**** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONGARCIE *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dongarcie Et bien, selon ton ordre as-tu fait son message  ? Oui, fais qu'il vienne, va. Quoi, je te trouve en pleurs  ? Peu de chose souvent brouille un jeune cerveau, Voyons. À dire vrai, ce Gendre a l'esprit bien mal fait. Te faut-il étonner qu'il parle avec franchise  ? Cesse d'être alarmée et de t'en indigner, La plus fâcheuse humeur est aisée à gagner. Ma fille, C'est par là que l'éclat vient dans une famille ; L'épargne est nécessaire à qui veut s'agrandir. Il lui faut applaudir. Et bien, sois complaisante, et fais ce qu'il souhaite. Mais va quérir son masque. J'ai tort de n'avoir pas consulter ta prudence. Il t'en faut donner un avec la plume au vent, Un de ces fanfarons à l'âme efféminée, Qui mangent tout leur fait dès la première année  ? Ne crois rien obtenir, J'ai donné ma parole, et je la veux tenir, Ma volonté doit être, et sera la plus forte. Mais j'entends, ce me semble, un carrosse à la porte, Cache cette tristesse, et ne témoigne pas... Masque-toi promptement. Soyez le bien venu. Holà, des sièges. Tant de précautions sentent bien son brutal. Je n'ose sur ce point vous presser davantage, Et sans plus différer je consens au voyage. Vous voyez Isabelle en état de partir. C'est trop continuer d'inutiles discours, Partons puisqu'il le faut. Je ne vous suivrais point ! Et par quelle raison. Moi, garder la maison, Et souffrir que d'un autre il reçoive Isabelle ! Il me prend pour un homme à bien lourde cervelle. En effet, Yllescas est bien loin de Madrid ! Par devant Alonse Ruiz et Domingo Sanchez, Notaire Royaux à Tolède, s'est comparu Don Bertran de Cigarral, lequel de son bon gré, et sans aucune contrainte, a reconnu et confessé avoir reçu de Don Garcie de Contreras une sienne fille, avec ses taches bonnes ou mauvaises, se soumettant d'en faire au plutôt son épouse légitime, et de la lui rendre telle et aussi entière toutefois et quantes qu'elle lui pourra être demandée pour nullité de fait. En témoin de quoi ils ont signé à Tolède ce 19. de Mai 1651.Don BERTRAN DE CIGARRAL, ALONSO RUIZ, DOMINGO SANCHEZ. Il a perdu l'esprit avecque sa quittance. Traiter ainsi ma fille ! Où diable a-t-il pensé, De l'attendre au moyen de son récépissé  ? Mais de grâce, entre nous, qu'est-ce qu'il en soupçonne  ? Croit-il que je la vends, ou bien que je la donne  ? Ne t'inquiète point, en moins de rien on change. Il ne sera pas tel que nous nous figurons, Et nous recevra mieux que nous ne l'espérons, Ne différons donc plus, et partons sans remise. Je viens vous témoigner qu'en vain... C'est une affaire faite, Sa volonté se borne à ce que je souhaite. Sans doute. Soudain la charmera. Contre la modestie elle craint de pécher. Parler bien à propos est fort rare aujourd'hui. Je vous ai déjà dit que c'est par modestie. Ce qu'elle a de beauté pour le moins est sans fard. Vous n'avez pour partir qu'à nous donner votre heure. Elle vous tien donc lieu de lettres de noblesse  ? Je n'en ai rien ouï. Non. Quoi, que s'est-il passé ? Ma fille... J'y suis tout préparé, que m'allez-vous apprendre  ? La question est grande ! Suis-je sourd pour me faire une telle demande  ? À quoi bon  ? Parlez jusqu'à demain. Posément. Tant que vous parlerez. Avez-vous l'esprit sain  ? Je devrais bien plutôt... Quoi, Don Félix de nuit aurait pu lui parler  ? On m'avait bien dit vrai, que vous n'étiez pas sage, Que souvent vous aviez le cerveau démonté, Mais je ne croyais pas que vous l'eussiez gâté. Savez-vous qui je suis  ? Il faut chanter pourtant, et sur un autre ton. Ma foi, vous parlerez ainsi que je l'entends. Ne croyez pas ainsi parer en reculant. Vous marchandez en vain. Et bien, quelle  ? Et quoi, ce Don Félix vous tient-il à la tête  ? Croyez-vous... Votre demande est juste, et j'y dois consentir. Quel débat avez-vous l'un et l'autre  ? Vous pourriez supprimer ce mot de prétendu. Nous en sommes tantôt convenu autrement. Don Félix est parti qui vous faisait ombrage, Rien ne vous peut choquer, ma fille est belle et sage, Ne nous brouillons donc point par de nouveaux détours. Quand je parle raison, j'entends qu'on y réponde. Nous n'en sommes pas là. Puisque pour vous ma fille est un parti sortable, Fussiez-vous mille fois plus Diable que le Diable, Vous ne vous moquerez ni d'elle ni de moi, Et vous l'épouserez, ou vous direz pourquoi. Cette sotte raison n'est point ici de mise. Ce galimatias n'aura-t-il point de bornes  ? Irez-vous encor loin  ? Je crois, sans vous flatter, que le vôtre en tout temps Vous rend fou passé-maître, et des plus importants. Que dit-elle  ? De quoi  ? J'ignore. Pensez-vous m'échapper avec ce stratagème  ? Explique ce mystère. Aimes-tu donc ailleurs. Tu voudrais l'épouser, lui qui n'a point de bien  ? Quelque espoir qui le flatte, il pourra se méprendre S'il prétend que sans bien je l'accepte pour Gendre. Je sais ce qu'il te faut. Mon Gendre Don Alvar  ? Brisons-là, Il n'est pas maintenant question de cela. Vous m'avez demandé ma fille en mariage  ? C'est être trop longtemps à consulter ensemble, Je veux avoir réponse. En un mot, de vos biens donnez-lui la moitié, Je consens en ce cas qu'il l'épouse s'il l'aime ; Sinon, résolvez-vous à l'épouser vous-même, Je vous laisse le choix. Enfin votre dessein... C'est trop délibérer. À ces conditions nous sommes tous contents. Pour ne pas l'approuver j'ai pour vous trop d'estime, Et si de l'intérêt écoutant la chaleur... Allons voir ce que c'est. **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONBERTRAN *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donbertran Je me soutiens à peine, Au Diable soit la mule avec le Muletier. Quel chien de trot allait cette maudite mule ! J'en ai le col démis, et les os tout rompus. Vous parlez donc proverbe, ô Soeur à blonde tresse  ? C'est bien pour votre nez. Ah, vous m'importunez. Don Alvar n'est pas encor trop sage, Je veux laisser mûrir son esprit davantage ; Pour quelque couple d'ans rengainez vos amours. N'importe. Achevons, je vous prie. Suffit qu'un de nous se marie, Je vous le tranche net devant ce Cavalier. À peu près, et ma Soeur semble en être jalouse. Pour peu que vous tardiez vous verrez mon Épouse, Elle viendra bientôt, je l'ai mandée exprès. On m'a dit qu'elle est belle à regarder de près. N'importe, elle m'aura malgré les Envieux ; Mais on m'en vient enfin dire quelque nouvelle, Je vois un de mes gens. Et bien, notre Isabelle, Est-elle encore loin  ? Ma lettre, qu'en dit-elle ? Mon Cousin l'a-t-il vue ? L'a-t-il entretenue ? Elle m'aime ? Pour rire à mes dépends il s'en vient donc exprès  ? C'est bien ici le temps de faire tant de frais, Il peut s'en retourner si c'est ce qui l'amène. Beau-père, approchez-vous. À mes ordres ainsi vous êtes réfractaire, Et vous m'avez enfin amené le beau-père. Sans compliment, Oyez un mot ici. Je puis donc lui parler ainsi qu'il me plaira  ? Et mon discours... Je m'en vais l'aborder. Ah, Madame Isabelle, Ou bien vous êtres laide, ou bien vous êtes belle. Or si vous êtes laide, il vous faut sur ma foi Ne montrer vos laideurs à personne qu'à moi ; Et si vous êtes belle à bon droit j'appréhende, Car la fragilité du sexe est assez grande. Ainsi soit belle ou laide, et dût-on s'en moquer, C'est fort bien avisé que vous faire masquer. Ho, Beau-père, Elle ne répond point, qui l'en peut empêcher  ? Sur le point de se voir richement mariée, L'aise la tient ainsi sans doute extasiée  ? Il est vrai, par soi-même on juge mal d'autrui. C'est donc qu'elle n'a pas en main la répartie  ? Vous tairez-vous toujours, Objet, ma passion  ? Ah galante ! Plus matoise que vous n'est pas trop innocente, Et bien, que dites-vous de ce discours adroit, Ma Soeur  ? Et mon Cousin  ? Oui, ça, voyons un peu qu'elle est votre figure, Et si vous n'êtes point de laide regardure  ? Ma foi, je ne sais pas quel en fut l'exemplaire, Mais vous avez bien là réussi, mon Beau-père. Elle a l'oeil à mon gré mignardement hagard ; Et si jamais en vers je dois peindre une Belle, Allez, je pourrai bien prendre patron sur elle. Est-elle laide  ? Et bien, le croyez-vous encore  ? Oyez-vous ce qu'il dit  ? Vous me semblez parfaite autant que les parfaites, Vous avez les yeux doux, les paupières bien faites, Qui ne vous aimerait, je le tiendrais pour sot. Ma foi, remasquez-vous, ou je ne dirai mot, Visage découvert, je n'en sais par où prendre. Vous l'avez bien instruite, elle a l'esprit joli ; Son humeur toutefois me semble un peu rêveuse. Mon Cousin, contez-lui quelque histoire amoureuse, Mais qui soit intriguée, et pleine d'incidents. Vous verrez quel esprit s'enferme là-dedans, J'en saurai dès demain en faire une Comédie, Que pour gage d'amour déjà je vous dédie. Vous divertiriez-vous à l'ouïr  ? Dites donc. Holà, vous en saurez bien d'autres, que je pense. Rêvez si vous voulez, mais je me trompe bien Si pour vous égayer il vous conte plus rien. Vous êtes un causeur, elle est une causeuse. Mais, ma foi, je la veux un peu dépayser, Et voir si dans Tolède on l'entendra jaser, Moi présent, son époux. Oyez, les belles filles, Il faut de grand matin demain trousser ses quilles, Peut-être avant le jour, car j'ai hâte, et je veux Sur mon propre fumier faire un peu l'amoureux ; La station m'en semble et moins chère et meilleure. Celle qu'il me plaira ; chacun peut sur un lit Se tenir toujours prêt sans quitter son habit. Qui ne le sera point restera pour les gages. Il n'en est pas besoin, Je sais bien le chemin. Mais, ne vous déplaise. Et bien j'en suis fort aise. À vous qui, je ne vous connais point. Je n'y saurais que faire, Il pria qui lui plût quand il se maria, Mais de son temps au mien grand changement y a. Pourvoyez-vous ailleurs. Ne me voyez jamais, je n'en pleurerai pas. De pareils estafiers le quart d'une douzaine À désenfler ma bourse aurait bien peu de peine. Où Diable celui-ci s'est-il venu fourrer  ? Se prier de ma noce afin de s'y bourrer  ? Il s'est bien adressé pour rencontrer sa dupe ; Mais comme il se fait tard, un autre soin m'occupe. De quoi souperons-nous  ? Ma Maîtresse, allons voir Si l'hôte a quelque chose à nous donner ce soir, Nous choisissons ensemble un morceau de régale. Venez. Ce n'est rien, ce n'est qu'un peu de gale. Je tâche à lui jouer pourtant d'un mauvais tour, Je me frotte d'onguent cinq ou six fois par jour, Il ne m'en coûte rien, moi-même j'en sais faire, Mais elle est à l'épreuve, et comme héréditaire ; Si nous avons lignée elle en pourra tenir. Mon père en mon jeune âge eut soin de m'en fournir, Ma mère, mon aïeule, mes oncles, et mes tantes Ont été de tout temps et galants et galantes, C'est un droit de famille où chacun a sa part ; Quand un de nous en manque il passe pour bâtard. Je vous entends, la belle, allons le raffermir, Et puis nous songerons un moment à dormir. Qui va là  ? Qu'est-ce  ? Qui va là  ? Qui va là pour la seconde fois  ? J'ai pourtant à ma porte entendu quelques voix, On y faisait du bruit, il faut que je le sache, Je chercherai partout, malheur à qui se cache. Mais je pense entrevoir un Homme dans ce coin, Tâchons de nous munir de courage au besoin. Parle, qui que tu sois, ou bien je t'estropie. Dis ton nom. Que fais-tu là  ? Le lieu n'est pas mal propre. Sans lune, et sans cadran  ? Mais viens ça, c'était toi Qui frappais à ma porte, il faut dire pourquoi. Si quelqu'un avait pris une porte pour l'autre. Je veux m'en éclaircir. Et tu viens cependant passer ici la nuit  ? Certain désir me presse D'aller voir en tous cas ce que fait ma maîtresse. Que pourrait-elle faire à présent  ? Elle dort. Écoutons de plus près, ronfle-t-elle bien fort  ? Je ne voudrais pour rien d'une femme ronflante. Je m'en vais l'éveiller, Car j'ai démangeaison beaucoup de babiller. Qu'en pourrait-elle dire  ? Elle est presque ma femme. De quoi  ? Ma foi, je suis ravi, par ce que tu proposes, De te voir curieux d'ouïr les belles choses ; Je t'en aime encor plus, et veux te faire part D'une pièce admirable où j'ai surpassé l'Art, Elle est bien pathétique, en sentiments fort tendre. J'éveillerais ma Soeur qui nous interromprait. Tu verras là-dedans un Galant bien adroit, Et l'Ouvrage surtout merveilleux en conduite. Hérode Innocentituant. Au sujet il est fort congruant, Tu l'avoueras toi-même, et je te fais arbitre S'il pouvait recevoir un plus confortable titre Tout vient dans ce grand poème admirablement bien. Aussi jamais travail ne me fit tant de peine ; Mais pour tenir au fait, dans la première scène Je fais entrer Hérode, et trois cents innocents. Qui viens-tu d'avertir  ? Je fais dans celle-là le plus beau trait du monde, Au moment qu'ils sont tous condamnés à la mort... Mais qu'est-ce ci  ? Je vois ce qui me déplaît fort. Ah, vraiment, ma Maîtresse m'amie, Je vous faisais grand tort de vous croire endormie. Un homme seulement Qu'Isabelle en sa chambre enferme galamment, Il allait s'échapper quand j'ai tourné la tête. Tiens en main comme moi la dague toute prête, Je lui veux tout au moins couper jambes et bras. Ouvrez, ouvrez, vous dis-je, ou je mets porte bas. Moi, Mari de fabrique nouvelle. Vous ne dormiez donc pas, Isabelle la belle  ? Avec malin vouloir je me transporte ici, Vous ne dormiez donc pas  ? Que vous ne dormiez pas, mais je n'en fais que rire. Ce galant que je cherche, a-t-il le nez bien fait  ? Vous m'estimez donc fou, Madame la Mignonne, Et vous me l'osez dire à moi-même en personne  ? Vous en déplaise ou non, malgré vous et vos dents Je m'en vais fureter et dehors et dedans, Tant que j'aie à la fin trouvé le Personnage. Qu'as-tu  ? Et la lumière est éteinte, ô le fat ! Hôte, Garçon, Servante, holà, de la lumière. Qui tiens-je  ? Ah, j'ai saisi mon Galant bien à point. Il allait sans mot dire enfiler la venelle. Le nom. La lumière paraît, je verrai si c'est toi. Ah, ah mon Capitaine, C'est donc vous  ? Mon Cousin mon ami, vous n'êtes qu'un Pendard. Que faisait-il ici  ? Parlez, la fine mouche. Diable, vous y venez regarder de bien près. C'est donc pour mon honneur  ? De quoi vous mêlez-vous  ? Je veux qu'il y regarde, Qu'il en prenne le soin quand bon lui semblera, Et malgré tout le monde il y regardera. Je veux me plaindre, Pour homme tel que vous je dois peu me contraindre. Commandez de grâce à vos valets, Allez-vous-en dormir, et nous laisser en paix. Qu'il aille au Diable, et sans en revenir. Don Alvar mieux que moi pourra vous satisfaire. Je l'ai surpris ici, Il y vient pour mon compte. Il faut le croire, Ou qu'il venait encor lui conter quelque histoire. À ces contes en l'air son coeur s'épanouit. Soutiens-la, de l'eau, vite. Ce mal est venu tout à coup. Vous voyez, mon Cousin, de quoi vous êtes cause. Mais j'ai certain onguent mixtionné d'eau rose, Il est de grande force, et de sa pâmoison En moins d'une heure ou deux il nous fera raison. Je cours jusqu'à ma chambre. Voici notre Remède. Ah, vous êtes debout. Où vous tenait ce mal, Soeur un peu trop dolente  ? Mais vous avez la mine aussi peu rechignante. Qu'auriez-vous de nouveau  ? Et ce joli Mignon, que faisait-il ici  ? Vous faites donc la fine  ? Dormez tout votre saoul ; je ne partirai point Que l'on ne m'ait appris le tout de point en point. Vous devriez vous taire, Je suis et bon et sage, et veux ce que je veux. Rentrez. Adieu, la Belle. Vous n'avez rien ouï de tout ce grand vacarme  ? Ni crier à l'alarme  ? Si le feu de nuit prenait à la maison Vous vous laisseriez donc rôtir comme un oison. Toutefois pour avoir l'âme si sommeillante, Vous avez engendré fille peu dormante. Allons tout doux, Nous avons tout loisir, et le jour est à nous. Dites-moi, seriez-vous bien aise de m'entendre  ? Je m'en vais vous conter un assez vilain cas ; Mais oyez-vous bien clair quand vous ne dormez pas  ? Parlerai-je bien haut  ? N'interromprez-vous point  ? Mon dessein Est de parler longtemps. Posément  ? Et vous saurez-vous taire ? Écoutez donc, beau-père. Je prétends être noble, et non pas, Dieu merci, De ceux qui seulement le sont cosi-cosi, Je chasse de plus loin, et ferais bien voir comme L'aïeul de mon aïeul était très gentilhomme. Quoique issu de parents si nobles et si preux, Et moi par conséquent encor plus noble qu'eux, Ma façon de traiter est pourtant assez ronde, Je suis humble, je fais état de tout le monde, Et bien loin d'imiter mille jeunes muguets, Je m'entretiendrais même avecque des laquais. Aussi des bons, dit-on, Don Bertran est la crème, Il n'est dans le pays personne qui ne l'aime, Qui n'en dise du bien, et cela se connaît, Chacun me rit au nez aussitôt qu'il me voit. À monter à cheval je triomphe, j'excelle, Je tombe d'un plein faut à ravir sur la selle, Mais d'un faut si léger que j'éblouis les yeux, Et de la selle en bas je tombe encore mieux. Cent fois m'est avenu sans me rompre os ni veine, Ce qui de mon adresse est marque très certaine, Car beaucoup n'ont tombé qu'une fois seulement, Qui se sont échinés fort maladroitement. Pour vaillant, je le suis, je crève de courage, Je chante comme un cygne, à danser je fais rage, Jusqu'à donner leçon à certain petit chien Qui danse comme un drôle, et qui ne m'en doit rien. D'ailleurs, je me connais assez bien en peinture, De cette propre main j'ai fait ma portraiture, Et n'ai pas moins de grâce à toucher le pinceau Que d'esprit à tirer des vers de mon cerveau ; Car vous n'ignorez pas, sans que je vous le die, Que je sais en six jours faire une Comédie, Et que si le Théâtre était estropié J'ai déjà trop de quoi le remettre sur pied. Quant au fait du ménage où je m'applique l'âme, Je sais comme il faut vivre, et n'en redoute femme. J'ai pourtant le coeur bon, et ne pleure jamais Ou la dépense faire, ou celle que je fais. Qu'un Parent me soit mort, sans qu'on me sollicite, Je me mets en grand deuil pourvu que j'en hérite, Je m'en console ainsi mieux qu'à moi n'appartient, Je prends toujours courage, et le temps comme il vient, L'esprit fort et constant, sans me mettre en cervelle Ce que peut dire un tel ou penser une telle, Je fais nargue au babil, et qui plus est, ma foi, Je me moque de ceux qui se moquent de moi. Pour ma taille, on ne peut la trouver engoncée, J'ai le pied bien tourné, la jambe bien troussée, Le port majestueux, le visage assez doux, Et la mine guerrière autant ou plus que vous. Sans doute vous direz ici que je me loue  ? En cela vous dites vérité, je l'avoue, Je me loue en effet, mais il est à propos, Et pour conclure enfin l'affaire en peu de mots, Las de vivre toujours sans Femme noire ou blonde Par qui pouvoir laisser des Don Bertrans au monde, Noble vaillant, adroit, danseur, dispos, léger, Poète, Musicien, Peintre, bon ménager, Et surtout, qui n'est pas chose fort dégoûtante, Ayant près de sept fois mille ducats de rente, Je viens pour faire honneur à Madame Isabeau, Et par un bon contrat me charger de sa peau, Sans en rien espérer que lorsque la mort fière Par grand bonheur pour moi vous clora la paupière, Jugez jusqu'où pour vous je me suis relâché, Et si ce n'est pas là me vendre à bon marché ; Et malgré tout cela, j'entre en chaud mal de fièvre, Et trouve qu'on me donne un chat au lieu d'un lièvre. Laissez-là mon esprit, Nous en disputerons lorsque j'aurai tout dit. Vous avez l'humeur prompte, Soyez de par le Diable attentif à mon conte, Écoutez jusqu'au bout, vous parlerez après. J'avais mandé, je pense, en termes fort exprès Qu'Isabelle s'en vînt bien et dûment masquée, Bien loin de m'obéir elle s'en est moquée, Et partant de Madrid n'a mis sur son minois, Pour me faire enrager, qu'un masque de trois doigts. Ce qui m'émeut la bile encore davantage, C'est que vous ayez fait sans besoin le voyage, Peut-être sous l'espoir d'attraper un repas ; Cependant en deux mots je ne le voulais pas, Et je vous épargnais la peine de le faire Par un Récépissé passé devant Notaire, Outre que votre fille aime trop le caquet, Tout ce qu'elle m'a dit sent son esprit coquet, Sa tête a des vapeurs qu'on a peine à rabattre, Pour un pied qu'on lui donne elle ose en prendre quatre, Elle est presque toujours sur le raisonnement, Et raisonnant raisonne irraisonnablement ; Force cajolerie et mots galants en bouche, L'oeil souvent en campagne, et l'accueil peu farouche. J'aime de cette humeur la Femme d'un Voisin, Mais je veux que la mienne aille le grand chemin. De plus, un Don Félix, adroit de la prunelle, En dépit que j'en aie a toujours l'oeil sur elle. Même j'ai cette nuit été fort alarmé Trouvant mon beau-Cousin dans sa chambre enfermé, Et j'y suis, m'a-t-il dit, comme un Parent fidèle Qui viens pour votre honneur faire la sentinelle, Et voir si Don Félix oserait s'y couler. Non pas, mais toutefois c'est chose assez infâme Qu'un Mari corps pour corps n'ose piéger sa Femme, Qu'il ait quelque scrupule, et demeure en soupçon Si de nuit un galant l'entretenait ou non. Enfin j'aimerais mieux la moindre Paysanne, Il faut à votre fille homme qui porte canne, Allez-en quêter un, j'en suis fort satisfait ; Nourriture de cour n'est point du tout mon fait, Vous le savez fort bien en votre conscience. Payons donc, s'il vous plaît, par moitié la dépense, Tirons chacun du nôtre au sortir de ce lieu, Toute promesse nulle, et bons amis, adieu. Je n'ai plus d'appétit touchant le mariage. Vous êtes Don Garcie, Que je souhaiterais n'avoir vu de ma vie. Criez, jurez, pester, si vous le trouvez bon. Pour moi, si j'en démords je veux bien qu'on m'étrille. Rendez-moi ma quittance, et prenez votre fille. À d'autres, rengainez, j'ai plus de soixante ans, Je ne suis plus d'âge à tenter l'enfilade, Et si je porte un fer, ce n'est que par parade. Ô de tous les Vieillards le plus sanguinolent ! Si je suis ma colère... Mais tant s'estomaquer n'est pas fort nécessaire. Voyez-vous, je suis bon, et d'un mot de douceur On m'arracherait l'âme, on me fendrait le coeur. J'accorde et me soumets d'épouser Isabelle, Mais à condition seulement... Que si ce Don Félix venu pour elle exprès Ose l'envisager ou de loin ou de près... Croyez-vous que je sois une bête, Et ne connaisse pas clairement aujourd'hui Que sans comparaison je vaux bien mieux que lui  ? Mais aussi bien que moi vous avez osé dire Que fille qui choisit bien souvent prend le pire. Si donc je m'aperçois, et vous fais voir enfin Qu'Isabelle ait pour moi le coeur traître et malin, Vous me rendez soudain, sans sommations nulles, Ce qu'il m'a pu coûter en louage de mules, Ce que j'ai déboursé pour le carrosse aussi, Et ce que depuis hier j'ai fait de frais ici ; Car franchement, à moins qu'Isabelle soit nôtre, Je serais un grand sot de payer pour un autre. Allez donc disposer tout le monde à partir. Guzman. Tu me vois avec ma courte honte, Notre marché tiendra. En vain pour m'en tirer j'ai fait ce que j'ai pu, Ce Diable de Beau-père est trop opiniâtre. Au profit de sa fille ; il a fort peu de bien, Elle empire d'attendre, et je la prends pour rien. La garde d'un tel meuble à la fin peut déplaire. Comment ? Je suis donc pris pour dupe ? Ah, que si je pouvais rattraper ma quittance ! Mais notre épouse encor, qu'a-t-elle  ? Quel ? Dis. Achève tôt. Si tu ne le dis, je jouerai de la dague. Oui, parle. Elle ? Ce n'est donc qu'en de certains moments. Dans sa folie il irait bien du nôtre. Aussi hier à l'abord il m'était fort nouveau Que mon Cousin lui fît un conte de Taureau. Jaser comme une pie. Tant de raisons en l'air de ceci, de cela, Qu'enfin je crus devoir y mettre le holà. Je suis bien à mon aise avec mon Mariage. J'en enrage, Mais Don Garcie... C'est un vieillard colère, et jusqu'à dégainer. Au besoin tu manques de prudence. S'il faut que je le tue ? En suite d'un combat où j'aurai tout risqué, Si mon bien se confisque  ? Toi-même en cas pareil te voudrais-tu bien battre ? Tu fais le Diable à quatre ! Guzman a du courage ? L'on y peut beaucoup perdre, et l'on n'y gagne guères. Pourquoi ? Ces Esprits de Madrid sont prompts comme le Diable. Que ne suis-je à Tolède ! Il faut l'amadouer, Car tentant le hasard, sur quoi que je me fonde, Il me faudrait quitter le Pays, ou le Monde, Et je me trouve bien, ma foi, dans tous les deux. Mais Diable, le voici, ce redoutable Preux, Ah, pauvre Don Bertran ! Dites. Quiconque marche droit, sans fraude, et comme il faut, Ne fait rien en cachette, et parle toujours haut. Quant à moi, je ne crains nullement qu'on m'entende. Hier quand je vous parlai, je parlai haut et net, Je ne demande rien que je ne veuille faire, Et vous pouvez choisir de parler, ou vous taire. Il est vrai, je veux bien l'avouer entre nous. Hier transporté d'amour j'eus l'âme un peu hautaine, Vous n'eûtes pas de moi satisfaction pleine, Je fis trop peu d'état de votre compliment, Vous vouliez m'honorer fort amiablement, Venir jusqu'à Tolède avec toute la Bande, Et c'était-là me faire une grâce fort grande, Je devais l'accepter, je l'avoue à ce coup, Car vous êtes brave Homme, et vous valez beaucoup, Gracieux, obligeant ; de plus, je considère Que vous étiez ami de feu Monsieur mon Père. Ainsi par ses raisons, pour refaire la paix, Vous serez de ma noce, et je vous le promets, Prenez place au carrosse auprès de l'épousée, Et pour rendre entre nous cette paix plus aisée, J'aurai deux violons pour nous faire danser. Vous êtes mon ami plus qu'on ne peut penser, Et pour l'amour de vous je me mettrais en pièces. Combien avez-vous de Maîtresses  ? Je vous trouve bien fait, vous avez l'oeil mignon, Et la mine surtout d'être bon compagnon. Quoi, vous auriez encor quelque chose à me dire  ? Vous ne me direz rien que de fort à propos  ? Parlez donc, car je pense Que je suis en humeur de donner audience. Tant pis, si vous n'êtes en grâce. Depuis combien de temps lui donnez-vous la chasse  ? C'est bien s'être aveuglé Que souffrir si longtemps son esprit déréglé, Car vous en aurez vu quelques extravagances  ? D'une amour réciproque avez-vous quelques gages  ? Quoi, vous ayant toujours fait mine peu civile, Cette nuit seulement elle a changé de style  ? Je gagerais ma peau Qu'elle croyait parler à l'homme à son Taureau, Et que sa vision lui tenait à la tête. Mais passons outre ; enfin quelle est votre requête  ? Ah, si je la contrains, je veux que l'on me pende ; Mais aussi, si je fais ce coup d'Ami pour vous, Vous satisferez l'Hôte, et vous payerez pour tous. Je fis hier par amour dépense assez complète, Et je vous y transporte et mon droit et la dette. À la bonne heure, soit. Mais avecque ma Soeur la voici qui parait, Je veux tout maintenant vous en faire remise. Oui bientôt. Approchez, belle Nymphe aux yeux doux. Donnez-moi votre main. Touchez-là. Vous, vite, et sans plus de mystère. Don Félix vous en conte, il est de vous chéri, Je vous fait son épouse, et lui votre Mari. Je ne fus convoiteux jamais du bien d'un autre. Sachez qu'onques à vous n'appartint tel honneur. Mettons bas les finesses, L'on sait, ce que l'on sait, et... mais je ne dis mot. Si plus on m'y retient, je veux passer pour sot. Perd-elle contenance  ? Vous entretenez donc de nuit le cavalier, Et quand à votre chambre on va vous épier, On vous blesse, on fait tort à votre prud'homie. C'est un brave cousin, Il veille à mon honneur comme je le souhaite. Je sais si c'est par ruse, ou de force, ou de gré, Taisez-vous. Vous êtes forte en gueule. Votre langue a passé de nouveau sous la meule, Elle est bien affilée. Jusqu'à quand voulez-vous discourir  ? Diable, que de paroles ! Enfin je vous mettrai dehors par les épaules. C'en est trop, allez voir là dehors si j'y suis. Or sus, nos deux Amants, sans tarder davantage, Parlez, je jugerai de votre différend. Vous ai-je pas bien dit que c'était vision, Qu'elle croyait parler à son galant d'idée  ? Cherchez fortune ailleurs, l'affaire en est vuidée. À bien et justement raisonner là-dessus, Vous m'aimez mieux que lui  ? Mais certain Cavalier ne vous saurait déplaire  ? Celui du taureau. Feinte à part, vous l'aimez ? Guzman. Aimez ce beau Galant, je n'en suis point jaloux. Je consens qu'il le soit, et lui cède ma place. Non, j'y consens, vous dis-je, et serai son Ami, Mais à condition qu'il se rendra visible. Si la chose est possible, Faites que je le voie. Elle en tient. Adieu, jusqu'au revoir, la belle Aventurière. Ah, ma soeur la mutine, Vous traitez donc ainsi l'amour à la sourdine, Tête à tête de nuit, et vous faites complot De mettre voile au vent tous deux sans dire mot  ? Taisez-vous, je vous prie. Doncques vous rompez tout si l'on ne vous marie  ? Taisez-vous, vous dis-je, et point de bruit, Vous serez mariée à qui vous en poursuit. Quant à vous n'ayons point de querelle, Elle vous amourache, aussi faites-vous elle, Vous en voulez par là, j'en suis très fort joyeux ; Mais vous l'épouserez, ma foi, pour ses beaux yeux. Prenez, je vous la livre, elle est et belle et droite, N'a nuls défauts cachés, ne cloche, ni ne boite, C'est comme il vous la faut, vous serez bien conjoints. Non, mais quoi qu'il en soit, C'est sa faute et la vôtre, et qui la fait, la boit. Vous en voulez tâter encor qu'il m'en déplaise ; D'accord, oui, passez-en votre envie à votre aise, Mais que je donne rien, ou contribue aux frais... Laisser ainsi ma Soeur ! Je m'en aperçois bien, Mais je l'estropierai. Il faut... Cet infâme En a, vous le voyez, laissé gâter la lame ; Elle est toute rouillée, et je crois que sans vous Pour son manque de soin je le rouerais de coups. Ma foi, c'est son affaire, Qu'elle y soigne. Si le coeur vous en dit, ma Soeur, courez après, Je ne m'en mêle plus, c'est un point de chicane, Et d'ailleurs, s'il n'a soif, fera-t-on boire un âne  ? Elle pleure, Les oiseaux étaient drus, ils se sont dénichés. Pleurez, ma pauvre Soeur, pleurez pour vos péchés. De grâce, dites-moi, mon prétendu Beau-père... Si vous l'êtes jamais, je veux être pendu. Pour la seconde fois j'en jure de la sorte, Si c'est trop peu jurer, que le Diable m'emporte, C'est tout dire, on doit croire un homme à son serment. Vous me pensiez mener par le nez comme un Ours. Vous êtes bilieux autant qu'homme du monde, Vous deviez donner prompt remède à cela. Je compose un onguent... Je ne suis pas un sot, et cela vous suffise. Et si sa vision la prenant au collet, Elle s'en va sauter au cou de mon valet Le croyant Chevalier de l'Animal à cornes  ? Ne faites point le fin. Mais dites, son cerveau (car je sais tout enfin) En quel temps reçoit-il cette idée importune  ? Est-ce dans la nouvelle, ou dans la pleine Lune  ? Doncques elle n'a point la cervelle blessée De cette chimérique et fantasque pensée, Qu'à la valeur d'un Brave en un pressant danger... Mais la voici qui vient pour vous faire enrager, Nous allons tout savoir. Et bien, la belle, enfin nous tiendrez-vous parole  ? Oyez, mais par ma foi, c'est méchanceté pure, Et vous savez fort bien où lui tient l'enclouure. Ignorez donc, il m'importe fort peu, Je retire sans bruit mon épingle du jeu. De peur d'engendrer noise, usez-en tout de même. C'est stratagème encor  ? Vous a-t-on demandé votre avis là-dessus  ? Vous tairez-vous jamais  ? Est-il vrai  ? Dites-moi, Vous fait-il les yeux doux  ? Quand je vous eusse vu en compétence d'âge, Je voulais avec vous en faire un mariage, Même je l'appelais déjà mon Héritier, Comme si j'eusse dû ne me point marier, Et le galant me joue ! Ah si je ne me venge... Je suis bien ennuyé de vous ouïr jaser ; Sans cesse vous parlez si je ne vous fais taire. Mais voici mon Cousin. Venez le Débonnaire, Qui faites l'amiable et qui me trahissez. J'en sais plus que vous ne pensez, Et vous ferai bien voir que je suis hors de page. Vous n'avez subsisté que par le cousinage, Et sans moi qui fournis, et peut-être dès demain Vous tireriez la laine, ou vous mourriez de faim  ? Je prenais Isabelle Seulement sur le bruit qu'elle avait d'être belle, Car du reste, néant, elle n'a pas un sou. Vous lui parlez d'amour au mépris de ma flamme  ? Mariez-vous sur l'heure, et la prenez pour Femme, C'est par où je prétends me venger de tous deux. Elle, sans aucun bien, vous, passablement gueux, Allez, vous connaîtrez plutôt qu'il ne vous semble Quel Diable de rien c'est, que deux riens mis ensemble. Dans la nécessité vous n'aurez point de paix, L'amour finit bientôt, la pauvreté, jamais. Afin que tout vous semble aujourd'hui lys et roses, J'aurai soin de la noce, et paierai toutes choses, Mais vous verrez demain qu'on a peu de douceur À dîner d'un Ma vie, à souper d'un Mon coeur, Et qu'on est mal vêtu d'un drap de Patience Doublé de Foi partout, et garni de Constance. Où je parle, où je suis, c'est à vous de vous taire. Je vous l'ai dit cent fois, vous n'en voulez rien faire, Parlez tout votre saoul, ma Soeur, mais sur ma foi ; Vous ne vous marierez jamais non plus que moi ; Je hais qui comme vous incessamment babille, Et pour vous en punir vous mourrez vieille fille, Allez, n'en doutez point, c'est un coup sûr pour vous. Or sus, futurs époux, Vous promettez-vous pas une foi réciproque ? Ah, Don Alvar vous choque ? Qu'y trouvez-vous à dire ? Il est beau, doux, bénin, D'assez belle encolure, et de plus, mon Cousin, Cette qualité seule est assez noble et haute ; Il est vrai qu'il est gueux, mais ce n'est pas ma faute, Son Père avait du bien jadis, et... Oui, mais je n'en veux plus puisqu'elle n'est pas sage, Elle aime mon cousin, mon Cousin l'aime aussi ; Qu'il l'épouse s'il veut, j'en prends peu de souci. Quoi, cela n'est pas vrai  ? Ah, Guzman, je croyais que tu m'eusses fourbé. N'importe, épousez-là, Cousin, je vous en prie. J'aime mieux tous les ans M'obliger par contrat à vous donner cent francs. Au moins il me le semble. Ah! Vieillard sans pitié. La moitié de mon bien! Guzman, le coeur m'en saigne. J'y pense, j'y repense, et plus que tu ne penses, Et je trouve après tout qu'il est fort à propos Que je ne fasse point nombre parmi les Sots. Déjà la Confrérie est assez belle et grande, Sans m'aller de surcroît mettre encor de la bande. Je suis vieux, elle est jeune, et n'a pas l'esprit droit, Et si j'en réchappais le Diable s'en pendrait. Vous avez grande hâte, Laissez-moi prendre avis, rien encor ne se gâte. Ah, le pressant Grison, Qui fait le raisonnable, et parle sans raison ! Puisque aussi bien pour nous c'est un mal nécessaire, J'aimerais mieux avoir deux Femmes qu'un Beau-père. Avecque bouche à Cour, et deux mille ducats, Je crois que mon Cousin ne vous déplaira pas. De pareil revenu j'ai certain héritage Que je lui donne en propre, et dont pourtant j'enrage, Mais je mérite bien qu'on rie à mes dépens. Vous l'êtes donc aussi  ? Si jeune, vous craignez son esprit peu traitable, Vieux, elle me ferait donner cent fois au Diable Pour m'en débarrasser donnez-lui votre foi. Je ne vois point ma Soeur. Je crois de cet Hymen qu'elle est peu réjouie. Le chien et le sot mal qui la prend tous les jours ! Peut-être que ma Soeur est prête à rendre l'âme, Et vous voulez ici faire le gracieux  ? **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONALVAR *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donalvar Le Ciel, ô Don Garcie, Vous comble d'un bonheur où chacun porte envie ! Vous savez ce qu'ici je viens vous demander. Non, je ne saurais tarder. Enfin par ses désirs mon pouvoir est réglé. Sa volonté le borne, et ma charge est expresse, Je vous dois de sa part demander sa Maîtresse, La mener en carrosse, et la suivre à cheval. Des coups que vous portez on veut me garantir, Madame, et si l'on cache à ma débile vue Les célestes attraits dont vous êtes pourvue, L'on connaît que l'éclat n'en peut être souffert, Que je pourrais me perdre où tout autre se perd, Et malgré le respect où mon âme est forcée, Permettre pour le moins un crime à ma pensée. Moi, Madame, en changer ! Ce sentiment m'outrage, Et vous devez penser qu'au mérite toujours... Il n'est pas nécessaire Que vous quittiez Madrid pour une telle affaire. Don Bertran le défend. Il croit par ce billet que je dois vous laisser, Vous ôter sur ce point tout lieu de balancer, Et veut, comme bon Gendre, épargner à votre âge La peine et l'embarras de faire ce voyage. Enfin vous résoudrez sur ce qu'il a souscrit. Ce caprice pour lui m'oblige de rougir, Mais j'ai beau l'en blâmer, c'est sa façon d'agir. Il ne s'en peut défaire. Il ne s'aperçoit pas qu'on le raille. Qu'il faut que toute autre lui cède, Et qu'elle a trop d'esprit pour ne pas être laide. Que vois-je  ? Hélas ! Guzman. C'est celle que j'adore, et qui me doit la vie. Je suis perdu, Guzman, si l'hymen s'accomplit. Elle est incomparable, et digne qu'on l'adore. Tu m'avouerais que non si tu voyais mon coeur. Je commence. Amour, seconde-moi. En un jour de Taureaux, hors Madrid, dans la plaine, Un Cavalier suivait une route incertaine, Lorsqu'un digne spectacle ayant frappé ses yeux Réveilla tout à coup son esprit curieux. Une Dame, en sa taille à nulle autre seconde, Semblait pour être seule avoir fui tout le monde, Et loin des yeux publics venir rêver exprès Où le courant du Fleuve offre un aimable frais. Il s'arrête, et de loin surpris il examine Quel dessein peut avoir cette Beauté divine, Qu'à son port il croit telle, et digne de l'ardeur Dont peut un bel objet enflammer un grand coeur. Mais dans cette surprise il ne demeura guères Qu'un fier Taureau s'échappe, et force les barrières, Et de cette Inconnue eût terminé les jours, S'il n'eût été du Ciel conduit à son secours. Il s'avance, il s'écrie, et voit avecque joie Que toute sa fureur sur lui seul se déploie. Avec un peu d'adresse il évite d'abord Dans sa première rage une infaillible mort, Tant que prenant son temps enfin il sait l'abattre ; Et le met d'un seul coup hors d'état de combattre. Quelle pouvait alors être cette Beauté Qui se croyait encor à peine en sûreté ! Il la voit toute pâle, et son charmant visage Cacher tous ses attraits sous un petit nuage, Mais s'étant rassurée au succès du combat, Cette même pâleur en rehaussa l'éclat, Avec qui la pudeur faisant un doux mélange Aux yeux du Cavalier la fit paraître un Ange. Mais quels charmes nouveaux et quels ravissements Quand son esprit parut dans ses remerciements ! Avecque tant de grâce elle se plaît à dire Qu'elle tient de lui seul le jour qu'elle respire, Que charmé d'un esprit et si prompt et si vif, De son libérateur il devient son captif ; Dans ses yeux aussitôt sa passion éclate. En ce point toutefois elle se montre ingrate, Qu'osant de sa vertu former quelque soupçon Elle reste obstinée à lui cacher son nom. D'ingratitude en vain son reproche l'accuse, Une raison secrète est toute son excuse, Se découvrir à lui c'est se mettre en danger, Et s'il la veut enfin pleinement obliger, Il faut qu'il se résolve à taire sa victoire, Et qu'il n'en cherche point d'autre fruit que la gloire. Il s'engage au secret, il en donne sa foi, Et de cette parole il se fait une loi. Enfin elle le quitte, et joint une autre Dame, Sans donner plus d'espoir à sa nouvelle flamme. Il les voit tout confus d'un regard curieux, En s'éloignant de lui, jeter sur lui les yeux, Il se donne à les suivre une peine inutile, Entrant dans un carrosse elles gagnent la ville, Ou pendant quelque jour il tâche à découvrir Quel est ce cher Objet qu'il a su secourir. Cependant un Ami, marié par promesse, L'engage d'aller voir avec lui sa Maîtresse ; Mais quel sensible coup à son coeur enflammé, Lorsqu'en elle il connaît l'Objet qui l'a charmé, Qu'il voit un autre heureux, et qu'enfin on s'apprête À l'enrichir bientôt de sa propre conquête ! Il soupire, il lui parle, et devant son Rival, Sans qu'il s'en aperçoive, il lui conte son mal. Elle en paraît surprise, il l'attendrit sans doute, Avec émotion il voit qu'elle l'écoute, Mais sa seule espérance est dans le désespoir, Puisqu'elle s'abandonne à son triste devoir. Au récit du malheur dont le destin l'accable. Jugez s'il fut jamais amant plus déplorable. Que dites-vous, Madame  ? Ah, s'il osait le croire, Qu'en un si grand malheur il trouverait de gloire ! Vous trouvez cependant qu'ils sont tous deux à plaindre  ? Si d'un pareil malheur vous ressentiez les coups, Contre ou pour cet Amant que résoudriez-vous  ? Qu'obtiendrait-il, Madame  ? Ce serait le combler d'une joie infinie Que... Vous m'aviez demandé quelque histoire amoureuse. Jamais fou plus avant poussa-t-il sa folie  ? Hélas ! Ne t'en étonne plus, Je meurs pour Isabelle, et mon âme asservie... Est la source des maux que je souffre en aimant : J'ai rencontré la mort dans mon champ de victoire, Et j'en viens d'en conter la pitoyable histoire. Que si jusqu'ici je t'en ai fait secret, On m'en avait prié, Guzman, je suis discret. La digne Amante ! Si pesante de corps, et l'esprit si léger, Soeur d'un Frère si fou, qui s'en voudrait charger  ? Mais elle te parlait tantôt  ? J'ai bien d'autres soucis en tête. J'aime. Un mal beaucoup plus grand, Guzman, je suis jaloux. Ce cavalier me donne de l'ombrage Qui voulait avec nous achever le voyage. Il ne s'est point ici rencontré sans dessein, Sans doute un même feu nous échauffe le sein, Isabelle le charme, il la suit, et peut-être Il a gagné son coeur, il s'en est rendu maître. Guzman, s'il est ainsi, ma flamme a peu d'espoir. Parle donc, et de tout nous résoudrons après. Sa présence à ma flamme est toujours importune. Quoi, tu crois qu'Isabelle y pourrait consentir  ? Je viens à ce dessein : Frappe, voici sa chambre. J'ai bien tout observé de peur d'en être en peine, Don Bertran choisissant cette chambre prochaine A voulu qu'Isabelle eût cet appartement. Oui, frappe assurément. Il n'importe. Mais quelqu'un parle, écoute, on ouvre cette porte, Voyons qui sortira. Ne craignez rien, c'est Don Alvar, Madame. Écoutez un malheureux Amant Qu'un destin trop cruel poursuit obstinément, Et qui prêt de vous perdre, en son malheur extrême Se croira soulagé s'il vous dit qu'il vous aime. Ce faible allégement dans un tel déplaisir Ne nous saurait coûter tout au plus qu'un soupir. Enfin, Madame, il n'est plus temps de feindre, Mon amour est trop pur pour le vouloir contraindre ; Qui languit sans espoir peut bien se déclarer, La plus âpre vertu n'en saurait murmurer. Par quel décret fatal me fûtes-vous connue ! Je vous perdis soudain après vous avoir vue, Cependant en secret mon coeur porte vos fers, Et quand je vous retrouve aussitôt je vous perds. Ô fortune obstinée à traverser ma joie ! À combien de douleurs mets-tu mon âme en proie  ? Par ce jaloux soupçon, allez, allez, Madame, Au-devant de celui qui règne dans mon âme. Seul à craindre pour moi  ? Don Félix vous adore. Et que peut Léonor, puisqu'un juste mépris Fut toujours de son feu l'unique et digne prix  ? Mon amour est extrême. En puis-je croire autant  ? M'aimez-vous  ? Il vaut mieux qu'il demeure, Et qu'il fasse le guet, afin de m'avertir Aussitôt qu'il croira que je pourrai sortir. Puis-je sortir  ? Quel malheur m'accompagne ! Ferme vite. Le soin de votre honneur comme parent me touche, Et pour y regarder je me cachais exprès. Ô disgrâce inouïe ! Guzman. Ah, quels déplaisirs ! Digne objet de ma flamme, écoutez mes soupirs. Voyez quelle douleur tient mon âme pressée À voir de vos beaux yeux la lumière éclipsée. Vous seule sur mon coeur régnez absolument, Et je n'aime le jour que pour vous seulement. Enfin, je vous adore, Ma chère Léonor, respirez-vous encore  ? D'un coup d'oeil pour le moins répondez à ma voix. Madame... Ah, ne punissez pas avec tant de rigueur Un crime de ma langue, et non pas de mon coeur. Ne vous alarmez point d'une si vaine flamme, Que feignant de nourrir je désavoue en l'âme. De peur que Don Bertran par un soupçon jaloux N'ose imaginer que je brûle pour vous, Exprès pour Léonor je me feins l'âme atteinte. Quel malheur est le mien  ? N'écouterez-vous point... Je ne vis que pour vous, seule je vous adore, Votre amour fait ma joie ; en faut-il plus encore  ? J'abhorre Léonor, et par de vains efforts... J'aime, je dis... Moi, que dans votre chambre... Isabelle, de grâce, Daignez ouïr... Léonor. Où l'as-tu donc laissé  ? Ce Beau-père obstiné le tient bien en cervelle  ? Et c'est ! Tu me donnes, Guzman, une joie infinie. Aussi crois... Ah, Guzman, je l'adore. Assez pour avoir lieu de croire que son coeur Est le prix du beau feu dont je ressens l'ardeur. Léonor cette nuit l'a tenue inquiète, Mais elle a trop connu par quel adroit détour Pendant sa pâmoison je feignais de l'amour. J'ai dissipé sans peine un si léger nuage. Loin de s'en défier, Croyant que tout de bon j'ai voulu l'épier, Et que cette action me la rend trop sévère, Il a pris soin pour moi d'apaiser sa colère, Nous a fait embrasser, et promettre tous deux Que jamais... Ah, Jacinte, et bien serai-je heureux  ? Sais-tu quels sentiments a pour moi Don Garcie  ? N'importe, le temps presse, il faut se déclarer, Ce que j'ai fait pour lui me permet d'espérer. Peut-être qu'à mes voeux il sera moins contraire Sachant que c'est par moi qu'il se voir encor Père. Suivons notre dessein au péril du refus. Moi, vous trahir ! Ce reproche est honteux. Qu'en voulez-vous conclure  ? Écoutons le Beau-père avant que de parler. Je pourrais la connaître et la trouver charmante ! Je pourrais soupirer pour une extravagante, Qui s'ose imaginer qu'au péril de mes jours J'ai su contre un Taureau lui parler du secours ! Non, c'est pure folie Qui lui met en l'esprit qu'elle me doit la vie, Et cela va si loin, qu'enfin il m'a fallu Accorder malgré moi tout ce qu'elle a voulu, Et flatter son esprit de quelque espoir frivole. Qu'en ferai-je sans bien  ? L'offre est avantageuse  ? Pour avoir lieu de l'être Sa folie est trop grande, et se fait trop paraître, J'aurai bien à souffrir d'un esprit si léger ; Mais pour vous satisfaire, et pour vous obliger... Cet ordre à mon amour est une douce loi, Mais si vous n'approuvez le beau feu qui m'anime... De grâce oublions tout. Puis-je espérer, Madame. Suivons, et devant lui ne parlons que des yeux. **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONFELIX *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donfelix Ô lieu pour moi funeste ! Hélas, Mendoce, hélas ! Ne me demande point le sujet qui m'amène ; Si tu savais mon mal, si tu savais ma peine, Tu me confesserais qu'en de tels déplaisirs C'est peu que d'exhaler sa douleur en soupirs. Que te dirai-je  ? Hélas ! Je viens mourir ici, Et rendre témoignage à la Beauté que j'aime, Que comme sa rigueur mon amour est extrême. Pour en guérir sitôt la cause en est trop belle. Depuis combien de temps adorai-je Isabelle Sans que jamais refus, ni mépris, ni froideur, Du feu qui me dévore ait modéré l'ardeur  ? Cependant, ô disgrâce à qui raison cède Don Garcie aujourd'hui la marie à Tolède, Don Bertran son époux l'attend ici ce soir, Toute prête à partir on me l'a fait savoir, Et je viens empêcher, ou par force, ou par ruse, Qu'un autre n'ait un bien qu'à ma flamme on refuse. L'espoir est si charmant qu'on ne s'en peut défendre. Malgré de mon destin l'impitoyable loi J'espère en Isabelle, en Don Bertran, en moi. Je sais que son bien seul le rend recommandable, Et qu'il sert à chacun de risée et de fable. Il est brutal, bizarre, et peut-être à le voir, Isabelle oubliera ce trop cruel devoir, Dont l'âpre austérité la force en dépit d'elle De courir en aveugle où sa rigueur l'appelle. Je parlerai, Mendoce, et ce peu que je vaux Se fera mieux connaître auprès tant de défauts, Il pourra m'acquérir le coeur de mon ingrate, Et faire réussir l'espoir dont je me flatte. Que si trop de vertu l'oblige à se trahir Jusqu'à vouloir me perdre en voulant obéir, Comme ce Don Bertran n'agit que par caprice, J'empêcherai par lui que l'Hymen s'accomplisse, Et le faisant entrer en doute de sa foi, Je saurai travailler et pour elle et pour moi. L'artifice en amour fut toujours légitime ; Feindre d'en être aimé n'est pas faire un grand crime, Et peut-être par là mon Jaloux alarmé Me cédera l'objet dont mon coeur est charmé, Et sur un tel soupçon l'âme toute incertaine... Et bien, Mendoce, vois ce lourdaud, ce grossier, C'est là ce Don Bertran. À voir ce que le ciel aujourd'hui lui prépare, Je la crois d'un mérite et bien haut et bien rare ; L'éclat de son bonheur blessera bien des yeux. Est-il supplice égal à l'excès de ma peine  ? Mendoce, elle me voit. J'éprouve le contraire, hélas, à mes dépens. À la voir seulement que mon âme est ravie ! Je prends si grande part à tous vos avantages, Que demain avec vous, pour en être témoin, J'irai jusqu'à Tolède. Mais... Je vous honore assez... Vous pourriez aujourd'hui me refuser ce point, À moi qui... J'étais fort grand Ami de Monsieur votre Père, Il m'estimait beaucoup. Quelle étrange saillie ! Adieu, ne craignez point que je suive vos pas. Marche sans faire de bruit. À ma mort souffre que je m'oppose ; Que je voie Isabelle, et tâche à détourner Le coup trop inhumain qui doit m'assassiner. Il faut que je lui parle. Mon amour est pour elle une nécessité, Pour ne pas se résoudre à vivre infortunée Sous les honteuses lois d'un indigne Hyménée. Sais-tu quelle est sa chambre  ? En as-tu pris souci  ? Ne te trompes-tu point  ? Frappe tout doucement, s'éveille-t-elle  ? Écoute. Éloigne-toi. Oui, c'est moi, Qui vient vous rendre ici ce qu'un feu pur et tendre. Mon amour s'exprimait assez par ma langueur, Et mes yeux vous disaient les secrets de mon coeur. Mais devant Don Bertran vous pouvais-je, madame, Parler plus clairement de l'ardeur de ma flamme  ? Oui, Madame, il en est, et sans que je m'explique, Je puis vous affranchir d'un joug si tyrannique, Mais quoi que j'entreprenne, y consentirez-vous  ? Qui peut ainsi crier  ? Tu m'avais dit qu'ailleurs il s'était retiré. Rentrons. Vous l'a-t-on mis en garde  ? Ne vous plaignez donc point de voir... Sachez donc... Viens, Je renonce enfin à l'amour d'Isabelle. Dans sa chambre un Galant, de nuit ! Ah l'Infidèle ! Laissons, laissons au Ciel le soin de la punir. J'ai deux mots à vous dire. Mais en secret, faites qu'il se retire. Certes avecque vous la courtoisie est grande, Que vous ne vouliez pas éloigner un Valet. J'ai toujours grand sujet de me louer de vous. Ce n'est pas là... Enfin venons, de grâce, au point que je désire. Oui, de fort important, j'aurai fait en deux mots. Vous m'en remercierez. Je meurs pour Isabelle, et cet Objet vainqueur Malgré ma résistance a captivé mon coeur, Je l'adore. Depuis un an ou deux. L'Amour se fortifie au milieu des souffrances. J'ai langui sans murmure, et toujours espéré Qu'enfin je pourrais voir son esprit modéré ; Le temps dissipe encor de plus sombres nuages. J'ai poussé jusqu'ici mille soupirs en vain, Mais se voyant réduire à vous donner la main, Avec moi cette nuit elle s'est déclarée, J'ai reçu de sa flamme une preuve assurée, Un doux oui de sa bouche, après tant de mépris, De ma constance enfin se trouve être le prix. Et n'est-ce pas assez  ? Que sachant qu'elle m'aime, et ne vous aime point, Vous ne sépariez pas ce qui semble être joint, Et sans plus la contraindre à ce qu'elle appréhende... J'accepte l'un et l'autre. Puisque enfin mon Rival consent à mon bonheur, J'ose vous demander l'effet de vos promesses. Madame, à quel dessein voulez-vous ici feindre ? Don Bertran vous cédant, vous n'avez rien à craindre. Me faut-il un tel droit pour être votre époux, Et n'en ai-je pas... Déjà reçu parole ? Cette nuit, de vous. Oui, Madame, et prié de me couler sans bruit, Quand une voix soudain m'a fait quitter la place. Quoi, vous ne m'avez pas demandé du secours Contre un Hymen fatal au bonheur de vos jours, Juré que votre amour serait ma récompense  ? Quoi, mon rival se rend ? Quoi, j'aurai même appris de votre propre bouche Que son feu vous déplaît, que mon amour vous touche, Et tout cela, Madame, à ma confusion ? Après m'avoir promis cette nuit d'être à moi, L'Ingrate s'en dédire, et me manquer de foi  ? Ah, c'est trop s'exposer aux mépris d'une Ingrate, Quittons ces tristes lieux, et ne balançons plus. Ah, laissez-moi, de grâce, oublier l'Infidèle. Oui, je m'éloigne enfin, Et vais l'abandonner à son mauvais destin. Don Bertran, Don Alvar, tout m'est indifférent, Et mon départ bientôt lui va faire connaître Qu'elle est en liberté de se choisir un Maître. C'est par le mépris seul qu'on venge le mépris. Ne pouvant rien pour moi, pour vous que puis-je faire  ? Vous l'aimez  ? Mais dans un rendez-vous, à ce que l'on m'a dit, Sa flamme cette nuit pour vous s'est fait paraître  ? En quel aveuglement ai-je été jusqu'ici  ? Tu m'as dit vrai, Jacinte, et j'en suis éclairci. Enfin soyez désabusée D'une erreur que la nuit entre nous a causée. Dans l'ombre de la nuit, d'amour préoccupés, Nous nous sommes tous deux également trompés, Vous, touchant Don Alvar, moi touchant Isabelle ; Vous me preniez pour lui, je vous prenais pour elle. Oui, c'est moi Qui cette même nuit vous ai promis ma foi, Et me suis engagé de tout mettre en pratique Pour vous soustraire au joug d'un pouvoir tyrannique Abuser Don Bertran, vous tirer de ses mains, Et faire réussir de plus justes desseins ; Mais j'ai cru qu'en effet... Quant à moi... Me voici marié quand j'y pensais le moins. Mais encor, parmi vous, de grâce, est-ce la mode De se défaire ainsi d'une soeur incommode, Sans avance, sans dot  ? Allez, Mendoce, allons. Vous suivrez en carrosse, Je m'en vais préparer le festin de la noce, Je vous attends demain à Madrid pour dîner. Vous pourrez l'amener, Ou comme sous vos lois sa volonté se range, L'envoyer par Amis, ou par lettres de change. Tirer l'épée, et Guzman... Je craignais autre chose, adieu. **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LEONOR *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_leonor Quand vous vous marierez il n'y paraîtra plus. Toute douleur s'apaise auprès d'une Maîtresse. Ah, si pareil bonheur... Si vous vouliez pourtant... Don Alvar... Mais vous ne songez pas que je vieillis toujours. Puisqu'il m'aime... Vous devriez... Vous venez donc ici, monsieur, vous marier ? Qu'elle répond comme une autre ferait. Faites-la démasquer, mon Frère, il en est temps. Qui frappe à cette porte  ? Est-ce vous  ? Parlez encor plus bas, on pourrait nous entendre. Que vous me ravisez, et que j'ai souhaité Vous pouvoir un moment parler en liberté ! Mais je devrais montrer un peu plus de colère, Vous me voyiez tantôt, et vous pouviez vous taire  ? Il est vrai qu'il s'oppose au bonheur de mes jours, Mais pour moi contre lui n'est-il point de secours  ? L'amour... Adieu, séparons-nous. Ne vous arrêtez point dans cette galerie, Elle rentre. Mon frère, qu'avez-vous  ? Ne m'apprendrez-vous point quel est tout ce mystère ? Où l'avez-vous trouvé ? Et pour le sien aussi, Il vient voir Isabelle, il l'aime. Hélas, je n'en puis plus. Traître, perfide... Il faut te déclarer, imposteur, il faut dire Pour laquelle de nous ton lâche coeur soupire. Et pour elle et pour moi, tu feins les mêmes feux. L'aimes-tu  ? M'aimes-tu  ? Qui trompes-tu des deux  ? Parle donc à laquelle as-tu donné ta foi  ? Est-ce à moi, dis, parjure  ? Suis-je l'objet d'amour  ? Réponds. Tu cherches à fourber puisque tu t'interdis. Mais pourquoi, si tu mets tous tes soins à lui plaire, Cette nuit dans ma chambre as-tu feint le contraire  ? Pourquoi m'as-tu juré pour t'en justifier... Oses-tu le nier  ? Pour moi tu n'es donc que de glace  ? Sans vous inquiéter, dès ce matin, mon Frère, Mariez-vous ici. L'heure de déloger, mon Frère, est-elle prise  ? Le Cocher est tout prêt, et l'on attend que vous. Ces soins de votre honneur ne sont qu'une défaite, Car dans sa chambre enfin Don Alvar n'est entré... Dois-je pas... Ah, je ne puis souffrir Qu'un traître... Ai-je tort de tâcher... Quand pour vous détromper je fais ce que je puis. Guzman, que j'ai dans l'âme un déplaisir profond ! On rit... Si l'on rit, c'est du feu dont l'ardeur me possède. Et pour te découvrir le secret de mon coeur, Le traître Don Alvar se rit de ma langueur. Mais, Guzman, tire-moi de mon inquiétude. Qui le peut obliger à cette ingratitude, Car tu sais jusqu'ici qu'il m'a voulu du bien  ? Toi qui m'as tant de fois découvert sa pensée, Quand de quelque soupçon j'avais l'âme blessée, Tu ne me répons rien aujourd'hui là-dessus  ? Il se cache de toi  ? Mais cette nuit encor, ce qui me désespère, L'ingrat s'est voulu rendre à l'assignation, M'a fait un entretien rempli de passion. Cependant aujourd'hui, pour me couvrir de honte, Il veut faire passer tout cela pour un conte, Il dit qu'il n'en est rien. Cet outrage cruel redouble mon ennui, Car pourquoi dénier un point si véritable  ? Isabelle sans doute a pour lui trop d'appas, Et moi... mais Don Félix à grand pas se promène. Parle de ton côté, je vais parler du mien. Vous rêvez, je m'assure, aux mépris d'Isabelle  ? Vous partez, m'a-t-on dit  ? Ah, vous ne savez pas encor ce qui sa passe. Ce n'est qu'à Don Alvar que vous cédez la place, À l'amour de ce traître Isabelle se rend. Et, de grâce, changez un dessein trop tôt pris. Différez ce départ, vous m'êtes nécessaire. Du traître Don Alvar empêchez le projet. De ses feux Isabelle est le plus cher objet, Et je ne doute point que par votre présence Vous ne trompiez le cours de leur intelligence. Je l'adore, et l'ingrat me trahit. C'est ce qui me confond, il le veut méconnaître. Que dites-vous  ? Quoi, je vous ai parlé cette nuit  ? Si vous avez ouï... C'est à tort... Cessez de vous... Vous vous faites berner. Mais quoi  ? Don Félix tout exprès... Je suis bien malheureuse, au moins si je ne puis Vous obliger d'ouïr l'excès de mes ennuis. Souffrez-moi seulement de parler un quart d'heure. Il vaut mieux désormais me résoudre à me taire. De tout ce qu'elle dit apprenez qu'il n'est rien. Cette obligation n'est en effet qu'un conte Pour couvrir un amour dont l'aveu lui fait honte. Je ne me tairai plus, Aussi bien il est temps de vous faire connaître Que Don Alvar vous fourbe, et que ce n'est qu'un traître, Qu'il adore Isabelle. Et bien, contre l'ingrat ai-je parlé trop haut  ? Je suis de votre avis si son humeur ne change ; Mais s'il se résolvait enfin à m'épouser  ? Quoi, sur sa trahison loin de le quereller... **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Jacinte, que veux-tu  ? J'en suis au désespoir, Mais dans mon déplaisir j'écoute mon devoir, Et me résous enfin aux maux que me prépare L'aveugle ambition d'un Père trop avare. Qu'y puis-je faire enfin  ? Sa parole est donnée, Il le veut, et tu sais qu'il me vient d'avertir Que dans une heure ou deux je sois prête à partir ; Au malheur qui m'accable il n'est point de remède. Mais on me le commande. Sur cet article-là tu parais bien savante. Tu n'avais point encor étalé ta science. Et jaloux et bizarre, il sera mon époux. Il en faut présumer plus favorablement. Mon Père a fait ce choix, et tu sais comme moi Qu'en passant par Tolède il a promis ma foi ; Qu'à son retour tantôt j'en ai su la nouvelle, Et que de mon destin la tyrannie est telle, Que sans vouloir m'entendre, on m'ordonne demain De donner tout ensemble et mon coeur et ma main, Cet époux prétendu ne veut point de remise. Un père l'autorise. Le coeur secrètement me dit Qu'il a beaucoup de bien, mais qu'il a peu d'esprit. Puis-je juger en lui qu'une âme trop vulgaire Puisqu'il emploie ainsi l'autorité d'un Père  ? S'il n'avait cent défauts, il n'aurait pas voulu Faire agir contre moi son pouvoir absolu, Il me témoignerait qu'il sait comme l'on aime, Ne voudrait obtenir mon coeur que de moi-même, Et de cette conquête il confierait l'espoir À son propre mérite, et non à mon devoir. La curiosité marque une âme enflammée, Je n'en ai demandé ni le rang, ni le nom. Don Félix  ? J'aurai ce bien du moins dans ma triste infortune Qu'elle me défera d'une amour importune. Je ne sais quel Démon de mon repos jaloux, Où je dois me trouver, lui donne rendez-vous, Mais partout où je suis, au Temple, dans la rue, C'est le premier objet qui vient frapper ma vue. En effet, c'est une Ombre attachée à mes pas. Hélas, Jacinte ! Tu juges mal. Je n'ose te le dire, Et pourtant... Il est vrai. Je ne sais. Ne te souviens-il plus de l'accident funeste Que je cache avec soin à tout autre qu'à toi, Et qui depuis un mois m'a donné tant d'effroi  ? Lui-même. Sa vie en ma faveur promptement hasardée M'en a fait concevoir une si haute idée, Que malgré moi sans cesse elle offre à mon esprit... Adieu toute ma joie. Que veux-tu  ? Don Alvar  ? Un message pareil de sa part me surprend, Il n'est pas mon époux pour être son Parent. D'où lui vient ce pouvoir  ? Que ne me le vient-il expliquer en Personne  ? Don Bertran ! Que ce nom me semble ridicule ! Apprends-nous quel il est. À moi ! Qui  ? Ma fille. J'ai six mille et quarante deux ducats de rente, et Don Alvar, mon cousin et prétendu beau-frère, est mon héritier si je n'ai point d'enfants. On m'a dit qu'en me mariant avec vous j'en pourrais avoir autant que bon me semblera. Venez donc dès aujourd'hui à l'Hostellerie d'Yllescas, où je vous attends pour traiter de l'un, et pour l'autre, nous y aviserons à loisir ; mais souvenez-vous que je suis dans une hostellerie, et qu'il y fait fort cher vivre en cette saison. C'est pourquoi ne perdez point de temps, partez promptement, et mettez un masque avant que mon cousin vous aille trouver de ma part, car le soin de votre honneur commence déjà à me regarder, et vous ne devez point vous laisser voir que je ne le juge à propos. Votre Mari Don Bertran de Cigarral. Et l'on peut m'ordonner d'épouser un tel homme ! Le joli compliment par où son feu débute ! Ah, Jacinte, s'il faut que l'accord s'exécute... Il parle à coeur ouvert. Je passerais partout s'il avait de l'esprit. Et qui est Don Alvar  ? Quel peut être ce vice  ? Si l'esprit n'est content, le bien est peu de chose. Elle a beaucoup d'appas  ? J'y puis bien être, hélas ! Si vous ne révoquez l'arrêt de mon trépas. Vous-même jugez-en ; que puis-je me promettre, De qui m'ose envoyer une si belle lettre  ? Le compliment en est rare et nouveau. Il n'en arrivera que ce que j'en prévois, Ses six mille ducats plairont plus qu'à moi, Et son coeur se rendant à de si honteux charmes Sans en être touché, verra couler mes larmes. Et bien, que dites-vous d'une telle sottise  ? Mais ce n'est qu'un vilain, un avare. Il est capricieux. Il est opiniâtre, et commande à la baguette. . C'est bien vouloir ma perte et haïr mon repos Que de me marier ainsi mal à propos. Le ridicule époux ! Ah, j'en perds patience. J'aimerais mieux cent fois entrer dans un Couvent. Mon père, si mes pleurs... Ô coup qui m'assassine ! Il est inexorable, et je n'y gagne rien. Ô Ciel, que vois-je ! Hélas, Jacinte, c'est lui-même. C'est lui, cet Inconnu que j'aime. Qui m'a sauvé la vie, et dont je t'ai parlé. Vous me confirmer bien ce qu'on m'a toujours dit, Que la civilité n'est pas toute à Madrid. Trouver lieu sans me voir à tant de flatterie, C'est le dernier effet de la galanterie ; Mais peut-être tantôt, lorsque vous me verrez, D'un pareil compliment vous vous repentirez, Vous changerez sans doute et d'âme et de langage. A-t-on jamais parlé de telle extravagance  ? Elle est assez étrange. Hélas ! Quelle espérance à mon âme est permise  ? Ô le vilain époux ! Est-il rien de plus laid  ? Ô Ciel, quelle surprise  ? Que Don Félix ainsi vienne mal à propos Jusqu'ici me déplaire, et troubler mon repos ! L'impertinent discours! Quelle réponse y faire ? Le silence est l'effet de l'admiration, Et vos rares vertus qui font que je soupire M'étonnent tellement que je ne sais que dire. Leur éclat a surpris mon coeur au dépourvu, Et si sans vous connaître et sans vous avoir vu, Les compliments civils dont votre lettre est pleine M'ont interdit les sens, et mis l'âme à la gêne ; Jugez si je les puis aisément rappeler, En vous voyant vous-même et vous oyant parler. C'est à moi d'obéir puisque vous l'ordonnez. As-tu jamais ouï discours plus ennuyeux ! Don Alvar est flatteur. Votre entretien est tel que je n'ose y prétendre ; Cessez de profaner un discours si poli. Je le crois. Je plains fort l'un et l'autre, et doute qui des deux En ce triste rencontre est le plus malheureux. Un bienfait peut beaucoup sur un noble courage, Peignant un grand mérite en secret il engage, C'est un fidèle agent qui parle nuit et jour, Dans la reconnaissance il entre un peu d'amour, Sa flamme sous ce masque aisément se déguise, L'on court même au-devant de sa douce surprise ; Tant il est difficile, après un tel bonheur, De donner son estime, et de garder son coeur. De cette Dame ainsi le malheur est extrême, Car enfin elle perd ce que sans doute elle aime, Et pour comble de maux, dans son affliction On la livre à l'objet de son aversion. Si par un si grand service il l'a su mériter, Sans l'en juger indigne, il n'en saurait douter. C'est ne l'être pas peu qu'être réduits à feindre. Que résoudrais-je, hélas ! Pour le prix de sa flamme Il aurait mes soupirs au défaut de mon âme, Et s'il m'était permis de disposer de moi... Et mon coeur, et ma foi. Tout doux, mon Cousin, et sans cérémonie, Vous vous émancipez ; un peu plus bas d'un ton. Diable, quelle Commère ! Elle entend le jargon ! J'ai fait cette réponse avec grande innocence. Ah ! Le coeur va me manquer si ce discours ne cesse. Non, non, je ne veux pas me manquer au besoin ; Allons trouver mon Père, et quoi qu'enfin prétende... Que veux-tu que j'attende  ? Que demain de nouveau cet odieux époux M'ôte la liberté d'embrasser ses genoux, Et de le conjurer, s'il m'a donné la vie, De ne pas consentir qu'elle me soit ravie  ? Ô destin trop contraire ! Faut-il qu'un peu de bien aveugle tant un Père, Qu'il s'en laisse éblouir, et qu'un si vil poison D'une honteuse atteinte infecte sa raison ! Mais sans plus balancer, rendons au vrai mérite Le tribut innocent dont il nous sollicite, Et s'il faut aujourd'hui se résoudre d'aimer, Faisons un digne choix qu'on ne puisse blâmer. Mais que dis-je  ? Il est fait, et ce serait un crime De payer tant d'amour par une simple estime. Vivons pour Don Alvar, et jusques au tombeau, S'il m'aime... Quelqu'un nous écoutait, et j'ai trahi ma flamme. Ah Ciel ! Don Alvar ! Hélas ! N'accusez aujourd'hui la fortune de rien, Ce n'est qu'aux malheureux que la plainte sied bien. Je ne cèlerai point que votre amour me touche, Puisque vous avez pu l'apprendre de ma bouche, Et que par cet aveu qui rend mes sens confus Mes derniers sentiments vous sont assez connus. Cessez donc de pleurer ma perte imaginaire, Je ne dépends point tant des volontés d'un Père, Qu'écoutant un devoir à mon repos fatal, Je me laisse contraindre à l'amour d'un brutal. Mon coeur, dût-il souffrir une peine infinie, Saura se dérober à cette tyrannie ; Mais je découvre trop dans ce triste revers Pourquoi vous me perdez, et pourquoi je vous perds, Vous aimez Léonor, Léonor vous engage, Elle seule aujourd'hui charme votre courage, Et je ne puis prétendre à m'acquérir un coeur Qui reconnaît les lois d'un plus noble vainqueur. D'où vous pourrait venir ce sentiment jaloux, Quand je romps un Hymen seul à craindre pour vous  ? Que peut-il contre vous  ? Je le hais, je l'abhorre. Enfin donc vous m'aimez  ? Je vous aime, Mais il faut empêcher... Quoi, vous aussi  ? Et Guzman  ? Quoi, l'épée en main ! Que veut dire ceci  ? Que me voulez-vous dire  ? Faites-vous l'insensé ! L'êtes-vous en effet  ? Que ferai-je ! Pour la mieux secourir un moment je la quitte, Viens Jacinte. Elle a la tête bonne, elle pèse beaucoup. Que vois-je  ? Juste Ciel ! Ne dissimule plus, traître, je te connais. Je vois les sentiments d'une âme toute lâche, Qui sous un faux semblant se déguise et se cache. C'est donc là ce beau feu dont tu t'osais vanter  ? C'est là ce digne amour dont tu m'osais flatter  ? Il me suffit, ne cherche point d'excuses, Don Félix obtiendra ce coeur que tu refuses, Il sera mon époux ; je le hais, mais enfin J'obéis pour te plaire à mon cruel destin, Et pour me punir mieux d'avoir dit que je t'aime, Je ne veux me venger de toi que sur moi-même. Puisqu'il ne t'entend point, à quoi bon cette feinte  ? Va, tu n'es qu'un ingrat. Non, je n'écoute rien. Lève le masque enfin, il faut cesser de feindre. Infidèle, est-ce à moi  ? Suis-je celui de haine  ? Tu l'aimes donc, perfide  ? N'en ayez point souci. Je ne puis vous le dire à moins que je devine. C'était à mon insu... Que prétendez-vous faire  ? Moi  ? Pouvez-vous me donner si je ne suis pas vôtre  ? Que vous ai-je promis ? Quel droit peut-il avoir de me donner à vous ? Quoi ? De qui ? Quand ? Moi, je vous ai parlé de toute cette nuit  ? Vous faites bien un conte, et de fort bonne grâce. Sans doute vous rêvez. Quoi, peut-on me traiter avec plus d'infamie ? Si j'ai vu de bon oeil Don Alvar ce matin, Apprenez que sans vous... Quelle brutalité ! Je le tiens tout jugé. Je n'examine point ici par quelle adresse Vous voulez m'imputer une fausse promesse, Mais sachez que jamais je ne vous promis rien, Que je n'aie point de nuit souffert votre entretien. Et que loin de me rendre à vos voeux plus sensible, J'eus pour vous de tout temps une haine invincible. Ne vous flattez donc plus, et tenez pour certain Que vous n'aurez jamais ni mon coeur ni ma main. J'obéis à mon Père. Quel  ? Son mérite, il est vrai, peut beaucoup sur mon âme, Et je puis bien donner une place en mon coeur À qui je dois la vie, et peut-être l'honneur. Cet amour sera vain si je ne suis pas mon époux. Je n'ose encor songer à vous en rendre grâce, Et crains que mon bonheur ne soit mal affermi. Il n'est pas malaisé. Le Ciel a-t-il enfin exaucé ma prière  ? D'où lui vient cette humeur  ? Je n'en sais qu'espérer, mais sans perdre de temps, Va trouver Don Félix, et prenant ma querelle, Fais-lui voir qu'il m'accuse à tort d'être infidèle, Qu'à Léonor sur lui je cède tous mes droits, Et qu'il m'a cette nuit mal connue à la voix. Jouez bien votre rôle. Oui, si vous m'assurez que mon Père avec vous Consent que cet Amant devienne mon époux. Ah, mon Père, il m'a sauvé la vie, Et la reconnaissance à l'aimer me convie ; Je dois m'en souvenir jusque dans le tombeau. Sans son secours un furieux taureau... De grâce, en ma faveur modérez ce courroux, Si le Ciel de sa main me choisit un époux... Je ne puis vous le taire. Oui, j'aime, et je n'ai pu refuser on amour Au généreux Vainqueur à qui je dois le jour. D'un accident si triste et difficile à croire. Sachez que Don Alvar vous conta hier l'histoire. C'est une vérité que je ne puis nier, Puisque j'en suis la Dame, et lui le Cavalier ; En me sauvant la vie il me la fit captive, Et c'est pour lui qu'il faut désormais que je vive. Il m'a promis sa foi. Après un tel bienfait... Est-il un plus grand fou  ? **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_JACINTE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_jacinte L'affaire me paraît bientôt expédiée. Vous, aujourd'hui promise, et demain mariée ! Ne vous y trompez point, c'est le jeu du vieux temps, Gardez d'être aujourd'hui trop sage à vos dépens, C'est un étrange noeud que le noeud de l'Hyménée Quoi, vous iriez trouver cet époux à Tolède, Et parce qu'il a bruit d'avoir force ducats, Il est si grand Seigneur qu'il n'en remuerait pas  ? Ma foi, jusqu'à l'Hymen je serais la maîtresse. Ô l'étrange faiblesse ! Dût se rompre l'accord je me ferais prier, Il n'est, tout bien pesé, que d'être à marier. Qu'un Amant importune, on l'abandonne, on change ; Fussiez-vous un Démon on vous appelle un Ange. De cent soumissions vous payez un galant En lui laissant baiser le bout de votre gant, Chacun tâche à vous plaire avec un soin extrême ; Mais dans le mariage il n'en va pas de même, Notre bon temps est fait, adieu, c'est assez ri, Qui nous flattait Amant nous rechigne Mari, Le flambeau d'hyménée amortit bien sa flamme, La plus belle Maîtresse est une laide Femme, Et sitôt que l'Amour laisse agir la raison, L'on connaît qu'il n'est point de charmante prison. Peu sous ce triste joug ont l'âme bien contente. Jadis ma bonne mine avait ses partisans, Je sais ce qu'en vaut l'aune, et j'ai plus de quinze ans, Je connais à peu près le train commun des choses ; Ces matières pour vous sont encor lettres closes, Mais se vendre soi-même est un triste marché, L'on ne s'en dédit point quand le mot est lâché, L'Hymen nous asservit aux caprices d'un homme, Et j'en connais beaucoup, sans que je vous les nomme, Qui n'en ayant jamais examiné les lois, Ont pris le frein aux dents, et s'en mordent les doigts. Croyez-moi, de l'amour c'est un puissant remède, L'on ne fait guère état de ce que l'on possède, Le vrai plaisir consiste au pouvoir de refus, Quand un bien est acquis, dès lors on n'en veut plus, En vain à l'estimer sa valeur nous convie, La difficulté seule échauffe notre envie, Et celui qui nous charme avec le plus d'appas C'est celui qu'obtenant l'on peut n'obtenir pas. Avec votre devoir et votre obéissance, Si celui qu'on vous donne est bizarre, jaloux  ? Enfin pour un Mari le Ciel vous a fait naître, Et moi, pour être libre, et pour vivre sans maître, Je n'ai plus rien à dire, et vous plains seulement. Je voudrais le pouvoir ; et encor, je vous prie, Ne m'apprendriez-vous point à qui l'on vous marie  ? Il fait déjà le Maître  ? Il est riche  ? De son nom pour le moins vous êtes informée  ? Et cependant, Madame, à parler tout de bon, Votre ancien Amant, ou bien plutôt votre ombre, Doutez-vous que des morts il n'augmente le nombre, Sitôt qu'il vous saura dans les bras d'un Rival  ? Cet hymen lui deviendra fatal. Ah, que pour vous encor l'amour a peu d'appas ! Et quoi  ? Votre coeur en soupire  ? De quoi  ? Tout de bon, vous aimez  ? Ô la secrète ! Et qui, de grâce  ? Vous ne me feriez point confidence du reste  ? Quoi, ce brave Inconnu qui vous sauva la vie, Par la peur d'un Taureau déjà presque ravie, Lorsqu'à l'insu d'un Père, et sans me l'avoir dit, Une Parente et vous sortîtes de Madrid, Et qu'un mauvais destin vous pensa bien cher vendre Ce peu de liberté que vous osâtes prendre, Serait-ce bien celui qui vous fait soupirer  ? Et vous pouvez aimer sans espérer  ? Ah, sans doute, Madame, il faut quitter Madrid, Voici quelque message. Voyez si le style en est doux. Pour peu d'attention qu'on lui veuille prêter, Ce Valet est d'humeur à nous en bien conter. Selon l'avare humeur de notre bon Vieillard, S'il rompt avecque lui, ce sera grand hasard, Ses ducats vous font tort, et s'il était moins riche... Avec grande franchise il dit ce qu'il en pense. Je vais le mettre en jeu. Mais encor, de ton Maître entretiens-nous un peu. Quelle mine, quel port  ? Cela va bien. L'humeur  ? Ce métier est mal propre à guérir ses folies, Il en empirera bien loin d'en amender. Et bien  ? Jamais Valet servit-il mieux son Maître  ? Il fait tout ce qu'il peut pour vous en dégoûter. Que n'est-ce là celui qu'on vous destine, Et pourquoi votre père, au lieu de ce malfait, N'a-t-il pas pris pour gendre un homme si parfait  ? Il a bien dans ce choix témoigné son caprice. On doit de ce talent estimer l'avantage. Ne vous relâchez pas, et quoi qu'il en arrive, Toujours le même ton, ferme, la négative. Puisqu'il branle la tête il n'est pas satisfait. Au moins dois-tu d'abord Lui montrer un esprit souple, docile, accort, Et que puisqu'il défend que Don Alvar te voie, À lui plaire aujourd'hui tu mets toute ta joie. Voyez ce beau Cousin envoyé d'Yllescas, Je l'ai vu dans la cour. Ah, qu'il a bonne mine ! Il s'aime plus que vous, il le témoigne bien. Qui, Madame  ? Quelle figure d'homme ! C'est elle assurément, C'est cette blonde soeur de Don Alvar éprise. Mais voyez, Don Félix... Songez-y toutefois, il l'attend. L'on vous a reconnue, et Don Alvar pâlit. Écoutez, Don Alvar, il vous parle des yeux. Mais du moins attendez... J'approuve votre avis, et veux ce qui vous plaît ; Mais nous ne savons point en quelle chambre qu'il est, Où le chercherons-nous  ? Que soupçonnerait-on de le voir à telle heure  ? Qui frappe  ? Coulez-vous promptement tandis qu'on ne voit point. D'un fou vous mettez-vous en peine  ? Ô l'étrange amoureux ! C'est un fou personnage. Puisqu'il sait l'aventure, avouez tout, Madame. C'est donc par toi qu'il sait... S'il tient ce qu'il promet vos désirs sont contents  ? Bien moindres qu'il n'aurait s'il suivait notre envie. Ma Maîtresse a parlé de vous adroitement, Sans lui faire paraître aucun engagement Ni d'obligation ni de reconnaissance ; Mais son avare humeur emporte la balance, Et de la vertu seule il fait fort peu d'état À moins que la fortune en soutienne l'éclat. Ainsi la vôtre en vain vous rend considérable, Don Bertran riche et fou lui semble préférable. Allez voir Isabelle un moment là-dessus, Vous résoudrez de tout plus aisément ensemble. Et bien Guzman  ? Que t'en semble  ? Don Alvar seul pourtant en poursuit la conquête, Car Don Bertran voudrait s'être fait moins de fête, Et quant à Don Félix, notre passionné, Je lui viens de porter son congé tout signé. Cette seule croyance Qu'Isabelle eût de nuit flatté son espérance, Le faisait s'obstiner ; et son Valet sans moi En eût payé l'amende, et tout du long. De Don Félix son Maître il eut charge expresse De voir dans quelle chambre entrerait ma Maîtresse, Espérant cette nuit lui parler sans témoin ; L'étourdi cependant en prit si peu de soin, Que dans l'obscurité prenant l'une pour l'autre, Il causa ce désordre arrivé dans la nôtre. Elle est à mon avis plus à plaindre que tous D'aimer... mais je l'entends, ce me semble, à sa toux. De peur d'être surprise, adieu, je me retire. **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_GUZMAN *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_guzman Don Alvar, Madame, ici m'envoie. Oui, Madame, un Parent de celui Qui vous est destiné pour époux aujourd'hui, Et qui m'envoie ici vous faire humble requête Que bientôt à partir vous soyez toute prête. Don Bertran le lui donne. L'ordre est ainsi donné, Madame, il n'oserait. Avecque Don Bertran il faut marcher bien droit, Il est plus difficile à ferrer qu'une mule. C'est un galant du temps, Un fort brave jeune homme âgé de soixante ans, Qui pour remédier à la chaleur de l'âge S'est enfin résolu de se mettre en ménage. Il vous écrit. Ce futur époux, Ce Don Bertran. Il n'a point son pareil d'ici jusques à Rome. Pour en avoir beaucoup il n'en est pas moins chiche, Et les garde si bien, qu'à parler comme il faut, Je vous plaindrais beaucoup s'il ne mourrait bientôt. Avec un tel Mari vous verrez par épreuve Qu'il n'est point de douceur qu'en l'espoir d'être Veuve, Et vous ne devez point en confirmer le choix S'il ne veut s'obliger de mourir dans six mois, C'est un terme assez long pour faire pénitence. Sa mine est équivoque. Quelquefois elle plaît, bien souvent elle choque, Mais quant à la parole, il a grand agrément, Et débite son fait fort nasillardement. N'en est pas fort commune, Gaie ou triste, selon les changements de Lune, Quoiqu'il goûte en tout temps assez peu de repos ; Car il est attaqué de tant et tant de maux, Qu'outre ceux que le corps éprouve accidentaires Il en pourrait compter cinq ou six ordinaires. Il mouche, il tousse, il crache en poumon malaisé, Pour fluxions sans cesse il est cautérisé, Goutteux ce que doit l'être un goutteux d'origine, Toujours vers le poignet muni de la plus fine ; Joignez à tout cela, vilain, jaloux, quinteux, Obstiné plus qu'un Diable, et mutin plus que deux, Malpropre autant que douze en mine, en barbe, en linge, Rusé comme un renard, et malin comme un singe. Quant au savoir, jamais on n'approcha du sien, Il sait mille secrets à ne guérir de rien. Pour tous ces petits maux de rhume, toux, migraine, Il compose à ravir l'onguent mitonmitaine, De chaque saltimbanque il prend leçon exprès ; Au reste fort dévot, à l'intention près. Il fait garder chez lui si souvent l'abstinence Qu'on y jeûne toujours deux Carêmes d'avance. Voilà de ses vertus le fidèle récit. De l'esprit ! Ah Madame, il fait des Comédies. Comme un Poète fameux il se fait regarder, Il en a composé déjà plus de vingt paires, Mais les Comédiens n'en représente guères, Le style en est si haut qu'ils n'y comprennent rien. Lui-même toutefois en dit assez de bien, Il en trouve toujours l'intrigue bonne et belle, Et sa démangeaison de les produire est telle, Que faute bien souvent d'auditeurs plus parfaits, Il va les débiter jusques à des laquais ; Mais avant qu'il soit peu vous le pourrez connaître. Aussi pour deux raisons dois-je le souhaiter. L'une, vous êtes belle, et ce sera dommage Qu'avec lui vous perdiez le plus beau de votre âge, Et l'autre, Don Alvar serait son héritier. Un brave cavalier, Noble, vaillant, civil, bien né, de bonne mine, Discret. Oui, mais ce Don Alvar comme un autre a son vice, Qui de tant de vertus obscurcit bien l'éclat. Il est gueux comme un rat. À l'hymen toutefois je crois qu'il se dispose, La Soeur de Don Bertran du moins ne le hait pas. Vous la verrez ce soir. Autant qu'elle en avait quand elle vint au monde. Jamais fille ne fut si délicate et blonde ; Soit défaut de nature, ou bien excès d'amour, Elle s'évanouit plus de sept fois par jour. Je l'ai fait tel, Monsieur, que j'ai cru le devoir, Don Alvar cependant vous peut-il venir voir  ? Il attend qu'on lui veuille accorder audience. J'y cours en diligence. Environ à cent pas. Elle en fait un grand cas. Aussi c'est une aimable et bonne créature, Je n'en n'ai jamais vu de plus belle en peinture, De ses yeux rayonnants l'éclat est sans pareil ; Votre coeur s'y fondra comme cire au Soleil, Prenez bien garde à vous. Je l'avais fait masquer. Point du tout. Oui, je crois qu'elle en tient. Savez-vous cependant que le Beau-père vient, Qu'il veut se réjouir et danser à la noce  ? Mais les voici venus, et j'entends le carrosse. Quoi donc, vous en tenez  ? S'il n'amende bientôt il faudra qu'on le lie. Mais tantôt à vous voir j'ai resté tout confus, Vous soupiriez  ? Vous m'avez déjà dit qu'elle vous doit la vie, Et je devine trop que cet événement... Je crois, si Don Bertran savait ce qui se passe, Qu'il vous en pourrait faire assez laide grimace, Et que Léonor même, en ayant quelque vent, S'en évanouirait encore plus souvent ; Car elle vous en veut, Monsieur. Elle vous est, je pense, assez indifférente  ? Oui, pour me dire Qu'elle veut cette nuit vous conter son martyre ; Qu'elle ne fermera sa porte qu'à demi, Et que quand vous croirez Don Bertran endormi Vous alliez la trouver, elle vous fera fête, N'y manquez pas. Quels  ? Je le sais, qu'est-ce encor, qu'avez-vous  ? Déjà  ? Il n'est pas malaisé, Monsieur, de le savoir. Il a certain Valet que je crois fort capable De faire d'un secret confidence amiable ; Je lui saurai ce soir tâter le pouls de près. Oui, vous dis-je, cessez d'en prendre de l'ombrage, Nous avons tout le soir trinqué de grand courage, Et buvant tête à tête il m'a tout découvert ; Que depuis plus d'un an ce Don Félix la sert, Et qu'ayant d'un Valet appris que Don Garcie Avecque Don Bertran en secret la marie, Et qu'ils s'étaient ici donné le rendez-vous, Il est parti soudain, désespéré, jaloux ; Mais par quelques motifs qu'il se laisse conduire, Aimez en assurance, il ne vous saurait nuire, Il a beau protester qu'il est prêt de mourir, Isabelle s'en moque, et ne le peut souffrir. Poussez à cela prêt votre bonne fortune. En l'état où je vois cette affaire aujourd'hui, Je trouve Don Bertran plus à craindre que lui. Gardez de prendre ici quatorze au lieu de douze. Si l'hymen se conclue  ? Si demain il l'épouse  ? Je ne dis oui ni non de crainte de mentir, Mais chacun dort ici, déjà la nuit s'avance, Prenez l'occasion dans ce profond silence, Tâchez de lui parler. En êtes-vous certain  ? Je puis donc y frapper  ? Et s'il faut qu'il s'éveille à ce bruit  ? Cachons-nous dans ce coin. Vous avez bonne part au gâteau. Brisez tout court ici, On ouvre quelque porte, entrez. Entrez vite. L'heure est bien indécente. Sont-ce point des galants qui cherchent la servante  ? Qui l'aurait espéré, Que sans être aperçu du Beau ni de la Belle, J'eusse pu si près d'eux rester en sentinelle ! Qu'ils paraissent tous deux l'un de l'autre contents ! Monsieur. Oui, vite, il en est temps. Mais j'entends Don Bertran. Rentrez encore un coup, le Diable est en campagne. Ne vous pressez point tant, rengainez, je vous prie. C'est Guzman, vous m'avez fait blémir. Je cherche une place à dormir. Ailleurs, ou là, qu'importe  ? Je fais communément mon gîte à quelque porte. Étant né des Guzmans, digne race des gueux, Je me couche toujours sur la dure comme eux ; Mais de grâce, Monsieur, quelle heure peut-il être  ? Le ciel est étoilé, vous l'y pouvez connaître. Je cherchais du repos loin de troubler le vôtre. Monsieur, il m'en souvient, Ce doit être sans doute un Esprit qui revient, Je crois même avoir vu quelque grande Ombre noire, Et la chose n'est pas trop difficile à croire, Car l'Hôte m'a conté qu'on entend quelquefois Dans cette galerie un bruit confus de voix, Un Lutin qui tantôt soupire, et tantôt gronde, Mais qui ne se fait pas entendre à tout le monde. Vous l'aurez ouï seul, c'est d'où venait ce bruit. J'incague les esprits. Soit qu'elle veille ou dorme, elle est fort patiente, On ne l'entend jamais. Qu'avec peu de respect vous auriez peu de flamme, Elle pourrait s'en plaindre avec juste raison ; Mais puisque vous avez cette démangeaison, Je vous prierai... La prière est hardie, De me dire des vers de quelque Comédie Car en ayant tant fait, comme célèbre auteur, Vous en savez du moins quinze ou seize par coeur. Entrons dans votre chambre, afin de mieux l'entendre. C'est pour être joué cinquante jours de suite. Vous l'appelez  ? Le beau titre ! Jamais auprès de vous Lope n'y connut rien. Deux vers à chacun d'eux, c'en est déjà six cents. Pour peu qu'Hérode encore ait avec lui de pages, Le théâtre est rempli d'assez de personnages. La seconde  ? Sortez. Je parle aux Innocents pour les faire sortir, Ils tiennent trop de place. Enfin, dans la seconde  ? Qu'avez-vous vu, Monsieur  ? Je vais vous éclairer, cherchons, faisons ravage. Ah, la tête ! Je suis tombé tout plat. À l'aide. Je me suis disloqué tout le train de derrière. C'est moi qui vais rallumer la chandelle. Que vous m'étreignez fort ! C'est Guzman, lâchez-moi. Il est pris, et mieux pris qu'un renard. Il sort. Elle s'évanouit, Monsieur, son mal la prend. Feignez d'aimer la dame évanouie Contez-lui des douceurs, des quolibets d'amour, Afin que Don Bertran les entende au retour, Et qu'ainsi vous croyant le coeur féru d'amour pour elle, Il ne soupçonne rien de l'amour d'Isabelle. Commencez votre rôle. À l'aide, elle a le Diable au corps. Trente sergents en queue il serait moins à plaindre. Je n'avais jamais vu jusqu'ici d'âme en peine, J'en vois une à présent. Comment Diable en viendra-t-il à bout  ? Et bien enfin, avez-vous votre compte  ? Est-ce fait  ? Quoi, tout n'est pas rompu ? Ces vieillards sont toujours d'humeur acariâtre. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il cherche à s'en défaire, Mais le monde à Madrid est plus futé qu'ici. Oui, Dieu merci. Vous allez bientôt être un Mari d'importance. Un grand défaut. Il n'importe. Je n'ose. Mais... Vous le voulez savoir  ? Elle extravague. Elle. Elle a l'esprit gâté d'avoir lu des romans, Et croit qu'étant un jour d'un Taureau poursuivie Sans certain Chevalier elle eût perdu la vie. Elle l'aime en idée, et quoique son époux, Ce chimérique Amant l'emportera sur vous. Elle caresse tantôt l'un, tantôt l'autre, Croyant... Il avait dès Madrid appris sa maladie. La fit-il bien jaser  ? Quoi, vous l'épouseriez ? Vous, Monsieur ? Et bien ? Se veut-il mutiner ? Dégainer. Il sera mort, je pense. Il sera confisqué. Ah ventre ! Ah tête ! Ah sang ! Qui vive ? Par la mort, vous en avez menti. Il est déjà parti, Et je tiens comme vous que de flamberge nue La vision est laide, et blesse fort la vue. S'il m'en fallait tâter, je pourrais filer doux, Et je ne me battais, ma foi, non plus que vous. Si le jeu vous déplait, songez à vos affaires. Ce Don Félix est un méchant garçon, Et veut faire avec vous le coup d'estramaçon, Comme offensé dit-il, sans raison raisonnable. C'est un Lancier bien rude à qui s'ose y jouer. La pièce est drôle. C'est bien là pour lui faire épanouir la rate. Voyez comme ce mot rend ses sens tout charmés. Oyez, Monsieur, et bien, lui fais-je dire  ? Flattez son fol amour, vous la ferez bien rire. Et beaucoup ; Laissez-la rêver seule, il suffit pour ce coup. Reposez-vous sur moi, Quoi que je lui débite, il me croit sur ma foi. Je saurai l'amener au point que je souhaite. N'en soit donc point inquiète ; Mais il faut le rejoindre et ne le quitter point. Sans nommer Don Alvar, tenez ferme en ce point, D'aimer un Cavalier qui vous sauva la vie ; Vous en verrez l'effet répondre à votre envie. Seul avec sa folie, Dans sa chambre enfermé, non sans mélancolie. Il a comme la mer son flux et son reflux, Tantôt il en veut bien, tantôt il n'en veut plus. Si pour le satisfaire il épouse Isabelle, Il craint ce dont à peine on échappe en ce cas ; Il craint d'être battu s'il ne l'épouse pas, Et prévoit de tous sens si maligne Influence, Que contre son étoile il peste d'importance. Je l'ai pourtant contraint enfin de faire choix. De se laisser assommer mille fois Plutôt que passer outre à la cérémonie. Si je n'eusse su l'empaumer à propos, Vous en teniez pourtant, il eut dit les fins mots ; Mais encor que chacun cherche qui lui ressemble, Il croit qu'elle étant folle, ils seraient mal ensemble ; Sur ma parole seule il change de dessein De cela nous parlerons demain ; Venons à ce qui presse. Enfin, votre Isabelle  ? Êtes-vous aimé d'elle  ? Vous l'avez détrompée, et votre paix est faite  ? C'est en quoi Don Bertran me surprend davantage, Il n'en soupçonne rien. Et bien, Jacinte  ? Le bienheureux à qui ta Maîtresse sera ! On s'y presse, on s'y tue, et c'est à qui l'aura. Tu l'as tiré d'erreur  ? Pourquoi  ? De sorte qu'en effet il ignorait encor Qu'ainsi pour Isabelle il eût pris Léonor. Qui d'ailleurs attendant Don Alvar à même heure Dans cette même erreur jusqu'à présent demeure Elle me disait vrai, la voilà qui soupire. Et bien, riez comme les autres font, C'est contre le chagrin un souverain remède. À vous dire le vrai, ma foi, je n'en sais rien. Je la savais alors, mais je ne la sais plus. Bien plus qu'à l'ordinaire C'est fort mal fait à lui. Tout vilain cas, dit-on, fut toujours reniable, Mais vous parler de nuit n'est point un vilain cas. Le cours à Don Alvar témoigner votre peine, Et si l'on m'en veut croire, allez, tout ira bien. Monsieur, n'en faites rien. Votre colère, Elle est passée enfin  ? Elle sort bien outrée. Je vous l'avais bien dit, Monsieur, qu'elle était folle. Vous voilà cependant sottement embourbé, Cet obstiné Vieillard n'entend point raillerie. Aussi me fait le mien. Mais si vous l'épousez, pensez aux conséquences. Je pense bien plutôt qu'elle s'est évanouie, L'Hôtesse tout à l'heure appelait au secours. **** *creator_corneillet *book_corneillet_dombertrandecigarral *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_dombertrandecigarral *dist2_corneillet_verse_comedy *id_MENDOCE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mendoce À la fin nous voici, Monsieur, dans Yllescas. Je ne sais quel malheur vous avez lieu de craindre, Vous ne songiez rien moins ce matin qu'à vous plaindre, Ce coeur d'aucun souci ne paraissait chargé. Et presque en un moment vous voilà tout changé. Je vous trouve rêveur, inquiet, las de vivre, Vous montez à cheval, et vous me faites suivre, Nous marchons sans parler tout le long du chemin Chez l'Hôte d'Yllescas nous arrivons enfin, Et sans dire le mal dont votre âme est atteinte, Vous redonnez encor de nouveau sur la plainte. Quel est le sujet  ? Tirez-moi de souci. Vous n'en mourrez donc pas puisqu'il s'agit d'amour. C'est un mal qui commence, et finit en un jour Sans venir vous montrer de son bonheur jaloux, Vous eussiez bien mieux fait de demeurer chez vous. Puisque tout est d'accord, que pouvez-vous prétendre  ? On se plaint, écoutez. Ô l'homme ridicule ! Je l'envoierais au diable avecque sa folie. Si l'amour tourmentait chacun également, Malheur plus de cent fois à qui serait Amant. Tout le monde à présent paisiblement repose, Et vous seul... Et vous osez prétendre Qu'Isabelle à minuit soit prête à vous entendre, Elle qui vous méprise avec tant de fierté ! Oui, je crois l'avoir vue entrer en celle-ci. Non, c'est ici sans doute. Je pense ouïr marcher, l'on ouvre. Ce sera Don Garcie... Je l'avais cru. Monsieur, les chevaux sont tout prêts.