**** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_LEROI *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leroi Quoi que dans ce conseil tu trouves de contraire À l'orgueil d'un espoir excusable en un père, Ouvre les yeux, Araxe, et moins aveugle, vois Le seul zèle d'ami l'inspirer à ton Roi. Si ta fille en naissant a reçu pour partage D'une entière vertu l'éclatant avantage, Cette même vertu qui la fait estimer Doit, ou borner ses voeux, ou l'empêcher d'aimer, Cependant trop sensible à ceux de Philoxène, Le choix d'Anaxaris l'inquiète et la gêne, Et son ambition ne peut voir sans courroux Qu'en lui mon amitié lui destine un époux. Si ce doux sentiment s'arrêtait à l'estime, J'en tiendrais et l'effet et l'aveu légitime, Puisque dans Philoxène, après tant de combats, Des plus hautes vertus on voit briller l'appas. La Phrygie à lui seul après vingt ans d'orage Du calme qui le suit doit l'heureux avantage, Et c'est par sa valeur qu'Antaléon détruit, De la paix qu'il troublait nous assure le fruit. Par lui ce fier Rebelle enfin en ma puissance Blessé mortellement satisfait ma vengeance, Et l'accord qu'avec moi les Mysiens ont fait, De l'effroi de sa perte est le pressant effet. Mais c'est trop s'oublier qu'en cet amas de gloire Prétendre d'un vainqueur partager la victoire, Et croire imprudemment que le fils d'un grand Roi À la fille d'Araxe engagera sa foi. Par ce raisonnement où l'orgueil t'abandonne, Bérénice déjà partage sa Couronne, Et sa rare vertu qui peut tout mériter Est le degré du trône où tu la fais monter ? Mais sais-tu que les Rois, ces Puissances suprêmes, Donnant des lois partout en reçoivent d'eux-mêmes, Et que l'ordre du Ciel que rien ne peut borner, Les soumet aux États qu'il leur fait gouverner ? Le trône, où rarement le vrai bonheur arrive, Tient sous ses intérêts leur volonté captive. Comme ils sont nés pour lui, plus esclaves qu'heureux, C'est trahir ce qu'ils sont que de vivre pour eux ; Son bien seul fait leur règle, et toute autre maxime Dans un juste Monarque, est ou faiblesse, ou crime. Si ton ambition veut se voir applaudie, Et bien, espère tout du Prince de Lydie, J'y consens, sa vertu te répond de sa foi ; Mais tu sais qu'il dépend et d'un père et d'un Roi. Qui suivant contre lui sa rigueur ordinaire Ne cherche qu'un prétexte à couronner son frère ? Tu dois craindre cette étroite alliance, Qui de nos deux États unissant la puissance, Ne peut voir la Phrygie aspirer aujourd'hui À lui ravir un fils qu'il a fait notre appui. Ce n'est pas que mon coeur, qu'un secret instinct presse, Ne penche vers ta fille avec tant de tendresse, Que si je prévoyais que Philoxène un jour Du Sceptre qui l'attend pût payer son amour, À cette passion bien loin de mettre obstacle, Moi-même je voudrais en presser le miracle. Juge de cette ardeur par les soins que j'ai pris De soumettre à ses voeux l'espoir d'Anaxaris, Lui qu'avec tant d'éclat sa vertu fait paraître Que s'il n'est pas né Prince il est digne de l'être, Et qui dans le haut rang qu'il doit à son grand coeur, Aurait droit de prétendre à l'hymen de ma soeur. Comme entre mes Sujets il faut qu'elle choisisse, En faveur de ton sang je lui fais injustice, Et pour me satisfaire, il ose abandonner L'espérance d'un choix qui le peut couronner. Tu prends mal ce murmure où mon ordre l'engage, Quand sans l'approfondir tu t'en fais un outrage. En vain ce faux mépris te l'a rendu suspect, Sachant l'amour du Prince il lui doit ce respect, Et pour ne pas l'aigrir, témoigner par sa plainte Que d'un pouvoir injuste il souffre la contrainte ; Mais si ta fille enfin plus juste en son espoir Prenait les sentiments qu'elle devrait avoir, Si voyant par mon choix sa fortune certaine Elle-même y voulait préparer Philoxène, Alors Anaxaris ferait voir à son tour Quel importun respect fait faire son amour. Use comme tu dois d'un avis si fidèle, Vois-en sans te flatter l'importance avec elle. La voici qui s'avance ; adieu, mais souviens-toi Qu'ici j'agis pour elle en père plus qu'en Roi. Oui, ma soeur, de son sort l'injuste perfidie Destine Alcidamas au trône de Lydie ; Mais ce triste revers, quoi que peu mérité, N'en montre pas encor toute l'indignité. Oui, plus rude, et sous qui, s'en voyant accabler, La vertu la plus ferme aurait lieu de trembler. Apprenez pour vous tirer de peine, Que ce fameux Héros, ce vaillant Philoxène, Que le Roi de Lydie a toujours cru son fils, Loin d'en tenir le jour le doit à Cléophis. Cléophis l'a fait croire, Mais le Roi de sa fourbe a su trouver l'histoire. Quand du défit du trône un coeur est combattu, Le crime qui l'acquiert lui tient lieu de vertu, Et comme redoutant quelque embûche secrète Cléophis sut cacher le lieu de sa retraite, Où le suivit un fils, dont la rigueur du sort Pendant ce triste exil lui fit pleurer la mort, Étant d'un âge égal il put rendre sans peine Ce fils qu'il feignit mort, au lieu de Philoxène. On l'a su de sa femme, Qui perdant la raison au point de rendre l'âme, Dans son extravagance a repéré cent fois Que l'on avait trahi le vrai sang de ses Rois, Que la peine sur elle en était répandue, Qu'au seul Alcidamas la Couronne était due, Et qu'enfin tout l'État par son crime abusé Aimait dans Philoxène un Prince supposé. On l'écoute ; elle garde un assez long silence ; Puis son mal tout à coup perdant sa violence, D'un ton plein de langueur, mais plus libre d'esprit, Elle confirme encor tout ce qu'elle avait dit, Et sa voix s'abaissant en ce moment funeste ; De Cléophis, dit-elle, on peut savoir le reste. À ces mots elle expire. Il venait de paraître en la Cour de Lydie, Et ce qui hautement prouve sa perfidie, Soudain à ce rapport, saisi d'un juste effroi, Sa fuite l'a soustrait au courroux de son Roi. Le Prince Alcidamas agit toujours en frère, Et par ses Envoyés il le fait assurer Que d'un zèle sincère il doit tout espérer, Et que de son malheur, s'il est sans imposture, Son Sceptre partagé réparera l'injure. D'abord à cette atteinte et confus et surpris, Un obscur et fier trouble a frappé les esprits ; Mais soudain sa vertu dans son coeur redoublée, S'en est fait voir émue, et non pas accablée, Et dans cette grande âme aucun lâche transport N'a paru mériter la honte de son sort. Vous en pouvez jugez, le voici qui s'avance. Et bien, ne trouvez-vous aucun lieu de douter De ce qu'à Cléophis vous oyez imputer ? Que je vous tiens heureux dans ce malheur extrême De vous pouvoir si bien répondre de vous-même. Que sans peine on vous voie, en de si rudes coups, Contraindre votre sort à dépendre de vous ! Demeurez donc toujours ce même Philoxène, Et de nos Factieux poussant l'audace à bout, Attendez tout d'un Roi qui veut vous devoir tout. Prenez auprès du trône une si haute place, Que l'envie... Quand le sort vous trahit, le Ciel vous est propice. Un rival généreux vous cède Bérénice, Et puisque la Lydie abandonne à vos voeux La poursuite d'un bien qui vous peut rendre heureux, S'il vous est encor cher, je veux sans plus attendre Que l'hymen... Cet hymen parmi nous arrêtant Philoxène, Affermit un État qui vous doit voir sa Reine ; Mais pour combler ma joie, il est juste, ma soeur, Qu'enfin vous me donniez un digne Successeur. Si nous voyons la Paix suivre notre victoire, Les soins d'Anaxaris en partagent la gloire, Et je ne doute pas qu'avec joie aujourd'hui Votre choix ne s'apprête à m'acquitter vers lui. L'aveugle instinct d'une ardeur peu commune Me fit à Bérénice immoler sa fortune, Son respect le souffrit, et par là je le vois Le plus digne en effet de régner après moi. Cet effort de ton obéissance Est encor au-dessus de ma reconnaissance. Va, flatte ton espoir du trône où tu me vois, Ma soeur m'estime trop pour balancer son choix. Oui, ma fille, le sang par un vif caractère Me traçait dans tes yeux l'image de ta Mère, Et ces aimables traits imprimés dans mon sein Cherchaient à prévenir ce gage de sa main. Mais sans un tel secours la Nature muette Ne pouvait de ton sort se faire l'interprète, Et son aveuglement affaiblissait ses droits, Lui faisait dans mon coeur méconnaître sa voix Ô Phénice ! Ô billet de la main la plus chère Qui d'un Roi malheureux pût faire un heureux père ! Enfin vingt ans passés en troubles intestins Nous ouvrent une voie à de meilleurs destins ; Nous voyons à l'État Bérénice rendue. Araxe, c'est à toi que la gloire en est due, Je lui donnai la vie, et ton zèle à son tour A su lui conserver et le Sceptre et le jour. Jamais avec plus d'heur un fidèle Sujet Ne fit pour la Princesse un généreux projet, Cet hymen l'assurait d'une double Couronne, La justice du Ciel autrement en ordonne ; Mais de quelque bonheur qu'il semble me flatter, Pour bien goûter ma joie il faut trop l'acheter. J'en sens, je le confesse, une secrète gêne, Quand je vois que sa cause accable Philoxène, Et que lui devant tout, l'intérêt de l'État, Pour me souffrir heureux, me force d'être ingrat. En vain, ma fille, en vain ton amour m'a su plaire. Qui put tout comme Roi ne peut rien comme père, Et le droit qui me fit disposer de ta foi, Lorsque je te suis plus, semble être moins à moi. Les Dieux me sont témoins avec quelle contrainte Je porte à ton amour une si rude atteinte. Philoxène en lui seul montre un brillant amas De tout ce qu'on admire aux plus grands Potentats, Et ta main, dont chacun va briguer la conquête, Ne saurait couronner une plus digne tête ; Mais comme un Étranger ne peut selon nos lois, S'il est né dans le trône, aspirer à ton choix, Vouloir en sa faveur en violer l'usage, C'est plonger l'État dans un nouvel orage, Qui mettant aux Mutins les armes à la main, Du plus puissant enfin peut faire un Souverain. Qui pourrait l'exciter lorsque tout m'obéit ? Tu connais mal, Araxe, un coeur comme le sien. Il est trop généreux pour entreprendre rien, Et si l'ambition est ce qui l'inquiète, Par l'hymen de ma soeur elle est trop satisfaite. Qui fait naître en ton coeur ce soupçon qu'il déploie ? Le zèle qui l'anime est plus pur qu'on ne pense ; Et s'il faut t'en donner une entière assurance, Quoi qu'il m'eût avoué qu'il brûlait pour ma soeur, Apprends que son respect suspendit cette ardeur, Et que m'en osant faire un noble sacrifice Il s'offrit à mon choix d'épouser Bérénice. Vois par là si le trône attire tous ses voeux. Va, ne crains rien d'un père, et d'un père qui t'aime. Tu te dois à l'État, je te rends à toi-même, Et quelque appas pour toi que Philoxène ait eu, J'abandonne ton coeur à ta propre vertu. Mais c'est trop différer à te faire connaître, Il faut enfin te rendre à ce que tu dois être. Viens, Araxe ; il est bon dans un succès pareil, Pour plus de sûreté, d'assembler mon Conseil. Ce billet de son sort fait la preuve infaillible ; Sans doute qu'à ma soeur le coup sera sensible, Mais quand Anaxaris se voudrait emporter, Elle a trop de vertu pour n'y pas résister. Ma soeur, nos Factieux ont osé s'expliquer. L'intérêt de l'État par d'injustes alarmes Les avait obligés à recourir aux armes, Et présumant déjà qu'au mépris de nos lois J'élevais Philoxène au trône de leurs Rois, Chacun pour son pays croyait montrer son zèle, À prendre avidement le titre de Rebelle. Le Peuple seul agit, mais encor qu'il déguise, Et le rang et le nom des Chefs de l'entreprise, Il n'aurait rien osé si pour leurs intérêts Les Grands à l'appuyer n'avaient paru tout prêts. Araxe dans mon âme avait déjà porté Quelque faible soupçon de sa fidélité ; Mais contre nos Mutins, loin que mon choix le gêne, On l'a vu hautement agir pour Philoxène, Et faire ses efforts à leur persuader Qu'à qui mérite tout les lois doivent céder. D'un projet téméraire il n'aurait que la honte S'il osait de mon sang faire si peu de compte, Qu'il crût impunément pouvoir aux yeux de tous Désavouer des voeux que j'ai reçus pour vous. La Phrygie... Quelle douleur te presse ? Parle. Bérénice enlevée ! Ah, juste ciel ! Anaxaris ! Quoi, d'un crime si noir tout le Peuple est complice ? De son tumulte enfin je comprends l'artifice. Il était concerté pour tirer du Palais Ce qu'il eût pu trouver d'obstacle à ses projets. Une seconde fois allons voir si sans peine... Il ne peut sous le nombre éviter de périr. Contre un Peuple mutin courons le secourir. Et bien, Araxe, un Traître enlève Bérénice ? La Justice du Ciel par là se fait connaître, Et je me trahirais si pour la mériter Contre un Sujet ingrat je n'osais l'imiter. De son audace enfin cessons d'être complices ; Pou mieux punir sa faute oublions ses services, Et puisque son orgueil s'enfle de nos bienfaits, Mettons-le hors d'état d'en abuser jamais. Que ne vous dois-je point, Guerrier incomparable ? Vous faites avorter les desseins d'un coupable, Et rendez aujourd'hui par un heureux secours, Et le calme à l'État, et la gloire à mes jours. Après son attentat sa mort est légitime, Et ma soeur n'en sent pas le coup si vivement, Que dans un criminel elle plaigne un amant. Tant de vertu, ma soeur, aura les Dieux propices. Vous, de qui le grand coeur signale les services, Attendant que le temps ordonne de leur prix, Prenez auprès de moi le rang d'Anaxaris. Ma faveur fit sa gloire, et la mienne est parfaite Si je puis... Ô Dieux, c'est Cléophis ! Quoi, ce n'est qu'un faux bruit qu'a fait courir l'envie, Et toujours Philoxène est Prince de Lydie ? Et qui donc ? Araxe. J'en croirai sa vertu s'il l'en faut consulter, Mais tu l'as vu périr. Ah, vous êtes Atis. Ô succès étonnant qui me rend malgré moi L'injuste Usurpateur du trône de mon Roi ! Si toutefois Araxe eût conçu moins d'alarmes, De me voir contre un lâche avoir recours aux armes, Dès lors sans rien prétendre, Antaléon vaincu M'aurait vu vous remettre au rang qui vous est dû. Je n'y résiste point, régnez, le Ciel l'ordonne. Quoi, refuseriez-vous un Sceptre à Bérénice, Et ce parfait amour qu'on ne pût étonner, Si vous n'êtes son Roi, la peut-il couronner ? Daigne à ce grand projet le Ciel être propice. Allons au trône élever Bérénice, Publier votre gloire, et d'un accord commun Montrer aux Phrygiens deux maîtres au lieu d'un. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_PHILOXENE *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_philoxene Quoi, le Roi, la Princesse à ma perte animés En prononcent l'Arrêt, et vous le confirmez ? Ils blâment votre amour, vous cherchez à l'éteindre ? Ah, Madame, avouez que j'ai droit de me plaindre, Et qu'un coeur qui se rend aussitôt qu'alarmé, Sait peu comme l'on aime, ou n'a jamais aimé. Oui, c'est manquer d'amour, et s'il est quelque obstacle Qui semble demander le secours d'un miracle, Si sans lui sa rigueur ne saurait se forcer, On peut bien le prévoir, on peut bien le penser, Mais quand l'amour sur nous règne avec quelque empire, On ne doit pas avoir la force de le dire, Et d'un oeil languissant le désordre confus Doit servir d'interprète à qui n'espère plus. Et vous ne voyez pas dans cette noble envie Que m'ôter votre amour c'est m'arracher la vie, Et que votre vertu conspire contre moi Si par son vain scrupule il échappe à ma foi ? Que le Roi s'en indigne, ou que l'État murmure, Ce coeur vous l'a donnée inviolable, pure, Et je prends aujourd'hui tous les Dieux pour témoins Que l'effet qu'elle attend ne le sera pas moins. Attendons le retour au moins de Cléophis. Il l'estime, il l'écoute, et comme à sa prudence Il daigna confier ma vie, et mon enfance, De ce vieux Gouverneur la sage autorité Peut-être adoucira son esprit irrité. Par lui mieux informé de tout ce que vous êtes, Cessant de faire outrage à vos vertus parfaites, Il se ressouviendra qu'avant que d'être Roi, Il excusait en lui ce qu'il condamne en moi. Mon frère qu'un vrai zèle à me servir engage, Pour gagner son aveu mettra tout en usage, Et si par politique il s'obstine au refus, Son exemple est pour moi, je ne balance plus. Ô sévère vertu, dont la fière maxime Sans l'appui du devoir ne croit rien légitime ! Au moins s'il faut tout craindre en l'état où je suis, Voyez ce que je fais, et non ce que je puis, Et l'espoir à l'amour étant si nécessaire, Faites... Quoi, si l'on me pouvait forcer à la reprendre, Pour l'engager ailleurs vous pourriez me la rendre. Et votre amour par là m'explique sa tendresse ? Qu'aisément à ma foi votre vertu renonce ! Seigneur, le Ciel est juste, et je dois sans murmure Abandonner un rang que m'acquit l'imposture ; Tout ce que je rappelle en mon esprit confus Ne m'en fait que mieux voir le criminel abus. Ces tendres sentiments dont le Roi, dont la Reine N'ont jamais honoré le triste Philoxène, Au Prince Alcidamas accordés tant de fois, Étaient de la Nature une secrète voix, Et dans ce que pour moi Cléophis a su faire, Je vois paraître enfin toute l'ardeur d'un père, Qui prenant sur mon coeur un empire permis, Le presse de se rendre, et lui demande un fils. Quoi, par l'accablement d'une âme lâche et basse L'on me verrait, Seigneur, mériter ma disgrâce, Et cédant au revers qui désabuse un Roi, J'aiderais au destin à triompher de moi ? Non, non, à quelque excès que son caprice monte, Il m'ôte un rang bien haut, mais je le pers sans honte, Et cet abaissement arrivé par hasard N'est qu'une faible injure où je n'ai point de part. Qu'avons-nous mérité lorsque le ciel nous donne, Par le seul droit du sang, l'espoir d'une Couronne, Et que ce privilège autorisé des Dieux Nous place dans un trône où furent nos Aïeux ? Comme ce n'est l'effet que d'un bonheur insigne, La chute en est sans tâche à qui n'en est point digne, Et le Ciel ne peut rien qui nous force à rougir, Quand notre lâcheté ne le fait point agir. Le Roi de son erreur voit la preuve certaine ; Pour n'être plus son fils, suis-je moins Philoxène, Et le dehors sujet aux derniers accidents Peut-il mêler quelque ombre à l'éclat du dedans ? Si toujours la grandeur et d'âme et de courage Fut d'un illustre sang le précieux partage, C'est beaucoup d'avoir su la posséder au point D'avoir été cru Prince, et de ne l'être point. Au moins ai-je ce bien qu'il m'est permis de croire. Qu'à ma seule vertu je dois toute ma gloire, Et qu'à lui consacrer et mes soins et mes jours, Mon coeur n'avait besoin d'aucun autre secours. Ainsi sur vous le sort exerce en vain sa haine. Ah, Seigneur, épargnez-moi de grâce, Et songez que ce n'est que d'un coeur abattu Qu'on doit par ces motifs exciter la vertu. Si j'ose toutefois, en faveur de ma flamme, Permettre à mes désirs de vous ouvrir mon âme, Je vous demanderai que pour donner sa foi, Bérénice à son choix ait l'aveu de son Roi, Et que ne s'engageant par respect ni par crainte, Son coeur puisse aujourd'hui s'expliquer sans contrainte. Mon trouble est assez grand sans chercher à l'accroître, Et ce reproche injuste accable un malheureux Qui craint d'être cru lâche étant trop généreux. Au moins dans ce revers à mes voeux si contraire Ne jugez pas si mal de ce que j'ai dû faire. Du sort le plus cruel je me vois combattu, Pour en parer l'assaut je n'ai que ma vertu, Et dans ce dur combat où mon âme étonnée À ses seules clartés craint d'être abandonnée, Est-ce trop peu répondre à ce que je vous dois Que de vous faire arbitre entre le sort et moi ? Quoi, d'un amour si cher, vous lui souffrez de croire Qu'au Prince de Lydie il doit si peu de gloire, Que lorsque son destin le rend à Cléophis Vous avouez sans peine un amant dans son fils ? Non, madame, un beau feu ne se peut démentir, Et quand les doux transports qu'en nos coeurs il excite S'y trouvent appuyés d'un rare et plein mérite, Tout le faste des Rois ne peut rien étaler Qu'avec cet avantage il ne puisse égaler. Je l'avouerai ; j'ai tort de l'avoir fait paraître. Votre amour jusqu'ici s'est fait assez connaître, Et j'en garde, Madame, un souvenir trop cher Pour céder au soupçon où je semble pencher. Mais pardonnez au mien, dans un sort peu propice, De ce doute affecté l'innocent artifice. L'avantage d'un trône où je vous croyais voir, Flattait ma passion d'un glorieux espoir, Mon âme à ce doux charme à peine s'abandonne Que je n'ai plus pour vous ni Sceptre ni Couronne, Vous demeurez Sujette, hélas ! quand je les perds, Et pour me consoler d'un si rude revers, Quoi que sûr d'être aimé lorsqu'il m'ôte un Empire, Est-ce trop de chercher à vous l'ouïr redire, Et voir céder par là dans ce funeste jour, L'aigreur de la Fortune aux douceurs de l'amour ? Trop heureux Philoxène ! Ah, Madame, de grâce, D'un vain emportement épargnez-moi l'audace, Et par tant de bontés dont je reste confus, Cessez d'enfler un coeur qui ne se connaît plus. En vain d'un peu d'orgueil il tâche à se défendre Quand de votre vertu l'éclat le vient surprendre, Et qu'il est convaincu par un charme si doux, Qu'il faut tout mériter pour être aimé de vous. Je le suis, je le sais ; jugez dans cette gloire Ce que la vanité m'autorise de croire, Et sur quels sentiments, quoi qu'au dessus de moi, Pour vous faire justice, elle soutient ma foi. Ne me déguisez rien de tout ce qui se passe. Sans doute son conseil vous porte à me trahir, Et votre devoir tremble à ne pas obéir ? Puisqu'il ignore encor ce que je me vois être... Plût au Ciel que toujours Araxe m'en crût digne ! Mon amour est timide, et craint d'en trop attendre. Un revers imprévu peut le voir chanceler. Si toute la Lydie ordonnait ma disgrâce ? Mais si d'un noir destin l'implacable rigueur Par la perte d'un trône achevait mon malheur ? Si le Roi, si l'État... Quel bonheur ? Ce discours est obscur, faites qu'il s'éclaircisse. Phénice, dites-vous ? Quoi, celle à qui le Roi, Avant qu'il fût au trône, avait donné sa foi, Et dont l'hymen à peine autorisait la flamme, Que gagnant un Empire, il perdit une Femme ? "Ne craignez plus enfin le nom d'Usurpateur. La mort du jeune Atis vous acquiert la Phrygie. Le bruit qui le fait vivre est un bruit imposteur, Puisque par un naufrage il a perdu la vie. Araxe en est témoin, ce fidèle Sujet, Qui vous l'est d'autant plus, qu'il feint d'être infidèle, Et qui pour mieux détruire un coupable projet, Du traître Antaléon suit le parti rebelle. Jugez de mon malheur sans son heureux secours, Quand je me connu grosse aussitôt que captive, Son soin d'un fruit si cher a conservé les jours, Et vous garde un trésor dont son malheur le prive. Sa Femme en même jour accouchant d'un fils mort, Pour sienne aux yeux de tous prit ma fille naissante, Et sans qu'Antaléon en connaisse le sort ; Comme fille d'Araxe il la souffre vivante. Je meurs après trois ans de prison et d'ennui, Et laisse entre ses mains ce billet pour indice. Par lui l'État saura qu'il s'est fait son appui, Que ma fille est la vôtre, et son nom Bérénice." Et son nom Bérénice ? Ah ! Que m'apprenez-vous ? Que sa fille est la vôtre, et son nom, Bérénice ! Dieux ! Mais jamais le Roi n'eut d'enfants de Phénice. Je sais que votre Roi, qui n'était que Léarque, Fut élu pour Tuteur à ce jeune Monarque, Et qu'héritier d'un trône à son zèle commis, Il eut à soutenir de puissants Ennemis, Que l'Armée, au sortir d'une entière victoire, Par sa rébellion en obscurcit la gloire, Et lasse d'obéir aux ordres d'un Enfant, Aima mieux pour son Maître un Prince triomphant ; Que de ce titre en vain s'étant voulu défendre, Léarque incontinent fut contraint de le prendre, Lorsque déclaré traître et criminel d'État, Il vit qu'Antaléon le forçait au combat, Et que dans la fureur de cette âpre tempête Il fallait, ou se perdre, ou couronner sa tête ; Que quoi qu'apparemment sa Femme entre vos mains Lui pût servir d'obstacle à d'injustes desseins, Dans ces confusions craignant pour votre Maître, Avec le jeune Atis vous sûtes disparaître, Et cherchant à le mettre en lieu de sûreté, Vous vîtes dans les flots son sort précipité ; Mais je ne comprends point par quel secret mystère Bérénice vingt ans a mal connu son père. Mais pendant ces quinze ans, par quel trait de prudence De Bérénice au Roi déguiser la naissance ? Je vous le rends moi-même ; allez, Araxe, enfin, Allez de Bérénice éclaircir le destin. Elle est digne du trône où ce revers l'appelle ; Courez porter au Roi cette heureuse nouvelle. C'est trop lui dérober... Au contraire, Madame, il m'est trop favorable, Il surpasse mes voeux, et c'est ce qui m'accable. Quand par ces sentiments d'une âme trop commune Sans peser le mérite ils suivent la fortune, Le malheur, qui leur rend le changement permis, Nous ôte des flatteurs, et non pas des Amis. Je les demande tels que je vous les souhaite. C'est le malheur des Rois qu'un faux zèle éblouit, Et qui ne cherchent point, dans l'encens qu'on leur donne, Quelle part leur mérite en doit à leur Couronne. Ils le pénétreraient s'ils se connaissaient mieux. Mais le moyen qu'un Roi se puisse bien connaître S'il voit plus ce qu'il est que ce qu'il devrait être ? Souvent un faux pouvoir sous son nom se prévaut Du respect que l'on a pour ces leçons d'en haut, Et la crainte d'un rang que venge le tonnerre, Fait imputer au Ciel ce qui vient de la terre. Ce qu'on ne saurait taire, Qu'en vain cru fils de Roi, j'ai Cléophis pour père. Il n'est rien plus certain, Mais l'intérêt du Roi presse un juste dessein. Allez, et l'assurez que pour dernier service Je lui rends un aveu qui perdait Bérénice. Ah, c'est blesser ma gloire autant que Bérénice. Quand elle a droit au trône, un intérêt honteux Pourrait porter ma flamme à le rendre douteux ? Non, si fille d'Araxe elle y monte sans peine, On la désavouerait Femme de Philoxène, Et les Grands indignés d'un trop injuste choix, Croiraient trahir l'État d'en recevoir des lois. C'est ce que la Phrygie aurait peine à connaître. Couronnons Bérénice, et ne hasardons rien. La douceur d'un destin qu'à tort vous m'enviez, La voir au trône, Araxe, et mourir à ses pieds. C'est trop vous en défendre. Adieu ; moi-même au Roi je saurai tout apprendre, Et mettre le secret hors de votre pouvoir. Quoi que le Ciel s'efforce à troubler ma constance, Madame, avant qu'ici je rompe le silence, Souffrez que dans vos yeux je tâche à remarquer Comment avecque vous je me dois expliquer. Dans l'excès surprenant du bien qu'il vous envoie, Faut-il témoigner ma douleur ou ma joie ? Si sur moi l'une et l'autre agit également, L'une et l'autre peut-être est digne d'un amant. Pardonnez-moi ce nom, dont l'indiscrète audace Pour forcer mon respect se sert de ma disgrâce, Et lui fait présumer qu'elle se doit souffrir À qui pour tout espoir n'aspire qu'à mourir. Ah, si ce coeur consent à l'aveu que vous faites, Il est mal informé de tout ce que vous êtes, Et sa tendresse encor l'intéressant pour moi, Oppose Bérénice à la fille du Roi. Mais quand jaloux du rang où le Ciel vous fit naître, Il aura bien compris ce qu'il commence d'être, Et que se connaissant il se verra contraint De rejeter l'ardeur dont il s'avoue atteint, Plus à l'en dégager vous trouverez de peine, Plus d'un oeil indigné vous verrez Philoxène, Et vengerez sur lui par un juste courroux L'attentat innocent qu'il aura fait sur vous. Vous le devez, Madame, Et par ce grand triomphe aujourd'hui témoigner, Que qui se vainc soi-même est digne de régner. Votre foi par Araxe à mes yeux engagée Combat pour moi sans doute, et vous tient partagée ; Mais comme un sort nouveau veut un coeur différent, Mon amour la reçut, mon respect vous la rend. Quoi qu'il veuille ordonner pour augmenter ma peine, Je doute si je puis mériter votre haine ; Mais enfin je sais trop qu'après ce triste jour C'est un crime pour moi de garder votre amour. Ah, Madame, c'est trop ; ma douleur est forcée De vous laisser paraître une âme intéressée, Qui pressant sur la vôtre un rigoureux effort, Ne vous le conseillait que pour hâter ma mort. Oui, j'avais beau vouloir me montrer insensible, Si vous m'eussiez pu croire elle était infaillible, Et par sa promptitude elle m'eût délivré De l'affreux désespoir d'avoir trop espéré. Hélas ! À quels malheurs ma fortune est en butte ! Vous ne vous élevez qu'au moment de ma chute. Princesse un peu plus tôt, Princesse un peu plus tard, J'étais heureux sans crime encor que par hasard. Le sort pour vous placer où vous n'osiez prétendre, Choisit l'instant fatal qu'il me force à descendre ; Après vingt ans de haine il calme son courroux, Vous en étiez indigne, et je le suis de vous. Ah, qu'ils sont doux au mien, quelques maux qu'il endure, Ces précieux témoins d'une ardeur toute pure ! Mais las ! Puis-je sans crime en goûter les appas ? Je me vois malheureux si vous ne l'êtes pas, Et tel est le destin qui nous perd l'un et l'autre, Que mon plus grand bonheur est de troubler le vôtre. Ô constance ! Ô vertu qui plus elle redouble... Avant que de vous voir son destin était pris. Plus qu'on ne croit peut-être, et que l'on ne souhaite. La crainte suit l'amour, jugez de moi par vous. Dans l'heur de vous servir je trouve un doux emploi. Que vous êtes heureux d'avoir ces sentiments ! L'usage en est fâcheux. Sans mon faible secours le Ciel en a pris soin, Il l'a mise en état de n'avoir rien à craindre. Non, mais elle n'a plus de Couronne à donner. Qu'aujourd'hui Bérénice y peut seule prétendre, Qu'elle est fille du Roi. Vous changez de couleur ! Philoclée est sans doute à plaindre en son malheur, Mais ce doit être au moins un doux charme pour elle, Qu'il lui demeure encor un amant si fidèle. L'amour a quelquefois des moments précieux, Je vous en laisse user. Cette reconnaissance est trop pour Philoxène. À qui combat pour vous la victoire est certaine, Et la mienne, Seigneur, perd d'autant de son prix Qu'il l'a fallu souiller du sang d'Anaxaris. Son hymen résolu marquait la haute estime... Non, Seigneur, agréez ma retraite. Étant suspect au Peuple, il vous peut reprocher, Que déjà je vous coûte un sang qui lui fut cher. Et croyant que la mort d'un si grand adversaire Aura flatté mes voeux d'un espoir téméraire, À des troubles nouveaux il pourrait s'emporter, Si vos bontés pour moi ne cessent d'éclater. N'ayant plus qu'à traîner une vie inutile, Il vaut mieux... Accordez-lui, Seigneur, le secours qu'il espère. C'est un fils à vos pieds qui parle pour son père. Dieux, quel Astre fatal éclaira ma naissance, Si sans m'en éclaircir le funeste embarras, L'on apprend seulement ce que je ne suis pas ? Croirai-je ce rapport, Et n'est-ce point encore un nouveau jeu du sort ? Que dites-vous, Seigneur ? Ah, gardez la Couronne, La Phrygie aujourd'hui fait de trop justes lois, Pour m'opposer aux Dieux, et combattre leur choix. Respectant leurs décrets, j'adore leur justice. Si pour la voir au trône il faut que je partage De ce titre éclatant le fameux avantage, Au moins dans mon amour sais-je trop mon devoir, Pour en vouloir jamais partager le pouvoir. Mais, Madame, parlez ; après l'aveu d'un père C'est à vous à régler ce qu'il faut que j'espère, Ne consultez que vous sur l'offre de ma foi. Ô gloire, où mes désirs n'osaient plus s'élever ! Mon bonheur est trop grand pour ne pas l'achever. Consentez-y, Madame, et d'un illustre hommage Daignez prendre aujourd'hui ma parole pour gage. Le Prince Alcidamas étant dans cette Cour Sous beaucoup de respect cacha beaucoup d'amour, La rigueur de vos lois l'obligea de le taire, Et comme il a pour moi les sentiments d'un frère, Il aura même coeur si je le puis assurer Qu'ayant changé de sort il a droit d'espérer. Rendez par là ma joie et sa gloire parfaites. Seigneur... **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_BERENICE *date_1657 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_berenice Par ce trouble confus que vous faites paraître Les sentiments du Roi sont assez à connaître. En vain un beau destin s'efforce à m'élever, Il voit l'amour du Prince, et ne peut l'approuver ? Quoi, vous le soupçonnez d'une telle faiblesse, Lui qui doit aspirer au choix de la Princesse, Et dont l'ambition, qui s'en laisse flatter, Contre l'ordre du Roi le force d'éclater ? Non, non, de cet amour je ne vois rien à craindre, Il a le coeur trop haut pour s'y laisser contraindre, Et quoi que le Roi fasse, il croirait se trahir S'il me laissait l'honneur de lui désobéir. Mais cette même loi qui la doit faire Reine Lui défend de prétendre au Prince Philoxène, Et son estime en vain flatterait son désir, Si dans ses seuls Sujets elle a droit de choisir. Ne nous flattons donc plus d'un espoir téméraire Dont la cause nous fut peut-être un peu trop chère. Cet amour dont le Prince appuie en vain les droits Ne saurait résister au pouvoir de deux Rois ; L'un y trouve sa honte, et je dois tout à l'autre. À ces grands intérêts sacrifions le nôtre, Et faisons voir au moins, en bravant leur rigueur, Que le trône n'a rien de plus haut que mon coeur. Tout ce que je demande, et qu'il faut que j'obtienne, C'est que votre vertu s'accommode à la mienne, Et que vous consentiez qu'après de si beaux noeuds Je m'obstine au refus d'écouter d'autres voeux. C'est par votre ordre seul qu'une secrète flamme Au mérite du Prince ouvrit toute mon âme, Et la rendit sensible à ces impressions Que sont sur les grands coeurs les belles passions. Par ce fatal arrêt d'un destin trop contraire Il en faut effacer l'aimable caractère, Il faut à sa malice immoler un beau feu, Il faut reprendre un coeur donné par votre aveu. Il le faut, j'y consens ; mais à quoi qu'il s'apprête, Ce coeur garde toujours l'orgueil de sa conquête, Et dans cette fierté qui l'ose accompagner, Auprès de ce qu'il perd voit tout à dédaigner. Ah, Clitie, il est père, Et le sang l'abandonne à tout ce qu'il espère ; Mais ce flatteur appas, s'il le peut décevoir, Pour éblouir mon âme a trop peu de pouvoir. Ah, que tu juges mal des sentiments d'une âme, Quand par l'ordre d'autrui tu fais naître sa flamme, Et pour mieux l'excuser en rejettes l'espoir Sur le trompeur appui d'un aveugle devoir ! L'amour dont trop d'orgueil trahirait l'entreprise, Sous d'autres sentiments se cache et se déguise, Et dans nos coeurs séduits s'introduisant par eux Il nous fait admirer un Prince généreux. Comme au respect d'abord sa vertu nous invite, Il en soutient l'éclat par un brillant mérite, Notre âme en est émue, et goûte un doux poison Dans l'appas d'une estime où consent la raison. Son aveu l'autorise, on ne s'en peut défendre, Et quand charmé des soins qu'il s'abaisse à nous rendre Un père veut pour lui qu'on se laisse enflammer, On ne croit qu'obéir ; en effet c'est aimer, Et d'un si prompt devoir quoi que l'on se figure, Il est toujours amour quand il est sans murmure. Comme un lâche intérêt s'en rend inséparable, C'est mal juger de moi que m'en croire capable. Non, le Prince jamais n'eût mérité ma foi S'il eût dû son estime au trône plus qu'à soi. Ce n'est pas qu'en effet l'autorité d'un père N'ait été pour sa flamme un appui nécessaire, Mais avant que cet ordre élevât mes désirs Sans répugnance au moins j'écoutais ses soupirs. On eût dit que déjà l'orgueil de mon courage Cherchait à s'applaudir de cet illustre hommage, Ou plutôt que mon coeur, pour l'oser recevoir Mendiait en secret le secours du devoir, Et qu'avec son amour étant d'intelligence, Mes voeux hâtaient l'effet de mon obéissance. Ils ont trop éclaté pour en embrasser d'autres, Madame, et vos bontés s'expliqueront pour moi, S'ils m'attirent jamais la colère du Roi. Je sais ce que je dois, et tâche de le rendre. Il a des qualités que ma raison admire ; Mais le Ciel de nos coeurs s'est réservé l'empire, Et sans son ordre exprès qui seul le met au jour, S'il nous permet l'estime, il nous défend l'amour. Les Princes peuvent tout, mais c'est blesser les Dieux Qu'en oser concevoir des soupçons odieux. Ils tirent du haut rang qui forme leur puissance, Un secours favorable à remplir leur naissance Ce qu'aux grands sentiments un long soin nous requiert, Au bonheur qui la suit est un trésor ouvert ; Par là leurs coeurs sans peine égalent leurs fortunes. Et pour se dérober aux faiblesses communes, De quelques passions qu'il semblent combattus, Ils trouvent dans leur sang la source des vertus. Aussi ne doutez pas que s'il me voulait croire, Au seul soin de vous plaire il ne bornât sa gloire ; Et que ce rare amas de belles qualités Ne vous acquit des voeux que j'ai peu mérités. Ah, Seigneur, il est temps qu'une rude victoire Aux dépens de mon coeur satisfasse ma gloire, Et que par un effort trop longtemps combattu Tout mon repos s'immole à ma fière vertu. Dans votre passion tout l'État s'intéresse, Elle choque le Roi, déplaît à la Princesse, Et l'ambition cache à mes yeux abusés L'horreur du précipice où vous me conduisez. Je l'avouerai, Seigneur, j'ai cru pouvoir sans crime Payer d'un feu tout pur une ardeur légitime ; Mais puisqu'il est contraire à ce que je vous dois D'une dure contrainte il faut suivre les lois, Et ne permettre plus à mon âme enflammée Que l'heureux souvenir que vous m'avez aimée. Le combat que pour vous je rends contre moi-même Me fait trop éprouver que je sais comme on aime, Et dans le rude assaut dont je soutiens les coups, Je méritais peut-être un reproche plus doux. Mais si, quand de mon feu le vôtre se défie, Le respect veut encor que je me justifie, À nourrir quelque espoir ne trouver plus de jour, Le savoir, vous le dire, est-ce manquer d'amour ? Ah, Seigneur, n'imputez cette fermeté d'âme Qu'au généreux motif qui fait agir ma flamme. Mon coeur de son succès paraîtrait plus jaloux Si vous perdiez en moi ce que je perds en vous ; Mais quand votre intérêt veut que je vous arrache Au malheur qui me suit, et que l'amour vous cache, Un si beau sentiment ne saurait endurer Que de lâches soupirs l'osent déshonorer. Vous pourriez l'espérer si le Roi votre père Souffrait à sa raison de régler sa colère, Mais bien loin que le sang lui parle pour un fils... À quel indigne espoir cet exemple vous porte ! Me connaissez-vous, Prince, en parlant de la sorte, Et songez-vous assez qu'en ses plus doux appas, Si l'amour m'a surprise, il ne m'aveugle pas ? Je sais que votre père, étant ce que vous êtes, S'abaissa pour aimer une de ses Sujettes, Et qu'à fléchir le Roi ne voyant aucun jour, L'hymen à son insu satisfit son amour. Mais quelle suite ! À peine entrez-vous à la vie Qu'il vous faut en tumulte enlever de Lydie. Votre Mère traitée avec indignité, Hors d'état de vous suivre, en perd la liberté, Et si la prompte mort de ce Roi trop sévère N'eût bientôt à son trône appelé votre père, Cette injuste prison, cet exil rigoureux, Auraient puni longtemps un Prince malheureux. Non, son destin en vain semble régler le nôtre, Mon amour est trop pur pour abuser du vôtre, Et souffrir qu'un Hymen contraire à ses desseins Vous fasse mériter les malheurs que je crains. Vous le voulez, et bien, Seigneur, j'espère ; Mais quoi que votre foi m'y serve de soutien, Je sais trop qui je suis pour l'obliger à rien. Après les sentiments que j'ai fait éclater, Sans blesser ma vertu vous n'en sauriez douter. Que vous êtes cruel de presser ma faiblesse ! Oui, peut-être ce coeur en voudrait murmurer, Mais je ferais qu'au moins vous pussiez l'ignorer. Prince, adieu ; ce soupir est toute ma réponse, Et l'amour vous l'explique en termes assez doux, Si vous croyez de moi ce que je crois de vous. Ne vous repentez point de cette confidence. Vous avez trop langui sous un fâcheux silence, Il est temps qu'un beau feu jusqu'ici renfermé Acquière à vos désirs la gloire d'être aimé, Et que vous fassiez voir que loin d'en trop attendre, Qui peut tout mériter, a droit de tout prétendre. Peut-être craignez-vous que le Roi ne s'irrite D'un amour si contraire à l'hymen qu'il médite, Et qu'il n'y veuille voir qu'un rebelle obstiné Qui porte ailleurs un coeur qu'il m'avait destiné ; Mais outre l'intérêt que l'État y doit prendre, Philoxène pour vous saura tout entreprendre, Et ce qu'à cet amour sa flamme croit devoir, Lui sera sans réserve appuyer votre espoir. Il en usera bien, et comme la Phrygie Doit son dernier bonheur au secours de Lydie, Quoi que pour vous son Prince en ose désirer, Elle aura quelque lieu de le considérer. Forcez donc Philoclée à vous faire justice ; Pour mériter son choix vous avez tout propice, Rien n'en peut plus troubler le dessein glorieux, Nos malheurs sont finis, le calme est dans ces lieux, Ou s'il en reste encor quelque parti contraire, Antaléon mourant vient de mander mon père, Et dans l'âpre remords d'un juste repentir, Il ne cherche à le voir que pour l'en avertir. Mais ma présence nuit à l'ardeur qui vous presse, Je sais que tous vos soins sont dûs à la Princesse, Et ce trouble confus semble me reprocher Que vous perdez un temps qui vous doit être cher. Quoi, ma flamme, peut-être à s'expliquer trop prompte, D'un si sensible outrage, a mérité la honte, Et d'un fatal revers l'indispensable loi Vous souffre une vertu dont vous doutez en moi ! Est-ce ainsi qu'en m'aimant vous m'avez dû connaître ? Oui, puisque les grands coeurs jugeant par eux d'un autre, Vous avez dû régler ma vertu sur la vôtre, Et ne me croire pas si facile à changer, Que du parti du sort je pusse me ranger. En vous offrant un Sceptre il vous fait injustice, Mais je la connais trop pour m'en rendre complice, Et souffrir qu'on impute à mon coeur enflammé, Que sans l'espoir d'un trône il n'aurait pas aimé. Non, non, ces faux brillants d'une grandeur pompeuse N'éblouissent jamais une âme généreuse ; Et de ce vain éclat le fastueux dehors Emploie à l'ébranler d'inutiles efforts. Comme elle en tient l'appas suspect de perfidie, Elle ne résout rien qu'elle ne s'étudie, Et que de sa vertu l'intérêt scrupuleux Ne lui semble en secret justifier ses voeux. Par là vous pouvez voir si mon amour sans peine A su du Prince en vous séparer Philoxène, Et si jamais le Prince eût dégagé ma foi S'il n'eût eu Philoxène à répondre pour soi C'est lui seul que j'aimai, c'est encor lui que j'aime. Si malgré sa disgrâce il est toujours lui-même, Et si bravant du sort l'indigne trahison, Son grand coeur lui suffit à s'en faire raison. Si d'un bas sentiment j'étais assez pressée Pour croire en cet aveu ma gloire intéressée, Sans doute on aurait lieu de juger qu'aujourd'hui Son abaissement seul me rend digne de lui, Et qu'avant son malheur l'éclat de sa naissance D'aucun mérite en moi ne souffrait la balance. Est-ce à quoi Philoxène oserait consentir ? C'est aussi par lui seul que l'ardeur qui vous presse S'attira de mon coeur la première tendresse. Je vous l'ai déjà dit, qu'un amant couronné Ne m'en fit point souffrir l'effort passionné, Et qu'éloignant de vous la grandeur Souveraine Je ne voulus y voir que le seul Philoxène. Mais enfin aujourd'hui, si j'ose m'emporter, Vous en êtes indigne en ayant pu douter. Quoi que de ces douceurs le vôtre puisse croire, N'en cherchez plus l'appas aux dépens de ma gloire, Et songez que c'est faire un outrage à ma foi ; Que me laisser penser que vous doutiez de moi. Dans votre abaissement si quelque appas vous flatte, C'est de voir que par lui tout mon amour éclate, Et que quand la Phrygie ose s'en défier, Le Destin prenne soin de le justifier. Jusqu'ici votre flamme ardente, noble et pure, D'un soupçon d'intérêt m'a fait souffrir l'injure, Mais je puis aujourd'hui faire voir à mon tour Que l'amour ne veut point d'autre prix que l'amour. Malgré le sort jaloux vous conserver la mienne C'est ne vous rien donner qui ne vous appartienne ; Mais enfin pour ôter tout scrupule à mon feu, De nouveau de mon père obtenez-en l'aveu. Quoi que son ordre seul vous ait ouvert mon âme, Mille soins empressés à soutenir ma flamme, Quand je n'attendais rien de votre passion, Me l'ont rendu suspect de quelque ambition, Et j'en crains les effets après votre disgrâce. Ah, c'est un peu trop loin pousser la défiance. Antaléon au fort le tient en conférence, Où loin que sa rigueur étonne mon devoir, De votre chute encor il n'a pu rien savoir. Mais l'ardeur dont je sens l'heureuse et douce atteinte, Vous fait voir ma tendresse en vous montrant ma crainte, Et l'obstacle d'un père à vos yeux exposé N'en est qu'un prompt effet que l'amour a causé. Je me retire, adieu, je crois le voir paraître, Et l'espoir qui vous flatte après l'aveu du Roi, Ne se doit pas d'abord expliquer devant moi. Il est mieux sans témoins que votre flamme agisse. Pour s'expliquer au mien souvent avec adresse Elle a su de mon zèle emprunter la tendresse, Et j'ai cent fois, Seigneur, répondu malgré moi Par un respect de fille aux bontés ce mon Roi. Mais après vos bienfaits versés en abondance, J'imputais cet effet à ma reconnaissance, Et mon coeur, que par là mon destin abusait, Pensait l'entendre mieux, plus il se déguisait. Seigneur, à cet amour j'ai souffert trop d'empire Pour cacher ma faiblesse, ou m'en vouloir dédire ; Mais comme son effort par mon coeur combattu Employa mon devoir pour gagner ma vertu, Il saura bien encor en repousser les charmes Quand ce même devoir lui fournira des armes, Et si pour mon repos je ne puis l'étouffer, Pour le bien de l'État j'en saurai triompher. Quel triomphe, Clitie, et qu'il me coûte cher ! Tu me flattais tantôt de n'avoir qu'obéi, Que n'est-il vrai, Clitie, et que n'ose ma flamme Remettre à mon devoir l'empire de mon âme ! Je l'avoue, il s'étonne, et mon coeur interdit Se dérobe lui-même aux lois qu'il se prescrit. Ma vertu tâche en vain d'agir en souveraine, Elle est faible, elle tremble au nom de Philoxène. Je sais que pour ma gloire il faut ne le plus voir, Je cherche à m'y résoudre, et crains de le vouloir, Et de mes voeux confus la triste inquiétude Voit partout de la honte, ou de l'ingratitude. Ô Philoxène, ô nom qui n'a fait jusqu'ici... Ce n'est donc pas assez de l'ennui qui me presse, Vous voulez triompher encor de ma faiblesse, Et voir de mon devoir les efforts impuissants Abandonner mon âme au trouble de mes sens. Et bien, pour vous souffrir ce funeste avantage, J'avouerai que le sort en m'élevant m'outrage, Et qu'à quoi que m'oblige un si grand changement, Philoxène à mon coeur plaira toujours amant. Moi, je voudrais éteindre une si pure flamme ? La bannir de mon coeur ? Ta vertu te séduit, mais quoi qu'elle ose croire, La pourrais-tu souffrir cette injuste victoire, Et quel qu'en soit l'éclat, s'il m'y faut aspirer, Dois-tu m'en avertir quand je veux l'ignorer ? Si pour y renoncer ta force est assez grande, Attends du moins, cruel, que je te le demande, Et te voyant du Ciel injustement trahi, Mérite d'être plaint, et non d'être haï. Quoi, faut-il que je croie une indigne apparence ? Veux-tu cesser d'aimer quand tu perds l'espérance, Et par un sentiment trop éloigné du mien, Ton amour tremble-t-il à ne prétendre rien ? Soutiens plus noblement le revers qui l'accable, Demeure infortuné sans te rendre coupable. Le Destin a pour toi la dernière rigueur, Mais ce n'est pas assez pour retirer ton coeur, Et le manque d'espoir qui rend ta flamme à plaindre, Ne te donne pas le droit de chercher à l'éteindre. Si d'abord en m'aimant tu parus généreux, Ose m'aimer encor pour vivre malheureux. Cette double disgrâce à qui ta raison cède, Ne trouve dans la mort qu'un indigne remède. N'en cherche point la honte, et loin d'y recourir, Tâche à me disputer la gloire de souffrir. La victoire en ce point doit sur toi m'être acquise Que la plainte à tes maux sera du moins permise, Et qu'un cruel devoir contraignant mes désirs, Me va faire en secret dévorer mes soupirs. Au moins en te plaignant ne me fais point d'outrage. Je change de fortune et non pas de courage, Et tu ne saurais être en ce commun malheur Digne de mes soupirs sans l'être de mon coeur. Sois sûr, si mes ennuis soulagent ton malheur, Que mon dernier soupir marquera ma douleur. Je sais qu'après deux ans d'un aveugle service Borner là ton espoir c'est peu pour Bérénice, Mais à jeter les yeux sur ce que je me dois, C'est peut-être beaucoup pour la fille d'un Roi. Aux yeux d'Anaxaris il faut cacher mon trouble. Adieu ; souffre, aime, et crois qu'en un si beau dessein, Mon coeur te venge assez du refus de ma main. En vain tu veux douter qu'on puisse avec justice, Imputer ce tumulte à son lâche artifice, Et que par de faux bruits ayant su l'exciter, Il n'en fasse un essai de ce qu'il peut tenter. C'est au trône par là que son orgueil aspire ; Le Peuple avecque lui dans ce dessein conspire, Et loin que de soi-même il eût rien entrepris, Vois pour se mutiner quel prétexte il a pris. Il se plaint que du Roi l'âme trop aveuglée Au choix d'Anaxaris n'a porté Philoclée, Qu'après qu'il a connu que c'était l'éloigner D'un trône que moi seule avais droit de donner, Et qu'au mépris des lois dont la rigueur le gêne, Il veut, quoi qu'Étranger, y placer Philoxène. Crois-tu qu'il embrassât ce murmure indiscret À moins qu'Anaxaris l'appuyât en secret ? Son ordre seul sans doute en fait les impostures. Montrer que malgré soi On le force de rompre avec la soeur du Roi, En accuser le Peuple, et sur sa violence De son ambition rejeter l'insolence. C'est par cette raison qu'il m'est le plus suspect. Sans s'en montrer complice il veut voir quelle atteinte Du Peuple sur le Roi pourra porter la plainte, Et s'il l'en voit ému, soudain à haute voix Par un second tumulte il briguera mon choix ; Mais avant qu'à souffrir un lâche et vil hommage, Où le temps, où la force abaissent mon courage, Tout ce que peut du Ciel le plus âpre courroux... Quoi ? Venir sans le Roi ? Sans doute à votre zèle on doit ce grand ouvrage ? Cet effort est l'effet d'une vertu sublime. Moi ? J'ai gardé le silence, et je m'y suis forcée, Pour voir où tu portais une ardeur insensée, Et pénétrer l'orgueil qui tâche à t'élever Où ta fausse vertu ne saurait arriver. Donc rendre à ton amour la Princesse propice C'était de ton repos me faire un sacrifice, Et tu donnais ton coeur de peur que malgré toi Il n'osât me déplaire en s'échappant vers moi. Tu voulus par maxime agir contre toi-même ; Certes l'exemple est rare, et le respect extrême, Et j'en tiendrais l'effort digne d'être admiré, Si l'intérêt du trône en était séparé ; Mais vers nous tour à tour son seul éclat t'appelle, Tu le cherches en moi quand il n'est plus en elle. Quoi que tu puisses dire, un véritable amant, Quand son amour est pur jamais ne se dément. S'il voit qu'à s'expliquer ses voeux puissent déplaire, Sans les porter ailleurs, il les force à se taire, Et pour charmer ses maux, c'est assez d'espérer Que du moins en mourant il pourra soupirer. Et bien, je le veux croire, Et plus juste pour toi qu'on n'eût pu présumer, Je consens même encor que m'oses aimer. Ne fais point de bassesses. L'amour dans les grands coeurs hait ces molles tendresses, Et quoi que sur le tien il ait pris de pouvoir, Je te donne l'exemple, ose le recevoir. J'aime, et ma lâcheté serait sans doute extrême Si je cessais jamais d'aimer autant que j'aime ; Mais quand de mon devoir l'inexorable loi Dérobe à Philoxène et mon coeur et ma foi, Quoi qu'en dépit du sort tout mon coeur lui demeure, Sous l'effort du silence il est beau que je meure, Plutôt que mon amour dans ce coeur renfermé, Lui fasse découvrir qu'il soit encor aimé. Voilà les sentiments que la gloire m'inspire. Prends-les pour règle aux tiens, aime sans en rien dire, Et tandis qu'en secret je saurai soupirer, Si j'ai part dans tes voeux, laisse-moi l'ignorer. La contrainte pour toi sera d'autant moins rude, Que déjà ton amour en a pris l'habitude, Et qu'à taire sa flamme un coeur accoutumé Peut renoncer sans peine à l'espoir d'être aimé. Et par où mieux que lui crois-tu le mériter ? Est-ce par ton orgueil dont je hais la maxime ? Est-ce par ton amour dont je connais le crime ? Est-ce enfin par les noms que tu prends hautement D'ambitieux Sujet, et d'infidèle amant ? Règle mieux un transport indigne de paraître ; Si tu me connais mal, tâche de te connaître, Et sans trop espérer de l'appui de ton Roi, Vois encor quelque espace entre le trône et toi. Oui c'est trop te contraindre, Ne pouvant être aimé cherche à te faire craindre. Dis que par toi l'État se laissant gouverner, Tu demandes un bien que tu te peux donner. Dis que le Roi lui-même approuvant ton audace M'exclura de ce trône, ou t'y donnera place ; Mon coeur de ton pouvoir concevrait quelque effroi S'il t'estimait assez pour rien craindre de toi. Ô Ciel, daigne m'entendre. Je porte un coeur soumis aux ordres de mon Roi, Et ce coeur vous explique assez par mon silence Quelle part vous avez dans mon obéissance. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_PHILOCLEE *date_1657 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_philoclee Si par un entretien qui pourra vous contraindre Je semble vous donner quelque lieu de vous plaindre, Accusez-en le Roi qui m'oblige à savoir Ce qu'un conseil sincère a sur vous de pouvoir. Sachant ses sentiments, apprenez-moi les vôtres. Qui la peut éviter ne la doit pas attendre. Vous le témoignez mal par l'injuste mépris Qu'on vous voit opposer au choix d'Anaxaris. En effet, c'est un ordre où vous cédez sans peine Quand il vous faut souffrir les voeux de Philoxène. Il vous plaît, il vous flatte, et vous fait présumer Que rien n'est impossible à qui sait bien aimer. Pour moi, si rien jamais peut toucher mon envie, C'est de vous voir un jour au trône de Lydie ; Mais quoi que Philoxène ose vous protester, Étant amant et Prince, il est à redouter, Et ces deux qualités dans la même personne Sont de mauvais garants de la foi qu'il vous donne. Le Prince de Lydie a l'âme noble et grande ; Mais quoi que de sa flamme un bel espoir attende, Ayant à respecter un père dans son Roi, C'est un gage mal sûr que celui de sa foi. Moi, dans le rang illustre où le Ciel m'a fait naître Je pourrais me résoudre à recevoir un Maître, Qui déjà par soi-même assuré d'être Roi Croirait plus me donner qu'il ne tiendrait de moi ? Non, quel que soit l'éclat d'une double Couronne Je veux donner un Sceptre et non qu'on me le donne, Et l'on verra mon choix assurer à ma main L'ambitieux honneur de faire un Souverain. Mais dans mon coeur peut-être une secrète envie Vous dispute l'espoir du trône de Lydie, Et ce que l'amitié me fait craindre pour vous N'est que l'indigne effet d'un mouvement jaloux ? Guérissez votre esprit d'une frayeur si vaine, Je vois sans déplaisir l'amour de Philoxène, Et loin que son succès me cause aucun ennui, Pour le faciliter je vous laisse avec lui. On me vient d'avertir que sur quelque Traité La Lydie a vers nous de nouveau député, Puis-je d'Anaxaris en savoir l'importance ! Il leur donne audience, et je me persuade Que Philoxène a part à leur prompte Ambassade ; Au moins l'a-t-on mandé pour la mieux recevoir. Avec assez d'espoir, Puisque si la Lydie en détruit l'entreprise, Bérénice à vos voeux sans obstacle est acquise. Est-ce que vous croyez qu'il soit honteux d'aimer ? Quoi qu'autrefois peut-être elle eût pu me déplaire, Je veux bien aujourd'hui l'apprendre sans colère, Et ne voir rien en vous indigne de ce choix Qu'ordonne la Phrygie, et que règlent nos lois. Depuis qu'Antaléon, pressé de jalousie, Contre son Souverain a ligué la Mysie, Et que de ses desseins par Araxe trahis Il s'est voulu venger sur son propre pays, Par cent exploits fameux qu'a suivis la victoire, Vous vous êtes ouvert un chemin à la gloire ; Mais quoi que pour l'État vous ayez entrepris, Cette gloire peut-être en est un digne prix, Et quand il serait vrai qu'un Sujet téméraire Aurait droit d'en prétendre un plus ample salaire, Ce trône qui m'attend n'exempte pas ma foi De soumettre mes voeux aux volontés du roi. Par l'éclat de l'hymen où son choix vous engage, Il vous exclut d'un rang qu'il faut que je partage, Et de quelque beau feu qu'on se vît consumer, Sitôt qu'un Roi l'ordonne, on doit cesser d'aimer. Je ne puis déguiser que c'est avec surprise Que je remarque en vous une ardeur si soumise, Et que j'aurais pensé que dans ce grand projet Votre amour n'eût en moi qu'un trône pour objet. Ces sentiments sont grands, et d'un coeur magnanime, À qui le mien confus doit toute son estime ; Mais en vain de mon choix vous garderiez l'espoir, Bérénice m'est chère, et je sais mon devoir. Qui t'amène ? Quoi, qu'est-il arrivé ? Quoi, le Roi de Lydie, aveugle en sa colère, Aurait-il pris dessein de couronner son frère ? Que m'apprend-on, Seigneur ? L'amour de Bérénice A conduit Philoxène enfin au précipice, Et pour le voir puni d'un téméraire choix, De son trône à son frère on transporte les droits ? Juste Ciel ! Il n'est pas fils du Roi ? Quoi, ce vieux Gouverneur, dont ce Prince autrefois Pour conserver un fils crut faire un digne choix, Lorsque de son hymen l'audace découverte Porta le Roi son père à résoudre sa perte, Et que pour éviter un malheur si pressant Ce fils de son exil reçût l'ordre en naissant, Par un coupable échange et facile à connaître, Aurait pu supposer un faux Prince à son Maître ? Mais à qui Cléophis s'en serait-il ouvert ? D'où l'a-t-on pu savoir. Ainsi donc Cléophis N'a su pousser plus loin le désaveu d'un fils ? Que je plains Philoxène en un sort si contraire ? Ces nobles sentiments sont d'illustres témoins, Qu'un coeur si relevé ne méritait pas moins, Que seul de Philoxène il peut remplir la place. Mais de quel oeil, Seigneur, a-t-il vu sa disgrâce ? Si je plains son malheur, j'admire sa constance. Ah, c'est plus que je n'ose prétendre, Et je n'ai point, Seigneur, assez de lâcheté Pour vouloir abuser de votre autorité. À quoi qu'en ma faveur votre bonté s'engage, Il faut à Bérénice en faire un pur hommage. Souffrez-le moi, Seigneur, et qu'un pressant devoir De ma flamme à ses pieds aille mettre l'espoir. Aussi bien ma vertu, quelque effort qu'elle fasse, Ne peut se dérober à toute sa disgrâce, S'il est vrai que l'amour n'ait laissé voir en moi Que le trompeur éclat qui fait le fils d'un Roi. Seigneur... Suivez le Roi, de grâce. Jusqu'ici dans mon coeur l'amour n'a point eu place, Mais soit qu'il puisse aimer, ou qu'il s'ose trahir, Ce vous doit être assez que je sache obéir. Enfin l'aveu du Roi D'un succès assez doux doit flatter votre foi. Vous sembler soupirer ? Se pourrait-il bien faire Qu'Araxe à vos désirs voulût être contraire, Et que de votre flamme il condamnât l'effort, Quand il voit la Lydie abaisser votre sort S'il eût pu se lasser d'en obtenir l'espoir, Je vous aurais offert ce que j'ai de pouvoir, Et n'aurais refusé ni mes soins ni ma peine. Je sais que la vertu par un secret effort Rend toujours un grand coeur arbitre de son sort, Que c'est sans s'abaisser qu'il quitte une Couronne ; Mais il est peu d'Amis que sa chute n'étonne, Et lorsqu'on perd un trône où l'on crût s'élever, Il faut bien du mérite à se les conserver. Vous exigeriez d'eux une ardeur bien parfaite ! La grandeur les attire, et lorsqu'on en jouit... Pour pénétrer ce zèle il faudrait de bons yeux. Le Ciel pour le conduire en ces obscurités Aime à lui prodiguer ses plus vives clartés, Et loin qu'à ce qu'il peut il le laisse séduire, Dès qu'il le place au trône, il prend soin de l'instruire. Si son ordre eût soumis la Lydie à vos lois Vous auriez effacé la splendeur de ses Rois ; Mais je vous tiens heureux de céder sans faiblesse À ce revers indigne où chacun s'intéresse, Et de trouver Araxe aussi zélé pour vous, Que si vous éprouviez le destin le plus doux. Le Roi pour votre amour craignait sa résistance, Mais je vais l'assurer de son obéissance, Et que dans Philoxène ayant fait choix d'un fils, Il n'y dédaigne pas le sang de Cléophis. Sans doute vous avez appris de Philoxène Que du Ciel à mon tour je vais sentir la haine. Il vient de vous quitter, et ce profond chagrin Semble de ma disgrâce accuser le destin. C'est par l'ordre du Roi qu'Araxe m'a fait voir Que je ne puis sans crime en conserver l'espoir. Et bien, puisqu'il le faut, cédons une Couronne. Il semble qu'à ce mot ton courage s'étonne, Il s'émeut, il chancelle, et se laisse accabler D'un coup dont ma vertu dédaigne de trembler. À ce désordre obscur dérobe enfin ton âme, Et fais paraître... L'amour n'aurait pour toi qu'une honteuse flamme, Si sous les coups du sort il abaissait ton âme. De sa seule disgrâce il te doit alarmer, Et c'est être suspect que vouloir trop aimer. Et par où prétends-tu repousser la tempête ? Emploierai-je ton bras pour couronner ma tête, Et veux-tu qu'essayant un rebelle attentat, Plutôt que de céder, j'expose tout l'État ? Le noble emportement que m'inspire ton zèle ! Je sais voir un coeur bas si je ne les querelle, Et je trahis ma gloire à n'oser mériter La chute où leur rigueur me veut précipiter ? S'il est vrai que pour moi ton amour s'intéresse, Aie assez de vertu pour suivre ma faiblesse, Et pour bien signaler ta générosité, Élèves-en l'effort jusqu'à ma lâcheté. Alors tu connaîtras qu'un coeur qui se possède, Des plus rudes malheurs porte en soi le remède, Et que d'un fier destin l'implacable courroux, Jamais sans notre aveu ne triomphe de nous. Cet amour un peu trop t'embarrasse, Mais je l'estime assez pour forcer mon devoir À ne rien croire encor de ce qu'il me fait voir. Tu m'as offert des voeux, le Roi les autorise, À toute leur attente il me veut voir soumise. Incapable d'aimer ainsi que de haïr, Le temps me fera voir si j'ai lieu d'obéir. C'est ce qui me console en perdant la Couronne, Qu'il faut qu'à ce qu'elle est ton âme s'abandonne, Et que de faux respects ne sauraient plus cacher, Qui du trône ou de moi t'a su le plus toucher. Adieu ; cédant au Ciel qui veut que je m'abaisse, Je vais de mon hommage assurer la Princesse. C'est à toi de juger si, quoi que soeur de Roi, Après ces lâchetés je suis digne de toi. Arrête, Anaxaris. En effet, si j'en crois ce que l'on me raconte, La nouvelle Princesse a des mépris pour toi Qui doivent t'obliger à t'aller plaindre au Roi. Et bien, tu le croiras enfin qu'en ma personne Ce lâche ambitieux n'aimait que la Couronne, Et que l'aversion que je sentais pour lui Découvrait à mon coeur ce qu'il voit aujourd'hui ? Au moins dans mon malheur le Ciel me favorise, Puisque m'affranchissant d'un hymen odieux Il me laisse toujours dans un rang glorieux, Qui par le noble éclat qu'il tire de soi-même Me peut souffrir partout le choix d'un Diadème. Quoi donc ? Par tant d'exploits qui le font redouter, Un Héros tel que lui n'a pu rien mériter ? Pour former ce tumulte, oserai-je vous dire, Seigneur, qu'Anaxaris lui seul a pu suffire ? Pour mieux cacher l'orgueil d'une folle espérance Il prend d'un beau dehors la trompeuse apparence ; Mais sans une Couronne on voit bien aujourd'hui Que la soeur de son Roi n'est plus digne de lui. Et c'est ? Vous voyez si le traître aspire au Diadème. Vous exposez vous-même à son lâche caprice ? Ses voeux dans leur fierté n'ayant pu vous déplaire, J'aurais cru faire un crime à leur être contraire ; Mais malgré ce respect qui soutenait ma foi, Je n'estimais en lui que le choix de mon Roi. Seigneur, lorsque le Ciel m'apprend ce que vous êtes, Je m'acquitterais mal de ce que je vous dois, Si pour former des voeux je consultais mon choix. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_ANAXARIS *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anaxaris Ah, ne me jetez point dans la nécessité D'examiner mon coeur sur sa témérité. Quoi qu'en vain la raison à ses desseins s'oppose, Il ne peut qu'en tremblant songer à ce qu'il ose, Et d'un trouble inquiet confusément atteint, Dans tout ce qu'il espère, il voit tout ce qu'il craint. Je lui viens d'avouer qu'au choix de la Princesse Ce téméraire coeur malgré moi s'intéresse, Et qu'un orgueil secret qu'il désavoue en vain Engage mes désirs à l'espoir de sa main. Non qu'en lui découvrant le secret de mon âme, J'aie osé présumer que j'obligeais sa flamme. Je sais trop ce qu'il est pour me persuader Que je sois un Rival qu'il doive appréhender ; Mais dans ce grand projet que je n'ai pu lui taire, Mon coeur avait jugé son secours nécessaire, Et c'est pour l'obtenir que sans plus balancer, À cette confidence il s'est voulu forcer. Hélas ! Oui je soupire, Et si tu pouvais voir l'excès de mon martyre, Tu me confesserais qu'aux plus grands déplaisirs On n'a jamais donné de plus justes soupirs. Ne peut rien sur l'amour, C'est là ma peine, Iphite. Oui, puisque c'est un sort affreux à concevoir Qu'être forcé d'aimer, et d'aimer sans espoir. Je veux bien l'espérer, mais s'il faut que j'achève, Qu'importe à mon amour qu'un si beau choix m'élève, Si Bérénice... Hélas ! Que ne t'ai-je point dit ? Apprends, Iphite, apprends, qu'où l'amour est extrême, C'est l'expliquer assez que nommer ce qu'on aime. À ce nom, quoi qu'on fasse, un doux saisissement En fait briller l'ardeur dans les yeux d'un amant, Et par un vif transport, dont il n'est plus le maître, Tout le secret du coeur y vient soudain paraître. Juge par cet effort où j'ai dû me contraindre Combien ma passion rend mon destin à plaindre ; Car à se taire enfin l'amour est peu gêné Quand par le seul respect il s'y voit condamné. Au moins est-ce un appas à sa peine secrète Qu'un regard échappé s'en peut rendre interprète, Et que si cet essai répond à son désir, Pour achever de vaincre il ne faut qu'un soupir. Mais quand d'un fier destin la fatale ordonnance Du coeur avec les yeux défend l'intelligence, Et que par ce divorce il dérobe à ce coeur Ce qu'offre de secours leur mourante langueur, Il n'est point pour l'amour de plus rude supplice, Et c'est ce que je souffre en aimant Bérénice. Qu'Iphite a l'esprit faible, ou qu'il me connaît mal ! Si j'impose à ma flamme un rigoureux silence, Le Prince me doit peu pour cette violence. C'est le cruel effet d'une autre passion, Et pour tout dire enfin j'ai de l'ambition. Ce vice des grands coeurs dont l'ardeur toujours prête Veut sans cesse avancer, et jamais ne s'arrête, Ce Monstre qu'en désirs on ne peut épuiser, Dès mes plus jeunes ans me sut tyranniser. Je sais bien que le rang que j'ai dans cet Empire, À l'orgueil le plus vaste aurait de quoi suffire ; Mais à qui porte un coeur vraiment ambitieux, Au destin de sa tête il ne faut que les Dieux. Si mon destin est haut, songe qu'il peut s'accroître, Et par ce que je suis vois ce que je veux être. C'est là mon désespoir, Mais une ardeur plus forte a sur moi tout pouvoir, Et dans le rang affreux où je me considère, Sans ambition même elle m'est nécessaire. Lorsque si près du trône on s'est pu rencontrer, La chute est infaillible à qui n'y peut entrer. C'est un sentier étroit dont le penchant qui glisse Offre de tous côtés l'horreur du précipice, Et si par la faveur on peut y parvenir, Le mérite est bien fort qui s'y peut soutenir ; Car la faveur enfin n'est, à la bien résoudre, Qu'un nuage brillant où se forme la foudre, Dont le coup incertain, avant que d'éclater, Alarme d'autant plus qu'on ne peut l'éviter. Ne présume donc point que mon âme aveuglée, Sans bien s'examiner, préfère Philoclée. L'Amour m'appelle ailleurs, mon coeur parle pour lui, Mais je la vois au trône, et j'en cherche l'appui. Bien loin qu'il s'en offense, De mon secret espoir il est d'intelligence, Et le bruit d'un hymen hautement publié N'est que pour satisfaire un Roi son Allié. Non que pour lui montrer un zèle plus sincère Je n'offre à l'accomplir s'il s'agit de lui plaire, Mais l'offre n'est qu'adresse, et quoi que l'on eût fait, Bérénice aime trop pour en souffrir l'effet. Qui ne veut point d'égal souffrirait-il un Maître, Et verrais-je un Sujet qui doit trembler sous moi, Jouir de ma faiblesse, et devenir mon Roi ? Non, Bérénice, non ; quoi que ce coeur t'adore, J'immole cet amour, et ferais plus encore, Si j'osais présumer que contre mon espoir La Princesse... Laisse-moi donc agir, Iphite, et te retire, Il est temps que je parle, et tu pourrais me nuire. Madame, ce secret passe ma connaissance, Rien de ses Envoyés n'est venu jusqu'à moi, Et l'on n'en parlait point quand j'ai quitté le Roi. Je plains sa passion. C'est me connaître mal que de le présumer. Que dites-vous, Madame ? Ah, bien loin de le croire, De cette passion je fais toute ma gloire, Et peut-être jamais une si belle ardeur Pour un plus rare objet ne régna dans un coeur. Mais telle est de mon sort la dure tyrannie, Que souffrant à la taire une peine infinie ; Je dois trembler pourtant qu'un soupir indiscret N'en ose malgré moi découvrir le secret. Il me perdrait, Madame, et vous-même sans doute, Loin de plaindre l'effort que cette ardeur me coûte, Vous y trouveriez lieu d'armer votre courroux, Si ma témérité se déclarait pour vous. Ah, que ce pur amour qui règne dans mon âme Mêlerait de faiblesse à l'ardeur qui m'enflamme, Si pour naître ou s'éteindre il pouvait prendre loi Du respect que je dois aux ordres de mon Roi ! Non, non, Madame, non ; quand ce coeur qui soupire Prendrait dans son aveu l'audace de le dire, Vous m'en verriez encor, d'un vrai zèle animé, Faire un plein sacrifice aux yeux qui m'ont charmé, Et sur ce bel espoir ma passion extrême Ne voudrait contre vous employer que vous-même. Toujours toute soumise, et prête à le quitter Dès le moindre soupir qu'il vous pourrait coûter. Mais aussi son pouvoir, quelque loin qu'il s'étende, Ne peut rien m'opposer que ma flamme appréhende, Et toute sa rigueur n'ayant qu'un faible effort, Vos seules volontés font l'arrêt de mon sort. En vain je chercherais plus longtemps à me taire, L'amour n'est point amour s'il n'est que volontaire, Une douce contrainte est son plus cher appas, Et l'on aime bien peu quand on peut n'aimer pas. Quoi qu'il se dût montrer sensible à cette injure, Un trop juste respect me défend le murmure ; Mais pour mieux repousser un soupçon si honteux, Si contre votre rang j'osais fermer des voeux, Et dans une autre main, sans vous faire d'outrage, Du Sceptre qui vous suit souhaiter l'avantage, Sans aucune ombre alors vous verriez éclater La pureté d'un feu dont je vous vois douter. Ah, que ne puis-je ici... Quoi, Seigneur, dans ce trône un frère aura sa place, Et ce malheur encor souffre une autre disgrâce ? Échange malheureux dont la honte le perd ! Seigneur, si mon espoir fait l'obstacle du sien, Je cède sans murmure, et ne demande rien. Ah, Seigneur... Madame, si jamais... Mon abord est suivi d'une étrange disgrâce, S'il porte Bérénice à me quitter la place. Je ne demande point si ses voeux sont remplis, Le Ciel lui donne lieu d'être assez satisfaite. Quoi ? De votre bonheur se montre-t-on jaloux ? Pour faire que la mienne heureusement finisse, Puis-je de votre zèle attendre un bon office ? Vous agirez pour vous en travaillant pour moi. Le Roi pour votre hymen a choisi la journée Qui doit voir la Princesse en pompe couronnée, Et prévenant des voeux qui craignaient d'éclater, De l'espoir de sa main il daigne me flatter. Philoclée y répond avec assez d'estime, Le choix lui semble juste, et l'espoir légitime ; Mais pour y consentir elle veut s'assurer De la sincère foi que j'ai su lui jurer, Et pouvoir se répondre, avant qu'elle s'engage, Qu'à son mérite seul je rends un libre hommage. Vous, à qui de mon coeur le secret est connu, Chassez du sien l'abus dont il est prévenu. Assurez-la pour moi que jamais dans une âme L'amour ne répandit une si pure flamme, Que son Sceptre n'a rien qui me puisse charmer, Qu'elle ne doit qu'à soi ce qui la fait aimer, Et qu'à mes yeux enfin d'elle seule estimable, Elle serait sans trône également aimable. La vertu les inspire au coeur des vrais Amants. La gloire en est plus grande. Mais obtiendrai-je enfin ce que je vous demande ? Lui peindrez-vous ma flamme en fidèle témoin ? Est-ce que la Princesse a pris plaisir à feindre, Et montre un faux scrupule afin de m'étonner ? Plus de Couronne ! Ah ! Ciel ! Que me fait-on entendre ? Ah Dieux, injustes Dieux ! Quoi ? Pour trop écouter une ardeur déréglée... Qui ? Ah, l'importun surcroît de peines et d'ennuis ! Pourrai-je me contraindre en l'état où je suis ? Quoi, Madame, il est vrai que son lâche caprice Vous éloignant du trône y place Bérénice ? Hélas, je suis amant, Madame, Et qui de mon amour concevrait le tourment, Ne s'étonnerait pas de cet accablement. Juste ciel ! Je verrai dans mon amour extrême, Qu'un indigne revers vous ôte un Diadème, Et sentant plus que vous ce qu'il vous fait sentir, J'aurai la lâcheté d'y pouvoir consentir ? Ah, Madame, épargnez ce soupçon à ma gloire, La maxime est injuste et la tache trop noire. Mais vous voir accepter un changement si prompt, Sans reprocher aux Dieux l'outrage qu'ils vous font... J'aurais ces sentiments dans ma propre disgrâce, Mais l'amour... Où me vois-tu réduit, cher Iphite ? Quoi, l'amour, cette ardente et fière passion, Aura pu se soumettre à cette ambition, Et je balancerais un autre sacrifice, Quand j'en puis espérer le trône et Bérénice ? Ôtons à cet amour tout droit de s'indigner, Qui ne l'épargna point ne doit rien épargner. Perdons-nous, perdons tout, plutôt qu'on nous soupçonne De céder lâchement l'espoir d'une Couronne, Et faisons triompher dans ce coeur combattu Le crime entreprenant sur la molle vertu. Pour gagner un Empire et s'en rendre le maître, C'est être criminel qu'appréhender de l'être. Osons tout sans scrupule, et par de prompts effets... Fussent-ils assez grands pour mériter la foudre, Qui m'en voudra punir si je puis m'en absoudre ? La plus noire action que l'audace produit Ne prend que du succès la honte qui la suit. C'est lui seul qui la rend injuste ou légitime ; Heureux, elle est vertu, malheureux, elle est crime, Et quand l'éclat d'un trône y semble convier, Tous les crimes sont beaux qu'on peut justifier. Viens, dans peu tu sauras à quoi je me résous. N'en soyez point en peine, Il donne encor quelque ordre avecque Philoxène. Cependant tout est calme, et l'orage cessé, Pour vous en avertir je me suis avancé. Madame, j'ai tâché de faire davantage, Et si pour moi le Peuple eût dompté son courroux, Philoxène aujourd'hui serait digne de vous. Vingt fois j'ai fait ouïr qu'on ne pouvait sans crime Défendre à son amour un espoir légitime, Et qu'il était permis de violer nos lois En faveur des Héros, aussi bien que des Rois ; Mais des raisons d'État font que chacun s'obstine. L'hymen d'un Étranger en serait la ruine, Et l'indignation ferait armer soudain Tous ceux que peut flatter l'espoir de votre main. Il semble assez payé puisqu'il a votre estime ; Mais c'est peu que pour vous il paraisse entrepris, Votre coeur, quoi qu'il pense, en connaît mal le prix, Et je le perds sans doute à souffrir qu'il ignore Que je sers Philoxène, et que je vous adore. Déjà dans vos yeux je lis votre courroux ; Mais enfin je vous aime, et je n'aime que vous, Et peut-être, Madame, après un long martyre, Il me doit être au moins permis de vous le dire. Je sais que cet aveu, malgré tout mon respect, À n'examiner rien, vous peut-être suspect ; Mais avant qu'écouter une aveugle colère, Instruisez votre coeur de ce que j'ai su faire, Et si de mon audace il trouve à s'offenser, Voyez à quoi pour vous le mien s'est pu forcer. À vos seuls intérêts donnant toute mon âme, En vain l'appui du Roi semble assurer ma flamme, J'en détruis tout l'espoir plutôt que vous priver Du rang où Philoxène aime à vous élever. Je fais plus ; ma vertu redoutant ma faiblesse, Me contraint d'engager mes voeux à la Princesse, Afin que de son choix m'étant montré jaloux, Je n'ose plus prétendre à m'expliquer pour vous. Aujourd'hui par l'hymen votre bonheur s'assure, Vous l'avez souhaité, je le vois sans murmure. Votre sort tout à coup avec éclat changé Me fait voir de sa foi votre amour dégagé ; Loin d'en flatter le mien contre un Parti rebelle, Je cours de Philoxène embrasser la querelle, Et pour le rendre heureux par un cruel effort Je travaille moi-même à l'arrêt de ma mort. Hélas ! Pourriez-vous bien, après tant de contrainte, D'un amour si soumis désapprouver la plainte, Et quoi qu'il vous surprenne, est-ce un crime à mon feu De ne voir plus d'obstacle, et d'espérer un peu ? D'un triomphe trop bas vous dédaignez la gloire ; Mais si je ne vous aime... Ah, ce n'est qu'à vos pieds... J'y renonçais pour vous quand l'heureux Philoxène D'un légitime espoir pouvait flatter sa peine ; Mais puisque indigne enfin d'un bien qu'il doit quitter... Ah, Madame, c'est trop... Tu vois, de la douceur ce qu'il faut que j'espère. Viens, je vois Philoclée. Madame, il faut au Roi que j'aille rendre compte... **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_ARAXE *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_araxe Seigneur, souvent le ciel par des ordres suprêmes, Sans nous en consulter dispose de nous-mêmes, Et de nos passions maître et juge à la fois, Pour nous les inspirer, n'attend pas notre choix. C'est par là que de l'un son âme détachée En voit tout le mérite, et n'en est point touchée ; Et qu'en faveur de l'autre, elle ose aux yeux de tous Permettre à son estime un sentiment plus doux. Je sais bien que le trône où le Ciel le destine D'un si charmant espoir semble être la ruine, Et que le haut éclat qu'il tire de son sang Oppose à son amour la splendeur de son rang ; Mais pour le soupçonner d'oser trahir sa flamme, Seigneur, je connais trop la grandeur de son âme, Et qu'épris de la gloire il la fait consister À mériter un Sceptre, autant qu'à le porter. L'amour dont Bérénice a dû souffrir l'éclat, Blesse peut-être peu ces maximes d'État ; Mais sous quelque Astre enfin qu'elle puisse être née, Laissons au gré des Dieux aller sa destinée. L'impénétrable abîme où tombent leurs décrets, Pour se développer a d'étranges secrets. À quoi que pour le perdre aspire son courroux, Je n'ai rien toutefois à craindre que de vous. Aussi fait-il bien voir par une plainte ouverte Que ce fatal hymen est l'arrêt de sa perte, Et que d'un prix si bas récompenser sa foi, C'est apprendre aux Sujets à mal servir leur Roi. Seigneur, quoi qu'entre nous la gloire en fût commune, Je n'eus jamais dessein d'abaisser sa fortune ; Mais peut-être qu'un jour nous le verrons témoin Que qui se croit au trône en est encore bien loin. Dis plutôt qu'à nos voeux si son pouvoir s'oppose L'amour d'Anaxaris en est la seule cause, Et que de sa faveur osant se prévaloir Il traverse en secret un glorieux espoir. Pour ne se pas brouiller avecque Philoxène, Il murmure, il se plaint d'un ordre qui le gêne ; Mais son coeur qu'en secret consume un si grand feu, N'attend pour s'expliquer qu'un favorable aveu, Et s'il faut t'éclaircir le soupçon qui me presse, Peut-être il perd espoir de toucher la Princesse, Et tâche, par le cours d'une autre passion, D'étouffer la chaleur de son ambition, Car enfin soit par haine ou par antipathie, Soit pour trop estimer le prince de Lydie, C'est assez rarement qu'on la voit sans mépris Se forcer à souffrir les soins d'Anaxaris. Cette loi qui leur donne un si grand avantage Semble avoir jusqu'ici conservé son usage, Mais quoi qu'on en présume, elle a ses droits bornés Aussitôt qu'il s'agit des Princes couronnés. D'une funeste guerre à peine dégagée La Phrygie en secret est encor partagée. Il est des mécontents qui déjà jusqu'au Roi D'un orage nouveau semblent porter l'effroi, Et ce qu'en sa faveur Philoxène a su faire Lui faisant voir toujours son appui mercenaire, Il a jugé peut-être en Prince ambitieux Que partageant son trône il le défendrait mieux. Ainsi son sentiment qui contre nous s'explique Ne doit être l'effet que de sa Politique, Et du Prince sans doute il soutiendrait l'ardeur S'il ne le destinait à l'hymen de sa soeur. Ô nobles sentiments d'une âme peu commune, Qui même en lui cédant sait braver la Fortune ! Quoi que pour ta vertu le Ciel veuille ordonner, C'est le moins qu'il lui doit que de la couronner. Il t'en répond par moi ; suis l'amour qui t'engage, Quoi qu'il puisse arriver le trône est ton partage. Crois-en ce noble orgueil qui pouvant tout sur toi N'a pu se relâcher que pour le fils d'un Roi. Le Prince est généreux ; continue, espère, aime ; Je connais mieux ton sang que tu ne fais toi-même, J'en vois jusqu'à la source, et j'y sais pénétrer Ce qu'à tes yeux le ciel refuse de montrer. Quoi, Seigneur, ma présence a chassé Bérénice ! En craint-elle un obstacle à ces doux entretiens Où vos voeux tant de fois ont mérité les siens ? Vous faites un souhait dont ma vertu s'indigne, Et mon zèle pour vous la devrait garantir De l'injuste soupçon d'un lâche repentir. Ce zèle est toujours ferme, et peut tout entreprendre. Il n'en est point, Seigneur, qui le pût ébranler. Sans en craindre l'effet j'en verrais la menace. Perdez Sceptre, Couronne, Les Dieux étant pour vous, il n'est rien qui m'étonne. Que le sort à son gré cherche à vous éprouver, Quoi qu'il ose aujourd'hui, j'ai de quoi le braver, Et vous devez enfin connaître par ma joie Le surprenant bonheur que le Ciel vous envoie. Il est tel, qu'on n'eût osé prévoir Qu'à vos voeux sa justice en pût souffrir l'espoir. En croiriez-vous, Seigneur, ce billet de Phénice ? Oui, cette Infortunée entre tous ses Sujets Qu'Antaléon trois ans tint captive au Palais, Et qui Femme du Roi, sans se voir jamais Reine, Finit dans sa prison et sa vie et sa peine. Que le Ciel vous prépare un destin assez doux, Et qu'ôtant tout obstacle à l'amour qui vous presse, Il montre en Bérénice une illustre Princesse. Mais quoi ? Dans un bonheur qui comble vos désirs Il semble qu'en secret vous poussiez des soupirs ? Est-ce que votre amour ne souffre qu'avec peine, Que sans lui Bérénice ait le titre de Reine, Et que sa pureté se doive soupçonner, Lorsque d'elle il reçoit ce qu'il croyait donner ? Il ne l'a jamais su du moins, et jusqu'ici Ce secret à garder a fait tout mon souci. Mais, Seigneur, si votre âme en veut être éclaircie, Souffrez-moi le récit des troubles de Phrygie, Lorsque le jeune Atis, dès l'âge de six mois, Par le droit de naissance y dispensa ses lois. Hélas ! Mon zèle seul par un trop prompt effroi Perdit le jeune Atis, cet enfant déjà Roi, Et pour mettre ses jours à l'abri de l'orage, Je les précipitai dans un cruel naufrage. Notre Vaisseau brisé fut englouti des flots, D'où poussé par hasard aux rives de Lesbos, Sans savoir quel secours m'avait sauvé la vie, Le coeur outré d'ennuis, je repasse en Phrygie, Où fort du nom d'Atis contre le nouveau Roi, Celui d'Antaléon jetait partout l'effroi. Ce fut en ce temps-là qu'apprenant le naufrage, Qui du trône à Léarque assurait l'avantage, Ce coeur ambitieux ne sut plus me cacher Que l'éclat de ce trône avait su le toucher ; Que feignant qu'en lieu sûr le jeune Atis respire, Je m'acquerrais un titre à partager l'Empire, Et qu'il était permis, sans blesser son honneur, D'en usurper les droits sur un Usurpateur. Le voyant trop puissant, voyant dans Apamée Phénice avec ma Femme au Palais enfermée, Je crus qu'il valait mieux, pour bien servir mon Roi, Le laisser quelque temps en doute de ma foi. Je dissimulai donc une mort trop certaine, Atis fait cru vivant, excepté de la Reine, À qui de mes desseins ne déguisant plus rien, Mon secret confié, je méritai le sien. De cette déplorable et captive Princesse, Jugez avec quel soin je cachai la grossesse, Sachant qu'Antaléon, dans la soif de régner, Pour en perdre le fruit n'eût pu rien épargner. Par ce billet, Seigneur, Vous avez su le reste, Notre échange suivi d'un malheur trop funeste, Puisqu'on sait que ma Femme étant morte d'abord, Deux ans après, la Reine éprouva même sort. Je ne vous parle pas de mes secrètes brigues, Qui contre Antaléon formant de lourdes ligues, Me mirent en état, après quatre ans d'appui, De m'oser pour le Roi déclarer contre lui. Vous savez que d'Atis la perte déclarée Rendit des plus mutins la défaite assurée, Et que dans Apamée, avecque peu d'effort, Par ce bruit répandu je me vis le plus fort ; Qu'Antaléon contraint de quitter la Phrygie Nous a brouillés quinze ans avec la Mysie, Qu'il l'arma contre nous, et que sa prise enfin Par vous seul aujourd'hui nous soumet son destin. N'ayant plus ce billet quand je pus voir le Roi, Mon rapport aurait-il mérité quelque foi ? Tandis que j'apaisais quelques mutineries, Je le perdis, Seigneur, avec mes pierreries, Qu'au château d'Apamée on me sut enlever Avant qu'en cette place on le vît arriver ; Et comme enfin ce Prince, en quittant la Princesse, Avait aussi bien qu'elle ignoré sa grossesse, N'eût-il pas présumé que l'espoir de son rang Eût fait à mon orgueil désavouer mon sang, Et que l'ambition séduisant la Nature, Pour couronner ma fille, eût admis l'imposture ? J'allais m'ouvrir pourtant d'un secret trop caché, Quand d'un juste remords Antaléon touché, Maître de ce billet qu'on m'avait pu surprendre, Avant que d'expirer, a voulu me le rendre. Ah, Madame, épargnez l'illustre Philoxène. Quoi qu'ose la Lydie, ou qu'elle ait pu tenter, Un Héros tel que lui n'a rien à redouter, Et toujours sa vertu dans le plus fort orage Répond à son grand coeur du destin qui l'outrage. Que dit-elle, Seigneur ? Cléophis votre père ! Non, je me souviens trop de ce que je vous dois Pour faire moins pour vous que vous fîtes pour moi. Philoxène cru Prince, en son amour extrême, À la fille d'Araxe offrit un Diadème, Et par elle aujourd'hui je me tiens glorieux De pouvoir réparer l'injustice des Dieux. C'est par ce billet seul qu'on la peut reconnaître. Pour m'acquitter vers vous je vous en fais le maître ; Gardez ce grand secret, et sans vous étonner Achevez un hymen qui vous doit couronner. Vous êtes digne d'elle, et sans trop d'injustice... J'assure sa grandeur à vous en faire Maître. Ôtons-lui le pouvoir de refuser son bien. Mais étant Étranger, si l'on sait sa naissance, Quoi qu'elle ose pour vous, quelle est votre espérance ? Quoi, je consentirais... Hélas ! À quel aveu forcez-vous mon devoir ! Seigneur, par ce récit vous découvrez sans peine Ce qui m'a fait tenter l'hymen de Philoxène. Ce billet me manquant, il fallait faire effort Pour porter vos Sujets à croire mon rapport, Et je n'y pouvais mieux préparer la Phrygie, Qu'en mettant Bérénice au trône de Lydie. Alors quel intérêt m'aurait fait soupçonner De confondre son sort pour la voir couronner, Puisque Reine déjà, cette lâche imposture, M'en dérobant la gloire, eût trahi la Nature. Dans ce grand changement son malheur est à plaindre ; Mais ce n'est pas de lui que l'orage est à craindre. Anaxaris, Seigneur, que ce revers trahit, Et qui dans ses desseins n'aura rien qui l'étonne, S'il se voit arracher l'espoir d'une Couronne. Le rang dont il l'assure a toujours un défaut, Il est bien élevé, mais le trône est plus haut. Ce que vous avez vu qu'on a montré de joie, Lorsque parmi le peuple on a su qu'aujourd'hui Vous portiez Philoclée à s'expliquer pour lui. On voit de puis longtemps sa faveur confirmée Disposer du Palais ainsi que de l'Armée. Par là, de quoi qu'il ose il peut venir à bout, Et pour régner, Seigneur, qui peut tout, ose tout. Ce genre de respect, Seigneur, est bien douteux. Il savait que mon coeur, fidèle à Philoxène, Rendait par mes refus sa déférence vaine, Et sur mon intérêt pouvant régler le sien, À vous montrer son zèle il ne hasardait rien. Ce n'est pas que je veuille imputer à sa flamme Qu'un téméraire orgueil l'ait fait naître en son âme, Il aime Philoclée, et je dois présumer Que l'on aime en effet quand on avoue aimer, Mais si ce que je suis m'attirait son hommage, Permettez-moi, Seigneur, d'en repousser l'outrage, Et de lui faire voir, comme fille de Roi, Qu'un lâche ambitieux est indigne de moi. Elle est libre, Seigneur, et Philoxène enfin D'une insolente audace affranchit son destin. L'un et l'autre à vos yeux s'en va soudain paraître. Seigneur, les Dieux sur l'heure ont ordonné sa peine Fort de l'appui du Peuple il bravait Philoxène, Et le voyant suivi de fort peu de Soldats Il croyait sa défaite indigne de son bras ; Mais Philoxène, ému des pleurs de la Princesse, Sait inspirer aux siens tant de coeur et d'adresse, Que contre Anaxaris tous se portant d'abord, Sans connaître la main, on le voit tomber mort. Le succès aussitôt répond à notre attente, Par la perte du Chef chacun prend l'épouvante, Son parti se dissipe, et la Princesse ainsi Rendant grâce au Vainqueur... mais, Seigneur les voici. Ô Dieux ! Pardonnez au zèle qui m'emporte. Le lieu, l'âge, le temps, Seigneur, tout se rapporte, C'est Atis, c'est mon Prince, il n'en faut point douter. Prêt à faire naufrage, Espérant dans l'esquif pouvoir vaincre l'orage, Moi-même entre mes bras j'avais su l'y porter, Quand résistant à ceux qui s'y voulaient jeter, Dans l'instant qu'à mes yeux notre Vaisseau se brise, Le vent rompant le câble aide mon entreprise ; Mais avec tant d'effort, qu'emporté dans les flots J'en fus jeté mourant dans l'île de Lesbos. Là, du destin d'Atis n'ayant pu rien apprendre, Je crus sa mort certaine. Ah, qu'est-ce que je vois ? Elle emporte au-dedans le Portrait du feu Roi. Elle s'ouvre, en faut-il davantage ? Il la portait, Seigneur, quand nous fîmes naufrage. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_IPHITE *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_iphite Vous soupirez, Seigneur ? La Fortune à vos voeux parait si favorable Qu'en vain j'ose chercher quel malheur vous accable. Vous pouvez tout ici, chacun vous fait la cour, Et la faveur du Roi... Et sa faible puissance D'un courage si haut étonne la confiance ? Ah, Seigneur, voyez mieux où vous pouvez atteindre. Le rang que vous tenez vous défend de rien craindre, Et la Princesse, au point de choisir un époux, Baissera peu les yeux pour les jeter sur vous. Vous semblez interdit ! L'aimeriez-vous, Seigneur ? Vous aimez Bérénice, et par un libre aveu Votre feinte à ses yeux étale un autre feu ? La contrainte est fâcheuse, et le Prince vous doit Pour cet effort caché beaucoup plus qu'il ne croit. Lui céder un espoir que le Roi vous ordonne ! Il le faut avouer, tant de vertu m'étonne, Et je n'aurais pas cru que jamais un Rival... Mais enfin vous aimez ? Gardez d'aigrir le Roi. C'est à vous dans ce choix, Seigneur, à vous connaître. Seigneur, je crois l'apercevoir. La Princesse paraît, Seigneur. Philoclée ? À tout craindre, Si votre ambition ne sait mieux se contraindre. Quoi, seigneur, pour régner recourir aux forfaits ? Mais s'il n'est nécessaire à quoi bon en commettre ? À votre espoir encor vous pouvez tout permettre, Du peuple et des soldats vous avez tous les coeurs. Servez-vous-en, Seigneur, pour vaincre vos malheurs. Qu'ils demandent pour vous l'hymen de Bérénice ; Si le Roi les refuse, ils vous feront justice, Et bientôt du Palais ils sauront la tirer Pour forcer cet obstacle, et vous en assurer. Tant de Villes d'ailleurs prendront votre querelle Qu'on prétendrait en vain vous traiter de rebelle. Essayez ces moyens puisqu'ils sont les plus doux. Seigneur, avant la force elle était nécessaire. C'est à vous maintenant d'agir dans le Palais, Tout le Peuple est pour vous, tous vos Amis sont prêts ; Chacun d'eux dispersé vers cette fausse porte Se prépare au besoin à vous prêter main forte, Et l'ardeur qui pour vous échauffe leurs esprits... **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_CLEOPHIS *date_1657 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cleophis Ah, Seigneur, où sera mon asile, Si contre le courroux d'un Roi trop irrité Votre protection ne fait ma sûreté ? Oui, Cléophis coupable De laisser sans Couronne un Héros indomptable, Puisque par sa vertu Philoxène aujourd'hui Justifiait assez ce que j'osai pour lui. J'abuserais d'un nom qui ne m'est point permis. On le publie en vain, vous n'êtes point mon fils. On en sait déjà trop pour pouvoir déguiser Qu'à mon Roi pour son fils j'osai le supposer ; Mais un même accident dans la même journée Du Prince et de mon fils trancha la destinée, Et ce vaillant Héros qui passait pour le sien, N'est en effet, Seigneur, ni son fils, ni le mien. C'est de quoi je n'ai point connaissance. Je ne vous dirai point ce qu'a su la Phrygie, L'injuste emportement du feu Roi de Lydie, Qui par l'hymen du Prince à la fureur réduit, Si l'on ne l'eût soustrait, en eût perdu le fruit. Il me fut confié, Lesbos fut ma retraite, Qui pendant mon séjour demeura si secrète, Que sur moi seul le Prince osant s'en assurer, De peur de se trahir, la voulut ignorer. Ayant alors un fils, ma Femme en cet orage Avec notre dépôt enleva ce cher gage, Et c'est par où l'on croit que n'étant point au Roi, Puisque j'avais un fils, Philoxène est à moi. Mais huit mois en effet s'étaient coulés à peine Qu'avec lui je pleurai le jeune Philoxène. Tous deux en même jour terminèrent leur sort. Jugez de ma douleur dans l'une et l'autre mort, Quand j'appris aussitôt que le Roi de Lydie, Laissant le Prince au trône, avait fini sa vie. Je maudis le destin de prolonger mes jours, Et le seul désespoir eût été mon secours, Si de leurs volontés les Dieux voulant m'instruire, Sur le bord de la mer n'eussent su me conduire. Là, rêvant seul un jour, je découvre sur l'eau Un esquif qui suivait le débris d'un vaisseau, Et qui poussé d'un vent à mes voeux favorable, Vient soudain à mes pieds s'arrêter sur le sable. Jugez, Seigneur, si je suis étonné D'y trouver un enfant aux flots abandonné. Tout paraît digne en lui d'une illustre naissance, Il montre en ses regards une aimable assurance ; D'ailleurs, son équipage est riche et curieux. J'en admire partout l'or qui brille à mes yeux, Et croyant que du Ciel la faveur découverte Me faisais ce présent pour réparer ma perte, J'abandonne Lesbos, et dégageant ma foi J'ose pour son fils mort le rendre au nouveau Roi. Cette boîte peut-être... Un Portrait ? Vous supposez, Seigneur, c'était vous en défendre, Il vous ôtait un Sceptre, et j'osais vous le rendre. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_CLITIE *date_1657 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_clitie Il vous promet beaucoup. Comme son ordre seul sur l'espoir d'être Reine Vous força d'accepter les voeux de Philoxène, Sans doute il n'est plus rien qu'il voulut épargner Pour mettre dans son sang la gloire de régner. Non qu'enfin le succès n'en soit toujours à craindre, Mais si d'un sort ingrat vous avez à vous plaindre, Au moins sera-ce un charme à votre espoir trahi Qu'en effet vous aurez moins aimé qu'obéi. J'avais cru jusqu'ici dans votre passion Un peu moins de tendresse, et plus d'ambition. Quand par un vrai mérite un beau feu se soutient, Il est bien malaisé... Mais la Princesse vient. Enfin, malgré l'espoir dont chacun d'eux se flatte, Vous allez triompher d'une fortune ingrate ; En vain l'éclat d'un Sceptre aura su les toucher. La gloire que sur vous le Ciel aime à répandre Est un bien que vos voeux n'eussent osé prétendre. Il est vrai que par là votre amour est trahi. Songez de grâce à vous, Madame, le voici. C'est pousser un peu loin de simples conjectures, Car que prétendrait-il ? Mais, Madame, sur quoi ce soupçon odieux Qui vous le peint d'accord avec les Factieux ? Si tôt que du tumulte on a su la nouvelle, Quel autre à l'étouffer a marqué plus de zèle ? Il en a pour le Roi fait voir de prompts effets, Faisant suivre soudain la Garde du Palais, Et sans lui, nous dit-on, qui va de place en place, Le Roi de ces Mutins verrait croître l'audace. Il semble que lui seul attire leur respect. Ne vous emportez pas, Madame, il vient à vous. Ah, Seigneur... On a du Palais enlevé la Princesse. Seigneur, On se défiait peu du lâche Ravisseur. Anaxaris. Lui-même. Oui, Seigneur, n'imputez cette indigne action, Qu'aux transports inquiets de son ambition, Mais ce qui me confond dans sa lâche entreprise C'est de voir qu'en effet le Peuple l'autorise, Seule, et sans rien prévoir d'un si cruel destin, J'avais accompagné la Princesse au jardin, Quand suivi seulement d'une assez faible escorte, Il la force à sortir par une fausse porte, Où sitôt qu'il paraît j'entends pousser des cris. De, vive Bérénice, et vive Anaxaris. Seigneur, espérez tout du vaillant Philoxène. Revenant par bonheur avec quelques Soldats, À ces cris vers le Traître il a tourné ses pas, Et sans rien voir de plus, dans l'ardeur de mon zèle J'ai cru vous en devoir la première nouvelle. **** *creator_corneillet *book_corneillet_berenice *style_verse *genre_tragedy *dist1_corneillet_verse_tragedy_berenice *dist2_corneillet_verse_tragedy *id_HESIONE *date_1657 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_hesione Madame. Plaignez l'ingrat destin du Prince Philoxène. Si j'ai bien entendu, Par un dernier revers son amour l'a perdu. Il le faut présumer ; au moins ai-je entrouï Qu'un bel espoir trop tôt s'était évanoui, Qu'un coeur si généreux méritait la Couronne Qu'au Prince Alcidamas son malheur abandonne, Que tout ce que jamais un sort injurieux... Mais le Roi qui paraît vous éclaircira mieux. Rien ne saurait, Madame, égaler ma surprise. Avec tant de vertu pourriez-vous en manquer ?