez m'accuser et me perdre avec luy. Mon amitié qui veut luy prester quelque appuy Passe pour un amour que je cache dans l'ame. Si vous entrez si bien dans les secrets des autres, Il me sera permis de penetrer les vostres. Si l'on traitre d'amour une tendre pitié, Quel nom donnerez-vous à cette inimitié Dont vous persecutez les amis de la Reine ? Le Comte sous ce nom merita vostre haine. Mais avant son malheur, quand il estoit à craindre Vostre haine sçavoit se taire et se contraindre. Elle éclate aujourd'huy quand il est malheureux. Ah digne Courtisan ! ennemy genereux ! Cruel je vous entens, vous me le faites voir Avec ce criminel et dangereux pouvoir, Pour augmenter ma crainte et redoubler son crime. Le Comte a pour la Reine un respect legitime Et n'est armé chez luy que pour parer les coups, De ceux qui pour le perdre osent tout comme vous. Sans braver la Justice il craint la violence. Vous le verrez bien-tost seur de son innocence Confier à la Reine et sa gloire et ses jours. Mais vous mesme craignez qu'un jour on n'éclaircisse De vos desseins secrets le coupable artifice, Et qu'enfin vous n'ayez plus à rougir que moy. Je suis jeune et Coban a sans doute de quoy Confondre mes projets et tromper ma vangeance : Vous avez plus d'adresse et plus d'experience. Mais sans m'embarrasser de vos ruses de Cour Elisabeth m'écoute et je sçay vostre amour. Ce n'est plus entre nous un mystere. Coban, tremblez, je sçais et parler et me taire. Vostre pouvoir est grand, mais je connois le mien. Si vous hazardez tout, je n'épargneray rien. Hé bien, nous perirons tous deux. La Reine vient : qu'elle est accablée, éperduë ! Iray-je en cét état combattre sa douleur ? Calmez ce desespoir. Vous voyez son respect : Madame, je le voy. Le Comte est arresté ! qu'avez-vous fait, Madame ? Apprehendez le peuple à demy soulevé. Perdre un sujet si cher, le traiter de coupable !        p. 15 Ecouter, appuyer la haine qui l'accable ! Renverser avec luy tant d'illustres projets, L'honneur de vostre Cour, l'espoir de vos sujets ! Et que fera le mien si je fais mon devoir ? Vous dois-je conseiller ou d'irriter la Reine, Ou de perdre l'honneur pour éviter sa haine ? L'infamie ou la mort ! quel horrible secours ! Faut-il sacrifier vôtre gloire ou vos jours ? Vos jours si chers, si beaux et trop dignes d'envie ? Vôtre gloire que j'aime autant que vôtre vie ? Je ne voy rien qui puisse icy nous secourir Et je viens prés de vous soupirer et mourir. Quoy pour les interests, pour le bien de ma flame, Je me reprocherois dans le fond de mon ame D'avoir à tant de gloire arraché mon amant ? Moy, je vous aurois fait descendre lâchement Pour jouïr en repos de ma flame secrette Dans les obscuritez d'une indigne retraite ? Je vous aime Seigneur, pour vous plus que pour moy. Voyant qu'icy le Thrône avoit besoin d'un Roy, Et que la Reine enfin nous devoit faire un Maistre, Je ne voyois que vous qui fût digne de l'estre. Je voulois vous ceder au Thrône de nos Rois. Que de joye eût suivy la gloire de ce choix ! Que ne repondiez-vous à l'ardeur de mon zele ? Peut-estre on vous verroit sur le Thrône avec elle. Si pour vous voir régner je vous avois perdu, Qu'ainsi vous me seriez heureusement rendu ! Pour détourner un coup dont la crainte m'accable, Aimez la Reine enfin d'un amour veritable. Le perfide Coban a connu nôtre amour. Le perfide Coban s'en va tout mettre au jour. Non, j'atteste le Ciel si mon amant expire, Que dans le mesme instant je suivray son trepas. Hà ! Seigneur, je ne crains pour vous que le trepas, Vivez, et mon amour ne vous manquera pas. Mais la Reine paroist, que je crains sa presence ; Hà ! Seigneur, vous scavez quelle est sa violence. De quelque air dont pour vous mon amour puisse agir, Laissez-moy vous tirer d'un état si funeste. Que luy diray-je ? ô ! Dieu que je crains sa colere ! Le Comte pourroit-il se défier de nous ? Que ne puis-je vous faire un recit bien fidelle De ce qu'il a pour vous de respect et de zele ? Le Comte m'a fait voir Une douleur cruelle, un mortel desespoir, De se voir soubçonné d'une Reine adorable. Qu'à toute l'Angleterre il paroissse coupable, Et qu'à tout l'Univers il devienne odieux ; Mais qu'il paroisse au moins innocent à vos yeux. Je vois qu'il a pour vous un si profond respect, Qu'il aime mieux mourir que vous estre suspect. Si dans l'emportement d'une rage insensée, Son cœur d'un seul desir vous avoit offensée, Je le connois, sa main auroit percé son cœur, Et noyé dans son sang son ingrate fureur. Il ne veut que vous plaire et que vous adorer. De grace écoutez-moy. Si vous sçaviez, Madame, Quel zéle pour l'Etat tyrannise son ame, Tandis que sa prison enchaîne sa valeur, Et retient dans ses fers une si belle ardeur ? Quoy, faut-il, m'a-t'il dit, que du sort qui m'outrage Nos cruels ennemis tirent tant d'avantage ? Et qu'une auguste Reine aide la trahison, A faire à leur vainqueur une injuste prison ? Hélas ! que deviendront tous ces projets de gloire Que m'avoit inspirez ma derniere victoire ? Que deviendra ma Reine assiegée en ces lieux, Et de ses ennemis et de mes envieux ? Vous verriez ce Heros troublé de ces allarmes Soûpirer de douleur, descendre jusqu'aux larmes. De quoy l'accusez-vous ? Ciel, qui vois les transports d'une Reine charmée, Mon Amant en peril, ma tendresse allarmée, Ciel qui dans cette Reine as mis tant de vertus, Qui vois tant d'ennemis à ses pieds abbatus, Tant de Rois amoureux ou jaloux de sa gloire, Voy quelle cruauté va soüiller sa memoire. Pour conserver au Comte et l'honneur et le jour, Aux rigueurs de la Reine oppose son amour, Ou du moins donne-luy dans ce peril extreme Tout ce qui peut servir à sauver ce que j'aime. Qu'il vive, c'est assez, c'est mon unique bien, J'abandonne le reste et ne demande rien. Ah, Madame ! je viens embrasser vos genoux, Pour toutes les bontez que vous avez pour nous. Vous conservez le Comte à tout l'Etat qui l'aime ; Au peuple qui l'adore, à Clarence, à vous mesme. Ses propres ennemis ordonnoient de son sort. Vous vous opposez seule à l'Arrest de sa mort. Quel eût esté sans vous son secours, son refuge ? Raleg l'alloit juger, Coban estoit son Juge ; Sa haine triomphoit, et ce traitre aujourd'huy.... Quel est ce changement ? que dites-vous, Madame ? Madame, voulez-vous que la peur du trépas Arrache de sa bouche un crime qui n'est pas ? Eh que n'appliquez-vous toute vostre prudence A perdre l'imposture et sauver l'innocence ? Vostre esprit qui voit tout ne peut-il aujourd'huy Deméler le coupable entre Coban et luy ? Je ne dois plus enfin vous cacher ce mistere ; Je tremble à vous le dire, et ne puis vous le taire. L'aveu de ce secret me peut estre fatal. Coban est ennemy du Comte et son Rival. Oüy, Madame. Cependant conservant toûjours la mesme audace, Il veut perdre le Comte et puis prendre sa place. C'est toutefois Coban, cét imposteur infame, De qui l'ambitieuse et jalouse flame Suppose à son Rival tant d'horribles forfaits. Cependant par vostre ordre on va juger le Comte. Pour le faire perir l'envie ardente et promte..... Le Comte est condamné tout innocent qu'il est. Pourrez-vous avoüer un si sanglant Arrest ? Coban l'emporte enfin sur nous et sur vous-mesme. Le traistre impunément nous trahit et vous aime. Lâche rival du Comte et jaloux de son sort.... De quoy m'accusez-vous ? Je pourrois démentir celuy qui me trahit, Mais je n'imite point un imposteur infame. Il peut nier son crime, et j'avoüray ma flame. Je vois vostre couroux tout prest à s'emporter, Faites-vous quelque effort et daignez m'écouter. Dés mes plus tendres ans ayant aimé le Comte, Bien loin que mon amour me fasse quelque honte, Et qu'il doive attirer sur moy vostre couroux, Apprenez, admirez ce qu'il a fait pour vous. Cét amour s'élevant au dessus de tout autre, Ce trop fidelle amour fut si fidelle au vostre, Que voyant que le Comte honoré de vos feux, Craignoit dans cet amour un bien trop dangereux, Mon amour malgré luy, luy fist garder sa place, Je voulus tout risquer plûtost que sa disgrace. Pour rompre son dessein que ne tentay-je pas ! Je l'enchaînay moy-mesme au soin de vos Etats, Aux pieges, aux perils d'une Cour infidelle, Au funeste embarras d'une grandeur nouvelle. Ah ! si vous aviez vû ce combat entre nous, De son amour pour moy, de mon zele pour vous, Mon amour à vos yeux ne seroit pas coupable. Ce que le Comte a fait, son zele infatigable, Pour le bien de l'Etat tant d'illustres projets, Une paix glorieuse acquise à vos sujets, Le bruit de vostre nom augmenté par sa gloire, Ses travaux, ses exploits d'éternelle memoire ; Mon amour a tout fait, cet amour genereux Rend vostre rêgne illustre et vos peuples heureux : Mais j'ay plus fait encor : je vous fis la maîtresse Du sort de vostre amant, de toute sa tendresse, Je vous ay tout cedé, son cœur, sa liberté, Tout son sang, tous ses jours, l'amour seul m'est resté. Si je brûlois pour luy d'une ardeur insensée, D'une inutile flame, injuste, interessée, J'aurois gardé le Comte éloigné de la Cour, Seul avec sa vertu, seul avec son amour, Comparez maintenant les crimes de ma flame, A celle que Coban vous garde dans son ame. Je vous donne le Comte, il veut vous l'enlever ; Son amour l'a perdu, le mien le veut sauver ; Pour vous et pour l'Etat je cede ce que j'aime, Coban perd tout l'Empire et vous perdra vous-même. Sur moy seule tournez cette fureur extrême. Perdre le Comte, helas ! c'est vous perdre vous-mesme. Craignez que vostre cœur ne se laisse trahir : On aime quelquefois quand on pense haïr, Et l'amour irrité qui tonne et qui menace, Souvent au fond du cœur tremble et demande grace. Mourra-t'il ce sujet si cher, si pretieux ? O Ciel ! je vois des pleurs qui tombent de vos yeux. Madame, il vous adore et son ame charmée, Vous gardera toûjours ce qu'il vous a promis. S'il vivoit pour vous seule en vous devant la vie, Pourriez-vous conserver cette cruelle envie ? Si je le ramenois soûmis à vos genoux, Si sauvé par vous seule il estoit tout pour vous.... Faut-il pour augmenter ta disgrace cruelle, Cher Amant, t'accabler d'une douleur nouvelle ? Il faut vous confier mes dernieres allarmes, Et repandre à vos yeux le reste de mes larmes, J'ay pleuré vostre mort, j'ay pleuré nos malheurs, Je dois vous annoncer d'autres sujets de pleurs. Le sort plus loin encor pousse son injustice. Coban nous a trahis et je suis sa complice. N'imputant qu'à luy seul l'Arrest de vostre mort Le cœur plein de douleur par un soudain transport, Je n'ay pû m'empescher    d'expliquer à la Reine, Ce qui donne à Coban contre vous tant de haine. L'audace de son feu vient de paroître au jour ; Mais le traistre a fait voir par un cruel retour De nos feux mutuels le dangereux mistere. Cependant vous pouvez obtenir de la Reine.... Hélas ! nous faites-vous un sort si déplorable ? La Reine a des bontez qui font tout esperer. Vostre gloire, Seigneur, dût-elle en murmurer, Faites-vous quelque effort pour appaiser la Reine, Jettez-vous à ses pieds nostre grace est certaine. Mais, las ! vostre grand cœur ne sçauroit consentir A tout ce qui paroist ou crime ou repentir, Au soin de vostre gloire abandonnez ma vie : Permettez seulement qu'en mourrant je vous die, Vous pouviez d'un seul mot, cruel, me secourir, Vostre orgueil s'en offence et me laisse mourir. Quel est vostre dessein ? Vous-mesme rendez-luy ce present de sa main. Ciel ! que me dites-vous ? Madame, les mutins r'entrent dans leur devoir. Mon frere de leurs mains a fait tomber les armes. Mais en entrant icy j'ay vû d'autres allarmes, Et n'ose qu'en tremblant en chercher la raison. Sur moy contentez vostre envie. Le Comte est à couvert⁎, il en a vostre foy. Ce don de vostre main... Revoquez vostre Arrest sans tarder davantage, Sa grace est attachée à ce pretieux gage. Avant que vous donner ce gage pretieux, J'ay crû devoir calmer un peuple furieux. Que j'ay souffert d'ennuy⁎ par cette courte absence ! Madame, permettez à mon impatience, Que j'aille... Hélas ! Son sang ne sçauroit seul laver sa trahison. Prenez le mien, ma flame injuste et temeraire, A contre un malheureux armé vostre colere. Hélas ! qu'avez vous fait de tout vostre courroux ? Faudra t'il vous venger et me punir sans vous ? O Ciel ! qui vois les maux où la douleur me livre, N'oseray-je mourir quand je ne puis plus vivre ? Ta voix me le deffend, j'obeis à tes loix, Je vivray pour pouvoir mourir plus d'une fois. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_coban *date_1678 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_coban Ah cher amy, tout flatte⁎ et soûtient nos desseins. Le fier Comte d'Essex va tomber dans nos mains : Le voila de retour ; sa prompte obeïssance Expose sa personne et trompe sa prudence. Le peuple l'aime encor, mais le peuple inconstant Ne le sauvera pas du malheur qui l'attend. Le rang de General, l'Armée et la Victoire Mettoient en seureté sa fortune et sa gloire : Il n'a plus ces secours et nos complots heureux Nous conduisent enfin aux succez de nos voeux. Quel triomphe de voir par un coup de tempeste Tomber d'un si haut lieu cette superbe teste ! Je le dis entre nous, ce qu'on admire en luy Est un sujet pour moy de fureur et d'ennuy⁎ ; Sa trop vaste grandeur est un poids qui m'accable : Son merite toûjours me fût insupportable, Et je sens de l'horreur pour luy quand je le voy Plus estimé, plus grand, et plus aimé que moy. Clarence est plus à craindre : elle a vû de mon ame Echapper pour la Reine une secrete flame. Elle peut faire un Roy : C'est par là que la Reine a des charmes pour moy. Le Comte n'estant plus, s'il faut qu'elle choisisse, Je puis briguer⁎ son choix avec quelque justice. Par des soins empressez j'y travaille en secret Sans laisser échapper un amour indiscret. Mais Clarence ayant vû cette ardeur pour la Reine, M'oblige pour le Comte à contraindre ma haine. Je la crains d'autant plus que Clarence est d'un âge, Où la prudence estant d'un difficile usage, Elle peut s'emporter par un zele indiscret. Un cœur jeune est mal propre à garder un secret. Quel qu'en soit le succez je vay luy faire entendre Que pour mes interests je puis tout entreprendre ; Qu'instruit de son amour, plein d'un juste courroux, Sans plus rien ménager.... Elle vient, laisse-nous. Madame, si la joye éclate dans mes yeux, C'est de voir un sujet superbe, ambitieux, Infidelle à l'Etat et perfide à sa Reine, L'objet de vostre amour ainsi que de ma haine, Etaler à nos yeux un de ces grands revers Dont le Ciel équitable étonne⁎ l'Univers. On ne m'abuse point, je connois vostre flâme. J'ay vû plus d'une fois le Comte à vos genoux, Et ce n'est plus enfin un secret entre nous. Non, je hay dans le Comte un rebelle, un ingrat, L'ennemy de la Reine et celuy de l'Etat. Nommez-vous malheureux un perfide, un coupable, Que son crime a rendu plus fier, plus redoutable ? Qui d'un peuple mutin se veut faire un appuy. Qui se fait un azile, une autre Cour chez luy ? Luy de qui la puissance et si vaste et si pleine Balance⁎ les destins du Thrône et de la Reine ? Il peut tout esperer avec vostre secours. Mais craignez que pour luy vostre ardeur inquiette Ne rende enfin ma haine emportée, indiscrette, Et découvrant enfin ce qui vous fait agir D'un feu que vous cachez ne vous fasse rougir. Quel amour ? Si vous parlez si haut je cesseray de feindre. Voyez le sort du Comte et commencez à craindre. Songez-y bien, craignez un pas si hazardeux : Vous vous perdez. Quelle affreuse pâleur sur son front répanduë. Iray-je en cét état irriter sa fureur ? Faut-il pour un ingrat ? Le Comte ayant chez luy ses amis assemblez, Madame, permettez s'il se met en deffence Que j'aille avec les miens forcer sa resistance. Le Comte est prisonnier, tout l'Etat est sauvé. N'en croyez pas, Madame, une fausse tendresse, Ecoutez la Justice et non pas sa foiblesse, Punissez un rebelle ingrat à vos bien-faits, Le tyran de l'Etat, l'ennemy de la paix. Est-ce ainsi qu'on ménage un Chef de conjurez ? Je ne reconnois plus cette Reine si fiere Qui voit presque à ses pieds l'Europe toute entiere, Elle à qui nous voyons tous les jours tant de Rois Demander à l'envy la gloire de son choix, Elle qui de son nom remplit toute la terre, Sur un foible sujet balance⁎ son tonnerre, N'ose lancer la foudre et ménage ses jours. Mille autres dans l'Etat peuvent remplir sa place. Qu'il parle ou non, le Comte est perdu, c'est assez. Je sçay ce que je doy. Si vous expliquiez mieux ce que je fais pour vous Vous pourriez imputer ma visite à mon zele. Mais la haine est injuste et sa voix infidelle Prevenant⁎ vôtre Esprit vous fera soubçonner Le sincere conseil que je viens vous donner. Je sçay que sur un crime ou faux ou veritable Il est toûjours honteux de s'avoüer coupable : Mais pour sauver des jours pretieux à l'Etat, Faites-vous un honneur un peu moins delicat. Eussiez-vous entrepris l'attentat le plus lâche, Le pardon de la Reine en lavera la tache Et l'Etat de nouveau tremblant sous vôtre loy N'osera plus, Seigneur, douter de vôtre foy. D'un injuste soubçon vôtre ame prévenüe⁎ Répand toûjours sur moy le venin qui la tüe. Mais dans l'affreux peril, Seigneur, où je vous voy Je vous donne un conseil que je prendrois pour moy. Je crains peu la menace Et sçay des malheureux respecter la disgrace : Le Ciel éclaircira vos injustes soubçons. De quoy m'accusez-vous ? L'Etat connoît mieux mon courage. Vous méme vous pourriez en porter témoignage, Vous m'avez vû combattre et grace au Ciel mon bras Pour perdre un ennemy ne se cacheroit pas. Mais quittons l'un et l'autre un discours qui nous gesne⁎. Que dois-je cependant raporter à la Reine ? Vous sçavez son dessein, n'avourez-vous jamais... Vôtre aveu va charmer la Reine qui m'envoye ? Est-ce là cét aveu ? Je ris du vain éclat de vôtre inimitié Et n'ay rien à repondre à qui me fait pitié. Vos témoins parleront si vous voulez vous taire : Et d'un crime noûveau nous sçavons le mistere, Dont le remords déja se peut faire sentir     Et qu'au moins vostre cœur ne sçauroit démentir. Je ne suis pas surpris que son discours m'offence. Son crime doit icy craindre nostre presence, Ma veuë à tout moment luy reproche aujourd'huy Les bienfaits que la Reine a répandus sur luy. Je l'ay veuë épuiser pour luy cette abondance Que le Thrône fournit à sa magnificence, Et trouver ses thresors un bien trop limité Pour remplir d'un ingrat l'injuste avidité. C'est ce qui fait icy sa douleur et sa rage. Pour nous rendre suspects son discours nous outrage : J'en ay senty l'affront, je ne puis le nier, Mais enfin je suis Juge et veux tout oublier. Quel transport agite ainsi la Reine. Cette inégalité d'une amante en courroux Luy peut rendre bien-tôt des sentimens plus doux ; Le Comte condamné peut toucher sa tendresse. Je connois son amour et je sçay sa foiblesse. Clarence est auprés d'elle observant les momens Où l'amour fait agir ses tendres mouvemens. Que ne puis-je, Raleg, dans le cœur de la Reine, Verser tout mon chagrin avec toute ma haine, Ou pour haster mes vœux et remplir mon espoir Avec tant de fureur que n'ay-je son pouvoir ! Elle ne l'est que trop. Le frere de Clarence Peut beaucoup dans la Ville et je crains sa puissance. Elle vient. Sonde un peuple à demy revolté. Madame, quand on sert et sa Reine et l'Etat.... Moy, Madame ? Si le zele et la foy peuvent seuls y suffire, Nul ne peut mieux servir sa Reine et son Empire. Mais je me sçay connoistre et borner mes desirs. O Ciel ! Quoy ! d'un foible sujet l'audace ambitieuse.... L'amour de mes pareils est toûjours temeraire. Ce discours me surprend, que me voulez-vous dire ? Qu'entens-je ? Je suis donc, Madame, un imposteur. Et que vous a-t'on dit ? quelle imposture horrible. Vous m'ordonnez de parler, c'est assez. J'avoüray que flatté⁎ d'un espoir favorable, En voyant dans le Comte un rebelle, un coupable, J'ay jusques sur son rang osé porter les yeux. S'il faut justifier des voeux ambitieux, Si ce n'est pas assez pour meriter sa place, Ecoutez et voyez jusqu'où va son audace. Clarence aime le Comte, et le Comte charmé Aime cette perfide autant qu'il est aimé. Tous deux d'intelligence⁎⁎ Veulent vous enlever la supréme puissance. J'ay vû plus d'une fois son Amant à ses pieds. Mais ne m'en croyez pas, faites parler Clarence. La Jeunesse et l'amour gardent mal le silence ; Et d'ailleurs les secrets que l'on cache le mieux, Madame, rarement échapent à vos yeux. Ha, Madame ! J'atteste.... Enfin je voy le Comte au bord du precipice ; Le Peuple en le servant va presser son suplice. Fortune, c'est icy que j'ay besoin de toy. L'ambitieux Coban s'abandonne à ta foy Avec une intrepide et pleine confiance. Si dans le sort du Comte on voit ton inconstance, N'importe, donne-moy ce qu'il perd aujourd'huy Au peril de me perdre et tomber comme luy. Mais tu trembles, Coban, quel remords t'embarrasse ? Détourne tes regards du sort qui te menace. Enyvré des douceurs d'un espoir glorieux, Sur la Couronne mesme ose arrester tes yeux. Mais la Reine paroist, et ses yeux pleins de rage Font briller les éclairs qui precedent l'orage. Il faut prendre son temps. L'état où je la voy.... Madame, vous voyez mon trouble et ma douleur. Voyant avec quels traits, avec quelle fureur Les partisans du Comte attaquent vostre gloire.... Que ne puis-je à jamais en perdre la memoire. C'est peu de demander le Comte pour leur Maistre. Ils disent que l'Arrest qui condamne ce traitre, Est un Arrest injuste, et qu'on a concerté, Sans vouloir toutefois qu'il fût executé. Ils disent hautement que craignant sa puissance, Et voulant affoiblir son credit et son nom, On a contre sa gloire armé la trahison. Mais qu'estant trop puissant sur le peuple qui l'aime, Ayant mesme sur vous un ascendant supréme, Vous n'oseriez le perdre, et qu'on verra l'Etat Immolé par vous-mesme au salut d'un ingrat. Bien plus... dispensez-moy d'en dire davantage. Pour un dernier outrage, Ils répandent par tout d'un ton un peu plus bas, Qu'amoureux de Clarence il brave le trépas ; Qu'il la préferoit à l'Empire, à vous mesme. Et que ne pouvant pas obtenir ce qu'il aime, Il aime mieux descendre, obeir comme nous, Il aime mieux perir que régner avec vous. A l'orgueil d'un ingrat ne vous exposez pas. Faites executer l'Arrest de son trépas. Je viens vous rendre grace au nom de tout l'Empire. Perdant son ennemy, son salut est certain. Clarence se vantoit d'avoir sa grace en main, Il descend dans la cour enflé de cette audace, Que montre un criminel asseuré de sa grace. Quel est ce changement ? O Ciel ! **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_raleg *date_1678 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_raleg Ne perdons point de temps : tout conspire à sa perte, Les soubçons apparens d'une ligue couverte⁎, Ce qu'on doit presumer d'un cœur ambitieux Que flattent⁎ des succez si grands, si glorieux ; D'un credit trop puissant les murmures, les plaintes, Les ombrages secrets et les jalouses craintes. La Reine écoute tout et de la trahison Son ame soubçonneuse avale le poison. Mais de Salisbery redoutons la puissance : Fidelle amy du Comte il prendra sa deffence. Le frere de Clarence est encor son appuy ; Le peuple quoy qu'il veüille ozera tout pour luy. Pour la Reine, Coban ? Mais aussi cét amour que Clarence a pour luy Vous sert contre elle-même et devient vôtre appuy : Vous sçavez son secret, elle a mesmes allarmes, Vous vous craignez tous deux, vous avez mesmes armes, Et parmy ce combat de zele et de courroux Quelque fâcheux éclat est à craindre entre vous. Le Comte en offensant ses Juges souverains Rend icy ses forfaits plus grands et plus certains. Vous estant recusé par pure politique Vous vous sauvez ainsi de la haine publique. Le Comte est condamné par la rigueur des loix. Nostre brigue⁎ a plus fait que n'eût fait vostre voix : En apprenant l'Arrest la Reine s'est émeuë Et n'a pû dérober son desordre à ma veuë. Quoy qu'il en soit il faut que le Comte perisse. Coban nostre salut dépend de son supplice. Si la Reine a pour luy des vœux trop inconstans, L'amour parle à son tour, mais la haine a son tems. Un moment favorable et c'est fait de sa teste, La main qui doit l'abattre est déja toute preste. Pour irriter la Reine il la faut allarmer. La revolte est icy facile à s'allumer. S'il osoit de la Reine irriter la fierté.... Je sçay ce qu'il faut faire et j'en rendray bon compte. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_salisbery *date_1678 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_salisbery Ouy la Reine permet qu'icy seul je vous voye. Mais combien de douleur se mesle à cette joye ! Ciel ! eussay-je preveu que de pareils malheurs Me coûtassent jamais des soupirs et des pleurs ? Si vous avez conceu quelque injuste dessein Confessez tout, Seigneur, le pardon est certain. A cét aveu la Reine encore vous convie. J'ay peine, je l'avouë, à vous croire coupable. Mais contre vous la Reine a vû malgré mes soins Des indices pressans, et de puissans témoins. Quelquefois par l'orgueil d'un merite supréme On s'aveugle, on s'emporte au delà de soy-méme, Quelquefois un grand crime a tenté les grands cœurs. En est-il qui resiste au charme des grandeurs ? Et dont l'ambition ne soit pas toûjours preste D'ensanglanter sa main pour couronner sa teste ? De pareils criminels on peut faire des Rois. Voyant Elisabeth donner icy des Loix Et ne vous pas choisir pour regner avec elle, Vous avez crû peut-estre en glorieux rebelle Par un noble attentat vous faire son époux, Et vous saisir d'un rang qui n'estoit dû qu'à vous. Ah, que de ce transport j'aime la violence ! Un si beau mouvement prouve vostre innocence. Je rougis, je me hais d'avoir pû seulement A vous croire innocent balancer⁎ un moment. Je n'offenseray plus une gloire si pure. Vous, dementez toûjours, confondez l'imposture, Et loin qu'un lâche aveu vous doive secourir, Ne vous trahissez point, mourez s'il faut mourir. Je sçay vos feux secrets pour l'aimable⁎ Clarence. Ah ! vous ne mourrez point, Comte, la verité Du mensonge toûjours perce l'obscurité, Et de vos ennemis les honteux stratagêmes Dans leurs pieges secrets les traîneront eux-mêmes. Je vay trouver la Reine et malgré vos jaloux Luy prouver vostre zele et vaincre son courroux. Mais j'apperçoy Coban, hé que vous veut ce traitre ? Seigneur, que voy-je icy ? l'éclat qu'on vient de faire Dans Coban, dans Raleg marque trop de colere : Faites-les éloigner : que leur ressentiment Ne mesle rien d'injuste à vostre jugement. C'est une Loy sans doute injuste et violente Quand il faut decider d'une teste importante, Et donner un Arrest sur qui de toutes parts Le monde tout entier doit tourner ses regards. Je descens de ma place aprés cette injustice, En jugeant avec eux je serois leur complice, Et je dôis m'épargner la honte et la douleur De mesler lâchement ma voix avec la leur. Cher Comte je vous plains et vay dire à la Reine Ce que font contre vous l'injustice et la haine. Ne precipitez rien, Seigneur, la Reine veut sursoir le jugement. C'est son ordre, elle vient. Ah Madame ! ah Seigneur ! Apprenez que déjà des mutins en fureur, Renversant l'Echaffaut qu'on dressoit dans la place, Ont irrité la Reine et vous ostent sa grace. Vostre frere à leur teste, animant leur courroux, Marche vers le Palais. La Reine au desespoir Vous impute ce trouble, et ne veut plus vous voir. Plus le peuple pour vous se mutine contre elle, Plus sa haine en devient inflexible et cruelle. Vos ennemis ont part à ce grand mouvement ; Mais la Reine l'ignore, ou l'explique autrement. Je retourne auprés d'elle amuser sa colere, Et vous donner du temps pour gagner vostre frere. Quel horrible apareil vient de frapper mes yeux ? Est-ce pour immoler un Heros glorieux ? Donnez-vous ce spectacle aux Cobans, aux Ceciles ? A ces lâches Sujets, à ces ames serviles ? Verront-ils à leurs pieds ce grand Homme abbatu ? La terreur des méchans, l'appuy de la vertu ? Que de gloire immolée à la fureur du crime ! Quel indigne attentat ! quel sang ! quelle victime ! Je ne demande plus sa grace à vos genoux ; Je viens la demander pour l'Etat et pour vous. Je le dis en tremblant, mais je dois vous le dire, La mort de ce Heros ébranle tout l'Empire. Qui de nous remplira ses Emplois et son rang ? Vous pleurerez sa mort avec des pleurs de sang. Des maux qui la suivront l'image m'épouvente ; Le crime en seureté, l'innocence tremblante, Le fidelle Sujet muet, triste, interdit, La Justice, les Loix, la vertu sans credit. Le desespoir affreux d'un coup irreparable Vous va rendre à vous-même horrible, insuportable. Vous nous haïrez tous de vous estre souffert Dans la perte du Comte un crime qui vous perd. Souffrez que mon exil precede son suplice ; Mes yeux ne verront point cette horrible injustice. Voir le Comte tomber sous la main d'un bourreau, Le voir et le souffrir, c'est un crime nouveau. Madame, pardonnez aux fureurs de mon zele. Si je m'emportois moins, je serois moins fidelle. Puissent tous vos Sujets pour l'Etat et pour vous, Brûler d'un mesme zele et d'un mesme courroux. Souffrez que je me jette encore à vos genoux. Vous me voyez Madame, La pitié, la douleur et la fureur dans l'ame. Vous ne sçavez que trop par quel horrible tour, Le Comte infortuné vient de perdre le jour. Vous ne sçavez que trop nos troubles, nos allarmes, Tout ce que son trépas a fait couler de larmes. Dans la mort de Coban, oubliez vos douleurs, Voyez couler son sang pour épargner vos pleurs. Le perfide qui voit qu'on veut venger le Comte, Cherche à se derober par une fuite prompte. Surpris de tous costez, une épée à la main, Il se fait un passage et se le fait en vain ; Je m'oppose à sa fuitte, il s'étonne⁎ à ma veuë, Il se livre à nos coups, je deffends qu'on le tuë, Je suis mal obey, je voy percer son flanc : Il s'écrie, il chancelle et tombe dans son sang. Tourné vers l'Echafaut de ses yeux il devore Sa victime au milieu du sang qui fume encore, De sa barbare joye étale le transport, Triomphe encor du Comte, et joüit de sa mort. Ma mort, dit-il, au moins pour la souffrir sans honte Precede mon suplice et suit celle du Comte, Il estoit innocent, je suis un imposteur, Son indigne rival d'amour et de grandeur : Trop heureux de porter aussi loin que sa gloire, De mon nom odieux l'execrable memoire. A ces mots il vomit son ame et son couroux. Quel effet different ces deux morts font sur nous ! L'un attire sur luy mille voeux execrables, L'autre attire sur luy des regrets pitoyables, Et tous les cœurs remplis de haine et d'amitié, Répandent en tous lieux l'honneur et la pitié. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_popham *date_1678 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_popham Comte d'Essex voyez les bontez de la Reine : Quelques Juges suspects d'interest ou de haine Luy paroissant icy trop à craindre pour vous, Son choix pour vous juger s'est arresté sur nous. Des Juges Souverains la nombreuse assemblée Feroit quelque embarras à vostre ame accablée. Tout ce que les témoins viennent de déposer, Les complots criminels qu'on ne peut déguiser, Toutes ces veritez ont dequoy vous confondre ; La Reine cependant vous invite à répondre, Vous pouvez vous deffendre et ne rien oublier De ce qui peut servir à vous justifier. Ne sçauriez-vous enfin vous rendre icy le maître De cét injuste orgueil que vous faites paroistre ? Il vous aveugle encor et vous fait outrager Ceux que la Reine mesme oblige à vous juger. Elle nous a choisis, qu'avez-vous à nous dire ? Puis qu'elle a sur vos jours un souverain empire, Et qu'icy sa justice emprunte nostre voix ; Contraignez vostre orgueil et respectez son choix. Tout l'Etat vous connoist et vous fera justice. Quand il faut recuser des Juges équitables On n'écoute jamais la fureur des coupables, Et c'est mesme une loy dont l'Etat est jaloux De ne point recuser des hommes comme nous. Je n'abuseray point, Comte, de mon pouvoir ; J'en atteste le Ciel, je feray mon devoir : Sans aucun interest, sans aigreur, sans foiblesse, De toute passion l'ame libre ou maîtresse, Je vous feray justice avec la mesme foy, Que je souhaitterois qu'on en usast pour moy. N'avez-vous rien à dire ? Comte d'Essex, en vain vous bravez la justice ; Au devoir de mon rang il faut que j'obeisse. Par quel emportement.... **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_leonor *date_1678 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_leonor Madame, où courez-vous ? Remettez-vous, Madame, et rentrez en vous-même. S'il faut associer à la grandeur supréme, Un sujet qui soit digne, et du Thrône et de vous. C'est le Comte.... **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_alix *date_1678 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_alix Le Comte est là. Et sa suite et son air sont d'un sujet fidelle. S'il a l'air grand et fier, il n'a rien d'un rebelle. **** *creator_boyer *book_boyer_comteessex *style_verse *genre_tragedy *dist1_boyer_verse_tragedy_comteessex *dist2_boyer_verse_tragedy *id_valden *date_1678 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_valden Madame, il ne faut point en cette extremité Mettre en peril l'honneur de vostre authorité. Vous serez obeïe, et ce soin me regarde ; Mais le Comte appuyé du peuple qui le garde.... Par l'ordre de la Reine il faut vous separer. Le Comte est mort. Coban pour prévenir⁎ celle qui l'a porté, A donné, d'un Balcon, un ordre tout contraire. Leonor cependant d'une course legere, Porte la grace au Comte et calme nostre ennuy⁎, Au moment que le coup alloit tomber sur luy. En vain pour le sauver chacun s'écrie, arreste : Le coup prévient nos cris et fait voler la teste. On va vous l'emmener, sa fuite seroit vaine. On le poursuit, bien-tost sa mort ou sa prison...