**** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MADAMEARGANTE *date_1740 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameargante Eh ! Monsieur, ne vous rebutez point, il n'est pas possible qu'Angélique ne se rende, il n'est pas possible. Lisette, vous étiez présente quand Monsieur a vu ma fille ; est-il vrai qu'elle ne l'ait pas bien reçu ? Qu'a-t-elle donc dit ? Parlez ; a-t-il lieu de se plaindre ? Eh ! Sans doute ; elle est si jeune et si innocente ! Vous verrez, Monsieur, vous verrez... Allez, Lisette, dites-lui que je lui ordonne de venir tout à l'heure. Amenez-la ici ; partez. Il faut avoir la bonté de lui pardonner ces premiers mouvements-là, Monsieur, ce ne sera rien. Eh ! Messieurs, un peu de patience ; regardez-la, dans cette occasion-ci, comme un enfant. Approchez, Mademoiselle, approchez, n'êtes-vous pas bien sensible à l'honneur que vous fait Monsieur, de venir vous épouser, malgré votre peu de fortune et la médiocrité de votre état ? Non, Monsieur, je dis la chose comme elle est ; répondez, ma fille. Vite donc ! Monsieur !... Ma mère ! Levez la tête. Je dévore ma colère. Comment ? Étourdie, ingrate que vous êtes ! Je sors, je ne pourrais pas me retenir, mais je la déshérite, si elle continue de répondre aussi mal aux obligations que nous vous avons, Messieurs. Depuis que Monsieur Lucidor est ici, son séjour n'a été marqué pour nous que par des bienfaits ; pour comble de bonheur, il procure à ma fille un mari tel qu'elle ne pouvait pas l'espérer, ni pour le bien, ni pour le rang, ni pour le mérite... Et, merci de ma vie ! Qu'elle l'accepte, ou je la renonce. Eh ! Bien ! Monsieur ; mais que vois-je ? Vous êtes aux genoux de ma fille, je pense ? Vraiment, que de reste, Monsieur, c'est bien de l'honneur à nous tous, et il ne manquera rien à la joie où je suis, si Monsieur... Qui est votre ami, demeure aussi le nôtre. Que signifie donc cela ? Maris jaloux, tendres amants, Dormez sur la foi des serments, Qu'aucun soupçon ne vous émeuve ; Croyez l'objet de vos amours, Car on ne gagne pas toujours A la mettre à l'épreuve. **** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1740 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_angelique Bonjour, Monsieur Blaise. Est-il vrai, Lisette, qu'il est venu quelqu'un de Paris pour Monsieur Lucidor ? Dit-on que ce soit pour l'emmener à Paris qu'on est venu ? Me marier, Monsieur Blaise, et à qui donc, s'il vous plaît ? D'un homme du monde qu'il ne nomme pas ! Eh bien ! je n'en suis pas inquiète, on le connaîtra tôt ou tard. Oh ! Je le crois bien, ce serait là un beau mystère, vous n'êtes qu'un homme des champs, vous. Je l'avais oublié. Hélas ! Guère. Je ne vous le conseille pas, Monsieur Blaise ; car il me semble que non. Heureusement, je ne crains pas son amour, quand il me demanderait à ma mère, il n'en sera pas plus avancé. Je ne l'écoute pas ; mais dis-moi, Lisette, Monsieur Lucidor parle donc sérieusement d'un mari ? Très considérable, si c'est ce que je soupçonne. Oh ! Je rougirais trop, si je me trompais ! Bon, lui ! Je ne sais pas seulement moi-même ce que je veux dire, on rêve, on promène sa pensée, et puis c'est tout ; on le verra, ce mari, je ne l'épouserai pas sans le voir. Eh ! Va donc ; à quoi t'amuses-tu là ? Pardi, tu fais bien les commissions qu'on te donne, il n'y sera peut-être plus. Non, Monsieur, il n'y a qu'un moment que je sais que vous avez envie de me parler, et je la querellais de ne me l'avoir pas dit plus tôt. Aussi bien je crois que ma mère aura besoin d'elle. À quoi songez-vous donc en me considérant si fort ? Ce n'était pas de même quand vous étiez malade. À propos, je sais que vous aimez les fleurs, et je pensais à vous aussi en cueillant ce petit bouquet ; tenez, Monsieur, prenez-le. Et moi, à cette heure que je l'ai reçu, je l'aime mieux qu'auparavant. Ah ! Cela est si aisé avec de certaines personnes ; mais que me voulez-vous donc ? Hélas ! Le compte en sera bientôt fait ! Je ne vous en dirai rien de nouveau ; ôtez notre amitié que vous savez bien, il n'y a rien dans mon coeur, que je sache, je n'y vois qu'elle. Comment faire ? Vous oublierez donc toujours, à moins que je ne me taise ; je ne connais point d'autre secret. Y a-t-il tant que cela ? Que le temps passe vite ! Après ? Je ne sais pas, Monsieur, pourquoi vous pensez que j'en distingue, des jeunes gens qui me font la cour ; est-ce que je les remarque ? Est-ce que je les vois ? Ils perdent donc bien leur temps. Je ne me souciais d'aucun quand vous êtes venu ici, et je ne m'en soucie pas davantage depuis que vous y êtes, assurément. Il me demandera en ce qu'il lui plaira, mais, en un mot, tous ces gens-là me déplaisent depuis le premier jusqu'au dernier, principalement lui, qui me reprochait, l'autre jour, que nous nous parlions trop souvent tous deux, comme s'il n'était pas bien naturel de se plaire plus en votre compagnie qu'en la sienne ; que cela est sot ! Vous ne cherchez pas longtemps, car je reviens bien vite, et ne sors guère. Et moi, je ne suis pas mélancolique. Oui, mais malheureusement vous n'êtes pas de notre village, et vous retournerez peut-être bientôt à votre Paris, que je n'aime guère. Si j'étais à votre place, il me viendrait plutôt chercher que je n'irais le voir. Tous deux, Monsieur Lucidor ! Eh mais ! Contez-moi donc comme quoi. Est-il possible ? Ah çà, ne me trompez pas, au moins, tout le coeur me bat ; loge-t-il avec vous ? Ce n'est pas assez, je n'ose encore être bien aise en toute confiance. Quel homme est-ce ? Ce n'est pas là le principal ; après. Bon ; c'est ce que je voulais savoir. Toujours de mieux en mieux, que je l'aimerai ! Je n'en veux point d'autre. Il l'aura, Monsieur Lucidor, il l'aura, il l'a déjà ; je l'aime autant que vous, ni plus ni moins. Eh ! Sans doute, et moi je réponds aussi comme s'il était là. Ah ! Je vous promets bien qu'il ne sera pas heureux tout seul. Et moi je les prends, parce qu'ils y retourneront avec vous, et que nous y serons ensemble ; mais il ne fallait point de bijoux, c'est votre amitié qui est le véritable. Courez donc, afin qu'il vienne plus vite. À lui, ma chère Lisette, à lui-même, et je l'attends. Eh ! Tu as dû le rencontrer ; il va trouver ma mère. Eh ! Si fait, voilà vingt fois que je te le répète ; si tu savais comme nous nous sommes parlé, comme nous nous entendions bien sans qu'il ait dit : C'est moi ! Mais cela était si clair, si clair, si agréable, si tendre !... Je ne m'y connais pas. Lisette, qui est-ce qui l'aurait cru ? Je ne saurais ; ce sera pour une autre fois. Lisette, tenez compagnie à Monsieur, je lui demande pardon, je ne me sens pas bien ; j'étouffe, et je vais me retirer dans ma chambre. Ma mère... Monsieur... En tout cas, je ne suis pas née babillarde. Monsieur, je ne vous connais point. Oui, Monsieur, votre zèle est admirable, c'est la plus belle chose du monde, et j'ai tort, je suis une étourdie, mais laissez-moi dire. A cette heure que ma mère n'y est plus, et que je suis un peu plus hardie, il est juste que je parle à mon tour, et je commence par vous, Lisette ; c'est que je vous prie de vous taire, entendez-vous ; il n'y a rien ici qui vous regarde ; quand il vous viendra un mari, vous en ferez ce qu'il vous plaira, sans que je vous en demande compte, et je ne vous dirai point sottement, ni que vous êtes née coiffée, ni que vous êtes trop heureuse, ni que vous attendez un prince, ni d'autres propos aussi ridicules que vous m'avez tenus, sans savoir ni quoi, ni qu'est-ce. La vôtre est toute prête, Monsieur. Vous êtes honnête homme, n'est-ce pas ? Vous ne voudrez pas causer du chagrin à une fille qui ne vous a jamais fait de mal, cela serait cruel et barbare. C'est bien fait, je vous dirai donc, Monsieur, que je serais mortifiée s'il fallait vous aimer, le coeur me le dit ; on sent cela ; non que vous ne soyez fort aimable, pourvu que ce ne soit pas moi qui vous aime ; je ne finirai point de vous louer quand ce sera pour une autre ; je vous prie de prendre en bonne part ce que je vous dis là, j'y vais de tout mon coeur ; ce n'est pas moi qui ai été vous chercher, une fois ; je ne songeais pas à vous, et si je l'avais pu, il ne m'en aurait pas plus coûté de vous crier : Ne venez pas ! que de vous dire : Allez-vous-en. Oh ! Sans doute, et le plus tôt sera le mieux. Mais que vous importe ? Vous ne manquerez pas de filles ; quand on est riche, on en a tant qu'on veut, à ce qu'on dit, au lieu que naturellement je n'aime pas l'argent ; j'aimerais mieux en donner que d'en prendre ; c'est là mon humeur. Vous êtes bien honnête ; quand il vous plaira, je ne vous retiens point, il est tard, à cette heure, mais il fera beau demain. Quoi, Monsieur ! Ce n'est pas fait ? Pardi ! vous avez bon courage ! Votre ami n'a guère de coeur, il me demande à quelle heure il partira, et il reste. Eh, Monsieur ! Ne vous en mêlez pas. Il y a des gens qui ne font que nous porter guignon. Son amitié, le méchant homme ! Moi, Monsieur, me plaindre ! Eh ! Qui est-ce qui y songe ? Où sont les reproches que je vous fais ? Me voyez-vous fâchée ? Je suis très contente de vous ; vous en agissez on ne peut pas mieux ; comment donc ! Vous m'offrez des maris tant que j'en voudrai ; vous m'en faites venir de Paris sans que j'en demande : y a-t-il rien là de plus obligeant, de plus officieux ? Il est vrai que je laisse là tous vos mariages ; mais aussi il ne faut pas croire, à cause de vos rares bontés, qu'on soit obligé, vite et vite, de se donner au premier venu que vous attirerez de je ne sais où, et qui arrivera tout botté pour m'épouser sur votre parole ; il ne faut pas croire cela, je suis fort reconnaissante, mais je ne suis pas idiote. Hem ! Qu'est-ce que c'est que cette science que vous avez ? Que veut-elle dire ? Écoutez, Lisette, je suis naturellement douce et bonne ; un enfant a plus de malice que moi ; mais si vous me fâchez, vous m'entendez bien ? Je vous promets de la rancune pour mille ans. Pourquoi ? C'est qu'il n'est pas juste que je l'aie. Le mari et les bijoux étaient pour aller ensemble, et en rendant l'un, je rends l'autre. Vous voilà bien embarrassé ; gardez cela pour cette charmante beauté dont on vous a apporté le portrait. Oh ! Qu'elle garde tout, Monsieur, je les jetterais. Eh mais, cela se peut bien, oui, Monsieur, voilà ce que c'est, j'en ai pour un homme d'ici, et quand je n'en aurais pas, j'en prendrais tout exprès demain pour avoir un mari à ma fantaisie. Non, laissez-moi. Non. L'insupportable homme ! Monsieur Lucidor ! Comment, vous ne croirez pas ! Vous ne seriez pas un homme de bien de le croire. M'accuser d'aimer, à cause que je pleure ; à cause que je donne des marques de bon coeur ! Eh mais ! Je pleure tous les malades que je vois, je pleure pour tout ce qui est en danger de mourir ; si mon oiseau mourait devant moi, je pleurerais ; dira-t-on que j'ai de l'amour pour lui ? Quoi ! Vous aussi, Lisette ? Vous m'accablez, vous me déchirez. Eh ! Que vous ai-je fait ? Quoi ! Un homme qui ne songe point à moi, qui veut me marier à tout le monde, et je l'aimerais, moi, qui ne pourrais pas le souffrir s'il m'aimait, moi qui ai de l'inclination pour un autre ? J'ai donc le coeur bien bas, bien misérable ; ah ! Que l'affront qu'on me fait m'est sensible ! Hélas ! Monsieur, c'est par discrétion que je ne vous ai pas dit ma pensée ; mais je vous aime si peu, que, si je ne me retenais pas, je vous haïrais, depuis ce mari que vous avez mandé de Paris ; oui, Monsieur, je vous haïrais, je ne sais trop même si je ne vous hais pas, je ne voudrais pas jurer que non, car j'avais de l'amitié pour vous, et je n'en ai plus ; est-ce là des dispositions pour aimer ? En peine ? Eh bien ! Puisqu'on m'obstine, c'est justement lui qui parle, cet indigne. Quoi ! Je ne sais pas l'inclination que j'ai ? Oui, c'est lui, je vous dis que c'est lui ! Oh ! Je l'ai assez dit. Oui, c'est vous, malhonnête que vous êtes ! Si vous ne m'en croyez pas, je ne m'en soucie guère. Vraiment, je le sais bien. Eh bien ! Ce sont vos affaires. Oh ! Accommodez-vous, benêt. Comme on me persécute ! Je crois que cet homme-là me fera mourir de chagrin. Est-ce que vous aviez quelque dessein pour elle ? Sur ce pied-là, vous ne m'aimez pas. À cause des vingt mille francs ? Vous avez donc intention de les recevoir ? Et moi je vous déclare que, si vous les prenez, que je ne veux point de vous. Il y aurait trop de lâcheté à vous de prendre de l'argent d'un homme qui a voulu me marier à un autre, qui m'a offensée en particulier en croyant que je l'aimais, et qu'on dit que j'aime moi-même. Eh bien ! Si elle ne veut point de vous, je vous laisserai. Je ne changerai jamais. Et moi je ne veux plus de qui que ce soit au monde. C'est que ma mère sera fâchée, et puis j'ai eu assez de confusion pour cela. Oh ! Voilà qui est fini ; je ne veux rien d'un homme qui m'a donné le renom que je l'aimais toute seule. On ne m'a point entendue me vanter que vous m'aimiez, quoique je l'eusse pu croire aussi bien que vous, après toutes les amitiés et toutes les manières que vous avez eues pour moi, depuis que vous êtes ici, je n'ai pourtant pas abusé de cela ; vous n'en avez pas agi de même, et je suis la dupe de ma bonne foi. Je n'en sais rien ; mais si jamais je viens à aimer quelqu'un, ce ne sera pas moi qui lui chercherai des filles en mariage, je le laisserai plutôt mourir garçon. Vous dites que je vous hais, n'ai-je pas raison ? Quand il n'y aurait que ce portrait de Paris qui est dans votre poche. Je ne pouvais pas deviner. Qu'en ferai-je, si vous n'y êtes plus ? Un portrait ne guérit de rien. Voilà du moins ce qu'on appelle parler, cela. Ai-je jamais fait autre chose ? Ah ! que l'hymen paraît charmant Quand l'époux est toujours amant ! Mais jusqu'ici la chose est neuve : Que l'on verrait peu de maris, Si le sort nous avait permis De les prendre à l'épreuve ! **** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LISETTE *date_1740 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Je viens d'apprendre, Monsieur, par le petit garçon de notre vigneron, qu'il vous était arrivé une visite de Paris. Dans quel appartement du château souhaitez-vous qu'on le loge ? Il me semble l'avoir vue dans le jardin, qui s'amusait à cueillir des fleurs. Eh mais ! Autant que j'en puis juger, mon avis est que jusqu'ici elle n'a rien dans le coeur pour vous. Ma réponse n'a rien de trop flatteur, mais je ne saurais en faire une autre. Ce n'est pas que vous ne valiez votre prix, Monsieur Blaise, mais je crains que Madame Argante ne vous trouve pas assez de bien pour sa fille. Vous me faites rire avec votre air joyeux. La tête lui tourne, ou il y a là quelque chose que je n'entends pas. Vous êtes un très grand devin ! Dès que vous vous mêlez de l'établir, je pense bien qu'elle s'en tiendra là. Vous avez bien de la bonté, Monsieur. Ce Monsieur Lucidor a le meilleur coeur du monde. Eh ! Que voulez-vous dire avec votre compliment, Maître Blaise ? Vous tenez depuis un moment des discours bien étranges. Que vous êtes original avec votre agréable ! Comme il regarde ; en vérité, vous extravaguez. Eh bien ! Contemplez, voyez, ai-je aujourd'hui le visage autrement fait que je l'avais hier ? Eh ! Que le ciel vous bénisse. Eh ! Que me voulez-vous ? C'est se moquer que de vous entendre ; on dirait que vous m'en contez ; je sais bien que vous êtes un fermier à votre aise, et que je ne suis pas pour vous, de quoi s'agit-il donc ? Et à propos de quoi un secret ? Vous ne me dites rien d'intelligible. Voilà qui est bien particulier ; ne recherchez-vous pas Angélique ? Plus je rêve, et plus je m'y perds. Mais pourquoi me trouver si agréable ; par quel accident le remarquez-vous plus qu'à l'ordinaire ? Jusqu'ici vous n'avez pas pris garde si je l'étais ou non, croirai-je que vous êtes tombé subitement amoureux de moi ? Je ne vous en empêche pas. Que dites-vous donc ? Je vous regarde à mon tour et, si je me figurais pas que vous êtes timbré, en vérité, je soupçonnerais que vous ne me haïssez pas. Qu'est-ce que cela signifie ? Le plaisant compliment ! Eh ! Quel avantage en tirerais-je ? Ma foi, votre tête est dérangée, Monsieur Blaise, je n'en rabats rien. Oui, à ce que j'ai su. C'est ce que je ne sais pas, Monsieur Lucidor ne m'en a rien appris. Il parle vraiment d'un très grand mariage ; il s'agit d'un homme du monde, et il ne dit pas qui c'est, ni d'où il viendra. Je vous rapporte ses propres termes. Quelle cervelle !   Lui ! c'est un conteur de sornettes qui ne convient pas à une fille comme vous. Mais d'un mari distingué, d'un établissement considérable. Et que soupçonnez-vous ? Ne serait-ce pas lui, par hasard, que vous vous imaginez être l'homme en question, tout grand seigneur qu'il est par ses richesses ? Quand ce ne serait qu'un de ses amis, ce serait toujours une grande affaire ; à propos, il m'a recommandé d'aller l'avertir quand vous seriez venue, et il m'attend dans l'allée. Tenez, le voilà lui-même. Est-ce en secret ? M'en irai-je ? Je me retire donc.  Eh bien ! Mademoiselle, êtes-vous instruite ? À qui vous marie-t-on ? À lui, dites-vous ? Et quel est donc cet homme qui s'appelle lui par excellence ? Est-ce qu'il est ici ? Je n'ai vu que Monsieur Lucidor, et ce n'est pas lui qui vous épouse. Je ne l'aurais jamais imaginé, mais le voici encore.  Mademoiselle est immobile, vous muet, et moi stupéfaite ; j'ouvre les yeux, je regarde, et je n'y comprends rien. Je ne le crois pas, moi qui le vois. C'est Frontin, c'est lui-même. Monsieur, ne t'ai-je pas vu quelque part ? Est-ce que je me tromperais ? Monsieur, excusez-moi ; mais n'avez-vous jamais été à Paris chez une Madame Dorman, où j'étais ? Du côté de la place Maubert, chez un marchand de café, au second. Je ne dis plus mot, mais j'avoue que je vous ai pris pour Frontin, et il faut que je me fasse toute la violence du monde pour m'imaginer que ce n'est point lui. Oui, Monsieur, et il m'a semblé que c'était toi... Que c'était vous, dis-je. J'ai tort, mais tu lui ressembles si fort !... Eh ! Monsieur, pardon. Je retombe toujours ; quoi ! Tout de bon, ce n'est pas toi... je veux dire, ce n'est pas vous ? Oh ! Monsieur, n'y ayez point de regret ; celui pour qui je vous prenais est un garçon fort aimable, fort amusant, plein d'esprit et d'une très jolie figure. Si parfaite que je n'en reviens point, et tu serais le plus grand maraud... Monsieur, je me brouille encore, la ressemblance m'emporte. Non, Monsieur, c'est à votre copie, et je voulais dire qu'il aurait grand tort de me tromper ; car je voudrais de tout mon coeur que ce fût lui ; je crois qu'il m'aimait, et je le regrette. Voilà qui est bien particulier ; à chaque fois que vous parlez, il me semble l'entendre. Hélas ! Je me réjouissais en croyant l'avoir retrouvé. Je sais garder un secret ; Monsieur, dites-moi si c'est toi... Je m'y suis pris de toutes façons, et ce n'est pas lui sans doute, mais il n'y a jamais rien eu de pareil. Quand ce serait lui, au reste, Maître Blaise est bien un autre parti, s'il m'aime. Au même état où vous étiez tantôt. Ne me direz-vous point ce que peut signifier le tant pis que vous dites en riant ? En tout cas, j'ai un avis à vous donner ; c'est qu'Angélique ne paraît pas disposée à accepter le mari que Monsieur Lucidor lui destine, et qui est ici, et que si, dans ces circonstances, vous continuez à la rechercher, apparemment vous l'obtiendrez. Oh ! Vous m'impatientez avec vos tant mieux si tristes, vos tant pis si gaillards, et le tout en m'appelant ma grande fille et mon poulet ; il faut, s'il vous plaît, que j'en aie le coeur net, Monsieur Blaise : pour la dernière fois, est-ce que vous m'aimez ? Vous vous moquez donc de moi ? Avez-vous toujours dessein de demander Angélique en mariage ? Le micmac ! Et si on vous la refuse, en serez-vous fâché ? En vérité, dans l'incertitude où vous me tenez de vos sentiments, que voulez-vous que je réponde aux douceurs que vous me dites ? Mettez-vous à ma place. Eh ! Quelle est-elle ? Car si vous êtes de bonne foi, si effectivement vous m'aimez... Vous jugez bien que je n'aurai pas le coeur ingrat. Qu'en ferez-vous ? Quelle obscurité ! Voilà Madame Argante et Monsieur Lucidor ; il est apparemment question du mariage d'Angélique avec l'amant qui lui est venu ; la mère voudra qu'elle l'épouse ; et si elle obéit, comme elle y sera peut-être obligée, il ne sera plus nécessaire que vous la demandiez ; ainsi, retirez-vous, je vous prie. Encore ! Oh ! Votre énigme est d'une impertinence qui m'indigne. Douze mille francs ! Où va-t-il prendre ce qu'il dit là ? Je commence à croire qu'il y a quelque motif à cela. Non, Madame, je ne me suis point aperçu de mauvaise réception ; il n'y a eu qu'un étonnement naturel à une jeune et honnête fille, qui se trouve, pour ainsi dire, mariée dans la minute ; mais pour le peu que Madame la rassure, et s'en mêle, il n'y aura pas la moindre difficulté. Vous êtes trop heureuse, Mademoiselle, il faut que vous soyez née coiffée. En vérité, Mademoiselle, on ne saurait vous excuser ; attendez-vous qu'il vienne un prince ? Quelle perte ! Un homme qui lui faisait sa fortune ! Ah ! J'en sais bien la cause, moi, si je voulais parler. Et moi je les ramasserai. Êtes-vous sourd, Maître Blaise ? Elle vous dit que non. Passons, passons là-dessus ; car, à vous parler franchement, je l'ai cru de même. Bon ! Cela n'est pas vrai. Ce Monsieur Lucidor est un grand marieur de filles ; à quoi vous déterminez-vous, Maître Blaise ? Hum ! Le vilain procédé ! Mademoiselle a raison ; j'approuve tout à fait ce qu'elle dit là. Ah ! Coquin, je t'entends bien, mais tu l'es trop tard. Avoir le coeur de son mari, Qu'il tienne lieu d'un favori, Quel bonheur d'en fournir la preuve ! Blaise me donne du souci ; Mais en revanche, Dieu merci, Je le mets à l'épreuve. Vous qui tenez dans vos filets Chaque jour de nouveaux objets, Soit fille, soit femme, soit veuve, Vous croyez prendre, et l'on vous prend. Gardez-vous d'un coeur qui se rend À la première épreuve. **** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LUCIDOR *date_1740 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucidor Entrons dans cette salle. Tu ne fais donc que d'arriver ? Tu es comme il faut ; à qui t'es-tu adressé en entrant ? Te proposer pour époux à une très aimable fille. Eh ! Non, tu te trompes, c'est moi que la chose regarde. Tu sais que je suis venu ici il y a près de deux mois pour y voir la terre que mon homme d'affaires m'a achetée ; j'ai trouvé dans le château une Madame Argante, qui en était comme la concierge, et qui est une petite bourgeoise de ce pays-ci. Cette bonne dame a une fille qui m'a charmé, et c'est pour elle que je veux te proposer. Écoute-moi donc, j'ai dessein de l'épouser moi-même. Me laisseras-tu dire ? Je te présenterai sur le pied d'un homme riche et mon ami, afin de voir si elle m'aimera assez pour te refuser. Quoi ? Mais, vraiment, il y en a une chez Madame Argante de ce nom-là, qui est du village, qui y a toute sa famille, et qui a passé en effet quelque temps à Paris avec une dame du pays. Tout le remède que j'y sache, c'est de payer d'effronterie, et de lui persuader qu'elle se trompe. N'y a-t-il pas des hommes qui se ressemblent tant, qu'on s'y méprend ? Parle. Hein ? Tais-toi, tu ne connais point celle dont tu parles. Il est vrai qu'Angélique n'est qu'une simple bourgeoise de campagne ; mais originairement elle me vaut bien, et je n'ai pas l'entêtement des grandes alliances ; elle est d'ailleurs si aimable, et je démêle, à travers son innocence, tant d'honneur et tant de vertu en elle ; elle a naturellement un caractère si distingué, que, si elle m'aime, comme je le crois, je ne serai jamais qu'à elle. Non, il n'a pas encore été question du mot d'amour entre elle et moi ; je ne lui ai jamais dit que je l'aime ; mais toutes mes façons n'ont signifié que cela ; toutes les siennes n'ont été que des expressions du penchant le plus tendre et le plus ingénu. Je tombai malade trois jours après mon arrivée ; j'ai été même en quelque danger, je l'ai vue inquiète, alarmée, plus changée que moi ; j'ai vu des larmes couler de ses yeux, sans que sa mère s'en aperçut et, depuis que la santé m'est revenue, nous continuons de même ; je l'aime toujours, sans le lui dire, elle m'aime aussi, sans m'en parler, et sans vouloir cependant m'en faire un secret ; son coeur simple, honnête et vrai, n'en sait pas davantage. Il n'est pas temps ; tout sûr que je suis de son coeur, je veux savoir à quoi je le dois ; et si c'est l'homme riche, ou seulement moi qu'on aime : c'est ce que j'éclaircirai par l'épreuve où je vais la mettre ; il m'est encore permis de n'appeler qu'amitié tout ce qui est entre nous deux, et c'est de quoi je vais profiter. Pourquoi ? Le sot ! Hé bien ! Si tu plais, j'y remédierai sur-le-champ, en te faisant connaître. As-tu apporté les bijoux ? Puisque personne ne t'a vu entrer, retire-toi avant que quelqu'un que je vois dans le jardin n'arrive, va t'ajuster, et ne parais que dans une heure ou deux. Il vient à moi, il paraît avoir à me parler. Oui je me porte assez bien, Monsieur Blaise. Je vous en suis obligé. Vous avez raison d'y prendre quelque intérêt, je voudrais pouvoir vous être utile à quelque chose. Voyons. Assurément. Vous aimez donc Angélique ? Je vous entends, vous souhaitez que j'engage Madame Argante à vous donner sa fille. Et Angélique vous aime-t-elle ? Ni bon, ni mauvais ; au surplus, comme je crois que Madame Argante a peu de bien, que vous êtes fermier de plusieurs terres, fils de fermier vous-même... Le parti pourrait convenir, sans une difficulté. C'est qu'en revanche des soins que Madame Argante et toute sa maison ont eu de moi pendant ma maladie, j'ai songé à marier Angélique à quelqu'un de fort riche, qui va se présenter, qui ne veut précisément épouser qu'une fille de campagne, de famille honnête, et qui ne se soucie pas qu'elle ait du bien. Votre parenté avec lui n'ajoute rien à l'obligation que je vous ai. Calmez-vous, est-ce cela que vous en espérez ? Eh bien ! Je vous en donne douze pour en épouser une autre et pour vous dédommager du chagrin que je vous fais. Oui, je vous les promets, sans vous ôter cependant la liberté de vous présenter pour Angélique ; au contraire, j'exige même que vous la demandiez à Madame Argante, je l'exige, entendez-vous ; car si vous plaisez à Angélique, je serais très fâché de la priver d'un homme qu'elle aimerait. Il n'est pas nécessaire, point de compliments, je vous tiendrai parole. Ce n'est pas tout à fait cela, écoutez-moi, je prétends, vous dis-je, que vous vous proposiez pour Angélique, indépendamment du mari que je lui offrirai ; si elle vous accepte, comme alors je n'aurai fait aucun tort à votre amour, je ne vous donnerai rien ; si elle vous refuse, les douze mille francs sont à vous. Prenez garde, je vois bien qu'à cause des douze mille francs, vous ne demandez déjà pas mieux que d'être refusé. Je mets cependant encore une condition à notre marché, c'est que vous feigniez de l'empressement pour obtenir Angélique, et que vous continuiez de paraître amoureux d'elle. Moi, Maître Blaise ? Vous me surprenez, je ne m'en suis pas aperçu, vous vous trompez ; en tout cas, si elle ne veut pas de vous, souvenez-vous de lui faire ce petit reproche-là, je serais bien aise de savoir ce qui en est, par pure curiosité. Et comme je ne vous crois pas mal à propos glorieux, vous me ferez plaisir aussi de jeter vos vues sur Lisette, que, sans compter les douze mille francs, vous ne vous repentirez pas d'avoir choisi, je vous en avertis. J'avoue qu'elle sert Madame Argante, mais elle n'est pas de moindre condition que les autres filles du village. Jeune et bien faite, d'ailleurs. Mais je vous ordonne une chose ; c'est de ne lui dire que vous l'aimez qu'après qu'Angélique se sera expliquée sur votre compte ; il ne faut pas que Lisette sache vos desseins auparavant. Rien ne vous empêche de rester. Oui, c'est un de mes amis qui vient me voir. Nous verrons quand il sera revenu de l'hôtellerie où il est retourné ; où est Angélique, Lisette ? Voici un homme qui est de bonne volonté pour elle, qui a grande envie de l'épouser, et je lui demandais si elle avait de l'inclination pour lui ; qu'en pensez-vous ? C'est qu'il n'espère pas grand-chose. Quoi qu'il en soit, j'ai aussi un parti à lui offrir, mais un très bon parti, il s'agit d'un homme du monde, et voilà pourquoi je m'informe si elle n'aime personne. Adieu, Lisette, je vais faire un tour dans la grande allée ; quand Angélique sera venue, je vous prie de m'en avertir. Soyez persuadée, à votre égard, que je ne m'en retournerai point à Paris sans récompenser le zèle que vous m'avez marqué. Ménagez vos termes avec Lisette, Maître Blaise. Y a-t-il longtemps que vous êtes ici, Angélique ? Oui, j'ai à vous entretenir d'une chose assez importante. Il n'y a pas de nécessité que vous restiez. Je songe que vous embellissez tous les jours. Je ne le prendrai que pour vous le rendre, j'aurai plus de plaisir à vous le voir. Vous ne répondez jamais rien que d'obligeant. Vous donner des témoignages de l'extrême amitié que j'ai pour vous, à condition qu'avant tout, vous m'instruirez de l'état de votre coeur. Vos façons de parler me font tant de plaisir, que j'en oublie presque ce que j'ai à vous dire. Je n'aime point ce secret-là ; mais poursuivons : il n'y a encore environ que sept semaines que je suis ici. Et je vois quelquefois bien des jeunes gens du pays qui vous font la cour ; lequel de tous distinguez-vous parmi eux ? Confiez-moi ce qui en est comme au meilleur ami que vous ayez. Je vous crois, Angélique. Êtes-vous aussi indifférente pour maître Blaise, ce jeune fermier qui veut vous demander en mariage, à ce qu'il m'a dit ? Si vous ne haïssez pas de me parler, je vous le rends bien, ma chère Angélique : quand je ne vous vois pas, vous me manquez, et je vous cherche. Quand vous êtes revenue, je suis content. Il est vrai, je vois avec joie que votre amitié répond à la mienne. Eh ! Qu'importe que j'y retourne ou non, puisqu'il ne tiendra qu'à vous que nous y soyons tous deux ? C'est que je vous destine un mari qui y demeure. Oui, Angélique ; nous sommes dans la même maison. Un homme très riche. Il est de mon âge et de ma taille. Nos caractères se ressemblent, il pense comme moi. C'est un homme tout aussi uni, tout aussi sans façon que je le suis. Qui n'a ni ambition, ni gloire, et qui n'exigera de celle qu'il épousera que son coeur. Vous aurez le sien, Angélique, je vous en assure, je le connais ; c'est tout comme s'il vous le disait lui-même. Ah ! Que de l'humeur dont il est, vous allez le rendre heureux ! Adieu, ma chère Angélique ; il me tarde d'entretenir votre mère et d'avoir son consentement. Le plaisir que me fait ce mariage ne me permet pas de différer davantage ; mais avant que je vous quitte, acceptez de moi ce petit présent de noce que j'ai droit de vous offrir, suivant l'usage, et en qualité d'ami ; ce sont de petits bijoux que j'ai fait venir de Paris. Adieu, belle Angélique ; votre mari ne tardera pas à paraître. Je reviens, belle Angélique ; en allant chez votre mère, j'ai trouvé Monsieur qui arrivait, et j'ai cru qu'il n'y avait rien de plus pressé que de vous l'amener ; c'est lui, c'est ce mari pour qui vous êtes si favorablement prévenue, et qui, par le rapport de nos caractères, est en effet un autre moi-même ; il m'a apporté aussi le portrait d'une jeune et jolie personne qu'on veut me faire épouser à Paris. Jetez les yeux dessus : comment le trouvez-vous ? Adieu, je vous laisse ensemble, et je cours chez Madame Argante. Êtes-vous contente ? Lisette a raison, je pense comme elle. Je n'ai pas dû deviner l'obstacle qui se présente. Que je suis mortifié ! Vous savez, belle Angélique, que je vous ai d'abord consulté sur ce mariage ; je n'y ai pensé que par zèle pour vous, et vous m'en avez paru satisfaite. Il n'est pas si aisé de vous quitter, Angélique ; mais je vous débarrasserai de lui. Il y a des antipathies insurmontables ; si Angélique est dans ce cas-là, je ne m'étonne point de son refus, et je ne renonce pas au projet de l'établir avantageusement. Vous porter guignon, avec les intentions que j'ai ! Et qu'avez-vous à reprocher à mon amitié ? Dites-moi de quoi vous vous plaignez. Quoi que vous en disiez, vos discours ont une aigreur que je ne sais à quoi attribuer, et que je ne mérite point. Si vous ne vous plaignez pas de moi, reprenez donc ce petit présent que je vous avais fait, et que vous m'avez rendu sans me dire pourquoi. Je lui en trouverai d'autres ; reprenez ceux-ci. C'est-à-dire que vous ne voulez pas que je songe à vous marier, et que, malgré ce que vous m'avez dit tantôt, il y a quelque amour secret dont vous me faites mystère. Je ne croirai jamais ce que vous dites là ; Angélique pleurait par amitié pour moi ? Mais en vérité, Angélique, vous n'êtes pas raisonnable ; ne voyez-vous pas que ce sont nos petites conversations qui ont donné lieu à cette folie qu'on a rêvée, et qu'elle ne mérite pas votre attention ? Je suis honteux de la douleur où je vous vois, avez-vous besoin de vous défendre, dès que vous en aimez un autre, tout n'est-il pas dit ? Je l'ai soupçonné. Ce n'est pas là ce qui embarrassera, et j'aplanirai tout ; puisque vous avez le bonheur d'être aimé, Maître Blaise, je donne vingt mille francs en faveur de ce mariage, je vais en porter la parole à Madame Argante, et je reviens dans le moment vous en rendre la réponse. Adieu, Angélique, j'aurai enfin la satisfaction de vous avoir mariée selon votre coeur, quelque chose qu'il m'en coûte. Votre mère consent à tout, belle Angélique j'en ai sa parole, et votre mariage avec Maître Blaise est conclu, moyennant les vingt mille francs que je donne. Ainsi vous n'avez qu'à venir tous deux l'en remercier. Arrêtez, de grâce, chère Angélique. Laissez-nous, vous autres. Oui, je vous le garantis. Vous pleurez, Angélique ? À l'égard de votre mère, ne vous en inquiétez pas, je la calmerai ; mais me laisserez-vous la douleur de n'avoir pu vous rendre heureuse ? Je ne suis point l'auteur des idées qu'on a eu là-dessus. Quand vous auriez pensé que je vous aimais, quand vous m'auriez cru pénétré de l'amour le plus tendre, vous ne vous seriez pas trompée. Et pour achever de vous ouvrir mon coeur, je vous avoue que je vous adore, Angélique. Hélas ! Angélique, sans la haine que vous m'avez déclarée, et qui m'a paru si vraie, si naturelle, j'allais me proposer moi-même. Mais qu'avez-vous donc encore à soupirer ? Ce portrait n'est qu'une feinte ; c'est celui d'une soeur que j'ai. Le voici, Angélique ; et je vous le donne. Et si je restais, si je vous demandais votre main, si nous ne nous quittions de la vie ? Vous m'aimez donc ? Vous me transportez, Angélique. Oui Madame, et je l'épouse dès aujourd'hui, si vous y consentez. Je vous l'expliquerai tout à l'heure ; qu'on fasse venir les violons du village, et que la journée finisse par des danses. **** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_FRONTIN *date_1740 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_frontin Je viens de mettre pied à terre à la première hôtellerie du village, j'ai demandé le chemin du château suivant l'ordre de votre lettre, et me voilà dans l'équipage que vous m'avez prescrit. De ma figure, qu'en dites-vous ? Y reconnaissez-vous votre valet de chambre, et n'ai-je pas l'air un peu trop seigneur ? Je n'ai rencontré qu'un petit garçon dans la cour, et vous avez paru. À présent, que voulez-vous faire de moi et de ma bonne mine ? Tout de bon ? Ma foi, Monsieur, je soutiens que vous êtes encore plus aimable qu'elle. En ce cas-là, je ne soutiens plus rien. Pour cette fille que vous aimez ? La confidence est gaillarde ! Nous serons donc trois, vous traitez cette affaire-ci comme une partie de piquet. Je vous entends bien, quand je l'aurai épousée. Ah ! C'est une autre histoire ; et cela étant, il y a une chose qui m'inquiète. C'est qu'en venant, j'ai rencontré près de l'hôtellerie une fille qui ne m'a pas aperçu, je pense, qui causait sur le pas d'une porte, mais qui m'a bien la mine d'être une certaine Lisette que j'ai connue à Paris, il y a quatre ou cinq ans, et qui était à une dame chez qui mon maître allait souvent. Je n'ai vu cette Lisette-là que deux ou trois fois ; mais comme elle était jolie, je lui en ai conté tout autant de fois que je l'ai vue, et cela vous grave dans l'esprit d'une fille. Ma foi, Monsieur, la friponne me reconnaîtra ; il y a de certaines tournures d'hommes qu'on n'oublie point. Oh ! Pour de l'effronterie, je suis en fonds. Allons, je ressemblerai, voilà tout, mais dites-moi, Monsieur, souffririez-vous un petit mot de représentation ? Quoique à la fleur de votre âge, vous êtes tout à fait sage et raisonnable, il me semble pourtant que votre projet est bien jeune. Doucement, vous êtes le fils d'un riche négociant qui vous a laissé plus de cent mille livres de rente, et vous pouvez prétendre aux plus grands partis ; le minois dont vous parlez là est-il fait pour vous appartenir en légitime mariage ? Riche comme vous êtes, on peut se tirer de là à meilleur marché, ce me semble. Comment ! Si elle vous aime ? Est-ce que cela n'est pas décidé ? Mais vous, qui en savez plus qu'elle, que ne mettez-vous un petit mot d'amour en avant, il ne gâterait rien ? Voilà qui est fort bien ; mais ce n'était pas moi qu'il fallait employer. Oh ! Pourquoi ? Mettez-vous à la place d'une fille, et ouvrez les yeux, vous verrez pourquoi, il y a cent à parier contre un que je plairai. Tenez, voilà tout. Si vous jouez de malheur, souvenez-vous que je vous l'ai prédit. Mademoiselle, l'étonnante immobilité où je vous vois intimide extrêmement mon inclination naissante ; vous me découragez tout à fait, et je sens que je perds la parole. Si la charmante Angélique daignait seulement jeter un regard sur moi, je crois que je ne lui ferais point de peur, et peut-être y reviendrait-elle : on s'accoutume aisément à me voir, j'en ai l'expérience, essayez-en. Mon mérite a manqué son coup. Voici le plus fort de ma besogne ici ; m'amie, que dois-je conjecturer d'un aussi langoureux accueil ? (Elle ne répond pas, et le regarde. Eh bien ! Répondez donc. Allez-vous me dire aussi que ce sera pour une autre fois ? Comment donc ? Ne t'ai-je pas vu quelque part ? Ce village-ci est bien familier. Qu'est-ce que c'est que Madame Dorman ? Dans quel quartier ? Une place Maubert, une Madame Dorman, un second ! Non, mon enfant, je ne connais point cela, et je prends toujours mon café chez moi. Frontin ! Mais c'est un nom de valet. Quoi ! toujours des tu et des toi ! Vous me lassez à la fin. Je crois que le plus court est d'en rire moi-même ; allez, ma fille, un homme moins raisonnable et de moindre étoffe se fâcherait ; mais je suis trop au-dessus de votre méprise, et vous me divertiriez beaucoup, n'était le désagrément qu'il y a d'avoir une physionomie commune avec ce coquin-là. La nature pouvait se passer de lui donner le double de la mienne, et c'est un affront qu'elle m'a fait, mais ce n'est pas votre faute ; parlons de votre maîtresse. J'entends bien, la copie est parfaite. Ce n'est rien, je commence à m'y faire : ce n'est pas à moi à qui vous parlez. Vous avez raison, il en valait bien la peine. Que cela est flatteur ! Vraiment, il n'y a rien là de surprenant ; dès qu'on se ressemble, on a le même son de voix, et volontiers les mêmes inclinations ; il vous aimait, dites-vous, et je ferais comme lui, sans l'extrême distance qui nous sépare. Oh ?... Tant d'amour sera récompensé, ma belle enfant, je vous le prédis ; en attendant, vous ne perdrez pas tout, je m'intéresse à vous et je vous rendrai service ; ne vous mariez point sans me consulter. Allons, vous abusez de ma bonté ; il est temps que je me retire. Ouf, le rude assaut !  Madame, le mariage en impromptu étonne l'innocence, mais ne l'afflige pas, et votre fille est allée se trouver mal dans sa chambre. Vous avez beau dire, on a eu tort de m'exposer à cette aventure-ci ; il est fâcheux à un galant homme, à qui tout Paris jette ses filles à la tête, et qui les refuse toutes, de venir lui-même essuyer les dédains d'une jeune citoyenne de village, à qui on ne demande précisément que sa figure en mariage. Votre fille me convient fort ; et je rends grâces à mon ami de l'avoir retenue ; mais il fallait, en m'appelant, me tenir sa main si prête et si disposée que je n'eusse qu'à tendre la mienne pour la recevoir ; point d'autre cérémonie. Rayons ce mot d'honneur, mon amour et ma galanterie le désapprouvent. Point de ton d'autorité, sinon je reprends mes bottes et monte à cheval. Vous ne m'avez pas encore regardé, fille aimable, vous n'avez point encore vu ma personne, vous la rebutez sans la connaître ; voyez-la pour la juger. Silence, maman, voilà une réponse entamée. Vous n'en êtes que plus rare ; allons, Mademoiselle, reprenez haleine, et prononcez. Courage ! Encore un effort pour achever. La connaissance est si tôt faite en mariage, c'est un pays où l'on va si vite... Ah ! Ah ! Madame Argante, vous avez le dialogue d'une rudesse insoutenable. Tout doux, appuyez légèrement sur le dernier. Sans vanité, voici mon apprentissage ; en fait de refus, je ne connaissais pas cet affront-là. Sur sa part, je devine la mienne. C'est en quoi je brille. Je suis l'homme du monde le plus humain, vos pareilles en ont mille preuves. Comme vous me le dites ? Elle est bien opposée à la mienne ; à quelle heure voulez-vous que je parte ? Mon grand ami, voilà ce qu'on appelle un congé bien conditionné, et je le reçois, sauf vos conseils, qui me régleront là-dessus cependant ; ainsi, belle ingrate, je diffère encore mes derniers adieux. Je suis de si bonne composition, que ce sera moi qui vous verserai à boire à table. Ma reine, puisque vous aimiez tant Frontin, et que je lui ressemble, j'ai envie de l'être. Vous qui courez après l'hymen, Pour éloigner tout examen, Prenez toujours fille pour veuve ; Si l'amour trompe en ce moment, C'est du moins agréablement : Quelle charmante épreuve ! **** *creator_marivaux *book_marivaux_epreuve *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_epreuve *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MAITREBLAISE *date_1740 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_maitreblaise Je vous salue, Monsieur Lucidor. Eh bien ! Qu'est-ce ? Comment vous va ? Vous avez bonne maine à cette heure. Faut convenir que voute maladie vous a bian fait du proufit ; vous velà, morgué ! Pus rougeaud, pus varmeil, ça réjouit, ça me plaît à voir. C'est que j'aime tant la santé des braves gens, alle est si recommandabe, surtout la vôtre, qui est la pus recommandabe de tout le monde. Voirement, cette utilité-là est belle et bonne ; et je vians tout justement vous prier de m'en gratifier d'une. Vous savez bian, Monsieur, que je fréquente chez Madame Argante, et sa fille Angélique, alle est gentille, au moins. Eh ! Eh ! Eh ! C'est, ne vous déplaise, que je vourais avoir sa gentillesse en mariage. Ah ! Cette criature-là m'affole, j'en pards si peu d'esprit que j'ai ; quand il fait jour, je pense à elle ; quand il fait nuit, j'en rêve ; il faut du remède à ça, et je vians envars vous à celle fin, par voute moyen, pour l'honneur et le respect qu'on vous porte ici, sauf voute grâce, et si ça ne vous torne pas à importunité, de me favoriser de queuques bonnes paroles auprès de sa mère, dont j'ai itou besoin de la faveur. Oh ! Dame, quand parfois je li conte ma chance, alle rit de tout son coeur, et me plante là, c'est bon signe, n'est-ce pas ? Et que je sis encore une jeunesse, je n'ons que trente ans, et d'humeur folichonne, un Roger-Bontemps. Laqueulle ? Morgué ! Vous me faites là un vilain tour avec voute avisement, Monsieur Lucidor ; velà qui m'est bian rude, bian chagrinant et bian traître. Jarnigué ! Soyons bons, je l'approuve, mais ne foulons parsonne, je sis voute prochain autant qu'un autre, et ne faut pas peser sur ceti-ci, pour alléger ceti-là. Moi qui avais tant de peur que vous ne mouriez, c'était bian la peine de venir vingt fois demander : Comment va-t-il, comment ne va-t-il pas ? Velà-t-il pas une santé qui m'est bian chanceuse, après vous avoir mené moi-même ceti-là qui vous a tiré deux fois du sang, et qui est mon cousin, afin que vous le sachiez, mon propre cousin gearmain ; ma mère était sa tante, et jarni ! Ce n'est pas bian fait à vous. Sans compter que c'est cinq bonnes mille livres que vous m'ôtez comme un sou, et que la petite aura en mariage. Quoi ! Douze mille livres d'argent sec ? Eh mais ! C'est comme un prince qui parle ! Douze mille livres ! Les bras m'en tombont, je ne saurais me ravoir ; allons, Monsieur, boutez-vous là, que je me prosterne devant vous, ni pus ni moins que devant un prodige. Après que j'ons été si malappris, si brutal ! Eh ! Dites-moi, roi que vous êtes, si, par aventure, Angélique me chérit, j'aurons donc la femme et les douze mille francs avec ? Alle me refusera, Monsieur, alle me refusera ; le ciel m'en fera la grâce, à cause de vous qui le désirez. Hélas ! Peut-être bien que la somme m'étourdit un petit brin ; j'en sis friand, je le confesse, alle est si consolante ! Oui, Monsieur, je serons fidèle à ça, mais j'ons bonne espérance de n'être pas daigne d'elle, et mêmement j'avons opinion, si alle osait, qu'alle vous aimerait pus que parsonne. An n'y manquera pas ; an li reprochera devant vous, drès que Monsieur le commande. Hélas ! Il n'y a qu'à dire, an se revirera itou sur elle, je l'aimerai par mortification. Eh ! Voirement, alle en est née native. Charmante. Monsieur verra l'appétit que je prends déjà pour elle. Laissez faire à Blaise, en li parlant, je li dirai des propos où elle ne comprenra rin ; la velà, vous plaît-il que je m'en aille ? Oui, de queul avis êtes-vous touchant ça, belle brunette, m'amie ? Rian du tout, c'est ce que je disais. Que Mademoiselle Lisette a de jugement ! Cetelle-là est belle et bonne, et je m'y accorde. J'aime qu'on soit franc, et en effet, queul mérite avons-je pour li plaire à cette enfant ? Ça est vrai, pas assez de bian. Pus vous allez, mieux vous dites. Oui, velà ce que c'est, et pis tout ce qui viant, je le prends. Le biau brin de fille que vous êtes ! Stapendant, je me baillerai bian du tourment pour avoir Angélique, et il en pourra venir que je l'aurons, ou bian que je ne l'aurons pas, faut mettre les deux pour deviner juste. Aussi fais-je, je n'y mets pas le sens commun.  Oh ! Un coeur magnifique, un coeur tout d'or ; au surplus, comment vous portez-vous, Mademoiselle Lisette ? Oui, j'ons des manières fantasques, et ça vous étonne, n'est-ce pas ? Je m'en doute bian. Que vous êtes agriable ! Tout au contraire, c'est ma prudence qui vous contemple. Non, c'est moi qui le voix mieux que de coutume ; il est tout nouviau pour moi. Attendez donc. De m'acouter sans y voir goutte, et de dire à part vous : Ouais ! Faut qu'il y ait un secret à ça. Non, c'est fait exprès, c'est résolu. Ça est itou conclu. Faut que vous vous y perdiais. Je ne dis pas que je vous aime. Je ne vous dis pas que je ne vous aime point ; ni l'un ni l'autre, vous m'en êtes témoin ; j'ons donné ma parole, je marche droit en besogne, voyez-vous, il n'y a pas à rire à ça ; je ne dis rien, mais je pense, et je vais répétant que vous êtes agriable ! Oh ! soupçonnez, croyez, persuadez-vous, il n'y aura pas de mal, pourvu qu'il n'y ait pas de ma faute, et que ça vianne de vous toute seule sans que je vous aide. Et mêmement, à vous permis de m'aimer, par exemple, j'y consens encore ; si le coeur vous y porte, ne vous retenez pas, je vous lâche la bride là-dessus ; il n'y aura rian de pardu. Oh ! Dame, je sis bridé, mais ce n'est pas comme vous, je ne saurais parler pus clair ; voici venir Angélique, laissez-moi li toucher un petit mot d'affection, sans que ça empêche que vous soyez gentille. Il n'y a pas d'apparence, il veut auparavant vous marier dans l'opulence, à ce qu'il dit. La personne n'a pas encore de nom. Ce n'est pas moi, toujours. Stapendant j'ons mes prétentions itou, mais je ne me cache pas, je dis mon nom, je me montre, en publiant que je suis amoureux de vous, vous le savez bian. Me velà pour vous en aviser derechef, vous souciez-vous un peu de ça, Mademoiselle Angélique ? Guère ! C'est toujours queuque chose. Prenez-y garde, au moins, car je vais me douter, sans façon, que je vous plais. Ah ! Bon ça ; velà qui se comprend ; c'est pourtant fâcheux, voyez-vous, ça me chagraine ; mais n'importe, ne vous gênez pas, je reviendrai tantôt pour savoir si vous désirez que j'en parle à Madame Argante, ou s'il faudra que je m'en taise ; ruminez ça à part vous, et faites à votre guise, bonjour. Que vous êtes avenante ! Eh bien ! Fillette, à quoi en suis-je avec Angélique ? Eh mais ! Tant pire, ma grande fille. C'est que je ris de tout, mon poulet. Croyez-vous ? Eh mais ! Tant mieux. Il n'y a pas encore de réponse à ça. Velà une mauvaise pensée. Le micmac le requiert. Oui-da. Boutez-vous à la mienne. Oui, je suppose... Hé, hé, hé... Lorgnez-moi un peu, que je voie si ça est vrai. Hé, hé... Je le garde. La gentille enfant, queu dommage de laisser ça dans la peine ! Oui, mais je sis d'obligation aussi de revenir voir ce qui en est, pour me comporter à l'avenant. C'est pourtant douze mille francs qui vous fâchent. Je requiers la parmission d'interrompre, pour avoir la déclaration de voute darnière volonté, Mademoiselle, retenez-vous voute amoureux nouviau venu ? Me retenez-vous, moi ? Une fois, deux fois, me voulez-vous ? Oui, ma mie. Ah çà, Monsieur, je vous prends à témoin comme quoi je l'aime, comme quoi alle me repousse, que, si elle ne me prend pas, c'est sa faute, et que ce n'est pas sur moi qu'il en faut jeter l'endosse. Bonjour, poulet. Au demeurant, ça ne me surprend point ; Mademoiselle Angélique en refuse deux, alle en refuserait trois ; alle en refuserait un boissiau ; il n'y en a qu'un qu'alle envie, tout le reste est du fretin pour alle, hormis Monsieur Lucidor, que j'ons deviné drès le commencement. Li-même, n'ons-je pas vu que vous pleuriez quand il fut malade, tant vous aviez peur qu'il ne devînt mort ? Un autre galant ? Alle serait, morgué ! bian en peine de le montrer. Moi ! Ah ! Çà, Mademoiselle, ne badinons point ; ça n'a ni rime ni raison. Par votre foi, est-ce ma personne qui vous a pris le coeur ? Eh mais ! Jamais voute mère n'y consentira. Et pis, vous m'avez rebuté d'abord, j'ai compté là-dessus, moi, je me sis arrangé autrement. On n'a pas un coeur qui va et qui vient comme une girouette : faut être fille pour ça ; on se fie à des refus. Sans compter que je ne sis pas riche. Je dis qu'ous êtes toujours bian jolie, mais que ces vingt mille francs vous font grand tort. Oui, je n'en fais pas le fin. Si fait da : ça m'avait un peu quitté, mais je vous r'aime chèrement à cette heure. À cause de vous, et pour l'amour d'eux. Pargué ! À voute avis ? En veci bian d'un autre ! Mais acoutez donc le bon sens, si je ne prends pas les vingt mille francs, vous me pardrez, vous ne m'aurez point, voute mère ne voura point de moi. Est-ce votre dernier mot ? Ah ! Me velà biau garçon.  Point du tout ; il y a un autre vartigo qui la tiant ; elle a de l'aversion pour le magot de vingt mille francs, à cause de vous qui les délivrez : alle ne veut point de moi si je les prends, et je veux du magot avec alle. Noute premier marché tiant-il toujours ? Que le ciel vous conserve en joie ; je vous fiance donc fillette. Je ne pouvons nous quitter, il y a douze mille francs qui nous suivent. Que Mathuraine ait de l'humeur, Et qu'al me refuse son coeur, Qu'il vente, qu'il tonne ou qu'il pleuve, Que le froid gèle notre vin, Je n'en prenons point de chagrin, Je somme à toute épreuve.