**** *creator_marivaux *book_marivaux_arlequinpoliparlamour *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_arlequinpoliparlamour *dist2_marivaux_prose_comedy *id_TRIVELIN *date_1720 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_trivelin Vous soupirez, Madame, et malheureusement pour vous, vous risquez de soupirer longtemps si votre raison n'y met ordre ; me permettrez-vous de vous dire ici mon petit sentiment ? Le jeune homme que vous avez enlevé à ses parents est un beau brun, bien fait ; c'est la figure la plus charmante du monde ; il dormait dans un bois quand vous le vîtes, et c'était assurément voir l'Amour endormi ; je ne suis donc point surpris du penchant subit qui vous a pris pour lui. Oh sans doute ; cependant avant cette aventure, vous aimiez assez le grand enchanteur Merlin. C'est la pure nature ; mais il reste une petite observation à faire : c'est que vous enlevez le jeune homme endormi, quand peu de jours après vous allez épouser le même Merlin qui en a votre parole. Oh ! Cela devient sérieux ; et entre nous, c'est prendre la nature un peu trop à la lettre ; cependant passe encore ; le pis qu'il en pouvait arriver, c'était d'être infidèle ; cela serait très vilain dans un homme, mais dans une femme, cela est plus supportable : quand une femme est fidèle, on l'admire ; mais il y a des femmes modestes qui n'ont pas la vanité de vouloir être admirées ; vous êtes de celles-là, moins de gloire, et plus de plaisir, à la bonne heure. C'est bien dit, poursuivons : vous portez le jeune homme endormi dans votre palais, et vous voilà à guetter le moment de son réveil ; vous êtes en habit de conquête, et dans un attirail digne du mépris généreux que vous avez pour la gloire, vous vous attendiez de la part du beau garçon à la surprise la plus amoureuse ; il s'éveille, et vous salue du regard le plus imbécile que jamais nigaud ait porté : vous vous approchez, il bâille deux ou trois fois de toutes ses forces, s'allonge, se retourne et se rendort : voilà l'histoire curieuse d'un réveil qui promettait une scène si intéressante. Vous sortez en soupirant de dépit, et peut-être chassée par un ronflement de basse-taille, aussi nourri qu'il en soit ; une heure se passe, il se réveille encore, et ne voyant personne auprès de lui, il crie : eh ! À ce cri galant, vous rentrez ; l'Amour se frottait les yeux : que voulez-vous, beau jeune homme, lui dites-vous ? Je veux goûter, moi, répond-il. Mais n'êtes-vous point surpris de me voir, ajoutez-vous ? Eh ! Mais oui, repart-il. Depuis quinze jours qu'il est ici, sa conversation a toujours été de la même force ; cependant vous l'aimez, et qui pis est, vous laissez penser à Merlin qu'il va vous épouser, et votre dessein, m'avez-vous dit, est, s'il est possible, d'épouser le jeune homme ; franchement, si vous les prenez tous deux, suivant toutes les règles, le second mari doit gâter le premier. Mais si le jeune homme n'est jamais, ni plus amoureux, ni plus spirituel, si l'éducation que vous tâchez de lui donner ne réussit pas, vous épouserez donc Merlin ? Oh, je m'en serais bien douté, sans que vous me l'eussiez dit : femme tentée, et femme vaincue, c'est tout un. Mais je vois notre bel imbécile qui vient avec son maître à danser. C'est-à-dire qu'il soupire après sa collation ; mais voici un paysan qui veut vous donner le plaisir d'une danse de village, après quoi nous irons manger. Oui, goûté comme quatre : il excelle en fait d'appétit. Je crois qu'il joue au volant dans les prairies ; mais j'ai une nouvelle à vous apprendre. Merlin est venu pour vous voir. En vérité, Madame, c'est bien dommage que ce petit innocent l'ait chassé de votre coeur ! Merlin est au comble de la joie, il croit vous épouser incessamment. Imagines-tu quelque chose d'aussi beau qu'elle ? me disait-il tantôt, en regardant votre portrait. Ah ! Trivelin, que de plaisirs m'attendent ! Mais je vois bien que de ces plaisirs-là il n'en tâtera qu'en idée, et cela est d'une triste ressource, quand on s'en est promis la belle et bonne réalité. Il reviendra, comment vous tirerez-vous d'affaire avec lui ? Eh ! N'en sentez-vous pas quelque remords de conscience ? Voilà ce qui s'appelle un coeur de femme complet. Je gagerais moi que c'est un linge qui sent le musc. Il jase vraiment ! Je vous avoue, Madame, que voici une aventure où je ne comprends rien, que serait-il donc arrivé à ce petit peste-là ? Que voulez-vous, Madame ? Oui, Madame. Non, mes enfants, ce n'est pas la Fée ; mais elle m'a donné son anneau, afin que je vous écoutasse sans être vu. Ce serait bien dommage d'abandonner de si tendres amants à sa fureur : aussi bien ne mérite-t-elle pas qu'on la serve, puisqu'elle est infidèle au plus généreux magicien du monde, à qui je suis dévoué : soyez en repos, je vais vous donner un moyen d'assurer votre bonheur. Il faut qu'Arlequin paraisse mécontent de vous, Silvia ; et que de votre côté vous feigniez de le quitter en le raillant. Je vais chercher la Fée qui m'attend, à qui je dirai que vous vous êtes parfaitement acquittée de ce qu'elle vous avait ordonné : elle sera témoin de votre retraite. Pour vous, Arlequin, quand Silvia sera sortie, vous resterez avec la Fée, et alors en l'assurant que vous ne songez plus à Silvia infidèle, vous jurerez de vous attacher à elle, et tâcherez par quelque tour d'adresse, et comme en badinant, de lui prendre sa baguette ; je vous avertis que dès qu'elle sera dans vos mains, la Fée n'aura plus aucun pouvoir sur vous deux ; et qu'en la touchant elle-même d'un coup de la baguette, vous en serez absolument le maître. Pour lors, vous pourrez sortir d'ici et vous faire telle destinée qu'il vous plaira. Préparez-vous, je vais amener ici la Fée. Je crois, Madame, que vous aurez lieu d'être contente. **** *creator_marivaux *book_marivaux_arlequinpoliparlamour *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_arlequinpoliparlamour *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1720 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Moi, je n'en sais rien. Hem. Non. Oui-dà. Je m'ennuie. Divertir, divertir. Je ne l'entends pas, où est-il ? Hé ! Hé ! Qu'il crie donc plus haut. Dame, cela est drôle ! Apprenez, apprenez-moi cela. Je sens un grand appétit. Hi, hi, hi, mon père, eh ! Je ne vois point ma mère ! Vous êtes bien pressée ? Vous ne me connaissez pas ? Tant pis ; faisons connaissance, voulez-vous ? Que vous êtes jolie ! Oh point, je dis la vérité.! Tant mieux : où demeurez-vous ? Je vous irai voir. Ce berger-là vous aime ? Voyez donc cet impertinent ! Je ne le veux pas, moi. Est-ce que vous l'aimez, vous ? C'est bien fait, il faut n'aimer personne que nous deux ; voyez si vous le pouvez ? Tout de bon ? Dans cette grande maison. Oui. Qu'est-ce que vous avez, ma chère amie ? J'aimerais mieux mourir. Allez, ne vous affligez pas, mon petit coeur. Tant que je serai en vie. Oh ! Que ces moutons me fâchent ! Sans faute. Oh les jolis petits doigts ! Je n'ai jamais eu de bonbon si bon que cela. Mon amie ! Non, je veux le garder, il me tiendra compagnie. Qu'est-ce que vous en faites ? Et par où vous sert-il, afin que je le baise par là ? Ter li ta ta li ta. Je suis votre très humble serviteur. Madame, voulez-vous avoir la bonté de vouloir bien me dire comment on est quand on aime bien une personne ? M'y voilà. Non, c'est une curiosité que j'ai. Oh ! Je ne suis pas un niais, je ne dis pas ce que je pense. Je l'ai pris à terre. Il est à... Je n'en sais rien. Ayez la charité de me rendre le mouchoir. Dormir sous un arbre. Vous voilà donc, mon petit coeur ? Êtes-vous bien aise de me voir ? Assez, ce n'est pas assez. Et moi, je ne veux pas que vous disiez comme cela.Il veut alors lui baiser la main, en disant ces derniers mots. Ne voilà-t-il pas encore ? Allez, vous êtes une trompeuse. Vous m'aviez promis votre amitié. Non : quand on aime les gens, on ne les empêche pas de baiser sa main. Tenez, voilà la mienne ; voyez si je ferai comme vous. Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge : ce sont des causeurs qui n'entendent rien à notre affaire. Le coeur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m'aimez, et c'est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié. Eh ! Eh ! Cela sera drôle ! Je le veux bien ; mais avant ce marché-là, laissez-moi baiser votre main à mon aise, cela ne sera pas du jeu. Oh ! mais, mon amie, peut-être que le marché nous fâchera tous deux. Il est vrai, mon amie ; cela est donc arrêté ? Cela sera tout divertissant : voyons pour voir. M'aimez-vous beaucoup ? Ce n'est que pour rire au moins, autrement... Ah ! Ah ! Ah ! Donnez-moi votre main, ma mignonne. Je sais pourtant que vous le voudriez bien. Je veux la baiser, ou je serai fâché. Non. Tout de bon. Dame ! Je badinais. Voilà un petit mot qui me plaît comme tout. Ouf ! Eh ! Eh ! Je ne savais pourtant pas que vous étiez là. Qu'est-ce que vous voulez ? Eh ! Non, non ; je vous promets que j'aurai de l'esprit autant que vous le voudrez. C'est que je n'aime à voir mourir personne. Ne soyez donc point en colère contre nous. Tenez, dans le fond, je vois bien que j'ai tort ; vous êtes belle et brave cent fois plus que l'autre, mais j'enrage. C'est que j'ai laissé prendre mon coeur par cette petite friponne qui est plus laide que vous. Oh ! Pour cela si fait, elle m'aime à la folie. Tic, tac, tic, tac, ouf voilà des paroles qui me rendent malade. Allons, allons, je veux savoir cela ; car si elle me trompe, jarni, je vous caresserai, je vous épouserai devant ses deux yeux pour la punir. Oui ; mais vous êtes bien fine, si vous êtes là quand elle me parlera, vous lui ferez la grimace, elle vous craindra, et elle n'osera me dire rondement sa pensée. La peste ! Vous êtes une sorcière, vous nous jouerez un tour comme tantôt, et elle s'en doutera : vous êtes au milieu du monde, et on ne voit rien. Oh ! je ne veux point que vous trichiez ; faites un serment que vous n'y serez pas en cachette. Je ne sais point si ce juron-là est bon ; mais je me souviens à cette heure, quand on me lisait des histoires, d'avoir vu qu'on jurait par le six, le tix, oui le Styx. N'importe, jurez toujours ; dame, puisque vous craignez, c'est que c'est le meilleur. Et moi en attendant je m'en vais gémir en me promenant. Mon amie ! Regardez-moi. Est-ce vrai que vous m'avez fourbé ? Mon amie, dites franchement, cette coquine de fée n'est point ici, car elle en a juré. Là, là, remettez-vous, mon petit coeur : dites, êtes-vous une perfide ? Allez-vous être la femme d'un vilain berger ? Hi, hi, hi. Ah ! Quel plaisir ! Soutenez-moi, m'amour, je m'évanouis d'aise. Trivelin, alors, paraît tout d'un coup à leurs yeux. Oh ! Quel honnête homme ! Quand j'aurai la baguette, je vous donnerai votre plein chapeau de liards. Ma chère amie, la joie me court dans le corps ; il faut que je vous baise, nous avons bien le temps de cela. Allons, petite coquine. Sortez d'ici, friponne; voyez cette petite effrontée ! Sortez d'ici, mort de ma vie ! Oh ! Je me soucie bien de cela : c'est une petite laide qui ne vous vaut pas. Allez, allez, à présent je vois bien que vous êtes une bonne personne. Fi ! Que j'étais sot ; laissez faire, nous l'attraperons bien, quand nous serons mari et femme. Eh, qui donc ? J'avais assurément la vue trouble. Tenez, cela m'avait fâché d'abord, mais à présent je donnerais toutes les bergères des champs pour une mauvaise épingle. Mais vous n'avez peut-être plus envie de moi, à cause que j'ai été si bête ? Ah ! Ma mie, que vous me plaisez ! Moi, je vous donne ma personne, et puis cela encore. Et puis encore cela. Et je m'en vais mettre ce bâton à mon côté. Tout doucement, tout doucement! Tout beau, asseyez-vous là ; et soyez sage. Et moi, je suis on ne peut pas mieux. Oh ! Oh ! Vous me grondiez tantôt parce que je n'avais pas d'esprit ; j'en ai pourtant plus que vous. Soyez bien sage, madame la sorcière, car voyez bien cela ! Allons, qu'on m'apporte ici mon petit coeur. Trivelin où sont mes valets et tous les diables aussi ? Vite, j'ordonne, je commande, ou par la sambleu... Ma chère amie, voilà la machine ; je suis sorcier à cette heure ; tenez, prenez, prenez ; il faut que vous soyez sorcière aussi. Jarni, je vous apprendrai à vivre. Donnez-moi ce bâton, afin que je les rosse. Tout doux, je suis le maître ; allons, qu'on nous regarde tout à l'heure agréablement. Je lui pardonne, mais je veux qu'on chante, qu'on danse, et puis après nous irons nous faire roi quelque part. **** *creator_marivaux *book_marivaux_arlequinpoliparlamour *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_arlequinpoliparlamour *dist2_marivaux_prose_comedy *id_SILVIA *date_1720 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_silvia Que voulez-vous que je fasse, vous m'entretenez d'une chose qui m'ennuie, vous me parlez toujours d'amour. Oui, mais je ne sens rien, moi. Ce n'est pas ma faute, je sais bien que toutes nos bergères ont chacune un berger qui ne les quitte point ; elles me disent qu'elles aiment, qu'elles soupirent ; elles y trouvent leur plaisir. Pour moi, je suis bien malheureuse : depuis que vous dites que vous soupirez pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour soupirer aussi, car j'aimerais autant qu'une autre à être bien aise ; s'il y avait quelque secret pour cela, tenez, je vous rendrais heureux tout d'un coup, car je suis naturellement bonne. Apparemment que ce secret-là ne vaut rien ; car je ne vous aime point encore, et j'en suis bien fâchée ; comment avez-vous fait pour m'aimer, vous ? Voyez quelle différence ; et moi, plus je vous vois et moins je vous aime. N'importe, allez, allez, cela viendra peut-être, mais ne me gênez point. Par exemple, à présent, je vous haïrais si vous restiez ici. Oh non ! On dit que c'est une faveur, et qu'il n'est pas honnête d'en faire, et cela est vrai, car je sais bien que les bergères se cachent de cela. Oui ; mais puisque c'est une faute, je ne veux point la faire qu'elle ne me donne du plaisir comme aux autres. Oui, oui. Que ce berger me déplaît avec son amour ! Toutes les fois qu'il me parle, je suis toute de méchante humeur. Mais qui est-ce qui vient là ? Ah mon Dieu le beau garçon ! Je me retire, car je ne vous connais pas. Je le veux bien. Vous êtes bien obligeant. Vous êtes bien joli aussi, vous. Je demeure tout près ; mais il ne faut pas venir; il vaut mieux nous voir toujours ici, parce qu'il y a un berger qui m'aime ; il serait jaloux, et il nous suivrait. Oui. Non, je n'en ai jamais pu venir à bout. Oh ! De reste, je ne trouve rien de si aisé. Oh ! Je ne mens jamais, mais où demeurez-vous aussi ? Quoi ! Chez la Fée ? J'ai toujours eu du malheur. C'est que cette Fée est plus belle que moi, et j'ai peur que notre amitié ne tienne pas. Vous m'aimerez donc toujours ? Ce serait bien dommage de me tromper, car je suis si simple. Mais mes moutons s'écartent, on me gronderait s'il s'en perdait quelqu'un : il faut que je m'en aille. Quand reviendrez-vous ? Et moi aussi, mais que faire ? Serez-vous ici sur le soir ? Adieu donc. Voilà que je soupire, et je n'ai point eu de secret pour cela. Que voulez-vous, mon amant ? Ah ! C'est mon mouchoir, donnez. Je me lave quelquefois le visage, et je m'essuie avec. Partout, mais j'ai hâte, je ne vois plus mes moutons ; adieu, jusqu'à tantôt. Arrête-toi un moment, ma cousine ; je t'aurai bientôt conté mon histoire, et tu me donneras quelque avis. Tiens, j'étais ici quand il est venu ; dès qu'il s'est approché, le coeur m'a dit que je l'aimais ; cela est admirable ! Il s'est approché aussi, il m'a parlé ; sais-tu ce qu'il m'a dit ? Qu'il m'aimait aussi. J'étais plus contente que si on m'avait donné tous les moutons du hameau : vraiment je ne m'étonne pas si toutes nos bergères sont si aises d'aimer ; je voudrais n'avoir fait que cela depuis que je suis au monde, tant je le trouve charmant ; mais ce n'est pas tout, il doit revenir ici bientôt ; il m'a déjà baisé la main, et je vois bien qu'il voudra me la baiser encore. Donne-moi conseil, toi qui as eu tant d'amants ; dois-je le laisser faire ? Quoi, il n'y a point de moyen plus aisé que cela pour l'entretenir ? Eh ! comment s'en empêcher ? Je suis encore trop jeune pour pouvoir me gêner. Que je suis inquiète ! J'aimerais autant ne point aimer que d'être obligée d'être sévère ; cependant elle dit que cela entretient l'amour, voilà qui est étrange ; on devrait bien changer une manière si incommode ; ceux qui l'on inventée n'aimaient pas tant que moi. Voici mon amant ; que j'aurai de peine à me retenir ! Oui, mon amant. Assez. Oh si fait, il n'en faut pas davantage. Ne me baisez pas la main au moins. Hélas ! Mon petit amant, ne pleurez pas. Eh ! Je vous l'ai donnée. Oh ! Ma cousine dira ce qu'elle voudra, mais je ne puis y tenir. Là, là, consolez-vous, mon amant, et baisez ma main puisque vous en avez envie ; baisez, mais écoutez, n'allez pas me demander combien je vous aime, car je vous en dirais toujours la moitié moins qu'il n'y en a. Cela n'empêchera pas que, dans le fond, je ne vous aime de tout mon coeur ; mais vous ne devez pas le savoir, parce que cela vous ôterait votre amitié, on me l'a dit. Cela se peut bien, car la mienne en va de mieux en mieux aussi ; mais n'importe, puisqu'on dit que cela ne vaut rien, faisons un marché de peur d'accident : toutes les fois que vous me demanderez si j'ai beaucoup d'amitié pour vous, je vous répondrai que je n'en ai guère, et cela ne sera pourtant pas vrai ; et quand vous voudrez me baiser la main, je ne le voudrai pas, et pourtant j'en aurai envie. Baisez, cela est juste. Eh ! quand cela nous fâchera tout de bon, ne sommes-nous pas les maîtres ? Oui. Pas beaucoup. Eh ! sans doute. Je ne le veux pas. Plus que vous ; mais je ne veux pas le dire. Vous badinez, mon amant ? Quoi ! C'est tout de bon ? Tenez donc. Je vois bien que vous m'avez attrapée, mais j'en profite aussi. Ah ! Miséricorde ! Ah ! La méchante femme, je tremble encore de peur. Hélas ! Peut-être qu'elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m'aimer, mais je sais bien comment je ferai ; je m'en vais assembler tous les bergers du hameau, et les mener chez elle : allons. Qu'est-ce que j'ai donc ? Je ne puis me remuer. Ah ! Cette magicienne m'a jeté un sortilège aux jambes. Ahi ! Ahi ! Messieurs, ayez pitié de moi, au secours, au secours ! Je ne veux pas, je veux retourner au logis. Madame, est-ce que vous voulez toujours me retenir de force ici ? Si ce beau garçon m'aime, est-ce ma faute ? Il dit que je suis belle, dame, je ne puis pas m'empêcher de l'être. Hélas ! vous n'avez qu'à dire. Moi, lui dire que j'ai voulu me moquer de lui ? Cela est-il raisonnable ? Il se mettra à pleurer, et je me mettrai à pleurer aussi : vous savez bien que cela est immanquable. N'avez-vous pas de conscience de me demander une chose impossible ? La mort ! Ah ! Madame la Fée, vous n'avez qu'à le faire venir ; je m'en vais lui dire que je le hais, et je vous promets de ne point pleurer du tout ; je l'aime trop pour cela. Achevons vite de pleurer, afin que mon amant ne croie pas que je l'aime, le pauvre enfant, ce serait le tuer moi-même. Ah ! Maudite fée ! Mais essuyons mes yeux, le voilà qui vient. Eh bien ? À quoi sert tout cela ? On m'a fait venir ici pour vous parler ; j'ai hâte, qu'est-ce que vous voulez ? Oui, tout ce que j'ai fait, ce n'était que pour me donner du plaisir. Oui, encore une fois, tout cela est vrai. Le courage me manque. Qu'allez-vous donc faire ? Ah ! Il va se tuer; arrêtez-vous, mon amant ! J'ai été obligée de vous dire des menteries. Madame la Fée, pardonnez-moi en quelque endroit que vous soyez ici, vous voyez bien ce qui en est. Ah ! Voilà la Fée. Je prie le ciel qu'il vous récompense. Taisez-vous donc, mon ami, ne nous caressons pas à cette heure, afin de pouvoir nous caresser toujours : on vient, dites-moi bien des injures, pour avoir la baguette. Ah ! Ah ! Qu'il est drôle ! Adieu, adieu, je m'en vais épouser mon amant : une autre fois ne croyez pas tout ce qu'on vous dit, petit garçon. Madame, voulez-vous que je m'en aille ? Oh ! Mon amant, nous n'aurons plus d'envieux. Voilà encore ces vilains hommes qui me font peur. En voilà assez, mon ami. Bonjour, Madame, comment vous portez-vous ? Vous n'êtes donc plus si méchante ? Oh ! Qu'elle est en colère. Laissons-la, mon ami, soyons généreux : la compassion est une belle chose.