**** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONDIEGUE *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dondiegue N'en soyez point surprise, ô charmante Isabelle, D'un bruit sourd et confus j'en ai su la nouvelle, Et comme rien pour moi ne peut être plus doux, Je m'en suis cru devoir expliquer avec vous. Excusez pour un fils ma tendresse de père, Je sais que Don Félix s'étudie à vous plaire, Et j'aurai grande joie à le voir sous vos lois, S'il a su mériter l'honneur de votre choix. Vous connaissez mon bien, vous savez ma famille, L'amitié semble étroite entre vous et ma fille, Et pour elle et pour moi je le tiendrais heureux Que l'alliance encore en redoublât les noeuds. D'un si fâcheux délai quelle que soit la suite, Je ne puis qu'admirer votre sage conduite, Et si vos sentiments se déclarent pour nous, J'emploierai Léonor à les savoir de vous, L'Époux qu'elle attendait, arrivé de Séville, Va déjà commencer la joie en ma famille, Et comblant d'heur un fils qui se sent captiver, C'est votre seul aveu qui la peut achever. Le Ciel daigne en hâter l'heureuse certitude. D'où naît ce changement, si vous m'avez dit vrai  ? J'aperçois Don Fernand. Je vois que tu rougis, D'avoir reçu sans moi Don Fernand de Solis ; Mais le titre Époux qu'il a droit de prétendre, Souffre la liberté que nous te voyons prendre. Sans doute qu'à tes voeux mon choix a répondu  ? Si ton bonheur est tel que j'ai lieu de le croire, Il faut que je te loue au moins d'avoir eu soin Que l'aimable Isabelle en pût être témoin. Enfin dans le bonheur qu'ici le Ciel m'envoie, Un mot de votre bouche achèverait ma joie. Madame, Don Félix, dont j'attends le retour... Je ne demande rien après ce doux espoir. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONFERNAND *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donfernand Ah, Gusman  ! Je te vois à Madrid. Quoi, Guzman, tu doutais du crédit de mon père ? Pour huit jours de prison tu t'en dus croire quitte. Enfin  ? Ici. Pourquoi douter d'une chose si claire ? Chez Don Diègue ? Ah, Guzman, qu'as-tu fait ? Il m'attend comme gendre ? Par toi de mon départ il a su la nouvelle. Sa fille, tu l'as vue, il n'en faut point douter ? Guzman, je laisse agir mon inclination, Et si de doux objets ont tenté ma franchise... Non, non, mon coeur n'est point novice dans ce choix, Et pour deux aujourd'hui brûle tout à la fois. Autres qu'elle. On me la fait aimable, on me dit qu'elle est belle ; Mais son père et le mien en ont en vain ma foi, Ils choisissaient pour eux, je veux choisir pour moi. Au lieu de badiner, écoute. La poursuite Dont pour César tué l'appréhendais la suite, Ayant hâté d'un mois mon voyage à la Cour, Me fit perdre d'abord tout souci de l'amour. Ainsi jusqu'au succès que j'en devais attendre, J'oubliai qu'à Madrid je venais comme gendre, Et sans que chez Don Diègue aucun l'ait pu savoir, Don Juan est celui qui m'a su recevoir. Me logeant, il ne fait que me rendre en sa Ville Ce que tu sais chez nous qu'il reçut à Séville, Et j'ai l'heur qu'à Madrid n'étant jamais venu, Il est le seul encor de qui j'y sois connu. Il a mauvaise vue, Je l'ai déjà deux fois rencontré par la rue, Mais comme j'y prends garde, et qu'il me croit fort loin, Cet embarras à fuir me donne peu de soin. Cependant, Don Juan m'a fait voir une dame, Pour qui mon coeur soudain s'est senti tout de flamme. Jamais des traits plus vifs, jamais des yeux plus doux, N'avaient porté sur lui de si dangereux coups. L'air galant, enjoué... Isabelle. Jusque-là que tantôt encor elle m'attend. Assez pour en être content, Et comme elle a du bien, et dépend d'elle-même, Je l'aimerais autant peut-être qu'elle m'aime, Si par un autre amour cet amour traversé Pouvait continuer comme il a commencé. Non, ces deux objets seuls ont droit sur mon destin, Et toute autre beauté toucherait peu mon âme. J'en ignore le nom comme la qualité. Ce commerce où mon coeur va plus loin qu'il ne pense, Est fondé de sa part sur la reconnaissance, Aux lieux de promenade elle vient chaque jour Recevoir les serments d'un réciproque amour, Mais sans se découvrir. À la voir seulement tu jugerais mieux d'elle. De tout ce qu'elle fait la grâce est naturelle, Le port noble et touchant, rien de bas, d'affecté, Un certain air modeste et plein de liberté, Je ne sais quoi de doux, l'entretien agréable, L'esprit vif, délicat, perçant... Pour m'y voir attrapé je m'y sais trop connaître, Et ce que tant d'appas dans mon coeur ont fait naître Pourrait pour celle-ci gagner enfin ma voix, Si sa famille sue autorisait mon choix. Au plus parfait amour je sens mon âme prête, Mais j'ignore qui j'aime, et c'est ce qui m'arrête. À l'inconnue elle sert de suivante, Tais-toi. Qu'heureusement je te rencontre ici  ? Enfin... De qui  ? Ta maîtresse m'oblige, Et ne peut me donner d'avis que je néglige. Mais ne puis-je savoir où tu me dois mener  ? Ôte-moi de souci, De grâce... Mais fais-la moi connaître. Oui, je sais bien qu'en elle éclatent mille appas. Qui ne le serait pas  ? Au moins dis moi son rang. Maraud... Mais pourquoi se cacher  ? Non, si ma passion ne va jusqu'à l'extrême, Si mon coeur n'est atteint... Mais ta Maîtresse enfin, ou qui qu'elle puisse être, Se trouvera forcée à se faire connaître ; Il en faudra venir à l'aveu que j'attends. Tu n'oses donc encor m'éclaircir l'aventure  ? Me voici cependant avec deux rendez-vous. Isabelle tantôt m'attend à la même heure. Pour la Dame Inconnue il se sent plus touché ; Mais de peur de surprise, ignorant sa naissance, Autant que je le puis je le tiens en balance, Et comme je ne sais ce qui peut arriver, Si celle-ci manquait, l'autre est à conserver. Qu'il soit connu de tous, qu'en devinera-t-on  ? Il est mille Fernands dans une même ville. Suffit que j'ai caché que je suis de Séville, Et qu'enfin me disant de Grenade, j'ai pris Le surnom d'Avalos pour celui de Solis. César de ce péril par sa mort me délivre. Craignant que jusqu'ici l'on ne me sût poursuivre Je priai Don Juan d'abuser ses amis, Me nommant devant eux partout Don Dionis. Sous ce nom, d'Isabelle il m'assura la vue, Et je suis Don Fernand pour la seule Inconnue. Mais de quelque message on m'en vient régaler, Sa Suivante s'approche afin de me parler, Je la vois qui sourit. Oui, Guzman. Tu te trouves tenté ? Aujourd'hui, Béatrix, tout à mes voeux succède. Ta rencontre est un bien qui doit m'être si doux... Que dis-tu  ? J'attendrai son retour, et la verrai plus tard. Au moins à son défaut accepte ma visite, Et si tantôt sans toi par hasard elle sort... Ah, c'est me faire tort. Non, à t'entretenir j'aurai la même joie, Et je croirai la voir pourvu que je te voie. Tout de bon, ton espoir me fait honte, Et je t'en trouve tant... Tu tournes tout en jeu, mais je te le proteste, Que mon coeur sent pour toi certaine émotion... Ta beauté du plus fier te ferait un esclave. Qui ne t'en croirait pas  ? Tu vaux que l'on t'admire, Tout est aimable en toi. Tu ne te tairas point, Maraud  ? Laisse-là ce badin, et ne songe qu'à moi. Si tôt  ? Béatrix. Laisse-moi du moins te regarder, À te voir seulement mon plaisir est extrême. Il est doux de s'y voir quand la copie agrée. Venez-vous m'envier le bien que je possède  ? Gardez qu'à l'obtenir vos efforts ne soient vains. Dans cette même place, Où soudain il m'a vu changer de rendez-vous. Je l'avais d'Isabelle, et l'ai de l'Inconnue. L'une hors du logis doit passer jusqu'au soir, Et sur quelques secrets l'autre cherche à me voir. Cette assignation m'en donne bon augure. Que je suis arrivé, Don Juan  ? Vous n'avez point alors tâché de l'abuser  ? De mon secret sans doute il est fort en colère  ? Qu'aura-t-il cru de moi de ne l'avoir point vu  ? Quel malheur  ! Quel prétexte choisir pour rompre l'hyménée ? L'amour me cause ici d'étranges embarras. Ah, ne m'en parlez point, Léonor me déplaît. Je ne la puis souffrir. Il faut voir l'Inconnue ; En l'état où je suis tout dépend de sa vue, Son destin éclairci pourra régler le mien. Madame, quelle grâce, Et pour la mériter que faut-il que je fasse  ? Accorder tant de gloire à mon ardent amour  ! Ah, si de ce malheur je puis rompre l'atteinte, J'ai lieu de m'offenser de votre injuste crainte, Et quand les coups du Sort peuvent être forcés, Qui peut douter de moi ne peut m'aimer assez. Que pour m'ôter à vous la terre conjurée Tienne à mon coeur charmé la guerre déclarée, Pour en favoriser les violents desseins Le seul aveu du vôtre est tout ce que je crains. Frappé trop vivement de ce grand coup de foudre, Le mien s'étonne, tremble, et ne sait que résoudre ; Mais enfin je sais bien que mon cruel ennui Ne redoublera point par le bonheur d'autrui. Quelque Époux qu'à choisir le devoir vous convie, Il n'aura point ce nom que je ne sois sans vie, Et même avant ce coup, s'il me doit accabler, Plus d'un Rival peut-être aura lieu de trembler. Mais votre nom enfin  ? Faites que je le sache. La réserve en est vaine à qui doit présumer, Que sachant son logis, je puis m'en informer. Ainsi donc mon bonheur ne dépend plus que d'elle  ? Juste Ciel, Isabelle  ! Ai-je bien entendu  ? Si c'est celle qui m'aime, enfin je suis perdu. Ô d'un jaloux destin attaques imprévues  ! Sa maison peut répondre à deux diverses rues, C'est ici son quartier. Je me plains d'un malheur que je n'attendais pas. Madame, il est encor plus grand qu'il ne vous semble. C'est elle-même, elle entre, où me vois-je réduis  ? Je dois beaucoup, Madame, à mon heureux destin, Qui me laissant toujours inconnu ce que j'aime, Me fait connaître au moins comme une autre elle-même, L'amitié qui vous joint m'en persuade assez. Un si brillant esprit ne se peut décevoir ; Mais si vous vous rendez à de justes prières, Madame, faites-m'en partager les lumières. De ce charmant objet j'adore la beauté Sans avoir pu tirer mon feu d'obscurité, Son nom qu'elle me cache étonne ma constance. Je lui suis obligé d'une estime si forte. Je ne le connais pas. L'erreur m'est favorable où quelque abus l'a mis. Quoi qu'il ait pu dire, il vous aura dit vrai, S'il a su vous jurer que mon amour extrême Engage tous mes voeux à la beauté que j'aime. J'apprends qu'on la marie, et ce fatal revers Accable un malheureux qui languit dans ses fers. Ne pouvant m'éclaircir du père ni du gendre, Je forme cent desseins sans savoir lequel prendre. Dans ces obscurités daignez me secourir, Vous voyez qu'à vous seule on me fait recourir. Soulagez les ennuis dont mon âme est pressée. Souvenez-vous que mes peines cruelles Ne peuvent... À voir quelles bontés d'abord sans me connaître Vous avez bien voulu me faire ici paraître, J'ai lieu de présumer que la peine où je suis Vous rendra favorable à finir mes ennuis. C'était pour moi sans doute une disgrâce extrême D'aimer avec excès, et d'ignorer qui j'aime, Mais d'un plus rude sort j'ai tout à redouter, Si par votre secours je ne puis l'éviter. Madame, où trouvez-vous que ce soit frénésies... De quel étonnement mon esprit est frappé  ! M'amenait-on ici pour un pareil outrage  ? Ces façons de traiter me sont assez nouvelles. Madame, c'est ainsi que me jugeant discret, D'une aimable Inconnue on m'apprend le secret  ? Mais à ce changement quel motif vous engage  ? Quel est ce Dionis  ? Moi  ? Si ce jeu vous plaît, quel qu'en soit le mystère... Quelle est cette Beauté qui parle contre moi  ? Madame, est-ce une Amie, ou bien quelque Parente  ? Je ne l'ai jamais vue. Il est vrai qu'on me joue, Et qu'on ne me dit rien que je ne désavoue. À pas une des deux je n'ai fait les yeux doux. Je ne sais quel il est, et trêve d'incartade. Mon nom est Don Fernand ; et mon pays, Grenade ; Et je viens d'un procès presser ici la fin. Enfin est-ce gageure, ou bien galanterie  ? Prétend-on quelque chose affectant ce courroux  ? Mais ce Don Dionis qu'en moi l'on veut connaître... C'est donc à qui de vous m'embarrasseras mieux  ? Si c'est là votre but, la pièce est imparfaite. Adieu, ne croyez pas m'en avoir inquiété. Quoi  ? Vous continuez... C'est là que de la fourbe il a fallu m'aider, Et que le jeu pour moi passait la raillerie, Si je n'eusse aussitôt payer d'effronterie. Quelquefois au besoin ce vice est de saison. Comment l'aurais-je pu, si dans une autre rue L'on me tenait ouverte une porte inconnue, D'où, sans qu'on m'ait rien dit, je me suis rencontré Dans un appartement où jamais je n'entrai  ? Le plus fin en ma place eût donné dans le piège, Mais le don d'impudence est un grand privilège, Je l'ai mis en pratique, et je m'en suis tiré. Aussi, pour en sortir j'aurais eu plus d'obstacle, Si le Ciel pour m'aider n'avait fait un miracle. Contre l'ordre commun il a fait qu'en ce jour, On avait vu la prudence accompagner l'amour, Et que du rendez-vous Isabelle en colère, Ait eu dans son dépit le pouvoir de se taire. Ainsi pour moi le pas était moins hasardeux Tant que j'ai pu me voir avec toutes les deux, Pour quelques mots couverts je m'en suis trouvé quitte Mais dès que l'Inconnue a fini sa visite, Et qu'ayant malgré moi voulu se retirer, Seul avec Isabelle on m'a fait demeurer, En me traitant de fourbe, et Suivante et Maîtresse M'ont pensé mettre alors au bout de mon adresse. Don Dionis en moi leur étant trop connu... J'ai feint effrontément de ne les pas connaître, Et comme l'Inconnue avait dit mon vrai nom, Sur ce déguisement j'ai toujours tenu bon. De leur Don Dionis, qu'elles nommaient sans cesse, Pour un jeu concerté j'ai fait passer l'adresse, Et comme tout n'étant que pour m'embarrasser, Niant jusques au bout, je me suis fait chasser. Au contraire, Guzman, il faut que je l'apaise, Et que je fasse effort à lui mettre en l'esprit, Qu'elle croit trop l'erreur qui contre moi l'aigrit. Ayant à soutenir ce second personnage, Ici, pour le jouer, je l'attends au passage, Et sur un autre ton ayant su m'accorder, Comme Don Dionis, je prétends l'aborder. J'ai su par Don Juan qu'elle est chez une Tante, Et feignant tout le jour de l'avoir crue absente, Privé d'un rendez-vous dont je devais jouir, Je préviendrai sa plainte, et pourrai l'éblouir. Mais on a vu des gens se ressembler si bien, Qu'à les voir séparés on n'y connaissait rien ; Si la rencontre est rare, elle est du moins possible. Aussi je ne prétends abuser qu'une Femme, Et je n'en sache point qu'on ne puisse obliger, Quand on sait bien s'y prendre, à croire de léger. Outre que Don Juan secondant mon adresse, Par de nouveaux détours fera valoir la pièce ; Pour appuyer la fourbe il est de tout instruit. Mon coeur de ses attraits est toujours possédé, Jamais un plus beau feu n'eut tant de violence. Tu vas un peu trop vite en faveur d'Isabelle, Je la veux adoucir, non pas à cause d'elle, Mais de peur que l'aigreur de son ressentiment N'engage l'Inconnue à quelque changement. Elle va de ma foi lui donner mille ombrages, Si je ne sais jouer tous les deux personnages, Et faire, dans l'état d'un noeud si surprenant, Tantôt Don Dionis, et tantôt Don Fernand. Voilà quel est mon but. Il te chagrine ? Donc Béatrix te plaît  ? Vraiment, je suis fâché du repos qu'elle t'ôte ; Mais crois-tu voir en elle assez pour t'engager  ? Avec toi pour l'hymen obtiens qu'elle s'engage. C'est Isabelle. C'est ici qu'il me faut pousser la passion. Madame, enfin le Ciel à mon amour propice, N'a pu de vos desseins approuver l'injustice, Ni souffrir plus longtemps qu'un ordre rigoureux Privât de votre vue un Amant malheureux. Il a fait naître exprès une telle rencontre, Aujourd'hui malgré vous à mes yeux il vous montre, Et m'offre la douceur dont un destin jaloux M'a tantôt empêché d'aller jouir chez vous. J'ose au moins me flatter de vous voir assez bonne, Pour consentir au bien que le hasard me donne, Et ne murmurer pas, que contre mon espoir Il accorde à mes voeux le plaisir de vous voir. De telles questions ont droit de me surprendre ; Vous avez déjà su par d'autres que par moi, Qu'en Flandre assez longtemps on m'a vu dans l'emploi, Le désir du repos a causé ma retraite. Cependant en ces lieux j'ai trouvé ma défaite, Et mon coeur que l'amour n'avait pu surmonter, Charmé de vos appas, n'a su leur résister ; Vous le savez, mais las  ! Je crains bien que votre âme Nr cède au repentir d'avoir souffert ma flamme, Et que ce rendez-vous ôté cruellement, Ne soit déjà l'arrêt de mon bannissement. Quelle énigme est-ce ci  ? Madame... Tout ici de mon trouble augmente l'embarras. Tire-moi de la peine où tu vois qu'on me laisse ; Quelqu'un m'a-t-il su nuire auprès de ta Maîtresse  ? Béatrix, quelle erreur tient ses sens obsédés  ? Enfin je n'ai point l'âme assez intelligente, Il faut s'expliquer mieux. De quoi m'accuse-t-on  ? Qu'ai-je dit  ? Qu'ai-je fait  ? Que croit-on de moi  ? Faute d'y rien comprendre, on m'en voit interdit. Moi, je l'aurais nié  ? Pourquoi ce désaveu, Si t'ayant malgré toi dans la rue arrêtée... Guzman. Mais, Madame, de grâce, éclaircissez mon doute, Ne puis-je au moins savoir de quoi vous vous plaignez  ? Moi  ? Mais enfin... Ce conte pour me nuire est un froid stratagème. Madame, qui le fait  ? De moi  ? Sans être fou, pourrais-je à mes dépens... Quoi, Madame, aujourd'hui chez vous je vous ai vue  ? Parle ; m'as-tu, Guzman, quitté de tout le jour  ? Mais il vous peut... Ce n'est pas sans raisons que de justes alarmes, Étonnant mon espoir, m'en défendaient les charmes, Sans chercher un prétexte aux mépris qu'on me rend. Le peu que je mérite en est un assez grand. Ne dites point qu'ailleurs je partage ma flamme, Mais dites qu'un Rival a su toucher votre âme, Et que sa passion engageant votre foi, Pour en remplir l'attente, il faut rompre avec moi. Pour vous seule d'amour mon âme est prévenue, Et cette ardeur est telle... Madame... Retiens-la, Béatrix, Aide-moi de mes feux à prouver l'innocence. Qui vous la peut causer  ? Que veut-on que je sois  ? Parlez. Son nom est Don Fernand  ? Mais si le Ciel permet qu'un autre me ressemble, Faut-il sous ce malheur que je sois accablé  ? Non, non, c'est entre nous une histoire forgée, Madame en juge mieux, et me doit quereller, De peur que mon malheur ne m'oblige à parler. Celui de mal aimer, ou plutôt de trop feindre, Et de m'avoir caché qu'un plus heureux que moi Était maître du coeur où prétendait ma foi. Pour l'Inconnue enfin je ne sais ce que c'est, Une telle aventure en vain pour moi s'applique, Je n'y prends point de part, mais... J'irai, mais Don Fernand vous répond-il de soi ? Va, mon talent encor ne t'est pas bien connu. Je prétends au besoin suppléer d'industrie. Pour rompre l'embarras où le hasard m'a mis, Il ne faut qu'un exempt qui soit de vos amis. Voyons-en un de grâce, Et nous concerterons ce qu'il faudra qu'il fasse. Je sais qu'il faut le voir, et j'en ai le dessein, Mais souffrez que sans vous je lui fasse visite, Allant seul, je pourrai plutôt en être quitte, Et s'il veut m'arrêter, je feindrai que ce soir Un succès important m'oblige à vous revoir. Tu connais sa maison, Guzman  ? Adieu donc, quittez-moi, je tremble qu'il ne sorte. Cependant vous savez ce que j'attends de vous. Je vais sur son accueil régler mon compliment. Il faut pour le beau-père inventer quelque ruse, Et la mener si bien, qu'après mon compliment Il me permette encor huit jours d'éloignement. Je puis chez Don Juan d'une affaire secrète Pour un terme si court prétexter ma retraite, Pressez mon aventure, et pénétrer enfin Quel succès de mes feux doit régler mon destin. Voyons-la, puisque au père il faut rendre visite, Entrons. Mais Dieux, Guzman, que j'ai l'âme interdite  ! Qui jamais vit un feu plus constant  ? Dans la cour de Don Diègue on m'épie, on m'attend, J'y vois mon inconnue avecque sa Suivante. M'ayant vu prêt d'entrer, Guzman, que dira-t-elle  ? Si vous voulez, Madame, en croire l'apparence, Le sujet qui m'amène est pour vous une offense, Et par ce qui paraît, déclaré contre vous J'ai mérité l'aigreur de tout votre courroux. Je venais chez Don Diègue, et vous pouvez me dire Qu'il semble contre soi que mon amour conspire, Puisque m'y hasardant, je ne pouvais douter Que le vôtre par là n'eût tout à redouter ; Mais j'atteste le Ciel qui voit toute mon âme, Qu'on ne brûla jamais d'une si pure flamme, Et que quoi qu'en ordonne un destin trop jaloux, Je périrai plutôt que n'être point à vous. J'y consens, mais pour prix d'une amour si fidèle, Ne puis-je... Ah  ! Si vous en doutez... Vous le voulez, et je dois obéir. Que veut dire ce fou  ? Ami, les froids railleurs ne divertissent point, Retire-toi. Le mien est Don Fernand, est-ce que l'on en doute  ? Encor Don Dionis  ? Ces divertissements devraient être finis. Cet Objet inconnu qui me tait sa naissance, Me fait de ta Maîtresse implorer l'assistance, Et pour m'en éclaircir je suis ici venu. Je ne le vis jamais, bien loin de le connaître. Maraud tu peux railler  ? Il aurait vu sans toi comme je m'en acquitte, Et si Don Dionis m'a jamais ressemblé. Mais avant que d'entrer, prends, et daigne me dire Pour quel charmant Objet mon triste coeur soupire ; Je crains de ta Maîtresse encor quelques refus. Mais... Au moins... Un présent t'épouvante  ! Pour tes adorateurs c'est trop de récompense ; Mais en ayant grand nombre, il est bien malaisé Qu'ils touchent vivement un coeur si divisé. De l'un par l'autre ainsi tu confonds le service. Le secret est galant pour ne s'y méprendre. Dois-je encor redouter L'erreur qui contre moi vous a fait emporter  ? L'ordre d'une inconnue à qui mon coeur se donne, Veut qu'à vos volontés Don Fernand s'abandonne, Et dans l'obscur succès dont je presse la fin, Ce que vous résoudrez réglera mon destin. Mais, Madame, pourquoi cet outrageant soupçon  ? Que pourrais-je espérer d'une lâche imposture  ? Jamais fidélité n'approcha de la mienne. Moi  ? Voyez quelle erreur est la vôtre, Messieurs, vous me prenez sans doute pour un autre. Ah  ! Messieurs, je proteste... Je puis fort aisément prouver mon innocence ; Mais en vous cependant je mets mon espérance, Rendez-vous favorable à seconder mes voeux. Madame, on craint toujours quand l'amour est extrême, Et je vous dois paraître encor inquiété D'un fâcheux embarras qui m'a trop arrêté. J'appréhendais chez vous de m'être fait attendre, Mais je me trouve encor le premier à m'y rendre, Et votre Don Fernand qu'on y faisait venir, Du moins, s'il s'en souvient, s'est laissé prévenir. J'ai lieu d'être surpris qu'on ait pu l'arrêter. Que dites-vous, Madame ? Il est mandé du Roi ? M'en accusez encor  ! Ce reproche est cruel, Si votre injuste erreur vous est toujours si chère, Que rien sans Don Fernand ne vous peut satisfaire, Quoi qu'il vous opposât, deviez-vous consentir, Puisqu'il était chez vous, à le laisser sortir  ? Qui, Madame  ? Qu'est-ce ci  ? Béatrix... Qui ? Parle, explique-toi. Quel sujet m'y convie ? Dis. Maraud... On l'a saisi  ? Quoi, ce même Fernand qu'on dit me ressembler  ? Il t'a battu ? Madame, après cela seriez-vous si cruelle, Que de douter encor... L'étrange défiance  ! Vous voyez, vous oyez, et vous ne croyez rien. Quoi, c'est moi qu'en prison Guzman a vu conduire  ? Madame... Quel est votre dessein  ? Au moins de quelque espoir daignez flatter ma flamme. Je le crois comme vous. Non, si mon Inconnue avecque moi d'accord M'avait pour assurance expliqué son vrai sort. Je ne sais que résoudre à moins de la connaître. Il en faut voir la fin, et l'amour m'y contraint, Mais comme j'en attends toujours quelque message, En vain votre parole à Don Diègue m'engage, Je ne puis aujourd'hui me résoudre à le voir. Inventez quelque excuse, allez chez lui ce soir ; Pour en manquer pour moi vous avez trop d'adresse. Adieu donc, je vous laisse, D'Isabelle en ce lieu j'attendrai le retour. Quel  ? C'est pour mieux conserver partout le vraisemblable. Ah  ! C'est toi. Que de joie à mon coeur amoureux  ! L'agréable nouvelle  ! Mais où la dois-je voir  ? Et l'obstacle du père  ? J'avais raison d'attendre ; Tu vois avec quel soin on cherche à me parler. Que je trouve Isabelle avec mon Inconnue  ? J'étais avec Madame en ce fâcheux moment, Mais comme dans la Cour contre la violence J'ai des Amis puissants qui prennent ma défense, À peine ont-ils appris que j'étais arrêté, Qu'ils ont fait de leur rang agir l'autorité. Leur parole donnée a causé ma sortie. L'amour est un grand maître, et tout le favorise. C'est à quoi ma Partie avait su le contraindre ; Mais il a vu bientôt qu'il n'avait rien à craindre, Et trop de gens de marque ont répondu de moi. Elle a conçu de moi d'étranges sentiments  ! Mais hélas  ! Se peut-il, que les ayant su prendre, Vous doutiez d'un amour et si pur et si tendre, Et qu'un soupçon indigne et de vous et de moi, Déshonorant mes voeux, fasse outrage à ma foi  ? Ah  ! Si brûler pour vous ne fait toute ma gloire... Madame a contre moi rendu ce témoignage, Je connais quelle erreur m'attire son courroux, Mais je suis Don Fernand, et je n'aime que vous. Et d'un soupçon si bas rien ne m'a défendu  ? Vous n'en voulez juger qu'à mon désavantage  ? Elle est du moins trop prompte à vouloir m'accuser. Si l'on en croit le bruit dot elle a connaissance, Avec ce Don Dionis j'ai quelque ressemblance, Et ce rapport de traits, sans doute surprenant, M'ôte dans son esprit le nom de Don Fernand. L'autre, dit-on, Madame, est plus haut de deux doigts. Aucun ne nous a vus, qui dans la ressemblance N'ait marqué soudain beaucoup de différence, Et de la vérité soutenant l'intérêt, Béatrix vous dira que... Quoi, pour me perdre mieux, veux-tu... Ce reproche est sensible à ma fidélité ; Mais si quelques soupçons vous tiennent en balance, Le temps de mon amour prouvera la constance, Et des soins si pressants la feront éclater, Que vous n'aurez enfin aucun lieu d'en douter. Laissez Don Dionis, et croyez D .Fernand ; Je le suis, et ma foi vous en devrait répondre. C'est que m'ayant trouvé... Ce que j'ai dit, Madame, est la vérité pure ; Don Dionis sans doute est un autre que moi. Tout semble avoir juré ma perte auprès de vous ; Mais je veux que du Ciel m'accable le courroux, Si je ne suis... Moi, je le sais, Madame, et vous êtes capable De vouloir insulter au sort d'un misérable, Qui du plus pur amour se sentant consumer, Ignore en vous aimant qui le force d'aimer  ? Où prendre sa maison  ? Où le chercher enfin si j'ignore son nom  ? Je n'avouerai jamais ce qui m'est imputé ; Mais pour vous témoigner que ma flamme est sincère, Faites-moi tout à l'heure entretenir ce père, Qu'instruit de la naissance, il puisse examiner Si je vous ai rien dit qu'on doive soupçonner. Ô Ciel  ! Pour mon rival chercher à me trahir  ! Madame, songez mieux... Non, non, la prévoyance est vaine, En l'état où je suis il faut tout hasarder. L'amour saura me seconder. Mon malheur ne peut croître, Il faut avec éclat justifier ma foi. Dieux  ! Qu'est-ce que je vois  ? N'est-ce pas Don Juan  ? Où suis-je, et que croirai-je  ? Ah : Monsieur. L'Inconnue est sa fille  ! Ah  ! Guzman, quelle gloire  ! C'est dont je n'ose encor me souffrir l'espérance, Et ce doute cruel me réduit au silence. Madame, quoi qu'un ppère autorise mes voeux, Son aveu sans le vôtre en vain me rend heureux ; Mon coeur ne reconnaît que votre seul empire. Parlez expliquez-vous. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DONJUAN *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donjuan Seul avec Béatrix  ? C'est n'être pas trop mal. Brûlant pour sa Maîtresse, il faut qu'on me la cède. Tu n'as qu'à décider, je prétends, il s'oppose. Et Guzman la cajole  ? Déjà  ? Où l'avez-vous trouvé  ? Aimant en deux endroits, ce changement est doux. C'est recouvrer soudain une faveur perdue. Vous brûlez d'éclaircir celui de l'aventure  ? Oui, mais je vous apporte un sujet de souci, Votre Beau-père sait que vous êtes ici. Que vous l'êtes. En vain j'ai cru tenir toutes choses secrètes ; Ayant été dès hier par Guzman averti Du longtemps qu'il vous sait de Séville parti, Et de notre amitié sachant l'étroite chaîne, Il est venu chez moi me témoigner sa peine. Après ce qu'il savait, qu'avais-je à déguiser ? Votre arrivée ici se pouvait-elle taire  ? Que de votre combat c'est l'effet imprévu, Et qu'avant que le voir vous jugiez nécessaire D'attendre quelque temps le succès de l'affaire. Cependant j'ai promis qu'aujourd'hui, Puisque vous étiez libre, il vous verrait chez lui; C'est à vous d'y songer, ma parole est donnée. Je n'entreprendrai point d'en combattre l'appas. Mais voyez Léonor, elle est sage, elle est belle, Et ce que vous aimez vaut peut-être moins qu'elle. Sans la voir, sur son nom vous en donnez l'arrêt  ? Guzman a le goût bon. Voyez-là, mais enfin ne précipitez rien. Que vois-je  ? Juste Ciel  ! En croirai-je mes yeux  ? Vous êtes ici  ? Vous  ? Ma surprise est extrême. Mais c'est vous-même  ? C'est vous  ? Don Dionis  ? J'en crois à peine encor ce que je vois. Une aventure étrange, et qui semble une fable. Madame, à ce détour que je viens de quitter. Un Cavalier passant, j'ai voulu l'arrêter, Tel que Don Dionis, mêmes traits de visage, Même voix, même port c'est la vivante image, Et beaucoup se vêtant de la même façon, Son habit a laissé mon erreur sans soupçon. Pour m'en faire sortir, quoi qu'il est pu me dire, J'ai pris tout pour adresse, et cru qu'il voulait rire. Et serais encor loin de m'en voir éclairci, Si je ne rencontrais Don Dionis ici. Je n'ai su rien apprendre, Sinon que pour quelque autre on me l'aurait fait prendre, Et sans plus m'écouter il a tiré chemin. Enfin jamais portrait ne ressemblera mieux. Tout autre y serait pris. Je ne suis point surpris qu'on ait peine à me croire, Moi-même qui m'en trouve encor tout interdit, Je prendrais pour un conte un semblable récit ; Mais il n'est rien plus vrai. Oui, je lui crois la taille un peu plus déchargée. Quoi, vous croyez plus loin pousser l'effronterie  ? Je puis vous en fournir. Ce que vous méditez voudra le jour entier ; Ainsi puisque avec vous je suis dans ce quartier, Dégagez ma parole avant que de rien faire. Par devoir tout au moins voyons votre Beau-père, Ce serait l'offenser que d'attendre à demain. Voici sa porte. Fiez-vous-en à moi. Je ris de l'embarras où depuis plus d'une heure Avec un vieil ami Don Dionis demeure. Jamais plus de grands mots n'avaient encor si bien Fait voir le haut talent de nos diseurs de rien. Quoi que l'on ait pu dire, quoi qu'on ait pu faire, Il a fallu l'entendre, enrager, et se taire. Je les viens de laisser aux compliments d'adieu. Don Dionis  ? Oui, sans doute, Madame, Je viens tâcher encor à surprendre votre âme, Mais me donnant la main, pour vous éclaircir mieux, À trente pas d'ici vous en croirez vos yeux. Il n'en est pas besoin, le voici qui s'avance. Remettez la partie à demain. Aussi bien pour guérir l'erreur qui la possède, Vous voir tous deux ensemble est l'unique remède. Sans une telle preuve elle n'a point de foi. Elle a tant de soupçon de votre stratagème, Qu'elle ne veut enfin en croire qu'elle-même, Et si j'en juge bien, elle va maintenant Jusque dans la prison demander Don Fernand. Elle aura beau s'en plaindre, Le Concierge a le mot, vous n'avez rien à craindre. Que chez votre Beau-père elle ait osé paraître  ! Cet effort part d'un coeur profondément atteint. Il faut vous satisfaire. Ainsi par cet aveu votre soupçon s'efface. Mais de Don Dionis obtiendrons-nous la grâce  ? Madame... Il ne nous reste plus que Guzman à pourvoir ; C'est à lui de choisir entre les deux Suivantes. Va, Béatrix, n'écoute plus ce fat, Je vais faire ériger ma terre en Marquisat, Et si dans ce temps-là ta foi n'est point promise, Prends-en la mienne ici, je te ferai Marquise. Comme en toi je choisis l'objet le plus parfait, J'en sais qui m'ont trouvé peut-être assez bien fait, Je plais où je veux plaire, et suis assez de mise. Je n'ai pas avec toi méchante renommée. Puisque tu me connais, n'allons pas plus avant, Aussi bien nous pourrions nous quereller souvent, Au lieu que demeurant aux termes où nous sommes, Tu verras que je suis le plus ardent des hommes, Et que tant que le jeu me laissera de quoi, Si tu prends à crédit, j'irai payer pour toi. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LEONOR *date_1659 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_leonor J'en use librement. Je viens vous confier le secret de ma vie, Et sais trop, que pour fuir le malheur que je crains Je ne pourrais le mettre en de plus sûres mains. Vous avez déjà su que mon père à Séville Ne crut pas avoir fait un voyage inutile, Puisque là pour époux à son retour j'appris Qu'il m'avait su choisir Don Fernand de Solis. Ignorant jusque-là ce que c'est qu'être Amante, Je tins cette nouvelle assez indifférente, Et mon coeur libre encor n'étant point prévenu, Souscrivit sans murmure au choix d'un Inconnu ; Mais dans cet intervalle usant de sa puissance, L'amour s'est bien vengé de mon indifférence. Un autre Don Fernand pour troubler mon repos... Don Fernand d'Avalos. Un procès qu'à la Cour il est venu poursuivre, L'a tiré de Grenade où le Ciel le fait vivre, Et mes sens en lui seul se sont sentis flattés De tout ce qu'on peut voir d'aimables qualités. Sans savoir ce qu'en moi sa rencontre fit naître, Vous savez l'accident qui me le fit connaître, Un jour qu'au bord du fleuve où j'osai m'engager, Mes chevaux s'emportant m'eussent mise en danger, Si soudain à leur fougue opposant son courage, Il n'eût su m'épargner ce genre de naufrage. Je ne vous ferai point de récits superflus, Je le vis, il me plût ; il me vit, je lui plus. Une pareille ardeur dans nos coeurs sembla naître ; Mais quelque effort alors qu'il fît pour me connaître, Malgré ce grand service il ne pût rien savoir, Sinon qu'en ce lieu même il pourrait me revoir. Ainsi dès ce moment contre toute apparence, Mon amour commença par la reconnaissance, Et sans cesse mon coeur par de secrets discours S'entretint du péril pour songer au secours. J'aimais à me tenir cette image présente, J'évitais d'être ingrate, et me rendais amante, Et pour me livrer mieux aux transports que je sens, L'Amour se prévalait de l'erreur de mes sens. Tout, si d'un beau feu l'impérieuse loi Pour attendre de lui ce qu'elle obtient de moi. C'est par ce seul motif qu'il m'a vue obstinée À lui taire et mon nom et de qui je suis née, Et qu'à le voir souvent ayant su m'obliger, Avant qu'il me connût j'ai voulu l'engager. L'Amour, dont on sait trop jusqu'où les droits s'étendent, Est toujours favorable à deux coeurs qui s'entendent, Et pour rompre un Hymen qui confond mon espoir, Pourvu qu'on l'en consulte, il a trop de pouvoir. C'est ce qu'à Don Fernand j'ai résolu d'apprendre, Et pour lui découvrir cet important souci, Jacinte qui l'attend va l'amener ici. Je m'en suis cru chez vous la liberté permise. Le logis de derrière ouvre en un lieu désert, Par où le faire entrer sans qu'il soit découvert ; Jacinte en est instruite, et sait ce qu'il faut taire. Non, mais ce seul hymen dont mon amour soupire, Et par ses sentiments prendre droit de juger Jusqu'où pour y répondre il me doit engager. Aussi par vos conseils je cherche à me conduire, Et ce qu'il veut savoir ne lui sera connu Qu'après que vous l'aurez vous-même entretenu. Vous sonderez son coeur, étudierez son âme, Et j'éteindrai par vous, ou nourrirai ma flamme. Et bien, Jacinthe  ? Qu'il vienne. Enfin c'est en vous que j'espère. Enfin à le prouver le Ciel vous offre jour. S'il est tel que mes yeux semblent l'avoir fait naître, C'est à vous, Don Fernand, à le faire paraître. Le temps presse, du Sort je crains les derniers coups, Et si vous n'agissez, je ne puis être à vous. On ne l'aura jamais, et quoi que je hasarde, Les effets feront voir quelle foi je vous garde, Et qu'il n'est rien pour vous que j'ose négliger Quand sous les lois d'un autre on me veut engager. Oui, pour vous découvrir ce que j'ai dû vous taire, Apprenez, Don Fernand, que je dépends d'un père, Qui sans m'en consulter, de mon repos jaloux, A voulu par ses yeux me choisir un Époux. Cet hymen arrêté rend ma disgrâce extrême, Mais je vous dois la vie enfin, et je vous aime, Et vois avec plaisir que mon coeur en ce jour Ne peut fuir d'être ingrat sans servir mon amour. Quoi qu'il nous faille ici conduire avec prudence, J'aime dans votre amour un peu de violence, Et si j'en dois calmer les transports furieux, Je ne saurais haïr ce qui le prouve mieux. Quelque raison encor veut que je vous le cache. Dans un logis d'Amie on a su vous conduire ; De mon engagement j'ai cru devoir l'instruire, Et si son avis est qu'on ne vous cache rien, Peut-être dès ce soir vous me verrez au mien. Je l'en croirai. Va vite avertir Isabelle. Que dites-vous tout bas  ? Votre amour y rencontre un péril dont je tremble. Des conseils d'Isabelle espérons quelque fruit. Sachant quelle aventure à soupirer m'expose, Voyez en Don Fernand le sujet qui la cause. Vos sentiments ont droit d'en régler seuls la fin. Prendre déjà sa cause  ! À moins qu'il vous corrompe... Il faut vous l'avouer, si Don Fernand me plaît, Dès l'abord comme vous je vis tout ce qu'il est, Le coeur grand, l'âme belle, une entière franchise Mais de ses sentiments je craignais la surprise, Les plus prompts quelquefois ne sont pas les meilleurs. Et c'est  ? Non, à votre amitié tout mon coeur s'abandonne, Il en croira soudain quoi que son zèle ordonne, Et pour vous donner lieu d'en mieux délibérer, Je vous laisse tous deux, et vais me retirer, Adieu. Vous aurez tantôt de mes nouvelles. Que Don Fernand s'expose à venir chez mon père  ? Il m'en croit offensée, et n'ose m'aborder. De votre amour pour moi cette épreuve est cruelle, Et je n'aurais pas cru qu'un mouvement jaloux Vous fît payer si mal ce que j'ai fait pour vous. Quoi que sur mon rapport vous ayez lieu de craindre Que mon père à l'hymen ne me veuille contraindre, Vous avez dû me croire assez de fermeté Pour n'en redouter pas toute l'autorité. Cependant c'est par vous que le sort m'assassine ; Vous venez chez Don Diègue assurer ma ruine, Et ne voulez pas voir qu'en ce pressant ennui C'est me perdre en effet que paraître chez lui. Qu'y venez-vous chercher, sachant ce qui se passe  ? Laissez-moi les moyens d'éviter ma disgrâce, Et ne dédaignez pas, pour mériter ma foi, Quand j'ose tout pour vous, de faire un peu pour moi. Un semblable serment a pour moi bien des charmes ; Mais daignez m'épargner de puissantes alarmes, Et pour ne me laisser aucun lieu de souci, Sans vouloir voir Don Diègue éloignez-vous d'ici. De ma part allez voir Isabelle, Et suivez un espoir qui vous est confirmé, Si vous aimez autant que vous êtes aimé. Retirez-vous, de grâce, Mon amour vous l'ordonne, et ma crainte vous chasse ; Être ici plus longtemps ce serait me trahir. Adieu. J'ai souffert dans mon coeur un étrange combat, D'un si hardi dessein je voyais tout à craindre. Viens dans mon cabinet en résoudre avec moi. En l'état déplorable où l'amour m'a réduite, J'ai bien besoin qu'on m'aide à régler ma conduite. Cet époux qu'à Séville un père m'a choisi, Fait le chagrin mortel dont mon coeur est saisi. De moment en moment il doit ici paraître, Et pleine du désordre où vous me voyez être, J'ai mandé Don Fernand pour résoudre avec lui Ce que mon feu du sien peut attendre d'appui. Comme il sait qui je suis, je n'ai plus lieu de feindre. Quoi, ce n'est pas de vous qu'il tient tout mon secret  ? Ce qu'il a fait tantôt m'obligeait à le croire. De l'hymen qui me perd désespéré, jaloux, Afin d'y mettre obstacle, il est venu chez nous. À peine ai-je obtenu qu'il n'ait pas vu mon père. Quoi, vous doutez qu'ici Jacinte ne l'amène  ? Quel rude revers avais-je à redouter  ? Que le Sort m'est cruel  ! Quel sujet avez-vous par là de défiance  ? En conter en tous lieux n'en est pas un bon signe. L'humeur de Béatrix n'aura jamais d'égale. Malgré mon déplaisir j'écoute sa Morale ; Mais elle adoucit peu ce que ma flamme craint, S'il faut que Don Fernand soit tel qu'on me le peint. Que me disiez-vous donc, et quelles conjectures... Vous voir est un bonheur que je n'attendais pas. Sur un bruit, Don Fernand, qui m'avait mise en peine, J'avais lieu de tenir cette espérance vaine ; On parlait de disgrâce, et d'emprisonnement. Cependant il s'agit de prouver votre foi, On me la rend suspecte, et si je l'en veux croire, Je ne m'y puis fier sans hasarder ma gloire, Il doit faire mal sûr recevoir vos serments. Je tâcherais en vain, Don Fernand, de vous taire, Qu'un mouvement secret m'en rendit l'offre chère, Et que rien à mon coeur ne peut être plus doux, Que vous voir mériter ce qu'il ressent pour vous ; Mais réduite à l'hymen qu'un père me prépare Si contre mon devoir mon coeur ne se déclare, Songez que cet effort ne se doit hasarder Que pour prix d'une foi qu'on veuille me garder. Dans ce qu'on vous impute ai-je lieu de le croire  ? Tout ce que Don Fernand me conte de douceurs, Don Dionis, dit-on, le sait conter ailleurs. C'est sous deux divers noms que son coeur se partage. Mais de Don Dionis connaissant le visage, Croirai-je qu'en effet elle ait pu s'abuser  ? Mais peut-il être tel, qu'on s'y puisse méprendre, Et que dans cet abus, la taille ni la voix... Ce procédé pour vous n'a rien que de honteux. Partout, sous divers noms, faire intrigues nouvelles  ? En vain cette assurance à mes soupçons s'oppose. Don Dionis ailleurs promet la même chose, D'autres en ont ouï ce qu'il dit maintenant. Mon doute me déplaît, je cherche à le confondre ; Mais peut-on refuser de croire ce qu'on voit  ? Pour les pouvoir surprendre, ils s'entendent trop bien. Soyez tout ce qu'il vous plaît d'être, Loin de prendre intérêt encor à vous connaître, C'est un surcroît sensible à mes tristes ennuis, Qu'on vous ait malgré moi découvert qui je suis. Quoi, jaloux d'un hymen que je n'ai pu vous taire, Vous n'êtes point venu pour parler à mon père, Lui proposer de rompre  ? Ah  ! C'est trop soutenir un lâche stratagème. Nier obstinément ce que j'ai vu moi-même, Et de l'art de fourber se tenant glorieux, Démentir à la fois mon oreille et mes yeux  ! Je n'en demande point une preuve plus forte, Adieu. Va du Jardin le remettre à la porte, Jacinte, je rougis de l'avoir écouté. Enfin je ne veux point m'éclaircir davantage. Pour un autre à l'hymen sa parole m'engage, Il le veut, il l'ordonne, et je dois obéir. Après ce que j'ai fait ce malheur m'est bien dû. N'espérez pas... Donc à ne craindre rien le péril vous anime  ? Mais cet éclat me perd. Hélas  ! Que dois-je faire  ? Ah  ! Mon père, De ma témérité vous serez en colère ; Mais quand vous apprendrez... Don Fernand de Solis  ! Ai-je bien entendu  ? Je l'ai déjà su dire, Mon père ayant des droits que je ne puis trahir, S'il a choisi pour moi, je ne sais qu'obéir. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1659 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Cet hymen proposé me fait voir tant d'estime, Que l'espoir m'en paraît à peine légitime. Je ne cèlerai point que ce peu de beauté M'acquiert de Don Félix quelque civilité, Mais, Monsieur, un dessein d'une telle importance, Avant qu'aller plus loin, vaut bien que l'on y pense, Et quoi qu'aucun n'ait droit de contraindre ma foi, Je dois en consulter de plus sages que moi Je sais de leur conseil ce que je puis attendre, Et c'est de Léonor que je le voudrais prendre, Si comme elle est sa soeur, les intérêts du sang Auprès de l'amitié n'étaient d'un autre rang. En se déférant trop, il craint de se méprendre Ces Soupirants d'office, en tous lieux si chéris, Sont d'aimables Amants, mais de fâcheux Maris ; En vain la plus parfaite aura touché leur âme, S'ils l'adorent Maîtresse, ils la méprisent Femme, Et leurs voeux attachés à de nouveaux appas, Dédaignent ce qu'ils ont pour tout ce qu'ils n'ont pas. Voilà ce qui suspend tout ce que je propose. C'est en dire un peu trop. Tu crois qu'il tiendra tout  ? C'est un état heureux, et je le sais connaître ; Mais de quelque douceur qu'il flatte nos esprits, Le nom de vieille fille est un nom de mépris. Le choix, à dire vrai, n'est pas facile entre eux, Je tiens l'un plus galant, l'autre plus amoureux. D'abord Don Dionis, en m'expliquant sa flamme, Éblouit ma raison, charma toute mon âme ; Mais si j'en juge bien, je lui vois chaque jour Plus de galanterie avecque moins d'amour. De cette passion il n'a que l'habitude, Il en prends les dehors, soupire par étude, Et je crois, quand il tâche à lui donner crédit, Que son coeur ne sait rien de tout ce qu'il me dit. Si son feu brille moins, j'y crois plus de constance, Et je tiens qu'à l'hymen un esprit arrêté Doit moins chercher l'éclat que la solidité. Pour juger mieux encor ce qu'il faut que j'en croie, Et c'est pour me pouvoir expliquer avec lui, Qu'il avait eu de moi rendez-vous aujourd'hui. Tu sais que Léonor a rompu la partie. Léonor seule ici me priant de l'attendre, C'est le moins, Béatrix, que je pouvais lui rendre. Mais je la vois entrer. Songez que l'amitié défend le compliment, Et qu'enfin vous servir fait ma plus forte envie. Un autre  ? Dites-vous  ? Mais engagée enfin à l'hymen par un père, Qu'est-ce dans cet amour que votre coeur espère  ? Mais l'Époux arrive, que pouvez-vous prétendre ? Il n'est rien qu'avec moi l'amitié n'autorise. Cette précaution était peu nécessaire. Qui vit comme je fais, sans détour, sans façon, Brave la médisance, et craint peu le soupçon. Mais enfin aujourd'hui vous lui voulez tout dire  ? Souvent un beau dehors a l'art de nous séduire. Il ne faut pas dès l'abord me montrer. Dans l'aise qu'il aura du dessein que vous faites Ses premières douceurs doivent être secrètes. Quand à vous seconder vous aurez su le sien, Je ne refuse pas d'être de l'entretien. Viens Béatrix. Nous le verrons, mais Dieux  ! Ma surprise est extrême, Je vois Don Dionis. Il aime Léonor, et m'ose cajoler  ! Il faut dissimuler. Je ne m'étonne point si vous me connaissez. Pour peu qu'avec un coeur l'on ait d'intelligence, De tout ce qu'il chérit on a la connaissance, Et l'amour qui du sien vous fait suivre la loi, Doit faire autant pour vous que l'amitié pour moi. J'en ai déjà tiré des lumières secrètes Qui m'ont en un moment appris ce que vous êtes, Je sais presque de vous tout ce qu'on peut savoir. Elle vous fait grand tort par cette défiance, Et sur ce que de vous je puis justifier, Elle verra bientôt comme on doit s'y fier. Vous me ferez reproche en cas que je vous trompe. À vous dire le vrai, je le connais d'ailleurs. Un Ami qui d'erreur est assez incapable, M'en avait fait une peinture aimable, Dont les traits délicats ayant gagné ma foi, Ne m'avaient rien caché de tout ce que j'y vois. L'air, la mine, l'esprit, enfin tout se rapporte. Jamais d'un vrai mérite on ne fit plus de cas. Don Dionis. Ne le connaître pas ! Certes cela m'étonne, Vous est-il inconnu, s'il ne l'est à personne  ? Un Cavalier civil, poli, galant, parfait, Qui pensant ce qu'il dit, plaît dans tout ce qu'il fait, Point fourbe, point trompeur, point de ces lâches âmes Qui cherchent en tous lieux à promener leurs flammes, Et d'ailleurs il se dit de vos meilleurs Amis. Deux noms divers en lui pourraient causer le vôtre. Qui m'est connu sous l'un, vous le sera sous l'autre. Don Dionis pourtant est le seul que je sais. Je ne vais pas si vite à dire ma pensée, Et si de son aveu j'ose en prendre le droit, Je crains de l'engager à plus qu'elle ne croit. Voyons son impudence avant que de parler. En vain à vous cacher votre esprit s'étudie. De grâce, jouez-vous ici la Comédie, Ou si vous prétendez que pour votre intérêt Mon esprit soit brouillé comme le vôtre l'est  ? Oui, sans doute, il vous faut des douceurs mieux choisies, Et la pauvre abusée à qui vous en contez, Pour vous croire honnête homme, a de grandes clartés. Certes, votre méthode est galante et nouvelle. Pour moi Don Dionis, et Don Fernand pour elle  ? Ce rare expédient à vous mettre en crédit, D'aucun autre avant vous n'avait frappé l'esprit, Et ce sont en amour de subtiles adresses, Que prendre autant de noms que l'on fait de Maîtresses. Un si beau stratagème en a-t-il bien dupé  ? Elle apprendra le vôtre, et saura qui vous êtes ; Mais pour vous, croyez-moi, vos affaires sont faites, Vous n'en saurez jamais ni le rang ni le nom. C'est trop longtemps jouer le même personnage. Enfin, Don Dionis, mettons le masque bas. Quoi, vous ne l'êtes pas  ? Il t'en veut donc aussi  ? Don Juan de Torres n'est point connu de vous  ? Non, non, Don Dionis, on ne veut rien de vous. Il m'importe fort peu que vous le vouliez être, Pourvu qu'en le voyant vous sachiez l'avertir, Que je ne l'ai souffert que pour me divertir. De ses fades douceurs, par coeur sans doute apprises, Il m'a plu quelquefois d'écouter les sottises, Mais loin qu'il pût avoir quelques charmes pour moi, Mon choix à Don Félix répondait de ma foi ; À des Provinciaux j'aime à donner la baye. Adieu, mon Cavalier. C'est assez, il est temps que vous fassiez retraite. Non, non, mon Cavalier, tournez de ce côté, Sortez par l'autre porte, elle vous est connue. Pour vous le faire croire, il suffit de vous dire Que plus je vous connais, et plus je vous admire. Les divertissements que vous vous choisissez Ne trouveront jamais qui les estime assez, Votre agréable humeur galamment les ordonne ; Mais afin d'épargner votre double personne, À qui d'elle avec vous parlai-je maintenant  ? Est-ce à Don Dionis, ou bien à Don Fernand  ? Êtes-vous de Grenade, ou venez-vous de Flandre  ? Prévenir les sujets que j'aurais de me plaindre, C'est fort adroitement pratiquer l'art de feindre. Si j'avais pu tantôt tomber dans le panneau, Vous me feriez encor y donner de nouveau ; Mais quoi que mon esprit n'ait pas tant de lumières, Il faut pour l'éblouir des fourbes moins grossières, Et celles que par là vous pourrez attraper, Auront un grand talent à se laisser duper. Je vous prie, Afin d'ennuyer moins, changez de batterie ; C'est assez sur ce ton, vous ne m'y prendrez pas. Quoi, ce que vous oyez est peu pour vous confondre  ? Mais enfin quelle est votre espérance ? Si je sais qu'en secret d'une Inconnue épris, Vous êtes Don Fernand, et non Don Dionis, Pourquoi sous ce faux nom tâcher à me surprendre  ? Arriver de Grenade, et me parler de Flandre, Et de l'Armée enfin vous feignant de retour, Me cacher qu'un procès vous amène à la Cour  ? J'ai tout su de vous-même. La rencontre chez moi vous était imprévue. Vous y veniez sans peine, attiré par l'amour. L'honnête garant que vous faites paraître  ! De vos déguisements je découvre le but, Pour conserver toujours quelque place en mon âme Vous me voulez cacher votre nouvelle flamme, Mais n'en croyez pas tant l'espoir que vous prenez, L'un pour l'autre tous deux nous ne sommes point nés. À la seule Inconnue adressez votre hommage. Aussi bien ma parole à Don Félix m'engage, Et jamais à vous voir je n'ai su me forcer, Qu'aux moments de chagrin que j'avais à passer. Vous n'avez point d'intrigue avec une inconnue  ? On en connaît le prix. Adieu, c'est trop. Quoi, tu peux l'écouter  ? Tu te laisses gagner à la compassion, Et crois que jusqu'au coeur son déplaisir arrive  ? Mais qui de ce transport vous peut rendre capable  ? Pauvre dupe  ! Il faut que je l'avoue, Chacun de vous fait bien dans le rôle qu'il joue, Le conte avec grand art est sans doute inventé. De grâce, Don Juan, vous a-t-il bien coûté  ? Ce rare effort d'esprit vous comblera de gloire. Qu'il est souvent aisé de tromper une Femme  ! Simple, tu ne vois pas qu'ils s'entendent tous deux  ? Quels reproches de vous aurais-je lieu de craindre  ? Si quelque autre a sur lui la victoire obtenue, Je pourrais opposer l'amour d'une Inconnue ; Mais quoi que vous fassiez j'y prends peu d'intérêt. Tu me parles en vain. Je ne croirai jamais qu'un autre lui ressemble, Si tous deux aujourd'hui je ne les vois ensemble. Tantôt pour m'éclaircir il peut venir chez moi. Qu'un semblable souci n'ait rien qui vous tourmente. Depuis une heure au plus j'ai revu son Amante, Qui sans savoir encor ce que je crois de lui, Doit chez moi de nouveau l'envoyer aujourd'hui. L'un ou l'autre y manquant, je sais mon personnage, Adieu. Vous serez Don Fernand, si vous le voulez être, Lorsque Don Dionis aura voulu paraître ; Vous êtes tous les deux tant qu'on ne le voit pas. Il ne me l'ôte pas. Sans aucun intérêt je vois cette aventure ; Dionis ou Fernand, tout est égal pour moi, Je vous l'ai déjà dit, Don Félix a ma foi ; Mais la Dame Inconnue à qui vous voulez plaire, Par beaucoup de raisons me doit être bien chère, Et si vous la trompez, je ne puis refuser D'employer tous mes soins à la désabuser. Entrons, en attendant que Don Dionis vienne ; C'est l'unique moyen de vous justifier. Mais ne pourrait-il pas vous donner caution  ? Nomme ma défiance injustice ou faiblesse, Condamne sur mes sens ce qu'elle a de pouvoir, Dans ces occasions on n'en peut trop avoir. Je plains de Don Fernand la fâcheuse disgrâce ; Mais crois-moi, ses détours vont être superflus, Puisqu'il est arrêté, Don Dionis n'est plus. Son valet qui le suit fait voir le stratagème. Tu seras toujours folle avec ta ressemblance. Enfin c'est Don Juan qui t'a gâté l'esprit. Il n'est rien de plus vrai que ce qu'il nous dit  ? Voilà comme tu crois si tôt que l'on t'en conte Je te souffre l'erreur qui t'a toujours flattée ; Mais dans mon coeur enfin la chose est arrêtée, Et quand Don Dionis serait tel que tu crois, J'ai su pour Don Félix déterminer mon choix. Son retour à Madrid que dans peu l'on espère, S'il est toujours le même, achèvera l'affaire, Et si pour Léonor j'étais hors de souci... Mais je vois Don Juan. Qui vous fait rire ainsi  ? Don Dionis ne fait que sortir de ce lieu. Lui-même. Tout augmente mon trouble, et mon esprit s'y perd ; Mais tu doutes en vain, Béatrix, c'est le même. Don Fernand est venu dégager sa parole. Vous pouvez là-dessus poursuivre votre rôle, Il vous laisse en état de bien l'exécuter. Quoi, pour votre intérêt vous voulez qu'il s'arrête, Quand le pouvoir du Roi rend son excuse prête  ? C'est pour n'y pas céder une trop juste loi. Que vous êtes adroit à bien donner le change  ! Mais rien de votre part ne doit sembler au étrange, Et la fourbe est pour vous un don si naturel... Le trait est si subtil, qu'il faut que je confesse Qu'on ne peut rien conduire avec plus de justesse, Et comme de l'Exempt je connaissais le nom, J'ai cru, vous arrêtant, que c'était tout de bon. Où l'avez-vous laissé  ? Hé de grâce, Faites voir ailleurs vos tours de passe-passe. L'on me dupe d'abord, mais j'en reviens soudain. Certes, je vous devrais aider à me duper  ? Mais personne jamais n'eut moindre complaisance, Vous perdez votre temps. Je crois tout, mais enfin je vous connais trop bien. Guzman mérite bien que vous daigniez l'instruire  ? Il fait de vos leçons un merveilleux emploi. Tu l'as donc vu, Guzman  ? Où l'a-t-on fait entrer  ? C'est assez, nous nous verrons demain, Adieu ; viens, Béatrix. Vous avez déjà su le secret de mon âme, Ma foi pour Don Félix toujours se soutiendra ; Et pour vos intérêts, le temps en résoudra. La visite où pour vous ici je me dispense, Peut-être choquera l'exacte bienséance, Et quand pour Don Félix on presse mon aveu, Je n'entre point chez vous sans en rougir un peu. Aussi quoi qu'à vous voir l'amitié m'autorise, Je ne m'en croirais pas la liberté permise, Si le voyant absent, je ne venais sans peur De rencontrer le Frère où je cherche la soeur. Vous m'avez confié votre secrète flamme, Et sachant ce que peut Don Fernand sue votre âme, Ce serait mal répondre à ce que je vous dois, Que de vous refuser mon avis sur ce choix. Donc à vous déclarer il a su vous contraindre  ? Peut-être pour le taire est-il assez discret ; Mais s'il l'a su de moi, j'ai mauvaise mémoire. Cette chaleur d'amour ne doit pas vous déplaire, Mais si son coeur pour vous nourrit des feux constants, Vous êtes en danger de l'attendre longtemps. Je crains qu'à le trouver elle n'ait quelque peine, Tout à l'heure, à mes yeux, on vient de l'arrêter. J'ai pourtant un scrupule, Qui sur ce point encor me laisse peu crédule. Je viens de la prison, où de tout mon pouvoir J'ai tâché, mais en vain, d'obtenir de le voir ; Le concierge en oppose une étroite défense. C'est que j'en ai beaucoup de me persuader Que jamais de la fourbe on ne sut mieux s'aider. Ce même Don Fernand qui vous voit, qui vous aime, Doit être un Dionis qui m'en conte à moi-même, Ou s'il ne l'était pas, le rapport est si grand, Qu'il confond en effet plutôt qu'il ne surprend. Béatrix n'y peut voir pour tant de ressemblance. Enfin de sa prison, ou fausse, ou véritable, Dépend de ce qu'il est la preuve indubitable ; C'est à quoi je m'arrête, et vous devez juger Qu'ici votre intérêt me peut seul engager. Je dois un coeur fidèle aux voeux de votre Frère, Et quand à tous Objets son amour me préfère, Le mien de ce qu'il vaut par ses respects instruit... Mais, Dieux  ! Je vois Jacinte, et Don Fernand la suit. Sur ce que vous savez prenez bien vos mesures. Et bien  ? Ce n'est pas fourbe encor que sa prison  ? C'est avoir promptement dressé votre partie. Leur envoyer l'avis, prendre leur caution, Trouver, suivre Jacinte à l'assignation, Le tout en moins d'une heure, et dans un temps si juste, Qu'il semble qu'à vos voeux chaque moment s'ajuste ; Qui pour aller si vite a des ressorts tout prêts, S'il n'est quelque peu fourbe, a d'étranges secrets. Mais tout à l'heure encor ce qui fait ma surprise, Le Concierge semblait n'avoir pas le pouvoir De souffrir seulement qu'un Ami vous pût voir. Enfin de vos talents elle est bien informée. Qu'elle aime là-dessus, qu'elle se croie aimée, J'ai pour ses intérêts agi comme j'ai dû. Un rapport si fidèle a grand lieu de surprendre. Parlez pour lui d'abord  ! Vous viendrez au secours, s'il sait mal vous connaître. Parle, à qui donc es-tu  ? Et c'est Don Dionis, que ce Maître  ? Est-ce lui que tu vois  ? Mais tu l'aurais connu quand tu l'as abordé  ? Songez à les cacher ; s'il faut qu'il les surprenne... Préparez quelque excuse, et je vous aiderai. Comme pour Léonor une forte tendresse Toujours dans son destin veut que je m'intéresse, Le choix de Don Fernand ne peut m'être que cher, S'il est digne du coeur qu'il tâche de toucher. C'est assez, votre jeu concerté N'a pas surpris en moi trop de crédulité. Vous m'avez pour répondre accordé plus d'un jour, Suffit que je l'estime, et que je ne puis taire Que la soeur près de moi peut beaucoup pour le Frère. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_BEATRIX *date_1659 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_beatrix Pas tant, si je vous viens ôter un rendez-vous. Que tantôt ma Maîtresse Isabelle Ne peut, Don Dionis, vous attendre chez elle ; Voilà ce que j'allais vous dire de sa part. Non pas pour aujourd'hui, votre amour va trop vite. Il vous plaît de railler. Ma foi, je ne sais pas comme vous l'entendez, Mais je pense valoir ce que vous demandez. D'aussi bien faits que vous me verraient pour mon compte. Que vous le baillez doux  ! Trêve, Don Dionis point de guerre entre nous, J'ai peut-être de quoi vous donner votre reste. De grâce, arrêtez-là la protestation, Sans me charger encor d'un coeur comme le vôtre, J'ai tant de Protestants qu'ils s'étouffent l'un l'autre, Et dans les voeux divers qu'on me vient adresser, Je ne sais tantôt plus où les pouvoir placer. Je sais ce que je puis, ne faites point le brave, Et croyez seulement que l'ayant entrepris, Vous seriez bien adroit si vous ne restiez pris. Qu'on se défende ou non de chercher à me plaire, Quand j'ai dessein de prendre, on ne m'échappe guère, Et j'arrête si bien, qu'en ce droit absolu Je n'ai perdu jamais que ce que j'ai voulu. Vous pensez-vous en rire, Mais après tout, peut-être à m'examiner bien, À la qualité près, il ne me manque rien. Quoi que montre d'appas ma Maîtresse et la vôtre, Cette taille et ce port en valent bien quelque autre. Si je n'ai point les traits si doux, si délicats, J'ai des je ne sais quoi que la beauté n'a pas, Le teint, je m'en rapporte, et pour de la jeunesse, Je pense que me voir c'est tout. Jaseur, C'est à toi de parler avec les gens d'honneur  ? Oui, je m'abaisserai jusqu'à prendre les tiennes. C'est là que je veux que tu viennes. J'ai besoin des douceurs d'un Galant tel que toi  ? Quoi, ne songer qu'à vous  ! Et que feraient mille autres Dont les voeux acceptés ont précédé les vôtres  ? Chaque moment du jour peut à peine fournir À donner à chacun son rang de souvenir ; Mais je perds trop de temps, adieu, je me retire. Achevez donc, qu'avez-vous à me dire  ? Est-ce tout  ? Vous me ferez gronder, J'ai hâte. Vous ne m'étonnez point, j'y prends plaisir moi-même Et dans plus d'un miroir on me voit chaque jour Aller de temps en temps me faire un peu de cour. Je ne m'y trouve pas tout à fait déchirée, Et j'en prends plus de droit d'aimer l'original. Hé, de grâce, pour moi n'en venez pas aux mains. Je pense que pour vous je sens la même chose, Et crains bien que restant dans cette égalité, Aucun des deux jamais n'ait droit de primauté. Adieu. Ce choix vous va causer un peu d'inquiétude ; Si Don Félix fait voir son amour par ses soins, Don Dionis pour vous n'en témoigne pas moins, Votre coeur doit parler c'est à vous de l'entendre. De vrai, le mariage est une étrange chose, Et qui s'en peut louer, pour en bien discourir, Au métier de forçat n'aurait guère à souffrir. La chaîne en est, dit-on, si rude et si pesante, Que qui n'en gémit point a l'âme bien constante, Et quand il faut choisir, jeune, galant, fleuri, Adroit, aimable, beau, c'est toujours un Mari, On est bien empêché comme on s'y doit conduire, Trop de précaution souvent ne fait que nuire, En vain pour mieux échoir on y fait cent façons, Puisque enfin les meilleurs ne sont jamais trop bons. Sans qu'un semblable choix nous chagrine d'avance, Il faut jeter les dés au hasard de la chance, Et dire en risquant tout, puisque enfin on le veut, Dieu nous la donne bonne, et vienne ce qui peut. Ce n'est point là satire, Madame ; croyez-moi, l'on n'en saurait trop dire. Il est de ces rêveurs, il est de ces jaloux, Qui se font plus de mal qu'ils n'en craignent de nous. Qu'une Femme s'échappe à voir un peu le monde, Leur chagrin en murmure, et leur dépit en gronde, Et dans leur rêverie à rendre un esprit fou, L'on n'est sage jamais si l'on n'est loup-garou. Pour moi qui ne suis pas d'humeur trop endurante, Si jamais un Mari l'assemblage me tente, Le contrat d'union dans mon petit calcul Aura plus d'une clause, ou demeurera nul. Il me sera permis de danser et de rire, Je verrai mes Amis sans qu'il y trouve à dire, Et saurai le réduire à ne rien redouter De toutes les douceurs qu'on me viendra conter. Et bien, quitte à se battre. Si j'enrage une fois il enragera quatre, Et me mettant au pis, je sais qu'il trouvera Plus de fâcheux moments qu'il ne m'en donnera. Après tout, le meilleur est de vivre sans Maître. Aussi, ce qui doit bien refroidir notre envie, Quand on est marié, c'est pour toute sa vie, Et pour qui s'en repent, à vous parler sans fard, L'espoir de se voir veuve est un triste hasard. Cette faveur du Ciel est toujours trop tardive, Nos beaux jours sont passés quand ce grand jour arrive, Et le plus souvent même abusant nos souhaits, Il nous rit, il nous flatte, et n'arrive jamais. Mais pour vos deux Amants, quel dessein est le vôtre  ? Vous sentez-vous égale, et pour l'un et pour l'autre  ? Don Félix pourra donc emporter la balance  ? Pourquoi permettre donc que son Rival vous voie  ? Ma foi, je n'aurais point péché par modestie. Sa visite à demain eût reçu le renvoi, On doit à ses Amis quand on a fait pour soi. Ma foi, pour un Amant voilà bien du mystère. Je m'inquiète moins de m'en voir mille et plus, J'en tiens papier exact, et je dors là-dessus. Madame, c'est lui-même. Bons Dieux  ! Quel maître fourbe  ! Madame, nous pouvons enfin le régaler. Il fallait un peu plus vous sucrer le breuvage, À vous, qui Don Fernand quand vous vous avisez, Chez nous effrontément vous endionisez ; Ce sont là les moyens d'en attraper de belles. Voyez le fourbe  ! Et puis, à qui se fiera-t-on  ? Payez son impudence, ou bien laissez-moi faire. Voyez, il nous prendra pour ses dupes, ma foi. Faites bien l'ignorant, je ne suis que Suivante, Mais telle que je suis, vous ayant rencontré, Vous me trouviez tantôt assez à votre gré. Il m'a galantifiée au milieu de la rue, Et son coeur, s'il m'eût fait en croire ses serments, Se fût enregistré sur mon papier d'amant. La chose n'est pas vraie  ? Gardez d'être frotté, Monsieur le Grenadin. Quelque temps qu'à forger vous ait coûté l'histoire, Vous le passeriez mal si l'on m'en voulait croire. Entrant à l'aise ici, l'on ne vous hâtait pas, Mais, ma foi, pour sortir vous doubleriez le pas, Je vous remercierais de votre effronterie. Voilà comme on vous paye, Messieurs, qui venez provincialement Débiter la fleurette, et prêter le serment. On vous fait bonne mine, on rit, on raille, on, cause, Mais les amis du coeur, dame, c'est autre chose, La tablature change, on parle sérieux. Gagnons vite la rue, Le meilleur est pour vous de déloger sans bruit, Je vous y conduirai ; bonsoir et bonne nuit. Ah, Monsieur Don Fernand, vous vous dégrenadez  ? Vous ne me prenez plus pour amie ou parente  ! Madame, il veut, je crois, nous renverser l'esprit. Donc tantôt tout du long me traitant d'Inconnue, Vous n'avez point nié de m'avoir jamais vue, De vous être adouci pour m'en conter un peu  ? Avec combien de soin la pièce est concertée  ! Vous n'attraperez rien à prendre ce détour. De vous voir archi-fourbe, et des plus raffinés. Qui voudra l'ouïr, c'est la même innocence. Ma foi, vous n'aviez pas tantôt votre bon sens. Je ne sais quasi plus ce qu'il faut que j'en pense. Madame, accordez-lui... Mais ne trouveriez-vous aucun lieu de douter  ? S'il est Don Fernand, comme il semble paraître, Pourquoi s'obstiner tant à ne vouloir pas l'être  ? Sur quel espoir si loin pousser la fiction  ? C'est mon plus grand défaut, je suis trop compassive, Et parmi mes galants d'amour et d'amitié, J'en sais sur mon papier plus de cent de pitié ; Il est des étourdis, que refuser d'entendre, C'est contraindre autant vaut sur l'heure à s'aller pendre, J'évite le désastre, et fais tout pour le mieux. Madame, assurément c'est notre Grenadin. Pas tant peut-être qu'il vous semble. Vous en doutez, Madame  ? Doutez, puisqu'il vous plaît ; pour moi, je suis pour eux, Et j'ai vu tant de fois de telles ressemblances, Que je ne puis avoir toutes vos défiances. Pour s'être tenu prêt à fourber avec nous, Pouvait-il deviner qu'on le menait chez vous  ? Y serait-il venu sachant ce qu'il hasarde  ? Outre que si vous-même y voulez prendre garde, Quel que soit leur rapport de visage et de voix, L'autre semblait moins large, et plus grand de deux doigts. Quel serait son dessein, Madame  ? Pensez-vous... Guzman vient seul ici  ! Qu'a-t-il fait de son Maître. Enfin on l'attendra plutôt jusqu'à la nuit. Mais pourquoi n'entrer pas  ? Qui t'arrête à la porte  ? Quoi, pour te faire peur suis-je assez effroyable  ? Ne t'épouvante point ; si ton coeur en soupire, Tu t'accoutumeras. Tu crois donc qu'à me voir ton repos se hasarde  ? Pourrait-il craindre un mal que ta langue m'explique  ? Qui le connaît si bien n'est pas pour en mourir, Et si je t'ai blessé, je pourrai te guérir. Va, Guzman, j'aurai soin, de peur qu'il ne t'empire, D'avoir quelque douceur chaque jour à te dire, Ni langueurs ni soupirs ne te coûteront rien. Tu n'es donc point mon fait, ainsi que de tous âges. Parmi mes Soupirants j'en ai de tous étages. Je reçois compliment, soins, complaisance, voeux, Mais ce meuble d'amour est tout ce que j'en veux, Chacun me fait sans peine écouter son martyre, J'estime les polis, et les sots me font rire. C'est ainsi que l'amour dans mon coeur se nourrit. Tu vas un peu trop loin ; encor sommes-nous faites Pour ouïr des douceurs, écouter des fleurettes ; C'est à quoi la plus prude aisément se résout, Mais il faut que toujours la vertu règle tout. Je pense, pour t'avoir, qu'il lui doit coûter bonne. Voyez qu'exprès pour vous j'attendais à la porte ; Mais comme je n'ai pas le don de deviner, Apprenez-moi quel nom il me faut vous donner. Si vous ne vous nommez, Monsieur, on n'y voit goutte, Et quand Don Dionis... Ainsi donc ce valet ne vous est pas connu  ? Vous avez été vite. Vous me voulez en vain éprouver là-dessus, Cet essai n'est pour vous qu'une faible ressource. Mon coeur est fermé, n'ouvrez point votre bourse. Encor un coup ; Monsieur, je ne prends rien, Vous me connaissez mal. Pourquoi, s'il m'en revient plus de mille de rentes  ? Mais il faut, quels qu'ils soient, pour les voir sans mépris, Que la galanterie en fasse tout le prix. Je veux qu'avec tant d'art son adresse en ordonne, Qu'on me soit obligé de tout ce qu'on me donne, Et qu'on fasse si bien, que le don accepté, Je semble avoir encor moins reçu que prêté. C'est assez que mon coeur connaît ce que j'en pense. L'Alphabet que j'en tiens à chacun rend justice, Et selon les degrés du mérite qu'il a, Pour ne confondre rien, je lui fais un Nota. Nous avons obligé ma Maîtresse à descendre ; La voici qui paraît. Ne doutez plus, Madame, il n'est qu'à trente pas; Son Valet qu'il envoie en ôte tout scrupule. Vous vous défierez d'eux, Et voudrez croire encor que le tout soit adresse  ? Quoi, vous la croiriez juste, après ce qui se passe  ? J'en avais cru d'abord la ressemblance extrême, Mais ici tout à l'heure, à le voir de plus près, J'ai fort bien remarqué qu'ils n'ont pas les mêmes traits. Qui s'y veut attacher, en voit la différence. Bien d'autres là-dessus ont la croyance prompte, Et quand je m'examine, au moins vois-je de quoi Mériter les soupirs qui s'adressent à moi. Qu'on en vienne aux transports, qu'on se plaigne, languisse, Pourquoi ne croire pas que l'on me rend justice  ? La fausse modestie est des faibles d'esprits ; Après tout, il est bon de connaître son prix. Quelques voeux dont chacun à l'envi nous accable, Qui croit en être digne, en devient plus aimable. Pour moi, qui sur moi-même ouvre assez bien les yeux, Je sais ce que je vaux, et j'en crois valoir mieux ; J'en prends un droit d'empire, un air de confiance, Qui force les plus fiers, et prend les coeurs d'avance, Un peu d'orgueil sied bien pour en venir à bout, Et pour grossir la troupe on fait armes de tout. Vous savez qu'en Amants je ne hais pas la foule, La beauté se flétrit, la jeunesse s'écoule, Et je tiens qu'en notre âge il faut sans consulter Prendre tout, au hasard de ce qui doit rester. J'y vais pour vous, Madame, Et si votre assurance... Et bien, voyez un peu les yeux de celui-ci. Madame, tout de bon l'autre est-il fait ainsi, Et si quelque rapport à douter vous engage, Pourriez-vous lui trouver même tour de visage  ? Ce front vous semble-t-il également ouvert  ? Elle voit son erreur comme moi, Mais l'obstination d'une Femme à combattre, Est un petit Démon qui fait le diable à quatre, Son esprit de longtemps n'en sera délivré. Tu l'as suivi, Guzman  ? J'en vois autant qu'il faut, et dis ce que je pense ; Mais que ce soit le même, à quoi bon s'alarmer  ? Vous suffira-t-il pas qu'il sache bien aimer  ? De votre amour par là vous le croiriez indigne ; Ma foi, si la maxime avait lieu contre nous, S'il est bien des galants, il serait peu d'Époux. Se trouve-t-il encor de ces sottes cruelles Qui se fâchent d'ouïr que l'on se meurt pour elles, Et parmi tous nos droits, n'est-ce pas le plus vieux D'ouvrir presque l'oreille aussitôt que les yeux  ? Il n'est pour un Amant fidélité qui tienne, Tout ce qui flatte plaît, de quelque part qu'il vienne, On écoute, et fît-on magasin de vertu, Jamais pour des douceurs galant ne fut battu. Qu'on y trouve à redire après tout, qu'on y glose, La faculté d'ouïr est une belle chose, Et qui jugera bien des malheurs les plus hauts, Trouvera qu'être sourde est le plus grand des maux. Pour moi, que la fleurette a toujours réjouie, Je n'entretiens mes jours qu'au moyen de l'ouïe, Et j'en aurais déjà vu le cours arrêté, S'il m'en était échu quatre de surdité. Il me semble pourtant, que sans trop de mystère De tout ce que je dis la conséquence est claire. De même qu'en tous lieux il nous plaît d'écouter, Les hommes de leur part prennent droit d'en conter ; Mais de tant de galants dont la fleurette roule, Il en est toujours un qu'on met hors de la foule. Le coeur, quoi qu'il le cache, a son choix favori, On préfère, et c'est là ce qui fait un Mari. C'est ainsi qu'un Amant jamais ne se partage, Que quelqu'une en secret n'ait toujours son hommage, Et que ce Don Fernand qui vous fait les yeux doux, Peut protester à cent, et n'adorer que vous. À la fin je crains bien que vous n'ayez raison. Non pas, s'il vous plaît. Avec tous vos détours vous m'aviez attrapé, Mais j'en vois l'artifice, et je suis dédupée. Vous savez donc ainsi vous faire prisonnier  ? Point de quartier, Je connais ma sottise, elle en vaut bien une autre, Je le sais, mais ma foi, vous avouerez la vôtre, Et nous éclaircirons votre genre douteux. Puisqu'il veut l'être enfin consentez qu'il le soit, Madame, et seulement tâchons de savoir comme Il nous amène ici ce brave gentilhomme. Mais nous l'avons laissé tantôt avecque toi. Enfin il faut ici jouer de votre reste. Et bien, est-ce fait  ? Quoi, tu doutes  ? Pauvre fou  ! J'aurais voulu de toi  ? Dans quelle folle erreur ton esprit s'enveloppe  ! Sais-tu que j'ai fait tirer ton horoscope, Et que le moindre honneur qui me puisse être acquis C'est avant qu'il soit peu d'épouser un Marquis  ? Peut-être même un Duc, ou plus. Nous n'avons pas besoin tous deux qu'on nous le dise, Et si je crois valoir qu'on ait des yeux pour moi Vous avez pour vous-même autant de bonne foi. Mais, à bien prendre tout, quoi qu'un peu plus grand' Dame, Je n'en serais pas mieux pour être votre Femme, Et nous n'irions pas loin ensemble à communs frais, Qu'il ne fût question de venir au rabais. De l'humeur dont je suis, de l'humeur dont vous êtes, Je crois qu'assez souvent nous ferions bourses nettes. Nous sommes en défauts opposés tant soit peu, J'aime fort la dépense, et vous aimez le jeu. L'un de l'autre par là nous nous verrions les dupes ; Je voudrais de l'argent pour acheter des jupes, Et loin de m'en fournir comme j'aurais pensé, Peut-être ce jour-là vous auriez tout massé ; Un point, ou de Venise, ou de quelque autre mode, Serait d'un tope et tingue une suite incommode, Et vous enrageriez cent fois tout votre saoul, Quand vous me verriez brave, et n'auriez pas le sou. Si la nécessité se trouvait trop pressante, On prendrait au besoin un peu d'argent en rente, La somme doublerait, elle ferait éclat, Et la terre saisie, adieu le Marquisat. Voilà comme le tout s'en irait en fumée. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_JACINTE *date_1659 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_jacinte St. Heureusement je vous rencontre aussi. À la poste où pour nous vous laissez votre adresse, Je portais ce billet. De ma maîtresse. Lisez-le, Don Fernand. Assurément. Tu serais pris au mot, si tu n'y prends bien garde. Il te les faut choisir. Ne vous préparez point à me questionner. Tantôt au lieu marqué prenez soin de vous rendre, Suivant votre billet je vous y viendrai prendre, N'attendez rien de plus. Voulez-vous qu'on me surprenne ici  ? Si quelqu'un m'y connaît, ma Maîtresse est perdue. Enfin vous l'avez vue  ? En êtes-vous content  ? Jugez par là du reste, et lui soyez fidèle. Tout est égal en elle, La beauté, l'air, l'esprit, la qualité, le bien. C'est qu'elle est bonne et sage, Et que l'on voit la fourbe un don si cavalier, Qu'il faut vous bien connaître avant que de s'y fier. Chacun en dit de même Pour faire croire un feu qu'ils affectent souvent, Tous ont le même style, et la plupart, du vent. Vous saurez le secret quand il en sera temps, Et prétendez en vain me voir changer de note, Je tiens bien le tacet. Adieu, brave causeur. Madame. Il attend pour entrer. Entrez, on vous attend. Sa passion par là se croit justifier. Il avait su de vous qu'on veut vous marier, Et d'Isabelle ensuite ayant appris le reste, Il vient chercher à rompre un hymen si funeste. Madame, qui craint tout doit un peu hasarder. Madame, heureusement de la ville arrivées, Au besoin dans la cour nous nous sommes trouvées. Il eût vu votre père, et fait peut-être éclat. Mais puisqu'il vous connaît, il n'est plus temps de feindre, Il faut songer à rompre, ou recevoir sa foi. Monsieur, on vous attend, et vous pouvez me suivre. Ma Maîtresse m'envoie, et vous êtes heureux. Venez sans différer. Vous la verrez chez elle. Il est grand, mais enfin On tient ouverte exprès la porte du jardin. Ainsi vous entrerez sans qu'il le puisse apprendre. Suivez de quelque pas. Tous leurs déguisements ne vont servir de rien. Quand la coiffe abaissée, allant en Inconnue, J'ai trouvé ce matin Don Fernand dans la rue ; Et que de ma Maîtresse il a lu le billet, Tu m'as complimentée, en fidèle Valet ; Tu disais ton avis, c'était alors ton Maître  ? Quel impudent valet  ! Madame, je proteste... Parlez bas, je vous prie ; Madame, le bonhomme est dans la galerie, Je crois qu'il vient ici. Entrez ici... Je l'entends à sa toux, vous l'aller voir paraître, Entrez vite... Tu la quittes pour moi  ? **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_EXEMPT *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_exempt Monsieur, de par le Roi, je vous fais prisonnier. Vous-même. Don Fernand d'Avalos nous est assez connu. Vous verrez le Décret contre vous obtenu. Votre Partie enfin a fait voir qu'à Grenade Vous avez fait tuer D. Lope d'Alvarade, Qu'un autre en est pour vous faussement accusé. C'est aux Juges demain que vous direz le reste, Ces éclaircissements passent ma fonction. Madame, à ces rigueurs la Justice est contrainte. Marchons sans faire éclat. **** *creator_corneillet *book_corneillet_galantdouble *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_galantdouble *dist2_corneillet_verse_comedy *id_GUZMAN *date_1659 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_guzman Ah, Monsieur  ! Ce voyage longtemps m'a chagriné l'esprit, Et j'avais belle peur de ne le pouvoir faire. Je ne doutais de rien, mais dans la vérité Don César était mort, et j'étais arrêté. La prison est toujours un malencontreux gîte, Et m'y voyant entré, je m'étais attendu À n'en sortir jamais que pour être pendu, Dans ces occasions, pour chétif qu'il puisse être, Un valet quelquefois peut payer pour son maître. Comme après le coup fait vous étiez évadé, On n'accusait que moi d'avoir homicidé. J'étais là fortement demeuré pour les gages. Enfin l'argent a de grands avantages, Et c'est par sa vertu qu'on est tombé d'accord, Que sans nuire aux vivants, le mort resterait mort ; Mais depuis plus d'un mois que parti de Séville, Vous avez ici dû prendre en propre une fille, Tout étant entre vous par lettres concerté, Puis-je vous demander où vous avez été  ? Pour vous avoir en vain cherché chez le beau-père. Oui, Monsieur. Ma foi, c'est un brave homme, et j'en suis satisfait ; La station est douce, on y boit d'importance. Avec impatience, Et trouve tout en vous tellement à son gré, Qu'il voudrait dès demain vous avoir engendré. Votre retardement le tient bien en cervelle. Il sait jusqu'au sujet qui vous l'a fait hâter. Arrivé d'hier au soir, je n'ai vu que le père, Et ne sachant sans vous que résoudre ni faire, Sorti sans en rien dire avant qu'il fut levé, J'ai voulu voir la ville, et je vous ai trouvé. Mais de grâce, Monsieur, quelle rare aventure Vous fait fuir le beau-père et l'épouse future ? Vous sentez-vous impropre au matrimonium ? Prenez garde, Monsieur, à cette marchandise. L'air de Cour rabat bien du haut prix qui s'y met, On ne la livre pas telle qu'on l'y promet, Et beaucoup attrapés par un maintien modeste, Pensent prendre en plein drap, qui n'achètent qu'un reste. Autres que Léonor votre épouse  ! Bon, mais puisqu'à la fois deux ont l'air de vous plaire, Et que la confrérie est un mal nécessaire, Prenez-les toutes deux en qualité d'époux, L'une pour vos amis, l'autre sera pour vous. Vous l'êtes du beau-père. Son nom est. Et vous avez sans doute un libre accès chez elle ? Elle vous aime  ? Avouez à peu près que mon goût est le vôtre, Tâter un peu de tout, hier l'une, aujourd'hui l'autre. Cet amour est d'un genre assez adultérin. Quelle est cette seconde encor qui vous enflamme ? Vous l'aimez seulement par curiosité ? Monsieur, c'est une gueuse Qui gagne ses habits au métier de coureuse, Et qui poussant le leurre autant qu'elle pourra, Se titrera Marquise, et vous attrapera. C'est là le diable. Ces gueuses pour piller la dupe qui leur rit, Monsieur, vendant le corps, achètent de l'esprit. La fourbe est bien en règne, et s'en sauve qui peut. St. Bon jour. Monsieur, est-ce à vous qu'on en veut, Ou si c'est moi déjà que la Donzelle tente  ? Voyez. Ma chère... Si le coeur t'en disait, je suis sans compliment. Ces détours, ces douceurs, dont un galant s'enivre, Autant de bien perdu pour ceux qui savent vivre. Sans tant verbaliser l'amour veut de l'effet, J'en ai toujours de prêt, si tu m'aimes, c'est fait. Ma foi, dans ce marché c'est moi seul qui hasarde. Tu vois clair en m'aimant si nous en disputons, Mais je suis obligé de t'aimer à tâtons ; Avec ton nez bridé de ta coiffe importune, Ta ténébrosité m'en pourrait bailler d'une, Et ton minois, de coeurs modestement filou, S'il n'est quelque peu singe, est peut-être hibou. C'est-à-dire, Monsieur, que le tout n'y vaut rien. Vous la croyez à son apprentissage  ? La peste soit la sotte. Quel que fût le secret qu'on m'eût pu confier Je le dirais soudain de peur de l'oublier. Elle est faite, Monsieur, en dépit de Nature, Et le Ciel se trompant sans doute à la façon, Dans un moule de fille a cru faire un poisson. Adieu, chère muette. Qui l'en croira, Monsieur, votre fortune est faite ; Esprit, naissance, bien, attraits, le choix est doux. Des deux occasions choisissez la meilleure, Allez où votre coeur est le plus attaché. Mais puisqu'elle vous tient ses affaires secrètes, Lui deviez-vous sitôt découvrir qui vous êtes  ? Sa Suivante a d'abord fait ouïr votre nom. Par ce nom trop tôt dit, autre embarras à craindre. Vous aimez Isabelle, ou du moins l'osez feindre ; Et si cette Inconnue apprend quelque beau jour Qu'un Fernand Grenadin fasse en deux lieux sa cour  ? Quoi, celle d'Isabelle, Votre première Amante  ? Qu'elle est belle ! Monsieur, préférons-la. J'ai de malins instants pour la fragilité, Et par précaution j'essayerais du remède. Qu'elle en sait  ! La bonne pièce  ! Si quelqu'un m'entend mieux, je le quitte. Si je puis librement dire ce qui m'en semble, Ton honneur et le mien sont bons à mettre ensemble. Et quiconque des deux pourrait n'en faire qu'un. Ferait encor, je pense, un honneur bien commun. Sur ma parole, La Matoise est, Monsieur, instruite en bonne école ; Elle vous en dira de toutes les façons, Et se peut aisément passer de nos leçons. Ah  ! Mon Ange. Bonsoir, la Belle. Non pas, Monsieur, c'est que je la console. Ces belles ont toujours l'esprit déconcerté Quand on leur dit adieu sans parler de beauté ; Il se faut acquitter du moins de la grimace. La pauvre délaissée  ! Monsieur, si par hasard elle était fort pressée, Et qu'à vous en défaire on vous vît empêché, Pour vous faire plaisir je prendrai le marché. Quoi, quand vous prétendiez l'entretenir chez elle, Le rendez-vous, Monsieur, était chez Isabelle  ? C'est là que l'Inconnue avait su vous mander  ? Mais comment n'avoir pas reconnu la maison  ? C'est un talent en vous de tout temps admiré ; Mais l'abord d'une Femme est un péril honnête, Lorsque prise pour dupe elle a martel en tête, Et vous deviez trembler ainsi pris au filet, D'en voir deux à la fois vous sauter au colet. Qui lors par impudence évite qu'on l'échine, En a provision, Monsieur, de la plus fine, C'est un pas qu'à franchir peu de gens ont appris, Et tout subtil qu'il est, le diable y serait pris. Je vous tiens fort heureux d'en être revenu. Deux Femmes  ! Rendez grâce aux heureuses Planètes Qui vous ont de leurs mains su tirer bragues nettes, Car tout autre que vous, quoi qu'adroit à mentir, Eût laissé la perruque avant que de sortir. Mais de vos feux errants les voyant éclaircies, Comment avez-vous pu vous les rendre adoucies, Et quel charme assez fort apaisant leur courroux, À détourner l'orage, et rabattu les coups  ? Pour moi, j'aurais fort craint le saut par la fenêtre. Vous laisserez pester Isabelle à son aise  ? Et vous la voulez croire assez dupe et novice, Pour ne pas découvrir le noeud de l'artifice  ? Monsieur, dans ce dessein votre honte est visible. Si les traits du visage ont un rapport parfait, Ou la taille, ou la voix en détruisent l'effet ; Mais à moins que pour vous la foi n'entraîne l'âme... S'il a quelque talent, il peut faire grand fruit ; Qui prend de vos leçons a de hauts avantages. Enfin pour l'Inconnue, elle est cassée aux gages, Il ne s'en parle plus, c'est autant de vidé  ? Monsieur, ayez de grâce un peu de conscience, Gardez-vous bien de suivre un conseil hasardeux, Qui vous les vouloir faire épouser toutes deux. Peut-être punit-on en matière pareille, Et celui qui consent, et celui qui conseille, Et je me trouverais assez peu soulagé, Que l'on vous accourcît si j'étais allongé. Tant pis. C'est qu'en mon coeur déjà l'amour prenait racine, Et que pour Béatrix ravi de n'en bouger, Si vous tournez casaque, il faut le déloger. Monsieur par de là plaire. Ce serait bien mon fait, si j'étais son affaire, Et comme de tout temps les Belles m'ont tenté, Je me hasarderais à l'incongruité. Se charger d'une Femme en est une assez haute. J'y vois plus qu'il ne faut pour me faire enrager. La Coquine a des yeux, dont la mutinerie Passe le plus fripon de la friponnerie, Et les malins regards qu'elle m'a su darder, Navrant un pauvre coeur, prennent sans demander. J'y fais réflexion, trêve de Mariage. Galante comme elle est, qui que vous épousiez, Quand vous en seriez saoul, vous me l'emprunteriez ; Mais je la vois venir, Monsieur. Peste ! Encor une fois que la friponne est belle ! Mon coeur en tombe presque en suffocation. Bon. Voilà vous parler ferme, avisez à répondre. Ce sont, Monsieur, gentillesses de Cour. Lorsque le jeu leur plaît, le plus fin n'y voit goutte. Ah  ! Oui dea, je puis piéger mon maître, Il est amant d'honneur si jamais il en fut. Monsieur, je suis perdu si vous êtes doublé. Ce second Dionis terriblement me choque, Aux dépens de mon dos j'en crains bien l'équivoque. Si l'abordant pour vous, il prend son sérieux  ? Elle est hérétique, Monsieur, vous perdez temps. C'en est fait, Monsieur, il faut trousser bagage, À l'impossible enfin nul, dit-on, n'est tenu. Vous l'allez bailler doux ? Faites bien le dolent d'avoir cru nécessaire Qu'il ne partageât pas l'ennui de votre affaire  ? Vos excuses sans doute auront ce fondement  ? Mais croyez-vous chez lui comme Gendre paraître, Sans que soudain ailleurs il vous fasse connaître  ? Si jusqu'à l'Inconnue on fait courir ce bruit, Au choix de Léonor vous vous verrez réduit. Isabelle de vous déjà se désabuse. Ce sont deux volatils dont je crains bien l'issue. Deux beautés à la fois vous ont frappé la vue, Et quittant Léonor sur l'appas d'un faux bien, Vous risquerez à tout, et n'attraperez rien Qu'avez-vous  ? N'en doutez point, Monsieur, la chose est évidente, Elle a su votre hymen, et voulant l'empêcher Ici chez le beau-père elle vient vous chercher. Voilà comme un secret ne se peut jamais taire. Je suis son Lieutenant quand il ne peut paraître, Avec un grand Parleur dans la rue arrêté, Il trouve à le quitter quelque difficulté, Et s'il tarde un peu trop, craignant qu'on ne l'accuse, Il m'envoie en tous cas en faire son excuse. Il saura trancher court, et peut-être il me suit. J'en avais à mon gré raison valable et forte ; Mais on ne saurait fuir ce qui doit arriver, Je craignais de te voir, et tu me viens trouver. Non pas, mais je te crains pourtant comme le diable, Et choisirais plutôt, s'il dépendait de moi, D'être tenté par lui que de l'être par toi. Il ne coûte qu'à dire ; Et quoi qu'un pauvre coeur soit tout percé de coups, Pourvu qu'on s'accoutume il doit être fort doux  ? Mais en m'accoutumant, comme j'ai l'âme prompte, Quand je n'en pourrai plus, ce sera pour mon compte. Cependant de ta part, loin de me soulager, Tu t'accoutumeras à me faire enrager. Je suis tout palpitant dès que je te regarde, Et de mes sens ravis en contemplation, Mes yeux seuls près de toi gardent leur fonction, Peu s'en faut que mon coeur n'en soit paralytique. Si tu connais assez jusqu'où va ma blessure, Tu n'entreprendras pas une légère cure, Et je puis t'en promettre un honneur sans égal, La rechute, dit-on, est pire que le mal, Mais à guérir le mien s'il faut que tu consentes, Tiens mon coeur en état d'en avoir de fréquentes, Et songe qu'avec toi ravi de s'embourber, Il ne voudra guérir qu'afin de retomber. Je crois qu'aux délicats tout cela fait grand bien, Mais pour moi qui crains fort les crudités venteuses J'eus toujours l'estomac contraire aux viandes creuses, Et quand pour mes péchés il en est question, Je n'en tâte jamais sans indigestion. Cet amour est bien jeune, on n'a guère d'esprit. Je sais bien qu'en effet, quand il commence à naître, Ce n'est que de douceurs qu'il aime à se repaître, Cet aliment alors sans peine le soutient, Mais je le crois léger quand l'appétit lui vient. S'en tenir toujours à tu m'aimes, et je t'aime, Si c'est faire enrager, c'est enrager soi-même, Et le simple art coquet, si des sottes l'ont eu, Sans de grands ragoûts n'est pas grande vertu. Tu me la bailles belle avec ta pruderie. Enfin qu'attrape-t-on par la coquetterie, Et que sert la vertu que tu me veux prêcher, Si sous l'habit du vice on aime à la cacher  ? C'est être sage en vain que ne la point paraître. Pour moi, je sui pécheur autant qu'il le faut être, Et je ne sache rien qui me choque l'esprit, Comme se vendre au Diable, et s'y vendre à crédit. Ce n'est pas trop gratis, et fol est qui s'y donne. Mais enfin, bien plutôt que je n'eusse espéré. D'avec son grand Parleur mon Maître s'est tiré. Monsieur, on vous attend, mais cependant j'enrage D'être avant vous ici venu faire message ; Avec la Béatrix pour avoir babillé, Jusques aux intestins je me trouve grillé. Ben, et grand bien vous fasse ; Voyez s'il y fait chaud, je vous quitte la place, Pour m'ôter de péril vous venez bien à point. Chasser un homme de ma sorte  ? Quoi, vous ne seriez pas Don Dionis mon Maître  ? Monsieur vous êtes prompt. Ah, devant Béatrix m'avoir fait un affront  ? J'en ai la rage au coeur. Peste de la figure, et du Maître Doublé. Ô la fille de bien  ! Elle est incorruptible. Je suis moins incrédule, Et me suis trop senti de la contrefaçon. Voici pour les surprendre un trait assez rusé, Il faut aider la Pièce. Messieurs, pour un soufflet, je couche aussi ma plainte. Me voilà satisfait ; Ah  ! Monsieur Don Fernand, vous payerez le soufflet. Je le verrai loger. Enfin je suis content, le galant est coffré, S'il m'a pu souffleter, il en payera l'amende. Suivi ? Belle demande ! Vous en serez surpris, Monsieur, votre Figure est un sot mal appris, Mai réjouissez-vous. Vous serez roué bientôt en effigie ? Votre portrait, ce Don Fernand maudit, D'un saut qu'on lui prépare a lieu d'être contrit ; Pour vol, brûlement, meurtre, on l'a mis en clôture. Demain il aura la torture... Le traître d'un soufflet a pensé m'accabler, Sa main pesante et large a grande expérience ; Je l'eusse pris pour vous sans cette différence, Tant sur vous, aux mains près, il est bien copié. Monsieur, j'en suis estropié; Mais si pareils soufflets sont toujours dans sa manche, Je prétends en avoir bientôt bonne revanche, Et venir des premiers ouïr son compliment, Quand il haranguera patibulairement. Il était avec elle, Monsieur, quand au collet on l'est venu gripper. Tout comme je vous vois. À deux détours de rue, Ici... Mais la prison vous doit être connue. Monsieur, vous faites rage en matière d'amour ; Mais quand pour Don Fernand vous prenez la parole, Vous pourriez retrancher quelque peu de ce rôle, J'y trouve, en le jouant, un endroit superflu. Celui du soufflet qui m'a très fort déplu. J'ai pensé m'oublier, vous frappez comme un diable. On s'y doit attacher, mais il est certain cas Où vraisemblablement il ne me plairait pas ; J'en ai la conséquence, et me connais à vivre. Garde aussi le Vieillard pour vous mieux régaler. Nous avons tous notre heure, et la vôtre est venue, Monsieur, c'est sans remède, il faut passer le pas. Le voilà justement le cul entre deux selles ; Pour en embrasser trop, il l'a bien mérité. Je suis laquais d'honneur, et tu me fais grand tort. Moi  ? Je suis à mon Maître. Il est vrai. Si c'est lui  ? Je ne sais. Puis-je le démêler d'avecque sa figure  ? L'ayant quitté depuis, je ne sais plus qu'en dire, On me l'a pu changer, et j'en aurais le pire. Je m'avançais vers lui quand je l'ai vu mandé. Ainsi j'ai cru devoir le suivre à l'aventure, Don Dionis, tant mieux ; Don Fernand, je l'abjure. J'étais avecque lui  ? Moi  ? Cela ne peut-être, À moins que le doublant comme il paraît ici, Le Diable eût pris plaisir à me doubler aussi. Monsieur, tout est perdu. Bon pour lui, mais pour moi, qui suis pusillanime, Mesdames, n'est-il point dans ce mortel danger Quelque endroit charitable où me pouvoir loger  ? Eh, Monsieur  ! Et de plus le Beau-père. Ah  ! Béatrix. Tu me tentes, Et si je m'arrêtais à jeter l'oeil sur toi, Le Diable pourrait bien être plus fin que moi. Vois-tu  ? L'hymen dont tu me pries Doit durer un peu plus que tes friponneries. Pour un bail de six mois je pourrais hasarder, Mais ma foi, pour toujours, Dieu m'en veuille garder. Tous ces friands attraits qui parent ton visage, Sont meubles de haut prix mal propres au ménage, Et je tiendrais heureux qui les doit posséder, S'il ne fallait toujours que voir et regarder. Mais, chère Béatrix, qui sous l'hymen se range, Fait tout comme un autre homme, il boit encor et mange. Partant, Jacinte, tiens. Va, touche. Le doux augure  ! Bonsoir, belle Marquise, ou Duchesse future. Le Ciel...