**** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LACOMTESSE *date_1733 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse Ce style-là ne me corrigera guère. Ah ! Ah ! Elle se sauve : la raillerie est un peu trop forte pour elle. Que la vanité fait jouer de plaisants rôles à de certaines femmes ! Car celle-ci meurt de dépit. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LAMARQUISE *date_1733 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lamarquise Vous me paraissez bien affligé, Dorante. C'est sans doute de la Comtesse dont il est question, Dorante ? Pourrais-je vous demander un moment d'entretien ? Dites à votre valet de se tenir à l'écart, afin de nous avertir si quelqu'un vient. Va-t-en ; laisse-nous. Dorante, on nous quitte donc tous deux ? N'imaginez-vous rien à faire dans cette occasion-ci ? Eh bien ! Dorante, tâchez de m'aimer. La réponse n'est pas flatteuse, mais vous me la devez dans l'état où vous êtes. Ne vous fatiguez pas à l'excuser, je m'y attendais. Plus vous continuerez vos compliments, plus vous me direz d'injures : car ce ne sont pas là des douceurs, au moins. Laissons cela, vous dis-je. Non, Dorante, je sais une manière de nous venger qui nous sera plus commode à tous deux. Je veux bien punir la Comtesse, mais, en la punissant, je veux vous la rendre, et je vous la rendrai. Oui, plus tendre que jamais. Et sans qu'il vous en coûte la peine de m'aimer. Attendez pourtant ; je vous dispense d'amour pour moi, mais c'est à condition d'en feindre. Vous aimait-elle beaucoup ? Était-elle persuadée que vous l'aimiez de même ? Tant mieux qu'elle en soit sûre. Si la Comtesse croit l'aimer, elle se trompe : elle n'a voulu que me l'enlever. Si elle croit ne vous plus aimer, elle se trompe encore ; il n'y a que sa coquetterie qui vous néglige. Je connais mon sexe ; laissez-moi faire. Voici comment il faut s'y prendre... Mais on vient ; remettons à concerter ce que j'imagine. Qui est-il donc ? Le valet du Chevalier ? Qu'il vienne ; j'ai à lui parler. C'est un garçon adroit et fin, tout valet qu'il est, et dont j'ai fait mon espion auprès de son maître et de la Comtesse : voyons ce qu'il nous dira ; car il est bon d'être extrêmement sûr qu'ils s'aiment. Mais si vous ne vous sentez pas le courage d'écouter d'un air différent ce qu'il pourra nous dire, allez-vous-en. Approche, Frontin, approche. Eh bien ! Qu'as-tu à me dire ? En toute sûreté. De la Comtesse et du Chevalier. Restez, cela vous amusera. Abrège le plus que tu pourras. Le Chevalier m'aime-t-il encore ? Et sans doute il aime la Comtesse ? Prenez garde... Mais as-tu quelque preuve de ce que tu dis là ? Achève. Fort bien. Oh ! je n'y entends rien, moi ; mais je me les imagine. Ah ! Ah ! Ah ! En voilà assez, Frontin. N'importe, je suis assez instruite. Ce n'est pas la peine. Nous ne pouvons plus douter de leur secrète intelligence ; mais si vous jouez toujours votre personnage aussi mal, nous ne tenons rien. Et moi, je vous laisse. Nous n'avons pas eu le temps de digérer notre idée ; mais en attendant, souvenez-vous que vous m'aimez, qu'il faut qu'on le croie, que voici votre rival, et qu'il s'agit de lui paraître indifférent. Je n'ai pas le temps de vous en dire davantage. Avez-vous instruit votre valet, Dorante ? Cela pourra n'être pas inutile ; ce petit article-là touchera la Comtesse, si elle l'apprend. Je vous dis que, si vous tenez bon, vous la verrez pleurer de douleur. Je ne réponds de rien, si vous n'allez jusque-là. Ne m'en parlez point ; tâchons de le perdre, et qu'il devienne ce qu'il voudra : mais j'ai chargé un des gens de la Comtesse de savoir si je pouvais la voir, et je crois qu'on vient me rendre réponse. Eh bien ! Parlerai-je à ta maîtresse ? Quittez-moi : il ne faut pas dans ce moment-ci qu'elle nous voie ensemble, cela paraîtrait affecté. N'allez rien gâter. Je n'ai pourtant qu'une question à vous faire, et comme vous êtes naturellement vraie, que vous êtes la franchise, la sincérité même, nous aurons bientôt terminé. À cela près, le serez-vous ? Si je vous demandais : Le Chevalier vous aime-t-il ? Me diriez-vous ce qui en est ? Je vous donne ma parole que non. Mais pourquoi vous haïrais-je ? On a eu raison de le prétendre. Je l'avoue. N'est-ce que cela ? Eh ! Je voudrais l'avoir perdu : je souhaite de tout mon coeur qu'il vous aime. Je vous certifie que j'en suis charmée. Non, il me l'était beaucoup ; mais je l'excuse : quand je serais aimable, vous l'êtes encore plus que moi, et vous savez l'être plus qu'une autre. Moi, de la jalousie ? Je ne songeais pas à vous appeler coquette. Mais, de bonne foi, ne l'êtes-vous pas un peu ? Je n'en donne pas tout à fait les mêmes preuves. Je réussirai quand je voudrai, Comtesse ; vous le verrez, cela n'est pas difficile ; et le Chevalier ne vous serait peut-être pas resté, sans le peu de cas que j'ai fait de son coeur. Voulez-vous gager que cette aventure-ci n'humiliera point le mien, si je veux ? Vous l'aimez, sans doute ? Oh ! Ne craignez rien, je vous le laisse. Adieu. Rien à vous dire ! Vous comptez donc l'emporter ? J'avais aussi beau jeu que vous, quand vous me l'avez ôté ; je pourrais donc vous l'enlever de même. Non ; j'ai quelque chose de mieux à faire. Dorante vaut son prix, Comtesse. Adieu. Pardon, Comtesse, si j'interromps un entretien sans doute intéressant ; mais je ne fais que passer. Il m'est revenu que vous retardiez votre mariage avec le Chevalier, par ménagement pour moi. Je vous suis obligée de l'attention, mais je n'en ai pas besoin. Concluez, Comtesse, plutôt aujourd'hui que demain ; c'est moi qui vous en sollicite. Adieu. Réjouissez-vous hardiment ; la nouvelle est bonne. Oui, Comtesse ; hâtez-vous de finir. Adieu. Comtesse, votre jardiner m'apprend que vous êtes fâchée contre moi : je viens vous demander pardon de la faute que j'ai faite sans le savoir ; et c'est pour la réparer que je vous amène ce garçon-cI. Arlequin, quand je vous ai promis Marton, j'ignorais que Madame pourrait s'en choquer, et je vous annonce que vous ne devez plus y compter. Ah çà ! Comtesse, sommes-nous bonnes amies à présent ? En vérité ? Allons, Comtesse, que je vous embrasse avant de partir. Adieu, Chevalier, je vous fais mes compliments ; à tantôt. C'est donc un grand mystère ? Ta discrétion est admirable ! Voyez ce que c'est, Dorante ; mais que je vous dise un mot auparavant. Et toi, va chercher Lisette. C'est apparemment de la part de la Comtesse ? Et vous brûlez d'envie de vous rendre ! Nous touchons au terme, et nous manquons notre coup, si vous allez si vite. Ne vous y trompez point, les mouvements qu'on se donne sont encore équivoques ; il n'est pas sûr que ce soit de l'amour ; j'ai peur qu'on ne soit plus jalouse de moi que de votre coeur ; qu'on ne médite de triompher de vous et de moi, pour se moquer de nous deux. Toutes nos mesures sont prises ; allons jusqu'au contrat, comme nous l'avons résolu ; ce moment seul décidera si on vous aime. L'amour a ses expressions, l'orgueil a les siennes ; l'amour soupire de ce qu'il perd, l'orgueil méprise ce qu'on lui refuse : attendons le soupir ou le mépris ; tenez bon jusqu'à cette épreuve, pour l'intérêt de votre amour même. Abrégez avec Lisette, et revenez me trouver. Je soutiens moi-même un personnage qui n'est pas fort agréable, et qui le sera encore moins sur ces fins-ci, car il faudra que je supplée au peu de courage que vous me montrez ; mais que ne fait-on pas pour se venger ? Adieu. Eh bien, Madame ! Je ne vois rien encore qui nous annonce un mariage avec le Chevalier : quand vous proposez-vous donc d'achever son bonheur ? Moi, Comtesse ? Si je le suis, vous l'épouserez dès aujourd'hui, et vous nous permettrez de joindre notre mariage au vôtre. Il n'arrive pas de bien loin, puisque le voilà. Oh ! nous resterons comme nous sommes. Ah ! Ah ! Ah ! Je pense qu'il n'est plus temps, Madame, du moins je m'en flatte ; ou bien, si vous m'en croyez, vous serez encore plus généreuse ; vous irez jusqu'à lui pardonner les noeuds qui vont nous unir. Je n'ajouterai rien à la définition ; tout y est. Nous nous aimons de bonne foi : il n'y a plus de remède, Comtesse, et deux personnes qu'on oublie ont bien droit de prendre parti ailleurs. Tâchez tous deux de nous oublier encore : vous savez comment cela fait, et cela vous doit être plus aisé cette fois-ci que l'autre. Approchez, Monsieur. Voici le contrat qu'on nous apporte à signer. Dorante, priez Madame de vouloir bien l'honorer de sa signature. Oui, Madame, si vous nous le permettez. Nous espérons même que le vôtre accompagnera celui-ci. Et vous, Chevalier, ne signerez-vous pas ? Présentez la plume à Madame, Monsieur. Rendez-vous à présent ; vous êtes aimé, Dorante. La voilà, Comtesse. Sommes-nous bonnes amies ? Quant à vous, Chevalier, je vous conseille de porter votre main ailleurs ; il n'y a pas d'apparence que personne vous en défasse ici. Nous verrons dans six mois. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LISETTE *date_1733 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Monsieur, je ne sais pas comment vous l'entendez, mais votre tranquillité m'étonne ; et si vous n'y prenez garde, ma maîtresse vous échappera. Je puis me tromper ; mais j'en ai peur. Sans doute : le Chevalier ne la quitte point ; il l'amuse, il la cajole, il lui parle tout bas ; elle sourit : à la fin le coeur peut s'y mettre, s'il n'y est déjà ; et cela m'inquiète, Monsieur ; car je vous estime ; d'ailleurs, voilà un garçon qui doit m'épouser, et si vous ne devenez pas le maître de la maison, cela nous dérange. Des douceurs tant qu'il peut, que je paie de brusqueries. Je l'aperçois qui vient, elle est seule ; retirez-vous, Monsieur, laissez-moi lui parler. Je veux savoir ce qu'elle a dans l'esprit ; je vous redirai notre conversation ; vous reviendrez après. Va, sois tranquille. C'est Dorante qui me quitte, Madame. Mais il dit qu'il n'a pas lieu d'être content, et je crois qu'il dit assez juste : qu'en pensez-vous, Madame ? Comment ? S'il vous aime ! Vous savez bien qu'il n'a point changé. Est-ce que vous ne l'aimez plus ? Je vous ai pourtant entendu dire que c'était le plus aimable homme du monde. Je vous ai vue l'attendre avec empressement. Être fâchée quand il ne venait pas. Et le tout en faveur de Monsieur le chevalier Damis, qui n'a vaillant qu'un accent gascon qui vous amuse ? Que vous avez le coeur inconstant ! Avec autant de raison que vous en avez, comment pouvez-vous être infidèle ? Car on dira que vous l'êtes. Ah ! Madame, que dites-vous là ? Comme vous êtes aguerrie là-dessus ! Je ne vous croyais pas si désespérée : un coeur qui trahit sa foi, qui manque à sa parole ! Mais, mais... De la manière dont vous tournez cette affaire-là, je crois, de bonne foi, que vous avez raison. Oui, je comprends que l'infidélité est quelquefois de devoir, je ne m'en serais jamais doutée ! Si clair, que je m'examine à présent, pour savoir si je ne serai pas moi-même obligée d'en faire une. C'est apparemment ce qu'il prétend. Allons, allons, Madame, à présent que je suis instruite, les amants délaissés n'ont qu'à chercher qui les plaigne ; me voilà bien guérie de la compassion que j'avais pour eux. Je n'aurai pas le temps : Madame attend compagnie, Monsieur, elle aura peut-être besoin de moi. Oh ! De très fortes, Monsieur ; il faut en convenir. La fidélité n'est bonne à rien ; c'est mal fait que d'en avoir ; de beaux yeux ne servent de rien, un seul homme en profite, tous les autres sont morts ; il ne faut tromper personne : avec cela on est enterrée, l'amour-propre n'a point sa part ; c'est comme si on avait cent ans. Ce n'est pas qu'on ne vous estime ; mais l'ennui s'y met : il vaudrait autant être vieille, et cela vous fait tort. Quoi ! Vous ne m'entendez pas ? Eh bien ! Monsieur, on vous distingue. Eh ! Non. Cela peut y conduire, mais cela n'y est pas. C'est un fort aimable homme. Vous étiez fort aimable aussi : m'entendez-vous à cette heure ? Toi ? Je te distingue... Monsieur, Madame vous demande. Que ne me prend-il pour sa confidente ? Eh bien ! Mon garçon, courage, vous n'y perdez rien ; vous voilà plus savant que vous n'étiez. Je vais dire à ma maîtresse que vous venez, Monsieur. Adieu, Frontin. Mon père vous le dira, Madame. Arlequin vient de me traiter avec une indifférence insupportable ; il semble qu'il ne m'ait jamais vue : voyez de quoi la Marquise se mêle ! Non, Monsieur ; je le croyais, tandis qu'Arlequin m'aimait : mais je vois que je me suis trompée, depuis qu'il me refuse. Je ne saurais lui parler, Monsieur, elle repose. Qu'importe ? Chacun a sa façon de reposer. Quelle est votre méthode à vous, Monsieur ? Non, Monsieur ; c'est une question qui vient à propos, et que je vous fais tout en devisant. Votre pénétration n'a point perdu au change. Je n'en sais rien ; c'est qu'apparemment il faut de la variété dans la vie. Oui, si vous m'aimez encore ; sinon, nous sommes uniformes. Jamais qu'à son indifférence. Oh ! Tant que je peux : mais pas autrement qu'en lui parlant contre vous ; car je voudrais qu'elle ne vous aimât pas ; je vous l'avoue, je ne trompe personne. Non ; faites plutôt comme moi, Monsieur, ne m'aimez pas. Vous ne vous tiendrez pas parole. Rien ; elle n'est pas à vendre. Non, Monsieur ; je vous volerais votre argent. Non ; mais je vous dirai bien ce que je voudrais qu'elle projetât, c'est tout ce que je sais. En êtes-vous curieux ? Eh ! Qui est-ce qui n'en a pas ? Personne n'est sans dessein ; on a toujours quelque vue. Par exemple, j'ai le dessein de vous quitter, si vous n'avez pas celui de me quitter vous-même. Adieu, le plus ⁎disgracié de tous les hommes. Il faut donc lui parler devant la Marquise, Arlequin. Retourne à ton maître, et dis-lui que je l'attends ici. Il n'y a point de temps à perdre : cependant va donc. Allons, allons, dégourdis-toi, puisque tu m'aimes. Tiens, voilà ton maître et la Marquise qui s'approchent : tire-le à quartier, lui, pendant que je m'éloigne. Hélas ! Monsieur, quelle est donc cette conjoncture où vous êtes avec elle ? Vous, l'épouser ! Eh, doucement ! Donnez-vous le temps de respirer. Ah ! Que vous êtes changé ! Vous ressouvenez-vous que j'appartiens à Madame la Comtesse, Monsieur ? L'avez-vous oubliée elle-même ? Eh bien ! Monsieur, je finis. Qu'est-ce que c'est que les hommes ! Attendez donc, Monsieur. C'est pourtant de sa part que je viens vous dire qu'elle souhaite vous parler. Oui, Monsieur. Monsieur, il faut qu'elle vous parle ; elle le veut. Rien, sinon que je crois qu'elle vous aime toujours. Allons, il faut l'avouer, ma maîtresse le mérite bien. Non, Madame. Non ; il vous prie de l'excuser, parce qu'il dit que cet entretien fâcherait la Marquise, qu'il va épouser. Oui, Madame, et il est persuadé que vous entrerez dans cette bonne raison qu'il apporte. De lui-même ; mais de Dorante qui ne vous aime plus. Votre coeur et votre raison se trompent. Imaginez-vous même que Dorante soupçonne que vous ne voulez le voir que pour inquiéter la Marquise et le brouiller avec elle. Eh ! Madame, elle n'est que trop aimable. Du moins peut-elle plaire : ajoutez à cela votre infidélité, c'en est assez pour guérir Dorante. Je la sais de vous-même. D'abord vous avez nié que c'en fût une, parce que vous n'aimiez pas Dorante, disiez-vous ; ensuite vous m'avez prouvé qu'elle était innocente ; enfin, vous m'en avez fait l'éloge, et si bien l'éloge, que je me suis mise à vous imiter, ce dont je me suis bien repentie depuis. Pourquoi donc n'avez-vous rien épargné de cruel pour vous ôter Dorante ? Je vous le disais bien, avant que vous m'eussiez gagnée. Quelle différence ! Ne perdez point le temps à vous affliger, Madame. Dorante ne sait pas que vous l'aimez encore. Le laissez-vous à la Marquise ? Voulez-vous tâcher de le ravoir ? Essayez, faites quelques démarches, puisqu'il a droit d'être fâché, et que vous êtes dans votre tort. Je n'y comprends rien. Calmez-vous donc, Madame ; vous êtes dans une désolation qui m'afflige. Travaillons à le ramener, et ne crions point inutilement contre lui. Commencez par rompre avec le Chevalier ; voilà déjà deux fois qu'il se présente pour vous voir, et que je le renvoie. Qu'en voulez-vous faire ? Voici mon père ; sachons auparavant ce qu'il veut. Cette fable me révolte. Ma foi, Madame, ce que j'entends là m'indigne à mon tour ; et à votre place, je me soucierais si peu de lui, que je le laisserais faire. Vous dites que vous le haïssez ! Faites, Madame. Je vous le garantis éternel. Si fait, par ce chemin-là vous pouvez vous en retournez chez vous. Je suis contente. Le coeur me dit que oui. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_DORANTE *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Eh bien ! Maître Blaise, que me veux-tu ? Parle, puis-je te rendre quelque service ? De quoi s'agit-il ? Voyons ; je serai charmé de t'être utile. Explique-toi. Non, je ne me couvre jamais. Parle... Tu avais, ce me semble, quelque chose à me dire ; entre en matière sans compliment. C'est que j'ai affaire. Dans un moment, il faut que je te quitte : achève. Je le sais. Après ? Quelle est-elle ? Je t'entends, Maître Blaise ; mais j'aime mieux te les donner, que de les demander pour toi à la Comtesse, qui ne ferait pas aujourd'hui grand cas de ma prière. Tu crois que je vais l'épouser, et tu te trompes. Je pense que le chevalier Damis m'a supplanté. Adresse-toi à lui : si tu n'obtiens rien, je te ferai l'argent dont tu as besoin. Ce que je te dis n'est que trop vrai, Maître Blaise. Eh ! Que lui dirais-tu, mon enfant ? Voici Arlequin bien triste ; qu'a-t-il à m'apprendre ? Qu'as-tu ? Eh bien ? Dis donc. Parleras-tu ? On a bien affaire de ton pronostic ! Je veux tout savoir. Après ? Eh ! Laisse là ta bouteille, et me dis ce qui me regarde. Encore ? Et tu as vu la Comtesse avec le Chevalier dans la salle ? Tu ne peux donc pas être sûr que ce fût la Comtesse ? Eh bien ! Que se disaient-ils ? Dis-moi donc les pensées ! Eh ! laisse-nous en repos. As-tu dit à la Marquise que j'avais besoin d'un entretien avec elle ? Je le soupçonne aussi, Lisette ; mais que puis-je faire pour empêcher ce que tu me dis là ? Ce qui me désespère, c'est que je n'y vois point de remède ; car la Comtesse m'évite. Je me meurs de douleur ! Je te laisse. Quoi ! Madame, j'arrive, et vous me fuyez ? De grâce, donnez-moi un instant d'audience. On vous avertira, s'il vous en vient. Souffrez que je vous parle de mon amour. Hélas ! Madame, de l'air dont vous m'écoutez, je vois bien que je vous ennuie. Que je suis malheureux ! Qu'êtes-vous devenue pour moi ? Vous me désespérez. Faut-il que je vous aime encore, après d'aussi cruelles réponses que celles que vous me faites ! Ingrate que vous êtes ! J'ai besoin de tout mon respect pour ne pas éclater de colère. Encore un mot, Madame. Vous ne m'aimez donc plus ? Non ! Je vous jure, ma foi, que je ne m'en ressouviendrai de ma vie non plus. La perfide !... Arrête, Lisette. Tu lui as parlé de moi ; je ne sais que trop ce qu'elle pense ; mais, n'importe : que t'a-t-elle dit en particulier ? Lisette, m'abandonnez-vous ? Parle, quelle raison allègue-t-elle ? Quel étrange discours me tiens-tu là ? Explique-toi donc. Veux-tu dire qu'on m'aime ? Je n'y conçois rien. Aime-t-on le Chevalier ? Et moi, Lisette ? Ah ! Je suis outré ! J'ai le coeur saisi ! On me trahit, Madame, on m'assassine, on me plonge le poignard dans le sein ! D'elle-même, Madame. Comme il vous plaira ; j'avais même envie de vous parler sur ce qui nous vient d'arriver. Retire-toi, et prends garde à tout ce qui approchera d'ici. Vous le voyez, Madame. Non, je ne vois plus rien à tenter : on nous quitte sans retour. Que nous étions mal assortis, Marquise ! Eh ! Pourquoi n'est-ce pas vous que j'aime ? Hélas ! Je voudrais pouvoir y réussir. Ah ! Madame, je vous demande pardon ; je ne sais ce que je dis : je m'égare. Vous êtes aimable, sans doute, il n'est pas difficile de le voir, et j'ai regretté cent fois de n'y avoir pas fait assez d'attention ; cent fois je me suis dit... Je n'ai pourtant recours qu'à vous, Marquise. Vous avez raison, il faut que je vous aime : il n'y a que ce moyen-là de punir la perfide que j'adore. Quoi ! La Comtesse reviendrait à moi ? Serait-il possible ? Comme il vous plaira. Oh ! De tout mon coeur, je tiendrai toutes les conditions que vous voudrez. Il me le paraissait. Je vous dis que je l'adore, et qu'elle le sait. Mais du Chevalier, qui vous a quittée et qui l'aime, qu'en ferons-nous ? Lui laisserons-nous le temps d'être aimé de la Comtesse ? Cela se pourrait bien. Quoi ! Ne viens-tu nous interrompre que pour soupirer ? Tu n'as guère de coeur. Oh ! Je suis outré : mais ne craignez rien. De quoi donc est-il question ? Volontiers. Voyons. Et la Comtesse ne le hait pas apparemment ? J'entends qu'elle répond à son amour. Ah ! Ah ! Ah... Je me meurs ! Mais cela suffit ; ils s'aiment, voilà son histoire finie. Que peut-il dire de plus ? Fort mal. Quel récit, Marquise ! Non, je dis à Madame que je trouve cela comique. Ah !... Oui. C'est que ces deux soupirs-là sont plaisants, et je les contrefais ; contrefaites aussi, Marquise. Faites-le finir ; je n'y tiendrais pas. Non. J'avoue que ses récits m'ont fait souffrir ; mais je me soutiendrai mieux dans la suite. Ah ! L'ingrate ! jamais elle ne me donna son portrait. Qui ? Retire-toi. Fiez-vous à moi, je jouerai bien mon rôle. Volontiers, Chevalier ; mais fais vite ; voici l'heure de la poste, et j'ai un paquet à faire partir. Toi ? Je t'entends, Chevalier : tu aurais grande envie que je ne l'aimasse plus. Est-elle prévenue en ta faveur ? C'est-à-dire que tu lui plais. Ce n'est pas ta modestie que j'interroge, car elle est gasconne. Parlons simplement : t'aime-t-elle ? Je te le donne à charge de revanche. Avec de beaux yeux de ta connaissance qui sollicitent aussi. Elle-même. Sans doute. Je t'avertis que je l'épouserai, au moins. Tu épouseras la Comtesse ? Et bientôt ? Adieu ; j'en suis fort ravi. Ah ! Oui... Oui, oui ; demain. Apparemment. Adieu. Viens, j'ai à te dire un mot. Arlequin, je te vois à tout moment chercher Lisette, et courir après elle. Dis-moi : préfères-tu mon service à celui d'un autre ? Si tu me préfères à un autre, il s'agit de prendre ton parti sur le chapitre de Lisette. Non, mais je te défends d'en parler jamais à Lisette, je veux même que tu l'évites ; je veux que tu la quittes, que tu rompes avec elle. C'est que les choses ont changé ; c'est que la Comtesse pourrait me soupçonner d'être curieux de ses démarches, et de me servir de toi auprès de Lisette pour les savoir : ainsi, laisse-la en repos ; je te récompenserai du sacrifice que tu me feras. Oh ! Point de réplique : Marton, qui est à la Marquise, vaut bien ta Lisette ; on te la donnera. Il faut opter pourtant. Lequel aimes-tu mieux, de ton congé, ou de Marton ? Ton congé, tu le connaîtras dès aujourd'hui, si tu ne suis pas mes ordres ; ce n'est même qu'en les suivant que tu serais regretté de Lisette. Retire-toi ; j'aperçois la Marquise. À propos, garde le secret sur la défense que je te fais de voir Lisette : comme c'était de mon consentement que tu l'épousais, ce serait avoir un procédé trop choquant pour la Comtesse, que de paraître m'y opposer ; je te permets seulement de dire que tu aimes mieux Marton, que la Marquise te destine. Fort bien ; va-t-en. Oui, Madame. Ma foi, Madame, je commence à croire que nous réussirons ; je la vois déjà très étonnée de ma façon d'agir avec elle : elle qui s'attend à des reproches, je l'ai vue prête à me demander pourquoi je ne lui en faisais pas. Je l'attends aux larmes : êtes-vous contente ? Et votre Chevalier, comment en agit-il ? Et moi, j'ai un petit dessein, quand vous l'aurez quittée. Fiez-vous à moi. Eh bien ! Marquise, m'opposerez-vous encore des scrupules ?... Ah ! Madame, je vous demande pardon, je me trompe ; j'ai cru de loin voir tout à l'heure la Marquise ici, et dans ma préoccupation je vous ai prise pour elle. Madame, c'est une suite de conversation que nous avons eu ensemble, et que je lui rappelais. Je vous dis, Madame, que ce n'est qu'une bagatelle dont j'ai peine à me ressouvenir moi-même. C'est, je pense, qu'elle avait la curiosité de savoir comment j'étais dans votre coeur. Je n'ai pas le défaut d'être vain. Curiosité pure, vous dis-je... C'est moi, qui par hasard, en croyant l'aborder, me suis servi de ce terme-là, sans savoir pourquoi. Je vois bien que je ne réussirais pas à vous persuader le contraire, Madame ; parlons d'autre chose. À propos de curiosité, y a-t-il longtemps que vous n'avez reçu de lettres de Paris ? La Marquise en attend ; elle aime les nouvelles, et je suis sûr que ses amis ne les lui épargneront pas, s'il y en a. Quoi ! Madame, vous revenez encore à cette bagatelle-là ? Vous en aurez toujours beaucoup, Madame ; et si celui que vous y aviez est un peu diminué, ce n'est pas ma faute. Je me sauve pourtant, dans la crainte de céder à celui qui vous reste. De tout mon coeur, Madame. Qu'a-t-elle fait ? J'ai de la peine à croire qu'il y ait quelque chose à redire à ses procédés. Vous connaissez sa prudence... Eh ! Pensez-vous que la Marquise ait cru vous offenser ? Qu'il me soit venu dans l'esprit, à moi, que vous vous y intéressez encore ? Non, Comtesse. Arlequin se plaignait d'une infidélité que lui faisait Lisette ; il perdait, disait-il, sa fortune : on prend quelquefois part aux chagrins de ces gens-là ; et la Marquise, pour le dédommager, lui a, par bonté, proposé le mariage de Marton qui est à elle ; il l'a acceptée, l'en a remerciée : voilà tout ce que c'est. Attendez, Madame, appelons quelqu'un ; mon valet est peut-être là... Arlequin !... La Marquise n'est pas loin, il n'y a qu'à la prier de votre part de venir ici, vous lui en parlerez. Oui, mais, Madame, observez qu'il faut que je m'en embarrasse, moi ; je ne saurais en décider sans elle. Y aurait-il rien de plus malhonnête que d'obliger mon valet à refuser une grâce qu'elle lui fait et qu'il a acceptée ? Je suis bien éloigné de ce procédé-là avec elle. C'est en y songeant que je m'arrête. Il m'honorera toujours, et j'y obéirais avec plaisir, si je pouvais. J'étais pourtant venu pour savoir une chose ; voudriez-vous bien m'en instruire, Madame ? Vous savez celle-ci, Madame. Vous destinez-vous bientôt au Chevalier ? Quand aurons-nous la joie de vous voir unis ensemble ? Parbleu ! Chevalier, j'en suis charmé, et je t'en félicite. Elle rougit ! Oui, Madame. Va-t'en. Retire-toi, faquin. Marquise, je vous apprends une chose, c'est que la Comtesse et le Chevalier se marient peut-être ce soir. L'impatience sied fort bien : mais si près d'une si douce aventure, on a bien des choses à se dire. Laissons-leur ces moments-ci, et allons, de notre côté, songer à ce qui nous regarde. Dis ce que tu me veux. Je n'ai point de secret pour elle. Sans doute, et vous voyez combien elle est agitée. Me siérait-il de faire le cruel ? Ah ! Votre épreuve me fait trembler ! Elle est pourtant raisonnable et je m'y exposerai, je vous le promets. Que me veux-tu, Lisette ? Je n'ai qu'un moment à te donner. Tu vois bien que je quitte Madame la Marquise, et notre conversation pourrait être suspecte dans la conjoncture où je me trouve. C'est que je vais l'épouser : rien que cela. Tais-toi... Ne me retiens point, Lisette : que me veux-tu ? Non, je l'honore, je la respecte toujours : mais je pars, si tu n'achèves. Adieu. C'est que tes exclamations sur les hommes sont si mal placées, que j'en rougis pour ta maîtresse. Quoi ! Tout à l'heure ? Te tairas-tu, toi ? Est-ce que tu es raccommodé avec Lisette ? Ce sont tes affaires. Quant à moi, Lisette, dites à Madame la Comtesse que je la conjure de vouloir bien remettre notre entretien ; que j'ai, pour le différer, des raisons que je lui dirai ; que je lui en demande mille pardons ; mais qu'elle m'approuvera elle-même. Je crois que tu as perdu l'esprit. En un mot, Lisette, je ne saurais, tu le vois bien ; c'est une entrevue qui inquiéterait la Marquise ; et Madame la Comtesse est trop raisonnable pour ne pas entrer dans ce que je dis là : d'ailleurs, je suis sûr qu'elle n'a rien de fort pressé à me dire. Qu'elle m'aime toujours, Lisette ! Ah ! C'en serait trop, si vous parliez d'après elle ; et l'envie qu'elle aurait de me voir en ce cas-là, serait en vérité trop maligne. Que Madame la Comtesse m'ait abandonné, qu'elle ait cessé de m'aimer, comme vous me l'avez dit vous-même, passe : je n'étais pas digne d'elle ; mais qu'elle cherche de gaieté de coeur à m'engager dans une démarche qui me brouillerait peut-être avec la Marquise, ah ! C'en est trop, vous dis-je ; et je ne la verrai qu'avec la personne que je vais rejoindre. Oui, Comtesse, Madame me fait l'honneur de me donner sa main ; et comme nous sommes chez vous, nous venons vous prier de permettre qu'on nous y unisse. Oui, Madame. Oui, Madame. Ah ! Ma chère Comtesse ! Et plus pénétré d'amour qu'il ne le fut jamais. Et n'a jamais cessé de vous aimer. C'est elle à qui je devrai votre coeur, si vous me le rendez, Comtesse ; elle a tout conduit. Je ne l'ai pu qu'à force d'amour ; j'espérais de regagner ce que j'aime. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LECHEVALIER *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier Jé té rencontre à propos ; jé voulais té parler, Dorante. Jé finis dans un clin d'oeil. Jé suis ton ami, et jé viens té prier dé mé réléver d'un scrupule. Oui ; délivre-moi d'uné chicané qué mé fait mon honneur : a-t-il tort ou raison ? Voici lé cas. On dit qué tu aimes la Comtessé ; moi, jé n'en crois rien, et c'est entré lé oui et lé non qué gît lé petit cas dé conscience qué jé t'apporte. Tu l'as dit ; ma délicatessé sé fait bésoin dé ton indifférence pour elle : j'aime cetté dame. Dé faveur, jé m'en passe ; ellé mé rend justicé. Dès qué jé l'aime, tout est dit ; épargne ma modestie. Eh ! Oui, té dis-je, ses yeux ont déjà là-dessus entamé la matière ; ils mé sollicitent lé coeur, ils démandent réponsé : mettrai-je bon au bas dé la réquête ? C'est ton agrément qué j'attends. Avec qui la révanche ? Les beaux yeux qué la Marquisé porte ? Et l'intérêt qué tu mé soupçonnes d'y prendre té gêne, té rétient ? Va, jé t'émancipé. Jé t'informe qué nous férons assaut dé noces. L'espérance dé ma postérité s'y fonde. Démain, peut-être, notre célibat expire. Touche là ; té suis-je cher ? Tu mé l'es sans mésure, jé mé donne à toi pour un siècle ; céla passé, nous rénouvellérons dé bail. Serviteur. Qu'appelles-tu démain ? Moi, jé suis ton serviteur du temps passé, du présent et dé l'avénir ; toi dé même apparemment ? Qué démandes-tu ? j'ai hâte dé réjoindre ma Comtesse. Eh bien ! Tu lui as confié qué j'aimé la Comtesse, et qu'ellé m'aime ; qu'en dit-ellé ? Achève vite. Jé continuerai dé bien faire. Adieu. Eh ! Eh ! Eh ! Qué mé fait cé néant ? Jé meurs dans une mémoire, jé ressuscite dans une autre ; n'ai-je pas la mémoire dé la Comtesse où jé révis ? Non ; lé caprice qui lé tue, lé voilà ; c'est moi qui l'expédie, j'en ai bien expédié d'autres, Frontin : né t'inquiète pas ; la Comtesse m'a reçu dans son coeur, il faudra qu'ellé m'y garde. C'est un amour dé ma façon, sandis ! Il né finira qu'avec elle ; espère mieux dé la fortune dé ton maître ; connais-moi bien, tu n'auras plus dé défiance. J'y cours, Lisette : mais remets cé faquin dans son bon sens, jé té prie ; tu mé l'as privé dé cervelle ; il m'entretient qu'il t'aime. Jé té garantis la tienne. Il mé paraît qué ma Comtesse rêve, qu'ellé tombé dans lé récueillément. Différer lé nôtre ! Cadédis, vous mé parlez dé la fin du siècle ! En vertu dé quoi la rémise ? Qu'ai-jé bésoin dé rémarque ? Si pressé qué j'en meurs, sandis ! Si lé cas réquiert uné victime, pourquoi mé donner la préférence ? Mais, pour les accoutumer, il faut qué jé vive ; et jé vous défie dé mé garder vivant, vous né mé conduirez pas au terme. Tâchons dé les accoutumer à moins dé frais : la modé dé mourir pour la consolation dé ses amis n'est pas venue, et dé plus, qué nous importe qué ces deux affligés nous disent : Partez ? Savez-vous qu'on dit qu'ils s'arrangent ? J'entends que leurs coeurs s'accommodent. On né parle pas tout à fait d'amour, mais d'uné pétite douceur à sé voir. Dé leur amour jé né m'en rends pas caution. En cé cas, irez-vous en avant ? Jé vous tiens, et jé vous informe qué la Marquise a donné charge à Frontin dé nous examiner, dé lui apporter un état dé nos coeurs ; et j'avais oublié dé vous lé dire. Frontin aura peut-être déjà parlé ; jé né l'ai pas vu dépuis. Qué son rapport nous règle. Arrive, Frontin, as-tu vu la Marquise ? Raconte-nous comment ils sé comportent. Par bonté d'âme, Madame a peur dé les désespérer : moi jé dis qu'ils sé consolent. Qu'en est-il des deux ? Rien qué cette bonté né l'arrête, té dis-je ; tu m'entends bien ? Jé vous gagne dé marché fait : cé soir vous êtes mienne. Il vous dit vrai. J'ai tantôt rencontré Dorante, jé lui ai dit : J'aime la Comtessé, j'ai passion pour elle. Eh bien ! Garde-la, m'a-t-il dit tranquillement. Jé vous assure qu'il était riant, et qué la paix régnait dans son coeur. Otez la mienne. Mitigé ton récit. La passion sé montre, j'en conviens. Cette grimace est importante. Jé mé rends. Il soupire, il régardé dé travers, et ma noce récule. Pesté du faquin, qui réjetté Madamé dans uné compassion qui sera funeste à mon bonheur ! Elle en a lé coeur palpitant, sandis ! Voilà cé qué c'est. Comtesse, je vous écoute, l'oreille vous entend, l'esprit né vous saisit point ; jé né vous conçois pas. Venez çà, Lisette ; tirez-nous cetté bizarre aventure au clair. N'êtes-vous pas éprise dé Frontin ? Qué répondre à cé coeur dé femme ? La réponse mé persuade, jé les crois sans malice. Qué sur cé point la paix sé fasse entre les puissances, et qué les subalternes sé débattent. Eh ! Cadédis, laissons cé trio dé valets et dé soubrettes. Prénez et né rendez pas, Comtesse. Doucément, diviné Comtesse, jé tombe en délire ! jé perds haleine dé ravissément ! C'est démencé d'amour. Cé soir est loin encore. Jé l'en dispense, surtout cé soir. Comment ! Changez-vous d'avis ? Qué pensez-vous ? Jé démeure muet : jé sens qué jé périclite. Cette femme est plus femme qu'une autre. Mais dé grâce, Lisette, priez-la dé ma part que jé la voie un moment. Ellé répose ! Ellé répose donc débout ? Il mé paraît qué tu mé railles, Lisette. J'ai même un petit soupçon qué tu né m'aimes pas. Né lé disais-je pas ? Eh ! pourquoi, sandis ! Té veux-jé du bien, pendant qué tu mé veux du mal ? D'où mé vient ma disposition amicale, et qué ton coeur mé réfuse lé réciproque ? D'où vient qué nous différons dé sentiments ? Dis-moi lé vrai : tu né mé récommandes pas à ta maîtresse ? Tu mé fais donc préjudice auprès d'elle ? Ah çà ! Lisette, dévénons amis. Jé veux qué tu m'aimes, et tu m'aimeras, cadédis ! Tu m'aimeras ; jé l'entréprends, jé mé lé promets. Combien mé coûtera lé départ dé la tienne ? Tiens, prends, et la garde, si tu veux. Prends, té dis-je, et mé dis seulement cé qué ta maîtresse projette. N'a-t-ellé pas quelqué dessein ? Rétirons-nous, Frontin ; jé sens qué jé m'indigne. Nous réviendrons tantôt la recommander à sa maîtresse. Eh ! Donc, ma Comtessé, qué devient l'amour ? À quoi pensé lé coeur ? Est-ce ainsi qué vous m'avertissez dé venir ? Quel est lé motif dé l'absence qué vous m'avez ordonnée ? Vous né mé mandez pas, vous mé laissez en langueur ; jé mé mande moi-même. Lé messager m'a paru tardif. Qué déterminez-vous ? Nos gens vont sé marier, le contrat sé passe actuellement. N'userons-nous pas de la commodité du notaire ? Ils mé délèguent pour vous y inviter. Ratifiez mon impatience ; songez qué l'amour gémit d'attendre, qué les besoins du coeur sont pressés, qué les instants sont précieux, qué vous m'en dérobez d'irréparables, et qué jé meurs. Expédions. Nous n'épouserons pas ? Qu'est-ce à dire "non" ? Avec la Marquise ! Mais c'est vous qué j'aime, Madame ! Vous mé raillez, sandis ! Ma Comtessé, finissons ; point dé badinage avec un coeur qui va périr d'épouvante. Lé comble dé mon bonheur, vous l'avez rémis à cé soir. Récommandé ! Il n'en a pas été question, cadédis ! Mais, la Marquise et lé Chevalier, qu'ont-ils à démêler ensemble ? C'est une vapeur qui passe. Frontin, où en sommes-nous ? Partirai-jé, Comtessé ? Séra-ce lé résultat ? Allons, jé suis dupe ; c'est être au fait. Nous avons changé votre économie : jé tombé dans lé lot dé Madame la Marquise, et Madame la Comtessé tombé dans lé tien. Jé démande audience : jé perds Madame la Marquise, et j'aurais tort dé m'en plaindre ; jé mé suis trouvé défaillant dé fidélité, jé né sais comment, car lé mérite dé Madame m'en fournissait abondance, et c'est un malheur qui mé passe ! En un mot, jé suis infidèle, jé m'en accuse ; mais jé suis vrai, jé m'en vante. Il né tient qu'à moi d'user dé réprésailles, et dé dire à Madame la Comtesse : Vous mé trompiez, jé vous trompais. Mais jé né suis qu'un homme, et jé n'aspire pas à cé dégré dé finesse et d'industrie. Voici lé compte juste ; vous avez contrefait dé l'amour, dites-vous, Madame ; jé n'en valais pas davantage ; mais votre estime a surpassé mon prix. Né rétranchez rien du fatal honneur qué vous m'avez fait : jé vous aimais, vous mé lé rendiez cordialement. J'achève : jé vous aimais, un peu moins qué Madame. Jé m'explique : elle avait dé mon coeur une possession plus complète, jé l'adorais ; mais jé vous aimais, sandis ! Passablement, avec quelque réminiscence pour elle. Oui, Dorante, nous étions dans lé tendre. Laisse là l'histoire qu'on té fait, mon ami ; il fâche Madame qué tu la désertes, qué ses appas restent inférieurs ; sa gloire crie, té rédémande, fait la sirène ; qué son chant té trouve sourd. Prends un regard dé ces beaux yeux pour té servir d'antidote ; demeure avec cet objet qué l'amour venge dans mon coeur : jé lé dis à régret, jé disputerais Madame dé tout mon sang, s'il m'appartenait d'entrer en dispute ; possède-la, Dorante, bénis lé ciel du bonheur qu'il t'accorde. Dé toutes les épouses, la plus estimable, la plus digne dé respect et d'amour, c'est toi qui la tiens ; dé toutes les pertes, la plus immense, c'est moi qui la fais ; dé tous les hommes, lé plus ingrat, lé plus déloyal, en même temps lé plus imbécile, c'est lé malheureux qui té parle. Jé né sais plus écrire. Jé né vous démandais qu'un termé ; lé reste est mon affaire. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_BLAISE *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_blaise Oh dame ! Comme ce dit l'autre, ou en êtes bian capable. Morgué ! Velà bian Monsieur Dorante, quand faut sarvir le monde, jarnicoton ! Ça ne barguine point. Que ça est agriable ! Le biau naturel d'homme ! Oh ! Point du tout, Monsieur, c'est vous qui charmez les autres. Boutez d'abord dessus. C'est bian fait à vous ; moi, je me couvre toujours ; ce n'est pas mal fait non pus. Eh ! Eh bian ! Qu'est-ce ? Comment vous va, Monsieur Dorante ? Toujours gros et gras. J'ons vu le temps que vous étiez mince ; mais, morgué ! ça s'est bian amendé. Vous velà bian en char. Oh ! C'est un petit bout de civilité en passant, comme ça se doit. Morgué ! Tant pis ; les affaires baillont du souci. Je commence. C'est que je venons par rapport à noute fille, pour l'amour de ce qu'alle va être la femme d'Arlequin voute valet. Dont je savons qu'ou êtes consentant, à cause qu'alle est femme de chambre de Madame la Comtesse qui va vous prendre itou pour son homme. C'est ce qui fait, ne vous déplaise, que je venons vous prier d'une grâce. C'est que faura le troussiau de Lisette, Monsieur Dorante ; faura faire une noce, et pis du dégât pour cette noce, et pis de la marchandise pour ce dégât, et du comptant pour cette marchandise. Partout du comptant, hors cheux nous qu'il n'y en a point. Par ainsi, si par voute moyen auprès de Madame la Comtesse, qui m'avancerait queuque six-vingts francs sur mon office de jardinier... Par la morgué, ce que j'entends là me dérange de vous remarcier, tant je sis surprins et stupéfait. Un brave homme comme vous, qui a une mine de prince, qui a le coeur de m'offrir de l'argent, se voir délaissé de la propre parsonne de sa maîtresse !... Ça ne se peut pas, Monsieur, ça ne se peut pas. C'est noute enfant que la Comtesse ; c'est défunte noute femme qui l'a norrie : noute femme avait de la conscience ; faut que sa norriture tianne d'elle. Ne craignez rin, reboutez voute esprit ; n'y a ni Chevalier ni cheval à ça. Jarniguienne ! Si je le croyais, je sis homme à li représenter sa faute. Une Comtesse que j'ons vue marmotte ! Vous plaît-il que je l'exhortise ? Ce que je li dirais, morgué ! Ce que je li dirais ? Et qu'est-ce que c'est que ça, Madame, et qu'est-ce que c'est que ça ! Velà ce que je li dirais, voyez-vous ! Car, par la sangué ! J'ons barcé cette enfant-là, entendez-vous ? Ça me baille un grand parvilége. Qui est-ce qui vous fâche ? Morgué ! Ça m'attriste itou. À quoi sart d'être oisiau de mauvais augure ? Ça est naturel. Faut la laisser là, pisqu'alle est bue. Morgué ! Tant pis. Ils ne pouviont pas se dispenser d'être ensemble. Eh bian ! C'est signe de joie ; velà tout. Mais, morgué ! Ça se confirme donc, Lisette ? Mordi ! C'est pourtant mauvais signe. Fort bian, noute fille : toujours malhonnête envars li, toujours rudânière : hoche la tête quand il te parle ; dis-li : Passe ton chemin. De la fidélité, morguienne ; baille cette confusion-là à la Comtesse, n'est-ce pas, Monsieur ? Faut point mourir, ça gâte tout ; avisons plutôt à queuque manigance. J'entends bian, Madame. Mais il y a, morgué ! bian une autre histoire qui trotte par le monde, et qui nous chagraine. Il s'agit que je venons vous crier marci. C'est, ne vous déplaise, Madame, qu'Arlequin est un mal-appris ; mais que les pus mal-appris de tout ça, c'est Monsieur Dorante et Madame la Marquise, qui ont eu la finesse de manigancer la volonté d'Arlequin, à celle fin qu'il ne voulît pus d'elle ; maugré qu'alle en veuille bian, comme je me doute qu'il en voudrait peut-être bian itou, si an le laissait vouloir ce qu'il veut, et qu'an n'y boutît pas empêchement. Oui, Madame ; par le mouyen d'une fille qu'ils appelont Marton, que Madame la Marquise a eu l'avisement d'inventer par malice, pour la promettre à Arlequin. En disant, comme ça, que faut qu'ils s'épousient à Paris, a mijaurée et li, dans l'intention de porter dommage à noute enfant, qui va choir en confusion de cette malice, qui n'est rien qu'un micmac pour affronter noute bonne renommée et la vôtre, Madame, se gobarger de nous trois ; et c'est touchant ça que je venons vous demander justice. Empêcher qu'une fille ne soit la femme du monde ! J'en avons charché querelle à Monsieur Dorante et à sa Marquise de cette affaire. Morgué ! Madame, savez-vous bian ce qui se passe ici ? Vous avise-t-on d'un tabellion qui se promène là-bas dans le jardin avec Monsieur Dorante et cette Marquise, et qui dit comme ça qu'il leur apporte un chiffon de contrat qu'ils li ont commandé, pour à celle fin qu'ils y boutent leur seing par-devant sa parsonne ? Qu'est-ce que vous dites de ça, Madame ? Car noute fille dit que voute affection a repoussé pour Dorante ; et ce tabellion est un impartinent. Eh ! Morgué ! sans doute. Ils disont itou qu'il fera le contrat pour quatre ; ceti-là de voute ancien amoureux avec la Marquise ; ceti-là de vous et du Chevalier, voute nouviau galant. Velà comme ils se gobargeont de ça ; et jarnigoi ! Ça me fâche. Et vous, Madame ? Jarnigué ! Cette Marquise, maugré le marquisat qu'alle a, n'en agit pas en droiture ; an ne friponne pas les amoureux d'une parsonne de voute sorte : et dans tout ça il n'y a qu'un mot qui sarve ; Madame n'a qu'à dire, mon râtiau est tout prêt, et, jarnigué ! J'allons vous ratisser ce biau notaire et sa paperasse ni pus ni moins que mauvaise harbe. Morgué ! Madame, j'ons vu le temps qu'il me chérissait : estimez-vous que je sois bon pour li parler ? N'y aura pas d'aparcevance : stapendant qu'il lira voute lettre je la renforcerons de queuque remontration. Et ma volonté se met par-dessus ça. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_FRONTIN *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_frontin Je te ferai ma réponse en sortant. Mais, Madame, puis-je parler devant Monsieur ? Cela pourra même occuper Monsieur. Dès que je vous eus promis, Madame, d'observer ce qui se passerait entre mon maître et la Comtesse, je me mis en embuscade... Excusez, Madame, je ne finis point quand j'abrège. Il n'en reste pas vestige, il ne sait pas qui vous êtes. Bon, l'aimer ! Belle égratignure ! C'est traiter un incendie d'étincelle. Son coeur est brûlant, Madame ; il est perdu d'amour. Non, non, la vérité est à plus de mille lieues de ce que vous dites. Bagatelle ! Elle n'y répond plus : toutes ses réponses sont faites, ou plutôt dans cette affaire-ci, il n'y a eu ni demande ni réponse, on ne s'en est pas donné le temps. Figurez-vous deux coeurs qui partent ensemble ; il n'y eut jamais de vitesse égale : on ne sait à qui appartient le premier soupir, il y a apparence que ce fut un duo. J'ai de sûrs témoins de ce que j'avance, mes yeux et mes oreilles... Hier, la Comtesse... Hier, la Comtesse et mon maître s'en allaient au jardin. Je les suis de loin ; ils entrèrent dans le bois, j'y entre aussi ; ils tournent dans une allée, moi dans le taillis ; ils se parlent, je n'entends que des voix confuses ; je me coule, je me glisse, et de bosquet en bosquet, j'arrive à les entendre et même à les voir à travers le feuillage... La bellé chose ! la bellé chose ! s'écriait le Chevalier, qui d'une main tenait un portrait et de l'autre la main de la Comtesse. La bellé chose ! Car, comme il est Gascon, je le deviens en ce moment, tout Manceau que je suis ; parce qu'on peut tout, quand on est exact, et qu'on sert avec zèle. Or, ce portrait, Madame, dont je ne voyais que le menton avec un bout d'oreille, était celui de la Comtesse. Oui, disait-elle, on dit qu'il me ressemble assez. Autant qu'il sé peut, disait mon maître, autant qu'il sé peut, à millé charmés près qué j'adore en vous, qué lé peintre né peut qué remarquer, qui font lé désespoir dé son art, et qui né rélèvent qué du pinceau dé la nature. Allons, allons, vous me flattez, disait la Comtesse, en le regardant d'un oeil étincelant d'amour-propre ; vous me flattez. Eh ! Non, Madame, ou qué la pesté m'étouffe ! Jé vous dégrade moi-même, en parlant dé vos charmés : sandis ! Aucune expression n'y peut atteindre ; vous n'êtes fidélément rendue qué dans mon coeur. N'y sommes-nous pas toutes deux, la Marquise et moi ? répliquait la Comtesse. La Marquise et vous ! s'écriait-il ; eh ! Cadédis, où sé rangerait-elle ? Vous m'en occuperiez mille dé coeurs, si jé les avais ; mon amour ne sait où sé mettre, tant il surabonde dans mes paroles, dans mes sentiments, dans ma pensée ; il sé répand partout, mon âme en régorge. Et tout en parlant ainsi, tantôt il baisait la main qu'il tenait, et tantôt le portrait. Quand la Comtesse retirait la main, il se jetait sur la peinture ; quand elle redemandait la peinture, il reprenait la main : lequel mouvement, comme vous voyez, faisait cela et cela, ce qui était tout à fait plaisant à voir. Eh ! Ne parlez-vous pas, Monsieur ? Je le souhaite. Là-dessus : Rendez-moi mon portrait, rendez donc... Mais, Comtesse... Mais, Chevalier... Mais, Madamé, si jé rends la copie, qué l'original mé dédommagé... Oh ! Pour cela, non... Oh ! Pour céla, si. Madame, au nom dé vos grâcés innombrables, nantissez-moi dé la ressemblance, en attendant la personne ; accordez cé rafraîchissement à mon ardeur... Mais, Chevalier, donner son portrait, c'est donner son coeur... Eh ! Donc, Madamé, j'endurérai bien dé les avoir tous deux... Mais... Il n'y a point dé mais ; ma vie est à vous, lé portrait à moi ; qué chacun gardé sa part... Eh bien ! C'est donc vous qui le gardez ; ce n'est pas moi qui le donne, au moins... Tope ! Sandis ! Jé m'en fais responsable, c'est moi qui lé prends ; vous né faites qué m'accorder dé lé prendre... Quel abus de ma bonté ! Ah ! C'est la Comtesse qui fait un soupir... Ah ! Félicité dé mon âme ! C'est le Chevalier qui repart un second. Et c'est Monsieur qui fournit le troisième. Ce matin dans la galerie... Les fragments qui me restent sont d'un goût choisi. Les gages de la commission courent-ils toujours, Madame ? Et Monsieur voudrait-il m'établir son pensionnaire ? Ce non-là, si je m'y connais, me casse sans réplique, et je n'ai plus qu'une révérence à faire. J'attendais qu'il fût sorti pour venir, Monsieur. Attendez : malepeste ! Ceci est sérieux ; j'ai parlé à la Marquise, je lui a fait mon rapport. Ce qu'elle en dit ? Que c'est fort bien fait à vous. Morbleu ! Monsieur, vous n'y songez pas ; il faut revoir la Marquise, entretenir son amour, sans quoi vous êtes un homme mort, enterré, anéanti dans sa mémoire. Vous en riez ! Je ne trouve pas cela plaisant, moi. Oui, mais j'ai peur que dans cette dernière, vous n'y mouriez un beau matin de mort subite. Dorante y est mort de même, d'un coup de caprice. Ce coeur-là, je crois que l'amour y campe quelquefois, mais qu'il n'y loge jamais. J'ai déjà usé de cette recette-là ; elle ne m'a rien fait. Mais voici Lisette ; vous devriez me procurer la faveur de sa maîtresse auprès d'elle. Eh bien ! Ma charmante, je vous aime : vous voilà aussi savante que moi. Adieu, ma charmante. Allons, Monsieur, ma foi ! Vous avez raison, votre aventure a bonne mine : la Comtesse vous aime ; vous êtes Gascon, moi Manceau, voilà de grands titres de fortune. Si j'avais le choix des cautions, je vous dispenserais d'être la mienne. Oui, Monsieur, et même avec Dorante ; il n'y a pas longtemps que je les quitte. À merveille. Madame peut vous épouser en toute sûreté : de désespoir, je n'en vois pas l'ombre. Vous m'excuserez, Madame, le désespoir est connaissable. Si c'étaient de ces petits mouvements minces et fluets, qui se dérobent, on peut s'y tromper ; mais le désespoir est un objet, c'est un mouvement qui tient de la place. Les désespérés s'agitent, se trémoussent, ils font du bruit, ils gesticulent ; et il n'y a rien de tout cela. Oui ; mais je suis mal payé de la Marquise, elle est en arrière. Et Dorante m'a révoqué, il me doit mes appointements. Eh bien ! Frontin, m'ont-ils dit tantôt en parlant de vous deux, s'aiment-ils un peu ? Oh ! Beaucoup, Monsieur ; extrêmement, Madame, extrêmement, ai-je dit en tranchant. Rien ne remue ; la Marquise bâille en m'écoutant, Dorante ouvre nonchalamment sa tabatière, c'est tout ce que j'en tire. Morbleu ! Madame, je m'y ferais hacher. En voulez-vous davantage ? Sachez qu'ils s'aiment, et qu'ils m'ont dit eux-mêmes de vous l'apprendre. Ah ! Par ma foi, j'y suis : c'est qu'ils ont envie de vous mettre en peine. Je ne m'étonne pas si Dorante, en regardant sa montre, ne la regardait pas fixement, et faisait une demi-grimace. Item, c'est qu'en ouvrant sa tabatière, il n'a pris son tabac qu'avec deux doigts tremblants. Il est vrai aussi que sa bouche a ri, mais de mauvaise grâce ; le reste du visage n'en était pas, il allait à part. Elle-même. La grimace que Dorante faisait tantôt, je viens de la retrouver sur sa physionomie. Mais, Monsieur, parlez un peu de Lisette pour moi. C'est une petite requête que je vous présente, et qui tend à vous prier qu'il vous plaise d'ôter Lisette à Arlequin, et d'en faire un transport à mon profit. Oh ! Le transport est tout à fait de son goût. Il ne sera pas difficile de les trouver, car ils entrent. Oui ; mais le remède ne me vaudra rien. Oui, car moi sors de la terrasse, je viens de l'apercevoir se promenant dans la galerie. C'est ce qui me semble. Je l'avais aussi, ce petit soupçon-là, mais je l'ai changé contre une grande certitude. Je crois que nous sommes aussi très variés tous deux. Le service est touchant ! C'est du moins parler cordialement. Ne savez-vous pas, Monsieur, qu'il y a des haines qui ne s'en vont point qu'on ne les paie ? Pour cela... Vous nous l'avez déjà dit en plus de dix façons, ma belle. Adieu donc, soubrette ennemie ; adieu, mon petit coeur fantasque ; adieu, la plus aimable de toutes les girouettes. Mais, à vue de pays, nous en sommes à rien. Ce chemin-là n'a pas l'air de nous mener au gîte. Épousez-vous Arlequin, Lisette ? Eh bien ! Lisette, je vous donne six mois pour revenir à moi. **** *creator_marivaux *book_marivaux_heureuxstratageme *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_heureuxstratageme *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Ouf ! Beaucoup de chagrin pour vous, et à cause de cela, quantité de chagrin pour moi ; car un bon domestique va comme son maître. Il faut se préparer à l'affliction, Monsieur ; selon toute apparence, elle sera considérable. J'en pleure d'avance, afin de m'en consoler après. Hélas ! Je n'ai rien à dire ; c'est que je devine que vous serez affligé, et je vous pronostique votre douleur. C'est que j'étais tout à l'heure dans la salle, où j'achevais... Mais passons cet article. Ce n'est rien... Qu'une bouteille de vin qu'on avait oubliée, et que j'achevais d'y boire, quand j'ai entendu la Comtesse qui allait y entrer avec le Chevalier. Comme elle aurait pu trouver mauvais que je buvais en fraude, je me suis sauvé dans l'office avec ma bouteille : d'abord, j'ai commencé par la vider pour la mettre en sûreté. Je parle de cette bouteille parce qu'elle y était ; je ne voulais pas l'y mettre. La voilà donc vide ; je l'ai mise à terre. Ensuite, sans mot dire, j'ai regardé à travers la serrure... Bon ! Ce maudit serrurier n'a-t-il pas fait le trou de la serrure si petit, qu'on ne peut rien voir à travers ? Si fait ; car mes oreilles ont reconnu sa parole, et sa parole n'était pas là sans sa personne. Hélas ! Je n'ai retenu que les pensées, j'ai oublié les paroles. Il faudrait en savoir les mots. Mais, Monsieur, ils étaient ensemble, ils riaient de toute leur force ; ce vilain Chevalier ouvrait une bouche plus large... Ah ! Quand on rit tant, c'est qu'on est bien gaillard ! Oui ; mais cette joie-là a l'air de nous porter malheur. Quand un homme est si joyeux, c'est tant mieux pour lui, mais c'est toujours tant pis pour un autre (montrant son maître), et voilà justement l'autre ! Je ne me souviens pas si je lui ai dit ; mais je sais bien que je devais lui dire. Il serait désagréable de faire deux ménages. Et ce misérable Frontin, que te dit-il, Lisette ? Ma mie, toujours rudânière, hoche la tête quand il te parle. Hi ! Hi ! Hi ! Je suis touché du malheur de mon maître. En vérité, voilà un petit coeur de Comtesse bien édifiant ! Oh ! Oh ! Comme elle répond, Monsieur ! Serais-tu, par hasard, une masque aussi ? Je n'ai jamais vu de paroles de si mauvaise mine. Et de moi, suivante de mon âme, qu'en fais-tu ? Et moi, je te maudis, chambrière du diable ! Nous avons affaire à de jolies personnes, Monsieur, n'est-ce pas ? J'en perds la respiration ! On m'étouffe, Madame, on m'égorge, on me distingue ! Que le ciel nous console ! Nous voilà tous trois sur le pavé : car vous y êtes aussi, vous, Madame. Votre Chevalier ne vaut pas mieux que notre Comtesse et notre Lisette, et nous sommes trois coeurs hors de condition. Ah ! Que je souffre ! Voilà tout ce que j'en ai : mais il y a là-bas un coquin qui demande à parler à Madame ; voulez-vous qu'il entre, ou que je le batte ? Un maraud qui m'a soufflé ma maîtresse, et qui s'appelle Frontin. La vilaine connaissance que vous avez là, Madame ! Viens, maître fripon ; entre. Je t'en prépare une qui ne me coûtera pas une syllabe. Monsieur, voilà votre fripon qui arrive. Un de nos deux larrons, le maître du mien. Une douzaine, si vous voulez. Eh pardi ! si je veux l'attraper, il faut bien que je coure après, car elle me fuit. Assurément ; il n'y a que le mien qui ait la préférence, comme de raison : d'abord moi, ensuite vous ; voilà comme cela est arrangé dans mon esprit ; et puis le reste du monde va comme il peut. Mais, Monsieur, ce chapitre-là ne vous regarde pas : c'est de l'amour que j'ai pour elle, et vous n'avez que faire d'amour, vous n'en voulez point. Pardi ! Monsieur, vous avez là des volontés qui ne ressemblent guère aux miennes : pourquoi ne nous accordons-nous pas aujourd'hui comme hier ? Monsieur, le sacrifice me tuera, avant que les récompenses viennent. Quand on me donnerait la Marquise par-dessus le marché, on me volerait encore. Je ne saurais le dire ; je ne les connais ni l'un ni l'autre. Elle me regrettera ! Eh ! Monsieur, que ne parlez-vous ? J'obéis, à condition qu'on me regrettera, au moins. Ne craignez rien, il n'y aura là-dedans que la Marquise et moi de malhonnêtes : c'est elle qui me fait présent de Marton, c'est moi qui la prends ; c'est vous qui nous laissez faire. Mais on me regrettera. Eh bien ! Je vous donne quittance ; mais on dit que Blaise est venu vous demander justice contre moi, Madame : je ne refuse pas de la faire bonne et prompte ; il n'y a qu'à appeler le notaire ; et s'il n'y est pas, qu'on prenne son clerc, je m'en contenterai. Il n'y a donc pas moyen d'esquiver Marton ! C'est vous, Monsieur le Chevalier, qui êtes cause de tout ce tapage-là ; vous avez mis tous nos amours sens dessus dessous. Si vous n'étiez pas ici, moi et mon maître, nous aurions bravement tous deux épousé notre Comtesse et notre Lisette, et nous n'aurions pas votre Marquise et sa Marton sur les bras. Hi ! Hi ! Hi ! M'amie, j'ai beau faire signe à mon maître ; il se moque de cela, il ne veut pas venir savoir ce que je lui demande. Marquise malencontreuse ! Hélas ! Ma fille, la bonté que j'ai eue de te rendre mon coeur ne nous profitera ni à l'un ni à l'autre. Il me sera inutile d'avoir oublié tes impertinences ; le diable a entrepris de me faire épouser Marton ; il n'en démordra pas ; il me la garde. Il ne se souciera pas de ton attente. Je suis tout engourdi de tristesse. Monsieur, venez que je vous parle. Il ne faut pas que Madame y soit. J'en ai un qui ne veut pas qu'elle le connaisse. Oui : c'est Lisette qui demande Monsieur, et il n'est pas à propos que vous le sachiez, Madame. Oh ! Monsieur, point du tout. Jamais. C'est cette perfide qui le fâche ; mais ce ne sera rien. Cours après. Véritablement l'exclamation est effrontée avec nous ; supprime-la. Le plus tôt c'est le mieux. Hélas ! Monsieur, l'amour l'a voulu, et il est le maître ; car je ne le voulais pas, moi. Et voici moi qui vous en supplie à deux genoux. Allez, Monsieur, cette bonne dame est amendée ; je suis persuadé qu'elle vous dira d'excellentes choses pour le renouvellement de votre amour. Et bien tendrement malgré la petite parenthèse ! Eh ! Non, Monsieur, mon cher maître, tournez à droite, ne prenez pas à gauche. Venez donc : je crierai toujours jusqu'à ce qu'il m'entende. Madame, mon maître et Madame la Marquise envoient savoir s'ils ne vous importuneront pas : ils viennent vous prononcer votre arrêt et le mien ; car je n'épouserai point Lisette, puisque mon maître ne veut pas de vous. Ils vont entrer, car ils sont à la porte. Quel plaisir, Lisette ! Le mien opine de même.