**** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_EDOUARD *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_edouard Adorable sujet d'une immortelle flamme, Qui tiens seule aujourd'hui l'empire de mon âme, Et ranges souveraine un Prince sous ta loi, Qui la donnant partout ne la prend que de toi : Veux-tu garder toujours cet orgueil invincible, Ne veux-tu pas enfin paraître un peu sensible ? Et cette inviolable et constante amitié Ne te peut donc toucher d'amour ni de pitié : Vois que depuis le temps que mon âme engagée À ta condition a la mienne changée, Celui qu e la naissance avait rendu ton Roi Te connaît pour sa Reine, et ne vit que pour toi : Mais si je suis changé par une amour extrême, Pourquoi, chère beauté, ne changes-tu de même ? Pourquoi n'amollis-tu ce coeur maître du mien ? Pourquoi me l'ôtes-tu qu'en me donnant le tien ? Et pourquoi ne veux-tu qu'à jamais nos deux âmes S'embrasent à l'envi de mutuelles flammes ? Sans toi je n'aime rien, pour toi j'ai tout quitté, L'éclat de:ma naissance, et cette dignité Qui m'élève au sommet de la grandeur suprême, Ne me sont importuns que depuis que je t'aime, J'abandonne déjà le soin de mon État, De mon peuple et de moi pour un esprit ingrat. Oui ton coeur est ingrat, et si ce mot t'offense, Pardonne à mon amour ce peu d'impatience, Et souffre qu'il se plaigne étant si mal traité De son peu de bonheur, et de ta cruauté. Vous n'en rendez que trop, je le vois bien, Madame, Mais vous qui pénétrez au-dedans de mon âme, Qui voyez mes pensers, et qui les causez tous, Savez bien quels devoirs je demande de vous, Ces honneurs, ces respects, et ces soins ordinaires Que je ne prétends point que des âmes vulgaires, Et que vous me rendez avec toute la Cour Contentent ma Couronne, et non pas mon amour : Cette brûlante ardeur est trop vive, et trop forte, Et ne se peut payer que de la même sorte, Elle veut de l'amour, elle veut des bontés, Qui ne se trouvent point dans vos civilités, Vous oblige à m'aimer autant que je vous aime, Que me donnant à vous, vous vous donniez de même, Qu'ayant mêmes désirs même soin, mêmes feux, Un amour éternel nous unisse tous deux, Et nous faisant goûter des douceurs infinies Il ne forme qu'un tout de deux moitiés unies. Pourquoi résistez-vous ? Quelle est cette vertu si sévère et si rude, Qui pour vous obliger à cette ingratitude Vous défende d'aimer un Roi qui meurt pour vous ? Je suis vôtre en un mot, c'est tout ce que je suis, Je veux vous adorer, c'est tout ce que je puis. Et vos cruelles lois d'une vertu sévère Ne me peuvent forcer qu'à ce que je puis faire, Mon amour qui déjà passe en nécessité Ne dépend de mon choix ni de ma volonté, Et ce trait immortel dont mon âme est atteinte Impose à mon esprit cette douce contrainte, Je ne le puis forcer, et vous tâchez en vain Par vos faibles raisons de me l'ôter du sein : J'aime, je veux aimer, et mon amour extrême Demande aussi de vous que vous m'aimiez de même, Et que foulant aux pieds cette sévère loi Me voyant tout à vous vous soyez toute à moi, La vertu le permet, et l'amour le commande, Ne refusez donc point ce qu'amour vous demande, Ne vous obstinez plus, et souffrez qu'un baiser. C'est en vain que tu fuis, je te suivrai partout, Mon amour trop avant veut aller jusqu'au bout, Et ta faible vertu ne te saurait défendre De celui qui peut tout et veut tout entreprendre. Oui j'exécuterai ce que j'ai résolu, Et je me servirai d'un pouvoir absolu Pour te ranger ingrate au vouloir de ton Maître T'apprendre ton devoir, et me faire connaître, Mes soins, et mes respects ne sont plus de saison, Un peu de violence en fera la raison, Qui par ma passion sera trop excusée, Et puis dans peu de jours tu seras apaisée. Lâche, lâche Édouard, quels pensers souffres-tu ? Ô Ciel, hé que devient ta première vertu ? Veux-tu que du passé ton changement efface Le moindre souvenir, jusqu'à la moindre trace, Et que dans les excès de ton aveugle amour Ta gloire et ton honneur se perdent en un jour, Quoi cette gloire acquise au milieu des alarmes Dans le sang, la poussière, et la fureur des armes Avec tant de sueur, de peine, et de danger, Celle qui t'a fait voir le rivage étranger, Et qui seule allumant le flambeau de la guerre T'a fait porter si loin les armes d'Angleterre, Elle qui te traînait, et pour qui tant de fois Accablé nuit et jour sous le faix du harnois Au milieu des combats, des flammes, de l'orage Te frayant par le fer un glorieux passage Parmi les corps mourants, et le sang qui coulait Tu courus orgueilleux où sa voix t'appelait. Ah ! Gloire méprisée, et jadis tant suivie, Tu vois avec horreur mon changement de vie, Et me méconnaissant en l'état où je suis, Tu me tournes le dos, tu t'en vas, tu me fuis : Mais malgré les efforts de ma honteuse flamme Quelque bon mouvement qui me reste dans l'âme, Et qu'en vain mon amour s'efforce d'ébranler Me contraint de te suivre et de te rappeler. Oui ma gloire revient, je suis prêt à te suivre, Loin de toi je mourais, tu me feras revivre, Et chassant de mon âme un désir furieux, Tu mettras à sa place un feu plus glorieux, Qui m'échauffant le coeur de plus nobles pensées Relèvera l'éclat des actions passées : Amour retire-toi, tes soins sont superflus, C'en est fait belle Élips, je ne vous connais plus, Et votre souvenir en vain me sollicite, Je n'ai plus de folie, et vous plus de mérite : Je ne m'afflige plus pour un esprit ingrat, Vous n'empêcherez plus le bien de mon État, Et prenant désormais des soins plus nécessaires ; Je ne songerai plus qu'au bien de mes affaires. Beau dessein, mais ô Dieu, qu'un esprit inconstant Forme sans apparence et perd en un instant, Bel éclair dont la flamme aussitôt disparue, Prend sa vie et sa mort en sortant de la nue, Et qui frappant nos yeux d'un éclat imprévu Se dérobe à la vue aussitôt qu'on l'a vu. J'ai beau délibérer ; mon âme a beau résoudre, Sur un dessein naissant Élips lance une foudre, Qui renverse, détruit, et perd en un moment Ce reste de raison, et ce bon mouvement : Que deviendrai-je donc, puisque malgré toi-même Tu forces mon esprit à cette amour extrême, Et règnes dans mon âme avecque tant d'appas, Pour allumer des feux que tu n'éteindras pas ? Qu'elle n'éteindra pas, espérons mieux, possible, Qu'à force de l'aimer je la rendrai sensible, Et que j'amollirai ce coeur de diamant, Faible, et lâche dessein, mais digne d'un amant, D'un amant, le beau titre, et digne du courage, Du fameux Édouard l'ornement de son âge, Et qui porta si haut l'honneur, et la vertu : Délibère donc vite, à quoi te résous-tu ? À mourir en aimant, à vivre avec la gloire, C'est trop, je cède Élips, vous avez la victoire, Et ce titre d'amant que je garde pour moi N'est pas incompatible avec celui de Roi ; Le Ciel ne me fit pas de nature impassible, Vous êtes trop aimable, et je suis trop sensible : Mais Dieu qui m'interrompt. Ah Comte c'est vous. Comte, votre amitié vous donne cette peur : Mais elle est mal fondée, et mon âme ne cache Dans un calme profond aucun soin qui me fâche, Je rêvais seulement comme parfois je fais. Mais c'était sans dessein. Enhardi-toi mon coeur, et courageux essaye D'en tirer du secours en lui montrant ta plaie, Il est père et fidèle, et peut beaucoup pour toi. Les bonnes volontés que vous avez pour moi M'obligeraient sans doute à vous dire une chose, Qui pour tout l'univers me tient la bouche close, Si j'étais assuré qu'après vous l'avoir dit J'eusse le même empire et le même crédit : Sur cette affection que vous m'avez promise, Et dont vous m'assurez avec tant de franchise : Mais Comte je crains bien. Que vous ne m'aimiez plus, Et qu'ayant su de moi ce que je devrais taire, Au lieu de me servir, au lieu de me complaire, Et me continuer la bonne volonté Que vous. Me le promettez-vous ? C'en est fait, Vous vous engagez Comte, et j'en verrai l'effet, Et vous verrez aussi celui de mes caresses, Si l'exécution répond à vos promesses, Donc pour ne vous cacher plus longtemps un secret, Que vos rares bontés m'arrachent à regret, Sachez que j'aime. Mais j'aime, le dirai-je ? Oui oui je le dois dire, Votre fille en mon âme établit son empire. Oui la Comtesse, et si votre amitié, Pour un Roi qui se meurt, n'implore sa pitié, Si vous ne m'assistez avec cette franchise, Et cette affection que vous m'avez promise, Vous me verrez périr, et vous perdrez en moi Un ami d'importance, et l'Angleterre un Roi. Voilà Comte, voilà les effets de ma crainte, Votre bouche promet, et votre coeur dédit, Je n'en pensais pas moins, je l'avais bien prédit, Et je n'ignorais pas qu'une amitié commune Vous attachait sans doute avecque ma fortune, Que vous étiez du rang des vulgaires amis ; Que pour votre intérêt vous aviez tout promis : Mais que votre amitié n'était pas à l'épreuve De ces difficultés où votre âme se trouve, Bien, laissez-moi mourir d'amour et de douleur ; Je n'espère de vous, ni secours ni faveur, Et vous m'obligerez. Il suffit, vous discourez fort bien, Et vos raisonnements viennent d'une âme saine, Qui ne sent point de mal, et conseille sans peine, Je ne dispute point, si j'ai quelque raison, Si j'ai dans mon amour, blessé votre maison ; Si mon feu vous offense, ou s'il me déshonore : Mais je connaîtrai bien si vous m'aimez encore, Si vous m'abandonnez me pouvant secourir, Si vous vous résoudrez à me laisser périr, Et si vous oublierez, il suffit je vous quitte, Vous y pourrez songer, l'affaire le mérite. Adieu. Non, je vous le défends, si j'ai quelque pouvoir. Je ne vous tairai point ce que vous connaissez : Oui j'aime la Comtesse, et je ne puis Madame, Vous cacher plus longtemps une si vive flamme : Oui, je suis tout en feu, je ne le puis nier : Mais qui m'a fait le mal me peut justifier, Élips est trop aimable, et l'on ne peut sans crime Avoir pour son mérite une légère estime, Étant digne de tout elle est digne d'un Roi, Et ce n'est qu'un tribut qu'elle reçoit de moi. L'amour que jusqu'ici vos soins me font paraître, Et que dans vos conseils se fait assez connaître De son aveuglement dût retirer un fils, Et réduire son âme à vos prudents amis, Aussi Dieu m'est témoin, que si j'étais capable D'avoir dans ma fureur un moment raisonnable, Avec quelque pouvoir de disposer de moi, Vous me verriez soumettre à ce que je vous dois : Mais croyez que mon mal est un mal nécessaire, Que je l'eusse banni si je l'eusse pu faire, Et que tous mes efforts n'ont pas eu le pouvoir D'éteindre cet amour où je vis sans espoir : Le peu que j'ai gagné sur l'esprit d'une femme, Les glaces que son coeur oppose à tant de flamme Ce visible mépris, cette obstination Dont sa fière vertu combat ma passion, M'ont fait cent fois résoudre à briser une chaîne, Que mon esprit captif porte avec tant de peine : Mais mon juste dépit, et mon raisonnement Contre un de ses regards l'ont tenté vainement, Et c'est bon gré mal gré, que mon âme supporte Le joug d'une puissante et d'une main plus forte, On doit plaindre le mal qu'on me voit endurer, Mon peuple en doit souffrir non pas en murmurer, Il se rend criminel s'il en ouvre la bouche, Il doit participer à tout ce qui me touche, Et de quelque douleur qu'un chef puisse pâtir, Tous les membres du corps s'en doivent ressentir, Outre qu'il est injuste, et que sa plainte est vaine, S'il murmure d'un mal dont j'ai toute la peine, S'il souffre quelque chose il ne m'est point connu, Je l'ai d'un soin égal jusqu'ici maintenu, Et le profond repos qu'il goûte dans ma terre, Ne l'incommode point de foule ni de guerre : Enfin aucun des miens n'a droit de me blâmer, Ni de savoir si j'aime, ou si je dois aimer. Madame, vos discours n'ont rien qui me déplaise, Et vous seule avez droit de condamner un fils, Qui reçoit comme il doit l'honneur de vos avis. Je vous suis obligé, Et de votre amitié j'ai des preuves si claires, Que ces soins désormais n'y sont plus nécessaires : Aussi quelque crédit que vous ayez sur moi, Et quoique Mortimer soit très digne de foi, J'aime mieux hasarder ma vie ou ma couronne, Que de prêter l'oreille à l'avis qu'il me donne, Quand par mille témoins j'en serais assuré, Je ne croirais jamais qu'Élips ait conspiré Contre un Roi légitime, et contre un Roi qui l'aime : Non je ne le crois pas l'eussé-je vu moi-même, Et je démentirais mon oreille et mes yeux, Pour sa haute vertu dont il faut juger mieux, Elle m'est trop connue, et j'en ai mille preuves Qui me font adorer ce miracle des veuves. Songe bien Mortimer à ce que tu proposes, Regarde encore un coup l'événement des choses, Et ne t'engage point que très bien à propos En le vérifiant tu me perds de repos, Et me faisant armer contre celle que j'aime : Sache que ton avis m'arme contre moi-même, Et que ne pouvant rien sur un amour ardent Son dessein avéré me perd en la perdant : Mais aussi sois certain si c'est une imposture, Qu'avec toute rigueur je venge son injure, Si tu ne me fais voir ce que tu me promets, N'attends point un pardon que tu n'auras jamais, Que je perde le jour si jamais je l'accorde, Oui ta tête en répond, mais sans miséricorde. Je verrai Mortimer si vous êtes fidèle, Et je vais de ce pas la surprendre chez elle. Elle est toute surprise, Mais pour lui témoigner ma première franchise, Et que rien de sa part ne peut m'être suspect, Je la veux rassurer par un profond respect, N'allez pas plus avant, que chacun se retire, Et qu'on me laisse seul, j'ai quelque chose à dire, Dont l'important secret ne veut pas de témoin. Ô Dieu qu'ai-je entrouï mais mon abord la trouble, Son visage pâlit et mon soupçon redouble, Sans doute elle est coupable : ô Dieu ! Serait-il vrai, Et la dois-je aborder, oui je l'aborderai, Et sans craindre la mort de la main d'une femme, Je lui découvrirai tout ce que j'ai dans l'âme Disposez-vous Madame. Remettez-vous, Et ne vous troublez point de remords ni de craintes, Disposez-vous, Madame, à recevoir mes plaintes, Me voyant procéder de toute autre façon, Qu'un Roi ne le devrait dans un juste soupçon : Mais ce n'est pas pour vous que ce titre me reste, Et ce charme fatal d'une beauté céleste, Qui soumit à vos pieds mes empires et moi, Me dépouille pour vous de ces marques de Roi. Ce n'est donc plus en Roi que je vous fais ma plainte, Dans la juste douleur dont mon âme est atteinte : Mais en homme privé qui vous peut reprocher Ce que sa passion ne vous doit plus cacher. Ah ! Madame, employez vos yeux à cet office, Vos yeux mieux que vos mains vous rendront ce service, Et sans faire sur moi des efforts superflus, Vous mettrez au tombeau celui qui ne vit plus, Si vous persévérez dans la cruelle envie D'ôter à votre Prince une importante vie, Et de percer ce coeur que vous avez vaincu, Vivez de la façon que vous avez vécu, L'ayant toujours haï persévérez encore, Voyez avec horreur celui qui vous adore, Et si ce traitement ne cause son trépas, Achevez un trompeur qui ne vous aime pas, En me faisant périr par cet oeil qui m'enflamme, Vous vous garantissez de reproche et de blâme, Vous vous garantissez d'un horrible attentat, Qui touchant ma personne offense tout l'État, Et par une action plus louable et plus belle, Vous sauvez votre sang d'une honte éternelle, Ce discours vous surprend, du moins vous le feignez : Mais cet étonnement que vous m'en témoignez, Ne vient que du regret de vous voir découverte, Le Ciel m'ouvrant les yeux à deux doigts de ma perte, Par un soin charitable a prévenu mes soins, En me donnant l'avis que j'attendais le moins : J'ai su votre dessein, vous le pouvez connaître : Mais ce ressentiment que je vous fais paraître, Quoi que ma passion vous puisse reprocher, N'est pas pour vous priver d'un repos qui m'est cher, Quoi que ma belle Élips entreprenne et conspire Toujours sur mon esprit elle a le même empire, Et parmi les transports de mon ressentiment, Quelque aigri que je sois je suis toujours amant, Bien que ton action parut illégitime, J'ai prononcé ta grâce en apprenant ton crime, J'ai désiré la mort que tu me souhaitais, Et j'ai cru comme toi que je la méritais, Je mets à t'obéir ma meilleure fortune, Puisque tu hais ma vie, elle m'est importune, Et puisqu'il te déplaît autant que mon amour, Je me croirais coupable en conservant le jour, Ne diffère donc plus d'accomplir ton envie, Achève ton dessein, arrache-moi la vie, Je t'absous des serments de ta fidélité, Et tu n'auras jamais plus de commodité, Nous sommes seuls ici, quel respect te retarde Pour te favoriser j'ai fait ôter ma garde, J'ai tout fait retirer, tout rit à ton dessein Pour le faciliter je te tendrai le sein, Tu diffères craintive. Que tu ne peux comprendre esprit dissimulé, Ai-je pour m'éclaircir obscurément parlé. Puis-je plus clairement t'expliquer ton envie, D'arracher à ton Roi la couronne et la vie ? Oui tu veux qu'il périsse, et de ta propre main Ne déguise donc rien à qui sait ton dessein, À qui ton entreprise est déjà si connue, Sans me la demander ta grâce est obtenue, Quoi que sur un amant ton bras ait attenté, Il n'est point criminel de lèse Majesté : L'amour que j'ai pour toi de ce crime te lave, Pour d'autres je suis Roi, pour toi je suis esclave, Et ce qui passerait pour un crime d'État, Pour une félonie, et pour un attentat Dont l'exemple est horrible à toute la nature, Est en ma souveraine une petite injure : Elle abhorre ma vue, elle me veut bannir, Ma passion l'offense, elle m'en veut punir, Et pour l'exécuter quelque effort qu'elle fasse, Ses yeux et mon amour entérinent sa grâce : Mais ne déguise plus ce que je sais trop bien, Tu répares ta faute en ne me cachant rien, Et tu dois recevoir la foi que je te donne, Qu'en me le confessant ton crime se pardonne. Je ne feins point, Madame, Et je vous ai parlé du meilleur de mon âme, Plût à Dieu que ce fut avec moins de raison, Et que l'avis que j'ai de votre trahison Eut pour tout fondement une simple apparence, Qui vous laissât encor quelque ombre d'innocence, Je fuirais les moyens de me désabuser, Un véritable amour vous voudrait excuser, Si mon sceptre, ou mon sang vous rendait innocente, Je tiendrais désormais leur perte indifférente, Et je donnerais tout pour conserver un bien, Sans lequel je ne veux, ni ne prends plus rien : Mais j'en ai malgré moi des preuves in faillibles, Des témoins sans reproche, et des marques visibles N'étant venu chez vous que très bien informé, Toutes vos actions me l'ont trop confirmé, J'ai lu dans vos discours, votre front, et vos gestes De vos mauvais desseins des marques très funestes, Et j'ai de votre bouche entrouï quelques mots, Qui m'en ont trop appris, oui trop pour mon repos, Je te conjure donc par toutes les pensées, Que ce coeur enflammé t'a jamais adressées De connaître ta faute, et ce que tu me dois, Je t'en conjure ici pour la dernière fois, Ne me déguise plus une chose connue Puisque avec mon amour ma bonté continue, Et ne refuse plus un pardon accordé À ta confession sans l'avoir demandé, Vois l'état déplorable où mon âme se trouve, Et ne me porte point à la dernière preuve, Si j'en viens à ce point n'espère plus en moi, Mon amour rebuté ne pourra rien pour toi, Et ton ingratitude à nous perdre obstinée ; Enfin verra le but où tu l'as destinée. Vous me faites, Madame, une grâce parfaite, En vous justifiant comme je le souhaite, Et bien que par les miens je me trouve déçu, C'est le plus grand plaisir que mon âme ait reçu : Mais plus qu'une innocence, et si pure, et si belle Dédaigne les bontés qu'on peut avoir pour elle, Et qu'une âme sans crime abhorre avec raison Les offres qu'on lui fait de grâce et de pardon, Ne trouvez point mauvais après tant de prières, Que j'en vienne, Madame, à ces preuves dernières. Ô Ciel il est donc vrai, non non, je n'en crois rien ; Mais en puis-je douter, je le vois, je le tiens, Je le tiens ce cruel qu'une main parricide Destinait lâchement à ce dessein perfide : Ce fer dont cette main s'armait pour mon trépas, Mais mes yeux, mais ma main ne m'abusez-vous pas, Et m'y puis-je fier après cette merveille ? Pourquoi les démentir ? Je suis vivant, je veille, Je n'en puis plus douter, je le tiens, je le vois Ce fer que cette main destinait à son Roi, Monstre d'ingratitude, âme noire, âme lâche, Qui noircit tous les tiens d'une éternelle tache, Et laisses à ton sexe une horreur désormais, Que le temps ni ton sang n'effaceront jamais, Prodige sans exemple en toute la nature, Prodige détestable à la race future, Vois ce bel instrument de ton aversion, Vois ce que tu rendais à mon affection, Regarde à quel effet l'avais-tu disposée Cette cruelle main que j'avais tant baisée Quel coeur elle perçait, quel sang tu répandais, Quel coup était le tien, et que l Roi tu perdais. Non perfide il n'est plus temps de feindre, J'en ai déjà trop fait, je suis las de me plaindre, Puisque tu dois pleurer, pleure pour tes malheurs, J'ai pour me contenter des remèdes meilleurs : Un coeur qui te déteste, une exacte justice Pour ordonner le tien, je quitte mon supplice, J'abhorre ton amour, je brise tes liens, Et je sors de tes fers pour te charger des miens, Tu m'as vu ton esclave, et tu me vois ton maître, Ce coeur qui t'adorait ne te veut plus connaître. Et le tien trop ingrat ne peut sans s'abuser Attendre le pardon qu'il vient de refuser. Le temps en est passé, quoi que ta beauté fasse, Quoi que fassent tes pleurs n'espère plus de grâce, Puisque tu l'as voulu tu me verras venger. Holà, qu'on vienne à moi. Voyez de quel danger Mon Démon tutélaire a garanti ma tête, Voyez le fer tout prêt, et la main toute prête, Dont cette ingrate femme allait percer mon sein, Et toi lâche vieillard complice d'un dessein, Qu'une si faible main n'osait seule entreprendre. Vois de quelles raisons tu la pourras défendre, Vois comment tu payais les honneurs et les biens, Dont cette main prodigue a comblé tous les tiens. Si ton ambition n'était pas assouvie, Devais-tu lâchement attenter sur ma vie Et t'armer contre moi d'une si chère main ? Vous répliquez en vain, Pour vous justifier parlez devant vos juges, C'est où votre innocence aura tous ses refuges, Vous n'avez plus d'ami, vous plus d'amant en moi. Je suis égal pour tous, en un mot je suis Roi, Je vous laisse Baron un soin qui vous regarde, Faites qu'ils soient tenus en bonne et sûre garde, Et pour servir d'exemple à de pareils excès, Qu'avec toute rigueur on face leur procès. De grâce qu'on me laisse un moment en repos, Vous allez de ce pas. Observez de tout point ce que je vous ordonne, Et surtout gardez-vous d'en parler à personne : Allez. Qu'il vienne et promptement. Restes impérieux de ma flamme passée, Pourquoi bourrelez-vous ma coupable pensée ? Pourquoi remettez-vous dedans mon souvenir Cet objet criminel que vous devez bannir ? Et pourquoi souffrez-vous la funeste mémoire D'un coeur si déloyal et d'une âme si noire, Tyrans de mon repos, pestes de ma raison, Pouvez-vous revenir après sa trahison ? Et naissez-vous encor de cette vive flamme, Qui pour ce coeur ingrat sut embraser mon âme ? Ah ! Je vous désavoue, et je vous méconnais Bourreaux de mon esprit éloignez-vous de moi, Et ne retardez plus le cours d'une justice, Qui finit tous mes maux par un dernier supplice, Je saurai vous éteindre avec votre flambeau, Je vous renfermerai dans un même tombeau, Et je vous couvrirai d'une nuit éternelle, Vous ensevelissant avec ma criminelle Dans de mortels glaçons votre feu s'éteindra, Oui vous mourrez mutins quand l'ingrate mourra, Quand l'ingrate mourra. Juste dieu quel blasphème, Quoi mon Élips mourra, je mourrai donc moi-même, Le filet de ma vie est dépendant du sien, L'arrêt de son trépas sera celui du mien, Et pour punir son crime avec mon innocence, Il ne faut prononcer qu'une seule sentence Vous à qui de son sort tout le soin est remis, Votre commission vous rend mes ennemis, Et si vous condamnez mon aimable ennemie, Vous n'ordonnez qu'à moi la mort et l'infamie : Mais votre autorité ne peut rien sur les Rois, Et je m'affranchirai de vos sévères lois, Je la garantirai, l'ingrate, l'infidèle D'une punition qui me perd avec elle, Et je la punirai de plus cruelles morts En la forçant de vivre avecque son remords. Ah ! Mon affection pourrais-tu bien permettre Qu'à la rigueur des lois je la visse soumettre, Et qu'un barbare coup détruise ce beau corps, Où le Ciel déploya ses plus rares trésors ? Verrais-tu d'un même oeil, et d'un même courage Les marques de la mort peintes sur son visage ? Verrais-tu ce teint pâle, et verrais-tu ces yeux De qui ta passion fit ses Rois et ses Dieux, Une source autrefois d'une flamme éternelle Couverts d'une nuit sombre et d'une horreur mortelle ; Ce front blême et terni, ces lèvres sans couleur ; Enfin tout ce beau corps sans vie et sans chaleur, Présenter à nos yeux par un spectacle horrible Parmi des flots de sang ce beau tronc insensible. Ah ! Penser, ah ! Penser, je ne te puis souffrir, Et le tableau hideux que tu me viens offrir, M'a déjà trop puni de mon dessein barbare, Me faisant ressentir la mort qu'on lui prépare : Vous vivrez chère Élips quand je devrais mourir, Et le plus grand danger que je puisse courir Me sera bien léger, pourvu qu'il me délivre D'une appréhension qui me défend de vivre. Édouard, Édouard, étouffe ce penser, Banni ce souvenir qui te doit offenser, Et qui remet encore à ton âme douteuse De tes malheurs passés la mémoire honteuse, Peux-tu l'aimer encor cette fière beauté, Ce monstre de malice et d'infidélité, Dont l'âme sans pitié dédaignait tes services, Et dont le coeur ingrat riait de tes supplices : Celle que tant de soins, de devoirs et de voeux, Tant de pleurs répandus, tant d'amour, tant de feux, Obligent pour le prix de l'avoir tant servie À faire des complots contre ta propre vie. Ah ! Ne revenez point, vos soins sont superflus, Mon amour, ma pitié, je ne vous entends plus, Mon intérêt enfin m'est plus cher que le vôtre, Et mon ressentiment vous éteint l'un et l'autre : Cet empire est perdu que vous aviez sur moi, Vous me vîtes amant, et vous me voyez Roi, Pour le bien du Royaume il faut qu'elle périsse, Et le rang que je tiens m'oblige à la justice, Cet État a mêlé son intérêt au mien, Elle voulait mon sang, il demande le sien, Et criant que son crime est indigne de grâce, Il attend qu'elle meure, et qu'on le satisfasse. Mon peuple arrêtez-vous, et pour me témoigner, Qu'encor sur vos esprits vous me laisser régner, Et que j'ai conservé cette entière puissance, Qui m'a rendu si grand par votre obéissance, Craignez dans votre amour de me désobliger, Et si vous embrassez le soin de me venger, Pour vous en acquitter sans reproche et sans blâme, Cherchez cette infidèle au milieu de mon âme, Prenez ce lâche coeur, adressez-y vos coups, Ils seront tous mortels, ils la blesseront tous, C'est là qu'elle demeure, et que votre justice Doit porter sa vengeance et mon dernier supplice. Ô Ciel, en quel état me trouvé-je réduit, Toi dont le haut pouvoir m'élève et me détruit, Et qui favorisant mes premières années M'as de ta propre main les victoires données. Certes si mes péchés t'aigrissaient contre moi Tu pouvais autrement punir un pauvre Roi, Ta main sur ses États pouvait lancer la foudre, Réduire ses Palais et ses villes en poudre, Armer l'onde, la flamme, et tous les éléments, Détruire ce pays jusqu'à ses fondements, De cette Île abîmée éteindre la mémoire, Et par une ruine incroyable à l'histoire, N'aient enlevé gloire, amis, fortune, et biens, M'ensevelir enfin dans les cendres des miens. Ha ! Je vois ce vieillard dont le conseil perfide Arma contre son Roi cette main parricide. À peu que de mes mains je m'arrache ce coeur, Mais il le faut punir avec plus de rigueur, Et mon ressentiment se rendrait condamnable S'il donnait à ce traître une fin honorable, Approche malheureux, approche déloyal, Viens Dragon altéré de tout le sang Royal, Et ne redoute point les plus sanglants reproches, Que ton remords tardif attend de ses approches. Hé bien méchant ! Tu vois que tes complots sont vains, Et le Ciel ennemi de tes nobles desseins M'a découvert enfin ta louable entre prise, Et ce que ta vertu rendait à ma franchise, Qu'avais-je fait ingrat qui t'y dut obliger, Et de quel déplaisir te voulais-tu venger ? Ne t'ai-je point soûlé d'honneurs et de richesses ? N'ai-je pas sur les tiens prodigué mes largesses ? Ne t'élevai-je pas au-dessus de ton rang, Pour te rendre pareil aux Princes de mon sang ? Ne te donnai-je pas par-dessus ton attente La charge la plus haute et la plus importante Que ton ambition aurait pu souhaiter ? Mais puisque tant de biens n'ont pu te contenter, Du moins que t'ai-je fait, parle, j'aime ta fille, Et mon amour sans doute offense ta famille, Elle te déshonore, elle te fait un tort Qu'un homme vertueux doit laver par ma mort. Hé bien ! Je dois périr, mais si l'offense est tienne, À quoi te sert ta main, te servant de la sienne : A-t-elle plus que toi sujet de me trahir, A-t-elle plus que toi raison de me haïr, Me veux-tu mieux punir, et te mieux satisfaire, En me faisant périr par une main si chère. Ha ! Cruel, ha ! Cruel, à quelle extrémité Me réduit maintenant ton infidélité ? À quoi me contrains-tu, mais ton oeil me menace, Et ce front se relève avecque tant d'audace Qu'on jugerait à voir ce sourcil menaçant, Que je suis criminel, et qu'il est innocent. Perfide, ton dessein est trop vérifié, Et l'on ne se sert point de cette procédure Dans un crime si clair, et de cette nature, Te voyant convaincu d'un si noir attentat, N'espère point de moi la gloire d'un combat, Il n'est aucun besoin d'avérer une affaire Dont j'ai reçu moi-même une preuve si claire, Je n'en suis plus en doute après ce que j'ai vu, Et si je suis trompé mes yeux seuls m'ont déçu. Non je n'en puis douter, ta fille est criminelle, Et dans sa trahison tu trempes avec elle, Un coeur faible et timide, un bras comme le sien Ne l'eut pas entrepris sans le secours du tien, J'en suis trop assuré, tu n'y saurais répondre, Et toutes tes raisons ne font que te confondre, Ne réplique donc plus, et songe seulement Quelle punition, quel horrible tourment La justice d'un Roi doit à ta félonie, De quel genre de mort peut-elle être punie ; Songe aux plus rigoureux que l'on ait inventé, Et que ton attentat n'a que trop mérités : Mais de quelque douleur que ton crime me blesse, Dans mon ressentiment regarde ma faiblesse, Quoi que la déloyale attente contre moi, La qualité d'amant m'ôte celle de Roi, Je l'aime toute ingrate et toute criminelle, Et mon coeur m'abandonne, et me trahit pour elle. Oui je l'aime, oui je l'aime après sa trahison, Mon âme l'a suivie, elle est dans sa prison, Et de quelque courroux qu'elle soit enflammée Un seul de ses regards le réduit en fumée, Oui, quoique son salut me dut faire périr, Je ne me puis résoudre à la laisser mourir, Et pour elle et pour toi j'oublierai ma justice, Je pardonnerai tout pourvu qu'elle fléchisse, Et que pour réparer son infidélité, Elle relâche un peu de sa sévérité, Ne désespère point de ma miséricorde : Mais donnant une grâce il faut que l'on me l'accorde, Qu'elle change d'humeur, et pour vous et pour soi, Et qu'ayant pitié d'elle, elle ait pitié de moi. Jugez après cela ce que vous devez faire, Si vous me répondez que vous êtes son père, Et que votre courage abhorre cet emploi, Songez que c'est pour vous aussi bien que pour moi, Et qu'il ne s'agit plus d'une simple disgrâce, Mais de votre salut et de toute une race, Que mon ressentiment et mon juste courroux En vous exterminant accablent avec vous : Ne lui parlez donc plus par une obéissance, Qui vous doit obliger à quelque complaisance : Mais pour votre salut, Comte, et vous assurez Qu'il dépend seulement de ce que vous ferez. C'est assez, votre repart m'offense, Ne répliquez point, sortez de ma présence, Allez, et songez bien après m'avoir trahi, Que pour votre salut je dois être obéi. À quoi Comte ? Oui vous mourrez tous deux, et quoique cette ingrate De mon affection trop vainement se flatte, Et brave avec mépris les bontés de son Roi, Toute grâce est éteinte, et pour elle et pour toi, Nous en viendrons à bout de cette âme de roche : Mais mon ressentiment lui doit quelque reproche, J'en aurai le plaisir, et vous l'aurez aussi, Mais je diffère trop, holà qu'on vienne ici. Allez tout de ce pas me quérir la Comtesse, Et l'amenez bientôt, déjà le temps me presse, Elle vit trop l'ingrate. Ha ! Traître, en ma présence oses-tu discourir, Ne me réplique point, ou ma juste colère. La nature du crime y met la différence ; Et si ma passion ne se venge à souhait, Mon esprit ne sera qu'à demi satisfait, Je lui veux reprocher. Il n'importe, souffrez que je me satisfasse, La voici, juste Dieu, je tremble, je frémis, Et jamais à l'abord de cent mille ennemis Mon âme ne parut si vivement émue, Et mon coeur si troublé, qu'à cette seule vue, Que chacun se retire, et qu'on nous laisse ici. Ha ! Mon coeur, ha ! Mon coeur te relâcher ainsi, Quoi pour un simple trait d'un regard qu'elle lance, Tu perds toute ta force et toute ta constance, Reviens lâche, reviens, et ne me quitte pas, La haine t'a muni contre tous ses appas, Des charmes si trompeurs n'ont pour toi plus d'amorce, Et sur ta liberté ses yeux n'ont plus de force. Ha ! Vue, ha ! Doux regards, je suis déjà vaincu, Et de quelque raison que mon coeur vous combatte, De quel front, de quel oeil puis-je aborder l'ingrate, Tu reviens mon amour, ma haine c'en est fait, Mes résolutions vous n'avez plus d'effet. Ô Ciel que deviendrai-je, et quel sort dois-je suivre, Quel destin est le mien, dois-je mourir ou vivre ? Où suis-je, juste Dieu, je ne me connais plus, Mon courroux se dissipe, et je reste confus. Toi qui ris dans ton coeur de mon sort lamentable, Et qui seule a causé cet état déplorable, Ou pour t'avoir aimée avec si peu de fruit, Ton infidélité m'a maintenant réduit, Regarde mes malheurs, ingrate et considère Où ton ingratitude a porté ma misère, Où ton crime a porté ce misérable Roi, Qui n'avait point failli qu'en t'aimant plus que soi, Vois que tu l'as contraint par un remède extrême À contenter les siens au prix de ce qu'il aime, Et te sacrifier au courroux d'un État, Qui demande ta vie après ton attentat Vois quel mal est le sien, puisqu'il faut qu'il répande Un sang qui lui fut cher, et que l'on lui demande, Qu'il doit signer la mort que l'on te veut donner, Et que tout Roi qu'il est il ne peut pardonner, Était-ce pour le prix de t'avoir tant servie Que tu fis lâchement ces complots sur ma vie : Et voulais-tu payer tant de zèle et d'amour D'un Roi qui t'adorait en le privant du jour Dans mon affection as-tu reçu d'offense, Qui te dut obliger d'en tirer la vengeance ? Abusai-je du rang et du pouvoir d'un Roi, Ne t'honorai-je pas autant que je le dois, Et m'as-tu vu sortir quelque ardeur qui m'emporte Du respect qui se doit aux femmes de ta sorte ? Que t'avais-je donc fait pour me haïr si fort, Quelle gloire, ou quel bien tirais-tu de ma mort ? Ceux que j'avais soumis au sceptre d'Angleterre, Voulaient-ils par tes mains renouveler la guerre, Et dans les bras des miens par un coup imprévu Secouer à ma mort le joug qu'ils ont reçu, Ou mon peuple lui-même avait-il cette envie, A-t-il quelque raison de détester ma vie Et dans un tel dessein se servait-il de toi, Suis-je tyran, altier, injuste, ou mauvais Roi ? Ha ! Cruelle tu vois, à quel malheur extrême Ta cruauté me traîne en t'y traînant toi-même. Plût au Ciel, et mon coeur te le proteste ainsi, Plût à Dieu que déjà ton coup eut réussi, Et que je fusse mort avec cette créance, Que tu vivais encore avec quelque innocence, Je serais garanti de ce regret mortel, Qui me va bourreler d'un remords éternel Peut-être ta rigueur se soûlait de la mienne, Et je souffre cent morts en permettant la tienne. Ce n'est pas mon dessein, Arrêtez-vous, Madame, Arbitre souverain, Toi qui vois mes douleurs et ma peine infinie, Ouvre, ouvre-moi les yeux contre la calomnie, Tire-moi de l'erreur où ma crédulité Assez légèrement m'avait précipité : Et désarme mon coeur de ce courroux extrême, Et contre l'innocence, et contre ce que j'aime, Mon repos en dépend, et la gloire le veut, Pour vous justifier mon coeur fait ce qu'il peut : Mais de quelque raison qu'il vous veuille défendre, Il reste un point que je ne puis comprendre, Si vous n'aviez dans l'âme aucun mauvais dessein, Deviez-vous emprunter le secours et la main ? De Mortimer. Oui Madame. À lui confidemment vous ouvrîtes votre âme, Le voulant engager dedans votre parti, Et bref c'est de lui seul que j'en fus averti. Ha ! Ne reste plus, mon coeur, il se faut rendre. Pourquoi t'endurcis-tu contre ton propre bien ? Pour la justifier il ne reste plus rien. Enfin la vérité se fait assez connaître, Et mon amour l'absout, et condamne le traître : Miracle de vertu, miracle de beauté, Miracle de constance et de pudicité, Beau chef-d'oeuvre adorable à la race future, Chef-d'oeuvre le plus beau qu'ait produit la Nature : Mais qu'avec tant de coeur, de vertu, de beauté, Par une erreur aveugle on a si mal traité ; Malheureuse beauté, vertu persécutée, Hélas ! Dans quels malheurs t'ai-je précipitée ? Et de quelle façon pourrai-je réparer Ce que ma rage et moi t'avons fait endurer ? Quels biens puis-je donner, quel sang puis-je répandre, Enfin par quels moyens y puis-je encor prétendre ? Ha ! Si ce coeur rempli de générosité Garde pour ma douleur des restes de bonté, Et si je puis encore implorer ta clémence, Oublie un si grand crime, et vois ma repentance, Amollis ce grand coeur justement endurci, Je me jette à tes pieds, j'implore ta merci, Je ne mérite point de pardon ni de grâce ; Mais si tu veux souffrir que je me satisfasse, Et que quelque prétexte excuse mon forfait, Accuse mon amour du mal que je t'ai fait : Mais je lui prescrirai de meilleures limites, Et l'aurai désormais tel que tu le mérites : Je n'aurai plus pour toi, ni désir, ni penser Dont même les effets te puissent offenser, Et je veux reconnaître une vertu si rare Par des preuves d'amour que l'amour te prépare : L'honneur que tu perdais te doit être rendu, Et d'autres où jamais tu n'avais prétendu. Holà qu'on vienne ici. Voyez cette merveille, Regardez ce miroir de vertu nonpareille, Venez participer à mon contentement, Bénir de mon amour l'heureux événement, Voir la fin que le Ciel accorde à mon supplice, Et la haute vertu qui triomphe du vice, Vous qu'un aveugle amant blâma de trahison, Et de qui maintenant je demande un pardon. Comte, excusez de grâce un traitement barbare, Puisque je m'en repends, et que je le répare, Je devais mieux traiter un homme vertueux, Être plus indulgent et plus respectueux : Mais puisque mon erreur m'a porté dans un crime, Indigne d'un amant, et d'un Roi légitime, Vous verrez à quel point je le veux réparer, Et de quelle façon je vous veux honorer. Arrêtez, Mortimer, je veux parler à vous, Indigne et vil objet de mon juste courroux : Traître, traître cent fois, as-tu bien la puissance De respirer encore et souffrir ma présence ? Fis-tu si peu de cas du repos de ton Roi, Et de cette bonté qu'il eut toujours pour toi ? Crois-tu sans ma mort accomplir ton envie, Perdre ce que j'aimais sans me priver de vie, Ce que pour moi la terre a d'aimable et de beau. Bref ce que j'adorais sans me mettre au tombeau ? Ha ! Tu le savais trop, et ton âme perfide Tramait contre moi seul son dessein parricide, Tu ne le peux nier, oui ce fut contre moi, C'est donc à moi perfide à me venger de toi. Quel dessein avais-tu ? Traître ta lâcheté n'est que trop avérée, Je t'en saurai punir, et ta mort est jurée, En un mot souviens-toi du pacte que tu fis, Et n'espère de moi que ce que je promis. Non non, n'en attends point de pardon ni de grâce, Qu'on l'arrache d'ici, que son procès se fasse, Qu'on le traite en justice avec toute rigueur Comme un sujet perfide, et comme un imposteur. Madame, c'est assez, je n'en avais point douté, Et je reçois de vous ces preuves de bonté, Qui de votre amitié ne sont pas les premières, Il devait cet office à vos moindres prières, Et périssant pour vous, il s'acquitte aujourd'hui Des bonnes volontés que vous avez pour lui, Vous l'avez plus aimé qu'il n'était nécessaire, J'en ai reçu la honte, et je m'en devrais taire : Mais je suis trop instruit, et trop intéressé, Et je veux aujourd'hui réparer le passé, Et pour vous établir l'ordre que je désire, Retirez-vous chez vous. Suivez-la de ce pas, Gardez bien son logis, et ne la quittez pas, Vous fidèles témoins de ma bonne fortune, À qui toute ma joie ets désormais commune, Voyez mon changement, et regardez mon choix, Si la Comtesse Élips n'est pas du sang des Rois, Sa vertu dont l'éclat honore l'Angleterre, Mérite sa Couronne, et de toute la Terre : Il faut que tout lui cède, et qu'étant né son Roi Je soumette à ses pieds mes Empires et moi. Devant vous mes amis je confesse mes crimes, J'eus pour elle autrefois des feux illégitimes, Et contre son honneur je fis tous mes efforts, Mais jugez du succès en voyant mon remords : Si dans mon repentir le passé se répare, Je veux récompenser une vertu si rare, Ce courage Royal et cette pureté Par ce suprême honneur qu'elle a trop mérité. Oui si je puis tirer cet aveu de sa bouche, Je veux qu'elle partage et mon sceptre et ma couche, Que vous la connaissiez, que vous lui rendiez tous L'hommage, et les devoirs que je reçois de vous Qu'elle atteigne aujourd'hui la grandeur souveraine, Et que vous approuviez une si digne Reine, Me voulez-vous, Madame, accorder ce bonheur ? Madame, c'est assez, Ou vous êtes ma Reine, ou vous m'obéissez. Il suffit, vous Monsieur me serez-vous contraire, Et me refusez-vous votre consentement ? Madame, de ma main recevez cet anneau, Et prenez d'un Époux ce gage qu'il vous donne, Votre tête aujourd'hui recevra la Couronne ; Et me donnant à vous je vous donne ma foi, Que vous allez régner sur mon peuple et sur moi. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_ELIPS *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_elips Sire, je reconnais l'honneur que vous me faites Avec tout le respect que vos moindres sujettes Doivent toujours avoir pour votre Majesté, Et si je puis parler avec la liberté Qu'au-dessus de mon rang votre bonté me donne Les grâces que les Rois n'accordent à personne, Que par un glorieux, et favorable choix Je reçois tous les jours du plus brave des Rois, Et dont très justement ma vanité se flatte M'accablent de faveurs, et me rendent ingrate. Oui, Sire, je le suis, je ne le puis nier, Et si je prétendais de m'en justifier Ce haut degré d'honneur où je me vois montée, Cette faveur si grande, et si peu méritée, Et les preuves que j'ai de votre affection Me fermeraient la bouche à ma confusion : Mais pour cette bonté que je dois reconnaître, Et votre grandeur me fait si bien paraître. Ai-je manqué, Seigneur, au respect que je dois, Ou de ressentiment des grâces de mon Roi Dans ce faîte orgueilleux où je suis parvenue, Dans ce comble d'honneurs, me suis-je méconnue, Et n'ai-je point rendu dans la civilité Tout ce que je puis rendre à votre Majesté ? Ah ! Sire, c'est assez, Vous êtes vertueux, et vous me connaissez. Je vous rends les devoirs que nous vous devons tous, Et je n'ignore point tout ce que la naissance Demande pour mon Roi de mon obéissance : Mais voyant ce qu'il est, je vois ce que je suis, Je sais ce que je dois, je sais ce que je puis, Et je suis résolue à conserver l'estime Qu'un Prince vertueux perdrait après mon crime. Oui, Sire, la vertu que vous avez en moi A seule mérité les faveurs de mon Roi, Et vous pouviez trouver des beautés plus parfaites Dans le nombre infini de vos belles sujettes : Mais votre âme plus noble a bien mieux estimé Cette haute vertu qui l'a toujours charmé, Et qui d'un si beau bruit honorant l'Angleterre, Le borne seulement des bornes de la terre : Perdrez-vous donc en moi ce qu'on adore en vous, Ce qui vous rend si grand si révéré de tous, Et vous fait différer de tant d'autres Monarques Par un si haut éclat, et de si belles marques. Ah, Sire, revenez de votre aveuglement Dans ce penser honteux votre coeur se dément, Et vous étoufferez si vous m'aimez encore, Un désir qui nous unit, et qui me déshonore : Considérez un peu que vous perdez d'honneur La veuve d'un fidèle, et brave serviteur, Qui prodigua sa vie, et son sang pour le vôtre, Et que pour vous enfin a perdu l'un et l'autre : Je crois que ces raisons auront assez de poids Pour faire reconnaître au plus juste des Rois, Et que pour sa vertu toute la terre adore, Ce qu'il fut autrefois, et ce qu'il est encore, C'est trop, Sire, c'est trop, vous voyant abuser Du rang qui dessus moi vous donne cet empire, Souffrez que je l'évite, et que je me retire. Madame le roi vient. Assurez-vous, Monsieur, d'un silence discret, Et que je saurai taire avec assez d'adresse, Ce que votre bonté confie à ma faiblesse. J'avais déjà connu vos bonnes volontés, Et je suis redevable à tant de charités, Dont mon affection a reçu mille preuves, Et que votre vertu témoigne aux pauvres veuves : Mais s'il m'était permis de douter là-dessus, Je croirais vos soupçons légèrement conçus, Et j'aurais de la peine à donner ma créance À de faibles effets d'une fausse apparence, J'ai connu jusqu'ici le Roi si vertueux, Si modeste, si sage, et si respectueux, Que dans ces noirs soupçons je croirais faire un crime, Si jamais mon esprit l'avait en autre estime, Et ce sont des pensers si peu dignes de lui, Que sa juste rigueur les punit en autrui, Bien qu'au-dessous de lui je suis d'une naissance Qui me met au-dessus d'une indigne licence. Le comte de Salbric, mon généreux mari, De qui le souvenir est encor si chéri S'étant perdu pour lui, laisse trop de mémoire, Et du rang qu'il tenait, et d'une haute gloire, Pour craindre que son Prince eut cette lâcheté De traiter son épouse avec indignité : Le Comte de Varvic, mon vieux, et brave père, Qui mène dans l'État une vie exemplaire, Et qui de son Roi même est si fort honoré, Pour craindre cet affront est trop considéré : Et certes si j'allais pour des craintes légères Rechercher mon salut aux terres étrangères, Je ferais trop de tort à la vertu d'un Roi, Qui ne fit jamais voir que du respect pour moi. Monsieur, vous dois-je croire, et parlez-vous sans feinte. Mais je connais le Roi, Il a trop de vertu pour souffrir ces pensées. N'importe je suis prête, À la fureur du Roi j'exposerai ma tête, Je lui dois du respect, mais s'il en veut sortir Je porte avecque moi de quoi me garantir Dans quelque extrémité que je fusse réduite, Ce secours est meilleur que celui de la fuite : Que je cours exposée à tant de vains travaux, Errante fugitive à la merci des eaux, Aux pays étrangers mendier un asile, Si mon coeur et ma main en ont un plus facile, Et si j'ai le pouvoir en me perçant le coeur De fuir la tyrannie et sauver mon honneur. Ah je prends cette route, elle est la plus aisée, Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'y suis disposée, Et voyant depuis peu les actions du Roi, Je m'étais résolue à tout ce que je lui dois, S'il se met en devoir de me faire un outrage, Il touchera mon sang plutôt que mon visage, Contre tous ses efforts ce fer est mon garant, Et voyant à ses pieds ce corps froid et mourant Par le sanglant succès de cette tragédie, Peut-être son amour se verra refroidie : C'est là que ma vertu trouve sa sûreté. Dans un si bon dessein je n'écoute personne, Je vous suis obligée, et mon esprit discret Saura comme il le doit garder votre secret. Ah ! Monsieur, un discours si peu digne de vous, Allume mon esprit d'un très juste courroux, Et me fait démentir mes yeux et mes oreilles, Pour ne vous soupçonner de lâchetés pareilles, Donc pour vous honorer d'une haute faveur : Le Roi se sert de vous à me perdre d'honneur, Donc parmi tous les siens par une grâce insigne, C'est le plus noble emploi dont il vous a cru digne, Et pour lui témoigner votre fidélité Glorieux comme il est vous l'avez accepté. Ah ! Monsieur, pardonnez à ma juste colère Dans ces commissions le méconnais mon père, Et voulant comparer ce qu'il est aujourd'hui À ce qu'il fut jadis je doute si c'est lui : Cette vertu chez vous autrefois adorée, Que dès mes jeunes ans vous m'avez inspirée, Et qu'avec tant de soin vous me prêchiez toujours, Peut-elle compatir avec que ce discours, Pouvez-vous vous résoudre à détruire un ouvrage, Que vous avez formé du plus bas de mon âge, Et pour servir un Roi dans ses brutalités Contre vous seulement faire des lâchetés, Si de cette vertu je m'étais relâchée, Ma honte pour jamais vous serais reprochée, Si vous ne présentiez le fer et le poison, À qui perdrait d'honneur toute votre maison, J'attendrais de vous seul une mort légitime, Vous laveriez ma faute en punissant mon crime, Et si quelque pitié retenait votre bras Vous vous seriez cruel en ne me l'étant pas : Sauvez donc mon honneur pour conserver le vôtre, Et si le Roi me perd qu'il se serve d'un autre, Cet emploi siéra mieux à tout autre qu'à vous. J'y suis bien résolue, et si le Roi s'emporte Par-dessus ce qu'on doit aux femmes de ma sorte, J'ai le remède en main, et je sais par ma mort Garantir mon honneur d'un insolent effort. Dieu je tremble. Ah ! Mon coeur, ma vertu t'appelle à ce besoin, Le cruel se dispose à lui faire un outrage, Mais pour la secourir arme-toi mon courage, Tu ne peux seconder un plus juste dessein, Ni pour un plus beau coup guider ma faible main. Il n'en faut plus douter, mon coeur résolvons-nous. Ô Dieu. Ah ! Sire cette crainte Porte dans mon esprit une si vive atteinte, Que je reste confuse, et mon étonnement Ne saurait digérer ce mauvais traitement Pour un si faible esprit cette épreuve est trop forte, Vous savez mieux traiter les femmes de ma sorte, Et certes la bonté que vous me témoignez Ou cette affection que pour moi vous feignez Par mille autres moyens se peut mieux faire entendre, Que par un procédé que je ne puis comprendre. Ce que je puis répondre aux discours que j'entends, C'est que si vous feignez, vous feignez trop longtemps, Je ne sais quel plaisir votre Majesté trouve À me persécuter par une telle épreuve, Si pour vous divertir vous voulez m'affliger, Ce divertissement me semble assez léger, Sire, ne feignez plus. Sire, ce faible esprit est tellement confus, D'entendre des discours qu'il a si peu prévus, Qu'il voudrait démentir mon oeil et mon oreille, Et ne connaît plus après cette merveille : Oui Sire, vos discours m'ont surprise à tel point, Que je ne me défends qu'en n'y répondant point, Aussi votre bonté dispensera ma langue Des inutiles efforts d'une faible harangue, Qui serait importune à votre Majesté : Oui, Sire, il est certain que j'ai tout attenté, Et je dois avouer que je suis criminelle, Puisque dans son esprit mon Roi me juge telle, Je vous veux obéir, Sire, en toute façon, Oui je suis criminelle après votre soupçon, Puisque dans votre coeur vous m'avez condamnée, Si je m'en défendais je serais obstinée, Un crime épouvantable, et dont le souvenir Ferait frémir d'horreur les siècles à venir, Oblige un Roi prudent pour garder sa personne À vous faire périr d'abord qu'il nous soupçonne. Ordonnez donc la mort à qui la doit souffrir Refusant le pardon qu'un Roi lui vient offrir, Oui ce corps doit périr après votre créance : Mais, Sire, cet esprit sauve son innocence ; Et volant dans le Ciel sans crime et sans remords, Il laisse à vos soupçons ce misérable corps, Abandonnez-le donc au cours de la justice, Ceux de qui l'amitié me rend ce bon office, Me supposant un crime assez mal inventé, Soûleront de mon sang leur animosité, Mon âme libre, et pure, ira malgré l'envie Recevoir le beau prix d'une innocente vie, N'ayant eu pour son Roi, ni le moindre penser, Ni le moindre désir qui le peut offenser. Ah Sire. Écoutez-moi. Sache, sache mourir ayant si bien vécu. Bien que de mes desseins le funeste succès De votre Majesté me défende l'accès, Et que dans les malheurs, où je me vois réduite, La prière à ma voix soit mêmes interdite, S'il m'est encor permis de m'approchez de vous, Je vous veux conjurer par ces sacrés genoux, Par ces pieds que mes yeux lavent de tant de larmes, Et qui pour vous fléchir sont mes dernières armes, Et par le souvenir de votre affection D'avoir pour mes malheurs de la compassion. Non pas pour m'accorder des grâces méprisées, Que ma vertu dédaigne et que j'ai refusées, Après votre soupçon j'aime mieux une mort, Qui finit ma disgrâce et me met dans le port, Je ne désire point une importante vie Qu'on verrait de reproche et de honte suivie, Et qui par le rapport de ma méchanceté Se ferait détester à la postérité : Mais, Sire, je demande autant qu'il m'est possible À celui dont le coeur fut autrefois si sensible, Et qui doit m'accorder cette grâce en mourant Qu'on prenne pour me perdre un prétexte apparent, Et qu'on ne souille point d'une tache si noire D'un très illustre sang l'innocente mémoire. Ha ! Sire, ouvrez les yeux sur cette trahison, De grâce consultez avec votre raison, Et jugez sainement d'un soupçon qu'on ne fonde, Que sur des fondements les plus faibles du monde : Enfin c'est un dessein que vous aviez appris, Et que vous confirmez par un poignard surpris, C'est l'instrument maudit qu'une main plus maudite. Ô Dieu, ce souvenir me rend toute interdite, Et quand je me prépare à vous tirer d'erreur, Ce penser seulement me fait frémir d'horreur. Ha ! Si dans votre esprit quelque soin pitoyable Dans mon propre intérêt me peut rendre croyable : Sire, Sire de grâce, ajoutez quelque foi À ce bon mouvement qui vous parle par moi. Jugez mieux d'un dessein de toute autre nature, D'un coeur plus généreux et d'une âme plus pure. Mais puisque l'on m'y force, et qu'à l'extrémité Je dois tout déclarer à votre Majesté, Pour éviter le pire, il faut que je confesse Le crime que j'ai fait et qui vous intéresse, Après avoir reçu sans l'avoir mérité Mille preuves d'amour de votre Majesté. Je vous vis dispenser à beaucoup de licences, Vous porter sans respect dans quelques violences, Et vivre avecque moi d'une telle façon, Que votre changement me donna du soupçon. Oui, Sire, je craignis avec quelque apparence Un pire traitement, et la dernière offense Qu'une faible vertu pouvait appréhender D'un Prince violent, et qui peut commander : Cette crainte aussitôt réveilla mon courage, Et je me résolus à détourner l'outrage Qu'un puissant ennemi faisait à mon honneur, En portant ce poignard pour m'en percer le coeur. Oui c'est contre le coeur de cette infortunée, Que pour un plus beau coup ma main fut destinée : Le Ciel m'en est témoin, oui ce fut contre moi Que je portai ce fer non pas contre mon Roi. Contre mon Roi de qui la personne sacrée De ses ennemis mêmes est si considérée, Lui dont la belle vie et les nobles exploits L'élèvent au-dessus de tous les autres Rois, Et de qui la vertu sans tache et sans seconde, A fait que son salut importe tout le monde : Mais à moi plus qu'à tous à qui par sa bonté Il a tant témoigné de bonne volonté, À moi qui recevais par-dessus ses sujettes De son affection des preuves si parfaites, Et qui faisais la vaine en possédant le coeur De celui que partout on adore en vainqueur, Après tant de faveurs, tant de bien, tant de gloire, M'accusez-vous d'un crime, où l'âme la plus noire, Et votre plus cruel et plus grand ennemi Ne peut avoir songé sans en avoir frémi. Si votre Majesté doit paraître offensée, C'est d'en avoir conçu quelque indigne pensée, Et formé des soupçons qui lui font quelque tort, Et sur quelque apparence, et sur quelque rapport : Mais pour vous témoigner que je suis véritable, Et que dans ce désir je suis inébranlable, Vous me voyez encor dans le même dessein : Voilà, Sire, voilà de quoi percer mon sein, Ce poignard charitable assiste ma faiblesse, Je l'ai dans la prison recouvré par adresse, Et je veux m'en servir avec le même coeur, Si votre Majesté s'attaque à mon honneur. Oui si vous abusez de ce pouvoir suprême, Si vous me punissez en m'ôtant ce que j'aime, Et si vous préférez de lâches appétits À la haute vertu que vous eûtes jadis : Dès le premier semblant, vous verrez cette lame De ce coeur malheureux tirer le sang et l'âme, Et vous sacrifier. De qui ? Mortimer ? Grand Dieu ! Je reconnais que ta bonté divine Me tend enfin la main au bord de ma ruine, Et que me réduisant jusqu'à ce dernier point, Ta grâce, et ta pitié ne m'abandonnaient point. Ha Sire ! Puisque enfin le Ciel prend ma défense, Et de mes ennemis tire mon innocence, Puisqu'il permet enfin que mes accusateurs Par sa seule bonté se trouvent imposteurs : Souffrez, Sire, souffrez, que je vous éclaircisse. Par l'étrange récit d'une horrible malice, Et qu'on vous fasse voir la noire trahison Que Mortimer brassait contre notre maison, Par celle que l'ingrat vous faisait à vous-même : C'est lui qui m'avertit de ce danger extrême, Que mon honneur courait en souffrant votre amour ; C'est lui qui me pressa de quitter cette Cour, D'éviter mon malheur par une longue absence, Et me mette à l'abri de votre violence : Ce perfide feignant de l'amitié pour nous, Me jura mille fois qu'il le tenait de vous. Oui, Sire, de vous-même, enfin je le confesse, Les serments qu'il me fit trompèrent ma faiblesse, J'en crus une partie, et fuyant les avis Qu'une âme plus craintive eut peut-être suivis, Au lieu de me sauver, et de prendre la fuite Dans les extrémités où je me vis réduite, N'espérant mon secours que de ma seule main, Je lui montrai ce fer, et lui dis mon dessein : Mais, Sire, mon rapport n'est pas considérable, Et dans mon intérêt je ne suis pas croyable, Si c'est une faveur que je puisse obtenir, De grâce commandez qu'on le fasse venir, Et si votre bonté me veut encore entendre. Sire, je suis confuse à ces excès d'honneur, Et je me connais trop pour avoir de pensée, Qui s'élève au-dessus de ma grandeur passée, Je vous rendrai toujours. Oui, Sire, j'obéis, comme je le dois faire. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_WARWICK *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_warwick Le Roi semble surpris, Sans doute quelque trouble agite ses esprits, Ses divers changements le font assez paraître, Sire. À ce qu'on peut connaître Par les troubles divers et des yeux et du front, Sire, quelque chagrin, est bien grand, et bien prompt, Change depuis une heure une humeur toujours gaie, Si je vous suis fidèle, et si ma crainte est vraie, De grâce découvrez à ce vieux serviteur. Ah ! Sire, je me tais, Et par un tel refus je puis assez comprendre, Que je perds le respect de vouloir trop apprendre ; Je ne m'informe plus, et votre Majesté Excusera mon âge, et cette liberté : Mais quoi qu'elle me cache, elle est toute assurée D'une fidélité d'éternelle durée, Et que le plus grand bien qu'elle me peut ravir, C'est de me refuser l'honneur de la servir. Ces soins sont superflus, Que craignez-vous de moi ? C'est trop douter de ma fidélité. Et vous n'aurez jamais un sujet qui vous serve, Comme je le ferai sans aucune réserve Oui, Sire. Eh ! Bien aimer n'est pas un crime, Qui puisse déroger à cette haute estime, Qui vous rend si fameux au jugement de tous Et beaucoup d'autres Rois ont aimé devant vous. Ma fille. Ah ! Sire, la douleur dont mon âme est atteinte. Sire, Sire, de grâce, Permettez en deux mots que je vous satisfasse ; Et que mon désespoir se plaigne de l'emploi Qu'à la fin de mes jours j'ai reçu de mon Roi. J'ai servi cet État du plus bas de mon âge, Avec beaucoup de zèle et beaucoup de courage, Et je n'ai jamais craint ni peine ni danger, Où vos commandements ont voulu m'engager Le feu Roi le savait, et vous, Sire, vous-même, Qui m'avez honoré d'une faveur extrême, En me faisant l'honneur de vous servir de moi, Dans un plus glorieux et plus honnête emploi, J'en puis montrer encor des marques assez vraies ; C'est pour vous que ce corps est tout couvert de plaies, Et c'est en vous servant que ma tête a blanchi Parmi tant de périls que nous avons franchi : Certes ce souvenir se doit mieux reconnaître, Et je devais sans doute espérer d'un bon maître, Tel que l'on vous estime et que je vous connais, Une charge plus digne et de vous et de moi. Je vous servirais mieux au front d'une bataille, À l'attaque d'un fort au pied d'une muraille, Sue la mer, sur la terre, à la merci des coups, Qu'en la commission que je reçois de vous : Doncques m'étant acquis une gloire immortelle, Il faut que je travaille à ma honte éternelle, Et que je déshonore avec ma trahison, Et le père, et la fille, et toute la maison. Sire, dispensez-moi d'une charge si lâche, Ou souffrez en mourant que je meure sans tache, Qu'avec beaucoup d'honneur, me voyant parvenu Sans blâme et sans reproche à cet âge chenu, Ma dernière action n'efface pas ma gloire, Attachant pour jamais la honte à ma mémoire, Songez aussi pour vous aussi bien que pour moi, Que cette passion est indigne d'un Roi. Et si je puis parler avec cette franchise ; Que votre Majesté jusqu'ici m'a permise, Et qui ne souffre pas que je vous cache rien, Regardez. Je vous suis, Sire, et je sais mon devoir. Dans ce coup imprévu d'une mortelle foudre, Vieillard infortuné que pourras-tu résoudre ? Serviras-tu ton Prince aux dépens de l'honneur ? Seras-tu chez toi-même infâme suborneur, Et feras-tu toi-même en cet indigne office De l'honneur de ta fille un honteux sacrifice ? Non, je n'en ferai rien, c'est un point résolu : Mais pourras-tu choquer ce pouvoir absolu ? Et refusant au Roi le secours qu'il espère, Ne redoutes-tu point les traits de sa colère ? Sans doute il te perdra : n'importe exposons-nous, Et pour sauver l'honneur hasardons son courroux, Mais tu dois obéir à ton Prince qui t'aime, Obéir à ton Roi pour te trahir toi-même, Et par ton infamie avancer son bonheur. Ah ! Périssons plutôt, et conservons l'honneur, J'obéirai pourtant, je ferai mon message : Mais je ne le ferai qu'en homme de courage, Je puis lui proposer sans faire rien de bas Et le lui proposant ne lui conseiller pas. Je ne puis condamner un si noble courroux, Et je démentirais mes premières années, Et les instructions que nous t'avons données, Si je désapprouvais contre toute raison Ce coeur digne de toi digne de ma maison, Ce coeur héréditaire à toute ma famille, Et la vertu des miens qui revit en ma fille. Oui certes j'ai failli, je ne le puis nier, Mais s'il m'est bienséant de me justifier, Si ton ressentiment me demande une excuse, Je te veux retirer de l'erreur qui t'abuse En fidèle sujet j'obéis à mon Roi : Je sais ce que je puis et ce que je lui dois, Et je me suis chargé de t'apprendre qu'il t'aime, T'avertir d'un dessein que j'ai su de lui-même : Mais quoi que son amour te puisse demander, Je n'ai pas entrepris de te persuader, Je le sert en sujet, je te conseille en père, Et mon autorité t'ordonne le contraire, Et de souffrir la mort plutôt que d'écouter, Tout ce que de sa part je te viens rapporter. Le voici. Ah Sire. Oui, Sire, grâce au Ciel, c'est en votre présence Que je veux bien paraître, avec même assurance, Même oeil, et même front qu'autrefois j'ai paru Dans le moindre péril que pour vous j'ai couru, Rien ne m'oblige encore à baisser cette tête, Qui pour votre service a toujours été prête À porter un armet, et s'exposer pour vous Toute blanche qu'elle est à la grêle des coups, N'ayant jamais rien fait indigne de ma gloire, Et de qui le reproche offense ma mémoire Avec ce même front, avec ce même orgueil Je paraîtrai partout jusques dans le cercueil : Quand de mes actions le souvenir me flatte, Certes dans le passé mon innocence éclate, Et je suis trop certain que votre Majesté Ne me soupçonne point de cette lâcheté, Toutes les actions qu'on remarque en ma vie, Ont mis ma renommée au-dessus de l'envie, Et doivent effacer toute l'impression, Que vous avez conçue de mon intention : Je suis innocent, Sire, et quoi que l'on invente Contre elle et contre moi, ma fille est innocente : Oui, Sire, je réponds pour toute une maison, Qui ne se peut tacher d'aucune trahison, Pour un illustre sang qui tire de ses pères Dans mille beaux exploits, mille exemples contraires, Et qui ne peut noircir sa réputation Par le simple penser d'une noire action. Ha ! Sire, si déjà mes actions passées De votre souvenir ne sont pas effacées, Si vous vous souvenez du sang que j'ai perdu D'un service éternel, et d'un soin assidu, Qui m'attachant à vous plus qu'à votre couronne M'a fait considérer votre seule personne Ne déshonorez point une illustre maison, Et contre l'apparence et contre la raison, De tous nos intérêts soyez juge vous-même, Et dépouillant pour nous cette bonté suprême, Qui gouverne son peuple avec tant de douceur, Exercez la justice avec toute rigueur Mais, Sire, examinez si nous sommes coupables, Ce qui fait naître en nous ces desseins détestables, Et pour quel intérêt avons-nous attenté Contre cette sacrée et sainte Majesté, Quel espoir, quel motif, nous l'a fait entreprendre, Quel était notre but, que pouvions-nous prétendre, Et si dans ce dessein nous eussions achevé, Quel bien ou quel honneur nous en fut arrivé, Ha ! Sire, notre crime a si peu d'apparence, Que son propre inventeur parle en notre défense, Et s'il nous accusait de quelque trahison Il la devait fonder sur un peu de raison. Sire, ne croyez point qu'il me reste une envie De me justifier pour conserver ma vie, Je ne crains point la mort, et je m'y viens offrir : Mais c'est en Chevalier, que je la dois souffrir, Puisque nos ennemis n'avèrent point nos crimes, Ne m'en refusez point les moyens légitimes, Tout caduc que je suis-je les veux demander, Et votre Majesté me les doit accorder, Si nos accusateurs ont autant d'assurance, Permettez qu'un combat décide une innocence, Et qu'au prix de mon sang je sois justifié. Ah ! Sire. J'ai pour vous obéir fait une lâcheté Indigne de mon rang et de ma qualité, Prince un emploi honteux très digne de blâme : Mais puisque maintenant je dois ouvrir mon âme, Et qu'il me faut enfin rendre à mon Roi D'une commission que je pris malgré moi, Sachez que j'ai trouvé l'affaire très aisée, Et que pour s'affranchir ma fille est disposée. À mourir, et sauver par sa mort Sa gloire et sa vertu d'un violent effort, Que votre Majesté dispose de sa tête, À vos commandements son âme est toute prête, Et se séparera sans aucune douleur De ce tronc qu'elle anime avec tant de malheur, Les persécutions dont elle est poursuivie, Pour se voir à l'abri lui font haïr la vie, Et contre tous ses maux sa mort est son garant, Pourvu que sa vertu se conserve en mourant, Et que dans le tombeau ce bien la satisfasse De n'avoir rien commis indigne de sa race. Sire, c'est son désir, mais apprenez le mien, Et puisqu'il n'est plus temps de vous déguiser rien, Et qu'en ce dernier point, où je vois nos affaires, Toutes ces lâchetés ne sont plus nécessaires. Sachez que c'est de moi qu'elle tient ce dessein, Que je lui dois prêter le conseil et la main, Et que si la Comtesse avait une autre envie, Je l'en saurais punir en la privant de vie : C'est ainsi que mon bras s'offre à la secourir, Et si l'un a failli, tous deux doivent mourir. Elle saura mourir. Ha ! Sire, je ne puis dans cet étonnement, Ni comprendre l'honneur q'on fait à ma famille, Ni savoir qui je suis, ni connaître ma fille. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_ISABELLE *date_1638 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Je le prévoyais bien que cette amour naissante, Par la suite du temps deviendrait plus puissante, Et porterait enfin cet inconstant esprit Au-delà du devoir que son rang lui prescrit, En devait-on douter après la preuve insigne, Qu'on reçut d'un honneur dont elle était indigne. Ceux qui dans le pays tiennent le premier rang, Les Comtes, les Barons, et les Princes du sang, Recevant les couleurs célèbrent sa victoire, Sa Jartière fameuse éternise sa gloire, Et cet Ordre naissant, aux siècles à venir Dans le coeur des Anglais grave son souvenir : Ce Prince qui fit voir au plus bas de son âge Mille rares aspects d'esprit et de courage, Et mêla la prudence avecque la valeur, Succombe lâchement, et cède à son malheur Son coeur que les périls ne pouvaient point abattre, Fait joug à des beautés dont il est idolâtre, Et rendant à ses pieds des devoirs superflus, Il se soumet, s'oublie, et ne se connaît plus Depuis qu'il est épris de cette indigne flamme, Je perds l'autorité que j'avais sur son âme ; Je ne maîtrise plus cet esprit plein d'amour, Et la Comtesse Élips le gouverne à son tour ; Tout cède à son crédit, je lui cède moi-même, Mais le Ciel m'est témoin si ce pouvoir suprême, Que j'avais dans l'État, et sur l'esprit du Roi Me fut jamais bien cher que pour l'amour de toi. Si j'estimai jamais cette pompe importune, Que pour être en état d'établir ta fortune, Et si je ne gardais cet empire absolu, Pour t'élever au point que j'avais résolu, Juge si j'ai raison t'aimant comme je t'aime, Ou plutôt je dirai t'aimant plus que moi-même, D'avoir quelque douleur, et quelque aversion Contre les ennemis de mon affection. Je vous défends d'en dire davantage, Étouffez en naissant un soupçon qui m'outrage, Et ne m'accusez point d'un esprit si léger, Qu'il fasse un choix injuste, et le puisse changer : Je vous aime, il suffit, vous le devez connaître, Et cet oubli de vous que vous faites paraître Ce peu d'ambition que vous me faites voir Dans votre affection m'enseigne mon devoir ; Et je dois reconnaître une rare franchise Par toutes ces grandeurs que votre amour méprise, J'en veux prendre le soin, mais pour un tel dessein Vous me devez prêter le conseil et la main, Il faut que vous aidiez. Depuis l'amour du Roi mon crédit est perdu, Je ne gouverne plus, et je le vois démise De cette autorité que la Comtesse a prise, Perdons ce qui nous nuit, et trouvons un moyen Pour rompre cet amour qui s'oppose à ton bien. Il faut guérir le Roi de cette frénésie, Prévenir son esprit de quelque jalousie, Chercher quelque remède, ou quelque invention, Qui traverse le cours de cette affection : Si nous n'y pouvons rien, par ruse et par adresse, Sans que le Roi s'en doute éloignons la Comtesse, Les plus sensibles traits que son âme ressent Ne le toucheront plus pour un sujet absent, Et cet éloignement éteindra dans son âme, Ce brasier violent que sa présence enflamme, Si cette invention ne produit point d'effet, Ayant tout éprouvé perdons-la tout à fait : Il n'est point de vertu qui le puisse défendre, Pour notre sûreté tout se doit entreprendre, On ne nous peut blâmer de nuire à qui nous nuit, Et de vouloir détruire un mal qui nous détruit. Adieu, séparons-nous, Je vais l'entretenir avec toute licence, Vous lui seriez suspect dans cette conférence, Quelques nouveaux soucis vous rendent si changé, Vous paraissez si morne, et si fort affligé, Vos yeux si languissants, et votre teint si blême, Qu'à ce que j'en puis voir vous n'êtes plus vous-même, Avouez que l'amour a changé votre humeur, Que votre changement passe jusques au coeur, Que votre passion cause votre tristesse, Et que c'est un effet des yeux de la Comtesse, Ne dissimulez point ce qui se voit assez. Quoi que la médisance avec beaucoup d'outrage, Ait voulu publier à son désavantage, Je veux bien avouer à votre Majesté, Qu'Élips a du mérite, et beaucoup de beauté, Mais si je garde encor la dignité de mère, Qui dans votre malheur défend de vous complaire, Et si je puis parler comme autrefois je fis, Avec l'autorité que j'avais sur mon fils, Souffrez l'affection qui vous ouvre mon âme, Pour blâmer un amour que tout le monde blâme. Une simple sujette (excusez ce discours) Met dans l'oisiveté le plus beau de vos jours, Et vous fait oublier ce qu'autrefois vous fûtes L'honneur qui vous suivait, la gloire que vous eûtes Lorsque bien jeune encore avec trop de valeur, On vous vit animé d'une belle chaleur Fendre des escadrons, écheler des murailles, Et devoir à vous seul le gain de trois batailles, Ce fut à votre nom que la France frémit, Et que sous votre joug l'Écosse se soumit, Pour lors mille lauriers ombrageaient votre tête, Et revenant pompeux d'une illustre conquête, Le peuple s'écriait d'une commune voix, Qu'il était commandé du plus brave des Rois Cette haute vertu qu'est-elle devenue ? Faut-il que votre amour la couvre d'une nue, La dérobe à tant d'yeux, et triomphe à son rang De cet honneur acquis au prix de votre sang, Depuis qu'on s'aperçoit que votre flamme dure Tout le monde vous blâme, et le peuple murmure : Il voit avec regret que votre coeur s'abat, Que vous avez perdu le soin de votre État, Et que vous préférez des passions légères Au repos du Royaume au bien de vos affaires. Monsieur, songez à vous, il est encore temps, Vous pouvez apaiser vos sujets mal contents, Dans cette occasion vous rencontrez la gloire, D'emporter sur vous-même une belle victoire, Et vous étant vaincu vous ferez voir à tous, Que pouvant tout sur eux vous pouvez tout sur vous. Et cette liberté vous a semblé mauvaise. Cette affaire, Monsieur, mérite qu'on y pense, Et l'avis qu'il vous donne est de trop d'importance. Et vous regarde trop pour être négligé, Ne le méprisez pas. Déjà plus qu'à souhait l'affaire réussit. Cette commission n'était pas nécessaire, Et l'on n'accorde pas la présence des Rois À ceux qu'on abandonne à la rigueur des lois, C'est contre la coutume, et contre l'apparence. Ô Dieu ! Quel changement contre toute apparence. Bien que votre courroux vous rende inexorable, Sachez que son dessein n'est pas si condamnable, Étant ce que je suis, je ne vous cache rien, En un mot apprenez qu'il fut pour votre bien, Il voulut vous guérir d'un amour que l'on blâme, Et sauver un État en perdant une femme : Enfin il l'entreprit pour suivre mes avis, Et ne doit point périr pour les avoir suivis, Je me servais de lui pour servir la Couronne, Ne m'étant pas séant de le faire en personne. Oui, oui je me retire, Mais songez bien, Adieu. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_MORTIMER *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mortimer Après tant de faveurs dont vous comblez mon âme, Comment pourra répondre un esprit tout de flamme Aux bonnes volontés que vous me témoignez, Depuis que dans mon coeur doublement vous régnez, Que peut faire un sujet que sa bonne fortune, À pu joindre avec vous d'une chaîne commune, Et qu'avec tant d'éclat de grandeurs et d'appas, Tout abaissé qu'il est vous ne dédaignez pas De ces excès d'honneur mon esprit incapable Murmure des bontés dont la grandeur l'accable ; Il n'en peut plus souffrir, ni le faix, ni l'éclat, Et vos faveurs enfin le font mourir ingrat, Ne vous plaignez donc plus du pouvoir qu'on vous ôte, Et ne souhaitez point de fortune plus haute, De grandeur plus parfaite, et de destin plus doux, À qui possède tout étant aimé de vous, Le plus superbe rang de toute l'Angleterre, Le sceptre du pays et de toute la terre Ne peuvent ajouter, ni bien ni dignité Au glorieux état où je me vois monté, J'ai plus que je n'attends, plus que je ne souhaite, Et ma félicité ne me semble imparfaite, Que pour m'avoir placé dans un faîte trop haut, Dont mon âme craintive appréhende le saut, Si ma bonne fortune était plus modérée, Certes je la croirais de plus longue durée : Mais je crains que le temps ne vous ouvre mes yeux, Et que vous ne m'aimiez plus en me connaissant mieux, Et que... Ma vie est toute prête, Disposez de ma main, disposez de ma tête, Et ne me privez point d'un honneur qui m'est dû. Le zèle que mon coeur vous promit par ma bouche, Ne considère rien en tout ce qui vous touche, Et les commandements que je reçois de vous. Quand il devrait me perdre en sortant de ma bouche, Je vous avertirai d'un dessein qui vous touche, Pourvu que vous juriez de le tenir secret. Je l'espère, Madame, et c'est sur cet espoir, Que pour votre salut je manque à mon devoir, Et que je vous découvre un dessein de mon maître Avant que les effets vous le fassent connaître : Sachez puisqu'il le faut qu'Édouard irrité, Et presque au désespoir de se voir mal traité, Ne pouvant ébranler cette haute constance, D'un amour furieux passe à la violence, Et puisque son amour n'a pu vous émouvoir, Il veut tout obtenir d'un absolu pouvoir : Cet esprit que déjà la résistance pique, Veut que tout lui soit dû par un droit tyrannique, Et perdant le respect qu'il vous a témoigné, Il se plaint que déjà vous avez trop régné, Qu'il se veut à son tour servir de sa couronne, Et de l'autorité que le sceptre lui donne. Enfin quoi qu'il arrive il est tout résolu, Si l‘amour ne peut rien de paraître absolu, Après un tel avis songez à vous résoudre, Et trouvez un abri pour éviter la foudre, Qu'une main souveraine apprête contre nous, Entre tous les moyens, je crois que le plus doux Dans les extrémités où vous êtes réduite Est de vous garantir par une prompte fuite, Dans la commodité de quelque sombre nuit, Sans doute vous pouvez vous retirer sans bruit, Et loin de cette Cour vous chercher un asile, Pour un si beau dessein vous en trouverez mille, Tous voudront protéger une faible vertu, Et sans doute le Roi quelque amour qu'il ait eu, Ayant perdu l'espoir avecque la puissance, En éteindra le feu dans une longue absence, Une franche amitié vous donne cet avis : Mais pour l'exécuter, voyez ce que je puis, Disposez du secours que je vous y puis rendre, Puisque pour vous servir je veux tout entreprendre. Votre incrédulité veut qu'on la satisfasse, Mais pour la contenter je cours à ma disgrâce, Et je trouve ma perte en cette occasion, Si vous n'avez pour moi de la discrétion : Mais quoi qu'il m'en arrive, il faut que je vous die, Dussé-je à mon Seigneur faire une perfidie, Puisqu'il a bien voulu ne s'en fier qu'à moi, Que je tiens ce secret de la bouche du Roi, Oui le Roi me l'a dit, je le sais de lui-même, Après cette action jugez si je vous aime, Et si je me hasarde en vous le révélant, J'ai voulu détourner ce dessein violent, Et lui représenter quelle honteuse tache Sa gloire en recevait, mais mon discours le fâche, Et me fermant la bouche il m'a rendu confus, M'ordonnant de me taire, ou de ne le voir plus, Ce prompt commandement m'a donné quelque crainte. Vous me devriez, Madame, ajouter plus de foi : Je ne dis que trop vrai. Ne considérez plus ses actions passées, Et ne vous flattez plus d'un devoir spécieux, Peut-être à l'avenir vous le connaîtrez mieux, Vous verrez les effets. Ah ! Ne vous portez point à cette extrémité, Et recevez plutôt le conseil qu'on vous donne. Sire, si je parlais sur un soupçon léger, Peut-être mon avis se devrait négliger : Mais vous l'ayant donné de certaine science, Obligé du devoir, et de ma conscience, Du moins prenez le soin de vous en informer, Je ne veux que vos yeux pour vous le confirmer : Oui votre Majesté le peut voir tout à l'heure, Et si je suis menteur commandez que je meure, Je m'offre sur ma vie à vous le faire voir, Si votre Majesté m'en donne le pouvoir. Je n'en demande point, si votre Majesté Ne se peut éclairer de cette vérité, Apportez-y les soins que la chose demande, Ne vous fiez qu'à vous d'une affaire si grande, Et surtout regardez comme je vous ai dit. Plus les cas sont énormes, Et plus les châtiments se traitent dans leurs formes, Quelque grand déplaisir que vous ayez reçu. Sire, vous pratiquez ce qu'on n'a jamais vu, Même au lieu de servir, au de vous satisfaire, Cet objet allumant votre juste colère Vous pourrait émouvoir, et nuire à la santé, Et peut-être au repos de votre Majesté. Ha ! Je suis découvert, fuyons en diligence. Ha Sire ! Il n'est plus temps que ma bouche le nie, Oui Sire, mon rapport fut une calomnie, J'attaquai l'innocence et la seule vertu, Mais j'avais un dessein. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_GLOUCESTER *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gloucester Ah ! Monsieur, leur dessein n'est que trop déclaré, Le Roi a découvert par des preuves si claires, Que les formalités n'y sont plus nécessaires, Le Ciel a prévenu le damnable succès, Et nous les découvrant leur a fait leur procès, Ils sont tous convaincus d'un crime tout visible, Et le simple penser d'un attentat horrible, Dont le seul souvenir me fait presque mourir Sur le premier soupçon les doit faire périr. Je ne le comprends point, et quoi qu'on en présume, Ou de bien ou de mal c'est contre la coutume, Et tous les criminels sans un heureux succès Auprès des souverains n'ont jamais eu d'accès, Les Rois se laissant voir ont prononcé leur grâce. Ceux que votre valeur a vaincus tant de fois, Recevant votre joug vous donnent moins de gloire, Que vous n'en retirez d'une telle victoire : Allons louer le Ciel pour un succès si beau. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_NORFOLK *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_norfolk De quelque affection que votre âme s'emporte, Votre animosité me semble un peu trop forte, Et vous précipitez un peu légèrement, Ce qui se doit traiter beaucoup plus mûrement Sans les avoir ouïs vous donnez leur sentence. Ah ! Leur condition est de trop d'importance, Et le crime est encore assez mal avéré. Que sa douleur le trouble, De moment en moment sa tristesse redouble, Et je crains un chagrin qui va faire empirer, Mais nous l'importunons, il se faut retirer. Bien que ce procéder ne soit pas ordinaire, Peut-être à son repos il sera nécessaire, Et l'on en tirera des éclaircissements, Qu'elle refuserait aux plus rudes tourments : Si son coeur obstiné refuse de répondre, La présence du Roi la pourra mieux confondre, Et sans doute je crois que c'est pour quelque bien, Que le Ciel à son âme inspire ce moyen. Que votre Majesté fait un très digne choix. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_BEDFORD *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bedford Vous êtes fort zélé, mais vous allez bien vite, Et ce n'est pas ainsi que l'on se précipite Quand il s'agit d'un crime important à ce point : Mon ancienne amitié ne les excuse point : Et je ne dirai pas un mot en leur défense, Puisque de mes discours sa Majesté s'offense, Non je n'entreprends point de les justifier, Mais du moins leur dessein se doit vérifier, Ceux de leur qualité ne vont pas au supplice, Sans les formalités qu'on doit à la justice, Et ne sont condamnés que très bien à propos. **** *creator_lacalprenede *book_lacalprenede_edouard *style_verse *genre_tragedy *dist1_lacalprenede_verse_tragedy_edouard *dist2_lacalprenede_verse_tragedy *id_LECAPITAINE *date_1638 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecapitaine J'ai bien compris votre commandement, J'y vole de ce pas.