**** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURDUBUISSON *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurdubuisson Taisez-vous, ma femme, je sais bien ce que je fais. Quand on a des filles d'un certain âge, d'un certain esprit, d'une certaine tournure, on ne peut trop se hâter de les marier, et il n'y a point de contretemps pour s'en défaire. C'est justement ce qui fait que je m'en défie ; cela ne connaît point le monde, cela meurt d'envie de faire connaissance ; et il n'y a point d'oiseaux si faciles à attraper que ceux qui sortent tout nouvellement de la cage. En un mot, nous l'avons tirée du couvent pour la marier, elle sera mariée, et tout au plus vite. Cela est vrai. Sur la proposition de mon frère l'avocat, je m'étais résolu de la donner au fils de monsieur Orgon, un de mes anciens camarades de collège, homme fort riche, qui n'a que ce fils-là : nous étions en paroles pour cela, monsieur Orgon et moi ; mais outre que ce fils-là ne m'est point connu, c'est qu'il me revient de plusieurs endroits que c'est un libertin, qui s'est fait capitaine malgré son père, grand dissipateur de biens, homme de plaisirs, de bonne chère, et aimant les femmes. Il y a encore autre chose. Ce fils de monsieur Orgon devait être rendu à Paris il y a trois semaines, pour terminer l'affaire. Son père lui avait écrit d'y venir pour cela, et l'on n'en a ni vent ni nouvelle ; cela me fait comprendre que c'est un jeune homme qui craint de prendre un engagement. Il a de la répugnance pour le mariage, et cela m'en fait prendre pour lui donner ma fille. Enfin, ma femme, voulez-vous que je vous dise ? Si je me hâte de la marier à ce monsieur Caton, qui ne me plait guères, c'est que je suis prévenu que l'autre me plairait encore moins, et que je me veux mettre hors d'état d'être persécuté par monsieur Orgon, qui, comme l'on m'a dit, ne songe à marier son fils que pour le tirer du libertinage, et je ne veux point que ce soit ma fille qui ait cette peine-là. Ma fille n'a pas tort, c'est un vilain homme ; mais il est fort riche, et en chemin de le devenir davantage ; cela fera une bonne maison ; c'est un homme qui ne dépenserait pas une pistole mal à propos. Je suis venu pour éviter le fracas et la cohue, et pour faire la noce à moindre frais. Ce n'est pas lui qui fait ces sottises-là. Vous n'y êtes pas. Cela ne vient pas lui, vous dis-je : il y a quelque chose là-dessous que je soupçonne, et j'ai mis des gens en campagne pour le découvrir. Le neveu de Lucas m'en rendra bon compte ; c'est un coquin qui n'est pas mal entendu. C'est le neveu de notre jardinier, un sergent de milice, qui vient voir son oncle en allant à la garnison. À moi ? Ce sont ses affaires. Allez, ma femme, allez vous remettre sur votre lit, et ne vous inquiétez de rien, laissez-moi faire. Voilà justement le neveu du jardinier avec qui je suis bien aise d'avoir quelque petite conférence. Eh bien ! Qu'as-tu appris ? Sais-tu quelque chose ? As-tu quelque éclaircissement ? Eh bien ? Cela ne vient donc pas de monsieur Caton ? Mais sur quoi fonder tes conjonctures ? Oh ! Beaucoup. Oh ! Pour cela… C'est ce que… Mais qu'as-tu appris dans le village encore ? Jusqu'à Paris ? L'extravagant ! Eh bien ? Eh bien ? Mais cela ne conclut rien pour Monsieur Caton, et ils ne t'ont point dit que ce fût lui qui les employât. Si j'étais sûr que ce fût lui : mais je ne vois rien encore qui me persuade… Non, je veux approfondir la chose. Je l'attendrai l'éclaircissement. Toi, ne pars point pour ta garnison que ce mystère ne soit découvert. J'ai pris confiance en toi. Et je reconnaîtrai tes bons offices. Ah ! Ah ! Que veut dire ceci ? Un garçon jardinier aux pieds de ma fille. Que fais-tu là ? Le beau dessein ! Et de quoi te mêles-tu ? Oui ; mais tout manquerait à ma cuisine. D'un autre côté ? Va-t'y en, toi, d'un autre côté. Et vous, mademoiselle, allez tenir compagnie à votre mère. Mettre mon potager en parterre, le beau projet ! Et que mettre dans ma soupe ? Des tulipes ? Oui, fort bien, vous vous découvrez trop. Écoutez, monsieur Caton, j'avais dessein de vous donner ma fille, parce que je vous croyais un homme réglé, grand ménager, bon économe ; et par vos discours et vos actions, vous me paraissez tout autre. Vous : on dit que toutes ces dépenses ridicules qui se font depuis quelque temps dans le village sont de votre façon. N'avez-vous point de honte ? Comment ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'y comprends rien, monsieur Caton. Oui, fort plaisant, fort plaisant. Eh ! Le vieux fou ! Parbleu voyons, ce mémoire nous éclaircira peut-être. Mémoire du soupé porté chez monsieur Dubuisson par ordre de monsieur son gendre. De mon gendre ? Oh ! Par la ventrebleu il ne l'est pas encore. Eh ! Fi, fi, monsieur, c'est se moquer. L'incident est trop naturel. Vous aimez la bonne chère, monsieur Caton. Deux potages, huit entrées. Fort bien. Un marcassin, six perdrix, une douzaine de cailles, quatre gelinottes de bois. Quel mémoire ! Voyons la somme. Cent quatre-vingt-deux livres dix sous. Hé bien ! Voilà un fort bon ordinaire bourgeois ; une femme ne mourrait pas de faim avec vous, si cela pouvait continuer. Allez, vous êtes un vieux fou. Qu'est-ce encore ? Le dîner de demain ? Que veux-tu dire ? Madame la marquise. C'est une vieille qui n'a ni enfants ni héritiers, allons la recevoir. La peste ! Oh ! Pour cet animal-là, je me passerais bien de sa visite. Que diantre vient-il faire ici ce grimacier-là, avec son baragouin ? Ah ! Ah ! C'est vous, j'en suis bien aise. Bonjour, monsieur Bavardin, bonjour, soyez le bienvenu : quand vous en retournez-vous ? Vous venez, vous venez pour voir monsieur Caton. Voyez-le, et lui tenez compagnie, pendant que je vais recevoir madame la marquise. Je ne tarderai pas à vous rejoindre. Mais, parbleu, monsieur Caton, je ne vous comprends pas : avez-vous absolument perdu l'esprit ? Il faut être fou à lier pour faire les choses que vous faites. Cela est étrange ! Je ne suis pas le maître dans ma maison depuis que vous y êtes. Ce ne sont que des cadeaux, des festins, des mascarades. Voilà un bel embarras que vous nous causez là ! Et je donnerais ma fille à un fou comme vous ? Ah ! J'enrage : des masques chez moi qui forcent ma porte ? Voilà ma maison au pillage. Oui, justement, voilà l'affaire. Ah ! L'extravagant personnage ! Que la peste t'étouffe… C'est cela, c'est lui-même. Tenez, madame, c'est monsieur Caton à qui il faut vous en prendre, c'est lui… Cela est fort bien chanté, monsieur Caton… Que ces gens-là remportent leurs étoffes. Vous êtes bien heureux, monsieur Caton, d'avoir affaire à des personnes raisonnables. La bile me monte, et ces impertinences-là me mettent dans une colère… Madame Dubuisson, c'est monsieur Orgon, je pense. Eh ! Vraiment, il n'y a point là d'aventure, nous sommes chez nous, Monsieur Orgon. Quel hasard, ou quelle raison vous y amène, vous ? Votre fils ? Que veut dire tout ceci, monsieur Orgon ? Votre fils déguisé ici en jardinier et amoureux d'une personne à qui il donne des fêtes. Madame Dubuisson ! Je n'ai retiré ma fille du couvent, moi, que pour ce mariage-là. On te dit vrai. Je suis tout prêt à vous tenir ma parole ; mais cependant j'hésitais à donner à monsieur Caton, à cause des dépenses excessives dont je le soupçonnais, et c'est notre faux jardinier qui les faisait. Allons nous mettre à table, remettons le bal après le souper. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MADAMEDUBUISSON *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_madamedubuisson Oh ! Pour cela, monsieur Dubuisson, vous prenez bien mal votre temps pour faire ce mariage. Il n'y a rien à craindre de la vôtre. Une jeune enfant, qui a passé toute sa vie dans un couvent, qui n'en sort que depuis quinze jours… Mais, mon fils, quand je l'ai été chercher en Lorraine, d'où nous arrivons, vous aviez pour elle un autre parti que celui que vous lui voulez donner. Le grand malheur ! Vous étiez bien pis que tout cela quand nous nous mariâmes, et si ma famille y avait regardé de si près… Mais, savez-vous bien que votre fille hait à la mort ce monsieur Caton que vous voulez qu'elle épouse. Tenez, mon fils, c'est un vilain, un ladre, un vieux coquin, qui a vécu jusqu'ici d'une manière fort serrée, et qui, faute d'expérience, se répandra au premier jour en des dépenses excessives pour le première guenon qui lui donnera dans la vue. Je ne dis pas que ma fille ne mérite bien les petites galanteries qu'il fait pour elle : mais, s'il était si raisonnable que vous le dites, il s'abstiendrait de ces bagatelles-là, nous sommes ici à notre maison de campagne. Et de quoi s'avise donc votre monsieur Caton, que vous trouvez si économe, de régaler tous les jours tout le village ? De faire tirer des fusées, des feux d'artifice ? De donner des violons et de la musique dans les avenues de notre bois ? L'impertinent ! Le sot ! À quoi cela est-il bon ? Bon, bon ! Quelque chose là-dessous, que pourrait-ce être ? Quand s'en va-t-il, cet animal-là ? Il y a déjà dix ou douze jours qu'il est ici à pot et à rôt dans la maison. Je n'ai que faire de cela, je n'aime point si longues visites, quand elles se font à mes dépens. Hom ! Votre jardinier vous en fait bien passer, monsieur Dubuisson. À vous-même. Je voudrais bien savoir de quoi ce maroufle s'avise de prendre encore un garçon jardinier de surcroît, quand il y en a deux ici. Ce sont les vôtres, et tout cela vit aux dépens du maître. Tenez, monsieur Dubuisson, vous êtes trop bon, trop facile, et cela me rend malade. Outre la fatigue du voyage et le mouvement de ce vilain carrosse de voiture, dont je ne saurais me remettre, j'ai une migraine si horrible, un si grand mal de tête… Je vous laisse, monsieur Dubuisson ; mais, si vous m'aimez, ne vous hâter point de conclure ce mariage. En vérité, monsieur Dubuisson, vous avez bien peu de complaisance ; je vous avais prié de différer vos préparatifs de noces, et vous commencez par donner le bal pendant que je me meurs. Le beau remède contre ma migraine, qu'une cohue de masques et de violons ! Monsieur Caton est un sot, et je ne consentirai point à donner ma fille à un extravagant comme lui… Qu'est-ce que c'est donc ? Qu'as-tu trouvé ? Mon fils ! De ma fille ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LUCILE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucile Mais, que veux-tu que je te dise ? J'ai du chagrin, Marthon. Hélas ! Marthon. Ah ! Marthon, ne va pas t'imaginer… Ah ! Ma chère Marthon, que tous les hommes ne sont-ils faits comme ces deux-là ? Parle bas, ma pauvre Marthon. Hé bien ! Marthon, je n'ai rien à te dire. Eh ! Non, non, doucement. En effet, Marthon, tu es une personne admirable, et tes discours me donnent une certaine confiance. Je me sens plus de résolution… Mais, non, je n'aurai jamais la force de te le dire. Qu'il est vrai, Marthon, que je crois que j'ai de l'amour. Oh ! Tant, Marthon. Tout des plus galants, des plus jeunes, des mieux faits. Hélas ! Non, Marthon, ce n'est point lui ; il ignore où je suis, mon nom même ne lui est peut-être pas connu. Il n'a pas tenu à lui ni à moi, ma chère Marthon, et si j'en crois ses yeux et mon cœur… Mais ma mère, qui, comme tu sais, est venue me chercher à Metz elle-même, nous a si fort observée l'un et l'autre pendant toute la route… Hélas ! Oui, Marthon. Je sais combien je suis à plaindre. Je me suis dit tout ce qu'on se peut dire ; je sens tout le ridicule de ma passion ; mais elle est telle, chère Marthon, que je ne suis plus maîtresse de la vaincre, et que je serai malheureuse toute ma vie. Un Officier qui revenait d'Allemagne : sa chaise de poste rompit en chemin, il prit place dans le carrosse, je fus surprise en le voyant ; il me parut embarrassé comme moi, et tant que nous avons pu nous voir, nous n'avons point cessé de nous regarder l'un l'autre que quand ma mère nous regardait. Il me donnait la main quand nous descendions du carrosse, et il me la serrait avec tant d'ardeur… Non, Marthon, je n'osais pas encore. Oui, Marthon ; mais si adroitement, si spirituellement… Il y avait dans notre même carrosse une jeune fille qui n'avait point de mère. Eh bien ! Marthon, il lui disait les plus jolies choses, les plus tendres, les plus amoureuses, et tout cela, Marthon, en me regardant toujours. Oh ! Je voyais bien que c'était à moi que cela s'adressait. Au bout du compte, nous sommes arrivés à Paris ; la fin du voyage nous a séparés ; il n'a point eu depuis de mes nouvelles, ni moi des siennes. Je ne saurais, Marthon, je l'ai trop regardé ; je crois le voir à tous moments, je cherche ses traits, son air, son regard, ses manières dans tout ce qui s'offre à mes yeux. Si fait, Marthon ; mais je n'ose te le dire. Ce nouveau jardinier qui est ici depuis quelques jours… Il me paraît qu'il lui ressemble un peu. Je lui trouve quelques-uns de ses traits, le même air à peu près, les yeux un peu moins vifs à la vérité ; mais… Ah ! Pas si amoureusement, Marthon. Ah, ciel ! Marthon, que je serais fâchée qu'il m'eût entendue ! Ah ! Marthon, si c'était lui et qu'il sentît ce que je sens, il ne dormirait pas si tranquillement. Un bijou, dis-tu ? Prends donc garde, tu vas l'éveiller. Un portrait ? Mon portrait ? Tu n'es pas sage. Et comment, mon portrait ! Ah, ciel ! Que vois-je ? Ah ! Ma chère Marthon, mon cœur, mes yeux, mon portrait, tout me le persuade. Mais qui m'assurera que ses desseins sont légitimes ? Qui me sera garant… Ah ! Ah ! Ma chère Marthon, quelle surprise ! Ah, ciel ! Un livre à moi ? Des pierreries ! Mon père, il faut renvoyer tout cela. Voyons ce que c'est. Il est plein de louis ! Garde-toi bien de prendre cela, Marthon… Oh ! Pour ce dernier tour-là il me fait plaisir ; j'en suis, et l'on ne saurait donner une collation d'une manière plus galante. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURCATON *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurcaton Monsieur Dubuisson… Il n'a pas tort, c'est une belle chose qu'un beau parterre. Moi ? Non, ma foi. Ça est pla… plaisant. À moi, mon homme de chambre ? Va, va, tu te méprends. Si je sais ce que c'est, monsieur Dubuisson… C'est une pièce qu'on me fait, monsieur Dubuisson. Je vous jure que… Et moi de vous voir. Votre répu putation m'est co connue. Pa pa parbleu, il me contrefait. Voyons jusqu'où cela ira. Ce sera bien de l'ho l'honneur pour moi d'être allié à un homme comme vous, qui est un fou foudre d'éloquence. Vous avez tous les talents et toute la physionomie d'un Cu d'un cu Cujas. Cet homme-là cherche à m'in m'insulter. Monsieur Ba bavardin, vous êtes un mau mauvais plaisant, je vous en avertis. Vous poussez trop la la raillerie, monsieur Bavardin. De quoi ce vi visage-là s'avise-t-il de me contrefaire ? Ah ! Ah ! C'est tout autre chose. Je vous demande par pardon, monsieur Bavardin. Co-comment donc ? Je veux être pen pendu, si je sais ce que c'est. Monsieur Dubuisson… Que la peste… Je ne m'en pen pendrai pas. Je ne suis pas seul amoureux de Lucile. Oui, oui, oui, oui. Oui, oui, oui. Cela est vrai, cela est vrai, mon monsieur Dubuisson. Voi, voi, voilà le fait, Monsieur Dubuisson. Je viens, ma foi, de l'échapper belle. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURBAVARDIN *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurbavardin Je viens… je viens… Je mou... mourais d'envie de vous saluer. Monsieur Ca... Caton se moque de moi, je pense, voyons un peu s'il continuera. Je suis ravi que vous épousiez Lu lucile. Vous serez cou cou cousin germain de ma mère. Et un grand bonheur à la famille de vous vous avoir, vous qui êtes un fa un fa favori de la fortune. Quelque dépense que vous fassiez, on on sait bien que vous sortez de le cai de la cai de la caisse moins d'argent que vous n'y faites entrer. Cet animal-là se moque de moi. Et vous un plat plat bou bouffon, monsieur Caton. Vous me tu tu turlupinez mal à propos, monsieur Caton. Morbleu, vi visage vous-même ; cela n'est pas vrai, c'est vous qui me con contrefaites. Je suis votre valet, monsieur Caton. Il n'est bruit ici que de votre gal galanterie. Je vais mettre ordre à cela. Eh ! Oui, justement, c'est lui-même. Monsieur et madame Dubuisson, par quelle aventure vous trouvé-je ici ? Ah ! Je vous demande pardon, je savais bien que vous aviez une maison auprès de Paris ; mais je ne savais pas qu'elle fût de ce côté-ci. La fête finira mal pour toi ; tu es un coquin qui débauche mon fils, apparemment. Oui, mon cher monsieur Dubuisson ; cet honnête paysan est venu m'avertir qu'il était ici déguisé en jardinier, amoureux d'une jeune personne, à qui il donnait tous les jours de nouvelles fêtes. De votre fille ? Mais, vraiment, ce serait une chose fort plaisante que le hasard eût ainsi prévenu nos projets ! Quand j'ai fait revenir ton maître d'Allemagne, c'était pour le marier avec la fille de monsieur. Que cela ne vous inquiète point, quelques dépenses qu'il puisse faire, j'ai assez de bien pour les soutenir. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURORGON *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurorgon Ah ! Mon fils, mon cher enfant, je t'ai cru mort, je te retrouve, je te pardonne tout. Monsieur Dubuisson ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LEANDRE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leandre Il est donc bien en peine de moi ? Maraud… La ridicule imagination ! Ne parlons point de cela. Personne ne t'a reconnu à Paris ? Tu t'es informé de tout sans t'exposer… Eh ! Pourquoi ? Qu'est-ce que c'est que ce billet ? Que veux-tu dire ? Tu te moques ? Mon père n'y songe pas : le pauvre bonhomme ! J'admire sa simplicité. Eh ! Le moyen de m'en arracher ? Regarde ce portrait, mon pauvre la Montagne. Admire la fatalité de mon étoile : je pars de l'armée dans la résolution d'obéir aux ordres de mon père. Il n'attendait que mon retour à Paris pour me marier. On ne peut échapper à sa destinée. Ma chaise se brise au milieu d'un bois. Je me vois obligé de prendre place dans le carrosse de Metz. J'y trouve une jeune beauté, toute charmante, toute adorable. Que sa mère vient de retirer du couvent. Je suis contraint de lui rendre les armes. Quel ennemi ! Il est d'un sexe à qui les plus grands hommes font gloire de céder. À la fureur. J'attends l'occasion de me découvrir. Si mon amour lui plaît, je la demanderai à son père. Il faut les rompre. Cela n'est rien, si tu n'achèves. Nous tâcherons de l'obtenir. Cela ne sera pas impossible. Voilà ma bourse. As-tu fait donner ordre chez Crépi ? Il a raison, je me retire. Mon pauvre la Montagne, voici Lucile et Marthon qui viennent de ce côté-ci ; elles parlent ensemble : je me flatte d'avoir entendu quelque chose qui me regarde ; je voudrais bien en savoir davantage, comment faire ? Les voici. Que Lucile est belle, et que je suis amoureux ! Moi, charmante personne. Moi qui brûlais de me découvrir à vous, moi qui ne respire et qui ne veux vivre que pour vous, qui n'adore que vous et qui n'ait point d'autre objet, point d'autre passion que d'être à vous tour ma vie ! Oui, mon adorable Lucile, vos sentiments me sont connus ; ne doutez point, je vous en conjure, de la vivacité, de la sincérité des miens. Ne faites semblant de rien, demeurez. Comprenez-vous bian, mademoiselle ? Velà le corps de logis, la terrasse est comme là, le potager envars ici, et partant, vous voyez bian… Eh ! Vous velà, monsieur, je vous demande pardon, c'est que… Rian, rian, monsieur : c'est que j'expliquais à ces madames que si vous vouliez, j'aurais dessein de prendre votre potager pour mettre en parterre. De rian, monsieur. C'est que de cette manière-là, il ne manquerait plus rian à votre jardin. En ce cas, nan pourrait d'un autre côté… Mon père, je vous demande mille pardons. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LUCAS *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucas Bonjour, Mathurine, je sis bian aise que ce soit toi. Es-tu toute fine seule ? N'y a-t-il personne qui nous écoute ? Ce ne sont pas ici des vétilleries, vois-tu ? Je le crois morgué bian : ma fortune est faite. Paix, motus, Mathurine, et la tienne itou. Ô çà, acoute, te sens-tu capable de garder un secret bian secrètement ? Bon ; il faut toujours faire comme ça : c'est une belle chose que le secret. Aga, tiens, Mathurine, je ne sais pas encore trop bien ce que c'est. Morgué, pourquoi faut-il que je ne sachions pas lire ni l'un ni l'autre ? Ce que ça y fait ? Tiens, voilà un papier qui est tombé de la poche de ce drôle que j'appelons notre neveu. Eh bien ! C'est le factoton de ce jeune capitaine qui s'est fait garçon jardinier. Or, ces gens-là, tu sais, remuont l'argent à la pelle ; ils faisont jouer, tu sais, jour et nuit les ménétriers dans le village ; ils tiront, tu sais, des fusées et des artifices sur l'iau. Ils m'ont baillé, tu sais, quinze pièces d'or pour que le capitaine devenît notre garçon, et son homme de chambre notre neveu, tu sais ? Ah ! Morguenne, bellement, Mathurine ; Tredame, t'es bien prompte. Ce que je te dis là, vois-tu, c'est à celle fin de te faire mieux entendre que ce capitaine-là est un homme riche, vois-tu, queuque maltôtier ; que c'est là, vois-tu, queuque bon papier de conséquence, queuque contrat de constitution, vois-tu, queuque lettre de change. J'ai marguenne opinion que ça est. Tatigué que d'envieux, que de gens fâchés dans le village, quand ils verront Mathurine et Lucas dans un biau carrosse ! Car, vois-tu, je ne sommes pas pour en demeurer là. Si j'ai une fois de l'argent, crac, je me boute dans les affaires, je me fais partisan, tu seras partisane ; j'achèterons queuque charge de noblesse, et pis, et pis, on oubliera ce que j'avons été, et je ne nous en souviendrons morgué peut-être pas nous-mêmes. Pourquoi non ? Je ne sommes pas les premiers paysans qui aurions fait fortune. Bon, voler une feuille de papier, et pis, après tout, il n'y a pas de mal à ça : un paysan prendre à un capitaine, et au fils d'un maltôtier encore, ce n'est pas voler que ça, c'est prendre sa revanche. Bellement donc, ne va pas le déchirer. Eh ! Oui, tant mieux, c'est de la meilleure stelle-là, de la plus véritable, de celle qu'on croit davantage… Eh ! Margué, que fais-tu ? T'es mal adroite ; ce n'est pas comme ça que ça se tient, c'est comme ça. J'ons déjà queuque connaissance, vois tu. Tiens, Mathurène, que je te montre ; tout ce qui est blanc, vois-tu, c'est le papier, et tout ce qui est noir, c'est les lettres. Tredame, toi-même. N'est-ce pas biaucoup que de savoir faire la différence ? Mais voici nos deux drôles, ils donnont à plein collier dans l'ornière ; car je me doute qu'ils parlont de ça. Retourne-t-en à la cuisine, pendant que je m'en vais les acouter, moi, sans faire semblant de rian. Ah ! Tatigué, que je sis un rusé marle ! Et que je l'aurai trouvé, moi. La belle chienne de fortune ! Trente pistoles à gagner ! C'est toujours quelque chose. Achevons d'acouter, c'est le moyen d'apprendre. Eh ! Gare ! Gare ! Enfuyez-vous-en : velà monsieur Dubuisson qui viant envars ici ; il soupçonnera queuque chose, s'il vous trouve ensemble. Eh ! Là, là, bellement, ne vous enfuyez pas, vous ; ce n'est pas pour vous qu'il viant, monsieur Du buisson, ce n'est que pour li. Avec votre permission, mon neveu de la milice, j'ai queuque petite parole à vous dire. Allons, palsangué, boutez dessus ; puisque vous êtes mon neveu, point de çarémonie. Qu'est-ce que c'est donc que ces trente pistoles qu'il y a à gagner pour qui baillera de certaines nouvelles, là… Parguenne, je vous ai bian entendu, moi ; je sais tout le contenu de l'affiche que vous avez perdue, et c'est justement moi qui l'ai trouvée. Trente pistoles à gagner ! Foin de ma curiosité, je voudrais morgué point biaucoup ne savoir rien de ça, voyez-vous. Ces trente pistoles-là me feront perdre l'esprit ; oh ! Pour ça, oui, elles me renversont la cervelle, monsieur de la Montagne. Il me vient des scrupules. Oui, voirement, des scrupules. Vous m'avez donné quinze pistoles. Moi, rendre de l'argent ? Vous n'y songez pas ; je sis fillot d'un procureur de Paris. Oh ! Palsanguenne, non, vous me payez pour ça. Ça n'est rien, ça se passera. Et, mais, vous m'avez baillé quinze pistoles pour ne rien dire que c'est votre maître qui est ici. Et son père en promet trente à sti qui li dira où il est : je me fais comme ça des scrupules. Je ne saurais sarvir sti-ci sans tromper sti-là, voyez-vous, et j'ai dans l'imagination que ce serait blesser ma conscience, si je ne sarvais pas sti qui promet le plus, au préjudice de sti qui baille le moins. Conseillez-moi un peu là-dessus, monsieur de la Montagne, vous qui êtes un si honnête homme. Tatigué, que vous êtes de bon conseil, monsieur de la Montagne ! Mais, attendons un peu… Oui… tout juste, me voici un peu plus embarrassé qu'auparavant. Palsangué, oui, je ne suis plus queu parti prendre avec votre peste d'équilibre. Pour que la balance penche de queuque côté, il faut du poids de plus, monsieur de la Montagne. On ne peut pas plus. Je vous sarvirons comme vous nous payez, à bonne mesure. Morguenne, vous ne savez pas ce que je risque, si monsieur Dubuisson ou madame sa femme venont à savoir que je me suis baillé pour compagnon de jardinage un jardinier qui n'est pas jardinier. Et que sais-je, moi ? Mademoiselle Lucile elle-même, peut-être : elle est fille et jaseuse, elle dégoisera queuque chose ; et sa suivante, mademoiselle Marthon, qui est itou une babillarde, et pis velà tout justement comment les choses se découvriront, monsieur de la Montagne. Eh ! Fi donc, vous m'en baillez à garder ; queu peste de conte ! Si alle ne le connaissait pas, lui aurait-elle baillé sa portraiture ? Et comment, par surprise ? Expliquez-moi ça, monsieur de la Montagne. Effectivement, ça est bien surprenant. Tatigué, l'habile peintre ! J'ons vu le portrait, ça lui ressemble comme deux gouttes d'iau. Mais, velà bien des secrets à garder, monsieur de la Montagne : c'est une nouvelle augmentation de peine. Ne faudrait-il point encore queuque petit salaire pour cette peine-là ? Ils réussiront dès que ne serez pas épargnant ; car, voyez-vous, ce n'est pas pour me vanter, mais je sis un drôle qui aime bian l'argent, je vous en avertis. Et, palsanguenne, oui. Ils sont un tas de bourgeois et de bourgeoises, qui avont chacun envoyé leur plat, parce qu'ils savont que notre maître est un tantinet ladre. Oh ! Parguenne, il y a de quoi manger ; j'avons morgué deux cochons de lait, trois longes de viau, un gros aloyau, quatre gigots et une tarrinée de bœuf à la mode. Hem, plaît-il ? Que dites-vous ? Trois carrossées ! Velà bien du monde : qu'est-ce que vous voulez faire de tout ça ? Oui, oui, je m'en vas vite, allez. Mais j'irai plus loin que l'Épée-Royale, et je gagnerai l'argent de l'affiche. Laissez faire, monsieur, si je ne le trouvons pas là, je le trouverons… Il est morgué ici, ne vous boutez pas en peine. Tenez, voilà déjà son valet, n'est-ce pas ? J'ons gagné les trente pistoles de l'affiche. Je ferai morgué une bonne maison, n'est-ce pas ? Eh ! Morgué, ne faut pas tant rêver, c'est de mademoiselle Lucile qu'il est amoureux. Et moi, palsanguenne, j'ai fait un biau coup. Avouez tretous, que je sis un habile homme. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MATHURINE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mathurine Ah ! Vous voilà, monsieur de la Montagne, il y a une heure que votre maître… Ah ! Vous avez raison, et je n'y songeais pas. Votre maître donc, il y a une heure… Oui voirement vous en avez un. Ce jeune monsieur qui a baillé de l'argent à notre homme pour être garçon jardinier, n'est pas votre maître ? Que voulez-vous dire ? Est-ce que je suis une bête. Ça est vrai, j'ai tort, je n'y serai plus attrapée… Mais songez donc que votre maître… Le garçon jardinier vous cherche pour vous parler, mon neveu de la milice. Ils avont bian faire et bian dire, je ne saurais m'accoutumer à ce qui n'est point. Mais quelle fantaisie a ce monsieur de se faire paysan, et à son homme de chambre de vouloir être le neveu de Lucas ? Le voilà lui-même ; il faut qu'il me dise pourquoi ça se fait. Eh ! Parguenne tu le vois bian. Non voirement. À qui en as-tu donc, Lucas ? Je ne t'ai jamais vu si étrange. Ta fortune, da ? Et la mienne, Lucas ? Oh ! Pour ça, oui. Tiens, il m'est arrivé je ne sais combien de choses que je me serais plutôt fait hacher que te les dire à toi-même. Ne te mets pas en peine, et dis-moi tout au plus tôt… Eh ! Qu'est-ce que ça fait à notre fortune ? Eh bien ? Je le sais bien. Eh bien ? Je sais, je sais : si je sais tout ça, pourquoi me le dire ? Ça pourrait bien être. Je deviendrions nobles, Lucas ? J'aurions carrosse ? Mais, acoute, Lucas, n'est ce point voler que de ne pas rendre ce papier à ce monsieur à qui il appartient ? Tu as raison. Montre-moi ce papier, Lucas : donne, Lucas, donne. Eh ! Lucas, c'est de l'écriture dont on écrit les livres, je pense ? Tredame, Lucas, tu sais déjà lire. Eh ! Qu'est-ce que c'est donc que ça, monsieur ? Est-ce drès aujourd'hui que vous faites la noce ? Il viant d'arriver là-bas quatre hottées de volailles et gibier, avec six charges de bouteilles de vin, quatre grands marmitons et cinq ou six petits, qui, pour vous accommoder à souper, s'établissont dans votre cuisine aussi familièrement qu s'ils étiont chez eux. Ils aviont ôté les gigots et les longes de viau que j'avais mis à la broche ; ils aviont été chercher du bois et du charbon dans la cave, qui était ouverte, et ils faisiont des feux de reculée ; ils boutiont tout par écuelle, et ils disiont comme ça qu'il ne vous en coûtera rien, qu'on les laisse faire. Monsieur ? Non, monsieur, c'est ste madame qui est toujours si claire, si luisante. Et là, je m'entends bian ; cette grande madame sèche, qui se boute du varnis sur le visage. Il y a itou votre cousin monsieur l'avocat qui est venu avec elle. Il dit qu'il viant voir monsieur Caton votre gendre, qu'il n'a jamais vu. Le voilà. Dame, monsieur, venez donc mettre ordre à ça, il n'y a plus moyen d'y tenir ; il faudra déserter, si vous ne faites agrandir la maison. Non, non, ne craignez rian ; ce sont d'honnêtes gens, ils se recommandent tretous de monsieur Caton. On a servi, monsieur. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LAMONTAGNE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lamontagne Oh ! Vraiment, oui, monsieur, vous avez soupçonné juste : toutes ces fêtes-là, toute cette musique qui nous fait coucher si tard et qui nous éveille si matin… Eh bien ! Monsieur, c'est quelque joli homme amoureux de mademoiselle votre fille, qui fait toutes ces galanteries-là, assurément. Comment, de monsieur Caton ? Ce vilain monsieur qui est ici depuis quelques jours ? Est-ce que… Mais, par ma foi… Attendez, vous me faites rêver à une chose… Oui, justement… Mais cet animal-là aurait-il l'esprit… Oui da, oui da. Quelque vilain qu'on soit, l'amour donne des manières, quelquefois. Allez, monsieur, je me rappelle des choses ; il faut que ce soit lui, sur ma parole. Sur quoi ? Il est fort riche, monsieur Caton. Et passablement fat, à ce qu'il me paraît. C'est lui, monsieur. Il n'y a qu'un homme riche et sot qui puisse faire ces dépenses-là. Dans le village, monsieur ? Je ne m'en suis pas tenu là, j'ai été jusqu'à Paris pour être mieux informé. Oui vraiment. Il n'y a qu'une bonne lieue d'ici, et il y envoie lui, deux ou trois fois par jour. Il a trois ou quatre personnes dans le village qui ne font autre chose qu'aller et venir. J'ai fait connaissance avec ces messieurs-là sans faire semblant de rien. Ils sont partis, je les ai suivis. Eh bien ! Monsieur, nous sommes arrivés : l'un a été dans la rue Saint-Honoré, chez des marchants d'étoffes, l'autre chez des marchands joailliers, sur le quai des Morfondus, celui-ci chez Crépi, celui-là chez Lamorlière. Non, vraiment, ce sont des gens fort discrets : mais cela n'empêche pas qu'on ne voie fort bien que des joailliers, des marchands de vins, des rôtisseurs… Il y a bien de la profusion là-dedans, bien du dérangement d'esprit, et je ne crois pas moi, que vous fussiez d'humeur à donner votre fille à un homme comme cela. Cela est vrai, il n'y a rien de positif : mais c'est déjà beaucoup que de soupçonner. Ne vous hâtez point de rien conclure, monsieur. Vous ne sauriez mieux faire. L'éclaircissement vous éclaircira si… Je n'ai garde de vous quitter dans le fort de cette affaire-ci, monsieur. Vous me faites bien de l'honneur. Je ne suis pas en peine de la reconnaissance, et pour le peu que j'en mériterai de sa part… Mais voici la jardinière. Eh ! Paix, paix, madame Mathurine ; êtes-vous folle de ne me pas appeler votre neveu ? Encore ? Ah ! Tout est perdu. Avez-vous le diable au corps, ma tante Mathurine ? Est-ce que j'ai un maître, moi ? Oh ! Pour cela oui, très fort. Votre garçon jardinier est un jardinier, et moi je suis votre neveu, sergent de milice. On vous a dit cent fois… À la bonne heure ; mais, pour éviter les inconvénients, il ne faut pas que nous ayons longue conversation ensemble. Jusqu'au revoir, ma tante Mathurine. Il faut finir cette affaire-ci d'une manière ou d'une autre, monsieur ; et si monsieur votre père est encore huit jours sans apprendre de vos nouvelles, je vous le garantis défunt, ou, tout au moins, fou à lier. Il en perd l'esprit, vous dis-je, et le bruit court dans le quartier que vous avez été pendu. Ce n'est point un conte, monsieur : vous avez mandé, il y a un mois, que vous reveniez ; on vous sait parti d'Allemagne, vous n'arrivez point : tout le monde veut que des chenapans, que nous avons, dit-on, trouvés en chemin, nous aient, vous et moi, greffés tous deux sur quelque vieux chêne. Moins ridicule que la vérité : car, enfin, y a-t-il rien de plus bizarre que ce que nous faisons ici ? Vous voilà garçon jardinier, vous qui ne savez pas comme croit une ciboule. Oh ! Pour cela, oui, je vous en réponds ; mais j'ai pourtant été bien tenté de me découvrir. Pourquoi, morbleu ? Tenez, monsieur, voilà les billets que fait courir monsieur votre père ; il y en a même d'affichés au coin des rues. Où diantre aurai-je mis ce billet ? Il sera tombé de ma poche ; vous verrez que je l'aurai perdu. Je ne sais ce que j'en ai fait ; mais je vous en dirai le sens : Trente pistoles à gagner pour qui donnera, chez monsieur Orgon, des nouvelles d'un jeune officier sur la route d'Allemagne ; le jeune homme, de taille ni petite ni grande, l'encolure déchargée, la jambe sèche et qui porte au vent. Je ne me moque point. Dites plutôt son bon naturel. Allons, monsieur, que cela vous touche, arrachez-vous à cette passion extravagante qui vous retient ici. Voilà une jolie personne, je vous l'avoue. Ces bons sentiments-là ne vous ont pas duré. C'est ce qui vous fait craindre d'arriver ? Vous vous livrez de bonne grâce à la vôtre. Éloigné des postes. Que le hasard fait passer par là tout à propos. Cela est bien heureux. Surcroît de charmes et de mérite. À trente lieues de Paris, qui se serait défié de l'embuscade ? Tous les ennemis ne sont pas au-delà de la frontière, monsieur. Bon, les plus grands hommes ! Morale d'opéra, monsieur, fades discours ; on ne se rend que quand on veut bien ne pas résister. Mais venons-en au fait, s'il vous plaît ; j'ai eu la complaisance de m'accorder à vos visions, il faut continuer puisque j'ai commencé. Vous aimez Lucile ? Elle ne sait rien encore de votre amour ? Vous ne tarderez pas à la trouver. Ensuite ? Il a des engagements avec un autre. J'ai commencé d'y travailler. Il nous faudra le consentement du vôtre. Cela sera difficile. Nous aurons besoin d'argent. Fort bien, monsieur, vous avez réponse à tout. Malepeste, quel embonpoint de bourse ! Celle-là ne se sent point des fatigues de la guerre, et ce n'est pas là la bourse uniforme du régiment. Ne vous embarrassez de rien, je ruinerai votre rival dans l'esprit de monsieur Dubuisson ; je lui mettrai sur le corps toutes les sottises que vous faites… Présents, bijoux, cadeaux, sérénades ; j'ai pris mes mesures pour toutes choses : voilà de l'argent, laissez-moi faire, les mesures ne manqueront pas, sur ma parole. Songez seulement à découvrir à Lucile… Et moi de mon côté… Comment donc ? C'est encore de l'argent qu'il demande ; je n'ai jamais vu de coquin plus intéressé. Je ne vous entends pas. Justement ? Comment, comment donc ? Eh ! Par quelle raison ? Des scrupules à toi ? Eh bien ! Quinze pistoles : voudrais-tu les rendre ? Mais d'où viennent donc ces scrupules ? Sur ce que pour servir mon maître, tu trompes le tien ? Eh bien donc ? Mais encore ? Eh bien ? Voilà un maître maroufle avec ces fantômes. Oui da, oui da, il y a quelque chose à dire à cela. Le dangereux coquin ! Je vois bien ce qu'il y a à faire : tiens, voilà encore quinze louis d'or pour mettre les choses dans l'équilibre. Comment ? Tu rêves. Serait-ce encore quelque scrupule ? Voilà encore quatre louis, seras-tu content ? Oui ? Tu nous es d'un grand secours, vraiment. Et qui diantre veux-tu qui le lui dise, gros animal ? Va, ne crains rien : elles n'ont garde de parler ni l'une ni l'autre, et Mademoiselle Lucille ne sait encore rien de la passion de mon maître, elle ne le connaît pas pour ce qu'il est. Paix, tais-toi, ne parle point de cela. Il ne faut pas qu'elle sache que mon maître a son portrait ; nous ne l'avons eu que par surprise. Pas trop. Elle passe quelquefois des heures entières sur le grand balcon du côté de la rue ; un peintre de nos amis a trouvé le moyen de tirer le portrait que mon maître porte au bras, et que le hasard t'a fait voir. Souviens-toi de n'en point parler. On te paiera tout à la fin, si nos projets peuvent réussir. J'en suis convaincu. Mais, dis-moi un peu une chose : ne soupe-t-il pas aujourd'hui quelqu'un avec monsieur Dubuisson ? Voilà une petite chère bien délicate. Allons, allons, nous la leur ferons faire meilleure qu'ils ne pensent, et nous en feront honneur à monsieur Caton. Rien. Va-t-en voir ici près à l'Épée-Royale s'il n'y est point encore arrivé trois carrossées d'hommes et de femmes à qui j'ai donné rendez-vous. Tu le sauras : va vite, et viens me rendre réponse. Achevez d'écouter, et suivant ce que vous entendrez, prenez occasion de vous déclarer ou de vous taire. Voici un endroit tout propre à vous cacher, mettez-vous sur ce gazon et faites semblant de dormir : il est assez naturel qu'un garçon jardinier s'endorme sur l'herbe au lieu de travailler. Tout ira bien. Écoutez, parlez à propos, et me laisser faire le reste. Venez donc voir, monsieur, comment vous voulez faire avec ces masques-là ? Il n'y a pas moyen de faire sortir ceux qui sont entrés, ni d'empêcher d'entrer ceux qui sont dehors. Oui, vous avez raison, c'est un tour de son imagination ; et il y a parmi la mascarade une joueuse de gobelets, qui chante, qui danse, qui fait des tours. Elle m'a avoué que tout ceci était de l'invention d'un homme qui voulait faire à mademoiselle votre fille des présents de noces d'une manière galante. Rira bien qui rira le dernier, n'est-ce pas ? Lucile ? C'est pour elle que la fête se fait. Comment ? Aurais-tu trouvé là quelque serpent caché sous ces fleurs ? Tu ne serais pas la première nymphe… Ah ! Point d'humeur, voyons jusqu'au bout. Où est la joueuse de gobelets ? Qu'on apporte une table. La morale est fort bonne : mais elle est ennuyeuse. Allons, amusons-nous plus agréablement, et donnez-nous quelque joli tour de votre métier. Eh ! Attends, attends, ne te presse point, il faut voir la métamorphose des autres boulettes. Comment, diantre, que vois-je ? Le père de mon maître ! Monsieur a su qu'il y avait bal ici, il aime la joie, il vient prendre part à la fête. Allons, allons, de la joie. Ah ! Bourreau, tu as fait là de belles affaires. Comment, comment vos projets ? Entendons-nous un peu, s'il vous plaît. Quoi ! Tout de bon ? Cela est admirable : Point de tricherie, au moins ! Oh bien ! En ce cas-là, démasquez-vous, monsieur le jardinier, tout est découvert. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MARTHON *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marthon Mort de ma vie, mademoiselle, vous n'êtes pas de bonne foi ; vous ne me dites point naturellement ce que vous avez dans l'âme. Ce que vous avez. Du chagrin ! Vous voilà fraîchement sortie du couvent, où je sais bien que vous enragiez d'être ; on va vous marier, et vous avez du chagrin ? Je ne comprends pas… Vous soupirez, vous levez vos yeux au ciel ; oh ! Je comprends à présent : vous êtes amoureuse, mademoiselle. Je n'imagine rien que de juste, et je gage que ce n'est pas du mari qu'on vous destine que vous êtes amoureuse. Vos parents ont fait un choix pour vous sans vous consulter ; vous en avez fait un autre, vous, en votre petit particulier, sans prendre leur avis, et vous n'avez pas grand tort ; leur monsieur Caton est bien le plus vilain mâtin, le plus disgracié mortel, avec son tic et son bégaiement ; je ne connais que votre cousin, monsieur l'avocat, qui soit encore aussi ridicule. Fort bien, je vous entends. Si tous les hommes étaient faits comme eux, votre petit cœur serait moins agité, n'est-ce pas ? Eh bien ! Oui, volontiers ; mon dessein n'est pas de vous nuire. Hé bien ? Je m'en vais parler haut. Vouloir qu'on parle bas, et ne rien avouer, cela me révolte. Vous rougissez, c'est une manière de s'expliquer dont je vous sais gré. La pudeur sied à merveille sur le visage d'une jeune personne, c'est dommage que le mode en passe. Oh ! Ça, ça, remettez-vous ; je sais bien qu'un aveu tendre coûte à faire à une fille qui sort du couvent, mais cela viendra ; le mot d'amour vous effarouche à présent, mais l'usage adoucira le mot et la chose, et vous ne l'aurez pas entendu prononcer cinq ou six fois, que vous en aurez pris l'habitude. Quoi dire ? Eh, mort de ma vie ! C'en est fait, le voilà tout dit. Avouez que vous voilà bien soulagée ; car, après l'aveu de la chose, celui des circonstances est compté pour rien. Il ne faut pas demander si le chevalier que vous aimez a beaucoup de mérite. Je m'en doute bien. S'il est jeune, galant, bien fait. La pauvre enfant ! Il ne faut plus chercher de qui sont les fêtes galantes qui se donnent ici depuis quelques jours ; c'est ce jeune amant, sans doute ? Comment donc, vos affaires ne sont pas plus avancées que cela ? Ses yeux et mon cœur ! Comment, diantre, voilà du style le plus tendre, le plus délicat. S'expliquer ainsi en sortant du couvent ! Ah ! Nature ! Nature ! Comment donc, pendant toute la route ? C'est donc une aventure de carrosse que celle-ci ? La pauvre enfant ! Que je la plains ! Oh ! Pour le coup, je suis bien fâchée de n'avoir pas été du voyage. Mais ne savez-vous point à peu près qui est ce jeune homme ? Les pauvres enfants ! Vous serriez la sienne ?... Cela est bien modeste. Et ne vous a-t-il point dit quelque bagatelle, glissé quelque petit mot ? Et comment, encore ? Qu'elle était heureuse ! Eh bien ? Par bricole ; fort bien. Au bout du compte ? Voilà une passion qui aura de belles suites ! Allez, mademoiselle, le meilleur parti que vous puissiez prendre, c'est d'oublier ce jeune homme là, et de ne pas penser que vous l'ayez vu. Vous ne trouvez rien qui lui ressemble, je gage ? Parlez, parlez, ne craignez rien. Qui, Colin ? Mais, vraiment, il n'est pas mal tourné, ce jeune drôle-là. Vous regarde-t-il de même ? Ce n'est donc pas lui. Le voilà qui dort sur ce gazon, taisons-nous. Il n'y a rien à craindre, ces manants-là dorment d'un trop bon somme. Oh ! Je le crois bien. Mais que vois-je ? Quel bijou pend au bras de monsieur Colin ? Oui, vraiment, un bijou. Comment donc, c'est un portrait, je crois ? Mademoiselle, c'est le vôtre. Ah ! Par ma foi, monsieur Colin est un paysan de la façon de l'amour. C'est lui, mademoiselle, c'est votre joli homme. Colin ne dormait pas, sur ma parole. On vous en offre autant de ce côté-ci. Il n'est point question de faire la fière ; monsieur Colin a tout entendu. Ah ! Mademoiselle, voilà votre père et ce vilain monsieur Caton. Eh ! Qu'est-ce donc que ceci, messieurs ? À qui en avez-vous ? Déjà de la mésintelligence ? On voit bien que vous allez devenir parents. Ah ! Ah ! La plaisante aventure ! Allez, messieurs, point de rancune, vous ne vous contrefaites ni l'un ni l'autre, et ce sont de petites manières de parler, des agréments de la nature que vous posséder en commun. Place, place, voici les folies de monsieur Caton qui s'avancent en musique. Pour moi, ce que j'en estime le plus, ce n'est pas la musique. Voyez la propreté de ces corbeilles, la beauté de ces fleurs : encore faut-il bien que je me fasse un bouquet. Ah, ciel ! Ah ! L'ingénieuse imagination ! Ce ne sont vraiment pas des serpents que ces fleurs cachent. Des étoffes magnifiques, madame, et qui se soutiennent d'or, voyez. Ah ! Monsieur Caton, que vous êtes un royal homme ! Ah ! Monsieur, avant qu'on les emporte, laissez-nous du moins le plaisir de la vue. Apparemment cette autre manne renferme la petite oie ? Donnez, donnez, j'aime la lecture. Voyons un peu. Ah ! Madame, le beau livre ! Que le style en est riche ! Qu'il est brillant ! Ce ne sont que pierreries, des bagues, des boucles d'oreilles, des pendants, un esclavage. Ah ! Monsieur Caton, qu'il est doux de porter vos chaînes ! Oui, mademoiselle : mais je m'en vais toujours les serrer, sauf à rendre. On me dédie aussi des livres à moi ! L'art d'adoucir la Marthon. Je vous demande pardon, mademoiselle, des livres ne se refusent point, j'aime la lecture, et celui-là ne sera point rendu sur ma parole. Ah ! Monsieur Caton, que vous écrivez noblement ! Dédiez-nous souvent de vos ouvrages. Le second tome ne vaut pourtant pas le premier, mais il ne laisse pas d'avoir son mérite, et j'aimerais assez une bibliothèque toute dans ce goût-là. Voyons le troisième. Oh ! Par ma foi, l'auteur se dément, son style baisse, et les premiers tours sont les plus jolis à ma fantaisie : mais il n'importe, tirons-en partie, tout coup vaille. **** *creator_dancourt *book_dancourt_galantjardinier *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_galantjardinier *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LABOHEMIENNE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_labohemienne Chacun fait ici-bas des tours de gobelets. Aux champs, à la cour, à la ville, au palais, À qui mieux mieux chacun s'abuse : Pour se fourber les mortels semblent faits, Il n'en est point que la feinte n'amuse ; La vérité pour eux a moins d'attraits Que l'adresse et la ruse. Pour se fourber les mortels semblent faits ; Aux plus trompeurs l'usage sert d'excuse ; Chacun fait ici-bas des tours de gobelets. Aux champs, à la cour, à la ville, au palais, À qui mieux mieux chacun s'abuse. Très volontiers. Je ne suis ici que pour cela. Prenez bien garde à mes manches, À ma baguette, à ma main ; Disant trois fois prelin pin pin, Ces trois boulettes blanches Se vont changer soudain. Celle-ci, beauté brillante, Qui savez tout charmer, Est un livre qu'on vous présente, Le grand art de se faire aimer. Celle-là, sans que j'y touche Que du petit bout de mon bâton, C'est l'art d'adoucir la Marthon La plus fière et la plus farouche. Voici le plus difficile Et le plus beau de mon art ; Voyez si je suis habile, Et si le tour est gaillard : Q'il ne soit pas inutile, Chacun y peut prendre part.