**** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_JACINTE *date_1709 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_jacinte Ah ! Frosine, je viens d'avoir bien peur. Je cherchais ma mère ; on m'a dit, elle est là-dedans qui joue : bon, bon, ai-je dit, elle en sera de meilleure humeur ; car quand on joue, je croyais moi que c'était comme au Couvent à la récréation, on joue pour se divertir, mais j'ai vu que le jeu de ma mère, c'était une querelle : on faisait un tintamarre, et tout d'un coup on a fait silence ; ma mère tenait des cartes, et elle en tirait une tout doucement, tout doucement : dès qu'elle a été retournée, il y a eu une femme qui a fait un cri, et la querelle a recommencée : on a refait silence, et ma mère a retourné une autre carte ; c'est à celle-là que j'ai eu bien peur : c'était des hommes comme des ivrognes ; et un autre (qui faisait le possédé avec des grimaces de rage) est venu de toute sa force enfoncer un carreau de vitre avec sa tête qui a passé à travers : ah ! Frosine, comment ma mère peut-elle vivre dans un enfer comme cela ? Je ne puis revenir de ma frayeur. Quelles figures de femmes j'ai vu là-dedans ! Je crois que j'en ai entendu une qui jurait. Si ma mère ne voit que de ces compagnies-là, j'aime beaucoup ma mère, mais je serais bien fâchée de demeurer avec elle. C'est pour cela, Frosine, que je souhaite d'être mariée bien vite. Oh vraiment oui, je l'ai apprise tout d'un coup. La timide et sensible Hortense, Surprise d'un amour naissant, Loin de dire ce qu'elle pense, N'ose penser ce qu'elle sent. Surprise d'un amour naissant, Loin de dire ce qu'elle pense, N'ose penser ce qu'elle sent. N'ose... Ce que je sens. Ah !... Ce qu'elle sent. Ce qu'elle sent. Oh ! En voilà assez, Monsieur Triolet. Je veux dire moi que je suis lasse de chanter. Ah, voilà mon beau-père qui me va faire encore chanter ; je vais l'éviter, Frosine, car je ne suis pas en humeur de musique. Tu sais que j'ai bien plus confiance en toi qu'en Lisette, oui je me sens toute soulagée d'être seule avec toi. Ce n'est pas cela que j'ai, Frosine. Frosine. Je n'osai jamais te parler hier de quelque chose ; j'en avais bien envie pourtant. J'ai une curiosité, Frosine. Dis-moi la tienne, je te dirai la mienne après. Ah ! La plaisante chose, Frosine, c'est justement ce que je voudrais savoir de toi. Tu ne m'entends pas, Frosine : je sais bien sans toi que Dorante me plaît ; mais je veux que tu m'apprennes, si ce que je sens, c'est proprement ce qu'on appelle amour dans les romans, car j'ai lu des romans où j'étais. Mon Dieu, je sais bien que j'aime un peu, ce n'est pas là ce que je te demande ; mais comme cela ne fait que commencer, je veux que tu m'aides à connaître, si ce sera quelque jour une de ces passions, comme j'ai lu qu'il y en a, qui feraient mourir une fille de chagrin, si elle n'épousait pas celui qu'elle aime. Oui, Frosine, mais hier, je ne pus jamais aller jusqu'au bout ; car en lisant je rêvai tant à Dorante, que j'avais les yeux sur le livre, et si je ne lisais rien... Que penses-tu de cela, Frosine. Oui, car je n'ai vu Dorante que trois ou quatre fois au Couvent, où il venait voir une parente. Hé bien par exemple je le regardai tant la première fois, que dès la seconde je n'osai plus le regarder, crois-tu que ce soit-là de l'amour, Frosine ? Tout à l'heure encore, cette Marquise m'a parlé de Dorante, moi pour lui cacher ce plaisir qu'elle me faisait, je me renfrognais le visage, je me mordais les lèvres : je crois que si c'eut été Dorante lui-même, je n'aurais jamais pu me retenir : crois-tu que ce soit là de l'amour, Frosine ? Dorante ne m'a encore pu dire que de petits mots devant le monde, mais en sortant l'autre jour il me donna en cachette ce billet. Je me serais bien gardée de recevoir un billet tendre ; mais il me dit tout bas que c'était une chanson, qu'il ne voulait pas que personne vit que moi ; je te prie en lisant ces tendresses-là, d'examiner si elles sont sincères, je ne me connais point à cela moi. Fuyons donc. Puisque je lui plais, demeurons ; il m'est permis d'aimer Madame la Marquise. Je prends aussi la liberté de vous aimer déjà beaucoup. Je vous prie, Madame, de rester ici toute la journée. Je n'ai jamais eu tant de plaisir, que depuis que vous êtes ici, Madame. Écoutons. Passion. Ah ! Ciel ! Ah ! Si elle m'allait voir. Je te cherche partout, Lisette. Je souhaiterais... Que tu me donnasses un bon conseil. Oui, Lisette ; mais je ne veux plus de ses conseils, ils sont ridicules. Elle me conseille de ne point parler à Dorante, de ne plus l'aimer ; y a-t-il rien de si ridicule que de conseiller une chose impossible ? Je sais bien qu'il faut de la raison, Lisette, mais je n'ai rien à me reprocher ; car depuis le moment que j'ai commencé à m'apercevoir que j'aimais Dorante, je n'ai pas pu cesser de l'aimer. Il est toujours temps d'écouter son devoir : mais Lisette, mon devoir est d'obéir à ma mère ; et ma mère veut bien que j'aime Dorante. Je vois bien qu'il faut qu'elle presse, car ma mère a promis pour demain... Oui, Lisette ; elle a donné secrètement parole à Dorante. C'est que ma mère lui a défendu ; car j'ai écouté tantôt, et ma mère lui a dit, oui, Dorante, je vous donne ma parole d'honneur que demain Jacinte sera votre femme. Quoi donc, Lisette, et que fait la mort de Madame Triolet à mon mariage ? Quels malheurs donc ? Que veut donc dire Lisette avec ses malheurs ? Mais quel malheur peut-il m'arriver quand je serai à Dorante ?... Et je serai à lui sans doute, puisque ma mère m'a promise ; quand on a donné sa parole, on ne saurait jamais y manquer. Que souhaitez-vous ma mère ? Oui, ma mère. Oh ! Très contente, ma mère. Sans que vous me disiez qui c'est, j'ai tant de soumission à vos volontés, que je suis déjà charmée de celui à qui vous m'avez promise. Oh ! De tout mon coeur : car je me réjouis par avance du plaisir que j'aurai à vous obéir. Je viens vous retrouver Madame, parce que je m'ennuyais de ne vous plus voir. Hélas oui, Madame. La mort de Madame Triolet m'alarme. Oui Lisette m'a dit que cette mort m'apprendrait des malheurs terribles. Au pied d'un chêne un Berger languissait, L'amoureuse, et fière Climène Feignant d'être insensible au mal qu'elle causait, Chantait, dansait autour du chêne, Pour irriter encore un feu qui lui plaisait. Au pied d'un chêne un berger languissait... L'amoureuse, et fière Climène Feignant d'être insensible au mal qu'elle causait, Chantait, dansait. Chantait, dansait autour du chêne, Chantait, dansait autour du chêne, Pour irriter encore un feu qui lui plaisait. L'imprudente en fit trop ; une fureur soudaine S'empara du Berger : Ne songeant plus qu'à se venger, Il prit la main de Climène, Et fit tant chanter, danser, Danser sauter, sauter, gambader, Gambader l'inhumaine, Que sans force et sans haleine, À demi morte elle tomba, Et le cruel la laissa là. Ne songeant plus qu'à se venger, Il prit la main... Il prit... Et fit tant chanter, danser, Et fit tant chanter, danser, Danser sauter, sauter, Gambader, gambader l'inhumaine. Je crois que la voilà qui vient, Monsieur Triolet. Que dites-vous donc là ensemble ? Il n'y a pas de mariage pour moi, dit-elle ! Que je suis malheureuse ! Laissez-moi, Monsieur, car Lisette dit que notre mariage n'est pas encore assuré. J'aime mieux vous croire que Lisette. Ah ! Ciel ! Je m'en vais, car cette plaisanterie-là me chagrine. Ah ! Monsieur, c'est ma mère. Ah ! Quand elle voudrait je ne veux plus me marier, puisque je n'ai rien à donner à Dorante. Ah ! Madame, si vous voulez vous fâcher contre Dorante, je ne vous en donnerai point sujet, remenez-moi à mon couvent. Ne me parlez plus, ne pensez plus à moi, remenez-moi à mon Couvent. Je ne saurais parler moi. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_DORANTE *date_1709 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Je ne m'ennuie jamais où vous êtes, ma mère. Je ne connais point encore la personne à qui vous me destinez ; je vous demanderai du temps pour examiner, pour me résoudre. Si ma mère voulait bien entrer, je suis impatient d'entendre le concert. Je vais toujours entrer au concert, ma mère. Et moi aussi. Ah ! Le plus pressé c'est de voir Jacinte. Sois sûre de ma reconnaissance. Oui, ma mère, je vous ai dit que Madame Orgon meurt d'envie de lier amitié avec vous. Je vous ai gardé là-dessus un secret inviolable, je n'en ai pas même parlé à Lisette ; mais quand me permettrez-vous donc de déclarer mon amour à votre charmante fille ? Quoi ! Vous aurez la cruauté de ne me pas permettre aujourd'hui ? Ah ! Qu'un jour me durera, Madame. Quel supplice pour moi de laisser encore tout un jour ignorer à Jacinte, le plus tendre amour, la plus violente passion. J'entre aveuglement dans vos raisons. C'est une bagatelle ; je vais vite rejoindre ma mère, de peur qu'elle ne se doute. Nous parlerons de cela une autre fois. Non, Madame. Ah ! Si c'est d'autre chose, parlez, Madame, qu'y a-t-il pour votre service. Les plaintes soulagent, cela est naturel. Je ne suis point de ces amis-là. J'ai encore quelque argent à votre service. Je n'imagine rien, je vais vous chercher de l'argent chez moi. J'y ai affaire pour autre chose. Je serai de retour dans un moment. Je viens vous avertir, madame, que ma mère est fort irritée contre moi, et ainsi pour me donner le loisir de ménager... Je vais voir ce que j'ai. Voilà quatre rouleaux de cinquante louis chacun. Il est vrai que j'ai joué heureusement. C'est un mariage contre mon inclination. Point du tout, mais je chercherai à loisir. Je vais tâcher d'apaiser ma mère, et de la disposer à ce que je souhaite. Quelle joie pour moi, belle Jacinte, quelle joie pour moi ! Ma mère vient de me dire en deux mots que je serais heureux, mais qu'elle ne voulait pas s'expliquer davantage ; j'ai couru vous chercher, je suis sûr de votre mère : mais, belle Jacinte, que votre joie réponde à la mienne ; c'est peu que tout m'assure votre main, si vous ne me la donnez vous-même. Et je vous dis moi que rien n'est plus sûr. Oui, charmante Jacinte, si vous m'aimez, rien ne peut plus nous séparer, oui je suis sûr de mon bonheur. Qu'est-ce donc ? Il n'y a que vous au monde qui soyez capable de ces sortes de plaisanteries. Ne croyez pas ce qu'il vous dit, c'est une plaisanterie. Vous lui avez fait une peur... Je ne vous fait plus mystère de mon amour, mais n'en parlez point encore, je vous prie ; c'est un mariage sûr, j'ai parole de madame Orgon. Laissons ce badinage. Mais pourquoi donc vous attachez-vous à plaisanter là-dessus ? On ne sait jamais si vous parlez sérieusement. Quoi il serait possible ? Mais non, je ne puis croire que Madame Orgon soit assez perfide... Ah, c'en est trop, éclaircissons enfin ?... Vous me voyez dans un trouble,... votre femme après m'avoir donné une parole positive... Finissons donc ? Juste Ciel ! Ah ! Je ne suis plus maître de mon ressentiment. Je vais l'accabler de reproches. En vérité, Madame... Je suis si outré de votre procédé, Madame... Il est bien question de cela ! Hé Pourquoi me donniez-vous donc parole ? Juste Ciel ! Puis-je entendre de pareils discours ! Mon désespoir m'inspire l'unique moyen qui puisse la mettre à la raison ; il faut tout risquer. Oh ! Pour le coup rien ne peut plus empêcher mon bonheur ; car ma mère a dit tantôt, qu'elle se contente de la dot de Jacinte ? Oui. Qu'est-ce donc ? Ah Ciel ! Quelle surprise est la mienne ! Que je voie ? Ceci aidera toujours à déterminer ma mère ; tenez, Monsieur Triboulet, voilà trois cent louis dans cette bourse. Je ne m'attendais pas à un tel événement ; mais rien ne m'empêchera d'épouser Jacinte. Je vous l'avoue, ma mère, son malheur redouble mon amour. Je ne sais si vous êtes aussi tranquille que vous le paraissez, ma mère ? Avant que de prendre un parti, je vous prie de m'écouter. Je vous laisse parler, ma mère. Vous, ma mère ? Vous plaisantez, ma mère. Cela serait différent : j'ai pour moi une passion violente. Vous êtes la maîtresse : mais je vous ai laissé parler, sans vous interrompre le plaisir de me menacer ; me permettez-vous à présent de m'expliquer ? Je vous prie, ma mère... Mais Madame !... Je vous suivrai jusqu'à ce que vous m'ayez écouté. Non, charmante Jacinte. Il y a quelques jours, Monsieur, que sous prétexte de jouer, je m'introduisis chez Madame Orgon ; je la trouvai jouant un jeu terrible ; cela m'affligea par rapport à Jacinte ; je risquai cent louis, m'imaginant jouer pour Jacinte, contre une mère qui la ruinait, Jacinte joua de bonheur sous ma main, j'avais déjà gagné deux mille louis quand sa mère m'a manqué de parole : le désespoir m'a fait jouer contre elle à quitte ou à double ; en un mot Jacinte a dans cette bourse en billet et en argent, la dot que sa mère a perdue. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LECHEVALIER *date_1709 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier Oui, Lisette, oui, heu, je vais un peu tailler ces femmes : il y a longtemps que je n'ai taillé, que j'en suis malade : pour me guérir, je vais voir si Madame Orgon veut ponter. J'ai demeuré un mois à une de mes terres, heu, où je me suis mis au lait. Hé voilà Monsieur Triolet ? Oui je me suis mis au lait, car les veilles, les disputes, les jurements nous ruinent la poitrine à nous autres joueurs ; vous devriez vous mettre au lait vous autres Musiciens. Il faut que je vous enseigne ma manière de prendre le lait ; car il y a manière de prendre le lait, heu, il y a manière de prendre le lait, heu. Je m'en trouve fort bien, heu, fort bien, mais je dis fort bien, heu, heu, heu. C'est que je l'ai quitté hier ; ce n'est rien que cela. À propos, je vais me marier, Lisette, je vais me marier. Je vais me marier pour la première fois de ma vie : il est temps de se retirer quand on a soixante ans ; je ne puis plus supporter les veilles. Cela ne se dit point encore. Oui, oui, une veuve. À propos, monsieur, Triolet, j'étais l'autre jour chez une de vos écolières, où l'on vint me chercher, c'était de la part de votre femme qui était malade. Je vous apprends que votre femme est malade, car on vint vous chercher : c'était je crois il y a trois jours. On nous vint dire que votre femme était fort mal ; je dis fort mal. Et qu'elle ne pouvait pas vivre encore deux heures. Je le croirais bien. Je vais tailler là-dedans, avec quelques pistoles qui me restent. Je ne veux plus jouer, vous dis-je. Non, le jeu m'échauffe la poitrine. Hé vous n'en avez plus. Oh ! Vous êtes insatiable, heu ! Insatiable, car je vous gagne jusqu'à votre dernier sou, ne devez-vous pas être contente de moi ? Je vous refuse, parce que je vous ménage ; j'ai des égards pour vous. Vous priez qu'on vous ruine. Je ne veux point ruiner ma belle-mère. Je vous aime trop pour cela. Je n'aime point les injures, je m'en vais. Non, vous dis-je. Je veux que vous exécutiez la parole que vous m'avez donnée, c'est le moyen d'avoir de l'argent ; car outre ce que je vous gagne, je vous prêterai quatre cent louis d'or en terminant... Ah ! Ah ! Puisque la voilà, je veux que vous lui disiez en ma présence qu'elle sera ma femme. Je vous ai promis le secret. Mais je veux voir si elle vous est soumise ; dites-lui sans me nommer que vous voulez la marier. Oh je veux voir, ou je romps avec vous. Sans l'avoir vu ? Effectivement voilà une obéissance aveugle : çà concluons, je vous garderai le secret, mais je veux des assurances. Je vous ai déjà dit que ce la ne valait rien. J'ai encore consulté mon Avocat ; il dit qu'une mère ne peut point promettre sa fille par un billet, cela ne vaut rien. Cela ne vaut rien : heu, faire son billet !... D'une fille !... Une fille n'est point exigible. Je veux un bon contrat de mariage, sinon point d'affaires. En ce cas-là, je n'ai que cent pistoles sur moi ; je vais voir si un de mes amis qui est de mes parents a trois cents louis à me prêter. Je l'ai vu entrer là-dedans mon parent. Hé le voilà, le parent que je cherche. C'est Dorante à qui je veux emprunter de l'argent pour vous. Je n'ai que lui pour emprunter ; c'est mon parent, il est discret, nous pouvons lui dire mon mariage. Pourquoi non : il nous faut un témoin pour signer à notre contrat. Ouais : votre peur me fait faire réflexion. Je le viens de voir parler à votre fille... Je vais lui demander... Je devine, je devine, je serai discret. Tu nous vois ici en affaire, mon cher parent. Oui, il y a du jeu à notre affaire. Mais pour jouer j'ai besoin de deux cents louis, les as-tu là ? Tu es mon héritier, je te laisserai tout mon bien en mourant, il est juste que tu me prêtes de l'argent pendant ma vie. Je te rendrai cela au plus tard par mon testament. À propos ta mère vient de me dire là en pensant qu'elle veut te marier ? Tu as donc quelque autre inclination ? À loisir, c'est bien dit : tu auras tout loisir de chercher, tu es jeune. Je suis discret comme vous voyez ; je n'ai pas voulu lui faire avouer que vous lui avez promis votre fille. Je veux ignorer cela moi. Qu'importe ? Cela ne me fâche point, au contraire, vous me préférez, la préférence flatte. Et de plus emprunter de l'argent à son rival pour épouser sa Maîtresse, c'est un ragoût qui me pique. Oui, oui, mon héritier n'osera pas se venger de moi sue ma femme ; car il a intérêt que je meure sans enfants, et tant pis pour lui s'il était assez fou pour se déshériter lui-même. Doucement. N'ayez point de peur de moi, je ne suis point jaloux. J'approuve votre amour, j'approuve votre amour. Mais avec l'amour il vous faut de la constance, car vous ne serez marié qu'après ma mort. Vous êtes ma femme au moins ; mais par bonheur cela ne durera guères. Sa peur t'a fait trembler : tu es donc bien amoureux, mon héritier ? Oui : mais j'ai une parole en parchemin moi, en parchemin. Heureusement pour toi, je n'ai plus que deux ou trois ans peut-être, heu, à tousser dans ce monde : je te laisserai là une jolie veuve au moins. Je ne plaisante point, j'ai épousé Jacinte. Veux-tu venir voir le contrat ? Mon mariage avec Jacinte te fera du bien ; car je dégagerai des terres qui sont les effets de ma succession, et Jacinte sera un effet de plus que je te laisserai. Console-toi, je te laisserai ma veuve et mes biens en bon état rien ne dépérira. Elle en a bien donné deux. J'ai fini : le contrat est signé. Vous voilà débarrassés d'eux ; je leur ai fait croire à tous que notre contrat était signé afin que nous puissions finir en repos. La prospérité vous a bien élevée depuis tantôt. Vous êtes railleuse agréable : qu'on a d'esprit quand on gagne ! À un, heu, à un ?... Courage, profitez bien de ce rayon de fortune. Adieu, vous êtes trop brillante pour moi, Je prendrai mieux mon temps. Ah ! Mes enfants le beau spectacle que je viens de voir là-dedans. C'est un spectacle plus magnifique, plus intéressant, plus pathétique que tous vos opéras, Monsieur Triolet. C'est une représentation composée des plus grands acteurs : on met mille louis sur une carte, toute la table est inondée d'un flux et reflux d'or roulant. Non, elle n'a plus que des fiches. Ce sont des bonnes fiches pourtant, il ne faut qu'un clin d'oeil pour l'enrichir, elle est aux prises contre un joueur respectable, et fort estimé dans Paris, c'est un gros boeuf, mais un gros boeuf riche, et bête à l'avenant, il joue tant qu'il a de l'argent, et il a de l'argent tant qu'il veut, il joue pour se faire des amis, par galanterie ; il oublie les cartes des femmes, et il paye les hommes deux fois pour éviter les querelles. J'attends qu'elle perde pour en avoir raison ; la perte au jeu rend les femmes traitables. Évitons l'orage. L'orage est passé, profitons du moment... Ah ! Madame, je vous ai vu jouer d'un malheur qui m'a percé l'âme. On revient de loin quelquefois. Si j'osais vous offrir une petite ressource ? Voilà ma bourse, allons chez le Notaire. Je vous le confierai, quand vous aurez signé. La dot perdue ! Que dit votre mari ? Il n'y a plus de dot ; je ne veux point me marier à cause de ma poitrine. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LAMARQUISE *date_1709 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lamarquise Bonjour, monsieur Orgon, bonjour ; permettez-moi que j'achève de demander à mon Laquais, à combien de personnes j'ai promis d'aller passer l'après-midi avec elles. Tu me disais donc, Champagne ? Je ne manquerai pas d'y aller. J'irai sans faute. J'irai, j'irai. Je veux avoir des plaisirs à choisir à toutes les heures du jour, j'ai si peur de m'ennuyer. Qu'est-ce donc, mon fils, tu ne dis mot ? T'ennuies-tu déjà ici ? Il est poli ce jeune homme-là ; nous vivons ensemble comme un frère et une soeur. Je m'y trompe bien moi-même ; comment pourrais-je ne pas croire que je suis jeune ? Il y a si longtemps qu'on me le dit ; je le croirai tant qu'on me le dira, et peut-être encore après. Voilà un fils que je vais marier pourtant, et c'est ce qui le rend chagrin ; car je lui destine une femme riche qui n'est pas belle : c'est un mariage de raison. Oui, mais je veux être obéie ; je suis une méchante mère, quoique la meilleure femme du monde : heureusement, mon fils a bon esprit, il regardera ce mariage-là du bon côté ; il n'y a que manière d'envisager les choses : le veuvage par exemple m'eût affligé le reste de mes jours, si je n'y eusse envisagé qu'un mari perdu ; j'y vois la liberté retrouvée, sujet de joie. Non, non, je veux finir au plutôt, tu es trop lent dans tes résolutions ; je ne fus pas si longtemps à me résoudre moi, quand j'épousai ton père. À la vérité, je m'en suis repentie ; feu mon mari était jeune, noble, plein d'esprit, charmant de sa personne, et pas un sou avec. Je lui fis sa fortune parce qu'il m'adorait, mais il ne m'adorait que parce que je lui faisais sa fortune : il devint bientôt ingrat, Monsieur Orgon, car ce fils unique-là, a toujours été l'unique. Laisse-moi conter mes chagrins ; cela me réjouit. Quelle impatience ! Je ne croyais pas que tu aimasses tant la Musique. Je meurs d'envie de la voir. On a chanté les Buveurs, les Amants, mais on n'a point chanté les héros de brelan, ni les héroïnes du Papillon. Volontiers. Quand ce ne serait que pour l'amour de sa fille, qui me plaît beaucoup, mon fils. Venez Jacinte, venez : oui, Monsieur Orgon, je l'aime déjà de tout mon coeur. Cette déclaration me charme ; car c'est la nature qui parle. Vous avez donc bien du goût pour moi ? On voit qu'elle m'aime ; car elle dit cela d'un courage. Allons, allons. Allons donc l'attendre dans votre appartement. Quoi ! Vous ne rendez jamais visite à votre femme ? Oui, oui, car je ne l'ai pas bien entendue là-dedans, j'ai toujours causé avec Jacinte : j'aime beaucoup la musique moi, mais je ne veux pas qu'elle m'empêche de causer, c'est l'usage d'entendre ainsi les concerts, la symphonie ne sert à présent que de basse continue à la conversation. Je sais me taire, Monsieur Orgon. Taisez-vous aussi, mon fils, taisez-vous, vous parlez là des yeux... Je vous défends de plaire à mon fils, Mademoiselle, car je veux le marier à une riche laide ; il reculera tant qu'il pourra, parce qu'elle est laide, et je presserai tant que je pourrai parce qu'elle est riche. Et les Amants, oui je ne veux entendre chanter que sur ce ton-là. Je ne m'attendais pas à la sortie que vous venez de faire sur nous. De peur que ma face ne vous porte malheur, je vous laisse, Madame, je vous laisse. Vos premiers mouvements me font craindre les seconds. C'est pour cela que vous vous êtes séparés, voilà un bel exemple, mon fils. Ce sont toujours les hommes qui commencent le divorce ; entendez-vous Jacinte ; mais rentrons chez vous, Monsieur Orgon ; je vous estime, Madame je vous honore : mais votre caractère est si opposé au mien que nous ne pourrons jamais avoir aucune liaison. Entendez-vous mon fils ? Je cherche mon fils partout. Où sera-t-il donc ? Quelles affaires a-t-il tant ? Voyons. Oui : mais je lis-là d'autres paroles. Je ne me trompe point... C'est là l'écriture de mon fils. Voilà un billet bien impertinent. Oui, charmante Jacinte, je renonce au mariage que ma mère me propose, et rien ne pourra m'empêcher de me donner à vous. Non, non ; ai-je bien lu ? Rien ne pourra m'empêcher... Ho je l'empêcherai bien moi. Je vais marier aujourd'hui mon fils à ma fantaisie ; ou je le déshérite, et je le ferai encore déshériter par le vieux Chevalier notre parent. Le Chevalier veut épouser Jacinte ? Je vous crois, Monsieur Orgon, je vous crois ; et cela m'inquiète, cela m'alarme, j'en tremble de peur. Comment donc ! Ne savez-vous pas que le Chevalier est notre proche parent, et qu'il en hérite ? Oui, Monsieur Orgon, si le Chevalier se marie c'est une succession perdue pour mon fils ; mon fils est son unique héritier, son collatéral unique. Il est vrai que le Chevalier est vieux, mais sa femme serait jeune : o, voit tant de vieux maris, dont les jeunes femmes font tort aux collatéraux. L'expédient serait bon, si Jacinte était riche, mais elle n'a rien n'est-ce pas ? C'est quelque chose pour mon fils, pour son amour ; mais l'amour de mon fils, ne me fait point perdre la raison : quand l'amour me fit faire une folie, c'était mon amour à moi, mon amour à moi. Jacinte m'a gagné le coeur, vous avez gagné mon amitié, mais ce n'est pas là une dot : çà parlons raisonnablement, je n'ai présentement que ma table à donner, mon fils sera riche si je meurs quelque jour ; mais il faut qu'il vive pendant que je vivrai : voyons combien donne-t-on à Jacinte ? Ha, ha, c'est quelque chose que cela, mais c'est bien peu pour mon fils. Je reçois ce soupir-là pour quelque chose. Les femmes les moins raisonnables se laissent persuader, il n'y a qu'à prendre le moment ; allons, embrassez-moi ma bru. Une demie heure est bien longue, Monsieur Orgon, à quoi emploierons-nous ce temps-là ? Ha, ha, ha, j'aperçois bien un autre sujet de divertissement, c'est Monsieur Triolet en habit de veuvage. Je ne puis voir sans rire un maître à chanter en deuil. Si nous pouvions le faire chanter ? Cela serait trop cru ; mais je l'y ferai peut-être venir naturellement, par amour propre. Nous faisions ici chanter Jacinte, et vous l'interrompez par votre deuil ; ne lui donnez de l'argent que quand elle aura chanté. Je meurs d'envie d'entendre la cantate : ne dites-vous pas qu'elle est de Monsieur ? On en parle dans le monde comme d'un miracle de composition. Ce chant-là n'exprime pas bien à ma fantaisie. Cela est bien mieux. Admirable ! Quelle différence ! Quelle expression ! Je suis charmée de, et fit tant chanter, danser. Son expression serait bien plus gaie, s'il n'avait perdu la pauvre défunte. Je vais avec vous dans votre cabinet, vous me ferez voir les pierreries de ma Bru. Je viens de consoler cette pauvre petite Jacinte, elle me fait compassion ; je crois qu'elle t'en fait encore plus qu'à moi ? Je ne m'opposerai point à des sentiments si beaux, si héroïques : tu croyais peut-être que j'allais crier, fulminer, tempêter, non, mon fils, non, tu me vois raisonnable, douce, tranquille. Ah ! Je te jure que je n'ai pas la moindre émotion de colère ; et voici le parti que la raison m'a fait prendre... Et moi je te prie de me laisser parler ; je te laisse la liberté de te marier à ta fantaisie, laisse-moi au moins la liberté de parler tant qu'il me plaira. Je n'ai que quatre mots à te dire, et je te les dirai doucement, bonnement, cordialement, comme une bonne mère : tu t'imagines que je te cache quelque fiel sous cette douceur ; non,je te jure, et je ne suis point fâchée que tu te maries follement, au contraire, j'en suis bien aise, car cela justifiera certaines démarches que je médite depuis longtemps : je n'osais rompre avec toi la première, je ne cherchais qu'un prétexte, tu me le fournis, tu m'autorises, cela est heureux ! Le Ciel me préserve d'avoir une telle pensée ; moi, déshériter un fils unique, un fils que j'aime tendrement, où je prends un parti bien plus convenable à mon humeur. Je me remarie, mon fils, je me remarie. Oui, mon cher enfant, je me remarie ; cette manière de déshériter, est bien plus réjouissante que l'autre. D'accord : mais tout en riant, je suivrai mon petit penchant, comme tu suis le tien, cela sera réciproque. Je t'en offre autant, mon fils, je t'en offre autant ; oui, j'aime depuis peu un grand garçon jeune et bien fait ; oh tu verras quel homme c'est, il t'aura plutôt déshérité que tu n'y auras pensé. Non, je n'aime point les explications, un amant ne peut dire que des extravagances. Adieu, mon fils, ton beau-père m'attend, je suis pressée. Ton beau-père m'attend, je ne veux pas faire attendre un joli homme. Pour vous parer dans votre Couvent, voilà vos pierreries. Conte un peu à Monsieur Orgon, tout ce que tu m'as dit, et ensuite Jacinte s'en ira si elle veut. Vous diriez bien oui pour être mariée peut-être ? En attendant le Notaire, réjouissez-nous un peu Monsieur Triboulet. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_TRIOLET *date_1709 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_triolet Paix-là, Messieurs, paix-là ! Hé de grâce qu'on se taise dans l'antichambre. Messieurs les Laquais, taisez-vous, je vous prie : laissez-là vos violons, il me faut un moment de silence. Voyons un peu si ce salon-ci me sera avantageux pour ma voix, là, là, là, là : il résonne beaucoup : là, là, lire... Pas trop pourtant. Voyons si mes cadences y paraîtront perlées là, là, là, ta, à, à, à, là, là... Et s'il rend bien les ports de voix. Là, là ; ha oui, je crois que ce lieu-ci fera paraître ma voix. Un Maître à chanter doit prendre tous ses avantages. Ho la ho, Laquais de Monsieur Orgon, qu'on apporte ici le Clavecin. Apportez aussi vos Basses, vos Bassons... Vite donc les théorbes, les violons... Des violons, des violons. Tu as beau crier, Lisette, Monsieur Orgon a défendu qu'on jouât dans ce salon-ci, on apportera en vain des cartes. Monsieur Orgon est le maître du Salon ; il tient à son appartement. Effectivement la chose est problématique ; et quand Monsieur et Madame Orgon se sont fait séparer de corps et de biens, on devait régler en justice, si le salon serait pour la Musique de Monsieur, ou pour le jeu de Madame. C'est pour cela qu'ils ont fait couper leur ménage en deux. Mais je fais réflexion que nous ne chanterions pas ici en repos ; nous serions trop près de votre brelan. Nous chanterons dans la chambre de Monsieur. Nous voilà donc d'accord ? Ton amour est bien rancunier. Quoi ! Tu ne saurais me pardonner une petite infidélité de rien ? Qu'appelles-tu se marier ? Est-ce que je suis marié moi ? Parce que l'envie de devenir assez riche pour t'épouser quelque jour, m'a fait accepter en mariage l'argent d'une femme vieille et infirme, tu appelles cela être marié ? Je suis tous les jours en danger de l'être ; car ma femme est pulmonique, et ne se réjouit qu'à me quereller : une pulmonique criarde ne peut pas vivre longtemps. Je ne souhaite pas la mort de ma femme, je suis homme de bonnes moeurs, quoique Maître à chanter ; mais mon amour... Changeons de discours : je te prie de me faire une grâce. Accorde au moins à mon amour, quelques paroles de douceur. Si c'est là ta douceur, ma femme chante à peu près sur ce ton-là, dans nos petits duos domestiques. Çà, Lisette, sérieusement je te veux prier... Hélas ! Quand verrai-je finir ta fureur ? Quand j'y fais réflexion, je suis bien aise que Lisette n'ait pas écouté la confidence que je voulais lui faire ; il ne faut jamais se fier à une femme qu'on a une fois offensée. Mais adressons-nous à l'autre fille de chambre de Madame Orgon : depuis qu'elle est Musicienne de Monsieur, elle n'a plus aucune liaison avec mon ennemie. Ha ! La voici notre Musicienne. Serviteur à Mademoiselle Frosine ; nous voilà enfin de retour Monsieur Orgon et moi. C'est apparemment pour la marier, qu'on la retire du couvent ? Je vous dirai en confidence que je sais un bon parti pour mon écolière. Justement. C'est ce qu'il y a de bon ; car il est si vieux et Jacinte si jeune, qu'il achèvera bientôt de vieillir avec elle. Je suis donc dans les vôtres. Il m'a prié d'exhorter mon écolière, à vouloir bien être mariée par raison. Il y a de mes confrères qu'on paye, pour inspirer de l'amour à leurs écolières ; cela est défendu, cela : mais j'inspirerai de la raison à la mienne, cela m'est permis, quoique ce ne soit pas mon métier. Je la soupçonne aussi de n'être pas insensible. Je remarquai moi l'autre jour en lui donnant leçon, qu'elle s'arrêtait sur les passages tendres ; et qu'elle faisait des soupirs qui n'étaient pas notés. Aidez-moi à sonder son coeur ; je lui ai donné malicieusement, une chanson tendre à étudier. Où va-t-elle donc ? Elle tourne à droit, à gauche. Vous entendrez ici une harmonie bizarre ; le bruit des carrosses, avec le son des Violons ; les Musiciens fredonnent, et les chevaux hennissent. On entend hurler les joueurs, et glapir les musiciennes ; ronfler les bassons, et brailler les joueuses ; enfin l'on entend ici que préluder, disputer, accorder, quereller, jurer, et chanter. Les joueuses sont trop modestes pour jurer. L'aveu est naïf. Vous êtes naïve, mais vous n'êtes pas niaise. Je vous ai tantôt donné une chanson à étudier, la savez-vous ? C'est que les paroles en sont naturelles ! Ce qui est naturel s'apprend si vite. Voyons comme vous la chanterez ? Recommencez cela, Mademoiselle, vous n'avez pas exprimé à ma fantaisie. La timide et sensible Hortense. N'ose... Il n'y a pas ce que je sens, il y a ce qu'elle sent. Plus tendrement. Encore plus de tendresse. Que voulez-vous dire donc ? Elle a une autre musique en tête, comme vous voyez. Il est vrai que Madame, est seule mère et maîtresse de sa fille. Et vous n'aimez pas l'inquiétude ? Que vous ai-je donc fait, Madame ? Je suis fâché, Madame, de n'être que moi ; vous devinez apparemment à ma mine, que je viens vous demander de l'argent. N'en doutez point, Madame ; depuis deux ans, j'élève votre fille dans les principes du beau chant ; ce sont deux années d'éducation que vous me devez. Je ne vous importunerais pas sans certaines conjonctures. Si je le veux Madame ? Cinquante louis, justement. Quoi, Madame ? Moi, Madame ? Je ne joue jamais moi que du Théorbe. En tous cas, Monsieur Orgon, m'a promis de me payer à votre refus. Parlons d'autre chose, Madame : comme c'est moi qui ménage secrètement avec vous le mariage du riche Chevalier et de votre fille, il me presse de vous presser, vos délais, vos retardements l'alarment. D'accord, mais... Madame. C'est à Dorante à qui elle court ; ce Dorante-là m'alarme pour mon Chevalier ; il faut travailler à mettre ce Dorante hors des rangs. Mais je n'ai point vu ma femme depuis mon retour, je voudrais pourtant savoir d'elle si... Qu'y a-t-il de nouveau ? Hé bien ? Attendez, il me vient une idée... donnez-moi le billet. Trouverai-je une plume et de l'encre dans votre chambre ? Tenez. Oui. Attendez : je viens de la noter exprès sur la déclaration d'amour de Dorante à Jacinte... Pour faire voir à la Marquise, sans nous commettre... Aidez-moi à jouer mon jeu. Là, là, là, là, là, là, lire ; lisez donc la note, si vous savez lire, lire. C'est en bémol, toure loure, loure tou. Partout... Toure loure, loure tout. Il sera sorti. Ti ta ti, ta ti, ta ti. Il en a tant, ti ta tan, ti ta tan. La voilà, là, là, là, là. Pardon, si elle n'est pas bien notée ; Frosine a tiré le premier mauvais papier qu'elle a trouvé dans sa poche. Lisez les paroles pendant qu'elle vous les chantera. Le second couplet est de l'autre côté, tournez, Madame, tournez. Ces paroles sont assez jolies ? Ce n'est pas là, Madame, c'est à la marge que j'ai écrit. Ce papier vient de la poche de Frosine. Frosine a toujours plein les poches d'impertinences. Allons rendre compte au Chevalier... Mais en passant il faut aller apprendre mon retour à ma femme ; il faudra l'embrasser ; quelle corvée ! Laide, vieille, querelleuse, squelette mourante, qui n'est plus en vie que par la langue... Tu ne me donnes pas envie de t'apprendre qui c'est. Hom, je la défie de lui tirer son secret : c'est un sang froid d'homme... À votre service, Monsieur. Oui : car nous nous ruinons la poitrine en tant de façons... Chut. Et vous vous mariez pour dormir ? Cela est de bon sens. Monsieur le Chevalier épouse une aimable veuve, chez qui nous avons fait connaissance. Quand elle sera votre femme, elle sera toujours mon écolière au moins. Hélas ! Elle est toujours malade, je ne l'ai point vue depuis huit jours ; j'arrivai hier fort tard de la campagne, Monsieur Orgon m'a donné ici un lit. Il y a trois jours ? Il y a trois jours ? Elle est donc morte ? Courons vite. Je ne paraîtrais pas ici en l'état où je suis sans un besoin d'argent très pressant qui m'a fait passer par ici en revenant de rendre les derniers devoirs... Hom, hom. Épargnez-moi la raillerie dans la douleur où je suis, hom, hom. Hé, Monsieur, je vous prie. Cela est vrai, mais dispensez-moi d'être présent. Hé, c'est qu'elle n'entre pas dans l'esprit. Plus tristement cela. Languissait. Plus gaiement, aïe, plus gaiement. Un feu qui lui plaisait. Au reste, Mademoiselle, et souvenez-vous d'animer. Ce n'est point cela, Mademoiselle, ce n'est point cela ; vous chanter tout à contresens. Hé, vous n'y êtes pas. Il prit la main de Climène, Chanter, danser, danser Sauter, sauter, gambader, Gambader l'inhumaine. Ah ! Madame, que m'avez-vous fait faire là ! Ne savez-vous point où est Lisette, Mademoiselle. Hélas ! C'est un diamant. J'ai trouvé dans la cassette de ma femme, cette consolation. Comment donc ? Chut. Tu me fais faire des réflexions... Allons donc vite, car il faut que je revienne pour être payé. Nous ne l'avons que trop vu ; elle n'a pas laissé seulement de quoi me payer. Ha, tu me caresses à présent, tu as changé ta fureur en amour, et moi j'ai changé mon amour en fierté, je suis à présent un riche veuf ; tu n'es plus un parti pour moi. Allons, finissons donc ? Tu as toujours été le principal sujet de mon attention, je n'avais épousé la défunte que par parenthèse. Non, mon veuvage est encore trop frais. Je n'entrerai en possession que la semaine prochaine. C'est que j'ai encore entre les mains pour dix mille francs de pierreries à Jacinte. Ma femme avait donné mile écus dessus ; il faut voir comment nous les retirerons sans nous faire d'affaires. C'est tantôt qu'elle a dit cela. Voici la seule chose qui reste. Voilà pour dix mille francs de pierreries, sur quoi ma femme a donné mille écus ; si vous voulez faire ce présent-là à Jacinte en me rendant. À moins que Madame Orgon ne regagne la dot de sa fille. Chut. Voyons ce que le Chevalier nous veut ? Une joueuse désespérée : la voilà avec un flambeau au poing comme une furie,... Elle jette le flambeau, elle renverse tout... Elle vient de se côté-ci comme un tourbillon. Si elle m'allait prendre pour le valet de pique ? La bienséance ne veut pas... Avec cet équipage ? Je vous ferai donc seulement le récit d'un petit divertissement, qu'on pourrait faire ; mais qui n'est pas encore fait. Opéra du jeu. Ce serait un poème Tragicomique ; le Théâtre représenterait le temple du malheur ; on y verrait le désespoir ; force joueurs poignardés, se poignardant ; voilà le tragique cela. Un choeur infernal de jurements, et d'imprécations ; ce Choeur-là ferait frémir, et c'est le but du Poème qu'Aristote demande. À l'égard du Comique les femmes joueuses en fourniraient de reste. Imaginez-vous des décorations tantôt riches, tantôt délabrées, et à la fin le temple du jeu resterait avec les quatre murailles. J'oublie un sacrifice au Dieu des Brelans, où les hommes sacrifient leur temps, leur santé, leur probité, leur gloire ; et les femmes sacrifient... Que sais-je moi, ces sacrifices-là sont si communs. Mais quel spectacle horrible ! Je vois sortir des enfers l'affreuse Bassette, suivie du Pharaon : Bassette fatale, quatrième Parque filant avec le pouce la vie, ou la mort des aventuriers. C'est leur sacrificateur qui égorge en taillant, et l'on voit les victimes expirer en pontant. Comme il nous manque ici des danses, je fais une entrée de douze dupes enfants de famille vêtus comme des Colonels, et de douze Gascons délabrés. Les deux entrées se réunissent et les Gascons dépouillent les enfants de Paris ; mais nus comme la main : cela serait du spectacle. Que ne puis-je ici vous faire voir l'Opéra que j'ai dans la tête ! Vous y verriez du grand, du merveilleux, du sublime ; car il y aurait un air Italien avec un Vaudeville. Écoutez bien mon Vaudeville, car c'est tout ce que vous aurez de mon Opéra du jeu. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LISETTE *date_1709 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Holà ho, Laquais de Madame Orgon, qu'on apporte ici la table à jouer. Vite donc le tapis vert, les flambeaux, les cartes. Des cartes, des cartes. Vous avez beau vous égosiller, Monsieur Triolet, Madame Orgon a défendu qu'on chante dans son salon. Hé, ne voilà-t-il pas l'appartement de Madame Orgon ? Le salon nous appartient. Il faut opter pourtant ; car le jeu et la Musique sont aussi incompatibles dans un même lieu, que l'humeur de Monsieur et Madame Orgon dans un même ménage. Nous serions aussi trop près de votre charivari. Et nous jouerons là-dedans à notre ordinaire. C'est ce qui me fâche ; car depuis la trahison que vous m'avez faite, je n'ai pas un plus grand plaisir que de quereller avec vous. De rien ! Se marier en fraude avec une autre ? C'est toujours être marié que de n'être pas encore veuf. Les femmes ont de grandes ressources dans les poumons. Taisez-vous. Je ne puis souffrir le mot d'amour dans la bouche d'un homme marié. Point de grâce à un traître. Fourbe, parjure, scélérat, si j'en croyais ma rage vindicative, je te dévisagerais. Et moi je te refuse sérieusement par avance, je ne veux pas seulement t'écouter ; ta présence m'inspire une fureur qui ne finira qu'avec la vie de ta femme. Oui, Monsieur. Elle va venir ici, Monsieur. C'est qu'elle est un peu occupée. Elle a présentement une occupation bien importante ; c'est à elle de faire la main, elle viendra vous parler dès qu'elle aura eu le coupe-gorge. En attendant, Monsieur, je voudrais vous prier de protéger un homme que je veux proposer tantôt à Madame pour Jacinte : c'est un jeune homme aimable, qui est fils unique d'une mère très riche, et qui n'a plus de mari ; ce jeune homme-là s'appelle Dorante. Je tâcherai de lui faire vouloir ; mais elle ne veut point me dire à qui elle destine Jacinte ; il y a là-dessous un mystère que je ne comprends point, ne pourriez-vous pénétrer ?... C'est pour cela que vous l'aimez tant. Oui, car je vois son fils avec elle. Vous êtes assez jeune pour qu'on s'y trompe, Madame. Oui Jacinte est là-dedans au concert. N'allez-vous pas d'abord voir Madame Orgon, et perdre de l'argent avec elle pour gagner son amitié ? Je vais tâcher moi de déterminer Madame en votre faveur. Tout est tranquille dans la Salle de jeu, car il n'y a plus personne ; les trois dés viennent de finir, et les grands acteurs du lansquenet ne sont pas encore arrivés ; cela fait un entracte. Pendant que vous êtes dans l'inaction, Madame, voulez-vous que nous régions nos petits comptes ? Et difficiles à acquitter. Savez-vous bien que vous me devez tous les soupers que vous avez donnés depuis trois mois ? Rien en ordre, rien de propre ! Est-ce ma faute, Madame, si les joueurs acharnés à leur table, n'y veulent point d'autre nappe que le tapis vert ? Ce n'est pas ma faute si vous n'avez plus ni assiettes ni cuilliers, ni fourchettes. On prend du sel avec le coin d'une carte, et on voit courir à la ronde un chapon en l'air ; chacun en arrache son lopin, comme quand on tire l'oie : celui-ci boit d'une main, et joue de l'autre ; l'un avale en gémissant, l'autre mâche en jurant ; celui-ci mange les cartes avec son pain ; et l'autre avale sa rage avec un verre de vin ; quel ordre puis-je mettre à tout cela moi ? Comment donc, Madame, j'ai tout avancé, vous ne m'avez rien donné ; et le reste c'est pour moi ? Je le reçois, je vous le prête ; vous me le devez, je le dois ; mais nous payerons tout quand nous gagnerons. Parlons à présent de Jacinte, dont le mariage me tient au coeur. Car Jacinte, pour ainsi dire, est presque ma fille ; parce que vous n'avez pas le loisir d'être sa mère. Çà, dites-moi donc enfin à qui vous la destinez ? Et raisonnons solidement là-dessus. La raison et la tendresse maternelle, veulent que vous donniez Jacinte à un homme qui en soit amoureux ; parce que l'amour suppléera au peu de bien qu'elle a, ainsi il faut examiner... Hé, Madame, que votre tendresse maternelle m'écoute. Non, c'est une charrette, je vous prie donc de faire attention à une chose... Écoutez donc !... Oui : mais il passe. Considérez donc que si... Il passe encore ? Sa tendresse maternelle a la rage du jeu ; allons voir avec Dorante les mesures qu'il faut prendre avec cet esprit-là. Qu'est-ce donc, Monsieur le perfide ? J'apprends que vous voulez marier Jacinte à un de vos amis ; Je vous déclare que je suis ravie de pouvoir me venger de vous sur cet ami-là : dites-moi donc vite quel est celui que vous protégez ? Afin que je détruise toutes les prétentions qu'il peut avoir pour Jacinte. Hé je m'en doute bien, traître ; c'est peut-être ce vieux Chevalier enrhumé qui a la poitrine fêlée ; car je le viens de voir là avec Frosine : tenez, tenez, le voilà qui vient à pas comptés, toujours toussant ; je vais bien voir tout à l'heure, si c'est là le rival de Dorante. Venez-vous ici nous donner une petite bassette, Monsieur le Chevalier ? Elle ponte tant qu'on veut. Mais il me semble que vous avez été longtemps sans venir ici ? On voit que vous avez la bonne manière. Oh ! Le bon lait que vous avez pris là. Vous voilà guéri, votre poitrine joue de son reste. C'est donc pour cela que vous avez quitté le lait ? Hé peut-on savoir qui sera l'heureuse épouse ? Non, non, mais cela se devine. Si la femme de Triolet est morte, j'aurai la survivance : mais à propos cette mort nous découvrira peut-être des choses qui changeront bien les affaires de Jacinte. Oui si les soupçons que j'ai sont véritables, la petite Jacinte est à plaindre : elle vient à moi, voyons ce qu'elle veut me dire. Que souhaitez-vous de moi, Mademoiselle ? Vous souhaiteriez ? Volontiers : mais c'est Frosine qui vous conseille ordinairement. Que vous conseille-t-elle donc de ridicule ? Fi ! Voilà une Frosine de bien mauvais conseil : pour être de bon conseil, il ne faut jamais conseiller que ce qui fait plaisir. Effectivement, on ne sait comment faire ; car on ne peut chasser l'amour dans un coeur avant qu'il y soit entré ; et dès qu'il est entré, il n'est plus temps. Je vous conseille donc de l'aimer, je conseille à Dorante de vous aimer, et je vous conseillerais quasi de vous aimer, tant que vos mères fussent obligées de hâter le contrat de mariage ; car cette affaire-ci presse. Que dites-vous ? Dorante ne me l'a point dit. Tâchons donc de conclure cette affaire, avant que la mort de Madame Triolet fasse éclater certaines choses que je crains fort. Sa mort sera peut-être un grand événement pour vous ; et vous apprendrez des malheurs... Ne songez à présent qu'au bonheur d'épouser Dorante,... Car ce que j'imagine est peut-être mal fondé. Quoi qu'il en soit votre mariage ne dépend plus que de la Marquise, je vais travailler de concert avec Dorante, à la faire au plus vite consentir à votre mariage. Oui, Madame, oui par tout ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, vous pouvez être sûre que le vieux Chevalier veut épouser Jacinte. Il me vient une idée... Madame de peur que le Chevalier n'épouse Jacinte, prévenez secrètement ce mariage en faisant épouser Jacinte à votre fils. Doucement... Je lui dirai ce qu'il lui faudra dire ; mais tenez ceci secret, jusqu'à ce que j'ai obligé Madame Orgon à congédier d'elle-même le Chevalier. Tranquillisez-vous tous ici, et laissez-moi agir seule. Je vous rendrai réponse avant une demie heure. C'en est donc fait ? Que vois-je ? Je ne me trompe point. Voilà tous mes soupçons confirmés. C'est Madame Orgon, qui a mis ce diamant en gage chez la défunte, et je devine où elle l'a pris. Ah ! Mademoiselle, je crains bien qu'il n'y ait plus de mariage pour vous. Mène-moi vite chez toi, pour vérifier certaines choses. Madame Triolet est morte. Et certain diamant a paru aux yeux de votre mari. Là, là, remettez-vous ? Votre mari n'a encore rien vu : mais si vous ne me faites la confidence entière : je vais l'avertir. Il ne m'importe comment, je ne suis en peine que des vingt mille écus qui étaient avec le Diamant, dans le coffre où je l'ai vu mettre par votre mari. N'avez-vous pris que le diamant ? Emprunter sans qu'il le sût. Je vois le malheur du sac. Vous n'en eûtes pas la force : l'argent est lourd à reporter. C'est-à-dire que le coffre est vide. Si vous regagnez ce soir. Ah ! Quel ordre, quel ordre ? Pendant qu'elle a encore de l'argent, allons au plus vite avertir le mari. Mais, Monsieur prenez donc votre résolution, profitez du temps ! Madame était encore en gain tout à l'heure, elle joue gros jeu là-dedans. Çà, dis-moi vite la petite ressource que tu as pour Jacinte ! Parle, rends-nous service, mon cher Triolet, je t'en conjure par tout l'amour que tu as pour moi. Hé ne badinons point ? Finissons. Reprenons donc le fil de notre amour, mets-là ta main ? Qu'as-tu à me confier en secret, parle vite ? Hélas c'est une ressource bien faible ! Ah ! Monsieur depuis tantôt... Monsieur Orgon vient de trouver son coffre vide ; notre joueuse a perdu au jeu la dot de Jacinte. C'est ce qu'on vient de dire à votre mère : là-dessus elle s'est emportée... La voilà qui vient vous prévenir par des menaces : évitez les premiers mouvements d'une femme vive ; elle va jeter feu et flamme. Le Ciel en soit loué. Auriez-vous le courage de le déshériter ? Il n'y a rien à espérer. Il est ridicule de rien fonder sur son gain ou sur sa perte. Madame est-elle en gain ? Et Madame en a-t-elle beaucoup devant elle ? Hé ne vous ai-je pas dit ? Si Madame pouvait gagner le gros boeuf, nous saisirions les fiches. Ah ! Voilà toutes nos espérances perdues. Que vois-je ? Elle vous vient plutôt dire qu'elle le déshéritera, s'il veut vous épouser. Il n'y a ici que de vos amis. Il a raison : ôtons lui ses pleureuses. **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_FROSINE *date_1709 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_frosine Bonjour, Monsieur Triolet, bonjour. Pendant que vous avez été à la campagne, J'ai retiré du Couvent une jeune écolière. Que je la plains d'être fille de Madame Orgon ! Non les joueuses n'ont de tendresse ni pour mari, ni pour enfants. Imaginez-vous cette pauvre petite innocente, que notre joueuse a laissé au Couvent depuis son enfance, je la lui amène ; elle ne quitte pas seulement le jeu pour l'embrasser : j'en suis si piquée... car j'aime la petite Jacinte d'inclination... Oui, sa mère dit hautement qu'elle l'a promise en mariage ; mais elle ne veut point dire à qui, c'est un mystère impénétrable. Je sais ce que vous voulez me confier ; ce riche parti, c'est un vieux chevalier sans chevalerie. Ce Chevalier est riche en fond de terres, il les donnera en mariage à Jacinte ; mais il a besoin pour dégager ces terres, du petit argent comptant qu'on donne à Jacinte : c'est un parti fort avantageux pour elle, en un mot, car il est vieux. Il m'a mis dans ses intérêts enfin. Il vous a promis, m'a-t-il dit, un petit présent comme à moi. Je crains bien, que quelque jeune étourdi ne lui ait inspiré autre chose. Ce matin en la menaçant de son couvent, je l'ai trouvée rêveuse ; ses petites naïvetés étaient moins gaies, mais plus spirituelles qu'à l'ordinaire. Chut. La voilà qui sort de la Salle de jeu. Bon, bon, nous verrons si elle l'exprimera naturellement. Une jeune innocente, qui n'a jamais vu que son Cloître, est bien étourdie de se trouver dans la maison d'une mère qui donne à jouer. Hé de quoi donc ? Je vous l'avais bien dit, Mademoiselle ; il y a quelque différence entre la maison de votre mère, et un couvent. Ah ! Vous vous êtes trompée. Çà, mademoiselle, il y a longtemps que je ne vous ai entendu chanter, j'en meurs d'envie. Oui, comme si vous sentiez naître l'amour. Vous exprimez bien que vous n'osez ; mais il faut chanter comme si vous sentiez ce qu'elle sent. Oui elle en a sa suffisance. J'approfondirai tout à l'heure cet amour-là. Non, Monsieur. Vous ne disputerez donc point contre Madame, au sujet de Jacinte qu'elle marie ? Je conviens que c'est l'affaire de Madame ; cependant vous êtes le beau-père. Çà, Monsieur, nous voulons pourtant vous proposer un bon parti pour Jacinte, c'est ce vieux Chevalier que vous connaissez. Oui, oui, nous rentrerons tout à l'heure au Concert ; mais vous n'y avez été guère attentive ; vos yeux y ont eu plus de plaisir que vos oreilles, parlez-moi franchement. Vous soupirez comme quand on a du chagrin. Allons ne vous contraignez plus, achevez de vous soulager, dites-moi tout ce que vous avez sur le coeur. Mademoiselle. Vous venez de regarder là-dedans un jeune homme, qui n'aura pas diminué votre envie. J'ai aussi une curiosité, Mademoiselle. Ma curiosité à moi, c'est de savoir si le fils de cette Marquise qui vous regarde tant, ne vous aurait point inspiré un peu d'amour. Je croyais que c'était à vous à me l'apprendre. Je vois bien que vous avez de l'érudition. Quand vous lisez ces amours-là, aviez-vous bien envie de voir la fin du roman ? Ce que j'en pense ? Hé mais... C'est mon opinion, Mademoiselle ; oui vous pouvez être sûre que vous aimez ; mais êtes-vous sûre d'être aimée ? Voyons. Il n'est pas question de cela, Mademoiselle, il s'agit d'oublier entièrement un homme que vous ne sauriez jamais épouser : car enfin dans la situation de vos affaires, étant fille d'une mère ruinée, et Dorante dépendant d'une mère intéressée, il est impossible... Mais les voilà qui vont chez votre mère, Dorante vient ici ; croyez-moi, Mademoiselle, évitez-le puisqu'il ne vous est plus permis de l'aimer. Madame Orgon, vous attend chez elle, Madame. Là, là, là, là, là, là. Chantons à Madame, ce petit duo, qu'elle nous a demandé là-dedans, contre les Joueurs et contre les Amants. Un Amant bien traité dans son premier transport, Jure et s'écrie, Oui j'aimerai jusqu'à la mort L'objet qui fait le bonheur de ma vie. Lorsqu'un calme ennuyeux endort le dieu des vents Dans une oisiveté profonde, Il s'amuse à crever l'onde Les discours, les serments Des joueurs, et des amants. Cela va bien pour nous, allons chanter là-dedans, Madame. Ah ! Je vous cherche, Monsieur Triolet. Ce billet tendre de Dorante, que j'ai promis à Jacinte. Je n'ose le donner moi-même à la Marquise, elle est babillarde ; ni son fils, ni Jacinte ne me le pardonneraient jamais. Trouvez moyen de le faire voir à la Marquise, je vais lui chercher moi des chansons qu'elle demande. Oui, oui, elle est ouverte. Les affaires de notre vieux Chevalier vont à merveilles ; la Marquise ne consentira point que Dorante pense à Jacinte, elle se déclare si fort contre les mariages d'amour, qu'elle demande des chansons. En est-ce-là une contre l'amour ? Donnez. J'entends. Elle vient. Lire, lire, loure, loure. Il m'apprend une chanson contre l'amour. Mariez-vous sans amour, L'amour viendra peut-être ; Mariez-vous par amour, L'Hymen le fera disparaître : Choisissez le plus sûr, pour vous aimer un jour, Mariez-vous sans amour, L'amour viendra peut-être. L'Hymen est fils d'un enfant, L'amour seul le fit naître ; L'Hymen vieillit en naissant, Il est obstiné, grondeur, traître, Et d'abord cet ingrat par un poison charmant, Fait mourir en se jouant L'amour qui l'a fait naître. Ah ! Je suis perdue : c'est un billet que j'ai pris à Jacinte, rendez-le moi, Madame. Ne dites donc pas que c'est moi. Hé ! Madame, faut-il que je sois cause... **** *creator_dufresny *book_dufresny_joueuse *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_joueuse *dist2_dufresny_prose_comedy *id_CHAMPAGNE *date_1709 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_champagne Que Monsieur votre oncle, ce vieux Chevalier vous viendra prendre à quinze heures pour l'Opéra. Il y a Madame la Présidente, qui vous attend à cinq heures pour aller à la Comédie. Il y a une partie d'ombre à cinq heures aussi.