**** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_ANTIOCHUS *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_antiochus Gardes, exécutez l'ordre que je vous donne. Et vous, Barsès, allez avertir Antigone : Faites à l'échafaud conduire ces hébreux. Nos dieux vont recevoir ou leur sang ou leur voeux. Oui, oui de l'univers je ferai disparaître Cette religion que l'erreur a fait naître, Et qui couronne encor ses superstitions De l'insolent mépris des autres nations. Je lui jure, Madame, une éternelle guerre. D'un reste d'insensés je purgerai la terre. S'il n'adore nos dieux, tout hébreu périra. De quoi vous flattez-vous ? Et de quelle vengeance Votre esprit aveuglé repaît son espérance ? N'ai-je pas de son temple exilé votre dieu ? Dans l'univers entier lui reste-t-il un lieu Où vous puissiez encor, lui portant votre offrande, Le presser, le prier qu'au moins il se défende ? Songez à vous. Lui-même est dans l'oppression. Jupiter désormais est le dieu de Sion. Et c'est sur vos autels que notre culte expie Des prêtres de Juda le sacrifice impie. Vous n'avez plus de lois. Vos oracles proscrits Ont subi dans les feux la rigueur des édits. Quand d'un affreux revers vous devenez l'exemple, Vils esclaves, sans lois, sans autels et sans temple, Au comble de misère où le juif est réduit, Réclamez-vous encore un dieu que j'ai détruit ? Ainsi vantant toujours cent prodiges divers, Vous croyez effrayer le crédule univers : Mais désabusez-vous, fanatiques coupables. J'ai vaincu : mon triomphe a dissipé vos fables. Je le défie encor de tromper ma colère. Vous du moins frémissez ; et si vous êtes mère, Pleurez de vos enfants le trépas assuré, Si dans ce même instant Jupiter adoré... Eh bien ! C'est aujourd'hui le jour d'Antiochus. Je vais de vos enfants ordonner le supplice. Exhalez à loisir ce généreux transport. Gardes, retenez-la. Vous apprendrez leur sort. Madame, demeurez ; et jugez aujourd'hui De ce que ma bonté veut bien faire pour lui. Chaque jour vous apprend le pouvoir de vos charmes. Je n'ai pu refuser sa grâce à vos alarmes. Vous vouliez qu'il vécût : il voit encor le jour ; Et sa vertu le sauve autant que mon amour. Oui, mon cher Misaël, tes grâces, ta jeunesse Ont jeté dans mon coeur la plus vive tendresse ; Si de ta fermeté j'ai plaint l'illusion, Elle a pourtant saisi mon admiration. Je n'ai pu sous le fer voir tomber l'espérance Du destin glorieux que promet ta constance. Et plein de cet espoir qu'il faut justifier, Ton prince à ses faveurs veut bien t'associer. Quand je fais tant pour toi, songe à me satisfaire ; Et pour des biens certains immole une chimère. Oublie un dieu sans force, un dieu qui t'abandonne, Et satisfais un roi qui sauve et qui pardonne. Songez-y, Misaël. Sans m'offenser toujours, Tu peux à mes bontés laisser un libre cours. Par un bizarre orgueil ne vas point te défendre Des bienfaits qui sur toi cherchent à se répandre. Élevé sur tous ceux que j'ai le plus chéris, Seul tu me tiendras lieu de tous mes favoris. Point de rang, point d'honneur qu'un peu d'encens n'obtienne ; Et pour tant d'amitié je ne veux que la tienne. Quel insolent respect qui te fait à la fois Et m'offrir ton service et m'imposer tes lois ! Malgré mon amitié crains encor ma vengeance ; D'un seul mot je puis perdre un ingrat qui m'offense. C'en est trop : je ne sais par quel enchantement Je me laisse à ce point braver impunément. Gardes... Il veut périr, madame. Et que me reste-t-il à tenter sur son âme ! C'est vous qui pour ses jours m'avez intéressé ; C'est à vous de fléchir ce courage insensé. Je sens encor, malgré l'excès de son audace, Qu'un reste de pitié cherche à lui faire grâce. Parlez : de vos conseils la douce autorité Peut-être en sa faveur domptera sa fierté ; De lui-même obtenez qu'il ait soin de sa vie ; Ou ne vous plaignez plus qu'elle lui soit ravie. Madame, chaque jour me le fait mieux connaître ; Pour calmer mes chagrins, le ciel vous a fait naître ; Et je bénis l'instant où la faveur des dieux, Pour attendrir mon coeur, vous offrit à mes yeux. Je veux bien l'avouer, les plus grandes conquêtes, L'honneur d'humilier les plus superbes têtes, D'abattre sous mes pieds un monde d'ennemis, M'intéresserait moins que Misaël soumis. L'horreur d'avoir en vain devant cette âme altière Employé la menace et perdu la prière, Mon amitié bravée autant que mon pouvoir, Cet affront m'accablait du plus vif désespoir : Car je ne sais si c'est ou grandeur ou faiblesse, Mais ma fierté frémit de tout ce qui la blesse. Qu'un seul de mes sujets ose me résister, Tout ce qui m'obéit ne peut plus me flatter, La résistance alors est tout ce qui me frappe, Il semble à mon orgueil que le sceptre m'échappe, Et qu'à jamais forcé de recevoir la loi, Je ne suis plus qu'un homme, et cesse d'être roi. Je n'en suis pas le maître. Je tâche à l'étouffer, et sans cesse il renaît ; Je sens qu'il fait toujours mon plus cher intérêt : Des autres passions toute la violence N'en saurait dans mon coeur balancer la puissance. Si Misaël se rend, madame, les hébreux Sans effort désormais vont prévenir mes voeux. Cet exemple peut tout, et j'en dois plus attendre Que d'un torrent de sang que je pourrais répandre. Eh bien, à vos conseils Antiochus se livre, Estime, amour, raison, tout m'engage à les suivre. Connaissez à quel point je m'en sens pénétrer Par le dessein qu'ici je vais vous déclarer. Je vous offre ma main, il est temps, Antigone, Que ce front si chéri partage ma couronne. Dès longtemps aux honneurs du souverain pouvoir Mes tendresses ont dû préparer votre espoir. Je ne diffère plus, jouissez-en, Madame, Que des jours plus sereins soient le prix de ma flamme, Et par votre pitié modérant mes rigueurs, Venez m'aider vous-même à regagner les coeurs. Votre douceur va mettre un frein à ma colère, Et je ne connais plus que l'orgueil de vous plaire. Pour lui défendre encor de suivre son devoir ? Non, madame, souffrez plutôt qu'il vous apprenne À vous rendre vous-même à ma loi souveraine, Trop heureux, si pour prix de mes voeux satisfaits, Je vous pouvais tous deux combler de mes bienfaits. J'espère avoir bientôt à le récompenser. Jusques-là je le laisse au pouvoir d'Antigone. Obéissez vous-même aux ordres qu'elle donne, Désormais mon épouse, elle règne avec moi, Et vous et votre fils vous êtes sous sa loi. Ils n'échapperont pas, Arsace, à ma vengeance. J'ai fait partir contre eux ma garde en diligence, Et le traître Barsès ne saurait éviter... Mais quel soupçon nouveau vient ici m'agiter ! J'avais choisi Barsès par l'avis d'Antigone. Est-ce donc elle, ô dieux, qu'il faut que je soupçonne ? Qu'on la fasse venir ; je veux être éclairci ; Et que de Misaël la mère vienne aussi. Croirai-je qu'à ce point Antigone m'offense De mon empire offert est-ce la récompense ? Et déjà la perfide, au mépris du devoir, Fait-elle ainsi l'essai du souverain pouvoir ? Parce qu'elle m'a plu, me croit-elle en ses chaînes ? De l'état en ses mains ai-je remis les rênes ? Croit-elle désormais régner au lieu de moi ? Et que pour être amant, j'ai cessé d'être roi ? Se fiant trop sans doute à l'orgueil de ses charmes, Elle croit me fléchir par ses premières larmes ; Mais en qui me trahit on sait trop qu'à mes yeux, Jusques à la beauté, tout devient odieux. Que j'humilierai bien cet orgueil qui la flatte ! On va me l'envoyer ; que me dira l'ingrate ? Qu'à mon propre intérêt se laissant conseiller, Elle m'épargne un sang dont je m'allais souiller ; Et qu'elle a craint enfin que de notre hyménée Cet auspice sanglant ne marquât la journée. Trop frivoles raisons ! Je veux être obéi. Et servi malgré moi, je me compte trahi. Mais que veut dire Arsace, et quel trouble l'étonne ? On ne la trouve pas ! Je frémis ; de l'hébreu suivrait-elle les pas ? Est-ce donc un amant que sa pitié délivre ? Est-ce donc un rival qu'en lui j'ai laissé vivre ? Quels prodiges ! Grands dieux ! Qui le pourrait penser ! Qu'au mépris de mon trône où je l'allais placer Dans son perfide coeur un esclave l'emporte ! Il ne lui peut offrir que les chaînes qu'il porte ; Mon amour la faisait régner sur l'univers ; On dédaigne mon sceptre et l'on choisit ses fers. Qu'ils tremblent ; de mes mains c'est en vain qu'ils s'arrachent. Je percerai l'asile où ces ingrats se cachent. Dans les antres profonds dussent-ils se sauver, Ma fureur saura bien encor les y trouver. L'israélite vient. Votre fils fuit avec Antigone. Viennent de s'échapper. Vous savez leur secret, gardez de me tromper ; S'aimeraient-ils ? Parlez ; ou d'une vaine audace La mort... Comment donc m'éclaircir de leurs perfides flammes ! Voyons ; et d'Antigone interrogeons les femmes. Dans ce doute mortel c'est trop me retenir. Apprenons de quel crime il la faudra punir. Dieux ! Ne ferai-je donc qu'une recherche vaine ? On ne m'éclaircit point ; tout augmente ma peine. De leur fatal amour on n'ose m'assurer ; Cependant malheureux puis-je encor l'ignorer ? Plus je pense à leur fuite, et plus mon coeur se trouble. Ma fureur inquiète à chaque instant redouble. Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis. Sortez ; votre présence irrite mes ennuis. Hidaspe ne vient point ! Qu'est-ce qui le retarde ! Les traîtres seraient-ils échappés à ma garde ? Se pourrait-il qu'Hidaspe eût manqué leur chemin ? Ses jours me répondraient... mais je le vois enfin. Eh bien ! M'amène-t-on la perfide et le traître ? Et d'où vient que sans eux je te vois reparaître ? Un combat ! Contre qui ? Parle. Approche ; et que ton coeur frémissant à ma vue Commence de subir la peine qui t'est due. De tant d'amour, ingrate, est-ce donc là le prix ? Devais-tu le payer d'un si sanglant mépris ? Après mon sceptre offert, Antigone me brave, Jusqu'à m'abandonner ; pour qui ? Pour un esclave ! Jusqu'à me préférer les rigueurs de son sort ; À fuir mon trône enfin, comme il fuyait la mort ! Son épouse ! À ce point on ose m'outrager ! Son épouse ! Grands dieux ! Ah ! Cruel, de ta vie... Tu ne l'es point ; tu n'es que son amante. Ton dieu c'est ton amour ; et tes voeux aujourd'hui N'ont en me trahissant sacrifié qu'à lui : Mais je vais te punir, en t'arrachant la vie, Et de ton sacrilège et de ta perfidie. Ingrate, tu vas voir mon courroux furieux S'épuiser à venger mon amour et les dieux. Misaël à mes pieds ! Je ne m'en flattais pas. Je ne lui croyais point un courage si bas ; Et jusqu'à ce moment prière ni menace N'avait pi le forcer à me demander grâce. Le faible de ton coeur vient de se déceler ; Et tu m'apprends toi-même à te faire trembler. Non, ne te flatte point que ta mort me suffise. J'ai trop appris combien Misaël la méprise ; Et je ne pourrais plus compter sur ton effroi, Si mon courroux n'avait à menacer que toi. C'est sur un autre coeur que vengeant mon outrage, Je te ferai frémir malgré tout ton courage. Grâce au ciel ma fureur ne peut plus se tromper. Je sais pour te punir où ma main doit frapper. Ah ! C'est trop abuser, couple ingrat et perfide De l'état où me jette une douleur stupide. À peine mon oreille entendait vos discours. Quoi donc ! Vous vous jurez de vous aimer toujours ! Vous insultez au trouble où mon âme est en proie ! Mais vous perdrez bientôt cette barbare joie. Dans cet appartement conduisez-les tous deux, Gardes ; suivez mon ordre ; et me répondez d'eux. Toi, songe à m'obéir, sans tarder davantage ; Ou fais-toi de ses maux la plus affreuse image. Tout ce que la fureur inventa de cruel... Serai-je donc vaincu, grands dieux ! Et cette offense Me va-t-elle à jamais prouver mon impuissance ! À cet affront mortel m'auriez-vous réservé ? Et ne suis-je plus roi que pour être bravé ! C'en est fait ; votre fils consomme son audace. Il vient, pour me braver, de sortir dans la place. Honneur et sacrifice au seul dieu d'Israël, A crié devant moi l'insolent Misaël. Je l'ai trop laissé vivre. Il est temps qu'il expie L'aveugle fermeté de son orgueil impie. De la main des bourreaux rien ne peut l'arracher. Déjà tout était prêt, la flamme et le bûcher. Le cruel y va voir expirer ce qu'il aime ; Et soudain dans les feux il la suivra lui-même. Pour eux plus de pitié ; je n'en veux plus sentir ; Et je ne suis rentré que pour m'en garantir. Tu me braves en vain ; ton sexe est ta défense ; Et je sais me garder d'avilir ma vengeance. Ce n'est point son erreur qui l'envoie au supplice ; C'est de sa trahison le juste châtiment, Ou plutôt d'un rival sa mort est le tourment. Je ne suis point vengé, grands dieux ! Je suis vaincu. Ô ciel ! Qu'ai-je entendu ! Quel effroi m'a troublé ! Je doute si c'est elle, ou Dieu qui m'a parlé. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_SALMONEE *date_1721 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_salmonee Eh bien ! Nous périrons ; et Dieu nous vengera. Ne te fatigue pas à raconter tes crimes : Qui les sait mieux que nous qui sommes tes victimes ? L'esclavage, la mort, l'incendie et l'horreur Ont sur Jérusalem épuisé ta fureur. De trente mille juifs l'effroyable carnage Servit en un seul jour de tribut à ta rage ; L'abominable idole est sur l'autel sacré. En as-tu chassé Dieu ? Non. Dieu te l'a livré. Ce qu'il n'eût pas voulu, quel bras eût pu le faire ? S'il nous eût protégés, que servait ta colère ? Il pouvait nous sauver aux portes du trépas, D'un souffle de sa bouche abattre tes soldats, D'Heliodore en toi renouveler l'exemple, Et la verge à la main te chasser de son temple. Non, tu n'as pas vaincu ; mais nous avons péché. Sous ta propre fureur le Seigneur s'est caché. C'est lui qui, pour punir des enfants indociles, Embrase par tes mains ses autels et nos villes ; Et las de nos mépris, c'est lui qui par ta voix Aux prévaricateurs redemande ses lois. Nos prophètes nous ont annoncé nos disgrâces. Le tonnerre vengeur confirmait leurs menaces. Nous avons vu vingt fois au milieu des éclairs Des combats obstinés ensanglanter les airs. Sache que ton courroux orgueilleux de nous nuire, Sert malgré toi le dieu que tu penses détruire. Ne crois pas cependant qu'à jamais condamné, Ce peuple à ton courroux soit tout abandonné. Si tu vois succomber au poids de nos misères De lâches déserteurs de la loi de leurs pères, Ces juifs n'étaient point juifs ; et l'ange de Sion Entre les noms élus ne comptait plus leur nom. Leurs prières n'étaient que de vaines paroles Qui profanaient le temple autant que tes idoles ; Et malgré tes succès, ta fureur aujourd'hui Ne lui prend que des coeurs qui n'étaient plus à lui. Il reste encor des saints contre tes injustices. En vain pour les dompter, tu t'armes de supplices ; Les échafauds dressés te rendent-ils plus fort ? Crois-tu donc affaiblir Dieu même par leur mort ? Tu crois les lui ravir ! Tyran, tu les lui donnes. Tu penses te venger ! Tyran, tu les couronnes. Mais au terme fatal prescrit à tes rigueurs, Il en réservera qui seront nos vengeurs. Arrête ; ils périront. Épargne-moi ce doute. Il est le seul affront que ma race redoute. Eh ! Ne connais-tu pas le coeur des vrais hébreux ? Rappelle Éléazar, ce vieillard généreux, Qui pouvant t'échapper, et bravant toute crainte, Dans les bras de la mort s'est sauvé de la feinte. Tu l'as sacrifié ; mes enfants le suivront. Ils ont reçu l'exemple ; eux-mêmes le rendront. Je te livre mon sang ; cruel, va le répandre. Il criera contre toi. Dieu daignera l'entendre ; Et le jour du Seigneur ne s'éloignera plus. Ah ! Comble tes bienfaits ; qu'avec eux je périsse. Hélas ! Dans quel état me laisse le barbare ! Quel trouble douloureux de mon âme s'empare ? Mes enfants vont mourir au milieu des tourments. Pour une mère, ô ciel, quels horribles moments ! Mon coeur se sent percé des plus rudes atteintes. Je souffre tous les maux que m'annoncent mes craintes. On me les cache en vain ; je les vois déchirer. Sous les coups des bourreaux je les vois expirer ; Et pour m'en présenter la plus affreuse image, Mon amour frémissant va plus loin que leur rage. Seigneur, quand Abraham à tes ordres soumis, Préparait le bucher pour t'immoler son fils ; Et que le fer levé sur la tendre victime, Il t'offrait de son sang le tribut légitime, D'un tel frémissement le vis-tu s'émouvoir ? À la nature en lui laissas-tu son pouvoir ? Et d'un semblable amour sentant la violence, Mourrait-il comme moi de son obéissance ? À quel injuste espoir ta pitié me rappelle ! Non, non. J'obéis mieux. Je ne demande pas Que Dieu déploie ici la force de son bras. Mon coeur à ses décrets n'apporte point d'obstacles, Et croirait l'offenser par l'espoir d'un miracle. Je n'ose même encor souhaiter que sa main Verse moins d'amertume et de trouble en mon sein. Plus je crains pour mes fils, plus je me sens leur mère, Et plus je l'intéresse à devenir leur père. Il est juste, Tharés, qu'à force de souffrir, J'obtienne que leur dieu leur apprenne à mourir. Es-tu content, Seigneur ? J'accepte mon martyre. La mort de mes enfants me perce, me déchire : Ce que jamais pour eux j'ai ressenti d'amour, Je le sens redoubler, quand ils perdent le jour : Mais sans en murmurer, je subis ces alarmes ; Et ma fidélité t'offre toutes mes larmes. J'ai dû devant le roi vaincre ce trouble extrême ; Et je ne songe pas à t'attendrir toi-même. Je ne veux qu'un témoin du trouble de mon coeur ; Et je ne pleure ici que devant le Seigneur. Mais ce n'est point en vain ; et je sens sa présence. Il chasse de mon âme un effroi qui l'offense. À peine devant toi mon coeur a-t-il gémi, D'un seul de tes regards je le sens raffermi. Dieu puissant, désormais plus ferme et plus docile, Sur la mort de mes fils je porte un oeil tranquille ; Et mon zèle enflammé consumant ma douleur, Ne voit plus dans leurs maux que ta gloire et la leur. Frappez, bourreaux, frappez. Sous les plus rudes gênes Faites couler ce sang qu'on puisa dans mes veines. Au gré d'Antiochus massacrez mes enfants. Au sortir de vos mains je les vois triomphants, Voler au sein du dieu l'auteur de leur constance, D'un torrent de plaisirs goûter la récompense. Plus vous serez cruels, plus ils seront heureux. Eh ! Quels amis jamais feraient autant pour eux ? Je les connais, Tharès ; une intrépide foi Pourra sur mes enfants ce qu'elle peut sur moi. Le dieu qui reçut d'eux le plus constant hommage, Est sans doute aujourd'hui leur force et leur courage. Ses yeux ne sont-ils pas ouverts sur Israël ? Le dirai-je pourtant ? Le jeune Misaël, Le dernier de mes fils, trouble encore mon âme. J'ai vu son coeur brûlant d'une coupable flamme ; D'un amour qu'il combat, il est toujours rempli ; Et s'il n'est pas vaincu, du moins est affaibli. Quand Apollonius dans Sion alarmée Du superbe tyran vint établir l'armée, Qu'au nom d'Antiochus vengeur des nations Il donna le signal de nos proscriptions, Misaël vit souvent Antigone sa fille, Digne d'un autre peuple et d'une autre famille. Il voulait pour les juifs obtenir sa pitié ; Par elle, des tyrans vaincre l'inimitié. Il ne suivait alors d'intérêts que les nôtres : Mais il pensa se perdre, en priant pour les autres. Antigone brillant de vertus et d'appas, Fit sur lui des progrès qu'il n'apercevait pas. Il les connut enfin ; et pour mieux s'en défendre, Son amitié naïve osa me les apprendre. Je lui représentai les lois de son devoir. Malgré nos intérêts, il cessa de la voir. Pour étouffer des feux dont notre loi s'offense, Lui-même il s'imposa la plus sévère absence ; Et son coeur, dont je dois encor me louer, Du moins, en les sentant, sut les désavouer. Mais, ma chère Tharès, il faut ne te rien feindre, Pour lui plus que jamais tout est encore à craindre. Cette même Antigone est près d'Antiochus. Les secrets du tyran dans son sein sont reçus. Il la laisse après lui maîtresse de l'empire. Misaël l'a revue, hélas, sans me le dire ! C'est pour nos intérêts, dit-il ; mais que je crains Qu'il ne donne ce nom à des feux mal éteints. Que je crains cet amour dont le conseil perfide, Au plus doux de nos rois inspira l'homicide ; Et qui plus loin encore étendant son poison, Du sein de la sagesse arracha Salomon ! Ah ! Mon cher Misaël, contre de telles flammes Te défendras-tu mieux que de si grandes âmes ! Ils sont morts ! Pourquoi donc vous revois-je, mon fils ? Les pleurer ! Non, mon fils, ne souillons point de larmes Une mort où ma foi me fait voir tant de charmes. Je n'ai craint que pour toi, mon fils ; à ton aspect Tout mon coeur a frémi de ce retour suspect. Que mes embrassements réparent cette crainte ; Et loin de nous livrer à l'infidèle plainte, Parle ; raconte moi, pour consoler mon coeur, Dans la mort de mes fils la gloire du Seigneur. Grand dieu ! Tels sont les coeurs que ta bonté protège. Achève. Eh ! De quel oeil, mon fils, avez-vous vu ces larmes ! Allons, mon fils. Je veux suivre mon fils, craint-on que je n'entende... Que médite-t-il donc ? Et quels pièges couverts... Va : mais, en lui parlant, songe au dieu que tu sers. Qu'ai-je à pleurer, seigneur ? Qu'a-t-on fait de mon fils ? D'un bruit qui se répand tous mes sens sont saisis : On ose m'assurer que sa vertu chancelle, Et que vous espérez d'en faire un infidèle. Ah ! Permettez du moins que je puisse le voir. Laissez-moi voir mon fils, Seigneur, pour toute grâce, Laissez-là vos bienfaits, reprenez la menace. Vous me glacez d'effroi par un accueil si doux. Sommes-nous devenus moins dignes de courroux, Et mon fils chancelant, prêt à vous satisfaire, A-t-il donc attiré cette injure à sa mère ! Non je ne croirai point qu'on puisse le forcer... Quoi ! Madame, c'est vous qui cherchez à nous nuire ! Misaël me restait, vous voulez le séduire, Et si d'Antiochus j'en veux croire l'accueil, La vertu de mon fils va trouver son écueil. Je ne connais que trop, puisqu'il faut vous le dire, Ce que vos yeux sur lui vous ont acquis d'empire : Gardez-vous d'employer ce funeste pouvoir Pour sa honte éternelle et pour mon désespoir. Hélas ! Antiochus n'en voulait qu'à sa vie. Faut-il que vous portiez plus loin la tyrannie ? Que vous vouliez sans cesse à son coeur combattu Par vos barbares pleurs enlever sa vertu ? Non, dès votre naissance à l'erreur asservie, Vous n'avez pas conçu d'autre bien que la vie, Et quoique nous disions, vous n'imaginez pas Qu'il soit pour nous un mal plus grand que le trépas. Nous sommes pénétrés de maximes plus saintes, D'autres biens, d'autres maux font nos voeux et nos craintes. Tout ce qui peut charmer ou troubler vos esprits, Notre oeil plus éclairé le voit avec mépris. Montez, montez, Madame, au trône de Syrie ; Soyez de vos sujets redoutée et chérie ; Que le ciel favorable accorde à vos désirs Ce que vous connaissez d'honneurs et de plaisirs : Mais de grâce, pour prix d'un souhait si sincère, Laissez-nous les liens, l'opprobre, la misère ; Laissez-nous le trépas ; et charmez de ce bien, Notre coeur expirant ne vous enviera rien. Madame vous pleurez, et votre coeur soupire ! Touché de mes douleurs devient-il moins cruel ! Voudriez-vous enfin me rendre Misaël ? Plus vous m'en répondez, plus je me sens confondre. Je ne puis donc vous vaincre, et vous vous obstinez Dans ce projet fatal que vous entreprenez. Vous voulez éprouver jusqu'où mon fils vous aime, Vous voulez dans son coeur triompher de Dieu même. Eh bien, allez tenter ce sacrilège effort, Pressez-le de choisir entre vous et la mort : Mais du moins à vos pieds où la douleur me jette, Ne désespérez pas une triste sujette. Laissez-moi voir mon fils, que ce faible secours... C'est trop perdre mes pleurs. Pour ce que je souhaite, C'est à tes pieds, Seigneur, qu'il faut que je me jette. Implorons des secours plus dignes de ma foi. Je t'offense à chercher un autre appui que toi. De l'ordre qu'on me donne Que faut-il... Antigone et mon fils ! Crois-moi, tyran, ne perds point de menace. Tu sais ton impuissance à me faire trembler : Mais ce que tu m'apprends suffit pour m'accabler. S'il est vrai, qu'écoutant une ardeur criminelle, Mon fils ait consenti de suivre une infidèle, Tes malheurs sont les miens ; plus que toi j'en frémis ; Tu perds une maîtresse ; et moi je perds un fils. Je n'ai donc plus de fils ! Cette fuite funeste Me sépare à jamais de celui qui me reste. Voilà, chère Tharès, le malheur que j'ai craint ; Voilà le fruit cruel d'un amour mal éteint. J'espérais voir le ciel sensible à mes alarmes ; Mais il a rejeté ma prière et mes larmes. Je succombe à mes maux. Eh ! Comment mes enfants Dans le sein du seigneur aujourd'hui triomphants, N'ont-ils pas obtenu pour prix de leur victoire Qu'un frère malheureux n'en ternît pas la gloire ! Il adore les dieux, puisqu'il trahit le sien. Il ne fuit que pour suivre Antigone qu'il aime ; Amant de l'idolâtre, il le devient lui-même. Quand Dieu n'est pas pour lui l'intérêt le plus cher, Qu'importe d'Antigone ou bien de Jupiter ? À tout autre qu'à lui. Oui, le commun des juifs peut sans crime avoir fui. Quand le tyran leur livre une cruelle guerre, Qu'ils cherchent un asile aux antres de la terre ; Contents, sans l'affronter, d'attendre le trépas, Ils peuvent se cacher ; je n'en murmure pas. Mais le ciel de mon fils exigeait davantage. Quand de ses frères morts, il a vu le courage, Témoin de tous les maux qu'ils viennent de souffrir, C'est les déshonorer qu'avoir craint de mourir. Mais tout mon sang est prêt pour expier son crime ; Accepte au lieu du fils la mère pour victime ; Seigneur, que le tyran las de me dédaigner, Ne me méprise plus assez pour m'épargner. Rend terrible à ses yeux le zèle qui m'enflamme. Qu'il croie en me perdant perdre plus qu'une femme ; Et que dans sa fureur ce nouveau Sisara Craigne de laisser vivre un autre Debora. Fais qu'à mes vrais enfants désormais réunie, Tout mon sang d'un ingrat lave l'ignominie : Quand je n'ai plus de fils que je puisse t'offrir, Plus d'autre bien pour moi, Seigneur, que de mourir. Ah ! Mon fils ! Je tremble à ton approche. J'ai voulu sur ta fuite interroger le roi, Qui d'un regard farouche augmentant mon effroi, Et sur tes sentiments s'obstinant au silence, Pour mon tourment, dit-il, me permet ta présence. Ton aspect est-il donc un supplice pour moi ? Parle ; est-ce un infidèle ; est-ce un fils que je vois ? T'es-tu déshonoré ? Ta fuite est-elle un crime ? Elle est israëlite ! Et vous êtes unis ! Et le tiran encor ne vous a pas punis ! Se démentirait-il jusqu'à vous faire grâce ? Et si tu n'y cours point, qu'est-ce donc qu'il espère ? Et tu consentirais qu'il osât l'espérer ? Ciel ! Qu'entends-je ! Tu dois laisser ta foi suspecte ! Misaël à mes yeux ose penser ainsi ! La faiblesse et l'erreur le retiennent ici ! Ingrat ! Ne peut-il pas aussi t'abandonner ? Quand tu te plais toi-même à trahir ton courage, Tremble qu'il ne te laisse achever ton ouvrage. Si le moment présent ne te sert qu'à gémir, Crois-tu qu'un autre instant serve à te raffermir ? Je frémis de l'effroi que ton coeur me témoigne. Ta passion s'accroît, et le Seigneur s'éloigne. Hélas ! Pour se venger de tant d'instants perdus, Peut-être que sa voix ne te parlera plus. Expire ; mais, mon fils, expire pour ton dieu. Qu'Antigone aujourd'hui ne t'en tienne pas lieu. Si sa religion n'est qu'une indigne feinte, Ton amour est un crime aussi bien que ta crainte ; Si vers la vérité c'est un retour constant, Meurs, et va lui donner l'exemple ; elle l'attend. Les juifs vont adopter ta faiblesse ou ton zèle. Par toi, tout est impie, ou bien tout est fidèle : Du salut d'Israël, ou de son jour fatal, Timide ou généreux, tu donnes le signal. Au nom de l'alliance à nos aïeux jurée, Au nom de l'éternel et de l'arche sacrée, Où Moïse jadis renferma cette loi Qu'écrivit le Seigneur pour son peuple et pour toi, J'ose encore ajouter au nom de tous tes frères Qui viennent de mourir pour la foi de leurs pères : Par de lâches délais ne va pas la trahir. Et sans rien voir de plus, hâte-toi d'obéir. Accorde-moi, mon fils, ce prix de ta naissance, De ces soins qu'à ta mère a coûté ton enfance : Si le plus tendre amour a veillé sur tes jours, Va mourir. J'ai retrouvé mon fils, seigneur, pour te le rendre. Devrais-je avoir encor des larmes à répandre ! De la mère et du fils daigne être le soutien, Affermis son courage et rassure le mien. Je hâte cette mort dont je suis déchirée ; Il livre, pour te plaire, une épouse adorée ; Et nous avons tous deux dans ces tristes moments À te sacrifier les plus chers sentiments. Grand dieu, sois en loué ; des efforts magnanimes Doivent à tes regards épurer tes victimes. Dans notre sacrifice immolons tous nos voeux : Le plus digne de toi, c'est le plus douloureux. Ah ! Vous voilà, Seigneur, tel que je vous demande ; Si j'implore de vous une grâce plus grande, C'est que votre courroux consente de m'unir À ce cher criminel que vous allez punir. Pourquoi séparez-vous le fils d'avec la mère ? N'ai-je pas comme lui droit à votre colère ? Et mon zèle hardi ne vous paraît-il pas Digne autant que le sien d'obtenir le trépas ? Superbe, si mon sexe est si vil à tes yeux, Pourquoi démens-tu donc ce mépris odieux, Comment ordonnes-tu qu'Antigone périsse ? Oui, superbe, tu l'es ; et ton pouvoir t'échappe ; Voilà le dernier coup dont le seigneur nous frape. Le sang de mes enfants vient de le désarmer. Ta rage contre nous a beau se ranimer, L'éternel à son tour va prendre sa vengeance. Notre opprobre finit, et ta honte commence. Dieu déploie à mes yeux l'avenir qui t'attend. Je vois du peuple élu le triomphe éclatant ; À leur tête je vois de nouveaux macchabées, Le renaissant appui de nos villes tombées, Marchant à la victoire, et prêts d'exécuter Les exploits que mes fils viennent de mériter. Les puissances du ciel à leurs côtés combattent ; Sous le glaive divin tes légions s'abattent ; Tout est frappé ; tout meurt ; et le juif glorieux Dans les murs de Sion rentre victorieux. Par ta confusion ta rage ranimée Menace le seigneur d'une plus forte armée ; Tu viens : mais il t'arrête ; et ses coups plus certains Te renversent toi-même avec tous tes desseins. Ton corps n'est bien-tôt plus qu'une honteuse plaie ; Tes amis, tes flatteurs, tout fuit, et tout s'effraye. Un dieu juste condamne, en terminant ton sort, Le coeur le plus superbe à la plus vile mort. Alors reconnaissant que tu devais le craindre, Tu cesses de braver ; tu ne sais que te plaindre ; Tu lui demandes grâce ; et prêt à l'adorer, Tu ne veux plus de jours que pour tout réparer : Mais ton faux repentir à ses yeux est un crime, Il ne t'écoute plus et tu meurs sa victime. Implacable tyran, voilà ton avenir. Ma voix te le révèle ; et tu peux m'en punir : Mais, si de ton courroux je ne deviens la proie, Je mourrai, malgré toi, de l'excès de ma joie. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_THARES *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_thares De vos maux avec vous je ressens la rigueur. Mais il vous reste encor l'espérance au Seigneur. Peut-être ce qu'il fit pour Abraham fidèle... Il fallait au tyran laisser voir ces douleurs, Madame ; vous l'auriez désarmé par vos pleurs ; Et l'âme à la pitié la plus inaccessible N'eût pu voir tant de maux sans devenir sensible : Mais vous l'aigrissiez, lui qu'il fallait attendrir. Moi que vous pénétrez, puis-je vous secourir ? Quel changement, ô ciel ? Madame, est-ce vous-même ! De quel abattement naît ce courage extrême ! C'est un coeur tout nouveau formé dans votre sein. Vos yeux n'ont plus de pleurs, votre front est serein. Vous offrez, sans frémir, les plus chères victimes. Heureuse, si vos fils sont aussi magnanimes ! Que lui reprochez-vous, Madame ? Et quel affront Pensez-vous que sa fuite imprime à votre front ? D'un tyran implacable il fuit la barbarie. Sans trahir son devoir, il assure sa vie. Il n'a point adoré les dieux du syrien. Mais quand Misaël fuit, du tyran qu'elle offense Antigone elle-même a dû fuir la vengeance. L'amour les unit moins peut-être que l'effroi. L'une fuit pour sa vie, et l'autre pour sa foi. Pourquoi vous hâtez-vous de le noircir d'un crime, Puisque la suite enfin peut être légitime ; Puisqu'elle était permise... **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_BARSES *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_barses Suivez-moi, Misaël : le roi veut vous parler. Madame, où voulez-vous aller ? Madame, c'est lui seul qu'Antiochus demande. Qu'ordonnez-vous ? Commandez, je suis prêt, mon zèle et ma prudence Répondront dignement à votre confiance. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_MISAEL *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_misael Ah ! Ma mère, l'effroi glace encore mes sens. Sous les coups des bourreaux eux-mêmes frémissants, Je viens en ce moment de voir périr mes frères. Vous êtes désormais la plus triste des mères. Vous n'avez plus que moi ; ces enfants si chéris... Ne tremblez pas, ma mère ; une faiblesse impie Ne m'a point fait encore un crime de ma vie. Je ne sais point trahir aux yeux de l'univers La mère dont je sors, ni le dieu que je sers. J'ai demandé la mort. Ma prière empressée Ne la peut obtenir de la rage lassée. Le tyran veut laisser reposer son courroux ; Et je reviens pleurer mes frères avec vous. Leur mort est un triomphe ; et nos saintes annales N'ont jamais célébré de victoires égales. Par l'horreur des tourments, loin qu'ils fussent vaincus, Leur intrépidité troublait Antiochus. Des supplices nouveaux renaissait leur courage. Oui, madame, leur joie humiliait sa rage ; Et le tyran confus, même en donnant ses lois, Paraissait un esclave, et mes frères des rois. Aux portes du palais un autel sacrilège Pour les dieux des gentils fumait d'un fol encens. De la mort près de là les apprêts menaçants, D'un échafaud dressé couvraient presque l'espace ; Et mes frères et moi nous occupions la place Qui séparait de nous l'échafaud et l'autel. Là nos ardents désirs hâtaient le coup mortel. Antiochus paraît. Antigone à sa suite Frémissait du spectacle où l'on l'avait conduite. Voilà, nous a-t-il dit, la vie et le trépas, Vous n'avez qu'à choisir. Nous ne choisissons pas, Crions-nous : dès longtemps résolus au supplice, Voilà, voilà l'autel de notre sacrifice ; Et de la même ardeur enflammez aussitôt, Nous voulions à l'envi monter à l'échafaud. Arrêtez. Laissez-moi, dit l'aîné de mes frères, M'immoler le premier pour le dieu de mes pères. Cet honneur m'appartient ; et c'est l'unique fois Que sur vous mon aînesse a réclamé ses droits. Nous avons obéi, Madame ; et son courage Méritait ce respect encor plus que son âge. Ce héros à l'instant se jette dans les mains Qu'armaient contre ses jours cent tourments inhumains. Tout son sang a jailli sous les verges cruelles. Ils essayaient sur lui des tortures nouvelles. Ses membres par le fer tour à tour déchirés, Ses yeux mêmes, ses yeux qu'au seigneur il élève Arrachés et brûlants... vous frémissez !... Il meurt de ce supplice ; et soudain à l'envi, Non moins dignes de Dieu, les autres l'ont suivi. Figurez-vous toujours la même violence, Et les mêmes tourments et la même constance. Voyez-les au milieu de leurs maux effrayants Lancer encore au roi des discours foudroyants, Insulter saintement à son orgueil farouche ; L'éternel avait mis son esprit dans leur bouche ; Et leur voix prophétique, organe du Seigneur, Accablait le tyran d'un avenir vengeur. L'orgueilleux frémissait ; et sa colère aigrie De ses bourreaux trop lents irritait la furie. Antigone au contraire en ces affreux moments, Semblait par sa pitié sentir tous les tourments. Et d'un torrent de pleurs exprimant ses alarmes... Que me demandez-vous ? Par quel trouble indiscret Ai-je pu m'attirer ce reproche secret ? Malgré tout mon amour et des larmes si chères, Je n'ai connu que Dieu, mon devoir et mes frères. De ces bontés, Seigneur, moins flatté que surpris, Je pourrais les payer par de nouveaux mépris Si vous m'avez cru ferme, avez-vous donc pu croire Que tant de cruauté sortît de ma mémoire ? Après mes frères morts, pensiez-vous que mon coeur Pût à votre pitié se prêter sans horreur ? Je m'y prête pourtant, si je le puis sans crime. Je saurai m'imposer un oubli magnanime. Ce sacrifice affreux que j'ai frémi de voir Dans mon âme n'a point porté le désespoir. Ne vous figurez pas que regrettant leur vie, Je brûle de venger un trépas que j'envie. Mes frères sont heureux ; et c'est à vous, Seigneur, Qu'ils doivent maintenant leur gloire et leur bonheur Mais ce qui seul en vous doit exciter ma haine, C'est contre l'Éternel cette audace inhumaine, Qui par l'impiété signale chaque instant, Et s'obstine à vous perdre en le persécutant. Mon amitié n'est rien, Seigneur ; et je ne puis Auprès d'Antiochus oublier qui je suis. Je me vois dans vos fers ; et quoique mon audace Put ici s'appuyer d'une royale race, Malgré le sang auguste où j'ai puisé le mien, Je le redis encor, mon amitié n'est rien. Telle qu'elle est pourtant, voudrez-vous me permettre De vous dire à quel prix je dois encor la mettre ? Redonnez à Sion toute sa sainteté. Que l'autel par vos dieux ne soit plus habité. Que le séjour de Dieu, le sacré sanctuaire De vos prêtres impurs ne soit plus le repaire. N'y laissez plus régner ces festins dissolus Consacrez parmi vous au temple de Vénus ; Et que Jérusalem ne soit plus le théâtre De toutes les horreurs qu'inventa l'idolâtre. Laissez-nous rétablir nos remparts abattus. Protégez-nous enfin comme l'a fait Cyrus ; Ou laissez-nous en paix du moins comme Alexandre. À ces grands noms, Seigneur, vous devriez vous rendre. Sous vos lois, s'il le faut, retenez notre État : Mais au culte de Dieu rendez tout son éclat ; Et qu'à ses saints autels nos tribus réunies Jouissent sans effroi de leurs cérémonies. Si je puis vous fléchir, si j'obtiens ces bienfaits, Commandez ; nous voilà vos plus zélés sujets. Les juifs vous béniront, ils vous seront fidèles ; Ou je vous vengerai moi-même des rebelles. Nous adorons, Seigneur, un pouvoir souverain Qui ne nous laisse pas craindre un pouvoir humain. Malgré tous nos malheurs et l'opprobre où nous sommes, Rois pour les nations, pour nous vous n'êtes qu'hommes. Ministres du Très-haut, quand vous croyez régner, Son invisible bras n'aurait qu'à s'éloigner ; Vous verriez dans l'instant que ce pouvoir fragile N'était qu'un vain colosse appuyé sur l'argile. Sur ces prétendus rois qu'adore l'univers, Dieu verse en se jouant la gloire et les revers ; Et quand vous l'outragez, sa main appesantie L'un par l'autre à son gré vous frappe et vous châtie. Vous même regardez quel sceptre est dans vos mains. Formidable à l'Égypte et soumis aux romains, Tandis que déployant vos nombreuses armées, Vous allez imposer des lois aux Ptolomées, Un écueil imprévu brise votre grandeur ; Rome arrête vos pas par son ambassadeur ; Et vous n'osez sortir du cercle qu'il vous trace, Sans avoir en esclave apaisé sa menace. Oui, j'évite vos yeux, et je dois m'y contraindre ; Je fuis le seul objet que mon coeur ait à craindre. Qu'on me présente encor le plus cruel trépas, Vous l'avez déjà vu, je n'en frémirai pas. Mais Antigone en pleurs qui pour moi s'intéresse, Ces discours, cette voix si chère à ma tendresse, Ces attraits souverains, ces regards pénétrants, Voilà mes ennemis, voilà mes vrais tyrans. Plus les périls affreux me trouvent intrépide, Plus ce danger flatteur me trouble et m'intimide : Faut-il que dans un coeur où le mien est lié, Le ciel ait fait pour moi tomber cette pitié ! Que la seule personne à qui toute ma vie, Malgré tous mes efforts, se voyait asservie, Qu'Antigone s'obstine à me la conserver, Quand il m'en coûterait un crime à la sauver ! Qui ! Moi, Madame, moi, fléchir devant l'idole ? Non, madame, le mien veut que notre courage Lui rende aux yeux de tous un ferme témoignage ; Et que ne craignant rien, n'aimant rien tant que lui, Dans notre seule foi nous mettions notre appui. Je sens trop, à ces mots, combien la mort m'importe. D'une vie agitée il est temps que je sorte. Mon coeur, mon faible coeur se lasse à repousser Ces traits toujours nouveaux dont je me sens percer. Plus je m'arrête ici, plus je deviens coupable. Je sens qu'à chaque instant cet amour déplorable, Dont l'aveu m'attira votre juste courroux, Malgré tous mes combats redouble auprès de vous. Par ce nouvel aveu je cherche à vous déplaire : Je veux vous irriter, ou contre un téméraire, Ou contre un coeur toujours rebelle à vos appas, Qui brûle de mourir pour ne vous aimer pas. Eh quoi, Madame, quoi ! ... Vous m'aimez. Ah ! Voilà le comble des malheurs ! Vous m'aimez et je meurs ! Ciel, qui vois les vertus dont tes mains l'ont ornée Dans le sein de Juda que n'est-elle donc née ? Si sous tes saintes lois elle eût reçu le jour, Le bonheur de ma vie eût été son amour ; Ou si tu permettais qu'une beauté si chère Perdît en t'adorant le titre d'étrangère ; Que par toi réunis, on pût nous voir tous deux, Aux pieds de tes autels te consacrer nos feux... Hélas ! Vaine espérance où mes désirs s'égarent ! Pourquoi nous attendrir, quand tes lois nous séparent ! D'un coeur qu'il créa libre il veut le sacrifice ; Il ne nous force point afin qu'on le choisisse. Nous ne devons aimer ni haïr qu'à son gré. Oui, malgré tout l'amour dont je suis dévoré, Il veut que je vous fuie ; et pour le satisfaire, Je vais d'Antiochus irriter la colère. Je déteste ses dieux, et ne cours qu'en ce lieu Le danger d'adorer ce qui n'est pas mon dieu. Je me rends ; mais du moins songez... Eh bien, Madame, eh bien, le supplice est-il prêt ? Antiochus a-t-il prononcé mon arrêt ? Qu'avez-vous laissé croire ! Ah ! Vous m'aviez promis d'avoir soin de ma gloire. Je cours le détromper, et l'honneur de mon nom Me reproche le temps qu'a duré ce soupçon. Je vais faire à ses yeux éclater tant de zèle... L'ai-je bien entendu ? L'oserais-je penser Qu'au culte de vos dieux vous puissiez renoncer ; Et que le ciel, versant ses clartés dans votre âme, Eût réconcilié mon devoir et ma flamme ? Ô ciel ! Que vous charmez mon amour et mon zèle ! Et ce grand changement, ma mère le sait-elle ? Eh bien ! Que faut il faire enfin pour vous sauver ? Pour un coeur généreux quel secours que la fuite ! Ne t'en alarme point. Pour toi, cher Misaël, De ta fuite va naître un honneur immortel. Si tu crois une amante à ta gloire attachée, Ta retraite longtemps ne sera pas cachée ; Et, j'en crois mon espoir, bientôt tu t'en feras L'heureux champ de bataille où tu triompheras. Tu peux faire porter de secrètes nouvelles À ceux qui des hébreux sont demeurés fidèles ; Les avertir partout de s'armer sans éclat, Et de se joindre à toi préparés au combat. Bientôt de tes projets l'heureuse renommée Du brave assidéen grossira ton armée ; Il viendra sous tes lois signaler sa valeur. Alors fais retentir le saint nom du Seigneur. Des prêtres rassemblés fais sonner la trompette, Et de nos fiers tyrans entreprend la défaite. Dieu, du haut de son trône, appuiera tes desseins, Saura pour le combat armer tes jeunes mains, Remontrera David en ton ardeur guerrière, Et par toi les géants vont mordre la poussière. Par ce zèle enflammé que vous me faites voir, Tout à coup dans mon coeur passe tout votre espoir. J'en augure aux hébreux une gloire nouvelle, Et c'est par votre voix le seigneur qui m'appelle. Oui, je crois voir en vous cet ange impérieux, Qui jadis, pour briser les fers de nos aïeux, Et du ciel apportant la divine promesse, De l'humble Gedéon vint armer la faiblesse. J'ai beau me dire ici que Misaël n'est rien, Je sais que je puis tout avec un tel soutien, Et que devant le chef qu'à son peuple Dieu nomme, Les camps le plus nombreux fuiront comme un seul homme. C'en est fait ; mettons-nous en état d'obéir. À tarder plus longtemps je croirais le trahir. La fuite désormais à mes yeux ne présente Que de nos saints exploits la suite triomphante. Heureux ! Si je pouvais, pour prix de votre foi, Vous replacer au trône où vous montiez sans moi. Mais, que dis-je ! En fuyant, laisserons-nous ma mère Au pouvoir du tyran, en proie à sa colère ? Allons donc. Dieu puissant, qui jadis donnas ta loi suprême Aux deux premiers époux qu'unissait ta main même, Qui, bénissant un feu par toi-même inspiré, D'un amour naturel fis un lien sacré ; Nous n'avons plus de temple ; et de superbes maîtres Font languir dans les fers nos pontifes, nos prêtres ; C'est à toi seul, Seigneur, de nous en tenir lieu. Sois ici le témoin, le ministre et le dieu. Préside à mes serments ; et sois pour Antigone Le garant de la foi que Misaël lui donne : Grave au fonds de mon coeur l'irrévocable loi De vivre et de mourir et pour elle et pour toi. N'écoutez pas, Seigneur, cette horrible vengeance. Souffrez qu'à vos genoux quelque espoir de clémence... Il est vrai, ma frayeur à vos yeux se déclare : Mais ne connaissez-vous que ce plaisir barbare ? Et du pouvoir des rois les suprêmes grandeurs N'ont-elles rien de doux que d'effrayer les coeurs ? Osez faire aujourd'hui l'essai d'une autre gloire. Remportez sur vous-même une illustre victoire. Faut-il qu'un nom célèbre entre les conquérants Mêle à tant de lauriers l'opprobre des tyrans ? D'un peuple gémissant faites tomber les chaînes ; Laissez-le respirer après ses longues peines ; Faites cesser le cours de tant de cruautés ; Et signalez sur nous vos premières bontés : Ou s'il vous faut, Seigneur, encor une victime, Frappez ; que mon trépas soit votre dernier crime. Éteignez dans mon sang un injuste courroux. Heureux ! Si mon supplice est la grâce de tous. Eh ! Que vous servirait de frapper Antigone ? Espérez-vous qu'alors ma vertu m'abandonne ? Malgré tout mon amour, l'aspect de son trépas Déchirerait mon coeur et ne le vaincrait pas. Madame... Que la vie avec vous m'eût été précieuse ! Ne devions-nous, hélas ! être unis qu'un moment ? Adieu, chère Antigone. Juste ciel ! Quelle épreuve ! Et par quelle vengeance Le barbare vient-il d'ébranler ma constance ! L'ai-je bien entendu ce sacrilège choix, Que m'offre sa fureur pour la dernière fois ! Sacrifie à nos dieux ; et ma gloire contente T'accorde avec tes jours les jours de ton amante : Si rien à ton erreur ne peut te dérober, Le glaive est suspendu, je le laisse tomber. Mais songe, m'a-t-il dit (et d'horreur j'en frissonne) Qu'en te livrant, tu vas condamner Antigone : Sur le bûcher vengeur tout prêt à s'allumer, Antigone à tes yeux se verra consumer. Pour vous punir tous deux, ma jalouse vengeance Pour signal de sa mort a marqué ta présence ; Et je te laisse ainsi le supplice nouveau D'être, si tu le veux, son juge et son bourreau. Que vais-je devenir ? Eh ! Quel choix puis-je faire ! Ah ! Tyran, quel démon conseille ta colère ? Qui te fait inventer de semblables rigueurs, Et t'apprend si bien l'art d'épouvanter les coeurs ? Ô ciel, qui vois le trouble où mon âme s'égare, Puis-je ici ne pas être infidèle ou barbare ? Puis-je encor satisfaire à tout ce que je dois ; Et ne pas offenser la nature ou ma foi ? Qui me garantira d'un éternel reproche ? Ah ! Ma mère ! Non. Je n'exécutais qu'un dessein légitime. Antigone avec moi s'éloignait de ces lieux ; Mais, madame, en fuyant elle abjurait ses dieux : Elle est israélite ; un noeud sacré nous lie. Le nom de son époux m'a chargé de sa vie. Ah ! Ma mère, bien loin que sa fureur se lasse, Le cruel me prépare un supplice fatal Qu'il imagine moins en tyran qu'en rival. Si je m'offre à la mort, Antigone est perdue ; Je la livre aux bourreaux, ma présence la tue ; J'allume le bûcher qui la doit dévorer, Et je l'y précipite, en courant m'y livrer. Qu'en adorant ses dieux, j'éteindrai sa colère. Vous me faites frémir. Mais je dois demeurer ; De ces funestes lieux attendre qu'on m'arrache ; Et n'être, s'il se peut, ni barbare, ni lâche ; Me résoudre à la mort que je ne fuirai pas, Sans aller d'une épouse ordonner le trépas : Car, madame, songez que l'amour qui m'anime, Tout extrême qu'il est, a cessé d'être un crime. Sans honte et sans remords j'en subis la rigueur ; Et c'est sans le souiller qu'il déchire mon coeur. Où prendre dans ce trouble un conseil salutaire ! Plein de ce que je sens, vois-je ce qu'il faut faire ? Je sais que le tyran va soupçonner ma foi ; Je le sais, et j'attends : mais enfin je le dois. Ces jours unis aux miens qu'il faut que je respecte... Savons-nous quel secours le seigneur nous prépare ? Ne peut-il pas sur nous attendrir le barbare ; À d'autres sentiments tout à coup l'amener ? Ah ! S'il me parle encor, que j'ai peine à l'entendre ! Du trouble de mes sens je ne puis me défendre. Je ne vois qu'Antigone expirante à mes yeux. Quoi, Madame, j'irais en tyran furieux, Donner de son trépas le décret parricide ! À cet affreux penser mon zèle s'intimide. Pour elle j'ai juré de vivre et de mourir. Suis-je donc son époux pour la faire périr ? Dans les sombres horreurs de ce cruel martyre, Je ne décide rien, Madame : mais j'expire. Recevez mes adieux ; et j'y cours. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_ANTIGONE *date_1721 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_antigone Oui, je vois luire encore un reste d'espérance ; Le roi laisse à mes pleurs désarmer sa vengeance. Trop sensible témoin de la mort des hébreux, Cent fois j'ai cru mourir avec ces malheureux ; Et succombant sans doute à tant de barbarie, La mort de Misaël eût emporté ma vie. Il vit ; et je connais tout le prix d'un moment. Oui, Céphise, crois-en la pitié qui me presse, Je saurai bien user des instants qu'on nous laisse. Je vais t'ouvrir mon coeur ; connais tout ce qu'il est. Apprends combien les maux où mon âme est plongée Ont vengé les malheurs de Sion saccagée. Tu ne m'y suivis point, quand Apollonius Vint charger les hébreux des fers d'Antiochus. C'est là que Misaël, touché de leur misère, Vint souvent implorer mon pouvoir sur mon père. J'admirais pour les juifs son zèle généreux. Il paraissait charmé de ma pitié pour eux. Chaque jour dans mon sein il déposait ses peines, Nous cherchions les moyens de soulager leurs chaînes ; Et de cette pitié, Céphise, chaque jour Naissait en se voilant le plus ardent amour. L'hébreu me l'avoua : mais hélas ! Le dirai-je ! Frémissant de m'aimer comme d'un sacrilège, S'excusant à la fois, en m'apprenant son feu, À Dieu de son amour, à moi de son aveu ; Tandis que de l'aveu paraissant offensée, Son seul remords, Céphise, occupait ma pensée ; Et qu'en secret mon coeur ne pût lui pardonner Que pour moi tout le sien n'osât s'abandonner. Il ne me revit plus. Ma tendre impatience S'alarma des raisons d'une si triste absence. Je doutais s'il fuyait le danger de me voir, Ou si mes yeux sur lui n'avaient plus de pouvoir ; Et m'occupant toujours de cette incertitude, De ce trouble éternel la vive inquiétude Me rendait plus présent l'amant qui me fuyait, Et peut-être plus cher l'ingrat qui m'oubliait. Tu vois à quel amour Antigone asservie... Apprends tout. Mon dépit se voulut informer D'un culte dont les lois défendaient de m'aimer. De ce peuple proscrit je suivis les annales. Non, Céphise, il n'est point de nations égales. Je vis, je te l'avoue, avec étonnement Leur naissance, leur gloire et leur abaissement. Affranchis par leur dieu d'un cruel esclavage, Les flots obéissants leur ouvrent un passage : La nature pour eux ne connaît plus ses lois : Le soleil arrêté se prête à leurs exploits : À leur approche seule, au son de leurs trompettes Les murs sont renversés, les troupes sont défaites : Les plus profondes eaux ne les arrêtent pas ; Et le foudre vengeur marche devant leurs pas : Tous leurs jours sont marqués de conquêtes nouvelles. Leur dieu les guide ainsi tant qu'ils lui sont fidèles. Violent-ils ses lois ? Captifs infortunés, Au joug des nations ils sont abandonnés ; Sous la main de leur dieu ces coupables gémissent ; Leur oracle se tait ; les prodiges finissent ; Mais c'en est un encor que leur abaissement. Ce n'est point un revers, ce n'est qu'un châtiment. Leur dieu qui l'a prédit, accomplit sa menace. La victoire revient dès qu'il leur a fait grâce. Voilà, voilà le dieu qu'adore Misaël. J'adore encor les miens. Tant de faits admirables Peut-être ne sont-ils que de brillantes fables : Mais fable ou non, Céphise, ils offrent à nos yeux Un dieu plus vénérable et plus saint que nos dieux. J'encense leurs autels ; content de cet hommage Leur commode pouvoir n'en veut pas davantage ; Ils nous laissent nos coeurs : mais le dieu des hébreux Veut le coeur de son peuple, ou rejette ses voeux. Depuis qu'à ses secrets Antiochus m'appelle, Qu'après la mort d'un père attachée à sa cour, Sa tendresse pour moi redouble chaque jour, Ce que mes yeux sur lui me donnent de puissance, Pour les malheureux juifs tente son indulgence. Je cherche en le flattant à fléchir son courroux ; Et je crois secourir Misaël en eux tous. Il m'a revue ici. Ses pleurs m'ont pénétrée. Je voyais en lui seul sa patrie éplorée. Il ne m'a point parlé de ses feux : mais hélas ! J'ai vu ce qu'il souffrait à ne m'en parler pas. Il m'aime encor, Céphise ; il est toujours le même ; Et je viens de t'apprendre à quel excès je l'aime. Conçois-tu mon état ? Et de quelle douleur Les apprêts de sa mort ont dû percer mon coeur ? J'ai crû le voir mourir dans chacun de ses frères. Il allait suivre enfin des victimes si chères. Je ne sais point quel dieu m'a soutenue alors : Mais un reste d'espoir redoublant mes efforts, Du fier Antiochus l'âme s'est attendrie ; Et Misaël et moi nous obtenons la vie. Connais d'Antiochus quelle est la cruauté. Céphise, son orgueil fait seul toute sa rage. Ne lui crois point un coeur affamé de carnage, Qui de la soif du sang se sente dévorer, Et qui n'ait de plaisir qu'à s'en désaltérer. Souvent des malheureux il ressent la disgrâce. La pitié dans son coeur trouve encore sa place. Tu sais qu'il a pleuré le grand prêtre Onias : Sur le traître Andronic il vengea son trépas. Mais superbe et toujours ivre de sa puissance, Son orgueil ne saurait souffrir de résistance : Il veut être obéi, quoiqu'il puisse coûter ; Et le sang à ce prix ne peut l'épouvanter. C'est par là que j'ai su désarmer sa colère. Dans l'espoir de mieux vaincre, il devient moins sévère. Il veut sur Misaël essayer les bienfaits. Je ne te dirai point ce que je m'en promets : Mais je tenterai tout... Je tremble. Souffrez, seigneur... Je ne m'en défends point ; vous l'apprenez du roi, Misaël : vos malheurs n'ont bien touché que moi : Mais cette vie, hélas ! Que je veux rendre heureuse, L'intérêt que j'y prends, vous la rend-il affreuse ? Et quand j'ose partout vous chercher du secours, Démentirez-vous seul ma pitié pour vos jours ? Se peut-il que pour vous Antigone sensible Fléchisse les tyrans et vous trouve inflexible ! Faudra-t-il... mais, ô ciel ! Quel mépris odieux ! Vous ne m'écoutez pas, vous évitez mes yeux ! De quoi t'étonnes-tu ? De quel crime frivole... Ah ! D'un encens forcé que tu désavoueras, Ni nos dieux, ni le tien ne te puniront pas. Barbare, tu te perds, c'est tout ce qui m'offense ; Et s'il en est besoin pour tenter ta constance, Dans la vive douleur que je fais éclater, Vois tous les sentiments qui peuvent te flatter. Dans ton danger extrême Je ne puis plus, ingrat, te cacher que je t'aime. Je t'aime et tu gémis ! Quoi ! Misaël, devant ces tyranniques lois, La nature et l'amour perdent-ils tous leurs droits ? Ce dieu, ce dieu jaloux pour qui seul tu t'enflammes, Est-ce un dieu qui se plaise à diviser les âmes ? Vous dites que le monde est sorti de ses mains, Que lui seul de son souffle anime les humains, Que par lui tout se meut, que par lui tout respire, Condamnerait-il donc un feu qu'il nous inspire, Malgré notre penchant voudrait-il détacher Deux coeurs infortunés qu'il fit pour se chercher ? Arrête. Je respecte un refus magnanime, Je n'exigerai plus ce que tu crois un crime. De tes propres remords mon coeur est combattu ; Misaël, ma faiblesse adopte ta vertu : Mais, promets-moi du moins, s'il t'est permis de vivre, Sans blesser ton devoir, si mon soin te délivre, Jure-moi de ne plus t'obstiner à périr ? Et pour prix de mon coeur, laisse-toi secourir. Tu peux m'en croire, Autant que de tes jours, j'aurai soin de ta gloire. Je vous l'ai dit, Seigneur : j'espère le fléchir : Mais des pleurs d'une mère il fallait l'affranchir, Et vous aviez encore à craindre que son zèle Ne l'armât contre nous d'une force nouvelle : Vous le faites garder en ces lieux par Barsès, Et rien ne saurait plus traverser mes succès. J'ai de l'israëlite ébranlé le courage. Encor quelques efforts j'obtiendrai davantage. Vous l'avez dû prévoir, un esprit si hautain Ne revient pas si tôt de son premier dessein : Son orgueil, pour se rendre, a besoin d'un long terme ; Et même en fléchissant il veut paraître ferme. Mais fiez-vous à moi ; je saurai le sauver. J'ai commencé, Seigneur ; je réponds d'achever. Eh ! Pourquoi souffrez-vous que ce trouble empoisonne Tout ce vaste pouvoir que le destin vous donne ? Tandis que vous avez, Seigneur, de toutes parts Tant d'objets enchanteurs où porter vos regards, Le plus léger chagrin les fait tous disparaître ! Un superbe dépit... Que parlez-vous de sang, il n'y faut plus penser. Eh ! Vous n'étiez pas né, Seigneur, pour en verser. La mort des malheureux que votre bras foudroie Ne vous fait point goûter une barbare joie. Votre coeur malgré vous sensible et généreux, En se vengeant toujours, ne fut jamais heureux. Pourquoi vous laissez-vous livrer par la colère À cette cruauté qui vous est étrangère, Que vous ne trouvez point au fonds de votre sein ? Devenez moins superbe, et vous êtes humain. Souffrez ce zèle ardent qui me défend de feindre, Il est temps d'être aimé, c'est trop vous faire craindre. Avec plus de repos, si vous voulez régner, N'effrayez plus les coeurs, songez à les gagner. Je songe à le sauver, madame, et je l'espère. Vouloir sauver le fils, est-ce trahir la mère ? Et ne serait-ce pas à vous-même à chercher Ce même appui qu'ici vous m'osez reprocher ? Ô courage héroïque ! Ô vertu que j'admire ! Atteinte autant que vous de vos vives alarmes, Je n'ai pu retenir mes soupirs et mes larmes, Mais par votre douleur plus vous m'attendrissez, Dans mon dessein aussi plus vous m'affermissez. Oui votre fils vivra, j'ose vous en répondre. Je n'y puis consentir, il y va de ses jours. Hélas ! Ne te plains pas qu'à tes voeux je m'oppose, Triste mère je sens les maux que je te cause. Si je te découvrais, pour calmer ta douleur, Le nouveau jour qui luit dans le fonds de mon coeur, Si je te laissais voir mon âme toute entière, Et combien je te sers par delà ta prière. Mais les jours de ton fils me sont trop importants. Je n'ai rien du risquer. Ménageons les instants. Barsès ? De la nuit qui s'approche Saisissons la faveur, pour sortir d'Antioche. Instruit de mes projets, vous osez tout pour moi, Assurez des destins commis à votre foi. C'est assez. En ces lieux envoyez Misaël. Ne nous traverse pas, puissant dieu d'Israël : Qu'aujourd'hui mon amour devant toi trouve grâce ; Et daigne protéger une si belle audace. Non, et de mon amour l'heureuse vigilance Va mettre contre lui tes jours en assurance. J'ai su d'un vain espoir endormir sa fureur. Il pense que bientôt abjurant ton erreur, Aux autels de ses dieux... Cours, ingrat, mais qu'aussi ton grand coeur lui révèle L'excès de cet amour qui m'anime pour toi. Dis-lui que de ton dieu je reconnais la loi. Livre à sa barbarie une double victime, Et qu'un même tourment punisse un même crime. Avec tout son éclat la gloire du seigneur Assiégeait dès longtemps mon esprit et mon coeur. À ces impressions, je frémis de l'offense, J'opposais ce poison sucé dès mon enfance. Toujours prête à le croire, et voulant en douter, Reprenant le bandeau qu'il voulait écarter, Je m'armais contre lui d'une honte rebelle, Et de peur de changer, je vivais infidèle : Mais pour déterminer mon esprit combattu, Dieu s'est voulu servir de toute ta vertu. Par ta force aujourd'hui j'ai compris sa puissance, Tes efforts ont enfin dompté ma résistance, Et de ta mère encor le magnanime effroi, En craignant ta faiblesse, a confirmé ma foi. Dans l'intérêt pressant d'empêcher ton trépas, Je n'ai rien dit, j'ai craint qu'elle ne m'en crût pas, Et qu'au moins dans le doute où je l'aurais laissée, Mon entreprise encor ne s'en vît traversée. Mais toi, cher Misaël, tu me connais trop bien, Pour penser qu'un moment je te déguise rien. Je suis israélite, et tu peux bien m'en croire, Puisqu'au trône des rois j'en préfère la gloire. Antiochus m'offrant son sceptre avec sa main, N'a pu par ses bienfaits balancer mon dessein. Je renonce à l'empire et je le sacrifie À ma religion aussi bien qu'à ta vie. Après ce que j'ai fait ; c'est à toi d'achever. Je sais de ce palais les détours les plus sombres ; Et tandis que la nuit répand partout ses ombres, Celui même par qui je t'avais fait garder, Barsès hors de ces murs consent à nous guider. Profitons des moments ; allons sous sa conduite... Rassure-toi. Mes soins ne l'abandonnent pas. Bientôt, cher Misaël, elle suivra nos pas. J'ai prévu, j'ai senti ta tendresse inquiète ; Et mes ordres secrets assurent sa retraite. Ne crains rien. Quand je pars avec toi, Misaël, il te reste à me donner ta foi, À recevoir la mienne ; et ma gloire jalouse Ne me laisse d'ici partir que ton épouse. Atteste donc le dieu que nous servons tous deux, Et qu'il soit à jamais le garant de nos feux. Recevez donc ma main ; je vous suis asservie ; Je vous livre à jamais et mon coeur et ma vie : Mais allons, cher époux ; et fuyons de ces lieux. Rachel suivra Jacob sans emporter ses dieux. Souffrez, Antiochus, que je me justifie ; Non, que je prenne encor aucun soin de ma vie, Que je prétende ici fléchir votre courroux ; Mais pour mon propre honneur, pour moi, plus que pour vous. De mon coeur dès longtemps Misaël est le maître ; Je brûlais d'un amour que Sion a vu naître ; Je le cachais toujours et n'en triomphais pas. Quand le ciel de mon père ordonna le trépas, Au sein de votre cour vous m'avez appelée. De toutes vos faveurs votre amour m'a comblée. Vos soins impatients prévenaient mes souhaits. Je n'avais plus de coeur à rendre à vos bienfaits ; Et je m'en suis tenue à la reconnaissance Que mon destin encor laissait en ma puissance. De vos seuls intérêts j'ai fait mon premier soin. Je voulais votre gloire ; et vous m'êtes témoin Que si vous aviez crû ce que j'osais vous dire, Si mes conseils sur vous avaient eu plus d'empire, Ils devaient prévenir ou suspendre le cours De tant de cruautés qui ternissent vos jours. Mais malgré mes conseils, mes soupirs et mes larmes, Votre orgueil a souillé le succès de vos armes. Vous chargez de vos fers toute une nation. Vous changez la victoire en persécution. Israël est proscrit par cet orgueil perfide ; Et pour lui votre règne est un long homicide. Mes yeux se sont enfin lassés de vos rigueurs ; Et ma fuite aujourd'hui m'associe à leurs pleurs. Leur magnanimité, leur longue patience Ont au dieu des hébreux gagné ma confiance ; Et j'ai crû que le dieu dont les secours puissants Soutenaient la vertu dans les coeurs innocents, Valait mieux que des dieux qui laissent impunie L'ivresse de l'orgueil et de la tyrannie. Vous connaissez pourquoi j'ai suivi Misaël. Je partage avec lui le destin d'Israël ; Et dussai-je irriter votre fureur jalouse, Je suis israélite et de plus son épouse. Je la suis ; j'en fais gloire, et tu peux t'en venger. Arrêtez, arrêtez. Par cette barbarie N'allez pas vous couvrir d'un opprobre nouveau ; Et soyez son tyran, et non pas son bourreau. Mais pourquoi ces fureurs ? Qu'importe à votre flamme Que d'un autre ou de lui je devienne la femme, Puisqu'enfin désormais, asservie à leur loi, Tout idolâtre hymen est interdit pour moi ? Je suis israélite ; et loin que je démente Ce nom... Ne crains rien de mon sexe timide. Je suivrai sans faiblesse un époux intrépide. En m'unissant à toi, mon coeur s'est revêtu De tous tes sentiments, de toute ta vertu. Que la mort avec toi me sera glorieuse ! Cher époux, nous mourrons, du moins en nous aimant. Adieu, cher Misaël. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_CEPHISE *date_1721 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_cephise Qu'espérez-vous pour lui de ce retardement ? Mais, Madame, après tout quel si grand intérêt... Je vois que cet amour vous coûtera la vie. Qu'entends-je ! Êtes vous née au milieu d'Israël ? Madame, et si le roi découvrait tout ce zèle ? ... Par quel charme avez-vous de ce tigre irrité... Le roi paraît. Misaël l'accompagne ; ils s'approchent ensemble. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_ARSACE *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arsace Par votre ordre j'allais chercher l'israélite. Barsès et Misaël étaient tous deux en fuite. Je n'ai point vu de garde ; et mon empressement Venait vous avertir de leur éloignement. Un ami de Barsès s'est offert à ma vue ; Il semblait redouter ma présence imprévue : J'ai soupçonné son trouble, et l'ai forcé soudain De m'avouer leur fuite et son propre dessein. Du juif il prétendait vous enlever la mère, Et, fuyant sur leurs pas, tromper votre colère. Voilà de leur secret tout ce que j'ai surpris. Je vous ai déjà dit les chemins qu'ils ont pris. C'est vainement, Seigneur, que l'on cherche Antigone : Elle ne paraît point. Vos ordres sont remplis ; et je viens vous apprendre Le sort de deux grands coeurs qui ne sont plus que cendre. Sitôt qu'on vous a vu rentrer dans le palais, Du supplice fatal on hâte les apprêts ; On conduit au bûcher Antigone enchaînée ; Misaël soupirant y suit l'infortunée. Je ne vous tairai point le murmure et les pleurs D'un peuple consterné qu'accablent leurs malheurs. Chacun jette des cris : chacun se désespère De voir cette beauté qui vous était si chère, Par qui depuis longtemps sur vos heureux sujets Vous vous plaisiez vous-même à verser vos bienfaits, Que jusques-là, seigneur, si j'ose vous le dire, Votre amour et nos voeux appelaient à l'empire, Au lieu de ces grandeurs qui semblaient la chercher, Ne trouver aujourd'hui qu'un infâme bucher. Elle seule est tranquille ; elle seule demeure Insensible à des maux que tout le monde pleure ; Et loin de nous montrer un front épouvanté, Une modeste joie ajoute à sa beauté. L'erreur la rend ensemble impie et généreuse : Puissiez-vous vivre heureux comme je meurs heureuse, Nous dit-elle ; et soumis à de plus saintes lois, En quittant vos faux dieux, mériter de bons rois ! Puis avec un regard tout plein de sa tendresse, À son nouvel époux cette amante s'adresse : Que je bénis l'amour que tu m'as inspiré, Puisqu'à ton dieu par-là mon coeur fut attiré ! Ma foi, pour l'un et l'autre, aujourd'hui se signale : Ce bucher est pour moi la couche nuptiale ; Et ce trône de flamme où je m'en vais monter, Vaut mille fois celui que tu m'as fait quitter. Dans ses derniers adieux vingt fois elle l'embrasse, Et soudain au bucher vole prendre sa place. Alors selon votre ordre on retient Misaël, Qui, détournant les yeux du spectacle cruel, Les fixe vers le ciel, qu'à genoux il implore Pour cet objet chéri que la flamme dévore ; Et des mains des bourreaux dès qu'il peut s'arracher, Il s'élance lui-même au milieu du bucher, Où des feux irrités la prompte violence A bientôt par leur mort rempli votre vengeance. Oui ; vous êtes vengé, seigneur, ils ont vêcu. **** *creator_lamotte *book_lamotte_machabees *style_verse *genre_tragedy *dist1_lamotte_verse_tragedy_machabees *dist2_lamotte_verse_tragedy *id_HIDASPE *date_1721 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_hidaspe Seigneur, ces fugitifs ne vous échappent pas. Mais de quelques moments j'ai devancé leurs pas ; Et tandis qu'en ces lieux on va vous les conduire, Du succès du combat j'ai voulu vous instruire. Misaël et Barsès N'en ont que trop longtemps retardé le succès ; Et les faits imprévus que je dois vous apprendre, Vous surprendront, Seigneur, si vous voulez m'entendre. Ils touchaient déjà le pied des monts prochains, Lorsqu'au soleil naissant nous les avons atteints. Misaël et Barsès conduisaient Antigone. De vos propres soldats un corps les environne, Qui se voyant suivis, saisissent à l'instant D'un passage serré l'avantage important. Nous pensions sans effort dissiper les perfides ; Que par leur trahison devenus plus timides, Ils s'allaient, en fuyant, dérober à nos coups : Mais, loin de s'ébranler, ils s'encouragent tous, La peur du châtiment irrite leur audace ; Et du seul désespoir ils attendent leur grâce. Antigone à leurs yeux déployant ses trésors, Promet d'en partager le prix à leurs efforts : Mais ce qui plus que tout animait leur défense. C'était de Misaël l'héroïque vaillance. Vos yeux de son courage auraient été jaloux ; C'est de tous les mortels le plus grand après vous. Son bras de flots de sang fait ruisseler la terre ; Chacun pensait en lui voir le dieu de la guerre ; Et Barsès dans vos camps nourri jusqu'aujourd'hui, Ne paraissait qu'apprendre à combattre sous lui : Barsès tombe mourant : mais toujours invincible, Le magnanime hébreu n'en est pas moins terrible, Tant qu'enfin ses soldats par le nombre accablés, Expirent presque tous sous nos coups redoublés. Je fais en ce moment enlever Antigone ; Misaël qui le voit lui-même s'abandonne ; Il jette son épée ; et se livre en nos mains. Exécutez, dit-il, vos ordres inhumains ; Malgré tous mes efforts elle est votre captive ; Je n'ai pu la sauver ; il faut que je la suive. Enchaînés l'un et l'autre on les amène ici. Vous les verrez bientôt, Seigneur ; mais les voici.