**** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_AGESILAS *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_agesilas Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'envie et la haine Ont persécuté les héros : Hercule en sert d'exemple, et l'histoire en est pleine, Nous ne pouvons souffrir qu'ils meurent en repos. Cependant cet exil, ces retraites paisibles, Cet unique souhait d'y terminer leurs jours, Sont des mots bien choisis à remplir leurs discours, Ils ont toujours leur grâce, ils sont toujours plausibles ; Mais ils ne sont pas vrais toujours, Et souvent des périls ou cachés, ou visibles, Forcent notre prudence à nous mieux assurer Qu'ils ne veulent se figurer. Je ne m'étonne point qu'avec tant de lumières Vous ayez prévu mes refus ; Mais je m'étonne fort que les ayant prévus Vous n'en ayez pu voir les raisons bien entières. Vous êtes un grand homme, et de plus, mécontent. J'avouerai plus encor, vous avez lieu de l'être. Ainsi de ce repos où votre ennui prétend Je dois prévoir en Roi quel désordre peut naître, Et regarde en quels lieux il vous plaît de porter Des chagrins qu'en leur temps on peut voir éclater. Ceux que prend pour exil, ou choisit pour asile Ce dessein d'une mort tranquille, Des Perses et des Grecs séparent les États. L'assiette en est heureuse, et l'accès difficile, Leurs maîtres ont du coeur, leurs peuples ont des bras : Ils viennent de nous joindre avec une puissance À beaucoup espérer, à craindre beaucoup d'eux, Et c'est mettre en leurs mains une étrange balance Que de mettre à leur tête un guerrier si fameux. C'est vous qui les donnez l'un et l'autre à la Grèce, L'un fut ami du Perse, et l'autre son sujet ; Le service est bien grand, mais aussi je confesse Qu'on peut ne pas bien voir tout le fond du projet. Votre intérêt s'y mêle en les prenant pour gendres, Et si par des liens et si forts et si tendres Vous pouvez aujourd'hui les attacher à vous, Vous vous les donnez plus qu'à nous. Si malgré le secours, si malgré les services, Qu'un ami doit à l'autre, un sujet à son Roi, Vous les avez tous deux arrachés à leur foi, Sans aucun droit sur eux, sans aucuns bons offices ; Avec quelle facilité N'immoleront-ils point une amitié nouvelle À votre courage irrité, Quand vous ferez agir toute l'autorité De l'amour conjugale et de la paternelle, Et que l'occasion aura d'heureux moments Qui flattent vos ressentiments ? Vous ne nous laissez aucun gage, Votre sang tout entier passe avec vous chez eux : Voyez donc ce projet comme je l'envisage, Et dites si pour nous il n'a rien de douteux. Vous avez jusqu'ici fait paraître un vrai zèle, Un coeur si généreux, une âme si fidèle, Que par toute la Grèce on vous loue à l'envi : Mais le temps quelquefois inspire une autre envie ; Comme vous Thémistocle avait fort bien servi, Et dans la Cour de Perse il a fini sa vie. Dites tout, vous avez la mémoire trop bonne Pour avoir oublié que vous me fîtes Roi, Lorsqu'on balança ma couronne Entre Léotychide et moi. Peut-être n'osez-vous me vanter un service Qui ne me rendit que justice, Puisque nos lois voulaient ce qu'il sut maintenir ; Mais moi qui l'ai reçu, je veux m'en souvenir. Vous m'avez donc fait Roi, vous m'avez de la Grèce Contre celui de Perse établi Général ; Et quand je sens dans l'âme une ardeur qui me presse De ne m'en revancher pas mal, À peine sommes-nous arrivés dans Éphèse, Où de nos alliés j'ai mis le rendez-vous, Que sans considérer si j'en serai jaloux, Ou s'il se peut que je m'en taise, Vous vous saisissez par vos mains De plus que votre récompense, Et tirant toute à vous la suprême puissance Vous me laissez des titres vains. On s'empresse à vous voir, on s'efforce à vous plaire, On croit lire en vos yeux ce qu'il faut qu'on espère, On pense avoir tout fait quand on vous a parlé, Mon palais près du vôtre est un lieu désolé, Et le Généralat comme le Diadème M'érige sous votre ordre en fantôme éclatant, En colosse d'État qui de vous seul attend L'âme qu'il n'a pas de lui-même, Et que vous seul faites aller Où pour vos intérêts il le faut étaler. Général en idée, et Monarque en peinture, De ces illustres noms pourrais-je faire cas, S'il les fallait porter, moins comme Agésilas, Que comme votre créature, Et montrer avec pompe au reste des humains En ma propre grandeur l'ouvrage de vos mains ? Si vous m'avez fait Roi, Lysander, je veux l'être ; Soyez-moi bon sujet, je vous serai bon maître, Mais ne prétendez plus partager avec moi Ni la puissance, ni l'emploi. Si vous croyez qu'un sceptre accable qui le porte, À moins qu'il prenne une aide à soutenir son poids, Laissez discerner à mon choix Quelle main à m'aider pourrait être assez forte. Vous aurez bonne part à des emplois si doux Quand vous pourrez m'en laisser faire, Mais soyez sûr aussi d'un succès tout contraire, Tant que vous ne voudrez les tenir que de vous. Je passe à vos amis qu'il m'a fallu détruire, Si dans votre vrai rang je voulais vous réduire, Et d'un pouvoir surpris saper les fondements. Ils étaient tout à vous, et par reconnaissance D'en avoir reçu leur puissance, Ils ne considéraient que vos commandements. Vous seul les aviez faits souverains dans leurs villes, Et j'y verrais encor mes ordres inutiles, À moins que d'avoir mis leur tyrannie à bas, Et changé comme vous la face des États. Chez tous nos Grecs asiatiques Votre pouvoir naissant trouva des Républiques, Que sous votre cabale il vous plut asservir : La vieille liberté si chère à leurs ancêtres Y fut partout forcée à recevoir dix maîtres, Et dès qu'on murmurait de se la voir ravir, On voyait par votre ordre immoler les plus braves À l'empire de vos esclaves. J'ai tiré de ce joug les peuples opprimés, En leur premier état j'ai remis toutes choses, Et la gloire d'agir par de plus justes causes A produit des effets plus doux, et plus aimés. J'ai fait, à votre exemple ici des créatures, Mais sans verser de sang, sans causer de murmures, Et comme vos tyrans prenaient de vous la loi, Comme ils étaient à vous, les peuples sont à moi. Voilà quelles raisons ôtent à vos services Ce qu'ils vous semblent mériter, Et colorent ces injustices Dont vous avez raison de vous mécontenter. Si d'abord elles ont quelque chose d'étrange, Repassez-les deux fois au fond de votre coeur, Changez, si vous pouvez, de conduite et d'humeur, Mais n'espérez pas que je change. Il nous serait honteux que des mains étrangères Vous payassent pour nous de ce qui vous est dû. Tôt ou tard le mérite a ses justes salaires, Et son prix croît souvent, plus il est attendu. D'ailleurs n'aurait-on pas quelque lieu de vous dire, Si je vous permettais d'accepter ces partis, Qu'amenant avec nous Spitridate et Cotys Vous auriez fait pour vous plus que pour notre Empire, Que vos seuls intérêts vous auraient fait agir ? Et pourriez-vous enfin l'entendre sans rougir ? Vos filles sont d'un sang que Sparte aime et révère Assez pour les payer des services d'un père, Je veux bien en répondre, et moi-même au besoin J'en ferai mon affaire, et prendrai tout le soin. D'un peu d'amour que j'eus Aglatide a parlé, Son père qui l'a su dans son âme s'en flatte, Et sur ce vain espoir il part tout consolé Du refus que j'en fais aux voeux de Spitridate : Tu l'as vu, Xénoclès, tout d'un coup s'adoucir. À te dire le vrai l'affaire m'embarrasse, J'ai peine à démêler ce qu'il faut que je fasse, Tant la confusion de mes raisonnements Étonne mes ressentiments. Lysander m'a servi, j'aurais une âme ingrate, Si je méconnaissais ce que je tiens de lui ; Il a servi l'État, et si son crime éclate, Il y trouvera de l'appui. Je sens que ma reconnaissance Ne cherche qu'un moyen de le mettre à couvert : Mais enfin il y va de toute ma puissance, Si je ne le perds, il me perd. Ce que veut l'intérêt, la prudence ne l'ose. Tu peux juger par là du désordre où je suis, Je vois qu'il faut le perdre ; et plus je m'y dispose, Plus je doute si je le puis. Sparte est un État populaire Qui ne donne à ses Rois qu'un pouvoir limité, On peut y tout dire et tout faire Sous ce grand nom de liberté. Si je suis souverain en tête d'une armée, Je n'ai que ma voix au Sénat ; Il faut y rendre compte, et tant de Renommée Y peut avoir déjà quelque ligue formée, Pour autoriser l'attentat. Ce prétexte flatteur de la cause publique, Dont il le couvrira si je le mets au jour, Tournera bien des yeux vers cette Politique Qui met chacun en droit de régner à son tour. Cet espoir y pourra toucher plus d'un courage, Et quand sur Lysander j'aurai fait choir l'orage, Mille autres comme lui jaloux ou mécontents Se promettront plus d'heur à mieux choisir leur temps. Ainsi de toutes parts le péril m'environne, Si je veux le punir, j'expose ma couronne, Et si je lui fais grâce, ou veux dissimuler, Je dois craindre… Voyons quelle est sa flamme, avant que de résoudre S'il nous faudra lancer ou retenir la foudre. Si vous n'êtes, Seigneur, plus mon ami qu'amant, Vous me voudrez du mal avec quelque justice, Mais vous m'êtes trop cher pour souffrir aisément Que vous vous attachiez au père d'Elpinice : Non qu'entre un si grand homme et moi Ce qu'on voit de froideur prépare aucune haine : Mais c'est assez pour voir cet hymen avec peine, Qu'un sujet déplaise à son Roi. D'ailleurs je n'ai pas cru votre âme fort éprise. Sans l'avoir jamais vue, elle vous fut promise ; Et la foi qui ne tient qu'à la raison d'État Souvent n'est qu'un devoir qui gêne, tyrannise, Et fait sur tout le coeur un secret attentat. Choisissez, choisissez, et s'il est quelque objet À Sparte, ou dans toute la Grèce, Qui puisse de ce coeur mériter la tendresse, Tenez-vous sûr d'un prompt effet, En est-il qui vous touche ? En est-il qui vous plaise ? Que dites-vous, Seigneur, et quel est ce désir ? Quand par toute la Grèce on vous donne à choisir, Vous choisissez une Persane ! Pensez-y bien, de grâce, et ne nous forcez pas, Nous qui vous aimons, à connaître Que pressé d'un amour, qui ne vient pas de naître Vous ne venez à moi que pour suivre ses pas. Ce sont subtilités que l'amour vous suggère, Dont nous voyons pour nous les succès incertains. Ne pourriez-vous, Seigneur, d'une amitié si chère Mettre le grand dépôt en de plus sûres mains ? Pausanias et moi nous avons des parentes, Et jamais un vrai roi ne fait un digne choix S'il ne s'allie au sang des Rois. D'où sait-il, Xénoclès, d'où sait-il que je l'aime ? Je ne l'ai dit qu'à toi, m'aurais-tu découvert ? Quoi, La civilité, l'accueil, la déférence, Ce que pour le beau sexe on a de complaisance, Ce qu'on lui rend d'honneur, tout passe pour amour ! Non, et même avec gloire on s'en laisse charmer : Mais un Roi que son trône à d'autres soins engage Doit n'aimer qu'autant qu'il lui plaît, Et que de sa grandeur y consent l'intérêt. Vois donc si ma peine est légère. Sparte ne permet point aux fils d'une étrangère De porter son sceptre en leur main ; Cependant à mes yeux Mandane a su trop plaire, Je veux cacher ma flamme, et je le veux en vain : Empêcher son hymen c'est lui faire injustice, L'épouser, c'est blesser nos lois, Et même il n'est pas sûr que j'emporte son choix ; La donner à Cotys, c'est me faire un supplice, M'opposer à ses voeux c'est le joindre au parti Que déjà contre moi Lysander a pu faire, Et s'il a le bonheur de ne lui pas déplaire, J'en recevrai peut-être un honteux démenti. Que ma confusion, que mon trouble est extrême ! Je me défends d'aimer, et j'aime, Et je sens tout mon coeur balancé nuit et jour Entre l'orgueil du diadème Et les doux espoirs de l'amour. En qualité de Roi, j'ai pour ma gloire à craindre ; En qualité d'amant je vois mon sort à plaindre, Mon trône avec mes voeux ne souffre aucun accord, Et ce que je me dois me reproche sans cesse Que je ne suis pas assez fort Pour triompher de ma faiblesse. Le plus sûr, Xénoclès, n'est pas le plus facile. Cherche-moi Spitridate, et l'amène en ce lieu, Et nous verrons après s'il n'est point de milieu Entre le charmant et l'utile. AU SÉNATEUR CRATÈS, À L'ÉPHORE ARSIDAS. Spitridate et Cotys sont de l'intelligence ? Par cette déférence il croit les mieux aigrir, Et rejetant sur moi ce qu'ils ont à souffrir… Gardons qu'à ses yeux rien n'éclate. Aglatide, Seigneur, a-t-elle encor vos voeux ? Elpinice ? Ainsi toujours pour gendre Vous vous donnez à Lysander ? Si vous considériez… Seigneur, j'aimais à Sparte et j'aime dans Éphèse. L'un et l'autre objet est charmant ; Mais bien que l'un m'ait plu, bien que l'autre me plaise, Ma raison m'en a su défendre également. Mais de mon ennemi rechercher l'alliance ! Non, Lysander ne l'est pas ; Mais s'il faut vous le dire, il y court à grands pas. Il est Roi, je ne suis pas son maître, Et Mandane ni vous n'êtes pas mes sujets. L'aime-t-elle ? C'est me connaître mal, je ne contrains personne. L'ingrate ! Non, mais qui la pressait de choisir un époux ? Elle eût peu hasardé peut-être pour attendre. Comme l'amour n'entend que ce qu'il veut entendre, Il ne voit que ce qu'il veut voir. Si je l'ai jusqu'ici de tant d'honneurs comblée, De tant de faveurs accablée, Ces faveurs, ces honneurs ne lui disaient-ils rien ? Elle les entendait trop bien en dépit d'elle, Mais l'ingrate, mais la cruelle… Seigneur, à votre tour vous m'entendez trop bien. Qu'elle aille chez Cotys partager sa couronne, Je n'y mets point d'obstacle, et n'en veux rien savoir, Soit que l'ambition, soit que l'amour la donne, Vous avez tous deux tout pouvoir. Si pourtant vous m'aimiez… Allez, encore un coup, allez en d'autres lieux Épargner par pitié cette gêne à mes yeux, Sauvez-moi du chagrin de montrer que je l'aime. Ô vue ! Ô sur mon coeur regards trop absolus, Que vous allez troubler mes voeux irrésolus ! Ne partez pas, Madame. Ô ciel, j'en vais trop dire. Oui, partez, encor que j'en soupire. Que ce mot ne peut-il suffire ? J'aime trop à vous voir et je vous ai trop vue, C'est, Madame, ce qui me tue. Partez, partez de grâce. Nommez-vous un exil le trône d'un époux ? Cotys… Ah, c'est trop déférer et trop peu. Quoi, pour cet hyménée exiger mon aveu ! Si vous vouliez avoir des yeux Pour voir de ces refus la véritable cause… Non, Spitridate. C'est inutilement que ma raison me flatte, Comme vous j'ai mon faible ; et j'avoue à mon tour Qu'un si triste secours défend mal de l'amour. Je vois par mon épreuve avec quelle injustice Je vous refusais Elpinice, Je cesse de vous faire une si dure loi, Allez, elle est à vous, si Mandane est à moi. Ce que pour Lysander je semble avoir de haine Fera place aux douceurs de cette double chaîne, Dont vous serez le noeud commun, Et cet heureux hymen, accompagné du vôtre, Nous rendant entre nous garant de l'un vers l'autre, Réduira nos trois coeurs en un. Madame, parlez donc. En puis-je pour la mienne espérer une égale, Madame ? Ou ne sera-ce en effet qu'obéir ? Quand peut-on être ingrat, si c'est là reconnaître , Et que puis-je sur vous si le coeur n'y consent ? Qu'une Persane m'ose offrir un si grand choix ! Parmi nous qui traitons la Perse de barbare, Et méprisons jusqu'à ses rois, Est-il plus haut mérite ? Est-il vertu plus rare ? Cependant mon destin à ce point est amer, Que plus elle mérite, et moins je dois l'aimer, Et que plus ses vertus sont dignes de l'hommage Que rend toute mon âme à cet illustre objet, Plus je la dois fermer à tout autre projet, Qu'à celui d'égaler sa grandeur de courage. Je n'en suis pas encor d'accord avec moi-même. J'aime, mais après tout je hais autant que j'aime, Et ces deux passions qui règnent tour à tour Ont au fond de mon coeur si peu d'intelligence, Qu'à peine immole-t-il la vengeance à l'amour, Qu'il voudrait immoler l'amour à la vengeance. Entre ce digne objet et ce digne ennemi Mon âme incertaine et flottante, Quoi que l'un me promette, et quoi que l'autre attente, Ne se peut, ni dompter, ni croire qu'à demi ; Et plus des deux côtés je la sens balancée, Plus je vois clairement que si je veux régner, Moi qui de Lysander vois toute la pensée, Il le faut tout à fait ou perdre, ou regagner ; Qu'il est temps de choisir. Il faudrait, Xénoclès, une âme plus sublime. Ah, si je pouvais tout, dans l'ardeur qui me presse Pour ces deux passions qui partagent mes voeux, Peut-être aurais-je la faiblesse D'obéir à toutes les deux. Oui, vous l'y porterez, et du moins de ma part Ce précieux honneur ne court aucun hasard. On a votre parole, et j'ai donné la mienne, Et pour faire aujourd'hui que l'une et l'autre tienne, Il faut vaincre un amour qui m'était aussi doux Que votre gloire l'est pour vous, Un amour dont l'espoir ne voyait plus d'obstacle : Mais enfin il est beau de triompher de soi, Et de s'accorder ce miracle, Quand on peut hautement donner à tous la loi, Et que le juste soin de combler notre gloire Demande notre coeur pour dernière victoire. Un roi né pour l'éclat des grandes actions Dompte jusqu'à ses passions, Et ne se croit point Roi, s'il ne fait sur lui-même Le plus illustre essai de son pouvoir suprême. Allez dire à Cotys que Mandane est à lui, Que si mes feux aux siens ne l'ont pas accordée, Pour venger son amour de ce moment d'ennui, Je veux la lui céder comme il me l'a cédée. Oyez de plus… Et bien, vos mécontentements Me seront-ils encore à craindre ? Et vous souviendrez-vous des mauvais traitements Qui vous avaient donné tant de lieu de vous plaindre ? Et que va devenir cette docte harangue, Qui du fameux Cléon doit ennoblir la langue ? Nous sommes seuls, j'ai chassé Xénoclès, Parlons confidemment. Que venez-vous d'écrire À l'éphore Arsidas, au Sénateur Cratès ? Je vous défère assez pour n'en vouloir rien lire, Tout est encor fermé, voyez. Non, non, j'aurais plus fait peut-être en votre place. Il est naturel aux grands coeurs De sentir vivement de pareilles rigueurs, Et vous m'offenseriez de douter de ma grâce. Comme Roi je la donne, et comme ami discret Je vous assure du secret. Je remets en vos mains tout ce qui vous peut nuire, Vous m'avez trop servi pour m'en trouver ingrat, Et d'un trop grand soutien je priverais l'État Pour des ressentiments où j'ai su vous réduire. Ma puissance établie et mes droits conservés Ne me laissent point d'yeux pour voir votre entreprise, Dites-moi seulement avec même franchise, Vous dois-je encor bien plus que vous ne me devez ? Reprochez-moi plutôt toutes mes injustices, Que de plus ravaler de si rares services, Elles ont fait le crime, et j'en tire ce bien, Que j'ai pu m'acquitter et ne vous dois plus rien. À présent que la gratitude Ne peut passer pour dette en qui s'est acquitté, Vos services payés d'un traitement si rude, Vont recevoir de moi ce qu'ils ont mérité. S'ils ont su conserver un trône en ma famille, J'y veux par mon hymen faire seoir votre fille, C'est ainsi qu'avec vous je puis le partager. Jugez-en comme il en faut juger, Et surtout commencez d'apprendre, Que les rois sont jaloux du souverain pouvoir, Qu'ils aiment qu'on leur doive, et ne peuvent devoir, Que rien à leurs sujets n'acquiert l'indépendance, Qu'ils règlent à leur choix l'emploi des plus grands coeurs, Qu'ils ont pour qui les sert des grâces, des faveurs, Et qu'on n'a jamais droit sur leur reconnaissance. Prenons dorénavant vous et moi pour objet Les devoirs qu'il faudra l'un à l'autre nous rendre, N'oubliez pas ceux d'un sujet, Et j'aurai soin de ceux d'un gendre. Sortez d'étonnement. Les temps changent, Madame, Et l'on n'a pas toujours mêmes yeux ni même âme. Pourriez-vous de ma main accepter un époux ? Rappelez ces beaux jours pour me parler sans feindre, Mais si vous le pouvez, Madame, épargnez-moi. Je parlerai, Madame, avec même franchise. J'aime à voir cet orgueil que mon choix autorise À dédaigner les voeux de tout autre qu'un Roi, J'aime cette hauteur en un jeune courage, Et vous n'aurez point lieu de vous plaindre de moi, Si votre heureux destin dépend de mon suffrage. Je vous ai fait justice à tous, Et je crois que ce jour vous doit être assez doux, Qui de tous vos souhaits à votre gré décide ; Mais pour le rendre encor plus doux et plus charmant, Sachez que Sparte voit sa reine en Aglatide, À qui le ciel en moi rend son premier amant. Rendons nos coeurs, Madame, à des flammes si belles, Et tous ensemble allons préparer ce beau jour Qui par un triple hymen couronnera l'amour. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_LYSANDER *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lysander Quoique en matière d'hyménées L'importune langueur des affaires traînées Attire assez souvent de fâcheux embarras, J'ai voulu qu'à loisir vous pussiez voir mes filles, Avant que demander l'aveu d'Agésilas Sur l'union de nos familles. Dites-moi donc, Seigneur, ce qu'en jugent vos yeux, S'ils laissent votre coeur d'accord de vos promesses, Et si vous y sentez plus d'aimables tendresses Que de justes désirs de pouvoir choisir mieux. Parlez avec franchise, avant que je m'expose À des refus presque assurés Que j'estimerai peu de chose, Quand vous serez plus déclarés ; Et n'appréhendez point l'emportement d'un père : Je sais trop que l'amour de ses droits est jaloux, Qu'il dispose de nous sans nous, Que les plus beaux objets ne sont pas sûrs de plaire. L'aveugle sympathie est ce qui fait agir La plupart des feux qu'il excite ; Il ne l'attache pas toujours au vrai mérite, Et quand il la dénie, on n'a point à rougir. Que veut dire, Madame, une telle retraite ? Se plaint-il d'Aglatide, et la jeune indiscrète Répondrait-elle mal aux honneurs qu'il lui fait ? Elpinice ! Et sa main n'est plus en ma puissance ! Madame, doutez-vous de la bonté d'un père ? Ne traitez point, Seigneur, ce nouveau feu de crime, Le choix que font les yeux est le plus légitime. Et comme un beau désir ne peut bien s'allumer, S'ils n'instruisent le coeur de ce qu'il doit aimer ; C'est ôter à l'amour tout ce qu'il a d'aimable, Que les tenir captifs sous une aveugle foi, Et le don le plus favorable Que ce coeur sans leur ordre ose faire de soi, Ne fut jamais irrévocable. Laissez-leur garder leur conquête. Peut-être qu'Elpinice avec plaisir s'apprête À vous laisser ailleurs trouver un sort plus doux, Quand un autre pour elle a d'autres yeux que vous ; Qu'elle cède ce coeur à celle qui le vole, Et qu'en ce même instant qu'on vous le surprenait, Un pareil attentat sur sa propre parole Lui dérobait celui qu'elle vous destinait. Surtout, ne craignez rien du côté d'Aglatide, Je puis répondre d'elle, et quand j'aurai parlé, Vous verrez tout son coeur où mon vouloir préside, Vous payer de celui qu'elle vous a volé. Et de qui donc ? L'amour ! Seigneur, du nom d'amour n'abusez point en vain, Dites d'Agésilas la haine insatiable. C'est elle dont l'aigreur auprès de vous m'accable, Et qui de jour en jour s'animant contre moi, Pour me perdre d'honneur m'enlève votre foi. L'amour le fera mieux ; ce que j'en viens d'apprendre M'offre un sujet de joie où j'en voyais d'ennui : Épouser la soeur de mon gendre, C'est le devenir comme lui. Aglatide d'ailleurs n'est pas si délaissée Que votre exemple n'aide à lui trouver un Roi ; Et pour peu que le Ciel réponde à ma pensée, Ce sera plus de gloire et plus d'appui pour moi. Aussi ferai-je plus, je veux que de moi-même Vous teniez cet objet qui vous fait soupirer, Et Spitridate, à moins que de m'en assurer, N'obtiendra jamais ce qu'il aime. Je veux dès aujourd'hui savoir d'Agésilas S'il pourra consentir à ce double hyménée, Dont ma parole était donnée. Sa haine apparemment ne m'en avouera pas : Si pourtant par bonheur il m'en laisse le maître, J'en userai, Seigneur, comme je le promets ; Sinon, vous lui ferez connaître Vous-même quels sont vos souhaits. Allez : on m'a vu jeune, et par expérience Je sais ce qui se passe au coeur des vrais amants. Je prends pour l'attacher à moi Ce qui s'offre de plus utile. D'un emportement indiscret Je ne voyais rien à prétendre ; Vouloir par force en faire un gendre, Ce n'est qu'en vouloir faire un ennemi secret. Je veux me l'acquérir, je veux, s'il m'est possible, À force d'amitiés si bien le ménager, Que quand je voudrai me venger J'en tire un secours infaillible. Ainsi je flatte ses désirs, J'applaudis, je défère à ses nouveaux soupirs, Je me fais l'auteur de sa joie, Je sers sa passion, et sous cette couleur Je m'ouvre dans son âme une infaillible voie, À m'en faire à mon tour servir avec chaleur. Qu'à ses voeux mon tyran l'accorde ou la refuse, De la manière dont j'en use, Il ne peut m'ôter son appui ; Et de quelque façon que la chose se passe, Ou je fais la première grâce, Ou j'aigris puissamment ce rival contre lui. J'ai même à souhaiter que son feu se déclare ; Comme de notre Sparte il choquera les lois, C'est une occasion que lui-même il prépare, Et qui peut la résoudre à mieux choisir ses Rois. Nous avons trop longtemps asservi sa couronne À la vaine splendeur du sang ; Il est juste à son tour que la vertu la donne, Et que le seul mérite ait droit à ce haut rang. Ma ligue est déjà forte, et ta harangue est prête À faire éclater la tempête, Sitôt qu'il aura mis ma patience à bout : Si pourtant je voyais sa haine enfin bornée Ne mettre aucun obstacle à ce double hyménée, Je crois que je pourrais encore oublier tout. En perdant cet ingrat je détruis mon ouvrage, Je vois dans sa grandeur le prix de mon courage, Le fruit de mes travaux, l'effet de mon crédit : Un reste d'amitié tient mon âme en balance, Quand je veux le haïr je me fais violence, Et me force à regret à ce que je t'ai dit. Il faut, il faut enfin qu'avec lui je m'explique, Que j'en sache qui peut causer Cette haine si lâche, et qu'il rend si publique, Et fasse un digne effort à le désabuser. Aglatide est d'humeur à rire de sa perte, Son esprit enjoué ne s'ébranle de rien ; Pour l'autre, elle a, de vrai, l'âme un peu moins ouverte, Mais elle n'eut jamais de vouloir que le mien. Ainsi je me tiens sûr de leur obéissance. Les voici, laisse-nous, afin qu'avec franchise Leurs âmes s'en ouvrent à moi. J'apprends avec quelque surprise, Mes filles, qu'on vous manque à toutes deux de foi. Cotys aime en secret une autre qu'Elpinice, Spitridate n'en fait pas moins. Rendez-lui la pareille. Aime-t-elle Cotys ? Et s'il fallait changer entre vous de partis… Peut-être ce malheur d'assez près te menace. Donc à moins que d'un Roi tu ne veux plus te rendre ? C'est mettre un peu haut ta conquête. Dis donc, Agésilas ? D'un pareil changement ne cherche point la cause, Sa haine pour ton père à cet amour s'oppose, Mais n'importe, il est bon que j'en sois averti : J'agirai d'autre sorte avec cette lumière, Et suivant qu'aujourd'hui nous l'aurons plus entière, Nous verrons à prendre parti. Je ne suis point surpris qu'à ces deux hyménées Vous refusiez, Seigneur, votre consentement, J'aurais eu tort d'attendre un meilleur traitement Pour le sang odieux dont mes filles sont nées. Il est le sang d'Hercule en elles comme en vous, Et méritait par là quelque destin plus doux ; Mais s'il vous peut donner un titre légitime Pour être leur maître et leur Roi, C'est pour l'une et pour l'autre une espèce de crime, Que de l'avoir reçu de moi. J'avais cru toutefois que l'exil volontaire Où l'amour paternel près d'elles m'eût réduit, Moi qui de mes travaux ne vois plus autre fruit Que le malheur de vous déplaire, Comme il délivrerait vos yeux D'une insupportable présence, À mes jours presque usés obtiendrait la licence D'aller finir sous d'autres Cieux. C'était là mon dessein ; mais cette même envie, Qui me fait près de vous un si malheureux sort, Ne saurait endurer ni l'éclat de ma vie, Ni l'obscurité de ma mort. Si c'est avec raison que je suis mécontent, Si vous-même avouez que j'ai lieu de me plaindre, Et si jusqu'à ce point on me croit important, Que mes ressentiments puissent vous être à craindre ; Oserais-je vous demander Ce que vous a fait Lysander, Pour leur donner ici chaque jour de quoi naître, Seigneur ? Et s'il est vrai qu'un homme tel que moi Quand il est mécontent, peut desservir son Roi, Pourquoi me forcez-vous à l'être ? Quelque avis que je donne, il n'est point écouté, Quelque emploi que j'embrasse, il m'est soudain ôté, Me choisir pour appui c'est courir à sa perte, Vous changez en tous lieux les ordres que j'ai mis, Et comme s'il fallait agir à guerre ouverte, Vous détruisez tous mes amis. Ces amis dont pour vous je gagnai les suffrages, Quand il fallut aux Grecs élire un Général, Eux qui vous ont soumis les plus nobles courages, Et fait ce haut pouvoir qui leur est si fatal, Leur seul amour pour moi les livre à leur ruine, Il leur coûte l'honneur, l'autorité, le bien : Cependant plus j'y songe, et plus je m'examine, Moins je trouve, Seigneur, à me reprocher rien. S'il ne m'est pas permis d'espérer rien de tel, Du moins, grâces aux Dieux, je ne vois dans vos plaintes Que des raisons d'État et de jalouses craintes, Qui me font malheureux, et non pas criminel. Non, Seigneur, que je veuille être assez téméraire Pour oser d'injustice accuser mes malheurs : L'action la plus belle a diverses couleurs, Et lorsqu'un Roi prononce, un sujet doit se taire. Je voudrais seulement vous faire souvenir Que j'ai près de trente ans commandé nos armées, Sans avoir amassé que ces nobles fumées Qui gardent les noms de finir. Sparte pour qui j'allais de victoire en victoire M'a toujours vu pour fruit n'en vouloir que la gloire, Et faire en son épargne entrer tous les trésors Des peuples subjugués par mes heureux efforts. Vous-même le savez, que quoi qu'on m'ait vu faire, Mes filles n'ont pour dot que le nom de leur père ; Tant il est vrai, Seigneur, qu'en un si long emploi J'ai tout fait pour l'État, et n'ai rien fait pour moi. Dans ce manque de bien Cotys et Spitridate, L'un Roi, l'autre en pouvoir égal peut-être aux Rois, M'ont assez estimé pour y borner leur choix, Et quand de les pourvoir un doux espoir me flatte, Vous semblez m'envier un bien, Qui fait ma récompense, et ne vous coûte rien. Je n'attendais, Seigneur, qu'un mot si favorable Pour finir envers vous mes importunités ; Et je ne craindrai plus qu'aucun malheur m'accable, Puisque vous avez ces bontés. Aglatide surtout aura l'âme ravie De perdre un époux à ce prix, Et moi, pour me venger de vos plus durs mépris, Je veux tout de nouveau vous consacrer ma vie. Seigneur, il vous a plu disposer d'Elpinice ; Nous devons elle et moi beaucoup à vos bontés ; Et je serai ravi qu'elle vous obéisse, Pourvu que de Cotys les voeux soient acceptés. J'en ai donné parole, il y va de ma gloire. Spitridate, sans lui, ne saurait être heureux, Et donner mon aveu, s'ils ne le sont tous deux, C'est faire à mon honneur une tache trop noire. Vous pouvez nous parler en Roi. Ma fille vous doit plus qu'à moi : Commandez, elle est prête, et je saurai me taire : N'exigez rien de plus d'un père. Il a tenu toujours vos ordres à bonheur, Mais rendez-lui cette justice, De souffrir qu'il emporte au tombeau cet honneur, Qui fait l'unique prix de trente ans de service. Je vous ai dit, Seigneur, que j'étais tout à vous, Et j'y suis d'autant plus, que malgré l'apparence Je trouve des bontés qui passent l'espérance Où je n'avais cru voir que des soupçons jaloux. Seigneur… Je suis coupable, Parce qu'on me trahit, que l'on vous sert trop bien, Et que par un effort de prudence admirable Vous avez su prévoir de quoi serait capable Après tant de mépris, un coeur comme le mien. Ce dessein toutefois ne passera pour crime Que parce qu'il est sans effet, Et ce qu'on va nommer forfait N'a rien qu'un plein succès n'eût rendu légitime. Tout devient glorieux pour qui peut l'obtenir, Et qui le manque, est à punir. Avez-vous pu, Seigneur, me devoir quelque chose ? Qui sert le mieux son roi ne fait que son devoir : En vous de tout l'État j'ai défendu la cause, Quand je l'ai fait tomber dessous votre pouvoir. Le zèle est tout de feu quand ce grand devoir presse, Et comme à le moins suivre on s'en acquitte mal, Le mien vous servit moins qu'il ne servit la Grèce, Quand j'en sus ménager les coeurs avec adresse Pour vous en faire Général. Je vous dois cependant et la vie et ma gloire, Et lorsqu'un dessein malheureux Peut me coûter le jour et souiller ma mémoire, La magnanimité de ce coeur généreux… Seigneur, à ces bontés que je n'osais attendre Que puis-je… **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_COTYS *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cotys Vous voyez de quel air Elpinice me traite, Comme elle disparaît, Seigneur, à mon abord. Ah, s'il n'était honteux de manquer de promesse ! Qu'une autre de mon coeur serait bientôt maîtresse ! Elpinice pour moi montre une telle glace, Que je me tiendrais sûr de son consentement. Que nous sert qu'en secret l'une et l'autre engagée Peut-être ainsi que nous porte son coeur ailleurs ? Pour voir notre infortune entre elles partagée Nos destins n'en sont pas meilleurs. Souffrez donc qu'avec vous tout mon coeur se déploie. Ah, si vous le vouliez, que mon sort serait doux, Vous seul me pouvez mettre au comble de ma joie. Vous me pouvez donner l'objet qui me possède. Et si je vous la cède ? Aglatide, Seigneur ? Ce n'est pas là m'entendre, Et vous ne feriez rien pour moi. Oui, mais l'amour ici me fait une autre loi. Si je n'en juge mal, sa faveur n'est pas grande, Seigneur, auprès d'Agésilas, Il n'obtient presque rien de quoi qu'il lui demande. Et si ce différend, que vous craignez si peu Lui fait pour notre hymen refuser son aveu ? Seigneur, l'aimerait-il ? Et Mandane y consent ? Et vous avez donné pour elle votre foi ? Ah ! Ne la donnez point, Seigneur, si vous m'aimez, Ou si vous aimez Elpinice : Mandane a tout mon coeur, mes yeux en sont charmés, Et ce n'est qu'à ce prix que je vous rends justice. Hélas ! Et si l'amour autrement en ordonne, Le moyen d'y forcer mon coeur ? Et l'êtes-vous du vôtre ? Je ne le puis celer, qui que l'on me propose, Toute autre que Mandane est pour moi même chose. Je ferais trois heureux qui m'empêchent de l'être ! J'ose, j'ose vous faire une plus juste loi. Ou faites mon bonheur dont vous êtes le maître, Ou demeurez tous trois malheureux comme moi. Rendez-vous à votre Aglatide, Puisque votre coeur endurci Veut suivre obstinément un faux devoir pour guide, Je serai malheureux, vous le serez aussi. Puisqu'elle vous l'a dit, pourrais-je vous le taire ? Jugez, Seigneur, de mes ennuis ; Une autre qu'Elpinice à mes yeux a su plaire, Et l'aimer est un crime en l'état où je suis. Seigneur, ce n'est point par mépris, Ce n'est point qu'Elpinice aux miens n'ait paru belle ; Mais enfin (le dirai-je ?) oui, Seigneur, on m'a pris, On m'a volé ce coeur que j'apportais pour elle. D'autres yeux, malgré moi, s'en sont faits les tyrans, Et ma foi s'est armée en vain pour ma défense, Ce lâche, qui s'est mis de leur intelligence Les a soudain reçus en justes conquérants. Ah, Seigneur, pour ce vol je ne me plains pas d'elle. L'amour s'y sert d'une autre main. Oui, cet amour qui me rend infidèle… Ah ! S'il y va de votre gloire, Ma parole est donnée, et dussé-je en mourir, Je la tiendrai, Seigneur, jusqu'au dernier soupir ; Mais quoi que la surprise ait pu vous faire croire, N'accusez point Agésilas D'un crime de mon coeur, que même il ne sait pas. Mandane, qui m'ordonne à vos yeux de le dire, Vous montre assez par là quel souverain empire L'amour lui donne sur ce coeur. Ne considérez point si j'aime ou si l'on m'aime ; En matière d'honneur ne voyez que vous-même, Et disposez de moi comme veut cet honneur. Ah, que Mandane et moi n'avons-nous mille vies, Seigneur, pour vous les immoler ! Car je ne saurais plus vous le dissimuler, Nos âmes en seront également ravies. Souffrez-lui donc sa part en ces ravissements, Et pardonnez, de grâce, à mon impatience… Seigneur, la personne est aimable, Je promis de l'aimer avant que de la voir, Et sentis à sa vue un accord agréable Entre mon coeur et mon devoir. La froideur toutefois que vous montrez au père M'en donne un peu pour elle, et me la rend moins chère : Non que j'ose après vos refus Vous assurer encor que je ne l'aime plus. Comme avec ma parole il nous fallait la vôtre, Vous dégagez ma foi, mon devoir, mon honneur ; Mais si vous en voulez dégager tout mon coeur, Il faut l'engager à quelque autre. Il en est, oui, Seigneur, il en est dans Éphèse, Et pour faire en ce coeur naître un nouvel amour, Il ne faut point aller plus loin que votre Cour. L'éclat et les vertus de l'illustre Mandane… Mon amour en ces lieux ne cherchait qu'Elpinice, Mes yeux ont rencontré Mandane par hasard, Et quand ce même amour de vos froideurs complice S'est voulu pour vous plaire attacher autre part, Les siens ont attiré toute la déférence Que j'ai cru devoir rendre à votre aversion, Et je l'ai regardée, après votre alliance, Bien moins Persane de naissance Que Grecque par adoption. Quand on aime, on se fait des règles différentes. Spitridate a du nom et de la qualité, Sans trône il a d'un roi le pouvoir en partage, Votre Grèce en reçoit un pareil avantage, Et le sang n'y met pas tant d'inégalité, Que l'amour où sa soeur m'engage Ravale fort ma dignité. Se peut-il qu'en l'aimant ma gloire se hasarde Après l'exemple d'un grand Roi, Qui tout grand Roi qu'il est, l'estime et la regarde Avec les mêmes yeux que moi ? Si ce bruit n'est point faux, mon mal est sans remède, Car enfin c'est un Roi dont il me faut l'appui : Adieu, Seigneur, je la lui cède, Mais je ne la cède qu'à lui. Que cette belle humeur soit véritable, ou feinte, Tout ce qu'elle en prétend ne m'alarmerait pas, Si le pouvoir d'Agésilas Ne me portait dans l'âme une plus juste crainte. Pourrez-vous l'aimer ? Pourrez-vous l'épouser ? N'imputez point à crime une civilité Qu'ici de Général voulait l'autorité. Vous céder par dépit, et d'un ton menaçant Faire voir qu'on pénètre au coeur du plus puissant, Qu'on sait de ses refus la plus secrète cause, Ce n'est pas tant céder l'objet de son amour, Que presser un rival de paraître en plein jour, Et montrer qu'à ses voeux hautement on s'oppose. Ah ! Le change vous plaît. Cette sûreté malheureuse À qui vous immolez votre amour et le mien, Peut-elle être si précieuse Qu'il faille l'acheter de mon unique bien ? Et faut-il que l'amour garde tant de mesure Avec des intérêts qui lui font tant d'injure ? Laissez, laissez périr ce déplorable Roi, À qui ces intérêts dérobent votre foi. Que sert que vous l'aimiez, et que fait votre flamme Qu'augmenter son ardeur pour croître ses malheurs, Si malgré le don de votre âme Votre raison vous livre ailleurs ? Armez-vous de dédains, rendez, s'il est possible, Votre perte pour lui moins grande ou moins sensible, Et par pitié d'un coeur trop ardemment épris Éteignez-en la flamme à force de mépris. Jamais si digne flamme en un coeur allumée… L'amour au désespoir peut-il encor charmer ? Quel indigne tourment ! Quel injuste supplice Succède au doux espoir qui m'osait tout offrir. Que dites-vous, Madame, et par quel sentiment… Seigneur, à vos bontés nous venons consacrer Et Mandane et moi notre vie. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_SPITRIDATE *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_spitridate Un vertueux amour n'a rien d'incompatible Avec les regards d'une soeur : Ne m'enviez point la douceur De pouvoir à vos yeux convaincre une insensible. Soyez juge et témoin de l'indigne succès Qui se prépare pour ma flamme. Voyez jusqu'au fond de mon âme D'une si pure ardeur où va le digne excès ; Voyez tout mon espoir au bord du précipice, Voyez des maux sans nombre et hors de guérison ; Et quand vous aurez vu toute cette injustice, Faites m'en un peu de raison. En doutez-vous, Madame, et peut-on concevoir… Elle ne s'y fait pas, Madame, un grand effort, Et ferait grâce entière à mon peu de mérite, Si votre âme avec elle était assez d'accord Pour se vouloir saisir de ce qu'elle vous quitte. Pour peu que vous daigniez écouter la raison, Vous me devez cette justice, Et prendre autant de part à voir ma guérison, Qu'en ont eu vos attraits à faire mon supplice. C'est trop dissimuler La cause et la grandeur du mal qui me possède, Et je me dois, Madame, au défaut du remède La vaine douceur d'en parler. Oui, vos yeux ont part à ma peine, Ils en font plus de la moitié, Et s'il n'est point d'amour pour en finir la gêne, Il est pour l'adoucir des regards de pitié. Quand je quittai la Perse, et brisai l'esclavage Où m'envoyant au jour le ciel m'avait soumis, Je crus qu'il me fallait parmi ses ennemis D'un protecteur puissant assurer l'avantage ; Cotys eut, comme moi, besoin de Lysander, Et quand pour l'attacher lui-même à nos familles Nous demandâmes ses deux filles, Ce fut les obtenir que de les demander. Par déférence au trône il lui promit l'aînée, La jeune me fut destinée ; Comme nous ne cherchions tous deux que son appui, Nous acceptâmes tout sans regarder que lui. J'avais su qu'Aglatide était des plus aimables, On m'avait dit qu'à Sparte elle savait charmer, Et sur des bruits si favorables Je me répondais de l'aimer. Que l'amour aime peu ces folles confiances, Et que pour affermir son empire en tous lieux Il laisse choir souvent de cruelles vengeances Sur qui promet son coeur sans l'aveu de ses yeux ! Ce sont les conseillers fidèles Dont il prend les avis pour ajuster ses coups, Leur rapport inégal vous fait plus ou moins belles, Et les plus beaux objets ne le sont pas pour tous. À ce moment fatal qui nous permit la vue Et de vous et de cette soeur, Mon âme devint toute émue Et le trouble aussitôt s'empara de mon coeur ; Je le sentis pour elle tout de glace, Je le sentis tout de flamme pour vous, Vous y régnâtes en sa place, Et ses regards aux miens n'offrirent rien de doux, Il faut pourtant l'aimer, du moins il faut le feindre, Il faut vous voir aimer ailleurs : Voyez s'il fut jamais un amant plus à plaindre, Un coeur plus accablé de mortelles douleurs. C'est un malheur sans doute égal au trépas même, Que d'attacher sa vie à ce qu'on n'aime pas ; Et voir en d'autres mains passer tout ce qu'on aime, C'est un malheur encor plus grand que le trépas. S'il en dédit un père, Peut-être ai-je une soeur qu'il n'en dédira pas. Ce grand prince pour elle a tant de complaisance, Qu'à sa moindre prière il ne refuse rien, Et si son coeur voulait s'entendre avec le mien… Perdriez-vous pour moi son trône sans ennui ? Si votre âme, Seigneur, en est mal satisfaite, Mon sort est bien à plaindre autant que votre sort. Si la foi sans rougir pouvait se dégager ! Que je serais ravi, comme vous, de changer ! Aglatide verrait qu'une autre prît sa place Sans en murmurer un moment. Elles aiment ailleurs, ces belles dédaigneuses, Et peut-être, en dépit du sort, Il serait un moyen, et de les rendre heureuses, Et de nous rendre heureux par un commun accord. Et ma félicité dépend toute de vous. Vous me pouvez donner celui de tous mes voeux, Elpinice me charme. Je céderai de même Aglatide à vos feux. Ne vous devez-vous pas à Lysander pour gendre ? L'amour ! Il n'en faut point écouter qui le blesse, Et qui nous ôte son appui. L'échange des deux soeurs n'a rien qui l'intéresse, Nous n'en serons pas moins à lui ; Mais de porter ailleurs sa main, qui leur est due, Seigneur, au dernier point ce sera l'irriter, Et sa protection perdue, N'avons-nous rien à redouter ? Je vois qu'assez souvent il ne l'écoute pas : Mais pour un différend frivole Dont nous ignorons le secret, Ce prince avouerait-il un amour indiscret D'un tel manquement de parole ? Lui qui lui doit son trône, et cet illustre rang D'unique Général des troupes de la Grèce, Pourrait-il le haïr avec tant de bassesse Qu'il pût autoriser ce mépris de son sang ? Si nous manquons de foi, qu'aura-t-il lieu de croire ? En aurions-nous pour lui plus que pour Lysander ? Pensez-y bien, Seigneur, avant qu'y hasarder Nos sûretés et votre gloire. Ma soeur n'a qu'à parler, je m'en tiens sûr par elle. Il la trouve assez belle, Il en parle avec joie, et se plaît à la voir ; Je tâche d'affermir ces douces apparences, Et si vous voulez tout savoir, Je pense avoir de quoi flatter mes espérances. Prenez-y part, Seigneur, pour l'intérêt commun ? Quand nous aurons tous deux Lysander pour beau-père, Ce roi s'allie à vous, s'il devient mon beau-frère, Et nous aurons ainsi deux appuis au lieu d'un. Mandane est trop bien née Pour dédire un devoir qui la met sous ma loi. Non ; mais à dire vrai, je la tiens pour donnée. Elpinice ne rend votre foi qu'à sa soeur, Et ce n'est qu'à ce prix qu'elle-même se donne. Rendez-vous-en le maître. J'y ferai mon effort, si je vous parle en vain, Et du moins, si ma soeur vous dérobe à toute autre, Je serai maître de ma main. Il vous est donc facile, et doit même être doux, Puisqu'enfin Elpinice aime un autre que vous, De lui préférer qui vous aime ; Et du moins vous auriez l'honneur, Par un peu d'effort sur vous-même, De faire le commun bonheur. Eh bien, épousez Elpinice : Je renonce à tout mon bonheur, Plutôt que de me voir complice D'un manquement de foi qui vous perdrait d'honneur. Que nous avons, ma soeur, brisé de rudes chaînes ! En Perse il n'est point de sujets ; Ce ne sont qu'esclaves abjects, Qu'écrasent d'un coup d'oeil les têtes souveraines. Le Monarque, ou plutôt le tyran général, N'y suit pour loi que son caprice, N'y veut point d'autre règle et point d'autre justice, Et souvent même impute à crime capital Le plus rare mérite, et le plus grand service. Il abat à ses pieds les plus hautes vertus, S'immole insolemment les plus illustres vies, Et ne laisse aujourd'hui que les coeurs abattus À couvert de ses tyrannies. Vous autres, s'il vous daigne honorer de son lit, Ce sont indignités égales, La gloire s'en partage entre tant de rivales, Qu'elle est moins un honneur qu'un sujet de dépit. Toutes n'ont pas le nom de reines, Mais toutes portent mêmes chaînes, Et toutes, à parler sans fard, Servent à ses plaisirs sans part à son Empire, Et même en ses plaisirs elles n'ont autre part, Que celle qu'à son coeur brutalement inspire Ou ce caprice, ou le hasard. Voilà, ma soeur, à quoi vous avait destinée, À quel infâme honneur vous avait condamnée Pharnabaze son lieutenant : Il aurait fait de vous un présent à son Prince, Si pour nous affranchir mon soin le prévenant N'eût à sa tyrannie arraché ma Province. La Grèce a de plus saintes lois, Elle a des peuples et des rois Qui gouvernent avec justice : La raison y préside et la sage équité, Le pouvoir souverain par elles limité, N'y laisse aucun droit au caprice. L'hymen de ses Rois même y donne coeur pour coeur ; Et si vous aviez le bonheur Que l'un d'eux vous offrît son trône avec son âme, Vous seriez, par ce noeud charmant, Et reine véritablement, Et véritablement sa femme. Vous en savez beaucoup, ma soeur, et vos mérites Vous ouvrent fort les yeux sur ce que vous valez. Cependant et des rois et de leur différence Je vous trouve en effet plus instruite que moi. N'y pensez-vous point trop ? Je le vois bien, ma soeur, il faut vous laisser faire. Qui choisit mal pour soi choisit mal pour autrui, Et votre coeur, instruit par le malheur d'un frère A déjà fait son choix sans lui. Que sert de m'en offrir un entier sacrifice, Si je n'ose et ne puis même déterminer À qui pour mon bonheur vous devez la donner ? Cotys me la demande, Agésilas l'espère. Parler de vous sans cesse, aimer votre entretien, Vous donner tout crédit, ne chercher qu'à vous plaire… Vous penchez vers Cotys, et savez qu'Elpinice Ne veut point être à moi qu'il ne soit à sa soeur ! Et Lysander pourra souffrir cette injustice ? Ma soeur, vous êtes plus adroite, Souffrez que je ménage un moment de retraite : J'aurais trop à rougir, pour peu que devant moi Vous fissiez deviner de ce manque de foi. Puisque vous le voulez, je ne puis me défendre, Seigneur, de vous parler avec sincérité. Ma seule ambition est d'être votre gendre ; Mais apprenez de grâce une autre vérité. Ce bonheur que j'attends, cette gloire où j'aspire, Et qui rendrait mon sort égal au sort des Dieux, N'a pour objet… Seigneur, je tremble à vous le dire, Ma soeur vous l'expliquera mieux. Agésilas me mande, il est temps d'éclater, Que me permettez-vous, Madame, de lui dire ? M'en désavouerez-vous si j'ose me vanter Que c'est pour vous que je soupire, Que je crois mes soupirs assez bien écoutés Pour vous fermer le coeur et l'oreille à tous autres, Et que dans vos regards je vois quelques bontés Qui semblent m'assurer des vôtres ? Puisqu'il aime ma soeur, cet amour est un gage Qui me répond de son suffrage : Ses désirs prendront loi de mes propres désirs, Et son feu pour les satisfaire N'a pas moins besoin de me plaire, Que j'en ai de lui voir approuver mes soupirs. Madame, on est bien fort quand on parle soi-même, Et qu'on peut dire au souverain : « J'aime et je suis aimé, vous aimez comme j'aime ; Achevez mon bonheur, j'ai le vôtre en ma main. » La perte de ma soeur lui servira de guide À tourner ses désirs du côté d'Aglatide. D'ailleurs que pourra-t-il, si contre Agésilas Ce grand homme ni moi nous ne le servons pas ? Dites, dites un mot, et ma flamme enhardie… N'importe, ce grand mot produirait des miracles. Un amant avoué renverse tous obstacles, Tout lui devient possible, il fléchit les parents, Triomphe des rivaux, et brave les tyrans. Dites donc, m'aimez-vous ? Quand mon amour pour vous la laisse sans amant. Son destin est-il si charmant Que vous en soyez envieuse ? Et vous ? Le vôtre est-il moins insensible ? Ah ! Madame, achevez, Le devoir et l'amour, que vous feraient-ils faire ? Venez, ma soeur, venez aider mes tristes feux À combattre un injuste et rigoureux silence. Il est temps de résoudre avec quel artifice Vous pourrez en venir à bout, Vous, ma soeur, qui tantôt me répondiez de tout, Si j'avais le coeur d'Elpinice. Il est à moi ce coeur, son silence le dit, Son adieu le fait voir, sa fuite le proteste, Et si je n'obtiens pas le reste, Vous manquez de parole, ou du moins de crédit. Cotys de cet espoir ose en vain se flatter, L'amour d'Agésilas à son amour s'oppose. Ne me cachez rien, vous l'aimez. Mais vous m'avez promis un entier sacrifice. Que ne peut point un Roi ? Inexorable soeur ! Hélas, considérez… Que j'aime, et que je suis aimé. N'égalez point au mien un feu mal allumé, Le sexe vous apprend à régner sur vos âmes. Ah ! Si quelque lumière enfin vous est offerte, Expliquez-vous, de grâce, et pour le commun bien, Vous ni moi ne négligeons rien. N'aimer plus ! Ah, ma soeur ! Oui, ma soeur, et j'en suis d'accord, Agésilas ici maître de notre sort Peut nous abandonner à la Perse irritée, Et nous laisser rentrer malgré tout notre effort Sous la captivité que nous avons quittée. Cotys ni Lysander ne nous soutiendront pas, S'il faut que sa colère à nous perdre s'applique : Aimez, aimez-le donc, du moins par Politique, Ce redoutable Agésilas. Ma soeur, l'amour vaincra sans doute, Ce héros est à vous, quelques lois qu'il redoute, Et si par la prière il ne les peut fléchir, Ses victoires auront de quoi l'en affranchir. Ces lois, ces mêmes lois s'imposeront silence À l'aspect de tant de vertus, Ou Sparte l'avouera d'un peu de violence, Après tant d'ennemis à ses pieds abattus. Si vous saviez, ma soeur, aimer autant que j'aime… Après tant de froideurs pour mon peu de mérite, Est-ce vous mal servir que reprendre ma foi ? Je ne crois pas pour vous cette perte si grande, Que vous en souhaitiez d'autre que vos mépris. C'est ainsi que j'appelle Un feu si bien promis, et si mal allumé. Il ne vous répondait que d'agir un peu tard, Et laissait beaucoup au hasard. Votre ordre cependant vers une autre me chasse, Et vous avez quitté la place à votre soeur. J'en suis au désespoir ; mais je n'ai point de frère Que je puisse à mon tour vous prier d'accepter. De tout mon coeur je l'en conjure : Envoyez-lui Cotys, ou même Agésilas, Ma soeur, et prenez soin d'apaiser ce murmure Qui cherche à m'imputer des sentiments ingrats. Je vous laisse entre vous faire ce grand partage, Et vais chez Lysander voir quel sera le mien. Madame, vous voyez, je ne puis davantage, Et qui fait ce qu'il peut n'est plus garant de rien. Non, Seigneur, mais enfin ils ne vont pas loin d'elle, Et sa soeur a fait naître une flamme nouvelle En la place des premiers feux. Elle-même. Seigneur, contre l'amour peut-on bien se défendre ? À peine attaque-t-il qu'on brûle de se rendre, Le plus ferme courage est ravi de céder ; Et j'ai trouvé ma foi plus facile à reprendre, Que mon coeur à redemander. Seigneur, que considère Un coeur d'un vrai mérite heureusement charmé ? L'amour n'est plus amour sitôt qu'il délibère, Et vous le sauriez trop si vous aviez aimé. La mienne suivrait mieux un plus commun exemple. Si vous aimez, Seigneur, ne vous refusez rien, Ou souffrez que je vous contemple Comme un coeur au-dessus du mien. Des climats différents la nature est diverse, La Grèce a des vertus qu'on ne voit point en Perse, Permettez qu'un Persan n'ose vous imiter, Que sur votre partage il craigne d'attenter, Qu'il se contente à moins de gloire, Et trouve en sa faiblesse un destin assez doux, Pour ne point envier cette haute victoire Que vous seul avez droit de remporter sur vous. De votre ennemi ! C'en est assez : je dois me faire violence Et renonce à plus croire ou mes yeux, ou mon coeur. Ne m'ordonnez-vous rien sur l'hymen de ma soeur ? Cotys l'aime. Il se peut. Lui ferai-je connaître Que vous auriez d'autres projets ? Peut-être qu'elle n'aime encor que sa couronne, Et je ne sais pas bien où pencherait son choix, Si le ciel lui donnait à choisir de deux Rois. Vous l'avez jusqu'ici de tant d'honneurs comblée, De tant de faveurs accablée, Qu'à vos ordres ses voeux sans peine assujettis… Je réponds de sa reconnaissance, Et qu'elle ne consent à l'espoir de Cotys Que pour le maintenir dans votre dépendance. Pourrait-elle, Seigneur, davantage pour vous ? L'occasion d'un Roi, Seigneur, est bien pressante. Les plus dignes objets ne l'ont pas chaque jour : Elle échappe à la moindre attente Dont on veut éprouver l'amour. À moins que de la prendre au moment qu'elle arrive, On s'expose aux périls de l'accepter trop tard, Et l'asile est si beau pour une fugitive, Qu'elle ne peut sans crime en rien mettre au hasard. Voyait-elle en ces lieux un plus illustre espoir ? Soyez sûr de mon zèle, Ma parole à Cotys est encore à donner ; Mais si cet hyménée a de quoi vous gêner, Mandane que deviendra-t-elle ? Elle vient recevoir vos ordres elle-même. Ma soeur, il faut parler un peu plus clairement. Le Roi s'est plaint à moi de votre ingratitude. N'est-ce pas assez dire, et faut-il autre chose ? Voyez mieux sa pensée, ou répondez-y mieux. Ces refus obligeants veulent qu'on les entende, Ils sont de ses faveurs le comble, et la plus grande. Tout Roi qu'est votre amant, perdez-le sans ennui, Lorsqu'on vous en destine un plus puissant que lui. M'en désavouerez-vous, Seigneur ? Seigneur, l'obéissance S'exprime assez par le silence : Trouvez bon que je puisse apprendre à Lysander La grâce qu'à ma flamme il vous plaît d'accorder. De pareilles faveurs, Seigneur, nous font rentrer Pour vous faire voir même envie. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_MANDANE *date_1666 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mandane Je veux bien l'espérer : tout est facile aux Dieux, Et peut-être que de bons yeux En auraient déjà vu quelque flatteuse marque ; Mais il en faut de bons pour faire un si grand choix, Si le roi dans la Perse est un peu trop Monarque, En Grèce il est des Rois qui ne sont pas trop Rois : Il en est dont le peuple est le suprême arbitre, Il en est d'attachés aux ordres d'un Sénat ; Il en est qui ne sont enfin sous ce grand titre, Que premiers sujets de l'État. Je ne sais si le ciel pour régner m'a fait naître, Et quoiqu'en ma faveur j'aie encor vu paraître, Je doute si l'on m'aime ou non : Mais je pourrais être assez vaine, Pour dédaigner le nom de Reine Que m'offrirait un Roi qui n'en eût que le nom. Je réponds simplement à ce que vous me dites, Et parle en général comme vous me parlez. Puisque vous m'ordonnez qu'ici j'espère un Roi, Il est juste, Seigneur, que quelquefois j'y pense. Je sais que c'est à vous À régler mes désirs sur le choix d'un époux, Mon devoir n'en fera point d'autre ; Mais quand vous daignerez choisir pour une soeur, Daignez songer de grâce à faire son bonheur Mieux que vous n'avez fait le vôtre. D'un choix que vous m'aviez vous-même tant loué Votre coeur et vos yeux vous ont désavoué, Et si j'ai, comme vous, quelques pentes secrètes, Seigneur, si c'est ainsi que vous les rencontrez, Jugez, par le trouble où vous êtes De l'état où vous me mettrez. Peut-être, mais enfin vous suis-je nécessaire ? Parlez, il n'est désirs, ni tendres sentiments, Que je ne sacrifie à vos contentements. Faut-il donner ma main pour celle d'Elpinice ? Agésilas, Seigneur ! Et le savez-vous bien ? Ce sont civilités envers une étrangère, Qui font beaucoup d'éclat, et ne produisent rien. Il jette par là des amorces À ceux qui, comme nous, voudront grossir ses forces ; Mais quelque haut crédit qu'il me donne en sa Cour, De toute sa conduite il est si bien le maître, Qu'au simple nom d'hymen vous verriez disparaître Tout ce qu'en ses faveurs vous prenez pour amour. Je vous réponds de tout, si vous avez son coeur. Lysander est si mal auprès d'Agésilas, Que ce sera beaucoup s'il en obtient un gendre, Et peut-être sans moi ne l'a-t-il pas : Pour deux, il aurait tort, s'il osait y prétendre. Mais, Seigneur, le voici ; tâchez de pressentir Ce qu'en votre faveur il pourrait consentir. Elle y répond, Seigneur, ainsi qu'il le souhaite, Et je l'en vois fort satisfait : Mais je ne vois pas bien que par les sympathies Dont vous venez de nous parler, Leurs âmes soient fort assorties, Ni que l'amour encore ait daigné s'en mêler. Ce n'est pas qu'il n'aspire à se voir votre gendre, Qu'il n'y mette sa gloire et borne ses plaisirs ; Mais puisque par son ordre il me faut vous l'apprendre, Elpinice est l'objet de ses plus chers désirs. Je sais qu'il n'est plus temps de vous la demander, Mais je vous répondrais de son obéissance, Si Cotys la voulait céder. Que sait-on si l'amour, dont la bizarrerie Se joue assez souvent du fond de notre coeur, N'aura point fait au sien même supercherie ? S'il n'y préfère point Aglatide à sa soeur ? Cet échange, Seigneur, pourrait-il vous déplaire, S'il les rendait tous quatre heureux ? Voyez donc si Cotys sera plus rigoureux. Je vous laisse avec lui, de peur que ma présence N'empêche une sincère et pleine confiance. Seigneur, ne cachez plus le véritable amour Dont l'idée en secret vous flatte ; J'ai dit à Lysander celui de Spitridate, Dites le vôtre à votre tour. Si le don de ma main vous peut donner la sienne, Je vous sacrifierai tout ce que j'ai promis ; Mais vous répondez-vous que ce don vous l'obtienne, Et qu'il mette d'accord de si fiers ennemis ? Le Roi, qui vous refuse à Lysander pour gendre, Y consentira-t-il si vous m'offrez à lui ? Et s'il peut à ce prix le permettre aujourd'hui, Lysander voudra-t-il se rendre ? Lui qui ne vous remet votre première foi, Qu'en faveur de l'amour que Cotys fait paraître, Ne vous fait-il pas cette loi, Que sans le rendre heureux vous ne le sauriez être ? Et si vous ne pensez à le mieux écouter, Lysander d'Elpinice en sa faveur dispose. Comme vous aimez Elpinice. Oui, s'il peut être utile aux voeux que vous formez. Quels droits n'a point un père ? Impitoyable frère, Qui voulez que j'éteigne un feu digne de moi, Et ne sauriez vous faire une pareille loi ! Considérez vous-même… Que je suis aimée, et que j'aime. Dites qu'il nous apprend à renfermer nos flammes, Dites que votre ardeur à force d'éclater S'exhale, se dissipe, ou du moins s'exténue, Quand la nôtre grossit sous cette retenue Dont le joug odieux ne sert qu'à l'irriter. Je vous parle, Seigneur, avec une âme ouverte, Et si je vous voyais capable de raison, Si quand l'amour domine elle était de saison… Notre amour à tous deux ne rencontre qu'obstacles Presque impossibles à forcer, Et si pour nous le ciel n'est prodigue en miracles, Nous espérons en vain nous en débarrasser. Tirons-nous une fois de cette servitude, Qui nous fait un destin si rude, Bravons Agésilas, Cotys, et Lysander, Qu'ils s'accordent sans nous, s'ils peuvent s'accorder, Dirai-je tout ? Cessons d'aimer et de prétendre, Et nous cesserons d'en dépendre. J'en soupire à mon tour, Mais un grand coeur doit être au-dessus de l'amour. Quel qu'en soit le pouvoir, quelle qu'en soit l'atteinte, Deux ou trois soupirs étouffés, Un moment de murmure, une heure de contrainte, Un orgueil noble et ferme, et vous en triomphez. N'avons-nous secoué le joug de notre Prince Que pour choisir des fers dans une autre province ? Ne cherchons-nous ici que d'illustres tyrans, Dont les chaînes plus glorieuses Soumettent nos destins aux obscurs différends De leurs haines mystérieuses ? Ne cherchons-nous ici que les occasions De fournir de matière à leurs divisions, Et de nous imposer un plus rude esclavage Par la nécessité d'obtenir leur suffrage ? Puisque nous y cherchons tous deux la liberté, Tâchons de la goûter, Seigneur, en sûreté, Réduisons nos souhaits à la cause publique, N'aimons plus que par Politique, Et dans la conjoncture où le ciel nous a mis, Faisons des protecteurs sans faire d'ennemis. À quel propos aimer, quand ce n'est que déplaire À qui nous peut nuire ou servir ? S'il nous en faut l'appui, pourquoi nous le ravir ? Pourquoi nous attirer sa haine et sa colère ? Voulez-vous que je le prévienne, Et qu'en dépit de la pudeur D'un amour commandé l'obéissante ardeur Fasse éclater ma flamme auparavant la sienne ? On dit que je lui plais, qu'il soupire en secret, Qu'il retient, qu'il combat ses désirs à regret, Et cette vanité qui nous est naturelle Veut croire ainsi que vous qu'on en juge assez bien : Mais enfin c'est un feu sans aucune étincelle, J'en crois ce qu'on en dit, et n'en sais encor rien. S'il m'aime, un tel silence est la marque certaine Qu'il craint Sparte et ses dures lois, Qu'il voit qu'en m'épousant, s'il peut m'y faire Reine, Il ne peut lui donner des Rois ; Que sa gloire… C'est vous flatter beaucoup en faveur d'Elpinice, Que ce prince après tout ne vous peut accorder Sans une éclatante injustice, À moins que vous ayez l'aveu de Lysander. D'ailleurs en exiger un hymen qui le gêne, Et lui faire des lois au milieu de sa Cour, N'est-ce point hautement lui demander sa haine, Quand vous lui promettez l'objet de son amour ? Si vous saviez, mon frère, aimer comme je fais, Vous sauriez ce que c'est que s'immoler soi-même, Et faire violence à de si doux souhaits. Je vous en parle en vain, allez, frère barbare, Voir à quoi Lysander se résoudra pour vous, Et si d'Agésilas la flamme se déclare, J'en mourrai, mais je m'y résous. Hélas ! Pourquoi mieux expliquer quel est mon déplaisir ? Il ne se fait que trop entendre. Je n'y suis pas moi-même. Qu'importe lequel j'aime, Si le plus digne amour, de quoi qu'il soit d'accord, Ne peut décider de mon sort ? Donnez-moi votre indifférence Et je vous les donne tous deux. Il est grand, mais bien moins que la félicité De votre insensibilité. Laissez donc faire au ciel, au temps, à la Fortune, Ne voulez que ce qu'ils voudront, Et sans prendre d'attache ou d'idée importune, Attendez en repos les coeurs qui se rendront. Donnez-moi donc, Madame, un coeur comme le vôtre, Et je vous les redonne une seconde fois ; Ou si c'est trop de l'un et l'autre, Laissez-m'en le rebut, et prenez-en le choix. Qui peut vous assurer de cette obéissance ? Les rois, même en amour, savent mal obéir, Et les plus enflammés s'efforcent de haïr, Sitôt qu'on prend sur eux un peu trop de puissance. L'étrange contre-temps que prend sa belle humeur ! Et la froide galanterie D'affecter par bravade à tourner son malheur En importune raillerie ! Son coeur l'en désavoue, et murmurant tout bas… Non. Vous-même, dites-moi, puis-je m'en excuser, Et quel bras, quel secours appeler à mon aide, Lorsqu'un frère me donne et qu'un amant me cède ? Souffrez-moi donc, Seigneur, la même déférence Qu'ici de nos destins demande l'assurance. Que sert de s'opposer aux voeux d'un tel rival, Qui n'a qu'à nous protéger mal Pour nous livrer à notre perte ? Serait-il d'un grand coeur de chercher à périr, Quand il voit une porte ouverte À régner avec gloire aux dépens d'un soupir ? Non, Seigneur, je vous aime, Mais je dois à mon frère, à ma gloire, à vous-même. D'un rival si puissant si nous perdons l'appui, Pourrons-nous du Persan nous défendre sans lui ? L'espoir d'un renouement de la vieille alliance Flatte en vain votre amour et vos nouveaux desseins ; Si vous ne remettez sa proie entre ses mains, Oserez-vous y prendre aucune confiance ? Quant à mon frère et moi, si les Dieux irrités Nous font jamais rentrer dessous sa tyrannie, Comme il nous traitera d'esclaves révoltés, Le supplice l'attend, et moi l'ignominie. C'est ce que je saurai prévenir par ma mort, Mais jusque-là, Seigneur, permettez-moi de vivre, Et que par un illustre et rigoureux effort Acceptant les malheurs où mon destin me livre, Un sacrifice entier de mes voeux les plus doux Fasse la sûreté de mon frère et de vous. L'éteindre ! Ah, se peut-il que vous m'ayez aimée ? Non, non, vous m'en feriez des serments superflus, Vouloir ne plus aimer, c'est déjà n'aimer plus, Et qui peut n'aimer plus ne fut jamais capable D'une passion véritable. L'amour au désespoir fait gloire encor d'aimer, Il en fait de souffrir, et souffre avec constance Voyant l'objet aimé partager la souffrance. Il regarde ses maux comme un doux souvenir De l'union des coeurs qui ne saurait finir, Et comme n'aimer plus quand l'espoir abandonne C'est aimer ses plaisirs et non pas la personne, Il fuit cette bassesse, et s'affermit si bien, Que toute sa douleur ne se reproche rien. Et moi, Seigneur, et moi, n'ai-je rien à souffrir ? Ou m'y condamne-t-on avec plus de justice ? Si vous perdez l'objet de votre passion Épousez-vous celui de votre aversion ? Attache-t-on vos jours à d'aussi rudes chaînes, Et souffrez-vous enfin la moitié de mes peines ? Cependant mon amour aura tout son éclat En dépit du supplice où je suis condamnée, Et si notre tyran par maxime d'État Ne s'interdit mon hyménée, Je veux qu'il ait la joie en recevant ma main D'entendre que du coeur vous êtes souverain, Et que les déplaisirs dont ma flamme est suivie Ne cesseront qu'avec ma vie. Allez, Seigneur, défendre aux vôtres de durer, Ennuyez-vous de soupirer, Craignez de trop souffrir, et trouvez en vous-même L'art de ne plus aimer dès qu'on perd ce qu'on aime. Je souffrirai pour vous, et ce nouveau malheur, De tous mes maux le plus funeste, D'un trait assez perçant armera ma douleur Pour trancher de mes jours le déplorable reste. Allez, Seigneur, allez, puisqu'ils vous en convient. Aimez, cédez, souffrez, ou voyez si les dieux Voudront vous inspirer quelque chose de mieux. Je conçois mal, Seigneur, de quoi vous me parlez. Moi partir ! Je conçois encor moins pourquoi vous m'exilez. Où me bannissez-vous ? Quel trône, et quel époux ? Je crois qu'il m'aime : Mais si je vous regarde ici comme mon Roi Et comme un protecteur que j'ai choisi moi-même, Puis-je sans votre aveu l'assurer de ma foi ? Après tant de bontés et de marques d'estime, À vous moins déférer je croirais faire un crime, Et mon âme… Jusque-là mon bonheur n'aura qu'incertitude, Et bien qu'une couronne éblouisse aisément… Et je me plains à lui des inégalités Qu'il me force de voir lui-même en ses bontés. Tout ce que pour un autre a voulu ma prière, Vous me l'avez, Seigneur, et sur l'heure accordé, Et pour mes intérêts ce qu'on a demandé Prête à de prompts refus une digne matière. Seigneur, je croirais vous trahir Et n'avoir pas pour vous une âme assez royale, Si je vous cachais rien des justes sentiments Que m'inspire le Ciel pour deux Rois mes amants. J'ai vu que vous m'aimiez, et sans autre interprète J'en ai cru vos faveurs qui m'ont si peu coûté, J'en ai cru vos bontés, et l'assiduité Qu'apporte à me chercher votre ardeur inquiète. Ma gloire y voulait consentir, Mais ma reconnaissance a pris soin de la vôtre. Vos feux la hasardaient, et pour les amortir J'ai réduit mes désirs à pencher vers un autre. Pour m'épouser, vous le pouvez, Je ne saurais former de voeux plus élevés, Mais avant que juger ma conquête assez haute, De l'oeil dont il faut voir ce que vous vous devez Voyez ce qu'elle donne, ou plutôt ce qu'elle ôte. Votre Sparte si haut porte sa royauté, Que tout sang étranger la souille et la profane ; Jalouse de ce trône où vous êtes monté, Y faire seoir une Persane, C'est pour elle une étrange et dure nouveauté, Et tout votre pouvoir ne peut m'y donner place, Que vous n'y renonciez pour toute votre race. Vos éphores peut-être oseront encor plus ; Et si votre Sénat avec eux se soulève, Si de me voir leur Reine indignés et confus Ils m'arrachent d'un trône où votre choix m'élève, Pensez bien à la suite avant que d'achever, Et si ce sont périls que vous deviez braver. Vous les voyez si bien que j'ai mauvaise grâce De vous en faire souvenir, Mais mon zèle a voulu cette indiscrète audace, Et moi je n'ai pas cru devoir la retenir. Que la suite après tout vous flatte, ou vous traverse, Ma gloire est sans pareille aux yeux de l'Univers, S'il voit qu'une Persane au vainqueur de la Perse Donne à son tour des lois et l'arrête en ses fers. Comme votre intérêt m'est plus considérable, Je tâche de vous rendre à des destins meilleurs : Mon amour peut vous perdre, et je m'attache ailleurs Pour être pour vous moins aimable. Voilà ce que devait un coeur reconnaissant. Quant au reste, parlez en maître, Vous êtes ici tout puissant. Seigneur, il est donné, la main n'est pas donnée, Et l'inclination ne fait pas l'hyménée. Au défaut de ce coeur, je vous offre une foi Sincère, inviolable, et digne enfin de moi. Voyez si ce partage aura pour vous des charmes ; Contre l'amour d'un Roi c'est assez raisonner. J'aime, et vais toutefois attendre sans alarmes Ce qu'il lui plaira m'ordonner. Je fais un sacrifice assez noble, assez ample, S'il en veut un en ce grand jour ; Et s'il peut se résoudre à vaincre son amour, J'en donne à son grand coeur un assez haut exemple. Qu'il écoute sa gloire ou suive son désir, Qu'il se fasse grâce, ou justice, Je me tiens prête à tout, et lui laisse à choisir, De l'exemple ou du sacrifice. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_ELPINICE *date_1666 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_elpinice Cotys est roi, ma soeur ; et comme sa couronne Parle suffisamment pour lui, Assuré de mon coeur que son trône lui donne, De le trop demander il s'épargne l'ennui. Ce me doit être assez qu'en secret il soupire, Que je puis deviner ce qu'il craint de trop dire, Et que moins son amour a d'importunité, Plus il a de sincérité. Mais vous ne dites rien de votre Spitridate ! Prend-il autant de peine à mériter vos feux, Que l'autre à retenir mes voeux ? J'admire cette antipathie Qui vous l'a fait haïr avant que de le voir, Et croirais que sa vue aurait eu le pouvoir D'en dissiper une partie. Car enfin Spitridate a l'entretien charmant, L'oeil vif, l'esprit aisé, le coeur bon, l'âme belle : À tant de qualités s'il joignait un vrai zèle… Mais au parti des Grecs il unit deux provinces, Et ce Perse vaut bien la plupart de nos Princes. Vous êtes donc jalouse, et ce trône vous gêne Où la main de Cotys a droit de me placer ! Mais si je renonçais au rang de souveraine, Voudriez-vous y renoncer ? Que dites-vous, ma soeur ? Agésilas vous aime ! Ah ! S'il n'avait voulu que par reconnaissance Être gendre de Lysander, Son choix aurait suivi l'ordre de la naissance, Et Sparte au lieu de vous l'eût vu me demander ; Mais pour mettre chez nous l'éclat de sa couronne, Attendre que l'hymen m'ait engagée ailleurs, C'est montrer que le coeur s'attache à la personne : Ayez, ayez pour lui des sentiments meilleurs. Ce coeur qu'il vous donna, ce choix qui considère Autant et plus encor la fille que le père, Feront que le devoir aura bientôt son tour, Et pour vous faire seoir où vos désirs aspirent, Vous verrez, et dans peu, comme pour vous conspirent La reconnaissance et l'amour. Comme avec lui mon père a quelque démêlé, Cette petite négligence, Qui vous fait douter de sa foi, Vient de leur mésintelligence, Et dans le fond de l'âme il vit sous votre loi. Aimeriez-vous Cotys, ma soeur ? Pourquoi donc vouloir qu'il vous aime ? Chacune a son humeur, la grandeur souveraine, Quelque main qui vous l'offre, est digne de vos feux ; Et vous ne ferez point d'heureux Qui de vous ne fasse une Reine ; Moi, je m'éblouis moins de la splendeur du rang, Son éclat au respect plus qu'à l'amour m'invite. Cet heureux avantage ou du sort, ou du sang, Ne tombe pas toujours sur le plus de mérite. Si mon coeur, si mes yeux en étaient consultés, Leur choix irait à la personne, Et les hautes vertus, les rares qualités, L'emporteraient sur la couronne. Un peu plus que Cotys, et si votre intérêt Vous pouvait résoudre à l'échange… Pour l'un, je ne sais quoi m'en flatte, Pour l'autre je n'en réponds pas, Et je craindrais fort que Mandane, Cette incomparable Persane, N'eût pour lui des attraits plus forts que vos appas. Le voilà qui nous considère. Ma soeur, auparavant engagez l'entretien, Et s'il s'en offre lieu, jouez d'un peu d'adresse, Pour votre intérêt et le mien. Seigneur, je me retire, entre les vrais amants Leur amour seul a droit d'être de confidence, Et l'on ne peut mêler d'agréable présence A de si précieux moments. Quoi ? Seigneur, j'aurais part… Je vous en plains, Seigneur, et ne puis davantage. Je ne sais aimer ni haïr ; Mais dès qu'un père parle, il porte en mon courage Toute l'impression qu'il faut pour obéir. Voyez avec Cotys si ses voeux les plus tendres Voudraient rendre à ma soeur l'hommage qu'il me rend. Tout doit être à mon père assez indifférent, Pourvu que vous et lui vous demeuriez ses gendres. Mais à vous dire tout, je crains qu'Agésilas N'y refuse l'aveu qui vous est nécessaire, C'est notre souverain. Reposez-vous, Seigneur, sur mon obéissance, Et contentez-vous de savoir Qu'aussi bien que ma soeur j'écoute mon devoir. Allez trouver Cotys, et sans aucun scrupule… Le voilà qui paraît. Quelque ardeur qui vous brûle, Mettez d'accord mon père, Agésilas et lui. Si l'on nous fait quelque injustice, Seigneur, notre devoir s'en remet à vos soins, Je ne sais qu'obéir… Ma soeur, qu'aurais-je à dire ? Moi, je pourrais l'aimer, et sans l'ordre d'un père ! Qu'il faut souffrir de vous, ma soeur ! La gloire d'obéir à votre grand regret Vous faisait pester en secret, C'est l'ordre, et du devoir la scrupuleuse idée… Ma soeur, laissez-moi vous aider, Ainsi que vous m'avez aidée. Achevez donc, ma soeur, dites qu'Agésilas… Que servirait, Seigneur, de vous y hasarder ? Suis-je moins que ma soeur fille de Lysander, Et la raison d'État qui rompt votre hyménée Regarde-t-elle plus la jeune que l'aînée ? S'il n'eût point à Cotys refusé votre soeur, J'eusse osé présumer qu'il eût aimé la mienne, Et m'aurais dit moi-même, avec quelque douceur , « Il se l'est réservée et veut bien qu'on m'obtienne. » Mais il aime Mandane, et ce prince jaloux De ce que peut ici le grand nom de mon père, N'a pour lui qu'une haine obstinée et sévère, Qui ne lui peut souffrir de gendres tels que vous. Vous ne songez qu'à vous, et dans votre âme éprise Vos voeux se tiennent sûrs d'un prompt et plein effet ; Mais que fera Cotys, à qui je suis promise ? Me rendra-t-il ma foi s'il n'est point satisfait ? Il a parole de mon père Que vous n'obtiendrez rien à moins qu'il soit content, Et mon père n'est pas un esprit inconstant Qui donne une parole incertaine et légère. Je vous le dis encor, Seigneur, pensez-y bien, Cotys aura Mandane, ou vous n'obtiendrez rien. Que voulez-vous que je vous die ? Je suis sujette et fille, et j'ai promis ma foi, Je dépends d'un amant, et d'un père, et d'un Roi. Que ma soeur est heureuse ! Elle est indifférente, et ne s'attache à rien. Que n'ai-je un coeur qui soit comme le sien ! S'il ne tenait qu'à lui que tout vous fût possible, Le devoir et l'amour… Voyez le roi, voyez Cotys, voyez mon père, Fléchissez, triomphez, bravez, Seigneur, mais laissez-moi me taire. Hélas ! Il est si bien de leur intelligence, Qu'il vous dit plus que je ne veux. J'en dois rougir. Adieu. Voyez avec Madame Le moyen le plus propre à servir votre flamme, Des trois dont je dépens elle peut tout sur deux, L'un hautement l'adore, et l'autre au fond de l'âme, Et son destin lui-même ainsi que notre sort, Dépend de les mettre d'accord. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_AGLATIDE *date_1666 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aglatide Ma soeur, depuis un mois nous voilà dans Éphèse, Prêtes à recevoir ces illustres époux Que Lysander mon père a su choisir pour nous ; Et ce choix bienheureux n'a rien qui ne vous plaise. Dites-moi toutefois, et parlons librement. Vous semble-t-il que votre amant Cherche avec grande ardeur votre chère présence ? Et trouvez-vous qu'il montre, attendant ce grand jour Cette obligeante impatience Que donne, à ce qu'on dit, le véritable amour ? C'est environ ainsi que son amour éclate : Il m'obsède à peu près comme l'autre vous sert ; On dirait que tous deux agissent de concert, Qu'ils ont juré de n'être importuns l'un ni l'autre : Ils en font grand scrupule, et la sincérité Dont mon amant se pique, à l'exemple du vôtre, Ne met pas son bonheur en l'assiduité. Ce n'est pas qu'à vrai dire il ne soit excusable, Je préparai pour lui dès Sparte une froideur Qui dès l'abord était capable D'éteindre la plus vive ardeur ; Et j'avoue entre nous qu'alors qu'il me néglige, Qu'il se montre à son tour si froid, si retenu, Loin de m'offenser il m'oblige, Et me remet un coeur qu'il n'eût pas obtenu. Ma soeur, il n'est pas roi, comme l'est votre amant. Il n'est pas Roi, vous dis-je, et c'est un grand défaut. Ce n'est point avec vous que je le dissimule, J'ai peut-être le coeur trop haut, Mais aussi bien que vous je sors du sang d'Hercule ; Et lorsqu'on vous destine un roi pour votre époux, J'en veux un aussi bien que vous. J'aurais quelque chagrin à vous traiter de Reine, À vous voir dans un trône assise en souveraine, S'il me fallait ramper dans un degré plus bas, Et je porte une âme assez vaine Pour vouloir jusque-là vous suivre pas à pas. Vous êtes mon aînée, et c'est un avantage Qui me fait vous devoir grande civilité ; Aussi veux-je céder le pas devant à l'âge, Mais je ne puis souffrir autre inégalité. Non, pas sitôt : j'ai quelque vue Qui me peut encore amuser : Mariez-vous, ma soeur, quand vous serez pourvue, On trouvera peut-être un roi pour m'épouser. J'en aurais un déjà, n'était ce rang d'aînée Qui demandait pour vous ce qu'il voulait m'offrir, Ou s'il eût reconnu qu'un père eût pu souffrir Qu'à l'hymen avant vous on me vît destinée. Si ce roi jusqu'ici ne s'est point déclaré, Peut-être qu'après tout il n'a que différé, Qu'il attend votre hymen pour rompre son silence : Je pense avoir encor ce qui le sut charmer, Et s'il faut vous en faire entière confidence, Agésilas m'aimait, et peut encor m'aimer. Je vous dis qu'il m'aimait, et que sa passion Pourrait bien être encor la même, Mais cet amusement de mon ambition Peut n'être qu'une illusion. Ce prince tient son trône et sa haute puissance De ce même héros dont nous tenons le jour ; Et si ce n'était lorsque par reconnaissance Qu'il me témoignait de l'amour, Puis-je être sans inquiétude Quand il n'a plus pour lui que de l'ingratitude, Qu'il n'écoute plus rien qui vienne de sa part ? Je ne sais si sa flamme est pour moi faible ou forte, Mais la reconnaissance morte, L'amour doit courir grand hasard. Vous voyez cependant qu'à peine il me regarde, Depuis notre arrivée il ne m'a point parlé, Et quand ses yeux vers moi se tournent par mégarde… À tous hasards, ma soeur, comme j'en suis mal sûre, Si vous me pouviez faire un don de votre amant, Je crois que je pourrais l'accepter sans murmure. Vous venez de parler du mien si dignement… Moi ? Nullement. Les hommages qu'Agésilas Daigna rendre en secret au peu que j'ai d'appas, M'ont si bien imprimé l'amour du diadème, Que pourvu qu'un amant soit Roi, Il est trop aimable pour moi. Mais sans trône on perd temps, c'est la première idée Qu'à l'amour en mon coeur il ait plu de tracer ; Il l'a fidèlement gardée, Et rien ne peut plus l'effacer. Avouez tout, ma soeur : Spitridate vous plaît. Qu'en pouvons-nous ici résoudre vous et moi ? En l'état où le ciel nous range Il faut l'ordre d'un père, il faut l'aveu d'un roi, Que je plaise à Cotys, et vous à Spitridate. Ma soeur, Spitridate est son frère, Et si jamais sur lui vous aviez du pouvoir… Est-ce vous ou moi qu'il vient voir ? Voulez-vous que je vous le laisse ? Il est juste en effet, puisqu'il n'a su me plaire, Que je vous aide à m'en défaire. Si vous me permettez, Seigneur, de vous entendre, De l'air dont votre amour commence à m'accuser, Je crains que pour en bien user Je ne me doive mal défendre. Je sais bien que j'ai tort, j'avoue et hautement, Que ma froideur doit vous déplaire, Mais en cette froideur un heureux changement Pourrait-il fort vous satisfaire ? Je vous entends, Seigneur, et vois ce qu'il faut voir. Un aveu plus précis est d'une conséquence Qui pourrait vous embarrasser, Et même à notre sexe il est de bienséance De ne pas trop vous en presser. À Lysander mon père il vous plut de promettre D'unir par notre hymen votre sang et le sien : La raison, à peu près, Seigneur, je la pénètre, Bien qu'aux raisons d'État je ne connaisse rien. Vous ne m'aviez point vue, et facile ou cruelle, Petite ou grande, laide ou belle, Qu'à votre humeur ou non je pusse m'accorder, La chose était égale à votre ardeur nouvelle, Pourvu que vous fussiez gendre de Lysander. Ma soeur vous aurait plu s'il vous l'eût proposée, J'eusse agréé Cotys s'il me l'eût proposé, Vous trouvâtes tous deux la politique aisée, Nous crûmes toutes deux notre devoir aisé. Comme à traiter cette alliance Les tendresses des coeurs n'eurent aucune part, Le vôtre avec le mien a peu d'intelligence, Et l'amour en tous deux pourra naître un peu tard. Quand il faudra que je vous aime, Que je l'aurai promis à la face des dieux, Vous deviendrez cher à mes yeux, Et j'espère de vous le même. Jusque-là votre amour assez mal se fait voir, Celui que je vous garde encor plus mal s'explique : Vous attendez le temps de votre Politique, Et moi celui de mon devoir. Voilà, Seigneur, quel est mon crime ; Vous m'en vouliez convaincre, il n'en est plus besoin, J'en ai fait comme vous ma soeur juge et témoin : Que ma froideur lui semble injuste, ou légitime, La raison que vous peut en faire sa bonté, Je consens qu'elle vous la fasse, Et pour vous en laisser tous deux en liberté, Je veux bien lui quitter la place. J'en sais donc davantage. Je sais que Spitridate adore d'autres yeux, Je sais que c'est ma soeur à qui va cet hommage, Et quelque chose encor qu'elle vous dirait mieux. À quoi bon ce mystère ? Dites ce qu'à ce nom le coeur vous dit tout bas, Ou je dirai tout haut qu'il ne vous déplaît pas. Vous ne savez que c'est d'aimer ou de haïr, Mais vous seriez pour lui fort aise d'obéir. Le grand supplice De voir qu'en dépit d'elle on lui rend du service ! Je n'ai pas besoin d'interprète, Et vous en dirai plus, Seigneur, qu'elle n'en sait. Cotys pourrait me plaire, et plairait en effet, Si pour toucher son coeur j'étais assez bien faite : Mais je suis fort trompée, ou cet illustre coeur N'est pas plus à moi qu'à ma soeur. J'en connais plus de vingt qui mourraient en ma place, Ou qui sauraient du moins hautement quereller L'injustice de la Fortune ; Mais pour moi, qui n'ai pas une âme si commune, Je sais l'art de m'en consoler. Il est d'autres rois dans l'Asie Qui seront trop heureux de prendre votre appui, Et déjà, je ne sais par quelle fantaisie J'en crois voir à mes pieds de plus puissants que lui. Je crois pour Spitridate avoir déjà fait voir Que ma soeur n'a rien à m'apprendre Sur le chapitre du devoir. Elle sait obéir, et je le sais comme elle, C'est l'ordre, et je lui garde un coeur assez fidèle, Pour en subir toutes les lois : Mais pour régler ma Destinée, Si vous vous abaissiez jusqu'à prendre ma voix, Vous arrêteriez votre choix Sur une tête couronnée, Et ne m'offririez que des Rois. La couronne, Seigneur, orne bien une tête. Je me la figurais sur celle de ma soeur, Lorsque Cotys devait l'y mettre, Et quand j'en contemplais la gloire et la douceur Que je ne pouvais me promettre, Un peu de jalousie et de confusion Mutinait mes désirs et me soulevait l'âme, Et comme en cette occasion Mon devoir pour agir n'attendait point ma flamme… Que dites-vous, ma soeur, qu'osez-vous hasarder, Vous qui tantôt… Pour bien m'aider à dire ici mes sentiments Vous vous prenez trop mal aux vôtres, Et si je suis jamais réduite aux truchements Il m'en faudra bien chercher d'autres. Seigneur, quoi qu'il en soit, voilà quelle je suis. J'acceptais Spitridate avec quelques ennuis, De ce petit chagrin le ciel m'a dégagée, Sans que mon âme soit changée. Mon devoir règne encor sur mon ambition, Quoi que vous m'ordonniez, j'obéirai sans peine : Mais de mon inclination Je mourrai fille, ou vivrai Reine. Ah, Seigneur, ne l'écoutez pas, Ce qu'elle vous veut dire est une bagatelle, Et même, s'il le faut, je la dirai mieux qu'elle. M'aimait jadis un peu. Du moins lui-même à Sparte il m'en fit confidence, Et s'il me disait vrai, sa noble impatience De vous en demander l'aveu N'attendait qu'après l'hyménée De cette aimable et chère aînée. Mais s'il attendait là que mon tour arrivé Autorisât à ma conquête La flamme qu'en réserve il tenait toute prête, Son amour est encore ici plus réservé : Et soit que dans Éphèse un autre objet me passe, Soit que par complaisance il cède à son rival, Il me fait à présent la grâce De ne m'en dire bien ni mal. Vous me quittez, Seigneur, mais vous croyez-vous quitte, Et que ce soit assez que de me rendre à moi ? Non ; mais le pouvez-vous, à moins que je la rende ? Et si je vous la rends, savez-vous à quel prix ? Moi, des mépris pour vous ! Si je ne vous aimais, je vous aurais aimé, Mon devoir m'en était un garant trop fidèle. Si je vous ai donné de quoi remplir la place, Ne me devez-vous point de quoi remplir mon coeur ? Si vous n'en avez point par qui me satisfaire, Vous avez une soeur qui vous peut acquitter. Elle a trop d'un amant ; et si sa flamme heureuse Me renvoyait celui dont elle ne veut plus, Je ne suis point d'humeur fâcheuse, Et m'accommoderais bientôt de ses refus. Vous pourrez-vous résoudre à payer pour ce frère ? Madame, et de deux rois daignant en choisir un, Me donner en sa place, ou le plus importun, Ou le moins digne de vous plaire ? Je n'entends pas des mieux Comme il faut qu'un hélas s'explique, Et lorsqu'on se retranche au langage des yeux, Je suis muette à la réplique. Si j'avais comme vous de deux Rois à choisir, Mes déplaisirs auraient peu de chose à prétendre. Parlez donc, et de bonne foi Acquittez par ce choix Spitridate envers moi. Ils sont tous deux à vous. Qui des deux est l'aimé ? Ainsi je dois perdre espérance D'obtenir de vous aucun d'eux ? C'en serait un peu trop, leur mérite est si rare Qu'il en faut être plus avare. Ne me prenez point tant pour une âme insensible, Je l'ai tendre, et qui souffre aisément de beaux feux ; Mais je sais ne vouloir que ce qui m'est possible, Quand je ne puis ce que je veux. Il m'en pourrait coûter mes plus belles années, Avant qu'ainsi deux rois en devinssent le prix, Et j'aime mieux borner mes bonnes destinées Au plus digne de vos mépris. Si vous leur ordonniez à tous deux de m'en croire, Et que l'obéissance eût pour eux quelque appas, Peut-être que mon choix satisferait ma gloire, Et qu'enfin mon rebut ne vous déplairait pas. Je vois bien ce que c'est, vous voulez tout garder : Il est honteux de rendre une de vos conquêtes, Et quoi qu'au plus heureux le coeur veuille accorder, L'oeil règne avec plaisir sur deux si grandes têtes ; Mais craignez que je n'use aussi de tous mes droits, Peut-être en ai-je encor de garder quelque empire Sur l'un et l'autre de ces Rois, Bien qu'à l'envi pour vous l'un et l'autre soupire : Et si j'en laisse faire à mon esprit jaloux, Quoique la jalousie assez peu m'inquiète, Je ne sais s'ils pourront l'un ni l'autre pour vous Tout ce que votre coeur souhaite. Seigneur, vous le savez, ma soeur a votre foi, Et ne vous la rend que pour moi. Usez-en comme bon vous semble ; Mais sachez que je me promets De ne vous la rendre jamais, À moins d'un Roi qui vous ressemble. Sur un ordre, Seigneur, reçu de votre part Je viens, étonnée et surprise De voir que tout d'un coup un roi m'en favorise, Qui me daignait à peine honorer d'un regard. Si mon père y consent, mon devoir me l'ordonne, Ce me sera trop d'heur de le tenir de vous : Mais avant que savoir quelle en est la personne, Pourrais-je vous parler avec la liberté Que me souffrait à Sparte un feu trop écouté, Alors qu'il vous plaisait, ou m'aimer, ou me dire Qu'en votre coeur mes yeux s'étaient fait un empire ? Non que j'y pense encor, j'apprends de vous, Seigneur, Qu'on change avec le temps d'âme, d'yeux et de coeur. Ce serait sans raison que j'oserais m'en plaindre, L'amour doit être libre, et vous êtes mon Roi. Mais puisque jusqu'à vous vous m'avez fait prétendre, N'obligez point, Seigneur, cet espoir à descendre, Et ne me faites point de lois Qui profanent l'honneur de votre premier choix. J'y trouvais pour moi tant de gloire, J'en chéris à tel point la flatteuse mémoire, Que je regarderais comme un indigne époux Quiconque m'offrirait un moindre rang que vous. Si cet orgueil a quelque crime, Il n'en faut accuser que votre trop d'estime. Ce sont des sentiments que je ne puis trahir : Après cela parlez ; c'est à moi d'obéir. C'est me faire, Seigneur, des surprises nouvelles. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_XENOCLES *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_xenocles Oui ; mais enfin, Seigneur, il est temps de le dire, Tout soumis qu'il paraît, apprenez qu'il conspire, Et par où sa vengeance espère y réussir. Ce confident choisi, Cléon d'Halicarnasse, Dont l'éloquence a tant d'éclat, Lui vend une harangue à renverser l'État, Et le mettre bientôt lui-même en votre place. En voici la copie, et je la viens d'avoir D'un des siens sur qui l'or me donne tout pouvoir, De l'esclave Damis, qui sert de secrétaire À cet orateur mercenaire, Et plus mercenaire que lui Pour être mieux payé vous les livre aujourd'hui. On y soutient, Seigneur, que notre République Va bientôt voir ses Rois devenir ses tyrans, À moins que d'en choisir de trois ans en trois ans, Et non plus suivant l'ordre antique Qui règle ce choix par le sang, Mais qu'indifféremment elle doit à ce rang Élever le mérite, et les rares services. J'ignore quels sont les complices, Mais il pourra d'Éphèse écrire à ses amis, Et soudain le paquet entre vos mains remis Vous instruira de toutes choses : Cependant j'ai fait mon devoir, Vous voyez le dessein, vous en savez les causes, Votre perte en dépend, c'est à vous d'y pourvoir. Cotys, Seigneur, vous veut parler. Si j'ose vous parler, Seigneur, à coeur ouvert, Il ne le sait que de vous-même. L'éclat de ces faveurs dont vous enveloppez De votre faux secret le chatouilleux mystère, Dit si haut malgré vous ce que vous pensez taire, Que vous êtes ici le seul que vous trompez. De si brillants dehors font un grand jour dans l'âme, Et quelque illusion qui puisse vous flatter, Plus ils déguisent votre flamme, Plus au travers du voile ils la font éclater. Il est bien malaisé qu'aux yeux de votre Cour Il passe pour indifférence, Et c'est l'en avouer assez ouvertement, Que refuser Mandane aux voeux d'un autre amant. Mais qu'importe après tout ? Si du plus grand courage Le vrai mérite a droit d'attendre un plein hommage, Serait-il honteux de l'aimer ? Toutefois il est temps, ou de vous déclarer, Ou de céder l'objet qui vous fait soupirer. Je remets en vos mains et l'une et l'autre lettre Que l'esclave Damis aux miennes vient de mettre. Vous y verrez, Seigneur, quels sont les attentats… Non, il s'est caché d'eux en cette conférence, Il a plaint leur malheur, et de tout son pouvoir, Mais sa prudence enfin tous deux vous les renvoie, Sans leur donner aucun espoir D'obtenir que de vous ce qui ferait leur joie. Vous avez mandé Spitridate, Il entre ici. Du moins vous rendre heureux ce n'est plus hasarder. Puisqu'un si digne amour fait grâce à Lysander, Il n'a plus lieu de se contraindre : Vous devenez par là maître de tout l'État ; Et ce grand homme à vous, vous n'avez plus à craindre, Ni d'Éphores ni de Sénat. Qu'il serait magnanime De vaincre et la vengeance et l'amour à la fois ! Il ne faut que vouloir ; tout est possible aux Rois. **** *creator_corneillep *book_corneillep_agesilas *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillep_verse_tragedy_agesilas *dist2_corneillep_verse_tragedy *id_CLEON *date_1666 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cleon Seigneur, n'êtes-vous point d'une humeur bien facile, D'applaudir à Cotys sur son manque de foi ? Oui, mais Agésilas, Seigneur, aime Mandane, Du moins toute sa Cour ose le deviner, Et promettre à Cotys cette illustre Persane, C'est lui promettre tout pour ne lui rien donner. Il n'appartient qu'à vous de former ces pensées ; Mais vous ne songez point avec quels sentiments Vos deux filles intéressées Apprendront de tels changements. Quand cette obéissance a fait un digne choix, Le coeur tombé par là sous une autre puissance N'obéit pas toujours une seconde fois. Spitridate, Seigneur, et Lysander vous prient De vouloir avec eux conférer un moment.