**** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_ZAMOR *date_1789 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_zamor Dissipe tes frayeurs, ma chère Mirza ; ce vaisseau n'est point envoyé par nos persécuteurs ; autant que je puis en juger il est français. Hélas ! il vient de se briser sur ces côtes, personne de l'équipage ne s'est sauvé. Ô ma Mirza ! Que tu m'attendris ! Le barbare ! Il t'aima, et ce fut pour devenir ton tyran. L'amour le rendit féroce. Le tigre osa me charger du châtiment qu'il t'infligeait pour n'avoir pas voulu répondre à sa passion effrénée. L'éducation que notre Gouverneur m'avait fait donner ajoutait à la sensibilité de mes moeurs sauvages, et me rendait encore plus insupportable le despotisme affreux qui me commandait ton supplice. Moi, te laisser périr ! Ah ! Dieux ! Eh ! Pourquoi me rappeler les vertus et les bontés de ce respectable Maître ? J'ai fait mon devoir auprès de lui ; j'ai payé ses bienfaits, plutôt par la tendresse d'un fils, que par le dévouement d'un esclave. Il me croit coupable, et voilà ce qui rend mon tourment plus affreux. Il ne sait point quel monstre il avait honoré de sa confiance. J'ai sauvé mes semblables de sa tyrannie ; mais, ma chère Mirza, perdons un souvenir trop cher et trop funeste : nous n'avons plus de protecteurs que la Nature. Mère bienfaisante ! Tu connais notre innocence. Non, tu ne nous abandonneras pas, et ces lieux déserts nous cacheront à tous les yeux. Cette différence est bien peu de chose ; elle n'existe que dans la couleur ; mais les avantages qu'ils ont sur nous sont immenses. L'art les a mis au dessus de la Nature : l'instruction en a fait des Dieux, et nous ne sommes que des hommes. Ils se servent de nous dans ces climats comme ils se servent des animaux dans les leurs. Ils sont venus dans ces contrées, se sont emparés des terres, des fortunes des Naturels des Îles, et ces fiers ravisseurs des propriétés d'un peuple doux et paisible dans ses foyers, firent couler tout le sang de ses nobles victimes, se partagèrent entre-eux ses dépouilles sanglantes, et nous ont faits esclaves pour récompense des richesses qu'ils ont ravies, et que nous leur conservons. Ce sont ces propres champs qu'ils moissonnent, semés de cadavres d'habitants, et ces moissons sont actuellement arrosées de nos sueurs et de nos larmes. La plupart de ces maîtres barbares nous traitent avec une cruauté qui fait frémir la Nature. Notre espèce trop malheureuse s'est habituée à ces châtiments. Ils se gardent bien de nous instruire. Si nos yeux venaient à s'ouvrir, nous aurions horreur de l'état où ils nous ont réduits, et nous pourrions secouer un joug aussi cruel que honteux ; mais est-il en notre pouvoir de changer notre sort ? L'homme avili par l'esclavage a perdu toute son énergie, et les plus abrutis d'entre nous sont les moins malheureux. J'ai témoigné toujours le même zèle à mon maître mais, je me suis bien gardé de faire connaître ma façon de penser à mes camarades. Dieu ! Détourne le présage qui menace encore ce climat, amollis le coeur de nos tyrans, et rends à l'homme le droit qu'il a perdu dans le sein même de la Nature. Peut-être avant peu notre sort va changer. Une morale douce et consolante a fait tomber en Europe le voile de l'erreur. Les hommes éclairés jettent sur nous des regards attendris : nous leur devrons le retour de cette précieuse liberté, le premier trésor de l'homme, et dont des ravisseurs cruels nous ont privés depuis si longtemps. Ta naïveté me charme ; c'est l'empreinte de la Nature. Je te quitte un moment. Va cueillir des fruits. Je vais faire un tour au bas de la côte pour y rassembler les débris de ce naufrage. Mais, que vois-je ! Une femme qui lutte contre les flots ! Ah ! Mirza, je vole à son secours. L'excès du malheur doit-il dispenser d'être humain ? Reprenez vos forces, Madame, je ne suis qu'un esclave Indien, mais je vous donnerai du secours. Approche, Mirza, ne crains rien. Ce sont deux infortunés comme nous ; ils ont des droits sur notre âme. Non, mais nous l'habitons seuls depuis quelques jours. Vous me paraissez Français. Si la société d'esclaves ne vous semble pas méprisable, c'est de bon coeur qu'ils partageront avec vous la possession de cette île, et si le destin le veut, nous finirons nos jours ensemble. Oui, ma chère Mirza, consolons-les dans leurs infortunes. Reposez-vous sur moi ; je vais parcourir tous les environs du rocher : si les pertes que vous avez faites sont parmi les débris du vaisseau, je vous promets de vous les apporter. Entrez dans notre cabane, étrangers malheureux ; vous avez besoin de repos ; je vais tâcher de rendre le calme à vos esprits agités. Vous ne me devez rien, en vous secourant je ne fais qu'obéir à la voix de mon coeur. C'en est sait, malheureux étrangers ! Vous n'avez plus d'espoir. Une vague vient d'engloutir le reste de l'équipage avec toutes vos espérances. Vous ne connaissez pas, malheureux étrangers, combien cette côte est dangereuse. Il n'y a que des infortunés comme Mirza et moi, qui aient osé s'en approcher et vaincre tout péril pour l'habiter. Nous ne sommes cependant qu'à deux lieues d'une des plus grandes villes de l'Inde, ville que je ne reverrai jamais à moins que nos tyrans ne viennent nous arracher d'ici pour nous faire éprouver le supplice au-quel nous sommes condamnés. Monsieur, n'ayez point sur moi les préjugés de vos semblables. J'avais un Maître qui m'était cher ; j'aurais sacrifié ma vie pour prolonger ses jours ; mais son intendant était un monstre dont j'ai purgé la terre. Il aima Mirza ; mais son amour fut méprisé. Il apprit qu'elle me préférais, dans sa fureur il me fit éprouver des traitements affreux; mais le plus terrible fut d'exiger de moi que je devinsse l'instrument de sa vengeance contre ma chère Mirza. Je rejetai avec horreur une pareille commission. Irrité de ma désobéissance, il courut sur moi l'épée nue ; j'évitai le coup qu'il voulait me porter ; je le désarmai, et il tomba mort à mes pieds. Je n'eus que le temps d'enlever Mirza et de fuir avec elle dans une chaloupe. Oui, Monsieur, il est Français, et le meilleur des hommes. Je fus à lui dès l'age de huit ans, il se plaisait à me faire instruire, et m'aimait comme si j'eusse été son fils ; car il n'en a jamais eu, ou peut-être en est-il privé ; il semble regretter quelque chose. On l'entend quelquefois soupirer ; sûrement il s'efforce de cacher quelque grand chagrin. Je l'ai surpris souvent versant des larmes ; il adore sa femme, et elle le paie bien de retour. S'il ne dépendait que de lui, j'aurais ma grâce ; mais il faut un exemple. Il n'y a point de pardon à espérer pour un esclave qui a levé la main sur son commandeur. Il se nomme Monsieur de Saint-Frémont. Ô ma chère Mirza ! Ah ! Madame, cessez de le prier; son âme est endurcie et ne connaît point l'humanité. Il est de son emploi de signaler tous les jours cette rigueur. Il croirait manquer à son devoir, s'il ne la poussait pas jusqu'à la cruauté. Je ne te crains plus. Je connais mon sort et je le subirai. Allons, Mirza, allons mourir. La bonne action que nous avons faite en sauvant ces étrangers jettera quelques charmes sur nos derniers moments, et nous goûterons au moins la douceur de mourir ensemble. Que notre sort est déplorable, ô ma chère Mirza ! Il devient d'autant plus affreux, que je crains que le zèle de ce Français à vouloir nous sauver ne le perde lui-même ainsi que son épouse. Quelle idée accablante ! Je bénis mon trépas, puisque je meurs avec toi ; mais, qu'il est cruel de perdre la vie en coupable ! On m'a jugé tel, notre bon maître je crois; voilà ce qui me désespère. Hélas ! Que pourras-tu lui dire ? Ta tendresse pour moi t'aveugle : tu veux t'accuser pour me rendre innocent ! Si tu dédaignes la vie à ce prix, m'en crois-tu assez avare pour vouloir la conserver aux dépens de tes jours ? Non, ma chère Mirza, Il n'y a point de bonheur pour moi sur la terre, si je ne le partage avec toi. Qu'il nous aurait été doux de prolonger nos jours ensemble ! Ces lieux me rappellent notre première entrevue. C'est ici que le tyran reçut la mort ; c'est ici qu'on va terminer notre carrière. La Nature semble en ces lieux être en contraste avec elle-même. Jadis elle nous paraissait riante : elle n'a rien perdu de ses attraits mais elle nous montre à la fois l'image de notre bonheur passé et de l'horrible sort dont nous serons les victimes. Ah ! Mirza, qu'il est cruel de mourir quand on aime. Eh bien ! Je cède. Ce n'est que pour toi que je chéris la vie. Adieu, le plus généreux des hommes ! Ah ! Je reconnais à ce procédé sa belle âme. Étrangers généreux, que le ciel comble vos désirs ! L'Être suprême n'abandonne jamais ceux qui cherchent à lui ressembler par la bienfaisance. Son respectable époux l'égale en mérite et en bonté. Que vois-je ? Des soldats qui arrivent en foule ! Ah ! C'en est fait ! Vous vous êtes abusés, généreux Français, nous sommes perdus. Que faites-vous ? J'ai seul mérité la mort. Que vous ont fait mes pauvres camarades ? Pourquoi les égorger ? Tournez vos armes contre moi. Voilà mon sein ! Lavez dans mon sang leur désobéissance. La Colonie ne demande que ma mort. Est-il nécessaire de faire périr tant d'innocentes victimes qui ne sont pas complices de mon crime ? Il n'y a plus d'espérance ; nos bienfaiteurs sont entourés de soldats. Embrasse-moi pour la dernière fois, ma chère Mirza ! Esclaves, Colons, écoutez-moi : j'ai tué un homme, j'ai mérité la mort ; ne regrettez point mon supplice, il est nécessaire au bien de la Colonie. Mirza est innocente ; mais elle chérit son trépas. Et vous, mes chers amis, écoutez-moi à mon dernier moment. Je quitte la vie, je meurs innocent ; mais craignez de vous rendre coupables pour me défendre : craignez surtout cet esprit de faction, et ne vous livrez jamais à des excès pour sortir de l'esclavage ; craignez de briser vos fers avec trop de violence ; attendez tout du temps et de la justice divine, remplacez nous auprès de Monsieur le Gouverneur, de sa respectable épouse. Payez-les par votre zèle et par votre attachement de tout ce que je leur dois. Hélas ! Je ne puis m'acquitter envers eux. Chérissez ce bon maître, ce bon père, avec une tendresse filiale, comme je l'ai toujours fait. Je mourrais content si je pouvais croire du moins qu'il me regrette ! Ah ! Mon cher Maître, m'est-il permis encore, de vous nommer ainsi ? Ah ! Mon cher maître, la mort n'a plus rien d'affreux pour moi. Vous ne chérissez encore, je meurs content. Que je baise ces mains pour la dernière fois ! Mes amis, faites votre devoir. Non, mon maître ; gardez vos bienfaits. Le plus précieux à notre coeur est de nous laisser vivre auprès de vous et de tout ce que vous avez de plus cher. Oui, ma chère Mirza ; oui, nous serons toujours heureux. **** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_MIRZA *date_1789 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mirza Zamor, je ne crains que pour toi ; le supplice n'a rien qui m'effraie ; je bénirai mon sort si nous terminons nos jours ensemble. Hélas ! Qu'as-tu lait ? Mon amour t'a rendu coupable. Sans la malheureuse Mirza tu n'aurais jamais fui le meilleur de tous les maîtres, et tu n'aurais pas tué son homme de confiance. Il fallait me laisser mourir ; tu serais auprès de notre Gouverneur qui te chérit comme son enfant. J'ai causé tes malheurs et les siens. Le peu que je sais, je te le dois, Zamor ; mais dis-moi pourquoi les Européens et les habitants ont-ils tant d'avantage sur nous, pauvres esclaves ? Ils sont cependant faits comme nous : nous sommes des hommes comme eux : pourquoi donc une si grande différence de leur espèce à la nôtre ? Que nous sommes à plaindre ! Je serais bien contente d'être aussi instruite que toi ; mais je ne fais que t'aimer. Zamor va sauver cette infortunée ! Puis-je ne pas adorer un coeur si tendre, si compatissant ? À présent que je suis malheureuse, je sens mieux combien il est doux de soulager le malheur des autres. Ah ! Dieu ! Quel est cet homme ? S'il venait pour se saisir de Zamor et me séparer de lui ! Hélas ! Que deviendrais-je ? Mais, non, il n'a peut-être pas un si mauvais dessein ; ce n'est pas un de nos persécuteurs. Je souffre... Malgré mes craintes, je ne puis m'empêcher de le secourir. Je ne puis plus longtemps le voir en cet état. Il a l'air d'un Français. Monsieur, Monsieur le Français... Il ne répond point. Que faire ? Zamor, Zamor. Montons, sur le rocher pour voir s'il vient. Je ne le vois pas. Français, Français, réponds-moi ? Il ne répond pas. Quels secours puis-je lui donner ? Je n'ai rien que je suis malheureuse ! Pauvre étranger, il est bien malade, et Zamor ne revient pas : il a plus de force que moi ; mais allons chercher dans notre cabane de quoi le faire revenir. Nous, vous abandonner ! Jamais , non, jamais. Je vous aime bien, quoique vous ne soyez pas esclave. Venez, j'aurai soin de vous. Donnez-moi votre bras. Ah ! La jolie main, quelle différence avec la mienne ! Asseyons-nous ici. Que je suis contente d'être avec vous ! Vous êtes aussi belle que la femme de notre Gouverneur. Oh ! C'est bien vrai, et Zamor ne vous a point trompés. Je vous ai parlé du Gouverneur de la Colonie qui n'habite pas avec nous. Il faut prendre garde à ce que je vais dire ; car s'il savait que Zamor a tué un blanc, il ne voudrait pas rester avec nous. Vous vous moquez, je ne suis pas cependant la plus jolie ; mais, dites-moi, les françaises sont-elles toutes aussi belles que vous ? Elles doivent l'être, car les Français sont tous bons, et vous n'êtes pas esclaves. Plus libres un jour, comment, est-ce que vous ne l'êtes pas ? Oh ! Bon Dieu ! Il y a donc partout des hommes méchants ! Ah ! Si tous les Colons lut ressemblaient, nous serions moins malheureux. Qu'on me fasse mourir avant lui ! Ah ! Dieu ! Je suis cause de ta mort. Elle me poursuit aussi : mais peut-être sa digne épouse aura pu fléchir notre Gouverneur, ne nous affligeons point avant son retour. Je veux voir moi-même Monsieur le Gouverneur. Cette dernière volonté doit m'être accordée. Je me jetterai à ses pieds ; je lui révélerai tout. Je lui ferai connaître la cruauté de son Commandeur et de son amour féroce. Je pense de même, je ne pourrais plus vivre sans te voir. Que tu m'attendris ! Ne m'afflige pas davantage. Je sens que mon courage m'abandonne ; mais ce bon Français revient à nous ; que va-t-il nous apprendre ? Ce Français a raison. Viens, suis-moi. Il nous aime ; profitons de ses conseils. Cours avec moi, cher Zamor ; ne crains point de revenir habiter dans le fond des forêts. À peine tu te rappelles nos lois, et bientôt ta chère Mirza t'en retracera la douce image. Hélas ! Il faut donc que je vous quitte sans avoir le bonheur de me jeter aux pieds de votre épouse ! Que nous sommes heureux d'avoir secouru ces Français ! Ils nous doivent beaucoup ; mais nous leur devons encore plus. Je suis aussi coupable que Zamor, ne me séparez point de lui ; par pitié ôtez-moi la vie ; mes jours sont attachés à sa destinée. Je veux mourir la première. Je bénis mon sort, puisque le même supplice nous réunit. Adieu, chers auteurs de mes jours ; ne pleurez plus votre pauvre Mirza, elle n'est plus à plaindre. Adieu , mes compagnes. Grand Dieu ! Vous changez notre malheureux sort ; vous comblez notre félicité ; votre justice ne cesse jamais de se manifester. Nous allons vivre pour nous aimer. Nous serons toujours heureux, toujours, toujours. **** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_VALERE *date_1789 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Rien ne paraît sur les vagues encore émues. Ô ma femme ! Tu es perdue à jamais ! Eh ! Pourrais-je te survivre ? Non : il faut me réunir à toi. J'ai recueilli mes forces pour te sauver le vie, et j'ai seul échappé à la fureur des flots. Je ne respire qu'avec horreur : séparé de toi, chaque instant redouble mes peines. En vain je te cherche, en vain je t'appelle : ta voix retentit dans mon coeur, mais elle ne frappe pas mon oreille. Je te suis. Un nuage épais couvre mes yeux, ma force m'abandonne ! Grand Dieu, accorde-moi celle de me traîner jusqu'à la mer ! Je ne puis plus me soutenir. Quelle voix se fait entendre ? Sophie ! Grand Dieu ! Vous me rendez ma Sophie ! Ô chère épouse ! Objet de mes larmes et de ma tendresse ! Je succombe à ma douleur et à ma joie. Être compatissant à qui je dois la vie et celle de mon épouse ! Tu n'es point un sauvage ; tu n'en as ni le langage ni les moeurs. Es-tu le maître de cette île ? Eh bien ! Restons dans ces lieux : acceptons pour quelque temps l'hospitalité de ces Indiens, et sois persuadée, ma chère Sophie, qu'à force de persévérance nous découvrirons l'auteur de tes jours dans ce continent. Je partage ta peine. Généreux mortels, ne nous abandonnez pas. Il me semble que vous nous avez dit que vous l'habitiez seule. Je n'ai pas vu de plus jolie négresse. Non, les Français voient avec horreur l'esclavage. Plus libres un jour, ils s'occuperont d'adoucir votre sort. Nous sommes libres en apparence, mais nos fers n'en sont que plus pesants. Depuis plusieurs siècles les Français gémissent sous le despotisme des Ministres et des Courtisans. Le pouvoir d'un seul Maître est dans les mains de mille tyrans qui foulent son Peuple. Ce Peuple un jour brisera ses fers, et reprenant tous ses droits écrits dans les lois de la Nature, apprendra à ces tyrans ce que peut l'union d'un peuple trop longtemps opprimé, et éclairé par une saine philosophie. Un vaisseau peut aborder dans cette île. Quel crime avez-vous commis l'un et l'autre ? Ah ! Je le vois ; vous êtes trop instruit pour un esclave, et votre éducation a sans doute coûté cher à celui qui vous l'a donnée. Je m'intéresse à leur sort, ils m'ont rappelé à la vie, ils ont sauvé la tienne : je les défendrai aux dépens de mes jours. J'irai moi-même voir son Gouverneur : s'il est Français, il doit être humain et généreux, Je t'admire, ma chère Sophie ! J'approuve ton dessein : nous n'avons qu'à nous rendre auprès de leur Gouverneur. Mes amis, cette démarche nous acquitte faiblement envers vous. Heureux si nos prières et nos larmes touchent votre généreux Maître ! Partons, mais que vois-je ? Des esclaves qui nous examinent et qui viennent avec précipitation vers nous. Ils apportent des chaînes. Monsieur, écoutez nos prières ! Qu'allez-vous faire de ces esclaves ? Que fais-tu ? Ma chère Sophie ! Nous pouvons tout espérer de l'indulgence du Gouverneur. Emmenez-nous, Monsieur, avec eux. Vous nous obligerez de nous retirer d'ici. J'espère fléchir le Gouverneur. Mais, Monsieur, comment avez-vous pu y aborder ? Vous voilà libres ! Je vole a la tête de vos camarades. Mon épouse ne tardera pas longtemps à reparaître à nos yeux. Elle aura sans doute obtenu votre grâce de Monsieur de Saint-Frémont. Je vous quitte pour un instant, et ne vous perds point de vue. Ô mes bienfaiteurs! Il faut vous sauver. Profitez de ces instants précieux que vos camarades vous procurent. Ils bouchent les chemins, répondez à leur zèle et à leur courage ; ils s'exposent pour vous, fuyez dans un autre climat. Il se peut que mon épouse n'obtienne pas votre grâce. On voit plusieurs troupes de soldats s'approcher d'ici : vous avez le temps d'échapper par cette colline. Allez, vivez dans les forêts : vos semblables vous ouvriront leur sein. Elle partagera vos regrets, n'en doutez point ; mais fuyez des lieux trop funestes. Grand Dieu ! Quel comble de bonheur ! Ah ! Que vous rendez nos jours fortunés ! Je les défendrai au péril de ma vie. Hélas ! Ils allaient se sauver lorsque tu es venu les rassurer. Je vais savoir de l'Officier qui commande ce détachement, quelle est sa mission. Monsieur, puis-je vous demander quel sujet vous amène ici ? Non, cet affreux sacrifice ne s'exécutera point. Arrêtez ! Monsieur, suspendez, je vous prie, leur supplice. Je puis vous assurer qu'on s'occupe de leur grâce. Barbare ! Quoique ta place endurcisse l'âme, tu la dégrades en la rendant encore plus cruelle que les lois ne te l'ont prescrite. Ah ! Ma chère Sophie, ce trait de courage te rend encore plus chère à mon coeur. Si l'on emploie la moindre violence contre mon épouse, je ne respecte plus rien. Et toi, barbare, tremble d'être immolé à ma juste fureur. Je ne puis abandonner mon épouse dans cet état. Faites tous vos efforts auprès de Monsieur de Saint-Frémont. Je n'ai pas besoin de vous recommander la clémence ; elle doit régner dans votre âme. Un guerrier fut toujours généreux. Ah ! Monsieur , écoutez nos prières : vous êtes Français, vous serez juste. J'ai du moins le droit que la reconnaissance donne à toutes les belles âmes : quelque soit votre sévérité simulée, mon coeur en appelle au vôtre. Votre digne épouse nous avait fait tout espérer. Si c'est un crime d'avoir tué un monstre qui faisait frémir la nature, ce crime, au moins, est excusable. Zamor défendait sa propre vie, et la défense est de droit naturel. Non ; mais on pourrait les adoucir en faveur d'un crime involontaire. Ces paroles glacent mon sang et mon coeur oppressé... Chère épouse, que vas-tu devenir ? Ah ! Monsieur, si vous connaissiez sa sensibilité, ses malheurs, vous en seriez touché ; elle avait mis toutes ses espérances dans vos bontés ; elle se flattait même que vous lui donneriez des renseignements sur le sort d'un parent, son unique appui, dont elle est privée depuis son enfance, et qui doit être établi dans quelque partie de ce continent. Que nous sommes à plaindre ! Je ne survivrai pas à leur perte. Ô ma chère Sophie ! Je partage ta félicité. **** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_SOPHIE *date_1789 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_sophie Qui que vous soyez, laissez-moi. Votre pitié m'est plus cruelle que les flots. J'ai perdu ce que j'avais de plus cher. La vie m'est odieuse. Ô Valère ! Ô mon époux ! Qu'es-tu devenu ? Que vois-je... C'est lui ! Providence divine ! Tu m'as sauvée ! Achève ton ouvrage, et rends moi mon père. Que ce langage m'intéresse ! Mortels généreux, j'accepterais vos offres, si je n'allais plus loin chercher un père que peut-être je ne retrouverai jamais ! Depuis deux ans que nous errons sur les mers, nous n'avons pu le découvrir. Cruelle destinée ! Nous avons tout perdu, comment continuer nos recherches ? Mortels compatissants, que de grâces nous avons à vous rendre ! Vous nous avez sauvé la vie, comment m'acquitter jamais envers vous ? Oui ? Vous avez donc un Gouverneur dans cette île ? Son ingénuité m'enchante ; sa physionomie est douce. Et prévient en sa faveur. Hélas ! Qu'allons-nous devenir ? Le supplice ! Que je le plains, ce malheureux ! Quoiqu'il ait commis un meurtre, son meurtre me paraît digne de grâce. Hélas ! Ce nom ne m'est point connu ; mais n'importe, il est Français ; il m'entendra, et j'espère le fléchir. Si avec la chaloupe qui les a sauvés, nous pouvions nous conduire au port, il n'y a point de péril que je n'affronte pour les défendre. Malheureux, vous êtes perdus ! Vous les emmenez pour les faire mourir ? Vous nous ôterez plutôt la vie, avant de les arracher de nos bras. Quel affreux préjugé ! La Nature ne les a point faits esclaves ; ils sont hommes comme vous. Le même que je tiendrais à votre Gouverneur. C'est par reconnaissance que je m'intéresse à ces infortunés, qui connaissent mieux que vous les droits de la pitié, et celui dont vous tenez la place était sans doute un homme atroce. Que leur malheur les rend intéressants ! Que ne ferais-je point pour les sauver ! Madame, j'embrasse vos genoux. Ayez pitié d'une malheureuse étrangère qui doit tout à Zamor, et n'a d'autre espoir qu'en vos bontés. Sans le secours de Zamor, aussi intrépide qu'humain, je périssais dans les flots. Je lui dois le bonheur de vous voir. Ce qu'il a fait pour moi lui assure dans mon coeur les droits de la Nature ; mais ces droits ne me rendent point injuste, Madame, et le témoignage qu'ils rendent à vos rares qualités fait assez voir qu'ils ne sont point reprochables d'un crime prémédité. Quelle humanité ! Quel zèle à nous secourir ! Le sort qui les poursuit devait plutôt leur inspirer la crainte que la pitié ; mais, loin de se cacher, Zamor a affronté tout péril. Jugez, Madame, si avec ces sentiments d'humanité, un mortel peut être coupable ; son crime fut involontaire, et c'est faire justice que de l'absoudre comme innocent. Ah ! Madame, que de bienfaits à la fois ! Hélas ! Je voudrais, autant que je le désire, vous prouver ma reconnaissance. Bientôt mon époux viendra s'acquitter envers vous de son devoir. Cher Valère , quelle heureuse nouvelle je vais t'apprendre ! Ah ! Mon ami, remercions le Ciel : ces victimes ne périront point. Madame de Saint-Frémont m'a promis leur grâce. Madame de Saint-Frémont a fait assembler ses meilleurs amis. Je l'ai instruite de leur innocence ; elle met tout le zèle possible à les sauver. Je n'ai eu aucune peine à l'intéresser en leur faveur ; son âme est si belle , si sensible aux maux des malheureux ! Je n'ai pas eu le bonheur de le voir. Ne vous alarmez point, il faut savoir... Vous allez les faire mourir ? Madame de Saint-Frémont m'a promis leur grâce. Cet excès de cruauté me donne du courage. Barbare ! Ose me faire assassiner avec eux ; je ne les quitte point : rien ne pourra les arracher de mes bras. Tu me retiens en vain. Je veux absolument les voir. Cruel ! Tu m'as trompée. Ah ! Madame, mes forces m'abandonnent. Ah Monsieur ! Je meurs de douleur à vos pieds si vous ne m'accordez leur grâce. Elle est dans votre coeur et dépend de votre pouvoir. Ah ! Si je ne puis l'obtenir, que m'importe la vie ! Nous avons tout perdu. Privée d'une mère et de ma fortune, abandonnée d'un père depuis l'âge de cinq ans, je mettais ma consolation à sauver deux victimes qui vous sont chères. Hélas ! Quel trouble l'agite, plus je l'examine... La malheureuse Clarisse de Saint-Fort fut ma mère. Ah ! Mon père ! Je me meurs. Qu'ai-je entendu ? Qui, oui c'est lui... Ses traits sont restés gravés dans mon âme... Quel bonheur me fait retrouver dans vos bras ! Je ne puis vous rendre tous les sentiments qui m'agitent. Mais ces malheureux, ô mon père, leur sort est dans vos mains. Sans leur secours votre fille périssait. Accordez à la nature la première grâce qu'elle vous demande. Habitants, Esclaves, tombez aux genoux du plus généreux des hommes ; c'est aux pieds de la vertu qu'on trouve la clémence. Hélas ! Ma pauvre mère n'est plus ! Mais, mon père, qu'il m'est doux de vous voir. Cher Valère ! **** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_BETZI *date_1789 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_betzi Eh bien, Azor, que dit-on de Mirza et de Zamor ? On les fait chercher partout. Mais, Monsieur le Gouverneur peut leur faire grâce. Il en est le maître. Notre Gouverneur n'était point fait pour être un tyran. L'on m'a assuré que dans les premiers temps nous n'étions pas esclaves. Et personne ne prend notre défense ! On nous défend même de prier pour nos semblables. Quelle férocité ! Mais, dis-moi, Azor, pourquoi Zamor a-t-il tué l'Intendant ? Oui, c'est toi qui me l'as appris. Mais il ne devait point le tuer pour cela. Il y avait d'autres raisons. Si on pouvait les faire échapper, je suis sûre que Monsieur et Madame de St-Frémont n'en seraient pas fâchés. Sans doute ; mais il n'y aurait pas punition de mort. Il faudrait du moins parler à leurs amis ; ils pourraient gagner les autres esclaves. Ils aiment tous Zamor et Mirza. Il n'y a plus d'espoir. Tu as raison : fais-le si tu peux, car je n'en aurais jamais la force. Grand Dieu ! Sans être entendus ? Sans être jugés ? Un commerce d'hommes ! Ô Ciel ! L'humanité répugne. Ni moi non plus. Voici Madame, taisons-nous. Monsieur le Gouverneur n'est point ici ? Ah ! Laissez-moi reprendre mes sens... Nous étions sur la terrasse ; de temps en temps nous jetions tristement les yeux vers l'habitation. Nous voyons arriver de loin le père de Mirza avec un autre esclave ; au milieu d'eux était une étrangère, les cheveux épars et la douleur peinte sur son visage : ses yeux étaient fixés vers la terre, et quoiqu'elle marchât vite, elle avait l'air sort occupée. Lorsqu'elle a été près de nous, elle a demandé Mme de Saint-Frémont. Elle nous a appris que Zamor l'a sauvée de la fureur des flots. Elle a ajouté : je mourrai aux pieds de Monsieur le Gouverneur, si je n'obtiens sa grâce. Elle veut implorer votre secours, La voici. Je tremble pour mes camarades. **** *creator_gouges *book_gouges_exclavagedesnoirs *style_prose *genre_drame *dist1_gouges_prose_drame_exclavagedesnoirs *dist2_gouges_prose_drame *id_AZOR *date_1789 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_azor On parle de les faire mourir sur le rocher de l'habitation ; je crois même qu'on fait les préparatifs de leur supplice. Je tremble qu'on ne les trouve. Il faut que cela soit impossible ; car il aime Zamor, et il dit qu'il n'a jamais eu à se plaindre de lui. Toute la Colonie demande leur mort, et il ne peut la refuser sans se compromettre. Comme il est bon avec nous ! Tous les Français sont de même ; mais les Naturels du pays sont bien plus cruels. Tout nous porte à le croire. Il y a encore des climats ou les Nègres sont libres. Qu'ils sont heureux ! Ah ! Nous sommes bien à plaindre. Hélas ! Le père et la mère de la malheureuse Mirza seront témoins du supplice de leur fille. Voilà comme on nous traite. On m'a assuré que c'était par jalousie. Tu sais bien que Zamor était l'amant de Mirza. Le Commandeur l'aimait aussi. Il est vrai. Cela se peut bien, mais je les ignore. Je le crois bien, mais ceux qui les serviraient s'exposeraient beaucoup. Peut-être, je sais bien toujours que je ne m'y exposerais pas. On parle de faire mettre le régiment sous les armes. Nous devons au contraire, pour le bien de nos camarades, les exhorter à l'obéissance. Allons donc, cela n'est pas possible, Coraline. Oh ! Je t'en réponds bien ; ils seront bientôt morts. Quelle générosité ! Et on nous vend par-dessus au marché comme des boeufs. C'est bien vrai, mon père et moi avons été achetés à la Côte de Guinée. Eh bien ! Qu'est ce que nous verrons ? Serons-nous maîtres à notre tour ? Ni maître, ni esclave ; oh ! Oh ! Et que veux-tu donc que nous soyons ? Sais-tu, Coraline, que tu ne sais plus ce que tu dis, quoique nos camarades assurent que tu en sais plus que nous ? Je ne t'entends pas. Tu parles comme un homme ! Je crois entendre Monsieur le Gouverneur... Oh ! Qu'il faut avoir de l'esprit pour retenir tout ce que les autres disent. Mais, voici Madame. Oh ! Oui.