**** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LEMARQUIS *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemarquis Je n'aime point à fatiguer un ami de mes chagrins, n'en parlons point. Pour contenter ton amitié, puisque tu l'exiges de moi, je te dirai que mon affliction... Puisque ce n'est qu'à la Comédie que tu t'intéresses, je te dirai premièrement qu'elle a pour titre le double Veuvage. Il ne faut pas condamner une Pièce sur le titre, mais tu pourras condamner le titre, quand tu auras vu la Pièce entière. C'est pour le savoir qu'il faut l'écouter : le silence, qui règne à présent dans le parterre, t'apprend que les gens de bon esprit écoutent avant que de juger. Si le trouble est universel, cela prouvera que la Pièce est mauvaise : car les mouvements passionnés du particulier ne déterminent point le général ; et le public conserve toujours certaine équité dominante, qui sait maintenir une attention proportionnée au mérite des Pièces. Un homme censé ne se réjouit que des plaisanteries qui naissent du sujet. Le sujet n'ennuie point, quand il est intéressant. On aime à voir des caractères soutenus, une intrigue nette et suivie, des situations qui surprennent, quoiqu'elles soient bien préparées, et de temps en temps quelque plaisanterie sans grossièreté. Tu n'en trouveras point dans cette Pièce-ci. Oui : l'Auteur est de mes amis. Elle est longue comme une pièce en cinq actes, quoiqu'elle n'en ait que trois. Non, et quelques accompagnements qui font la longueur du spectacle ordinaire. C'est la même longueur, te dis-je. Il y en a mille ; mais ce n'est point aux défauts que je m'attache d'abord. Je ne m'en pique point : mais toi qui t'en piques, crois-tu être capable de... Je le crois. Je crois que tu sais comme Aristote, la Protase, l'Épitase et la Péripétie. Je vais te le dire : premièrement la Scène est dans le Château d'une Dame d'une grande qualité, d'une Comtesse. Cette Comtesse s'ennuie fort à la campagne. Pour se désennuyer, et pour faire un mariage où elle s'intéresse. Cette Comtesse, entends-tu cette Comtesse... Veut avoir le consentement d'une Tante. À qui l'on fait croire qu'elle est veuve. Et moi, je vais demander au Musicien des chansons. Oui. J'ai commencé par l'essentiel. Tu es fou ; moi chanter sur un Théâtre ! J'entends les violons, on commencera dans peu : où vas-tu te placer, sur le Théâtre ? Dans les Loges ? Dans le Parterre ? Où te placer donc pour bien entendre ? Dans les foyers pour bien entendre ! On ne laisse pas d'avoir souvent dans les foyers, des scènes aussi comiques que sur le Théâtre. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LECHEVALIER *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier Hé bonjour, mon cher Marquis. Mon cher ami, je me suis bien affligé pour toi ; on m'a dit que tu as perdu un procès qui te ruine, que ton fils unique est mort, que tu as encore des affaires affligeantes ; tu sais comme je partage tes chagrins, et avec quelle tendresse... Peut-on te rendre quelque service ? Conte-moi tes malheurs. Ah ! Je t'en conjure ; pour me satisfaire dis-moi quelques particularités. Dis-moi un peu, Marquis, qu'est-ce que c'est que cette Comédie nouvelle qu'on va jouer ? Le double Veuvage, quel titre est-ce là ? Je n'y comprends rien. Il faut que la Pièce ne vaille pas le diable. Moi ! Me donner la patience d'écouter toute une Pièce ! Hé ! Que sais-je si elle en vaut la peine. Ce silence sera bientôt troublé. Tu me fatigues avec tes idées d'attention ; je soutiens moi qu'une Pièce ne vaut rien, quand il faut de l'attention pour la trouver bonne : je veux pouvoir causer, badiner, prendre du tabac à droit, et à gauche, sortir au milieu d'une Scène, rentrer à la fin d'une autre, et toutes les fois que je rentre, je prétends trouver quelque pointe d'esprit qui me réjouisse. Que me fait le sujet à moi, il n'y a que cela qui m'ennuie. Oh ! Je veux un peu de gros sel, la... de ces équivoques claires. Est-ce que tu l'as lue ? Il est de tes amis ? Ah ! Parbleu je protégerai sa Pièce, j'y viendrai tous les jours. Est-elle longue ? Il n'y a que trois Actes, dis-tu ? Ordinaire tant qu'il te plaira ; Mais enfin ce ne sont que trois actes, et il m'en faut cinq, je ne suis pas dupe. L'Auteur se moque-t-il de moi de rogner ainsi mes plaisirs ? N'importe, ces trois Actes me blessent l'imagination, je vais ressortir. Adieu, Marquis, adieu, je pars pour Versailles. Mais à Versailles on me va demander mon sentiment sur la Pièce nouvelle ; Je veux avoir le mérite de la décrier le premier. Dis-moi les défauts que tu y as trouvés ? Tu me regardes, est-ce qu'il n'y a point de défauts à cette Comédie ? Tu n'es donc pas connaisseur ? Qu'appelles-tu capable ? Sais-tu que quand je veux me donner la peine de m'appliquer au solide, j'en suis plus capable que toi. Et pour examiner à fond une Comédie, et pour en faire ce que l'on appelle l'analyse... l'analyse, tu vois que j'ai de l'érudition ; car enfin nous savons ; Poème Épique, Dramatique. De quoi s'agit-il dans ce Poème ? La Protase ! L'Épitase ! Cet Aristote avait de plaisants mots. La Péripétie. La Comtesse... J'entends bien. Péripétie, la Comtesse... Péripétie, La Comtesse, péripétie... péripétie... Adieu Marquis, je vais expliquer tout cela à la Cour. Des chansons ! Est-ce qu'il y a des chansons dans la Pièce ? Je la verrai donc, je ne pars plus. Que ne me disais-tu cela d'abord ? Qu'entends-tu donc par l'essentiel ? Quoi un verbiage, qui ne fait que passer par les oreilles ? Des chansons demeurent dans la tête, on emporte cela. En sais-tu quelqu'une ? Chante-la moi. Pourquoi non, j'y danse bien moi derrière les Acteurs. Non. Non. Non parbleu. Où je me place d'ordinaire, dans les foyers. Ce n'est pas pour cela ; mais on y est à son aise, et on s'avance, quand on entend rire : je m'y en vais, tu m'appelleras aux chansons. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LACOMTESSE *date_1702 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse Hé bien, Thérèse, je travaille à vous marier, n'êtes-vous pas ravie ? Fort bien Thérèse, fort bien ; c'est moi, Dorante, qui lui ai dit de vous railler un peu de votre humeur chagrine. Ce n'est pas que je ne vous estime beaucoup l'intérêt que je prends à votre mariage, vous le prouve assez ; mais j'ai résolu de rire aujourd'hui du ridicule de tous ceux qui sont ici autour de moi ; je n'ai plus qu'un jour ennuyeux à passer à ma campagne, je veux me désennuyer de tout ce qui se présentera : notre Veuve sera le principal sujet de mon divertissement ; et la manière dont je m'y prends pour tirer de l'argent d'elle, est une espèce de Comédie que je veux me donner. Quand on lui annonça la mort de son mari, je m'aperçus que cette mort n'affligeait que son visage. Oh il s'est enrichi à mes dépens, je veux rire aux dépens de sa Veuve, après tout, c'est une extravagante, elle veut déshériter sa Nièce, qui est ma filleule ; en un mot elle hait celle que vous aimez, pourquoi la ménager, serait-ce parce qu'elle a de l'amour pour vous ? Un ridicule moins excusable, c'est l'empressement qu'elle eût hier de prendre le deuil. Mademoiselle, dites-moi un peu comment elle a pu trouver ici à la campagne tout le crêpe dont elle s'est chargée ? Et vous ne voulez pas que je me moque d'une telle vision ? Ça Dorante, allez prendre le deuil aussi, pour lui prouver que vous êtes sûr de la mort de votre Oncle. Mademoiselle, il faudra que vous chantiez quelque petit air dans l'Opéra que Gusmand me prépare. Il est juste que mon domestique contribue aujourd'hui à me réjouir. La voici : que vient-elle m'annoncer ? J'en suis ravie ; il va nous apprendre si mon Intendant est mort ou en vie : ne te l'a-t-il point déjà dit ? Que ne paraît-il donc. Je suis ravie de vous voir de bonne humeur. Ne perdons point de temps en révérence, dites-moi si mon Intendant est mort ? Toutes ces choses-là consistent en un mot : est-il mort ou ne l'est-il pas. Fort bien, ce que je veux savoir est écrit sur votre Journal. Voilà une relation dans un bel ordre ! Si ce récit ne me réjouissait pas, il m'impatienterait beaucoup. Nous voilà au fait. Il a pensé mourir, et n'en est pas mort. Écoutez Suisse, il faut dire à la Veuve, que quand son mari fut mort, il en mourut tout à fait. Quand arrivera mon Intendant, où l'avez-vous laissé. À ce compte-là il n'arrivera que demain, et ne viendra point troubler aujourd'hui notre projet. Ça Mademoiselle, que celles de mes femmes qui savent danser se préparent pour la Noce que je prétends faire. C'est mon maître d'Hôtel qui les a faits : il se pique d'être maître de Musique, mon maître d'Hôtel. Chut, il ne nous voit pas, je veux m'en donner le plaisir. J'aperçois la Veuve dans la galerie, je vais au-devant d'elle. Ménagez votre poitrine, Madame, ménagez votre poitrine : gémir, soupirer, sangloter, toutes ces démonstrations de douleur vous feraient plus de mal, que la douleur même. Ça, Madame, n'éludez point la proposition que je vous fais ; répondez-moi précisément : vous n'aimez point à voir votre Nièce, je veux l'éloigner de vous, et la marier en Province : ne voulez-vous pas bien lui faire quelque présent ? Répondez-moi donc, Madame, consentez-vous... Vivez, et ne pleurez plus. Tant que votre mari a vécu, vous m'alléguiez pour excuse, que vous espériez avoir des enfants ; mais vos espérances et vos excuses sont mortes avec votre époux, vous êtes maîtresse de vos volontés, il faut ou marier Thérèse, ou me dire que vous ne le voulez pas. À vous entendre parler ainsi du mariage : on croirait que vous vous en seriez mal trouvée. C'est une raison pour la marier. Expliquez-vous mieux ? Ce n'est pas à votre nièce, que la retraite convient. En un mot, votre nièce... Par les mauvaises raisons que vous me dites, je comprends les bonnes que vous ne me dites pas. Vous voulez garder votre argent pour vous remarier. Écoutez, pour parvenir à un second mariage, vous avez besoin des grands biens que votre époux vous laisse, et ces grands biens ayant été gagnés d'une certaine façon dans mes affaires... je pourrais... (Car je n'avais pas encore signé les comptes de votre mari)... C'est pourquoi, je vous prie de ne me point refuser dix mille écus que vous avez dans votre cassette ; je vous en prie, je vous en prie. L'amour ne se cache point, Monsieur, et vous m'avez abordé d'une manière à me persuader que vous en avez beaucoup pour Thérèse. Je n'ai qu'un mot à vous dire là-dessus, si vous voulez que je ne marie point Thérèse, et que je vous la garde, pour vous consoler de votre veuvage dans quelque temps d'ici, il faut que vous fassiez du bien à votre neveu ; vous savez que je l'estime, je vous ai parlé cent fois inutilement pour lui, je me sers de l'occasion ; le Notaire est là-dedans, je vais marier Thérèse à vos yeux, si vous n'assurez quelque bien à votre neveu. Nous allons voir : mais pour convenir de nos faits, entrons dans mon appartement, suivez-nous Thérèse, votre présence facilitera cet accommodement-ci. Je viens prendre part à la joie que vous avez de vous revoir ; prenez part aussi aux deux mariages que je fais. Allons, réjouissons-nous. Suspendez vos chansons pour un moment. Je crois m'apercevoir qu'au lieu de vous réjouir, ceci vous attriste, il y a quelque chose là, que je ne comprends point ; quand je marie à mes dépens, un neveu qui vous déplaît, afin de l'éloigner de vous... Et quand je vous débarrasse d'une nièce... Votre nièce partira demain pour la basse-Normandie. Et votre neveu pour la Gascogne... Pourquoi donc êtes-vous fâchés tous deux de ce que je vous contente tous deux. Je ne croyais pas que vous les aimassiez tant ; votre tendresse pour eux me ferait venir une idée, ce serait de les garder dans ma maison, et de les marier ensemble, si vous y consentez. Vous hésitez encore à cette seconde proposition, cela me ferait soupçonner que... Qui peut donc vous arrêter ? Ah ! Je suis ravie de m'être trompée dans mes soupçons ; puisque je vois le seul point qui vous arrête, je ne vous demande rien pour eux, vous hériterez l'un de l'autre ; mais ils hériteront du dernier vivant, et vous leur assurerez tous vos biens. C'est donc un mariage fait, donnez-vous la main. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LINTENDANT *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lintendant Ouais ! Que signifie donc tout ceci ? J'ai beau questionner tous nos gens, chacun me tourne le dos sans me répondre... Que vois-je ! Tous trois en deuil ! Mon Neveu, de qui portez-vous ce deuil-là ? Autre muet qui me fuit. Et vous, Thérèse me direz-vous ?... Encore. Hé je te prie, Frosine, tire-moi d'inquiétude ; pourquoi ce grand deuil ? Et vous Gusmand, m'expliquerez-vous ce que je commence à soupçonner ? Car enfin ce n'est pas Madame la Comtesse qui est morte, tous ses gens seraient aussi en deuil. Mon cher Gusmand, ne me cachez rien, vous êtes mon confident unique. Que dois-je penser en voyant cela ? Hom, je me doute... C'est assurément... Mais je n'ose le croire. Mon coeur me le dit assez... Ma femme est morte. J'ai bien vu que personne n'osait m'apprendre la nouvelle... Il faut s'attendre à tout dans la vie. Je gagerais qu'elle est morte la nuit du lundi au mardi. Car je me réveillai en sursaut. Je sentis une main froide. Je vis un fantôme invisible... là... qui disparaissait. Mais comment cette mort est-elle arrivée ? Oui. Mais encore ? Dites-moi quelque circonstance. D'apoplexie. S'il est vrai qu'elle est morte de douleur, je suis bien obligé de la pleurer... Hon... Hélas ! J'ai fait une perte irréparable... Hon. C'était la meilleure femme... Hon, hon Une complaisance, une douceur... Hon... Une tendresse... Hon... Sincère... Désintéressée... Hon... C'était le meilleur coeur, c'était le meilleur coeur... Hon, hon, hon... Je ne puis croire qu'elle souhaitait ma mort. Oh ! Pour cela, je le croirais bien. Oui... L'intérêt... Ah c'était un mauvais coeur. C'était une méchante femme. Cachée. J'en étais si indigné... Si outrée... Si excédé... Que si elle n'était morte, j'en serais mort. Aujourd'hui ! Tu m'inquiètes, et... Qu'est-ce à dire donc, se réjouir ainsi de mon affliction ? Ces marauds-là sont ivres. Qu'est-ce à dire donc ? Morbleu. Je ne gagnerai rien avec ces ivrognes-ci ; rentrons pour attendre Gusmand. Ah ! Les voilà partis, allons joindre Gusmand. Consolez-vous, ma chère enfant, j'empêcherai bien que Madame la Comtesse ne vous marie. J'admire la prudence, la sagesse, et le bon goût de cette personne-là. Les baux sentiments ! Les baux sentiments... J'en suis si charmé, si transporté, que je vais de ce pas trouver Madame la Comtesse. Ah ! La voilà dans la galerie. Je vais lui parler de bonne sorte. Point du tout, Madame, mais enfin... Je suis raisonnable, Madame. Madame la Comtesse croyait avoir trouvé sa dupe, et tirer de l'argent de moi, sans me donner Thérèse : elle veut la marier de force à un autre ; mais Thérèse serait au désespoir de ne me pas épouser : elle m'a promis qu'elle ne serait jamais à d'autre qu'à moi, je lui ai dit tout bas de me venir retrouver pour prendre des mesures ; elle y viendra : attendons-là ici. Si Thérèse y consent, je l'épouserai malgré la Comtesse... Je n'ai qu'à l'emmener secrètement, qu'en arrivera-t-il ? Oui Thérèse me suivra ; car elle m'a promis de m'épouser : que je serai aise ! Ah ! C'est Thérèse qui me cherche. Me voici. Est-ce moi, que vous venez chercher ici ? Dorante... Quoi, c'est Dorante que vous cherchez, après m'avoir promis de n'être jamais qu'à moi. Ingrate, perfide. Me trahir ainsi ? Vouloir épouser Dorante ? Quoi, j'ai mal entendu, ce n'est pas Dorante. Jamais à d'autre qu'à moi ! Elle tremble en m'appelant son mari ; elle craint Madame la Comtesse. Il n'y a que moi ici, ne tremblez plus, suivez-moi. Où êtes-vous donc ? N'ayez pas de peur, c'est moi qui vous tiens. Oui, puisque vous m'appelez votre mari, vous serez ma femme ; vous m'aimerez un peu, n'est-ce pas ? Hé plaît-il, la pudeur vous rend muette... Hon... Que cette main-là est bien meilleure à baiser que celle de ma femme, la sienne était rude, celle-ci est douce... Mais ne perdons point de temps Venez avec moi. Qu'est-ce donc, vous trouvez-vous mal ? Hé. Qu'entends-je ? Ah ! Ouf. Ouf. Ah ! Mon cher Gusmand ? Je suis outré quand je pense... La perfide. Quoi ! Toutes les caresses qu'elle m'a faites pendant dix ans, ce n'était que pour avoir mon bien ? Une femme espérer vivre plus longtemps que son mari ! Cela est bien dénaturé. Avoir pour mon neveu un amour criminel. Le Ciel la punira ; et ceux qui souhaitent la mort des autres, meurent toujours les premiers. Enfin je dissimulerai, pour conserver la paix chez moi, et mon honneur dans le monde. Aux Indes ; oui, je n'épargnerai rien pour l'établir là. C'est le parti que je vais prendre. Plus j'approche d'elle, plus mon indignation redouble. Je revois ma chère femme. Aïe. Ma joie est si grande que... Aïe Qu'est-ce donc, votre joie paraît troublée ? Elle se jouait à me faire mourir. Tout ceci n'a fait que redoubler ma tendresse. Enfin ceci est un renouvellement d'union. En renouvelant mon amour, je veux renouveler aussi les petites précautions, qui vous assurent mon bien après ma mort. Afin de n'avoir plus autour de moi personne qui puisse espérer ma succession à votre préjudice, j'ai résolu d'envoyer mon neveu aux Indes. Vous me dites cela avec un peu d'aigreur ! C'est innocemment que je vous parle d'éloigner mon neveu. Qu'est-ce que c'est donc que ces trois mariages ? Et les deux autres. Thérèse en Basse-Normandie ? Éloignez-le, Madame, c'est ce que je souhaite. C'est ce que je souhaite, mais... Vous vous trompez. Oui, Madame, et je veux garder aussi tout le mien à mon épouse. Ce qui me détermine, c'est la peur... de déplaire à ma femme. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LAVEUVE *date_1702 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_laveuve Hélas ! Voici le quatrième jour de mon veuvage : le quatrième, n'est-ce pas Frosine ? Hé bien ! Madame, depuis ce temps-là je n'ai pris aucune nourriture. Tout ce que je mange me reste sur l'estomac comme un plomb. Non, je ne serai pas en vie dans quatre jours. Ah ! Je pleurerai encore dans trente ans. Je ne sais ce que je dis, Frosine. J'ai l'esprit troublé, Madame, je ne suis pas en état de parler d'affaires, je suis si faible. Je ne puis me résoudre à marier ma nièce. Hélas ! Je ne lui veux pas assez de mal pour l'exposer au mariage. Au contraire, c'est parce que mon bonheur était parfait, que je ne veux pas marier ma Nièce. J'ai eu un mari trop aimable, je ne veux pas qu'elle en ait de sa vie. Elle serait trop affligée de le perdre ; la marier, ce serait l'exposer à être veuve et malheureuse comme moi. Ah ! Madame, dans l'abîme d'affliction où je me vois, la retraite et la solitude... c'est le parti que ma nièce doit prendre. Ne m'en parlez plus, je suis trop affligée. Non, non, je suis trop affligée ; je veux qu'elle passe sa vie dans un couvent. Moi ? Me remarier ? Je vous en prie, dit-elle, je vous en prie. Ces gens de qualité... Croient que leurs prières... Elle parle comme si on la craignait beaucoup. Hélas ! J'ai bien perdu. C'est ce que je crains, Frosine. Leur appui, c'est bien dit. Hélas je suis sans appui. Ah ! Frosine, si je pense m'accommoder avec Madame la Comtesse, ce n'est que pour avoir du repos : mais avant que de lui rien donner, je veux consulter quelque homme d'esprit. Quelque homme de bon conseil. Quelque homme de tête. Dorante est arrivé ? Assurément. Sans doute. Il savait les affaires de mon mari. Va lui dire qu'il vienne me trouver dans le Jardin. Une personne sage doit prendre conseil. Ah, Frosine, que j'ai de honte de t'avoir avoué là-bas, les vues éloignées que j'ai sur Dorante. Serai-je donc moins vertueuse, que ces femmes anciennes, qui n'envisageaient d'autre consolation, que d'avaler les cendres de leurs époux. Frosine, dis-moi, Dorante ne se douterait-t-il point de mes sentiments ? Je viens de l'entretenir avec une indifférence, une froideur... J'ai éloigné toutes les idées de tendresse, avec une circonspection ; mais finement, délicatement. Hélas ! Avec toutes ces précautions, je ne laisse pas d'avoir des remords continuels ; je m'imagine sans cesse, que l'âme du défunt me reproche... Oui dans ce moment même, j'entends ses plaintes, le son de sa voix est actuellement dans mes oreilles. Ah Ciel ! Ah ! C'est vous Dorante ? Vous m'avez fait une peur... j'ai cru entendre la voix de mon mari. Il avait le son de la voix fort agréable, mon mari. C'est une chose merveilleuse que la ressemblance dans les familles. Vous avez toutes les manières de votre oncle ; et ses manières me charmaient. Vous avez son geste, sa démarche, son air de visage ; j'aimais tant votre air de visage. Ce qui me charmait encore dans mon époux, c'est votre douceur, votre esprit, votre personne enfin. De l'attention ? C'est vous qui n'en avez guères. Vous me pressez de donner tout mon bien, vous ne savez pas que plus j'en aurai... Mieux ce sera pour vous... N'est-ce pas Frosine... Car dans la suite... Vous entendez bien, Monsieur... Je pourrais bien vous... N'est-ce pas Frosine... Je ne m'explique point... Vous entendez bien, Monsieur... Bar la bienséance me défend de vous dire... Je vous dirai seulement, qu'ayant fait réflexion sur ce que Madame la Comtesse ne veut point me dire quel est le mari qu'elle destine à ma nièce, je crains que ce ne soit vous. Je le crois ; mais de peur que Madame la Comtesse ne vous donne malgré vous à ma Nièce, j'ai résolu de ne donner mon argent, qu'en signant le Contrat de ma nièce, avec un autre mari que vous, avec un autre... Et j'ai mille bonnes raisons à vous communiquer là-dessus. Suivez-moi tous deux. Dorante ne m'a point suivie, il est resté ici, et on a éteint les lumières, ne serait-ce point un rendez-vous qu'il aurait donné à Thérèse. J'entends quelqu'un, c'est Dorante qui attend Thérèse. Comme il soupire... Le petit traître. Cette ressemblance de voix me surprend toujours. Ce son de voix me fait frémir... mais je suis folle, c'est la voix de Dorante qui a ce son-là. Pour découvrir ses sentiments contrefaisons la voix de Thérèse... Je viens au rendez-vous, mon cher Dorante. Ah ! C'est la vraie voix de feu mon mari. Son âme... me reproche... C'est mon âme qui revient ; fuyons... Les jambes me manquent, crions... Ma voix s'éteint. Je ne dis pas cela. Eh non... Je ne serai jamais à d'autre qu'à vous. Non, mon mari, non. Ha... a, a, a. Ah !... Ah ! Dorante. Ah ! Où es-tu donc Frosine ? Tu m'abandonnes dans ma colère, je suis outrée... contre Madame la Comtesse. Me tromper, me trahir : il souhaite ma mort, le cruel, le traître ! Je tremble de peur qu'il ne me soupçonne ; j'aurai peut-être dans mon trouble nommé Dorante innocemment. Tes conseils sont si sages... Je suivrai celui que tu m'as donné, d'envoyer ma nièce à cent lieues d'ici. J'aurai bien de la peine à cacher mon ressentiment. Je frissonne... Mon sang se glace. Voilà mon cher mari. Ouf. Je suis ravie que... Ouf. Cela est vrai, il me vient des mouvements de colère... contre Madame la Comtesse... Car enfin, en vous faisant croire que j'étais morte, elle vous exposait à quelque saisissement. Dieu merci, vous avez bon visage, vous paraissez avoir une santé... Je suis outrée... contre Madame la Comtesse. Je sens aussi que mon amour... Hon que je hais Madame la Comtesse. Oui, une espèce de second mariage. Je souhaite que vous me surviviez, pour jouir du mien. Et moi je marie ma nièce à cent lieues d'ici. Moi je n'entends point finesse en éloignant Thérèse. Elle a raison. Dorante en Gascogne ! Vous me faites plaisir, Madame. J'y consens, mais... Point du tout, Madame. Madame, c'est que ayant destiné mon bien à un époux que j'aime... La crainte que j'ai de... de fâcher mon mari. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_GUSMAND *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gusmand La, la, la, la, cela ne vaut rien, morbleu : ne trouverai-je point quelque idée toute neuve... La, la, la, la, la, non ce début-là est dans Lulli... La, la, la, la, la, la... Lulli encore... La, la, la, la... Encore Lulli, quoi Lulli partout... De quelque côté que je me tourne... Je suis bien malheureux de n'être venu qu'après lui, car parce que j'ai dans la tête tout ce qu'il a fait de beau, on dit que je le pille.... La, la, la, la, la... Fort bien cela. La, la, la, la, la, la. Admirable. La, la, la. Merveilleux. Et le second dessus. La, la, et la basse... Ton, ton... Quelle fécondité. La, la, la, la, la, la, la, la, quel reflux de génie. La, la, la, la, la, la, la, la, Les Notes me gagnent, notons vite. Pardon, Madame, pardon... hon, hon, hon, Je crains de perdre une idée. Hon, hon, hon, dont vous serez enchantée. Hon, hon, hon... Je note le dernier ton, C'est un Duo, pour un air de Veuvage que vous m'avez commandé, Tenez Mademoiselle, vous savez chanter à livre ouvert. Chantons toujours, cela nous servira de répétition. C'est vous qui représentez la Veuve, imitez bien l'affliction des Veuves, pleurez depuis les yeux jusqu'au menton. Chantons, chantons les douceurs du Veuvage. Une fille craint le courroux, D'une mère un peu trop sage ; Une femme craint son époux, Mais la Veuve hors d'esclavage Ne craint ni mère ni jaloux : Chantons, chantons les douceurs du Veuvage. Jusques au jour charmant De votre mariage. Cachait toujours quelque infidèle ardeur, À votre jalouse fureur. Quand il soupait chez sa voisine. Mais quand vous disiez l'un, il disait toujours l'autre. En ville libéral. Le plus brutal. Que de défauts il avait en partage. On en tirera plutôt de fausses larmes que de bon argent. Comment donc ? Quoi ! Elle a senti le coup ! Venons au fait : dis-moi, est-il bien vrai qu'elle soit amoureuse de Dorante ; et qu'elle pense à l'épouser, aussitôt qu'elle croit son mari mort ? Ces sentiments m'étonnent dans une femme, qui se pique d'une régularité de moeurs... Tout bien considéré, je conclus que le mari et la femme excellent également dans l'hypocrisie conjugale. Oui l'intérêt lui seul produit dans certaines familles plus d'embrassades fausses, que l'amour et l'amitié n'en produisent de sincères dans tout Paris. J'admire la sagesse des Lois de notre Province, qui permet aux époux de s'entredonner leurs biens ; car l'espérance d'hériter l'un de l'autre, est la seule digue qu'on peut opposer aux torrents des querelles domestiques. L'Intendant de retour ! Quel contretemps ! Prendre la poste, pour venir nous désoler ! La rage de sa femme va retomber sur nous ; fût-elle déjà où elle croit son mari. Je n'en sais rien. Eh mais... Que diantre lui dirai-je ? En voyant... leurs habits... noirs... vous devez penser... qu'ils sont en deuil. Dites-moi de quoi vous vous doutez, je verrai bien si c'est la vérité. Ni moi le dire. Il me vient une idée, faisons-lui croire ;... Il est amoureux de Thérèse, et cela fera que... Cela est bon, oui ma foi. Monsieur, on devine toujours d'abord ce qu'on craint, ou ce qu'on souhaite le plus ; vous l'avez deviné, votre femme est morte. Cela saute aux yeux ; je n'osais vous le dire non plus, moi. Mais je me suis ressouvenu que vous avez l'esprit fort. Vous soutenez cela comme un César. Justement. Voyez la sympathie quand on s'aime. Elle vous disait adieu. Je vais vous le dire, Monsieur. Vous saurez que... la nuit du lundi au mardi... Dans le moment qu'elle vous apparut... il lui prit... mais le fantôme vous aura dit tout cela. Il lui prit... Je n'aime point à faire des récits douloureux. Si vous voulez absolument savoir les circonstances de sa maladie, je vous dirai que d'abord elle est morte subitement. Non, Monsieur, de chagrin. On vient lui dire chez elle, que vous étiez mort aux eaux ; tout d'un coup un saisissement la saisit... elle tombe évanouie, l'évanouissement prit racine et vous voilà veuf. Ne pleurez pas encore, j'ai à vous parler d'affaires importantes. Cela se réparera, Monsieur, car... Écoutez-moi de grâce. Écoutez-moi donc. Il va pleurer ici une heure, cela romprait mes mesures... Monsieur, vous me faites compassion, et je fais conscience de vous laisser pleurer une femme qui s'est point morte de douleur ; je vous ai dit cela d'abord pour vous consoler ; mais la vérité, c'est que tous les Médecins convinrent que... On a vu des femmes mourir de joie. Pour souhaiter votre mort, non ; mais elle craignait que vous vécussiez plus qu'elle. Elle voulait hériter de vous. L'intérêt la rendait caressante ; mais dans le fond elle avait une dureté pour vous. Vous souvient-il qu'un jour, enragée contre vous, elle se contraignit tant, pour vous aller embrasser, qu'elle en eût crevé ; mais elle s'avisa de dire à son petit Laquais, toutes les injures qu'elle n'osait vous dire, et pensa l'étrangler à votre intention. Une malice... Noire. Une malignité... De démon. C'était un diable. À présent que vous ne pleurez plus, souvenez-vous de la tendresse que vous aviez pour Thérèse, lorsque vous me fîtes confidence, que vous vivriez plus longtemps que votre femme. Si vous aimez encore cette petite Thérèse, je vous plains, car Madame la Comtesse la marie aujourd'hui. C'est de quoi j'ai voulu vous avertir en ami ; mais avant que d'entrer en matière là-dessus, il est essentiel que vous évitiez Madame la Comtesse, jusqu'à ce que nous ayons pris quelques mesures avec Thérèse ; mais cachez-vous vite au fond de cet appartement, pendant que j'irai avertir Thérèse. Entrez vite, et pour cause, je vous amènerai Thérèse à l'instant : entrez vite. Mon idée est bonne, il donnera dans le panneau, c'est un petit génie faible, habile dans les affaires, et sot partout ailleurs. On en voit tant comme cela. Courons avertir... Mais si quelqu'un venait le détromper. Il faut pourtant que j'aille. Il faut que je reste aussi. Par où commencer, appelons quelqu'un de nos gens. Écoutez-moi. Si vous voulez boire, il faut lui faire croire que sa femme est morte. S'il vous questionne, ne répondez autre chose, que, elle est morte ; mais quand cela ? Mais comment ? Mais pourquoi ? Fort bien, mais ce n'est pas le tout, il faut l'empêcher de sortir de ces deux Salles-ci : et pour cela, il faut contrefaire les ivrognes. Oui, gardez-le moi, jusqu'à ce que je revienne. Chut, retirez-vous tous. Ça, Mademoiselle, entrez là-dedans. Pas un sol ! Monsieur, vous savez qu'elle n'a rien, et quand rien se marie avec rien, cela fait des enfants si tristes... Madame la Comtesse dit, que cet homme-là fera fortune. Elle dit qu'il est jeune. Plus un homme est âgé, plus il y a d'apparence qu'il vous aimera le reste de sa vie. Qui eût déjà été marié. Comme vous, par exemple. Ne craignez rien, nos deux défunts ne sauraient se rencontrer sitôt ; car Dorante s'est emparé de la femme dans le jardin, et nous tenons ici le mari : Madame la Comtesse a le mot, et elle va le ramener dans son appartement. Il faut que vous mettiez à contribution l'amour du vieillard veuf, pendant que Dorante fait consigner sa vieille veuve. Ah ! Frosine, tout va encore plus mal de l'autre. À la vérité il veut bien donner aussi. Mais Frosine. Il veut être nanti de Thérèse, il donnera en signant le contrat, dit-il. Je n'y en vois nulle. Notre intrigue tombe d'elle-même. Frosine, donnons-nous au moins à nous deux le plaisir de voir ce double veuvage. Moi, j'ai toujours le courage de me réjouir. Voyons ce que deviendra tout ceci, le mari est resté seul dans cet appartement-là, sa femme est seule dans celui-ci, ils ont tous deux la bride sur le col. Voyons qui sortira le premier. Bon, voici le mari : j'aperçois aussi sa femme : éteignons les lumières, pour faire durer plus longtemps le double veuvage. Que faites-vous donc là tête à tête... Je tourne la chose en raillerie, car j'ai une idée qu'il faut communiquer à Frosine. Oui, Monsieur, c'est la dissimulation qui maintient parmi les hommes la société civile et matrimoniale. À l'abri de la dissimulation, les Courtisans s'embrassent, les femmes se complimentent et les Auteurs se saluent de loin ; la dissimulation, farde les amitiés nouvelles, et recrépit les vieilles haines. Sans la dissimulation, que de séparations secrètes s'érigeraient en divorces publics ; mais la dissimulation tient lieu de sagesse aux femmes, et de bonté aux maris ; c'est ce qui fait tant de bons ménages qu'on voit à présent. Vous commencez à dissimuler, vous me caressez, de peur que je ne dise à votre femme... Ne craignez rien, je suis discret, et elle ne peut pas s'être aperçue que vous la preniez pour Thérèse ; car vous parliez bas, et elle était évanouie. Qu'elle n'était qu'évanouie. C'est avec cette perfide, que vous avez intérêt à dissimuler. C'est ce qui nous autorisait à la caresser aussi pour avoir le sien. Qu'un mari souhaite vivre plus longtemps que sa femme, cela est dans la nature, cela. Vous n'avez pour sa nièce qu'une tendresse innocente. Sur ce pied-là, vous mourrez tous deux ensemble d'un coup fourré. Fort bien ; mais souvenez-vous de l'essentiel, c'est d'envoyer votre neveu aux Indes. Ça, commencez votre dissimulation par Madame la Comtesse : allez rire avec elle du tour qu'elle vous a joué, et plaisantez-en à la barbe des gens, afin qu'ils n'en rient point à la vôtre. Je l'ai amené à notre but... Il dissimulera... J'ai bien eu de la peine à calmer ses transports. C'est la force du sexe, que d'avoir ces faiblesses à commandement ; car dans les grands accidents, quand l'attaque est trop forte, une femme se sauve dans l'évanouissement. Finissons. Est-il temps de ménager l'entrevue ? Je vais te l'amener. Contraignez-vous. Point de rancune sur votre visage. Faites un effort, Monsieur. Allons donc. Un mariage posthume. Taisez-vous, Monsieur, la dissimulation... Monsieur voudrait bien voir toujours auprès de lui... son cher neveu. Ce mariage fera enrager votre femme, et Thérèse restera près de vous. Un si joli mariage mériterait un divertissement complet ; mais nous n'avons dans ce Château, ni Musiciens, ni Danseurs, et il nous est défendu d'en prendre en ville, contentez-vous donc d'une petite danse, que je vous donnerai tantôt. Nous allons la répéter en votre présence. Puisque nous manquons de Musiciens, je vais chanter moi seul une espèce d'Opéra en raccourci. La la la la : je vais chanter, La la la la, Mon Opéra, La la la. Donnez-moi le ton. Je n'y suis pas. Trop haut, trop bas. Ha ! Ha. M'y voilà. D'abord une ouverture, La, la, la, d'une beauté, D'une gravité. Chant naturel, d'après nature. La reprise est d'un goût Fantasque et bizarre Ta ri ta ri ta tou, Voici la Pièce, écoutez jusqu'au bout. Une Ritournelle tendre, Vous prépare au récit que vous allez entendre. La lire La, La ri ta ri ta tire, La li ta ra Et cætera, J'admire La science De mes choeurs : Et la Magnificence De mes clameurs. Quelles horreurs ? Des fureurs. Ce qui m'étonne, C'est ma chaconne : Où puis-je prendre un feu si beau ! Ma passacaille est encore un morceau, Hou ! Je m'égare En Bécarre, Rentrons vite en Bémol, pour chanter mon rondeau. Duo, Trio, Sourdine, Écho. Écho, Écho, Écho. Pour ma gigue elle n'est pas si belle, Mais elle est nouvelle. Voici le beau ; Mais il n'est pas nouveau, C'est un Tombeau. Je descends aux Enfers, De là je monte aux Cieux, et parcourant les airs, Je dors ; et mon sommeil est un enchantement. Je fais le tout en badinant ; Mais la saillie, Et l'effort d'un grand génie, C'est mon petit menuet, et ma loure, Et mon rigaudon, Digue don. Dans mes chansonnettes, De tendres sornettes Charment les grands coeurs. On y voit des chaînes si belles, Des nouvelles ardeurs, Et des ardeurs nouvelles. J'ai mis partout des coulez, murmurez, Des régnez, Courez, volez, Des triomphes, victoire, et gloires immortelles ; Que vous dirai-je enfin : Tous les traits les plus beaux, Des Opéra nouveaux. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_DORANTE *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Bonjour, Frosine, bonjour. Je n'en sais rien. Hé ! Plaît-il ? Que me contes-tu donc là ? Hé ! Je sais tout cela, je viens d'entretenir Madame la Comtesse. Qu'elle a de charmes, Frosine, qu'elle a de charmes ! C'est le plus grand malheur qui me puisse arriver. Si je le souhaite ! Hélas ! C'est ce que je crains. Non, Frosine, non ; ce n'est ni caprice, ni extravagance ; je crains avec raison, ce que je souhaite avec ardeur. Je sens bien que je ne puis vivre sans l'aimable Thérèse, mais je prévois, que nous serons malheureux ensemble ; en un mot nous ne nous convenons point. Si tu savais la réception qu'elle vient de me faire ! Elle m'a reçu d'un air... Après huit jours d'absence... Elle me reçoit en sautant, dansant, je la vois accourir d'une gaîté... Ravie de me voir ! Ah je ne confonds point cette gaîté dissipée, avec le plaisir sensible et passionné que doit causer la vue de ce qu'on aime. Moi, par exemple, que son abord a pénétré, je suis resté immobile ; un saisissement... une langueur... Mon coeur palpite... Ma vue se trouble... Ah ! C'est ainsi que devrait s'exprimer sa passion ; mais elle est incapable de cet amour solide et sensible qui peut seul contenter le mien. Je veux de la sensibilité. C'en est tout l'agrément. On peut être sensible, et avoir de la vertu. Entends-tu, Frosine, entends-tu ? Après m'avoir vu contre elle dans un chagrin... Je suis outré d'entendre cela. Mon chagrin n'est que trop bien fondé. Est-ce ainsi que parle l'Amour ? Si j'avais moins de délicatesse... Est-il rien de plus raisonnable que mes plaintes ? Quels discours, hélas ! Que votre caractère est éloigné du mien. Ça, Frosine, je te fais Juge. L'essentiel est de savoir, si nous nous convenons l'un à l'autre. Je ne suis point bizarre, lorsque après des raisonnements solides, je conclus que votre gaîté... C'est ne me pas haïr. Passablement est une expression bien touchante... passablement. Cette joie serait à sa place, si vous étiez sûre que votre mariage réussit ; mais dans la situation où nous sommes, vous devriez trembler ; et si vous aimiez, on vous verrait comme moi inquiète, agitée ; et dans l'horreur d'une incertitude cruelle, languir, soupirer, gémir... Quoi qu'il en soit, je vous prie de l'épargner ; car enfin si son affliction est fausse, la mort de mon Oncle est peut-être véritable, et mon Oncle avait l'honneur d'être votre Intendant. Si elle a de l'amour pour moi, c'est un ridicule inexcusable. Par les confidences que le mari m'a faites, j'ai jugé qu'il destinait aussi à la Nièce le poste de la Tante ; il me dit souvent que Thérèse n'est Nièce de sa femme qu'au troisième degré. J'ai tourné son esprit de façon, qu'elle me laisse arbitre entre elle, et Madame la Comtesse ! Je la vois disposée à vous donner tout ce que je jugerai à propos ; en un mot, elle facilitera notre union, sans le savoir. Comprenez-vous quel est notre bonheur ? Vous êtes charmée du plaisant, c'est le plaisant seul qui vous touche d'abord. Hé ! Votre premier mouvement ne devrait-il pas être un sentiment vif et passionné de bonheur... Aussi, aussi ! Non elle a des expressions... Quoi ! Me quitter sans me témoignez... Mon Oncle ! Ah Ciel ! Je suis au désespoir. Désolée, dites-vous ? Quoi ! Vous ressentez ?... Ah ! Quelle joie pour moi ! Vous êtes sensible, je suis aimé, je ne souhaite plus rien au monde, je ne voulais que votre coeur. Mais, Frosine, est-il bien vrai que mon Oncle soit ici ? Quoi dans le moment, que je suis convaincu, que je serais heureux ! Ah Ciel ! Est-il un malheur égal au mien ? Voici mon Oncle. Monsieur... Hé bien Frosine ! Je la presse vivement ; mais elle me presse vivement aussi. Je feins de ne rien comprendre à ses discours passionnés ; mais moins je lui parais intelligent, plus elle se rend intelligible ; je n'y pouvais plus tenir ; je l'ai laissée seule dans le jardin, où elle est restée pour cacher son trouble : elle soupire, elle s'agite. Madame ? J'ai en effet le son de la voix tout semblable à celui qu'avait mon oncle, tout le monde s'y méprenait. Parlons de vos affaires. Suivant les conseils que je vous ai donnés... Pensons à terminer... Madame, je vous ai dit de quelle conséquence il est pour vous, de contenter au plus vite Madame la Comtesse ; vous ne m'honorez point de votre attention. Moi, Madame ? Frosine. C'est-à-dire, que mon malheur est sans ressource. Juste Ciel ! Que deviendrai-je ! Madame, empêchez qu'on ne m'éloigne. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_THERESE *date_1702 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_therese Là, là, là. Là, là. Là, là, là, là, là. La Fille la plus sage, Dans le Printemps, Pense à mettre en usage, La danse et les chants ; On dit aussi que dans le Printemps, La Fille la plus sage, Là, là, là, là, là, là, là. On dit aussi que dans le Printemps, La Fille la plus sage, Pense au beau temps. Hé ! Vous voilà aussi vous, on ne vous voit quasi pas là ; vous êtes enveloppé dans votre humeur sombre. Vous êtes fâché de me voir rire, et moi je ris de vous voir fâché. À propos d'amour, le vôtre sera-t-il toujours affligé ? Vous seriez plus raisonnable. Oh ! Vos extravagances sont toujours pleines de raison, mais elles ne sont pas réjouissantes. Mon caractère n'est pas plus éloigné du vôtre, que le vôtre est éloigné du mien. Presse-la de s'habiller, car Madame la Comtesse veut la voir tout à l'heure. Il faut tirer de l'argent de ma Tante, c'est l'essentiel. Belle demande ! À l'humeur près, nous nous convenons à merveille, et je vous corrigerai de vos bizarreries. Ô ! Ma gaîté, ma gaîté ; je conclus moi, moi, que ma gaîté vous doit prouver ma tendresse ; et voici comme je raisonne, car vous m'avez appris à faire des raisonnements ; vous savez avec quelle frayeur j'ai toujours envisagé le mariage, parce qu'il est triste, je crains donc le mariage naturellement, je vois qu'on me veut marier avec vous, et je n'en suis pas plus chagrine. Hé bien, être gaie en cette occasion-là, n'est-ce pas vous aimer ? Et ne me point fâcher du ton dont vous le prenez là, il me semble que c'est vous aimer assez passablement. Oh ! Je veux que vous me teniez compte de la joie que j'ai. Au contraire, Madame, je suis inquiète, agitée ; et dans l'horreur d'une incertitude cruelle, je languis, je soupire. Est-ce comme cela qu'on aime, Monsieur ? Madame, si vous pouviez tirez beaucoup d'argent de ma Tante, et ne vous guères moquer d'elle : il faut avoir pitié des affligées. Je vais aussi prendre le noir pour rendre la chose plus touchante. Dites-moi donc vite, ce qu'a produit votre conversation avec ma Tante. La plaisante chose. Sans le savoir ! C'est ce qui me réjouit. Vous prendre pour juge contre elle-même ! Rien n'est plus plaisant, cela me charme. Ce bonheur-là me touche aussi. Oh ne me chicanez point. Je vais bien faire rire Madame la Comtesse. Je vous témoignerai des merveilles. Ah ! Frosine, tout va le mieux du monde, tu me vois dans une joie... mais en récompense, Dorante est bien chagrin ; je crois qu'il souhaiterait quasi que notre mariage ne se fît point, et qu'il survînt quelque obstacle. Voilà tous nos projets renversés. Ah ! Dorante ! Pourquoi m'aimez-vous tant ? Que vous allez être malheureux ! Hélas ! J'aurai autant de chagrin que vous : plus d'espérance, je suis désolée. Désolée, désespérée. Que je suis malheureuse ! Que lui dirons-nous ? Je n'en sais rien, Monsieur. Le voici : je vais jouer mon rôle à merveille. Je viens implorer votre bonté, Monsieur, je suis désolée. Elle veut me marier à un homme qui n'a pas un sol, c'est ce qui me désole. Je ne me connais en fortunes, que quand je les vois toutes faites. Il en sera plus inconstant. J'ai toujours souhaité un mari dont l'humeur fut éprouvée. Qui ait toujours eu pour sa femme mille complaisances. Hélas ! Je ne serai jamais si heureuse que ma tante l'était. C'est mon goût naturel ; vous savez, Monsieur, que je suis incapable de ces amours de jeunesse ; mais en récompense, je suis capable d'une bonne petite amitié naturelle pour ceux qui me font du bien. Cela ne va pas mal ; mais si ma tante allait rentrer. Tâchons donc de faire aussi bien de notre côté, que Dorante a fait du sien. Hélas que pourra produire tout ceci ? Monsieur, souffririez-vous qu'on me marie en Province ? **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_FROSINE *date_1702 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_frosine Je suis ravie de vous voir de retour, Monsieur ; il y a une heure que je vous cherche dans le Château, dans les jardins ; partout enfin. Vous êtes arrivé tout à propos. Madame la Comtesse, toute la maison et moi, Monsieur, nous vous attendons avec impatience ; mais dites-moi vite des nouvelles de votre Oncle, est-il mort ou en vie ? Nous sommes dans la même incertitude. Il n'y a que ma Maîtresse qui en soit certaine ; nous lui avons confirmé cette mort, pour la faire tomber dans le panneau que nous lui tendons ; elle se croit veuve, c'est là-dessus que nous fondons le projet de votre mariage... M'entendez-vous, Monsieur ? Je vous dis que pour faciliter votre mariage avec Thérèse, Madame la Comtesse qui vous protège tous deux, a fait jouer mille ressorts pour certifier à ma Maîtresse, que votre Oncle est mort ; elle est si sûre d'être veuve, qu'elle a pris le deuil dès hier... Monsieur ! Je vous conte vos affaires et les miennes, car les trente Louis d'or que vous m'avez promis, ont autant d'appas pour moi, que Thérèse en a pour vous : écoutez-moi donc. Pour nous seconder, vous devez cacher à la veuve, l'amour que vous avez pour sa nièce ; car si... Pardon, Monsieur, de mes discours inutiles, je devais m'étendre d'abord sur les appas de cette jeune beauté, qui... Ce sont les plus jolis petits charmes, ils n'ont que quinze ans ces charmes-là : il lui en vient de nouveaux tous les jours, et vous épouserez bientôt tout cela. Un malheur, de posséder ce que vous aimez tant ? Voici quelques-unes de vos délicatesses bizarres : vous êtes le Gentilhomme de France le plus raisonnable, mais votre amour n'a pas le sens commun. Parlez-moi raisonnablement, souhaitez-vous d'épouser ?... Puisque vous souhaitez ardemment ce mariage, travaillons-y donc de concert, et j'espère que Thérèse sera votre femme dès aujourd'hui. Encore, ô vous extravaguez : de grâce Monsieur, est-ce folie amoureuse, ou folie folle ? Est-ce qu'il faut se convenir pour s'épouser ? Elle a tort. Est-il possible ! Elle vous reçoit froidement ? Par ma foi vous n'êtes pas sage. Quoi ! Vous vous désespérez de ce qu'elle est ravie de vous voir ? Si j'étais homme, je choisirais pour mon repos, une femme qui fut toujours gaie, et jamais sensible. J'en voudrais dans une maîtresse, mais dans une épouse... Hon ! C'est un agrément bien dangereux pour le mari. La vertu ne rend pas toujours une Épouse vertueuse. Et j'aimerais mieux une femme qui n'eut pas de passions, qu'une femme qui les sût vaincre. Elle a la voix jolie, n'est-ce pas ? Eh bien ! La fille la plus sage. Le mariage rapprochera tout cela. Je n'ai pas le loisir de juger ; accommodez-vous à l'amiable, je vais lever ma Maîtresse. Votre tante n'est encore qu'éveillée, et entre le réveil et la sortie d'une demie vieille, il y a bien des cérémonies de toilette. Retirez-vous, ma Maîtresse s'approche. Elle vient pleurer ici chemin faisant. Ne plaisantez point : je crains bien que tout ceci ne soit périlleux pour elle. Elle m'a fait pitié, quand Madame la Comtesse lui a certifié son Veuvage ; c'est un coup de poignard qu'elle lui a enfoncé dans le coeur. Ce qui la fera mourir, ce n'est pas le coup, c'est le contrecoup : car ce moment qui la détrompera d'un veuvage si doux, la fera mourir de douleur. Elle y pensait bien dès son vivant, et je me suis toujours doutée, qu'elle destinait au Neveu la survivance de son Oncle. Ma Maîtresse veut que Dorante ne soit quasi pas neveu de son oncle. Elle est régulière dans ses moeurs de parade ; mais chez certaines femmes les moeurs de parade et les moeurs négligées sont aussi différentes, que coiffure de jour et coiffure de nuit. Ils s'embrassent à proportion des biens qu'ils espèrent l'un de l'autre. La tendresse affectée de ces deux époux me réjouit ; car en certains moments, tel des deux qui a envie de dévisager l'autre, caresse la succession qu'il en espère. Retire-toi, voici ma Maîtresse. Pour gagner sa confiance, je vais lui aider à contrefaire l'affligée. Le quatrième, oui. Nous ne nous nourrissons que d'affliction et d'orge mondée. Nous ne mangeons point, et tout ce que nous mangeons nous étouffe. Mourir bientôt, et pleurer longtemps, c'est notre dernière résolution. Je le vois bien. Nous n'avons pas la force de marier Thérèse. Elle vous prie d'un air... Le prennent sur un ton... Sont des commandements. Un grand Seigneur qui prie un Bourgeois de lui faire une grâce, c'est comme un Sergent qui prie de payer une lettre de change. Vous la craindriez moins, si votre mari vivait ; car il était aussi habile à défendre sa proie, qu'il était fin pour l'attraper. Madame la Comtesse pourrait bien vous chicaner, oui. Vous me direz, qu'elle ne peut faire que de mauvaises chicanes à la Veuve d'un honnête Intendant, qui s'est enrichi comme les autres, à embrouiller des affaires ; mais enfin, si elle allait vous faire rendre par injustice, ce que votre mari a gagné équitablement. On opprime les Veuves, parce qu'elles ont perdu leur appui. Sans appui ! C'est pourquoi vous devez contenter Madame la Comtesse, afin que possédant paisiblement de grands biens, vous trouviez quelque jeune homme qui soit votre appui. Comme Dorante. Quelque homme d'esprit : oui... Fort bien. À propos, Madame, Dorante est arrivé ce matin. Oui, Madame, il est homme d'esprit, Dorante. Homme de bon conseil. Homme de tête, si vous lui communiquiez vos petites inquiétudes. Les vôtres seront bien entre ses mains. Tout à l'heure, Madame. Vous suivrez celui de Dorante. Quelle sagesse, quelle sagesse ! Il peut se réjouir, car l'obstacle est survenu ; votre Oncle est arrivé, Monsieur. Vous n'aurez que cela aussi. Pour moi je leur souhaite à tous deux ce qu'ils désirent : à la femme, la mort du mari, et au mari, la mort de la femme. À moins que leurs désirs ne s'accomplissent subitement, vous ne serez jamais mariés. C'est pour courir le bal. Ils sont après à taxer votre oncle. Qu'avez-vous fait pour hâter la libéralité de la veuve ? C'est que son amour la presse de même. C'est la déclaration qui opère, cela veut sortir, elle en aura le coeur net... La voici, voyez si ces portes sont bien fermées, de peur d'accident. Elle médite quelque déclaration, qui soit obscure et intelligible. Pourvu que ces vues éloignées ne s'approchent point trop tôt, je les approuve. Vous voyez dans un neveu les cendres vivantes de son oncle. Une prise de ces cendres-là, vous guérira de vos scrupules. Non vraiment ; mais soyez discrète ; car un homme entend les veuves à demi mot. Voilà ce que fait la vertu. Tout ce que vous lui avez déjà dit. Monsieur est trop sage, pour ne pas aller droit à la source du bien. Monsieur. Ah ! Gusmand, tout va mal de ce côté-ci. Elle veut bien donner à la vérité. Mais Gusmand. Elle veut s'assurer Dorante. En signant le Contrat, dit-elle. Mon génie est épuisé. Que veux-tu que je voie, nous n'en pouvons tirer nulle utilité ; et je n'ai pas le courage d'en rire. Notre Intendant est outré de n'être plus veuf : il peste contre Madame la Comtesse qui lui a donné cette fausse joie ; mais il n'ose rompre avec Gusmand, il craint qu'il n'apprenne à sa chère épouse son infidélité. Il vous aime, mais il est encore plus amoureux de la succession de sa femme : enfin Gusmand fera de son mieux pour ramener cet esprit là. Cela pourrait peut-être... par hasard... supposé que... mais franchement, je crois que cela ne produira pas grand-chose ; ils viennent, retirez-vous : je vais voir en quel état est ma Maîtresse. Hé bien ! Gusmand. Les transports de ma Maîtresse sont encore plus violents : pour les adoucir elle s'est évanouie deux fois. Elle se retranche là contre les réflexions, et quand la force lui revient, ce sont des tirades d'injures contre son mari ; mais elle met le nom en blanc. Oui. Voici la femme, fais venir le mari. C'est-à-dire votre mari. Oui, c'est une traître que cette Madame la Comtesse ; mais votre mari mérite aussi votre colère, premièrement parce qu'il est en vie, et de plus, parce qu'il est infidèle ; mais de peur qu'il ne s'aperçoive que vous l'êtes aussi, feignez, comme je vous l'ai dit, d'être ravie de le revoir. Innocemment, d'accord ; mais enfin la vertu veut que vous changiez en un clin d'oeil, votre amour en estime, et dès que votre mari deviendra mort, vous rechangerez en un autre clin d'oeil, votre estime en amour. Ça allons embrasser votre Époux, comme si de rien n'était. Le voici, rappelez-vous toute la tendresse que vous aviez le jour de vos noces. C'est la tendresse conjugale qui rentre. Courage, Madame. Ferme. Faites bonne contenance, la vertu. Madame voudrait bien qu'on n'éloignât point... sa nièce unique. Ce mariage punira votre mari, et vous verrez toujours Dorante. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LESUISSE *date_1702 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lesuisse Mondeme, Mondeme. Je savoir tou ces chouse-là dans l'extrême exaltitude. Fau que moi conte ça par ordonnance ; car quand je vous quitta... vous m'ordonites... que je vous apporta... toutes les circonvenances de notre voyage, en arrangement par écriture. Ma Jornale, c'est de la parole sans papier, car je l'écriva dans mon jugement, par trois petites chapitres ; ce que nous partâmes, ce que nous séjournîmes, et ce que nous revenâmes. À l'égard de premièrement, Monsieur notre Intendant, l'être fort ridicule, fort ridicule ; il dit qu'il y a dix ans que sa femme a du mariage, et qu'elle n'a point de génération ; et que c'est pour cela qu'il allait quérir des enfants aux eaux, vla de quoi il m'entretena tant qu'il arrivit... À l'égard de secondement, Monsieur l'Intendant est encor pu ridicule, car j'aime le bon vin moi, et lui fut aux eaux pour boire de l'eau, et dans cette eau-là, au lieu d'enfants, il y trouvit tant de maladie, tant de maladie, qu'il en était mort quand il en ressuscitit. Ha, ha, ha, quand a ne se trouvera Veuve que d'un homme en vie, nous rirons bien. Je passimes hier par trente lieues d'ici, et tou contre-là son petit calèche romput, va t'en donc devant, me dit-il ; car j'ai envie d'être malade ici tant qui sera Dimanche, pour qu'on refasse mon calèche Lundi, et je m'en vas Mardi tout bellement. Y revenir en poste, et vlà le malheur, Drès que son femme l'aura vu, a se doutera bien qu'il n'est plus mort. On ne boira point ; pu de noce. Nous ne boirons plus. Ho, ho ! Les vlà donc morts tous deux ! Elle est morte. Faut lui dire pour toute guialogue, votre femme est morte, et buvons. Ah ! Ah ! Ce Chanson de consolation à boire : là vlà... Hem... Chagrin, chagrin contre ta noir fisage, Moi savoir prendre un joyeux trinquement ; Poire un pti coup, pour un pti chagrinage, Pour un pu grand, poire pu grandement. Mais quand ché nou mon fame fait tapage, En enrageant avalir tout. Moi craindre point sti rage. Si pour mourir mon fame était partie, Moi consolir par un pti trinquement, Pour consolir de ce qu'al est en vie, Me faut trinquer beaucoup pu grandement. Quand son galant veut que moi ne voir goutte, Par tremblement avalir tout, Sans l'y perdre un pti goutte. Votre femme est morte et buvons. Il faut boire l'affliction. Quand ma fame... sera morte, je m'enivrerai sur l'Épitaphe. Mon voisin me dit sans cesse, Qu'il me veut fournir de vin, Je connais bien sa finesse, Mais moi l'être encore pu fin. Fais semblant d'être facile, Moi ferai semblant de rien, Pendant qu'il fera le gille, Je lui boirai tout son bien. **** *creator_dufresny *book_dufresny_doubleveuvage *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_doubleveuvage *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LASUISSESSE *date_1702 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lasuissesse Réjouissez-vous Madame, mon mari vient d'arriver des Eaux. Mon mari ne me dit jamais de secrets, il a raison, car je suis trop babillarde, et je n'aime point non plus qu'il me conte rien, car il est si landore ; il a la parole si longue, si longue, que j'aurais plutôt écouté cent douceurs d'un autre, qu'il ne m'en aurait dit une. Madame, pour paraître devant vous en courrier poli, il est allé se friser, se poudrer. Ne vous moquez point de lui, Madame, il était allé aux Eaux, pour se bien porter, et pour me plaire ; car comme il m'aime beaucoup, j'aime sa santé. J'y suis, parce que mon mari est revenu, et aussi parce que vous avez commandé à votre Officier de nous faire boire tous à discrétion ; les femmes de mon pays sont nées pour le vin, comme les Françaises pour l'amour, chacune a son usage, et souvent l'un n'empêche pas l'autre. Ah ! Monsieur le Maître, notre Intendant est revenu, quel malheur ! Plus de mariage. Et les voilà tous deux veufs ! Je conduirai tout cela, nous le ferons boire malgré lui. À propos de sa femme morte, il nous écoute. Chante lui cette Chanson que tu sais. Votre femme est partie, il faut boire jusqu'à ce qu'elle revienne. En attendant que Gusmand vienne, chantons une petite chanson à boire. Ma Voisine est très jolie, Mais ce qui me déplaît fort, Elle est toujours endormie, Son mari jamais ne dort. Quand leur humeur me chagrine, Je porte chez eux d'un vin, Qui réveille la voisine, Et fait dormir le voisin. Mon mari je suis très sage, Mais mon coeur simple et bénin, N'aura jamais le courage De tromper un bon voisin. Et s'il faisait la dépense, D'apporter du vin chez nous, Je croirais en conscience Devoir le payer pour vous. Rien n'est si gai que la tristesse Ou d'une fille, ou d'une nièce, Qui, pour suivre un mari va quitter ses parents ; Son coeur sensible à la tendresse, La fait pleurer et rire en même temps. Quand un galant bien fait, de bonne mine Me conte fleurette, croit-on Que j'en sois chagrine ? Non, non, non ; ma foi non : Je voudrais même en quelque sorte Récompenser son joli jargon ; Mais ma vertu n'entend non plus raison, Qu'un Suisse qui garde sa porte.