**** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_MOMUS *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_momus Je suis instruit de cette réussite, Muse charmante, et vous en félicite. Pour vous tirer d'un pareil embarras, Il vous fallait au moins cette double puissance, Et le Public, piqué de votre négligence, Se plaisait à vous voir dans un si mauvais pas. J'en étais fâché, moi ; mais s'il faut vous le dire, Ce n'était pas un violent chagrin, J'en riais quelquefois parce que j'aime à rire, Et je prévoyais bien quelle en serait la fin. Elle est telle qu'on la désire, Tout réussit au gré de vos souhaits. Pour répondre à tant de bienfaits, Que la protection, le bon droit vous attire, Quels soins prenez-vous ? Quels projets Jusqu'à présent avez-vous faits ! Car il est des faveurs que l'on doit reconnaître. Que ces modernes Auteurs tâchent De ne céder qu'à ce fameux Auteur. Tant mieux ; mais laissons les Poètes, Et parlons un peu des Acteurs. Par eux, sur le dégoût qu'ont eu les Spectateurs, Quelques réflexions ont-elles été faites ? Je ne prétends en critiquer aucun. Du Public en cela j'évite la conduite : Il n'en est point qui soit sans talent, sans mérite ; Et sans vouloir flatter, je n'en connais pas un, Qui, s'il demeurait dans sa sphère, Ne pût être placé dans quelque caractère À s'attirer des applaudissements. Nous en voyons l'exemple à tous moments ; Mais ce qui déplaît d'ordinaire, Ce sont certains dérangements Qu'on devrait éviter de faire. Je redis ce qu'on dit tout naturellement. Quand un Acteur néglige de paraître, S'imagine-t-il que celui Qui s'expose à jouer pour lui, En porte seul l'iniquité ? Peut-être. S'il le croit, il est dans l'erreur ; Il ne faut pas qu'on s'y méprenne. L'un est l'objet de la mauvaise humeur, Et l'autre celui de la haine. D'un souper quelquefois poussé jusqu'au matin. Ou quelque autre raison bonne ou mauvaise enfin ; Les Spectacles comme les vôtres Des Peuples en tous temps feraient tous les désirs, Si vos Acteurs ne prenaient leurs plaisirs Qu'après avoir fait ceux des autres. Je fais profession de n'être point flatteur : Mais je ne veux lâcher aucun trait de satire ; Si ma morale vous déplaît, Restons-en là pour éviter querelle. De vos acteurs vous prenez l'intérêt ; C'est bien fait. Avez-vous quelque Pièce nouvelle, Pour soutenir la Scène avec honneur, Et du Public mériter la faveur ? C'est ce que tout Paris attend de votre zèle. En sa faveur je suis mal prévenu. Sur la Scène à nos yeux quand un Poète étale Et l'amour dont l'Aurore a brûlé pour Céphale, Et mes faiblesses de Procris, Forcé de débiter une étrange morale, Il s'embarrasse en un fâcheux dédale ; Et s'il s'en tire bien, je serai fort surpris. J'en aurais pris un autre. Je puis pourtant me tromper là-dessus. Je vous la dis. Le grand malheur ! Ils auraient pu mieux faire. Non, Je vous dis mon sentiment. Avec trop peu de politesse Peut-être, mais du moins avec sincérité : Foi de Dieu et de probité, Sans en garantir la justesse, J'en garantis la vérité. Pas trop. Soit. Mais s'il faut vous parler net, Je vous avoue avec franchise, Que sur votre Théâtre un semblable sujet Me révolte et me scandalise. Pourquoi prendre parmi les Dieux, Sans égard pour ce que nous sommes, De quoi faire rire les hommes, Et nous donner nous-mêmes en spectacle à leurs yeux ? Pensez-vous que la foule idolâtre De quelques pénétrants mortels, En nous voyant sur leur Théâtre, Ait du respect pour nos autels ? Et surtout au moment qu'on nous y fait paraître Ridicules, et souvent tels Qu'eux-mêmes rougiraient de l'être ? Mais vous qui hasardez d'en raisonner ainsi D'une façon si peu polie, Dites-moi, divine Thalie, N'avez-vous rien sur votre compte aussi ? Il est bon d'être exempt des défauts qu'on condamne. Bon. Vous et vos soeurs les vertueuses, Vous vous retranchez sue l'esprit : Mais, si l'on croit ce qu'on en dit, Vous n'êtes pas fort scrupuleuses. Vous avez de l'esprit, et vous vous en servez Pour mieux cacher vos intrigues secrètes. Ces nourrissons que vous avez, Ces favoris, ce nombre de poètes ? Ils se disent pourtant tous enfants d'Apollon. C'est vous, c'est Apollon qu'on blâme de cela. Hé ! Madame Thalie, holà, Doucement, s'il vous plaît, la belle : Quoi ! Vous allez donner une pièce nouvelle, Et vous choquez ces messieurs-là ? Muse, halte-là, ce sont mes partisans ; Je les protège, et vous l'apprends. Ils sont tous d'humeur peu facile, Mauvais railleurs, et dangereux plaisants ; En leur faveur modérez votre style. Volontiers, il n'est rien que pour vous je ne fasse, Et si je réussis, je me tiens fort heureux. Mais j'entends un grand bruit, c'est un retour de chasse : De votre Pièce apparemment C'est l'ouverture ? À vos acteurs il faut céder la place : Vous avez posté vos amis Pour applaudir, battre des mains, et rire ? C'est un usage permis, Je vais tâcher des miens d'arrêter la satire, De votre part les prier poliment, Pour aujourd'hui de ne rien dire, Pas même après le dénouement ; Mais demain… Et vous faites fort sagement. Jusqu'à demain, Thalie. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_THALIE *date_1711 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_thalie Je n'ai point eu, Momus, une espérance vaine, La loi du Souverain, l'équité de Thémis, Par un ordre absolu, m'ont mis En droit de soutenir les honneurs de la scène ; J'ai triomphé d'un monde d'ennemis, Et malgré d'injustes cabales, Avec les Muses triviales, On ne reverra plus Thalie en compromis. Vous en serez surpris peut-être ; Au bruit de ce succès heureux Tel qui n'osait me consacrer ses veilles, Va désormais m'adresser tous ses voeux. Les Racines et les Corneilles, Momus, auront des successeurs ; Et tels des modernes Auteurs, Qui, par mes conseils, pour matière Ont pris la critique des moeurs, Suivront, quoique de loin, les traces de Molière. Quand on ne peut atteindre au suprême degré, Il ne faut point rougir qu'un autre nous surmonte, À ce mortel illustre on peut céder sans honte, Et dans le second rang voir son nom consacré. Il en est entre eux qui s'attachent À ce dessein avec ardeur. Vous en parlez bien aisément. Que voulez-vous que l'on fasse à cela ? Quelque droit que l'on ait d'y trouver à redire, Un Acteur bien souvent ne saurait pas suffire À jouer tous les jours tous les rôles qu'il a. On a la poitrine échauffée. Quelque migraine, ou la voix étouffée. Momus n'est point adulateur, Il aime à critiquer, à blâmer et médire. Oui, Céphale et Procris, un sujet fort connu. Vous blâmer le sujet ? Mais par quelle raison, Momus ? Pour moi je n'en sais point, expliquez-moi la vôtre. Plaisante imagination ! Si l'on s'effarouchait ainsi du caractère, Jamais ni Plaute ni Molière N'auraient traité l'Amphitryon. Je ne suis pas de votre opinion. Mais vous, n'auriez-vous point, pour décrier la Pièce, Quelque motif secret ? Parlez-moi franchement. Le sujet est plaisant. Il intéresse. Savez-vous que le sérieux, Momus, vous sied fort mal ? C'est le style comique, Sans contredit, qui vous convient le mieux ; Laissez donc là le pathétique, Et ne prenez point tant la querelle des Dieux. Ce n'est point moi qui rends leur conduite publique, On la connaît partout, en Terre, et dans les Cieux ; Hé qui d'entre eux à la cacher s'applique ? Ils semblent au contraire en faire vanité. À l'exemple des Dieux nous voyons les Déesses, Vouloir pour des vertus nous donner leurs faiblesses, À l'ombre de leur dignité. Jupiter a rempli le Ciel de ses maîtresses. La Mère des Amours, des Grâces et des Ris, D'entre les bras du Dieu de Thrace, Sans honte et sans scrupule passe Dans les bras du jeune Adonis, Dont Anchise bientôt vient occuper la place. Par le malheureux Actéon Diane dans le bain surprise, En fait grand bruit, d'abord rude punition ; Deux jours après d'un fol amour éprise, Elle passe des nuits avec Endymion. L'Aurore sans peur de scandale Quitte Titon son vieux mari, Dans ses beaux jours si tendrement chéri, Et tient ménage avec Céphale. De ces intrigues-là tout le monde est instruit, Chacun sait ce qu'il en doit croire, Et les défauts des Dieux ne font pas plus de bruit Sur la scène que dans l'histoire. On m'a voulu donner Ménandre, Aristophane, Et tous deux ont été mes favoris, dit-on : Mais l'esprit seul eut part à ces intrigues. Du moins sommes-nous bienheureuses Qu'il n'y paraisse pas ; et si nous choisissons Des favoris, des nourrissons, D'aucun enfant (fruit ordinaire Des amoureuses passions) Nulle de nous n'est encore mère. On eût pu soupçonner quelqu'un d'eux autrefois De nous devoir leur origine : Mais pour ceux d'à présent, je crois Qu'il en est peu qu'on s'imagine Être issu de race divine. Le mensonge est leur apanage ; Du Dieu des vers enfants ou non, Ils usurpent ce droit dans le sacré vallon, La plupart aujourd'hui n'ont point d'autre héritage. Nous ? Ce sont des enfants sans aveu, sans mérite, Qu'Apollon méconnaît, ou bien qu'il déshérite. Je ne prétends choquer personne, je vous jure ; Au reste, je soumets l'ouvrage à la censure Des esprits solides et bons, Qui savent décider par de justes raisons, Louer, ou critiquer avec poids et mesure, Pénétrer, et connaître à fond Les traits de l'art, et ceux de la belle nature. Voilà les juges que je prends ; Je me fais un bonheur, un devoir de leur plaire, Je recherche avec soin leurs applaudissements : Mais pour un tas de frondeurs pétulants, Critiques indiscrets, nation indocile, Usurpateurs du nom de beaux esprits du temps… Les irriter n'est point ce que je veux ; Me préserve Apollon d'une pareille audace. Mais vous, prévenez-les, et tâchez qu'auprès d'eux Cette nouveauté puisse aujourd'hui trouver grâce. Justement. Moi ? Liberté de parler et d'écrire ; À leur critique, au jugement Qu'ils rendront, avec modestie Je me soumets aveuglément. Jusqu'au revoir, Momus. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_LAURORE *date_1711 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_laurore Quoi, Céphale ! En ces lieux vous n'avez d'autres soins, Que de chercher la solitude ? Ce qui doit vous toucher vous occupe le moins, Et tout entier à votre inquiétude, Vous craignez d'en avoir nos regards pour témoins. Rien ne s'est-il ici offert à votre vue Digne de votre attention ? Et de tout autre objet votre âme prévenue, Voit-elle sans émotion Les effets que produit dans cette occasion, De quelque Dieu la puissance absolue ? Ah ! Si cette mélancolie N'était qu'un simple effet de votre étonnement, Pour vous en tirer aisément, Le moindre effort serait utile, Rien ne vous troublerait ici ; Si votre coeur était tranquille, Votre esprit le serait aussi. Quelle fortune, heureux Céphale, Si vous saviez la mériter, À la vôtre serait égale ? Ce superbe Palais, ces jardins et ces bois, Qui tiennent aujourd'hui la place De ces autres forêts, que l'ardeur de la chasse Vous fit parcourir tant de fois ; Ce changement qui vous fait méconnaître En quels climats vous habitez, Et les lieux les plus fréquentés Où vous aviez coutume d'être ; La pureté de l'air qu'ici vous respirez, Cette puissance invisible et suprême, Qui sait par des ressorts, des mortels ignorés, Vous retenir malgré vous-même, Mes regards ; tout enfin vous laisse-t-il douter Des sentiments d'une Immortelle, Qui tâche de vous arrêter Dans une demeure si belle, Et qui ne craindrait point de laisser éclater Ce qu'elle sent pour vous, si vous brûliez pour elle ? Vous pâlissez, vous vous troublez : Cet embarras, ce long silence, Cette incertitude m'offense, Céphale, expliquez-vous, parlez : Je ne sais point des coeurs pénétrer le mystère, Et n'ai nul droit de les contraindre en rien. Êtes-vous maître encor du vôtre, et peut-il faire L'attachement, les délices du mien ? Céphale, levez-vous, tant de respect me gêne, Et l'amour n'admet point ces inégalités Entre deux coeurs unis d'une égale tendresse. Aimez, Céphale, aimez, mais avec confiance ; Méritez par vos soins et par votre constance, D'être l'unique objet de mes voeux les plus doux : Je ne veux être aimable que pour vous. Et si l'auteur de la lumière, Le Soleil, le plus beau des Dieux, À qui tous les matins, pour sa vaste carrière, J'ouvre la barrière des Cieux, M'offrait ses soins et ses plus tendres voeux, Céphale aurait sur lui la préférence entière. Céphale, quels discours, quelles promesses vaines ? Vous me parlez d'encens, je vous parle d'amour : C'est votre coeur que je demande, Temples, autels, sans lui rien ne me peut flatter, Je dédaigne toute autre offrande, C'est la seule envers moi qui vous puisse acquitter. De l'amour le plus vif, le plus tendre Je vous ai fait Céphale, un indiscret aveu ; Songez bien au parti que vous avez à prendre. Laissez-moi seule. Adieu. Retirez-vous. J'aime un mortel qui ne sent rien pour moi ! De quel dépit cruel je me sens agitée : Je l'avais prévu, Callitée ; À mes pressentiments que n'ai-je ajouté foi ? On me préfère la fille d'Érecthée ? L'ingrat Céphale instruit de mon amour Ne prend nulle part à mes peines, Pour lui ces lieux charmants sont un affreux séjour, Tous ses soins, tous ses voeux l'emportent vers Athènes, Il ne songe qu'à son retour. Ah ! Cesse de vanter des charmes Pour qui l'on n'a que du mépris, Ils cèdent à ceux de Procris. À ta conduite, à ta discrétion, Je m'abandonne toute entière. Mais quel mortel est assez téméraire Pour approcher d'ici sans ma permission ? Hé ! Par quelle heureuse aventure Voit-on Mercure dans ces lieux ? Comment donc ! Et quel est ce lugubre équipage ? Et de mauvais augure. Mais des défunts le discret conducteur, Au retour des bords du Cocyte, Eût pu changer d'habits pour me faire l'honneur De me venir rendre visite. Moi ? À quel propos ? C'est tenir en suspens trop longtemps mon esprit. Ceci commence à me lasser. Qu'avez-vous donc de si funeste, Seigneur Mercure, à m'annoncer ? À quel sujet ? Callitée ? Hé, mais… Hé bien ses ordres sont ? Me bannir du Ciel, moi ? Voilà sans doute un joli compliment Que me fait le Seigneur Mercure. Si sur les temps passés Cybèle Voulait être de bonne foi, Elle réfléchirait sur elle, Et n'aigrirait point tant Jupiter contre moi : Il lui sied bien de jouer un tel rôle, Elle qu'on vit jadis autour du mont Ida, Pour son Atys courir comme une folle. Et qu'on s'attache à ne point oublier ; À l'égard de Junon j'ai peu de chose à dire, Et ce qu'elle est l'autorise à crier. Femme et jalouse elle s'oppose Aux faiblesses que l'amour cause ; Elle a raison : mais elle aurait bien pu Passer en ma faveur quelque petite chose. Sans trop blesser sa farouche vertu ; Dans le besoin fort aise qu'on la serve, Chez elle le bienfait n'est pas toujours nouveau. Quand Jupiter de son cerveau S'avisa de tirer Minerve, Junon voulut, pour s'en venger, De son côté, sans lui, faire pareille affaire, Sans son secours devenir mère : Je m'empressai de l'obliger, Mars par mes soins naquit d'elle sans père. Et cela lui fit un honneur Qu'elle n'eût jamais eu peut-être Sans le secours d'une certaine fleur Que mes regards avaient fait naître. Pour Pallas c'est une guerrière, À qui sans doute il sied d'être fière, Et de blâmer les erreurs de l'amour ; Elle y serait sujette elle-même à son tour, Si quelque aimable amant s'efforçait de lui plaire. Mais comme en terre et dans les Cieux On néglige assez de le faire, Qu'entre les mortels et les Dieux, Vulcain seul a brûlé pour elle. Je ne vois pas que sa fierté Doive tirer beaucoup de vanité, Pour un tel soupirant d'avoir été cruelle. N'a-t-elle pas raison ? Qu'est-ce que je hasarde ? Conseillez-moi, qu'en dites-vous ? Elle a raison, demeurez parmi nous, Vous passerez ici les moments les plus doux. Assurément. Ne vous vient-il rien dans l'idée ? Imagine un peu Callitée, Toi qui penses si finement. Que je sache. Demeure ici, toi, je te prie, Et par de doux amusements, Tâche de le distraire, au moins quelques moments, De l'objet de sa rêverie. Je ne puis pour Procris blâmer votre constance : Sensible à votre éloignement, Inquiète de votre absence, Elle vient d'arriver ici dans le moment. Pour une épouse et si jeune et si belle, On ne saurait assurément Trop louer votre attachement : Vous seriez criminel de n'être pas fidèle. Vos yeux ont été les témoins De l'état de mon coeur, Céphale : Hé ! Pouvez-vous penser que je donne mes soins Pour vous rejoindre à ma rivale ? Mais peut-être quelqu'un des Dieux, Qu'elle a touché par sa douleur extrême, Par ses prières, par ses voeux, Ou que dans les transports d'un coeur bien amoureux Vous avez imploré vous-même, Se sert de son pouvoir suprême Pour vous la rendre dans ces lieux. De deux amants unis des plus parfaits liens, Je ne veux point par ma présence Troubler les tendres entretiens. Voyez pour vous quelle est ma complaisance. De ce Palais je vous laisse le maître, À mes Nymphes ici vous donnerez la loi ; Des Sylvains la troupe champêtre Vous obéira comme à moi : Tous à l'envi s'efforceront de plaire À la beauté qui vous est chère, Et peut-être son coeur sera-t-il satisfait Du sacrifice que lui fait Un époux qui pouvait mieux faire. Au moment que toujours fidèle Vous faites vanité de l'aimer constamment Si sa beauté vous la rendit aimable, N'en est-il point qui lui soit comparable ? Et si cette fidélité Qui vous tient dans ses fers par devoir arrêté, À l'abri des discours que le mensonge invente, À jusqu'à ce moment été De certains soupçons exempte, Pensez-vous qu'aux voeux d'un amant, Son coeur pour vous fidèle, à tout autre inflexible, Piqué de votre éloignement, Eût tant de peine à devenir sensible ? Je vous parle ici confidemment. Je crois Procris aussi sage que belle ; Mais l'incertitude est cruelle ; Et quand on peut savoir les choses sûrement… À Procris vous n'osez, Céphale, être infidèle, Aurait-elle pour vous le même attachement. Je ne les fais naître, Céphale, que pour les guérir. Contre Procris vous présumez peut-être Que mon coeur cherche à vous aigrir ? À vous mettre pour elle en quelque défiance ? Vous-même en ce Palais Vous en pouvez par vous faire l'expérience Par vous. Trouverez-vous jamais Plus belle occasion d'éprouver sa constance ? Procris croit retrouver Céphale dans ces lieux ; Sous des traits différents qu'il paraisse à ses yeux, D'un seul mot à l'instant, sans forcer la nature, Je puis pour les regards humains Vous donner une autre figure ; Je puis remettre dans vos mains Tous les trésors dont je suis la maîtresse, Et de cette immense richesse, De tant de biens des mortels si chéris Vous ferez hommage à Procris. Rival alors, et rival de lui-même, Sous d'autres traits Céphale ainsi De son sort peut être éclairci, Et savoir sûrement à quel point Procris l'aime. Vous balancez ? Votre front obscurci… De quel crime envers moi ce trouble vous accuse ? Vous craignez de ne plus aimer L'objet qui sût trop vous charmer, Et ne méritez pas que je vous désabuse. Autant que vous votre sort m'intéresse, Et mon unique objet est de le rendre heureux : Mais il faut que pour vous mon pouvoir se signale. Donc cessez d'être Céphale, Paraissez au gré de vos voeux Tout ce que vous voudrez paraître, Qu'aucun mortel surtout ne vous puisse connaître. Dans l'instant que vous le voudrez Vous reprendrez votre forme ordinaire, Et pour Procris vous paraîtrez Tel que vous le souhaiterez. Ah ! Que Procris m'a paru belle, Callitée, et pourquoi les Dieux Ornent-ils donc une simple mortelle De leurs dons les plus précieux ? Quoi n'est-ce pas fournir des armes Contre leurs propres libertés, De prodiguer ainsi tant d'attraits et de charmes Qu'ils devraient réserver pour des Divinités ? Je pardonne à ta bonne humeur De plaisanter ainsi de ma faiblesse : Mais trop légèrement ton zèle s'intéresse À l'état violent où se trouve mon coeur. Tu rassures un peu mon âme. Il est vrai : mais enfin, ma chère Callitée, Mercure dans l'Olympe est allé faire un tour, Et je suis fort inquiétée De ne le point voir de retour. Non : mais des mouvements de la céleste Cour Je crains, je l'avouerai, quelque suite bizarre ; De Minerve, Procris a la protection : Junon dans son humeur jalouse, Sans trop savoir pourquoi, prend avec passion Le fait et cause d'une épouse. Cybèle est malfaisante, et Jupiter est bon, À te dire le vrai, tout cela m'inquiète, Callitée, et j'ai grand regret Que cette affaire-ci n'ait point été secrète. Le plaisir dans mon coeur succède à la tristesse. Quel trouble tout-à-coup m'agite en ce moment ? Donné par un ami parfait. Elles qui contre moi sans raison déclarées ?... Cette conduite est tout-è-fait louable : Mais enfin, quel succès est-ce qu'elle a produit ? Mais encor dites-moi. Hé ? De quelle façon ? Quoi ? Hé bien ! Ah ! C'est être trop médisant. Il va plus loin encor que ses promesses. Qu'avez-vous fait de plus ? Vous avez fort bien fait. D'accord. Tout ceci ne méritait pas L'éclat qu'on en a voulu faire. Je n'en serai jamais ingrate, Et Mercure sur moi peut compter. Faisons-le approcher, je te prie, Je veux savoir un quelque chose de lui. Que fait Céphale ? Près de Procris il est fort empressé ? Comment ? Ainsi toujours de Procris amoureux… Et c'est pourtant le seul moyen De calmer les soupçons que mon coeur a du sien. Non, pour lui de Procris la tendresse est extrême, Il n'en doit redouter ni haine, ni mépris, Céphale est seul objet de sa plus tendre flamme. À ton bon naturel je ne m'oppose pas, Tu peux en parler ou te taire, Mais il s'agit dans cette affaire Du secret, ou d'un prompt trépas. Tu ne saurais mieux faire, Et si Procris en apprends jamais rien, Tu cesseras de vivre au même instant. Jupiter approuve nos feux, Jouissez de la gloire où mon choix vous appelle, Et rendons tous deux grâce à Mercure, à l'Amour, Dont l'adresse et les soins vous ont fait en ce jour Connaître à fond le coeur d'une infidèle. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_CEPHALE *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cephale Par quelle puissance secrète En ces lieux suis-je retenu ? Quelles mains sur le mont Hymette A placé ces jardins, ce Palais inconnu ? Non, mes craintes ne sont point vaines, J'éprouve un juste courroux. Du bonheur que l'hymen m'avait fait dans Athènes, Les Dieux sont devenus jaloux, Que dois-je présumer d'une telle aventure ? Veulent-ils donc me rendre infidèle, parjure ? Pensent-ils que sensible à de nouveaux appas… Hé, qui des Immortels faudra-t-il que j'implore Dans le trouble qui me dévore ? Si quelqu'un d'eux peut-être ici retient mes pas Pour m'enlever l'épouse que j'adore. Pour un coeur vivement épris, Quel affreux tourment que l'absence, Procris, adorable Procris ! Procris, si quelque Dieu devenu votre amant, Dans ces lieux malgré moi m'arrête, Pour profiter de mon éloignement, Il s'efforcera vainement De vous faire un jour sa conquête : Je ne crains point, au mépris de ma foi, Que vous le préfériez à moi. Soyez aussi, Procris, sûre de ma constance : Vénus, la mère de l'Amour, M'arrêterait en vain dans ce charmant séjour ; Pour vous ravir un coeur à vous par préférence, Je verrais tout l'Olympe à mes voeux opposé, Que je vous répondrais de ma persévérance. C'est toi, Philacte ? Quand de ses sentiments on n'a point à rougir, On ne craint pas qu'on les entende. Achevez un discours que j'ai peine à comprendre. Ce n'est pas sans sujet. Quel est donc ce bonheur qu'on me fait entrevoir ? Comment ? Explique-toi. Mais… Mais encore ? Hé, qui te fait m'oser parler ainsi ? Moi ? Non, Philacte, je l'ignore. Apprends-le-moi, n'importe. Hé bien ? Non, non. Chez l'Aurore ! L'Aurore ! Ah, Ciel, quelle fatalité ! On prétend en vain que j'oublie Vos attraits, charmante Procris. Ciel, de quel mouvement je me trouve agité ! Est-ce respect, crainte ou faiblesse ? Ah ! Cachons pour Procris jusqu'où va ma tendresse, Et tâchons, en flattant les voeux de la Déesse, De recouvrer ma liberté. Madame, le trouble où je suis Ne me laisse point à moi-même, Et dans une surprise extrême, Plein de respect, me taire est tout ce que je puis, Un triste souvenir dont j'ai l'âme remplie… L'un ni l'autre ne peuvent l'être ; De tout ce que je vois interdit et confus, Je fais des efforts superflus Pour cacher des chagrins dont je ne suis pas maître, Contraint de les laisser à regret éclater… Sur le coeur des mortels quels droits n'a point, Madame, Une aimable Divinité ? En est-il que votre beauté Des feux les plus ardents n'enflamme ? Vous rallumez ceux du flambeau du jour, L'Univers vous doit la lumière, Vous pouvez de ceux de l'amour Embraser la nature entière ; Maîtresse de nos libertés, De tous nos voeux arbitre souveraine… De tout ce que j'entends charmé, quoique incertain, Dans quel trouble nouveau tant de faveurs me plonge ? Tout ceci me paraît un songe Dont je tremble de voir la fin. Ah ! C'en est un sans doute, et ce bonheur insigne… Un simple mortel n'est pas digne Qu'il devienne une vérité. Et moi, Déesse, et moi, comblé de vos bontés, Par quel encens, par quelle offrande, Puis-je payer jamais une faveur si grande ? Je vous consacrerai toutes mes volontés. Dans tous les lieux soumis à ma puissance Je vous élèverai des temples, des autels, Où mes Peuples chargés de ma reconnaissance, Iront vous adresser leurs voeux par préférence À tous les autres Immortels : Ouvrez-moi les routes d'Athènes, Et dès le même instant que j'y suis de retour… Madame… Ah ! Si jamais ce coeur… Crois-tu donc que toujours à Procris trop fidèle, Aux charmes d'une ardeur nouvelle, Mon coeur soit pour jamais fermé. Philacte, ce coeur est charmé De voir celui d'une Déesse Des feux les plus vifs enflammé, Je goûte avec transport, avec délicatesse, Tout le bonheur d'en être aimé. À quel excès en moi par sa vive tendresse, L'ambition, la vanité, L'amour-propre est flatté ! Quel trouble règne dans mon coeur ! De tout ceci quelle sera la suite ? Conçois-tu bien le désespoir Où peut-être Procris est à présent réduite ? Par combien de discours, de soupçons de ma foi, On tâche de jeter dans son âme, Des dispositions à douter de ma flamme, Pour me ravir un coeur qui doit n'être qu'à moi ? Je fais peut-être en ce moment L'entretien de toute la Grèce, Et d'un si prompt éloignement On fait mille contes sans cesse. Peut-être sait-on que l'Aurore A fait choix en moi d'un amant, Et l'on se garde bien de dire assurément, Que mon coeur lui résiste encore. Que tu pénètres mal le fond de ma pensée, Philacte, et de combien de divers mouvements Je me sens l'âme embarrassée ! De l'Aurore, crois-moi, je connais tous les charmes, Mon coeur est prêt à lui rendre les armes ; Mais de Procris outrageant les appas, Perfide époux, insensible à ses larmes… Des plus cruelles peines Accabler le coeur de Procris ! Oser briser avec mépris Les noeuds d'hymen, les saintes chaînes Dont pour garants nous avons pris Les Dieux protecteurs d'Athènes ! En cédant à l'amour quel blâme je m'attire ! Que ferai-je penser de moi, Et d'un pareil manque de foi, Dans la Grèce que va-t-on dire ? Où pourrai-je la rencontrer ? Dites-le-moi, Nymphe charmante : Du bien de la revoir mon âme impatiente Le voit à regret différer, Je brûle de savoir ce qu'elle me veut dire. Oui, belle Callitée, Je sens de mon bonheur à présent tout le prix. Et dans les doux transports dont j'ai l'âme agitée, De mon aveuglement et confus et surpris, Je ne puis assez tôt aux pieds de la Déesse Tâcher d'expier la faiblesse Qui dans un coeur encor trop vivement épris, A par scrupule, ou par délicatesse, Soutenu trop longtemps l'intérêt de Procris. Procris ! Procris en ces lieux, Philacte ! Amour, vous implorer est tout ce que je puis : Venez à mon secours, et daignez me prescrire Tout ce que je dois faire, et comment me conduire Pour me tirer de la peine où je suis. Vous avez dans ces lieux un absolu pouvoir, Madame, et quand Procris en approche sans peine, Il est aisé de concevoir Qu'en s'y rendant elle est certaine De l'aveu de la Souveraine. J'ai mérité ces reproches, Déesse : Mais je ne rougis point de mes feux pour Procris ; À son mérite, à sa tendresse, Je dois les plus tendres égards. Mais hélas ! Dans quel temps la fortune cruelle La vient offrir à mes regards ! Que je crains de la voir en ce fatal moment ! Le devoir me parle pour elle : Mais l'amour s'explique autrement. Madame ? En ce moment j'ai peine à me croire, Je souffre tout ce que l'on peut souffrir : Ces soupçons de la foi. Ciel ! Par moi ! Hélas, Déesse, hélas ! Ordonnez, disposez, De mon destin vous êtes la maîtresse : Mais regardez l'état où vous me réduisez. Quel mouvement se fait en moi ! Dans quelle situation Philacte, est-ce que je me trouve ! Tromper Procris ! Chercher à la surprendre ! Je sais ce que j'en dois attendre, Elle a pour moi la plus sincère ardeur, Un coeur tout entier à Céphale. En ce moment je me sens agiter D'un trouble affreux que rien n'égale. Ah ! Curiosité qui me sera fatale, Et que pourtant je ne puis surmonter, Si sous ces traits nouveaux je venais à lui plaire ! Et si je fais d'inutiles efforts ? De quel front la trahir en la trouvant fidèle ? Soumis aux lois qu'elle a su me prescrire, Je ferai tout ce qu'elle a souhaité. Je vais employer l'artifice Pour toucher le coeur de Procris, Heureux de n'y trouver que froideur et mépris, Pour faire à la Déesse un plus grand sacrifice. Quel soin prends-tu dans cette occasion ? Il pense juste. Non, mais fort joli. Tout de bon, tu n'es pas connaissable ? La taille fine et le visage aimable, Un port noble, un air dégagé. Je vois Procris. Un reproche secret et m'alarme et m'étonne. Rassure-toi, Tu ne dois là-dessus avoir aucune crainte, Mais pour quelques moments éloignons-nous, suis-moi : Disposons mon coeur à la feinte, Puisqu'on m'en impose la loi. Je ne m'offense point, Madame, Que dans ces lieux où tout est sous ma loi, Vous cherchiez un autre que moi. Je sais pour votre époux quelle ardeur vous enflamme. Belle Procris, (car la douleur N'a rien altéré de vos charmes,) Su d'un époux qui fait couler vos larmes Vous pouviez pour un temps perdre le souvenir, Et que dans ce Palais on put vous retenir, Que ne ferait-on point pour calmer vos alarmes ? Je suis touché de votre peine, Vous m'en voyez pénétré comme vous : Mais cessez la recherche vaine Que vous faites de votre époux. Ah ! Que de cet époux je plains l'aveuglement ? S'il s'éloigne de vous sans crime, Qu'il est coupable en ce moment ! Possesseur de vos charmes Autant aimé peut-être qu'amoureux, Il a gémi d'abord, il a versé des larmes, L'absence a redoublé ses feux ; Mais… Une flamme nouvelle A saisi son coeur malgré lui, Et le rend moins digne aujourd'hui Des tendres soins d'une épouse fidèle. Madame. Si vous saviez à quels remords Cette infidélité l'expose, Vous modéreriez les transports Que son égarement vous cause. D'un trouble égal au vôtre il se sent agiter ; Vous l'aimez, Madame, il vous aime, Quels reproches secrets il se fait à lui-même ! C'est une puissance suprême Qui le force de vous quitter. Non, Madame, dans ce Palais C'est l'Amour qui vous a conduite, Ce Dieu n'approuve pas une si prompte fuite, Il veut de votre sort prendre soin désormais. Je ne pénètre point les desseins de l'Amour : Mais, Madame, dans ce séjour Daignez vous arrêter, c'est lui qui vous en prie, À vos peines, à vos tourments, Vous trouverez ici plus d'adoucissement Qu'au milieu de votre Patrie. Par de tendres amusements Les hôtes de ces bois chercheront à vous plaire : Heureux si pour quelques moments De vos chagrins ils pouvaient vous distraire. Et moi, Madame, et moi, j'ose exiger de vous Que vous différiez de vous rendre, En des lieux, qui de votre époux Pourraient vous rappeler un souvenir trop tendre ; Pour l'oublier demeurez parmi nous, La raison, tout vous y convie ; Dans ce Palais vous ne serez servie Que par des Nymphes, dont le soin, L'unique objet, la principale étude Seront de vous sauver la moindre inquiétude. Souffrez qu'en ma faveur J'ose expliquer votre silence, Et qu'ici tout s'empresse à mériter l'honneur D'y jouir de votre présence. N'en appréhendez rien qui blesse La bienséance ni l'honneur : Mon respect est pour vous égal à ma tendresse, Et quand on aime infiniment On aime avec délicatesse. Je me suis aperçu de son éloignement, Madame, et depuis ce moment À mon coeur j'ai fait violence. Timides pendant son absence, Mes feux ont craint de s'exhaler, J'ai forcé ma bouche au silence, Et mes yeux seuls ont osé vous parler Du plus ardent amour dont on puisse brûler. Ainsi donc tout espoir m'est interdit, Madame ? Pour vous faire approuver ma flamme, Je fais des efforts superflus ? Parlez. Mérite-t-il, Procris, ce tendre attachement ? Malgré ses ardeurs insensées Vous l'aimez toujours constamment, Toujours présent à vos pensées… Instruit de sa perfidie, Que lui-même partout prend soin de publier, Vous savez qu'il vous a trahie, Et vous ne pouvez l'oublier ? Dans cette haine encore mal assurée, Le haïssez-vous tant, Procris ? Le mépris : quoi déjà… Ah ! De quel doux espoir je sens flatter ma peine ! La haine succède à l'amour, Le mépris va suivre la haine, Et ce grand changement est l'ouvrage d'un jour. Que la trahison de Céphale Mérite bien le sort que vous lui préparer ! Vous soupirez. Vous préférez, Procris, le Palais odieux D'un époux volage et parjure À cet asile glorieux ? Vengez-vous ainsi votre injure ? Les pleurs qui coulent de vos yeux, Font trop voir à quel point il vous est cher encore, Cet infidèle époux, cet Amant de l'Aurore. Que pouvez-vous souhaiter en ces lieux ? Demi-Dieux, Nymphes, tout s'empresse à vous y plaire. Comme soumise et tributaire De ces dons précieux, La nature cherche à vous faire Un hommage digne des Dieux. Je ne veux qu'un seul mot, et pour vous satisfaire J'assemble en ce Palais mille trésors divers Qu'enferment dans leur sein et la terre et les mers, Ils sont à vous, Procris, permettez que j'espère. Hé bien, Si du moins il l'est pour la gloire, Peut -être dépend-il de moi De vous mettre au-dessus du sort d'un e mortelle. Ah ! Je ne cesserai jamais d'être constant. Par quels serments faut-il qu'on vous rassure ? Qui peut mieux garantir la foi de ces serments, Que l'adorable objet de mes empressements ? C'est par vous-même que j'en jure. Que vous doit importer sa joie ou sa douleur, Pourvu que vous soyez vengée ? Et vous le haïssez ? Malgré son inconstance Que Céphale est encore heureux ! Et moi, je ne devrais le succès de mes voeux Qu'à ce seul désir de vengeance ? Non, ce n'est pas assez, et ma délicatesse Voudrait devoir toute ma tendresse, Procris, à vos seules bontés. Procris, sortez de votre erreur ; Céphale balançait à vous être infidèle, Et s'il n'eût point connu votre perfide coeur, Il n'aurait point brûlé d'une flamme nouvelle. Reconnaissez-le cet époux, Fuyez, évitez son courroux. Ah, Déesse ! À quel prix vous me rendez heureux. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_PROCRIS *date_1711 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_procris Quelle peine, Dione, à la mienne est égale ? C'est pour amuser ma douleur Que l'amour a flatté mon coeur De l'espoir qu'en ces lieux je reverrais Céphale. Je viens ici sous sa conduite, Ma chère Dione, et je crains. Un noir pressentiment me saisit et m'agite ; De tout ce qui s'offre à tes yeux De beau, de grand, de gracieux, Je ne vois rien, l'absence de Céphale Occupe seule mon esprit. Suis-je en état ni de voir, ni d'entendre ? Céans certains moments sur ce que l'on nous dit Est-ce qu'un coeur prévenu réfléchit ? Philacte après un tel aveu Ne doit pas trop compter sur l'excès de ta flamme. On t'aime plus que tu ne penses ; Mais finissons ces vains discours. Ah ! Vous extravaguez, Dione, en vérité. Céphale seul peut me la rendre. Ces jardins sont délicieux, Et ce Palais paraît superbe et magnifique. Que tout me charmerait, Dione, en ces beaux lieux, Si toujours sûre d'être aimée, Les Dieux m'y rendaient mon époux ! Mais dis-moi, chez qui sommes-nous Ne t'en es-tu point informée ? Ah, Dione, je suis trahie ! Céphale, que je cherche de toutes parts, Ne s'offre point à mes regards. Je vois que mon malheur, seigneur, vous est connu, Et je ne puis cacher le trouble de mon âme. Hélas, Céphale, hélas ! Qu'êtes-vous devenu ! Vos soins, Seigneur, m'offrent un vain secours ; L'excès de mes malheurs permet-il que j'espère Qu'aucun mortel en suspende le cours ? À mes justes désirs le sort est trop contraire. Ah ! Si jamais l'amour a touché votre coeur D'une ardeur vive et mutuelle, Si vous avez senti sa charmante douceur, Concevez la peine cruelle Que souffre un coeur bien enflammé, Quand le sort injuste et barbare Peut-être pour jamais l'écarte et le sépare D'un objet tendrement aimé. Vous condamnez, Seigneur, un soin si légitime, Et je le prends, dites-vous, vainement ? Seigneur. Achevez, Seigneur. Ah ! De quel coup mortel venez-vous me frapper ? L'ingrat… Mais non, Dione, on cherche à me tromper. Pardonnez aux transports d'une épouse insensée, L'injurieux soupçon qu'elle prend contre vous : Mais enfin, d'un perfide époux Qui vous a donc, Seigneur, expliqué la pensée ? Où le retient-on ? En quel lieu Se cache-t-il ? Quelle est cette beauté qu'il aime ? Ah ! Si son coeur brûle d'un nouveau feu, Ose-t-il l'avouer ?... N'êtes-vous pas un Dieu Qui pénétrez ses secrets par vous-même ? Si vous êtes, Seigneur, une Divinité, Comme j'ai tout sujet de le penser… Car un simple mortel avec facilité Ne sait point lire au fond d'une âme. Hé qui peut vous avoir appris Que trop d'amour pour un perfide Près de vous en ces lieux me guide, Que je cherche Céphale, et que je suis Procris ? Protégez une infortunée, Servez-vous de votre pouvoir Pour adoucir ma destinée. Que je parle à l'ingrat, que je puisse le voir, Qu'il me rende son coeur, et dans l'instant j'oublie Les maux qu'il m'a causés par son éloignement ; Ou s'il s'obstine au changement, De grâce punissez, Seigneur, sa perfidie. Hé ! Devrait-il les mériter ? Ainsi, le Ciel auteur de l'injustice, Approuve l'infidélité : Il permet donc qu'avec impunité L'ingrat Céphale me trahisse : C'est lui que je cherche en ces lieux, Je ne l'y trouve point ; souffrez que dans Athènes J'aille cacher à tous les yeux Ma honte et l'excès de mes peines. Prendre soin de mon sort ? Quelle pitié fatale ! Ah ! Pour le rendre heureux qu'il me rende Céphale. Dans l'état où je suis, Seigneur, Le devoir et la bienséance, Mon repos même et mon honneur En d'autres lieux demandent ma présence. Seigneur. Et moi, je fais, Dione, un effort impuissant Pour calmer les chagrins que mon âme ressent : Dans Athènes ma peine était bien moins cruelle, J'y regrettais Céphale absent, J'ignorais qu'il fût infidèle. Non, Dione. De ma seule douleur je suis toute occupée. Ton erreur est extrême. Pour tes conseils j'ai de la déférence, J'espère ici revoir Céphale à tout moment. C'est le seul bien qui m'est resté. Tes discours sont pour moi remplis d'obscurité. Vous perdez l'esprit et le sens. Votre extravagance m'étonne, De dépit contre vous je me sens enflammer : Vous vous ferez haïr, Dione. Encor ? Ah ! C'en est trop ; ôtez-vous de ma vue, Dione, et ne vous y montrez Que lorsque la raison vous sera revenue. Que fais-je ? Où suis-je, infortunée ? Est-ce donc mon époux que j'attends en ces lieux ? Quelle y sera ma destinée ! Mais, quel objet se présente à mes yeux ! Sténopé ! Hélas ! Vous m'avez donc suivie ? En quel état me trouvez-vous ? Quoi ! De concert avec Dione, Sténopé, mes chagrins par vous sont redoublés ? Est-ce donc vous qui me parlez ? Qu'entends-je ? Quels discours ? Leur nouveauté m'étonne ! Quoi ! Lorsque la raison peut-être m'abandonne, Est-ce ainsi dans mes maux que vous me consolez. Dit-on l'objet de son égarement ? Sténopé, instruisez-moi de tout ce qui se passe, Pour aigrir mon ressentiment. Avec l'Aurore ! Mais quoi, la Déesses du jour Se rendrait-elle aussi dans ce vilain séjour ? Avec Céphale de concert Votre époux nous trompait, Dione. Quelle ardeur coule dans mes veines ! Le trouble, le dépit, la fureur tour à tour… Quels avant-coureurs de l'amour ! Il fallait… précautions vaines, Quand j'aurais évité ce dangereux séjour, Sténopé, suivez-moi, prenez pitié des pines Que je ressens dans ce funeste jour. Quoi donc, seule avec vous, Seigneur, Sténopé en ces jardins me laisse ? Ce langage pour moi n'est point intelligible, On ne m'a point instruite à l'expliquer, Seigneur, Et les yeux, la bouche et le coeur À qui porte une âme sensible, Parlent en vain de la plus vive ardeur. Qu'exigez-vous, et que puis-je vous dire, Seigneur ? Je ne me connais plus, Tout est nouveau pour moi dans votre empire, Mon esprit y pense autrement, C'est un autre air que j'y respire, Mon coeur agit différemment, Il me semble que tout conspire À me faire sentir ce fatal changement. À mes intérêts si fidèle, Sténopé si prudente et si sage autrefois, Par des conseils indignes d'elle, Irrite encore le trouble où je me vois : Sa complaisance criminelle, Prête aux traits que j'évite une force nouvelle Pour m'asservir sous de funestes lois. Fuyons, n'attendons pas qu'un Dieu cruel s'unisse À tant d'efforts que l'on fait contre moi. Quoique Céphale me trahisse, Souvenons-nous de ce que je me dois : Il est parjure, il me manque de foi, Que ma fidélité fasse un jour son supplice. Qu'il les occupe en ce moment. Ce serait manquer à ma haine, Que d'oublier qu'il a pu me trahir ; Laissez-moi cet objet dont ma mémoire est pleine, Je ne l'y retiendrai que pour mieux le haïr. Cette haine, seigneur, aura peu de durée, Elle fera bientôt place au mépris. C'est la seule vengeance Que contre lui se permet ma douleur : N'est-il pas temps qu'elle commence Au moment que je sais l'offense ? Je contrains mon dépit et ma juste fureur ; Et n'opposer à l'inconstance Que mépris et qu'indifférence, C'est se venger avec douceur. Hélas, Seigneur ! À mon repos trahison trop fatale, À quels tourments vous me livrez ? Seigneur, soyez sensible à mon malheur extrême, Souffrez que je me rende à la Grèce, moi-même. Seigneur ? Les richesses ne touchent guère, Seigneur, un coeur comme le mien, Et c'est mal en juger de croire Qu'aux offres des trésors il soit sensible. Vous pouvez tout, et je le crois ; Mais pour nous rendre heureux la grandeur suffit-elle ? Non, l'immortalité, Seigneur, me déplairait, Si l'amour de celui qui me l'assurerait Comme lui, comme moi n'était pas éternelle. Céphale m'en jurait autant. Et mon perfide époux, Seigneur, Verrait-il à regret ma gloire et ma grandeur ? La honte et le remords de m'avoir outragée, Troubleraient-ils son infidèle coeur ?, Hé ! Puis-je l'être sans savoir Que je lui cause un mortel désespoir ? Ne suffirait-il pas qu'ils fussent écoutés ? Que vous êtres cruel ! Que mon trouble est extrême ! Pourquoi réduire un coeur à le nécessité De vous avouer, s'il vous aime, Que vous le devez moins à l'infidélité D'un volage époux, qu'à vous-même ? C'est Céphale. Grands dieux ! Ah ! Qu'ai-je fait, Dione ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_MERCURE *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mercure C'est moi-même, il est vrai, vous avez de bons yeux. L'aventure n'a rien qui soit fort gracieux, Et j'aurais bien voulu m'épargner le voyage. Il vous paraît tous des plus sérieux, Aussi l'est-il. Il est vrai, vous avez raison : Mais il faut malgré moi prendre cette figure, Toutes les fois que chez Pluton Je vais des morts conduire la voiture Jusques à la barque de Caron. Pour aujourd'hui m'en voilà quitte. Je n'ai pas eu le temps d'aller chez le baigneur, Jupiter m'a chargé de faire diligence, Et d'aller au plutôt lui faire le récit De tout ce que vous m'aurez dit. Vous. Un peu de patience. Vous apprendrez la chose encore trop tôt, je gage, Et vous allez trouver l'habit Moins lugubre que le message. Au conseil de la Cour céleste On a porté des plaintes contre vous : L'orgueilleuse Junon, et la bonne Cybèle, Et la prude Pallas ont par excès de zèle, Mis le grand Jupiter dans un fort grand courroux. Pour une bagatelle, Un bruit mal à propos peut-être répandu. Une jeune prude d'Athènes Que depuis peu de temps l'Hymen tient dans ses chaînes, Et qui se targue fort d'une austère vertu, Fait un vacarme affreux pour un mari perdu : C'est je crois, Procris qu'on la nomme, Et le mari Céphale, un fort joli jeune homme. Connaissez-vous cela ? Hem, plaît-il ? Que de façon, Parlez. J'en ai jugé d'abord ainsi sur l'apparence. Non, non, j'en sais la conséquence : Mais Minerve a là-haut fait entendre aujourd'hui Que vous le reteniez en ces lieux malgré lui. Quelques Déesses surannées Traitent cela d'enlèvement, Et contre vous sont très fort déchaînées, De vous voir à leur barbe ainsi prendre un amant. Jupiter prend le fait très sérieusement, Et de sa part je viens vous dire Que sans retardement À ses ordres il faut souscrire. Que très diligemment Vous ayez à lâcher le beau Monsieur Céphale ; Faute de quoi, dût-on causer quelque scandale, Et supprimer l'aube du jour, Les souterrains de la cabale Vous feront éloigner du céleste séjour. À vous perdre elle est animée, Si vous n'obéissez vous serez enfermée. Ne confondons rien, s'il vous plaît, Ce compliment vient de la part du maître : Je ne sais comme il vous paraît, Mais je sais bien comme il doit vous paraître ? Vous vous souvenez de cela ? Ce sont égarements que le temps doit prescrire. Junon a tort assurément, Comme Déesse bonne et sage, En faveur d'une fleur d'un si charmant usage, Elle eût pu vous passer celui d'un jeune amant. Je suis bien aise en vérité De vous voir ainsi penser d'elle. La petite Nymphe est gaillarde. Je dis Que je suis porteur d'ordre, et non donneur d'avis : S'il vous en faut pourtant donner un pour vous plaire, Je ne sais s'il vous conviendra : Mais je vous conseille de faire, Sans beaucoup réfléchir, tout ce qu'il vous plaira. Je ne saurais, je vous assure. Vous me tentez très fort : mais Jupiter m'attend. Ce n'est pas mon défaut de me faire prier, Je suis trop facile, au contraire. Mais enfin s'il s'impatiente ? Hé bien, Je reste : mais enfin si l'on trouvait moyen Pour quelques jours de faire taire Cette braillarde de Procris, Et d'interrompre au moins ses plaintes et ses cris, Ce serait une bonne affaire. Cela vient-il dans le moment ? Par ma foi, sans être amoureux, Il me vient dans la tête un petit stratagème. Attendez… Non… si fait. Le tour serait heureux : C'est le meilleur qu'on puisse imaginer sans doute. Évitez-le, entrons dans ces bosquets : Il ne faut pas qu'on nous écoute, Et je ne crains rien tant que les mauvais caquets. Rassurez-vous, trop charmante Immortelle, Du haut des Cieux j'arrive à tire d'aile, Ce n'est pas pour vous faire un mauvais compliment. Tout va le mieux du monde. Le dessein que nous avons pris D'attirer en ces lieux Procris, Pour calmer sa douleur profonde, Ou pour suspendre au moins ses plaintes et ses cris, Dans l'Olympe, où d'abord parmi tous les esprits Sur toute nouveauté la pétulance abonde, A fait un merveilleux effet. Personne n'y prend tant de part ; Et pour donner un bon tour à l'affaire, Je m'y suis pris aussi de la bonne manière. Arrivé comme par hasard, De votre part pourtant j'ai d'abord été faire À Junon, Cybèle et Pallas, Des compliments qu'elles n'attendaient pas. Et voilà pourquoi justement J'ai cru qu'il était bon que pour le compliment Elles fussent les préférées. Oui, vraiment. Celles qui sont de nos amies Sans soins à nous servir se laissent engager : Ce ne sont que les ennemies Qu'avec art il faut ménager. Elle a produit un succès admirable, Dont j'ai la peine, et vous le fruit. Procris disgraciée, Chez les Divinités a perdu son crédit. J'ai mis dans leur esprit. Que de leur puissance elle s'est défiée, Qu'elle a mis dans ses intérêts Vénus, les Grâces, la Jeunesse, Les Ris, les Jeux, les Plaisirs. Qu'à la servir aussi les amours sont tous prêts ; Qu'enfin elle est autorisée Par toute la cabale à la leur opposée. Hé bien dans le moment Les voilà dans l'emportement. Je ne m'étonne pas, a dit d'abord Cybèle, Si je n'entends plus parler d'elle. Dans mon Temple, a repris Junon, Elle n'a depuis hier fait offrandes ni don. Ah vraiment, a crié Minerve, Cette folle prend bien son temps Pour nous retrancher notre encens ; Croit-elle donc que pour rien on la serve ? Hé ! Pensez-vous donc que ce soit votre appui ; Ai-je répondu, moi, qu'elle cherche aujourd'hui ? Loin de s'intéresser à retrouver Céphale, Éprise d'une ardeur égale, Elle court comme lui la campagne à présent. Oh ! Vous placez mal le scrupule, Madame l'Aurore ; comptez, Pour épargner le moindre ridicule À certaines Divinités, Qu'il n'est médisance, imposture Dont ne soit capable Mercure ; Et qu'enfin pour sauver votre honneur combattu, Il faut immoler tout, et même la vertu. Enfin voyant les trois Déesses L'esprit aigri de colère, et le coeur À peu près au point de fureur Qu'on pouvait souhaiter, c'est-à-dire, enragées Comme des prudes outragées, J'ai dans l'instant saisi l'occasion, Je me suis assuré de leur protection, Pour faire recevoir Céphale À demander aux Dieux la séparation, En cas de malversation De la part de votre rivale. Cela vaut fait. Ce n'est pas tout encor. Plutus, le Dieu de l'or, Que vous connaissez bien, je pense, M'a de fort bonne grâce et sans nul intérêt, Malgré le temps qui court, prêté quelque finance, Que vous lui rendrez, s'il vous plaît, Et cela pour donner à quelques secrétaires, À des confidents ordinaires De quelques Dieux de peu de poids, Mais qui pourtant dans les affaires Ne laissent pas d'avoir leur voix. Dans le siècle où nous sommes, Chez les Dieux comme chez les hommes Les présents font taire les lois. Quant à Momus, trois ou quatre bouteilles D'un nectar le premier cuvé, Par mon maître d'hôtel avec soin conservé, L'ont engagé pour vous à faire des merveilles : Le Dieu critique en a bu tout son sou, Puis, devant Jupiter, des fausses pruderies Il a fait cent plaisanteries ; Le grand Maître des Dieux en a ri comme un fou : Enfin ce qui d'abord chez la Troupe immortelle, Ou par malice, ou par prévention, Paraissait mériter si grande attention, Leur paraît maintenant la moindre bagatelle ; Et sur ma foi je vous fais caution, Que de Procris pour peu que la vertu chancelle, Il n'en sera plus mention. Je m'en flatte ; Mais à le mériter je suis intéressé. Voici Philacte, je vous laisse, Et vais près de Procris employer soins, adresse, Pour achever ce que j'ai commencé. Connaissez-vous les traits de Sténopé ? Son tout, sa gouvernante aussi. Ai-je bien pris la ressemblance ? Qu'en dites-vous ? Je vois de Procris la Suivante, Adieu. Comme nourrice, avec la confidente, Je vais au plutôt achever D'abattre une fierté déjà bien chancelante. C'est Dione ! Que je ressens de joie en ce moment ! Je suis, ma chère enfant, dans de cruelles peines. Quoi ! Sans Procris vous trouver seule ici ? Pour la chercher je viens exprès d'Athènes. Dans un état à faire envie, Si quand l'Amour vous y convie Vous suiviez un juste courroux. Ce sont des conseils qu'on vous donne, Servez-vous-en si vous voulez. Ces traîtres de maris, ce parjure Céphale, C'est l'âme la plus déloyale… Oui, l'on sait toutes ses fredaines, Il est à présent dans Athènes Dans un joli prédicament. Ho, c'est bien mon dessein, vraiment. Sous prétexte d'aimer la chasse, Tous les jours le perfide allait dès le matin En rendez-vous avec l'Aurore Autre coquin. Le drôle avait aussi ses raisons pour se taire. Voilà bien de quoi vous étonner ; L'exemple est dangereux, on fait ce qu'on voit faire. Il s'était laissé suborner Par une Nymphe bocagère, Dont ils empruntaient la chaumière Pour apprêter le déjeuner. En quel lieu, dites-moi, dans leurs folles tendresses Ne vont point et Dieux et Déesses ? On n'en est pas mieux, car enfin, Ce que l'on n'a pas fait, on croit qu'on l'a pu le faire. Non vraiment. Il n'est point de plus sotte manière, C'est être raisonnable en vain. Non. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_CALLITEE *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_callitee Au gracieux Philacte, honneur, joie et salut. Mais n'ai-je point troublé le tendre souvenir De quelque aimable objet, dont votre âme flattée Se plaisait à s'entretenir ? De quelque agréable pensée Je vous distrais peut-être en ce moment ? Philacte est tout à fait galant. En vérité je suis ravie De vous trouver pour moi de pareils sentiments : Mais laissons là les compliments, Bannissons la cérémonie. Il ne tiendra qu'à vous Que désormais, tous deux d'intelligence, Nous n'ayons de concert un commerce entre nous D'entretien et de confiance, Et que par un retour sincère et mutuel… Que dites-vous ? Peut-être. Ne puis-pas, car je sais me connaître, Vous faire un bonheur tel que vous le souhaitez, Ou tel que vous le méritez ? Mais, et vous le savez, je sers une maîtresse. Non, je parle sincèrement ; Il ne tiendra qu'à vous qu'elle ne s'intéresse… Nous y travaillerons de concert l'un et l'autre : Mais comme vous pouvez contribuer au nôtre, Je voudrais apprendre de vous… Très volontiers : mais la loi que j'impose, C'est que la bonne foi surtout règne entre nous. Je veux pour vous marquer la mienne, Être la première à parler : Mais prenez garde ensuite à ne me rien celer. Qu'il vous en souvienne. Quand on m'ose mentir, je sais le démêler, Je vois fort clair. Cela se pourrait bien, une coquette habile, Qui cherche des plaisirs solides et certains, Préfère la sagesse indolente et tranquille, Fût-ce même d'un imbécile, Au dangereux brillant des fameux libertins. C'est là ce qui le rend si retenu, je pense ? Ainsi donc tous deux embarrassés… Le grand malheur ! Au milieu des plaisirs, Qu'importe en quels lieux on les prenne ? Curiosité sotte et vaine. Hé ! Que peut-il ici manquer à vos désirs ? La plaisante bizarrerie ! La patrie est là où l'on est bien. L'homme est un habitant du monde : Et croyez-moi, partout où le plaisir abonde Un sage ne souhaite rien. Je veux bien satisfaire au désir qui vous presse : Mais… Ma maîtresse Sent pour Céphale un violent amour. Elle a moins de fortune encore que d'appas, Il n'est point de beauté comparable à la sienne, Pour Princesse elle ne l'est pas. Oh bien, il n'est ici question sûrement De vieille ni d'enchantement. Hé ! Pour prendre un soupçon pareil, Qu'avez-vous vu ? Fort bien. Je ris des sentiments humains, Dans quel aveuglement l'apparence les jette, À combien de soupçons divers Les expose une erreur funeste ? La Divinité que je sers… Ouvre la barrière du jour ; Enfin, c'est l'Aurore elle-même, Qui pour Céphale a tant d'amour. Il est sûr d'un bonheur extrême, S'il devient sensible à son tour : Mais lorsqu'il apprendra que la Déesse l'aime, S'il tarde à répondre à ses voeux, Il peut compter que pour peu qu'il diffère… Justement. J'ai le secret de la Déesse. Je ne risquerais rien de le faire connaître, Vous auriez la bonté d'y répondre. Je le crois : mais enfin, vous savez quelle loi Nous nous venons d'imposer l'un à l'autre, J'ai tenu ma parole, il faut tenir la vôtre, Et me parler sincèrement. Céphale n'a-t-il point de tendre engagement ? Est-il libre ? Quoi ! Là-dessus vous gardez le silence ? Il vous sied bien, vraiment, de faire le discret. Oui, quand par goût, ou par faiblesse Le coeur d'une Divinité Se livre tout à la tendresse, Alors celui de son amant, Est impénétrable pour elle ; Elle n'y voit pas plus qu'une simple mortelle, Et la loi du destin les traite également : C'est là, depuis trois jours, ce qui fait que l'Aurore Hésite à découvrir son rang et son ardeur ; Et vous l'ignoreriez encore, Si je vous croyais un causeur. Céphale aime, dit-on, la fille d'Érecthée. D'où vient que vous vous récriez ? Quoi ? Et c'est là ce qui doit intriguer davantage. Si votre maître aimait encore la sienne, L'Aurore… Il faut bien que le rang excuse quelquefois. Sans doute. D'accord : La haute qualité dans les plaisirs qu'on goûte, Embarrasse souvent très fort. En de certains moments trouvez-vous qu'on ait tort, De regagner un peu d'ailleurs ce qu'il en coûte ? Mais Céphale vient en ces lieux ; Il ignore encore sa conquête : Il est sombre, rêveur ; qu'aurait-il dans la tête ? Observons-le un moment, nous en jugerons mieux. L'embarras est au coeur beaucoup plus qu'à la tête, Et l'Amour seul peut ainsi l'occuper Il parle de Procris, je pense. Il se songe qu'à ses attraits, Toujours la même ardeur l'enflamme. Tout au contraire, il l'a très bonne, Ses discours en sont caution. Voilà pour ma maîtresse un coeur bien disposé. On n'a point à rougir, Seigneur, d'être amoureux : Mais permettez que j'ose vous le dire, De cette ardeur qui vous inspire L'aveu dans ce séjour peut-être dangereux ; Non qu'aux traits de l'amour on veuille ici prétendre Ferme votre coeur et vos yeux, Il sied bien d'avoir un coeur tendre, Et vous ne pouvez faire mieux… Vous paraissez surpris ? Plus clairement je vais me faire entendre : Aimez, Seigneur, c'est fort bien fait, Gardez-vous de vous en défendre ; Mais songez à changer d'objet ; En suivant mes conseils vous pouvez vous attendre À jouir d'un bonheur parfait. Il se tait, il est interdit, Madame, quel succès son trouble nous annonce ! Je ne sais, mais, Madame, ou je suis fort trompée, Ou je crois que dans peu de temps, De quelques soins plus importants, Nous lui verrons l'âme occupée : Vos yeux en le quittant ont lancé certains traits : Eût-on le coeur le moins sensible, Madame, il est presque impossible De résister à tant d'attraits. Vous prenez de vaines alarmes, Point de dépit, point de langueur, De Céphale aujourd'hui nous réduirons le coeur : Il balance déjà, peut-être il délibère, Aux feux d'une Déesse on fait attention. Il se rendra, vous dis-je, et j'en suis caution ; Je m'y connais. C'est moi qui conduisis l'affaire De Diane et d'Endymion, Qui d'abord n'était pas moins difficile à faire. Ce n'est pont un mortel, c'est un Dieu, c'est Mercure. Si nous le connaissons ? Il est un peu de notre connaissance. Mais connaître les gens, ce n'est pas les aimer, Il en faut, s'il vous plaît, faire la différence ; Sur un sincère aveu n'allez pas présumer. Vous enfermer ! Comment ? Il est bon là, Madame, quelle injure ? Si j'étais comme vous déesse, assurément Votre cabale impunément Ne m'outragerait pas, c'est moi qui vous le jure. Nous pensons assez sensément, Et nous nous conduirons de même assurément. Céphale est en votre puissance, Vous l'aimez, on le sait, prenez votre parti ; Nous en avons fait la dépense, Madame, il n'en faut pas avoir le démenti Voyez quel excès de prudence, De politesse et de discrétion, De nous donner sans remontrance Un conseil si conforme à notre intention, Que nous suivrons sans répugnance ! Madame, que Mercure est bon, Et que ce n'est pas sans raison, Que l'on le reconnaît pour Dieu de l'Éloquence ! Je le sens bien dans ce moment, Qu'il nous persuade aisément ! Pour lui marquer la déférence, Que nous avons pour ses sages avis, Faisons-lui voir en sa présence Avec quel zèle ils sont suivis. Restez ici, Seigneur Mercure. On vous régalera de friande ambroisie, Nous avons quantité de nectar excellent, Force glace surtout, et bonne symphonie. Il vous attend, mais sans impatience : L'intérêt de Procris ne le touche pas tant, Qu'il exige de vous si grande diligence. Le fait n'est pas fort important, Vous pouvez lentement conduire cette affaire, Et nous donner le temps de faire Ce que Jupiter nous défend. Lorsqu'en ces lieux on vous arrête, Vous jugez bien que c'est de bonne foi, Et jamais Mercure, ni moi, N'avons gâté de tête à tête. Bon, tant mieux, aujourd'hui c'est la grande manière : L'inspirer est votre métier, Et ce qu'aux autres on fait faire, Par soi-même il est bon de le justifier. Le grand malheur ! Il est le maître… Sans contredit. Ma foi, Madame, imaginez vous-même : Vous aimez, et de tous les Dieux Si l'Amour est le plus ingénieux, L'esprit doit venir inventif quand on aime. Céphale vient dans cette route. J'aurai soin de vos intérêts : Par votre ordre en ces lieux comme vous je commande, Et les plaisirs sont toujours prêts Au moment que je les demande. Je viens vous avertir, Seigneur, que la Déesse Vous cherche avec empressement, C'est pour vous dire apparemment Quelque secret qui l'intéresse. Je m'en réjouis fort. À parler franchement, une pareille offense À des Divinités, Seigneur, ne convient pas Quand elles font les premiers pas, Tant pis pour qui fait résistance. Ce n'est nullement son dépit Qui m'inquiète et m'embarrasse ; Le plus grand mal de tout ceci, C'est que Procris vient d'arriver ici. Te crois-tu mieux, Philacte ? Ta femme est aussi du voyage. Oui, Dione. Pour toi sa tendresse est extrême, De te venir chercher avec tant de transport ; Et la tienne est pour elle apparemment de mérite ? Ciel ! L'entreprise est assez hardie. La Déesse, Seigneur, m'a chargée de vous dire Que Procris vient de ce côté. Qu'est-ce ? Hé bien ? Il faut te métamorphoser, Tien en ceci ne périclite encore : Du changement sur moi tu peux te reposer, J'ai le même pouvoir pour cela que l'Aurore. La promesse est fort engageante. Adieu, le charme est accompli. Vous en parlez bien à votre aise, Et pour penser ainsi vous avez vos raisons : Mais les Dieux, ne vous en déplaise, N'ont pas si grand tort au fond. Si les Déesses en partage Avaient tous les attraits et toute la beauté, Croyez-vous qu'un tel avantage N'ajoutât pas beaucoup encore à leur fierté ? Quand par hasard quelques-unes d'entre elles Veulent trop faire les cruelles, Sur la terre les Dieux ont de quoi s'en venger. Qu'ils font bien de se dédommager, Loin de l'Olympe, auprès des belles, L'occasion de se dédommager Du sot orgueil des Immortelles ; Car vous savez qu'il en est entre nous De ridicules, d'intraitables ; Et sans vous flatter, comme vous Toutes ne sont pas raisonnables. Pardonnez-moi, je vous assure, Je suis très attentive à tous vos sentiments, Autant que vous j'y prends part, je vous jure : Mais enfin de cette aventure Je ne prévois pour vous que des plaisirs charmants : Sans crainte de Procris je vois briller les charmes, Les vôtres doivent lui causer Plus de soucis et plus d'alarmes. Sur la foi de l'Amour on peut s'en reposer, Puisque en faveur de votre flamme Notre ami Mercure a, Madame, Pris grand soin de le disposer. Contre Procris tout doit vous rassurer ; Vous êtes amante, elle est femme, Quelle raison pour espérer ! Avez-vous peur qu'il ne s'égare ? C'est un faible crédit que celui de Junon. Cela serait mieux en effet : Mais comment empêcher que le bruit ne soit fait ? Le meilleur parti qu'on peut prendre, C'est de laisser faire, et d'attendre ; Vous verrez à la fin que Procris aura tort. Hé fi, c'est une tracassière, Qui près des Dieux a fait grand bruit d'abord. Jupiter a chargé Mercure de l'affaire : De concert avec nous par Mercure l'Amour, Procris dans ce palais conduite, Y fait pour elle un dangereux séjour, Dont nous verrons bientôt la suite. Son époux tend un piège à sa fidélité : Par les appas d'une feinte tendresse Son coeur frémit, ou son dépit flatté Feront succomber sa fierté. Acte aussitôt de sa faiblesse, Temples, accès fermés pour elle auprès des Dieux, Nul secours, assistance aucune ; Mercure à Jupiter fera voir clairement Qu'on ne doit vous blâmer en ceci nullement ; La dolente Procris devenue importune Ira chercher ailleurs fortune ; Et son époux tranquillement, Sans qu'on ose en gloser, restera votre amant. Ainsi tout ira bien, Déesse. Voilà comme parmi les Dieux Se mènent bien souvent la plupart des affaires ; Et si chez mes mortels elles vont un peu mieux, Je pense que ce n'est de guère. Ne craignez rien, Mercure avec empressement Vous apporte quelque nouvelle. Je vous le disais bien. Hé voyez ce que c'est qu'un bon conseil ; Madame. Qui s'intéresse à servir votre flamme. Que Mercure est un bon politique ! Quelle adresse ! Quel zèle ! Fort bien. N'est-ce pas une chose étrange De voir qu'en terre et dabs les Cieux, Parmi les mortels et les Dieux, On soit sujet à prendre ainsi le change ? D'accord : mais en donnant un bon tour à l'affaire, Mercure cependant nous sort d'un mauvais pas. Philacte est occupé de quelque rêverie, Qui lui cause un secret ennui. Philiacte. La situation à coup sûr est gênante. As-tu vu ta femme ? Tu sais pour moi quels sont ses sentiments ? Je n'ai garde d'y consentir. Tu sais l'ordre de la Déesse, Point de quartier. N'importe, immuable est la loi. Rien ne t'arrête donc en ces lieux ? À la Divinité je répondrai de toi. Va rejoindre Céphale, et dis-lui qu'il se presse De mériter le coeur de la Déesse ; Pour rompre avec Procris qu'il ne ménage rien. Moi-même je l'ignore. Mais unissons d'abord Céphale avec l'Aurore, Leur sort décidera du tien. Si je puis sainement juger de l'aventure, La Déesse et Céphale, à ce que je prévois, S'accorderont mieux que Philacte et moi. Mais que vois-je, Seigneur Mercure ? Quel est donc ce déguisement ? Oui, vraiment, Nourrice de Procris, je pense. Oui, justement. On ne peut rien de mieux ; Voilà son air, ses traits, sa taille et son visage ; Sans être tout au moins du rang des demi-Dieux, On vous méconnaîtrait, je gage, Et ce déguisement peut tromper tous les yeux. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_PHILACTE *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_philacte Quel air pur et tranquille on respire en ces lieux ! Que Céphale à son gré s'y livre à ses alarmes, Ce beau séjour pour moi n'en a pas moins de charmes, Séjour favorisé des Dieux, Que mon Maître pour toi n'a-t-il les mêmes yeux ! Dans les plus beaux jardins d'Athènes On ne voit point tant de diverses fleurs, Elles n'exhalent point de si douces odeurs, Et nos forêts n'ont point de chênes Qui fournissent au voyageur Tant d'ombre, ni tant de fraîcheur. Quelle main a percé ces longues avenues, Dont les arbres touchent les nues ! Que ces bois sont délicieux ! Mais ici franchement ce que j'aime le mieux, Ce sont les manières paisibles De certains animaux partout ailleurs terribles. Dans la dure nécessité De suivre Céphale à la chasse, J'avais toujours besoin ou de ruse, ou d'audace : Mais ici de tout soin je me trouve exempté, Un Sanglier, animal redouté, Dont l'aspect seul suffit pour le défendre, Comme un Lièvre à l'instant vient de se laisser prendre. De mille objets charmants l'esprit ici flatté, Ne craint dans les plaisirs que la facilité, Ordinaire poison des âmes, Par qui le vrai plaisir est fort souvent gâté. Ô l'aimable pays ! L'heureux séjour ! Les femmes Y sont d'un agrément, d'une docilité… Quand par grand malheur de le mienne Le hasard veut que je me ressouvienne, Quel plaisir je ressens de m'en voir écarté ! Mais j'aperçois une jeune beauté, Avec qui tout d'abord j'ai lié connaissance ; Assez content de mon premier début, Jusqu'au bout, s'il se peut, poussons sa complaisance. Très humble serviteur, charmante Callitée. N'en soyez point embarrassée, Je pense toujours, moi, fort agréablement : Mais on ne jouit pas toujours de l'agrément D'un entretien comme le vôtre ; J'en connais le prix mieux qu'un autre. Je fais profession de l'être, C'est mon premier métier, et mon plus beau talent, Et sans trop me flatter, j'y suis assez bon maître : Mais d'un objet charmant la vue et l'entretien, Fait qu'on a moins de peine encore à le paraître, Et la beauté ne gâte jamais rien. C'est fort bien dit. Hélas très volontiers, je ne suis point cruel, Et jusqu'où vous voudrez nous pousserons l'affaire ; Je ne m'en dédis point, et je ne puis m'en taire, Voici le plus charmant séjour… Je n'en fais point mystère, Je dis que c'est ici pour moi le plus beau jour, Que je suis le mortel le plus heureux… Vous vous moquez de moi vraiment. Mais fi donc, vous n'y songez pas : Le ciel entre nous deux a mis trop d'intervalle Pour… Baste, elle fera le bonheur de Céphale, Et… Chargez-vous du mien, je ne m'en plaindrai pas. Je veux aussi de vous savoir certaine chose. D'accord, soit. Non, je vous le promets. Tant mieux, c'est votre affaire, Et la mienne est à moi, que vous soyez sincère ; Soyez-le donc si vous pouvez. Le Prince Céphale, mon maître, Est un garçon bien fait, comme vous le savez, Mais modeste, fort sage, et des plus réservés, Comme vous l'ignorez peut-être. Fort bien. C'est là ce qui fait naître, Le goût que je crois qu'aujourd'hui Votre maîtresse a pris pour lui. Ce n'est pas là le caractère Du maître que je sers. Mais s'il ne faut rien taire, Ce qui nous arrive en ces lieux Nous surprend, et donne à tous deux Une certaine défiance… Justement. Nous le sommes, ma foi, plus que vous ne pensez… Hé ! Qui ne le serait ? Au pied du Mont Hymette, De nombre de chasseurs Céphale accompagné, Se trouve au rendez-vous qu'il avait désigné : Le Cerf débuche, et gagne un bosquet sur la droite ; Nos chiens après : nous suivons, nous allons De rochers en rochers, de vallons en vallons : Puis, par une route connue, Nous coupons dans la plaine où nous chassons à vue. Le Cerf regagne les hauteurs ; Nos chiens presque tous hors d'haleine Perdent la voie et chassent avec peine : La force manque aux plus hardis chasseurs. L'air s'obscurcit, le ciel se couvre d'un nuage, Chacun cherche à se mettre à couvert de l'orage, Nous restons seuls mon maître et moi ; Lui plein d'audace, et moi transi d'effroi. Les chiens près de nous se rassemblent ; Je crois m'apercevoir qu'ils tremblent, Et cet incident-là ne me rassure pas : Je ne fus de ma vie en pareil embarras. Mais le Soleil écarte enfin la nue, Plus beau, plus vif il reparaît : Quels prodiges alors s'offrent à notre vue ! Nous ne connaissons plus ni route, ni forêt, Les rochers, les coteaux, tout a changé de place, Tout est perdu pour nous, les chasseurs et la chasse, Le Mont Hymette a disparu. Comment, par où retourner dans Athènes ? Nous suivons quelque temps des routes incertaines ; Puis après avoir bien couru, Plus fatigué d'inquiétude Que de la course la plus rude, Triste rêveurs, près d'un étang, S'offre à nos yeux une biche au poil blanc. Nous, malgré notre lassitude, De la suivre dans le moment, Elle de fuir, mais lentement, Comme en craignant qu'on la perdît de vue. Elle nous guide aux bords d'un superbe canal, Dont l'onde baigne une longue avenue. Là, sur un roc d'où sort un torrent de cristal, De Diane on voit la Statue ; Le roc lui sert de piédestal. Quoique faiblement poursuivie La biche fuit vers le rocher, Comme si pour sauver sa vie Il suffisait d'en approcher. La Statue aussitôt cesse d'être immobile, Elle semble baisser le bras Pour montrer qu'elle donne asile À l'animal tremblant dont nous suivons les pas. Cette biche, ô surprise extrême ! Devient marbre à l'instant sans changer sa couleur ; Et nos chiens, transformés de même, Gardent les taches de la leur. Moi, de cette étrange aventure Moins surpris que mortifié, Je me tâtais partout, et croyais je vous jure, Que j'avais déjà la peau dure, Et que j'allais bientôt être marbrifié. Je ne sais pas quelle figure Faisait mon maître alors de son côté ; Mais je crois bien en vérité Qu'en lui, tout comme en moi, souffrait dame nature. Je ne vous dirai pas comment le reste alla, Je ne vis point comment votre aimable maîtresse Avec sa suite arriva là : Je tombai, je pense, en faiblesse, Et me trouvai le soir dans ce Palais, Où nous avons sans doute une charmante hôtesse, Qui pour nous régaler ne prend point garde aux frais ; Où mille doux plaisirs se présentent sans cesse ; Où vous m'offrez le plus heureux destin, Séjour digne des Dieux, et trop beau pour les hommes ; Où nous nous plairions fort enfin, Si nous n'ignorions où nous sommes. Notre maison, nos Dieux, notre Patrie. Faut-il vous avouer le sujet de nos peines ? Mon maître et moi nous sommes fort connus, Et l'on ne sait aujourd'hui dans Athènes Ce que nous sommes devenus : On fait, pour nous trouver, mille recherches vaines, Peut-être y passons-nous pour de francs libertins ; Quand les gens sont absents vous savez comme on cause. Et si… l'esprit frappé de quelque faux soupçon, Nos femmes… car enfin quelquefois que sait-on ? De notre égarement croyant savoir la cause, Allaient… pour éviter la suite de la chose, Il est bon qu'à notre retour, (Car nous les reverrons peut-être quelque jour,) Nous puissions tout au moins leur dire Quel lieu nous avons habité, Avec qui nous aurons été. Daignez, s'il vous plaît, m'en instruire, Contentez là-dessus ma curiosité ; Vous ne sauriez vous en dédire, Et vous m'avez promis de la sincérité. Ne craignez rien. C'est parler net et sans détour, Et ceci n'est point bagatelle ; J'y prends, moi, pour mon compte, un notable intérêt. Mais expliquons-nous, s'il vous plaît : Cette maîtresse, quelle est-elle ? Nous autres gens de qualité Nous connaissons sans vanité Les bonnes maisons de la Grèce, Et je n'y sais point de Princesse Ni d'une pareille beauté, Ni d'une si grande richesse. Que diable est-elle donc ? Quelque Magicienne, Qui par enchantement cherche à se faire aimer ? Nous savons tout ce qu'on publie Des charmes de la Thessalie, Et nous ne sommes point gens à nous laisser charmer. Il est des vieilles dans Larisse Qui ne font point d'autre métier Que de plaire par artifice : Je me connais en semblable gibier, Et mon maître n'est pas novice. Je n'en répondrais pas. Depuis notre arrivée Je l'ai quelque fouis observée. Qu'avant le lever du soleil, À petit bruit sans suite aucune, Mystérieusement elle sort du Palais ; Et puis quelques moments après J'ai remarqué qu'on voit pâlir la Lune : Ce sont là des enchantements Les effets les plus ordinaires. Je ne me trompe guères, Elle revient au bout de quelque temps ; À son retour elle rentre en cachette Dans un appartement des bains, Elle s'y met à sa toilette ; Et si mes soupçons ne sont vains, Ses charmes les plus forts sont dans une cassette. Vous riez ? Hem. Une Divinité, dites-vous ? Malepeste. Différer, lui ? Je réponds du contraire, Et vous le garantis tout d'abord amoureux. Voilà ce qui s'appelle une bonne fortune : L'Aurore… n'en déplaise, à l'éclat du haut rang, Il est des Déesses pourtant De qui la passion pourrait être importune ; Mais ici tout promet le plus charmant bonheur ; Grâces, jeunesse, attraits, et de l'amour encore. Tudieu, quelle éveillée est Madame l'Aurore, Et quels droits sa beauté lui donne sur un coeur ! Vous qui servez cette aimable maîtresse, Vous êtes Nymphe ? Et favorite, apparemment ? Diantre. Si par hasard il vous prenait pour moi Le même goût qu'elle a pris pour mon maître ? Oui, ma foi. Interrogez en assurance. Comment ? Vous vous moquez, je pense ? Fi donc. Dans le coeur des mortels, est-il quelque secret Que ne pénètre une Déesse ? Hé, De quelle vaine frayeur L'Aurore est-elle inquiétée ? Procris ? Fi, donc. Vous n'avez rien à craindre, ils sont… Mariés. Leur tendresse a fini son cours ; Trois semaines de mariage, Emportent le beau des amours, Le mois n'est pas fini qu'on a plus rien dans l'âme : Dès le lendemain, moi, je haïssais ma femme, Et ma haine ne fait qu'augmenter tous les jours. Là-dessus que rien ne la retienne ; Hé, que doit craindre un coeur comme le sien ? Peut-être elle ressent quelque petite honte À débaucher ainsi, dans l'ardeur qui la dompte, Un nouveau marié ? Cela n'est pas trop bien, Dans le fond : mais au bout du compte, On n'est pas Déesse pour rien, Chez les mortels à des bornes étroites La morale restreint : mais les Dieux ont leurs droits, Et la sévérité des lois N'est pas pour ceux qui les ont faites. Le vôtre porte aussi son excuse. Et vous en profitez de votre mieux. Toujours notre aventure est présente à ses yeux. Cette cervelle-là n'est pas sans embarras, S'il poursuit sur ce ton, quels maux il nous apprête. Vous pourriez ne vous pas tromper, Je vous crois là-dessus beaucoup de connaissance. Oui, j'entends marmotter quelque chose à peu près, Fi, le vilain, il est amoureux de sa femme. Trouvez-vous que de sa personne Il ait mauvaise opinion ? Les gens qui parlent seuls parlent avec franchise ; Je crois que d'un pareil discours Nous ne ferons pas mal d'en interrompre le cours, Il pourrait bien encore lâcher quelque sottise : Je connais ces amoureux-là. Hom, hom. Oui, Seigneur, me voilà. Mais je ne suis pas seul, et l'on doit prendre garde Quand on rêve tout haut à ce que l'on hasarde ; Ce que l'on pense ainsi rarement est secret, Rêver tout bas est plus discret : Ce sont ménagements que la raison demande, Et c'est comme j'ai, moi, coutume d'en agir. Ne parlez point de ces extravagances, Je saurai par mes remontrances Le remettre dans son devoir. Un bonheur qu'entre nous vous ne méritez guères. La chose est sérieuse, au moins. Ceci mérite assez nos soins. Ce ne sont pas des chimères. Si je n'eusse interrompu le cours De vos extravagants discours, Vous faisiez de belles affaires. Parbleu, c'est un excès de zèle, Savez-vous bien, Monsieur l'époux fidèle, Chez qui nous nous trouvons ici ? On m'a bien défendu de vous en dire rien. Il n'est pas temps encore ; Et le secret pourtant déjà m'étouffe. Je vous le dis à vous par forme d'entretien, N'en parlez pas. Nous sommes chez l'Aurore. Oui, vous y voilà ; C'est une bonne auberge, au moins, que celle-là, Si vous saviez pour vous jusqu'où va sa folie ? Sa Nymphe d'honneur est jolie, Elle a pour moi du faible aussi de son côté. Les oublier ! Oh, je vous en défie, La peste, à trop bon droit vous en êtes épris ! Mais n'en disons mot, je vous prie ; L'Aurore est à ma fantaisie Une aimable Divinité, Avec qui sans cérémonie, Sans crainte, sans difficulté, Sans nuire, sans tracasserie ; Et sans trop déranger cette fidélité Dont pour Procris vous faites vanité, Vous pourriez bien d'amour lier quelque partie, J'en serais fort content, car je suis fort tenté, Lorsqu'aux plaisirs ici tout nous convie, De faire pour en prendre une société. Cette maîtresse Nymphe est faite à faire envie, Et je lui crois pour moi de la docilité. Mais la Déesse approche, et je la vois paraître : C'est à nous qu'on en veut, on nous abordera ; Et pour voir ce qu'on nous dira, Feignons d'abord de ne la pas connaître. Le compliment est bien écrit, Seigneur, on attend la réponse. La bonne pâte de Déesse ! Dépêchez-vous d'en faire une réalité. Le brutal ! Quels regards la Déesse nous jette, Elle est dans un fort grand courroux ; Tout allait bien d'abord, j'ai cru l'affaire faite : Madame, au moins… Ciel ! Comment réparerons-nous L'impertinence qu'il a faite ? Nous avons entendu d'assez bonne musique, Et l'on nous a donné des conseils excellents ; Mais si vous négligez de les mettre en pratique, Cela ne fera pas d'honneur à vos talents. L'agrément de cette aventure, M'est pour le moins sensible autant qu'à vous, Quoiqu'à parler franchement entre nous, J'y fasse moins bonne figure, J'espère m'en tirer pourtant avec honneur. Tout ce qui pourrait m'en déplaire, C'est que je crois, dans cette affaire Si nous sommes heureux, que sur notre bonheur, On exigera du mystère, Et franchement j'ai quelque peur D'avoir grande peine à me taire. Naturellement, moi, je suis un peu jaseur ; C'est ce qu'on trouve d'incommode, En aimant les Divinités : Elles ont la sotte méthode De cacher leurs fragilités, Et parmi de simples beautés, Vous savez, comme moi, qu'aujourd'hui c'est la mode De faire éclat de ses félicités. À garder un secret je souffre le martyre, Est-ce être heureux que de ne l'oser dire ; Mais vous redevenez rêveur. Elle est facile à concevoir, Par avance déjà je vous en félicite, Et je crois aussi m'en devoir Un petit compliment. Tous deux pleins de mérite, Jeunes, galants, ben faits, nous n'avons qu'à vouloir. Mais réglez-vous sur ma conduite, Ne nous faisons point trop valoir : Que servent les talents à moins qu'on en profite ? À nous laisser aimer ici tout nous invite : Rendez-vous, et je vous imite, Ou je me rends, moi, vous n'avez qu'à voir. Il est bien maintenant question de cela, Toujours Procris ; oubliez-la, M'embarrassé-je, moi, de ce que fait ma femme ? Ce n'est pas chose bien facile ; De quoi diantre vous alarmer ? On ferait pour s'en faire aimer Une tentative inutile ; Votre épouse a trop de vertu, Quelque effort que l'on fasse, et quelque soin qu'on prenne, Son coeur est pour vous seul de bontés revêtu, Plût au Ciel en pouvoir dire autant de la mienne. Que diable nous doit importer Ou qu'en parle, ou qu'on s'en taise, Tandis qu'ici-bas à notre aise Nous pouvons rire et caqueter. Parbleu comment le dirait-on ? Il n'est personne au monde assez fou que je pense, Pour avoir un tel soupçon ; Comment pour s'obstiner à tant de résistance ? Et négliger un sort si doux, Il faut être aussi fou que vous. J'entre assez dans vos sentiments. Procris est femme forte, et ne pleurera pas, Courage, allons. Hé bien soit. Pensez-vous que Neptune et Pallas De Procris prendront la querelle, Et qu'ils ne se prêteront pas Aux faiblesses d'une Immortelle ? Comme entre gens de qualité, On aime entre les Dieux à se rendre service ; Le faible a pour lui la justice, Mais dans sa plainte il n'est guère écouté. Ce n'est donc plus que sur ce qu'on dira, Seigneur, qu'à présent vous en êtes ? Les affaires sont bientôt faites. Quand la Déesses paraîtra, Un regard, un souris, votre coeur se rendra. Ne vous l'avais-je pas bien dit, Que tôt ou tard je saurais le réduire ? Sur son coeur et sur son esprit Nous avons, grâce au Ciel, quelque peu de crédit ! Oh ! La nôtre n'a pas duré : Par un prompt repentir une offense s'efface, Et tout sera bien réparé. Belle Nymphe, allons, grâce, grâce, Un mot à la Déesse agréablement dit… Voilà, ne vous déplaise, Un contretemps assez fâcheux, Dont la suite à coup sûr ne peut qu'être mauvaise. Je vous plains. C'est la jalousie Qui sur vos pas l'a fait ainsi courir : Quand une femme en est saisie, L'époux en a diablement à souffrir, Mais tout coup vaille, il faut faire tête à l'orage ; Plus on est mal… Moi ? Quoi ma femme ? Ah, Dieux ! Oh oui, nous nous aimons très fort : Elle aurait cependant pu m'épargner la peine. Maudit soit qui nous les ramène. Vous voilà fâché vous-même : mais enfin, Pourquoi mal-à-propos se livrer au chagrin ? Renvoyons-les, Seigneur. Hé quoi donc ! Les Déesses Ne sont-elles pas maîtresses ? Oui, l'Aurore n'a qu'à parler : Il serait beau qu'une mortelle La relançât jusques chez elle, Et que dans ses plaisirs elle osât la troubler. Nymphe, allez, qu'on les congédie. Elle plaisante, au moins, Seigneur, gardez-vous d'elle. Elle a mal pris le moment du voyage, Et mon maître est devenu sage. Elle est trop grande, par ma foi. On se moque de vous, je vous en avertis. Peste, quel éclaircissement ! Fort bien. On le croirait. Seigneur, holà donc : par ma foi Ce changement pour moi n'était pas nécessaire. Comment donc, vous voilà tout autre ! Malepeste, quel changement De ce nouveau visage au vôtre ! Tournez-vous, s'il vous plaît, tenez-vous un moment. À cette physionomie Il faut un peu m'accoutumer. Parbleu, vous êtes à charmer ; Je n'ai rien vu de pareil en ma vie : Un front ouvert, des yeux vifs, bien fendus, Le nez bien fait et la bouche vermeille. Pour cela, c'est une merveille ; Et l'on ne se peut trop récrier là- dessus ; Pour raccommoder un visage, La Déesse a, Seigneur, des secrets excellents. Combien de coquettes du temps Voudraient avoir de son ouvrage, Et mettre à profit ses talents ! Quelque part qu'elle ouvrit boutique, Je puis vous être caution Qu'elle aurait bien de la pratique. Elle est délicate, et j'approuve Que vous vous conduisiez avec précaution. Il est tard de vous en défendre, Vous connaîtrez à fond son coeur. Si l'on en croit ce que dit sa rivale, Rien n'est sûr : mais on peut douter. Le grand malheur ! Vous la planterez-là, Et l'Aurore pour vous sera Le pis-aller de cette affaire. Oh, l'embarras pour vous sera plus grand alors. De quel front, de quel front ? Plaisante bagatelle ! Cela doit-il vous arrêter si fort ? Livrez-vous sans scrupule au feu qui vous enflamme, Et comptez qu'avec une femme, Quelque raison qu'elle ait d'abord, Dans la suite un mari ne saurait avoir tort. Un petit mot de conversation. Madame Callitée, Tout à l'heure en rêvant j'ai fait réflexion, Que faute de précaution, L'affaire par hasard pourrait être gâtée. J'ai mes raisons, laissez faire, et pour cause. Si l'on me connaît, moi, En qui vous n'avez point fait de métamorphose ? Là, croyez-vous, de bonne foi, Que ce ne serait point un obstacle à la chose. Métamorphosez donc, je m'abandonne à vous, Point de malice, au moins, ni de supercherie ; À ma femme je veux faire aussi les yeux doux, C'est pourquoi, travaillez promptement, je vous prie. La malepeste, quels efforts ! La peau du visage me tire, Et je ressens par tout le corps Certains frémissements que je ne saurais dire… Charmante Nymphe, s'il vous plaît, Faites ici de bon ouvrage, Il y va de votre intérêt ; Et si par cas fortuit j'engage Ma femme à cesser d'être sage, En bonne foi je vous promets Que je suis à vous pour jamais. J'ai, comme vous voyez, l'âme reconnaissante. Suis-je beau ? Fort joli ! Parbleu, sur ce pied-là je ne suis point changé. Et moi, Dione. On me reconnaîtra, Seigneur. Vous cherchez Philacte, peut-être ? Ce n'est pas moi, sur mon honneur. Courage, tout va bien, Seigneur. La Princesse Procris, où je m'y connais mal, Ne sera pas inconsolable, Et sous de nouveaux traits devenu plus aimable, Céphale est pour lui-même un dangereux rival : Les suites de ceci pourront être funestes. Pour mieux éclaircir mes soupçons, Caché derrière ces buissons Écoutons leurs discours, ou devinons leurs gestes. La Princesse paraît s'éloigner en courroux. Se serait-il passé quelque chose entre vous ? Auriez-vous eu quelque dispute ensemble ? Je vous en fais mes compliments. Dans l'état où la met l'absence de Céphale, Vous vous prêtez à sa mauvaise humeur. Je la plains ; mais pour vous, que je vous trouve heureuse ! Tandis que la Princesse en pleurs S'abandonne aux chagrins, aux plus vives douleurs, Vous n'en êtes pas moins joyeuse, N'est-ce pas ? Je croyais, moi, la chose égale, Je vous en demande pardon ; Le bruit courait qu'avec Céphale Votre mari Philacte, disait-on, Avait fait aussi le voyage, Et qu'assez brusquement d'avec vous séparé… Son absence aurait beau durer, Votre douleur, je crois, n'en serait pas plus grande ? Le bon esprit, l'heureux tempérament, L'aimable petit coeur de femme ! Quoi, si comme Céphale, il ressentait dans l'âme Pour quelque autre que vous un tendre mouvement ? Comment ? Hé, pourquoi donc ? Par les sentiments où vous êtes, Je comprends fort qu'il n'est pas regretté, Et le portrait que vous en faites… Moi, non, cela n'est pas croyable ; J'en ai ouï dire tant de bien : Il est d'un aimable entretien. Hé bien, Un bon ivrogne n'est-ce rien ? C'est le talent le plus aimable… Il a du coeur. Elle a quelque raison… Je ne le blâme pas D'éviter des périls sans gloire ; Le bel honneur d'aller affronter le trépas Sans mériter de vivre dans l'histoire ! Mais pour courir à la victoire S'il fallait de Céphale accompagner les pas, Alors comme un foudre de guerre, Ardeur au milieu des combats, Plus redouté que le tonnerre… Il est vrai… Que je suis en bonne renommée ! D'accord. Moi, j'approuve fort sa conduite, C'est un homme de très bon sens Qui veut se conserver pour vous, pour ses enfants, Et qui vous aime. Parbleu, je m'en tiens quitte aussi, sur mon honneur. Près du Prince il est en faveur, Vous, de Procris la favorite. De l'air dont vous parler de Monsieur votre époux, Ou mes conjectures sont vaines, Ou votre ménage entre nous, N'est pas le plus heureux d'Athènes. C'est se conduire avec prudence. Pour cela non, j'en suis très assuré, Mais votre coeur paraît n'être ouvert qu'à la haine, Et les femmes pourtant sont faites pour aimer : Quelque autre que Philacte aura su vous charmer. Encore est-ce. À votre époux c'est faire grâce : Mais il faut espérer que cela changera, L'incertitude finira, Défendez-vous que l'on espère ? Profitons du séjour qu'ici vous allez faire, Consultez-vous un peu sur cette affaire, Tâchez de vous armer de résolution, Et que je sache sans mystère, L'effet qu'aura produit la consultation. Ici. Que malencontre avienne À qui fit naître en moi la curiosité ; Si mon maître de même est payé de la sienne, Il n'en fera pas vanité. Avec Procris je le vois qui s'avance, Les Nymphes viennent rendre hommage à ses attraits, Et vont avec magnificence La conduire au Palais. Ah, ah ! C'est vous. Pour vous plaire, à votre rivale Par vos ordres il fait les honneurs du Palais, Comme s'il en était le maître ; Et si je sais me connaître en souhaits, Je crois qu'il voudrait déjà l'être. Tantôt oui, tantôt non, Madame. Il a d'abord assez bien commencé, Et dans l'esprit et le coeur de la Dame Il m'a paru fort avancé, Puis ensuite il s'est déplacé ; Je ne sais quel remords le gêne au fond de l'âme. Ce n'est point l'amour qui l'enflamme : Mais sous de nouveaux traits il est bien dangereux De faire l'amant de sa femme : Vous éprouvez son coeur par un terrible endroit, L'entreprise est hardie, et délicate, et grande ; Pardonnez-lui s'il appréhende D'être aimé plus qu'il ne voudrait. Hé ! De grâce, soyez contente D'allumer dans son coeur une flamme constante, Madame, et par-delà ne lui demandez rien. Je sais par moi ce qu'il en coûte Pour certains éclaircissements. Sans doute. Oh, vraiment oui, c'est bien le plus grand fonds de haine, Le plus parfait mépris. Je m'en doutais un peu : Mais, grâce à vous, la chose est à présent certaine, Et d'en douter encor je n'ai plus aucun lieu. Si par hasard mon maître allait savoir de même… Je n'en répondrais pas, Madame, C'est son épouse, que Procris ; L'hymen fait des effets qu'on ne saurait comprendre ; Moi, qui n'ai pas sujet de m'en louer, Et qui suis fort humain, fort tendre, À la pauvre Princesse… Osai-je l'avouer ? J'ai par deux fois été tenté d'apprendre Le mauvais tour qu'on voulait lui jouer, Mais la crainte de vous déplaire. Je me tairai. Fort bien. Tudieu, la dangereuse chose Que d'avoir le secret des Grands ! Que ce soit vous, ou quelque autre qui cause, Il faut en être les garants. Ce séjour si charmant commence à me déplaire ; De grâce, donnez-moi les moyens d'en sortir, L'Aurore est un peu trop en colère. Quoi donc, si pour me faire pièce On va révéler le secret ? Je suis votre valet, Vous donnez à son ordre un peu trop d'étendue ; Si ce n'est pas ma faute à moi ? Parbleu, pour éviter qu'on fasse une bévue, Ou laissez-moi partir, ou qu'on me garde à vue. Non, ma foi ; L'amour m'y retiendrait, mais la crainte m'en chasse. Mettez-vous vous-même en ma place. Je demeure, et c'est une grâce Que je ressens comme je dois. Quel espoir m'est permis ? Je ne puis retrouver Céphale dans ces lieux. Heureux amant sans se faire connaître, Et malheureux mari ; peut-être De honte en ce moment il se cache à mes yeux, Mais je vois ma femme, et j'enrage, Qu'ici mal-à-propos me voilà revenu ! Au rendez-vous la coquine est exacte, Et par ma foi, je n'en suis point surpris. Philacte ! Elle parle de moi, Et n'en dit pas de bien sur ma parole. Éloignons-nous d'ici, je crois Que j'y jouerais un assez mauvais rôle. J'appréhende de vous distraire, Et de troubler des occupations Qui, comme je présume, ont plus de quoi vous plaire Que l'entretien que nous aurions. Aux conseils volontiers un bon esprit déferre Quand il se croit bien conseillé. Ne me la faites point encore sitôt connaître. Et dans mon coeur laissez durer La charmante douceur de pouvoir espérer… Philacte ? Lui ? Quel conte ? Chansons. Bagatelle. J'en tiens. Pour ne se pas contraindre, La masque est sans sujet la première à se plaindre, Et voilà le prétexte pris. Sur mon compte par Callitée Chemin faisant n'a-t-elle rien appris ? Tranquillisez un peu vos sens. Non pas vraiment : Mais la prudence Ne permet pas sur des faits importants De trop croire la médisance ; La plupart des époux sont de si bonnes gens, Qui méprisent d'entrer dans de certains mystères ; Si comme vous ils étaient pétulants, On verrait de belles affaires. Oui, vous êtes et bonne et sage. Bon, voilà mon fait arrêté ; Hom, chienne. Vous le saurez bientôt, mignonne, Pour moi je ne veux pas être plus éclairci ; Je m'en tiens là. Procris s'avance. Et moi, Madame la friponne, Qui suis-je, s'il vous plaît ? Nous ferons un jour un beau charivari : Aujourd'hui, doucement, il faut boire la chose. Ma foi, Seigneur, nous nous serions tous deux Fort bien passés de la métamorphose. Aux plaisirs sans préférence, Sans dispute livrons-nous ; Et quand nous les aurons pris tous, Nous en ferons la différence. **** *creator_dancourt *book_dancourt_cephaleprocris *style_verse *genre_comedy *dist1_dancourt_verse_comedy_cephaleprocris *dist2_dancourt_verse_comedy *id_DIONE *date_1711 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dione À se laisser amuser par l'amour On ne perd rien, je vous assure, Il arrête nos pas ici dans un séjour Le plus charmant qui soit dans la nature : Voyez de ce Palais la noble architecture, De ces jardins admirez la beauté. Ah ! C'est ici, sans doute un pays enchanté : Et pour moi de cette aventure Je conçois un heureux augure, L'amour a pour vous des desseins Qui s'éclairciront dans la suite. Rare et charmant effet de l'amour conjugale, Elle est trop vive en vous, et je vous ai prédit… Pour un absent votre coeur est trop tendre, Non que je blâme en vous un pareil sentiment, Mais vous traitez cela trop sérieusement ; Que ne m'imitez-vous ? Ma conduite est toute autre ; Mon mari s'est perdu, dit-on, avec le vôtre, Est-ce lui que je viens chercher ? Et pour le retrouver ai-je fait afficher ? Comme vous m'a-t-on vue étaler mes faiblesses ? Depuis qu'ils sont partis employer mal mon temps À fatiguer Dieux et Déesses ? Et près de ces Dieux sourds, ou peut-être impuissants, Prendre mes voeux et mon encens ? Ce ne sont point là mes allures ; Mon coeur est droit, mes intentions pores. Mon mari part sans m'en parler, Il faut bien le laisser aller, N'est-il pas maître du ménage ? Suis-je en droit de le retenir ? Mais s'il lui prend un jour en gré de revenir, Je serai peut-être en voyage. Ce n'est pas mon défaut, Madame, D'aimer beaucoup les gens qui m'aiment peu. C'est fort bien dit. Ho, ça, voulez-vous donc toujours Dans les pleurs et les doléances Passer les plus beaux de vos jours ? Depuis un certain temps, sensible à votre peine, Je partage votre douleur : Livrez-vous à ma bonne humeur, Que le penchant du sexe au plaisir vous entraîne. Oui, vous commencez à sourire ? À la droite raison nous saurons vous réduire ; Contre elle votre coeur n'est pas si révolté, Qu'il ne se laisse enfin conduire Au plaisir, ou du moins à la tranquillité. S'il est ici nous l'y verrons, S'il ne s'y trouve pas nous nous en passerons : Mais l'endroit est du moins commode pour attendre ; Vous retrouvez l'usage de vos yeux ; C'est une marque spécifique Que votre esprit se porte mieux. Pour cela non. L'Amour s'est bien voulu charger De nous conduire ici : j'y viens en confiance Qu'il aura soin de nous loger Chez quelqu'un de sa connaissance ; C'est à lui de nous héberger, Quelle que soit l'hôtellerie, Il faudra s'en accommoder ; Mais on cherche à vous aborder. Quel air ! Quel port ! Regardez, je vous prie. Il est aisé de le connaître. De ce soin-là nous avons grand besoin, Nous pouvons l'accepter sans trop de complaisance. Que dites-vous de ce jeune Seigneur, Qui s'éloigne à regret de l'endroit où nous sommes ? Peut-être suis-je dans l'erreur : Mais je le crois d'un rang fort au-dessus des hommes. Avez-vous remarqué certain air de grandeur Qui règne en toute sa personne ! Une fierté qui plaît au moment qu'elle étonne ? Quelle douceur ! Quel charmant entretien ! Son abord seul est d'un heureux présage, Et pour moi j'augure très bien Des suites de notre voyage. Oui : mais avec quel art on vous a révélé Tout ce qui dans son coeur se passe ? Avec quelle prudence, avec combien de grâce Cet hôte si charmant vous en a-t-il parlé ! Il cherchait une excuse à sa nouvelle flamme ; De peur de vous trop irriter, Attentif à vous arrêter, Quel prétexte obligeant il a saisi, Madame ! Quelle politesse ! Quel tour ! C'est dit-il, l'ordre de l'Amour. Si ce n'est qu'un mortel, les aimables manières ! Et si c'était un Dieu, je crois qu'il n'en est guères, N'en déplaise pourtant à tous les autres Dieux, De si charmant, ni de si gracieux. Tout cela, comme moi, ne vous a point frappés ? Mais là, parlons de bonne foi. Ouais, je me suis donc trompée. En le voyant j'ai senti, moi, D'abord je ne sais quoi, Qu'il me semblait que vous sentiez de même, Pas tout à fait si fort pourtant, Mais presque dans le même instant. Examinez-vous bien. Hé bien, j'avais d'abord compris, Quoique pour un volage un coeur soit trop épris, Qu'il est des pertes dans la vie Qu'on peut aisément réparer, Que souvent des plaisirs la tristesse est suivie, Qu'il est bon d'être lente à se désespérer, Que l'on ne doit point trop se piquer de constance : Enfin j'approuvais fort le peu de résistance Que vous avez paru faire pour demeurer. Je donne des conseils fort bons, assurément, Et rien ne flatte tant qu'une duce espérance. D'autres viendront bientôt s'offrir à vous, je pense. Céphale est un perfide, un ingrat, un volage ; On vous l'a dit, et c'est la vérité. Il en sera puni, je gage. Non, je ne perds ni l'un ni l'autre, Je porte un coeur comme le vôtre, Et vous sentez tout ce que je ressens. Pour moi si je courais après un infidèle, Et que je rencontre un tel hôte en chemin, Loin d'appeler la fortune cruelle, Je rendrais grâce à mon destin ; Dans une demeure si belle Je croirais ne pouvoir faire un trop long séjour, Et je ferais courir l'infidèle à son tour. Et vous vous laisserez aimer, Je m'y connais mieux que personne. Point de courroux, il peut arriver pis ; Vous aimerez vous-même, et je vous le prédis. Dans peu de temps vous me pardonnerez : Mais vous l'aurez alors, vous, tout à fait perdue. Je ne sais si l'époux voyageur Sera content de son voyage : Mais pour le nôtre, j'ai grand'peur Qu'il ne soit pas fort à son avantage. Comme à vous, c'est ce qui me semble. Ce sont de petits mouvements Qui ne durent pas d'ordinaire, Et je m'étonne peu de la voir en colère. Elle a beau faire, il faut bien qu'elle avale Cette pilule avec douceur. Pourquoi non ? Je le crois bien vraiment ; Entre Procris et moi grande est la différence, Procris est sensible à l'absence D'un époux aimé tendrement. Ah ! Je crois qu'il n'est qu'égaré, Je le retrouverai sans chercher, j'en enrage. Que mon bonheur serait parfait, S'il était perdu tout à fait ; C'est le seul bien qu'aux Dieux ma piété demande. Pour cela non, je puis vous en jurer ; C'est son retour que j'appréhende. Pour le coup j'en rirais de tout mon coeur. Il peut en faire la folie ; Tous les coeurs sont soumis au pouvoir de l'Amour ; Mais pour se faire aimer, et pour plaire à son tour, Oh, par ma foi je l'en défie. C'est bien le plus grand animal, Le plus impertinent visage : Il faudrait, pour s'en faire une parfaite image, Avoir connu l'original. Hé bien, c'est un portrait flatté, Le croiriez-vous ? Avec des débauchés on dit qu'il brille à table, Pour se faire valoir c'est là son seul moyen, C'est un fort bon ivrogne. Fi donc. Pour cet article, non : Du coeur ? C'est le plus grand poltron… Quand il suit Céphale à la chasse Tout lui fait peur, tout l'embarrasse ; Une feuille, une mouche, un faon de biche, un daim, Le plus faible animal qui passe L'oblige à rebrousser chemin, Tout lui paraît une bête effroyable, Quelque sanglier redoutable. Lui ! Quel conte ! À l'hymen il ne s'est engagé Que pour mieux s'assurer un éternel congé. Son emploi de la Cour nous l'avons acheté, Il en pouvait avoir un dans l'armée Qui ne nous aurait rien coûté. À tel excès son procédé m'irrite. Oh, je l'en quitte. C'est au hasard qu'il doit tout son bonheur, Et le hasard donne-t-il du mérite ? C'est un des bons, le croiriez-vous ? Cela choque la vraisemblance : Mais vous comprenez bien que jusqu'aujourd'hui, Je n'ai point à Philacte encire fait confidence Des sentiments que j'ai pour lui. Si par hasard il les savait, je pense Qu'il ne m'en saurait pas bon gré. Non, je vous l'avouerais sans peine, Vous paraissez galant homme et discret, On vous peut sans péril confier un secret : Inaccessible à la tendresse, Mon coeur jamais n'a ressenti d'amour, Et Philacte est haï sans que j'aime. Cela pourrait fort bien venir peut-être un jour : Mais on a tant d'amants que le choix embarrasse, Le goût qu'on prend pour l'un par un autre s'efface, Un troisième s'offre à son tour, Quelque autre le dérange avant qu'il soit en place ; Ainsi le temps de moment en moment Dans l'incertitude se passe Sans que l'on puisse, quoi qu'on fasse, Prendre un solide attachement. Je ne défends rien, on verra. Hé, qui peut deviner ce que le coeur dira ? Où vous reverrai-je ? Bon. Je m'y rendrai. Rien n'est moins naturel que tout ce que je vois, Chaque instant, chaque pas à ma surprise ajoute, Vous sommes chez un Dieu, sans doute ; Mais ne vois-je pas ? Non, si fait, pardonnez-moi : Je ne me trompe point, Sténopé ! Par excès d'amitié la bonne Vieille donne L'embrassade aussi vivement… Et vous venez à propos, la voici. Et mon vilain Ne m'en avait rien dit encore : Le double traître ! Le pendard ? Je le reconnais bien, il ne sait qu'ivrogner, Toujours à table, ou près de quelque aventurière. Vengeons-nous en de même. Hé, de quoi sert D'être fidèle à qui nous abandonne ? Et la contrainte ainsi ne sert de guère. Cette affaire-ci prend le tour Que j'ai prévu d'abord. Vous suivrai-je, Madame ? C'est moins le dépit que l'amour qui l'enflamme. Voici, je crois, mon inconnu. Il est moins beau que l'amant de Procris, Mais il est bien au-dessus de Philacte. Vous semblez vouloir m'éviter, Ma présence vous embarrasse, Vous qui tantôt dans cette même place Avec plaisir paraissiez m'arrêter. Je consultais mon coeur sur la petite affaire Dont tantôt vous m'avez parlé. Avec plaisir vous apprendrez peut-être Le résultat de la réflexion, J'ai pris ma résolution. Ah ! Puisqu'à cet espoir vous êtes si sensible, Apprenez pour le mieux flatter, Que mon traître m'a fait un outrage terrible. Je le sais à n'en pouvoir douter. Par l'infidèle Le coeur d'une Nymphe surpris, Hé, quelle Nymphe, encore. Non. Je vous dis qu'il est aimé d'elle, Plus encore qu'il n'en est épris. Je vous trouve rêveur, inquiet, et surpris. Je suis à tel point irritée… Contre moi de l'ingrat vous prenez la défense ? Je souffrirai qu'avec impunité Ce vilain, ce magot m'outrage ? Moi sage ! Je l'ai trop été, Je crèverais plutôt que de l'être davantage. Quel discours ! L'impudence m'étonne, Hé, qui vous autorise à me parler ainsi. Quelle confusion ? Que faut-il que je pense ? C'est lui, Madame ? Mon traître de mari ! Ah !