**** *creator_delavigne *book_delavigne_familletempsluther *style_verse *genre_tragedy *dist1_delavigne_verse_tragedy_familletempsluther *dist2_delavigne_verse_tragedy *id_PAOLO *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_paolo Dieu vengeur, je t'offense, Mais, à l'aspect des lieux témoins de notre enfance, Je me sens défaillir sous l'horrible dessein Que, depuis mon départ, je porte dans mon sein. Marco! Dans mes bras ! Encor ! Mon bon, mon digne ami ! Malgré tes cheveux blancs. Mon visage Plus pâle que le tien a vieilli davantage. Un mal plus grand. Non ; les veilles, Marco, le jeûne, une pensée. Elle est là. Mais toi, toujours dispos, l'oeil vif, le teint fleuri, Satisfait de ton sort ! Et ta religion ? En fidèle ? Comment ? Laquelle ? Et tu vis d'un oeil froid nos autels profanés ?2 Leurs trésors détruits ? Abandonnés Au pillage, aux fureurs d'un peuple frénétique ? Je devais donc trouver cette tiédeur de zèle Dans le vieil héritier de la foi paternelle Et de ces insensés il n'est pas le plus grand Le moindre crime ici, c'est d'être indifférent. Luigi ?... Mon bon frère. Comme autrefois, oui; mais... Oui, pour moi ; mais... pour Rome ? Eh bien ! On assure, et je crois... non, non, je ne crois rien. S'il était vrai ! Je ne le puis ; je tremble. Oh ! non ; je maudirais le jour qui nous rassemble : Luigi, traître à son Dieu ! C'est faux ? Tu l'affirmes ? Achève je t'écoute. J'arrivais convaincu ; tu m'as parlé, je doute : Je doute ; ah ! sois béni !... Mais puis-je croire en toi ? Chrétien incertain dans ta foi ! Coeur glacé ! Tu te souviens encor que tu fus catholique ; Tu ne l'es plus. Tu ne l'es plus ; va, fuis. J'ai besoin d'être seul ; chez moi conduis cet homme : Je veux lui confier une lettre pour Rome ; Je vais l'écrire. Qu'il la prenne en partant. Non, sors ! Dieu me l'a dit ; Dieu m'a dit « Je le veux. » J'ai senti sur mon front se dresser mes cheveux ; Il m'a répété : « Marche ! » et, plein d'un saint courage, J'ai pris, pour obéir, mon bâton de voyage ; J'ai marché ; me voici ! Mais devant l'attentat Qui sans vie à mes pieds doit jeter l'apostat, Mon bras peut hésiter si Dieu ne le décide. Apostat ? Lui, jamais ! Plutôt moi... fratricide ! Et puisque j'ai faibli malgré tous mes efforts, Je ne puis me lier par des noeuds assez forts Écrivons. « Au révérend frère Anastasio pénitencier de Sainte-Marie-Majeure. Mon père, » Ma main tremble. « Peut-être le bruit répandu sur l'apostasie de mon frère n'est qu'une oeuvre de mensonge, ou, du moins, je pourrai par mes paroles raffermir sa foi chancelante. Tel est le devoir que je me suis imposé en m'éclairant de vos conseils, et qu'il me sera donne de remplir si votre pieuse inspiration m'anime. » Inexprimable ivresse Mon coeur se rouvrirait, et des pleurs de tendresse, Des pleurs rafraîchissants, par la joie arrachés, Jailliraient vers mon Dieu de mes yeux desséchés ! « Mais il est une autre mission connue de moi seul et que j'ai reçue d'un plus grand, d'un plus saint que vous, du Tout-Puissant, qui ne veut pas que je sois séparé de mon frère durant cette vie dont les joies ou les tourments seront sans fin. Priez donc, oh ! priez à genoux, pour qu'il ne se fasse pas, en s'obstinant à se perdre, une vertu de l'endurcissement ; car, je l'ai juré à Dieu, et je vous l'écris pour vous le jurer à vous-même, la veille de son abjuration. » La veille ! Et si demain... Ah ! qu'il cède, qu'il vive, Qu'il vive, et que jamais cette veille n'arrive ! « La veille de son abjuration, je supplierai le ciel, les mains jointes et le front contre terre, de répandre sur lui les grâces d'un dernier repentir, et, dût mon âme se déchirer..., je sauverai la sienne. » Hein ! Quoi ? Qui m'a parlé ? Où vas-tu ? Que veux-tu ? T'avais-je rappelé ? Que m'as-tu dit ? Vers mon frère Va, Marco ! Achevons. « Si je reviens parjure, montrez-moi cette lettre, et que la malédiction de mon souverain juge pèse sur moi dans ce monde et dans l'autre je l'accepte. En signant ce que je vous écris, je mets mon nom au bas de mon éternelle condamnation. » J'ai signé. Piétro, rends cette lettre à celui qui m'envoie. J'aurai consommé l'oeuvre avant qu'il me revoie. Ah ! qu'entends-je ? À ce cri, Ce cri qui m'est si doux, frissonnant, attendri, De joie et de douleur je sens mon coeur se fondre : Nos bras vont s'enlacer, nos sanglots se confondre, Et j'ai signé !... Où suis-je ? Ne vivant qu'à demi, Chancelant sous le poids d'unbonheurqui m'oppresse, Puis-je trouver des mots pour en peindre l'ivresse ! Moi, sur vous! Et moi, J'étais coupable ? Je vous plaignais de même est-ce un crime ? Comment les siens ? On le châtie. Pourquoi ? L'un et l'autre ils ont la même foi. Comme un jour au coeur qui l'abandonne ! C'est le mien. À qui poursuit l'erreur que fait la vérité ? L'aveuglement ! Un coeur prêt à faillir Avec cet abandon n'aurait pu m'accueillir : On m'a trompé. Luigi. Je crois renaître ; Une ineffable paix se répand dans mon être. Ah ! Mon ami ! C'est là qu'à ma demande, De quelque saint martyr il contait la légende, Et que ma mère... alors elle invoquait les saints ; Ma mère, pour prier, joignait nos jeunes mains. Tu t'en souviens, Luigi? Comme de la veillée Les heures fuyaient vite à ces pieux récits ! Qu'ils étaient purs ! Nous connaîtrons encor ces voluptés célestes... Car tu n'es pas changé ? Où donc ? Lorsque ses fruits vermeils, qui pendaient jusqu'à terre, Présentaient aux deux camps des armes pour la guerre. Oui. À la tienne elle ressemble en tout. Elles sont soeurs, Luigi. Qui l'habite ? C'est ton voeu ? Il craindrait ma présence, S'il n'était devant moi fort de son innocence On m'a trompé. Me promets-tu qu'un jour, Comme à seize ans, pour Rome épris d'un pur amour, à celui qui de Dieu sur la terre est l'image... Nous irons rendre un dernier hommage . Et toi, si tu me suis dans la ville éternelle, Pourras-tu l'admirer sans oublier pour elle De ton pays natal le soleil éclipsé, Sans rajeunir de joie en rêvant au passé ? Il a brillé pour toi, son ciel, où ta prière Ne montait qu'à travers l'azur et la lumière ; Son pavé triomphal a tressailli sous toi ; Ses débris t'ont parlé ; du cirque, où pour ta foi De ses héros chrétiens mourut la sainte armée, Tu sentis palpiter la poussière animée. Quand Rome en deuil suivit son Sauveur au tombeau, Tu pleurais ! Mais quel jour ! Qu'il fut grand, qu'il fut beau ! Qu'il t'enivra, ce jour où des voiles funèbres Rome, en ressuscitant, déchira les ténèbres ! Tous les chants, tous les bruits à la fois renaissants, Ces cortéges sacrés, ces nuages d'encens, Ces palmes qui du Christ couronnaient la victoire, Unhomme, un prêtre, un Dieu, qui planait dans sa gloire Entre Romeet les cieux, et, des cieux entr'ouverts, Répandait les pardons sur Rome et l'univers ; Quel spectacle ! Ô Luigi, les transports qu'il inspire N'ont-ils pas à leur tour une voix pour te dire : « Viens ! Le grand jour approche ; ah ! Viens, venez tous deux, Pleins de la même foi, brûlés des mêmes feux Qu'il versait par torrents dans votre âme embrasée, De ses divins pardons recueillir la rosée ! » Tu viendras ! Et quand nous sentirons La grâce à flots sacrés s'épancher sur nos fronts, Puissent nos coeurs noyés dans cette joie intime, Dans ce bonheur de croire où la raison s'abîme, Mourir, et, confondus, voler d'un même essor Au sein de l'Éternel pour s'y confondre encor. Oui, réunis aux cieux !... Tu pleures !... Ah ! mon frère, On te calomniait ; mais qu'un aveu sincère Me punisse du moins de t'avoir soupçonné. Toi que je jugeais mal, toi que j'ai condamné, Apprends. Quelque surprise Qu'on veut me ménager ! Va, frère ; avant cet entretien Pour moi la solitude était un long supplice ; Seul, je puis maintenant rêver avec délice. Va, je suis sûr de toi. Ta fille, elle est ici ? Et je l'attends encor ! Loin de moi que fait-elle ? Elle a de la Vierge immortelle L'angélique douceur, l'aimable pureté ! Le moindre de ses dons, Marco, c'est la beauté, N'est-ce pas ? Pardonne. Qui peut douter d'un frère a-t-il foi dans personne ? J'étais bien malheureux ; car j'aurais mieux aimé Le trouver au retour sanglant, inanimé, Mort, que traître à son culte et frappé d'anathème ; Oui, mort. Et toi, Marco, toi-même, Si tu sentais fléchir ton zèle chancelant, N'aimerais-tu pas mieux qu'un ami, t'immolant, Dans ta bouche entr'ouverte arrêtât ton parjure Que de le proférer ? Quoi ! Tu balancerais ? Peut-être. Venez, vous que ma voix, vous que mon coeur appelle. Non, toi, chère Elci, toi ! Toi, ma fille ! Oui, ton nom. Je me laisserai faire. Son regard, ses traits, ses blonds cheveux, Rappellent la madone à qui j'offrais mes voeux. Que je te destinais. Comme moi, J'admirais le modèle et je priais pour toi. Moi : Quelle soit heureuse autant qu'elle m'est chère, Belle, pure, adorable ! J'ai trouvé. Mieux que je n'ai rêvé. Quoi ! Tu ne craignais pas ma piété sévère, Qui peut blesser ici quelqu'un que je révère ? Sois donc par ta douceur l'ange qui nous rapproche ; Sois mon conseil. Veux-tu ? Avec humilité Des lèvres d'un enfant descend la vérité. Déjà ? Moins que toi. Comme on l'est pour l'erreur. Pourtant. Sa grâce Me désarme d'avance. Passe Je saurai me contraindre. Lequel ? Elci, c'est un livre sacré. Qu'entends-je ? Et je verrai Sans le mettre en lambeaux. Charmante créature ! Oui. Saintement. D'eux ! Comment ? Que dis-tu ? Qui donc, Elci ? Eh quoi ?... Le sien ! Au temple ! Aurait-il abjuré ? Mais cet acte, il n'est que différé ? Mon frère !... Au temple !... Est-il possible ? Affirmer qu'il abjure, et c'est vous qui l'osez! Savez-vous de quoi vous l'accusez ? D'un crime. C'est faux : j'en ai pour gage Sa voix, ses traits émus et son touchant langage, Ses pleurs que sur mon front je crois encor sentir ; C'est faux, c'est un mensonge. Ah ! Cet accent si vrai, qui m'éclaire et me tue, Anéantit l'espoir de mon âme abattue. Malheureux ! Mais il ne le peut pas ; Mais je me jetterais au-devant de ses pas ; Mais je mettrais ma main sur sa bouche infidèle ; Mais, non ; mais de ses bras l'étreinte fraternelle, Lui comprimant le coeur dans un dernier adieu, Étoufferait sa voix prête à blasphémer Dieu ! Il ne le peut pas ; non, renier sa croyance, Non, renier son Dieu n'est pas en sa puissance. Celui dont vos leçons m'ont enseigné la loi. D'aimer, de secourir son frère. Je n'en ai plus. Mon retour ne me l'a pas rendue. Perdue en cette vie, et pour jamais perdue, Celle qui nous disait : Enfants, restez unis ; Croyez ce que je crois, et vous serez bénis. Fidèle. Jour pur ! Vous étiez mère. Vous les sauviez. L'un n'ira pas sans l'autre. Abandonnez le vôtre. Plus bas ! Plus bas ! Mon père vous entend. Il m'approuve du moins. L'Éternel qui m'envoie, et Rome d'où je viens, Font céder au devoir les terrestres liens. J'irai, mais non pas seul. Priez. Priez pour qu'il me suive. Arrêtez ! Voeu funeste, Que vous ne formez pas, que votre coeur déteste, Il appelle la mort, il tue... Ah ! Gardez-vous De tenter par ce voeu le céleste courroux. Laissez-moi. Jamais. Qu'avez-vous à me dire et que me voulez-vous ? Parlez. Ah ! Luigi ! Ta croyance est-elle encor la mienne ? Réponds. Tu l'as donc résolu ? C'est vrai ? Tu me déclares Que pour l'éternité de moi tu te sépares ? Je le veux : rien encor n'est perdu. Puis, l'espoir qui renaît nous le rend moins sensible. Dieu tout est possible. L'opinion de l'un, l'autre enfin la partage, Et l'on est étonné de s'aimer davantage. Un de nous doit errer. Si j'ai tort, J'en conviendrai, Luigi. Aucun. C'est sûr. Toujours ! Amis jusqu'au tombeau. Parlons donc franchement. Cher Luigi, je m'étonne, Mais sans m'en irriter, que mon frère abandonne L'humble paix du chrétien qui n'a jamais douté Pour l'orgueilleux plaisir de l'incrédulité. Triste fruit des discours, des livres d'un sectaire ! Moi ! non. Pour le faire, Je les méprise trop. Quoi ? Les rêves d'un fou ? Le lire ou l'écouter, c'est admettre qu'on doute. Vers le mal. Nous différons d'avis. Et toi, rien. On est donc fanatique En ne se traînant pas aux pieds d'un hérétique ? C'est le mot juste. Eh bien ! D'un apostat, pour lui donner son nom. Pas assez je proclame Que c'est un être vil. Un infâme ! Le dernier de tous. Par l'enfer. Pour qui rien n'est sacré. S'il écrit il ment, et s'il parle il blasphème. Chez toi ! Comme ta mère es-tu las de m'y voir ? J'ai le droit d'accabler, d'écraser sous l'injure L'imposteur déhonté qui te pousse au parjure ; Le misérable !... Quoi ? Quoi tu me chasserais ? Ose le dire ? Je m'y devais attendre. Luther te saura gré d'une amitié si tendre. Mon Dieu je pars ; mais j'ai la liberté De reprendre chez toi ce peu que j'apportai. Tu m'en laisses le temps ? Qu'importe ? En refermant ta porte, Sous ce toit fraternel, où je n'ai pas dormi, Tu te riras des vents ; et qui sait ? un ami, Ton moine, s'il survient, prendra ma place vide ; Mais que ton frère absent dehors marche sans guide, Trouve un gîte dans l'ombre ou doive s'en passer, Le bienvenuLuther t'en voudrait d'y penser. De l'eau du ciel, des coups de la tempête, Quelque portait d'église abritera ma tête, Et sur la froide couche où tu m'auras jeté, Par celui qui voit tout je serai visité. Nul ne viendra du moins me disputer la pierre Où cet hôte divin fermera ma paupière On est sûr de l'abri qu'on cherche dans ses bras ; Lui vous reçoit toujours et ne vous chasse pas. Comment ! Le coeur te manque ? Allons, reprends courage. Au reste, près d'ici prolongeant mon séjour, Je veux de ton triomphe attendre le grand jour : Il est fixé sans doute, et la veille... Pardonne, Car j'abuse du temps que ta pitié me donne. Adieu, parjure ! Elci ! Laisse-moi ma colère Il a rompu les noeuds dont Dieu nous a liés. Il m'a dit. Oui, j'oublierai, j'oublie ; Mais, par pitié pour toi, pour moi, qui t'en supplie, Cesse de m'arrêter; je veux fuir dans ce iieu Je vois planer sur nous les vengeances de Dieu ; La foudre gronde. C'est le deuil que j'apporte. Que fais-tu, chère Elci ? J'aurais dû résister. Tu ne penses qu'à moi. Ai-je un chez moi ? Comment ?... De grâce !... Dieu, que pour lui j'implore, Tu l'entends ! Toi ! Mon coeur est inondé d'une ivresse inconnue. Qu'à son banquet céleste ainsi Dieu nous rassemble! Tu le crois ? Ta morale, Marco, me semble peu sévère. Demain, grand Dieu ! Je le sais ; va dormir. Luigi !... Un dernier entretien. Non, car je le redoute. Pourquoi ? Reste ; un mot peut me rendre La paix dont j'ai besoin pour que du haut des cieux Le sommeil qui me fuit descende sur mes yeux. Si ce mot consolant expire dans ta bouche, Passer toute une nuit si voisin de ta couche, Je ne le puis j'ai peur d'y faire un rêve affreux : Je sortirai d'ici ; j'y serais. Bien malheureux, sans doute, Désespéré, Luigi. Écoute !... N'as-tu rien entendu ? Eh ! Quoi ! Aucun avis du ciel n'est venu jusqu'à toi ? Rien d'étrange pour toi ne se mêle à ces bruits ? Mais les vents,quand leur souffle, autour des sépultures, Prête à l'arbre des morts de si tristes murmures ; La foudre, quand ses feux, en sillonnant les airs, Blanchissent les tombeaux de leurs pâles éclairs ; Non, la foudre et les vents, dans l'horreur des ténèbres, Sans un ordre de Dieu, n'ont pas ces voix funèbres. Ma raison ! Devant lui Qui peut mettre sa force en un si frêle appui ? La foi nous soutient seule ; et tu trahis la tienne. Mais ce mot où j'aspire, il faut que je l'obtienne ; Je veux te l'arracher : dis-moi, tu le diras, Que sous l'oeil irrité de ce Dieu dont le bras, En suspens pour frapper, choisit déjà la place, Tu sens s'évanouir ta sacrilège audace. Réponds, jure qu'au moins Ce jour où du forfait les cieux seraient témoins, Ce jour, déjà mortel même avant qu'il arrive, Qui soulève mon sein d'une horreur convulsive, Décolore mon front, fait fléchir mes genoux, Ce jour de désespoir est encor loin de nous. Qu'il n'ait ni lendemain, ni veille ; Qu'il ne soit pas, ce jour ! Si sa clarté m'éveille, Ce sera pour gémir, pour te pleurer absent. Ô mon bien-aimé frère ! Ô mon ami ! Mon sang ! Toi, frappé sur l'autel ! Par qui ? C'est impossible ! Repens-toi ; tu le veux ! Il le veut ; Dieu terrible, Ne le condamnez pas. Faut-il pour t'attendrir, À ton cou suspendu, de mes pleurs te couvrir ? Repens-toi ; tu les sens inonder ta poitrine ; Faut-il, pour amollir ton orgueil qui s'obstine, Que, navré de douleur, que, palpitant d'effroi, Je me traîne à tes pieds ? M'y voici repens-toi, Repens-toi ; n'attends pas que Dieu, qui te menace, Marque ton front maudit du sceau que rien n'efface, Et, laissant choir le coup que sa pitié retient, Dise à l'Éternité : Prends ce qui t'appartient ! Ah ! Repens-toi, Luigi. Tu te perds. Mais tu te perds, te dis-je ! Tais-toi. Ne dis pas quand ! C'est demain ! Demain ! Ce mot funeste A de ma vie éteinte anéanti le reste, Et, brisé sous le coup, mon coeur sans battement A semblé de terreur s'arrêter un moment. Relevez, ô mon Dieu, ma force défaillante. Demain ! La voilà donc cette veille sanglante ! Elle avance dans l'ombre ; elle expire à minuit : Qu'aura-t-il fait ce bras quand finira la nuit ? Il tombe inanimé. Dois-je fuir ?... Je l'ignore. Celui que j'aimais tant, que j'aime plus encore, C'est là qu'il s'est assis au banquet du retour ; Là, je l'ai vu, pleurant, souriant tour à tour, Épancher de son coeur la gaîté familière ; Là, ma coupe a touché sa coupe hospitalière ; J'ai rendu voeux pour voeux à sa vieille amitié, Et du pain qu'il m'offrait j'ai rompu la moitié. Arrière et loin de moi cet acte horrible, infâme ! Fuyons ; sauvons sa vie ; ah ! fuyons. Mais son âme ! Il la perd ; il se damne ; et le ciel, qui pour lui Se fermera demain, peut s'ouvrir aujourd'hui... Je ne sais quel pouvoir agit sur tout mon être ; L'ardeur d'un vin fumeux bouillonne en moi peut-être ; Par le jeûne affaibli, devais-je à ce poison Redemander ma force et livrer ma raison ! Ce n'est pas sa vapeur qui dans mon sein fermente ; Je lutte contre Dieu dont l'esprit me tourmente ; Oui, c'est Dieu, je m'épuise en efforts impuissants ; Dieu qui m'abat sous lui ! C'est Dieu même !... Je sens Passer dans mes cheveux son souffle qui me glace : Il va venir, il vient me parler face à face, Et je tremble, agité de ce frémissement Dont nous tremblerons tous au jour du jugement. Paolo !... Par mon nom je l'entends qui m'appelle. Si j'obéis, Seigneur, doit-il mourir fidèle ? Pour le régénérer il suffit d'un remord : Dites que son salut doit sortir de sa mort. « Frappe et sauve ! » Il l'a dit : voici l'heure !... Ah ! pardonne : Colère du Très-Haut, si ta voix me l'ordonne, À ta voix frissonnant, si je suis plein de toi, Un ordre encor ! Un signe ! Et marche devant moi. Marche et je te suivrai, marche, sainte colère, Consume et purifie, immole, régénère. Mais, un signe ! Un seul mot !... Si l'ordre est répété, Je ne le verrai plus que dans l'éternité. Ciel ! ma mère. Que dit-elle ? J'écoute. J'obéis. Je succombe. Ombre de mon vieux père, Murmure à son chevet des mots de repentir, Et sauve en l'assistant l'âme qui va partir ! Je ne le puis. Où fuir cette voix déchirante ? Encor vous ! C'est Dieu qui l'a voulu. C'est vous sur le seuil Ne vous ai-je pas dit que j'apportais le deuil ? La mort ! Sans crime ; Par devoir. Priez ! Pour la victime. Un pécheur qui lutte près de nous Entre l'Enfer et Dieu. À genoux ! Priez, enfant, priez ; l'éternelle clémence Ne repoussera pas les voeux de l'innocence. Mon ami ! Ah ! Luigi ! Crains ton juge et reviens à la foi véritable ! Crois et sois enfanté Par une mort chrétienne à l'immortalité ! Perdu ! Dieu, tu m'as donc trompé ? Non, vous l'avez maudit ! **** *creator_delavigne *book_delavigne_familletempsluther *style_verse *genre_tragedy *dist1_delavigne_verse_tragedy_familletempsluther *dist2_delavigne_verse_tragedy *id_MARCO *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marco J'accours, maîtresse. Tout est prêt. Nous serons donc céans deux à penser de même. Que chacun suive en paix le culte qu'il préfère ; Choisir entre les deux n'est pas petite affaire. Le tisserand d'Augsbourg, Frantz, qui s'en est mêlé. En a l'esprit malade et le cerveau fêlé : Le mien tient bon ; je fais ce que faisait mon père, Et chrétien comme lui, je crois, j'aime et j'espère. Fou ! Tant qu'il vous plaira ! Sans crier anathème, J'entends le son joyeux qui fêta mon baptême ; Je sens comme un besoin d'être meilleur encor Quand mon patron me luit dans son grand cadre d'or : Mains jointes devant moi, ce saint que je contemple M'encourage à prier en me donnant l'exemple. Un bel alleluia m'épanouit le coeur, Et je me fais plaisir quand je me mêle au choeur. Ma voix chevrote un peu, mais son timbre résonne, Et je ne vois pas, moi, sinon que je détonne, Quel grand mal je commets lorsque dans le saint lieu Je chante à plein gosier les louanges de Dieu. Je crois très fermement qu'au mépris de l'autel, Travailler le dimanche est un péché mortel : Et puissent me punir Rome et son saint collége, Si j'ai quelque accointance avec ce sacrilège ! Mais des actes permis le rire est-il exclus? Vous et les dissidents. Non ! Les élus : Froids, recueillis, muets, vous craignez, je suppose, D'éveiller de si loin Dieu quand il se repose. Dieu vous approuve, soit; mais en chantre zélé, Pour sa gloire au lutrin lorsqu'on s'est signalé, Défend-il de noyer au fond de quelque tonne La soif qu'il nous causa dans le vin qu'il nous donne ? Le refrain vient de source et chez maître Martin, Les coudes sur la table, autour du broc d'étain Qui passe en se vidant et repasse à la ronde, Nous célébrons celui qui fit l'homme et le monde, Et croyons qu'en buvant, qu'en chantant le vin vieux, Nous le glorifions dans ce qu'il fit de mieux. Et s'il vous disait, lui... Ce que je ne dis point... Que mon maître et vous errez sur plus d'un point ? Voilà comme elle entend la vérité. Mon amour pour la paix garantit mon silence. L'anneau de Salomon me répondrait du sien, Je ne m'y fierais pas. Rien. Mais j'aperçois Elci. Pour aller de son oncle épier l'arrivée. L'Église, qu'elle imite, En parure de fête à se parer l'invite. Mais le jour du Seigneur. Chacun s'ajuste au mieux, et je m'en fais honneur Je tire l'habit neuf de l'armoire d'ébène, Et suis beau sans remords une fois par semaine. Au risque d'embrasser un passant tout surpris D'un bonheur imprévu qu'il n'aurait pas compris. Voilà de quoi fleurir une chapelle entière. Écoutant sans dédain Les contes que je fais, quand elle est au jardin. Cueillez, coupez, pillez ; il en vient davantage : C'est bénédiction. Fait-elle bien ou mal ? Dieu le sait mais son culte est l'amour filial. À l'office prochain Je suivrai le bon oncle ; irez-vous ? Déjà ? Hâtez-vous. Je descends jusqu'au bord de la source. Pour voir si du ruisseau rien n'arrête la course : Quand il suit son chemin il fait un bruit si doux ! Je veux que les amis, bras dessus, bras dessous, Épanchent leurs deux coeurs près de ses ondes fraîches, En caressant de l'oeil le duvet de mes pêches. Et qui donne fait mieux, Ange de charité ! Protestante ou fidèle, Elle ira droit aux cieux ; mais pour s'emparer d'elle Et l'y mener tous deux par différents chemins, La messe avec le prêche ici vont être aux mains. Non, ce cher Paolo par respect doit se taire II était à cinq ans quelque peu volontaire. Mon préféré, mon fils, ce petit révolté Qu'à l'école autrefois malgré lui j'ai porté, Je vais donc le revoir aujourd'hui, tout à l'heure, L'embrasser le premier !... On vient... Allons, je pleur !e Tout ému que je suis, restons maître de moi : Avant que de pleurer il faut savoir pourquoi. Quel air sombre ! Est-ce lui ? Mon ancienne amitié ne peut le méconnaître; Non, c'est toi, c'est bien toi !... C'est vous, mon maître ! Je n'osais. Jamais assez ! Vous me reconnaissez ? J'ai vieilli. Qu'est-ce qu'un peu de fatigue ? L'ennui Qu'un triste pèlerin traine en route avec lui ? Pourquoi donc ne l'avoir pas chassée ? Bien vêtu, bien nourri, Je suffis, sans fatigue, aux soins du jardinage. L'hiver j'ai du loisir ; l'été je me ménage. Si mes melons ont soif, je suis leur sommelier ; Mais quand j'ai soif aussi, je me sers le premier. Je la suis. Mais en vieillard. À ma façon. Vous jeûnez ; moi, je tiens que, passé soixanteans, On peut en prendre à l'aise avec les Quatre-Temps. Pour les veilles, néant ; hors si Noël arrive, Vu que le réveillon me met sur le qui-vive. Quant à mon confesseur, ses avis sont ma loi ; Mais le vieux que j'ai pris dit toujours comme moi ; Et si, par grand hasard, il me prêche abstinence, C'est chose de santé plus que de continence. Je ne blâme personne et ne m'émeus de rien ; Doux pour moi, bon pour tous, je ris et mène à bien, Sans faire l'esprit fort, ni trancher de l'apôtre, Ma joie en ce bas monde et mon salut dans l'autre. Non. Non pas. Et que pouvait contre eux un pauvre domestique ? J'ai crié, mais tout bas ; car, à ne point mentir, Je n'eus jamais en moi l'étoffe d'un martyr. Vous hésitez! Il vous aime. Il est toujours le même. Expliquez-vous. Parlez. Qui répand ce bruit-là ? Quelque ennemi ! Voilà Comme on brouille les gens ! Eh ! Pourquoi pas ? Incertain ! Souffrez que je m'explique. Si fait. Je le suis trop pour elle et pas assez pour lui. Au moins... Au moins voyez la chambre où vous vous plaisiez tant. Des deux côtés voilà qu'on me soupçonne Soyez donc modéré, pour ne plaire à personne. Montez. Je cours vers votre frère. Pardon ! Sans doute, Et je vais, j'en suis sùr, le trouver sur ma route, Qui, les deux bras tendus, et de larmes baigné. Je m'y perds. Cette fois, Il a paré le coup. Qu'elle y reste ! Ah ! La voilà partie ! Le démon de Luther se met de la partie. Fausse comparaison, maîtresse ; car j'estime Qu'il n'a pu, n'ayant rien, manger sa légitime. Bon ! Dieu fera le sourd pour ne s'en pas fâcher. Le premier choc fut rude; Mais quand de disputer ils auront l'habitude... Mon maître. Un mot ! Cet homme à barbe grise, Ce moine, qui jamais ne parle sans prêcher, Et même quand il prie a l'air de se fâcher, Il est en bas. La diète, qui l'exile, Entend que sous deux jours il cherche un autre asile ; Mais il veut en partant vous bénir de sa main, Et la cérémonie est fixée à demain. Ce qui se passe, Et ce qu'à ma maîtresse il contait à voix basse. Mais s'il allait monter. Je viens de l'avertir. Sur ce point m'en croirez-vous ? C'est d'un bon frère. L'alternative est dure. Je ne dis pas cela ; Mais je n'ai pas d'ami qui m'aime à ce point-là. Heureusement ! En tout cas je proclame Que je suis bon chrétien, chrétien de coeur et d'âme, Pour que vous le sachiez et le fassiez savoir Aux amis trop ardents que je pourrais avoir. Mais votre nièce accourt ; je vous laisse avec elle. Dans ces sentiments doux Qu'elle inspire si bien, que le ciel vous maintienne ! Adieu ! Comme il entend la charité chrétienne! Quel homme ! Après quinze ans d'absence ! Allez, qui n'a pas tort Sans s'offenser de rien souffre qu'on lui réponde : Mécontent de soi-même on l'est de tout le monde. Adieu ! Puisqu'à choisir le ciel me réserva, Je suis le serviteur de celui qui s'en va. Faites qu'il demeure, Ou vos nuits sans repos commencent aujourd'hui, Et vous aurez chasse le sommeil avec lui. Il part. S'il le faut, je garderai la porte. Et personne d'absent au banquet de famine ! Laissez-la vous choyer ; je vous dis à l'oreille Que vous pourrez chez vous lui rendre la pareille. Quand mettrai-je à bas vos blés qui sont superbes ? Je suis prêt. Jusqu'aux bords ! À l'enfant bien-aimé pour qui j'ai fait des voeux, Lorsque l'eau du baptême a mouillé ses cheveux ! Oui, tous les braves gens y trinqueront ensemble : Vous et lui. Quand je me porte bien ; Indisposé, j'ai peur et n'affirme plus rien. Mais un beau jour d'octobre, où la récolte donne, Vient-il me ranimer, plus gaillard, je raisonne ; Comment ? En jardinier. Je me dis : Les humains Ressemblent aux fruits mûrs qui tombent dans nos mains, Nous jetons les mauvais ; pour les bons, qui s'informe S'ils diffèrent de goût, de couleur et de forme ? Ainsi de nous, le jour où comme eux nous tombons, Dieu ne fait que deux parts : les mauvais et les bons. Faut-il vous montrer le chemin ? De grand coeur ; jamais homme, Si l'homme heureux dort bien, n'aura fait meilleur somme. **** *creator_delavigne *book_delavigne_familletempsluther *style_verse *genre_tragedy *dist1_delavigne_verse_tragedy_familletempsluther *dist2_delavigne_verse_tragedy *id_THECLA *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_thecla Bien ! Gloire à Dieu, Luigi ! Du moins mon premier-né Suit l'exemple pieux qu'à deux fils j'ai donné. Puissé-je voir ton frère entrer dans cette voie, Et comme Siméon je mourrai de ma joie. Rougis de son aveuglement. Il s'y plaît, s'attache obstinément À Rome, à ce cadavre, à cette chair impure Qu'un souffle de Luther a mise en pourriture. Crime horrible envers le Dieu jaloux ! Mais catholique ! Catholique ? Et digne qu'on le pleure, Que je regretterai jusqu'à ma dernière heure ; Mais catholique, enfin! Église alors, mon fils ; mais nos ardents hommages Au ciel, en holocauste, ont offert ses images, Ses marbres, ses tableaux, jusqu'à ce Raphaël, Dont les lambeaux brûlants sont tombés sur l'autel. Point de soupir ! Laissez à l'Italie D'un culte qui se meurt l'idolâtre folie. Le courroux des élus fit oeuvre de raison Lorsqu'on brûlant un meuble il sauva la maison, Et, sans votre séjour dans une autre Gomorrhe, Vous n'auriez pas, mon fils, pour des arts que j'abhorre, Des simulacres vains, sans vie et sans pouvoir, Ces mollesses de coeur que j'ai honte à vous voir. Ce fut alors qu'au sein de son humble servante Descendit du Seigneur la parole vivante ; Mais par vous aux faux dieux Paolo confié Ne suça point ce lait qui l'eût purifié. Et, prélat ! Qu'il était, ne tint pas sa promesse. L'Ecclesiaste a dit : « Tout n'est que vanité. » Paolo se crut riche, et pauvre il est resté. Confiance imprudente ! Qui l'excuse du moins. Son humeur sombre, ardente, Ses désirs excités et jamais assouvis, S'irritaient, s'ennammaientau fond des saints parvis : Son coeur s'y consumait en extases mystiques, Comme les pâles feux mourant sous leurs portiques, Et dans les flots d'encens de leurs solennités Vers les cieux s'exhalait, ivre de voluptés ; Mais quels attraits divins lui paraient son idole ; Pompe auguste, rayons d'une triple auréole, Gloiremorteet vivante, oeuvre des arts, beauxjours... Ah ! Quand on les a vus, on y rêve toujours. Au moment d'abjurer la loi qu'on y professe, Vers sa fange, mon fils, quel regret vous rabaisse ? Et vous la détestez en secouant sa chaine ? De la robe du Christ qui revêt la blancheur Doit haïr le péché. Jusqu'au pécheur lui-même, alors qu'il persévère, Fût-ce un frère, le vôtre ; oui, votre propre frère. De mon coeur je le chasse aujourd'hui. Je l'en arrache, et je ne vois en lui Qu'une âme par l'orgueil de lèpre dévorée, Qu'une impure brebis d'Israël séparée, Loin du bercail céleste errant à l'abandon, Et pour qui je n'ai plus ni baisers ni pardon. Qui ? moi ! redevenir la sienne ! Jamais ! Et c'est ainsi qu'une mère est chrétienne. Je ferai mon devoir : Jamais ! Qu'entends-je ?... Il cède enfin à vos longues prières? Pour fermer mes paupières ? L'absent revient à nous ! Ta servante, ô mon Dieu, t'en rend grâce à genoux. Suis-je donc insensible ? Étouffer la nature, est-ce un effort possible ? Le voir après quinze ans ! Mon fils !... Il m'est rendu ! Je puis mourir : le fils que je croyais perdu De sa vieille Thécla suivra les funérailles ; Lui, dont le doux fardeau fit frémir mes entrailles ; Lui, le sang de mon sang, le fruit de mes douleurs ; Ma voix expire et s'éteint dans mes pleurs. Me le cacher ! Il arrive ! Et quand ? Par quelle route ? Comment ? Et peut-être, Luigi, nous le convertirons. Ô joie inespérée ! Sa chambre d'autrefois est-elle préparée, Celle où vos lits voisins se touchaient tous les deux ? Il faut encor... je veux.... Marco ! M'entendra-t-il ? Marco ! Retrouve tes vingt ans, rajeunis d'allégresse : Mon Paolo revient. Quoi ! La maison entière était dans le secret ? Oui, catholique aussi ! Ne va pas Prendre avec lui les airs de nous blâmer tout bas. C'est bien mais à quoi bon vos hymnes, votre encens, Vos cloches dont le branle assourdit les passants, Vos saints qu'un cierge éclaire et que votre oeil adore Sur la toile enfumée où le ver les dévore ? Pour corriger un fou jamais il n'est trop tard. Mais le jour du repos, vous le passez en fête. De vos refrains vous nous brisez la tête. Marco ! Ai-je mis à l'entendre assez de patience ? En aurai-je besoin ? Le cacher ! Peur terrestre, Luigi ! La vérité qui blesse, Je l'entends sans colère et la dis sans faiblesse. Quoi ? Merci de Dieu ! Marco, voulez-vous qu'on vous chasse? De notre grand Luther l'apôtre préféré Des lumières du siècle est sans doute éclairé ; Mais ne demandez pas à sa science humaine Ce courroux vigoureux, cette ferveur de haine Où son maître puisa l'àcre sincérité. Qui débordait en lui contre l'iniquité, Quand pour l'aveugle même il a rendu visible Jusqu'où pouvait faillir la parole infaillible, Et qu'il a mis à nu, de ses viriles mains, Tout ce ramas honteux de mensonges romains. Mélanchton, qui n'a point cette franchise amère, Eût-il pu rien détruire ? Ah ! Faible que je suis ! Pénible effort ! Si je puis ; mais j'ai tort. À ta langue, Marco, tu feras violence ! Que murmurez-vous ? Venez, petite fille : Vous étiez contre moi du complot de famille. Ces cadeaux d'Italie, Je les crains. Aussi, pour votre bien, je vous dis sans détours Qu'un peu de vanité se sent dans vos atours. Pas aujourd'hui Marco. Moi ? Prends garde. Tu ris, friponne. Il est vrai, quand jadis Le long des épis verts je suivais mes deux fils. Souvent je la vois grave. Devinant tous nos voeux ! Il ne lui manque plus que d'aller dans le temple Honorer ma vieillesse en suivant votre exemple. Tu l'entends ? Voici l'heure où, dans leur conférence, Luther et Mélanchton font assaut d'éloquence : De leur présence auguste ils veulent honorer La fête qui bientôt doit vous régénérer : Venez puiser d'avance une nouvelle vie À ce banquet de l'âme où leur voix vous convie. Au temple ils prêcheront demain ; Y viendras-tu ? Ce bras-là pour ma Bible. L'autre pour moi ! Partons. Il est ici ! Mon fils ! Seul bien Qu'au ciel je demandais ! Le mien, Le mien, qui m'est rendu ! Sous les larmes, Les baisers maternels. Parle-moi. J'ai tant gémi sur toi ! Je n'étais que malheureuse. Vous plaindre, est-ce une offense ? Ah ! C'est vrai. Grâce à la Providence, Tu trouveras ici la gaîté, l'abondance, L'union. Mais c'était juste aussi ; Dieu protège les siens. Cependant l'un prospère ; Mais l'autre... Je m'entends. Qu'à l'esprit qui s'obstine un jour le ciel pardonne ! C'est mon voeu. Pour l'aveugle à quoi sert la clarté ? L'erreur ! Unis, toujours unis, en priant l'un pour l'autre ! Oublions tout. Ta main ! Embrassons-nous, mon fils, et de bonne amitié. Je vous quitte ; Marco ne fait rien qu'à moitié. J'aurai du soin pour deux. Que le foyer pétille ; Grand feu ! Fête au logis et banquet de famille ! Après un si long deuil que la joie ait son tour, Puisque l'enfant prodigue est enfin de retour. Respect à l'Écriture ! En rire, c'est pécher. Silence ! Et suivez-moi. Que dit-elle ? Mais, avant tout, mon fils de respecter sa mère. Sortez. Faites voir Que ce respect pour vous est encore un devoir. Vain souvenir d'un temps où je fus idolâtre ! Nuit d'erreur ! J'étais marâtre. Alors, les égarant tous deux, Je perdais mes enfants. L'un d'eux Va se rouvrir le ciel. Quittez donc votre culte. Il est fatal. Sacrilège. Et ne vous voit-il pas ? Est-ce de faire outrage À tous les droits sacrés qu'avec lui je partage ? Retournez donc à Rome, où l'esprit d'imposture Triomphe et foule aux pieds les lois de la nature. Lui, vous suivre ? Ah ! Plutôt à mes pieds Que le courroux du ciel ! Ne l'as-tu pas toi-même arraché de ma bouche ? Va donc ; fuis, porte ailleurs ta piété farouche. Rome te tend les bras ; fuis les miens, fuis ces lieux ; Mère, frère, pays, fuis tout ; dans ses adieux, Celle qu'un fils ingrat traite ici d'étrangère N'a plus de fils en lui, puisqu'il n'a plus de mère. Vous avez entendu. Qu'au plus saint des devoirs par vous il soit rendu ; Qu'il dompte son orgueil ; qu'il force sa colère À respecter en moi ce qu'en lui je tolère ; N'exiger rien de plus, c'est me contraindre assez ; S'il ne le peut, qu'il parte, ou je pars choisissez. À mon fils dois-je céder la place ? Il met bas son audace ? Son orgueil a fléchi ? Gloire à vous ! Et sous votre courroux vous l'avez terrassé ? Et vous l'avez fait taire ? Et vous... Chassé ! Et vous ne l'avez pas, Quand il a dit « Je pars, » retenu dans vos bras ! Le chasser des lieux qui l'ont vu naître! De chez vous, de chez lui Sous ce toit dont le maître À cette heure de paix nous bénit tant de fois, Nous devions une nuit reposer tous les trois. Non ; je ne dis plus rien. Sans qu'une fois du moins il soit notre convive ? Je me tais et je pleure. Il est vrai. Tout est fini ! Mes enfants ! Le bonheur. Toi, là ; ton frère, ici ; Votre mère entre vous. Un de moins, tous étaient malheureux. Prends, mon fils. Moi, les compter. Par qui de mes beaux ans la verdeur va renaître ! Soit ; mais. Adieu jusqu'au réveil. J'y viendrai, cette nuit, le front dans la poussière, Conjurer le Seigneur d'être avec toi demain. Prions pour Luigi qui sommeille. Du sacrifice enfin c'est aujourd'hui la veille : Dieu, de t'offrir mon fils le moment est venu. Meure en lui le pécheur qui t'avait méconnu. Et vers toi que le chrétien s'élance ! Tu l'entends ton oracle a rompu le silence. Oui, ce livre inspiré, je l'ouvris au hasard, Et le verset du texte où tomba mon regard Me dit qu'en l'acceptant tu bénirais l'offrande ; Car voici, Saint des saints, ce que ta voix commande : « Prends celui que tu aimes, ton unique sur la terre, Et va me l'offrir en holocauste ! » Couronnant mes efforts, Achève, Dieu vainqueur, fais-moi boire à pleins bords Les pures voluptés dont ta coupe est remplie : Que je jouisse enfin de mon oeuvre accomplie, Dans la joie et l'orgueil de la maternité ; Achève et mets le comble à ma félicité ! Qu'entends-je ? Crainte vaine ! Il veillait, il médite ; D'une ardente ferveur l'émotion l'agite, Et ces sons étouffés qui me glaçaient d'effroi... Non, des gémissements arrivent jusqu'à moi. Il appelle son frère. Ah courons ; je frémis. Sanglant ! Frappé dans l'ombre !... Un meurtre !... Des secours ! Des secours !... Non !... Mort ! Elci, viens, cours ! Viens, mon fils, courons tous ; qu'il rouvre sa paupière Sous les embrassements de sa famille entière ! Ton père assassiné ! Vois mes pleurs, vois le sang qui coule de son sein ! Cours, Paolo ; poursuis, punis son assassin ; Venge-nous tous. Pense au ciel et renie un culte abominable ! Abjure et sois chrétien ! Il est sauvé ! Mon fils !... Ah ! que le meurtrier, Rebut des siens, horreur de son propre foyer, Fuyant sa solitude et partout solitaire, Privé de l'eau, du feu, sans abri sur la terre Où s'arrêter le jour, où s'étendre le soir, Et sans repos, s'il vit, et s'il meurt, sans espoir, Soit maudit par le prêtre à son heure suprême, Maudit par tous, maudit par son père lui-même, Maudit par celle enfin dont les flancs ont porté Cet exécrable fruit de leur fécondité ! Cieux, entendez ce cri de ma douleur profonde ; Vengez-moi, justes cieux, moi, qui suis seule au monde, Moi, qui n'ai plus de fils ! Ah ! Pardon ! Qu'ai-je dit ? Il m'en reste un encor. **** *creator_delavigne *book_delavigne_familletempsluther *style_verse *genre_tragedy *dist1_delavigne_verse_tragedy_familletempsluther *dist2_delavigne_verse_tragedy *id_ELCI *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_elci Contre vous, bonne mère ! Ah ! Dites mieux, pour vous. Un plaisir qui surprend n'en est-il pas plus doux ? Comment ne pas l'aimer ? Il m'aime, et tous les ans Je reçois de sa part quelques nouveaux présents. Et moi pas ; ils me rendent jolie. Rien qu'un peu ? Et ces atours d'ailleurs, qui les rend plus mondains ? Vous. Ces bijoux d'or sont un don de vos mains : Reprenez-les. Osez. Vous n'oseriez. Hélas ! Pas lui, du moins. D'instinct, de sentiment : Mon coeur m'eût dit : c'est lui ! De plaisir transportée, En trois bonds dans ses bras je me serais jetée. Lasse d'attendre enfin, j'ai fait comme l'abeille, Qui retourne au travail sitôt qu'elle s'éveille, Et, parfumée encor des courses du matin, Dans sa ruche en rentrant rapporte son butin. Je n'ai pas épargné les blés du voisinage ; Ces touffes de bluets en rendent témoignage ; Mon oncle aimait ces fleurs. Prends pour orner la chambre qu'il préfère. La gaîté vous plaît tant ! Vous aimez qu'on le soit. Mais du pauvre conteur les fruits sont au pillage. Ordonnez. Ma résolution ne peut rester douteuse : Je veux être avec vous heureuse ou malheureuse. Peut-être. C'est possible. Chacun veut la gagner. Adieu, Marco ! Ma tâche est commencée : J'habille du voisin la pauvre fiancée. J'achèverai trop tard si je perds un moment, Et donner à propos c'est donner doublement. Dieu bénisse, Marco, tes soins industrieux Va,qui travaille prie. Mon oncle en m'écrivant ne me disait pas : vous. À ta bonne heure ; au moins Vous me donnez mon nom. Par mes soins Je veux vous retenir en cherchant à vous plaire ; Je veux vous enchaîner. Pour toujours ! Dont vos mains sur l'ivoire ont reproduit l'image ? Admirant votre ouvrage, Pour vous, soir et matin, je priais. Je disais : qu'il revienne et me chérisse en père ! Et j'obtiens... Plus que je n'espérais. Non, car je comptais bien mettre la paix ici Entre vous et quelqu'un que je révère aussi. Comment ? Jusqu'au reproche Vous écouterez tout ? Alors je vais remplir mon grave ministère. Vous avez peur ? Si ma mère Traite certain sujet avec un peu d'aigreur, Vous serez indulgent ? Sans répondre ? Sans répondre. Et c'est convenu ? En cercle, quand le soir Tous quatre autour du feu nous viendrons nous asseoir, Ne vous offensez pas si je prends soin moi-même De placer sous ses yeux le seul livre qu'elle aime. La Bible. La Bible... de Luther. Pendant cette lecture, Vous me regarderez. Mous causerons de Rome. Nous lirons tous deux. Mais bien bas, sans nous occuper d'eux. C'est chose naturelle Qu'il ait sa liberté, s'il veut lire avec elle. Mon père. Ne craignez rien : Il respecte mon culte en pratiquant le sien. Bon comme lui, vous suivrez son exemple, Et le jour du Seigneur, quand ils iront au temple. Qu'avez-vous ? Pas encor. De quelques jours. Ne me regardez pas avec cet oeil terrible. Je tremble. Moi ! Qui ? Moi ! Aurais-je pu mentir ? Et par moi ! De grâce ! J'obéis. Qui ? Votre frère ! Ah ! C'est cruel. On le plaint. Vous ne m'avez jamais parlé si durement. Il est encore ici ? Quoi ! Le jour qu'il arrive ? Le voici. Vous lui direz un mot ! Vous ne le verrez plus. Pardon pour mon père ! Vous resterez. Rien ne pouvait les rompre. Oubliez ! Et moi, mon prisonnier. Près de vous votre fille ! C'est penser à nous deux. Ces fruits, ils sont à vous ; Car dans votre verger je les ai cueillis tous. Et moi, me mêlant aux glaneurs, De vos épis tombés leur faire les honneurs. Que j'appris à chérir avant de le connaître ! La faute en est au vin dont j'ai rempli son verre. Ici pour vous revoir je serai la première. Arrêtez ! Calmez mon épouvante. Quoi ? Il est ici ! Elle a frappé ! Qui ? Pour qui ? Quelle est-elle ? Je frissonne. Mon père ! Ah ! Que vois-je ? C'est lui ! Mes baisers vous rendront à la vie ; Ils vont vous ranimer. Non, ne me quittez pas ! Votre croyance, Je l'embrasse, ô mon père ! Elle est mon espérance : Je vous suivrai du moins. Il expire !