**** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_VICTOR *date_1820 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_victor Non, ne le croyez pas, je me tiendrais infâme Si ce honteux espoir avait séduit mon âme. Je pourrais mendier les applaudissements ! Ah ! fi ! c'est un scandale. Donnez-les à ma place. Eh ! laissez-moi, de grâce. Je vois avec mépris Ces triomphes d'un jour achetés ou surpris, Des beaux esprits du temps les manoeuvres savantes, Ces bruyants alliés, ces machines vivantes, Dont l'auteur, appuyant son mérite en défaut, Contre tout un public prend un succès d'assaut. Eh quoi ! j'ai dévoré les dégoûts, les outrages, J'ai consumé mes nuits à polir mes ouvrages, Pour que vingt malheureux, par mon or soudoyés, Chatouillent mon orgueil de leurs bravos payés ! Et c'est ce bruit flatteur qu'on nomme une victoire ! Un coeur né généreux poursuit une autre gloire. Je confie au public mes plus chers intérêts ; Mais en les respectantj'attendrai ses arrêts. Malheur à l'esprit vain qui, dans l'ardeur de plaire, Se dérobe aux rigueurs d'un juge qui l'éclaire ! Le parterre abusé n'est dupe qu'un instant. L'auteur s'est pris lui seul dans les pièges qu'il tend : Trompé sur ses écarts, il doit faillir encore, Et, retombant sans cesse aux défauts qu'il ignore, Laisse d'un beau talent l'espérance avorter, En volant des succès qu'il eut pu mériter. Non. C'est un malheur. Non. Eh ! Non ! Mille fois non ! Parlez, qu'importe au mien mon visage ou monnom ? Quand je viens l'attendrir, c'est un sot s'il m'écoute ; Il est vil s'il se vend, lâche s'il me redoute. Un bon ouvrage enfin tue un mauvais journal. Moi j'irais caresser jusqu'en son tribunal Quelque arbitre du goût dont la feuille éphémère Distilleles poisons d'une censure amère ; Au bon sens, au bon droit donne un plat démenti ; Pour juger un auteur consulte son parti ; Aigrit nos passions et dénonce à la France L'écrit qu'il n'a pas lu, mais qu'il flétrit d'avance ! Voilà donc les faux dieux que je dois encenser ! Ah ! Croyez-moi, leurs traits ne peuvent m'offenser. Qu'ils soient mes ennemis, que leur courroux m'accable, Qu'ils me déchirent, soit : leur haine est honorable. Il est, n'en doutez pas, il est d'autres censeurs, Du talent méconnu courageux défenseurs, Qui lui prêtent leur voix avant qu'il la réclame, Qui ne trafiquent point de l'éloge ou du blâme, Et, gardant pour le vice une juste fureur, Des travers de l'esprit se moquent sans aigreur. Je rends trop de justice à ces rares mérites Pour les importuner de mes lâches visites. Si je cueille un laurier par la gloire avoué, Je ne connaîtrai point celui qui m'a loué. Au moins je pourrai dire : il écrit ce qu'il pense. Est-il quelques chagrins que ce mot ne compense, Qu'il ne fasse oublier, qu'il ne change en plaisirs ? Tel est le but constant qu'embrassent mes desirs : Inestimable bien, honneur digne d'envie, Que je paierai trop peu du repos de ma vie. Moi ? Rien. Mon Dieu ! Je le révère. Pourquoi prend-il plaisir à me désespérer ? Il veut m'avilir. Me déshonorer. Jusqu'à l'intrigue il veut que je descende, De ma carte aux journaux que je porte l'offrande. C'est peu : sur votre sort sa prudence inquiète Mêle à mon espérance une terreur secrète. Si notre hymen pour vous n'était pas fortuné, De cet astre ennemi sous lequel je suis né Si vous sentiez un jour la fatale influence !... Que puis-je vous offrir ? à peine de l'aisance. Votre amant envers vous ne saurait s'acquitter. Vous rendra-t-il jamais ce qu'il vous fait quitter ? Vous verrai-je, à vingt ans, renoncer sans tristesse À ces brillants plaisirs qui vous cherchent sans cesse, À l'encens d'une cour, aux voeux de tant d'amants, À ce bruit si flatteur des applaudissements ? Mon aimable Lucile !... Non, il n'est point d'ennui, de chagrin si farouche, Que ne puisse adoucir un mot de votre bouche. Mais ne nous flattons pas d'un trop charmant espoir. Qui sait, grand Dieu ! Quel sort m'attend ce soir ? Sous l'effort des sifflets si ma pièce succombe, C'en est fait, je vous perds ; je suis mort si je tombe. Fût-il cent fois mauvais, dit par vous il plaira. Quel moment pour tous deux ! Encor si nul obstacle N'ajourne mon supplice en changeant le spectacle !... Ciel ! Je crois voir l'affiche, en proie aux curieux, D'une bande traîtresse épouvanter leurs yeux. Je ne sais quel démon à ma perte conspire : Quelque soit mon projet, quelque but où j'aspire, Mes voeux par le destin semblent contrariés. Si je vous haïssais, nous serions mariés. Qu'on vante les vertus du beau siècle où nous sommes ! J'ai cherché vainement un appui chez les hommes. Orphelin, sans secours et partout repoussé, Je suivais malgré moi mon penchant insensé ; Nul ne m'a soutenu d'un regard d'indulgence. Abandonné par eux à ma fière indigence, Seul, j'ai conçu ma pièce avec rage et douleur ; C'était un sujet gai pour comble de malheur. Mais puis-je comparer ces chagrins domestiques À ceux que me gardaient vos sénateurs comiques ? Traitent-ils d'assez haut l'auteur qui les nourrit ? Font-ils languir assez un pauvre manuscrit ? Quels dédains protecteurs ! Quelle étrange indolence ! Ils ont pendant six ans lassé ma patience. Quand par grâce, à la fin, je suis représenté, Un jour peut me ravir ce qui m'a tant coûté ; Et j'attendrai dix ans, dix ans avec ma honte, L'honneur de me laver d'une chute si prompte. Ah ! Pardonnez. Quand répétera-t-on ? Qu'ai-je dit ? Allons,je cours parler à ce juge inflexible. Dans peu je vous revois. J'ai perdu patience : Pardonnez,le temps presse. Alors, veuillez me suivre. Ah ! Madame, arrêtez ! Je suis abandonné, trahi par tout le monde ; Qu'au moins dans ce débat votre voix me seconde. Prenez mes intérêts, j'ose vous en prier. Ô Dieu ! Aurais-je dû m'attendre à ce retour soudain ! Madame, par pitié... La pièce est affichée. Monsieur... Ciel ! Est-il dans le monde un sort plus misérable ? Tout arrogants qu'ils sont, ils parleraient plus bas, Si certain inspecteur, dont on craint la présence, Voulait prendre en pitié ma juste impatience. Quoi ! Je le comprends ! Comptez sur ma reconnaissance. Laquelle ? Ce n'est pas mon avis ; mais parlez. Enfin. Et, si je les retranche, on jouera mon ouvrage ? En refusant, peut-être je suivrai Un sentiment d'honneur qu'on trouve exagéré. L'excès peut tout gâter, tout, même la sagesse : J'en conviens le premier ; mais c'est une faiblesse, C'est une lâcheté dont je me punirais, D'immoler ma pensée aux plus chers intérêts. Courage ! En écrivant mettez-vous à la gêne ; Pour ne blesser personne où donc placer la scène ? Parlez, comment tromper ces gens à l'oeil si fin, Plus méchants mille fois que l'auteur n'est malin, Ces amis obligeants prompts à donner l'alerte ? Il faudrait la placer dans une île déserte. Un faiseur de romans, dont la verve est glacée, Peut par de vains détours énerver sa pensée, Et, perdu dans le vague avec nos grands esprits, Des brouillards d'Albion obscurcir ses écrits ; Du théâtre français les muses plus sincères, De ce vague innocent ne s'accommodent guère. Puis-je vous arracher ou le rire ou les pleurs, Quand d'un tableau hardi j'efface les couleurs, Quand ma main, trop timide à peindre la nature, Masque la vérité des traits de l'imposture ? Le théâtre avant tout veut de la vérité. Au sommet de son art si Molière est monté, C'est qu'il fut toujours vrai, toujours peintre fidèle : Plus d'un portrait chez lui fit pâlir le modèle. Les hommes d'aujourd'hui valent bien leurs aïeux ; Mais je puis les railler s'ils ne valent pas mieux. Le ridicule manque ! Ah ! Qu'il naisse un Molière : Notre âge à son génie offre une ample matière. Tout change ; reproduits sous mille aspects divers, Nos travers chaque jour enfantent des travers. Vous voulez enchaîner le démon qui m'inspire ; Soit : mais de la raison rétablissez l'empire, Réformez les abus, ne peuplez nos salons Que de sages sans morgue et non pas de Catons ; Corrigez, s'il se peut, ce noble atrabilaire, Pour qui l'honneur n'est rien s'il n'est héréditaire ; D'un pouvoir qu'ils servaient ces détracteurs outrés, Encor meurtris des fers dont ils se sont parés ; Ramenez au bon sens la mère de famille Qui gouverne l'État et néglige sa fille. Estimons l'étranger sans rire à nos dépens ; Aimons les nouveautés en novateurs prudents. Que le littérateur se tienne dans sa sphère ; Qu'il vise à l'institut et non au ministère. Confondez les partis et qu'il n'en reste qu'un, Non le vôtre ou le mien, celui du bien commun. Alors fronder nos moeurs n'est plus qu'un vain délire. À chanter nos vertus je consacre ma lyre ; Heureux si je fais dire à la postérité Qu'en vantant mon pays je ne l'ai point flatté ! Ah ! Si dans son cercueil Gilbert peut nous entendre, Quelle ardeur de rimer doit tourmenter sa cendre ! Un instinct généreux, que je ne puis dompter, Dans ces temps corrompus me pousse à l'imiter. J'affronte son destin, je l'accepte en partage : Vertu, gloire, malheur, C'est un noble héritage. Vous aussi ! Vous ! Et dans quel moment ! Eh ! Ne deviez-vous pas contre eux vous révolter, Faire parler mes droits ? Quand on est bon pour tous, on ne l'est pour personne. Votre bonté ne veut, ne fait, n'empêche rien. Mon Dieu ! Soyez méchant, et faites-moi du bien. Adieu, mademoiselle. Elle fuit ; c'en est fait, allons, j'ai tout perdu. Toujours, Monsieur. Vous avez sur ma tête épuisé tous vos traits, Ô destins ennemis ! Et me voilà tranquille ; Je n'ai plus rien à perdre. Ah ! Lucile ! Lucile ! Que d'affronts en un jour, et comme ils m'ont traité ! Ils rejettent ma pièce avec indignité. Eh bien ! J'en suis content. Elle eut fait leur fortune ; Que, pour la demander, leur sénat m'importune ; Je veux leur dire à tous : Vous êtes des ingrats. Je refuse à mon tour, vous ne la jouerez pas. Muses, que j'honorai d'un culte si funeste, Ce coeur trompé par vous désormais vous déteste. Et toi, théâtre, adieu ; que maudit soit le jour Où je te confiai ma gloire et mon amour ! Adieu, je t'abandonne aux discordes fatales, Aux serpents de l'envie, au démon des cabales. Loin d'eux et loin de toi je cours chercher la paix, Et quitte ce foyer pour n'y rentrer jamais. Pourquoi m'avoir écrit ? dites, que me veut-on ? Il est ce qu'il doit être. J'ai pris ces lieux en haine et rougis d'y paraître. À ne pas le souffrir je suis déterminé. Encor des pourparlers, des débats, des visites ! Je me lasse à la fin. Non, j'essuierais de vous quelque nouveau rebut, Quelque affront. J'ai pris mon parti, c'en est fait, j'y renonce. C'est en vain. Voyons, saurai-je enfin ce que vous voulez dire ? Voilà qui me surprend. Devant lui vous voulez que je m'abaisse encore ? Et vous avez raison. Oh ! Non. Et comment voulez-vous d'ailleurs qu'on le décide ? Bien débuter. Après ? Son jeu ! Quand il répète il me met au martyre. Son goût ! Mes plus beaux vers sont ceux qu'il veut proscrire. Le bourreau ! Morbleu ! J'entre en fureur ! Dieu ! Quelle est ma faiblesse ! À caresser un fat forçons-nous un moment : Ma gloire et mon amour, tout mon sort en dépend. Est-ce trop présumer de votre complaisance Que d'implorer de vous un moment d'audience ? On m'a donné l'espoir Qu'oubliant des débats que moi-même j'oublie. Observez cependant Que les bureaux, Monsieur, s'ouvrent dans un instant. Non, le public attend. Si. Si je sacrifiais ce qui vous a déplu... Pourquoi ? Je n'en demande qu'une. Mais encore. Ce n'est pas vous, Monsieur, mais votre personnage. Y songez-vous, ô ciel ! Valût-il cent fois mieux que deviendra l'ensemble ? Eh ! C'est la mienne à moi. À quel titre, après tout, par quelle étrange loi, Usurpant sur mon sort un pouvoir despotique, M'osez-vous en tyran dicter votre critique ? Quand je vous lus ma pièce, elle obtint votre voix ; Il fallait exercer la rigueur de vos droits. Ai-je demandé grâce ? Un éloge unanime Sur vos scrutins flatteurs consigna votre estime. Les démentirez-vous ? Et votre jugement Balancera-t-il seul le commun sentiment ? Ce qui vous parut bon vous semble pitoyable ; Votre humeur peut changer ; mais l'art reste immuable ; Mais des torts de l'auteur l'ouvrage est innocent. Vous redoutez pour vous le revers qui m'attend ? Ne peut-on siffler l'un sans déshonorer l'autre ? C'est mon ouvrage enfin qu'on donne, et non le vôtre. Et savez-vous, monsieur, par quels soins, quels ennuis, Quel sacrifice entier de mes jours, de mes nuits, Par quels travaux sans fin, qu'ici je vous abrège, J'ai payé d'être auteur le fâcheux privilège ? Ce rôle que proscrit votre légèreté, Je l'ai conçu longtemps, et longtemps médité. Des vers, dont votre goût s'irrite et s'effarouche, Ne sont pas sans dessein placés dans votre bouche. Mais non, de juger tout le droit vous est acquis, Et c'est à tout blâmer que brille un goût exquis. Jugez donc, sans appel prononcez au théâtre, Et recueillez l'encens d'une foule idolâtre. Quand poussés par l'humeur, ou par votre intérêt, Vous portez au hasard votre infaillible arrêt, Notre partage à nous, misérables esclaves, Est de bénir vos lois, d'adorer nos entraves, Et de prendre pour nous en toute humilité Les affronts d'un sifflet par vous seul mérité. Vos bontés ! Secourez ma mémoire en défaut : Où sont donc ces bontés que vous prônez si haut ? Écouter les auteurs qui vous en semblent dignes, Quel généreux effet de vos bontés insignes ! Un rôle qui vous plaît est par vous accepté ; Il doit vous faire honneur, n'importe, c'est bonté. Dans l'espoir qu'un succès doublera vos richesses, Vous poussez la bonté jusqu'à jouer nos pièces ; J'eus tort de l'oublier, et vous avez raison : Je suis ingrat, Monsieur, comme vous êtes bon. Qui l'empêchera ? Vous ! Restez, il faut m'entendre. À chercher vos mépris m'aurait-on vu descendre, Sans cet espoir secret qu'enfin la vérité Devait en me vengeant consoler ma fierté ? Certes, c'est une audace étrange et merveilleuse, Quelle ait pu violer votre oreille orgueilleuse ; Mais quoi que vous fassiez, vous ne la fuirez pas : Pour vous en accabler je m'attache à vos pas. De l'art où vous brillez quand vous plaidez la cause, Vous nous exagérez les devoirs qu'il impose : Mais les remplissez-vous ? Que sont-ils devenus ? À quoi les bornez-vous, ces devoirs méconnus ? À promener vos fronts de couronne en couronne, Du midi dans le nord, du Rhin à la Garonne ; À guider sur le cours un char bien suspendu, Signer chez le caissier quand son compte est rendu ; À bâtir des châteaux, à planter des parterres, À courir mille arpents sans sortir de vos terres, Et vivant en seigneurs, de la cour éloignés, À remplir de vous seuls un bourg où vous régnez ! Vous m'entendrez. Oui, par votre indolence Le théâtre avili marche à sa décadence. Que de vieux manuscrits, qui sont encor nouveaux, Dans vos cartons poudreux ont trouvé leurs tombeaux ! Que d'enfants inconnus du vivant de leurs pères, En paraissant au jour sont nés sexagénaires, Et mutilés par vous quand vous nous les offrez, Réduits à votre taille, énervés, torturés, Ne rendent à l'oubli, qui soudain les réclame, Que des corps en lambeaux, sans vigueur et sans âme ! Contre tant de dégoûts que peuvent les auteurs ? Désespérés enfin d'un siècle de lenteurs, Ils ravalent leur muse aux jeux du vaudeville, Aux tréteaux de la farce où votre orgueil l'exile. Ainsi périt en eux, dès leurs premiers essais, Le germe des beaux vers et des nobles succès. Tout périt ; vous frappez notre littérature Dans sa gloire passée et sa splendeur future. Je le sais, ma franchise est un crime à vos yeux, Je vois que je me perds, mais j'aime cent fois mieux Tenir du travail seul une obscure existence, En creusant un sillon vieillir dans l'indigence, Sans espoir de repos, de fortune et d'honneur, Que mendier de vous ma gloire et mon bonheur. Adieu. Monsieur ! En ma faveur vous feriez ce prodige ? Quoi, sans conditions ? J'obéis. Ah ! Monsieur l'inspecteur, j'étais perdu sans vous. Ah ! Ce trait généreux. Oui, frappez. Dans ce dernier moment Je veux... J'ai mille avis à vous donner encore. Comment vous enflammer du feu qui me dévore ? Que votre noble ardeur ne se démente pas ; Madame, de l'aplomb, surtout point d'embarras. Lucile, au nom du ciel, faites tête à l'orage. Entrez bien dans l'esprit de votre personnage, Belrose, du mordant, du nerf, de la chaleur. Et votre grand couplet, le savez-vous par coeur ? C'est sur votre récit que mon espoir se fonde : Que votre verve entraîne, enlève tout le monde ! Sauvez le dénouement. Dieu ! J'entends le signal. Je ne vous retiens plus... Voici l'instant fatal. Quel silence ! Écoutons... Je crois qu'on entre en scène... Je suis devant mon juge ; ah ! Ce n'est pas sans peine ! Puisse le dernier acte emporter les suffrages ! Vous passez mon espoir ; par quels soins, quels hommages, Vous payer d'un succès que je ne dois qu'à vous ? Non, jamais votre voix n'eut un accent plus doux, Jamais la passion ne fut plus naturelle. Belrose était troublé : Il perdait la mémoire. Que n'êtes-vous mon juge ! Est-il vrai ? Quoi ! Demain, Ce soir, dans un moment, j'obtiendrais votre main ! Je devrais tout l'éclat, le bonheur de ma vie, Ma première couronne, à ma meilleure amie ! Quel charmant avenir embellira des noeuds Formés par deux amants sous cet auspice heureux ! Mais, Lucile, où m'emporte une joie insensée ! Ma sentence peut-être est déjà prononcée. Je crois que vous tremblez aussi. Allons, point de faiblesse, et d'une âme assurée Défions. Je suis perdu, trahi ; c'est une indignité ! Le public... Que le ciel vous confonde ! Quoi ? Soyez sincère. Hélas ! Je le vois bien, vous ne l'espérez guère. Qu'est-il donc arrivé ? C'est trop me le cacher. Un bruit de funeste présage Aurait-il ? Ah ! Toujours mais. Voyons, parlez avec franchise ; Dites la vérité... Et le vôtre en est un. Chrysale, Ariste, Orgon, Pour être des bourgeois, sont-ils d'un bas comique ? Il semble, en écoutant cette absurde critique, Qu'on déroge au théâtre, et qu'on n'a pas bon air De rire d'un bon mot, s'il n'est d'un Duc et Pair. Intérêt, vérité, naturel sans bassesse, Voilà pour le public les titres de noblesse. Non pas ! Mon dénouement, ô ciel ! En quoi vous déplaît-il ? De grâce, Est-il trop lent, trop froid, ou bizarre, ou brusqué ? Eh ! parlez donc ! La raison ? Je n'y tiens plus ! Bonsoir. Un éloge est charmant ; Il enivre un auteur qui l'obtient justement ; Son talent s'en accroît, tout lui semble possible. La critique d'un sot est encor plus sensible ! Eh quoi ! Mon dénouement, qu'on a trouvé si bon... Il a tort... très grand tort... Dieu ! s'il avait raison... ! J'ai plaint cent fois Damis dans la Métromanie ; Mais, au fond d'un château quand son mauvais Génie L'abandonne à l'horreur d'un noir pressentiment, Il est seul, nul fâcheux n'irrite son tourment ; Il n'a dans ses terreurs d'ennemi que lui-même. Si son malheur est grand, ma misère est extrême, Horrible, insupportable : accablé d'embarras, Pressant l'un, soufflant l'autre, arrêté par le bras, Pour qu'un indifférent me flatte ou me censure, Je vois tous les regards poursuivre ma figure. Comment cacher mon trouble ? Où fuir les curieux ? Eh bien ! Regardez-moi, traîtres, de tous vos yeux... Un pauvre auteur qui tombe est-il une merveille ? Qu'entends-je ! Un bruit sinistre a frappé mon oreille... Non... Ma tête se perd... Ô toi que ton destin Pousse pour ton malheur dans ce fatal chemin, Qui crois le voir semé de lauriers et de roses, Viens, contemple mon sort, et poursuis si tu l'oses. Encore un importun. Pardon, mais... Eh ! Chacun son affaire. Qui vous dit le contraire ? Morbleu ! Est-on plus malheureux ? C'est être assassiné d'une horrible façon ! Voulez-vous me laisser, fâcheux impitoyable ? Estelle. Eh ! Oui, que serait-elle donc ? La scène a donc fait rire ? Pas du tout ! Vous troubleriez son jeu. Eh bien ? Ah ! Pour le coup... ! Mais cet auteur, c'est moi. Moi, qui n'entends rien à vos mésaventures, Et veux avoir raison, Monsieur, de vos injures. Elle tombe en faiblesse ! Ciel ! Et mon dénouement ! À quoi tient un succès ? De grâce, après la pièce... Elle est capable au moins d'en perdre la mémoire. Tout conspire à me désespérer. À merveille ! Bien ! Bien ! Et dans votre récit. Où voulez-vous aller ? Juste ciel ! Arrêtez. Demain, si bon vous semble... Calmez votre courroux. Vous n'irez pas. Ma pièce... Craignez mon désespoir. Je ne me connais plus... Par Saint-George, Si vous faites un pas. Mon coeur suffit à peine au transport de ma joie. Mais... Non, Monsieur, mon bonheur ne doit nuire à personne. Et Bernard ? Tant de bonheur m'oppresse. Monsieur ! Eh ! De grâce, un moment. **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_FLORIDORE *date_1820 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_floridore Deux vestes à fleurs d'or et deux habits complets. Vous m'entendez, allez. Voici vos dix billets : Mais faites, s'il vous plaît, mon affaire en personne. Toi, prépare, Laurent, les vers et la couronne Que le public charmé doit jeter de ta main À l'acteur de Paris qui paraîtra demain. Sortez. Tout Bordeaux veut m'avoir à dîner ; Je n'ai point dans un mois un seul jour à donner. Mais demain je suis libre. On ne peut pas douter qu'elle ne soit fort belle. Voici le manuscrit ? D'avance je le crois. Je vous les donnerai. Je ne puis vous accorder ce point : Je donne mes avis et ne les écris point. À propos, je n'accuse personne ; Mais depuis un bon mois qu'elle a quitté Bayonne, Estelle m'a prié d'assembler le conseil. Nous manquons trois sur cinq ; qu'un scandale pareil N'ait pas lieu dans une heure ; adieu. J'ai l'honneur d'être. La séance est ouverte. Votre intérêt commun n'emprunte pas ma voix Pour tracer le tableau d'une caisse aux abois, Ou, se rangeant aux voeux d'un public débonnaire, Presser de nos travaux la lenteur ordinaire. Il est bon dans les arts d'avancer pas à pas ; Le public est plaisant de ne le sentir pas ! Il s'agit aujourd'hui d'un dîner, d'une fête, Où veut nous réunir un monsieur fort honnête, Un ami de Belrose, opulent, quoique auteur ; Le fait ne s'est pas vu de mémoire d'acteur. Je n'ose régler seul ce qu'il convient de faire, Et soumets au conseil cette importante affaire. Que veut-on ? Un moment, qu'il attende : Nous sommes occupés d'objets très sérieux. Il suffit, et Blinval En fera son rapport au conseil général. Que répondre à Florbel, messieurs, sur sa lecture ? De notre négligence on prétend qu'il murmure. Vous étiez si pressés de partit l'autre fois Qu'on n'a pas eu le temps de recueillir les voix. Lisez. Savez-vous qu'à son âge il juge encor très bien ! C'est nous persécuter d'une étrange manière. Qu'il nous laisse, on ne peut terminer une affaire. Messieurs, respect aux droits : Qu'on sache écrire ou non, l'on a toujours sa voix. Aussi répondrons-nous qu'il est fort bien écrit... Des détails très heureux... infiniment d'esprit... De l'observation... des moeurs... Eh ! Mon Dieu ! Patience. Mais. De ces restrictions qui n'offensent jamais. Un dénouEment brusqué... quelques réminiscences... L'entente de la scène... et puis les circonstances... C'est un jeune homme, enfin, qu'il faut encourager. Entrez. Vous voyez en personne L'auteur de certains vers dont la beauté m'étonne. J'ai lu votre acte, et j'en suis enchanté. J'aime votre Valère... Ah ! c'est vraiment très bien ! De très bons... je pourrais les citer de travers : J'ai lu rapidement. Mon Dieu ! Nous n'attendions que votre pièce et vous. Partons. Épargnez-vous des frais de rhétorique ; Cheveux gris dans les vers me semble prosaïque ; Cheveux gris déplairait à tous les bons esprits ; Et je ne dirai pas, Monsieur, mes cheveux gris. Vous permettez ? Veuillez donc vous asseoir, Je suis à vous. J'écoute. De quoi donc s'agit-il ? De votre comédie ? Je ne la jouerai pas. Comment donc, sur l'affiche on n'a pas mis de bande ? Que le public attende. Je ne la jouerai pas. J'y suis résolu. Mon rôle, j'en suis sûr, ne fera pas fortune. Pour cent raisons. Si j'en veux jusqu'au bout détailler les défauts, Je ne finirai pas. Il est faux. Je prête au ridicule enfin dans votre ouvrage. Tenez, d'un bout à l'autre il le faudra changer. C'est à vous d'y songer. En tout cas, il ne peut qu'y gagner, ce me semble. Ce n'est pas mon affaire. C'est éloquent : d'honneur, le dépit vous inspire : Ce ton pourrait blesser, s'il ne faisait pas rire. Vous vous plaignez de nous ; d'où vient ? Le comité Reçoit votre grand oeuvre à l'unanimité ; Après six ans au plus, par faveur singulière, Le comité consent à le mettre en lumière. On répète vos vers, et pendant cinq grands mois On fatigue pour vous sa mémoire et sa voix. Un passage déplaît, je demande, j'exige, Dans son intérêt seul, que monsieur le corrige ; Monsieur prend feu soudain, c'est un bruit, des éclats. On juge toujours mal quand on n'approuve pas, Je le sais ; mais pourtant c'est fort mal reconnaître Les bontés que pour vous on a laissé paraître. Tout beau, monsieur l'auteur ! Comment ! Du persiflage ! Nous saurons vous forcer à changer de langage ; Nous verrons qui de nous doit faire ici la loi. On ne vous jouera pas. Moi. Moi-même, et je cours... Monsieur. Moi ! Jamais. Qu'entends-je ? Se peut-il mais il est en délire. Monsieur serait... Monsieur l'éprouve assez par nos égards pour lui ; Près de nous le mérite est le meilleur appui. Avant d'être connu vous aviez mon suffrage ; L'auteur n'est rien pour moi, je ne vois que l'ouvrage. Que le vôtre m'a plu ! À peine je l'avais qu'aussitôt je l'ai lu. De lire tout ainsi j'ai la bonne habitude. Avec moi l'on n'attend pas son tour ; Lu, présenté, reçu, le tout dans un seul jour ; Et l'on vient m'accuser ! Vous pouvez, d'après moi, juger la compagnie. Même goût, même tact, même sincérité, Dans ses décisions même esprit d'équité ; En vain votre croyance un moment fut séduite ; À d'insolents discours j'oppose ma conduite ; Et si quelque imposteur nous noircit près de vous, À votre manuscrit nous en appelons tous. Oh ciel ! Est-il possible ? Je suis sûr d'avoir lu. Monsieur... Daignez. Mais que vous ai-je fait ? Y songez-vous ? Ô ciel ! Vous me perdez, Monsieur. Voyons, que puis-je faire ? Comment vous désarmer ? Moi, je consentirais... ! Si je ne puis, Monsieur, vous prouver mon estime Qu'en vous sacrifiant un courroux légitime, Je reprendrai mon rôle. Dans quelques jours. Vous voulez m'immoler, Sans pitié, sans égards. Ce nom si redouté m'inspire peu d'effroi, Monsieur ; par la menace on n'obtient rien de moi. Je jouerai, mais pour vous dont l'estime m'est chère, Pour un public nombreux qu'avant tout je révère ; Enfin pour ce Victor, qui n'est pas sans talent. Une tête de feu !... Mais un coeur excellent. Je l'ai toujours aimé ; je le vois qui s'avance : Adieu, pour le succès j'ai beaucoup d'espérance. Il nous reste à vous féliciter ; Présentez une pièce, on va la répéter. Le tour de faveur, c'est à vous qu'on le donne. Monsieur est inspecteur ? Que n'ai-je su plus tôt ! **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_BELROSE *date_1820 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_belrose Lebrun, pour un artiste, est un nom trop commun ; Je m'appelle Belrose. Dis ma vocation. En nous parlant, vois-tu, le mot propre est artiste. Tu te feras chasser avec ignominie ; La troupe ! Eh ! D'où viens-tu ? Dis donc la compagnie. Quel est ce mot terrible ? C'est vrai : Paris vers nous détache un inspecteur Qui doit porter dans l'ombre un oeil observateur, Et, pour venger les droits de l'art en décadence, Foudroyer nos talents dans sa correspondance. Serais-tu par hasard ? Je le revois, Cet excellent ami ! Va, je pensais à toi : En lisant ton billet j'ai pleuré de tendresse. J'approuve ton adresse. Je puis te découvrir d'effroyables abus, Si tu veux à Paris protéger mes dégâts. Ah ! Qu'à cela ne tienne. Tous les emplois sont nuls, hors celui des valets. J'ose dire avec quelque succès. Nos affaires vont mal, parmi nous, comme à Rome ; Alors pour dictateur on choisit un grand homme, Et Floridore élu, dans ce besoin urgent, Est chef d'un comité qu'on nomme dirigeant. De ce conseil des Cinq ton serviteur est membre, Et gouverne l'État d'avril jusqu'en septembre. Floridore a du sens, des lumières, du goût : Il a tout, il sait tout, il se vante de tout. Fièrement retranché dans sa froide importance, Il vous parle toujours à dix pieds de distance, Arrange son maintien, calcule un geste, un mot : Voilà son beau côté ; du reste, c'est un sot. Oh ! Pour madame Estelle. La chose est naturelle ; Elle obtint par faveur un congé de deux mois, Qu'un arrêt du conseil prorogea jusqu'à trois. Elle rentre ce soir : soubrette du théâtre, Elle aspire aux bravos du parterre idolâtre. C'est peu : vive en intrigue et coquette à l'excès, Elle aime tous les arts, poursuit tous les succès , Protège les auteurs, arrange les querelles, Rend visite aux journaux pour les pièces nouvelles. Dans ses brusques écarts désolant vingt rivaux, Elle cherche un époux et par monts et par vaux. Son automne s'approche, et Lisette a la rage De couvrir d'un contrat les péchés du bel âge. Plus d'un hymen fut par elle ébauché ; Mais pour un oeil de femme est-il rien de caché ? Une dame Blinval, notre grande coquette, Déjoue incessamment les projets de Lisette, Et donne aux trahisons un tour original Qu'on n'a pas pu prévoir dans le code pénal. Son esprit inventif par instinct se fatigue À rêver aux moyens d'éventer une intrigue. Elle épousa Blinval à dix-sept ans au plus. Il était jeune alors ; ô regrets superflus ! Ce jeune et beau Rodrigue est aujourd'hui don Diègue : Aux honneurs du soufflet son âge le relègue. Ces tranquilles époux, d'un commun sentiment, En se voyant toujours, vivent séparément. Ils ne se parlent plus depuis leur mariage ; Aussi dit-on partout qu'ils font très bon ménage. Moi, qui suis le meilleur, On me trouve brouillon et quelque peu railleur. C'est un homme fort doux ; Il est du chef d'emploi la troupe auxiliaire, Dans Racine Eurybate, Ergaste dans Molière. De la location il porte le fardeau Et frappe les trois coups au lever du rideau. Oh ! oh ! c'est un sujet rare, excellent, parfait. Prodige inouï dont je suis stupéfait. Lucile a de l'esprit, un talent qu'on admire, De la beauté, vingt ans, et pas de cachemire. C'est à confondre ! Notre Agnès a l'honneur de vous intéresser ? Tant pis. Tu me fais peine. C'est très fâcheux. La chose est certaine. Elle aime un auteur. C'est, dit-on, de l'aveu de son tuteur Bernard. C'est Blinval. La chronique publie Qu'il a fait à Paris un début malheureux. C'est un esprit haineux. Mannequin politique, Prôneur très roturier de la noblesse antique : Les nobles, sous Pépin, lui sont assez connus ; À dater du roi Jean, rien que des parvenus. Quand on reprit Mérope, il sentit quelque honte De prêter son visage au soldat Polyphonte, Et tremblait d'avoir dit d'un air séditieux : « Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux. » Salut au roi des rois : comment vous portez-vous ? Moi, c'est amitié pure ; Je voudrais m'assurer de sa mésaventure. Il a l'air sombre, on l'aura bafoué. Paris est-il content ? Avons-nous bien joué ? Quoi ! De l'opinion vous seriez la victime ? Ce bon Blinval ! ah !j'en suis désolé. Et qu'a fait le public ? Opinion, parbleu ! Revenez sur la terre. Du conseil doyen et secrétaire, Pour vos yeux exercés il n'est point de mystère. Donnez-nous sur Lucile une explication. Elle aime ce Victor ? Le coeur de nos déesses N'est pas inaccessible aux humaines faiblesses. C'est une comédie en cinq actes. L'intrigue est assez forte et la pièce a du fonds ; Mais c'est bien gai. Tant pis ! Mon cher, au goût du jour nous devons nous soumettre Et le siècle en riant croirait se compromettre, Tu vas citer Regnard et ton ami Molière ; De nos jours la morale est beaucoup plus sévère. Oh ! Quand la politique en discutant l'inspire, Un homme en dit toujours plus qu'il n'en voulait dire. Oui. Réfléchissons un peu sur ce point important. Ce titre éveillera plus d'une jalousie ; Va, crois-moi, sois auteur. Fantaisie ! Toi, débutant, chacun te suit d'un oeil d'effroi ; Auteur, aucun de nous ne prendra garde à toi. Le manuscrit te manque. Ah ! prends. Prends, te dis-je. Allons, prends, je l'exige. Il te faut un ruban... celui de Figaro, Tiens... la rosette... bon. Eh ! Sois sans crainte aucune ; J'en reçois vingt par mois et je n'en lis pas une. Attention ! J'entends notre jeune premier ; Son asthme le trahit du bas de l'escalier. Non, pardieu, je te jure ; Mais c'est un amoureux de jeunesse un peu mûre. Souffrez, mon cher, qu'ici je vous présente Un de mes bons amis que la gloire tourmente, Un homme de talent qui fait des vers moraux. Docteur en droit romain et maître ès-jeux floraux, Il a dans un écrit commenté les trois codes, ⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎ Journal des modes Et lance des extraits dans le Journal des Modes. Génie universel ! Il m'a dit, ce matin, Qu'il veut nous réunir dans un pompeux festin. Il n'ose l'avouer, mais d'avance il s'honore De posséder chez lui le brillant Floridore. Ô faveur sans seconde ! Hem !... Comme je te sers ! C'est conclu pour demain. Il invite en auteur et sa pièce à la main. Quelle verve ! Et comme c'est écrit ! Vous y verrez un jeune homme, un Valère, Vingt-cinq ou vingt-six ans ; ce rôle doit vous plaire. Donnez-nous vos avis. À la lettre ils seront tous suivis. La feuille est assez large : Faites-nous le plaisir de les écrire en marge. Et pour cause. Suis-je si criminel de rire à ses dépens ? Allons, je me repens. Il ne te lira pas, mon Dieu ! Sois donc tranquille. J'ai fait très prudemment par deux bonnes raisons : Tu nous observes tous et nous nous amusons. Le champagne éclaircit de terribles mystères ; J'invite de ta part tous nos sociétaires. Nous serons les deux amphitryons : Tu feras les frais, moi les invitations. c Sois dans une heure ici. Comme un auteur que j'aime, Je veux au comité te présenter moi-même. L'auteur chez qui l'on dîne est sûr d'un beau succès ; Qui dîne avec son juge a gagné son procès : Tout s'arrange en dînant dans le siècle où nous sommes, Et c'est par les dîners qu'on gouverne les hommes. J'étais sûr de vous trouver ensemble. Ici, dans un instant, le comité s'assemble. Vos affaires vont mal. La pièce est aux arrêts chez le censeur royal. J'ai, ma foi, très bien fait de les congédier. Une lettre perdue au pied d'une coulisse ! Ce doit être du beau... Si de quelque malice... Ah ! Madame Blinval !... Son démon familier, Pour désoler quelqu'un, semble me l'envoyer. Accourez, du scandale ! Une épître amoureuse. L'adresse manque ; oh ! Ma main scrupuleuse Ne se permettrait pas de briser un cachet... « Je me soumets, belle veuve ; je m'imposerai huit jours d'une retraite austère. Huit jours passés sans vous voir seront pour moi un siècle de souffrance ; mais, après ce délai, nul obstacle ne doit retarder notre mariage et mon bonheur. Permettez qu'un cachemire rouge et un brillant que j'ai rapportés des Grandes-Indes accompagnent ma lettre. Aux termes où nous en sommes, vous ne pouvez refuser ces bagatelles, qui sont les premiers présents de noce de votre tendre amant et futur époux. « LORD PEMBROCK. » Découvrez-vous celle de nos sultanes Où peuvent s'adresser ces douceurs anglicanes ? Vraiment ? Mais. Voilà bien le souhait d'une honnête personne ! Oh ! Que vous êtes bonne ! Bravo ! Que la vengeance est douce aux belles âmes ! C'est le plaisir des dieux et le bonheur des femmes. Sommes-nous bien certains qu'Estelle soit l'objet... ? Tiens ! Blinval ! C'est charmant ! Bien vu. Retranchons-nous dans notre dignité, Et couvrons nos projets d'un air de comité. Et le brillant. Sans livrer le projet à la discussion, Je crois qu'il doit passer par acclamation. Pour un sourd. Pour la réception j'ai donné mon scrutin. Ce scrutin compte-t-il ? Ma foi, c'est grand dommage ; Je trouvais du bon, moi, dans ce mauvais ouvrage ! En conséquence Nous refusons la pièce. C'est le noble étranger Qui nous traite demain. Par exemple, c'est fort ! Bravo ! Comme il s'enferre ! Mais, moi, je me rappelle Cette tirade... Eh ! Oui. L'ouvrage est excellent ! Eh bien ? Ce pauvre Floridore ! Ah ! Je m'en veux, c'est mal. Une fois en faveur au Théâtre Royal, Je prétends le servir en ami de collège. Il est assez mauvais pour que je le protège. Allons les retrouver. Qu'est-ce ? Les noms des amateurs par ordre étaient inscrits ; Le sien ? Pembrock !ô providence ! La belle occasion de les mettre en présence ! Pour Estelle et pour lui l'entretien sera doux, Et c'est, avant la noce, un plaisant rendez-vous ! Mylord sans le savoir entrera dans mes vues ; Courons le voir. Vivat ! Ce soir je vais aux nues ; Mes débuts dans un mois, demain pompeux festin, Aujourd'hui grand scandale ! Allons, saute, Frontin ! Tiens, c'est toi ! Tu vas rire. C'est charmant. Tu vas bien t'amuser. Une veuve, un amant. Non, non,c'est une histoire. Chagriner, chagriner ! Quel mauvais caractère ! On ne rirait de rien. Mylord viendra, j'espère, Estelle aussi. Faut-il me mêler aux débats ? Belrose, mon ami, ne vous exposez pas : Une femme en colère est toujours respectable. Des orages du coeur je me défie en diable ; On épargne l'amant ; c'est pour les indiscrets Que la grêle est à craindre, et qu'il pleut des soufflets. Entrez, Mylord, entrez, c'est par ici. Attendez un moment, Et vous serez surpris bien agréablement. C'est trop d'honneur, Mylord, et vous êtes bien bon. Mais que peut faire Estelle ? Oh ! je la vois : pardon. Je voulais avec vous me concerter d'avance, Et je vous attendais pour la reconnaissance. Ah mon Dieu ! quoi, vraiment ? Que je suis donc fâché. ! c'est bien innocemment. Mais je crains de gêner un si doux tête-à-tête. Il faut que tout le monde ait sa part de la fête. Courons les avertir. Dieu ! Quels flots d'amateurs ! Quel bruit ! Quelle recette ! Si le spectacle tient, la chambrée est complète. Notre affiche sans bande étale à tous les yeux De l'ouvrage nouveau le titre radieux. Les bureaux vont s'ouvrir, et nos braves cohortes Dans leur camp retranché se rangent près des portes. Vous jouez, m'a-t-on dit ? Quoi ! Ce seigneur anglais vous a rendu visite ? Pour l'intérêt d'autrui son ardeur est extrême ; Chez moi, comme chez vous, il s'est rendu lui-même. Pour trouver Floridore il m'a quitté trop tard ; Mais il a vu Lucile et converti Bernard. Il connaît donc Victor ? Comment ! Il intrigue, À courir tout Bordeaux par plaisir se fatigue, Il perd auprès de nous ses discours et ses pas, Pour un auteur sans nom et qu'il ne connaît pas ! Quel saint amour de l'art, quel démon littéraire Tourmente, à nos dépens, cet honnête insulaire ? Vraiment ? Voyez-vous !... Mais alors je ne puis concevoir Que cette noble veuve ose jouer ce soir. J'y suis. Motus sur l'inspecteur ! Eh quoi ! Vous n'avez pas, d'un esprit charitable, À Pembrock, en douceur, conté toute la fable ? Je vous admire. Eh mais ! Victor ? Je l'ai fait prévenir de se rendre au théâtre. Viendra-t-il ? Il est opiniâtre ; Il va se retrancher dans ses grands sentiments. Oui, ma foi. Oh ! La bonne figure ! Toutefois cet air sombre est d'assez triste augure. Si vous vous en doutiez,vous changeriez de ton. L'exorde est un peu brusque. Et cependant ce soir votre ouvrage est donné. Comprenez-vous le sens de ce que vous me dites ? Mais vous touchez au but. Eh ! Pour dieu ! Souffrez qu'on vous annonce Que... C'est de lui maintenant que l'obstacle viendra. Un seul mot ! Ah ! Comme il vous plaira. Puisqu'il en est ainsi, monsieur, je me retire. Que vous seriez puni si je ne disais rien ! Il faut en convenir, le ciel vous veut du bien ; Tout le monde à présent sous vos drapeaux s'enrôle, Et d'un commun accord redemande son rôle ; Et cela, s'il vous plaît, par intérêt pour vous. Ainsi nous jouons tous. Il faudra seulement décider Floridore. Qui, moi ? Je ne veux rien. Tenez ferme, parbleu ! Ne cédez pas. Il faudrait l'aborder d'un air doux et timide. Vous excuser un peu, Et même le flatter sur son goût, sur son jeu. Lui céder, par le traité de paix, Ces vers qui sont fort bons, mais qu'il trouve mauvais. Contenez votre bile. Floridore s'avance avec monsieur Granville. Vous pouvez d'un seul mot fixer votre destin ; Dois-je aller endosser mon habit de Frontin ? Eh bien ! Oui. N'est-ce pas ? Adieu donc, je vous laisse Surtout de la douceur. Mylord est dans sa loge. Messieurs, je vois un Grec dans les remparts de Troie. Fussiez-vous par-delà les colonnes d'Alcide, Vous y pourrez encor trouver une perfide. C'était un bon parti ; mais, à défaut d'un Lord, Un garçon très honnête et que j'estime fort.;; Si je me proposais. Les gens de Mylady !... Que Mylady permette. Elle enrage ! D'un air très amical Il cause avec Granville. Agamemnon-Blinval Vient de se retirer sans tumulte, sans pompe, En murmurant tout bas que le public se trompe. Comme votre succès met sa femme aux abois, Ils sont sortis d'accord pour la première fois. Ils s'aiment par vengeance. Un auteur, un confrère. Qui diable es-tu donc, par hasard ? Me voilà, moi, voyons, je me laisserai faire. Bornons-nous à l'Europe ; et, s'il en fait le tour, Que dans un bon fauteuil il dorme à son retour ! **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_BLINVAL *date_1820 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_blinval « Fuyez donc, retournez dans votre Thessalie. » « Un bienfait reproché tint toujours lieu d'offense ; « Je veux moins de valeur et plus d'obéissance. « Fuyez,je ne crains pas votre impuissant courroux Bonjour. On sait comme je pense, on m'en a fait un crime. Hélas ! Sur leurs premiers talents je m'étais modelé : Pâle, roulant des yeux, effaré, hors d'haleine, J'alLongeais de grands bras, je parcourais la scène ; Bref, j'ai frappé du pied, crié, gesticulé. Le public m'a sifflé. Je conviens, à leur gloire, Que trois ou quatre fois j'ai manqué de mémoire. Ils sifflent sans égard dès qu'ils sont mécontents ; À quoi servira donc qu'on ait des sentiments ? Monsieur, depuis vingt ans je soutiens qu'il a tort ; C'est là mon grand débat avec votre Victor, Dont vous donnez ce soir une pièce nouvelle. Monsieur est son ami puisqu'il prend sa querelle. C'est trop heureux, ma foi. Ne le voyez jamais. Au goût du métromane il joint l'humeur d'Alceste ; Tout se peint à ses yeux d'une couleur funeste, Et cet orgueil chagrin qui n'a jamais plié, Des égards qu'il nous doit se croit humilié. Jamais d'un mot flatteur sa voix ne nous caresse ; Sa franchise parfois frise l'impolitesse. Je lui demande, un jour, après Agamemnon : Ai-je été bien sublime ? Il m'a répondu : Non. C'était fort déplacé. Par ce ciel que j'atteste. Eh bien ! je le déteste Franchement, bonnement, et je serai vengé ; Car Bernard doit ce soir lui donner son congé. Comment ? De passion. C'est sûr. Quand elle débuta, ce fut la pauvreté Qui réduisit Bernard à cette extrémité. Le début fut brillant ; mais, chose assez commune, Sans enrichir l'actrice il fit notre fortune. Victor la vit, l'aima, parut ; et, s'il vous plaît, Lucile en raffola, tout sauvage qu'il est. En vain nos céladons lui peignaient leur martyre, Sa conduite jamais n'éveilla la satire ; Et ce couple amoureux habite innocemment Les hautes régions du plus pur sentiment. Bernard, importuné de leur longue tendresse, N'a pu contre leurs voeux défendre sa faiblesse ; Mais à nos deux amants, qu'il a promis d'unir, Il veut qu'un beau succès assure un avenir. Voici le jour fatal ; dressé chez le notaire, Le contrat n'attend plus que l'aveu du parterre. Ce soir chute complète ; et comme je rirai De voir par le public le contrat déchiré ! Quel plaisir ! Mais, bonjour, Clytemnestre m'appelle. Je suis dans un accès de bonté paternelle ; J'arrange pour demain mes tragiques douleurs ; Je vois, j'entends ma fille, et sens couler mes pleurs. Ne vous gênez donc pas : ma femme, grand merci ! Voici l'opinion du bon homme Lagrange. « La surdité qui me prend par instants M'a fait perdre plus d'un passage ; Mais quelques auditeurs m'ont paru mécontents. Je crois pouvoir juger l'auteur sur leur visage ; Mon refus motivé, c'est qu'un homme à vingt ans Ne peut pas faire un bon ouvrage. » Trois refus en comprenant le mien. Florbel est philosophe, et dit ce qu'il faut taire : J'ai donné sur sa joue un soufflet à Voltaire. De la petite Emma voici le bulletin : « Pour moi la langue est tout ; au plus rare mérite Je ne puis sur ce point pardonner un écart ; Je vote le rejet et le motive ; car Cette ouvrage est très mal écrite. » En ce cas, refusé. L'avis de Floridore est pour vous un grand titre ; Floridore est du goût un infaillible arbitre. C'est jugé. Floridore a manqué son entrée. Le public ne s'en est pas douté ; Mais moi, qui connaissais... Voilà pourtant le monde ! Soyez officieux, rendez service aux gens ; On en est bien payé ! Je le voudrais aussi ; mais... Je suis dans l'embarras. Je crains de vous fâcher. Ah çà, du coeur ! Jusqu'ici rien n'annonce un orage. J'entends éclater des bravos imprévus À mille traits d'esprits que je n'avais pas vus ; Mais... Que voulez-vous qu'on dise ? Chacun a son avis. Vous écrivez, mon cher, pour les gens du commun. Des moeurs qu'on voit partout. Rien n'y sent son grand monde ; Dans votre pièce enfin la bourgeoisie abonde. Pas un Comte, un Marquis, pas un petit Baron, Pour ennoblir un peu... Vous vous fâchez ! Est-ce ma faute, à moi, Si votre dénouement m'inspire de l'effroi ? Je souhaite qu'il passe. C'est délicat... Il est... Il est... Il m'a choqué. La raison ! Je viens de vous la dire. Paix, paix, allons, je me retire. Vous vous fâchez. **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_BERNARD *date_1820 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bernard Au bureau, m'a-t-on dit, où j'arrive un peu tard, Un gentilhomme anglais cherchait monsieur Bernard. Oui, Mylord, c'est ainsi qu'on me nomme. Il faut être à son poste ; un inspecteur, dit-on, De Paris à dessein parti sous un faux nom, Doit s'introduire ici sans se faire connaître. Hâtons-nous, s'il vous plaît. On a, mon cher Victor, des amis, des parents. L'usage est votre excuse. Deses admirateurs sans peupler une salle, On doit tout doucement préparer le succès. Vous pouvez disposer de quarante billets ; Jp les ai demandés. Usez de votre droit. Mais vous extravaguez. L'honneur exagéré va droit au ridicule. Pour réformer nos moeurs vous prenez la férule, Vous débutez, Victor ; dans ce pas hasardeux, Aurez-vous pour soutiens un journalisteou deux ? Et si par hasard leur plume vous déchire ? Chez eux allez vous faire écrire. On voit bien son juge. J'aime ces sentiments, ils sont beaux ; mais enfin Avec beaucoup d'honneur on peut mourir de faim. Lucile est mon trésor, mon espoir, ma famille ; Moins tendrement peut-être un père aime sa fille. Vous voulez nous ravir cet excellent sujet : Bien que dans un mari j'approuve ce projet, Je veux que mon enfant vive, ne vous déplaise, Sinon dans l'opulence, au moins fort à son aise. Puisque vous tenez tant à ce chien de métier, Ayez donc un succès, un succès plein, entier, Que prône le public et le journal lui-même. Autrement point d'hymen, c'est là ma loi suprême. Je retourne à mon poste, où sans doute on m'attend. Ah ! Viens ! De ton Victor je ne suis pas content ; Il exagère tout. C'est à toi, ma Lucile, De fléchir, s'il se peut, cet esprit indocile. Je te laisse avec lui. Pardon, monsieur Victor m'engage à vous-prier... Oui, quand répétons-nous ? J'ai des intentions vraiment très pacifiques ; Mais à qui désormais adresser mes répliques ! Il faudrait disputer : C'est pénible ; et pour peu que l'on ait l'âme bonne. Viens, suis-moi, mon enfant ; jamais je ne querelle. Moi, j'ai tous mes moyens et mon jeu sera sage. Sept heures vont sonner, dans la salle on attend. Est-on prêt ? Ah ! Que je vous embrasse ! Est-il quelque chagrin qu'un si beau jour n'efface ? La poésie, oui-dà, n'est pas un vil métier ; C'est un art, mais un art qu'on ne peut trop. payer. Elle est à toi. Il a ce droit. Ne t'ai-je pas parlé. ? Prenez, vous saurez tout, j'ai vu le testament. Il se fera prier pour être légataire ! **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_MADAMEBLINVAL *date_1820 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameblinval Pour qui ? Je vous approuve fort ; il faut être discret. Lisons. C'est Estelle. Du moins j'en ai l'espoir. Il faut les brouiller à ne plus se revoir. Détrompons son mylord. Son talent assez mince est pour moi sans danger : Mais sa vogue m'irrite, et je veux m'en venger. Oui, mon pressentiment est un avis secret. Je suis son ennemie, elle en aura la preuve : Elle se targue bien du bonheur d'être veuve ! C'est vous !... Que j'ai de joie à vous revoir ici ! Floridore s'avance, Estelle l'accompagne, observons tout : silence ! Hem. Regardez Estelle. Le cachemire rouge. C'est elle. Dans huit jours ! Quoi, nous quitter sitôt ! Est-ce agir en amie ? Je refuse, le style est par trop familier. Il l'admire. S'il la fait Mylady, j'en mourrai de chagrin. Faites jouer Lucile, on n'en est pas fâchée ; Mais qu'elle brille seule ! Oh ! Cela n'est pas bien. Ajoutez à mon rôle, ou retranchez du sien. C'est faiblesse,j'ai tort ; Mais comment résister aux prières d'un Lord ? Il sait m'apprécier, je lui crois du mérite. Mon talent lui plaît fort ; d'ailleurs il s'est chargé De mes débuts à Londres, à mon premier congé. Non. C'est Estelle. Chut ! Il m'a tout conté. C'est une horreur, mon cher, c'est une indignité. Il croit qu'elle est Baronne et même auteur comique, Que nous représentons son oeuvre dramatique. Autre mystère. On dit que votre ami Granville L'a vue, a dit trois mots ; à ses ordres docile, Elle jouera. Mais, pour se délivrer d'un fâcheux spectateur, Elle a fait grand fracas du danger qu'elle affronte. Tomber devant Mylord, elle en mourrait de honte. Le public jouira du fruit de ses travaux, Si Mylord pour ce soir veut bien quitter Bordeaux, S'enfermer ici près, dans ce petit domaine. Où nous avons dîné le jour de ma migraine. Honteuse d'une chute ou fière d'un succès, Elle ira lui porter sa joie ou ses regrets. Mais la pièce sifflée (et c'est ce qu'elle espère) Tous deux le lendemain partent pour l'Angleterre. Notre Anglais s'est soumis, non sans de grands débats ; Il cède, il promet tout, sa foi ne suffit pas ; On veut le voir partir, on ferme la portière, Et puis, fouette, cocher ! À peine à la barrière, Mille noires terreurs assiègent son cerveau ! Si l'on ne donnait pas le chef-d'oeuvre nouveau ! Les acteurs balançaient, il faut qu'il les décide ; Il n'y peut plus tenir. Soudain on tourne bride, Et Mylord dans Bordeaux, en prenant un détour, Comme un conspirateur rentre au déclin du jour. Il court chez l'un, chez l'autre, il promet, il supplie ; Parle au nom du public, des beaux-arts, de Thalie, De la postérité ; triomphe, et fait si bien Qu'on va jouer Victor, qui n'y comprendra rien. J'ai fait mieux : je prépare une scène d'effet, Qui doit être pour lui du plus vif intérêt. Mylord est connaisseur ; la belle circonstance Pour juger du talent des actrices de France ! Il voulait repartir, et je l'ai retenu : De nous signaler tous le moment est venu, Ai-je dit, la victoire est sûre, incontestable ; Mais prêtez-nous vous-même une main secourable. Je le presse, il s'enflamme et prend trente billets Qui, délivrés par lui, porteront l'ordre exprès D'applaudir, d'entasser éloge sur éloge, Au premier bruit flatteur échappé de sa loge. Eh bien ! Qu'en dites-vous ? Au moins, La nouvelle entrevue aura quelques témoins. Vous les figurez-vous, se voyant face à face, Pembrock tout effaré, qui crie et qui menace, Qui siffle !... Qu'y faire ? C'est fâcheux ; Dans son second ouvrage il sera plus heureux. Pourquoi pas ? Il boude ? Les auteurs sont comme les amants ; Eussions-nous tous les torts que leur fierté nous prête, Quand nous leur pardonnons, la paix est bientôt faite. Mais, tenez, le voilà ; qu'ai-je dit ? Je ne puis lui parler, je n'ai qu'une heure à moi. Je cours à ma toilette. Allons, tout ira bien. Je me sens inspirée. **** *creator_delavigne *book_delavigne_comediens *style_verse *genre_comedy *dist1_delavigne_verse_comedy_comediens *dist2_delavigne_verse_comedy *id_LUCILE *date_1820 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucile Qui vous a donc fâchés ? Qu'avez-vous fait ? Quoi ! Vous me le cachez ! Il peut avoir des torts, mais il est notre père ; Il est le mien, du moins. Bon ! Lui ! Allons ! Nos actions souvent démentent nos conseils : Jamais, s'il eût suivi des préceptes pareils, L'emploi des confidents n'eût borné sa carrière ; Il serait riche, heureux ; il aurait part entière ; Mais, comme des journaux il ne fut pas prôné, Le premier débutant l'a toujours détrôné. Je l'avouerai tout bas, j'aime qu'on m'applaudisse... De quel prix vous payez ce léger sacrifice ! Je vous devrai ce bien que j'ai tant regretté, D'un sort indépendant la douce obscurité, Un titre, le bonheur dont jouit une mère, Qui vaut bien des bravos la trompeuse chimère... Et qu'il me sera doux D'aller vous applaudir, d'être fière de vous ! Pourquoi ? Jugez de mes tourments, Victor, et plaignez-moi : Aux regards du public déguisant mon effroi, Prête à verser des pleurs, il me faudra sourire... Mon rôle est excellent, je crains de le mal dire. Lorsque je paraîtrai, comme mon coeur battra ! Eh bien ! Au célibat nous voilà condamnés, Pour dix ans tout au moins. Courage ! Paix, on vient. Qu'un censeur est un homme terrible ! Je vais étudier. J'espérais au foyer trouver Madame Estelle ; Mais je ne la vois pas. Pardon ! Tout le monde à la fois, jusqu'à monsieur Victor. Enfin, madame Estelle est ma seule espérance. C'est ainsi qu'on répète. Oui. Permettez... Que veut dire monsieur ?... Je ne devine pas. Non, monsieur. Je ne saurais, Monsieur, comprendre ce langage ; Souffrez... Cette preuve d'estime et me touche et m'honore. Le monde, je le vois, me rend justice encore ; Mais l'accueil du public a passé mes désirs. Mes devoirs, grâce à lui, sont pour moi des plaisirs ; Contente de mon sort, heureuse près d'un père, Je ne veux... Je suis fière, il est vrai, de l'amour qu'il m'inspire : Son talent. Qui doit l'être ce soir, Qui le sera, Monsieur. Il est loin d'être millionnaire : Alors, pour bien des gens, c'est un homme ordinaire ; Qu'il le soit à vos yeux, rien de plus naturel : Il n'offre pas d'écrin, d'équipage, d'hôtel ; Non, mais je l'aime. Je n'eusse aimé que vous. Il sera malheureux ; Et je l'en chérirai, s'il se peut, davantage. Je connais mon devoir : Mon tuteur sait aussi jusqu'où va son pouvoir, À sur mes sentiments l'autorité suprême : Mais je n'en dois, Monsieur, répondre qu'à lui-même. Adieu, monsieur Victor. Floridore vous quitte ; est-il vrai qu'à vos soins Nous devrons le bonheur ?... Et moi je perds courage. Au gré de vos désirs je vois tout succéder, Et la victoire enfin semble se décider. Notre amour m'inspirait. Victor, je me rappelle La scène de l'aveu que vous redoutiez tant : J'avais le coeur serré moi-même en l'écoutant ; L'orchestre était muet, le parterre en balance. Un murmure enchanteur a rompu le silence. Je crois l'entendre encor. Oui, mais je l'ai soufflé. Qu'on retient aisément des vers tels que les vôtres ! Je n'ai lu que mon rôle, et je sais tous les autres. Ne tremblez point ; que sert de vous troubler ainsi ? Imitez-moi. Il m'a fait une peur ! Vos avis obligeants Ne seront pas perdus. J'entre après Floridore ; De peur qu'un accident ne vous ramène encore, Je cours jouer ma scène, et j'espère, au retour, Par un tout autre avis l'obliger à mon tour. Succès, succès complet ! Bon Victor ! Victor ! Qui remercierons-nous ? Comment ? Ah ! D'un mauvais sujet qui s'était exilé.