**** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_CECILE *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_cecile Mon oncle, qu'avez-vous ? Vous me paraissez inquiet.Le Commandeur, en s'agitant dans son fauteuil.Ce n'est rien, ma nièce. Ce n'est rien. Et moi, mon cher oncle, je marque six points d'école. Six points d'école... Six points d'école... Six et quatre que j'avais, font dix.Le Commandeur, toujours à Germeuil.Monsieur, ayez la bonté de vous placer autrement ; et vous me ferez plaisir. Mon cher oncle, vous n'êtes pas à votre jeu. Mon oncle ! Mon oncle ! Monsieur le commandeur ! Mon père, j'ai fait ce que j'ai dû. Mon père, il est tard. Si vous me permettiez de prendre à votre santé l'intérêt que vous avez la bonté de prendre à la mienne... Mon frère n'est plus un enfant. Mon père... M'apportez-vous de belles choses ? Combien cette pièce ? Qu'avez-vous là, dans ce carton ? Je ne veux pas les voir. Adieu, Madame Papillon. Mon père ! Oui, mon père. De faire en tout votre volonté. Si cependant il m'était permis de choisir un état... Je préférerais la retraite. Oui, mon père. Je ne vois que cet asile contre les peines que je crains. Je vous ai dit, mon père, que je ferais en tout votre volonté. Mais j'ose espérer que vous ne contraindrez pas votre fille à changer d'état, et que, du moins, il lui sera permis de passer des jours tranquilles et libres à côté de vous. Cela est vrai. Mais est-il un état sans peine ; et le mariage n'a-t-il pas les siennes ? Oui, mon père. Mais où sont les femmes comme elle et les époux comme vous ? S'il suffisait de regarder autour de soi, d'écouter sa raison et son coeur... Votre bonté m'afflige. Si vous pouviez me traiter plus sévèrement. Non, mon père. Rien. Je suis accablée de votre tendresse... Je voudrais y répondre. Que je serais à plaindre ! Le sort de mon frère me fait trembler. Peut-être ne me trouveriez-vous pas plus raisonnable que lui. C'est ainsi que j'en pense. Vos enfants ne mettront jamais de bornes ni à votre autorité, ni à votre reconnaissance... Jusqu'à présent il vous a honoré comme un père et vous l'avez traité comme un de vos enfants. Je crois qu'il faut le consulter lui-même...Peut-être a-t-il des idées... Peut-être... Quel conseil pourrais-je vous donner ? J'ignore ce que c'est ; mais vous connaissez mon oncle. Ah mon père, n'en croyez rien. Mon père. Saint-Albin... Mon frère, c'est moi ; c'est Cécile qui connaît votre peine, et qui vient à vous. Je m'en irai, si je vous afflige. Mon frère ? Il vous reste une soeur, un ami. Le voilà. Laissez-moi. Qu'osez-vous me demander ? Je recevrais la maîtresse de mon frère chez moi ! Chez moi ! Dans mon appartement ! Dans la maison de mon père !Laissez-moi, vous dis-je, je ne veux pas vous entendre. Non, non, non. Non, non... Une inconnue ! Que dirait mon père ? Et le commandeur ? Il en a comme tous ses pareils, quand il s'agit d'accuser et de noircir. Vous êtes la cause de toutes mes peines. La maîtresse de mon frère ! Une inconnue !... Non, monsieur ; mon coeur me dit que cela est mal ; et il ne m'a jamais trompée. Ne m'en parlez plus ; je tremble qu'on ne nous écoute. Qu'avez-vous fait ? Germeuil, qu'avez-vous fait ! Ô ciel ! Appelez... Eh ! Non, n'appelez pas. Qu'elle me peine !... Oh ! Que ceux qui peuvent la tourmenter sont méchants ! Levez-vous... Qu'avez-vous fait ? Je connais le mien, je ne voulais ni vous voir, ni vous entendre... Enfant aimable et malheureux, comment vous nommez-vous ? Sophie, venez. Me voilà, grâce à vous, à la merci de mes gens. Que les hommes sont dangereux ! Pour son bonheur, on ne peut les tenir trop loin... Homme, éloignez-vous de moi... Vous vous en allez, je crois ? Fort bien. Après m'avoir mise dans la position la plus cruelle, il ne vous reste plus qu'à m'y laisser.Allez, monsieur, allez. Vous vous plaignez, je crois ? Vous m'impatientez... Songez que je suis dans un trouble qui ne me laissera rien prévoir, rien prévenir. Comment oserai-je lever les yeux devant mon père ? S'il s'aperçoit de mon embarras, et qu'il m'interroge, je ne mentirai pas. Savez-vous qu'il ne faut qu'un mot inconsidéré pour éclairer un homme tel que le commandeur ?... Et mon frère !... Je redoute d'avance le spectacle de sa douleur. Que va-t-il devenir lorsqu'il ne retrouvera plus Sophie ?... Monsieur, ne me quittez pas un moment, si vous ne voulez pas que tout se découvre... Mais on vient : allez... Restez... Non, retirez-vous...Ciel ! Dans quel état je suis ! Oui, mon cher oncle. C'est assez mon goût. Qui, l'ami ? Il vient de sortir. Qu'appelez-vous penser à moi ? Pardonnez-moi, monsieur, c'est mon projet. Vous devez le supposer. Vous ne me le laisserez pas ignorer. Mon oncle, je n'examinerai point jusqu'où les parents sont les maîtres de leur fortune, et s'ils peuvent, sans injustice, la transporter où il leur plaît. Je sais que je ne pourrais accepter la vôtre sans honte ; et c'en est assez pour moi. Je connais mon frère ; et s'il était ici, nous n'aurions tous les deux qu'une voix. Monsieur le commandeur, ne me pressez pas ; je suis vraie. Que c'est une inhumanité sans exemple, que d'avoir en province des parents plongés dans l'indigence, que mon père secourt à votre insu, et que vous frustrez d'une fortune qui leur appartient, et dont ils ont un besoin si grand ; que nous ne voulons, ni mon frère, ni moi, d'un bien qu'il faudrait restituer à ceux à qui les lois de la nature et de la société l'ont destiné. Mon cher oncle, vous ferez bien. Voilà ce que j'avais prévu. Mon frère, il n'en est rien. Mon père, Germeuil n'est ni vil ni perfide. Germeuil, où allez-vous ? Mon frère... Arrêtez... Je me meurs... Le Commandeur, au père de famille.Y prend-elle intérêt ? Qu'en dites-vous ? Mon frère ! Que dites-vous ? Qu'avez-vous ? Mon frère, vous m'effrayez. Germeuil est innocent. Ce n'est point un barbare ; c'est votre ami. Qu'entends-je ?... Vous lui auriez proposé ?... Lui, vous, moi votre soeur ? ... C'est un homme d'honneur ; oui, Saint-Albin, et c'est en l'accusant que vous achevez de me l'apprendre. Non, mon frère, vous m'écouterez ; vous verrez Cécile à vos genoux... Germeuil... Rendez-lui justice... Ne le connaissez-vous plus ? Un moment l'a-t-il pu changer ? ... Vous l'accusez ! Vous ! ...Homme injuste ! Vous avez un dessein ? Vous me haïssez. Vous attendez mon père. Je le vois, vous voulez perdre Germeuil... Vous voulez me perdre... Eh bien ! Perdez-nous... Dites à mon père... Ah ciel ! Ah !... Ah ! ... Qu'ai-je entendu ? Germeuil, arrêtez ; n'approchez pas. Arrêtez. Suis-je assez malheureuse ! Je suis désespérée... Mon frère en veut à votre vie. Pourquoi vous ai-je cru ? Que n'ai-je suivi mon pressentiment ! ... Vous avez entendu mon père. Il vous aimait, il vous estimait. Vous auriez fait le bonheur de sa fille... Cécile eût relevé la famille de son ami. Je n'osais lui ouvrir mon coeur... Désolé qu'il était de la passion de mon frère, je craignais d'ajouter à sa peine... Pouvais-je penser que, malgré l'opposition, la haine du commandeur... Ah !Germeuil ! C'est à vous qu'il me destinait. Qu'est-il encore arrivé ? Qui ? Eh bien ?Est assise à la porte de la maison ; les gens sont assemblés autour d'elle ; elle demande à entrer, à parler. Ah dieu ! ... Je cours... Me jeter aux pieds de mon père. Non, monsieur. Je n'écoute plus. Que voulez-vous de moi ? Non, monsieur, je ne veux pas être exposée davantage. Mon père saura tout ; mon père est bon, il verra mon innocence ; il connaîtra le motif de votre conduite, et j'obtiendrai mon pardon et le vôtre. Mon père est bon. Saint-Albin !... Germeuil ! Germeuil, c'est votre ami ; c'est mon frère. Insensé !... Ingrat !... Qu'avez-vous résolu ?...Vous ne savez pas... Vous vous trompez. Ô dieu !... Arrêtez... Apprenez... Sophie... Que vais-je lui dire ? Ce qu'il en a fait ? Il l'a dérobée à vos fureurs... Il l'a dérobée aux poursuites du commandeur... Il l'a conduite ici... Il a fallu la recevoir... Elle est ici, et elle y est malgré moi... Allez, maintenant ; courez lui enfoncer votre épée dans le sein. Qu'osez-vous me demander ? Y pensez-vous ? Et mon père ? Et le commandeur ? Germeuil ! Ô la cruelle vie ! Conduisez-la. Prenez bien garde. Ne craignez rien. Rassurez-vous. Asseyez-vous. Mon enfant. Je meurs d'inquiétude et de crainte... Deschamp a-t-il reparu ? Où peut-il être allé ? Que s'est-il passé ? Quelqu'un l'aurait-il aperçue ? Deschamps aurait-il parlé ? Et mon oncle ?Je l'ai vu. Il gesticulait ; il se parlait à lui-même ; il avait tous les signes de cette gaieté méchante, que vous lui connaissez. Où est-il ? Allez... Courez... Attendez le retour de mon oncle... Ne le perdez pas de vue... Il faut trouver Deschamps... Il faut savoir ce qu'il a dit.Sitôt que Germeuil sera rentré, dites-lui que je suis ici. Où en suis-je réduite !... Ah ! Germeuil !... Le trouble me suit... Tout semble me menacer... Tout m'effraye... Mon frère, Deschamps a disparu. On ne sait ni ce qu'il a dit, ni ce qu'il est devenu. Le commandeur est sorti en secret, et seul... Il se forme un orage. Je le vois ; je le sens ; je ne veux pas l'attendre. J'ai mal fait... J'ai mal fait... Cette enfant ne veut plus rester ; il faut la laisser aller. Mon père a vu mes alarmes. Plongé dans la peine et délaissé par ses enfants, que voulez-vous qu'il pense, sinon que la honte de quelque action indiscrète leur fait éviter sa présence et négliger sa douleur ?... Il faut s'en rapprocher. Germeuil est perdu dans son esprit ; Germeuil, qu'il avait résolu... Mon frère, vous êtes généreux ; n'exposez pas plus longtemps votre ami, votre soeur, la tranquillité et les jours de mon père. Si cette femme avait pénétré !... Si le commandeur savait !... Je n'y pense pas sans frémir... Avec quelle vraisemblance et quel avantage il nous attaquerait ! Quelles couleurs il pourrait donner à notre conduite ! Et cela, dans un moment où l'âme de mon père est ouverte à toutes les impressions qu'on y voudra jeter. Il craint pour vous ; il craint pour moi : il est allé chez cette femme... Ah ciel ! Que dira mon père ? Ah ! Germeuil, qu'avez-vous fait ! Non, j'attendrai mon père. Je ne sais que devenir... Germeuil...Saint-Albin... Ô mon père, que vous répondrai-je !... Que dirai-je à mon oncle ?... Mais le voici... Asseyons-nous... Prenons mon ouvrage...Cela me dispensera du moins de le regarder. Encore ! Cécile, tristement.Fort mal. Je n'y tiens plus. J'entends, je crois, mon père. Mon oncle... Il est vrai. J'attendais mon père. Il tarde à venir, et j'en suis inquiète. Philippe, Philippe, appelez mon père. Mon père ! Mon père, ne condamnez pas votre fille sans l'entendre. Malgré les apparences, Cécile n'est point coupable ; elle n'a pu ni délibérer, ni vous consulter... Mon père ! Mon père, pardonnez-moi. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_SAINTALBIN *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_saintalbin Ah ! Je suis désespéré. Elle pleure, elle soupire, elle songe à s'éloigner ; et si elle s'éloigne, je suis perdu. Sophie... Non, Sophie, non... Je périrai plutôt. Mon père, vous me voyez à vos pieds ; votre fils n'est pas indigne de vous. Mais il va périr ; il va perdre celle qu'il chérit au delà de la vie ; vous seul pouvez la lui conserver. écoutez-moi, pardonnez-moi, secourez-moi. Si j'ai jamais éprouvé votre bonté ; si dès mon enfance j'ai pu vous regarder comme l'ami le plus tendre ; si vous fûtes le confident de toutes mes joies et de toutes mes peines, ne m'abandonnez pas ; conservez-moi Sophie ; que je vous doive ce que j'ai de plus cher au monde. Protégez-la... Elle va nous quitter, rien n'est plus certain...Voyez-la, détournez-la de son projet... la vie deVotre fils en dépend... Si vous la voyez, je serai le plus heureux de tous les enfants, et vous serez le plus heureux de tous les pères. Elle est pauvre, elle est ignorée ; elle habite un réduit obscur. Mais c'est un ange, c'est un ange ; et ce réduit est le ciel. Je n'en descendis jamais sans être meilleur. Je ne vois rien dans ma vie dissipée et tumultueuse à comparer aux heures innocentes que j'y ai passées. J'y voudrais vivre et mourir, dussé-je être méconnu, méprisé du reste de la terre... Je croyais avoir aimé, je me trompais...C'est à présent que j'aime... Oui... J'aime pour la première fois. Ah, mon père ! C'est à cet habit que je dois mon bonheur, ma Sophie, ma vie. Il a fallu me rapprocher de son état ; il a fallu lui dérober mon rang, devenir son égal. Écoutez, écoutez. Près de cet asile écarté qui la cache aux yeux des hommes... Ce fut ma dernière ressource. À côté de ce réduit... Il y en avait un autre. Je le loue, j'y fais porter les meubles qui conviennent à un indigent ; je m'y loge, et je deviens son voisin, sous le nom de Sergi, et sous cet habit. Jugez si j'aimais !... Qu'il va m'en coûter cher !.... Ah ! Mon père, vous saurez tout. Hélas ! Je n'ai que ce moyen pour vous fléchir !... La première fois que je la vis, ce fut à l'église. Elle était à genoux au pied des autels, auprès d'une femme âgée que je pris d'abord pour sa mère ; elle attachait tous les regards... Ah ! Mon père, quelle modestie !Quels charmes !... Non, je ne puis vous rendre l'impression qu'elle fit sur moi. Quel trouble j'éprouvai ! Avec quelle violence mon coeur palpita ! Ce que je ressentis ! Ce que je devins !... Depuis cet instant, je ne pensai, je ne rêvai qu'elle. Son image me suivit le jour, m'obséda la nuit, m'agita partout.J'en perdis la gaieté, la santé, le repos. Je ne pus vivre sans chercher à la retrouver. J'allais partout où j'espérais de la revoir. Je languissais, je périssais, vous le savez, lorsque je découvris que cette femme âgée qui l'accompagnait se nommait Madame Hébert ; que Sophie l'appelait sa bonne ; et que, reléguées toutes deux à un quatrième étage, elles y vivaient d'une vie misérable... Vous avouerai-je les espérances que je conçus alors, les offres que je fis, tous les projets que je formai ?Que j'eus lieu d'en rougir, lorsque le ciel m'eut inspiré de m'établir à côté d'elle !... Ah ! Mon père, il faut que tout ce qui l'approche devienne honnête ou s'en éloigne !... Vous ignorez ce que je dois à Sophie, vous l'ignorez... Elle m'a changé, je ne suis plus ce que j'étais... Dès les premiers instants, je sentis les désirs honteux s'éteindre dans mon âme, le respect et l'admiration leur succéder. Sans qu'elle m'eût arrêté, contenu, peut-être même avant qu'elle eût levé les yeux sur moi, je devins timide ; de jour en jour je le devins davantage ; et bientôt il ne me fut pas plus libre d'attenter à sa vertu qu'à sa vie. Ah ! Si vous connaissiez la vie de ces infortunées ! Imaginez que leur travail commence avant le jour, et que souvent elles y passent les nuits. La bonne file au rouet : une toile dure et grossière est entre les doigts tendres et délicats de Sophie, et les blesse. Ses yeux, les plus beaux yeux du monde, s'usent à la lumière d'une lampe.Elle vit sous un toit, entre quatre murs tout dépouillés ; une table de bois, deux chaises de paille, un grabat, voilà ses meubles... Ô ciel !Quand tu la formas, était-ce là le sort que tu lui destinais ? Il est inouï tout ce qui s'y opposait, tout ce que je fis. établi auprès d'elles, je ne cherchai point d'abord à les voir ; mais quand je les rencontrais en descendant, en montant, je les saluais avec respect. Le soir, quand je rentrais (car le jour on me croyait à mon travail), j'allais doucement frapper à leur porte, et je leur demandais les petits services qu'on se rend entre voisins ; comme de l'eau, du feu, de la lumière. Peu à peu elles se firent à moi ; elles prirent de la confiance. Je m'offris à les servir dans des bagatelles. Par exemple, elles n'aimaient pas sortir à la nuit ; j'allais et je venais pour elles. Un jour, j'entends frapper à ma porte ; j'ouvre : c'était la bonne. Elle entre sans parler, s'assied et se met à pleurer. Je lui demande ce qu'elle a."Sergi, me dit-elle, ce n'est pas sur moi que je pleure. Née dans la misère, j'y suis faite ; mais cette enfant me désole... "Qu'a-t-elle ? Que vous est-il arrivé ?... "Hélas ! répond la bonne, depuis huit jours nous n'avons plus d'ouvrage ; et nous sommes sur le point de manquer de pain." - Ciel ! m'écriai-je, tenez, allez, courez." Après cela... Je me renfermai, et l'on ne me vit plus. On s'aperçut de ma retraite, et je m'y attendais. La bonne Madame Hébert m'en fit des reproches.Je m'enhardis : je l'interrogeai sur leur situation ; je peignis la mienne comme il me plut. Je proposai d'associer notre indigence, et de l'alléger en vivant en commun. On fit des difficultés ; j'insistai, et l'on consentit à la fin.Jugez de ma joie. Hélas ! Elle a bien peu duré, et qui sait combien ma peine durera !Hier, j'arrivai à mon ordinaire, Sophie était seule ; elle avait les coudes appuyés sur sa table, et la tête penchée sur sa main ; son ouvrage était tombé à ses pieds. J'entrai sans qu'elle m'entendît ; elle soupirait. Des larmes s'échappaient d'entre ses doigts, et coulaient le long de ses bras. Il y avait déjà quelque temps que je la trouvais triste...Pourquoi pleurait-elle ?Qu'est-ce qui l'affligeait ?Ce n'était plus le besoin ; son travail et mes attentions pourvoyaient à tout... Menacé du seul malheur que je redoutais, je ne balançai point, je me jetai à ses genoux. Quelle fut sa surprise !"Sophie, lui dis-je, vous pleurez ? Qu'avez-vous ?Ne me celez pas votre peine. Parlez-moi ; de grâce, parlez-moi." Elle se taisait. Ses larmes continuaient de couler. Ses yeux, où la sérénité n'était plus, noyés dans les pleurs, se tournaient sur moi, s'en éloignaient, y revenaient. Elle disait seulement : "Pauvre Sergi, malheureuse Sophie !"Cependant j'avais baissé mon visage sur ses genoux, et je mouillais son tablier de mes larmes. Alors la bonne rentra. Je me lève, je cours à elle, je l'interroge ; je reviens à Sophie, je la conjure.Elle s'obstine au silence. Le désespoir s'empare de moi ; je marche dans la chambre, sans savoir ce que je fais. Je m'écrie douloureusement : "c'est fait de moi ; Sophie, vous voulez nous quitter : c'est fait de moi." À ces mots ses pleurs redoublent, et elle retombe sur sa table comme je l'avais trouvée.La lueur pâle et sombre d'une petite lampe éclairait cette scène de douleur, qui a duré toute la nuit.À l'heure que le travail est censé m'appeler, je suis sorti ; et je me retirais ici accablé de ma peine... Mon père ! Que vous mettrez le comble à tout ce que vous avez fait pour moi depuis que je suis ; que vous verrez Sophie, que vous lui parlerez, que... C'est là son secret. Mais ses moeurs, ses sentiments, ses discours n'ont rien de conforme à sa condition présente. Un autre état perce à travers la pauvreté de son vêtement : tout la trahit, jusqu'à je ne sais quelle fierté qu'on lui a inspirée, et qui la rend impénétrable sur son état !... Si vous voyiez son ingénuité, sa douceur, sa modestie !...Vous vous souvenez bien de maman... Vous soupirez.Eh bien ! C'est elle. Mon papa, voyez-la ; et si votre fils vous a dit un mot... Hélas ! Elle est aussi réservée que Sophie ! Ce que j'en ai pu tirer, c'est que cette enfant est venue de province implorer l'assistance d'un parent, qui n'a voulu ni la voir ni la secourir. J'ai profité de cette confidence pour adoucir sa misère, sans offenser sa délicatesse. Je fais du bien à ce que j'aime, et il n'y a que moi qui le sache. Moi, mon père ?... Je n'ai pas même entrevu dans l'avenir le moment où je l'oserais. Pardonnez-moi... Hélas ! Quelquefois je l'ai cru !... Sur des choses légères qui se sentent mieux qu'on ne les dit. Par exemple, elle prend intérêt à tout ce qui me touche. Auparavant, son visage s'éclaircissait à mon arrivée, son regard s'animait, elle avait plus de gaieté. J'ai cru deviner qu'elle m'attendait. Souvent elle m'a plaint d'un travail qui prenait toute ma journée, et je ne doute pas qu'elle n'ait prolongé le sien dans la nuit, pour m'arrêter plus longtemps. Tout. Vous la verrez ? Ah, mon père ! Vous la verrez ! ...Mais songez que le temps presse... Mon père, vous n'en aurez plus. Mon père ! Mon père !Le Père De Famille, s'arrêtant, et d'un ton sérieux.Mon fils, si vous n'êtes pas rentré en vous-même, si la raison n'a pas recouvré ses droits sur vous, ne venez pas aggraver vos torts et mon chagrin. Vous m'en voyez pénétré. J'approche de vous en tremblant... Je serai tranquille et raisonnable...Oui, je le serai... Je me le suis promis. Vous l'avez vue ? Elle est belle, elle est sage, et elle ne me convient pas ! Quelle est donc la femme qui me convient ? Ainsi le mariage sera pour moi un lien d'intérêt et d'ambition ! Mon père, vous n'avez qu'un fils ; ne le sacrifiez pas à des vues qui remplissent le monde d'époux malheureux. Il me faut une compagne honnête et sensible, qui m'apprenne à supporter les peines de la vie, et non une femme riche et titrée qui les accroisse. Ah ! Souhaitez-moi la mort, et que le ciel me l'accorde, plutôt qu'une femme comme j'en vois. Que je suis malheureux ! Sophie, le coeur de Sophie, et l'aveu de mon père. Que je suis malheureux ! Si je n'ai pas celle que j'aime, un jour il faudra que je sois à celle que je n'aimerai pas ; car je n'aimerai jamais que Sophie.Sans cesse j'en comparerai une autre avec elle ; cette autre sera malheureuse ; je le serai aussi ; vous le verrez et vous en périrez de regret. Mon père, ne m'ôtez pas Sophie. Cent fois vous m'avez dit qu'une femme honnête était la faveur la plus grande que le ciel pût accorder.Je l'ai trouvée ; et c'est vous qui voulez m'en priver ! Mon père, ne me l'ôtez pas. À présent qu'elle sait qui je suis, que ne doit-elle pas attendre de moi ? Saint-Albin sera-t-il moins généreux que Sergi ? Ne me l'ôtez pas : c'est elle qui a rappelé la vertu dans mon coeur ; elle seule peut l'y conserver. Vous êtes mon père, et vous commandez : elle sera ma femme, et c'est un autre empire. J'espère l'ignorer toujours. Vous avez vu Sophie !... Si je la quitte pour un rang, des dignités, des espérances, des préjugés, je ne mériterai pas de la connaître. Mon père, mépriseriez-vous assez votre fils pour le croire ? Je m'avilirais en devenant son époux ? Dans les choses indifférentes, je prendrai le monde comme il est ; mais quand il s'agira du bonheur ou du malheur de ma vie, du choix d'une compagne... Ils auront tout renversé, tout gâté, subordonné la nature à leurs misérables conventions, et j'y souscrirai ? Je les fuirai. Si je l'aime ! Moi ! Jamais, jamais. Je cesserais d'aimer Sophie ! Si j'en étais capable, j'ignorerais, je crois, si je vous aime. Je le voudrais en vain ; je ne puis ; je suis entraîné. Mon père, je ne puis. Ah ! Si j'osais répondre. Vous me le permettez ? Lorsque vous avez voulu ma mère, lorsque toute la famille se souleva contre vous, lorsque mon grand-papa vous appela enfant ingrat, et que vous l'appelâtes, au fond de votre âme, père cruel ; qui de vous deux avait raison ? Ma mère était vertueuse et belle comme Sophie ; elle était sans fortune, comme Sophie ; vous l'aimiez comme j'aime Sophie ; souffrîtes-vous qu'on vous l'arrachât, mon père, et n'ai-je pas un coeur aussi ? Qui sait encore ce qu'est Sophie ? Des ressources ! L'amour, l'indigence, m'en fourniront. Ne la point avoir, est le seul que je redoute. Je la recouvrerai. Vous verrez couler les pleurs de Sophie ; j'embrasserai vos genoux ; mes enfants vous tendront leurs bras innocents, et vous ne les repousserez pas. Voilà comme ils sont tous. C'est ainsi qu'ils nous aiment. S'ils étaient nos ennemis, que feraient-ils de plus ? Ils se croient sages, parce qu'ils ont d'autres passions que les nôtres. Ils ne nous ont donné la vie, que pour en disposer. Ils la remplissent d'amertume ; et comment seraient-ils touchés de nos peines ? Ils y sont faits. Des pères ! Des pères ! Il n'y en a point... Il n'y a que des tyrans. Oui, des tyrans. Mon père ! Mon père ! Parlez donc, monsieur, je vous écoute... Si c'est un malheur que de l'aimer, il est arrivé, et je n'y sais plus de remède... Si on me la refuse, qu'on m'apprenne à l'oublier... l'oublier !... Qui ? Elle ?Moi ? Je le pourrais ? Je le voudrais ? Que la malédiction de mon père s'accomplisse sur moi, si jamais j'en ai la pensée ! Monsieur le commandeur ! ... Je m'en vais. Eh bien ! Monsieur, dites. Déchirez-moi, désespérez-moi ; je n'ai qu'un mot à répondre.Sophie sera ma femme. Oui, ma femme. Qui m'a appris à mépriser tout ce qui vous enchaîne et vous avilit. De la honte ? Moi, fils de Monsieur D'Orbesson, et votre neveu. Non. Je n'y ai jamais pensé ; et je ne veux pas le savoir. J'ai quinze cents livres de rente ? Ah, Sophie ! Vous n'habiterez plus sous un toit !Vous ne sentirez plus les atteintes de la misère.J'ai quinze cents livres de rente ! Et que m'importe la richesse, si je n'ai pas celle avec qui je la voudrais partager ? Je sais. C'est ainsi qu'on appelle ceux qui préfèrent à tout une femme jeune, vertueuse et belle ; et je fais gloire d'être à la tête de ces fous-là. Je mangeais du pain, je buvais de l'eau à côté d'elle, et j'étais heureux. J'ai quinze cents livres de rente ! Elle sera nourrie, logée, vêtue, et nous vivrons. Soit. J'y suis résolu. Alors je m'adresserai à toutes les âmes sensibles.On me verra, on verra la compagne de mon infortune,je dirai mon nom, et je trouverai du secours. Vous les croyez méchants. Tort ou raison, il me restera deux appuis avec lesquels je peux défier l'univers, l'amour, qui fait entreprendre, et la fierté, qui fait supporter...On n'entend tant de plaintes dans le monde, queparce que le pauvre est sans courage... Et que le riche est sans humanité... C'est ce que vous craignez. Ce sera le premier. S'il vous plaît. Assurément. Tout est vu. Oui, tout est vu... Ils ont conjuré contre moi...Je le sens... C'est pour la première fois que mon père est d'accord avec cet oncle cruel. Ne perdons point de temps ; il faut l'aller trouver.Sophie, apercevant Saint-Albin.Le voilà, ma bonne, c'est lui. Oui, Sophie, oui, c'est moi ; je suis Sergi. Sophie, ne craignez rien. Sergi vous aimait ;Saint-Albin vous adore, et vous voyez l'homme le plus vrai et l'amant le plus passionné. Croyez que Sergi ne peut vivre, ne veut vivre que pour vous. Dites un mot. Que vous m'aimez. Sophie, m'aimez-vous ? Donnez-moi donc votre main ; recevez la mienne, et le serment que je fais ici à la face du ciel, et de cette honnête femme qui vous a servi de mère, de n'être jamais qu'à vous. Sophie, et vous aussi ? Ce n'est pas vous qui parlez, c'est lui. Je le reconnais, cet homme dur et cruel. Il m'a maudit, il m'a chassé : il ne lui restait plus qu'à se servir de vous pour m'arracher la vie. Jurez donc que vous serez à moi malgré lui. Et que vous importe mon père, mon oncle, ma soeur, et toute ma famille, si vous m'aimez ? Oui, Sophie. Vous me désespérez. Et vous le souhaitez ? Malheur, malheur à qui vous a connue, et qui peut être heureux sans vous ! Je mourrai de douleur, et vous l'aurez voulu... Sophie... Sophie... Vous m'abandonnez ? Vous voulez que je meure. Sophie, où allez-vous ? Vous m'aimez et vous m'abandonnez ? Non, non... Je ne le puis... Madame Hébert,Retenez-la... Ayez pitié de nous. Vous ne vous éloignerez pas... J'irai... Je vous suivrai... Sophie, arrêtez... Ce n'est ni par vous, ni par moi que je vous conjure... Vous avez résolu mon malheur et le vôtre... C'est au nom de ces parents cruels... Si je vous perds je ne pourrai ni les voir, ni les entendre, ni les souffrir...Voulez-vous que je les haïsse ? Sophie, écoutez... Vous ne connaissez pas Sophie, à Madame Hébert, qui pleure.Ma bonne, venez, venez ; arrachez-moi d'ici. Il peut tout oser ; vous le conduisez à sa perte...Oui, vous l'y conduisez... Qui que vous soyez, allez retrouver les barbares qui vous envoient. Retirez-vous. Retirez-vous. Vous m'affligez. Cécile ! Elle m'aimait ! Ils me l'ont ôtée ; elle me fuit. J'ai tout perdu... Ah ! Où est Germeuil ? Ma soeur, laissez-nous. Oui... C'est le seul parti qui me reste... Et j'y suis résolu... Germeuil, personne ne nous entend ? J'aime Sophie, j'en suis aimé ; vous aimez Cécile, et Cécile vous aime. Vous, ma soeur ! Mais la même persécution qu'on me fait, vous attend ; et si vous avez du courage, nous irons, Sophie, Cécile, vous et moi, chercher le bonheur loin de ceux qui nous entourent et nous tyrannisent. Vous avez des scrupules ; n'en parlons plus. Si je ne peux compter sur votre secours, épargnez-moi vos conseils. Le sort en est jeté. Adieu, Germeuil, embrassez-moi, je compte sur votre discrétion. M'assurer le seul bien dont je fasse cas, et m'éloigner d'ici pour jamais. Elles n'y sont plus... On ne sait ce qu'elles sont devenues... Elles ont disparu. Mon père, écoutez la prière d'un fils désespéré.Rendez-lui Sophie. Il est impossible qu'il vive sans elle. Vous faites le bonheur de tout ce qui vous environne ; votre fils sera-t-il le seul que vous ayez rendu malheureux ?... Elle n'y est plus...Elles ont disparu... Que ferai-je ?... Quelle sera ma vie ? Mon père ! Sophie, où êtes-vous ? Qu'êtes-vous devenue ? ...Ah ! ... Monsieur, laissez-moi. Je ne me repens que trop de vous avoir écouté... Je la suivais... Je l'aurais fléchie... Et je l'ai perdue ! Laissez-moi. Que je suis malheureux ! Que dites-vous de Germeuil ? Tout me manquerait-il en un jour ? Et le malheur qui me poursuit m'aurait-il encore ôté mon ami ?Monsieur le commandeur, achevez. Vous me faites mourir.Le Père De Famille, avec sévérité.Cécile, vous vous troublez. Ma soeur ! Je tremble... Je frémis... Ô ciel ! De quoi suis-je menacé ! Sophie... Grand dieu ! Lui ! Sophie... Et c'est Germeuil ! Je la vois... Je vois ses larmes. J'entends ses cris, et je ne meurs pas... Barbare, appelez votre indigne complice. Venez tous les deux ; par pitié, arrachez-moi la vie...Sophie !... Mon père, secourez-moi. Sauvez-moi de mon désespoir. Germeuil !... Lui !... Lui ! ... Qui se dit mon ami ! Le perfide ! Écoutez, et connaissez-le... Ah ! Le traître ! ...Chargé de votre indignation, irrité par cet oncle inhumain, abandonné de Sophie... J'allais, dans mon désespoir, m'en saisir et l'emporter au bout du monde... Non, jamais homme ne fut plus indignement joué... Il vient à moi... Je lui ouvre mon coeur... Je lui confie ma pensée comme à mon ami... Il me blâme... Il me dissuade... Il m'arrête, et c'est pour me trahir, me livrer, me perdre !... Il lui en coûtera la vie. Traître, où est-elle ? Rends-la-moi, et te prépare à défendre ta vie. Que t'a fait Sophie ? Que t'ai-je fait pour me trahir ? Si ma soeur t'est chère ; si tu la voulais, ne valait-il pas mieux ?... Je te l'avais proposé...Mais c'est par une trahison qu'il te convenait de l'obtenir... Homme vil, tu t'es trompé... Tu ne connais ni Cécile, ni mon père, ni ce commandeur qui t'a dégradé, et qui jouit maintenant de ta confusion... Tu ne réponds rien... Tu te tais. Quelle insolente intrépidité ! Du moins, grâce à votre méchanceté, je suis le seul époux qui lui reste. Qu'ai-je entendu ? Sophie est libre ! En quelque endroit qu'elle soit, sa bonne doit être revenue... J'irai. Je verrai sa bonne ; je m'accuserai ; j'embrasserai ses genoux ; je pleurerai ; je la toucherai ; et je percerai ce mystère. Laissez-moi. Vous avez des intérêts qui ne sont pas les miens. Tout est éclairci ; le traître est démasqué.Malheur à lui ! Malheur à lui ! C'est lui qui a emmené Sophie ; il faut qu'il périsse par mes mains... Philippe ! Portez cela. À Germeuil... Je l'attire hors d'ici ; je lui plonge mon épée dans le sein ; je lui arrache l'aveu de son crime et le secret de sa retraite, et je cours partout où me conduira l'espoir de la retrouver... Tu n'es pas allé, revenu ? Eh bien ? Marchez. Lui qui me doit tout !... Que j'ai cent fois défendu contre le commandeur !... À qui... Malheureuse, à quel homme t'es-tu attachée ! ... Le perfide ! Le traître !... Elle allait dans la confiance qu'on la menait ici... Il a abusé de votre nom... Il a pu voir leurs larmes ; entendre leurs cris ; les arracher l'une à l'autre ! Le barbare ! Mon ami ! Je le voulais... Il n'a tenu qu'à lui de partager mon sort... D'aller, lui et moi, vous et Sophie... Que ne me dit-il pas ! Que ne m'opposa-t-il pas !Avec quelle fausseté !... Qu'osez-vous dire ?... Tremblez, tremblez... Le défendre, c'est redoubler ma fureur... Éloignez-vous. Malheur à toi, s'il te reste de la tendresse !... Je pleure... Tu pleureras bientôt aussi. Par pitié pour vous-même, ne m'interrogez pas. Je vous plains. Je le fuis ; je fuis toute la terre. Je n'ai plus rien à lui dire... Il sait tout. Ah ! Il aurait épousé ma soeur ! Je l'appellerais mon frère ! Lui ! Le voilà, le voilà ; sortez, sortez tous. Je vous croyais seul, monsieur. Sortez ou restez ; je ne vous quitte plus. Je n'en sais que trop ! Laissez-moi. Laissez-nous... Germeuil... Eh bien, Sophie ? Qu'en a-t-il fait ? Parlez, parlez. Ô ciel ! Puis-je le croire ! Sophie est ici ! ...Et c'est lui ?... C'est vous ?... Ah, ma soeur !Ah, mon ami !... Je suis un malheureux. Je suis un insensé. Cécile, Germeuil, je vous dois tout... Me pardonnerez-vous ?Oui, vous êtes justes ; vous aimez aussi ; vous vous mettrez à ma place, et vous me pardonnerez... Mais elle a su mon projet : elle pleure, elle se désespère, elle me méprise, elle me hait... Cécile, voulez-vous vous venger ? Voulez-vous m'accabler sous le poids de mes torts ? Mettez le comble à vos bontés... Que je la voie... Que je la voie un instant... Ma soeur, il faut que je la voie ; il le faut. Cécile ! Et que m'importe ?... Il faut que je la voie, Et j'y cours. Je vais la revoir ! Je vais revoir Sophie ! J'entends ses pas... Elle approche... Je tremble...Je frissonne... Il semble que mon coeur veuille s'échapper de moi, et qu'il craigne d'aller au-devant d'elle. Je n'oserai lever les yeux... Je ne pourrai jamais lui parler. Sophie ! Germeuil appelle.Mademoiselle Clairet ?Mademoiselle Clairet, du dedans.J'y suis. C'est vous ; c'est vous. Je vous recouvre...Sophie... Ô ciel, quelle sévérité ! Quel silence !Sophie, ne me refusez pas un regard... J'ai tant souffert ! ... Dites un mot à cet infortuné.Sophie, sans le regarder.Le méritez-vous ? Demandez-leur. De vous aimer, de vous posséder, d'être à vous malgré toute la terre, malgré vous. Je les connaîtrai. J'irai ; j'embrasserai leurs genoux ; et c'est d'eux que je vous obtiendrai. Demandez plutôt ma vie ; elle est à vous. Qu'ils le disent. Vous détournez vos yeux de moi... Vous pleurez. Ah !J'ai mérité la mort... Malheureux que je suis !Qu'ai-je voulu ? Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je osé ?Qu'ai-je fait ? Mon coeur est innocent. Sophie, ayez pitié de moi... Pardonnez-moi. Sophie, pardonnez-moi. Sophie ! Ô dieu ! Que vais-je devenir !... Ma soeur, Germeuil, parlez ; parlez pour moi... Sophie, pardonnez-moi. Après ce que vous avez fait pour moi, m'abandonnerez-vous ? Non, il est dit que je n'aurai pas un instant de repos. Où est Germeuil ? Que vais-je devenir ? Ciel, qu'allez-vous faire ! Allons sauver Sophie.Vous me laissez ! N'approchez pas ! Sur votre vie, n'approchez pas. Auparavant il faut m'ôter la vie. Germeuil, laissez-moi. Arrêtez ! Mon père, vous pleurez. Mon père ! Mon oncle ! Mon oncle ! Elle a tout ! Si je la veux ! Ah ! Sophie ! Nous ne serons plus séparés. Justice ! Et de quoi ? Qu'ont-ils fait ? Mon père, c'est à vous-même que j'en appelle.Cécile pense et sent. Elle a l'âme délicate ; elle se dira ce qu'elle a dû me paraître pendant un instant. Je n'ajouterai rien à son propre reproche.Germeuil... Je vous pardonne... Mon estime et mon amitié vous seront conservées ; mes bienfaits vous suivront partout ; mais... Mon père, écoutez-moi... Germeuil, demeurez...C'est lui qui vous a conservé votre fils... Sans lui, vous n'en auriez plus.Qu'allais-je devenir ?... C'est lui qui m'a conservé Sophie... Menacée par moi, menacée par mon oncle, c'est Germeuil, c'est ma soeur qui l'ont sauvée...Ils n'avaient qu'un instant... Elle n'avait qu'un asile... Ils l'ont dérobée à ma violence... Les punirez-vous de ma faute ?... Cécile, venez. Il faut fléchir le meilleur des pères. D'assurer pour jamais son bonheur, le mien et le vôtre. Cécile... Germeuil... Ils s'aiment, ils s'adorent... Mon père, livrez-vous à toute votre bonté. Que ce jour soit le plus beau jour de notre vie. Germeuil, Sophie... Venez, venez... Allons tous nous jeter aux pieds de mon père. Mon oncle ! Mon père, ma soeur, mon ami, je vous ai tous affligés. Mais voyez-la, et accusez-moi, si vous pouvez. Ah ! Oui, mon papa. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_SOPHIE *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_sophie Oui, monsieur. Ma bonne ? Hélas ! Je suis d'une petite ville de province. Pas longtemps ; et plût au ciel que je n'y fusse jamais venue ! J'y gagne ma vie par mon travail. J'en aurai plus longtemps à souffrir. Non, monsieur. Le ciel me l'a conservée. Mais elle a eu tant de chagrins ; sa santé est si chancelante et sa misère si grande !... Bien pauvre. Avec cela, il n'en est point au monde dont j'aimasse mieux être la fille. Mon père fut un homme de bien. Il n'entendit jamais le malheureux sans en avoir pitié ; il n'abandonna pas ses amis dans la peine ; et il devint pauvre.Il eut beaucoup d'enfants de ma mère ; nous demeurâmes tous sans ressource à sa mort... J'étais bien jeune alors... Je me souviens à peine de l'avoir vu... Ma mère fut obligée de me prendre entre ses bras, et de m'élever à la hauteur de son lit pour l'embrasser et recevoir sa bénédiction... Je pleurais. Hélas ! Je ne sentais pas tout ce que je perdais ! Je suis venue ici, avec un de mes frères, implorer l'assistance d'un parent qui a été bien dur envers nous. Il m'avait vue autrefois, en province ; il paraissait avoir pris de l'affection pour moi, et ma mère avait espéré qu'il s'en ressouviendrait. Mais il a fermé sa porte à mon frère, et il m'a fait dire de n'en pas approcher. Il s'est mis au service du Roi. Et moi je suis restée avec la personne que vous voyez, et qui a la bonté de me regarder comme son enfant. Elle partage avec moi ce qu'elle a. Pardonnez-moi, monsieur ; j'en ai reçu quelques secours. Mais de quoi cela sert-il à ma mère ! Ma mère avait fait un dernier effort pour nous envoyer à Paris. Hélas ! Elle attendait de ce voyage un succès plus heureux. Sans cela aurait-elle pu se résoudre à m'éloigner d'elle ? Depuis, elle n'a plus su comment me faire revenir. Elle me mande cependant qu'on doit me reprendre, et me ramener dans peu. Il faut que quelqu'un s'en soit chargé par pitié. Oh ! Nous sommes bien à plaindre ! Personne. Oui, monsieur. Seules. C'est un malheureux qui gagne son pain comme nous, et qui a uni sa misère à la nôtre. Oui, monsieur. Vous le connaissez ? Votre fils ! Ah ! Sergi, vous m'avez trompée ! Sergi est votre fils ! Pourquoi suis-je venue dans cette ville ? Que ne m'en suis-je allée, lorsque mon coeur me le disait ! Ah ! Ma mère ! Que vous dirai-je ? Ah, Sergi ! Pourquoi ?... Ma bonne... Je me sens mourir... Pauvre Sergi ! Malheureuse Sophie ! On le veut... Allons, ma bonne. Ah ! Quel moment ! Mon coeur se trouble. Non, vous ne l'êtes pas... Que je suis malheureuse ! Je voudrais être morte. Ah, ma bonne, à quoi me suis-je engagée ! Que vais-je lui apprendre ? Que va-t-il devenir ? Ayez pitié de moi... Dites-lui. Hélas ! Je le crois ; mais à quoi cela sert-il ? Quel mot ? Ah ! Si je ne vous aimais pas ! Hélas ! Vous savez qu'une fille bien née ne reçoit et ne fait de serments qu'au pied des autels... Et ce n'est pas moi que vous y conduirez... Ah ! Sergi ! C'est à présent que je sens la distance qui nous sépare ! Abandonnez-moi à ma destinée, et rendez le repos à un père qui vous aime. Il ne l'est point ; il vous aime. Vivez, Sergi. Moi, Sergi ? Ravir un fils à son père ! ...J'entrerais dans une famille qui me rejette ! Vous avez une soeur ? Qu'elle est heureuse ! J'obéis à vos parents. Puisse le ciel vous accorder, un jour, une épouse qui soit digne de vous, et qui vous aime autant que Sophie ! Je le dois. Vous le serez ; vous jouirez de toutes les bénédictions promises aux enfants qui respecteront la volonté de leurs parents. J'emporterai celles de votre père. Je retournerai seule à ma misère, et vous vous ressouviendrez de moi. Je ressens toute la peine que je vous cause. Ô ma bonne, que ses larmes me font de mal ! ...Sergi, n'opprimez pas mon âme faible... J'en ai assez de ma douleur... Adieu, Sergi. Je n'oublierai point ce que vous avez fait pour moi. Vous m'avez vraiment aimée : ce n'est pas en descendant de votre état, c'est en respectant mon malheur et mon indigence, que vous l'avez montré.Je me rappellerai souvent ce lieu où je vous ai connu... Ah ! Sergi ! C'est moi, c'est moi qui suis à plaindre. Je vais subir ma destinée, partager les peines de mes soeurs, et porter les miennes dans le sein de ma mère. Je suis la plus jeune de ses enfants, elle m'aime ; je lui dirai tout, et elle me consolera. Pourquoi vous ai-je connu ? ... Ah ! ... Aimez vos parents ; obéissez-leur ; oubliez-moi. Je ne sais où je suis... Je ne sais où je vais... Il me semble que je marche dans les ténèbres... Ne rencontrerai-je personne qui me conduise ?... Ô ciel ! Ne m'abandonnez pas ! Qui est-ce qui m'appelle ? Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ? Qui que vous soyez,Secourez-moi... Sauvez-moi... Je ne puis... La force m'abandonne... Je succombe... Les cruels ! Que leur ai-je fait ? Mademoiselle, que vous dirai-je ? Voyez ma peine ; elle est au-dessus de mes forces... Je suis à vos pieds ; et il faut que j'y meure ou que je vous doive tout... Je suis une infortunée qui cherche un asile... C'est devant votre oncle et votre frère que je fuis... Votre oncle, que je ne connais pas, et que je n'ai jamais offensé ; votre frère... Ah ! Ce n'est pas de lui que j'attendais mon chagrin !...Que vais-je devenir, si vous m'abandonnez ?... Ils accompliront sur moi leurs desseins... Secourez-moi, sauvez-moi... Sauvez-moi d'eux, sauvez-moi de moi-même. Ils ne savent pas ce que peut oser celle qui craint le déshonneur, et qu'on réduit à la nécessité de haïr la vie... Je n'ai pas cherché mon malheur, et je n'ai rien à me reprocher... Je travaillais, j'avais du pain, et je vivais tranquille... Les jours de la douleur sont venus : ce sont les vôtres qui les ont amenés sur moi ; et je pleurerai toute ma vie, parce qu'ils m'ont connue. J'ai une mère qui m'aime... Comment reparaîtrais-je devant elle ?... Mademoiselle, conservez une fille à sa mère, je vous en conjure par la vôtre, si vous l'avez encore... Quand je la quittai, elle dit : anges du ciel, prenez cette enfant sous votre garde, et conduisez-la. Si vous fermez votre coeur à la pitié, le ciel n'aura point entendu sa prière ; et elle en mourra de douleur... Tendez la main à celle qu'on opprime, afin qu'elle vous bénisse toute sa vie... Je ne peux rien ; mais il est un être qui peut tout, et devant lequel les oeuvres de la commisération ne sont pas perdues... Mademoiselle ! Dieu soit loué, tous les coeurs ne sont pas endurcis. Sophie. Mademoiselle ! Qu'est-ce qu'on m'apprendra ? N'en sais-je pas assez ? Où suis-je ? Que fais-je ici ? Qui est-ce qui m'y a conduite ? Qui m'y retient ?... Monsieur, qu'avez-vous résolu de moi ? Vous me montrez bien le mépris qu'on fait des malheureux. On les compte pour rien. On se croit tout permis avec eux. Mais, monsieur, j'ai des parents aussi. Ne l'espérez pas. Ils sont pauvres, mais ils ont de l'honneur... Monsieur, rendez-moi à mes parents ; rendez-moi à moi-même ; renvoyez-moi. Ô Dieu ! Que vais-je devenir ? Monsieur... Mademoiselle... Monsieur, renvoyez-moi...Renvoyez-moi... Homme cruel, faut-il tomber à vos pieds ? M'y voilà. Saint-Albin tombe aux siens en la relevant et dit :Vous, à mes pieds ! C'est à moi à me jeter, à mourir aux vôtres. Vous êtes sans pitié... Oui, vous êtes sans pitié...Vil ravisseur, que t'ai-je fait ? Quel droit as-tu sur moi ?... Je veux m'en aller... Qui est-ce qui osera m'arrêter ? Vous m'aimez ?... Vous m'avez aimée ?... Vous ? Vous avez résolu ma perte... Oui, vous l'avez résolue, et vous l'achèverez... Ah ! Sergi ! Pauvre Sophie, à quoi le ciel t'a réservée !... La misère m'arrache d'entre les bras d'une mère...J'arrive ici avec un de mes frères... Nous y venions chercher de la commisération ; et nous n'y rencontrons que le mépris et la dureté... Parce que nous sommes pauvres, on nous méconnaît, on nous repousse... Mon frère me laisse... Je reste seule...Une bonne femme voit ma jeunesse et prend pitié de mon abandon... Mais une étoile qui veut que je sois malheureuse, conduit cet homme-là sur mes pas et l'attache à ma perte... J'aurai beau pleurer...Ils veulent me perdre, et ils me perdront... Si ce n'est celui-ci, ce sera son oncle... Eh ! Que me veut cet oncle ?... Pourquoi me poursuit-il aussi ?... Est-ce moi qui ai appelé son neveu ?... Le voilà ; qu'il parle, qu'il s'accuse lui-même... Homme trompeur, homme ennemi de mon repos, parlez. Qui s'en serait méfié !... Il paraissait si tendre et si bon !... Je le croyais doux... Que je vous pardonne ! Retirez-vous ; je ne vous aime plus, je ne vous estime plus. Non. Non. Eh bien ! Qu'il me le prouve. Qu'il me défende contre son oncle ; qu'il me rende à mes parents : qu'il me renvoie ; et je lui pardonne. Monsieur ! Monsieur ! Mon cher oncle. Ne me perdez pas. Mon cher oncle, je m'en irai ; je m'en retournerai ; ne me perdez pas. Ah, ma bonne ! Je vous revois. Ne repoussez pas l'enfant de votre frère. Je me souviens, lorsque j'étais enfant : alors vous daigniez me caresser. Vous disiez que je vous étais chère. Si je vous afflige aujourd'hui, je m'en irai, je m'en retournerai. J'irai retrouver ma mère, ma pauvre mère, qui avait mis toutes ses espérances en vous... Monsieur ! **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_GERMEUIL *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_germeuil Il n'est pas malheureux. Vous, monsieur ! Si vous n'êtes pas heureux, quel père l'a jamais été ? Monsieur, que faut-il que je fasse ? Ordonnez. Ordonnez, monsieur, ordonnez. Non, monsieur. Vous êtes père ; un père est toujours prompt à s'alarmer. Oui ; mais c'est en bien. Il est moins curieux dans ses chevaux, ses gens, son équipage ; moins recherché dans sa parure. Il n'a plus aucune de ces fantaisies que vous lui reprochiez ; il a pris en dégoût les dissipations de son âge ; il fuit ses complaisants, ses frivoles amis ; il aime à passer les journées retiré dans son cabinet ; il lit, il écrit, il pense. Tant mieux ; il a fait de lui-même ce que vous en auriez tôt ou tard exigé. Ces absences et cette réforme ? ... Cela est singulier. En effet, je n'entends pas cette conduite ; mais je connais votre fils. La fausseté est de tous les défauts le plus contraire à son caractère. Le voilà, le malheureux ! Il est accablé, et il ignore que dans ce moment... Que je le plains ! ...Mademoiselle, parlez-lui. Plût au ciel ! Qu'avez-vous à me dire ? Moi ! Votre soeur ! Qu'ai-je entendu ?... Il ne me manquait plus que cette confidence... Qu'osez-vous entreprendre ; et que me conseillez-vous ? C'est ainsi que je reconnaîtrais les bienfaits dont votre père m'a comblé depuis que je respire ? Pour prix de sa tendresse, je remplirais son âme de douleur ; et je l'enverrais au tombeau, en maudissant le jour qu'il me reçut chez lui ! L'action que vous me proposez, et celle que vous avez résolue, sont deux crimes... Saint-Albin, abandonnez votre projet... Vous avez encouru la disgrâce de votre père, et vous allez la mériter ; attirer sur vous le blâme public ; vous exposer à la poursuite des lois ; désespérer celle que vous aimez... Quelles peines vous vous préparez !... Quel trouble vous me causez !... Vous vous perdez. Vous me perdez moi-même : vous me perdez... Que dirai-je à votre père lorsqu'il m'apportera sa douleur ?... À votre oncle ?... Oncle cruel ! Neveu plus cruel encore !... Avez-vous dû me confier vos desseins ?... Vous ne savez pas... Que suis-je venu chercher ici ?... Pourquoi vous ai-je vu ?... Où courez-vous ? Le sort m'en veut-il assez ! Le voilà résolu d'enlever sa maîtresse, et il ignore qu'au même instant son oncle travaille à la faire enfermer...Je deviens coup sur coup leur confident et leur complice... Quelle situation est la mienne ! Je ne puis ni parler, ni me taire, ni agir, ni cesser...Si l'on me soupçonne seulement d'avoir servi l'oncle, je suis un traître aux yeux du neveu, et je me déshonore dans l'esprit de son père... Encore si je pouvais m'ouvrir à celui-ci... Mais ils ont exigé le secret... Y manquer, je ne le puis ni ne le dois... Voilà ce que le commandeur a vu lorsqu'il s'est adressé à moi, à moi qu'il déteste, pour l'exécution de l'ordre injuste qu'il sollicite... En me présentant sa fortune et sa nièce, deux appâts auxquels il n'imagine pas qu'on résiste, son but est de m'embarquer dans un complot qui me perde... Déjà il croit la chose faite ; et il s'en félicite... Si son neveu le prévient, autres dangers : il se croira joué ; il sera furieux ; il éclatera... Mais Cécile sait tout ; elle connaît mon innocence...Eh ! Que servira son témoignage contre le cri de la famille entière qui se soulèvera ?... On n'entendra qu'elle ; et je n'en passerai pas moins pour fauteur d'un rapt... Dans quels embarras ils m'ont précipité ; le neveu, par indiscrétion ; l'oncle, par méchanceté !... Et toi, pauvre innocente, dont les intérêts ne touchent personne, qui te sauvera de deux hommes violents qui ont également résolu ta ruine ? L'un m'attend pour la consommer, l'autre y court ; et je n'ai qu'un instant... Mais ne le perdons pas. Emparons-nous d'abord de la lettre de cachet... Ensuite... Nous verrons. Mademoiselle ! Mademoiselle ! C'est le seul asile qui lui reste, et le seul qu'elle puisse accepter. Je ne vous demande qu'un instant, que je puisse regarder autour de moi, me reconnaître. Une infortunée, à qui vous ne pourriez refuser de la commisération si vous la voyiez. Le respecté-je moins que vous ? Craindrais-je moins de l'offenser ? C'est un homme sans principes. Il dira que je l'ai joué ; ou votre frère se croira trahi. Je ne me justifierai jamais... Mais qu'est-ce que cela vous importe ? Dans cette conjoncture difficile, c'est votre frère, c'est votre oncle que je vous prie de considérer ; épargnez-leur à chacun une action odieuse. Ne craignez rien ; votre père est tout à sa douleur ; le commandeur et votre frère à leurs projets ; les gens sont écartés. J'ai pressenti votre répugnance... Le moment m'a paru favorable, et je l'ai introduite ici. Elle y est, la voilà. Renvoyez-la, mademoiselle. Mademoiselle, mademoiselle ! C'est moi, mademoiselle ; c'est moi. Venez... Mon enfant... Par ici. Rassurez-vous, je suis l'ami de Saint-Albin, et mademoiselle est sa soeur. Vos yeux se remplissent de larmes ; son malheur vous a touchée. Que me demandez-vous encore ? Ne fais-je pas tout ce que vous voulez ? Imprudent... Qu'allais-je lui dire ? ... Je ne vous ai demandé qu'un instant pour lui trouver un asile. Quel mérite y aurait-il à faire le bien, s'il n'y avait aucun inconvénient ? Je vous obéis. Que je suis malheureux ! Je ne fais rien qui ne vous déplaise. Monsieur, permettez que je reste. Je vous écoute, et je vois qu'on ôte ici l'estime en un moment à celui qui a passé toute sa vie à la mériter. J'attendais autre chose. Je ne suis ni faux ni perfide. Monsieur, je vous entends, et je vous reconnais. Je n'estime pas assez la fortune, pour en vouloir au prix de l'honneur ; et votre nièce ne doit pas être la récompense d'une perfidie... Voilà votre lettre de cachet. Elle serait en d'autres mains, si j'en avais fait usage. Saint-Albin, apprenez à vous méfier des apparences, et à rendre justice à un homme d'honneur. Monsieur le commandeur, je vous salue. Ils l'avaient exigé. Je vois votre inquiétude ; et j'attends vos reproches. Son défi ne signifie rien : il se croit offensé, mais je suis innocent et tranquille. Votre père est un homme juste ; et je n'en crains rien. S'il eut ces sentiments, je les recouvrerai. Ciel ! Il est possible ? Et vous m'aimiez !... Ah !... Mais j'ai fait ce que je devais... Quelles qu'en soient les suites, je ne me repentirai point du parti que j'ai pris...Mademoiselle, il faut que vous sachiez tout. Cette femme... Cette bonne de Sophie... Où ? Arrêtez, songez... Écoutez-moi. Cécile... Mademoiselle... J'ai pris mes mesures. On retient cette femme ; elle n'entrera pas ; et quand on l'introduirait, si on ne la conduit pas au commandeur, que dira-t-elle aux autres qu'ils ignorent ? Et cette infortunée à qui vous avez accordé un asile ?... Après l'avoir reçue, en disposerez-vous sans la consulter ? Voilà votre frère. Mademoiselle, je ne l'oublierai pas. Vous êtes un amant. Il ne sera raisonnable qu'à ce prix. Arrêtez. Mademoiselle, il faut appeler. Ne perdez pas de vue le commandeur. C'est un homme qui vous adore. Sortons tous. Le commandeur sait tout. Cette femme a pénétré ; elle a reconnu Deschamps.Les menaces du commandeur ont intimidé celui-ci, et il a tout dit. Le temps presse. Il ne s'agit pas de se plaindre.Si nous n'avons pu ni écarter ni prévenir le coup qui nous menace, du moins qu'il nous trouve rassemblés et prêts à le recevoir. Ne suis-je pas assez malheureux ? Il faut nous retirer. Allons, mon ami. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_MONSIEURLEBON *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurlebon Ce débiteur, dont le billet est échu depuis un mois, demande encore à différer son payement. Les ouvriers qui travaillaient à votre maison d'Orsigny sont venus. Cela peut aller au delà des fonds. Ce voisin, qui a formé des prétentions sur votre terre, s'en désisterait peut-être, si... Monsieur, monsieur, écoutez-la. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_MADEMOISELLECLAIRET *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mademoiselleclairet Ce dessin est charmant. C'est donner. J'entends, mademoiselle ; reposez-vous sur moi. Mademoiselle, on vient, on vient. Non, mademoiselle. Je n'ai pu le savoir. D'abord il s'est fait beaucoup de mouvement et de bruit. Je ne sais combien ils étaient ; ils allaient et venaient. Tout à coup, le mouvement et le bruit ont cessé. Alors, je me suis avancée sur la pointe des pieds, et j'ai écouté de toutes mes oreilles ; mais il ne me parvenait que des mots sans suite. J'ai seulement entendu m le commandeur qui criait d'un ton menaçant : un commissaire. Non, mademoiselle. C'est autre chose. Il est parti comme un éclair. Il est sorti seul, et à pied. Le commandeur est rentré. Voici le commandeur ! Des épées, un exempt, des gardes ! Monsieur, accourez, si vous ne voulez pas qu'il arrive malheur. Mon tour va venir. Allons préparer nos paquets. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_LABRIE *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_labrie Monsieur. Il est sorti. Monsieur, je n'en sais rien. Non, monsieur. Monsieur ? Monsieur ? Monsieur ? **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_PHILIPPE *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_philippe Oui, monsieur. Monsieur, il y a là deux femmes qui demandent à vous parler. Monsieur ? À qui, monsieur ? Monsieur... N'y a-t-il rien là dedans, dont monsieur votre père soit fâché ? **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_DESCHAMPS *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_deschamps Monsieur, ne me perdez pas ; vous me l'avez promis. Oui, monsieur.Le Commandeur, à part.Elle est ici, ô commandeur, et tu ne l'as pas deviné ! Et c'est dans l'appartement de ma nièce ? Oui, monsieur. Oui, monsieur. Oui, monsieur. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_MADAMEHEBERT *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamehebert Monsieur, nous nous rendons à vos ordres. Sergi ! Mon enfant... Monsieur, nous allons nous retirer et attendre vos ordres. Il est vrai, mon enfant. Pauvre Sergi ! Oui, monsieur, c'est lui ; c'est lui qui accompagnait le méchant qui me l'a ravie. Je l'ai reconnu tout d'abord. Il vous l'a déjà dit. Monsieur, quand ils l'ont emmenée, elle me tendait les bras, et elle me disait : adieu, ma bonne, je ne vous reverrai plus ; priez pour moi. Monsieur, que je la voie, que je lui parle, que je la console ! Sa mère et son frère me l'ont confiée. Que leur répondrai-je quand ils me la redemanderont ?Monsieur, qu'on me la rende, ou qu'on m'enferme avec elle. Mais on me la rendra, et je puis y compter ? Monsieur... Vous voyez ma joie... Sophie... Ma Sophie... Mon enfant... N'est pas ce qu'on pense... Monsieur Le Bon... Parlez... Je ne puis. Monsieur, elle est chez vous. Je ne demande pas qu'on m'en croie... Qu'on la fasse venir. Monsieur, faites venir mon enfant. Ah, Sophie ! Je vous embrasse. **** *creator_diderot *book_diderot_peredefamille *style_prose *genre_comedy *dist1_diderot_prose_comedy_peredefamille *dist2_diderot_prose_comedy *id_MADAMEPAPILLON *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamepapillon Mademoiselle, vous allez voir. Dix louis, au juste.