**** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_dom-pierre *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dompierre Dom Pierre sort et ses valets poursuivent Dom Jouan l'épée à la main. Quoi, traître ! en ma maison et pour forcer ma fille, Pour me déshonorer et toute ma famille ! Il faut perdre la vie. Que quelqu'un prenne soin… mais je cesse de vivre. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_dom-alvaros *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_domalvaros Ah, père malheureux, quelle est ta destinée ! À quels tourments ton âme est-elle condamnée ! Celui que je croyais mon unique support Est celui maintenant qui me donne la mort. Un fils où je mettais toute mon espérance, Où je croyais trouver une entière assurance, Détruit de mon honneur le renom affermi Et des vertus se rend l'exécrable ennemi. Vous, sentiments d'honneur qui régnez en mon âme, Qui dans ce corps de glace êtes encor de flamme, Beau feu que dans mon sang je croyais infini, Aujourd'hui de mon sang vous verrai-je banni ? Beau soin que j'ai toujours conservé pour ma gloire, Souvenir de mes faits, sortez de ma mémoire ! De quoi vous peut servir qu'on en parle aujourd'hui, Si vous êtes souillés par le crime d'autrui ? Je vous ai cru toujours à mes vœux favorables, Que mon fils serait vôtre, et ses faits déplorables Font voir que la nature, et le sang, et le sort, Dans le père et le fils n'ont mis aucun rapport, Et que souvent l'honneur et la vertu du père Ne sont pas de l'enfant un bien héréditaire. Tu te trompes, mon fils, et ton cœur obstiné, Ravalé par le vice autant que suborné, Recevra tôt ou tard ce qu'on doit à son vice, Et le courroux du Ciel apprête son supplice. J'ai fait ce que j'ai pu, mais mes enseignements N'ont pu finir le cours de tes débordements. Va, ne refuse rien à ton âme aveuglée, Suis le cours de ta vie infâme et déréglée, Et que le coup mortel d'un si cuisant malheur Mette fin pour jamais à ma longue douleur. Briguelle, laisse-moi dans l'état où je suis, Tes propos superflus accroissent mes ennuis. Hélas ! il est trop vrai que ce cœur endurci, D'entendre mes raisons ne prend aucun souci. Que dira-t-on de moi maintenant dans Séville ? Briguelle, encore un coup, n'accrois point mes douleurs ; Je ne ressens que trop le coup de mes malheurs, Et si ce fils cruel et plein de violences N'obligeait tout un monde à voir ses insolences, Je serais moins touché de son dérèglement. Tais-toi donc, tu ne fais qu'augmenter mon tourment. Ciel, daignez assister un père malheureux, Touchez un peu son cœur, accomplissez mes vœux ! Dom Jouan, mes avis seront-ils de saison ? Puis-je vous faire voir dans le mal qui me blesse, De quels maux votre humeur accable ma vieillesse ; Que le courant fâcheux du vice où vous trempez Vous porte au précipice où déjà vous tombez, Et que sur le penchant d'une telle ruine, L'amitié paternelle encore me domine ? Elle vous vient offrir une main dans ce jour ; L'horreur que j'ai pour vous le cède à mon amour. Si vous n'êtes aveugle au malheur qui s'apprête, En suivant mes raisons évitez la tempête. Chacun dedans Séville est ligué contre vous. Vous attirez la haine et le mépris de tous. Celui qui vous estime et qui vous aime encore Est contraint d'avouer qu'enfin il vous abhorre. Ah, mon fils ! à quel sort êtes-vous destiné ? Qui produit tant d'orgueil en ce cœur obstiné ? Je sais bien qu'en votre âge où la chaleur domine, Souvent on ne voit pas approcher sa ruine ; Mais aussi je sais bien que dans cette saison, On commence, ou jamais, à chercher la raison. Vous ne la cherchez pas, un père vous l'apporte ; Recevez-la, mon fils, et la rendez si forte Qu'elle chasse aujourd'hui toutes ces passions Qui bannissent de vous les belles actions. Quoi ! l'âge t'autorise en tout ce que tu fais ? Va, je n'ignore pas tes infâmes projets. Je connais ton esprit, je connais tes pensées : De mes meilleurs amis les filles abusées, Leurs amants au tombeau par ta brutalité, Sont-ce des faits qu'on souffre avec impunité ? L'âge autorise-t-il tes fourbes, tes furies ? Tu sais que tu fais pièce à tous les gens d'honneur, Et c'est témérité bien plutôt que valeur ; Tu t'es pris à des gens tous remplis de vaillances, Que tu n'as surmontés que par tes insolences : Bref, dedans tes desseins, aucun ne comprend rien, Et tous tes ennemis se trouvent gens de bien. Quand un homme insolent obtient quelque victoire, Il se couvre de blâme et n'a jamais de gloire. Si tu ne peux durer sans la dissension, Enfin si la guerre est ton inclination, Va-t'en la rencontrer proche de la frontière, Et là, contente-toi, si ton âme est guerrière, Et ne viens pas ici dans le sein de la paix Faire naître un malheur qu'on n'y trouva jamais. Quoi ! tu persisteras avec impunité Dans cette humeur altière ? Ah, l'esprit empesté ! Considère, mon fils, que toute chose humaine Est moins digne d'amour que d'horreur et de haine, Que le plaisir se perd aussitôt qu'il est né, Qu'il faut en le goûtant songer qu'il est borné, Et que sa course enfin, sitôt précipitée, Doit servir de raisons à ton âme indomptée. Penses-tu m'éblouir par tes faux sentiments ? Crois-tu que je me rende à tes raisonnements ? Non, non, proche du gouffre où tu te précipites, Je veux te faire voir quels tourments tu mérites, Te dessiller les yeux, et te prier, mon fils, De ne te perdre pas, de suivre mes avis. Un père à tes genoux t'en prie avec des larmes. Que ton cœur s'amollisse et lui rende les armes : Si tant de fierté règne en ton coupable sein, Qu'à ton père à genoux tu sois tant inhumain, Si tu n'écoutes point ton père et la nature, Pense que c'est, mon fils, le Ciel qui t'en conjure. Quoi ! les larmes, les cris, les plaintes et les pleurs Ne font que l'endurcir, que croître ses fureurs ? Ah, l'homme malheureux ! ah, monstre épouvantable ! Va, démon des Enfers ! va, tigre insatiable ! Le Ciel, juste vengeur, saura bien prévenir L'état de mon courroux, et bientôt te punir. Traître ! au moins tu devrais respecter ma présence. Ah, Dieux ! à quel excès a passé ma misère ! Ah, fils abominable ! ah, déplorable père ! Brutal, j'ai dans le bras encor trop de vigueur Pour t'immoler sur l'heure à ma juste fureur. Suis tes dérèglements, contente ton envie, Mais au moins souviens-toi que tu me dois la vie. Eh bien ! je t'abandonne, infâme esprit abject, Qui ne suis de ton sens que le brutal objet. Tu me rends malheureux, mais ton sort sera pire. Le moindre des humains suffit pour te détruire. Superbe, j'ai pour toi trop de discrétion, Mais crains dans ma fureur ma malédiction. Ah, Ciel ! prends ma défense, Et redonne la force à ces membres vieillis, Qui sous un froid tombeau vont être ensevelis. Traître, il faut que ces mains t'arrachent les entrailles, Que qui te mit au jour fasse tes funérailles. Ah, que ne suis-je mort ! Ciel, êtes-vous sans yeux, sans armes, sans courroux, Ou l'horreur qu'ont produit de semblables offenses A-t-elle fait trembler vos suprêmes puissances ? Au maître le valet doit-il donner la loi ? Le sujet s'arme-t-il contre son propre roi ? Et verra-t-on l'orgueil dedans la créature Renverser aujourd'hui l'ordre de la nature ? Car, voyant vos carreaux à me venger si lents, Je crois qu'exprès vos bras les ont fait impuissants, Que vous laissez régner le crime sur la terre, Pour punir les humains, pour leur faire la guerre, Que vous nous punissez ne nous punissant pas, Et que vos foudres sont en nos propres débats. Ô vous, noirs habitants des antres les plus sombres, Quittez pour un moment le commerce des ombres, Et venez voir au jour un crime sans pareil Qui fait cacher d'horreur la face du soleil. Apportez en ces lieux quelque nouveau supplice, Car le Ciel n'a pour moi ni secours ni justice. Mais vos tourments sont peu ; vos gênes et vos fers, Et les punitions qu'on exerce aux enfers, Ne suffiront jamais pour ce crime exécrable. Cherchons donc le secours que cherche un misérable : Allons voir celle à qui les malheureux mortels Sur leurs propres malheurs élèvent des autels. Oui, dieux, humains, démons, la mort a la puissance De me donner sans vous une prompte allégeance. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_donjuan *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donjuan Je serai diligent et vous ferai connaître Qu'un amant méprisé sait prendre avec raison Le bien de se venger de tant de trahison. Va, fonde ton bonheur dessus cet hyménée ; Mon âme à ce tourment ne s'est point condamnée, Je ne connus jamais un amour violent Et ne veux d'Amarille être que le galant. En poursuivant ce bien jamais la jalousie N'arrêtera le cours de ma galanterie. Je me ris de l'espoir d'un langoureux amant Et trouve mon plaisir parmi le changement. Amarille me plaît, mais dedans ma poursuite Je saurai ménager une adroite conduite, Feindre d'aimer ses yeux, d'adorer sa beauté Et d'être plein d'amour et de fidélité ; Lui jurer que ses yeux m'ont rendu tout de flamme Et que ses cheveux sont les doux lacs de mon âme ; Que son teint, dont l'éclat se montre sans pareil, À mes yeux amoureux passe pour un soleil ; Que sa bouche toujours de vermeil et de roses, Des tourments amoureux sont les aimables causes sic ; Que son sein est l'autel où s'en vont mes soupirs, Pour servir de victime à ses plus grands désirs. Enfin, un homme adroit, plein de cœur et d'estime, Fait pièce en cent endroits sans qu'aucun le réprime, Et quand on rend bon conte à chacun de ces faits, On n'appréhende point de dangereux succès. Ce soir je veux duper et l'amant et l'amante, Satisfaire mon âme et tromper leur attente ; Un moment, prévenant leur assignation, Je puis voir Amarille à ma discrétion. Mon père est en ce lieu. Que cet abord me blesse ! La chose insupportable à voir, que la vieillesse. Toujours quelque chagrin occupe sa raison. Toujours importuné des effets de l'envie, Je ne sais plus comment je dois régler ma vie, Comment vous écouter et sur quels fondements Appuyer vos discours et vos raisonnements ? Votre bizarre humeur a mon âme surprise. Que peut-on voir en moi que l'âge n'autorise ? Que j'ai peine à souffrir vos froides rêveries Et les lâches discours dont elles sont suivies ! Que la vieillesse en vous a d'incommodités ! Je ne puis plus souffrir vos importunités, Mon père, laissez-moi, cessez vos remontrances, Ou vous me porterez à quelques violences. Dans la belle saison de mes jeunes années, Vous ne rendrez jamais mes passions bornées, Et si vous prétendez altérer mes plaisirs, Vous vous tromperez, c'est trahir vos désirs. Pour père maintenant je ne vous puis connaître, Je suis dans un état d'être tout seul mon maître. Le Ciel jusqu'à l'enfance a fait que les humains Auraient besoin d'un père et seraient en ses mains ; Mais depuis qu'un rayon de sa grâce suprême Nous donne la raison, il nous rend à nous-même, Et c'est injustement qu'un père veut régner Quand l'enfant par raison se peut tout enseigner. Certes, je suis touché de l'état malheureux Où la fatalité d'un destin rigoureux A réduit vos vieux jours. Vos larmes me font peine, J'en ai le deuil au cœur et l'esprit à la gêne. Je vois votre folie avecque compassion. Qui peut produire en vous cette lâche action ? Quoi ! pleurer et gémir et n'avoir rien à dire, Que des mots dont chacun aurait sujet de rire. Tais-toi ! Je me venge partout, alors que l'on m'offense. Mais pour ne plus souffrir vos importunités, Monsieur, faites retraite, et si vous contestez… Ah ! par cette raison je vous dois peu d'amour. C'est au gré du destin que nous venons au jour ; La Nature est ma mère et le sort m'a fait naître, Et le Ciel est tout seul et mon père et mon être. Cet abandonnement est ce que je désire. Que le destin se bande ou pour ou contre moi, Père, princes ni dieux ne me feront la loi. Hors votre esprit blessé, rien me saurait nuire. Vous recevez la mienne, et de votre insolence Le juste payement. Déplore ton malheur, peste contre le sort, Mais ne m'approche pas. Toi, suis-moi. Ah, c'est trop t'épargner ! Voilà ce qu'après moi l'obstiné peut gagner. Faquins, si vous osez me suivre. . . Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ? Tu le diras, je meure ! Ou bien tu recevras mille coups tout à l'heure. N'es-tu pas en ce lieu pour épier mes pas ? Briguelle, est-ce point toi ? Que ta frayeur est vaine ! Quiconque me vaincra n'aura pas forme humaine. Poltron ! Ah, demeure en ce lieu, Ou bien tu sentiras l'effet de ma colère. Vois-tu bien, tu dois vivre et mourir avec moi. Écoute-moi parler, ton seul babil m'irrite ! Tu sais bien que Dom Pierre est mort, et par ma main. Qu'on me poursuit. Eh bien ! si tu crains tant, j'emprunterai ta forme, Tes habits pour les miens. Sais-tu que je le veux ? Coquin ! mais de ton maître elle sera ravie : Les archers pour m'avoir visitent en tous lieux. C'est discourir en vain. Sans plus causer, Briguelle, Donne-moi tes habits. Tu le feras, j'en jure, Ou je vais t'égorger. Ôte donc tes habits, ou je t'assommerai, Et puis facilement je te les ôterai. Viens dessous ce balcon, je te les donnerai. Cette chose, Briguelle, était peu difficile : Ayant sous tes habits la façon d'un valet, On me laissa passer, on m'ouvrit le guichet. Mais je suis trop heureux puisque je te rencontre ; C'est à présent qu'il faut que ton zèle se montre, Que tu serves ton maître avec affection, Et qu'ici je réponde à cette passion. Je te les donnerai À la première ville. Échappé des canailles Qui t'ont voulu saisir, comment te sauvas-tu ? Dis-moi, par quel endroit ? Dedans l'occasion tu n'es pas maladroit. Devenu si brave homme et si plein de vaillance, Pour toi j'aurai respect et beaucoup d'indulgence ; Je t'aimerai, Briguelle, et crois que désormais Je t'estimerai plus que je ne fis jamais. Demeure donc à moi, tu me verras bon maître, Et le temps, mieux que moi, te le fera connaître. Va-t'en donc promptement à deux milles d'ici T'informer s'il n'est point quelque vaisseau qui parte, Afin que de ces lieux promptement je m'écarte. Je vais te faire voir cent climats différents. Ah, grossier ! tes parents sont par toute la terre, En Allemagne, en Flandre, en France, en Angleterre, Même dans la Turquie et dedans le Japon. Tu ne prends pas mon sens ; va donc où je t'ai dit. Va, va, j'ai quelque argent, nous ne manquerons pas, Et le bonhomme enfin n'en enverrait-il pas Si je lui écrivais ? Quoi que mon père fasse, Je puis d'un mot écrit me remettre en sa grâce : Il sera trop content, il sera trop heureux. Et par quelle raison ? Quoi ? dans la nôtre ? Eh bien ? Cette chose est cruelle. Ah ! ce coup me surprend, Briguelle, je l'avoue. Mon père est mort. Ah, Dieux ! ah, le destin se joue D'un malheureux mortel, et je vois qu'à la fin Il prépare pour moi quelque trait inhumain. Car, après des malheurs d'une telle nature, J'attends de son revers la plus sanglante injure : Je pressens des malheurs que je ne connais pas, Et ce pressentiment m'annonce mon trépas. Mais n'importe, chassons la crainte du naufrage, Et qu'aucun accident n'abatte mon courage. Je suis (vienne sur moi tout le foudre des Cieux) Pour l'attendre sans peur, assez audacieux. Je suis, Briguelle, en un désordre extrême. Ah, funeste rapport ! Dis-moi, n'as-tu point su comme arriva sa mort ? Il m'irrita, Briguelle ; il m'était trop sévère. J'eus tort de le fâcher, mais que ne fait-on pas Lorsqu'on est en colère ? On ne se connaît pas. Pourquoi croit-on qu'il soit ainsi mort de regret ? J'eus bruit avecque lui, mais ce fut en secret. Il ne serait pas mort, s'il n'eût été bizarre. Mais, vois s'il n'était pas et cruel et barbare, Puisque, de son trépas, il me fait criminel. Ah, Briguelle ! il était inhumain et cruel. Que veux-tu que je fasse ? Il avait tant vécu ! Moi, j'aurais ces faiblesses ! Mon cœur ne produit point de semblables bassesses. Père, parents, amis, maîtresse, ni malheurs, Ne pourront m'obliger à répandre des pleurs. Écoute donc, j'aurai doublement irrité La justice, et je crains, si je suis arrêté, Étant cru parricide, et meurtrier de Dom Pierre, D'en être malmené. Nous serons poursuivis ; changeons de vêtements. J'approuve ton dessein. Viens là, qui vois-tu là ? Holà ! ho, mon ami ! Que fais-tu dans ce lieu ? De quel côté viens-tu ? Briguelle, cet habit me serait fort commode Pour n'être pas connu. Tu m'étourdis toujours de quelque baliverne. Mon ami, j'ai besoin de cet habillement : Pourrais-tu bien m'en faire un accommodement. Je te rendrai comptant, donne-le seulement. Ah ! donne-le, te dis-je. Dans ma bourse, tiens, prends tout ce que tu voudras. Sans plus me contester, pense à me satisfaire. Passe sous cet ormeau, évite ma colère. Tes cris sont superflus ; Si tu chéris ton bien, ne me résiste plus. Viens, tu seras content ; et toi, fais diligence, Va promptement au port. Dieux ! c'est mon ennemi ; ce traître m'aperçoit. Briguelle a mon épée, et que faire ? Il me voit. Il vient ; changeons la voix, il ne nous connaît pas. Monsieur, sans raillerie, Vous pouvez librement contenter votre envie. Que voulez-vous de moi ? Demandez seulement, Sans réserve j'attends votre commandement. Monsieur, si je l'ai vu, je n'en ai pas mémoire. Vous servant en ceci, j'aurais beaucoup de gloire ; Je voudrais le pouvoir, mais j'en suis hors d'état. Si j'avais mon épée, Tes insolents propos auraient leur châtiment, Je préviendrais ton soin. Celui que vous cherchez est donc bien odieux. Après tant de forfaits, il doit être puni. Je viens de concevoir un assuré moyen. Je me suis rencontré dans de semblables peines, Mais j'ai toujours trouvé mes espérances vaines, Jusqu'à ce que du Ciel implorant la bonté, Je n'ai trouvé que bien et que félicité. À présent, quand je souffre, au Ciel levant la vue, Je sens finir mes maux, ma peine diminue, Si bien que j'ai connu qu'il faut prier les Cieux, Quand on veut voir la fin d'un tourment furieux. Les temples sont partout où les cœurs sont dévots ; Faisons notre prière au Ciel en peu de mots. Dieu, de qui la bonté nous paraît sans seconde, Veut être révéré dans tous les lieux du monde. Monsieur, que faites-vous ? Il faut quitter les armes, Et pour forcer le Ciel, il ne faut que des larmes, Que ferveur, que sanglots, qu'ardeur, que piété, Et Dieu veut qu'on le prie avec humilité ; Autrement vous verriez votre attente trompée. N'aye plus de souci, Ton ennemi mortel est maintenant ici. Le voici, Dom Philippe, et, sachant ton envie, S'il faisait son devoir, il t'ôterait la vie, Il préviendrait l'effet de ton ardent courroux. Mais, va, retire-toi, sauve-toi de mes coups. Profite du moment que j'ai de patience. Que tu fais de pitié ! Qui ne te plaindrait pas ? Si tu m'irrites trop, tu mourras de ma main. Il faut donc que ta mort, et sans retardement, En prévienne aujourd'hui le funeste moment. Mais non, il faut encor souffrir ton insolence ; Ta langue est maintenant ta plus grande défense. Adieu, console-toi, car c'était mon dessein D'avoir de toi ce fer, ayant l'épée en main. Me voyant hors d'état de l'avoir par adresse, Par courage et valeur, je l'ai par ma finesse. Je te laisse le jour, toi qui cherches ma mort, Parce que je te tiens trop peu pour cet effort, Et si je te croyais capable de me nuire, Encor moins maintenant je te voudrais détruire, Afin d'avoir l'honneur de combattre avec toi. Mais ton bras est trop peu pour un si grand emploi. Avecque tes visions, Tes paniques terreurs et tes illusions, Malgré ma froide humeur tu m'obliges à rire. Mais, écoute : craignons que le sort ne soit pire, Profitons maintenant de nos malheurs passés, Vivons plus saintement. Vois-tu bien, la jeunesse est bouillante et peu sage, J'ai profité, Briguelle, en la peur du naufrage ! Ce n'est pas que je craigne, en l'état où je suis, De mourir ou de vivre en peine et plein d'ennuis ; J'ai l'esprit assez fort pour surmonter l'injure Que me peut préparer ma fortune future, Je me ris des destins, je ne crains point la mort Et je brave en tout temps les caprices du sort ; Mais sachant bien qu'il est un monarque suprême, Dont le pouvoir paraît quand le mal est extrême, Et dont le foudre est prêt à se montrer aussi, Quand de se corriger on ne prend pas souci, Je crains de l'irriter et je crains sa colère, Non de peur de mourir, mais pour ne lui déplaire. Non, non, ce n'est plus moi : j'ai d'autres sentiments, Et je te jurerais… Ivre ? Avons-nous rien pris ? As-tu l'esprit perdu ? Je t'entends ; mais quittons ces discours superflus : Le danger a paru, mais il ne parait plus. Rassure tes esprits, afin de rendre grâce Au Ciel, qui nous fait voir la tempête en bonace. Briguelle, tout de bon, Tu me vas voir mener une si sainte vie Que les plus saints esprits en auront jalousie, Et ceux qui veulent voir les vices abattus Pourront, en me voyant, pratiquer les vertus. Sur ce frêle élément où je t'ai vu pâlir, J'ai vu la vague prête à nous ensevelir ; Et cela m'a paru comme une verge prête, Ou comme des carreaux qui menaçaient ma tête. Par là j'apprends qu'il faut que je change aujourd'hui, Si je ne me veux voir dans un mortel ennui. Briguelle, vois-tu bien la gentille bergère ? Où s'adressent tes pas ? Ne t'effarouche pas. J'aimerais mieux mourir que te mettre en colère. Puis ton œil est trop beau pour être si sévère. Laisse-moi maintenant. Que ta taille est mignonne ! Ce coquin-là raisonne. Seule dans la campagne ? Il faut que je te suive et que je t'accompagne. Il n'importe en t'aimant. Pour l'être, il me suffit de ta gentille œillade. Assiste-moi, bergère, et quitte ton courroux. Ah ! mon dessein est juste, et si tu veux m'entendre, Tu verras qu'avec moi tu pourras tout prétendre. Oui, si tu veux m'aimer, pas plus tard que demain Tu recevras ma foi, ma franchise et ma main. Ne t'en étonne point : ton charme a la puissance De ranger un monarque à ton obéissance. Oui, puisque je t'estime. Je n'aime point la cour : son faste et sa beauté N'ont rien qui plaise au prix de ta simplicité. Les dames qu'on y voit n'ont ni charmes ni grâce Que le plus faible éclat de ta beauté n'efface. Et puis, celles qu'on croit avoir quelques appas Les empruntent du fard et n'en possèdent pas. Mais ta beauté champêtre est toute naturelle, Et son brillant éclat ne l'emprunte que d'elle. Enfin, je te préfère à l'objet le plus doux, Et, si tu veux, dans peu je serai ton époux. Je te promets dès l'heure et te donne ma foi. Sans tarder en ces lieux, allons voir tes parents. Sans tarder partons d'ici, Briguelle. Bagatelle ! Il est un bon logis à trente pas d'ici, Allons-nous rafraîchir et n'aie autre souci Que de me suivre. Que veut-elle de moi ? Que me veux-tu, bergère ? Quelle es-tu ? D'où viens-tu ? Qui te met tout en pleurs ? Quel étrange accident te cause ces douleurs ? T'a-t-on fait quelque mal ? ne me le cèle pas. Je ne te connais pas. Quoi ! faire la Lucrèce ? Laisse-la maintenant, et qu'elle se console. Adieu, retirez-vous, vous êtes une folle ; Vous n'y gagnerez pas si vous m'importunez, Allez donc promptement, et, si vous revenez… Je ne vous vis jamais, je ne sais qui vous êtes. Cela m'importe peu que mon valet raisonne. Le vice a sa saison comme la repentance, Et selon que l'esprit se trouve embarrassé, Il fait de justes vœux ou des vœux d'insensé. Ceux qu'on fait sur la mer, au fort de la tempête, Pendant le bruit des vents, quand le malheur s'apprête, Se peuvent violer, ne nous obligent pas, Car on n'est pas à soi dans la peur du trépas. Et puis, je me croyais enseveli sous l'onde, Lorsque je renonçais aux choses de ce monde, J'avais perdu le goût, j'étais sans sentiment, Et n'avais pour objet rien que le monument. Mais, mon œil reprenant le bien de la lumière, Je reprends aussitôt mon humeur coutumière, Et vivre sans goûter les plaisirs des vivants, Ce n'est pas être au monde au plus beau de ses ans ; Bref, si pour mes plaisirs j'avais quelque infortune, Je m'irais redonner au courroux de Neptune. Laissons là ces discours ; vois-tu cette figure ? Ah ! grossier, approchons, et voyons ce que c'est. Viens donc, c'est un tombeau, l'épitaphe est ici, Qui nous pourra tirer de peine et de souci. Ci gît la cendre vénérée D'un qui mérita des autels, Dont l'âme avec les Immortels Séjourne dedans l'Empyrée. Dom Pierre, illustre gouverneur, Et la merveille de Séville ; Jamais vivant n'eut plus d'honneur Et plus de gloire dans la ville. Passant, en apprenant la fin D'un homme de cette importance, Apprends quel est son assassin, Afin de prendre sa défense. Dom Jouan, l'horreur de la Terre Et le but du courroux des Cieux, A, d'un bras digne du tonnerre, Détruit cet homme précieux. Et pour ne l'en garantir pas, Le Ciel a conclu sa ruine. La justice humaine et divine Ont fait l'arrêt de son trépas. Il n'importe, en tous temps rien ne m'est difficile, Et si je vois le sort me remettre en ces lieux, C'est pour y surmonter des cœurs audacieux : Crois-tu que, dans le monde, il soit chose assez forte Pour oser attaquer un homme de ma sorte ? Toute Séville est peu pour ce bras indompté, Et je ne suis non plus surpris qu'épouvanté. En tout cas, si je vois qu'il me faille périr, Ce bras, au moins, Briguelle, en fera bien mourir. Et puisque la frayeur te rend l'esprit malade, Je vais te délivrer de cet objet fâcheux, La briser en morceaux. Tout au moins je m'en vais rompre cette écriture. Fantôme dont les os sont dans ce monument, Viens te venger toi-même et sans retardement. Tu crois m'épouvanter avecque ta menace. Esprit faible et craintif, quand l'âme est retirée, Enfin, lorsque du corps elle s'est séparée, Crois-tu qu'elle ait jamais souci ni souvenir Du corps où si longtemps on l'a vu se tenir ? Et tu crois que ce mort doit prendre sa défense ? Ce mort est trop bien mort pour retourner jamais, Et qui croient autrement sont des esprits mal faits. Eh bien ! s'il peut reprendre et sa forme et son corps, S'il peut voir les vivants étant du rang des morts, Va, dis-lui que demain il me fasse la grâce De manger avec moi. Va donc le convier. Suis mon envie. Va donc, ou je m'en vais t'enterrer avec lui. Sans plus me raisonner, pense à me satisfaire. Mais, sans plus de mais. Qu'est-ce donc ? Eh bien ! d'où naît ta crainte ? Eh quoi ? Qu'aurais-je vu ? Et comment ? Ah, le plaisant augure ! C'est la peur qui t'abuse en cette vision. Oui-da, j'irai moi-même, et sans donner créance Au ridicule effet de ton extravagance, Mais pour braver cette ombre encor dans son tombeau. Ombre, je te conjure. Oui, viens, je t'attendrai, cette chose est nouvelle, Allons, je suis content, suis-moi, suis-moi, Briguelle. Fais mettre le couvert. Tu te devrais toujours tenir en cette humeur ; Car l'espoir est souvent plus doux que le bonheur. Crois-tu que mon esprit puisse durer ici ? Non, non, je suis exempt de crainte et de souci. Dès demain dans Séville on verra mon visage, J'ai bon cœur et bon bras, bon sens et bon courage, Et tu verras tous ceux qui sont mes ennemis, Craintifs à mon aspect tout autant que soumis. Que je suis malheureux d'avoir un tel poltron ! La cuisine te plaît ? C'est à toi de me suivre, et suivre aussi mon sort, Puis d'ailleurs, ma présence y sera nécessaire Pour connaître le bien que m'a laissé mon père. Sous main, je vendrai tout, vignes, maisons, vergers, Et puis, nous irons vivre aux pays étrangers. Où ? Dis donc promptement. Mais que t'a-t-elle dit, Briguelle ? conte-moi. Prends un siège et te sieds. Eh bien ? Apprends-moi son logis, si tu veux m'obliger. Comme a-t-elle la taille ? Le teint ? Le port, la main, les dents, les cheveux, et les bras ? L'œil ? La bouche ? Briguelle, ouvre au plus tôt ; d'où provient ta frayeur ? Assieds-toi, je t'attendais. Tiens, que j'aye l'honneur de te servir ces viandes. Je voudrais t'en pouvoir donner de plus friandes, Enfin je te voudrais traiter superbement, Mais je suis dans un lieu fort peu commodément Pour te pouvoir donner ce que veut ton mérite. C'est trop, laissons cela ; j'attends ma destinée D'une âme résolue et non pas étonnée. À ta santé ! Que peux-tu, quand ta force est dans le monument ? Tu parais ridicule en faisant le sévère, Et ton discours n'est bon qu'à troubler un vulgaire. Tu demandes de moi des satisfactions ; Va, je ne fis jamais ces lâches actions. Tu dois te souvenir que ce fer est l'excuse Que je donne à celui qui de crime m'accuse. Je verrais maintenant cent fantômes hurlants, Dans ma chambre traîner mille drapeaux sanglants, Prononcer mes malheurs, traîner des fers, des chaînes, Que mes yeux à les voir n'auraient aucune peine : Juge si ton aspect me doit faire trembler. Enfin, c'est trop parler De crime, de malheurs et de mauvais augure. Viens, Briguelle, apporte-nous du vin. Âme poltronne, Si tu me fais lever… ah, coquin ! tu t'étonnes. Mange. Chante donc. Impertinent poltron dans sa terreur panique. Eh bien ! je m'y rendrai, toujours exempt d'effroi. Où veux-tu que ce soit ? Oui-da, tu m'y verras. Maraud ! Va, tu m'y verras rendre, Je tiendrai ma parole, étant homme d'honneur. Briguelle, que fais-tu ? Tu t'es épouvanté. Mange, je veux sortir. Viens donc, car aussi bien un souper magnifique Nous attendra ce soir. Qui t'intimide, sot, et que pouvons-nous craindre ? Va, va, je ne crains rien ; J'ai vu ce qu'on peut voir, Briguelle, sur la terre : Les esprits forts, les grands, les savants et la guerre. Il ne me reste plus dans mes pensers divers, Qu'à voir, si je pouvais, les Cieux et les Enfers. Celui que je vais voir n'est plus dans ces matières, Qui souvent font obstacle aux plus belles lumières ; C'est un esprit tout pur, et je ne doute pas Que l'esprit et le corps n'y fasse un bon repas. Allons donc sans tarder, l'occasion est belle, Je crois qu'il tient école aussi surnaturelle. L'homme est lâche qui vit dans la stupidité, On doit porter partout sa curiosité. Crois-tu vivre toujours ? Ah ! de tous les poltrons le plus impertinent ! Allons, allons, suis-moi. Commence à voir aussi que rien ne m'intimide, Que je suis mon caprice et que j'en fais mon guide. Briguelle, viens ici. Quoi ! tu ne viendras pas ? Quoi ! tu penses mourir ? Quel qu'il soit, tu m'y vois. Quand ce serait des diables, Tu me verrais manger. Nous viendras-tu servir, Briguelle ? Que me viens-tu prôner ? Il n'est pas de saison De me catéchiser, j'aurais peu de raison, Si je ne connaissais l'auteur de toutes choses ; Je sais bien que ses mains sont les premières causes Des ouvrages qu'on voit, qu'on admire ici-bas. Il m'a donné l'esprit, l'âme, la connaissance, La force, la raison, le cœur, l'intelligence, Et tout cela pour vaincre et braver les destins, Et non pour affliger l'ouvrage de ses mains. Ne parle point du Ciel, qu'il punisse ou pardonne. Je ne me repens point, il n'est rien qui m'étonne, Et quiconque a le cœur aussi bon que le mien Ne peut s'épouvanter pour toi qui n'est qu'un rien. M'oses-tu proposer cette action infâme ? Je me repentirais pour prolonger ma trame ! Mon destin est écrit, même dès le berceau, Et l'endroit est marqué qui fera mon tombeau. Si je voyais ici ma sépulture ouverte Et qu'un sot repentir pût différer ma perte, J'affronterais la mort, je ne le ferais pas, Et voilà ce qui peut retarder mon trépas : Oui, ce fer armerait ma main contre un tonnerre. Si le Ciel m'attaquait, je lui ferais la guerre, Tout au moins je mourrais dans cette volonté. Ton importunité M'échauffe trop le sang, tais-toi. Ainsi donc, spectre affreux, tu traites un vivant D'injures, de menaces ? Ah ! c'est trop endurer, depuis que tu m'irrites ! Aussi bien ce spectacle est trop injurieux, Il faut que sans tarder j'en délivre mes yeux. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_dom-philippe *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_domphilippe Miracle des beautés, vous que mon cœur adore, Qui captivez les cœurs et les plus beaux esprits Et qui pour tant d'amants n'avez que des mépris, Puisqu'à me rendre heureux votre grand cœur s'engage, Je n'appréhende point qu'un autre le partage. Je goûte des douceurs que je tiens de l'espoir : Il prend dessus mon âme un absolu pouvoir. Un esprit raisonnable est plein de confiance Et le doute jamais n'y reçoit de naissance. Comme il est tout fidèle, il aime uniquement Et veut croire qu'on l'aime aussi parfaitement, Mais je ne puis souffrir que Dom Jouan vous aime, Lui qui fait voir partout une insolence extrême, Qui tient à vanité de paraître inconstant, Qui ne voit point d'objet qu'il n'ait ce qu'il prétend, Qui peut-être déjà dans quelque compagnie Fait entendre qu'Amour avecque vous le lie, Qu'il est le seul objet que vous considérez Et qu'entre cent amants enfin vous l'adorez, Que vous n'avez de bien qu'alors qu'il vous visite Et que cette faveur est due à son mérite. Je sais qu'en votre cœur il n'eut jamais d'accès Et qu'il ne peut avoir qu'un malheureux succès ; Mais il faut qu'aujourd'hui je lui fasse comprendre Que vous ne voulez plus ni le voir ni l'entendre, Et de plus qu'il me choque aimant en même lieu, Qu'il cesse ou que ce fer lui fera son adieu. Que je vis plein d'ennuis, absent de vos beaux yeux, Et que votre entretien m'a rendu glorieux ; Mais pour continuer cette faveur suprême Et pour me faire voir comme Amarille m'aime, Où pourrai-je ce soir posséder le bonheur De vous entretenir, si j'ai cette faveur Que je puis à bon droit appeler sans seconde ? J'en ai tous les sujets qu'un amant peut avoir ; Vos beaux yeux ont sur moi cet absolu pouvoir, Et n'être pas constant en aimant Amarille, C'est être sans raison et d'une âme imbécile. Que ces mots dans mon cœur portent d'aimables charmes ! Si je n'étais vaincu, je lui rendrais les armes, Et mon cœur, tout ravi de ces nouveaux propos, Lui voudrait consacrer sa vie et son repos. Que c'est avec raison que son œil me domine, Qu'avec droit je la puis croire toute divine Et dire que l'amant qui vit dessous ses lois Est beaucoup plus heureux que ne sont tous les rois ! Quel spectacle en ce lieu se présente à mes yeux ? Qu'est-ce donc, Amarille ? Et que vois-je ? Ah, bons Dieux ! Je ne le vois que trop ; mais quel est l'assassin ? Dom Jouan ? Ah, Ciel ! que dites-vous ? Où peut-il s'exempter de mon juste courroux ? Où puis-je le trouver ? Holà ! que quelqu'un vienne ! Allez, et promptement, Faire fermer la ville, et que l'on fasse en sorte Que l'on ferme au plus tôt jusqu'à la moindre porte. Faites partout savoir la mort du Gouverneur, Qu'on cherche Dom Jouan et qu'il en est l'auteur. Ô malheur ! Ô disgrâce où je trouve une peine, Qui produit en mon cœur une mortelle gêne ! Où ce monstre a-t-il pu concevoir ce dessein ? Qui peut avoir produit cette rage en son sein ? Si ce lâche en voulait à ceux pour qui votre âme A droit de conserver une amoureuse flamme, Si tous ses ennemis sont dans votre amitié, Si pour vous ce perfide a tant d'inimitié, Ce traître ne devait attaquer que moi-même, J'aurais payé pour tous, son insolence extrême. Ah, peste des humains ! exécrable bourreau ! Quoi qu'il puisse arriver je veux être ton fléau, L'on ne peut t'exempter de ma juste furie : J'irai, j'irai partout mettre fin à ta vie. Que tu sois assisté des dieux ou des mortels, J'irai t'assassiner jusque sur les autels Et mon juste courroux sera comme un tonnerre, Qui t'ira rechercher jusqu'au bout de la terre. Mais, Madame, comment s'est fait cette action ? De quelle sorte ? Achevez donc, Madame. Ah, Dieu ! Malheureux que je suis, qui retenait mes pas ? Mon seul retardement a causé son trépas. Madame, en ce moment je n'ai plus de raison ; Je m'en vais vous venger de cette trahison. Ah, divine Amarille ! il faut que cet infâme Apprenne jusqu'où va le trouble de mon âme. Ah, Madame ! il n'est point de déserts ni d'abîme Qui n'eût beaucoup d'horreur de cacher un tel crime, Et je crois que les lieux où la nuit fait sa cour Pour le faire paraître emprunteront du jour. Adieu ! Réservez-moi ces faveurs amoureuses Pour le temps que mes mains seront victorieuses. Quand j'aurais fait mourir l'auteur de nos malheurs, Nous pourrons arrêter le torrent de nos pleurs. Accablé de douleur et plein d'impatience, Et cherchant en tous lieux une juste vengeance, Démon qui l'a produit, assiste mon courroux : Fais que je trouve un bien si charmant et si doux, Trouve mon ennemi ou l'objet de ma rage, Afin que contre lui j'exerce mon courage, Que son sang répandu soulage mon tourment Et serve de victime à mon ressentiment. Mais l'éclat sans pareil des beautés d'Amarille, M'éclairant en tous lieux me rendra tout facile ; Ce soleil pénétrant jusque dedans nos cœurs, Dissipant tout obstacle au gré de mes fureurs, Me fera voir dans peu cet assassin infâme Qui cause tant de maux et de trouble à mon âme. Vous, Ciel, qui gouvernez le destin des humains, Étant juste, livrez un coupable en mes mains, Et faites que ces lieux par des langues secrètes M'apprennent quels endroits lui servent de retraites. Cette faveur est due à mes travaux divers : Me verrez-vous sans fruit errer par l'univers ? Ou bien, pour augmenter le tourment que j'endure, Voulez-vous protéger un monstre de nature ? Ah ! vous êtes plus juste et vous guidez mes pas. Vous tenez dans ma main sa peine et mon trépas, Et sans doute on verra ma fureur vengeresse Dans peu venger la mère, le père et la maîtresse. Voyons ce Pèlerin : il peut m'ôter de peine ; Peut-être qu'en ce lieu quelque bonheur l'amène, Pour m'instruire où je puis rencontrer l'assassin. Leur dessein est d'errer sans mesure et sans fin, Si bien qu'il pourrait bien avoir vu cet infâme, De qui je dois dans peu couper l'injuste trame. Puis-je interrompre ici la course de tes pas Sans te fâcher, ami ? Je te suis obligé, mais ce que je désire Est de savoir de toi si tu pourrais m'instruire. Je cherche un homme, enfin, tu n'en sais pas le nom, À peu près de mon âge, aussi de ma façon. Vous autres qui courez toujours la terre et l'onde, Vous pouvez bien connaître une part de ce monde. Celui dont je te parle a ma taille et mon port, Mais le ciel lui prépare un plus funeste sort. Que je suis malheureux ! Que le Ciel est ingrat ! Quoi ? Verrai-je toujours mon attente trompée ? Ne point voir ce bourreau ! Ah, rigoureux tourment ! Ne pouvoir rencontrer un barbare, un perfide, Dont les moindres forfaits sont plus qu'un parricide. C'est l'horreur de la terre et la haine des cieux. Et pour te faire voir combien il est horrible, Le traître que je cherche est un démon visible, Dont la main parricide a mis dans le tombeau Des gens dont il s'est fait l'exécrable bourreau. Et par un sort nouveau, furieux et contraire, L'infâme a massacré jusqu'à son propre père. Mes travaux pour l'avoir vont jusqu'à l'infini. Il ne se peut cacher : les cris de l'innocence L'exposeront bientôt aux traits de ma vengeance. Si je le puis trouver, il n'est point de tourments, De supplices, de fers, de feux, de châtiments, Qui le fassent mourir d'une mort plus sévère, Et son enfer consiste aux feux de ma colère. Si tu peux m'assister, dispose de mon bien. Ah ! sans tarder, ami, je suivrai ton exemple, Ne m'abandonne point, allons chercher un temple. Allons exécuter ce dessein glorieux. Je crois que c'est un saint. Ah, l'homme merveilleux ! C'était innocemment que j'avais mon épée, Mais je la vais quitter. Quoi, traître ! Ô Ciel, en qui j'ai mis ma confiance ! Quoi, bourreau ! je te trouve, et tu m'échapperas ? Il faut que ces deux mains t'arrachent les entrailles, Et qu'en mourant je fasse aussi tes funérailles. Crois-tu que l'on te craigne, exécrable assassin, Toi qui des trahisons crois tirer avantage, Et qu'on connaît partout pour un cœur sans courage ? Crois-tu qu'impunément tu vives criminel, Toi qui trempes tes mains dans le sang paternel ? Ta trahison me vient de ravir mon épée, Mais il faut qu'à ta perte, elle soit occupée. Est-il rien sous le Ciel d'égal à ma misère ? Quand je crois me venger, tout me devient contraire. Lorsque mon ennemi se livre entre mes mains, L'injustice du sort, les destins inhumains, Comme si c'était peu de me voir misérable, Joignent ce trait fatal au malheur qui m'accable. Ah, Ciel ! si tu prétends que je souffre ces maux, Fais au moins que j'expire au fort de mes travaux : Car vivre et ne pouvoir assouvir sa vengeance, Alors qu'on la désire c'est par trop de souffrance. Mais puisque mon mal m'est une nécessité, Portons-le jusqu'au bout de la fatalité. Marchons donc sur ses pas, nous trouverons des armes Dont nous dissiperons nos malheurs, et nos charmes. Malheureux que je suis, que lui pourrai-je dire ? Vous voyez devant vous un pauvre infortuné À vos dédains déjà sans doute condamné, Qui vient peut-être ici pour achever sa peine. En voyant votre amour n'être plus rien que haine, Il connaît son malheur. Il sait que devant vous, Il ne mérite plus qu'un furieux courroux, Qu'il a manqué le coup que veut votre vengeance. Aussi dedans ces lieux, il n'a pas l'insolence De paraître à vos yeux en qualité d'amant, Mais comme un criminel traîné par son tourment, Qui ne peut rencontrer de plus rude souffrance Que de voir Amarille être encor sans vengeance. Vous savez bien comment l'injustice des Cieux A mal récompensé mon zèle officieux. Ah, cessez ! ce discours est trop rempli de charmes, Vous avez oublié le malheur de mes armes ; Si je viens m'exposer à vos divins appas, C'est afin d'exciter et mon cœur et mon bras, C'est qu'ils ont le pouvoir d'accroître mon courage, De chasser mon malheur et mon désavantage. Ce sont des dieux puissants, à qui tous les mortels Doivent incessamment ériger des autels ; Je viens les implorer, ces divines puissances, D'aider un malheureux au fort de ses souffrances. Oui, je rencontre en vous, et mon temple et mes dieux ; Et puisque Dom Jouan m'attire dans ces lieux, J'ai cru que je devais, pour ne pas faire un crime, Vous apporter mon cœur ainsi qu'une victime. C'est là ce que je veux, et n'ai pas mérité Que vous songiez encore à ma fidélité. C'est sans doute, Madame, Et malgré le tourment que m'a produit ma flamme, Je n'aurais pas l'orgueil de paraître à vos yeux, Sans vous avoir vengée. Je veux bien qu'un bourreau l'immole aux yeux de tous, Mais c'est ma main qui doit le livrer à ces coups. Donc, sans perdre de temps, allez en diligence, Où vous savez qu'il est, je vais suivre vos pas. Les archers s'en vont. Parlant à Amarille. S'ils manquent, en tout cas je n'y manquerai pas, Car je sais mieux qu'aucun le lieu qui le recèle. Archers, prenez cet homme, il est à Dom Jouan, Il le faut entraîner, et sans doute le traître Nous instruira du lieu qui recèle son maître. As-tu perdu le sens, qu'est-ce que tu veux dire ? Eh bien ? Mais souffrons qu'il respire ; Je connais ce que c'est, ce pauvre malheureux Plaint son maître, et sans doute il faut qu'un sort fâcheux Ait prévenu nos soins. Reconnais-moi, Briguelle. On ne te fera rien, Briguelle, je te jure. Conte-nous seulement cette triste aventure Madame, c'en est fait, le Ciel judicieux A puni l'assassin. Nous avons rencontré Ce valet qui semblait encor tout égaré. Il nous a dit sa perte, et la chose est croyable, Pour le pouvoir tenir encor plus véritable, Il nous en va conter l'histoire en un moment ; Cependant vous pouvez apaiser mon tourment, Quoi que pour un objet si charmant et si rare, Mon mérite soit peu. À ce discours charmant, que mon tourment m'est doux ! Viens, Briguelle, je veux te prendre à mon service. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_amarille *date_1658 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_amarille C'est aujourd'hui qu'il faut que mon amour s'exprime, Et que vous appreniez jusqu'où va mon estime ; Que vous seul avez droit de captiver mon cœur, Que Dom Philippe en est le généreux vainqueur Et que jusqu'au tombeau les ardeurs de sa flamme Pourront avec justice obtenir sur mon âme Les droits que l'on obtient d'un objet vertueux Et qu'en peut exiger l'amant respectueux. Enfin, assurez-vous d'un cœur qui vous honore. Il sait que je le hais et que c'est vous que j'aime, Sans que vous exposiez votre valeur extrême. Je pourrais l'éloigner assez facilement, Et si vous n'aspirez qu'à ce contentement, Dans peu vous connaîtrez qu'Amarille est fidèle Et qu'elle vit pour vous, si vous vivez pour elle. Alors que le soleil sera couché sous l'onde, La nuit dont le silence est ami de l'amant Produira sans obstacle un tel contentement ; Ce soir vous me verrez dessous cette fenêtre. Oui, venez, et qu'amour vous donne une constance Égale à la vertu de ma persévérance. Allez donc, et surtout enfin souvenez-vous Qu'autre que vous jamais ne sera mon époux. À moi ! je suis surprise, un insolent m'outrage. Mon père est mort ! Quelle rage, quel sort, quel démon envieux M'ôte dans cet instant un bien si précieux ? Quoi ! vous perdre, mon père ! Ah, malheur qui me tue ! Ah, fatal accident ! ah, disgrâce imprévue ! Mon père… ah, c'en est fait ! son corps est tout glacé, Et son divin esprit chez les morts est passé. Le sommeil éternel a fermé sa paupière, Et dans peu comme à lui m'ôtera la lumière. Oui, mon père, à présent sans consolation, Je veux chercher la mort dans mon affliction, Et pour mieux la trouver dans le mal que j'endure, J'irai l'attendre au lieu de votre sépulture. Mais recevez mes cris, mes plaintes et mes pleurs, Je n'ai qu'eux à donner en de si grands malheurs. Daignez donc accepter cette dernière offrande, Dans ce destin fatal la douleur me commande. Je prétends vous venger par leurs propres fureurs, Et remettre ce soin au cours de leurs clameurs. En quelque lieu que soit l'assassin exécrable, Qui, vous donnant la mort, m'a rendu misérable, Ils iront le chercher, le livrer aux bourreaux : Et les remords cuisants l'accableront de maux. Si ma juste douleur peut devenir mortelle, Me rejoignant à vous, elle sera fidèle. Ah ! vous, hommes poltrons, pleins de stupidité, Qui l'avez vu périr, et dont la lâcheté, Dans ce coup malheureux, de sa mort est complice, L'emportant, rendez-lui ce déplorable office. La cause de mes maux est assez apparente Et vous la pouvez voir sur ma face mourante. Un monstre dont le coup passe jusqu'à mon sein, Un exécrable, un traître, un démon que l'envie Forma dans les Enfers pour m'arracher la vie : Dom Jouan. C'est un soin inutile, Si l'on ne fait fermer les portes de la ville, C'est ainsi qu'on le peut trouver facilement. Par le cours imprudent de notre passion, Hélas ! Pour nous entretenir de cette honnête flamme, Je vous donnai cette heure, où nous pensions tous deux Sans obstacle parler de tourments amoureux. Ce traître, de qui l'âme au crime abandonnée A causé tant de maux, a su l'heure donnée ; À la faveur de l'ombre il s'est glissé chez nous, Dedans l'obscurité j'ai cru que c'était vous ; Pensant donc vous trouver, j'ai trouvé le perfide. D'une lâche action il paraissait avide. Il m'a voulu forcer, mais, et de ses discours, Et de ses trahisons, j'ai su rompre le cours. Quoique surprise en de telles alarmes, Je crie, on vient à moi, on me voit toute en larmes, On poursuit le tyran, il gagne l'escalier, Et furieux il sort, mon père, le premier, Le poursuivant de près jusque dedans la rue. Mais, laissé de nos gens, cet assassin le tue. Ainsi donc de sa mort, sans dire d'autres choses, Nous en sommes tous deux les innocentes causes. Dom Philippe, en toi seul je vois mon assistance, Et si je te perdais, je perdrais ma défense. Ne m'abandonne pas dans le trouble où je suis : Toi seul peux arrêter le cours de mes ennuis. Hélas ! quand le désir d'employer ta valeur Pour mon père et mon deuil vient naître dans mon cœur, Craignant de t'exposer, j'en bannis la pensée, Et de ces deux tourments mon âme est oppressée. L'amour que j'ai pour toi règne sur mes douleurs, Et se vient élever un trône dans mes pleurs ; Mais, tout puissant qu'il est, il faut, il faut qu'il cède, Toi seul es ma vengeance et ma force et mon aide. Si dedans cette ville on ne le peut trouver, Fût-il au bout du monde, il faut l'aller chercher. Qu'il ressente le coup de ta juste colère, Et qu'enfin on l'immole aux mânes de mon père. Va, tâche à le trouver, conserve ton courroux ; Le Ciel va t'assister, il s'armera pour nous. Je dépends maintenant de votre autorité, Et ne dois suivre en tout que votre volonté. Si pour lui je n'avais qu'une amoureuse flamme, Si ses perfections n'avaient charmé mon âme, Je jure qu'à présent sa générosité Ferait un grand progrès dessus ma liberté. Il semble que l'amour des vertus les plus belles, De charmes non pareils et de grâces nouvelles, Ait orné Dom Philippe, et que cet ornement Vient flatter ma douleur et mon ressentiment. Quand Dom Philippe enfin se présente à ma vue, Malgré mes déplaisirs, ma perte diminue, La source de mes pleurs ne produit que des feux, Celle de mes douleurs des soupirs amoureux, Mes sanglots à l'instant sont changés en délices, Et mon bonheur enfin succède à mes supplices. Je l'attends en ces lieux, Je n'ai pu m'en défendre. Vous n'êtes pas tenu de faire l'impossible. Non, votre cœur est franc et le mien est sensible, Et je reconnaîtrai vos soins par des faveurs, Qui banniront de vous la peine et les douleurs. Quoi ! ce traître est ici ? Ah ! s'il est en ces lieux, Il ne peut éviter ce qu'on doit à son crime. Les archers sont partout, vous avez trop d'estime Pour chercher à combattre avec un criminel ; Et puis ce vous serait un tourment éternel. Non, il faut qu'un bourreau l'immole à ma colère, Et qu'on voie en public que je venge mon père. Enfin, vous voyez bien que le ciel a pourvu À me donner secours au soin de ma vengeance. Vous voulez qu'on vous doive une prise si belle. Allons. Grand Monarque des Cieux, L'homme qui s'endurcit et se plaît dans le vice Éprouve tôt ou tard l'effet de ta justice ! Comment le savez-vous ? Puisque à présent mon père Est vengé pleinement, allons, je suis à vous. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_lucie *date_1658 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucie Amarille, il est temps de finir ces rigueurs, D'arrêter vos soupirs et de tarir vos pleurs. Si le deuil qui vous suit et vous ronge sans cesse, Si votre cœur toujours plongé dans la tristesse, Vous étaient des moyens de retrouver un jour Celui qui ne vit plus que dedans votre amour, Si votre plainte enfin vous rendait votre père, J'approuverais ici votre douleur amère. Il faut vous consoler, il vit dedans des cœurs, Où sa mort a causé de semblables douleurs. Séville, en vous voyant en est dans des alarmes ; En vous voyant pleurer, elle jette des larmes. Vous pouvez la tirer de son affliction, Chacun sait bien le cours de votre passion, On aime Dom Philippe, on l'honore, on l'estime, On sait qu'il est vaillant, généreux, magnanime, Et l'on n'attend de vous que l'heure et le moment Pour faire votre époux d'un homme si charmant. Après un triste sort et tant de violence, Donnez-nous ce sujet d'ample réjouissance. Dom Philippe en tous lieux cherche votre vengeance, Il vous sert de bon cœur comme sans répugnance, Et vous devez donner à ce cœur généreux Le juste payement que méritent ses feux. On dit qu'il est ici. Un homme officieux, Comme il est, obtient tout sur le cœur d'une amante. Mais jouissez du bien que l'amour vous présente, Possédez l'entretien d'un vertueux amant, Et que rien ne vous trouble en ce contentement. Nous nous verrons tantôt ; adieu, je me retire. La ville se prépare À voir votre hyménée, il faut, et promptement, Lui donner, Amarille, un tel contentement. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_pelerin *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pelerin Beau désir, qui te donne empire sur mes sens ? Que ces lieux ont pour moi de plaisirs innocents ! Depuis que je te suis, agréable génie, Que tu me fais mener cette innocente vie, Je n'ai rien rencontré de si charmant aux yeux, Et rien ne m'a jamais paru si gracieux : Ces fleurs de leurs parfums aux passants font largesse ; Elles donnent aux eaux leur extrême richesse, Et cherchant pour nous plaire un agrément nouveau, Présentent à nos yeux ce qu'elles ont de beau. Après avoir passé tant de mers orageuses, Qu'on trouve de douceur dans ces plaines heureuses ! Après avoir souffert des vents impétueux, Qu'on reçoit de plaisirs du zéphyr amoureux ! Ma curiosité m'a fait voir l'Italie, Des Alpes j'ai passé la hauteur infinie, Des Espagnes j'ai vu les lieux sanctifiés, Et mes esprits en sont encor glorifiés ; De la France j'ai vu la splendeur non commune, Et de sa belle cour la royale fortune ; De là j'ai vu le Rhin, le Danube orgueilleux, Qui va dorer ses flots au levant radieux, Le Jourdain révéré dedans la Palestine, Le Nil qui pour l'Égypte a l'onde si bénigne, Et qui n'apporte rien dans son débordement Que douceur, que plaisir et que ravissement ; Le Tigre dans la Perse et le Gange en l'Indie, Et l'Euphrate en voyant les côtes d'Arabie, Et sans me rebuter de ces travaux divers J'errerai sans cesser dedans cet univers. Cette sorte de vie est sans inquiétude, Aussi mon seul plaisir est dans la solitude : Elle ne produit point de pensers outrageux, L'homme qui la chérit n'est jamais malheureux ; Il est franc de soucis, d'ambition, d'envie ; Le moindre déplaisir n'outrage point sa vie ; La fortune pour lui n'est qu'une fiction, Et ne lui peut causer aucune passion. Mais je marche depuis le matin où l'aurore De perles, de rubis orne la belle Flore ; Ses fleurs semblent m'offrir un lit tout à propos : Allons donc y goûter un moment de repos. Qui vient rompre mon somme ? Travaillé du chemin, J'y respire en repos un air doux et bénin. J'ai bien fait d'autres routes : Il est peu de saints lieux où ne m'ayent porté Les plus ardents désirs de curiosité. Cet habit-là, Monsieur ? Il m'est cher, et pour vous il est trop peu de chose Puis, tout mon bien consiste en ce seul vêtement. Quoi ! Monsieur, voulez-vous user de tyrannie ? Ah, prenez donc ma vie ! Monsieur, jamais l'argent ne m'a donné d'envie, Je ne l'aimai jamais, et j'ai cette manie De vivre indifférent pour l'argent et pour l'or ; Et dedans cet habit je vois tout mon trésor. Monsieur, considérez… **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_prevot *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_prevot En cette affaire, archers, bon œil et bon courage. Arrêtez les passants, voyez-les au visage ; Examinez partout, mais ne vous trompez pas, De peur de nous jeter en quelques embarras. Connaissez-vous le traître ? En avez-vous l'idée ? Sa face de frayeur se verra possédée ; Vous le reconnaîtrez à son œil égaré, À ses pas mal guidés, troublé, mal assuré, Dedans la défiance et le cœur plein d'alarmes, Et, quoi qu'intimidé, les mains dessus les armes. Le criminel sachant son trépas absolu, À force de frayeur il paraît résolu. Au visage, à la mine, au geste, à la parole, Tous sans difficulté vous connaîtrez le drôle. C'est ainsi qu'au métier j'ai toujours réussi ; Et nous l'aurons, amis, sans beaucoup de souci, Car quoi que fassent tous ces pauvres misérables, Ils cherchent notre piège, ainsi que des coupables. Dès que vous le verrez, il vous faut en saisir ; Car si vous lui donnez un moment de loisir, Il se voudra défendre. Qui est là ? Qui va là ? Vous paraissez surpris dedans votre action. Dites donc maintenant qui vous êtes ? Excusez-nous, Seigneur, Nous sommes en ce lieu pour prendre un suborneur, Un assassin. Pardonnez-nous, Seigneur, on se peut bien méprendre. Archers, retirons-nous. Monsieur, je vous cherchais, on vient de nous apprendre Qu'on a vu Dom Jouan, nous allons pour le prendre ; On nous vient d'informer des lieux où l'on l'a vu. Madame, je sais bien que tout un monde espère De voir un jour si beau. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_archer1 *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_archer1 Nous allons tant chercher et si bien fureter, Qu'en quelque lieu qu'il soit nous saurons l'arrêter. Attendant qu'il arrive, Tenons-nous donc, Monsieur, dessus la défensive. Arrêtez-vous. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_archer2 *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_archer2 Eût-il plus qu'un renard mille fois de finesse, J'ai toujours pour le prendre une admirable adresse. Quelqu'un paraît. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_briguelle *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_briguelle C'est vous gêner l'esprit d'une plainte inutile ; La mort, qui n'est jamais courtoise ni civile, Pourrait être pour vous et prompte et sans refus, Et quand vous la verriez, vous seriez bien confus. Laissez là votre fils, ou l'envoyez à Rome. J'ai fait ce que j'ai pu pour le rendre honnête homme, Mais, le voyant aux pieds fouler mes sentiments, Me gourmer et railler de mes enseignements, Me traiter d'ignorant, de coquin et de bête, Sur ma foi j'ai cessé de m'y rompre la tête. Monsieur, dans ce courroux votre santé s'altère. Consolons-nous tous deux, nous n'y pouvons rien faire. Que votre fils en a dupé les plus habiles. Tant s'en faut, je voudrais soulager votre peine ; Mais, Monsieur, le voici. Quelque bon vent l'amène. Monsieur, dans son esprit ce sont galanteries. Monsieur, considérez que dieux, hommes et diables, Ce sont nos ennemis. Vos crimes exécrables Nous vont faire périr. Ah, l'enragé ! Ciel, vengez un valet comme un père affligé. C'est chercher ma misère future. Je ne reçois de lui que gourmades, qu'injure ; Mais courons, car il est fort libéral de coups. C'est tout de bon, Destin, tu me fais enrager. Tout mon mal serait peu si j'avais à manger ! Mais ici m'exposer au vent d'une cuisine, C'est bien entièrement conclure ma ruine. Dedans cette maison j'ouïs remuer les plats, Et cependant je n'ai que l'air pour mon repas. Si dans notre almanach je puis voir la planète Qui m'expose aux rigueurs d'une telle disette, Elle aura mille coups, je la déchirerai Et j'en ferai du feu dont je me chaufferai. Ah ! planète maudite et peu considérante, Si de mon appétit tu ne remplis l'attente, Au moins garantis-moi des mains d'un maître fou, Qui m'a plus de cent fois pensé rompre le cou. Il est allé duper une amante nouvelle, Cependant que je fais ici la sentinelle ; Si son rival venait, je craindrais bien pour lui, Et pour mon dos aussi. Toutefois pour autrui Ne soyons pas si sot ; évitons la querelle, Et si nous en voyons, enfilons la venelle. Dom Philippe est mutin, Amarille a des gens Qui pour me bien frotter se rendront diligents ; Car, quand elle verra que Dom Jouan, mon maître, Sera dans sa maison, dans un coin comme un traître, Elle fera des cris : son père et ses valets Viendront nous égorger ainsi que des poulets. Ah, Dieux ! mon maître est pris ! vite, troussons bagage, N'attendons pas le choc, il serait périlleux, Et ce lieu dedans peu sera bien dangereux. Diable, que j'ai bien fait ! J'ai su l'échapper belle. Ciel ! je vous en promets une belle chandelle. Après ce grand hasard que je viens de courir, M'assomme qui jamais pourra m'y retenir ! Non, non, je n'y vais plus, je ne suis pas si traître, Je ne suis plus valet d'un si dangereux maître ; Je le quitte dès l'heure, et je suis à louer, Et si je le sers plus, qu'on me fasse fouetter. C'est un diable incarné. Mais devenons plus sage. Aussi bien l'on pourrait pour lui me mettre en cage. Puis, je n'en sortirais que pour danser si haut Que jamais bateleur ne fit un si beau saut. Que j'ai souffert de mal pendant cette tuerie ! Quand j'y pense, ma foi, je t'aime bien, ma vie ; Car, étant de tout temps ton humble serviteur, Un jour on me verra pour toi mourir de peur. Mais parlant de mourir, en tournant la croupière, Quelqu'un ne m'aurait-il point frappé par derrière ? Ne suis-je point blessé ? Sans tarder, il faut voir : Non, je n'ai pour tout mal que la peur d'en avoir. Mais que vois-je passer le long de cette rue ? Ah, crainte ! vous voilà de nouveau revenue. Un valet qui passe son chemin. Ah, je n'en ferai rien ! Pourquoi dire mon nom ? J'ai bien d'autres soucis. Ah ! je n'y pense pas ; Je fuis de cette rue où l'on a fait carnage. C'est mon maître, courage. Rassurons nos esprits. Quoi, Monsieur, c'est donc vous ? Sauvez-vous, qu'on nous va tous deux rouer de coups, Si nous ne nous sauvons ! Monsieur, de tout mon cœur, je m'en vais prier Dieu Qu'il m'assiste. Que ne me ferait-il, s'il a battu son père ? Ah ! je ne veux qu'y vivre. Ah, nuit ! assiste-moi, Couvre-moi de ton ombre, afin que je l'évite. Parlez si vous voulez, Monsieur, jusqu'à demain. Que trop ! Ah ! Monsieur, je m'en doute, Et c'est ce qu'en ce lieu maintenant je redoute : Car si nous étions pris, je serais tôt pendu ; Laissez-moi donc aller, Monsieur, je suis perdu. Attendez-moi sous l'orme ! Cacher un criminel ? En mon habillement ? Je suis fort bien, Monsieur, dedans ce vêtement ; Gardez vos beaux habits avec votre malice. Ô Dieux, quelle injustice ! Quoi ! me mettre en péril, moi qui suis innocent ! Monsieur, de vos bienfaits, je suis reconnaissant, Mais non pas jusqu'à perdre et l'honneur et la vie. Pourquoi Diable, Monsieur, sont-ils si curieux ? Ces faquins sont fâcheux avecque leur visite. Ils montrent nous voyant leur mine d'hypocrite, Et leurs méchants desseins ne nous paraissent pas. Que ne nous laissent-ils ? Nous ne les cherchons pas. Ah ! ma crainte est mortelle. Par ma foi, c'est en vain que vous vous obstinez : Quand je verrais ici des diables déchaînés, Je ne le ferais pas. La maudite aventure ! À ce prix-là, jamais n'aurai valet de chambre. Donnez-moi vos habits pleins de civette et d'ambre. Si je ne suis perdu, je suis bien égaré. Passons sans faire bruit. Tâchons à nous sauver en faveur de la nuit. Me voilà maintenant à ta miséricorde, Funeste habillement. Ah, que tu sens la corde ! Le traître est déjà loin avecque mes habits. Mon esprit, ma raison, êtes-vous sans avis ? Cherchez-m'en quelques-uns, vous aussi, ma cervelle, Vous en êtes priés du très humble Briguelle. Ses habits font du bruit ; peste du taffetas ! Ainsi que moi, bourreau, tu ne te tairas pas ? Ah, chien ! ah, traître habit ! Mais, Dieux ! c'est sans remise, Quelqu'un s'en vient à moi. Sans surprise, Messieurs. Usons d'invention. Le Prince. Comment arrêtez-vous un maître de province Qui va voir sa maîtresse ? Marauds, je vous ferai tous pendre. Allez, et promptement, Ou bien je vous ferai traiter si rudement Que vous maudirez l'heure… Allez à tous les diables ! Ces grippeurs de collet sont pourtant effroyables. Sans ma ruse ils m'allaient traiter en inhumains ; Je n'eusse jamais cru m'échapper de leurs mains. Pourtant j'ai bon esprit ; j'admire mon adresse, Et d'où m'est pu venir cette bonne finesse. Je les ai fait trembler, ils ont tous fui de peur. Il faut croire par là que j'ai prudence et cœur. Je ferai cas de moi. Mais sortons de la ville ; C'est le plus nécessaire, et c'est le plus utile. Je sais pour me sauver de vieux murs démolis ; Ainsi je ne pourrai gâter que mes habits. Mais n'importe, on peut tout pour conserver sa vie, Et qui ne le fait pas est bête et fait folie. Ah, vous êtes sorcier ! Quand j'y pense, je tremble. Vous disiez : nous devons vivre et mourir ensemble. Vous aviez bien raison ; vous saviez l'avenir, Et vous êtes un diable, ou l'allez devenir. Mais comment avez-vous pu sortir de la ville ? Ma foi, vous changerez donc d'humeur et de vie. Ne croyez pas, Monsieur, que ce soit raillerie : Devenez honnête homme et je vous servirai, Autrement, sur ma foi, cent fois je périrai, Avant que de vous suivre. Échappé de ces diables, Qui vivent du tourment des pauvres misérables, De ces pestes d'archers, ma foi ne croyez pas Que Briguelle retourne à ce dangereux pas. On n'a pas tous les jours la ruse et la finesse ; On n'a pas tous les jours du cœur et de l'adresse. Comme je vous ai dit, j'ai fait fort vaillamment, Mais qui sait si j'aurai toujours bon jugement ? Je pourrais bien périr en une même affaire. Puis, on dirait partout : c'était un téméraire. Ceux qui meurent ainsi, du peuple sont maudits, Et puis l'on n'a jamais un seul De Profundis. Pour éviter ce mal si vous n'êtes plus sage, Quelque autre avecque vous pourra faire voyage. Vous avez vos habits ? Ô le cas réservé ! Je crois que l'on verra plutôt mes funérailles, Car il dissipe tout ! Par un vieux mur rompu. Puis j'allai toute la nuit à travers la campagne, Sans boire ni manger, car, Monsieur, en Espagne On rencontre plutôt un trou qu'un cabaret. Depuis que j'ai fait peur aux archers, je suis diable : Le plus méchant pour moi n'aurait rien d'effroyable. Voir des archers est plus que de monter sur l'ours, Et que dessus son dos faire cinq ou six tours. Bien, bien, je vous reprends ; je le veux bien aussi. Donc, de longtemps, Monsieur, je ne verrai parents. Des parents en Turquie ? Est-ce donc tout de bon ? Maître Pierre connaît mon père et mes ancêtres ! Moi, j'aurais des parents si chiens, si loups, si traîtres ! Mais, Monsieur, sur la mer on a bon appétit. Avez-vous de l'argent pour faire ce voyage ? Vous savez bien qu'aux champs on mange davantage. Hélas ! que dites-vous ? J'oubliais, malheureux, À vous dire un malheur pour vous triste et funeste, Et pour qui va s'armer la colère céleste ; Vous devez abîmer. Étourdi des archers, j'allai dans la maison. Oui, dedans la vôtre même. Je fus surpris par une plainte extrême : J'entendis dire, hélas ! «Dom Alvaros est mort ; Son fils, son traître fils, par un étrange sort, En est l'infâme auteur.» Et de plus, ce qui m'en confirma la nouvelle, Ce fut un des voisins ne me connaissant pas, Qui me dit qu'il venait de mourir en ses bras. Il a le deuil au cœur, il est hors de lui-même. Monsieur. Courage, il se repent. Oui, ce fut de douleur, de regret, de colère. Et vous avez, ingrat, fait mourir votre père. Le déplaisir qu'il eut de vous voir l'irriter, D'avoir vu votre orgueil jusqu'à ce point monter… Enfin, on me l'a dit et je n'en doute guère. Il se faut modérer dans ses chaleurs bouillantes Et ne pas s'emporter aux choses violentes. On m'a dit qu'outragé de cette vive atteinte, Il fut de tous côtés faire entendre sa plainte, Et que même en mourant il se plaignait de vous, Et qu'il est mort enfin d'un violent courroux. Allez, parlant ainsi, vous êtes méchant homme, Et l'on ne pourra pas vous en absoudre à Rome. Il faut verser des pleurs, Et plaindre votre père, ainsi que vos malheurs. Votre cœur est de roche, et la roche est moins dure. En vous servant, je cherche une triste aventure. L'on vous fera la guerre. Ah ! Monsieur, trêve ici de vos déguisements : Pourquoi m'embarrasser en toutes vos affaires ? Ces choses à présent sont fort peu nécessaires. Sauvons-nous seulement. Qui ? C'est un pèlerin. Ce sont honnêtes gens ; ne crains rien, mon pauvre homme. De Saint-Jacques sans doute, Où vont les pèlerins. Pour éviter la mode, C'est le meilleur moyen que vous puissiez trouver. Avecque cet habit, il ne faut point rêver Quels galants on mettra pour être à la moderne. Qu'est-ce qu'il lui propose ? Ce pauvre homme, il faudra qu'il en passe le pas. Qu'il faut de patience Avec un pareil sire ! Il n'importe, j'y suis, Quand je devrais tomber dans de plus grands ennuis. Ah ! Trigault de Neptune ! avecque tous tes flots Tu me fais plus de peur que piques et javelots. Nargue de ta puissance et de l'onde salée, De Thétis, Polémond et de Monsieur Nérée. Si sur vos chiens de dos je cours plus de danger, Puissé-je être englouti, puissé-je submerger ! Qu'au lieu de vin vos eaux me servent de breuvage, Et que je sois tenu pour un valet peu sage. J'ai pensé de la mort subir les tristes lois, Je l'ai vu à mes yeux plus de cinquante fois. Mon Dieu ! qu'elle est hideuse et qu'elle est effroyable ! Son vilain nez camus m'était insupportable : Je crois qu'elle est punaise. Vos vœux soient exaucés ! Bon ! il craint qu'à la fin Atropos ne l'assomme. Ô Dieu ! pourrait-il bien devenir honnête homme ? Mais ne parlons-nous point l'un et l'autre en dormant ? Car je suis si surpris d'un pareil changement ! Si vous continuez, vous allez être saint ; Est-ce vous, Dom Jouan, dont l'esprit double et feint A tué, massacré, violé tant de filles, Et qui faisiez passer tout cela pour vétilles ? Ah ! Monsieur, sans serments ! Je connais dès longtemps votre façon de vivre. Et puis, pourquoi jurer, alors que l'on est ivre ? Nous n'avons pas mangé ; mais nous avons bien bu, Grâce aux vagues, Monsieur, qui nous versaient à boire. Je m'étonne comment vous êtes sans mémoire. Votre pensée est bonne, et votre humeur aussi, Et le temps qui fait tout a sur vous réussi ; Mais votre plus grand mal était d'aimer les femmes, Et beaucoup d'autres maux paraissent dans vos flammes. Dites-moi, pensez-vous surmonter ce démon Ou ce vice enragé ? Il faudra donc, Monsieur, que ceux-là vous imitent Qui pour gagner le Ciel incessamment méditent. En effet, vous pourriez devenir misérable. Et puis, qui jurerait que quelque méchant diable À la fin ne viendrait pour vous rompre le cou ? Il est pour cet effet un diable loup-garou. Mais sortons de la mer, achevons le miracle ; Ce méchant élément est un mauvais spectacle, Nous avons assez vu les flots, souffert les vents, Et nous avons assez laissé croître nos dents ; Allons nous rafraîchir dans quelque hostellerie. Eh bien ! que vous importe ? Et qu'en voulez-vous faire ? Ne vous souvient-il plus ?… À l'objet de la fille, adieu la sainteté. De moment en moment il change de visages. Monsieur, vous savez bien jouer des personnages : Je vous croyais tantôt un béatifié ; Mais de ce changement je m'étais défié. Mais vous avez fait vœux… N'avais-je pas bien dit qu'il était enragé. Pourquoi suis-je si sot de le croire changé ? La pauvrette ! Il la tient ; il en aura la dîme. Est-il un plus grand fourbe ? Est-il un plus grand traître, Et ne suis-je pas fou de servir un tel maître ? Je tiens pour assurés sa perte et mon malheur : Quelque tragique fin suivra ce suborneur. Qui ne l'eût pris tantôt pour un saint, pour un ange ? Il est diable, il est saint, enfin, c'est un mélange Où les plus raffinés se trouveront surpris. Et sans doute, il agit par les malins esprits ; Car autrement, comment est-ce qu'il pourrait faire ? Jurer à son valet de n'être plus sévère, D'abandonner le vice et vivre sagement, Et faire le contraire en un même moment ! Que cette pauvre fille est facile et légère ! Que ce sexe est fragile en l'amoureux mystère ! Telle qu'on croit rougir et s'armer de courroux, Au moindre mot lâché de quelque rendez-vous, Se rendrait si l'amant avait autant d'adresse Que mon maître en pratique auprès d'une maîtresse. Par le geste des yeux, prévoyant son malheur, J'ai fait ce que j'ai pu pour lui sauver l'honneur. Le coquin ! le faquin ! On prend la mariée. C'est, par ma foi, mon maître. Il a trouvé bien pire, Lorsqu'il croit fuir un ours, il rencontre un satire. Que je suis malheureux ! je vois de tous côtés Que ce traître persiste en ses méchancetés. J'approche mon pays. Ciel, tout de bon, je jure Que je ne suivrai plus ce monstre de nature. Cette pauvre bergère est doucette et bonasse ; Elle en tient. Elle vient. Oui, vous êtes dupée, Pauvre fille ; et comment ne compreniez-vous pas Qu'il était homme à faire un vol sur vos appas ? Fallait-il vous fier à ses cajoleries ? Il en a dit autant à trente comme à vous, Sans les autres qu'il a pris d'assaut, pour tout dire ; J'ai su de lui leurs noms à l'entendre médire, Car il faut que partout je lui sois complaisant. Médisant, ah ! vraiment, il l'est ainsi qu'un diable. Je vous les vais nommer : dans son pays natal, Laure, dont le bel œil au vôtre était égal, Dorinde, Clorianne, Amarante, Isabelle, Célimène, Célie et Lucrèce et Marcelle, Angélique, Lucelle, Aminthe, Amarillis, Et celle dont on fit des chansons, c'est Fillis, Glodine la boiteuse et Catin la camuse Qui se laissa duper comme une pauvre buse, Jeannette, Marion, Perrette, Jeanneton, Jacqueline, Margot, Perronnelle, et Suzon, Germaine, Violante, Anne, Fanchon, Gillette, BenoÎte, Marinette, Argine et Guillemette, Et celles que le temps m'ôte du souvenir, Sont dedans cette liste… Ah ! je vois survenir Mon maître. Je ne le veux que trop; mais, Monsieur… Hé, Monsieur, rendez-lui, ne soyez point voleur, Pourquoi l'emportez-vous à ceux qui n'en ont guère ? Eh bien ! qu'en dites-vous ? Vous croirai-je jamais ? Quand je verrais des feux pour me brûler tous prêts, Quand votre main levée aurait la foudre prête Pour me briser le corps, pour me rompre la tête, Quand je verrais des fers, des cordeaux, des prisons, Je ne me tairais pas, je dirais mes raisons. Mais, par ma foi, Monsieur, vous me la donniez bonne, Quand vous juriez tantôt de vivre saintement ; Vous aviez oublié qu'Amour était charmant, Ou bien vous ignoriez l'effet de sa puissance. Tope à tout, mais un jour vous serez attrapé, Car le fourbe à la fin est lui-même dupé. Oui, Monsieur, et j'en crains quelque mauvais augure. Je n'en approcherai que de loin, s'il vous plaît. Votre fortune est faite, allez où vous voudrez ; Mais comment sommes-nous retournés dans leurs rets ? Il faut que nous soyons bien proches de Séville. Ma foi, je ne saurais vous déguiser ma crainte, Je trouve en l'épitaphe une sensible atteinte. La figure, Monsieur, m'a frappé d'une œillade. Vous êtes boutadeux : Pourquoi troubler les morts dedans leur sépulture ? Fantôme, dont les os sont sous cette figure, Tenez-vous en repos dans cette sépulture. Je vous prie humblement, fantôme de vertu, Ne croyez pas mon maître, il a l'esprit perdu. Et ne voyez-vous pas, Monsieur, qu'il vous fait grâce ? S'il voulait se lever hors de ce monument, Il vous ferait mourir de frayeur seulement. Mais vous avez tué ce mort qui veut vengeance. Monsieur, je n'entends point votre philosophie, Mais je crains les esprits, et si je m'en méfie. Que j'aye cette audace ? Moi ! Je n'en ferai rien, vous y pouvez aller. Ô Ciel ! en est-il un qui puisse l'égaler? Oui, zest ! Dussiez-vous m'assommer et m'arracher la vie… Si vous parlez de bon, je suis mort aujourd'hui. Mais… Eh bien ! il le faut faire. Fantôme, Esprit, Figure, ornement du trépas, Bref, qui que vous soyez, je ne vous connais pas, Je sais bien qu'étant vif, vous étiez gentilhomme, Mais je crois qu'à présent vous êtes esprit, fantôme, Mais esprit débonnaire et fantôme de bien. Je viens donc vous prier, mais vous n'en ferez rien, De la part de mon maître, homme qui vous estime, Et quoi qu'il fasse enfin à regret de son crime, De vouloir avec lui prendre un mauvais repas. Ah, Monsieur ! Ah ! je ne me sens pas, La frayeur me possède. Ne l'avez-vous pas vu ? Ne faites point de feinte. La Figure. Elle m'a répondu par un grand mouvement, Sa tête s'est baissée, et cela nous assure Qu'elle viendra chez nous. Vous-même allez donc voir si c'est illusion. Il paraît de nouveau. Allons, je n'ai plus peur, je reprends ma raison Car comment viendrait-il, sans savoir la maison ? Oui, Monsieur, tout à l'heure, N'ayez peur que longtemps sans manger je demeure : J'ai trop bon appétit, il y a trop longtemps Que mon ventre aplatit et que croissent mes dents ; Que je m'en vais tantôt manger de bon courage, Il me semble déjà que je tiens le potage. D'entendre vos discours, il est fort difficile, Mais je dirai toujours : le manger est utile. Le garçon va venir, Monsieur, dans un moment, Mais dites, dans ce lieu sommes-nous sûrement ? Les archers, Dom Philippe, étant près de la ville, Nous pourraient bien trouver ; car la pauvre Amarille… Je ne le verrai pas : dans le péril vous suivre ? Il faudrait que je fusse ignorant ou bien ivre. Et si j'étais pendu, Monsieur ? Qu'en dirait-on ? Non, je demeurerai dans cette hôtellerie. Elle donne la vie, Et Séville aujourd'hui nous donnerait la mort. Mais ne parlons donc plus de Flandre et d'Allemagne, Allons nous-en plutôt au pays de Cocagne, On dit qu'il y fait bon, qu'on n'y manque de rien. Mais le dîner survient, Monsieur, traitons-nous bien, Pour moi, je me dispose à donner d'importance Sur un gigot farci qui doit remplir ma panse ; La sauce est faite à l'ail et de bonne façon, Et celui qui l'a faite est habile garçon. Que j'ai bon appétit ! ah, l'objet délectable ! Confessez qu'il fait bon s'embarquer à la table. Ah, Bacchus ! tu vaux mieux que tes autres parents, Ces gouverneurs des flots qui nous rendaient mourants, Alors qu'ils nous donnaient plus d'eau qu'on en peut boire. Ce ne sont que des sots, et chacun le doit croire. La douce exhalaison qui vient flatter mon goût ! Là, là, mon nez, tout beau, laissons là ce ragoût. Mon ventre, un peu de temps ; vous aussi, mes entrailles ; Quand mon maître aura fait, lors vous ferez ripaille. Monsieur j'ai vu tantôt une jeune beauté Qui vous eût pour un temps ravi la liberté ; Elle m'a demandé deux fois de vos nouvelles. Mais elle est des plus belles. Oui-da, j'ai trop de soif, et de faim, par ma foi ; Non, vous n'en saurez rien si je ne suis à table. Vous êtes sociable, Cela me plaît. Ah ! laissez-moi manger. Tout doux, un peu de temps. Grande. Fort beau pour la douce bataille. Vous m'en demandez bien ! tout revêtus d'appas. Tout à fait fripon, entre doux et sévère. Elle est… elle est… elle est fort bien pour plaire. L'Ombre de Dom Pierre heurte à la porte. Ventrebleu, qui va là ? Je crains l'écornifleur. Me voilà maintenant À la merci du Diable et de son lieutenant. Justes Dieux ! Il est proche de vous, Monsieur. Je suis sans faim, puis je suis demi mort. Que je chante à la fin de mon sort ? Je ne suis pas un cygne, et je suis catholique. Monsieur, je conjecture Que vous devez périr dans ce lieu de malheur ; Je n'irais pas. C'est un Richard sans peur, Et je crois que ce diable encore le surpasse. Mais, ô Dieux ! de frayeur mon corps est tout de glace. Dieu me veuille exempter de cet esprit malin ; Toutefois il s'en va, je le tiens fort bénin. Je rassure mon cœur, Et tâche à retenir mon âme qui s'envole. Ah, Dieux ! je suis sans pouls, sans force et sans parole. Qui ne le serait pas ? Il faudrait qu'il fut diable, et diable du plus bas Des cachots de l'enfer, où tous maux l'on endure. Après cette figure, Je ne veux pas manger, je deviendrais sorcier, Puis chez moi l'appétit a perdu son métier. Ah, le traître hérétique ! Sans doute il veut aller souper chez cet esprit, Mais que boire et manger me puisse être interdit, Si je lui fais escorte et suis son fol caprice. Mais je suis seul ici, fuyons : c'est mon supplice. C'est tout de bon, nous allons en des lieux Où, pour nous étriller des diables furieux Ne nous feront rien voir que rage, que rancune. On nous étouffera : Soleil, Étoiles, Lune, Adieu donc pour jamais, je vais dans des manoirs Où nous ne verrons rien que des démons tout noirs. Ah ! vous vous obstinez, pour m'achever de peindre, Mais encore une fois, Monsieur, pensez-y bien, Nous n'en reviendrons pas. Ah ! vivre pour mourir est une sotte vie. Ce serait mon envie, Mais vous m'en ôtez bien les moyens maintenant. Le bon Dieu nous conduise, Et ne permette pas que le Diable nous nuise. Hélas ! c'est tout de bon, il me tient au gosier, Et je suis maintenant souple comme un osier. Fermez-vous bien, mes yeux, Soyons sourds, mon oreille, en ce lieu périlleux. Je ne suis pas si bête, Car cet esprit malin m'écraserait la tête. J'attends en priant Dieu le moment de ma mort. Je le pense, et bientôt. Ah ! si Monsieur l'esprit voulait sauver ma vie, Qu'il me ferait de bien ! Ah ! je suis mort, il lui faut obéir. Monsieur l'Esprit, ayez égard à l'innocence : Ne perdez pas Briguelle. Ah ! laissez-moi vivre au moins encore un an. Esprits, je vous conjure avec soumission, De me vouloir traiter avec compassion. Mon pauvre maître… Ah, Monsieur ! pardonnez ma pauvre cervelle. En quel lieu suis-je ? Hélas ! il me vient d'arriver Ce qu'on n'a jamais vu, ce qu'on ne peut rêver : Mon maître est abîmé. Je sais que, pour son crime, Contre lui vous avez un courroux légitime, Mais il est bien puni. Si donc quelque tourment M'est ordonné, je veux l'endurer constamment. Le sort aux bons valets à la fin fait justice : Je recouvre un brave homme, et je suis désormais Pour être plus heureux que je ne fus jamais. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_ombre *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ombre Dom Jouan, c'est ainsi que je te tiens parole, Et je ne fis jamais de promesse frivole. N'aye point en ce temps de désir hypocrite, Ne raille point les morts, et que leur triste aspect Imprime dans ton cœur la crainte et le respect. Que les funèbres lieux où leurs cendres reposent, Attirant tes regards, le silence t'imposent. Que ce funeste objet de leurs tristes lambeaux Attestent ces fureurs qui causent tant de maux, Et, craignant à la fin de tomber en leur piège, Aye horreur pour ta main impie et sacrilège. Contente-toi, cruel, que par un lâche effort, Dans ma propre maison tu m'as donné la mort, Sans violer encor, dessus ma sépulture, Le deuil et le respect que nous doit la Nature. Tremble, barbare, tremble, et me voyant ici, Sache que la vengeance est mon plus grand souci. C'est le mets que tu dois à mon Ombre irritée, Et que me doit servir ta main ensanglantée. Oui, ton cœur criminel, sans justice et sans loi, Est le sanglant repas que je cherche pour moi. Loin de te condamner, tu te plais en tes crimes, Et te voyant souillé d'actes illégitimes, Tu viens sur mon tombeau braver encor mes os. Enfin, en chaque lieu tu troubles mon repos, Et je crois que ta rage, ou plutôt ta furie, Voudrait pouvoir m'ôter une seconde vie. Que t'ai-je fait, tyran ? N'es-tu pas satisfait D'avoir vu de ma mort le déplorable effet ? N'es-tu pas satisfait du deuil de ma famille ? N'es-tu pas satisfait du tourment de ma fille ? N'es-tu pas satisfait des coups de tes fureurs ? Veux-tu t'ensevelir dans de plus grands malheurs ? Attends-tu que le Ciel jette dessus ta tête Les foudres que déjà sa justice t'apprête ? Attends-tu que la terre ouvre dessous tes pas Un gouffre épouvantable et fasse ton trépas ? Bref, que ce même Ciel, pour affliger ton âme, Te donne mille morts dans l'éternelle flamme, Et qu'alors qu'il te voit profaner les tombeaux, Il ne fasse le tien du ventre des corbeaux ? Qu'il ne t'anéantisse et que ton cœur superbe Soit foulé sous les pieds, cent fois plus bas que l'herbe ? Qu'il ne te fasse enfin l'horreur de l'univers, Indigne seulement d'être en pâture aux vers ? Poursuis, mais ne t'abuse pas : Mon Ombre veut qu'ici l'on venge mon trépas, D'une façon ou d'autre, il faut me satisfaire, Ta perte est dans ma main, évite une colère Qui surpasse l'esprit et l'humain jugement. Quoi ! toi qui devant moi devrais baisser les yeux, Tu me fais souvenir de ton crime odieux ? Devrais-tu pas trembler en voyant ma présence ? Moi, qui ne suis rempli que d'un feu de vengeance, Qui porte la fureur et la haine avec moi, Qui devrais dans ton cœur ne produire qu'effroi ? Insolent, orgueilleux, baisse, baisse la vue, Et qu'à mon triste aspect, ta rage diminue. Songe à toi, Dom Jouan. Tu dois servir d'horreur à toute la nature, Exécrable, et dans peu doit arriver ta fin. C'est assez, Dom Jouan, je suis fort satisfait De la réception qu'aujourd'hui tu m'as faite. Je ne t'ai pas manqué, j'ai tenu ma promesse, Mais te voyant rempli de tant de hardiesse, Ce soir, je te convie à manger avec moi. Dessus ma sépulture. Adieu, tu sais le temps, ne me fais pas attendre, Ou ne me promets pas. Dom Jouan, prends ce siège, et puisque aucune crainte Ne trouble ton esprit, et que ton âme atteinte D'un penser orgueilleux adresse ici tes pas, Commence à profiter de ton dernier repas. Sais-tu bien quel génie Te conduit en ce lieu ? Si le vice cessait de te faire des lois, Du coup qui va tomber tu te pourrais défendre, Et du foudre qui va mettre ton corps en cendre. Dom Jouan, l'heure approche, que ton tragique sort Doit venger en ce lieu tant de morts par ta mort. Entends-moi prononcer ta sentence mortelle, Et dispose aux tourments ton âme criminelle. Mange, cependant, mange, et contente ton corps. Voilà les mets qu'on mange à la table des morts. Ne te rebute pas, s'ils ne sont délectables, Je donne ce que j'ai. Connais-tu bien quelle est l'âme de la Nature, Celui qui donne l'être à toute créature ? Sais-tu que sa vertu de moment en moment Rend la vie à ton corps comme le mouvement, Que tu n'as de pouvoir qu'autant qu'un Dieu t'en donne Et qu'on doit tout hommage à sa sainte personne ? Sais-tu bien qu'à présent ce Dieu veut ton trépas ? Tu sais bien que ton père est dans la sépulture Et que ton cœur, rebelle aux lois de la nature, A commis ce forfait ; qu'il est dans le tombeau Et que ton bras en est l'exécrable bourreau. Tu te ressouviens bien que ta brutale rage A rempli ma maison de deuil et de carnage, Que mes jours ont été par toi précipités Et que rien n'est égal à tant de cruauté. Tes crimes sont si grands, ils sont en si grand nombre Qu'ils n'ont pu se cacher dans la nuit la plus sombre. Tu les connais assez, je n'en parlerai plus, Aussi bien ce seraient des propos superflus, Mais puisque tu connais la suprême puissance, Tu dois savoir qu'elle est l'appui de l'innocence, Que l'Éternel est juste et que ta cruauté Va recevoir ici ce qu'elle a mérité. Toutefois il n'est point d'âme si criminelle Qu'un repentir ne mette à la gloire éternelle, Si tu veux éviter des tourments éternels, Demande au Ciel pardon de tes faits criminels. Impie ! Ah, malheureux ! Quoi, téméraire ! Tu n'appréhendes point un châtiment sévère ? C'en est trop, insolent, Je t'ai traité cent fois mieux que tu ne mérites. Ah ! c'est trop d'insolence, Et c'est trop mépriser la justice et la loi. Barbare, sers d'exemple aux méchants comme toi, Et que tout l'univers de ton malheur extrême Sache que qui vit mal, aussi mourra de même. Dom Jouan abîmé, son valet demeure étourdi sur le théâtre, du bruit du tonnerre, la grotte disparaît, et Briguelle ne sait où il est. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_bon-temps *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bontemps Baisez votre mari, ne cachez point vos flammes. C'est un ordre établi pour le bien de nature. La femme et le mari le peuvent sans injure. Baisez-vous, couple heureux, chastement assortis ; Votre mère a baisé. Votre père, mon fils… Ah ! balourde, comment serais-tu dans le monde, S'ils ne s'étaient baisés. Je veux un petit-fils ; je reprends donc ma fille, Puisque tu ne veux pas accroître ma famille. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_blaise *date_1658 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_blaise Allons ! je ne veux pas. Qui ? moi, baiser les femmes ? Cela m'est défendu, je ferais un péché. Ah ! père vicieux, vous en êtes taché. Vous en avez menti. A menti par sa gorge. Ma mère était pucelle, et mon bon père George Ne l'eût jamais permis quand elle aurait voulu ; Ils étaient gens de bien, leur honneur est connu. Quoi ! traître de beau-père, est-ce ainsi qu'on m'affronte ? Ma mère est impudique et mon père sans honte ; Tu me veux soutenir, fou, qu'ils se sont baisés ! Il faut que tes deux bras par les miens soient brisés. Va, face rubiconde, Traître, Satan, juif, Turc, pêcheur, fourbe sans foi, J'y suis, j'y suis venu mille fois mieux que toi. L'accroisse qui voudra, je suis en grand danger ; Père, femme, fuyons, cet ours me veut manger. Ma femme est enlevée, Au voleur, au voleur ! **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_amarante *date_1658 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_amarante Amour, pourquoi viens-tu passer dans nos forêts ? Jusques ici j'étais exempte de tes traits ; Je n'avais point souffert le joug de ton empire, Que partout justement on appelle un martyre ; J'ignorais ta puissance, et maintenant je vois Que tu contrains les cœurs de vivre sous ta loi. Tous les bergers voisins viennent dans nos prairies Faire cent jeux nouveaux et cent galanteries : L'un s'exerce à la course, et ses agiles pas Font voir que son poumon ne le trahira pas ; Les autres en dansant s'empressent pour me prendre, Et s'efforcent par là de me faire comprendre Qu'Amour chez eux produit un mal contagieux, Et que cela ne vient que d'avoir vu mes yeux. Ils m'offrent des bouquets, des guirlandes, des roses, Et sous ces beaux présents cachent beaucoup de choses ; Mais quand dans leurs amours ils devraient enrager, Je ne veux avec eux courir aucun danger. Ils disent qu'ils sont morts si je n'y remédie. Je ne puis pas de tant guérir la maladie ; Celui qui me plaira, j'en ferai mon amant, Et les autres pourront mourir dans leur tourment. Je recevrai ses vœux, ses bouquets, son hommage, Et je lui donnerai la foi de mariage. Mais à propos je parle ici de marier : Mes parents sont-ils fous de me tant ennuyer, Et me laissant pâtir dans l'amoureuse peine, Ont-ils tous résolu de me garder pour graine ? Non, non, je ne veux plus entendre leur leçon, Et je suivrai la loi de ma propre raison. Le premier qui viendra, pourvu qu'il puisse plaire, Ma foi, je le prendrai sans faire autre mystère. J'en ferai mon époux, et les lairrai causer. Quand je serai contente, ils pourront s'apaiser. Il est temps ou jamais de me mettre en ménage, J'en ai vu de moins belle, moins vieille et moins sage, Et dont l'œil toujours gai de leur ravissement, Témoigne bien quel est ce doux contentement ; Qui vivent à gogo, qui chacune ont leur homme ; Et peut-être jamais je n'aurai qu'un fantôme : S'ils ont si peu de soin de m'avoir un époux, Je leur ferai sentir l'effet de mon courroux : J'abandonnerai tout, je ferai tel ravage Que les loups aux brebis et le chat au fromage, Détruisant tous leurs biens en un même moment, Les faisant détester de leur retardement. Cependant, allons voir notre bonne voisine, Pour me bien conseiller, je la trouve assez fine. Adieu, nous nous verrons tantôt dans la prairie. Que vous importe-t-il ? Monsieur, vous vous raillez, je n'ai point de beauté. Ah ! Monsieur, laissez-moi. Je ne vais seulement qu'à ce prochain hameau. Holà, Monsieur, tout beau ! Ne vous échauffez pas, de peur d'être malade. Vous n'êtes pas pour moi, je ne suis pas pour vous : Vous êtes de la cour et je suis du village. On ne me peut avoir que par le mariage. Quoique pauvre, Monsieur, je suis fille d'honneur, Et je n'écoute point un discours suborneur. Quoi ! vous qui possédez tant de perfection, Qui des dames de cour gagnez l'affection, Voudriez-vous bien de moi ? Monsieur, votre discours est si rempli de charmes Qu'il faut vous avouer que je vous rends les armes. Mais, ne m'abusez pas, étant sous votre loi. Me voyant mariée avec tant d'avantage, Je vais bien étonner tous les gens du village. Allons ; vous les allez charmer dans leurs vieux ans. Ah, malheur ! ah, disgrâce ! Esprit traître et méchant, infâme ravisseur, Qui n'eût donné créance à ton discours trompeur ? Le fourbe m'abandonne, après m'avoir trompée. Mais n'es-tu pas à lui ? Que les gens de la cour sont pleins de tromperies ! Tu sais qu'il me jura qu'il serait mon époux. Que me dis-tu, bons dieux, il est donc médisant ? Ah ! mon malheur s'accroît, que je suis misérable ! Ah, Dieux ! le barbare, le traître, Ne pas me regarder, ainsi me méconnaître ! Vous me fuyez, ingrat, et m'emportez l'honneur. Quoi ! pour comble de maux, l'auteur de ma disgrâce Ne me veut plus connaître, ose avoir cette audace ? Ah ! vous le savez trop. Ne vous souvient-il plus ? Hélas ! le puis-je dire ? Il faut que je me tue et que je me déchire. Ah ! sans me secourir, Donnez-moi par ce fer le moyen de mourir ! Le Ciel vous punira du tort que vous me faites. Bergère malheureuse, l'horreur de l'univers, Va cacher ta douleur aux plus creux des déserts ; Que leur nuit rende office à toute la nature, Y cachant pour jamais cette triste aventure. **** *creator_dorimond *book_dorimond_festindepierre *style_verse *genre_comedy *dist1_dorimond_verse_comedy_festindepierre *dist2_dorimond_verse_comedy *id_marilinde *date_1658 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marilinde Souvenez-vous toujours de vivre sagement ; Vous avez l'œil friand et rempli d'agrément, Moquez-vous de tous ceux qu'il a rendu malades, Et garantissez-les des coups de vos œillades. Ma fille, on ne voit point de berger en ces lieux Qui ne soit outragé du mal que font vos yeux.