**** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_SOLIMAN *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_soliman Prenez place, madame ; il faut que, dans ce jour, Votre âme à mes regards se montre sans détour : Le prince dans ces lieux vient enfin de se rendre. J'entrevois par ce mot vos secrets sentiments ; Vous jugerez des miens : daignez quelques moments Vous imposer la loi de m'entendre en silence. Mon fils a mérité ma juste défiance ; Et son retour, d'ailleurs fait pour me désarmer, Avec quelque raison peut encor m'alarmer. Sans doute je suis loin de lui chercher des crimes ; Mais il faut éclaircir des soupçons légitimes. Vos yeux, si du vizir j'explique les discours, Ont surpris des secrets d'où dépendent mes jours. Je n'examine point si, pour mieux me confondre, De concert avec lui... vous pourrez me répondre. Hélas ! Il est affreux de soupçonner la foi Des coeurs que l'on chérit et qu'on croyait à soi ; Mais au bord du tombeau telle est ma destinée. Par d'autres intérêts maintenant gouvernée, Aux soins de l'avenir vous croyez vous devoir ; Je conçois vos raisons, vos craintes, votre espoir ; Et, malgré mes vieux ans, ma tendresse constante À vos destins futurs n'est point indifférente. Mais vous n'espérez point que, pour votre repos, Je répande le sang d'un fils et d'un héros. Son juge, en ce moment, se souvient qu'il est père. Je ne veux écouter ni soupçons ni colère. Ce sérail, qui, jadis, sous de cruels sultans, Craignait de leurs fureurs les caprices sanglants, A connu, dans le cours d'un règne plus propice, Quelquefois ma clémence, et toujours ma justice. Juste envers mes sujets, juste envers mes enfants, Un jour ne perdra point l'honneur de quarante ans. Après un tel aveu, parlez, je vous écoute ; Mais que la vérité s'offre sans aucun doute. Je dois, s'il faut porter un jugement cruel, En répondre à l'état, à l'avenir, au ciel. Ciel ! Ce qu'a fait Soliman, Soliman dut le faire. Celui qui fut bon fils doit être aussi bon père, Et quand vous rappelez ces preuves de ma foi, Votre voix m'avertit d'être digne de moi. Des revers des sultans vous me tracez l'image : Je reconnais vos soins, madame ; et je présage Que, grâce aux miens peut être, un sort moins rigoureux Écartera mon nom de ces noms malheureux. Trop d'autres, négligeant le devoir qui m'arrête, À des fils soupçonnés ont demandé leur tête. Oui : mais n'ont-ils jamais, après ces rudes coups, Détesté les transports d'un aveugle courroux ? Hélas ! Si ce moment doit m'offrir un coupable, Peut-être que mon sort est assez déplorable. Serais-je donc rangé parmi ces souverains Qu'on a vus, de leurs fils juges trop inhumains, Réduits à s'imposer ce fatal sacrifice ? Malheureux qu'on veut plaindre et qui faut qu'on haïsse ! Quelqu'éclat dont leur règne ait ébloui les yeux, De ces grands châtiments le souvenir affreux, Éternisant l'effroi qu'imprime leur mémoire, Mêle un sombre nuage aux rayons de leur gloire. Le nom de Soliman, madame, a mérité De parvenir sans tache à la postérité. Dans mon coeur vainement votre cruelle adresse Cherche d'un vil dépit la vulgaire faiblesse, Et voudrait par la haine irriter mes soupçons ; J'écarte ici la haine et pèse les raisons. L'intérêt de mon sang me dit, pour le défendre, Qu'un coupable en ces lieux eût tremblé de se rendre ; Qu'adoré des soldats... Je l'étais comme lui. Des persans... Lui ! Grands dieux !... Je retiens ma colère... Ce ne pas vous ici que doit en croire un père. Que des garants certains à mes yeux présentés, Que la preuve à l'instant... Arrêtez. Je redoute un courroux trop facile à surprendre. Son maître en vain frémit, son juge doit l'entendre. Que mon fils soit présent... faites venir mon fils. Que veut-on ? Qu'il paraisse. Vous savez quelle est votre promesse. Quel soin pressant t'amène, et quel est ton dessein ? Veux-tu qu'il se retire ? J'estime ce courage et ce zèle sincère ; Je permets à tes yeux de lire au coeur d'un père. Ne crains point un courroux imprudent ni cruel. J'aime un fils innocent, je le hais criminel : Ne crains pour lui que lui. L'audace et l'artifice En moi de leurs fureurs n'auront point un complice. Contiens dans son devoir le soldat turbulent ; Leur idole répond d'un caprice insolent. Sans dicter mon arrêt, qu'on l'attende en silence. Tu peux de ce séjour sortir en assurance : Va, les coeurs généreux ne craignent rien de moi. Approchez : à mon ordre on daigne enfin se rendre. J'ai cru qu'avant ce jour je pouvais vous attendre. Elle n'est plus !... je dois des regrets à sa cendre. C'est assez. Plut au ciel qu'à de justes raisons Je pusse voir encor céder d'autres soupçons, Sans que de vos soldats l'audace et l'insolence Vinssent d'un fils suspect attester l'innocence ! Peut-être il vaudrait mieux leur en inspirer moins : Peut-être qu'un sujet devait borner ses soins À savoir obéir, à faire aimer sa gloire, À servir sans orgueil, à ne point laisser croire Que ses desseins secrets, de la Perse approuvés... Non, puisque vous vivez. "À vos désirs on refusa la paix : Un heureux changement vous permet d'y prétendre. Victorieux par moi, peut être à mes souhaits Le sultan voudra condescendre. Les raisons de cette offre et le prix que j'y mets, Je les tairai ; Nadir doit seul vous les apprendre. " Que vois-je ? Avouerez-vous cette lettre, ce seing ? Holà ! Gardes. Perfide ! Il te sied bien d'intéresser ma gloire ! Toi qui veux la flétrir, toi, l'ami des persans ! Toi qui, devant leur maître, avilis mes vieux ans ! Qui, sachant contre lui quelle fureur m'anime... Justes cieux ! Tu savais... je vois tout. D'un écrit odieux Ta bouche en ce moment m'éclaircit le mystère ; Il demande à Thamas des secours contre un père. Traître ! C'en est assez. Qu'on l'ôte de mes yeux. Quoi ! Sans être appelé ? Qu'on m'en réponde, allez. Quel orgueil ! Je veux bien de ce zèle excuser l'imprudence ; Et j'aimerais, mon fils, à vous voir généreux, Si le crime du moins pouvait être douteux : Mais ne me parlez point en faveur d'un perfide Qui peut-être déjà médite un parricide. J'excuse votre haine, et je vais de ce pas Prévenir les effets de ses noirs attentats. Touché de tes vertus, satisfait de ton coeur, D'un sentiment plus doux je n'ai pu me défendre. Dans ces premiers moments, j'ai bien voulu t'entendre : Mais que vas-tu me dire en faveur d'un ingrat Dont ce jour a prouvé le rebelle attentat ? De ce triste entretien quel fruit peux-tu prétendre ? Et de ma complaisance, hélas ! Que dois-je attendre, Hors la douceur de voir que le ciel aujourd'hui Me laisse au moins en toi plus qu'il ne m'ôte en lui ? Quoi ! Quand toi-même as vu jusqu'où sa violence A fait de ses adieux éclater l'insolence ! De l'orgueil devant moi ! Menacer à mes yeux ! Dès longtemps... pardonnez, il était malheureux ; Dans les rigueurs du sort son âme était plus fière : Tels sont tous les grands coeurs, tel doit être mon frère. Rendez-lui vos bontés, vous le verrez soumis, Embrasser vos genoux, vous rendre votre fils ; J'en réponds. Eh ! Pourquoi réveiller ma tendresse, Quand je dois à mon coeur reprocher ma faiblesse, Quand un traître aujourd'hui sollicite Thamas, Quand son crime avéré ?... Va, son forfait lui seul l'a réduit au silence. Eh ! Peut-il démentir ce camp, dont les clameurs Déposent contre lui pour ses accusateurs ? Que dis-tu ! Ciel ! Qui ? Lui ! Qu'il paraisse à mes yeux ! Me voir encor braver par cet audacieux ! Eh ! Qui l'atteste mieux, dis-moi, cette clémence, Que les soins paternels qu'avait pris ma prudence D'étouffer mes soupçons, d'exiger qu'en ma main Fût remis du forfait le gage trop certain ; D'ordonner que, présent, et prêt à les confondre, À ses accusateurs lui-même il pût répondre ? Hélas ! Je m'en flattais ; et lorsque ses soldats Menacent un sultan des derniers attentats, Qu'ils me bravent pour lui, réponds-moi, qui m'arrête ? Quel autre dans leur camp n'eût fait voler sa tête ? Et moi, loin de frapper, je tremble en ce moment Que leur zèle, poussé jusqu'au soulèvement, Malgré moi ne m'arrache un ordre nécessaire. Eh ! Qui sait, si tantôt, secondant ta prière, Ce reste de bonté, qui m'enchaîne le bras, N'a point porté vers toi mes regrets et mes pas ; Si je n'ai point cherché, dans l'horreur qui m'accable, À pleurer avec toi le crime et le coupable ? Hélas ! Il est trop vrai qu'au déclin de mes ans, Fuyant des yeux cruels, suspects, indifférents, Contraint de renfermer mon chagrin solitaire, J'ai chéri l'intérêt que tu prends à ton frère ; Et qu'en te refusant, ma douleur aujourd'hui Goûte quelque plaisir à te parler de lui. Oui. Je mourrais, mon fils, sans toi, sans ta tendresse, Sans les vertus qu'en toi va chérir ma vieillesse. Je te rends grâce, ô ciel, qui, dans ta cruauté, Veux que mon malheur même adore ta bonté ; Qui, dans l'un de mes fils, prenant une victime, De l'autre me fais voir la douleur magnanime, Oubliant les grandeurs dont il doit hériter, Pleurant au pied du trône et tremblant d'y monter ! Je cède à ta douleur et si noble et si tendre. Ah ! Qu'il soit innocent, et mes voeux sont remplis... ! Gardes, que devant moi on amène mon fils. Ô nature ! Ô plaisirs trop longtemps oubliés ! Ô doux épanchements qu'une contrainte austère A longtemps interdits aux tendresses d'un père ! Vous rendez quelque calme à mes sens oppressés, Égalez vos douceurs à mes ennuis passés. Quoi donc ! Ai-je oublié dans quels lieux je respire ? Et par qui mon aïeul, dépouillé de l'empire, Vit son fils ?... Murs affreux ! Séjour des noirs soupçons, Ne me retracez plus vos sanglantes leçons. Mon fils est vertueux, ou du moins je l'espère. Mais si de ses soldats la fureur téméraire Malgré lui-même osait... triste sort des sultans Réduits à redouter leurs sujets, leurs enfants ! Qui ? Moi ! Je souffrirai qu'arbitre de ma vie... Monarques des chrétiens, que je vous porte envie ! Moins craints et plus chéris, vous êtes plus heureux. Vous voyez de vos lois vos peuples amoureux Joindre un plus doux hommage à leur obéissance ; Ou, si quelque coupable a besoin d'indulgence, Vos coeurs à la pitié peuvent s'abandonner ; Et, sans effroi du moins, vous pouvez pardonner. Vous me voyez encor, je vous fais cette grâce ; Je veux bien oublier votre nouvelle audace. Sans ordre, sans aveu, traiter avec Thamas, Est un crime qui seul méritait le trépas. Offrir la paix ! Qui ? Vous ! De quel droit ? À quel titre ? De ces grands intérêts qui vous a fait l'arbitre ? Sachez, si votre main combattit pour l'état, Qu'un vainqueur n'est encor qu'un sujet, un soldat. Vous serviez votre maître. Votre orgueil croirait-il faire ici mes destins ? Soliman peut encor vaincre par d'autres mains. Un autre avec succès a marché sur ma trace, Et votre égal un jour... Qu'entends-je ? à la grandeur joint-on la perfidie ? Je le souhaite au moins. Mais n'apprendrai-je pas Le prix que pour la paix on demande à Thamas ? Le perfide ennemi, dont le nom seul m'offense, Vous a-t-il contre moi promis son assistance ? Eh bien ! Je veux vous croire, expliquez ce billet. Et pour qui ces terreurs ? Pour le sang de Thamas ! Puis-je l'entendre, ô ciel ! Et qu'oses-tu me dire ? Est-ce là le secret que j'avais attendu ? Voilà donc le garant que m'offre ta vertu ! Quoi ! Tu pars de ces lieux chargé de ma vengeance, Et de mon ennemi tu brigues l'alliance ! Ciel ! De mes ennemis suis-je donc entouré ? Ô surprise ! Ô douleur ! Mes enfants, suspendez ces généreux débats. Ô tendresse héroïque ! Admirables combats ! Spectacle trop touchant offert à ma vieillesse ! Mes yeux connaîtront-ils des larmes d'allégresse ? Grand dieu ! Me payez-vous de mes longues douleurs ? De mes troubles mortels chassez-vous les horreurs ? Non, je ne croirai point qu'un coeur si magnanime Parmi tant de vertus ait laissé place au crime. Dieu ! Vous m'épargnerez le malheur... J'y cours ; va, pour toi seul un père s'épouvante. Frémis de mon danger, frémis de leur fureur, Et surtout fais des voeux pour me revoir vainqueur. Gardes, qu'il soit conduit dans l'enceinte sacrée, Des plus audacieux en tout temps révérée ; Qu'au fidèle Nessir ce dépôt soit commis. Va, mon destin jamais ne dépendra d'un fils. Vizir, à ses soldats, aux vainqueurs de l'Asie, Opposez vos guerriers, vainqueurs de la Hongrie ; Qu'on soit prêt à marcher à mon commandement ; Veillez sur le sérail. Tout me fuit, tout m'évite ; Quelle morne terreur dans tous les yeux écrite ! Que vois-je ? Se peut-il ?... mon fils mourant, ô cieux ! Quoi ! Nessir, quel bras audacieux ?... Pleurez sur l'attentat, pleurez sur le coupable. C'est Zéangir. Ô crime ! Ô jour épouvantable ! Cruel ! Qu'espérais-tu ? Hélas ! Dans leurs respects j'ai vu son innocence. Détrompé, plein de joie, en les trouvant soumis, Tout mon coeur s'écriait : vous me rendez mon fils. Et pour des jours si chers quand je suis sans alarmes, Quand j'apporte en ces lieux ma tendresse et mes larmes. Ô comble des horreurs ! Ô père infortuné ! Non, tu vivras pour pleurer tes forfaits. Monstre !... De ses transports prévenez les effets ; Qu'on l'enchaîne en ces lieux, qu'on veille sur sa vie. Tu vivras dans les fers et dans l'ignominie ; Aux plus vils des humains vil objet de mépris, Sous ces lambris affreux teints du sang de ton fils. Que cet horrible aspect te poursuive sans cesse ; Que le ciel, prolongeant ton obscure vieillesse, T'abandonne au courroux de ces mânes sanglants ; Que mon ombre bientôt redouble tes tourments, Et puisse en inventer de qui la barbarie Égale mes malheurs, ma haine et ta furie. **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_ROXELANE *date_1777 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_roxelane Et quoi ! Vous l'ignorez !... Oui, c'est moi seule, Osman, Dont les soins ont hâté l'ordre de Soliman. Vizir, notre ennemi se livre à ma vengeance ; Le prince, dès ce jour, va paraître à Byzance. Il revient : ce moment doit décider enfin Et du sort de l'empire et de notre destin. On saura si, toujours puissante, fortunée, Roxelane, vingt ans d'honneurs environnée, Qui vit du monde entier l'arbitre à ses genoux, Tremblera sous les lois du fils de son époux ; Ou si de Zéangir l'heureuse et tendre mère, Dans le sein des grandeurs achevant sa carrière, Dictant les volontés d'un fils respectueux, De l'univers encor attachera les yeux. Soyez tranquille, Osman ; vous m'avez bien servie : Puisqu'on l'aime à ce point, qu'il tremble pour sa vie. Je sais que Soliman n'a point, dans ses rigueurs, De ses cruels aïeux déployé les fureurs ; Que souvent, près de lui, la terre avec surprise Sur le trône ottoman vit la clémence assise ; Mais, s'il est moins féroce, il est plus soupçonneux, Plus despote, plus fier, non moins terrible qu'eux. J'ignore si, d'ailleurs, au comble de la gloire, Couronné quarante ans des mains de la victoire, Sans regret par son fils un père est égalé ; Mais le fils est perdu, si le père a tremblé. Cette lettre, vizir, est encore inconnue ; Mais apprenez quel prix le sultan, par ma voix, Annonce en ce moment au vainqueur des hongrois. De ma fille, à vos voeux par mon choix destinée, Il daigne à ma prière approuver l'hyménée ; Et ce noeud sans retour unit nos intérêts. J'ai pu, jusqu'aujourd'hui, sans nuire à nos projets, Dans le fond de mon coeur ne point laisser surprendre Tous les secrets qu'ici j'abandonne à mon gendre. Écoutez. Du moment qu'un hymen glorieux Du sultan pour jamais m'eut asservi les voeux, Je redoutai le prince ; idole de son père, Il pouvait devenir le vengeur de sa mère ; Il pouvait... Cher Osman, j'en frémissais d'horreur... Au faîte du pouvoir, au sein de la grandeur, Du sérail, de l'état souveraine paisible, Je voyais, dans le fond de ce palais terrible, Un enfant s'élever pour m'imposer la loi ; Chaque instant redoublait ma haine et mon effroi. Les coeurs volaient vers lui ; sa fierté, son courage, Ses vertus s'annonçaient dans les jeux de son âge ; Et ma rivale, un jour, arbitre de mon sort, M'eût présenté le choix des fers ou de la mort. Tandis que ces dangers occupaient ma prudence, Le ciel de Zéangir m'accorda la naissance. Je triomphais, Osman ; j'étais mère, et ce nom Ouvrait un champ plus vaste à mon ambition. Je cachais toutefois ma superbe espérance ; De mon fils près du prince on éleva l'enfance, Et même l'amitié, vain fruit des premiers ans, Sembla mêler son charme à leurs jeux innocents. Bientôt mon ennemi, plus âgé que son frère, S'enflammant au récit des exploits de son père, S'indigna de languir dans le sein du repos, Et brûla de marcher sur les pas des héros. Avec plus d'art alors cachant ma jalousie, Je fis à son pouvoir confier l'Amasie ; Et, tandis que mes soins l'exilaient prudemment, Tout l'empire me vit avec étonnement Assurer à ce prince un si noble partage, De l'héritier du trône ordinaire apanage ; Sa mère auprès de lui courut cacher ses pleurs. Mon fils, demeuré seul, attira tous les coeurs : Mon fils à ses vertus sait unir l'art de plaire : Presqu'autant qu'à moi-même il fut cher à son père ; Et, remplaçant bientôt le rival que je crains, Déjà, sans les connaître, il servait mes desseins. Je goûtais, en silence, une joie inquiète ; Lorsque, las de payer le prix de sa défaite, Thamas à Soliman refusa les tributs, Salaire de la paix que l'on vend aux vaincus. Il fallut pour arbitre appeler la victoire ; Le prince, jeune, ardent, animé par la gloire, Brigua près du sultan l'honneur de commander : Aux voeux de tout l'empire il me fallut céder. Eh ! Qui savait, Osman, si la guerre inconstante, Punissant d'un soldat la valeur imprudente, N'aurait pu ?... Vain espoir ! Les persans terrassés, Trois fois dans leurs déserts devant lui dispersés ; La fille de Thamas aux chaînes réservée, Dans Tauris pris d'assaut par ses mains enlevée : Ces rapides exploits l'ont mis, dès son printemps, Au rang de ces héros, honneur des ottomans... J'en rends grâces au ciel... oui, c'est sa renommée, Cet amour, ce transport du peuple et de l'armée, Qui d'un maître superbe aigrissant les soupçons, À ses regards jaloux ont paru des affronts. Il n'a pu se contraindre ; et son impatience Rappelle, sans détour, le prince dans Byzance : Je m'en applaudissais, quand le sort dans mes mains Fit passer cet écrit propice à mes desseins. Je voulais au sultan, contre un fils que j'abhorre... Il faut que ce billet soit plus funeste encore ; Le prince est violent et son malheur l'aigrit ; Il est fier, inflexible, il me hait... Il suffit. Je sais l'art de pousser ce superbe courage À des emportements qui serviront ma rage ; Son orgueil finira ce que j'ai commencé. Et quoi ! Fallait-il donc qu'enchaîné dans ces lieux, Au sentier de l'honneur mon fils n'osât paraître ? Entouré de héros, Zéangir voulut l'être. Je l'adore, il est vrai ; mais c'est avec grandeur. J'éprouvai, j'admirai, j'excitai son ardeur ; La politique même appuyait sa prière ; Du trône sous ses pas j'abaissais la barrière. Je crus que, signalant une heureuse valeur, Il devait à nos voeux promettre un empereur Digne de soutenir la splendeur ottomane. Eh ! Comment soupçonner qu'un fils de Roxelane, Si près de ce haut rang, pourrait le dédaigner, Et former d'autres voeux que celui de régner ? Mais, non : rassurez-vous ; quel excès de prudence Redoute une amitié, vaine erreur de l'enfance, Prestige d'un moment, dont les faibles lueurs Vont soudain disparaître à l'éclat des grandeurs ? Mon fils... Zéangir !... Ciel ! Mon fils !... Il trahirait mes voeux ! Ah ! S'il était possible... Oui, malgré ma tendresse... Je suis mère, il le sait, mais mère sans faiblesse. Ses frivoles douleurs ne pourraient m'alarmer, Et mon coeur en l'aimant sait comme il faut l'aimer. J'ai mes desseins, Osman. Captive dans Tauris, Je la fis demander au vainqueur de son père : La fille de Thamas peut m'être nécessaire. Vous saurez mes projets, quand il en sera temps. Allez, j'attends mon fils ; profitez des instants ; Assiégez mon époux. Sultane et belle-mère, Jusqu'au moment fatal je dois ici me taire : Parlez : de ses soupçons nourrissez la fureur : C'est par eux qu'en secret j'ai détruit dans son coeur Ce fameux Ibrahim, cet ami de son maître, S'il est vrai toutefois qu'un sujet puisse l'être. Plus craint, notre ennemi sera plus odieux. Du despotisme ici tel est le sort affreux : Ainsi que la terreur le danger l'environne ; Tout tremble à ses genoux ; il tremble sur le trône. On vient. C'est Zéangir. Un instant d'entretien, Me dévoilant son coeur, va décider le mien. Mon fils, le temps approche, où, devançant votre âge, De mes soins maternels accomplissant l'ouvrage, Vous devez assurer l'effet de mes desseins. Élevez votre coeur jusques à vos destins. Le sultan (notre amour veut en vain nous le taire) Touche au terme fatal de sa longue carrière ; De l'Euphrate au Danube, et d'Ormus à Tunis, Cent peuples, sous ses lois étonnés d'être unis, Vont voir à qui le sort doit remettre en partage De sceptres, de grandeurs cet immense héritage. Le prince, après huit ans, rappelé dans ces lieux... Qui ? Vous, mon fils !... Ô cieux ! Et voilà de quels soins votre coeur est troublé ! De nos grands intérêts quand mon âme est remplie ! Quand vous devez régler le sort de notre vie ! Vous... Ciel, qu'il est loin de concevoir mes voeux ! Ceux dont ici pour vous le zèle ouvre les yeux Vous tracent vers le trône un chemin légitime. Il est vrai qu'en effet, s'il eût persévéré, S'il eût vaincu l'orgueil dont il est dévoré, S'il n'eût trahi l'état, vous n'y pouviez prétendre. Eh bien ! Préparez-vous à braver votre père ; Prouvez-lui que ce fils, noirci, calomnié, D'aucun traité secret à Thamas n'est lié ; Que, depuis son rappel, ses délais qu'on redoute, Sur lui, sur ses desseins, ne laissent aucun doute. Mais tremblez que son père aujourd'hui, dans ces lieux, N'ait de la trahison la preuve sous ses yeux. Modérez-vous, mon fils. Eh bien ! Nous pourrons voir nos doutes éclaircis. Cependant vous deviez, s'il faut ici le dire, Excuser une erreur qui vous donne un empire. Vous le sacrifiez ; quel repentir un jour !... Prévenez ce funeste retour. Quel fruit de mes travaux ! Quel indigne salaire ! Savez-vous pour son fils ce qu'a fait votre mère ? Savez-vous quels degrés, préparant ma grandeur, D'avance, par mes soins, fondaient votre bonheur ? Née, on vous l'a pu dire, au sein de l'Italie, Surprise sur les mers qui baignent ma patrie, Esclave, je parus aux yeux de Soliman ; Je lui plus ; il pensa qu'éprise d'un sultan, M'honorant d'un caprice, heureuse de ma honte, Je briguerais moi-même une défaite prompte. Qu'il se vit détrompé ! Ma main, ma propre main, Prévenant mon outrage, allait percer mon sein ; Il pâlit à mes pieds, il connut sa maîtresse. Ma fierté, son estime accrurent sa tendresse ; Je sus m'en prévaloir : une orgueilleuse loi Défendait que l'hymen assujettit sa foi ; Cette loi fut proscrite ; et la terre étonnée Vit un sultan soumis au joug de l'hyménée. Je goûtai, je l'avoue, un instant de bonheur ; Mais bientôt, mon cher fils, lasse de ma grandeur, Une langueur secrète empoisonna ma vie ; Je te reçus du ciel, mon âme fut remplie. Ce nouvel intérêt, si tendre, si pressant, Répandit sur mes jours un charme renaissant ; J'aimai plus que jamais ma nouvelle patrie ; La gloire vint parler à mon âme agrandie ; J'enflammai d'un époux l'heureuse ambition ; Près de son nom peut-être on placera mon nom. Eh bien ! Tous ces surcroîts de gloire, de puissance, C'est à toi que mon coeur les soumettait d'avance ; C'est pour toi que j'aimais et l'empire et le jour ; Et mon ambition n'est qu'un excès d'amour. Quoi ! Vous l'aimez ainsi ? Dieu ! Quel charme inconnu Peut lui donner sur vous cet excès de puissance ? Adieu. Il est affreux pour moi D'avoir à séparer mes intérêts des vôtres : Ce coeur n'était pas fait pour en connaître d'autres. Comment ! Parlez. Je ne puis vous entendre ; Mais quel que soit ce bien pour vous si précieux, Mon fils, il est à vous, si vous ouvrez les yeux. Votre imprudence ici renonce au rang suprême ; Vous en voyez le fruit : et dans cet instant même Il vous faut implorer mon secours, ma faveur. Régnez, et de vous seul dépend votre bonheur ; Et, sans avoir besoin qu'une mère y consente, Vous verrez à vos lois la terre obéissante. Les cris de ses soldats viennent de me l'apprendre. Seigneur, d'étonnement je demeure frappée. De vous, de votre fils en secret occupée, J'ai dû, sans m'expliquer sur ce grand intérêt, Muette avec l'empire, attendre son arrêt. Mais, puisque le premier vous quittez la contrainte D'un silence affecté, trop semblable à la feinte, De mon âme à vos yeux j'ouvrirai les replis : Je déteste le prince et j'adore mon fils ; Ainsi que vous, du moins, je parle avec franchise ; Et, loin qu'avec effort ma haine se déguise, J'ose entreprendre ici de la justifier, Vous invitant vous-même à vous en défier. Je ne vous cache point (Qu'est-il besoin de feindre ? ) Que prompte en ce péril à tout voir, à tout craindre, J'ai d'un vizir fidèle emprunté les avis, Et moi-même éclairé les pas de votre fils. Tout fondait mes soupçons ; un père les partage. Eh ! Qui donc, en effet, pourrait voir sans ombrage Un jeune ambitieux qui, d'orgueil enivré, Des coeurs qu'il a séduits, disposant à son gré, À vous intimider semble mettre sa gloire, Et croit tenir ce droit des mains de la victoire ? Qui, mandé par son maître, a, jusques à ce jour, Fait douter de sa foi, douter de son retour, Et du grand Soliman a réduit la puissance À craindre, je l'ai vu, sa désobéissance ? Qui, j'ose l'attester, et mes garants sont prêts, Achète ici les yeux ouverts sur vos secrets, Parle, agit en sultan ; et, si l'on veut l'entendre, Et la guerre et la paix de lui seul vont dépendre. Oui, seigneur, oui, vous dis-je, et peut-être aujourd'hui Vous en aurez la preuve et la tiendrez de lui. D'un fils, d'un sujet est-ce donc la conduite ? Et depuis quand, seigneur, n'en craint-on plus la suite ? Est-ce dans ce séjour ?... vainement sous vos lois, La clémence en ces lieux fit entendre sa voix ; Une autre voix peut-être y parle plus haut qu'elle, La voix de ces sultans qu'une main criminelle, Sanglants, a renversés aux genoux de leurs fils ; La voix des fils encor qui, près du trône assis, N'ont point devant ce trône assez courbé la tête. Il le sait : d'où vient donc que nul frein ne l'arrête ? Sans doute mieux qu'un autre il connaît son pouvoir ; De l'empire, en effet, il est l'unique espoir. Eh ! Qui d'un peuple ingrat n'a vu cent fois l'ivresse Oser à vos vieux ans égaler sa jeunesse, Et d'un héros, l'honneur des sultans, des guerriers, Devant un fier soldat abaisser les lauriers ? Qui peut vous rassurer contre tant d'insolence ? Est-ce un camp qui frémit aux portes de Byzance ? Un peuple de mutins, d'esclaves factieux, De leur maître indigné tyrans capricieux ? Ah ! Seigneur, est-ce ainsi (je vous cite à vous-même) Que, rassurant Sélim, dans un péril extrême, Vous vîntes dans ses mains ici vous déposer, Quand ces mêmes soldats, ardents à tout oser, Pour vous, malgré vous seul, pleins d'un zèle unanime, Rebelles, prononçaient votre nom dans leur crime ? On vous vit accourir, seul, désarmé, soumis, Plein d'un noble courroux contre ses ennemis, Et tombant à ses pieds, otage volontaire, Échapper au malheur de détrôner un père. Tel était le devoir d'un fils plus soupçonné, Et votre exemple au moins l'a déjà condamné. Comme lui, des persans imploriez-vous l'appui ? Je le veux. Que veut-il ? Je ne reparaîtrai que la preuve à la main. Sultan, vous pourrez voir ma promesse accomplie. Prince, un destin cruel m'a fait votre ennemie ; Mais cette haine, au moins, en s'attaquant à vous, Dans la nuit du secret ne cache point ses coups : Vous êtes accusé, vous pourrez vous défendre. Il le faut... Permettez... Vous n'avez rien à craindre ; Parlez, Nadir n'est plus, et vous pouvez tout feindre. Quelle audace nouvelle ! Pour convaincre un coupable, il ne faut qu'un instant. Le ciel me l'a donné, peut-être en sa colère. Dieu ! Quel aveuglement ! Le crime est manifeste, Son père en a tenu le gage de sa main. Vous frémissez en vain. Abandonnez un traître à son sort déplorable. Vous l'aimiez vertueux, oubliez-le coupable. Ou, si votre amitié lui donne quelques pleurs, Voyez du moins, voyez, à travers vos douleurs, Quel brillant avenir le destin vous présente ; Cet éclat des sultans, cette pompe imposante, L'univers de vos lois docile adorateur, Et la gloire plus belle encor que la grandeur, La gloire que vos voeux... Un trône ici la donne. Quel crime commets-tu ? Tu pleureras un jour quand l'absolu pouvoir... J'ai pitié, mon cher fils, d'un tel excès d'ivresse ; Je vois avec quel art, séduisant ta jeunesse, Il a su, plus prudent, par cette illusion, T'écartant du sentier de son ambition... Eh bien, je veux le croire, il t'aime ; Ainsi que toi, mon fils, il se trompe lui-même. Vous ignorez tous deux, dans votre aveugle erreur, Et le coeur des humains et votre propre coeur. Mais le temps, d'autres voeux, l'orgueil de la puissance, Du monarque au sujet cet intervalle immense, Tout va briser bientôt un noeud mal affermi, Et sur le trône un jour tu verras... L'ami d'un maître ! Ô ciel ! Ah ! Quitte un vain prestige. Les ottomans ont-ils vu ce prodige ? Mon fils, songes-tu dans quels lieux ?... Encor si tu vivais dans ces climats heureux, Qui, grâce à d'autres moeurs, à des lois moins sévères, Peuvent offrir des rois que chérissent leurs frères ; Où, près du maître assis, brillants de sa splendeur, Quelquefois partageant le poids de sa grandeur, Ils vont à des sujets placés loin de sa vue De leurs devoirs sacrés rappeler l'étendue ; Et, marchant sur sa trace, aux conseils, aux combats, Recueillent les honneurs attachés à ses pas ! Qu'à ce prix signalant l'amitié fraternelle, On mette son orgueil à s'immoler pour elle, Je conçois cet effort. Mais en ces lieux ! Mais toi !... Ah ! C'en est trop : va, quoiqu'il ait pu faire, Tu peux tout acquitter par le sang de ta mère. Oui, par mon sang ! Lui seul doit expier Des affronts que jamais rien ne fait oublier. Sous les yeux de son fils, ma rivale en silence Vingt ans de ses appas a pleuré l'impuissance. Il l'a vue exhaler, dans ses derniers soupirs, L'amertume et le fiel de ses longs déplaisirs ; Il revient poursuivi de cette affreuse image ; Et, lorsque mon nom seul doit exciter sa rage, Il me voit, calme et fière, annonçant mon dessein, Lui montrer son forfait attesté par son seing. Dis-moi si, pour le trône élevé dès l'enfance, Le plus fier des humains oubliera cette offense. Insensé ! J'entends... pour prix des soins où l'amitié vous livre, Sa bonté souffrira que du plus beau destin Je coure dans l'opprobre ensevelir la fin ; Et ramper, vile esclave, et rebut de sa haine, En ces lieux où vingt ans j'ai marché souveraine. Décidons notre sort, et daignez écouter Ce qu'un amour de mère avait su me dicter. De mon époux bientôt je vais pleurer la perte ; Et de la gloire ici la barrière est ouverte : Soliman la cherchait ; mais détestant Thamas, Malgré moi cette haine en détournait ses pas. Loin de porter ses coups à la Perse abattue, Dans ses vastes déserts sans fruit toujours vaincue, Il fallait s'appuyer des secours du persan Contre les vrais rivaux de l'empire ottoman. L'hymen fait les traités ; et la main d'Azémire Pourrait unir par vous et l'un et l'autre empire. J'offre à vos voeux la gloire et le bonheur. Mon fils : je sais tout. Vous l'aimez. Voilà donc de ce coeur quel est l'endroit sensible ! Allons, frappons un coup plus sûr et plus terrible. Mon fils est amoureux, sans doute il est aimé ; Intéressons l'objet dont il est enflammé. Pour être ambitieux, il porte un coeur trop tendre ; Mais l'amour va parler, j'ose tout en attendre. Espérons. Qui pourrait triompher en un jour Des charmes de l'empire et de ceux de l'amour ? Viens ; les moments sont chers : marchons. Eh quoi ? N'importe. Ciel ! L'ingrat !... frappons les derniers coups. Le sultan hors des murs va porter sa présence ; Dans un projet hardi viens servir ma vengeance. Quand un sort rigoureux A voulu qu'un destin terrible, dangereux, Devînt en nos malheurs notre unique espérance, Il faut, pour l'assurer, consulter la prudence, Balancer les hasards, tout voir, tout prévenir ; Et, si le sort nous trompe, il faut savoir mourir. Il n'est plus. Jour plus affreux pour moi ! Ô transports inouïs ! Malheureuse ! Mon fils, Lui pour qui j'ai tout fait ! Lui, depuis sa naissance, De mon ambition l'objet, la récompense ! Lui qui punit sa mère en se donnant la mort, Par qui mon désespoir me tient lieu de remord ! Pour lui j'ai tout séduit, ton vizir, ton armée ; Je t'effrayais du deuil de Byzance alarmée ; De ton fils en secret j'excitais les soldats ; Par cet ordre surpris tu signais son trépas ; Je forçais sa prison, sa perte était certaine. L'amitié de mon fils a devancé ma haine. Un dieu vengeur par lui prévenant mon dessein... Le musulman le pense, et je le crois enfin, Qu'une fatalité terrible, irrévocable, Nous enchaîne à ses lois, de son joug nous accable, Qu'un dieu, près de l'abîme où nous devons périr, Même en nous le montrant, nous force d'y courir ! J'y tombe sans effroi, j'y brave sa colère, Le pouvoir d'un despote et les fureurs d'un père. Ma mort... **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_ZEANGIR *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_zeangir Ah !... Je tremble pour lui. C'est pour lui que j'accours ; souffrez que ma prière Implore vos bontés en faveur de mon frère. Les enfants des sultans (vous ne l'ignorez pas), Bannis pour commander en de lointains climats, Ne peuvent en sortir sans l'ordre de leur père ; Mais cet ordre est souvent terrible, sanguinaire. Sur le seuil du palais si mon frère immolé... Moi ! Le trône est à mon frère : y penser est un crime. Qui ? Lui ! Trahir l'état ! Ô ciel ! Puis-je l'entendre ? Croyez qu'en cet instant, pour dompter mon courroux, J'ai besoin du respect que mon coeur a pour vous. Qui venais-je implorer ! Quel appui pour moi, frère ! Quoi !... Non, je ne crains rien, rien que la calomnie. Rougissez du soupçon qui veut flétrir sa vie : Il est indigne, affreux. Moi ! Jamais. Ah ! Vous me déchirez... Mais quoi ! Que faut-il faire ? Faut-il tremper mes mains dans le sang de mon frère ? Moi qui voudrais pour lui voir le mien répandu ! Le charme des vertus, de la reconnaissance, Celui de l'amitié... vous me glacez d'effroi. Qu'allez-vous faire ? Vous fuyez... dans quel temps m'accable son courroux ? Quand un autre intérêt m'appelle à ses genoux, Quand d'autres voeux... Je tremble de le dire. Si mon destin m'écarte de l'empire, Il est un bien plus cher et plus fait pour mon coeur, Qui pourrait à mes yeux remplacer la grandeur. Sans vous, sans vos bontés je n'y dois point prétendre ; Je l'oserais par vous. Quels assauts on prépare à ce coeur effrayé ! Craindrai-je pour l'amour, tremblant pour l'amitié ? Ô mon frère ! Ô cher prince ! Après un an d'absence, Hélas ! était-ce à moi de craindre sa présence ? J'augmente ses dangers... Je vole à ton secours... Et c'est ma mère, ô ciel ! Qui menace tes jours ! Se peut-il que d'un crime on me rende complice, Et que je sois formé d'un sang qui te haïsse ? Ah ! Princesse, apprenez, partagez ma douleur. Ma voix, de la sultane implorant la faveur, Et de mes feux secrets découvrant le mystère, Allait à mon bonheur intéresser ma mère, Quand j'ai compris soudain, sur un affreux discours, Quels périls vont du prince environner les jours. Souffrez qu'entre vous deux mon âme se partage ; Que d'un frère à vos yeux j'ose occuper mon coeur. Vous pouvez le haïr, je le sais... Je ne me flatte point ; par lui seul prisonnière, C'est par lui qu'Azémire est aux mains de mon père. L'instant où je vous vis est un malheur pour vous, Et mon frère est l'objet d'un trop juste courroux. Ah ! Que n'avez-vous pu lire au fond de son coeur ; De tous ses sentimens connaître la grandeur ! Vous sauriez à quel point son amitié m'est chère. On prétend, on ose soutenir Qu'avec Thamas, madame, il est d'intelligence. De ces affreux soupçons je confondrai l'auteur. Mais, si j'ose, à mon tour, soigneux de mon Bonheur... Non ; je serai moi seul l'auteur de mon supplice ; Cruelle ! Je vous dois cette affreuse justice. Mais je veux, malgré vous, par mes soins redoublés, Triompher des raisons qu'ici vous rassemblez ; Et si, dans vos refus, votre âme persévère, Mes larmes couleront dans le sein de mon frère. Où trouver ?... c'est lui-même. Ô mon ami ! Mon frère ! Que, malgré mes frayeurs, ta présence m'est chère ! Laisse-moi, dans tes bras, laisse-moi respirer, De ce bonheur si pur laisse-moi m'enivrer ! Je connais tes dangers, ils redoublent mon zèle. Tu ne les sais pas tous. Quelle crainte nouvelle ?... Je frémis. Eh bien !... Qu'entends-je ? Et quel objet ?... Achève. Azémire ?... Ô douleur ! Ô destins ! Ô tourments ! Non... c'est moi seul ici qu'opprime son courroux ; C'est à moi désormais qu'il réserve ses coups. Il me perce le coeur par la main la plus chère ; J'aime, et pour mon rival il a choisi mon frère. Ma mère en secret, j'ignore à quel dessein, Dans ce piège fatal m'a conduit de sa main. Sa cruelle bonté, secondant mon adresse, A permis à mes yeux l'aspect de la princesse ; J'ai prodigué les soins d'un amour indiscret, Pour attendrir, hélas ! Un coeur qui t'adorait. Je venais à tes yeux dévoilant ce mystère... Cruelle ! Eh quel devoir, vous forçant à vous taire, Me laissait enivrer de ce poison fatal ? A-t-on craint de me voir haïr un tel rival ? Ta perte !... achève, ingrat, de déchirer mon coeur. Il te fallait... cruel ! As-tu la barbarie D'offenser un rival qui tremble pour ta vie ? Ta perte !... et de quel crime ?... il n'en est qu'un pour toi : Tu viens de le commettre en doutant de ma foi. Crois-tu que ton ami, dans sa jalouse ivresse, Devienne ton tyran, celui de ta maîtresse ; Abjure l'amitié, la vertu, le devoir, Pour contempler partout les pleurs du désespoir, Pour mériter son sort en perdant ce qu'il aime ? Qui de nous deux ici doit s'immoler lui-même ? Est-ce-toi qu'à mourir son choix a condamné ? Ne suis-je pas enfin le seul infortuné ? Va, ce seul sentiment m'a tout payé peut-être. Mon frère, laisse-moi, dans mes voeux confondus, Laisse-moi ce bonheur que donnent les vertus ; Il me coûte assez cher pour que j'ose y prétendre ; Tu dois vivre et m'aimer ; moi, vivre et te défendre. Tout l'ordonne, le ciel, la nature, l'honneur. Respecte cette loi qu'ils font tous à mon coeur, Je t'en conjure ici par un frère qui t'aime, Par toi, par tes malheurs... par ton amour lui-même. Joignez-vous à mes voeux ; c'est à vous de fléchir Un coeur aimé de vous, qui peut vouloir mourir. Achève. Quel est donc le péril dont je t'ai vu frémir ? Cette lettre fatale... ami, daigne éclaircir... Parle. Non, mon coeur est en paix. Poursuis. Je vois dans quelles mains ce billet est tombé. Je vois ce que prépare une haine inhumaine : Cette lettre aujourd'hui vient d'enhardir sa haine. Hélas ! De toi bientôt dépendront ses destins, Bientôt son empereur... Non, mon âme à ta foi ne fait point cette offense, Sans crainte pour ses jours, je vole à ta défense. Je vois quels coups bientôt doivent m'être portés : Il en est un surtout... j'en frémis... écoutez. Je jure ici par vous que, dans cette journée, Si je pouvais surprendre en mon âme indignée, Quelque désir jaloux, quelque perfide espoir, Capable un seul moment d'ébranler mon devoir, Dans ce coeur avili... non, il n'est pas possible... Le ciel me soutiendra dans cet instant terrible, Et satisfait d'un coeur trop longtemps combattu, De l'affront d'un remords sauvera ma vertu. Mon père, daignez... Ô mère trop cruelle ! Suspendez un moment. Ah ! Craignez que dans votre vengeance... Quoi ! Déjà votre haine a frappé sa victime ! Un père en un moment la trouve légitime ! Si vous n'aviez un fils, il serait innocent. Le ciel vous l'a donné... pour attendrir sa mère. Je veux croire et je crois que, prête à l'opprimer, Contre un coupable ici vous pensez vous armer ; Et l'amour maternel que dans vous je révère (Car je combats des voeux dont la source m'est chère), Abusant vos esprits sur moi seul arrêtés, Vous persuade encor ce que vous souhaitez ; Mais cet amour vous trompe, et peut être funeste. Que ne puis-je parler ? Sans doute elle m'anime. Un trône acquis sans crime. Ceux qu'on commet pour moi. Des attentats d'autrui je profite pour toi. Vous le croyez coupable, et c'est là votre excuse. Mais moi qui vois son coeur, mais moi que rien N'abuse... A-t-on jamais pleuré d'avoir fait son devoir ? Quoi ! Vous doutez... Un ami. Jamais. Ils le verront. Il est fait pour mon âme, il est digne de moi. Est-ce donc un effort que de chérir son frère ? Serait-ce une vertu quelque part étrangère ? Ai-je dû m'en défendre ? Et quel coeur endurci Ne l'eût aimé partout comme je l'aime ici ? Partout il eût trouvé des coeurs aussi sensibles, Un père, hélas ! Plus doux... des destins moins terribles. Non, vous ne savez pas tout ce que je lui dois. Si mon nom près du sien s'est placé quelquefois, C'est lui qui vers l'honneur appelait ma jeunesse, Encourageait mes pas, soutenait ma faiblesse ; Sa tendresse inquiète au milieu des combats, Prodigue de ses jours, m'arrachait au trépas ; La gloire enfin, ce bien qu'avec excès on aime, Dont le coeur est avare envers l'amitié même, Lui semblait le trahir, et manquait à ses voeux, Si son éclat du moins ne nous couvrait tous deux. Cent fois... Ô ciel ! Je vais vous étonner ; le plus fier des humains Verrait, sans se venger, la vengeance en ses mains ; Le plus fier des humains est encore le plus tendre... Je prévoyais qu'ici vous ne pourriez m'entendre ; Mais, quoi que vous pensiez, je le connais trop bien... Votre coeur ne peut juger le sien ; Pardonnez. Mon respect frémit de ce langage ; Mais vous concevez mal qu'on pardonne un outrage. Un autre l'a conçu. Je réponds de sa foi, Et vos jours sont sacrés pour lui comme pour moi ; Il sait trop qu'à ce coup je ne pourrais survivre. Par moi ! Le bonheur ! Désormais est-il fait pour mon coeur ? Si vous saviez... Que dit-elle ? Je l'adore, et je fuis... ah, cruelle ! Ô ciel, dont la rigueur vend si cher les vertus, D'un coeur au désespoir n'exige rien de plus. J'ai subi comme vous cette épreuve cruelle, Je n'ai pu désarmer une main maternelle. Ma mère, en son erreur, se flatte qu'aujourd'hui Vos voeux, fixés pour moi, me parlent contre lui ; Que le sang de Thamas doit détester mon frère. Ignorant mon malheur, elle croit, elle espère Que la séduction d'un amour mutuel M'intéresse par vous à son projet cruel : Il sera confondu. Déjà jusqu'à mon père Une lettre en secret a porté ma prière : On l'a vu s'attendrir ; ses larmes ont coulé ; C'est par son ordre ici que je suis appelé. J'obtiendrai qu'à ses yeux le prince reparaisse ; Je saurai pour son fils réveiller sa tendresse. Songez, dans vos frayeurs, qu'il lui reste un appui ; Et tant que je vivrai, ne craignez rien pour lui. Comme elle sait aimer ! Je vois toute ma perte. Pardonnez ; ma blessure un instant s'est ouverte ; Laissez-moi : loin de vous je suis plus généreux ; Le sultan va paraître : on vient. Fuyez ces lieux. Souffrez qu'à vos genoux j'adore l'indulgence Qui rend à mes regards votre auguste présence, Et d'un ordre sévère adoucit la rigueur. Il n'est point prononcé, cet arrêt sanguinaire ! Le prince a pour appui les bontés de son père. Vous l'aimâtes, seigneur ; je vous ai vu cent fois Entendre avec transport et compter ses exploits, Des splendeurs de l'empire en tirer le présage, Et montrer ce modèle à mon jeune courage. Depuis plus de huit ans éloigné de ces lieux, On a de ses vertus détourné trop vos yeux. Gardez de le juger sur un emportement, D'une âme au désespoir rapide égarement. Vous savez quel affront enflammait son courage. On excuse l'orgueil qui repousse un outrage. Seigneur, il ne l'est pas : Croyez-en l'amitié qui me parle et m'anime ; De tels noeuds ne sont point resserrés par le crime. Quels que soient les garants qu'on ose vous donner, Croyez qu'il est des coeurs qu'on ne peut soupçonner. Eh ! Qui sait, si, fermant la bouche à l'innocence... Oui. Souffrez seulement qu'il puisse se défendre. Daignez, daignez du moins le revoir et l'entendre. Eh quoi ! Votre vertu, seigneur, votre justice, De ses persécuteurs se montrerait complice ! Vous avez entendu ses mortels ennemis, Et pourriez, sans l'entendre, immoler votre fils, L'héritier de l'empire ! Ah ! Son père est trop juste. Où serait, pardonnez, cette clémence auguste, Qui dicta vos décrets, par qui vous effacez Nos plus fameux sultans, près de vous éclipsés ? Vous l'aimez, votre coeur embrasse sa défense. Ah ! Si vos yeux trop tard voyaient son innocence ; Si le sort vous condamne à cet affreux malheur, Avouez qu'en effet vous mourrez de douleur. Ah ! Si vous m'approuvez, si mon coeur peut vous plaire, Accordez-m'en le prix en me rendant mon frère. Ces sentiments qu'en moi vous daignez applaudir, Communs à vos deux fils, ont trop su les unir ; Vous formâtes ces noeuds aux jours de mon enfance, Le temps les a serrés... c'était votre espérance... Ah ! Ne les brisez point. Songez quels ennemis Sa valeur a domptés, son bras vous a soumis. Quel triomphe pour eux ! Et bientôt quelle audace, Si leur haine apprenait le coup qui le menace ! Quels voeux, s'ils contemplaient le bras levé sur lui ! Et dans quel temps veut-on vous ravir cet appui ? Voyez le transylvain, le hongrois, le moldave, Infecter à l'envi le Danube et la Drave. Rhodes n'est plus ! D'où vient que ses fiers défenseurs, Sur le rocher de Malte insultent leurs vainqueurs ? Et que sont devenus ces projets d'un grand homme, Quand vous deviez, seigneur, dans les remparts de Rome, Détruisant des chrétiens le culte florissant, Aux murs du capitole arborer le croissant ? Parlez, armez nos mains ; et que notre jeunesse Fasse encor respecter cette auguste vieillesse. Vous, craint de l'univers, revoyez vos deux fils Vainqueurs, à vos genoux retomber plus soumis, Baiser avec respect cette main triomphante, Incliner devant vous leur tête obéissante, Et chargés d'une gloire offerte à vos vieux ans, De leurs doubles lauriers couvrir vos cheveux blancs. Vous vous troublez, je vois vos larmes se répandre. Mon père... demeurez... ah ! Souffrez que mon zèle Coure de vos bontés lui porter la nouvelle ; Je reviens avec lui me jeter à vos pieds. En se montrant à vous, son coeur se justifie. S'il mérite la mort, si votre haine... Eh bien ? L'amour est son seul crime, et ce crime est le mien. Vous voyez mon rival, mon rival que l'on aime ; Ou prononcez sa grâce, ou m'immolez moi-même. De deux fils vertueux vous êtes adoré. Qu'ordonnez vous ? C'est perdre l'un et l'autre. Sa mort serait la vôtre. Pour vous fléchir ensemble, ou pour périr tous deux. Arrêtez un moment. C'est vous qui, de mon frère accusant l'innocence, Contre lui du sultan excitez la vengeance. Je lis dans votre coeur, et conçois vos desseins ; Vous voulez par sa mort assurer mes destins, Et des pièges qu'ici l'amitié me présente Garantir par pitié ma jeunesse imprudente. Vous croyez que vos soins, en m'immolant ses jours, M'affligent un moment pour me servir toujours ; Que, dans l'art de régner, sans doute moins novice, Je sentirai le prix d'un si rare service, Et que j'approuverai dans le fond de mon coeur Un crime malgré moi commis pour ma grandeur. Vous le nieriez en vain, telle est votre pensée. Vous attendez de moi le prix de son trépas, Et même en ce moment vous ne me croyez pas. Quoiqu'il en soit, vizir, tâchez de me connaître : D'un écueil à mon tour je vous sauve peut-être ; Ses dangers sont les miens, son sort sera mon sort, Et c'est moi qu'on trahit en conspirant sa mort. Vous-même, redoutez les fureurs de ma mère ; Tremblez autant que moi pour les jours de mon frère ; À ce péril nouveau c'est vous qui les livrez ; Je vous en fais garant, et vous m'en répondrez. Viens, signalons notre foi, notre zèle ; Courons vers le sultan ; désarmons les soldats : Qu'il reconnaisse enfin... Ô ciel ! Que vois-je !... hélas ! Mon frère ! Mon cher frère ! Ô crime ! Ô barbarie ! Monstres ! Quel noir projet, quelle aveugle furie !... Qu'ai-je lu ? Qu'ai-je fait ? Malheureux ! Quoi ! Ma main... Ô mon frère ! Et c'est moi qui suis ton assassin ! Ô sort ! C'est Zéangir que tu fais parricide ! Quel pouvoir formidable à nos destins préside ? Ciel ! Tu meurs ! Ah ! C'en est fait ! Prévenir vos dangers, vous montrer sa vertu ; Des soldats désarmés arrêter la licence. C'est vous dont la fureur l'égorge par mon bras, Vous dont l'ambition jouit de son trépas, Qui, sur tant de vertus fermant les yeux d'un père, L'avez fait un moment injuste, sanguinaire... Pardonnez, je vous plains, je vous chéris... Hélas ! Je connais votre coeur, vous n'y survivrez pas. C'est la dernière fois que le mien vous offense. Mon supplice finit, et le vôtre commence. **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_AZEMIRE *date_1777 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_azemire Eh quoi ! Que faut-il craindre ? Et quel nouvel orage... Moi, Seigneur ! Par mon seul intérêt mon âme prévenue, À ses vertus, seigneur, n'a point fermé la vue ; Je suis loin de haïr un généreux vainqueur. Ses soins ont de mes fers adouci la rigueur ; Il a même permis que mes yeux, dans son âme, Vissent... Quelle amitié pour son frère l'enflâme ! Je vous l'ai dit, seigneur ; j'admire votre frère ; Je sens que son danger doit vous faire frémir. Quel est-il ? Ô ciel ! Qui peut ainsi flétrir son innocence ? Faut-il que de mes voeux vous le fassiez dépendre ? D'un trop funeste amour que devez-vous attendre ? Nos destins par l'hymen peuvent-ils être unis ? Thamas et Soliman, éternels ennemis, Dans le cours d'un long règne, illustre par la guerre, De leurs sanglants débats ont occupé la terre ; Et, malgré ses succès, votre père, seigneur, Laisse au seul nom du mien éclater sa fureur. Je vois que votre amour gémit de ce langage ; Mais mon coeur, je le sens, gémirait davantage, Si le vôtre, seigneur, par le temps détrompé, Me reprochait l'espoir dont il s'est occupé. Dans le sein de son frère !... Ah ! Souvenir fatal ! Pour essuyer ses pleurs, il attend son rival ! Quelle épreuve ! Et c'est moi, grand dieu ! Qui la prépare ! J'ai dû le retenir. Quand un ordre cruel, m'appelant à Byzance, Du prince, après trois mois, m'eut ravi la présence, Sa tendresse, Félime, exigea de ma foi Que ce fatal secret ne fût livré qu'à toi. Il craignait pour tous deux sa cruelle ennemie. Est-ce elle dont la haine arme la calomnie ? A-t-il pour notre hymen sollicité Thamas ? Ô ciel ! Que de dangers j'assemble sur ses pas ! Étrange aveuglement d'un amour téméraire ! Ces raisons qu'à l'instant j'opposais à son frère, Contre le prince, hélas ! Parlaient plus fortement ; Je les sentais à peine auprès de mon amant ; Et quand, plus que jamais, ma flamme est combattue, C'est l'amour d'un rival qui les offre à ma vue ! Ah ! Loin d'aigrir les maux d'un coeur trop agité, Peins-moi plutôt, peins-moi leur générosité ; Peins-moi de deux rivaux l'amitié courageuse, De ces nobles combats sortant victorieuse, Et d'un exemple unique étonnant l'univers. Mais un trône, l'amour, des intérêts si chers... Fuyez, soupçons affreux ! Gardez-vous de paraître ! Quel espoir, cher amant, dans mon coeur vient de naître, Quand ton frère, à mes yeux partageant mon effroi, Au lieu de son amour ne parlait que de toi ! L'amitié dans son âme égalait l'amour même : Il te rendait justice, et c'est ainsi qu'on t'aime. Tu verras une amante, un rival malheureux, Unir, pour te sauver, leurs efforts et leurs voeux. Le ciel, qui veut confondre et punir ta marâtre, Charge de ta défense un fils qu'elle idolâtre. Jour affreux ! Je l'avouerai, Seigneur, ce reproche m'étonne ; L'ayant peu mérité, mon coeur vous le pardonne ; J'en plains même la cause, et je crois qu'en secret Déjà vous condamnez un transport indiscret. Vous n'avez pas pensé, prince, que votre amante, Négligeant d'étouffer une flamme imprudente, Fière d'un autre hommage à ses yeux présenté, Ait d'un frivole encens nourri sa vanité ; Et me justifier, c'est vous faire une offense. Mais puisque je vous dois expliquer mon silence, Du repos d'un ami comptable devant vous, Souffrez qu'en ce moment je rappelle entre nous Quels serments redoublés me forçaient à lui taire Un secret... Je sais que ce palais Devait à tous les yeux me soustraire à jamais ; Qu'entouré d'ennemis empressés à vous nuire, De nos voeux mutuels vous n'avez pu l'instruire. Hélas ! Me chargeait-t-on de ce soin douloureux, Moi qui, dans ce séjour pour vous si dangereux, Craignant mon coeur, mes yeux et mon silence même, Vingt fois ai souhaité de me cacher qui j'aime ? Mais, non : je lui parlais de vous, de vos vertus ; Enfin, je vous nommais ; que fallait-il de plus ? Et quand de son amour la prompte violence A condamné ma bouche à rompre le silence, J'ai vu son désespoir, tout prêt à s'exhaler, Repousser le secret que j'allais révéler. Ciel ! Non, je n'ai point douté qu'un héroïque zèle Ne signalât toujours votre amitié fidèle ; Je vous ai trop connu. Votre frère arrêté, Aujourd'hui, de vous seul attend la liberté. La sultane me quitte ; et, dans sa violence... Quel entretien fatal et quelle confidence ! De ses desseins secrets complice malgré moi, Ainsi que ma douleur j'ai caché mon effroi. Je respire par vous ; et, dans ma tendre estime, J'ose encore implorer un rival magnanime : Je tremble pour le prince ; et mes voeux éperdus Lui cherchent un asile auprès de vos vertus. Je retiens les transports de ma reconnaissance. Mais, par pitié peut-être, on nous rend l'espérance : Pour mieux me rassurer, vous cachez vos terreurs ; Vous détournez les yeux en essuyant mes pleurs. Que de périls pressants ! Le vizir, votre mère, Moi même, cette lettre et ce fatal mystère, Un sultan soupçonneux, l'ivresse des soldats, L'horreur de Soliman pour le nom de Thamas, Horreur toujours nouvelle et par le temps accrue, Que sans fruit la sultane a même combattue ! Ah ! Si, dans les dangers qu'on redoute pour moi, Ceux du prince à mon coeur inspiraient moins d'effroi, Je vous dirais : forcez son généreux silence, Dévoilez son secret, montrez son innocence : Heureuse si j'avais, en voulant le sauver, Et des périls plus grands, et la mort à braver ! **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_OSMAN *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_osman Oui, Madame, en secret le sultan vient d'entendre Le récit des succès que je dois vous apprendre ; Les hongrois sont vaincus, et Témeswar surpris, Garant de ma victoire, en est encore le prix. Mais tout près d'obtenir une gloire nouvelle, Dans Byzance aujourd'hui quel ordre me rappelle ? Que n'ai-je, en abattant une tête ennemie, Assuré d'un seul coup vos grandeurs et ma vie ! J'osais vous en flatter : le sultan soupçonneux M'ordonnait de saisir un fils victorieux, Dans son gouvernement, au sein de l'Amasie. Je pars sur cet espoir : j'arrive dans l'Asie ; J'y vois notre ennemi des peuples révéré, Chéri de ses soldats, partout idolâtré ; Ma présence effrayait leur tendresse alarmée ; Et, si le moindre indice eût instruit son armée De l'ordre et du dessein qui conduisaient mes pas, Je périssais, madame, et ne vous servais pas. Ne m'écrivez-vous point qu'une lettre surprise, Par une main vénale entre vos mains remise, Du prince et de Thamas trahissant les secrets, Doit prouver qu'à la Perse il vend nos intérêts ? Cette lettre, sans doute, au sultan parvenue... Hâtez-vous ; qu'à l'instant l'arrêt soit prononcé, Avant que l'ennemi que vous voulez proscrire Sur le coeur de son père ait repris son empire. Mais ne craignez-vous point cette ardente amitié Dont votre fils, madame, à son frère est lié ? Vous-même, pardonnez à ce discours sincère, Vous-même, l'envoyant sur les pas de son frère, D'une amitié fatale avez serré les noeuds. Vous ignorez à quel excès il l'aime. Je ne puis vous tromper ni me tromper moi-même ; Je déteste le prince autant que je le crains ; Il doit haïr en moi l'ouvrage de vos mains, Un vizir qui le brave est bientôt votre gendre. D'Ibrahim qu'il aimait il veut venger la cendre. Successeur d'Ibrahim, je puis prévoir mon sort. S'il vit, je dois trembler ; s'il règne, je suis mort. Jugez sur ses destins quel intérêt m'éclaire. Perdez votre ennemi, mais redoutez son frère ; Par des noeuds éternels ils sont unis tous deux. Il est d'autres périls dont je dois vous instruire : Je crains que, dans ces lieux, cette jeune Azémire N'ouvre à l'amour enfin le coeur de votre fils. J'attendais le moment d'être admis. Seigneur, je viens chercher des ordres nécessaires. Ali, ce brave Ali, ce chef des janissaires, Qui, même sous Sélim, s'est illustré jadis, Et, malgré son grand âge, a suivi votre fils, Se flatte qu'à vos pieds vous daignerez l'admettre ; Il apporte un secret qu'il a craint de commettre : Le salut de l'empire, a-t-il dit, en dépend, Et des moindres délais il me rendait garant. Je cru que son grand nom, ses exploits... Paraissez : Le trône est en péril, vos jours sont menacés. Transfuges de leur camp, de nombreux janissaires, Des fureurs de l'armée insolents émissaires, Dans les murs de Byzance ont semé leur terreur ; Séditieux sans chef, unis par la douleur, Ils marchent. Leur maintien, leur silence menace. En pâlissant de crainte, ils frémissent d'audace ; Leur calme est effrayant ; leurs yeux avec horreur Des remparts du sérail mesurent la hauteur. Déjà, devançant l'heure aux prières marquée, Les flots d'un peuple immense inondent la mosquée ; Tandis que, dans le camp, un deuil séditieux D'un désespoir farouche épouvante les yeux, Que des plus forcenés l'emportement funeste Des drapeaux déchirés ensevelit le reste ; Comme si leur courroux, en les foulant aux pieds, Venait d'anéantir leurs serments oubliés. Montrez-vous, imposez à leur foule insolente. Moi ! Seigneur, que mon âme à ce point abaissée... Quel avenir, ô ciel ! Quel destin dois-je attendre ! Daignez m'entendre. Dans cet instant Zéangir en courroux... Quel projet ? Ah ! Craignez... Nessir, Adorez à genoux l'ordre de votre maître. Bientôt vous l'apprendrez. Contre les révoltés il marche en cet instant. Un ordre du sultan l'éloigne de ses yeux. Azémire à Thamas est rendue ; Elle quitte Byzance. Est rigoureux. Craignez de vos amis le secours dangereux. Qui voudrait vous servir vous trahirait peut-être. Ce séjour est sacré ; puisse-t-il toujours l'être ! Souhaitez-le et tremblez ; vos périls sont accrus : Ce zèle impétueux qu'excitent vos vertus... Vous avez lu, Nessir, obéissez. **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_ALI *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ali Il le faudrait peut-être. Mais je viens contre lui m'adresser à son maître ; Qu'il demeure, il le peut. Sultan, tu ne crois pas Que j'eusse d'un rebelle accompagné les pas. Ton fils, ainsi que moi, vit et mourra fidèle. J'ai su calmer des siens et la fougue et le zèle ; Ils te révèrent tous. Mais on craint les complots Que la haine en ces lieux trame contre un héros. "Ah ! Du moins, disaient-ils, dans leur secret murmure Ah ! Si la vérité confondait l'imposture ! Si, détrompant un maître et cherchant ses regards Elle osait pénétrer ces terribles remparts ! Mais la mort punirait un zèle téméraire. " On peut près du cercueil hasarder de déplaire. Sultan, d'un vieux guerrier ces restes languissants, Ce sang, dans les combats prodigué soixante ans, Exposés pour ton fils que tout l'empire adore, S'ils sauvaient un héros te serviraient encore, De notre amour pour lui ne prends aucuns soupçons ; C'est le grand Soliman qu'en lui nous chérissons ; Il nous rend tes vertus, et tu permets qu'on l'aime. Mais crains ses ennemis, crains ton pouvoir suprême, Crains d'éternels regrets, et surtout un remords. J'ai rempli mon devoir : ordonnes-tu ma mort ? Sur le sort de ton fils je suis donc sans effroi. **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_ACHMET *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_achmet Prince, que faites-vous ? D'un tel excès d'honneur mon âme est accablée. Je voudrais voir ma vie à la vôtre immolée ; Mais ce titre... Écartez, croyez-moi, cette sombre pensée. N'enfoncez point les traits dont votre âme est blessée ; À vos dangers, au sort conformez votre coeur. Du joug, sans murmurer, souffrez la pesanteur ; De vos exploits surtout bannissez la mémoire ; Plus que vos ennemis, redoutez votre gloire ; Et, d'un vizir jaloux confondant les desseins, Tremblez au pied d'un trône affermi par vos mains. De vos ressentiments, prince, étouffez la voix. Ah ! D'un nouvel effroi, vous pénétrez mon âme. Si votre coeur se livre au courroux qui l'enflamme, De la sultane ici soutiendrez-vous l'aspect ? Feindrez-vous devant-elle une ombre de respect ? N'allez point à sa haine offrir une victime ; Contenez, renfermez l'horreur qui vous anime. Ne vous aveuglez point de ce crédule espoir ; Par la mort d'Ibrahim jugez de son pouvoir. Connaissez, redoutez votre fière ennemie. Vingt ans sont écoulés depuis que son génie Préside aux grands destins de l'empire ottoman, Et, sans le dégrader, règne sur Soliman. Le séjour odieux qui lui donna naissance, Lui montra l'art de feindre et l'art de la vengeance. Son âme, aux profondeurs de ses déguisements, Joint l'audace et l'orgueil de nos fiers musulmans. Sous un maître absolu souveraine maîtresse, Elle osa dédaigner, même dans sa jeunesse, Ce frivole artifice et ces soins séducteurs Par qui son faible sexe, enchaînant de grands coeurs, Offre aux yeux indignés la douloureuse image D'un héros avili dans un long esclavage ! De son illustre époux seconder les projets ; Utile dans la guerre, utile dans la paix, Sentir ainsi que lui les fureurs de la gloire ; L'enflammer, le pousser de victoire en victoire : Voilà par quelle adresse elle a su l'asservir. Sans la braver, du moins, laissez-là vous haïr. Eh ! Par quelle imprudence augmentant nos alarmes, Contre vous-même ici lui donnez-vous des armes ? Pourquoi, seigneur, tous ces chefs, ces soldats, Qui jusqu'au pied des murs ont marché sur vos pas ? Pourquoi cet appareil qui menace Byzance, Et qui d'un camp guerrier présente l'apparence ? Il s'occupe de vous, quelque part qu'il puisse être. De sa tendre amitié je me suis tout promis ; C'est mon plus ferme espoir contre vos ennemis. Pardonnez si déjà mon zèle en diligence À vos épanchements vient mêler ma présence : Mais d'un subit effroi le palais est troublé. Déjà, près du sultan le vizir appelé, Prodigue contre vous les conseils de la haine. La moitié du sérail, que sa voix seule entraîne, Séduite dès longtemps, s'intéresse pour lui ; Même on dit qu'en secret un plus puissant appui... Pardonnez... dans vos coeurs mes regards ont dû lire ; Mais une mère... Hélas ! Je crains... Eh bien ! L'on dit qu'invisible à regret, Sa main conduit les coups qu'on prépare en secret ; On redoute un courroux qu'elle force au silence ; On craint son artifice, on craint sa violence ; Mais un bruit dont surtout mon coeur est consterné... Le sultan veut la voir, et l'ordre en est donné. On tremble, on attend cette grande entrevue ; On parle d'une lettre au sultan inconnue. Seigneur, Contre un juste courroux défendez votre coeur. Vous ignorez quel ordre et quel projet sinistre Mena dans votre camp un odieux ministre. Le vizir (je voudrais en vain vous le cacher) Aux bras de vos soldats devait vous arracher. Le péril arrêta son audace. Cher prince, devant vous si mes pleurs trouvent grâce, Si mes voeux, si mes soins méritent quelque prix, Si d'un vieillard tremblant vous souffrez les avis, Modérez vos transports ; et, loin d'aigrir un père, Réveillez dans son coeur sa tendresse première ; Il aima votre enfance, il aime vos vertus. Vous pourriez... pardonnez. Je n'ose en dire plus. À de plus chers conseils mon coeur vous abandonne, Et vole à d'autres soins que mon zèle m'ordonne. **** *creator_chamfort *book_chamfort_mustaphazeangir *style_verse *genre_tragedy *dist1_chamfort_verse_tragedy_mustaphazeangir *dist2_chamfort_verse_tragedy *id_FELIME *date_1777 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_felime Je conçois les terreurs où votre coeur s'égare ; Mais un mot, pardonnez, pouvait les prévenir. L'aveu de votre amour... Je frémis avec vous pour vous-même et pour eux. Eh ! Qui peut sans douleur voir deux coeurs vertueux Briser les noeuds sacrés d'une amitié si chère, Et contraints de haïr un rival dans un frère ?