**** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_GERASTE *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geraste Excuse, ou pour le moins pardonne à ma folie ; Le sort en est jeté : va, ma chère Célie, Va trouver la beauté qui me tient sous sa loi ; Flatte-la de ma part, promets-lui tout de moi ; Dis-lui que si l'amour d'un vieillard l'importune, Elle fait une planche à sa bonne fortune ; Que l'excès de mes biens, à force de présents, Répare la vigueur qui manque à mes vieux ans ; Qu'il ne lui peut échoir de meilleure aventure. Je ne suis point ingrat quand on me rend office. Peins-lui bien mon amour, offre bien mon service, Dis bien que mes beaux jours ne sont pas si passés Qu'il ne me reste encor… Que voilà froidement Me promettre ton aide à finir mon tourment ! Ce serait tout gâter ; arrête, et par douceur Essaie auparavant d'y résoudre la soeur. Amarante ! Vous faites la surprise, encor que de si loin vous m'ayez vu venir, Que Clarimond n'est plus à vous entretenir ! Je donne ainsi la chasse à ceux qui vous en content ! Il semblait toutefois parler d'affection. Je crois que ses desseins tendent au mariage. Quelque foi qu'il vous donne pour gage, Il cherche à vous surprendre, et sous ce faux appas Il cache des projets que vous n'entendez pas. Où les conditions n'ont point d'égalité, L'amour ne se fait guère avec sincérité. S'il a besoin de toi pour avoir bonne issue, C'est signe que sa flamme est assez mal reçue. À ce compte, Daphnis est fort dans le devoir : Je n'en puis souhaiter un meilleur témoignage, Et ce respect m'oblige à l'aimer davantage. Je lui serai bon père, et puisque ce parti À sa condition se rencontre assorti, Bien qu'elle pût encore un peu plus haut atteindre, Je la veux enhardir à ne se plus contraindre. Lui procurant du bien, elle croit la fâcher, Et cette vaine peur la fait ainsi cacher. Que ces jeunes cerveaux ont de traits de folie ! Mais il faut aller voir ce qu'aura fait Célie. Toutefois disons-lui quelque mot en passant, Qui la puisse guérir du mal qu'elle ressent. Ma fille, c'est en vain que tu fais la discrète ; J'ai découvert enfin ta passion secrète : Je ne t'en parle point sur des avis douteux. N'en rougis point, Daphnis, ton choix n'est pas honteux ; Moi-même je l'agrée, et veux bien que ton âme À cet amant si cher ne cache plus sa flamme. Tu pouvais en effet prétendre un peu plus haut ; Mais on ne peut assez estimer ce qu'il vaut : Ses belles qualités, son crédit et sa race Auprès des gens d'honneur sont trop dignes de grâce. Adieu : si tu le vois, tu peux lui témoigner Que sans beaucoup de peine on me pourra gagner. Adieu, cela vaut fait, Tu l'en peux assurer. Ma fille, je présume, Quelques feux dans ton coeur que ton amant allume, Que tu ne voudrais pas sortir de ton devoir. Mais si pour en tirer une preuve plus claire, Je disais qu'il faut prendre un sentiment contraire, Qu'une autre occasion te donne un autre amant ? Oui, mais je viens de faire un autre choix pour toi. Et moi, je ne saurais souffrir de résistance. Si ce gage est donné par mon consentement, Il faut le retirer par mon commandement. Vous soupirez en vain : vos soupirs et vos larmes Contre ma volonté sont d'impuissantes armes. Rentrez ; je ne puis voir qu'avec mille douleurs Votre rébellion s'exprimer par vos pleurs. La pitié me gagnait : il m'était impossible De voir encor ses pleurs, et n'être pas sensible : Mon injuste rigueur ne pouvait plus tenir, Et de peur de me rendre il la fallait bannir. N'importe toutefois, la parole me lie, Et mon amour ainsi l'a promis à Célie : Florise ne se peut acquérir qu'à ce prix ; Si Florame… Et ma plus grande peine N'est que d'en avoir eu la preuve trop certaine. Dans sa rébellion à mon autorité, L'amour qu'elle a pour lui n'a que trop éclaté. Si pour ce cavalier elle avait moins de flamme, Elle agréerait le choix que je fais de Florame, Et prenant désormais un mouvement plus sain, Ne s'obstinerait pas à rompre mon dessein. Florame a peu de bien, mais pour quelque raison C'est lui seul dont je fais l'appui de ma maison. Examiner mon choix, c'est un trait d'imprudence. Toi qu'à présent Daphnis traite de confidence, Et dont le seul avis gouverne ses secrets, Je te prie, Amarante, adoucis ses regrets ; Résous-la, si tu peux, à contenter un père ; Fais qu'elle aime Florame ou craigne ma colère. Il est tant de moyens de fléchir un courage ! Trouve pour la gagner quelque subtil appas : La récompense après ne te manquera pas. C'est un rare trésor que mon malheur me vole ; Et si l'honneur souffrait un manque de parole, L'avantageux parti que vous me présentez Me verrait aussitôt prêt à ses volontés. N'ayez lors, je vous prie, aucune défiance : Je m'en tiendrais heureux, et ma foi vous répond Que Daphnis sans tarder épouse Clarimond. Et vous pareillement d'un coeur sans artifice. Cette vaine promesse en un cas impossible Adoucit un refus et le rend moins sensible : C'est ainsi qu'on oblige un homme à peu de frais. J'ai promis, et tiendrais ce que j'ai protesté, Si Florame rompait le concert arrêté. Pour Daphnis, c'est en vain qu'elle fait la rebelle ; J'en viendrai trop à bout. Me prends-tu donc pour homme à manquer de parole En faveur d'un caprice où s'obstine une folle ? Va, fais venir Florame : à ses yeux tu verras Que pour lui mon pouvoir ne s'épargnera pas, Que je maltraiterai Daphnis en sa présence D'avoir pour son amour si peu de complaisance. Qu'il vienne seulement voir un père irrité, Et joindre sa prière à mon autorité ; Et lors, soit que Daphnis y résiste ou consente, Crois que ma volonté sera la plus puissante. Me foudroie en ce cas la colère des cieux ! Géraste, sur-le-champ il te fallait contraindre Celle que ta pitié ne pouvait ouïr plaindre. Tu n'as pu refuser du temps à ses douleurs, Ton coeur s'attendrissait de voir couler ses pleurs ; Et pour avoir usé trop peu de ta puissance, On t'impute à forfait sa désobéissance. Un traitement trop doux te fait croire sans foi. Faudra-t-il que de vous je reçoive la loi, Et que l'aveuglement d'une amour obstinée Contre ma volonté règle votre hyménée ? Mon extrême indulgence a donné par malheur À vos rébellions quelque faible couleur ; Et pour quelque moment que vos feux m'ont su plaire, Vous pensez avoir droit de braver ma colère ; Mais sachez qu'il fallait, ingrate, en vos amours, Ou ne m'obéir point, ou m'obéir toujours. Mais que vous a-t-il fait, que pour lui seulement Vous vous rendiez rebelle à mon commandement ? Ma foi n'est-elle rien au-dessus de la vôtre ? Vous vous donnez à l'un ; ma foi vous donne à l'autre. Qui le doit emporter ou de vous ou de moi ? Et qui doit de nous deux plutôt manquer de foi ? Quand vous en manquerez, mon vouloir vous excuse. Mais à trop raisonner moi-même je m'abuse : Il n'est point de raison valable entre nous deux, Et pour toute raison il suffit que je veux. Que vois-je ici, bons dieux ? Et sur quoi donc fonder ta désobéissance ? Quel envieux démon, et quel charme assez fort Faisait entre-choquer deux volontés d'accord ? C'est lui que tu chéris et que je te destine ; Et ta rébellion dans un refus s'obstine ! C'est pour vous que je change, et pour vous seulement Je veux qu'elle renonce à son premier amant. Lorsque je consentis à sa secrète flamme, C'était pour Clarimond qui possédait son âme : Amarante du moins me l'avait dit ainsi. Et par là tu voulais… Et moi, dans ce pardon je vous veux prévenir ; Votre hymen aussi bien saura trop la punir. Trêve de compliments : Ils nous empêcheraient de parler de Florise. Allons donc la trouver : que cet échange heureux Comble d'aise à son tour un vieillard amoureux ! Va donc lui témoigner le désir qui me presse. Je dois être honteux d'attendre qu'elle vienne. Le temps en sera long à mon affection. Allons dans le jardin faire deux tours d'allée, Afin que cet ennui que j'en pourrai sentir Parmi votre entretien trouve à se divertir. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_POLEMON *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_polemon J'ai grand regret, monsieur, que la foi qui vous lie Empêche que chez vous mon neveu ne s'allie, Et que son feu m'emploie aux offres qu'il vous fait, Lorsqu'il n'est plus en vous d'en accepter l'effet. Mais si quelque hasard rompait cette alliance ? Adieu : faites état de mon humble service. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_CLARIMOND *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_clarimond Ces dédains rigoureux dureront-ils toujours ? C'est prescrire à mes feux des lois bien inhumaines. Le moyen de forcer mon inclination ? Qui ne s'obstinerait en vous voyant si belle ? Est-ce rébellion que d'avoir trop de feu ? La puissance sur moi que je vous ai donnée… Essayez autrement ce pouvoir souverain. C'est un injuste essai qui ferait ma ruine. Mais l'amour vous défend un tel commandement. Avec ce beau visage avoir le coeur de roche ! Que je sache du moins d'où naissent vos froideurs. Si je brûle, Daphnis, c'est de nous voir ensemble. Votre contentement n'est qu'à me maltraiter. Quoi ! L'on vous persécute à force de services ? Hélas ! Et quand pourra venir ma guérison ? Ce n'est pas sans raison que mon âme est éprise. Juste ciel ! Et que dois-je espérer désormais ? C'est donc perdre mon temps que de plus y prétendre ? Me quittez-vous sitôt sans me vouloir guérir ? Je mourrai toutefois, si je ne vous possède. Tout dédaigné, je l'aime, et malgré sa rigueur, Ses charmes plus puissants lui conservent mon coeur. Par un contraire effet dont mes maux s'entretiennent, Sa bouche le refuse, et ses yeux le retiennent. Je ne puis, tant elle a de mépris et d'appas, Ni le faire accepter, ni ne le donner pas ; Et comme si l'amour faisait naître sa haine, Ou qu'elle mesurât ses plaisirs à ma peine, On voit paraître ensemble, et croître également, Ma flamme et ses froideurs, sa joie et mon tourment. Je tâche à m'affranchir de ce malheur extrême, Et je ne saurais plus disposer de moi-même. Mon désespoir trop lâche obéit à mon sort, Et mes ressentiments n'ont qu'un débile effort. Mais pour faibles qu'ils soient, aidons leur impuissance ; Donnons-leur le secours d'une éternelle absence. Adieu, cruelle ingrate, adieu : je fuis ces lieux, Pour dérober mon âme au pouvoir de tes yeux. Ce que voit Amarante en est le moindre effet : Je porte, malheureux, après de tels outrages, Des douleurs sur le front, et dans le coeur des rages. Que ne dis-tu plutôt que c'est trop endurer ? Je devrais être las d'un si cruel martyre, Briser les fers honteux où me tient son empire, Sans irriter mes maux avec un vain regret. Prends-en ma foi de gage, avec… Laisse-moi faire. Souffre… Hélas ! Et le moyen de croire tes discours ? Tu ne flattes mon coeur que d'un espoir frivole. Mais si j'en recevais, je serais bien confus. Un oncle pourra mieux concerter cette affaire. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_FLORAME *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_florame Encore est-ce à regret qu'ici je viens me rendre, Et comme un criminel qu'on traîne à sa prison. Elle n'est que trop vraie. La conserver encor ! Le moyen ? L'apparence ? Je m'étais plu toujours d'aimer en mille lieux : Voyant une beauté, mon coeur suivait mes yeux ; Mais de quelques attraits que le ciel l'eût pourvue, J'en perdais la mémoire aussitôt que la vue ; Et bien que mes discours lui donnassent ma foi, De retour au logis, je me trouvais à moi. Cette façon d'aimer me semblait fort commode, Et maintenant encor je vivrais à ma mode ; Mais l'objet d'Amarante est trop embarrassant : Ce n'est point un visage à ne voir qu'en passant ; Un je ne sais quel charme auprès d'elle m'attache ; Je ne la puis quitter que le jour ne se cache ; Même alors, malgré moi, son image me suit, Et me vient, au lieu d'elle, entretenir la nuit. Le sommeil n'oserait me peindre une autre idée ; J'en ai l'esprit rempli, j'en ai l'âme obsédée. Théante, ou permets-moi de n'en plus approcher, Ou songe que mon coeur n'est pas fait d'un rocher ; Tant de charmes enfin me rendraient infidèle. Cruel, est-ce là donc me traiter en ami ? Garde, pour châtiment de cet injuste outrage, Qu'Amarante pour toi ne change de courage, Et se rendant sensible à l'ardeur de mes voeux… Ami, qu'il vaut bien mieux ne tomber point en peine De faire à tes dépens cette épreuve incertaine ! Je me confesse pris, je quitte, j'ai perdu : Qui veux-tu plus de moi ? Reprends ce qui t'est dû. Séparer plus longtemps une amour si parfaite ! Continuer encor la faute que j'ai faite ! Elle n'est que trop grande, et pour la réparer, J'empêcherai Daphnis de vous plus séparer. Pour peu qu'à mes discours je la trouve accessible, Vous jouirez vous deux d'un entretien paisible ; Je saurai l'amuser, et vos feux redoublés Par son fâcheux abord ne seront plus troublés. Sans plus vous désunir, Souffre qu'au lieu de toi je l'aille entretenir. Aurez-vous quelque gloire à me faire souffrir ? Vous plaisez-vous à ceux d'une âme si contrainte, Qu'une vieille amitié retient toujours en crainte ? De vrai, contre ses droits mon esprit se rebelle ; Mais feriez-vous état d'un amant infidèle ? encor si je pouvais former quelque espérance De vous voir favorable à ma persévérance, Que vous pussiez m'aimer après tant de tourment, Et d'un mauvais ami faire un heureux amant ! Mais hélas ! Je vous sers, je vis sous votre empire, Et je ne puis prétendre où mon désir aspire. Théante ! (Ah, nom fatal pour me combler d'ennui ! ) Vous demandez mon coeur, et le vôtre est à lui ! Souffrez qu'en autre lieu j'adresse mes services, Que du manque d'espoir j'évite les supplices : Qui ne peut rien prétendre a droit d'abandonner. Vous ne flattez mes sens que pour m'embarrasser. Ne pensez pas… Madame, excusez donc cette incivilité, Dont l'heure nous impose une nécessité. Jamais ne verrai-je finie Cette incommode affection, Dont l'impitoyable manie Tyrannise ma passion ? Je feins, et je fais naître un feu si véritable, Qu'à force d'être aimé je deviens misérable. Toi qui m'assièges tout le jour, Fâcheuse cause de ma peine, Amarante, de qui l'amour Commence à mériter ma haine, Cesse de te donner tant de soins superflus : Je te voudrai du bien de ne m'en vouloir plus. Dans une ardeur si violente, Près de l'objet de mes désirs, Penses-tu que je me contente D'un regard et de deux soupirs ? Et que je souffre encor cet injuste partage Où tu tiens mes discours, et Daphnis mon courage ? Si j'ai feint pour toi quelques feux, C'est à quoi plus rien ne m'oblige : Quand on a l'effet de ses voeux, Ce qu'on adorait se néglige. Je ne voulais de toi qu'un accès chez Daphnis : Amarante, je l'ai ; mes amours sont finis. Théante, reprends ta maîtresse ; N'ôte plus à mes entretiens L'unique sujet qui me blesse, Et qui peut-être est las des tiens. Et toi, puissant Amour, fais enfin que j'obtienne Un peu de liberté pour lui donner la mienne ! Vous jugerez par là du pouvoir de vos yeux. Autre objet que vos yeux ne cause mon martyre. N'appelez point des feux un peu de complaisance Que détruit votre abord, qu'éteint votre présence. Quoi que vous estimiez de ma civilité, Je ne me pique point d'insensibilité. J'aime, il n'est que trop vrai, je brûle, je soupire ; Mais un plus haut sujet me tient sous son empire. Je ris de ces amants Dont le trop de respect redouble les tourments, Et qui, pour les cacher se faisant violence, Se promettent beaucoup d'un timide silence. Pour moi, j'ai toujours cru qu'un amour vertueux N'avait point à rougir d'être présomptueux. Je veux bien vous nommer le bel oeil qui me dompte Et ma témérité ne me fait point de honte. Ce rare et haut sujet… Sans affront je la quitte, et lui préfère une autre Dont le mérite égal, le rang pareil au vôtre, L'esprit et les attraits également puissants, Ne devraient de ma part avoir que de l'encens. Oui, sa perfection, comme la vôtre extrême, N'a que vous de pareille : en un mot, c'est… Vu le peu que je suis, vous dédaignez de croire Une si malheureuse et si basse victoire. Mon coeur est un captif si peu digne de vous, Que vos yeux en voudraient désavouer leurs coups ; Ou peut-être mon sort me rend si méprisable Que ma témérité vous devient incroyable. Mais quoi que désormais il m'en puisse arriver, Je fais serment… Je ne le vis jamais mieux sur sa bonne mine. C'est à vous maintenant d'ordonner mon supplice, Sûre que sa rigueur n'aura point d'injustice. Mais de votre côté que faut-il que j'espère ? Se peut-il que Florame Souffre d'être sitôt séparé de son âme ? Oui, l'honneur d'obéir à vos commandements Lui doit être plus cher que ses contentements. Enfin, quelque froideur qui paroisse en Florise, Aux volontés d'un frère elle s'en est remise. Que veux-tu ? Son esprit se fait un peu de force : Elle se sacrifie à mes contentements, Et pour mes intérêts contraint ses sentiments. Assure donc Géraste, en me donnant sa fille, Qu'il gagne en un moment toute notre famille, Et que, tout vieil qu'il est, cette condition Ne laisse aucun obstacle à son affection. Mais aussi de Florise il ne doit rien prétendre, À moins que se résoudre à m'accepter pour gendre. Elle a trop de bonté pour me vouloir du mal ; D'ailleurs sa résistance obscurcirait sa gloire ; Je la mériterais si je la pouvais croire. La voilà qu'un rival m'empêche d'aborder ; Le rang qu'il tient sur moi m'oblige à lui céder, Et la pitié que j'ai d'un amant si fidèle Lui veut donner loisir d'être dédaigné d'elle. Et je vous ai quittée aussi sans contester. Quand j'aurais sur ce point reçu quelque défense, Si vous saviez quels feux ont pressé mon retour, Vous en pardonneriez le crime à mon amour. Mes feux, qu'ont redoublés ces propos adorables, À force d'être crus deviennent incroyables, Et vous n'en croyez rien qui ne soit au-dessous ; Que ne m'est-il permis d'en croire autant de vous ? Il me la faudrait vraie. Surpris, ravi, confus, je n'ai que repartir. être aimé de Daphnis ! Un père y consentir ! Dans mon affection ne trouver plus d'obstacles ! Mon espoir n'eût osé concevoir ces miracles. Les avis d'Amarante, en trahissant ma flamme, N'ont point gagné Géraste en faveur de Florame. Les ressorts d'un miracle ont un plus haut moteur, Et tout autre qu'un dieu n'en peut être l'auteur. Et vous verrez peut-être Que son pouvoir divin se fait ici paraître, Dont quelques grands effets, avant qu'il soit longtemps, Vous rendront étonnée, et nos désirs contents. Aimez-en le premier, et recevez la foi D'un bienheureux amant qu'il met sous votre loi. Quoique dorénavant Amarante survienne, Je crois que nos discours iront d'un pas égal, Sans donner sur le rhume ou gauchir sur le bal. J'en apprendrai de vous l'agréable nouvelle. Un ordre nécessaire au logis me rappelle, Et doit fort avancer le succès de nos voeux. Dans une heure au plus tard. Sans me voir elle rentre, et quelque bon génie Me sauve de ses yeux et de sa tyrannie. Je ne me croyais pas quitte de ses discours, À moins que sa maîtresse en vînt rompre le cours. Peut-être voudrais-tu qu'elle empêchât ma plainte ? Toutefois au combat tu n'as pu l'engager. Malgré le déplaisir de mes secrets trahis, Je ne puis, cher ami, qu'avec toi je ne rie Des subtiles raisons de sa poltronnerie. Nous faire ce duel sans s'exposer aux coups, C'est véritablement en savoir plus que nous, Et te mettre en sa place avec assez d'adresse. Mais ton service offert hasardait bien ta foi, Et s'il eût eu du coeur, t'engageait contre moi. Les maximes qu'il tient pour conserver sa vie T'ont donné des plaisirs où je te porte envie. Mais s'il nous trouve ensemble, il pourra soupçonner Que nous prenons plaisir tous deux à le berner. Je m'étonne comment tant de belles parties En cet illustre amant sont si mal assorties, Qu'il a si mauvais coeur avec de si bons yeux, Et fait un si beau choix sans le défendre mieux. Pour tant d'ambition, c'est bien peu de courage. Quelle surprise, ami, paraît sur ton visage ? Parle plus franchement : fâché de ta promesse, Tu veux et n'oserais reprendre ta maîtresse ? Ta passion, qui souffre une trop dure loi, Pour la gouverner seul te dérobait de moi ? C'est ce qui t'obligeait sans doute à me chercher ? Mais ne te prive plus d'un entretien si cher. Je te cède Amarante et te rends ta parole : J'aime ailleurs ; et lassé d'un compliment frivole, Et de feindre une ardeur qui blesse mes amis, Ma flamme est véritable et son effet permis. J'adore une beauté qui peut disposer d'elle, Et seconder mes feux sans se rendre infidèle. Je ne puis te celer Qu'elle est l'unique objet pour qui je veux brûler. Qu'il vienne, ce rival, apprendre, à son malheur, Que s'il me passe en biens, il me cède en valeur. Que sa vaine arrogance, en ce duel trompée, Me fasse mériter Daphnis à coups d'épée : Par là je gagne tout ; ma générosité Suppléera ce qui fait notre inégalité ; Et son père, amoureux du bruit de ma vaillance, La fera sur ses biens emporter la balance. Ce cartel, ce me semble, est trop long à venir : Mon courage bouillant ne se peut contenir ; Enflé par tes discours, il ne saurait attendre Qu'un insolent défi l'oblige à se défendre. Va donc, et de ma part appelle Clarimond ; Dis-lui que pour demain il choisisse un second, Et que nous l'attendrons au château de Bissêtre. Quels périls ? L'heur y suit le plus heureux amant. Clarimond n'eut jamais qu'une valeur commune. C'est par là seulement qu'on mérite Daphnis. Cette belle action pourra gagner son père. Acceptant un cartel, suis-je plus assuré ? Je ne puis résister à des raisons si fortes ; Sur ma bouillante ardeur malgré moi tu l'emportes : J'attendrai qu'on m'attaque. En ce cas, Souviens-t'en, cher ami, tu me promets ton bras ? Elle est fort assurée, Si rien que ce duel n'empêche sa durée. Il en parle des mieux : c'est un jeu qui lui plaît ; Mais il devient fort sage aussitôt qu'il en est, Et montre cependant des grâces peu vulgaires À battre ses raisons par des raisons contraires. Vous me jetez, madame, en d'étranges alarmes. Dieux ! Et d'où peut venir ce déluge de larmes ? Le bonhomme est-il mort ? Le nom de cet amant, dont l'indiscrète envie À mes ressentiments vient apporter sa vie ! Le nom de cet amant, qui par sa prompte mort Doit, au lieu du vieillard, me réparer ce tort, Et qui, sur quelque orgueil que son amour se fonde, N'a que jusqu'à ma vue à demeurer au monde ! Qu'avec des mots si doux vous m'êtes inhumaine ! Vous me comblez de joie et redoublez ma peine. L'effet d'un tel amour, hors de votre pouvoir, Irrite d'autant plus mon sanglant désespoir ; L'excès de votre ardeur ne sert qu'à mon supplice. Devenez-moi cruelle afin que je guérisse. Guérir ? Ah ! Qu'ai-je dit ? Ce mot me fait horreur : Pardonnez aux transports d'une aveugle fureur. Aimez toujours Florame, et quoi qu'il ait pu dire, Croissez de jour en jour vos feux et son martyre. Peut-il rendre sa vie à de plus heureux coups, Ou mourir plus content que pour vous et par vous ? Dépourvu de conseil comme de sentiment, L'excès de ma douleur m'ôte le jugement. De tant de biens promis je n'ai plus que sa vue, Et mes bras impuissants ne l'ont pas retenue ; Et même je lui laisse abandonner ce lieu, Sans trouver de parole à lui dire un adieu. Ma fureur pour Daphnis a de la complaisance : Mon désespoir n'osait agir en sa présence, De peur que mon tourment aigrît ses déplaisirs ; Une pitié secrète étouffait mes soupirs : Sa douleur par respect faisait taire la mienne ; Mais ma rage à présent n'a rien qui la retienne. Sors, infâme vieillard, dont le consentement Nous a vendu si cher le bonheur d'un moment ; Sors, que tu sois puni de cette humeur brutale Qui rend ta volonté pour nos feux inégale. À nos chastes amours qui t'a fait consentir, Barbare ? Mais plutôt qui t'en fait repentir ? Crois-tu qu'aimant Daphnis, le titre de son père Débilite ma force ou rompe ma colère ? Un nom si glorieux, lâche, ne t'est plus dû : En lui manquant de foi, ton crime l'a perdu. Plus j'ai d'amour pour elle, et plus pour toi de haine Enhardit ma vengeance et redouble ta peine : Tu mourras ; et je veux, pour finir mes ennuis, Mériter par ta mort celle où tu me réduis. Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée Parle d'ôter la vie à qui te l'a donnée ! Je t'aime, et je t'oblige à m'avoir en horreur, Et ne connais encor qu'à peine mon erreur ! Si je suis sans respect pour ce que tu respectes, Que mes affections ne t'en soient pas suspectes. De plus réglés transports me feraient trahison ; Si j'avais moins d'amour, j'aurais de la raison ; C'est peu que de la perdre, après t'avoir perdue : Rien ne sert plus de guide à mon âme éperdue, Je condamne à l'instant ce que j'ai résolu ; Je veux, et ne veux plus sitôt que j'ai voulu ; Je menace Géraste, et pardonne à ton père : Ainsi rien ne me venge, et tout me désespère. Célie… Cesse d'aigrir ma flamme en raillant de la sorte, Organe d'un vieillard qui croit faire un bon tour De se jouer de moi par une feinte amour. Si tu te veux du bien, fais-lui tenir promesse : Vous me rendrez tous deux la vie ou ma maîtresse ; Et ce jour expiré, je vous ferai sentir Que rien de ma fureur ne vous peut garantir. Je ne puis parler à des perfides. Jetterai-je toujours des menaces en l'air, Sans que je sache enfin à qui je dois parler ? Aurait-on jamais cru qu'elle me fût ravie, Et qu'on me pût ôter Daphnis avant la vie ? Le possesseur du prix de ma fidélité, Bien que je sois vivant, demeure en sûreté ; Tout inconnu qu'il m'est, il produit ma misère ; Tout mon rival qu'il est, il rit de ma colère. Rival ! Ah, quel malheur ! J'en ai pour me bannir, Et cesse d'en avoir quand je le veux punir. Grands dieux, qui m'enviez cette juste allégeance Qu'un amant supplanté tire de la vengeance, Et me cachez le bras dont je reçois les coups, Est-ce votre dessein que je m'en prenne à vous ? Est-ce votre dessein d'attirer mes blasphèmes, Et qu'ainsi que mes maux mes crimes soient extrêmes ; Qu'à mille impiétés osant me dispenser, À votre foudre oisif je donne où se lancer ? Ah ! Souffrez qu'en l'état de mon sort déplorable Je demeure innocent, encor que misérable ; Destinez à vos feux d'autres objets que moi : Vous n'en sauriez manquer, quand on manque de foi. Employez le tonnerre à punir les parjures, Et prenez intérêt vous-même à mes injures : Montrez, en me vengeant, que vous êtes des dieux, Ou conduisez mon bras, puisque je n'ai point d'yeux, Et qu'on sait dérober d'un rival qui me tue Le nom à mon oreille, et l'objet à ma vue. Rival, qui que tu sois, dont l'insolent amour Idolâtre un soleil et n'ose voir le jour, N'oppose plus ta crainte à l'ardeur qui te presse : Fais-toi, fais-toi connaître allant voir ta maîtresse. Amarante (aussi bien te faut-il confesser Que la seule Daphnis avait su me blesser), Dis-moi qui me l'enlève : apprends-moi quel mystère Me cache le rival qui possède son père ; À quel heureux amant Géraste a destiné Ce beau prix que l'amour m'avait si bien donné. Que me dis-tu, lui seul et sa rigueur nouvelle Empêchant les effets d'une ardeur mutuelle ? Vois-tu, ne t'en ris plus ; ta seule jalousie A mis à ce vieillard ce change en fantaisie. Ce n'est pas avec moi que tu te dois jouer, Et ton crime redouble à le désavouer ; Mais sache qu'aujourd'hui, si tu ne fais en sorte Que mon fidèle amour sur ce rival l'emporte, J'aurai trop de moyens à te faire sentir Qu'on ne m'offense point sans un prompt repentir. Appelez-vous refus de me donner sa foi Quand votre volonté se déclara pour moi ? Et cette volonté, pour un autre tournée, Vous peut-elle obéir après la foi donnée ? Pardonnez-lui, monsieur ; et vous, daignez, madame, Justifier son feu par votre propre flamme : Si vous m'aimez encor, vous devez estimer Qu'on ne peut faire un crime à force de m'aimer. Vous, de qui je les tiens… Il n'en faut point parler ; elle vous est acquise. Je pense toutefois vous avoir avertie Qu'un grand effet d'amour, avant qu'il fût longtemps, Vous rendrait étonnée et nos désirs contents. Mais différez, monsieur, une telle visite : Mon feu ne souffre point que sitôt je la quitte ; Et d'ailleurs je sais trop que la loi du devoir Veut que je sois chez nous pour vous y recevoir. Plutôt fais-la venir saluer ma maîtresse : Ainsi tout à la fois nous verrons satisfaits Vos feux et mon devoir, ma flamme et vos souhaits. Toujours l'impatience à l'amour est mêlée **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_THEANTE *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_theante Ami, n'y rêve plus ; c'est en juger trop bien Pour t'oser plaindre encor de n'y comprendre rien. Quelques puissants appas que possède Amarante, Je trouve qu'après tout ce n'est qu'une suivante ; Et je ne puis songer à sa condition Que mon amour ne cède à mon ambition. Ainsi, malgré l'ardeur qui pour elle me presse, À la fin j'ai levé les yeux sur sa maîtresse, Où mon dessein, plus haut et plus laborieux, Se promet des succès beaucoup plus glorieux. Mais lors, soit qu'Amarante eût pour moi quelque flamme, Soit qu'elle pénétrât jusqu'au fond de mon âme, Et que malicieuse elle prît du plaisir À rompre les effets de mon nouveau désir, Elle savait toujours m'arrêter auprès d'elle À tenir des propos d'une suite éternelle. L'ardeur qui me brûlait de parler à Daphnis Me fournissait en vain des détours infinis ; Elle usait de ses droits, et toute impérieuse, D'une voix demi-gaie et demi-sérieuse : " quand j'ai des serviteurs, c'est pour m'entretenir, Disait-elle ; autrement, je les sais bien punir ; Leurs devoirs près de moi n'ont rien qui les excuse. " écoute, et tu verras si je suis maladroit. Tu sais comme Florame à tous les beaux visages Fait par civilité toujours de feints hommages, Et sans avoir d'amour offrant partout des voeux, Traite de peu d'esprit les véritables feux. Un jour qu'il se vantait de cette humeur étrange, À qui chaque objet plaît, et que pas un ne range, Et reprochait à tous que leur peu de beauté Lui laissait si longtemps garder sa liberté : « Florame, dis-je alors, ton âme indifférente Ne tiendrait que fort peu contre mon Amarante. » « Théante, me dit-il, il faudrait l'éprouver ; Mais l'éprouvant peut-être on te ferait rêver : Mon feu, qui ne serait que pure courtoisie, La remplirait d'amour, et toi de jalousie. » Je réplique, il repart, et nous tombons d'accord Qu'au hasard du succès il y ferait effort. Ainsi je l'introduis ; et par ce tour d'adresse, Qui me fait pour un temps lui céder ma maîtresse, Engageant Amarante et Florame au discours, J'entretiens à loisir mes nouvelles amours. Plus que je n'espérais je l'y trouvai docile. Soit que je lui donnasse une fort douce loi, Et qu'il fût à ses yeux plus aimable que moi ; Soit qu'elle fît dessein sur ce fameux rebelle Qu'une simple gageure attachait auprès d'elle, Elle perdit pour moi son importunité, Et n'en demanda plus tant d'assiduité. La douceur d'être seule à gouverner Florame Ne souffrit plus chez elle aucun soin de ma flamme, Et ce qu'elle goûtait avec lui de plaisirs Lui fit abandonner mon âme à mes désirs. Parmi ses hauts projets il manque de prudence, Puisqu'il traite avec toi de telle confidence. Je dois l'attendre ici. Quitte-moi, je te prie, De peur qu'il n'ait soupçon de ta supercherie. Par quel malheur fatal Ai-je donné moi-même entrée à mon rival ? De quelque trait rusé que mon esprit se vante, Je me trompe moi-même en trompant Amarante, Et choisis un ami qui ne veut que m'ôter Ce que par lui je tâche à me faciliter. Qu'importe toutefois qu'il brûle et qu'il soupire ? Je sais trop comme il faut l'empêcher d'en rien dire. Amarante l'arrête, et j'arrête Daphnis : Ainsi tous entretiens d'entre eux deux sont bannis ; Et tant d'heur se rencontre en ma sage conduite, Qu'au langage des yeux son amour est réduite. Mais n'est-ce pas assez pour se communiquer ? Que faut-il aux amants de plus pour s'expliquer ? Même ceux de Daphnis à tous coups lui répondent : L'un dans l'autre à tous coups leurs regards se confondent, Et d'un commun aveu ces muets truchements Ne se disent que trop leurs amoureux tourments. Quelles vaines frayeurs troublent ma fantaisie ! Que l'amour aisément penche à la jalousie ! Qu'on croit tôt ce qu'on craint en ces perplexités Où les moindres soupçons passent pour vérités ! Daphnis est toute aimable ; et si Florame l'aime, Dois-je m'imaginer qu'il soit aimé de même ? Florame avec raison adore tant d'appas, Et Daphnis sans raison s'abaisserait trop bas. Ce feu, si juste en l'un, en l'autre inexcusable, Rendrait l'un glorieux, et l'autre méprisable. Simple ! L'amour peut-il écouter la raison ? Et même ces raisons sont-elles de saison ? Si Daphnis doit rougir en brûlant pour Florame, Qui l'en affranchirait en secondant ma flamme ? Étant tous deux égaux, il faut bien que nos feux Lui fassent même honte, ou même honneur tous deux : Ou tous deux nous formons un dessein téméraire, Ou nous avons tous deux même droit de lui plaire. Si l'espoir m'est permis, il y peut aspirer ; Et s'il prétend trop haut, je dois désespérer. Mais le voici venir. Tu me fais bien attendre. Tu ne fais qu'en raillant cette comparaison. Et ton indifférence ? Deviens-le si tu veux, je suis assuré d'elle ; Et quand il te faudra tout de bon l'adorer, Je prendrai du plaisir à te voir soupirer, Tandis que pour tout fruit tu porteras la peine D'avoir tant persisté dans une humeur si vaine. Quand tu ne pourras plus te priver de la voir, C'est alors que je veux t'en ôter le pouvoir ; Et j'attends de pied ferme à reprendre ma place, Qu'il ne soit plus en toi de retrouver ta glace. Tu te défends encore, et n'en tiens qu'à demi. À cela près, poursuis ; gagne-la, si tu peux : Je ne m'en prendrai lors qu'à ma seule imprudence ; Et demeurant ensemble en bonne intelligence, En dépit du malheur que j'aurai mérité, J'aimerai le rival qui m'aura supplanté. Ce seroit prendre un soin qui n'est pas nécessaire : Daphnis sait d'elle-même assez bien se distraire, Et jamais son abord ne trouble nos plaisirs, Tant elle est complaisante à nos chastes désirs. Déploie, il en est temps, tes meilleurs artifices (Sans mettre toutefois en oubli mes services) : Je t'amène un captif qui te veut échapper. Vois qu'en sa liberté ta gloire se hasarde. Je connais Amarante, et ma facilité établit mon repos sur sa fidélité : Elle rit de Florame et de ses flatteries, Qui ne sont après tout que des galanteries. C'est un trop bas emploi pour de si hauts mérites ; Et quand elle aimerait à souffrir ses visites, Quand elle aurait pour lui quelque inclination, Vous m'en verriez toujours sans appréhension. Qu'il se mette à loisir, s'il peut, dans son courage : Un moment de ma vue en efface l'image. Nous nous ressemblons mal, et pour ce changement, Elle a de trop bons yeux et trop de jugement. Vous en parlez ainsi, faute de le connaître. Quoi qu'il en soit, l'honneur de vous entretenir… Je t'attendais, ami, pour faire la retraite : L'heure du dîner presse, et nous incommodons Celles qu'en nos discours ici nous retardons. Nous ferions conscience D'abuser plus longtemps de votre patience. Tu me vois sans Florame : un amoureux ennui Assez adroitement m'a dérobé de lui. Las de céder ma place à son discours frivole, Et n'osant toutefois lui manquer de parole, Je pratique un quart d'heure à mes affections. Je ne la saurais croire obligeante à ce point. Ce qui la fait partir ne se dira-t-il point ? Florame ? J'ai regret que Florame ait reçu cette honte : Mais enfin auprès d'elle il trouve mal son conte ? Et je m'assure aussi tellement en ta foi, Que bien que tout le jour il cajole avec toi, Mon esprit te conserve une amitié si pure, Que sans être jaloux je le vois et l'endure. Je te souhaite un change autant avantageux. Plût à Dieu que le sort te fût moins outrageux, Ou que jusqu'à ce point il t'eût favorisée, Que Florame fût prince, et qu'il t'eût épousée ! Je prise auprès des tiens si peu mes intérêts, Que bien que j'en sentisse au coeur mille regrets, Et que de déplaisir il m'en coûtât la vie, Je me la tiendrais lors heureusement ravie. Il a mine d'avoir quelque chose à me dire. Arrête : nous pourrons nous voir tout à loisir ; Rien ne le presse. Ami, que tu m'as fait plaisir ! J'étais fort à la gêne avec cette suivante. Je l'aime encor pourtant ; mais mon ambition Ne laisse point agir mon inclination. Ma flamme sur mon coeur en vain est la plus forte ; Tous mes désirs ne vont qu'où mon dessein les porte. Au reste j'ai sondé l'esprit de mon rival. Qu'il n'est pas pour me faire grand mal. Amarante m'en vient d'apprendre une nouvelle Qui ne me permet plus que j'en sois en cervelle. Il a vu… Daphnis, et n'en a remporté Que ce qu'elle devait à sa témérité. Des mépris, des rigueurs sans pareilles. Celle dont je les tiens en parle assurément. Lui disputer un bien où j'ai si peu de part, Ce serait m'exposer pour quelque autre au hasard. Le duel est fâcheux, et quoi qu'il en arrive, De sa possession l'un et l'autre il nous prive, Puisque de deux rivaux, l'un mort, l'autre s'enfuit, Tandis que de sa peine un troisième a le fruit. À croire son courage, en amour on s'abuse : La valeur d'ordinaire y sert moins que la ruse. Te viens-tu d'aviser de quelque invention ? Ce rival est bien moins à redouter qu'à plaindre. Crois-tu qu'avec Florame aisément on l'engage ? Oui, mais s'il t'obligeait d'en porter la parole ? En même occasion dispose de ma vie, Et sois sûr que pour toi j'aurai la même envie. Le ciel ne vit jamais un ami si parfait. T'ayant cherché longtemps, je demeure confus De t'avoir rencontré quand je n'y pensais plus. De peur que ton esprit formât cette croyance, De l'aborder sans toi je faisais conscience. Tu veux dire Daphnis ? Le bruit vole déjà qu'elle est pour toi sans glace, Et déjà d'un cartel Clarimond te menace. Tu n'en peux espérer un moindre événement : L'heur suit dans les duels le plus heureux amant ; Le glorieux succès d'une action si belle, Ton sang mis au hasard ou répandu pour elle, Ne peut laisser au père aucun lieu de refus. Tiens ta maîtresse acquise et ton rival confus ; Et sans t'épouvanter d'une vaine fortune Qu'il soutient lâchement d'une valeur commune, Ne fais de son orgueil qu'un sujet de mépris, Et pense que Daphnis ne s'acquiert qu'à ce prix. Adieu : puisse le ciel à ton amour parfaite Accorder un succès tel que je le souhaite ! J'adore ce grand coeur qu'ici tu fais paraître, Et demeure ravi du trop d'affection Que tu m'as témoigné par cette élection. Prends-y garde pourtant : pense à quoi tu t'engages. Si Clarimond, lassé de souffrir tant d'outrages, éteignant son amour, te cédait ce bonheur, Quel besoin serait-il de le piquer d'honneur ? Peut-être qu'un faux bruit nous apprend sa menace ; C'est à toi seulement de défendre ta place. Ces coups du désespoir des amants méprisés N'ont rien d'avantageux pour les favorisés. Qu'il recoure, s'il veut, à ces fâcheux remèdes ; Ne lui querelle point un bien que tu possèdes ; Ton amour, que Daphnis ne saurait dédaigner, Court risque d'y tout perdre, et n'y peut rien gagner. Avise encore un coup : ta valeur inquiète En d'extrêmes périls un peu trop tôt te jette. Quelquefois le hasard en dispose autrement. La valeur aux duels fait moins que la fortune. Mais plutôt de ses yeux par là tu te bannis. Je le souhaite ainsi plus que je ne l'espère. Où l'honneur souffrirait rien n'est considéré. Adieu donc. Dispose de ma vie. Croirais-tu qu'un moment m'ait pu changer de sorte Que je passe à regret par devant cette porte ? Ne le cherche donc plus. à bien considérer, Qu'ils se battent ou non, je n'en puis qu'espérer. Daphnis, que son adresse a malgré moi séduite, Ne pourrait l'oublier, quand il serait en fuite : Leur amour est trop forte ; et d'ailleurs son trépas, Le privant d'un tel bien, ne me le donne pas. Inégal en fortune à ce qu'est cette belle, Et déjà par malheur assez mal voulu d'elle, Que pourrais-je après tout prétendre de ses pleurs ? Et quel espoir pour moi naîtrait de ses douleurs ? Deviendrais-je par là plus riche ou plus aimable ? Que si de l'obtenir je me trouve incapable, Mon amitié pour lui, qui ne peut expirer, À tout autre qu'à moi me le fait préférer ; Et j'aurais peine à voir un troisième en sa place. Non, mais tu pourrais faire… Que Clarimond prît un sentiment contraire. À de telles raisons je n'ai de repartie, Sinon que c'est à moi de rompre la partie. J'en vais semer le bruit. Qu'on leur donne dans peu des gardes à tous deux, Et qu'une main puissante arrête leur querelle. Qu'en dis-tu, cher ami ? À les laisser en paix, et courir l'Italie Pour divertir le cours de ma mélancolie, Et ne voir point Florame emporter à mes yeux Le prix où prétendait mon coeur ambitieux. Son image du tout n'en est pas effacée ; Mais… Railler un malheureux, c'est être trop cruel. Bien que ses yeux encor règnent sur mon courage, Le bonheur de Florame à la quitter m'engage : Le ciel ne nous fit point et pareils et rivaux, Pour avoir des succès tellement inégaux. C'est me perdre d'honneur, et par cette poursuite, D'égal que je lui suis, me ranger à sa suite. Je donne désormais des règles à mes feux : De moindres que Daphnis sont incapables d'eux ; Et rien dorénavant n'asservira mon âme Qui ne me puisse mettre au-dessus de Florame. Allons : je ne puis voir sans mille déplaisirs Ce possesseur du bien où tendaient mes désirs. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_DAMON *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damon Ami, j'ai beau rêver, toute ma rêverie Ne me fait rien comprendre en ta galanterie. Auprès de ta maîtresse engager un ami, C'est, à mon jugement, ne l'aimer qu'à demi. Ton humeur qui s'en lasse au changement l'invite ; Et n'osant la quitter, tu veux qu'elle te quitte. Maintenant je devine à peu près une ruse Que tout autre en ta place à peine entreprendrait. Fut-elle sur ce point ou fâcheuse ou facile ? On t'abuse, Théante ; il faut que je te dise Que Florame est atteint de même maladie, Qu'il roule en son esprit mêmes desseins que toi, Et que c'est à Daphnis qu'il veut donner sa foi. À servir Amarante il met beaucoup d'étude ; Mais ce n'est qu'un prétexte à faire une habitude : Il accoutume ainsi ta Daphnis à le voir, Et ménage un accès qu'il ne pouvait avoir. Sa richesse l'attire, et sa beauté le blesse ; Elle le passe en biens, il l'égale en noblesse, Et cherche ambitieux, par sa possession, À relever l'éclat de son extraction. Il a peu de fortune, et beaucoup de courage ; Et hors cette espérance, il hait le mariage. C'est ce que l'autre jour en secret il m'apprit ; Tu peux, sur cet avis, lire dans son esprit. Crois qu'il m'éprouvera fidèle au dernier point, Lorsque ton intérêt ne s'y mêlera point. Adieu. Je suis à toi. Celle qui te charmait te devient bien pesante. Et connu… Qui ? Comme quoi ? As-tu beaucoup de foi pour de telles merveilles ? Pour un homme si fin, on te dupe aisément. Amarante elle-même en est mal satisfaite, Et ne t'a rien conté que ce qu'elle souhaite : Pour seconder Florame en ses intentions, On l'avait écartée à des commissions. Je viens de le trouver, tout ravi dans son âme D'avoir eu les moyens de déclarer sa flamme, Et qui présume tant de ses prospérités, Qu'il croit ses voeux reçus, puisqu'ils sont écoutés ; Et certes son espoir n'est pas hors d'apparence. Après ce bon accueil, et cette conférence Dont Daphnis elle-même a fait l'occasion, J'en crains fort un succès à ta confusion. Tâchons d'y donner ordre ; et sans plus de langage, Avise en quoi tu veux employer mon courage. Avant que passer outre, un peu d'attention. Oui, ta seule maxime en fonde l'entreprise. Clarimond voit Daphnis, il l'aime, il la courtise ; Et quoiqu'il n'en reçoive encor que des mépris, Un moment de bonheur lui peut gagner ce prix Je veux que de sa part tu ne doives rien craindre, N'est-ce pas le plus sûr qu'un duel hasardeux Entre Florame et lui les en prive tous deux ? Je l'y résoudrai trop avec un peu d'ombrage. Un amant dédaigné ne voit pas de bon oeil Ceux qui du même objet ont un plus doux accueil : Des faveurs qu'on leur fait il forme ses offenses, Et pour peu qu'on le pousse, il court aux violences. Nous les verrions par là, l'un et l'autre écartés, Laisser la place libre à tes félicités. Tu te mets en l'esprit une crainte frivole : Mon péril de ces lieux ne te bannira pas ; Et moi, pour te servir je courrais au trépas. Allons, ces compliments en retardent l'effet. Je voudrais t'avoir vu dedans cette contrainte. Si Théante sait tout, sans raison tu t'en plains : Je t'ai dit ses secrets, comme à lui tes desseins ; Il voit dedans ton coeur, tu lis dans son courage, Et je vous fais combattre ainsi sans avantage. Sa générosité n'en craint pas le danger ; Mais cela choque un peu sa prudence amoureuse, Vu que la fuite en est la fin la plus heureuse, Et qu'il faut que, l'un mort, l'autre tire pays. Qu'importe à quels périls il gagne une maîtresse ? Que ses rivaux entre eux fassent mille combats, Que j'en porte parole, ou ne la porte pas, Tout lui semblera bon, pourvu que sans en être Il puisse de ces lieux les faire disparaître. Je savais trop que l'offre en serait rejetée : Depuis plus de dix ans je connais sa portée. Il ne devient mutin que fort malaisément, Et préfère la ruse à l'éclaircissement. Tu peux incontinent les goûter si tu veux. Lui, qui doute fort peu du succès de ses voeux, Et qui croit que déjà Clarimond et Florame Disputent loin d'ici le sujet de leur flamme, Serait-il homme à perdre un temps si précieux, Sans aller chez Daphnis faire le gracieux, Et seul, à la faveur de quelque mot pour rire, Prendre l'occasion de conter son martyre ? De peur que nous voyant il conçût quelque ombrage, J'avais mis tout exprès Cléon sur le passage. Théante approche-t-il ? Adieu donc : nous pourrons le jouer tour à tour. Que ton humeur n'a-t-elle un peu plus tôt changé ? Nous aurions vu l'effet où tu m'as engagé. Tantôt quelque démon ennemi de ta flamme Te faisait en ces lieux accompagner Florame : Sans la crainte qu'alors il te prît pour second, Je l'allais appeler au nom de Clarimond ; Et comme si depuis il était invisible, Sa rencontre pour moi s'est rendue impossible. Tu t'avises trop tard : que veux-tu que je fasse ? J'ai poussé Clarimond à lui faire un appel ; J'ai charge de sa part de lui rendre un cartel : Le puis-je supprimer ? Quoi ? Le détourner d'un coup où seul je l'ai porté ! Mon courage est mal propre à cette lâcheté. Et sur ce bruit tu veux… L'invention est belle, Et le chemin bien court à les mettre d'accord ; Mais souffre auparavant que j'y fasse un effort. Peut-être mon esprit trouvera quelque ruse Par où, sans en rougir, du cartel je m'excuse. Ne donnons point sujet de tant parler de nous, Et sachons seulement à quoi tu te résous. Amarante, à ce compte, est hors de ta pensée ? Tu crains que pour elle on te fasse un duel. Arrête : cette fuite est hors de bienséance, Et je n'ai point d'appel à faire en ta présence. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_DAPHNIS *date_1634 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_daphnis Voyez comme tous deux ont fui notre rencontre ! Je vous l'ai déjà dit, et l'effet vous le montre : Vous perdez Amarante, et cet ami fardé Se saisit finement d'un bien si mal gardé ; Vous devez vous lasser de tant de patience, Et votre sûreté n'est qu'en la défiance. Amarante, de vrai, n'aime pas à changer ; Mais votre peu de soin l'y pourrait engager. On néglige aisément un homme qui néglige. Son naturel est vain ; et qui la sert l'oblige : D'ailleurs les nouveautés ont de puissants appas. Théante, croyez-moi, ne vous y fiez pas. J'ai su me faire jour jusqu'au fond de son âme, Où j'ai peu remarqué de sa première flamme ; Et s'il tournait la feinte en véritable amour, Elle serait bien fille à vous jouer d'un tour ; Mais afin que l'issue en soit pour vous meilleure, Laissez-moi ce causeur à gouverner une heure : J'ai tant de passion pour tous vos intérêts, Que j'en saurai bientôt pénétrer les secrets. Vous le méprisez trop : je trouve en lui des charmes Qui vous devraient du moins donner quelques alarmes. Clarimond n'a de moi que haine et que rigueur ; Mais s'il lui ressemblait, il gagnerait mon coeur. J'en parle et juge ainsi sur ce qu'on voit paraître. Brisons là ce discours : je l'aperçois venir. Amarante, ce semble, en est fort satisfaite. Il n'est pas encor tard. Sa force vous excuse, et je lis dans votre âme Qu'à regret vous quittez l'objet de votre flamme. Cette assiduité de Florame avec vous À la fin a rendu Théante un peu jaloux. Aussi de vous y voir tous les jours attachée, Quelle puissante amour n'en serait point touchée ? Je viens d'examiner son esprit en passant ; Mais vous ne croiriez pas l'ennui qu'il en ressent. Vous y devez pourvoir ; et si vous êtes sage, Il faut à cet ami faire mauvais visage, Lui fausser compagnie, éviter ses discours. Ce sont pour l'apaiser les chemins les plus courts : Sinon, faites état qu'il va courir au change. En ce cas, il verra que je sais comme il faut Punir des insolents qui prétendent trop haut. Amarante, après tout disons la vérité : Théante n'est si vain qu'en votre fantaisie, Et sa froideur pour vous naît de sa jalousie ; Mais soit qu'il change ou non, il ne m'importe en rien ; Et ce que je vous dis n'est que pour votre bien. Amarante, allez voir si dans la galerie Ils ont bientôt tendu cette tapisserie : Ces gens-là ne font rien, si l'on n'a l'oeil sur eux. Je romps pour quelque temps le discours de vos feux. Votre amour est trop forte, et vos coeurs trop unis, Pour l'oublier soudain à l'abord de Daphnis ; Et vos civilités étant dans l'impossible Vous rendent bien flatteur, mais non pas insensible. Le nom ne s'en dit point ? Vous n'avez auprès d'eux guère de temps perdu. J'ai peur de m'enrhumer au froid qui continue, Allez au cabinet me quérir un mouchoir : J'en ai laissé les clefs autour de mon miroir ; Vous les trouverez là. J'ai cru que cette belle Ne pouvait à propos se nommer devant elle, Qui recevant par là quelque espèce d'affront, En aurait eu soudain la rougeur sur le front. Moi-même : Je vois bien que c'est là que vous voulez venir, Non tant pour m'obliger, comme pour me punir. Ma curiosité, devenue indiscrète, A voulu trop savoir d'une flamme secrète, Mais bien qu'elle en reçoive un juste châtiment, Vous pouviez me traiter un peu plus doucement. Sans me faire rougir, il vous devait suffire De me taire l'objet dont vous aimez l'empire : Mettre en sa place un nom qui ne vous touche pas, C'est un cruel reproche au peu que j'ai d'appas. Faute d'un plus exquis, et comme par bravade, Ceci servira donc de mouchoir de parade. Enfin, ce cavalier que nous vîmes au bal, Vous trouvez comme moi qu'il ne danse pas mal ? Il s'était si bien mis pour l'amour de Clarine. À propos de Clarine, il m'était échappé Qu'elle en a deux à moi d'un nouveau point coupé : Allez, et dites-lui qu'elle me les renvoie. Son cocher n'est jamais sitôt prêt à partir ; Et d'ailleurs son logis n'est pas au bout du monde ; Vous perdrez peu de pas. Quoi qu'elle vous réponde, Dites-lui nettement que je les veux avoir. Vous voyez qu'Amarante a pour vous de l'amour, Et ne manquera pas d'être tôt de retour. Bien que je pusse encore user de ma puissance, Il vaut mieux ménager le temps de son absence. Donc, pour n'en perdre point en discours superflus, Je crois que vous m'aimez ; n'attendez rien de plus : Florame, je suis fille, et je dépends d'un père. Si ma jalouse encor vous rencontrait ici, Ce qu'elle a de soupçons serait trop éclairci : Laissez-moi seule, allez. Mon amour, par ses yeux plus forte devenue, L'eût bientôt emporté dessus ma retenue ; Et je sentais mon feu tellement s'augmenter, Qu'il n'était plus en moi de le pouvoir dompter. J'avais peur d'en trop dire ; et cruelle à moi-même, Parce que j'aime trop j'ai banni ce que j'aime. Je me trouve captive en de si beaux liens, Que je meurs qu'il le sache, et j'en fuis les moyens. Quelle importune loi que cette modestie Par qui notre apparence en glace convertie étouffe dans la bouche, et nourrit dans le coeur, Un feu dont la contrainte augmente la vigueur ! Que ce penser m'est doux ! Que je t'aime, Florame ! Et que je songe peu, dans l'excès de ma flamme, À ce qu'en nos destins contre nous irrités Le mérite et les biens font d'inégalités ! Aussi par celle-là de bien loin tu me passes, Et l'autre seulement est pour les âmes basses ; Et ce penser flatteur me fait croire aisément Que mon père sera de même sentiment. Hélas ! C'est en effet bien flatter mon courage, D'accommoder son sens aux désirs de mon âge : Il voit par d'autres yeux, et veut d'autres appas. Que vous avez tardé pour ne trouver personne ! Florame cependant, qui vient de s'en aller, À la fin, malgré moi, s'est ennuyé d'attendre. Et la vôtre amoureuse un peu de jalousie. Aussi je me trouvais si promptement servie, Que je me doutais bien qu'on me portait envie. En un mot, l'aimez-vous ? Mais au cas qu'il me plût ? Sans colère, Amarante, il semble, à vous entendre, Qu'en même lieu que vous je voulusse prétendre. Allez, assurez-vous que mes contentements Ne vous déroberont aucun de vos amants ; Et pour vous en donner la preuve plus expresse, Voilà votre Théante, avec qui je vous laisse. Non, ils ne dureront qu'autant que vos amours. Faites finir vos feux, je finirai leurs peines. Le moyen de souffrir votre obstination ? Qui vous pourrait aimer, vous voyant si rebelle ? C'est avoir trop d'amour, et m'obéir trop peu. D'aucune exception ne doit être bornée. Cet essai me fait voir que je commande en vain. Ce n'est plus obéir depuis qu'on examine. Et moi, je me défends un plus doux traitement. Si le mien s'endurcit, ce n'est qu'à votre approche. Peut-être du sujet qui produit vos ardeurs. Et c'est de nous y voir, Clarimond, que je tremble. Comme le vôtre n'est qu'à me persécuter. Non, mais de votre part ce me sont des supplices. Lorsque le temps chez vous remettra la raison. Ce n'est pas sans raison aussi qu'on vous méprise. Que je ne suis pas fille à vous aimer jamais. Comme je perds ici le mien à vous entendre. Clarimond sans Daphnis peut et vivre et mourir. Tenez-vous donc pour mort, s'il vous faut ce remède. D'aise et d'étonnement je demeure immobile. D'où lui vient cette humeur de m'être si facile ? D'où me vient ce bonheur où je n'osais penser ? Florame, il m'est permis de te récompenser ; Et sans plus déguiser ce qu'un père autorise, Je puis me revancher du don de ta franchise ; Ton mérite le rend, malgré ton peu de biens, Indulgent à mes feux, et favorable aux tiens : Il trouve en tes vertus des richesses plus belles. Mais est-il vrai, mes sens ? M'êtes-vous si fidèles ? Mon heur me rend confuse, et ma confusion Me fait tout soupçonner de quelque illusion. Je ne me trompe point, ton mérite et ta race Auprès des gens d'honneur sont trop dignes de grâce. Florame, il est tout vrai, dès lors que je te vis, Un battement de coeur me fit de cet avis ; Et mon père aujourd'hui souffre que dans son âme Les mêmes sentiments… Quoi ! Vous voilà, Florame ? Je vous avais prié tantôt de me quitter. Mais revenir sitôt, c'est me faire une offense. Ne vous préparez point à dire des merveilles, Pour me persuader des flammes sans pareilles. Je crois que vous m'aimez, et c'est en croire plus Que n'en exprimeraient vos discours superflus. Votre croyance est libre. Mon coeur par mes regards vous fait trop voir sa plaie. Un homme si savant au langage des yeux Ne doit pas demander que je m'explique mieux. Mais puisqu'il vous en faut un aveu de ma bouche, Allez, assurez-vous que votre amour me touche. Depuis tantôt je parle un peu plus librement, Ou, si vous le voulez, un peu plus hardiment : Aussi j'ai vu mon père, et s'il vous faut tout dire, Avec tous nos désirs sa volonté conspire. Miracles toutefois qu'Amarante a produits : De sa jalouse humeur nous tirons ces doux fruits. Au récit de nos feux, malgré son artifice, La bonté de mon père a trompé sa malice ; Du moins je le présume, et ne puis soupçonner Que mon père sans elle ait pu rien deviner. C'en est un que l'amour. Florame, après vos feux et l'aveu de mon père, L'amour n'a point d'effets capables de me plaire. Vous, prisez le dernier qui vous donne la mienne. Si je puis tant soit peu dissimuler ma joie, Et que dessus mon front son excès ne se voie, Je me jouerai bien d'elle et des empêchements Que son adresse apporte à nos contentements. Nous n'avons plus qu'une âme et qu'un vouloir nous deux. Bien que vous éloigner ce me soit un martyre, Puisque vous le voulez, je n'y puis contredire. Mais quand dois-je espérer de vous revoir ici ? Allez donc : la voici. Amarante, vraiment vous êtes fort jolie ; Vous n'égayez pas mal votre mélancolie ; Votre jaloux chagrin a de beaux agréments, Et choisit assez bien ses divertissements : Votre esprit pour vous-même a force complaisance De me faire l'objet de votre médisance ; Et pour donner couleur à vos détractions, Vous lisez fort avant dans mes intentions. Voyez-vous, Amarante, il n'est plus temps de rire. Vous avez vu mon père, avec qui vos discours M'ont fait à votre gré de frivoles amours. Quoi ! Souffrir un moment l'entretien de Florame, Vous le nommez bientôt une secrète flamme ? Cette jalouse humeur dont vous suivez la loi Vous fait en mes secrets plus savante que moi. Mais passe pour le croire ; il fallait que mon père De votre confidence apprît cette chimère ? Ne tranchez point ainsi de la respectueuse : Votre peine après tout vous est bien fructueuse ; Vous la devez chérir, et son heureux succès Qui chez nous à Florame interdit tout accès. Mon père le bannit et de l'une et de l'autre : Pensant nuire à mon feu, vous ruinez le vôtre. Je lui viens de parler, mais c'était seulement Pour lui dire l'arrêt de son bannissement. Vous devez cependant être fort satisfaite Qu'à votre occasion un père me maltraite ; Pour fruit de vos labeurs si cela vous suffit, C'est acquérir ma haine avec peu de profit. Finissez vos imprécations. J'aime votre malice et vos délations. Ma mignonne, apprenez que vous êtes déçue : C'est par votre rapport que mon ardeur est sue ; Mais mon père y consent, et vos avis jaloux N'ont fait que me donner Florame pour époux. Qu'en l'attente de ce qu'on aime Une heure est fâcheuse à passer ! Qu'elle ennuie un amour extrême Dont la joie est réduite aux douceurs d'y penser ! Le mien, qui fuit la défiance, La trouve trop longue à venir, Et s'accuse d'impatience, Plutôt que mon amant de peu de souvenir. Ainsi moi-même je m'abuse, De crainte d'un plus grand ennui, Et je ne cherche plus de ruse Qu'à m'ôter tout sujet de me plaindre de lui. Aussi bien, malgré ma colère, Je brûlerais de m'apaiser, Et sa peine la plus sévère Ne serait tout au plus qu'un mot pour l'excuser. Je dois rougir de ma faiblesse ; C'est être trop bonne en effet. Daphnis, fais un peu la maîtresse, Et souviens-toi du moins… C'est ce que le passé vous a pu faire voir. Il serait un peu tard pour un tel changement : Sous votre autorité j'ai dévoilé mon âme, J'ai découvert mon coeur à l'objet de ma flamme, Et c'est sous votre aveu qu'il a reçu ma foi. Ma foi ne permet plus une telle inconstance. Je n'osais t'aborder les yeux baignés de pleurs, Et devant ce rival t'apprendre nos malheurs. Non, mais il se dédit ; Tout amour désormais pour toi m'est interdit : Si bien qu'il me faut être ou rebelle ou parjure, Forcer les droits d'amour ou ceux de la nature, Mettre un autre en ta place ou lui désobéir, L'irriter ou moi-même avec toi me trahir. À moins que de changer, sa haine inévitable Me rend de tous côtés ma perte indubitable : Je ne puis conserver mon devoir et ma foi, Ni sans crime brûler pour d'autres ni pour toi. Je n'aime pas si mal que de m'en informer : Je t'aurais fait trop voir que j'eusse pu l'aimer. Si j'en savais le nom, ta juste défiance Pourrait à ses défauts imputer ma constance, À son peu de mérite attacher mon dédain, Et croire qu'un plus digne aurait reçu ma main. J'atteste ici le bras qui lance le tonnerre, Que tout ce que le ciel a fait paraître en terre De mérites, de biens, de grandeurs et d'appas, En même objet uni, ne m'ébranlerait pas : Florame a droit lui seul de captiver mon âme ; Florame vaut lui seul à ma pudique flamme Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs De mérites, d'appas, de biens et de grandeurs. Puisque de nos destins la rigueur trop sévère Oppose à nos désirs l'autorité d'un père, Que veux-tu que je fasse ? En l'état où je suis, être à toi malgré lui, c'est ce que je ne puis ; Mais je puis empêcher qu'un autre me possède, Et qu'un indigne amant à Florame succède : Le coeur me manque ; adieu : je sens faillir ma voix. Florame, souviens-toi de ce que tu me dois : Si nos feux sont égaux, mon exemple t'ordonne Ou d'être à ta Daphnis ou de n'être à personne. Si dans mes premiers feux je vous semble obstinée, C'est l'effet de ma foi sous votre aveu donnée. Quoi que mette en avant votre injuste courroux, Je ne veux opposer à vous-même que vous. Votre permission doit être irrévocable : Devenez seulement à vous-même semblable. Il vous fallait, monsieur, vous-même à mes amours Ou ne consentir point ou consentir toujours. Je choisirai la mort plutôt que le parjure : M'y voulant obliger, vous vous faites injure. Ne veuillez point combattre ainsi hors de saison Votre vouloir, ma foi, mes pleurs, et la raison. Que vous a fait Daphnis ? Que vous a fait Florame, Que pour lui vous vouliez que j'éteigne ma flamme ? Un parjure jamais ne devient légitime ; Une excuse ne peut justifier un crime. Malgré vos changements, mon esprit résolu Croit suffire à mes feux que vous ayez voulu. Voici ce cher amant qui me tient engagée, À qui sous votre aveu ma foi s'est obligée : Changez de volonté pour un objet nouveau ; Daphnis épousera Florame, ou le tombeau. Mon amour, ma constance. Amarante, approchez : que tout soit éclairci. Une telle imposture est-elle pardonnable ? Si je t'aime, Florame ? Ah ! Ce doute m'offense. D'Amarante avec toi je prendrai la défense. Qu'un nom tu par hasard nous a donné de peine ! Quoi ! Je ne savais rien d'une telle partie ! **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_AMARANTE *date_1634 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_amarante J'en ai vu d'échappés que j'ai su rattraper. Allez, laissez-le-moi, j'en ferai bonne garde. Daphnis est au jardin. Laissez, mon cavalier, laissez aller Théante : Il porte assez au coeur le portrait d'Amarante ; Je n'appréhende point qu'on l'en puisse effacer. C'est au vôtre à présent que je le veux tracer ; Et la difficulté d'une telle victoire M'en augmente l'ardeur comme elle en croît la gloire. Plus que de tous les voeux qu'on me pourrait offrir. Vous n'êtes pas encore au point où je vous veux ; Et toute amitié meurt où naissent de vrais feux. Je ne prendrai jamais pour un manque de foi D'oublier un ami pour se donner à moi. S'il ne tient qu'à l'espoir, je vous en veux donner. Apprenez que chez moi c'est un faible avantage De m'avoir de ses voeux le premier fait hommage : Le mérite y fait tout, et tel plaît à mes yeux, Que je négligerais près de qui vaudrait mieux. Lui seul de mes amants règle la différence, Sans que le temps leur donne aucune préférence. Peut-être ; mais enfin il faut le confesser, Vous vous trouveriez mieux auprès de ma maîtresse. Non, non, c'est là ce qui vous presse. Allons dans le jardin ensemble la chercher. Que j'ai su dextrement à ses yeux la cacher ! Il serait en ce cas d'une humeur bien étrange. À sa prière seule, et pour le contenter, J'écoute cet ami quand il m'en vient conter ; Et pour vous dire tout, cet amant infidèle Ne m'aime pas assez pour en être en cervelle. Il forme des desseins beaucoup plus relevés, Et de plus beaux portraits en son coeur sont gravés. Mes yeux pour l'asservir ont de trop faibles armes ; Il voudrait pour m'aimer que j'eusse d'autres charmes, Que l'éclat de mon sang, mieux soutenu de biens, Ne fût point ravalé par le rang que je tiens ; Enfin (que serviroit aussi bien de le taire ? ) Sa vanité le porte au souci de vous plaire. Je lui veux quelque bien, puisque, changeant de flamme, Vous voyez par pitié qu'il me laisse Florame, Qui n'étant pas si vain, a plus de fermeté. Pour peu savant qu'on soit aux mouvements de l'âme, On devine aisément qu'elle en veut à Florame. Sa fermeté pour moi, que je vantais à faux, Lui portait dans l'esprit de terribles assauts. Sa surprise à ce mot a paru manifeste ; Son teint en a changé, sa parole, son geste. L'entretien que j'en ai lui semblerait bien doux, Et je crois que Théante en est le moins jaloux. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je m'en suis doutée. être toujours des yeux sur un homme arrêtée, Dans son manque de biens déplorer son malheur, Juger à sa façon qu'il a de la valeur, Demander si l'esprit en répond à la mine, Tout cela de ses feux eût instruit la moins fine. Florame en est de même, il meurt de lui parler ; Et s'il peut d'avec moi jamais se démêler, C'en est fait, je le perds. L'impertinente crainte ! Que m'importe de perdre une amitié si feinte ? Et que me peut servir un ridicule feu, Où jamais de son coeur sa bouche n'a l'aveu ? Je m'en veux mal en vain ; l'amour a tant de force Qu'il attache mes sens à cette fausse amorce, Et fera son possible à toujours conserver Ce doux extérieur dont on me veut priver. Que vous voilà soudain de retour en ces lieux ! Autre objet que mes yeux devers nous vous attire. Votre martyre donc est de perdre avec moi Un temps dont vous voulez faire un meilleur emploi. Tout est presque tendu. J'ai vu qu'ils l'employoient, et je suis revenue. Vos clefs ne sauraient se trouver. Il est hors d'apparence aujourd'hui qu'on la voie : Dès une heure au plus tard elle devait sortir. À vous les rapporter je ferai mon pouvoir. Je vous l'avais bien dit qu'elle n'y serait pas. Ce reproche vraiment ne peut qu'il ne m'étonne : Pour revenir plus vite, il eût fallu voler. C'est chose toutefois que je ne puis comprendre. Des hommes de mérite et d'esprit comme lui N'ont jamais avec vous aucun sujet d'ennui : Votre âme généreuse a trop de courtoisie. De vrai, je goûtais mal de faire tant de tours, Et perdais à regret ma part de ses discours. Je l'aime aucunement, Non pas jusqu'à troubler votre contentement ; Mais si son entretien n'a pas de quoi vous plaire, Vous m'obligerez fort de ne m'en plus distraire. Il faudrait vous céder. C'est ainsi qu'avec vous je ne puis rien garder. Au moindre feu pour moi qu'un amant fait paraître, Par curiosité vous le voulez connaître, Et quand il a goûté d'un si doux entretien, Je puis dire dès lors que je ne tiens plus rien. C'est ainsi que Théante a négligé ma flamme ; encor tout de nouveau vous m'enlevez Florame : Si vous continuez à rompre ainsi mes coups, Je ne sais tantôt plus comment vivre avec vous. Ma maîtresse lisait dans tes intentions : Tu vois à ton abord comme elle a fait retraite, De peur d'incommoder une amour si parfaite. Veux-tu que je t'en parle avec toute franchise ? C'est la mauvaise humeur où Florame l'a mise. Oui : ce causeur voulait l'entretenir ; Mais il aura perdu le goût d'y revenir : Elle n'a que fort peu souffert sa compagnie, Et l'en a chassé presque avec ignominie. De dépit cependant ses mouvements aigris Ne veulent aujourd'hui traiter que de mépris ; Et l'unique raison qui fait qu'elle me quitte, C'est l'estime où te met près d'elle ton mérite : Elle ne voudrait pas te voir mal satisfait, Ni rompre sur-le-champ le dessein qu'elle a fait. Aussi c'est un discours ennuyeux que le sien : Il parle incessamment sans dire jamais rien ; Et n'était que pour toi je me fais ces contraintes, Je l'enverrais bientôt porter ailleurs ses feintes. Comment le serais-tu pour un si triste objet ? Ses imperfections t'en ôtent tout sujet. C'est à toi d'admirer qu'encor qu'un beau visage Dedans ses entretiens à toute heure t'engage, J'ai pour toi tant d'amour et si peu de soupçon, Que je n'en suis jalouse en aucune façon. C'est aimer puissamment que d'aimer de la sorte ; Mais mon affection est bien encor plus forte. Tu sais (et je le dis sans te mésestimer) Que quand notre Daphnis aurait su te charmer, Ce qu'elle est plus que toi mettrait hors d'espérance Les fruits qui seraient dûs à ta persévérance. Plût à Dieu que le ciel te donnât assez d'heur Pour faire naître en elle autant que j'ai d'ardeur ! Voyant ainsi la porte à ta fortune ouverte, Je pourrais librement consentir à ma perte. Je ne voudrais point d'heur qui vînt avec ta mort, Et Damon que voilà n'en serait pas d'accord. Ma présence y nuirait : adieu, je me retire. Monsieur, monsieur, un mot. L'air de votre visage Témoigne un déplaisir caché dans le courage. Vous quittez ma maîtresse un peu mal satisfait. Pour un peu de froideur, c'est trop désespérer. Si je vous croyais homme à garder un secret, Vous pourriez sur ce point apprendre quelque chose Que je meurs de vous dire, et toutefois je n'ose. L'erreur où je vous vois me fait compassion ; Mais pourriez-vous avoir de la discrétion ? Vous voulez justement m'obliger à me taire ; Aux filles de ma sorte il suffit de la foi : Réservez vos présents pour quelque autre que moi. Gardez-les, dis-je, ou je vous abandonne. Daphnis a des rigueurs dont l'excès vous étonne ; Mais vous aurez bien plus de quoi vous étonner, Quand vous saurez comment il faut la gouverner. À force de douceurs vous la rendez cruelle, Et vos submissions vous perdent auprès d'elle : épargnez désormais tous ces pas superflus ; Parlez-en au bonhomme, et ne la voyez plus. Toutes ses cruautés ne sont qu'en apparence. Du côté du vieillard tournez votre espérance ; Quand il aura pour elle accepté quelque amant, Un prompt amour naîtra de son commandement. Elle vous fait tandis cette galanterie, Pour s'acquérir le bruit de fille bien nourrie, Et gagner d'autant plus de réputation Qu'on la croira forcer son inclination. Nommez cette maxime ou prudence ou sottise, C'est la seule raison qui fait qu'on vous méprise. De grâce, n'usez point si mal de mon secours : Croyez les bons avis d'une bouche fidèle, Et songeant seulement que je viens d'avec elle, Derechef épargnez tous ces pas superflus ; Parlez-en au bonhomme, et ne la voyez plus. Hasardez seulement deux mots sur ma parole, Et n'appréhendez point la honte d'un refus. Ou par vous, ou par lui, ménagez bien le père. Qu'aisément un esprit qui se laisse flatter S'imagine un bonheur qu'il pense mériter ! Clarimond est bien vain ensemble et bien crédule De se persuader que Daphnis dissimule, Et que ce grand dédain déguise un grand amour, Que le seul choix d'un père a droit de mettre au jour. Il s'en pâme de joie, et dessus ma parole De tant d'affronts reçus son âme se console ; Il les chérit peut-être et les tient à faveurs : Tant ce trompeur espoir redouble ses ferveurs ! S'il rencontrait le père, et que mon entreprise… Monsieur ! À moi ? Mes vanités jusque-là ne se montent. Oui, mais qu'estimez-vous de son intention ? Il est vrai. Votre âge soupçonneux a toujours des chimères Qui le font mal juger des coeurs les plus sincères. Posé que cela soit : Clarimond me caresse ; Mais si je vous disais que c'est pour ma maîtresse, Et que le seul besoin qu'il a de mon secours, Sortant d'avec Daphnis, l'arrête en mes discours ? Pas tant qu'elle paraît et que vous présumez. D'un mutuel amour leurs coeurs sont enflammés ; Mais Daphnis se contraint, de peur de vous déplaire, Et sa bouche est toujours à ses désirs contraire, Hormis lorsqu'avec moi s'ouvrant confidemment, Elle trouve à ses maux quelque soulagement. Clarimond cependant, pour fondre tant de glaces, Tâche par tous moyens d'avoir mes bonnes grâces ; Et moi je l'entretiens toujours d'un peu d'espoir. Vous n'en pourrez jamais tirer la vérité : Honteuse de l'aimer sans votre autorité, Elle s'en défendra de toute sa puissance ; N'en cherchez point d'aveu que dans l'obéissance. Quand vous aurez fait choix de cet heureux amant, Vos ordres produiront un prompt consentement. Mais on ouvre la porte. Hélas ! Je suis perdue, Si j'ai tant de malheur qu'elle m'ait entendue. Moi ! Que de vous j'osasse aucunement médire ! S'il croit que vous l'aimez, c'est sur quelque soupçon Où je ne contribue en aucune façon. Je sais trop que le ciel, avec de telles grâces, Vous donne trop de coeur pour des flammes si basses ; Et quand je vous croirais dans cet indigne choix, Je sais ce que je suis et ce que je vous dois. Si touchant vos amours on sait rien de ma bouche, Que je puisse à vos yeux devenir une souche ! Que le ciel… Ai-je bien entendu ? Sa belle humeur se joue, Et par plaisir soi-même elle se désavoue. Son père la maltraite, et consent à ses voeux ! Ai-je nommé Florame en parlant de ses feux ? Florame, Clarimond, ces deux noms, ce me semble, Pour être confondus, n'ont rien qui se ressemble. Le moyen que jamais on entendît si mal, Que l'un de ces amants fût pris pour son rival ? Je ne sais où j'en suis, et toutefois j'espère : Sous ces obscurités je soupçonne un mystère ; Et mon esprit confus, à force de douter, Bien qu'il n'ose rien croire, ose encor se flatter. Monsieur, vous vous êtes mépris : C'est Clarimond qu'elle aime. C'est ce choix inégal qui vous la fait rebelle ; Mais pour tout autre amant n'appréhendez rien d'elle. Puisque vous le voulez, j'y ferai mon pouvoir : C'est chose toutefois dont j'ai si peu d'espoir, Que je craindrais plutôt de l'aigrir davantage. Accorde qui pourra le père avec la fille ! L'égarement d'esprit règne sur la famille. Daphnis aime Florame, et son père y consent : D'elle-même j'ai su l'aise qu'elle en ressent ; Et si j'en crois ce père, elle ne porte en l'âme Que révolte, qu'orgueil, que mépris pour Florame. Peut-elle s'opposer à ses propres désirs, Démentir tout son coeur, détruire ses plaisirs ? S'ils sont sages tous deux, il faut que je sois folle. Leur mécompte pourtant, quel qu'il soit, me console ; Et bien qu'il me réduise au bout de mon latin, Un peu plus en repos j'en attendrai la fin. Ce dût vous être assez de m'avoir abusée, Sans faire encor de moi vos sujets de risée. Je sais que le vieillard favorise vos feux, Et que rien que Daphnis n'est contraire à vos voeux. Pensez-vous me duper avec ce feint courroux ? Lui-même il m'a prié de lui parler pour vous. Voilà de quoi tomber en un nouveau dédale. Ô ciel ! Qui vit jamais confusion égale ? Si j'écoute Daphnis, j'apprends qu'un feu puissant La brûle pour Florame, et qu'un père y consent ; Si j'écoute Géraste, il lui donne Florame, Et se plaint que Daphnis en rejette la flamme ; Et si Florame est cru, ce vieillard aujourd'hui Dispose de Daphnis pour un autre que lui. Sous un tel embarras je me trouve accablée ; Eux ou moi, nous avons la cervelle troublée, Si ce n'est qu'à dessein ils se soient concertés Pour me faire enrager par ces diversités. Mon faible esprit s'y perd et n'y peut rien comprendre : Pour en venir à bout, il me les faut surprendre, Et quand ils se verront, écouter leurs discours, Pour apprendre par là le fond de ces détours. Voici mon vieux rêveur ; fuyons de sa présence, Qu'il ne m'embrouille encor de quelque confidence : De crainte que j'en ai, d'ici je me bannis, Tant qu'avec lui je voie ou Florame ou Daphnis. Mon amour pour Florame en est le seul coupable : Mon esprit l'adorait ; et vous étonnez-vous S'il devint inventif, puisqu'il était jaloux ? Que votre âme déçue Donnât à Clarimond une si bonne issue, Que Florame, frustré de l'objet de ses voeux, Fût réduit désormais à seconder mes feux. Je le perds donc, l'ingrat, sans que mon artifice Ait tiré de ses maux aucun soulagement, Sans que pas un effet ait suivi ma malice, Où ma confusion n'égalât son tourment. Pour agréer ailleurs il tâchait à me plaire, Un amour dans la bouche, un autre dans le sein : J'ai servi de prétexte à son feu téméraire, Et je n'ai pu servir d'obstacle à son dessein. Daphnis me le ravit, non par son beau visage, Non par son bel esprit ou ses doux entretiens, Non que sur moi sa race ait aucun avantage, Mais par le seul éclat qui sort d'un peu de biens. Filles que la nature a si bien partagées, Vous devez présumer fort peu de vos attraits : Quelques charmants qu'ils soient, vous êtes négligées, À moins que la fortune en rehausse les traits. Mais encor que Daphnis eût captivé Florame, Le moyen qu'inégal il en fût possesseur ? Destins, pour rendre aisé le succès de sa flamme, Fallait-il qu'un vieux fou fût épris de sa soeur ? Pour tromper mon attente et me faire un supplice, Deux fois l'ordre commun se renverse en un jour : Un jeune amant s'attache aux lois de l'avarice, Et ce vieillard pour lui suit celles de l'amour. Un discours amoureux n'est qu'une fausse amorce, Et Théante et Florame ont feint pour moi des feux : L'un m'échappe de gré, comme l'autre de force ; J'ai quitté l'un pour l'autre, et je les perds tous deux. Mon coeur n'a point d'espoir dont je ne sois séduite : Si je prends quelque peine, une autre en a les fruits ; Et dans le triste état où le ciel m'a réduite, Je ne sens que douleurs et ne prévois qu'ennuis. Vieillard, qui de ta fille achètes une femme Dont peut-être aussitôt tu seras mécontent, Puisse le ciel, aux soins qui te vont ronger l'âme, Dénier le repos du tombeau qui t'attend ! Puisse le noir chagrin de ton humeur jalouse Me contraindre moi-même à déplorer ton sort, Te faire un long trépas, et cette jeune épouse User toute sa vie à souhaiter ta mort ! **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_CELIE *date_1634 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_celie Eh bien ! J'en parlerai ; mais songez qu'à votre âge Mille accidents fâcheux suivent le mariage : On aime rarement de si sages époux, Et leur moindre malheur, c'est d'être un peu jaloux. Convaincus au dedans de leur propre faiblesse, Une ombre leur fait peur, une mouche les blesse ; Et cet heureux hymen, qui les charmait si fort, Devient souvent pour eux un fourrier de la mort. Ne m'importunez point de votre tablature : Sans vos instructions je sais bien mon métier, Et je n'en laisserai pas un trait à quartier. Que vous m'étourdissez ! N'est-ce point assez dit que votre âme est éprise ? Que vous allez mourir si vous n'avez Florise ? Reposez-vous sur moi. S'il faut aller plus vite, allons, je vois son frère, Et vais tout devant vous lui proposer l'affaire. Quoiqu'elle s'en rapporte à vous entièrement, Vous lui feriez plaisir d'en user autrement. Les amours d'un vieillard sont d'une faible amorce. Plaisez-vous à Daphnis ? C'est là le principal. Eh bien, Célie ? Enfin elle a tant fait, Qu'à vos désirs Géraste accorde leur effet. Quel visage avez-vous ? Votre aise vous transporte. Florame ! Il veut donner l'alarme à mes esprits timides, Et prend plaisir lui-même à se jouer de moi. Géraste a trop d'amour pour n'avoir point de foi ; Et s'il pouvait donner trois Daphnis pour Florise, Il la tiendrait encor heureusement acquise. D'ailleurs ce grand courroux pourrait-il être feint ? Aurait-il pu sitôt falsifier son teint, Et si bien ajuster ses yeux et son langage À ce que sa fureur marquait sur son visage ? Quelqu'un des deux me joue : épions tous les deux Et nous éclaircissons sur un point si douteux. De sorte qu'à mes yeux votre foi lui répond Que Daphnis sans tarder épouse Clarimond ? Ajouter l'impudence à vos perfides traits ! Il vous faudrait du charme au lieu de cette ruse, Pour me persuader que qui promet refuse. Impudence nouvelle ! Florame, que Daphnis fait maître de son coeur, De votre seul caprice accuse la rigueur ; Et je sais que sans vous leur mutuelle flamme Unirait deux amants qui n'ont déjà qu'une âme. Vous m'osez cependant effrontément conter Que Daphnis sur ce point aime à vous résister ! Vous m'en aviez promis une tout autre issue : J'en ai porté parole après l'avoir reçue. Qu'avais-je contre vous ou fait ou projeté, Pour me faire tremper en votre lâcheté ? Ne pouviez-vous trahir que par mon entremise ? Avisez : il y va de plus que de Florise. Ne vous estimez pas quitte pour la quitter, Ni que de cette sorte on se laisse affronter. Croyez que nous tromper ce n'est pas votre mieux. Mais que su maintenant il rend sa ruse vaine, Et donne un prompt succès à vos contentements ! Attendez-la, monsieur, et qu'à cela ne tienne : Je cours exécuter cette commission. **** *creator_corneillep *book_corneillep_suivante *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillep_verse_comedy_suivante *dist2_corneillep_verse_comedy *id_CLEON *date_1634 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cleon Il est en ce car four.