**** *creator_cubieres-palmezeaux *book_cubieres-palmezeaux_diligencedelyon *style_prose *genre_comedy *dist1_cubieres-palmezeaux_prose_comedy_diligencedelyon *dist2_cubieres-palmezeaux_prose_comedy *id_MORON *date_1777 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_moron Je dis, Monseigneur, que j'admire votre sang-froid, votre présence d'esprit, et surtout votre courages. Vous ne démentez point la race auguste dont vous descendez. Ma foi, Monseigneur, comme je n'ai point eu des Héros pour aïeux, et que mon métier n'est point celui des armes, ne pouvant pas être acteur dans le combat, je me suis caché derrière une haie, d'où j'ai été spectateur tout à mon aise. Oh ! Je vous connais ; je savais bien que vous vous en tireriez avec gloire. Dans tout autre cas, vous auriez vu si Moron est un brave homme. N'en doutez pas ; j'aurais fait alors des prodiges, mais vous n'aviez pas besoin de moi ; un bras comme le vôtre est bien assuré du triomphe. Convenez cependant, malgré, l'honneur qui doit vous revenir de cette victoire, convenez Monseigneur, que de pareilles rencontres sont bien désagréables. Quoique vous en disiez, Monseigneur, ce sont de vilaines connaissances à faire. Je conviens qu'ils ne font pas aimables. À peine nous ont-ils regardés, quand nous sommes montés dans la voiture : je crois même que l'un deux ne m'a pas rendu le salut. Eux de grands Seigneurs ? Ah ! Ne le croyez pas ? Il n'est pas d'usage en France que de grands Seigneurs voyagent ainsi par la diligence de Lyon. Et puis vous vous rappelez bien cet homme court et gros avec une perruque ronde, un vieux habit d'écarlate galonné, une canne à pomme d'or à la main. Justement. J'ai servi le Comte il y a plusieurs années, en qualité de valet de chambre. Je crois me souvenir que l'homme gros et court qui se dit son ami n'était que son tailleur. Non vraiment, Monseigneur. Je ne l'ai pas reconnu bien positivement ; les physionomies changent avec l'âge : il me semble bien cependant que cette figure m'a pris mesure d'un habit. Ah ! Les autres, ainsi que lui, ne font guère, à ce que je crois, que des habitués d'antichambres. Ne soyez pas dupé de leur langage. Ces Messieurs fournissent souvent à crédit des marchandises aux personnes les plus distinguées ; fatigués d'attendre leur paiement, ils arrivent quelquefois chez leur débiteur, avec une sentence dans leur poche. On les laisse longtemps dans l'antichambre ; mais enfin on les introduit, et ils peuvent dire le soir : j'ai passé la matinée avec Monsieur le Duc un tel ; Monsieur le Comte un tel m'a raconté telle chose ; Monsieur le Marquis un tel est l'homme du monde le plus aimable ; il m'a comblé d'honnêtetés : les marauds n'en imposent point en parlant de la sorte : l'homme le moins poli le devient avec ses créanciers. L'une est la Présidente de Tonnenville, femme altière et arrogante ; l'autre... Mon ancien maître s'étant trouvé quelquefois assis à côté d'elle à table ; j'ai pu la contempler à mon aise. Oh ! Ne l'espérez pas. N'ayant jamais daigné jeter les yeux sur moi, comment voulez-vous qu'elle se rappelle mon visage ? Celle-là, Monseigneur ? Elle m'a décoché des oeillades, et même des soupirs, qui prouvent qu'elle me distingue : ce goût qu'elle me témoigne, pourrait bien annoncer que c'est une grande Dame. Le cas où nous sommes, Monseigneur, est un peu différent. Quoiqu'Etranger en France, vous êtes Souverain dans vos États, et il y a grande apparence que votre Excellence b souper avec des roturiers. Je n'y ai pas trop pris garde : mais voici cet Anglais lui-même qui ne tardera pas à être suivi des autres. Voulez-vous que nous parvenions bientôt. À les connaître ? Retirons-nous au fond de cette salle, et observons-les pendant quelques minutes. Ces sortes de gens là se décèlent vite par des manières de parler analogues à leur profession. Écoutons-les donc attentivement, si vous voulez que je la devine. Il parle bien de nous, Monseigneur ; vous aviez bien, raison de dire que cet Anglais était un homme de distinction. Les gens comme nous se devinent, sans se connaître. Jeter une guinée ! Quel sacrilège ! Il est sans façon cet Anglais, il ne ressemble pas à nos Olibrius et à nos Mijaurées ; mais les voici tous à point nommé. Quel étalage d'habillements ! C'est le Tailleur dont je vous parlais tout à l'heure. Celui-là ?... Poudre à la Maréchale, poudre rousse, poudre grise... Ne voyez-vous pas à ces mots, que c'est un coiffeur de Petites Maîtresses ? À cette érudition de cuisine, si cet homme avait un habit noir, ne croiriez-vous pas qu'il est prieur ou chanoine ? Il faut donc croire que c'est, ou un Maître d'Hôtel de quelque millionnaire ou quelque traiteur renforcé. Qu'il met en papillotes. Comme ceux qui le servent. Avec l'argent de son maître. Le Prince Salvator !... À vous le dé, Monseigneur, vous allez bien écouter ; car vous aimez aussi les histoires. Laissez, laissez, Monseigneur : il veut dire qu'il l'a coiffée, ne voyez vous pas que c'est une méprise. C'est moi. Ce n'est plus moi. C'est moi. Ce n'est plus moi. C'est moi. Ce n'est plus moi. C'est moi. Nous avons donc la figure patibulaire ? Rien de plus juste. Allons, Mesdames les Princesses, ne troublez pas le service. Hors d'ici, Monsieur le Grand-d'Espagne, hors d'ici. Et votre souper ? Vous le laisserez-donc... Préférer fa Maîtresse à une dinde aux truffes ! Qu'il est bizarre ! Ah ! Monseigneur, je suis d'une joie... Une rencontre la plus imprévue, la plus... Milady Semours vient de descendre dans cette auberge. Tandis que mon Maître, Milady et son oncle, sont à se complimenter sur l'heureux hasard qui les a réunis, voyons si je ne pourrai pas me réunir moi-même avec certain compagnon garni de truffes que j'ai aperçu sur cette table. Je ressemble à Miiord, moi ; l'amour ne m'empêche point de manger. Il n'y a personne qui me puisse déceler. Avançons... J'ai un bon couteau; je commencerai par lui ouvrir le ventre. Je lui arracherai les entrailles, je lui couperai le cou et les cuisses... Il a été bien empâté, bien nourri, aussi est-il gros et gras. Il n'est pas loin d'ici. Qui va là ? Qu'est-ce que vous voulez dire, Monsieur ? Êtes-vous fou ? Ou me prenez-vous comme tantôt, pour ce que je ne suis pas ? À qui j'en voulais ? Eh ! Parbleu, à la dinde aux truffes. C'est donc vous qui êtes la dinde ? Le voilà, Monsieur, le voleur qui cause nos alarmes, lui qui tantôt nous a soupçonnés d'en vouloir au bien d'autrui, à peine avons-nous eu tourné les talons, qu'il est venu ici à la faveur de l'ombre, pour dérober la dinde aux truffes. Voilà bien les amoureux : ils comptent pour rien leur existence, les dangers qu'elle peut courir, leurs peines, leurs travaux, tout cela ne les touche point, quand il s'agit de l'objet de leur flamme. Si la joie, et surtout l'amour, ne troublaient point vos sens, je vous dirais bien que ces rencontres sont naturelles entre gens qui voyagent : mais, non, je vois que vous aimez le merveilleux, et il faut vous y laisser croire. Ce qui me parait a moi plus merveilleux que ces rencontres, c'est que dans ce moment vous ne soyez pas avec celle que vous aimez. Cette indifférence... Ah ! Madame, on n'a que trop tôt soustrait à ma vue un objet dont les charmes font venir l'eau à la bouche, et qui... Eh bien ! Monseigneur ! Ne suis-je pas un confident bien docile ? Vous avez vu comme je me suis promptement retiré au signalement fait Madame la Présidente. Elle vous l'a conté sans doute ? Eh quoi ! Prince ! Vous avez ri ! Vous qui avez toujours été le Chevalier des Dames ! Celle-ci devrait-elle vous trouver insensible ? Vous ne savez pas, Monseigneur, combien les Présidentes sont obstinées ! Celle-ci va peut-être s'attacher à vous, comme une sangsue. Juste Ciel ! Un enlèvement ! Ah ! Je ne souffrirai point qu'on vous enlève. Comment se fait-il néanmoins qu'avec sa hauteur et qa morgue, elle ait pu se résoudre à enlever un Intendant. Et moi, Monseigneur! Me fait-elle toujours l'honneur de me croire un coupeur de bourses, et ne voit-elle plus en moi le digne serviteur de Monsieur l'intendant ? Elle est bien hardie ! Il faut que je l'en punisse ; et pour cela, Monseigneur, m'accorderez-vous une grand grâce. Vous ne vous souciez guère, je crois, d'aller à ce rendez-vous que vous a donné la Présidente. Souffrez que j'y prenne votre place ; il fera nuit, je contreferai ma voix, elle me prendra pour le Capitaine qu'elle adore ; l'homme aux traits patibulaires aura le plaisir de lui dire ses vérités en face, et nous verrons... C'est le seul moyen de la corriger de son fol amour et de sa hauteur, plus folle encore ; et la corriger, n'est-ce pas lui rendre service ? Monseigneur plaisante, et avec grâce même : il s'imagine qu'il n'y a que lui au monde qui puisse faire des conquêtes, et qu'à moins d'avoir sa taille et sa figure, on ne saurait réussir auprès des Dames. Que Monseigneur se détrompe ; sans lui ressembler tout-à-fait, on peut avoir une certaine tournure qui séduise les Présidentes, et je ne serais pas le premier valet qu'elles auraient bien traité. D'ailleurs, je m'y prendrai si adroitement ; qu'il faudra bien qu'elle m'épouse. Effrayé ! Eh ! Qui ne saurait pas été, Madame, après l'algarade la plus imprévue, la plus... Vous ne voyez-pas tout, Madame, le Prince ne vous a dit que la moitié des choses. Ah ! Si vous saviez pu, comme moi, le contempler au moment de la bataille... Quels coups il a portés ! Quelle valeur ! Quel courage ! Comme son front était calme, et cependant terrible ! Comme il sortait de ses yeux des éclairs et des flammes, et comme sa main paraissait brandir le tonnerre ! Dieu soit loué ! Voilà Milady qui consent à épouser mon maître ; il ne me reste plus qu'à me faire épouser aussi par ma Présidente. J'entends du bruit, c'est elle peut-être, éteignons les lumières. Oui, ma chère Présidente, c'est moi-même. Partons, ma chère Présidente ; avant que de partir néanmoins, permettez que je vous demande... Juste Ciel ! Ma chère Présidente ! Quelle idée est donc la vôtre ? Pensez-vous que moi-même j'aie assez peu de retenue pour vouloir abuser de votre tendresse ? Détrompez-vous, je vous prie. Eh ! Qui pourrait ne pas respecter autant que ses aïeux, les charmes de ma chère Présidente ? Ils sont aussi anciens les uns que les autres. Je ne l'ai pas touchée, ma chère Présidente, mais vous m'y faites songer, je vous en remercie ; cette main doit être à moi, n'est-ce pas ? Vous me la destinez, vous devez me la céder dans trois jours : donner-la moi, il est juste que je m'empare de mon domaine ? Un baiser est bien peu de chose : ne pourriez-vous me l'accorder comme droit d'hypothèque ? Je prends, ma chère Présidente, je prends. Mais au diable si je restitue. Que je sens un feu qui me tue, ma chère Présidentes. Ou plutôt un dégoût qui me tue. Oui, ma chère Présidente , faisons-nous violence. C'est mon rôle depuis un quart d'heure. Mais puisque vous avez satisfait à ma première demande, ma chère Présidente, permettez-moi de vous en faire une seconde. Elle prend toujours le change : quelle femme ! Vous ne m'entendez-pas, ma chère Présidente. La demande que j'ai à vous faire, n'a rien dont vous puissiez vous effaroucher. Écoutez-moi donc sans colère. Vous m'adorez, ma chère Présidente ? Vous m'adorez, et vous avez la plus grande envie de m'épouser, ma chère Présidente ? Eh bien ! Ma chère Présidente, pourquoi ne pas m'épouser tout de fuite ? Pourquoi retarder mon bonheur ? Quelque modéré que je sois, quelque violence que je me fasse, si vous me conduisez à Paris, sans que l'hymen nous ait joint ; savez-vous bien que vous courez des risques pendant le voyage ? Oui, ma chère Présidente, des risques. Je serais au désespoir de vous manquer de respect : mais l'amour, ma chère Présidente, l'amour ne s'accorde guère avec la retenue. Vous venez de me dire qu'un notaire seul pouvait me donner le droit de vous posséder. J'en ai fait avertir un qui ne tardera pas à paraître ; épousons nous donc tout de fuite, c'est le seul moyen de vous mettre à couvert des dangers qui vous menacent. Pas bien longs ! Ce font trois siècles pour moi, ma chère Présidente ; et jugez un peu quel malheur ce serait pour vous, si le mariage se consommait avant que le notaire... Je frémis, quand j'y pense, et mes cheveux se dressent dur ma tête. N'en soyez pas en peine, ma chère Présidente ; meubles et immeubles, acquêts et conquêts, vous me donnez tout, n'est-ce pas ? Vous me l'aviez déjà dit. J'ai instruit le notaire de vos intentions, il s'est mis tout de fuite à dresser le contrat, et nous n'avons qu'à le signer. Mais j'entends du bruit, c'est lui même, sans doute. Il arrive trop vite, cela ne m'arrange pas ; d'ailleurs, il me faut des témoins. Eh bien ! Ne vous fâchez point, Monsieur le Notaire-Avocat, ne vous fâchez point, je vous prie : on n a eu aucun dessein de vous offenser en vous privant de la lumière. Sachez seulement que ma prétendue est si belle, si belle, que j'en suis jaloux en diable, et que je ne puis souffrir qu'un autre que moi la regarde. LA Tous nos accords d'ailleurs n'étant pas encore fait entre nous, votre présence pourrait nous devenir incommode. Retirez-vous donc pour quelques instants, Monsieur le Notaire, et ne manquez pas de revenir dans une demi-heure, vous nous trouverez très disposés à vous bien recevoir. Eh ! Vouliez-vous, ma chère Présidente, que devant cet homme je vous confiasse deux secrets de la dernière importance. Eh bien ! Ma chère Présidente, m'épouseriez-vous, si du rang de Capitaine, l'aveugle fortune me faisait descendre à celui de soldat, par exemple... Je vous entends ; mais vous ne m'entendez-pas, ma chère Présidente, vous ne m'entendez pas. Il arrive bien des événements dans la vie, bien des accidents imprévus ! Aujourd'hui on est riche, demain on est pauvre : on est beau le matin, et le soir on devient horrible ; tantôt haut, tantôt bas, vous le savez, ainsi va la roue de fortune, et c'est sur elle que tourne le monde ; il pourrait se faire enfin que je fusse d'une condition si peu relevée... Me voilà rassuré sur un point, passons à l'autre. Vous croyez, en m'épousant, avoir pour mari un homme dont les traits nobles vous ont ravie, un homme qui vous a paru charmant. La nuit maintenant vous empêche de voir ma figure ; mais je suis sujet à des convulsions qui la démontent quelquefois ; et si depuis tantôt j'étais enlaidi au point qu'en me revoyant, vous trouvassiez ma beauté moins frappante et mes traits moins intéressants... Le mérite d'un Capitaine de voleurs ! Quelle délicatesse ! Il vous serait donc égal que je fusse l'écuyer d'un Prince, ou le Prince lui-même ; que mes traits fussent beaux ou laids.... Le besoin d'épouser vous fera donc passer par-dessus ma naissance et ma figure ? Milady est jalouse, et vraiment il y a bien de quoi. Les apparences ne sont pas en faveur de mon maître : il peut résulter de tout ceci une assez forte brouillerie. Tâchons de la prévenir, et surtout rattrapons, s'il est possible, ma chère Présidente. Le souper est prêt, Monseigneur : on va le servir de nouveau. Ainsi vous pouvez vous remettre à table. Oh, oh ! Voilà la seconde fois qu'il refuse de manger. L'amoureuse sera plus raisonnable, peut-être. Vous devez avoir faim, Madame : on vous apporte une admirable dinde aux truffes : vous plairait-il de... Voilà qui est singulier ! Tous deux ont là même manie. Quand j'ai lu dans certains livres que les amants ne mangeaient point, j'ai cru que c'était une fable. Je vois pour le coup que c'est une vérité. Comme ils soupirent !... C'est, ce qui les nourrit, peut-être... C'est pourtant une viande creuse, que des soupirs, Milord ne paraît point en faire cas, voyons s'il voudra m'entendre. Vous avez dit tantôt, Milord, que l'amour ne vous empêchait point de manger. Voudriez-vous bien en ce moment, donner un exemple très-nécessaire à Milady et à mon maître ? Voilà, Milord, une réponse fort obscure. Ne pourriez vous pas m'en faire une où il y ait un peu plus de clarté ? Quels Diables de gens ! Milord m'enfume sans me rien dire ! Milady et le Prince, qui tantôt étaient si charmés de se revoir, maintenant se tournent le dos et gardent un profond silence. Cette bouderie peut les amuser, mais je n'y trouve pas mon compte. N'ayant pu me marier avec la Présidente, il faut du moins que je marie Milady et le Prince. Dans le premier cas, c'est moi qui aurais fait les présents de noces. Dans le second, c'est moi qui les recevrai, je ne puis que gagner à cette échange. Ainsi, tâchons de les raccommoder. Puisque vous ne voulez pas manger, Prince, me ferez vous au moins la grâce de me dire d'où peut naître votre colère ? Si je m'en souviens, Monseigneur ? Je crois vous avoir dit que c'était un coiffeur de petites maîtresses. N'avez-vous point contre Milady d'autres chefs d'accusation ? On s'en lavera, Prince, soyez tranquille, et laissez-moi maintenant interroger votre partie adverse. Puisque vous m'avez caché, Madame, les raisons qui vous ont empêchée de vous mettre à table, me sera-t-il permis de savoir celles qui vous ont si fort irritée contre le Prince ? Je me souviens en effet, que tantôt j'étais ici avec la Présidente. Vous n'avez point d'autre grief contre lui ? Approchez-vous donc tous les deux, et puisque vous m'avez choisi pour juge, écoutez bien : voici mes conclusions. Vous vous plaignez, Madame, qu'une Présidente a rappelle au Prince la foi qu'il lui avait donnée. Sachez, que cette Présidente, est une vieille folle qui a cinquante ans passés : qu'elle s'est amourachée de mon maître, qui me l'a généreusement cédée ; et que je venais, moi, de lui déclarer ma tendre flamme, quand vous m'avez trouvé ici tête à tête avec elle. Eh ! Madame, vous l'avez vue cette Présidente, et ces deux choses ne sont elles pas gravées sur son front en caractères ineffaçables ? Que vous ne pardonniez point au Prince, n'est ce pas ? À merveille, Madame, mais cela ne suffit pas. Il est fâché aussi, le Prince, et il faut aussi que je l'apaise. Prince, regardez-moi en face, je vous prie. Tournez un peu la tête, Madame, le Prince n'est pas en état encore de soutenir vos regards : le soleil se montrera mieux quand j'aurai dissipe les nuages. Regardez-moi en face, Monseigneur : là là, je vous prie, et dites-moi : ai-je l'air d'un imbécile ? Il n'est pas question de hausser les épaules, mais de répondre. Écoutez-moi donc : si j'étais un imbécile, je ne connaîtrais point les hommes, je ne les observerais point. Ai-je l'air de ne les avoir point observés et de ne les pas connaître ? Quand je vous ai dit que l'homme de tantôt, que l'homme qui vous donne de la jalousie, était un coiffeur de petites maîtresses, auriez-vous dû ne pas me croire. Tenez, lisez l'adresse de cette lettre qui est tombée de sa poche, et que je viens de ramasser. Vous riez, Prince ! C'est bien le parti le plus sage, et celui que d'abord vous auriez dû prendre. Cet homme étant un coiffeur, quelle vraisemblance y a-t-il qu'il ait fait sa cour à Madame, qu'il ait passé un an avec elle dans un Château magnifique. Un moment, s'il vous plaît, Madame, ne passons point si légèrement sur les formes. Lorsqu'un juge par sa sagesse,a mis d'accord deux ennemis, il les engage à s'embrasser. Ah ! Mon Dieu ! Milady, rien n'est plus vrai. Je servais alors chez le Comte de Célicour, et même cet habit était si étroit, le drôle avait tellement épargné l'étoffe, qu'il fut soupçonné , avec raison, d'en avoir ardé la moitié. Mais, Monseigneur, vous oubliez notre baronne, qui ne vit qu'au milieu des roses. Malgré les agaceries qu'elle m'a faites, cette Baronne, à ce que je crois, n'est qu'une Marchande de Modes. Qu'y a-t-il donc là de si nouveau ? Monsieur l'Intendant se donne des airs ... de ce qu'il est. En gros caractères, le Prince Salvator ; et plus bas, en lettres majuscules, César-Alexandre Moron, son écuyer. Le fat ! Il faut le laisser dire, il fera bientôt puni. Écrivez ! Mademoiselle Pouf. Ce nom est un peu court pour une Baronne. Écrivez : Jacques de la Rémoulade. Nicolas Frippart, Tailleur : qu'il sache à son tour ci qu'en vaut l'aune. Qui saura bien le lui rendre. **** *creator_cubieres-palmezeaux *book_cubieres-palmezeaux_diligencedelyon *style_prose *genre_comedy *dist1_cubieres-palmezeaux_prose_comedy_diligencedelyon *dist2_cubieres-palmezeaux_prose_comedy *id_MADEMOISELLEPOUF *date_1777 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mademoisellepouf Êtes-vous bien sûr, Monsieur, qu'il n'y aura point de menu à notre souper ? D'honneur ! C'est incroyable. Vos plaintes peuvent être justes, Messieurs, mais j'ai toujours observé que, ce qui distinguait en route les gens comme il faut, c'était la patience avec laquelle ils souffraient mille petites incommodités passagères, et la douceur qu'ils montraient en parlant aux hôtesses. L'appartement qu'on a donné à Madame la Présidente et à moi, n'est pas mieux pourvu que les vôtres ; il n'y a point de glaces à la cheminée, point de rideaux de gaze aux fenêtres, point de noeuds pour les rattacher, point de chiffonnière, point de cabinet de toilette, point de meubles de propreté, point de boudoir surtout, point de boudoir pour des femmes de notre ordre, pour des femmes de qualité ; et cependant, voyez si nous nous plaignons. C'est nous manquer essentiellement, que de nous loger ainsi ; mais, que nous importe l'opinion d'une maîtresse d'Auberge ? Il ferait beau vraiment, qu'une pareille espèce pût se glorifier de nous avoir offensées ! Nous sommes trop au-dessus d'elle, pour nous affecter de ses négligences, n'est-ce pas, Madame la Présidente ? Ah ! Messieurs, comment pouvez-vous croire que je me trompe sur ce que vous êtes ? Il n'y a qu'à vous regarder, pour voir vite de quoi il retourne ; vous avez des façons, des airs de tête, et un langage si nobles ! En disant que les gens comme nous ne se plaignaient guère en route, je n'ai pas avancé qu'il n'y eût point d'exception a cette règle : je me plains moi-même comme un autre quand l'occasion se présente. Eh ! Tenez, parbexemple, depuis que nous sommes arrivés dans cette salle, est-il concevable, que, tous tant que nous sommes, nous ayons pu supporter, sans nous trouver mal, l'odeur, dont Monsieur nous régale ? Pour moi, qui toute ma vie ai respiré le parfum des fleurs, et qui vis, pour ainsi dire, au milieu des roses, je vous avoue qu'il m'est bien dur d'être infectée ; et je ne réponds pas, si cela dure, de ne pas tomber pâmée les quatre fers en l'air. Si vous lui disiez qui vous êtes, Messieurs, vos noms lui en imposeraient sans doute. Vous surtout, Monsieur, qui avez l'air d'un homme de poids. Pourrait-on savoir, Monsieur, ce qui vous est arrivé dans cette auberge ? Une histoire ! Je les aime à la folie. Écoutons bien, Madame la Présidente. Comme il a quitté sa pipe au nom de Milord Brumton ! Est-ce que vous avez coupé Monsieur, Madame la Présidente ? Ce sont les chevaux peut-être qui se battent dans l'écurie, et dont le bruit est monté jusqu'ici. Continuez donc votre histoire; car tout le monde a la plus grande envie de l'entendre. Vous voyagiez, dites-vous, avec Milord Brumton et le Prince Salvator. Puisque nous en sommes sur ce chapitre, permettez-moi, Messieurs, de vous faire une question bien naturelle, et qui se présente d'elle-même. Vous savez que dans les Auberges où s'arrête la Diligence, tous les voyageurs soupent ensemble. Dites-moi donc, je vous prie, souperons-nous ce soir avec les deux hommes qui sont montés dans la voiture à quelques lieues de ce Village, et qui maintenant font la route avec nous ? Qu'en pense Madame la Présidente ? L'un a les traits fort nobles. L'un s'exprime en termes choisis et élégants. L'un parait être un gentilhomme. Il se peut bien que l'un des deux soit un voleur ; mais l'autre, Messieurs, quelle apparence qu'avec cet air, ce port, et ces manières.... Je meurs de besoin. Parlezvplus doucement, ma mie ; les Baronnes ont le droit de faire mettre en prison les Aubergistes insolentes, et prenez garde de ne point aller y passer la nuit. Moi ! Madame ; quand vous avez pris le Prince pour un Capitaine de voleurs, ne vous ai-je pas dit qu'il avait un air noble et distingué qui annonçait sa haute naissance ? Pour moi, je me serais estimée fort heureuse de souper avec le Prince, mais lorsqu'il nous a dit qu'il était un Intendant... Je sens que j'ai trop fait la bégueule, je vais m'exécuter tout de fuite. Je ne suis point une Baronne. Je me nomme Mademoiselle Pouf, tout court : je suis Marchande de Modes, à vous servir ; et ma demeure est à Paris, rue Saint-Honoré, à l'enseigne du Trait-Galant. Je serai très honorée de servir Milady. **** *creator_cubieres-palmezeaux *book_cubieres-palmezeaux_diligencedelyon *style_prose *genre_comedy *dist1_cubieres-palmezeaux_prose_comedy_diligencedelyon *dist2_cubieres-palmezeaux_prose_comedy *id_LHOTESSE *date_1777 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lhotesse Eh bien ! Messieurs, qu'est-ce qu'il y a ? Je fuis bien fâchée, Messieurs, de ne pouvoir pas vous satisfaire ; mais il nous est défendu d'avoir deux tables pour les personnes de la diligence, et depuis vingt ans à peu-près que nous les recevons, elles ont toujours mangé à la même. Eh bien ! Qu'est-ce que c'est ? Oh ! Certainement, il l'est. Mais lui-même que venait-il faire ici sans lumière ? C'est la dinde aussi qui l'attirait. Le gourmand ! Je vais l'emporter, pour terminer la dispute ; et pour mettre le reste du soupé à couvert, je vais ordonner que l'on desserve. Me voilà, Monsieur : qu'est-ce qu'il y a pour votre service ? Je veux tien croire, Monsieur et Madame, que vous êtes des gens de la plus grande distinction, et que votre rang ne vous permet pas de manger avec Monsieur ; mais, ma foi, en route, tout le monde est égal, et... Vous faites sonner bien haut ce nom de Baronne ! Parce que Madame est Baronne, vous croyez... Ma foi, Madame la Baronne, puisque Baronne y a, dussé-je y passer ma vie, cela ne m'empêchera pas de dire qu'on voit dans le monde des gens bien ridicules ? Madame que voilà est une Lady, j'en suis sûre, et je l'aurais deviné à l'air de son visage, quand même ses domestiques ne me l'auraient pas dit ; une Lady vaut bien une Baronne, je pense ; et cependant, voyez si elle a fait tant de façons que vous autres pour se mettre à table ? Tenez, Messieurs, qui faites tant les fiers ; et vous, Madame, qui êtes si haut montée, faut-il vous parler avec franchise ? Les Nobles véritables ne sont jamais orgueilleux. II n'y a que les parvenus ou les roturiers, qui soient.... Dieu me pardonne ! J'allais dire une sottise, et il vaut bien mieux que je m'en aille.