**** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_LEBARON *date_1739 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lebaron Il faut se lever plus matin, Valère ; oui, beaucoup plus matin. Il est vrai: mais j'y étais encore avant toi. On fait tous plus tard à présent ; tout se retarde. Oh ! De mon temps, on se levait plus matin. Nous verrons. Il faut achever cette année, la terrasse neuve. Et si nous ne profitons pas de la belle saison... Quel est cet homme, Thibaut ? A-t-il un métier ? Cherche-t-il-de l'ouvrage? Qui, ton Maître ? Il aura le temps de se délasser ici. Allons, Valère ; je veux qu'il trouve mon jardin propre et bien tenu. Toi, Thibaut, vas promptement faire aller la petite cascade du potager. Te tairas-tu, Bourreau ? Comme nous fîmes la dernière fois, vas t'en faire tirer de l'eau au grand puits ; remplis le réservoir. Tu n'as pas plus d'intelligence : tu ne te soucies non plus de l'honneur d'une maison... C'est une bagatelle. J'ai toujours fait les bassins, et les cascades, et je n'ai plus que les sources à trouver. Ne dis point à ton maître ce que tu viens d'entendre. Vas donc, Thibaut. Eh ! Bonjour donc, Dorante ! Soyez le bien arrivé! Je ne vous attendais que demain. Vous êtes en bonne santé ? Voilà le principal. Ce n'est rien. Vous êtes en bonne maison ; on aura soin de vous. Lui-même. Il fera ce qu'il doit pour mériter la vôtre. Allons, Dorante, venez faire un tour de promenade. Vous prendrez d'abord une idée générale du terrain. Cela vous fera plaisir. Dites plutôt à Rosalie. Tout ce qui a l'air d'empressement plaît au beau sexe. Mais nous avons du temps. Elle est allée avec sa mère dîner à une demi-lieue d'ici. Elles ne reviendront que sur le soir. Bon ! À votre âge, j'aurais fait cent cabrioles après la plus grand course. Eh bien ! Je vais faire servir le dîner. Du moins, nous allons, mon Neveu et moi, vous montrer la Maison. Vous verrez le parti que j'ai tiré de tout ceci, et surtout de mes greniers. Venez ; cela sera bientôt fait. Vous choisirez votre appartement. Voulez-vous celui-ci ? Il est commode. Cette salle lui sert d'anti-chambre ; j'y passe à tous moments. Je pourrai vous parler, vous consulter... Au reste, vous allez être couché comme on n'est point à dix lieues à la ronde. J'ai des lits... J'agis sans façon. Je vous laisse. Mais, vraiment, il a témoigné assez d'impatience de la voir. À propos, j'oubliais de te dire... Comme tu voudras. Il faut que tu... Il t'a dit lui même qu'il ne la connaît que par un portrait. Je disais donc... Ma foi, je n'en sais rien. Veux-tu que j'aille m'occuper de toutes ces balivernes-là. J'ai des affaires bien plus importantes. J'ai ma montagne dans la tête. Sans doute. Je suis bien aise qu'on la voye ; car elle est charmante. Que veux-tu dire ? Es-tu fou ? Je te parle des charmes de ma maison, de mon Jardin, qui... Mais, vraiment, je le crois. C'est un des plus beaux points de vue en France. Va, mon cher neveu, tu posséderas un jour tous ces charmes-là. Tu me ravis d'aise. Embrasse-moi, mon cher neveu, mon digne successeur. Tu peux compter que... Eh ! Quoi, Mesdames, déjà de retour ? Tant mieux : nous aurons le plaisir de dîner avec vous. N'êtes vous point un peu fatiguée ? Oh ! Vous ne garderez pas longtemps cette autorité. Dorante est arrivé. Oui, oui arrivé. Que diable veux-tu dire ? Est-ce que tu ne le sais pas, toi ? Il est charmant, agréable, vif, sage, et posé. Oh ! C'est un jeune homme forte aimable. Dis donc Valère ! Il ne comptait vous voir que ce soir. Et, comme il a couru jour et nuit, il était, si las, si las... Ah ! Il trouvera le secret de réparer sa faute ! Bon ! Bon ! Est-ce ce qu'on se fatigue dans un jardin qu'on n'a jamais vu ? Comment donc ! C'est un magnificence... Ah ! Sans la montagne, elle serait admirable. Il m'est facile de vous en convaincre. Hé, Thibaut. Je ne dis mot ; mais elle sautera. Patience. J'ai des neveux qui se marieront, laissez moi faire ; à la cinquième génération, je ne veux pas qu'il en reste trace ; vous verrez. Moi, j'aime les objections : on a le plaisir d'y répondre. Voici Thibaut. N'est-ce pas mon grand Plan. Déroule, Thibaut, deroule, et tiens le plan élevé. Bon. Vous êtes charmante ! La belle Rosalie ne me dira t-elle rien. Vous vous amusez à des minuties, Madame. On en marque toujours dans les plans ; cela les embellit. Du reste, je trouverai sûrement de l'eau dans la montagne que vous savez. Suivez mon doigt. Eh ! Non ; parbleu Madame ; c'est le potager. Prenons-les ; vous m'y faites penser. Oui, celle que je vais fair planter incessamment. Courte ! Elle aura plus de trois lieues. Comptez, comptez les arbres ; vous verrez. Je nE le comprends pas, je l'avoue. Mais, pour vous, Madame, vous allez le concevoir dans un moment : voici le terrain qu'occupe la montagne. Sans doute ; et une vue... Il connait la situation comme moi-même : c'est lui, Mademoiselle, qui a dressé le plan sur mes projets. Jaurai soixante avenues de cette taille-là. Oh ! C'est mon talent à moi. Par exemple, voyez-vous la grande terrasse ? Devinez combien elle aura de haut, quand elle sera faite. Ah ! ah ! ah !... Que vous n'y êtes pas ! Elle aura cinquante-sept pieds huit pouces et demi ; n'est il pas vrai, Valère ? Pour moi, je n'appréhende pas que la tête me tourne. Non, pas encore. Mais, supposez qu'on ne voulût pas me les vendre, il faudrait être de bien mauvaise humeur, pour refuser, sur ces terres, d'aussi beaux plans que ceux-ci. J'aperçois le Maître-d'Hôtel. Ces Dames sont servies ? Belle Rosalie, donnez-moi la vôtre. Thibaut, je te recommande mon plan. Qu'est-ce, Mesdames ? Vous sortez avec une grande précipitation ! Je le vois, l'impatience de la promenade... Comment donc ! Y pensez-vous ? Et Dorante, que dirait-il ? Qu'y a-t-il donc de si pressé ? Comment diantre ! Votre honneur ? Que vous a-t-il donc fait ? Comment ! Petit écervelé, vous insultez Madame, à son âge ! Sans égard pour... Son amour ! Son amour est impertinent. Est-ce qu'on doit en avoir pour vous, Madame ? Petit coquin, une femme respectable!... Une jeune barbe qui ne songe pas que vous seriez sa mère, et qui ose vous manquer. Oui, c'est un extravagant, un petit étourdi, qui n'a rien vu, et qui ne vous connaît seulement pas. Ce serait une folie impardonnable, à son âge : mais il n'y retournera plus, Madame ; et je vous demande pardon de sa témérité. Comment ! Vous ne disiez pas que c'était à vous ?... Oh ! Oh ! C'est autre chose. Quoi! Monsieur ! Mais ceci mérite réflexion. J'approuve votre colère, Madame ; mais je désapprouve votre départ: et, qui plus est, je vous conseille de demeurer ici, comme si de rien n'était. Oui, Madame ; vous devez agir ici de sang-froid, et vous posséder : c'est moi qui vous le conseille, qui suis vif, comme vous venez de le voir. L'éclat que vous feriez serait plus dangereux que l'affaire même. Dorante n'est point instruit de ce qui s'est passé ; le moyen de le lui cacher, c'est de laisser les choses au même état. Tais-toi : je te parlerai. Tu verras comment je saurai faire passer cet amour prétendu, cette bouffée de jeunesse : je t'apprendrai si l'on doit aimer à ton âge, et dans mon château, sans ma permission ! Si tu parles, je te ferai conduire dans mes prisons. Laissez-moi faire. Je me fâcherai pour vous et pour moi. Quand ce mariage ne vous serait pas avantageur, madame, vous avez donné votre arole : comment y pourrez-vous manquer ? Et pour une petite fantaisie musquée d'un godelureau, j'irais passer, moi, pour... Car enfin, c'est moi, c'est chez moi, c'est mon neveu. Au fond, cela n'est pas difficile. Vous ne direz mot de ce qui vient d'arriver. Cette aventure sera donc secrète ; il n'y aurait à craindre que ce petit-monsieur là. N'en soyez point inquiète, quand il serait malhonnête homme... Suffit, je vous en réponds. Il n'y aurait point de remède, s'il nous avait écouté. Il n'y aurait point de remède, s'il nous avait écouté. Il ne sait comment nous aborder. Il faut cacher notre embarras. En vérité, Dorante, il est bien singulier que vous paraissiez devant ces Dames en robe-de chambre. Vous m'aviez paru plus galant. Vous êtes toujours naturel, toujours jovial. Oh ! Je vous reconnais bien. En vérité, Dorante, c'est moi qui ne vous connaîs plus. Mais pensez donc, Dorante... Arrêtez, Madame. En punissant votre fille, vous achevez de la perdre. Mon neveu peut réparer le tort qu'il faisait à Rosalie. Nous sommes amis, vous et moi. Puisque Monsieur persiste dans ses refus... Quel est ce galimatias ? Coquin, rêves-tu ? Pouvez-vous le demander ? Que vous importe, puisque votre mariage est rompu ? Allons, allons, mes enfants ; tout en nous promenant, nous prendrons des mesures pour ne pas retarder votre bonheur. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_LACOMTESSE *date_1739 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse La Comtesse est malade : nous n'avons fait qu'une visite. Comme il était encore de bonne heure, nous avons mis pied à terre à la grille, et nous sommes venues jusqu'ici en nous promenant. Je ne me lasse pas aisément, Baron. Prononcez donc, Mademoiselle. Vous dites cela si faiblement. Il faut dire: « Oui Monsieur.» Je voudrais bien voir que tout ne lui fût pas indifférent, tant que j'aurai l'autorité sur elle. Il est arrivé ? Eh ! Bien, qu'est-ce qu'on répond ? Mademoiselle répondez donc. Oui, parce que vous devez l'épouser, n'est-ce pas ? Mais cela ne s'entend point. Il faut dire : « Monsieur, le choix de mes parents me le fera paraître accompli. » Tout le monde dit que vous avez de l'esprit : pour moi, je ne vois point cela. Mais où est Dorante? Dormir, à l'heure qu'il est ? Qui le pressait de courir si vite ? Pour quoi faire ?Pour se reposer ? Pour dormir ? Rien n'est si maussade. Il n'avait qu'à dormir hier, et n'arriver que demain. On ne l'attendait pas plutôt. Qu'en pensez-vous, ma fille? Par exemple, ou ne sait si c'est la modestie qui vous fait parler, ou si vous êtes piquèe. Mais, vraiment, il faut pourtant se sentir. Dormir tout en arrivant ! La Jeunesse d'à-present, Baron, n'a que le corps délicat. Ceci ne me prévient pas trop. Oui, demain vous le promenerez dès le point du jour, je gage ? Vous le ferez courir ? Et puis il faudra qu'il se repose. Fort bien ! Quand le terrain en est aussi inégal. Je crois qu'il y a plus de vingt terrasses dans votre jardin. Cependant vous n'avez guère de vue. Oui : mais la montagne ne changera pas de place. C'est une enterprise digne des plus anciens Romains. N'êtes vous pas honteuse, Mademoiselle de votre ignorance, et de ne pouvoir vous entretenir de tout, comme je fais ? Ah ! Je vous donnerai de bons conseils. Je n'ai cependant jamais parlé de ces choses-là : mais l'esprit est un bon meuble ; il sert à tout. Que voudriez-vous qu'elle y entendit ? Montrez, montrez-moi. Ne sont ce pas là des canaux, des pièces d'eau ? Cependant je ne crois pas en avoir vu chez vous. Voyons plus en détail. C'est donc là votre basse cour? Je crois qu'il vaut mieux mettre mes lunettes. Ceci est l'avenue ? Elle est bien courte ! Bon ! Elle n'est pas plus longue que ma main. Un, deux, trois, quatre, cinq. Je compte les arbres de l'avenue. Parlez, parlez toujours. Cent cinquante cinq, cent cinquante-six. Quand vous l'aurez abattue, ce sera donc une plaine ? Je ne croyais pas Monsieur si savant. Instruisez-vous, ma fille. Je voudrais que Monsieur pût vous inspirer du goût. Deux-cent-soixante et treize ! Voilà une très belle longueur, il faut en convenir. Baron, vous avez des idées... Mais des idées à perte de vue. Apprenez, Mademoiselle, que ce sont justement les difficultés qu'il est beau de vaincre. Combien ? Eh ! Mais... Comme cela ? Cinquante-sept pouces et demi ! Cela est merveilleux ; mais c'est un précipice : je n'irai jamais, la tête me tournerait. Cela vous menerait à savoir ce que je sais. Allez, Monsieur, laissez là dans son ignorance ; elle ne mérite pas la peine que vous prenez. En vérité, Baron, je suis très contente de ce que j'ai vu, et j'y donne mon approbation. Mais, dites-moi, toutes ces terres sont-elles à vous ? Allons, Baron. Valère, donnez-moi la main. Que vois-je ? Ma fille ! Valère ! Ah ! Juste Ciel ! Se peut-il... Que ma fille... Que mon sang... Oh ! Sans doute, vous ne prévoyiez pas que je vous surprendrais. Après cette aventure... je ne saurais parler. Votre oncle, Monsieur ! Il me fera raison de l'insolence de vos procédés. Vous êtes amoureux de ma fille ! Je vous trouve à ses genoux ! Il n'est point d'extrémité... Elle vous écoutait : cela sussit pour mériter toute mon indignation. Si la chose éclate, un couvent me répondra de vous, Mademoiselle. Je saurai vous y tenir pendant toute votre vie. Un instant ! Comme si l'on ne savait pas ce que c'est qu'un instant ! Allons, partons, plus de raisonnement. Je sors pour tout-à-fait, mon cher Baron... Je veux partir sur le champ ; je veux retourner à Paris. Il n'a qu'à venir m'y trouver. Mon honneur est offensé. Et je vous demande justice de l'insolent amour de votre neveu, ou je saurai me la faire. Non, Baron ; son amour... À l'autre ! Il extravague. La colère me suffoque. Il est devenu fou ! Savez-vous bien, Baron, qu'il y a une heure que vous ne savez ce que vous dites ? Que voulez-vous dire de mon âge, que je serais sa mère ? Je vous trouve original de croire qu'il faut être fou pour m'aimer ! Et qui vous dit qu'il m'aime ? J'aimerais mille fois mieux, vraiment, qu'il se fût adressé à moi ; le mal ne serait pas si grand : mais il a l'insolence d'aimer Mademoiselle ; il n'en fait aucun mystère; il me l'avoue à moi-même ; je l'ai trouvé à ses genoux. Voyez si ma colère est fondée, et si je puis, après cela, demeurer dans la même maison ? Comme si de rien n'était ! Comment l'entendez- vous, Monsieur ? Ah ! Oui, fort à propos. Et moi, je vous signifie que je veux être en colère dans vingt ans. Allons Baron, soyez vif ; ne vous ralentissez point. Je sens... Oui, je sens que votre colère me tranquillise. Songez que c'est un mariage que vous vez fait, un mariage conclu, fini, où l'on fait à Mademoiselle le plus grands avantages. Oui, vous avez raison. Emportez vous, Baron, emportez-vous ; vous devez être furieux. Pour moi, je me calme : par politique, au moins ; car je ne me connais plus... Mais il s'agit, comme vous dites fort bien, de sortir d'embarras. Non, puisque vous le voulez ; sans cela, mademoiselle, mademoiselle... Votre douceur me paraît inconcevable : enfin, vous me rendez douce, et je suis confondue, baron ; je m'abandonne à vos conseils. Mais, ciel ! N'est-ce pas là Dorante ? Vous nous mettez dans une jolie situation, Mademoiselle ! Qu'il a l'air occupé ! Il ne se soucie plus de plaire à ma fille, preuve de mépris ! De quelque façon que soit Monsieur il est toujours bien. Je suis de votre avis, Monsieur ; vous avez raison; il faut ou beaucoup faire de façons, ou n'en point faire du tout. Voilà ma fille qui... Déguisée ! Que voulez-vous dire, Monsieur ? Vous nous connaissez bien peu, si vous croyez... Voilà ce que vous m'attirez, Mademoiselle. Mais c'en est trop aussi, que de joindre l'insulte à la familiarité. Sachez, Monsieur, que tout autre parti était plus honnête que celui que vous prenez pour rompre avec nous. Je n'y puis plus tenir. Monsieur, je vous rends votre parole ; je retire la mienne, et rien ne pourra m'engager à vous donner Rosalie. Laissez tout cela, Baron. Je ne veux ni explication, ni ménagement. Vous m'aviez fait faire un sot mariage : votre neveu a trouvé le moyen de le rompre. Trouvez bon que je ne vous voye ni l'un ni l'autre. Adieu. Vous m'eclairez, Baron, sur ma vengeance. J'accepte votre neveu, pour apprendre à Monsieur Dorante que l'on n'est pas sans ressource. Comment ? Quoi ! L'on me voudra faire passer pour rêve la façon indigne dont vous nous avez traitées ma fille et moi. Oh bien ! Monsieur, apprenez à rêver plus poliment. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_ROSALIE *date_1739 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_rosalie Me promener, me reposer, Monsieur, tout m'est assez indifférent. Oui, Monsieur. Il est arrivé ? Il peut-être amiable, Monsieur : mais il ne faudrait pas s'en rapporter à moi. Je ne puis plus en juger sans prévention. Madame, je ne desire pas, de sa part, un empressement plus vif. Je vous jure, Madame, que je ne le suis point. Je vous écoute, Madame, dans l'espérance de profiter. J'ai déjà fait l'aveu de mon ignorance ; je n'y entends rien. Hélas ! À quoi me servirait cette connaissance ? Elle me paraît bien hardie. Il me semble que c'est s'exposer beacuoup ; et... À quoi cela menerait il ? Non, Valère ; j'ai trop de peur. Dites-moi vite ce que vous me voulez. Je veux rentrer au plutôt. Je tremble. Ah ! Que je suis fâchée de le savoir ! Adieu. Jugez-en Valère. Incertaine de vos sentiments, la raison me défendait de m'en convaincre ; je suis pourtant venue vous entendre... Dites-moi vous-même ce qui pouvait triompher de ma raison... Ah ! Valère ! Ah ! Laissez-moi rentrer. Eh ! Que pouvez-vous faire ? Ne vaudrait-il pas mièux oublier ? Hélas ! Je n'ai pas la force de vous dire de ne plus m'aimer. Ah ! Valère, vous ne connaissez pas mère. Le souvenir m'en fait frémir. Les instans s'écoulent... et nous ne les comptons pas. Sortez et laissez-moi vous fuir. Valère, je suis perdue ; voilà ma mère. Ma mère... Le hazard a fait... Je ne prévoyais pas... Que puis-je avoir dit, que puis-je avoir entendu depuis un instant ? Ah ! Ma mère ! Oui. Aurions-nous pu nous en flatter ? Je n'y comprends rien. Mais, quand on est heureux, on doit tout craindre. Pour moi, Dorante, vous le dirai-je ? Je ne vous épousais que par obéissance. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_VALERE *date_1739 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Thibaut, St, St. Viens donc vite; je n'ai peut-être qu'un moment à te parler. J'ai trouvé le secret d'échapper à mon oncle. As-tu rendu mon billet à Rosalie ? Et qu'importe comment ? Dis seulement ce qui en est. Mon cher Thibaut! Ah ! Sans doute, tu auras fait des merveilles ? Oui, je le sais. Au fait, mon cher Thibaut ! Tu n'as donc pas donné mon billet ? Oui, je les ai aperçues de loin. Eh ! Laisse-là tes circonstances. Eh bien ? Finis donc. Que t'a t elle dit, quand tu lui as donné mon billet ? Comment ? Toi qui as tant d'esprit, il ne t'a pas été possible... Juste Ciel ! Mais, en attendant, Dorante, qui vient de Bordeaux pour épouser Rosalie, arrivera peut-être demain. J'en aurais peut-être été moins malheureux : mais tout s'arrange pour rendre mon infortune complète ! Depuis deux ans mon oncle me tient éloigné du monde dans ce triste Château. Qu'avais-je à faire de le suivre à Paris, l'hiver passé, chez sa mère ; le jour même qu'elle fait sortir Rosalie du couvent ? Pouvais-je la voir sans l'aimer ? Dis, mon cher Thibaut. J'ai nourri pendant deux mois, auprès d'elle, une flamme qu'une timidité invincible ne m'a jamais permis de lui découvrir. Je reviens ici avec mon oncle, désespéré de quitter Rosalie, mais flatté de la mériter un jour ; et lorsque je m'y attends le moins, je la vois arriver avec sa mère. Juge de ma douleur, quand j'apprends que son mariage est arrêté avec Dorante et que je vais en être le témoin. Il fallait plaire à Rosalie. Et sur quoi ? Dis donc. Il est vrai que cet hiver j'a cru voir quelquefois que mes soins ne lui déplaisaient pas ; que même elle me devinait. À quoi me servirait-elle ? Je n'ai plus de ressource. Mais tu as raison : je veux parler à Rosalie, avant que de la perdre pour jamais. Puisqu'elle doit voir mon désespoir, je ne veux pas au moins qu'elle en ignore la cause. Je suis enfin résolu... Qu'entends-je ! On vient : et je ne veux pas qu'on nous voye causer ensemble. On soupçonnerait, à me voir, que j'ai parlé de Rosalie, on devinerait que je l'aime. Mais, mon oncle, j'étais à cinq heures aux ouvriers, vous l'avez vu vous-même. Il m'eût été facile de paraître plutôt ; et quoique je n'aye pas fermé l'oeil, demain vous serez content de ma diligence. Ah ! Ciel ! Monsieur... je voudrais... pouvoir... Mon Oncle, Monsieur est fatigué. Croyez-vous, mon Oncle, que Dorante soit prévenu en faveur de Rosalie ? Ce peut-être aussi par bienséance. Et il y a encore loin de la politesse à l'amour ; n'est-ce pas, mon Oncle ? Vous le croyez donc amoureux ? Dorante a-t-il aussi envoyé le sien à Rosalie ? Mais, puisque vous vous êtes mêlé de ce mariage, vous n'en devez ignorer aucune circonstance. Vous leur prêtez votre maison ; et Rosalie aurait pu... Oh ! Oui, mon Oncle ; elle a des grâces, des yeux... Ah ! J'entends ; et vous avez raison. Je regardais tantôt, sur le Boulingrin, un des plus beaux objets... J'y remrquais une beauté que je n'y avais jamais vue : j'en admirais tous les charmes, et... Je posséderais... Et vous, Madamoiselle, n'auriez-vous pas besoin de repos ? Tout, Mademoiselle ? Oui, arrivé. Je ne dis pas le contraire, mon Oncle. Je confirme ce que vous dites. Je ne l'ai vu qu'un moment, mon Oncle ; j'en jugerais mal. C'est Madamoiselle qui doit en décider. Madame, toutes affaires cestantes, ill est allé dormir. Vous ne vous approchez pas, Mademoiselle ? Et vous n'entendez pas non plus les soupirs de l'homme du monde le plus malheureux ? Pourquoi vous défier de vos lumières, Mademoiselle ? On pourrait vous expliquer... À mériter votre pitié. Dorante perd beaucoup, quand il retarde le moment de voir tant de beautés. Admirable, Madame. Et si vous daigniez, Mademoiselle, m'accorder un moment d'entretien, je vous ferais connaître la situation... D'un coeur que votre refus réduirait au désespoir. Que je serais heureux, si j'en avais le talent ! Vous concevez, Mademoiselle, l'effet que cela produira. En sortant de table... Rien ne sera si noble sans contredit. Ici même, dans cette salle... Cela demande de la patience, à la vérité. Si vous voulez m'écouter un moment, vous me sauverez la vie. Mais convenez que c'est une belle entreprise. Oui, mon oncle, cinquante-sept. Vous rêvez, Mademoiselle ? Vous trouvez donc ce que l'on se propose trop téméraire, et vous n'y viendrez point ? Dites naturellement ce que vous pensez. Mon Oncle et la Comtesse sont encore aux mains sur les plans. J'ai prié tantôt Rosalie de venir ici, et de m'accorder un instant d'entretien. Quoiqu'elle ne m'ait rien promis, je vien toujours l'attendre. Je ne veux avoir rien à me reprocher. Il est bien temps de plaisanter. Laisse-moi. Ah ! Rosalie, je meurs content, si je puis vous dire que je vous aime. Dans ce moment je ne sens que mon impatience. Non, non, non. Rosalie peut arriver. Sors, je t'en conjure. Si elle te voyait, tu l'empêcherais de venir ici, tu me priverais du seul instant heureux que j'aurai peut-être de ma vie. Enfin, j'en suis défait. Je me suis peut-être trop flatté ; Rosalie ne viendra pas. Cependant elle est triste. Mais Dorante lui peut être indifférent, sans qu'elle ait plus de sensibilité pour moi ! Ah ! Dieu ! J'aperçois Rosalie. Quoi ! Vous avez la bonté de venir ! Avancez donc quelques pas ; on pourrait nous entendre. Calmez-vous, de grâce, belle Rosalie : donnez-le moi tout entier, ce moment que vous m'accordez. Eh bien ! Charmante Rosalie, n'écoutez donc qu'un mot, puisque vous le voulez ; je vous adore. Encore un mot, divine Rosalie. Serais-je assez heureux pour n'être point haï ? Non, demeurez, je vous en conjure. Je n'attendais que cet aveu fortuné: sans lui je n'osais agir, cette faveur m'était nécessaire pour vaincre une timidité fatale a notre bonheur. J'en triomphe en ce moment. Je vais tout mettre en usage pour retarder, pour rompre même un hymen auquel je ne survivrais pas. Plutôt mourir mille fois ! Laissez-moi tenter tout ce que l'adresse, la violence, les prières, les larmes, enfin tout ce qu'un amour excessif pourra m'inspirer. Il faut vous obéir. Mais, en vous quittant, laissez-moi vous rendre grâce de ma félicité, et vous jurer une fidélité éternelle. Ah ! Dieu ! Calmez-vous, Madame. Apprenez qu'une sentiment aussi tendre que légitime, et que je me flatte que mon oncle approuvera... Mais, Madame, croyez qu'elle n'a point de part... Moi, mon oncle ! Je vous jure que... Je vous proteste, mon oncle, que j'ai pour Madame un respect infini. Ah ! Mon oncle. Si vous daigniez ajouter à tant de bontés... Mon oncle... Plut au Ciel ! Il a tout entendu. Rien n'égale monbonheur. Quoi ! Vous êtes à moi? Que veut dire tout ceci ? Au moins, Madame, vous étiez bien éveillée, et mon oncle aussi, lorsque vous m'avez promis Rosalie. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_DORANTE *date_1739 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Je n'a pu résister à l'impatience de voir Rosalie, et à celle de vous rendre grâce d'une union qui va faire mon bonheur. J'avouerai que je suis fatigué. J'ai couru jour et nuit. Ne serait-ce pas là Monsieur votre neveu ? Je l'ai vu si jeune, que j'ai des droits sur son amitié. Ne serait-il pas plus convenable que vous me fissiez l'honneur de me présenter à Madame ? Je ne la connais que sur son portrait. Sa figure prévient ; et vous ne pouvez qu'approuver le juste empressement que j'ai d'en juger par moi-même, quoique, dans cet équipage, je ne sois pas trop en état de paraître devant elle. Ces Dames ne sont point ici ? En ce cas, permettez-moi de profiter de la circonstance. Trouvez bon que j'aille me reposer. L'envie de leur faire ma cour m'aurait donné des forces ; mais je me trouve si fatigué... Je voudrais pouvoir vous ressembler : mais je sens que quelques heures de repos me sont absolument nécessaires. Il m'est inutile, je vous assure. Tout m'est égal. Celui-ci, soit. Demain je suis à vos ordres. Vous disposerez de moi à toutes les heures du jour. Je n'en doute nullement. Je vais en profiter, et de la liberté que vous me donnez. Suis moi, Frontin. Allons donc... Allons donc... Un autre cheval... Te dépêcheras-tu ? Il est tard... La nuit... Au Château... Rosalie... Frontin !... Coquin !... Tu boiras ce soir...Ivrogne !... Paresseux !... Ah ! Les mauvais chevaux ! Ohé, ohé, ohé ! Doucement ! Non pas. Il faut arriver. Ohé, ohé ! Ohé, ohé ! Argante ?... De l'argent ?... Il faut lui rendre... Cent pistoles... Il est bien pressé... Écrivons. Appellez Frontin, Monsieur Argante. Vilain, je l'écris. Frontin, au coffre-fort. Tiens ma lettre, Frontin. Ma lettre... Argante... Un sac... Prenez ce sac... Rapporte mon billet. Partagerons... Voleur, je t'étranglerai. Au voleur ! Au voleur ! Où suis-je, Frontin ? Pourquoi m'as-tu laissé sortir ? Pourquoi m'as-tu quitté, coquin ? Ah ! Je me suis trahi. Je m'en souviens ; je suis chez Monsieur le Baron. Que fait-là cet homme ? Je suis au désespoir. Je croyais qu'on me volait. Il n'y a rien que je ne te donne pour t'engager au secret. Que penserait Rosalie ? Elle ne me connaîtrait que pas mes défauts. Je te promets vingt louis, trente, s'il le faut, pour te contenter. Voudrais-tu me perdre ? Il fallait bien un bal... À des noces... Oui, toujours bien... En Courier... En Turc... En Domino... Tout est égal. Ma foi? point de façons... Vous ne faites point de façons, il me paraît. Ah, ah, ah !... Ah, ah, ah !... Vous me connaissez ?... Non... Oh ! Non. Ah, ah, ah. Votre fille !... Ah, ah !... Bien déguisée... Ah ! Ah !... Bien déguisée... Ah, ah. Ma foi, je ne la connais, ni ne veut la connaître... Plus !... Tant mieux... Ce sont des masques. Ouf ! Je suis beaucoup mieux... Je vois tout le train... Qu'elle aille se promener avec un autre. Aye ! Où suis-je ?... Ah ! Monsieur le Baron, c'est vous ! Tirez moi de peine, je vous conjure ; n'ai-je rien dit ?... N'ai-je rien fait ?... Il est rompu ! Ciel ! Je ne puis comprendre... Quoi ! C'est à Valère... Cet aveu ne me permet par d'insister ; et je ne dois plus que rire d'une aventure qui nous empêche tous trois d'être malheureux. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_THIBAUT *date_1739 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_thibaut Monsieur ! Ca n'est morgué pas maladroit. Il veut que vous soyez toujours, comme son ombre, après li. Vous allez entendre comme je m'y sommes pris. Monsieur le Baron est notre Maître ; vous êtes son neveu. Il vous laira son Châtiau, à condition d'achever ses plans. Je sis son Jardinier: je deviendrai le vôtre ; il est juste que je vous servions d'avance. Savez-vous ? Morguienne, je tromperais mon père pour vous. Mademoiselle Rosalie est entrée ce matin dans le Jardin avec sa mère, comme vous savez. J'avons été pardevant elles ; je leur avons ôté mon chapiau, croyant qu'alles me diraient : "Bonjour, Thibaut". C'était le jeu, m'est avis ; et j'aurais pris ma belle, pour... Alles n'avont pas desserré les dents. Comme vous êtes vif ! Alles se sont arrêtées dans le boulingrin. Me v'là, moi, à aller travailler pardevant elles. Je chantions; je les regardions ; mon ratiau par ici, mon ratiau par-ilà. Alles ne m'avont pas tant seulement regardé. Quand j'ai vu ça, je me sis avisé d'un bon tour. J'ai dit à la fille que je savais où il y avait un nid de fauvettes. Ces petits ménages-là faisont quelquefois penser à de plus grands ; les jeunes filles les aimont d'ordinaire. Eh bien ! Quand j'avons vu que le mère le voulait voir itou, je ne l'avons jamais pu trouver. Rian; car le v'là. Quand j'en aurions quatre fois d'avantage, comment pourrions-je aborder une fille qui ne sait pas que je lui voulons quelque chose, pendant qu'alle est avec une mère qui sait bian que je ne li devons rian vouloir. Et pis alles ne m'avont pas donné le temps ; alles sont montées dans le carrosse pour aller chez cette Comtesse où alles vont dîner. Faut bien attendre qu'elles reviennent. Faut être raisonnable. Par bonheur pour vous que votre oncle prête son Châtiau aux Accordés, afin qu'ils se regardiont avant la noce. Et si ce Dorante avait été tout droit à Paris, vous n'en auriez morgué rien su. Oui, comme s'il voulait vous faire hermite. C'est bien traître ! Ca n'est pas bien aisé, d'accord. Stapendant, on ne bat pas les gens pour ça. Il fallait parler plutôt. Vous lui plaisez peut-être : j'en ai opinion, moi qui vous parle. Sur quoi ! Tatigué, j'ons observé. Alle ne vous regarde jamais quand alle vous voit ; et pis, drès que vous vous en allez, alle tourne sa tête ; alle vous suit de l'oeil, tant et si loin, qu'alle vous regarde encore, morguenne, quand alle ne vous voit plus. Et vous, vous ne disiez rian ! Tout franc vous êtes trop timide, trop craintif, trop nigaud, sauf votre respect. Morgué, notre jeune Maître, croyez-moi; prenez tant seulement de la hardiesse. Où diable courez-vous donc ? Par la sambille, voilà un amoureux bian résolu ! Hé ! Palsangué, oui... C'est toi, mon neveu Charlot ! Embrasse moi, mon enfant. Morgué ; je sommes ravis que tu sois venu nous voir... Depuis quatre ans... Et qui cherchais-tu donc ? Et que li veux-tu ? Qu'as-tu fait depis que je ne t'avons vu ? Comment te portes-tu, mon pauvre Charlot ? Es-tu riche ? As-tu fait forteune ? Es-tu marié ? Es-tu... Dame, vois-tu ; quand il y a longtemps qu'on ne s'est vu, on a tant de choses à se demander !... Parguenne, tu réponds encore plus vite que je ne t'interroge. Que fais-tu à present ? Ah ! Je sais ce qui t'amène à présent. N'as-tu pas de honte de t'être fait Laquais, étant fils, petit-fils, frère et neveu de Jardinier ? Morgué, c'est que t'es un fainiant : je te l'avons toujours bian dit. T'en es las ? Eh bian ! Prends l'occasion aux cheveux ; demeure avec moi. Je sis Jardinier dans ce châtiau. Ce Monsieur le Baron est une fortune pour tous les ouvriers. Il plante, pis déplante; il arrache; il défriche; il élève; il abbat; en un mot, bien ou mal, il fait toujours travailler. L'argent roule. Vois-tu comme ça sonne ? Ce que ça te fait ? Je sis veuf, je t'apprendrai le reste de ton métier. Et pis, quand je serons morts, je te lairons ma place ; tout le plus tard que je pourrons, s'entend. Tu feras mieux de l'attendre dans cette salle. Il y vient cent fois par jour. Ne t'embarrasse de rian, te dis-je. Revenons à nos moutons. T'es dégoûté de ta condition ? Et pourquoi ? Ton Maître est-il hargneux, avare, ivrogne ? Achève. Ça est naturel. M'est avis que je sis jardinier, moi, la nuit tout comme le jour. Parguenne, oui. C'est la besogne que je faisons le mieux. Comment donc ça ? Dis-moi un peu. Comment ! Morgué ! Tu seras craintif aussi ? Ça te convient bien à toi ! Comment ! Moi, ton oncle, qui n'avons point d'autre héritier que toi, tu sauras quelque secret, et je ne le saurons pas ? Morgué... Et qui le dira ? Dis. Ce sera donc toi ? Car, pour moi... Bon ! Bon ! Tu vas le quitter. Et pis je te promets, ma foi, de n'en sonner mot. Que de raisons ! Veux tu parler? Comment dis-tu ça? Son.. son.. nanbule ! Que Diable est ça ? Est-ce une charge, un emploi ? J'entends, j'entends. Sonanbule—c'est qu'i ne pouvont se marier; qu'il est... là... Oh ! Dis donc vîte. Son—Sonanbule. Je n'avons jamais entendu parler de ça. Ah ! Il est malade! Je n'entends plus. Ah ! Je vois ce que c'est ; il ne saurait dormir. Oh ! Parguenne, accommode-toi donc. S'il dort, il n'est point éveillé. Oui, ça se peut, si le Diable s'en mêle. Si j'en faisions autant, je nous casserions le cou. Acoute, mon neveu, ça n'est morgué pas bien de se moquer de son oncle. Comment ! Morgué ! Tu veux me persuader que ton Maître dort tout de bout. À d'autres ! Vas, ton Maître est un fou, et toi aussi. Paix chut, voici notre vieux Maître. C'est mon neveu, Monsieur. La cascade du potager, Monsieur ? Vous savez bian qu'il n'y a pas une goutte d'iau ; et morgué la source n'est pas encore trouvée. Oui, Monsieur; c'est le beau ; c'est celui que je portons toujours, drès que vous avez du monde. Oui, je vivons dans l'esperance ; je détruisons douze arpens de veigne : que de vin perdu pour avoir de l'iau ! Tatigué, que vous allez voir clair ! C'est là le Hic. Allez, Monsieur ne vous boutez pas en peine. Avec son parc ! Il est, morgué, bian fou. Oh ! Je ne nous y connaissons pas, ou cette jeunesse en revendra à cette vieilliesse. Notre jeune Maître s'est un tantinet enhardi ; il a glissé queuques paroles, et j'ai bian vu que la petite Demoiselle lui glissait aussi queuques réponses avec les yeux. Je voudrais stapendant l'avertir de ce que mon neveu Charlot m'a dit de son—son—son—soin ! Je ne savons plus comment ça se nomme. Il y entendra peut-être queuque chose ; car ils l'avont biaucoup fait étudier ; je l'attendrons ici en sortant de table. Mais, vela mon neveu ; faut que je le fasse encore dégoiser. Est-ce encore pour m'en bailler à garder comme tantôt ? Queuque sot ! Tout-à-l'heure je allons te mener à la cuisine. Mais je voulons te demander trois ou quatre petites questions. Ne t'embrasse pas, je croirai celles qui me conviendront. Quoi faire ? Ne dort-il pas? Est-ce qu'il ne saurait dormir qu'on ne le garde ? T'en es encore là-dessus. Morgué, je te défends de m'en parler davantage. Dis-moi tant seulement : ton maître est-il amoureux de sa prétendue ? J'ai, morgué, cru que tu m'allais dire encore qu'il ne l'était qu'en dormant ; je t'y attendais. Mais comment n'est-il amoureux qu'en peinture ? Il a morgué raison ; il suppose bian. Mais dis-moi... Allons, vians à la cuisine ; je te questionnerai tout en buvant. Tu crois donc... Tiens, voilà ton maître qui veut te parler. Attends, attends donc. Est-ce-là ? Oh ! Oh ! M'est avis qu'il rêve en effet, ton Maître. Il dort. Je commence à le croire. Son allure, son oeil, tout ça me semble partroublé. Morgué, j'ai peur. Ca tiant de l'esprit, du revenant, m'est avis. Tu as raison ; je crois qu'il dit la vérité. Quel diable de rêve est ceci ? Monsieur, Monsieur, doucement, s'il vous plaît. Pargué, ôte-le toi-même ; tu dois être plus fait que moi aux étrivières. Attends, attends, cela commence à me faire rire. Il a le sommeil bien riche. Morgué, je n'avons jamais rêvé de ces choses-là. Parle donc, neveu ; t'es donc son caissier ? Ah ! Ah ! Le sac! Prenons, prenons ; nous le partagerons. À l'aide ! Frontin... Monsieur, Monsieur, vous serrez trop fort. Commencez du moins par me fouiller. Frontin ! Mon neveu ! Au secours ! Prends-li, morgué, tout ce que tu voudras ; mais tire-moi de ses pattes. Queu chien de sommeil ! Oui, de par tous les Diables, vous y êtes. Morgué, c'est sti-là que vous étrangliez. Pargué, vous croyez trop vite. Pargué, Monsieur, vous avez insulté mon honneur, ça n'est pas bian. Trente louis ! Morgué... Mais ne rêvez-vous pas actuellement que vous me dites ça ? Il n'a, ma foi, pas tort. Un sommeil comme sti-là ne doit pas vous avoir reposé biaucoup. Vela, morguienne, une recommendation bian sèche, et un drôle de répondant ! Tout ce que j'avons vu du depuis un moment, me partrouble. Non, morgué, m'est avis que je rêve moi-même. Ne suis-je pas itou son, son...janbule ? Que sait-on ? Je parlions ; je marchions ; j'avions les yeux ouverts; enfin, c'est tout un. Que diable ! S'il m'avait donné son mal ; ça se gagne peut-être. St'homme-là a le sommeil bian vigoureux, il en faut convenir. Sans Frontin, sans le petit doigt, j'etions autant d'étranglé. Queu train tout ça a mis dans ma tête ! Je ne savons où j'en sommes. Eh ! Monsieur Valère, venez vite. Mais comment diantre m'y prendrai-je pour lui dégoiser tout ça ? Oh ! Palsanguienne, allez, Monsieur, vous ne savez pas... Et moi, morgué, je venons de vous y trouver avec un homme qui dort tout debout. Quand alle sera sa femme, si ce Monsieur Dorante allait rêver qu'alle est avec un autre ! —Morgué, vous ne savez pas.— Mais tout ce que j'avons à vous dire, est itou fort nécessarie. Quoi ! Vous ne voulez pas m'écouter ? Vous le prenez par-là ! Eh bian ! Morguienne, je nous en allons. Vous en serez fâché, je vous en avertis. Tiens, morgué, le vela là-bas en conversation avec la compagnie. Oh ! Laisse-moi, je n'avons rien à ménager. C'est un... N'a-t-il étranglé personne ? Je vous dis que son Maître est un fou, qui dort quand il est éveillé. Non, morgné ; c'est lui qui rêve : et pour vous faire voir que je ne mentons pas, je connaissons son petit doigt, et j'allons l'éveiller. Lui-même. Dame, il y a plus de six mois qu'il n'en dort pas, lui. Vous avez raison. Morguenne, le bonheur vous vient en dormant. **** *creator_dupontdeveyle *book_dupontdeveyle_somnanbule *style_prose *genre_comedy *dist1_dupontdeveyle_prose_comedy_somnanbule *dist2_dupontdeveyle_prose_comedy *id_FRONTIN *date_1739 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_frontin N'y a-t-il ici personne ? Haie, l'ami ! Où diable se tient...Ah ! Hè, ventrebleu ! C'est mon oncle. Parbleu, c'est de tout mon coeur, mon oncle ! Ma foi, mon oncle, je suis charmé de vous rencontrer; mais ce n'était pas vous que je cherchais : je ne savais plus où vous étiez. Monsieur le Baron. Eh ! Mais, mais... Mon oncle, un peu de patience. Comme vous allez dru sur les questions ! Vous m'essoufflez. Donnez moi le temps de vous répondre. Premièrement, plus de Charlot, s'il vous plaît. J'ai pris un nom de guerre ; je m'appelle Frontin. Je suis garçon ; je n'ai pas le sou ; j'étrangle de soif ; je suis las comme un chien ; je... Je sers Monsieur Dorante, qui, par reconnoissance, m'habille comme vous voyez. Que voulez-vous, mon oncle ? Je n'ai point d'ambition. Fainéant ! Ce n'est pas, ma foi, au métier que je fais. Il m'occupe jour et nuit. Aussi, j'en suis diablement las. Fort bien, mon oncle. Mais, quand il culbuterait encore plus toute sa terre, que m'importe à moi. Nous verrons tout cela. Menez-moi toujours à Monsieur. Oui, ma foi. Non. C'est un des plus riches Banquiers de Bordeaux ; joyeux, libéral, bon diable enfin ; mais... Il faut être toujours après lui; il faut être à lui la nuit tout comme le jour. Sans doute. Mais vous ne travaillez pas la nuit ; vous dormez, vous. Dans ma chienne de condition, je n'en puis faire autant ; aussi je donne souvent mon Maître à tous les diables. Ma foi, je n'ose. Voilà qui est bel et bon ; vous accommodez tout cela comme il vous plaît. Mon Maître me pardonnera-t-il de dire une chose, dont le secret est d'une importance ?... En vérité, mon oncle... Vous me promettez... Là, de bonne foi... Eh bien ! Je vous dirai qu'il est somnambule. Somnambule. Bon ! Une Charge ! Voyez-vous, mon oncle ? Il y aurait de quoi rompre son mariage, si cela venait à se découvrir. Êtes-vous fou, mon oncle ? C'est un défaut naturel, une façon de maladie... Non, point du tout ; il se porte à merveille. Il se lève la nuit ; il marche; il parle. Point du tout. Il dort trop bien, au contraire. Écoutez-moi, si vous voulez. Je vous dis qu'il marche, qu'il parle, qu'il a même les yeux ouverts, et que cependant il dort toujours. Je me donne au Diable, mon oncle, je ne me moque point. J'y ai été pris, moi qui vous parle. Il m'a plus d'une fois, tout en dormant, donné des commissions que je faisais de bonne foi, dont il me remerciait le lendemain à coups de bâton. Non, Monsieur. Je précède mon Maître de quelques moments : il me fuit. Monsieur Dorante. Nous avons fait une diligence extrême. Depuis trois jourS nous n'avons ni dormi, ni reposé, pour arriver plutôt. En vérité, Monsieur, vous ferez de la piene à mon Maître. Traitez-le sans façon. Croyez-moi, laissez vos jets d'eau à sec. Non, Monsieur, je n'ai garde. Monsieur, voici mon Maître. Votre valet, mon oncle. Je vous trouve à propos. Moi, je vous ai parlé franchement. Vous ne m'avez pas voulu croire ; ce n'est pas ma faute. C'est autre chose qui m'amène. Savez-vous que je ne veux point dormir à vide, comme mon maître ? En vérité, mon oncle, vous êtes le premier questionneur du Royaume. Mais à quoi bon me questionner, moi ? Vous ne croyez pas mes réponses. Dépêchez donc ; il faut que je retourne promptement auprès de mon maître. Oui, il dort : et c'est justement à cause de cela. Non, c'est pour le réveiller, si ce que je vous ai dit lui arrive. Amoureux ! Il ne l'est qu'en peinture? C'est qu'il n'a vu que son portrait : il l'a trouvé charmant ; et, sur les récits qu'on lui en a faits, il suppose à sa prétendue autant de vertu que de beauté. Voilà un homme qui a résolu ma perte. Me questionner dans ma rage de faim et de soif ! Je crois le diable. Mais ne voilà-t-il pas mon maître qui fait son maudit train ? Je suis, ma foi, bienheureux qu'il ait tourné par ici ; je le vais éveiller. Eh ! Oui. Parbleu, l'occasion est trop belle pour vous convaincre. Regardez seulement. Eh bien ? Entendez-vous ? Il croit être encore sur la route. Ce qu'il y a de singulier, mon oncle, c'est que, tout en dormant, il dit quelquefois des chofes très raisonnables, très justes. Justement. Il parle du dernier maître de poste. Ce maraud-là nous fit attendre. Ah, ah, ah, ah ! Avancez, mon oncle, tâchez de lui ôter ce maudit fouet, je l'éveillerai. Attendez : il faut lui faire quitter ce maudit rève. Monsieur, Monsieur, c'est de la part de Monsieur Argante. Oui, votre correspondant. Oh ! Maintenant je vais l'éveiller. Il croit écrire, vous voyez. C'est un Juif, ce Monsieur Argante, un vilain. Quand il dort, comme vous voyez, mon oncle. Malheureusement il en a un autre quand il veille. Oui, Monsieur, votre lettre. Attendez ; laissez-moi lui prendre le petit doigt ; il n'y a pas d'autre moyen de l'éveiller. Monsieur, Monsieur éveillez-vous. Mai foi, Monsieur, je me suis endormi de lassitude. Vous avez pris ce temps pour vous en aller, et j'accours au bruit que vous faites. C'est le Jardinier, d'ici. Vous l'avez vu tantôt. Allez, Monsieur, soyez tranquile. C'est mon oncle. Je lui réponds de vous ; et je vous réponds de lui. On pourrait sortir de table ; croyez-moi, retournez dans votre lit. Il s'est échappé : je ne l'ai plus trouvé dans son lit. Où diable peut-il être ? Motus, mon oncle. Parbleu vous ne direz mot. Pour moi, je comprends fort bien, Monsieur. Nous sommes découverts, et vous aurez fait quelqu'extravagance. J'ose vous assurer, Madame, que mon Maître est l'homme du monde le plus sage, quand il veille ; et ce n'est pas sa faute, s'il a le sommeil un peu brutal. Il aurait tort de se plaindre ; il n'est pas le premier qui perd sa femme quand il dort.