**** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARAMINTE *date_1737 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_araminte Marton, quel est donc cet homme qui vient de me saluer si gracieusement, et qui passe sur la terrasse ? Est-ce à vous à qui il en veut ? Eh bien, qu'on le fasse venir ; pourquoi s'en va-t-il ? Ah ! C'est là lui ! Il a vraiment très bonne façon. Je n'ai pas de peine à le croire : il a tout l'air de le mériter. Mais, Marton, il a si bonne mine pour un intendant, que je me fais quelque scrupule de le prendre ; n'en dira-t-on rien ? Tu as raison. Dis-lui qu'il revienne. Il n'était pas nécessaire de me préparer à le recevoir : dès que c'est Monsieur Remy qui me le donne, c'en est assez ; je le prends. Cela est inutile. Il n'y aura point de dispute là-dessus. Dès que c'est un honnête homme, il aura lieu d'être content. Appelez-le. Oui, comme il voudra ; qu'il vienne. Venez, Monsieur ; je suis obligée à Monsieur Remy d'avoir songé à moi. Puisqu'il me donne son neveu, je ne doute pas que ce ne soit un présent qu'il me fasse. Un de mes amis me parla avant-hier d'un intendant qu'il doit m'envoyer aujourd'hui ; mais je m'en tiens à vous. Non, Monsieur ; c'est une affaire terminée, je renverrai tout. Vous êtes au fait des affaires apparemment ; vous y avez travaillé ? C'est-à-dire que vous êtes un homme de très bonne famille, et même au-dessus du parti que vous prenez ? Mes façons ne vous feront point changer de sentiment. Vous trouverez ici tous les égards que vous méritez ; et si, dans les suites, il y avait occasion de vous rendre service, je ne la manquerai point. Il est vrai que je suis toujours fâchée de voir d'honnêtes gens sans fortune, tandis qu'une infinité de gens de rien et sans mérite en ont une éclatante. C'est une chose qui me blesse, surtout dans les personnes de son âge ; car vous n'avez que trente ans tout au plus ? Ce qu'il y a de consolant pour vous, c'est que vous avez le temps de devenir heureux. On vous montrera l'appartement que je vous destine ; s'il ne vous convient pas, il y en a d'autres, et vous choisirez. Il faut aussi quelqu'un qui vous serve et c'est à quoi je vais pourvoir. Qui lui donnerons-nous, Marton ? Arlequin, vous êtes à présent à Monsieur ; vous le servirez ; je vous donne à lui. J'entends qu'au lieu de me servir, ce sera lui que tu serviras. Je ne te donne point ton congé, je te payerai pour être à Monsieur. Je désespère de lui faire entendre raison. Je vais les voir et je reviendrai. Monsieur, j'ai à vous parler d'une affaire ; ne vous éloignez pas.  Vous avez donc vu ma mère ? Elle me l'a dit, et voudrait bien que j'en eusse pris un autre que vous. Oui, mais ne vous embarrassez point, vous me convenez. Parlons de ce que j'ai à vous dire ; mais que ceci soit secret entre nous, je vous prie. Je n'hésite point non plus à vous donner ma confiance. Voici ce que c'est : on veut me marier avec Monsieur le comte Dorimont pour éviter un grand procès que nous aurions ensemble au sujet d'une terre que je possède. Eh ! D'où vient ? Que ma mère est frivole ! Votre fidélité ne me surprend point ; j'y comptais. Faites toujours de même, et ne vous choquez point de ce que ma mère vous a dit ; je la désapprouve : a-t-elle tenu quelque discours désagréable ? Et voilà pourquoi aussi je ne veux pas qu'on vous chagrine, et j'y mettrai bon ordre. Qu'est-ce que cela signifie ? Je me fâcherai, si cela continue. Comment donc ? Vous ne seriez pas en repos ! On aura de mauvais procédés avec vous, parce que vous en avez d'estimables ; cela serait plaisant ! Je loue vos sentiments. Revenons à ce procès dont il est question : si je n'épouse point Monsieur le Comte... Voilà qui est bien. De quoi s'agit-il ? Je n'ai point achevé ce que je voulais vous dire ; laissez-moi, je vous prie, un moment, et revenez.  Qu'est-ce que c'est donc que cet air étonné que tu as marqué, ce me semble, en voyant Dorante ? D'où vient cette attention à le regarder ? Quoi ! Seulement pour avoir vu Dorante ici ? Au neveu de Monsieur Remy, mon procureur. C'est Monsieur Remy qui me l'a envoyé pour intendant. Mais que signifient tes exclamations ? Explique-toi : est-ce que tu le connais ? Il est vrai ; et tu me surprends à mon tour. Serait-il capable de quelque mauvaise action, que tu saches ? Est-ce que ce n'est pas un honnête homme ? Eh ! De quoi peut-il donc être question ? D'où vient que tu m'alarmes ? En vérité, j'en suis toute émue. À la tête ? Dorante ! Il m'a paru de très bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie ? Oh bien ! Il fera ce qu'il voudra ; mais je ne le garderai pas : on a bien affaire d'un esprit renversé ; et peut-être encore, je gage, pour quelque objet qui n'en vaut pas la peine ; car les hommes ont des fantaisies... N'importe, je veux le congédier. Est-ce que tu la connais, cette personne ? Moi, dis-tu ? Il y a bien en effet quelque petite chose qui m'a paru extraordinaire. Eh ! Juste ciel ! Le pauvre garçon, de quoi s'avise-t-il ? Actuellement ? Cela est fâcheux ; mais où m'a-t-il vue, avant que de venir chez moi, Dubois ? Quelle aventure ! Tu m'étonnes à un point !... Est-il possible ? Y a-t-il rien de si particulier ? Je suis si lasse d'avoir des gens qui me trompent, que je me réjouissais de l'avoir, parce qu'il a de la probité ; ce n'est pas que je sois fâchée, car je suis bien au-dessus de cela. Vraiment, je le renverrais bien ; mais ce n'est pas là ce qui le guérira. D'ailleurs, je ne sais que dire à Monsieur Remy, qui me l'a recommandé, et ceci m'embarrasse. Je ne vois pas trop comment m'en défaire, honnêtement. Oh ! Tant pis pour lui. Je suis dans des circonstances où je ne saurais me passer d'un intendant ; et puis, il n'y a pas tant de risque que tu le crois : au contraire, s'il y avait quelque chose qui pût ramener cet homme, c'est l'habitude de me voir plus qu'il n'a fait, ce serait même un service à lui rendre. En es-tu bien sûr ? Voilà qui est bien digne de compassion ! Allons, je patienterai quelques jours, en attendant que j'en aie un autre ; au surplus, ne crains rien, je suis contente de toi ; je récompenserai ton zèle, et je ne veux pas que tu me quittes, entends-tu, Dubois. J'aurai soin de toi ; surtout qu'il ne sache pas que je suis instruite ; garde un profond secret ; et que tout le monde, jusqu'à Marton, ignore ce que tu m'as dit ; ce sont de ces choses qui ne doivent jamais percer. Le voici qui revient ; va-t'en.  La vérité est que voici une confidence dont je me serais bien passée moi-même. Oui, Monsieur ; de quoi vous parlais-je ? Je l'ai oublié. Je me remets ; je vous disais qu'on veut nous marier. Il est vrai. J'avais envie de vous charger d'examiner l'affaire, afin de savoir si je ne risquerais rien à plaider ; mais je crois devoir vous dispenser de ce travail ; je ne suis pas sûre de pouvoir vous garder. Oui ; mais je ne faisais pas réflexion que j'ai promis à Monsieur le Comte de prendre un intendant de sa main ; vous voyez bien qu'il ne serait pas honnête de lui manquer de parole ; et du moins faut-il que je parle à celui qu'il m'amènera. Je ne dis pas cela ; il n'y a rien de résolu là-dessus. Eh ! Mais, oui, je tâcherai que vous restiez ; je tâcherai. Attendons ; si j'allais épouser le Comte, vous auriez pris une peine inutile. Pas encore. Je n'ai pas le courage de l'affliger !... Eh bien, oui-da ; examinez toujours, examinez. J'ai des papiers dans mon cabinet, je vais les chercher. Vous viendrez les prendre, et je vous les donnerai. Je n'oserais presque le regarder. Je l'affligerai beaucoup, et j'ai de la peine à m'y résoudre. Mais avez-vous bien examiné ? Vous me disiez tantôt que mon état était doux et tranquille ; n'aimeriez-vous pas mieux que j'y restasse ? N'êtes-vous pas un peu trop prévenu contre le mariage, et par conséquent contre Monsieur le Comte ? Je ne saurais y trouver à redire. En tout cas, si je l'épouse, et qu'il veuille en mettre un autre ici à votre place, vous n'y perdrez point ; je vous promets de vous en trouver une meilleure. Je crois pourtant que je plaiderai : nous verrons. Non, envoyez plutôt votre homme au château, et laissez-moi Dubois : c'est un garçon de confiance, qui me sert bien et que je veux garder. À propos, il m'a dit, ce me semble, qu'il avait été à vous quelque temps ? Celui-ci dit beaucoup de bien de vous, et voilà tout. Que me veut Monsieur Remy ?   Je n'ai pas hésité, comme vous l'avez vu. Oui, Monsieur. Mais, Monsieur Remy, ceci est un peu vif ; vous prenez assez mal votre temps, et j'ai refusé l'autre personne. C'est à lui à répondre. Ne le querellez point. Il paraît avoir tort ; j'en conviens. Dans sa façon de penser je l'excuse. Voyez pourtant, Dorante, tâchez de vaincre votre penchant, si vous le pouvez. Je sais bien que cela est difficile. Je vous laisse, parlez-lui vous-même. Il me touche tant, qu'il faut que je m'en aille. Marton, qu'est-ce que c'est qu'un portrait dont Monsieur le Comte me parle, qu'on vient d'apporter ici à quelqu'un qu'on ne nomme pas, et qu'on soupçonne être le mien ? Instruisez-moi de cette histoire-là. Eh bien ! Si vous êtes instruite, dites-nous donc de quoi il est question ; car je veux le savoir. On a des idées qui ne me plaisent point. Parlez. Comme il vous plaira, Monsieur ; mais j'ai entendu ce que vous vouliez dire, et je crains un peu ce caractère d'esprit-là. Eh bien, Marton ? Et qui est-ce qui a fait cette dépense-là pour vous ? Mon intendant ? Eh ! Vous nous trompez ; depuis qu'il est ici, a-t-il eu le temps de vous faire peindre ? Donnez donc. Et moi, je vois clair. Par quel hasard avez-vous cru que c'était vous ? Ah ! Ce n'est pas là une chose bien difficile à deviner. Vous faites le fâché, l'étonné, Monsieur le Comte ; il y a eu quelque malentendu dans les mesures que vous avez prises ; mais vous ne m'abusez point ; c'est à vous qu'on apportait le portrait. Un homme dont on ne sait pas le nom, qu'on vient chercher ici, c'est vous, Monsieur, c'est vous. Bon ! Qu'est-ce qu'une circonstance de plus ou de moins ? Je n'en rabats rien. Quoi qu'il en soit, je le garde, personne ne l'aura. Mais quel bruit entendons-nous ? Voyez ce que c'est, Marton.  Quel sujet avez-vous donc de quereller ? De quoi s'agit-il ? Tais-toi, laisse-le parler. Eh ! Que m'importe ? Il était bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux tableau qu'on a mis là par hasard, et qui y est resté. Laissez-nous. Cela vaut-il la peine qu'on en parle ? Oh ! Vous avez raison. Je ne pense pas qu'il les regrette. Retirez-vous tous deux.  Oui, la réflexion est juste. Effectivement, il est fort extraordinaire qu'il ait jeté les yeux sur ce tableau. Qu'est-ce donc que vous voyez, et que je ne vois point ? Je manque de pénétration : j'avoue que je m'y perds ! Je ne vois pas le sujet de me défaire d'un homme qui m'est donné de bonne main, qui est un homme de quelque chose, qui me sert bien, et que trop bien peut-être ; voilà ce qui n'échappe pas à ma pénétration, par exemple. Pas tant ; chacun a ses lumières. Je consens, au reste, d'écouter Dubois, le conseil est bon, et je l'approuve. Allez, Marton, allez lui dire que je veux lui parler. S'il me donne des motifs raisonnables de renvoyer cet intendant assez hardi pour regarder un tableau, il ne restera pas longtemps chez moi ; sans quoi, on aura la bonté de trouver bon que je le garde, en attendant qu'il me déplaise à moi. Viens ici : tu es bien imprudent, Dubois, bien indiscret ; moi qui ai si bonne opinion de toi, tu n'as guère d'attention pour ce que je te dis. Je t'avais recommandé de te taire sur le chapitre de Dorante ; tu en sais les conséquences ridicules, et tu me l'avais promis : pour quoi donc avoir prise, sur ce misérable tableau, avec un sot qui fait un vacarme épouvantable, et qui vient ici tenir des discours tous propres à donner des idées que je serais au désespoir qu'on eût ? Eh ! Laisse là ton zèle, ce n'est pas là celui que je veux, ni celui qu'il me faut ; c'est de ton silence dont j'ai besoin pour me tirer de l'embarras où je suis, et où tu m'as jetée toi-même ; car sans toi je ne saurais pas que cet homme-là m'aime, et je n'aurais que faire d'y regarder de si près. Passe encore pour la dispute ; mais pourquoi s'écrier : si je disais un mot ? Y a-t-il rien de plus mal à toi ? Eh bien ! Tais-toi donc, tais-toi ; je voudrais pouvoir te faire oublier ce que tu m'as dit. C'est ton étourderie qui me force actuellement de te parler, sous prétexte de t'interroger sur ce que tu sais de lui. Ma mère et Monsieur le Comte s'attendent que tu vas m'en apprendre des choses étonnantes ; quel rapport leur ferai-je à présent ? À la bonne heure ; mais il y aura un inconvénient. S'il en est incapable, on me dira de le renvoyer, et il n'est pas encore temps ; j'y ai pensé depuis ; la prudence ne le veut pas, et je suis obligée de prendre des biais, et d'aller tout doucement avec cette passion si excessive que tu dis qu'il a, et qui éclaterait peut-être dans sa douleur. Me fierais-je à un désespéré ? Ce n'est plus le besoin que j'ai de lui qui me retient, c'est moi que je ménage. À moins que ce qu'a dit Marton ne soit vrai, auquel cas je n'aurais plus rien à craindre. Elle prétend qu'il l'avait déjà vue chez Monsieur Remy, et que le procureur a dit même devant lui qu'il l'aimait depuis longtemps, et qu'il fallait qu'ils se mariassent ; je le voudrais. Il t'a donc tout conté ? Eh ! Tant pis ; ne le tourmente point ; tu vois bien que j'ai raison de dire qu'il faut aller doucement avec cet esprit-là, tu le vois bien. J'augurais beaucoup de ce mariage avec Marton ; je croyais qu'il m'oublierait, et point du tout, il n'est question de rien. Attends : comment faire ? Si lorsqu'il me parle il me mettait en droit de me plaindre de lui ; mais il ne lui échappe rien ; je ne sais de son amour que ce que tu m'en dis ; et je ne suis pas assez fondée pour le renvoyer ; il est vrai qu'il me fâcherait s'il parlait ; mais il serait à propos qu'il me fâchât. Vraiment non, voilà les usages ; je ne sais pas comment je le traiterai ; je n'en sais rien, je verrai. Eh ! Non, je ne saurais l'en accuser ; c'est le Comte qui l'a fait faire. Va-t'en ; il y a longtemps que je te parle. Si on me demande ce que tu m'as appris de lui, je dirai ce dont nous sommes convenus. Le voici, j'ai envie de lui tendre un piège. Laisse-nous. Tranquillisez-vous ; vous ne dépendez point de ceux qui vous en veulent ; ils ne vous ont encore fait aucun tort dans mon esprit, et tous leurs petits complots n'aboutiront à rien ; je suis la maîtresse. Il ne vous manquera pas ; mais je vous conseille une chose : ne leur paraissez pas si alarmé, vous leur feriez douter de votre capacité, et il leur semblerait que vous m'auriez beaucoup d'obligation de ce que je vous garde. À la bonne heure ; mais il n'est pas nécessaire qu'ils le croient. Je vous sais bon gré de votre attachement et de votre fidélité ; mais dissimulez-en une partie, c'est peut-être ce qui les indispose contre vous. Vous leur avez refusé de m'en faire accroire sur le chapitre du procès ; conformez-vous à ce qu'ils exigent ; regagnez-les par là, je vous le permets : l'événement leur persuadera que vous les avez bien servis ; car toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte. Oui, tout à fait résolue. Le Comte croira que vous y avez contribué ; je le lui dirai même, et je vous garantis que vous resterez ici ; je vous le promets. Il change de couleur. Il n'y en aura aucune, ne vous embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous dicter ; il y a tout ce qu'il faut sur cette table. Pour le Comte, qui est sorti d'ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement par le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom. Eh ! Vous n'allez pas à la table ? À quoi rêvez-vous ? Il ne sait ce qu'il fait ; voyons si cela continuera. Êtes-vous prêt à écrire ? Vous n'en trouvez point ! En voilà devant vous. Écrivez. Hâtez-vous de venir, Monsieur ; votre mariage est sûr... Avez-vous écrit ? Vous ne m'écoutez donc pas ? Votre mariage est sûr ; Madame veut que je vous l'écrive, et vous attend pour vous le dire. Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu'il ne parlera pas ? N'attribuez point cette résolution à la crainte que Madame pourrait avoir des suites d'un procès douteux. N'importe, achevez. Non, Monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu'elle rend à votre mérite la détermine. Achevez, vous dis-je... Qu'elle rend à votre mérite la détermine... Je crois que la main vous tremble ! Vous paraissez changé. Qu'est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ? Quoi ! Si subitement ! Cela est singulier. Pliez la lettre et mettez : À Monsieur le comte Dorimont. Vous direz à Dubois qu'il la lui porte. Le coeur me bat ! Voilà qui est écrit tout de travers ! Cette adresse-là n'est presque pas lisible. Il n'y a pas encore là de quoi le convaincre. Cette folle ! Je suis charmée de ce qu'elle vient de m'apprendre. Vous avez fait là un très bon choix : c'est une fille aimable et d'un excellent caractère. Vous ne songez point à elle ! Elle dit que vous l'aimez, que vous l'aviez vue avant de venir ici. Vous avez tort. Il fallait désabuser Marton. Mais dans la situation où vous êtes, quel intérêt aviez-vous d'entrer dans ma maison, et de la préférer à une autre ? Il y a quelque chose d'incompréhensible en tout ceci ! Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ? Il a des expressions d'une tendresse ! Est-elle fille ? A-t-elle été mariée ? Et ne devez-vous pas l'épouser ? Elle vous aime, sans doute ? Je ne vous interroge que par étonnement. Elle ignore que vous l'aimez, dites-vous, et vous lui sacrifiez votre fortune ? Voilà de l'incroyable. Comment, avec tant d'amour, avez-vous pu vous taire ? On essaie de se faire aimer, ce me semble : cela est naturel et pardonnable. Je n'imagine point de femme qui mérite d'inspirer une passion si étonnante : je n'en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison ? Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l'aimez ? Cela est bien bizarre. Que prétendez-vous ? Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ? Son portrait ! Est-ce que vous l'avez fait faire ? Il faut le pousser à bout. Montrez-moi ce portrait. Il m'en est tombé un par hasard entre les mains : on l'a trouvé ici. Voyez si ce ne serait point celui dont il s'agit. Il est vrai que la chose serait assez extraordinaire : examinez. Dorante, je ne me fâcherai point. Votre égarement me fait pitié. Revenez-en, je vous le pardonne. Ah ciel ! C'est Marton ! Elle vous a vu. Elle vous a vu, vous dis-je : laissez-moi, allez-vous-en : vous m'êtes insupportable. Rendez-moi ma lettre. Voilà pourtant ce que c'est que de l'avoir gardé ! Non, il ne m'a rien dit. Je n'ai rien vu d'approchant à ce que tu m'as conté ; et qu'il n'en soit plus question : ne t'en mêle plus. Qu'y a-t-il donc ? On dirait que vous vous querellez. Non, que je sache. Lui ? Non vraiment. Je ne le connais que pour un homme très estimable. On se jette là dans de grands excès. Je n'y ai point de part, Monsieur. Je suis bien éloignée de vous traiter si mal. À l'égard de Dorante, la meilleure justification qu'il y ait pour lui, c'est que je le garde. Mais je venais pour savoir une chose, Monsieur le Comte. Il y a là-bas, m'a-t-on dit, un homme d'affaires que vous avez amené pour moi. On se trompe apparemment. Il restera, je vous assure. Mais en effet, pourquoi faut-il que mon intendant me haïsse ? L'objet secret de sa tendresse ! Oh ! Oui, très secret, je pense. Ah ! Ah ! Je ne me croyais pas si dangereuse à voir. Mais dès que vous devinez de pareils secrets, que ne devinez-vous que tous mes gens sont comme lui ? Peut-être qu'ils m'aiment aussi : que sait-on ? Monsieur Remy, vous qui me voyez assez souvent, j'ai envie de deviner que vous m'aimez aussi. En vérité, ma mère, vous seriez la première à vous moquer de moi, si ce que vous dites me faisait la moindre impression ; ce serait une enfance à moi que de le renvoyer sur un pareil soupçon. Est-ce qu'on ne peut me voir sans m'aimer ? Je n'y saurais que faire : il faut bien m'y accoutumer et prendre mon parti là-dessus. Vous lui trouvez l'air galant, dites-vous ? Je n'y avais pas pris garde, et je ne lui en ferai point un reproche. Il y aurait de la bizarrerie à se fâcher de ce qu'il est bien fait. Je suis d'ailleurs comme tout le monde : j'aime assez les gens de bonne mine. Voilà des emportements qui m'appartiennent. Quelle est cette conjoncture, Monsieur, et le motif de votre inquiétude ? Ce quelqu'un-là est fort mal conseillé. Désabusez-vous : ce n'est point moi qui l'ai fait venir. Marton vous a tenu un fort sot discours. Allez, Dorante, tenez-vous en repos ; fussiez-vous l'homme du monde qui me convînt le moins, vous resteriez : dans cette occasion-ci, c'est à moi-même que je dois cela ; je me sens offensée du procédé qu'on a avec moi, et je vais faire dire à cet homme d'affaires qu'il se retire ; que ceux qui l'ont amené sas me consulter le remmènent, et qu'il n'en soit plus parlé. Comment ! Quoi ! Cette lettre n'est pas d'une écriture contrefaite ? Vous ne la niez point ? Retirez-vous. N'entendrai-je parler que d'intendant ! Allez-vous-en, vous prenez mal votre temps pour me faire des questions. Et moi, je n'en veux point. Vous êtes le maître d'interpréter, Monsieur ; mais je n'en veux point. Tout ; on s'y est mal pris ; il y a dans tout ceci des façons si désagréables, des moyens si offensants, que tout m'en choque. Mais qu'on aille donc voir : quelqu'un l'a-t-il suivi ? Que ne le secouriez-vous ? Faut-il le tuer, cet homme ? Ne vous embarrassez pas, ce sont mes affaires. Quoi ! C'est à vous que j'ai l'obligation de la scène qui vient de se passer ? Méchant valet ! Ne vous présentez plus devant moi. Allez, malheureux ! Il fallait m'obéir ; je vous avais dit de ne plus vous en mêler ; vous m'avez jetée dans tous les désagréments que je voulais éviter. C'est vous qui avez répandu tous les soupçons qu'on a eus sur son compte, et ce n'est pas par attachement pour moi que vous m'avez appris qu'il m'aimait ; ce n'est que par le plaisir de faire du mal. Il m'importait peu d'en être instruite, c'est un amour que je n'aurais jamais su, et je le trouve bien malheureux d'avoir eu affaire à vous, lui qui a été votre maître, qui vous affectionnait, qui vous a bien traité, qui vient, tout récemment encore, de vous prier à genoux de lui garder le secret. Vous l'assassinez, vous me trahissez moi-même. Il faut que vous soyez capable de tout, que je ne vous voie jamais, et point de réplique. Je vous le donne. Comme vous voudrez. Oh ! Point d'explication, s'il vous plaît. Est-ce que vous êtes fâchée de vous en aller ? Eh bien, restez, Mademoiselle, restez : j'y consens ; mais finissons. Mais que voulez-vous que je vous confie ? Inventerai-je des secrets pour vous les dire ? Elle est dans votre imagination. Vous me demandez votre congé, je vous le donne. Hélas ! À la bonne heure. Tu l'aimais donc, Marton ? Ah ! Je te la rends tout entière. Non, Marton, tu ne l'es pas encore. Tu pleures et tu m'attendris. Va, je prétends bien te faire oublier tous tes chagrins. Je pense que voici Arlequin.  Que veux-tu ? Dis donc. Il peut venir. Approchez, Dorante. Ah ! Je n'ai guère plus d'assurance que lui. Pourquoi vouloir me rendre compte de mes papiers ? Je m'en fie bien à vous. Ce n'est pas là-dessus que j'aurai à me plaindre. Ah ! Que je crains la fin de tout ceci ! Un de mes fermiers !... Cela se peut bien. Je n'en doute pas. Ah ! De l'argent... nous verrons. Oui... Je le recevrai... Vous me le donnerez. Je ne sais ce que je lui réponds. Demain, dites-vous ! Comment vous garder jusque-là, après ce qui est arrivé ? Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et l'on croirait que je n'en suis pas fâchée. Ah ! Allez, Dorante, chacun a ses chagrins. À quoi vous sert de l'avoir ? Vous savez peindre. Mais vous n'êtes pas raisonnable. Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ? Et voilà pourtant ce qui m'arrive. Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie : levez-vous, Dorante. Comment ! Que voulez-vous dire ? Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais sans doute ; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon coeur n'est point blâmable : il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi. Voici le Comte avec ma mère, ne dites mot, et laissez-moi parler. Oui, ma mère. Monsieur le Comte, il était question de mariage entre vous et moi, et il n'y faut plus penser : vous méritez qu'on vous aime ; mon coeur n'est point en état de vous rendre justice, et je ne suis pas d'un rang qui vous convienne. Je n'ai rien à ajouter. Vous êtes bien généreux ; envoyez-moi quelqu'un qui en décide, et ce sera assez. Laissons passer sa colère, et finissons. **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_DORANTE *date_1737 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Je vous suis obligé. Je vous remercie ; ce n'est pas la peine, ne vous détournez point. Non, vous dis-je, je serai bien aise d'être un moment seul. Ah ! Te voilà ? J'ai cru que je ne pourrais me débarrasser d'un domestique qui m'a introduit ici et qui voulait absolument me désennuyer en restant. Dis-moi, Monsieur Remy n'est donc pas encore venu ? Je ne vois personne. Pas le moindre mot. Il me présente de la meilleure foi du monde, en qualité d'intendant, à cette dame-ci dont je lui ai parlé, et dont il se trouve le procureur ; il ne sait point du tout que c'est toi qui m'as adressé à lui : il la prévint hier ; il m'a dit que je me rendisse ce matin ici, qu'il me présenterait à elle, qu'il y serait avant moi, ou que s'il n'y était pas encore, je demandasse une Mademoiselle Marton. Voilà tout, et je n'aurais garde de lui confier notre projet, non plus qu'à personne, il me paraît extravagant, à moi qui m'y prête. Je n'en suis pourtant pas moins sensible à ta bonne volonté, Dubois ; tu m'as servi, je n'ai pu te garder, je n'ai pu même te bien récompenser de ton zèle ; malgré cela, il t'est venu dans l'esprit de faire ma fortune ! En vérité, il n'est point de reconnaissance que je ne te doive. Quand pourrai-je reconnaître tes sentiments pour moi ? Ma fortune serait la tienne ; mais je n'attends rien de notre entreprise, que la honte d'être renvoyé demain. Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu'il y a de mieux, veuve d'un mari qui avait une grande charge dans les finances, et tu crois qu'elle fera quelque attention à moi, que je l'épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n'ai point de bien ? Quelle chimère ! Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois. Et tu me dis qu'elle est extrêmement raisonnable ? Je l'aime avec passion, et c'est ce qui fait que je tremble ! Non, monsieur, pourquoi me le demandez-vous ? Je le crois. Eh !... Mais je ne pensais pas à elle. Vous avez raison, Monsieur, et c'est aussi à quoi je vais travailler. Il n'y a rien là de difficile à croire. Vous importunez Mademoiselle, Monsieur. Autant l'un que l'autre, Mademoiselle. Volontiers, Mademoiselle. J'espère, Madame, que mon zèle justifiera la préférence dont vous m'honorez, et que je vous supplie de me conserver. Rien ne m'affligerait tant à présent que de la perdre. Oui, Madame ; mon père était avocat, et je pourrais l'être moi-même. Je ne sens rien qui m'humilie dans le parti que je prends, Madame ; l'honneur de servir une dame comme vous n'est au-dessous de qui que ce soit, et je n'envierai la condition de personne. Pas tout à fait encore, Madame. Je commence à l'être aujourd'hui, Madame. Arlequin a raison. Tiens, voilà d'avance ce que je te donne. Va boire à ma santé. Oui, Madame. De chez moi, Madame : je n'ai encore été chez personne. Peut-on savoir ces intentions, Madame ? Les paroles sont-elles données de part et d'autre ? Peut-être n'en sera-t-elle pas plus heureuse, si elle en sort. De quoi est-il question, Madame ? Si effectivement son droit est le plus faible, je ne manquerai pas de l'en avertir, Madame. Mais, Madame, il n'y aurait point de probité à la tromper. Il y aura toujours de la mauvaise foi de ma part. Cette mère-là ne ressemble guère à sa fille. Eh ! Vous m'excuserez : ce sera toujours l'engager à prendre un parti qu'elle ne prendrait peut-être pas sans cela. Puisque l'on veut que j'aide à l'y déterminer, elle y résiste donc ? Croyez-moi, disons la vérité. Tenez, Mademoiselle Marton, vous êtes la plus aimable fille du monde ; mais ce n'est que faute de réflexion que ces mille écus vous tentent. Mais vous aimez votre maîtresse : et si elle n'était pas heureuse avec cet homme-là, ne vous reprocheriez-vous pas d'y avoir contribué pour une si misérable somme ? Je ne suis plus si fâché de la tromper. Oui, Madame, il n'y a qu'un moment. Il me l'a paru. Je n'ai point d'autre ambition. Je me trahirais plutôt moi-même. Je le sais, Madame, et j'ai le malheur d'avoir déplu tout à l'heure là-dessus à Madame Argante. C'est que si, dans votre procès, vous avez le bon droit de votre côté, on souhaite que je vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite à ce mariage ; et j'ai prié qu'on m'en dispensât. Il n'importe, Madame, mon zèle et mon attachement en augmentent : voilà tout. Madame, par toute la reconnaissance que je vous dois, n'y prenez point garde : je suis confus de vos bontés, et je suis trop heureux d'avoir été querellé. Madame, je me rends à vos ordres. D'un procès avec Monsieur le comte Dorimont. Oui, Madame, et vous alliez, je crois, ajouter que vous n'étiez pas portée à ce mariage. Ah ! Madame, vous avez eu la bonté de me rassurer là-dessus. Je ne suis pas heureux ; rien ne me réussit, et j'aurai la douleur d'être renvoyé. Ne me laissez point dans l'incertitude où je suis, Madame. Vous m'ordonnez donc de vous rendre compte de l'affaire en question ? Je croyais avoir entendu dire à Madame qu'elle n'avait point de penchant pour lui. Et d'ailleurs, votre situation est si tranquille et si douce. Qu'elle est aimable ! Je suis enchanté ! De quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as dit ? Sincèrement ? Reste, au contraire ; je crois que voici Marton. Dis-lui que Madame m'attend pour me remettre des papiers, et que j'irai la trouver dès que je les aurai. Non, Madame, vous ne risquez rien ; vous pouvez plaider en toute sûreté. J'ai même consulté plusieurs personnes, l'affaire est excellente ; et si vous n'avez que le motif dont vous parlez pour épouser Monsieur le Comte, rien ne vous oblige à ce mariage. Il ne serait pas juste de vous sacrifier à la crainte de l'affliger. Madame, j'aime mieux vos intérêts que les siens, et que ceux de qui que ce soit au monde. Non, Madame, si j'ai le malheur de perdre celle-ci, je ne serai plus à personne ; et apparemment que je la perdrai ; je m'y attends. J'avais encore une petite chose à vous dire, Madame. Je viens d'apprendre que le concierge d'une de vos terres est mort : on pourrait y mettre un de vos gens ; et j'ai songé à Dubois, que je remplacerai ici par un domestique dont je réponds. Il est vrai, Madame ; il est fidèle, mais peu exact. Rarement, au reste, ces gens-là parlent-ils bien de ceux qu'ils ont servis. Ne me nuirait-il point dans votre esprit ? Et d'où vient, Monsieur ? Pour moi, je ne sortirai jamais de chez Madame, qu'elle ne me congédie. Non, Monsieur, je ne suis pas dans cette disposition-là. Oui, Monsieur ; mais en eût-elle vingt fois davantage, je ne l'épouserais pas ; nous ne serions heureux ni l'un ni l'autre : j'ai le coeur pris ; j'aime ailleurs. Je ne saurais changer de sentiment ; Monsieur. Il n'y a pas moyen, Madame, mon amour m'est plus cher que ma vie. Il ne croit pas si bien me servir.  Oh ! Non, Mademoiselle, aucune ; vous n'avez point de gré à me savoir de ce que je fais ; je me livre à mes sentiments, et ne regarde que moi là-dedans. Vous ne me devez rien ; je ne pense pas à votre reconnaissance. Je l'espère. Quelqu'un vient. Je vous laisse donc ; il pourrait me parler de son procès : vous savez ce que je vous ai dit là-dessus, et il est inutile que je le voie. Mademoiselle, n'avez-vous pas vu ici quelqu'un qui vient d'arriver ? Arlequin croit que c'est moi qu'il demande. J'ignore... Tout a réussi, elle prend le change à merveille !  Je viens, Madame, vous demander votre protection. Je suis dans le chagrin et dans l'inquiétude : j'ai tout quitté pour avoir l'honneur d'être à vous, je vous suis plus attaché que je ne puis le dire ; on ne saurait vous servir avec plus de fidélité ni de désintéressement ; et cependant je ne suis pas sûr de rester. Tout le monde ici m'en veut, me persécute et conspire pour me faire sortir. J'en suis consterné ; je tremble que vous ne cédiez à leur inimitié pour moi, et j'en serais dans la dernière affliction. Je n'ai que votre appui, Madame. Ils ne se tromperaient pas, Madame ; c'est une bonté qui me pénètre de reconnaissance. Déterminée, Madame ! Quelle différence pour moi, Madame ! Et pour qui, Madame ? Oui, Madame. Ah ! Dubois m'a trompé ! Madame, je ne trouve point de papier. Il est vrai. Comment, Madame ? Je vous ai assuré que vous le gagneriez, Madame : douteux, il ne l'est point. Ciel ! Je suis perdu. Mais, Madame, vous n'aviez aucune inclination pour lui. Je ne me trouve pas bien, Madame. Ne serait-ce point aussi pour m'éprouver ? Dubois ne m'a averti de rien. Hélas ! Madame, je ne songe point à elle. C'est une erreur où Monsieur Remy l'a jetée sans me consulter ; et je n'ai point osé dire le contraire, dans la crainte de m'en faire une ennemie auprès de vous. Il en est de même de ce riche parti qu'elle croit que je refuse à cause d'elle ; et je n'ai nulle part à tout cela. Je suis hors d'état de donner mon coeur à personne : je l'ai perdu pour jamais, et la plus brillante de toutes les fortunes ne me tenterait pas. Elle vous aurait peut-être empêchée de me recevoir, et mon indifférence lui en dit assez. Je trouve plus de douceur à être chez vous, Madame. Pas souvent à mon gré, Madame ; et je la verrais à tout instant, que je ne croirais pas la voir assez. Madame, elle est veuve. Hélas ! Madame, elle ne sait pas seulement que je l'adore. Excusez l'emportement du terme dont je me sers. Je ne saurais presque parler d'elle qu'avec transport ! Me préserve le ciel d'oser concevoir la plus légère espérance ! Être aimé, moi ! Non, Madame. Son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence ; et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire. Dispensez-moi de la louer, Madame : je m'égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu'elle ! Et jamais elle ne me parle ou ne me regarde, que mon amour n'en augmente. Le plaisir de la voir quelquefois, et d'être avec elle, est tout ce que je me propose. Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point. Non, Madame ; mais j'ai, par amusement, appris à peindre, et je l'ai peinte moi-même. Je me serais privé de son portrait, si je n'avais pu l'avoir que par le secours d'un autre. Daignez m'en dispenser, Madame ; quoique mon amour soit sans espérance, je n'en dois pas moins un secret inviolable à l'objet aimé. Cela ne se peut pas. Ah ! Madame, songez que j'aurais perdu mille fois la vie, avant d'avouer ce que le hasard vous découvre. Comment pourrai-je expier ?... Non, Madame, non : je ne crois pas. Elle n'est point entrée. Ah ! Dubois. Je ne sais qu'augurer de la conversation que je viens d'avoir avec elle. Il faut que tu m'éclaircisses... D'un doute... Mais... Je crains plus que jamais.  Oui, la voilà, et j'ai mis dessus : rue du Figuier. Il m'a dit que non. Sans doute, et je lui recommanderai encore. Je t'avoue que j'hésite un peu. N'allons-nous pas trop vite avec Araminte ? Dans l'agitation des mouvements où elle est, veux-tu encore lui donner l'embarras de voir subitement éclater l'aventure ? Que j'ai souffert dans ce dernier entretien ! Puisque tu savais qu'elle voulait me faire déclarer, que ne m'en avertissais-tu par quelques signes ? Sais-tu bien ce qui arrivera ? Qu'elle prendra son parti, et qu'elle me renverra tout d'un coup. Prends-y garde : tu vois que sa mère la fatigue. Elle est confuse de ce que Marton m'a surpris à ses genoux. Araminte pourtant m'a dit que je lui étais insupportable. Songe que je l'aime, et que, si notre précipitation réussit mal, tu me désespères. Je vous demande pardon, Madame, si je vous interromps. J'ai lieu de présumer que mes services ne vous sont plus agréables, et dans la conjoncture présente, il est naturel que je sache mon sort. Vous le savez, Madame. Il y a quelqu'un ici que vous avez envoyé chercher pour occuper ma place. Tout a contribué à me tromper, d'autant plus que Mademoiselle Marton vient de m'assurer que dans une heure je ne serais plus ici. Madame... Je n'ose presque paraître devant vous. Madame... J'ai autre chose à dire... Je suis si interdit, si tremblant que je ne saurais parler. Un de vos fermiers est venu tantôt, Madame. Oui, Madame... il est venu. Et j'ai de l'argent à vous remettre. Quand il vous plaira, Madame, de le recevoir. Ne serait-il pas temps de vous l'apporter ce soir ou demain, Madame ? De tout le temps de ma vie que je vais passer loin de vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux. Hélas ! Madame, que je vais être à plaindre ! J'ai tout perdu ! J'avais un portrait, et je ne l'ai plus. Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager. D'ailleurs, celui-ci m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame. Ah ! Madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée. N'ajoutez rien à ma douleur. Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! Qui pourrait se l'imaginer ? Je me meurs ! Je ne la mérite pas. Cette joie me transporte. Je ne la mérite pas, Madame. Vous allez me l'ôter, mais n'importe, il faut que vous soyez instruite. Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui par le charme de l'espérance, du plaisir de vous voir, m'a pour ainsi dire forcé de consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise ; j'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore. Quoi ! La charmante Araminte daigne me justifier ! **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MONSIEURREMY *date_1737 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurremy Bonjour, mon neveu ; je suis bien aise de vous voir exact. Mademoiselle Marton va venir, on est allé l'avertir. La connaissez-vous ? C'est qu'en venant ici, j'ai rêvé à une chose... Elle est jolie, au moins. Et de fort bonne famille : c'est moi qui ai succédé à son père ; il était fort ami du vôtre ; homme un peu dérangé ; sa fille est restée sans bien ; la dame d'ici a voulu l'avoir ; elle l'aime, la traite bien moins en suivante qu'en amie, lui a fait beaucoup de bien, lui en fera encore, et a offert même de la marier. Marton a d'ailleurs une vieille parente asthmatique dont elle hérite, et qui est à son aise ; vous allez être tous deux dans la même maison ; je suis d'avis que vous l'épousiez : qu'en dites-vous ? Eh bien, je vous avertis d'y penser ; tâchez de lui plaire. Vous n'avez rien, mon neveu, je dis rien qu'un peu d'espérance. Vous êtes mon héritier ; mais je me porte bien, et je ferai durer cela le plus longtemps que je pourrai, sans compter que je puis me marier : je n'en ai point d'envie ; mais cette envie-là vient tout d'un coup : il y a tant de minois qui vous la donnent ; avec une femme on a des enfants, c'est la coutume ; auquel cas, serviteur au collatéral. Ainsi, mon neveu, prenez toujours vos petites précautions, et vous mettez en état de vous passer de mon bien, que je vous destine aujourd'hui, et que je vous ôterai demain peut-être. Je vous y exhorte. Voici Mademoiselle Marton : éloignez-vous de deux pas pour me donner le temps de lui demander comment elle vous trouve.  Il n'y a pas grand mal, Mademoiselle, j'arrive. Que pensez-vous de ce grand garçon-là ? C'est qu'il est mon neveu. Tout de bon ? C'est de lui dont j'ai parlé à Madame pour intendant, et je suis charmé qu'il vous revienne : il vous a déjà vue plus d'une fois chez moi quand vous y êtes venue ; vous en souvenez-vous ? On ne prend pas garde à tout. Savez-vous ce qu'il me dit la première fois qu'il vous vit ? Quelle est cette jolie fille-là ? Approchez, mon neveu. Mademoiselle, votre père et le sien s'aimaient beaucoup ; pourquoi les enfants ne s'aimeraient-ils pas ? En voilà un qui ne demande pas mieux ; c'est un coeur qui se présente bien. Voyez comme il vous regarde ; vous ne feriez pas là une si mauvaise emplette. Bon, bon ! Il faudra ! Je ne m'en irai point que cela ne soit vu. Ah ! Je suis content, vous voilà d'accord. Oh ! ça, mes enfants, je vous fiance, en attendant mieux. Je ne saurais rester ; je reviendrai tantôt. Je vous laisse le soin de présenter votre futur à Madame. Adieu, ma nièce. Madame, je suis votre très humble serviteur. Je viens vous remercier de la bonté que vous avez eue de prendre mon neveu à ma recommandation. Je vous rends mille grâces. Ne m'aviez-vous pas dit qu'on vous en offrait un autre ? Tant mieux ; car je viens vous demander celui-ci pour une affaire d'importance. Patience ! Vous ne savez ce que vous dites. Il faut pourtant sortir ; vous allez voir. Tenez, Madame, jugez-en vous-même ; voici de quoi il est question : c'est une dame de trente-cinq ans, qu'on dit jolie femme, estimable, et de quelque distinction ; qui ne déclare pas son nom ; qui dit que j'ai été son procureur ; qui a quinze mille livres de rente pour le moins, ce qu'elle prouvera ; qui a vu Monsieur chez moi, qui lui a parlé, qui sait qu'il n'a pas de bien, et qui offre de l'épouser sans délai. Et la personne qui est venue chez moi de sa part doit revenir tantôt pour savoir la réponse, et vous mener tout de suite chez elle. Cela est-il net ? Y a-t-il à consulter là-dessus ? Dans deux heures il faut être au logis. Ai-je tort, Madame ? Eh bien ! À quoi pense-t-il donc ? Viendrez-vous ? Hum ! Quoi ? Entendez-vous ce que je vous dis, qu'elle a quinze mille livres de rente ? Entendez-vous ? J'ai le coeur pris : voilà qui est fâcheux ! Ah, ah, le coeur est admirable ! Je n'aurais jamais deviné la beauté des scrupules de ce coeur-là, qui veut qu'on reste intendant de la maison d'autrui pendant qu'on peut l'être de la sienne ! Est-ce là votre dernier mot, berger fidèle ? Oh ! Le sot coeur, mon neveu ; vous êtes un imbécile, un insensé ; et je tiens celle que vous aimez pour une guenon, si elle n'est pas de mon sentiment, n'est-il pas vrai, Madame, et ne le trouvez-vous pas extravagant ? Comment, Madame ! Il pourrait... Ceux qui aiment les beaux sentiments doivent être contents ; en voilà un des plus curieux qui se fassent. Vous trouvez donc cela raisonnable, Madame ? Dorante, sais-tu bien qu'il n'y a pas de fou aux Petites-Maisons de ta force ? Venez, Mademoiselle Marton. Dites-nous un peu votre sentiment ; que pensez-vous de quelqu'un qui n'a point de bien, et qui refuse d'épouser une honnête et fort jolie femme, avec quinze mille livres de rente bien venants ? Voilà le rêveur ; et pour excuse, il allègue son coeur que vous avez pris ; mais comme apparemment il n'a pas encore emporté le vôtre, et que je vous crois encore à peu près dans tout votre bon sens, vu le peu de temps qu'il y a que vous le connaissez, je vous prie de m'aider à le rendre plus sage. Assurément vous êtes fort jolie, mais vous ne le disputerez point à un pareil établissement ; il n'y a point de beaux yeux qui vaillent ce prix-là. Tout juste, et vous êtes trop généreuse pour le souffrir. Courage ! Je ne fais que vous le montrer, et vous en êtes déjà coiffée ! Pardi, le coeur d'une femme est bien étonnant ! Le feu y prend bien vite. Par ma foi, je ne m'y connais donc guère ; car je le trouve bien plat. Adieu, la belle enfant ; je ne vous aurais, ma foi, pas évaluée ce qu'il vous achète. Serviteur, idiot, garde ta tendresse, et moi ma succession. Bonjour, ma nièce, puisque enfin il faut que vous la soyez. Savez-vous ce qu'on me veut ici ? Voilà une petite fille bien incivile. On m'a dit de votre part de venir ici, Madame : de quoi est-il donc question ? Oui, Madame, je vous garantis que c'est moi-même. Et par quel hasard Madame y trouve-t-elle à redire ? Ma foi ! Madame, s'il n'est pas à votre goût, vous êtes bien difficile. Oui, Madame. Ce n'est pas à vous que je l'ai donné. Celui-ci est nouveau ! Mais, Madame, dès qu'il n'est pas à vous, il me semble qu'il n'est pas essentiel qu'il vous plaise. On n'a pas mis dans le marché qu'il vous plairait, personne n'a songé à cela ; et, pourvu qu'il convienne à Madame Araminte, tout doit être content. Tant pis pour qui ne l'est pas. Qu'est-ce que cela signifie ? Ma foi ! Vos compliments ne sont pas propres à l'adoucir, Madame Argante. Comme vous voudrez, Monsieur le Comte, comme vous voudrez ; mais cela ne vous regarde pas. Vous savez bien que je n'ai pas l'honneur de vous connaître, et nous n'avons que faire ensemble, pas la moindre chose. Parfaitement étrangère pour cette affaire-ci, Monsieur ; on ne peut pas plus étrangère : au surplus, Dorante est un homme d'honneur, connu pour tel, dont j'ai répondu, dont je répondrai toujours, et dont Madame parle ici d'une manière choquante. Bagatelle ! Ce mot-là ne signifie rien dans votre bouche. Comment donc ! M'imposer silence ! À moi, Procureur ! Savez-vous bien qu'il y a cinquante ans que je parle, Madame Argante ? Nous ne sommes pas fort en paix, et vous venez très à propos, Madame : il s'agit de Dorante ; avez-vous sujet de vous plaindre de lui ? Vous êtes-vous aperçue qu'il ait manqué de probité ? Au discours que Madame en tient, ce doit pourtant être un fripon, dont il faut que je vous délivre, et on se passerait bien du présent que je vous ai fait, et c'est un impertinent qui déplaît à Monsieur qui parle en qualité d'époux futur ; et à cause que je le défends, on veut me persuader que je radote. Courage ! Mauvaise parenthèse, avec votre permission, supposition injurieuse, et tout à fait hors d'oeuvre. Eh ! À qui voulez-vous donc qu'il s'attache ? À vous, à qui il n'a pas affaire ? Dorante ? Ma foi, Madame, à l'âge de mon neveu, je ne m'en tirerais pas mieux qu'on dit qu'il s'en tire. J'ai laissé passer le bonhomme à cause de vous, au moins ; mais le bonhomme est quelquefois brutal. Et pourquoi n'aurait-il pas un sort ? Voyons par où cela finira. Le beau motif d'embarquement ! Eh bien ! Quoi ? C'est de l'amour qu'il a ; ce n'est pas d'aujourd'hui que les belles personnes en donnent et, tel que vous le voyez, il n'en a pas pris pour toutes celles qui auraient bien voulu lui en donner. Cet amour-là lui coûte quinze mille livres de rente, sans compter les mers qu'il veut courir ; voilà le mal ; car au reste, s'il était riche, le personnage en vaudrait bien un autre ; il pourrait bien dire qu'il adore. Et cela ne serait point si ridicule. Accommodez-vous, au reste ; je suis votre serviteur, Madame. **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MADAMEARGANTE *date_1737 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameargante Eh bien, Marton, ma fille a un nouvel intendant que son procureur lui a donné, m'a-t-elle dit : j'en suis fâchée ; cela n'est point obligeant pour Monsieur le Comte, qui lui en avait retenu un. Du moins devait-elle attendre, et les voir tous deux. D'où vient préférer celui-ci ? Quelle espèce d'homme est-ce ? Hé ! C'est Monsieur ! Je ne m'en serais pas doutée ; il est bien jeune. C'est selon. Êtes-vous arrêté, Monsieur ? Et de chez qui sortez-vous ? De chez vous ! Vous allez donc faire ici votre apprentissage ? Je n'ai pas grande opinion de cet homme-là. Est-ce là la figure d'un intendant ? Il n'en a non plus l'air... Pourvu que Monsieur ne s'écarte pas des intentions que nous avons, il me sera indifférent que ce soit lui ou un autre. Connaissez-vous Monsieur le comte Dorimont ? C'est un homme d'un beau nom ; ma fille et lui allaient avoir un procès ensemble au sujet d'une terre considérable, il ne s'agissait pas moins que de savoir à qui elle resterait, et on a songé à les marier, pour empêcher qu'ils ne plaident. Ma fille est veuve d'un homme qui était fort considéré dans le monde, et qui l'a laissée fort riche. Mais Madame la comtesse Dorimont aurait un rang si élevé, irait de pair avec des personnes d'une si grande distinction, qu'il me tarde de voir ce mariage conclu ; et, je l'avoue, je serai charmée moi-même d'être la mère de Madame la comtesse Dorimont, et de plus que cela peut-être ; car Monsieur le comte Dorimont est en passe d'aller à tout. Pas tout à fait encore, mais à peu près ; ma fille n'en est pas éloignée. Elle souhaiterait seulement, dit-elle, d'être bien instruite de l'état de l'affaire et savoir si elle n'a pas meilleur droit que Monsieur le Comte, afin que, si elle l'épouse, il lui en ait plus d'obligation. Mais j'ai quelquefois peur que ce ne soit une défaite. Ma fille n'a qu'un défaut ; c'est que je ne lui trouve pas assez d'élévation. Le beau nom de Dorimont et le rang de comtesse ne la touchent pas assez ; elle ne sent pas le désagrément qu'il y a de n'être qu'une bourgeoise. Elle s'endort dans cet état, malgré le bien qu'elle a. Il ne s'agit pas de ce que vous en pensez. Gardez votre petite réflexion roturière, et servez-nous, si vous voulez être de nos amis. Morale subalterne qui me déplaît. De dire à ma fille, quand vous aurez vu ses papiers, que son droit est le moins bon ; que si elle plaidait, elle perdrait. Hum ! Quel esprit borné ! Vous n'y êtes point ; ce n'est pas là ce qu'on vous dit ; on vous charge de lui parler ainsi, indépendamment de son droit bien ou mal fondé. De probité ! J'en manque donc, moi ? Quel raisonnement ! C'est moi qui suis sa mère, et qui vous ordonne de la tromper à son avantage, entendez-vous ? C'est moi, moi. C'est un ignorant que cela, qu'il faut renvoyer. Adieu, Monsieur l'homme d'affaires, qui n'avez fait celles de personne. Oui ; ceci a un air de mystère qui est désagréable. Il ne faut pourtant pas vous fâcher, ma fille. Monsieur le Comte vous aime, et un peu de jalousie, même injuste, ne sied pas à un amant. ⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎ MESSIED ⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎ Je suis assez comme Monsieur le Comte ; la chose me paraît singulière. Le fat, avec ses sentiments ! Oui, oui, c'est Monsieur : à quoi bon vous en défendre ? Dans les termes où vous en êtes avec ma fille, ce n'est pas là un si grand crime ; allons, convenez-en. Je ne faisais pas attention à cette circonstance. Approchez, Dubois. Apprenez-nous ce que c'est que ce mot que vous diriez contre Dorante ; il serait bon de savoir ce que c'est. Mais, encore une fois, sachons ce que veut dire Dubois par ce mot : c'est le plus pressé. Vous m'excuserez, ma fille ; ce n'est point là sa place, et il n'y a qu'à l'ôter ; votre intendant se passera bien de ses contemplations. Cet homme-là ne m'a jamais plu un instant, ma fille ; vous le savez, j'ai le coup d'oeil assez bon, et je ne l'aime point. Croyez-moi, vous avez entendu la menace que Dubois a faite en parlant de lui, j'y reviens encore, il faut qu'il ait quelque chose à en dire. Interrogez-le ; sachons ce que c'est. Je suis persuadée que ce petit monsieur-là ne vous convient point ; nous le voyons tous ; il n'y a que vous qui n'y prenez pas garde. Que vous êtes aveugle ! Eh bien ! Il vous déplaira ; je ne vous en dis pas davantage, en attendant de plus fortes preuves. Mais où serait la dispute ? Le mariage terminerait tout, et le vôtre est comme arrêté. Je ferai comme Monsieur, je ne vous parlerai plus de rien non plus, vous m'accuseriez de vision, et votre entêtement finira sans notre secours. Je compte beaucoup sur Dubois que voici, et avec lequel nous vous laissons. Eh bien, Marton, qu'avez-vous appris de Dubois ? Dubois est un coquin qui nous trompe. Quoi qu'il en soit, j'attends Monsieur Remy que j'ai envoyé chercher ; et s'il ne nous défait pas de cet homme-là, ma fille saura qu'il ose l'aimer, je l'ai résolu. Nous en avons les présomptions les plus fortes ; et ne fût-ce que par bienséance, il faudra bien qu'elle le chasse. D'un autre côté, j'ai fait venir l'intendant que Monsieur le Comte lui proposait. Il est ici, et je le lui présenterai sur-le-champ. Ah ! C'est donc vous, Monsieur le Procureur ? Et de quoi vous êtes-vous avisé, je vous prie, de nous embarrasser d'un intendant de votre façon ? C'est que nous nous serions bien passés du présent que vous nous avez fait. C'est votre neveu, dit-on ? Eh bien ! Tout votre neveu qu'il est, vous nous ferez un grand plaisir de le retirer. Non ; mais c'est à nous qu'il déplaît, à moi et à Monsieur le Comte que voilà, et qui doit épouser ma fille. Mais vous avez le ton bien rogue, Monsieur Remy. Votre Dorante est un impertinent. Dans ma bouche ! À qui parle donc ce petit praticien, Monsieur le Comte ? Est-ce que vous ne lui imposerez pas silence ? Il y a donc cinquante ans que vous ne savez ce que vous dites. Attendez, je vais répondre. Oui, ma fille, c'est moi qui ai prié Monsieur de le faire venir pour remplacer celui que vous avez et que vous allez mettre dehors : je suis sûre de mon fait. J'ai laissé dire votre procureur, au reste, mais il amplifie. Paix ; vous avez assez parlé. Je n'ai point dit que son neveu fût un fripon. Il ne serait pas impossible qu'il le fût, je n'en serais pas étonnée. Honnête homme, soit : du moins n'a-t-on pas encore de preuves du contraire, et je veux croire qu'il l'est. Pour un impertinent et très impertinent, j'ai dit qu'il en était un, et j'ai raison. Vous dites que vous le garderez : vous n'en ferez rien. Point du tout ; vous ne sauriez. Seriez-vous d'humeur à garder un intendant qui vous aime ? Eh ! Non, point d'équivoque. Quand je vous dis qu'il vous aime, j'entends qu'il est amoureux de vous, en bon français ; qu'il est ce qu'on appelle amoureux ; qu'il soupire pour vous ; que vous êtes l'objet secret de sa tendresse. Ceci n'est pas matière à plaisanterie, ma fille. Il n'est pas question de votre Monsieur Remy ; laissons là ce bonhomme, et traitons la chose un peu plus sérieusement. Vos gens ne vous font pas peindre, vos gens ne se mettent point à contempler vos portraits, vos gens n'ont point l'air galant, la mine doucereuse. Son sort ! Le sort d'un intendant : que cela est beau ! Le terme est encore trop long : il devrait en sortir tout à l'heure. De la passion, entendez-vous, ma fille ? C'est-à-dire que le personnage sait peindre. Fille de la maison, cela vous regarde. Que j'adore ! Ah ! Que j'adore ! Je crois qu'il n'a pas mal deviné celui-là, ma fille. Eh ! Pourquoi non ? Et en vertu de quoi l'estiment-ils tant ? Bon voyage au galant. Eh bien ! En avez-vous le coeur net, ma fille ? Mais, ma fille, elle a raison ; c'est Monsieur le Comte qui vous en répond, il n'y a qu'à le prendre. Mais en effet, je ne vous reconnais pas. Qu'est-ce qui vous fâche ? On ne vous entend point. Non, Monsieur, je vous suis. Ma fille, je retiens Monsieur le Comte ; vous allez venir nous trouver apparemment. Vous n'y songez pas, Araminte ; on ne sait que penser. Quoi ! Le voilà encore ! Quoi donc ! Que signifie ce discours ? La fortune à cet homme-là ! Ah ! La belle chute ! Ah ! Ce maudit intendant ! Qu'il soit votre mari tant qu'il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre. **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1737 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Ayez la bonté, Monsieur, de vous asseoir un moment dans cette salle ; Mademoiselle Marton est chez Madame et ne tardera pas à descendre. Si vous voulez, je vous tiendrai compagnie, de peur que l'ennui ne vous prenne ; nous discourrons en attendant. Voyez, Monsieur, n'en faites pas de façon : nous avons ordre de Madame d'être honnête, et vous êtes témoin que je le suis. Excusez, Monsieur, et restez à votre fantaisie. Me voilà, Madame. Comment, Madame, vous me donnez à lui ! Est-ce que je ne serai plus à moi ? Ma personne ne m'appartiendra donc plus ? Je ne sais pas pourquoi Madame me donne mon congé : je n'ai pas mérité ce traitement ; je l'ai toujours servie à faire plaisir. Je représente à Madame que cela ne serait pas juste : je ne donnerai pas ma peine d'un côté, pendant que l'argent me viendra d'un autre. Il faut que vous ayez mon service, puisque j'aurai vos gages ; autrement je friponnerais, Madame. Toujours. Ah ! C'est une autre affaire. C'est Madame qui donnera ordre à Monsieur de souffrir mon service, que je lui prêterai par le commandement de Madame. Vous voyez bien que cela méritait explication. Oh ça, Monsieur, nous sommes donc l'un à l'autre, et vous avez le pas sur moi ? Je serai le valet qui sert, et vous le valet qui serez servi par ordre. Un moment, avec votre permission. Monsieur, ne payerez-vous rien ? Vous a-t-on donné ordre d'être servi gratis ? Pardi, Monsieur, je ne vous coûterai donc guère ? On ne saurait avoir un valet à meilleur marché. Ah ! Voilà une action de maître. À votre aise le reste. Oh ! S'il ne faut que boire afin qu'elle soit bonne, tant que je vivrai, je vous la promets excellente. Le gracieux camarade qui m'est venu là par hasard ! Mademoiselle, voilà un homme qui en demande un autre ; savez-vous qui c'est ? Ma foi, je n'en sais rien ; c'est de quoi je m'informe à vous. Hé ! Le garçon : venez ici dire votre affaire. Tu es un plaisant magot ! Toi ? Nous nous soucions de toi et de toute ta race de canaille comme de cela. Arrive, arrive : la voilà, Madame. Prononce donc ce mot. Je soutiens les intérêts de mon maître, je tire des gages pour cela, et je ne souffrirai point qu'un ostrogoth menace mon maître d'un mot ; j'en demande justice à Madame. Je le défie d'en dire seulement une lettre. Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ôter ce tableau qui est tout à fait gracieux, que mon maître considérait il n'y avait qu'un moment avec toute la satisfaction possible ? Car je l'avais vu qui l'avait contemplé de tout son coeur, et il prend fantaisie à ce brutal de le priver d'une peinture qui réjouit cet honnête homme. Voyez la malice ! Ote-lui quelque autre meuble, s'il en a trop, mais laisse-lui cette pièce, animal. Ah ! Te voilà donc, mal bâti. Ne sauriez-vous pas où demeure la rue du Figuier, Mademoiselle ? C'est que mon camarade, que je sers, m'a dit de porter cette lettre à quelqu'un qui est dans cette rue, et comme je ne la sais pas, il m'a dit que je m'en informasse à vous ou à cet animal-là ; mais cet animal-là ne mérite pas que je lui en parle, sinon pour l'injurier. J'aimerais mieux que le diable eût emporté toutes les rues, que d'en savoir une par le moyen d'un malotru comme lui. Veux-tu te taire ? Ah ! Voilà qui est bien agréable ! Vous êtes une fille de bonne amitié, Mademoiselle. Ce malhonnête ! Va, va trouver le tableau pour voir comme il se moque de toi. Tenez, Mademoiselle ; vous me rendez un service qui me fait grand bien. Quand il y aura à trotter pour votre serviable personne, n'ayez point d'autre postillon que moi. Oui, je vous recommande l'exactitude à cause de Monsieur Dorante, qui mérite toutes sortes de fidélités. Je suis votre serviteur éternel. Si vous le rencontrez, ne lui dites point qu'un autre galope à ma place.  J'aurais bien de la peine à vous le dire ; car je suis dans une détresse qui me coupe entièrement la parole, à cause de la trahison que Mademoiselle Marton m'a faite. Ah ! Quelle ingrate perfidie ! Ah ! Cette pauvre lettre. Quelle escroquerie ! Monsieur Dorante vous demande à genoux qu'il vienne ici vous rendre compte des paperasses qu'il a eues dans les mains depuis qu'il est ici. Il m'attend à la porte où il pleure. Le voulez-vous, Madame ? Car je ne me fie pas à elle. Quand on m'a une fois affronté, je n'en reviens point. Vous ne me répondez point, Madame ? Pardi, nous nous soucions bien de ton tableau à présent ; l'original nous en fournira bien d'autres copies.  **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_DUBOIS *date_1737 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dubois Oui, je vous guettais. Non : mais voici l'heure à peu près qu'il vous a dit qu'il arriverait. N'y a-t-il là personne qui nous voie ensemble ? Il est essentiel que les domestiques ici ne sachent pas que je vous connaisse. Vous n'avez rien dit de notre projet à Monsieur Remy, votre parent ? Laissons cela, Monsieur ; tenez, en un mot, je suis content de vous ; vous m'avez toujours plu ; vous êtes un excellent homme, un homme que j'aime ; et si j'avais bien de l'argent, il serait encore à votre service. Eh bien, vous vous en retournerez. Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n'y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l'appartement de Madame. Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise. Ah ! Vous en avez bien soixante pour le moins. Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant ; vous m'en direz des nouvelles. Vous l'avez vue et vous l'aimez ? Oh ! Vous m'impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! Un peu de confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos actions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais l'humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu'on est ; on vous épousera, toute fière qu'on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l'amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j'entends quelqu'un, c'est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués poursuivons. À propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L'amour et moi nous ferons le reste. Madame la Marquise se porte mieux, Madame et vous est fort obligée... fort obligée de votre attention. Madame, on m'a chargé aussi de vous dire un mot qui presse. Il m'est recommandé de ne vous parler qu'en particulier. Ce n'est rien, sinon que je ne saurais plus avoir l'honneur de servir Madame, et qu'il faut que je lui demande mon congé. Savez-vous à qui vous avez affaire ? Eh ! Par quel tour d'adresse est-il connu de Madame ? Comment a-t-il fait pour arriver jusqu'ici ? Lui, votre intendant ! Et c'est Monsieur Remy qui vous l'envoie : hélas ! Le bon homme, il ne sait pas qui il vous donne ; c'est un démon que ce garçon-là. Si je le connais, Madame ! Si je le connais ! Ah vraiment oui ; et il me connaît bien aussi. N'avez-vous pas vu comme il se détournait de peur que je ne le visse ? Lui ! Il n'y a point de plus brave homme dans toute la terre ; il a, peut-être, plus d'honneur à lui tout seul que cinquante honnêtes gens ensemble. Oh ! C'est une probité merveilleuse ; il n'a peut-être pas son pareil. Son défaut, c'est là. C'est à la tête que le mal le tient. Oui, il est timbré, mais timbré comme cent. Quelle preuve ? Il y a six mois qu'il est tombé fou ; il y a six mois qu'il extravague d'amour, qu'il en a la cervelle brûlée, qu'il en est comme un perdu ; je dois bien le savoir, car j'étais à lui, je le servais ; et c'est ce qui m'a obligé de le quitter, et c'est ce qui me force de m'en aller encore, ôtez cela, c'est un homme incomparable. Ah ! Vous m'excuserez ; pour ce qui est de l'objet, il n'y a rien à dire. Malepeste ! Sa folie est de bon goût. J'ai l'honneur de la voir tous les jours ; c'est vous, Madame. Il vous adore ; il y a six mois qu'il n'en vit point, qu'il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu'il a l'air enchanté, quand il vous parle. Vous ne croiriez pas jusqu'où va sa démence ; elle le ruine, elle lui coupe la gorge. Il est bien fait, d'une figure passable, bien élevé et de bonne famille ; mais il n'est pas riche ; et vous saurez qu'il n'a tenu qu'à lui d'épouser des femmes qui l'étaient, et de fort aimables, ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune et qui auraient mérité qu'on la leur fît à elles-mêmes : il y en a une qui n'en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous les jours ; je le sais, car je l'ai rencontrée. Oui, Madame, actuellement, une grande brune très piquante, et qu'il fuit. Il n'y a pas moyen ; Monsieur refuse tout. Je les tromperais, me disait-il ; je ne puis les aimer, mon coeur est parti. Ce qu'il disait quelquefois la larme à l'oeil ; car il sent bien son tort. Hélas ! Madame, ce fut un jour que vous sortîtes de l'Opéra, qu'il perdit la raison ; c'était un vendredi, je m'en ressouviens ; oui, un vendredi ; il vous vit descendre l'escalier, à ce qu'il me raconta, et vous suivit jusqu'à votre carrosse ; il avait demandé votre nom, et je le trouvai qui était comme extasié ; il ne remuait plus. J'eus beau lui crier : Monsieur ! Point de nouvelles, il n'y avait personne au logis. À la fin, pourtant, il revint à lui avec un air égaré ; je le jetai dans une voiture, et nous retournâmes à la maison. J'espérais que cela se passerait, car je l'aimais : c'est le meilleur maître ! Point du tout, il n'y avait plus de ressource : ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante, vous aviez tout expédié ; et dès le lendemain nous ne fîmes plus tous deux, lui, que rêver à vous, que vous aimer ; moi, d'épier depuis le matin jusqu'au soir où vous alliez. Je me fis même ami d'un de vos gens qui n'y est plus, un garçon fort exact, et qui m'instruisait, et à qui je payais bouteille. C'est à la Comédie qu'on va, me disait-il ; et je courais faire mon rapport, sur lequel, dès quatre heures, mon homme était à la porte. C'est chez Madame celle-ci, c'est chez Madame celle-là ; et sur cet avis, nous allions toute la soirée habiter la rue, ne vous déplaise, pour voir Madame entrer et sortir, lui dans un fiacre, et moi derrière, tous deux morfondus et gelés ; car c'était dans l'hiver ; lui, ne s'en souciant guère ; moi, jurant par-ci par-là pour me soulager. Oui, Madame. À la fin, ce train de vie m'ennuya ; ma santé s'altérait, la sienne aussi. Je lui fis accroire que vous étiez à la campagne, il le crut, et j'eus quelque repos. Mais n'alla-t-il pas, deux jours après, vous rencontrer aux Tuileries, où il avait été s'attrister de votre absence. Au retour il était furieux, il voulut me battre, tout bon qu'il est ; moi, je ne le voulus point, et je le quittai. Mon bonheur ensuite m'a mis chez Madame, où, à force de se démener, je le trouve parvenu à votre intendance, ce qu'il ne troquerait pas contre la place de l'empereur. Il y aura de la bonté à le renvoyer. Plus il voit Madame, plus il s'achève. Oui ; mais vous ferez un incurable, Madame. Oui ; c'est un remède bien innocent. Premièrement, il ne vous dira mot ; jamais vous n'entendrez parler de son amour. Oh ! Il ne faut pas en avoir peur ; il mourrait plutôt. Il a un respect, une adoration, une humilité pour vous, qui n'est pas concevable. Est-ce que vous croyez qu'il songe à être aimé ? Nullement. Il dit que dans l'univers il n'y a personne qui le mérite ; il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille ; et puis c'est tout : il me l'a dit mille fois. Madame, je vous suis dévoué pour la vie. Je n'en ai jamais parlé qu'à Madame. Marton vous cherche pour vous montrer l'appartement qu'on vous destine. Arlequin est allé boire. J'ai dit que j'allais vous avertir. Comment vous traite-t-on ? Elle opine tout doucement à vous garder par compassion : elle espère vous guérir par l'habitude de la voir. Elle n'en réchappera point ; c'est autant de pris. Je m'en retourne. Partez ; aussi bien ai-je un petit avis à donner à Marton. Il est bon de jeter dans tous les esprits les soupçons dont nous avons besoin.  Il dit que Madame l'attend pour des papiers, il reviendra ensuite. Au reste, qu'est-il nécessaire qu'il voie cet appartement ? S'il n'en voulait pas, il serait bien délicat : pardi, je lui conseillerais... Madame est bonne et sage ; mais prenez garde, ne trouvez-vous pas que ce petit galant-là fait les yeux doux ? Je me trompe fort, si je n'ai pas vu la mine de ce freluquet considérer, je ne sais où, celle de Madame. Non. Mais je me figure quelquefois qu'il n'est venu ici que pour la voir de plus près. Ah ! Ah ! Je suis donc bien sot. Allez, allez, prenez toujours. J'aurais soin de vous les faire trouver meilleures. Allons faire jouer toutes nos batteries. Si je disais un mot, ton maître sortirait bien vite. Comme je te bâtonnerais, sans le respect de Madame ! Il y a une heure qu'il me dit mille invectives, Madame. C'est par pure colère que j'ai fait cette menace, Madame ; et voici la cause de la dispute. En arrangeant l'appartement de Monsieur Dorante, j'ai vu par hasard un tableau où Madame est peinte, et j'ai cru qu'il fallait l'ôter, qu'il n'avait que faire là, qu'il n'était point décent qu'il y restât ; de sorte que j'ai été pour le détacher ; ce butor est venu pour m'en empêcher, et peu s'en est fallu que nous ne nous soyons battus. Et moi, je te dis qu'on ne la laissera point, que je la détacherai moi-même, que tu en auras le démenti, et que Madame le voudra ainsi. On m'a dit que vous vouliez me parler, Madame ? Ma foi, Madame, j'ai cru la chose sans conséquence, et je n'ai agi d'ailleurs que par un mouvement de respect et de zèle. J'ai bien senti que j'avais tort. C'est encore une suite de zèle mal entendu. Oh ! Je suis bien corrigé. Ah ! Il n'y a rien de plus facile à raccommoder : ce rapport sera que des gens qui le connaissent m'ont dit que c'était un homme incapable de l'emploi qu'il a chez vous ; quoiqu'il soit fort habile, au moins : ce n'est pas cela qui lui manque. Bagatelle ! Dorante n'a vu Marton ni de près ni de loin ; c'est le procureur qui a débité cette fable-là à Marton, dans le dessein de les marier ensemble. Et moi je n'ai pas osé l'en dédire, m'a dit Dorante, parce que j'aurais indisposé contre moi cette fille, qui a du crédit auprès de sa maîtresse, et qui a cru ensuite que c'était pour elle que je refusais les quinze mille livres de rente qu'on m'offrait. Oui, il n'y a qu'un moment, dans le jardin où il a voulu presque se jeter à mes genoux pour me conjurer de lui garder le secret sur sa passion, et d'oublier l'emportement qu'il eut avec moi quand je le quittai. Je lui ai dit que je me tairais, mais que je ne prétendais pas rester dans la maison avec lui, et qu'il fallait qu'il sortît ; ce qui l'a jeté dans des gémissements, dans des pleurs, dans le plus triste état du monde. Pure fable ! Madame a-t-elle encore quelque chose à me dire ? Vraiment oui ; Monsieur Dorante n'est point digne de Madame. S'il était dans une plus grande fortune, comme il n'y a rien à dire à ce qu'il est né, ce serait une autre affaire, mais il n'est riche qu'en mérite, et ce n'est pas assez. Eh bien ! Madame a un si beau prétexte... Ce portrait que Marton a cru être le sien à ce qu'elle m'a dit... Point du tout, c'est de Dorante, je le sais de lui-même, et il y travaillait encore il n'y a que deux mois, lorsque je le quittai. Oui, Madame, il se déclarera peut-être, et tout de suite je lui dirais : Sortez. Il m'est impossible de l'instruire ; mais qu'il se découvre ou non, les choses ne peuvent aller que bien. Dorante s'est-il déclaré, Madame ? Et est-il nécessaire que je lui parle ? Voici l'affaire dans sa crise. Retirez-vous. À quoi songez-vous ? Elle n'est qu'à deux pas : voulez-vous tout perdre ? Allez dans le jardin. Dans le jardin, vous dis-je ; je vais m'y rendre. Je ne vous écoute plus. Non, vous dis-je ; ne perdons point de temps. La lettre est-elle prête ? Vous êtes bien assuré qu'Arlequin ne connaît pas ce quartier-là ? Lui avez-vous bien recommandé de s'adresser à Marton ou à moi pour savoir ce que c'est ? Allez donc la lui donner : je me charge du reste auprès de Marton que je vais trouver. Oh ! Oui : point de quartier. Il faut l'achever, pendant qu'elle est étourdie. Elle ne sait plus ce qu'elle fait. Ne voyez-vous pas bien qu'elle triche avec moi, qu'elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit ? Ah ! Je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident pour vous aimer en fraude. Cela aurait été joli, ma foi ! Elle ne s'en serait point aperçue, n'est-ce pas ? Et d'ailleurs, votre douleur n'en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l'effet qu'elle a produit ? Monsieur a souffert ! Parbleu ! Il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d'inquiétude. Je lui en défie. Il est trop tard. L'heure du courage est passée. Il faut qu'elle nous épouse. Je serais bien fâché qu'elle la laissât en repos. Ah ! Vraiment, des confusions ! Elle n'y est pas. Elle va en essuyer bien d'autres ! C'est moi qui, voyant le train que prenait la conversation, ai fait venir Marton une seconde fois. Elle a raison. Voulez-vous qu'elle soit de bonne humeur avec un homme qu'il faut qu'elle aime en dépit d'elle ? Cela est-il agréable ? Vous vous emparez de son bien, de son coeur ; et cette femme ne criera pas ! Allez vite, plus de raisonnements : laissez-vous conduire. Ah ! Oui, je sais bien que vous l'aimez : c'est à cause de cela que je ne vous écoute pas. Êtes-vous en état de juger de rien ? Allons, allons, vous vous moquez ; laissez faire un homme de sang-froid. Partez, d'autant plus que voici Marton qui vient à propos, et que je vais tâcher d'amuser, en attendant que vous envoyiez Arlequin. Qu'y a-t-il pour votre service, Mademoiselle ? Quoi donc ? Je ne me souviens plus de ce que c'est. Ah ! Oui ; vous parlez de ce regard que je lui vis jeter sur elle. Oh ! Jamais je ne l'ai oublié. Cette oeillade-là ne valait rien. Il y avait quelque chose dedans qui n'était pas dans l'ordre. Pardi ! Tant qu'on voudra ; je ne m'y épargne pas. J'ai déjà dit à Madame qu'on m'avait assuré qu'il n'entendait pas les affaires. Ma foi ! Je ne sais que son insuffisance, dont j'ai instruit Madame. Moi ! Un dissimulé ! Moi ! Garder un secret ! Vous avez bien trouvé votre homme ! En fait de discrétion, je mériterais d'être femme. Je vous demande pardon de la comparaison : mais c'est pour vous mettre l'esprit en repos. Il n'en faut point douter : je lui en ai même dit ma pensée à elle. Que j'étais un sot. Elle est si prévenue... Oh ! Le diable n'y perd rien, ni moi non plus ; car je vous entends. Oh ! Point du tout, je vous jure. Mais, à propos, il vient tout à l'heure d'appeler Arlequin pour lui donner une lettre : si nous pouvions la saisir, peut-être en saurions-nous davantage. Vous n'irez pas loin. Je crois qu'il vient. Tenez : n'est-ce pas là une belle figure pour se moquer de la mienne ? Prenez la lettre. Non, non, Mademoiselle, ne lui enseignez rien : qu'il galope. Vous êtes bien bonne d'épargner de la peine à ce fainéant-là. Enfin, Madame, à ce que je vois, vous en voilà délivrée. Qu'il devienne tout ce qu'il voudra à présent, tout le monde a été témoin de sa folie, et vous n'avez plus rien à craindre de sa douleur ; il ne dit mot. Au reste, je viens seulement de le rencontrer plus mort que vif, qui traversait la galerie pour aller chez lui. Vous auriez trop ri de le voir soupirer ; il m'a pourtant fait pitié : je l'ai vu si défait, si pâle et si triste, que j'ai eu peur qu'il ne se trouve mal. J'y ai pourvu, Madame ; j'ai appelé Arlequin, qui ne le quittera pas, et je crois d'ailleurs qu'il n'arrivera rien ; voilà qui est fini. Je ne suis venu que pour dire une chose ; c'est que je pense qu'il demandera à vous parler, et je ne conseille pas à Madame de le voir davantage ; ce n'est pas la peine. En un mot, vous en êtes quitte, et cela par le moyen de cette lettre qu'on vous a lue et que Mademoiselle Marton a tirée d'Arlequin par mon avis ; je me suis douté qu'elle pourrait vous être utile, et c'est une excellente idée que j'ai eue là, n'est-ce pas, Madame ? Oui, Madame. Hélas ! Madame, j'ai cru bien faire. Allons, voilà qui est parfait. Ouf ! Ma gloire m'accable ; je mériterais bien d'appeler cette femme-là ma bru. **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MARTON *date_1737 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marton Je suis fâchée, Monsieur, de vous avoir fait attendre ; mais j'avais affaire chez Madame. Eh ! Par quelle raison, Monsieur Remy, faut-il que je vous le dise ? Eh bien ! Ce neveu-là est bon à montrer ; il ne dépare point la famille. Non, je n'en ai point d'idée. J'en suis persuadée ; Monsieur prévient en sa faveur, et il faudra voir. Je craindrais d'aller trop vite. Je n'ai pourtant pas l'air si indocile. Adieu donc, mon oncle.  En vérité, tout ceci a l'air d'un songe. Comme Monsieur Remy expédie ! Votre amour me paraît bien prompt, sera-t-il aussi durable ? Il s'est trop hâté de partir. J'entends Madame qui vient, et comme, grâce aux arrangements de Monsieur Remy, vos intérêts sont presque les miens, ayez la bonté d'aller un moment sur la terrasse, afin que je la prévienne. J'admire ce penchant dont on se prend tout d'un coup l'un pour l'autre. Non, Madame, c'est à vous-même. C'est qu'il a souhaité que je vous parlasse auparavant. C'est le neveu de Monsieur Remy, celui qu'il vous a proposé pour homme d'affaires. Il est généralement estimé, je le sais. Et que voulez-vous qu'on dise ? Est-on obligé de n'avoir que des intendants mal faits ? Vous ne sauriez mieux choisir. Êtes-vous convenue du parti que vous lui faites ? Monsieur Remy m'a chargée de vous en parler. On lui laissera ce petit appartement qui donne sur le jardin, n'est-ce pas ? Monsieur Dorante, Madame vous attend. Madame n'a pas deux paroles. Voilà Madame : je la reconnais. Il n'y a qu'à prendre Arlequin, Madame. Je le vois à l'entrée de la salle et je vais l'appeler. Arlequin, parlez à Madame. Quel benêt ! Tu es bien sot ! Quand je t'envoie quelque part ou que je te dis : fais telle ou telle chose, n'obéis-tu pas ? Eh bien ! Ce sera Monsieur qui te le dira comme moi, et ce sera à la place de Madame et par son ordre. Voilà ce que c'est. Ce faquin avec ses comparaisons ! Va-t'en. Allons, laisse-nous. Madame te payera ; n'est-ce pas assez ? Vous avez lieu d'être satisfait de l'accueil de Madame ; elle paraît faire cas de vous, et tant mieux, nous n'y perdons point. Mais voici Madame Argante ; je vous avertis que c'est sa mère, et je devine à peu près ce qui l'amène. C'est Monsieur, Madame. À trente ans, on est en âge d'être intendant de maison, Madame. Point du tout. Monsieur entend les affaires ; il est fils d'un père extrêmement habile. L'air n'y fait rien. Je vous réponds de lui ; c'est l'homme qu'il nous faut. C'est un petit trait de morale qui ne gâte rien à notre affaire. Oui, il y a quelque différence ; et je suis fâchée de n'avoir pas eu le temps de vous prévenir sur son humeur brusque. Elle est extrêmement entêtée de ce mariage, comme vous voyez. Au surplus, que vous importe ce que vous direz à la fille, dès que la mère sera votre garant ? Vous n'aurez rien à vous reprocher, ce me semble ; ce ne sera pas là une tromperie. C'est par indolence. Oh ça, il y a une petite raison à laquelle vous devez vous rendre ; c'est que Monsieur le Comte me fait présent de mille écus le jour de la signature du contrat ; et cet argent-là, suivant le projet de Monsieur Remy, vous regarde aussi bien que moi, comme vous voyez. Au contraire, c'est par réflexion qu'ils me tentent : plus j'y rêve, et plus je les trouve bons. Ma foi, vous avez beau dire : d'ailleurs, le Comte est un honnête homme, et je n'y entends point de finesse. Voilà Madame qui revient, elle a à vous parler. Je me retire ; méditez sur cette somme, vous la goûterez aussi bien que moi. Où est donc Dorante ? Il me semble l'avoir vu avec toi. Ce ne sont pas là tes affaires : je suis les ordres de Madame. Il les fait comme il les a. Eh bien, est-ce qu'on te fâche quand on la trouve belle ? Ah ! Ah ! Quelle idée ! Va, tu n'y entends rien ; tu t'y connais mal. Ah ! Ah ! L'original avec ses observations ! Je viens d'apprendre que vous étiez ici. Votre question est bien aisée à décider. Ce quelqu'un rêve. Quoi ! Monsieur Remy, c'est de Dorante que vous parlez ? C'est pour se garder à moi qu'il refuse d'être riche ? Vous vous trompez, Monsieur, je l'aime trop moi-même pour l'en empêcher, et je suis enchantée : oh ! Dorante, que je vous estime ! Je n'aurais pas cru que vous m'aimassiez tant. Eh ! Monsieur, faut-il tant de bien pour être heureux ? Madame, qui a de la bonté pour moi, suppléera en partie par sa générosité à ce qu'il me sacrifie. Que je vous ai d'obligation, Dorante ! Vous me charmez : que de délicatesse ! Il n'y a encore rien de si tendre que ce que vous me dites. Il est en colère, mais nous l'apaiserons. C'est le Comte, celui dont je vous ai parlé, et qui doit épouser Madame. Vous voilà donc revenu, Monsieur ? Nous n'en devons rien craindre non plus, Monsieur. Allez, ne vous inquiétez point, c'est un galant homme ; et si la mère n'en est pas contente, c'est un peu de sa faute ; elle a débuté tantôt par le brusquer d'une manière si outrée, l'a traité si mal, qu'il n'est pas étonnant qu'elle ne l'ait point gagné. Imaginez-vous qu'elle l'a querellé de ce qu'il est bien fait. Lui-même. Pardonnez-moi, Monsieur ; car il est honnête homme. Oh ! Non, ce n'est point un homme à mener par là ; c'est le garçon de France le plus désintéressé. Laissez-moi faire. Et qui est cet autre ? À quel homme en veut-il ? Fais-le entrer. Qui cherchez-vous ? N'est-ce pas vous, Monsieur le Comte ? Et chez qui vous a-t-on dit que vous le trouveriez ? Vous avez mal fait de parler de ce portrait devant lui. Je sais qui vous cherchez ; c'est le neveu de Monsieur Remy, de chez qui vous venez. Un grand homme qui s'appelle Monsieur Dorante. Il me l'a dit ; je suis dans sa confidence. Avez-vous remarqué le portrait ? Eh bien, c'est de moi dont il s'agit. Monsieur Dorante n'est pas ici, et ne reviendra pas sitôt. Vous n'avez qu'à me remettre la boîte ; vous le pouvez en toute sûreté ; vous lui ferez même plaisir. Vous voyez que je suis au fait. Oh ! Je n'y manquerai pas. Sans difficulté. Allez. Voici Dorante. Retirez-vous vite. Ce ne peut être que mon portrait. Le charmant homme ! Monsieur Remy avait raison de dire qu'il y avait quelque temps qu'il me connaissait. Que vous êtes aimable, Dorante ! Je serais bien injuste de ne pas vous aimer. Allez, soyez en repos ; l'ouvrier est venu, je lui ai parlé, j'ai la boîte, je la tiens. Point de mystère ; je la tiens, vous dis-je, et je ne m'en fâche pas. Je vous la rendrai quand je l'aurai vue. Retirez-vous, voici Madame avec sa mère et le Comte ; c'est peut-être de cela qu'ils s'entretiennent. Laissez-moi les calmer là-dessus, et ne les attendez pas. Ce n'est rien, Madame ; je vous dirai ce que c'est : je l'ai démêlé après que Monsieur le Comte est parti ; il n'a que faire de s'alarmer. Il n'y a rien là qui vous intéresse. N'importe, c'est tout comme si je l'avais vu. Je sais qui il regarde ; n'en soyez point en peine. D'accord. Mais quand je vous dis que Madame n'y est pour rien, ni vous non plus. Eh bien, Madame, voilà bien du bruit ! C'est mon portrait. Oui, le mien. Eh ! Pourquoi non, s'il vous plaît ? Il ne faut pas tant se récrier. Ma foi, Madame, sans vanité, on en peint tous les jours, et des plus huppées, qui ne me valent pas. Un très aimable homme qui m'aime, qui a de la délicatesse et des sentiments, et qui me recherche ; et puisqu'il faut vous le nommer, c'est Dorante. Lui-même. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il me connaît. Je n'ai pas encore ouvert la boîte, mais c'est moi que vous y allez voir. Madame !... Il est vrai, et me voilà bien loin de mon compte ! Dubois avait raison tantôt. Ma foi, Madame, toute autre que moi s'y serait trompée. Monsieur Remy me dit que son neveu m'aime, qu'il veut nous marier ensemble ; Dorante est présent, et ne dit point non ; il refuse devant moi un très riche parti ; l'oncle s'en prend à moi, me dit que j'en suis cause. Ensuite vient un homme qui apporte ce portrait, qui vient chercher ici celui à qui il appartient ; je l'interroge : à tout ce qu'il répond, je reconnais Dorante. C'est un petit portrait de femme, Dorante m'aime jusqu'à refuser sa fortune pour moi. Je conclus donc que c'est moi qu'il a fait peindre. Ai-je eu tort ? J'ai pourtant mal conclu. J'y renonce ; tant d'honneur ne m'appartient point. Je crois voir toute l'étendue de ma méprise, et je me tais. Je ne crois pas. À qui en avez-vous donc ? Vous autres ? Pour moi je n'en suis pas contente. Je suis bien aise, Madame, de trouver Monsieur ici ; il vous confirmera tout de suite ce que j'ai à vous dire. Vous avez offert en différentes occasions de me marier, Madame ; et jusqu'ici je ne me suis point trouvée disposée à profiter de vos bontés. Aujourd'hui Monsieur me recherche ; il vient même de refuser un parti infiniment plus riche, et le tout pour moi ; du moins me l'a-t-il laissé croire, et il est à propos qu'il s'explique ; mais comme je ne veux dépendre que de vous, c'est de vous aussi, Madame, qu'il faut qu'il m'obtienne : ainsi, Monsieur, vous n'avez qu'à parler à Madame. Si elle m'accorde à vous, vous n'aurez point de peine à m'obtenir de moi-même. Ah ! Je te cherchais. Tu me l'avais bien dit, Dubois. Que cet intendant osait lever les yeux sur Madame. Oh ça, Dubois, il s'agit de faire sortir cet homme-ci. Mais est-ce là tout ce que tu sais de lui ? C'est de la part de Madame Argante et de Monsieur le Comte que je te parle, et nous avons peur que tu n'aies pas tout dit à Madame, ou qu'elle ne cache ce que c'est. Ne nous déguise rien, tu n'en seras pas fâché. Ne dissimule point. Il est certain qu'il aime Madame. Et qu'a-t-elle répondu ? Prévenue à un point que je n'oserais le dire, Dubois. Tu as la mine d'en savoir plus que moi là-dessus. Une lettre, oui-da ; ne négligeons rien. Je vais de ce pas parler à Arlequin, s'il n'est pas encore parti. Que veux-tu, Arlequin ? Oui. Ne l'interrompez donc point, Dubois. Eh bien ! Veux-tu me donner ta lettre ? Je vais envoyer dans ce quartier-là, et on la rendra à son adresse. Ne lui réponds rien : donne ta lettre. Elle sera rendue exactement. L'indigne ! Adieu. Ne disons mot que je n'aie vu ce que ceci contient. Rien que ce que vous saviez déjà, Madame, et ce n'est pas assez. Je doute que vous réussissiez si nous n'apprenons rien de nouveau : mais je tiens peut-être son congé, moi qui vous parle... Voici Monsieur Remy : je n'ai pas le temps de vous en dire davantage, et je vais m'éclaircir. Passez, Monsieur, et cherchez votre nièce ailleurs : je n'aime point les mauvais plaisants. Ne vous pressez pas de le renvoyer, Madame ; voilà une lettre de recommandation pour lui, et c'est Monsieur Dorante qui l'a écrite. Un instant, Madame, cela mérite d'être écouté. La lettre est de Monsieur, vous dis-je. Fera-t-on monter l'intendant que Monsieur le Comte a amené, Madame ? La manière dont vous m'avez renvoyée, il n'y a qu'un moment, me montre que je vous suis désagréable, Madame, et je crois vous faire plaisir en vous demandant mon congé. Votre intention est-elle que je sorte dès aujourd'hui, Madame ? Cette aventure-ci est bien triste pour moi ! Je suis au désespoir. Après les bienfaits dont vous m'avez comblée, que ferais-je auprès de vous, à présent que je vous suis suspecte, et que j'ai perdu toute votre confiance ? Il est pourtant vrai que vous me renvoyez, Madame, d'où vient ma disgrâce ? Ah ! Madame, pourquoi m'avez-vous exposée au malheur de vous déplaire ? J'ai persécuté par ignorance l'homme du monde le plus aimable, qui vous aime plus qu'on n'a jamais aimé. Et à qui je n'ai rien à reprocher ; car il vient de me parler. J'étais son ennemie, et je ne la suis plus. Il m'a tout dit. Il ne m'avait jamais vue : c'est Monsieur Remy qui m'a trompée, et j'excuse Dorante. Pourquoi avez-vous eu la cruauté de m'abandonner au hasard d'aimer un homme qui n'est pas fait pour moi, qui est digne de vous, et que j'ai jeté dans une douleur dont je suis pénétrée ? Laissons-là mes sentiments. Rendez-moi votre amitié comme je l'avais, et je serai contente. Me voilà consolée. N'y prenez point garde. Rien ne m'est si cher que vous. Laisse là ta perfidie et nous dis ce que tu veux. Dis-lui qu'il vienne. Parlez-lui, Madame, je vous laisse. **** *creator_marivaux *book_marivaux_faussesconfidences *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_faussesconfidences *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LECOMTE *date_1737 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecomte Bonjour, Marton. Oui. On m'a dit qu'Araminte se promenait dans le jardin, et je viens d'apprendre de sa mère une chose qui me chagrine : je lui avais retenu un intendant, qui devait aujourd'hui entrer chez elle, et cependant elle en a pris un autre, qui ne plaît point à la mère, et dont nous n'avons rien à espérer. Ne serait-ce point lui que je viens de voir sortir d'avec vous ? Il a bonne mine, en effet, et n'a pas trop l'air de ce qu'il est. N'y aurait-il pas moyen de raccommoder cela ? Araminte ne me hait pas, je pense, mais elle est lente à se déterminer ; et pour achever de la résoudre, il ne s'agirait plus que de lui dire que le sujet de notre discussion est douteux pour elle. Elle ne voudra pas soutenir l'embarras d'un procès. Parlons à cet intendant ; s'il ne faut que de l'argent pour le mettre dans nos intérêts, je ne l'épargnerai pas. Tant pis ! Ces gens-là ne sont bons à rien. Non, sûrement. Ah ! N'est-ce pas le procureur de Madame ? montrez-nous la boîte. Le portrait d'une dame ? Qu'est-ce que cela signifie ? Serait-ce celui d'Araminte ? Je vais tout à l'heure savoir ce qu'il en est.  Comment le savez-vous, Mademoiselle ? Vous n'avez point vu le portrait. Ce qu'il y a de certain, c'est un portrait de femme, et c'est ici qu'on vient chercher la personne qui l'a fait faire, à qui on doit le rendre, et ce n'est pas moi. Je ne suis jaloux que de l'inconnu qui ose se donner le plaisir d'avoir le portrait de Madame. Votre portrait ? Eh ! Je m'en doutais bien ; c'est Madame. Non, Madame, ce n'est point moi, sur mon honneur, je ne connais pas ce Monsieur Remy : comment aurait-on dit chez lui qu'on aurait de mes nouvelles ici ? Cela ne se peut pas. Ce qui est de sûr, c'est que cet homme d'affaires-là est de bon goût. Quant à moi, Madame, j'avoue que j'ai craint qu'il ne me servît mal auprès de vous, qu'il ne vous inspirât l'envie de plaider, et j'ai souhaité par pure tendresse qu'il vous en détournât. Il aura pourtant beau faire, je déclare que je renonce à tout procès avec vous ; que je ne veux pour arbitre de notre discussion que vous et vos gens d'affaires, et que j'aime mieux perdre tout que de rien disputer. Je garde le silence sur Dorante ; je reviendrai simplement voir ce que vous pensez de lui, et si vous le congédiez, comme je le présume, il ne tiendra qu'à vous de prendre celui que je vous offrais, et que je retiendrai encore quelque temps. Il est vrai que sa menace signifiait quelque chose de plus. Doucement, Monsieur le Procureur, doucement : il me paraît que vous avez tort. Que vous me connaissiez ou non, il n'est pas si peu essentiel que vous le dites que notre neveu plaise à Madame. Elle n'est pas une étrangère dans la maison. Madame, il est vrai qu'il est venu avec moi ; mais c'est Madame Argante... Je vous conjure, mon cher ami, d'être demain sur les neuf heures du matin chez vous ; j'ai bien des choses à vous dire ; je crois que je vais sortir de chez la dame que vous savez ; elle ne peut plus ignorer la malheureuse passion que j'ai prise pour elle, et dont je ne guérirai jamais. Un misérable ouvrier que je n'attendais pas est venu ici pour m'apporter la boîte de ce portrait que j'ai fait d'elle. J'étais absent, il l'a laissée à une fille de la maison. On a soupçonné que ce portrait m'appartenait ; ainsi, je pense qu'on va tout découvrir, et qu'avec le chagrin d'être renvoyé et de perdre le plaisir de voir tous les jours celle que j'adore... J'aurai encore celui d'être méprisé d'elle. Non pas à cause de la médiocrité de ma fortune, sorte de mépris dont je n'oserais la croire capable... Mais seulement du peu que je vaux auprès d'elle, tout honoré que je suis de l'estime de tant d'honnêtes gens. Auquel cas je n'ai plus que faire à Paris. Vous êtes à la veille de vous embarquer, et je suis déterminé à vous suivre. L'éclaircissement m'en paraît complet. Est-ce à cause qu'il vient de ma part, Madame ? Vous vous expliquez là-dessus d'un air de vivacité qui m'étonne. Quoique je n'aie aucune part à ce qui vient de se passer, je ne m'aperçois que trop, Madame, que je ne suis pas exempt de votre mauvaise humeur, et je serais fâché d'y contribuer davantage par ma présence. Je vous entends, Madame, et sans l'avoir dit à Madame Je songeais à me retirer ; j'ai deviné tout ; Dorante n'est venu chez vous qu'à cause qu'il vous aimait ; il vous a plu ; vous voulez lui faire sa fortune : voilà tout ce que vous alliez dire. Il n'y a plus que notre discussion, que nous réglerons à l'amiable ; j'ai dit que je ne plaiderais point, et je tiendrai parole.