**** *creator_lafossem *book_lafossem_ecoledelaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_lafossem_verse_comedy_ecoledelaraison *dist2_lafossem_verse_comedy *id_LARAISON *date_1739 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_laraison Je veux, si je le puis, éclairer l'Univers. Quand je vois des humains les différents travers, De certaine pitié je ne puis me défendre, Et je prétends les tirer de vos fers, Les corriger. Déesse, vous avez beau dire, Rien ne saurait me rebuter. Je veux leur parler, les instruire, Ils daigneront peut-être m'écouter. Rien ne me décourage, Le projet est formé, je veux l'ex2cuter. Ce leur sera toujours un fort grand avantage D'entendre ma morale ; elle est pure, elle est sage, Et quelques uns peut-être en pourront profiter. Vous vous moquez de ma Philosophie : Mais dois-je vous en blâmer ? Non ; Car ce n'est point à la Folie A bien connaître la Raison. Je suis sérieuse, tranquille, Mon front et mes yeux sont sereins, Et je ne prescris aux humains Que ce qui leur peut être utile, Et dont les succès sont certains. Je ne les repais pas de ces fausses chimères Dont ils sont par vous aveuglés. S'ils recherchent des biens, ils leurs sont nécessaires, Je les fais renoncer aux préjugés vulgaires ; Mais à ces faux biens exilés, Succèdent des biens véritables, Et qui sont toujours préférables À ces plaisirs bruyants dont vous les accablez. En vain leur vantez-vous d'aussi frivoles charmes, Ils sont toujours suivis d'un trop long repentit. Ah ! Qu'un mortel souffre à verser des larmes, Quand il se trouve en proie à des alarmes Dont il eut pu se garantir. N'importe. À leur bonheur la Raison attentive Pourra peut-être les toucher. Je risque cette tentative ; Et s'il n'en est point qui me suive, Que pourra-t-on me reprocher ? Dieux ! Que je serai satisfaite Si je puis réussir dans ce que je projette ! Je vois avec chagrin les mortels malheureux Abîmés dans un vrai délire. Leur bonheur est l'objet où tendent tous mes voeux ; Je voudrais sur leurs coeurs reprendre mon Empire : Je les reviens trouver, je cherche à les instruire Moins pour ma gloire que pour eux. Je vous sais gré de tant de zèle. Oh sans doute, Monsieur, la chose est naturelle. Voyons. Vous connaîtrez que je suis véridique. Vous êtes donc en contestation ? Eh bien rien n'est plus raisonnable. Mais de quoi s'agit-il ? De rien ? Comment… par quel travers. Expliquez-vous, Monsieur, je ne vous entends pas, Tâchez du moins de parler clairement. Mais ces coutumes là sont fort extravagantes. Est-il rien de plus insensé, Que de feindre d'être blessé, Pour mille beautés différentes, Et que vous oubliez ce moment là passé ? Oh, oh ! Mais quel est donc cet art ? Daignez nous en instruire, Ce serait fort m'embarrasser… J'écoute. Eh ! Mon cher, quelle est votre erreur ? Un tel succès peut-il flatter la Gloire ? Lorsque c'est à l'art seul qu'on doit cette Victoire, A-t-on lieu d'espérer un solide bonheur ? Non, non, ayez plus de délicatesse, Laissez-là cet art séducteur ; Faites briller aux yeux d'une maîtresse, Un caractère bon qui pour vous l'intéresse, Que le mérite seul parle en votre faveur ; Aimez-la franchement, laissez lui voir sans cesse ; Des feux toujours nouveaux, une sincère ardeur, Vous ferez naître en elle une juste tendresse ; Et vous serez sûr de son coeur. Votre aveuglement est extrême. Le vrai mérite seul se suffit à lui-même, Il a sur tous les coeurs un souverain pouvoir, On le voit sans chercher à s'en apercevoir. Peu de Mortels en ont ; mais tout le monde l'aime. D'ailleurs, comment osez-vous avouer Une étude aussi criminelle ? Vous vous faites un art de séduire une belle, Et vous osez vous en louer ? Quoi ! Vous osez vous faire honneur De ce que, dans le fonds du coeur, Le Sexe s'impute à faiblesse ? Ah ! Connaissez donc votre erreur ; Et convenez qu'il pense avec plus de justesse. Mais, leurs Lois sont aussi les vôtres. Ce que l'on blâme chez les uns, Doit être blâmé chez les autres ; Et tous vos devoirs sont communs. Mais, dans le fonds pourtant, en serait-ce plus mal ? Mais, dans le fonds pourtant, en serait-ce plus mal ? L'éloge n'aura pas de fin. Je crois votre fille adorable ; Mais son panégyrique est inutile ici. Même dans votre bouche il n'est pas raisonnable. Où voulez-vous venir ? Si, dans le nombre, il est quelque Bourgeois Dont vous connaissiez le mérite, Il faut la lui donner : concluez au plus vite. Ne balancez pas à suivre mon avis. Non. N'y pensez pas. L'Amant bourgeois vous convient beaucoup mieux. Eh ! Mon cher, pouvez-vous mieux faire ? C'est par cette raison qu'à tous je le préfère. Voilà de nos Bourgeois la faiblesse ordinaire ! Si votre fille vous est chère, Songez à profiter de mes sages avis, Vous-vous applaudirez de les avoir suivis. Au bourgeois votre fille unie, Pourra passer tranquillement Le cours d'une paisible vie, Dans un parfait contentement. L'égalité de la naissance Fera naître en leurs coeurs ces sentiments si doux, Ces égards mutuels, et cette complaisance Qui fait le bonheur des époux. D'un mari gracieux compagne fortunée, Partageant son autorité. Pour elle, chaque journée Sera sous un tel hyménée, Une source de joie et de félicité. Ce ne sera pour vous qu'une source d'ennui. Sans doute, on le voit aujourd'hui Affable, complaisant et soigneux de vous plaire. Il vous promet son crédit, son appui ; Son amitié paraît sincère ; Il oublie avec vous sa grandeur ordinaire. C'est là tout ce qui vous séduit. Trop enivré d'une vaine chimère, Vous osez espérer que l'amour le conduit ? Pauvre dupe ! Est-ce à vous, ou même à votre fille, Qu'il veut s'unir par d'éternels liens ? Malgré l'éclat dont elle brille, Mon cher, il n'en veut qu'à vos biens. Vous êtes aveuglé ; daignez du moins m'entendre ? Sa grandeur vous parle pour lui : Mais, si jamais il devient votre gendre, Il sera peu de temps ce qu'il est aujourd'hui. Orgueilleux de l'honneur qu'il aura cru vous faire, Il quittera bientôt cet air doux, débonnaire, Qui vous prévient en sa faveur ; Arrogant et plein de hauteur, Il dédaignera de vous plaire, Et vous accablera du poids de sa grandeur. Ce jeune homme, enivré de sa haute naissance, Vous croira trop heureux de souffrir ses mépris ; Et, partout, exaltant votre grande opulence, Il se glorifiera de vous avoir surpris. Votre fille est encor plus à plaindre. Vous pouvez éviter, en cessant de le voir, Les mépris outrageants que vous auriez à craindre : Mais, elle ; comment le pouvoir ? Un juste et rigoureux devoir, Qu'une femme d'honneur ne peut jamais enfreindre, Ne lui permet point cet espoir. En butte du matin au soir, À cent hauteurs, à cent caprices Qu'il faut souffrir, sans oser murmurer, Ne sont-ce pas de vrais supplices ? Que de chagrins à dévorer ! Sans parler de celui de voir quelque maîtresse Envahir tout le bien qu'elle lui donnera. Votre trop d'amour la perdra. Que lui sert sa beauté, son esprit agréable ? Un mois seul les éclipsera : Ses pareils qu'il imitera, Laissent là tous les jours une femme adorable, Pour le premier objet dont l'oeil les frappera. Mais, supposons que l'amour le plus tendre Unisse pour jamais leurs coeurs, Et qu'il vive avec vous, comme doit vivre un gendre, Avec amitié, sans hauteurs : Vous avez autre chose à craindre. Vous l'allez voir, non sans quelque courroux, Mais cependant, sans oser vous en plaindre, Prodiguer tous les biens qu'il va tenir de vous, Les dissiper, les sacrifier tous À l'ardeur de briller que rien ne peut éteindre Dans tous les gens de sa condition : Ce point mérite encor quelque réflexion. C'est pousser trop avant une aveugle manie. Espérez-vous pouvoir jouir De ce faste brillant qui vient vous éblouir ? Non. Connaissez votre folie. Vous allez voir tous vos voisins jaloux, Choqués de cet hymen qui vous fait tant d'envie, Répandre tour à tour sur votre fille et vous La plus sanglante raillerie. En ce cas, je n'ai rien à dire ; J'y consens fort, courez-en le hasard. Vous voyez les dangers, j'ai su vous en instruire ; Vous en serez fâché, quand il sera trop tard. Et votre fils, qu'en voudriez-vous faire ? Bon. Fort bien. Vous vous faites, Monsieur, une image agréable D'un état qu'on ne doit embrasser qu'en tremblant ; Il est glorieux, honorable ; Mais, pour y paraître estimable, Il faut bien du mérite, et beaucoup de talent : Votre fils en a-t-il ? Il peut avoir un mérite suprême ; Je le voudrais : mais j'ai bien peur Que son père, aveuglé par sa tendresse extrême, Ne se soit prévenu par trop en sa faveur. Eh bien, soit ; j'en conviens, il a de la prudence, Du jugement : mais, qu'il faut de science ! Tout son Droit ! Comment donc ? Ce doit être un grand homme ! C'est là ce qu'on appelle un talent nécessaire ! Chanter bien, danser bien, pour un Juge surtout. Est-ce par ce motif qu'un homme raisonnable Cherche à pourvoir son fils d'une charge semblable ? Il ne doit chercher, selon moi, Qu'à donner un sujet capable De protéger le peuple, et de servir son Roi. Vous ne connaissez pas tous les devoirs d'un Juge. Qu'il joigne le savoir aux plus hauts sentiments ; Qu'en tout temps, des bons le refuge, Il soit aussi la terreur des méchants ; Pour les malheureux seuls, que son coeur soit sensible ; Qu'à ses genoux, une Vénus en pleurs, Ne trouve en lui qu'un Juge équitable, inflexible ; Et que les biens ni les honneurs Ne puissent ébranler son âme incorruptible ; Qu'il soit prêt à sacrifier Son temps et son repos à rendre la Justice ; Que sur un vain savoir, n'osant pas se fier, Il se dise qu'il doit sans cesse étudier, Et n'admettre jamais de frivole exercice : Que son esprit juste, éclairé, Sache du vrai démêler l'artifice ; Qu'il ait mille vertus, sans avoir aucun vice, Et qu'il possède tout au souverain degré. Voilà le Juge. Et s'il se pouvait même Qu'un mortel en vertus put égaler les Dieux. Ce serait peu qu'il eut leur prudence suprême, Il devrait être aussi grand qu'eux ! Il en est peu ; mais il en est, Et tous enfin le devraient être. Mais quelle est votre erreur ? Vous sacrifiez votre fille, Aux charmes décevants d'un chimérique honneur. Vous exposez son bien et son bonheur, Et votre fils, à ce que je préjuge, D'un excellent marchand va faire un mauvais juge. Et quel fruit pouvez-vous tirer, De tout ce qu'aujourd'hui vous faites ? Qu'ils soient bourgeois comme vous l'êtes, Qu'ont-ils de plus a désirer ? Ils ne verront en vous qu'un père respectable, Ils chercheront sans cesse, à vous voir avec eux, Point de société pour eux plus agréable, Que celle d'un père estimable, Qui sut leur faire un sort heureux. Mais las ! Par un effet contraire, S'ils se trouvent aux rangs que vous leurs destinez, Trop enivrez de l'éclat ordinaire, D'un état qui les met au-dessus du vulgaire Pour lequel ils n'étaient pas nés ; Auquel même ils n'osaient prétendre, Savourant à longs traits ses charmes les plus doux, Ils rougiront en secret de descendre D'un père bourgeois tel que vous. Il croit son projet bon, il lui plaît, il s'y livre ; Malgré tous les conseils qu'il reçoit aujourd'hui, Il m'écoute, m'approuve et ne veut pas me suivre. Combien de gens font comme lui ! Je le souhaite fort. Vous paraissez chagrine ? Depuis longtemps ? Depuis six mois ? Je vois à votre mine, Que le terme est trop long de trois. Aisément je devine. N'en faites rien, soyez plus sage. Ah ! croyez-moi, le veuvage Est un état plus gracieux. Voici du difficile, une vieille coquette ! Vous connaissez le prix de la beauté, Votre peinture en est complète, Et vous en avez profité ? En vérité, c'est être fort à plaindre ! Se réduire à votre âge à ces trois soupirants ! Je juge que vos maux sont grands, Par votre adresse à me les peindre. Mais quels sont donc ces trois amants, Qui brûlent aujourd'hui d'une flamme si belle ? Je le crois fort. Un financier poli ! Galant ! C'est un prodige ! Il vous aime donc bien ? Je ne m'étonne plus d'un pareil changement. Mais quel est le troisième amant ? Vous êtes riche apparemment ? C'est pour juger plus sainement De cette affection que vous peignez si grande. Mais à l'âge où vous êtes Pouvez-vous présumer devoir à vos appas Les trois conquêtes que vous faites ? Quoi, vous osez penser que leur flamme est sincère ? Ah, bon Dieu, quel aveuglement ! Et moi, Madame, je vous jure Qu'aucun d'eux n'a pour vous le moindre attachement. Réfléchissez, vous serez sure Qu'ils vous trompent visiblement. Ils n'en veulent tous trois qu'à votre coffre-fort : Les deux premiers, c'est par pure avarice ; L'autre, pour assurer son sort. Si vous pensez que le seul mariage Puisse vous faire un sort plus gracieux, Je crois franchement qu'à votre âge Le Juge vous conviendra mieux. Mais, c'est un homme mûr et sage. C'est : donc le financier ? Pourquoi donc ? Que voulez-vous dire ? Vous voilà donc réduite au jeune militaire. Épouser ce jeune homme ! Ah que vous êtes folle ! Oui, mais, dans son bonheur, il faut trouver le vôtre. Ce doit être à présent votre point capital. Peut-on avoir tant de faiblesse ! Je crois qu'il s'empresse à vous plaire : Mais, tous ces petits soins dureront-ils longtemps ? Peut-il aimer d'une flamme sincère Une femme de cinquante ans Qu'on prendra plutôt pour sa mère ? Vous lui serez à charge autant qu'il vous plaira. Vous aurez beau l'aimer, votre tendresse même L'ennuiera, le chagrinera ; Plus il s'apercevra combien elle est extrême, Plus il s'en formalisera. Quand vous le chercherez, il vous évitera. Toujours en bonne compagnie, Il passera les nuits dans de charmants repas Auprès d'Iris et de Sylvie. C'est alors qu'en raillant vos prétendus appas, Il rira de votre folie. De tels hymens font souvent des ingrats. Les exemples fréquents qu'on en voit dans la vie Ne vous corrigeront-ils pas ? Ah ! Ne vous fiez pas sur sa reconnaissance ; Sa fortune serait immense, Qu'il n'imputerait pas à générosité Ce que vous faites par faiblesse. Il vous examine sans cesse ; Vous prévalant d'un reste de beauté : Vous croyez vraiment qu'il vous aime ; Il le voit bien, sans doute, il méprise lui-même Votre trop de crédulité. Que ne le peignez-vous assis sur la fougère, Comme un jeune berger auprès de sa bergère, S'abandonnant aux transports les plus doux, Bornant ses voeux au plaisir de lui plaire, Et rendant tous les Dieux jaloux Du bonheur qu'il espère ? En vérité, que vos projets sont fous ! Oh, qu'elle ne me connaît guère ! Voilà comme, emporté par quelque passion, On néglige souvent un conseil salutaire : Mais que le repentir suit de près l'action ! On voit trop tard ce qu'on aurait du faire, Et c'est un nouveau mal que la réflexion. Que voulez vous ? Dites-moi, Monsieur, qui vous êtes ? Je ne sais trop par quels bienfaits… Non, Monsieur, et jamais… Je ne vous reconnais pas mieux. Ce que je dis est sérieux. Comment ! De la misanthropie ? C'est un ridicule souvent. Beaucoup font comme vous, qui n'ont que la manie De se donner un air plus sage ou plus savant. Un homme tel que vous peut-il avoir des vices ? Mais pour des qualités ? Sa modestie est peu commune. Mais, vous me dites votre amie ; Ainsi, sur ce point-là, vous pouvez vous ouvrir. Bon, parlez, votre modestie, Avec moi, n'a point à souffrir. Je le crois bien ; mais sans tant discourir…. Vous oubliez un point. Votre modestie. Quel homme ! Ô Ciel ! Et que d'orgueil ! Mais, à quoi bon vous retirer du monde ? Un honnête homme est fait pour la société ; Et l'érudition même la plus profonde N'est point contraire à la gaité. Mais avec les humains. Halte-là, s'il vous plaît. Monsieur, à ne rien feindre, Par un pareil raisonnement, On connaît trop facilement, Que ce n'est que de vous que vous pouvez vous plaindre ? Réfléchissez sur votre aveuglement, Et vous verrez que vous n'avez à craindre, Que votre orgueil et votre entêtement. Si vous saviez mieux vous contraindre, Le monde aurait pour vous beaucoup plus d'agrément, Je vois qu'un savoir ou faux ou véritable, Ne fait de vous qu'un homme insociable ; Que la soif de briller qui vient vous animer, Vous rend impérieux, arrogant, intraitable ; Personne ne doit vous aimer, En effet est-il rien de plus insupportable Qu'un savant orgueilleux qui veut toujours primer ? Ainsi n'imputez point à l'amour pour l'étude, Votre soin à rester dans votre solitude. D'un prétexte imposant vous voulez vous couvrir ; Votre fatuité prude Choquait ceux avec qui vous vouliez discourir, Le commerce du monde était pour vous trop rude, Et vous aviez trop à souffrir. Ces projets de Misanthropie, À votre sens sont presque des vertus, Mais à mon avis c'est folie, C'est en vous un défaut de plus. Oui, Monsieur, vous n'êtes qu'un caustique. Cette étude philosophique, Dont vous osez tant vous vanter, Ne vient chez vous que d'une humeur cynique, L'orgueil seul sut vous y porter. Même si du siècle où nous sommes, Vous avez avec soin étudié les moeurs, C'est plus pour avoir lieu de mépriser les hommes, Que pour éviter leurs erreurs. Le Philosophe, le vrai sage, Agit tout autrement que vous, Il fait de son étude un bien plus noble usage, Il écarte de lui cet air dur et sauvage, Il n'en est que plus doux. Toujours persuadé de sa propre faiblesse, C'est sur lui seul qu'il réfléchit sans cesse, Il réprime surtout ces mouvements d'orgueil, Du bonheur et de la sagesse, Souvent le redoutable écueil. S'il a des passions, il cherche à les éteindre. Il abhorre le crime, et si, dans les mortels, Il connaît des travers, des excès criminels, Tout mortel est fautif, il ne sait que les plaindre, Il se fait respecter, il charme tous les coeurs, Moins par sa science profonde, Que par la bonté de ses moeurs, Il ne dédaigne point le commerce du monde. Il sait par les douceurs de la société. Égayer sa Philosophie ; C'est ainsi qu'il passe sa vie, Dans le repos et la tranquillité. Voilà ce qu'un sage doit être, Pouvez-vous vous flatter d'en avoir un seul trait ? À ce fidèle portrait, Oserez-vous vous reconnaître ? Ne voyez que les vôtres. On pardonne aisément tous les défauts des autres, Lorsqu'on connaît bien tous les siens. Que de savants dans leur délire Ressemblent à cet homme-ci ! Enflés de leur savoir, ils croient se suffire : Vous les choquez en voulant les instruire. Mais, quel homme paraît ici ! C'est un Suisse, je pense ! Un Suisse et la Raison ? Cela s'accorde au mieux. C'est une injustice criante ! On devrait bien avoir d'autres égards pour vous. Comment donc ? Quoi ! Vous voulez les attaquer ? Il est sur eux beaucoup à dire : Mais, qu'avez-vous pu remarquer ? Mais, dites-moi ce qui vous choque ? Fort bien ! Ne donnez jamais prise. Vous les peignez au mieux. On fait fort bien, je crois. L'art de les débiter… Sur ce point-là vous pensez moins mal qu'eux. Ces faiblesses là sont communes. Une sincère passion Est d'un grand poids auprès des belles ; Mais ce mérite-là n'est presque rien pour elles, Il faut encor de la discrétion. Mais en quoi, mon cher, je vous prie, Faites-vous donc consister la Raison ? C'est aussi là votre folie. C'est prendre son parti. C'est punir assez bien leur sotte vanité. Sur ces articles là je n'ai rien à vous dire : Vous les raillez, et vous avez raison. Je le voudrais, mon cher, mais je ne puis : Ce serait vous flatter d'une espérance vaine. Les préjugés aussi bien établis Ne se détruisent qu'avec peine. Fort bien. Quel effort de génie ! C'est un bon trait que celui-là ! J'admire dans ce Suisse Certain fonds de raisonnement : Il est grossier, mais rendons-lui justice ; Il pense du moins sensément. Mais quel est cet époux ? Peut-être quelque vieux. Mais s'il n'est pas du tout aimable. Quel préjugé ! J'approuve votre zèle ; Mais faut-il si-tôt la blâmer ? Cet homme est-il le seul qu'elle puisse enflammer ? Votre fille est jeune, elle est belle, Quelque autre peut brûler pour elle, Et qui plus est, s'en être fait aimer. S'il était d'un bon caractère ? S'il a du mérite d'ailleurs ? Et votre fille en aura-t-elle ? En ce cas, si c'est son bonheur Que vous avez si fort en vue, Pour les biens du richard soyez moins prévenue. Consultez votre fille, et sondez bien son coeur. Approchez-vous, ma chére amie, Écoutez-moi, parlez-nous franchement, Votre mère le veut, et moi je vous en prie, Connaissez-vous bien votre amant ? Êtes-vous sure qu'il vous aime ? Qui vous le fait penser ? Et vous, vous l'aimez bien ? Mais comment jugez-vous que vous pouvez l'aimer ? Eh bien ! Enfin… Comment ? Et s'il vient par hasard ? Et s'il s'en va ? Sa situation m'afflige et me fait peine, Elle aime fortement son jeune cavalier, Votre espérance sera vaine, Si vous comptez jamais le lui faire oublier ; Et l'autre amant, ne saurait donc vous plaire ? Vous avez droit de vous faire obéir : Mais pouvez-vous au gré de votre envie, Forcer ce jeune enfant d'aimer ou de haïr, Suivant votre caprice ou votre fantaisie ? Non, non, dissipez votre erreur, Ce droit vous est donné pour faire son bonheur, Veillez-y ; mais en femme sage, Pour elle examinez le parti le meilleur, Et considérez moins pour un tel mariage, De quelques biens de plus le frivole avantage, Que les sentiments de son coeur. Oui. Sans doute. Examinez, voyez avec prudence, Si ce jeune amant-là pourra lui convenir, Mais si vous lui trouvez des moeurs de la naissance, Il aime, il est aimé, vous devez les unir. À vos voeux favorable, Je voudrais vous servir du meilleur de mon coeur ; Mais ce n'est pas assez qu'un amour véritable Vous enflamme aujourd'hui d'une sincère ardeur, Madame cherche à prendre un gendre convenable, Homme de naissance et d'honneur, D'un caractère, doux, aimable, Qui puisse de sa fille assurer le bonheur, Croyez-vous pouvoir y prétendre ? Comment et par quelle occurrence ? Vous le savez dans le siècle où nous sommes, Les femmes comme les hommes, Sur cet article-là ne sont pas scrupuleux, Et souvent c'est à qui se trompera le mieux, Un pareil procédé prouve de la droiture, Un aveu si sincère est d'un homme d'honneur. En ce cas, soyez-leur propice ; Cet aveu seul devait vous faire ouvrir les yeux. Pouvez-vous jamais trouver mieux ? Monsieur vous prouve en lui des moeurs, de la naissance ; Ces titres valent mieux qu'une grande opulence. Votre fille a du bien, il suffit à tous deux ; L'Amour les fait brûler des plus aimables feux. Son ingénuité vient de vous en instruire, À leur hymen il faut souscrire ; Rendez ces deux amants heureux. Retirez-là ; Monsieur l'avait eue avant lui ; Et si cet homme est raisonnable, Il doit approuver aujourd'hui Un hymen aussi convenable. Non, la raison ne peut autoriser Une union si discordante ; N'espérez pas que j'y consente, Votre fille est aimable, et sa vertu m'enchante ; Mais vous cherchez à l'exposer. Le moyen est extrême, Lorsque pour être sage il y faut recourir. Mais comment oublier un jeune amant qu'elle aime, Pour aimer un vieillard qu'elle ne peut souffrir ? Comment éteindre une ardeur légitime Qu'une juste espérance a pris soin de nourrir. Quand on aime un objet toujours digne d'estime, L'Amour devient un mal dont on ne peut guérir. D'un joug impérieux, malheureuse victime, Elle verra ses jours couler dans les douleurs. Pour elle cet amour va devenir un crime : Pour un coeur vertueux, quelle source de pleurs ! Songez donc… Eh bien, Madame, il faut vous rendre, Et ne songer qu'à les unir. Allez, heureux époux, qu'une flamme éternelle Unisse vos coeurs pour jamais. Si chacun de vous m'aime, et peut m'être fidèle, Vous vivrez tous les deux en paix. Ne badinez pas tant. Si dans cette entreprise Tout n'a pas, à mon gré, secondé mes souhaits, Je ne regrette pas la peine que j'ai prise, J'ai du moins eu quelques succès. Tous ne sont pas incorrigibles ; Il en est qui sont prévenus, Pour les faux préjugés ici-bas répandus ; Mais qui peuvent se rendre à des raisons sensibles. Comment donc ? Non, Déesse, je pars, et je vous remercie. Mais enfin… Allons, il faut avoir un peu de complaisance : Que l'on approche, j'y consens. Pour les affaires de la vie, Ce n'est qu'à la Raison qu'il faut avoir recours. Heureux est le mortel qui de lui se défie, Et la consulte toujours. Mais, laissez la philosophie, Lorsqu'il s'agit d'occuper vos loisirs. Sans un petit grain de Folie, Il n'est jamais de vrais plaisirs. **** *creator_lafossem *book_lafossem_ecoledelaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_lafossem_verse_comedy_ecoledelaraison *dist2_lafossem_verse_comedy *id_LAFOLIE *date_1739 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lafolie Quoi ! la Raison abandonne les Cieux, Pour redescendre sur la terre ! Retournez-y. Pouvez-vous faire mieux ? Depuis longtemps ici vous êtes étrangère. Vous, parmi les humains ! Eh ! Qu'y voulez-vous faire ? Espérez-vous jamais trouver grâce à leurs yeux ? Parlez ; qu'osez vous entreprendre ? Oh, oh ! Permettez-moi d'en rire. Un tel projet est des plus fous : Mais, Déesse, on croira qu'ici je vous inspire. Corriger les mortels ! Eh ! Comment ferez-vous ? Allez-vous leur prêcher cette docte morale Qui fit tant bâiller leurs aïeux ? Vous aviez à combattre une fiere Rivale Un peu plus aimable à leurs yeux ; On se moqua de vous ; vos discours ennuyeux Éprouvèrent bientôt la disgrâce fatale Que vous allez encor essuyer en ces lieux : Votre peine en fut sans égale, Le dépit vous força de remonter aux Cieux : Quoiqu'aujourd'hui votre sagesse étale, Osez-vous espérer qu'on vous traitera mieux ? Croyez-moi, remportez votre Philosophie, Le temps, les lieux, tout est pareil, Et les humains diront qu'une fois en leur vie Ils ont vu la Folie Donner un bon conseil. C'est tout au plus. Essayez-le ; mais je vous jure, Qu'après un si docte entretien, Quelques uns vous diront : votre morale est pure, Vous nous parlez pour notre bien, Nous le sentons ; mais je vous en assure, Tous ces beaux sermons-là ne serviront de rien. Quels charmes avez-vous qui puissent les séduire ? Comment les soustraire à ma loi ? Moi, je les divertis. Vous voulez les instruire : Pourrez-vous l'emporter sur moi ? Je suis vive, je suis légère, Mon air est toujours gracieux ; J'ai le véritable art de plaire ; Mon abord seul prévient les yeux. On me chérit, on m'aime, ou plutôt on m'adore Du matin jusqu'au soir, et du soir à l'aurore, Dans leur travaux, dans leurs loisirs, Je berce les mortels de choses agréables, De plaisirs variés, faux, mais toujours aimables, Et toujours suivant leurs désirs. Oui, souvent ce ne sont que de pures idées : Mais de ces faux appas leurs âmes possédées, Les prennent pour de vrais plaisirs. Mais, vous, toujours sombre, rêveuse. Morne, moralisant sur tout, Vous attristez l'âme la plus joyeuse, Et dans l'instant produisez le dégoût. Caustique, contrariante, Sans cesse vous empoisonnez Les plaisirs dont je les enchante. Vous raisonnez, vous combinez ; À votre goût tout est extravagance. Les mortels sont toujours gênés. Que ferez-vous avec votre science, Et tous vos éloquents discours ? Rien, qu'établir mieux ma puissance ; Car je triompherai toujours. Oui. Mais avant de vous connaître, Avant de parvenir à bien suivre vos pas, Combien leurs coeurs éprouvent de combats ! Un préjugé s'abat, un autre va renaître. Leur sort est toujours rigoureux ; À force de combattre ils parviendront peut-être À se voir un peu plus heureux : Mais les miens commencent par l'être ! Ce point est pour vous dangereux. J'en conviens, je ne suis qu'aimable ; Vous, vous avez plus de solidité ; Mais on aime bien mieux une erreur agréable, Qu'une ennuyeuse vérité. Tout mortel en naissant apporte sa manie ; Et si pendant le cours de la plus longue vie Quelques-uns par hasard semblent se corriger, Ils ne font, tout au plus, que changer de Folie, Et mieux que moi vous en devez juger. La Coquette cesse de l'être, Mais elle devient prude en quittant ses atours. Et vous voyez le Petit Maître, Pour devenir pédant, laisser-là les amours. Si quelques-uns dans leur vieillesse Paraissent être un peu moins fous, Ne croyez pas que leur chimère cesse, C'est un masque trompeur qu'ils empruntent de vous. Eh bien, contentez-vous, suivez votre entreprise Combattez les erreurs, domptez les préjugés, Éclairez les mortels. Si vous en corrigez, En vérité, j'en serai fort surprise : Mais pour quelques uns terrassés, Qui quitteront mes lois pour embrasser les vôtres, Nous en verrons renaître d'autres Plus fous cent fois, plus insensés, Et j'en aurai toujours assez. Adieu. Je vais faire ma ronde, Je reviendrai tantôt apprendre vos succès. Je vais dire par tout le monde Votre arrivée et vos projets. Si tous les fous viennent dans ce Palais, Craignez qu'ici tout l'univers n'abonde ; Vous pourriez ne finir jamais. Eh bien, votre espérance a-t-elle été remplie ? Vous aviez de fort beaux projets. Réellement combien votre philosophie M'a-t-elle enlevé de sujets ? Comment ! quelques mortels à vos voeux satisfaits ? En vérité, j'y prends beaucoup de part. Ma joie est égale à la vôtre ; Et puisqu'aujourd'hui le hasard Nous rapproche ici l'une et l'autre, Je veux vous régaler avant votre départ. Je sais trop, Déesse, Que le devoir m'engage à cette politesse. Je viens de faire préparer Un divertissement à tous deux convenable, Moitié fou, moitié raisonnable ; Il vous plaira… même j'ose espérer… Oh, s'il vous plaît, trop de sagesse ennuie ; Montez-vous sur un plus beau ton, Restez aux jeux dont je vous prie ; Et songez qu'un peu de Folie Ne peut qu'égayer la Raison. Vains discours. Ce moment nous rassemble. Pouvez-vous vous en dispenser ? Nous-nous trouvons trop rarement ensemble, Pour que vous puissiez refuser. D'ailleurs, ce n'est que de la Danse, De la Musique, et quelques chants. Un amant sexagénaire, À fillette de quinze ans, Souvent espère, Pouvoir encore plaire Mais le bonhomme a fait son temps. En vain le bon sens lui crie, Qu'il est dans l'arrière saison, Il voit, il aime, il se marie, C'est une Folie, Il croit pourtant avoir raison. Une Maman pie-grièche, De fille aux appas naissants, D'un ton revêche, Sans cesse la prêche, Contre l'Amour et les amants. Mais tout ce qu'elle en publie Loin d'en dégoûter le tendron, D'en essayer lui donne envie, C'est une Folie, Mais elle croit avoir Raison. Un vieux, jaloux de sa femme, Fait observer tous ses pas, Pour rien son âme De courroux s'enflamme, Il peste, il jure, il fait fracas, Mais que lui sert sa manie, Qu'à mieux avancer le mignon, Qui veut tromper sa jalousie, C'est une Folie, Il croit pourtant avoir raison. Quel plaisir, quelle fictoire, Dy terrasser des bifeurs ! Morbleu la gloire, Dy touchours pien poire, Defroit enchanter tous les coeurs, Mais las ! Sti chenre de fie, Pour tout mon foi n'être pas bon. Ein pauvre Français qui s'y fie, Faire un Folie, Mais ein Suisse il avre Raison. Notre jeune Auteur en transe, Se trouve presque aux abois, De l'indulgence, Hélas ! Il commence, Que faire une première fois. Un auteur se fortifie, En prenant de vous sa leçon, Il a risqué, je vous en prie, Paix si c'est Folie, Mais claquez fort, s'il a raison.